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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 6 - Témoignages du 14 avril 2016


OTTAWA, le jeudi 14 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 30 afin d'étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à vous, chers collègues, distingués invités et membres du public qui suivez les travaux d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Je vous rappelle que, plus tôt cette année, le Sénat a autorisé le comité à examiner, pour en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada ainsi que les rôles joués par le gouvernement du Canada et le Parlement afin de réduire ces délais. Il s'agit de la 12e séance de cette étude.

Durant la première heure de la séance d'aujourd'hui, il sera question du Tribunal de traitement de la toxicomanie d'Ottawa, et nous accueillons pour nous en parler l'agent Craig Fairbairn, qui est agent de liaison du Tribunal de traitement de la toxicomanie, unité centrale de voisinage du Service de police d'Ottawa, ainsi que la directrice clinique des Rideauwood Addiction and Family Services, Marion Wright.

Nous vous remercions d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Monsieur Fairbairn, c'est à vous de donner le coup d'envoi, je crois bien.

Craig Fairbairn, agent de liaison du Tribunal de traitement de la toxicomanie, Unité centrale de voisinage, Service de police d'Ottawa : Je vous remercie. C'est un honneur d'être ici aujourd'hui.

Honorables sénateurs, je vous remercie de cette occasion de commenter les retards au sein de la procédure criminelle. Je m'appelle Craig Fairbairn et je suis agent assermenté au Service de police d'Ottawa. J'œuvre au sein de la police d'Ottawa depuis huit ans, soit deux ans à des postes civils et les six dernières années en tant qu'agent assermenté. Mon expérience comprend du travail de patrouille, des renseignements criminels et de la gestion de cas majeurs. J'ai aussi fait partie de l'Unité des drogues.

Je suis présentement agent de liaison du Tribunal de traitement de la toxicomanie, ou TTT, et je travaille au sein de l'Unité de quartier centrale. À titre d'agent de liaison du TTT, je travaille auprès d'agents de probation et d'avocats de la Couronne des ordres fédéral et provincial, ainsi qu'avec le centre Rideauwood Addiction and Family Services.

Aujourd'hui, je suis venu discuter des bienfaits des programmes du TTT et par la même occasion promouvoir l'expansion de ce modèle à travers le Canada. Les programmes du TTT abordent les causes profondes de la criminalité par la voie du traitement, donnant lieu à un faible taux de récidive chez les participants, tout en atténuant les retards au niveau des instances judiciaires et en épargnant des millions de dollars à l'économie.

Le TTT a eu des effets positifs profonds, sur les participants individuels comme sur les communautés. La toxicomanie, la maladie mentale, l'alcoolisme, les problèmes socioéconomiques ainsi que les autres facteurs déterminants de la santé, tout cela joue un rôle au sein du problème qu'envisage le comité. Ces facteurs aggravants contribuent à la criminalité, qui à son tour aggrave les retards systémiques de la procédure criminelle. Comme vous le savez déjà, le crime lié à la drogue est responsable d'une forte proportion du coût économique et social de l'usage illicite de drogue, et il contribue à une part importante du crime en général.

Notre appareil de justice pénale peut être considéré comme un processus en quatre étapes : premièrement, les causes profondes de la criminalité; deuxièmement, les actes criminels; troisièmement, les enquêtes policières; et quatrièmement, le processus judiciaire dans son ensemble. Le TTT fournit le soutien, les outils et la thérapie dont un participant a besoin pour surmonter sa dépendance à la drogue en réduisant l'écart entre les causes profondes et le processus judiciaire. Essentiellement, nous rationalisons le passage d'une étape à l'autre, dans le but d'éliminer l'acte criminel et le processus judiciaire qui s'ensuit.

Pour qu'un requérant soit admissible au TTT, quatre critères de base doivent être respectés. Le requérant doit être dépendant de drogues dures comme la cocaïne, les opiacés ou la méthamphétamine. Il doit se tourner vers le crime essentiellement pour maintenir sa toxicomanie. En général, les infractions doivent être de nature non violente, mais les cas sont évalués sur une base individuelle. Enfin, le requérant ne doit pas faire l'objet d'une peine avec sursis.

Le requérant qui répond aux critères doit plaider coupable aux accusations pesant contre lui, y compris, le cas échéant, aux accusations convenues relatives à d'autres ressorts. Le requérant doit assumer la responsabilité de ses actes et accepter les conséquences pouvant lui être imposées par de strictes conditions d'engagement du TTT.

Si vous vous rendez au tableau 1 de la trousse documentaire que je vous ai distribuée, vous y verrez un exemple typique de conditions d'engagement que les requérants doivent signer. Lorsqu'il se plie à ces conditions, le participant entame le programme du TTT, diminuant ainsi le fardeau porté par le processus judiciaire.

En gardant à l'esprit ce survol du programme du TTT et de son processus, j'aimerais m'étendre un peu sur les mérites du programme.

Le Rapport d'évaluation du Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie, publié en avril 2015 par le ministère de la Justice du Canada, a conclu que la répercussion moyenne du TTT était une réduction du récidivisme chez les requérants, non seulement dans le cadre du programme, mais pendant plusieurs années par la suite. L'étude a constaté qu'après 4 ans, 61 p. 100 des finissants du TTT n'avaient pas commis de nouveaux actes criminels, contre 40 p. 100 d'un groupe témoin. En traitant la dépendance, nous sommes en mesure de réduire le nombre d'accusations au pénal susceptibles d'occasionner de nouveaux retards aux instances judiciaires.

Une multitude de problèmes découlant des retards judiciaires est certainement imputable aux causes profondes de la criminalité; néanmoins, certaines questions administratives contribuent aussi à ces retards. On ne peut plus dire que les « méga-procès » sont seuls à immobiliser les instances judiciaires, mais tous les procès deviennent si alambiqués qu'ils ne durent plus des heures, mais bien des jours.

En 2015, 950 causes liées à des lois fédérales ont été reçues par la ville d'Ottawa, et 914 d'entre elles ont été jugées. Au total, 874 de ces causes ont été jugées lors d'un procès, ou avant procès par un plaidoyer de culpabilité ou d'autres moyens, tandis que seulement 40 sont allées en justice. Même si ces causes n'ont été portées en justice que dans 4,4 p. 100 des cas, elles ont duré en moyenne 160 jours, avec 9 comparutions devant les tribunaux avant qu'une décision ne soit rendue. C'est ce qui se trouve au tableau 2. Ce sont les statistiques de la ville d'Ottawa pour 2015.

Ces retards systémiques au niveau des instances judiciaires se traduisent à la longue par d'importantes charges financières, qui peuvent être partiellement atténuées par des programmes du TTT.

Le rapport publié en avril 2015 a aussi constaté que l'économie de coûts variait de 20 à 88 p. 100 par participant, en comparaison à un individu incarcéré. Par exemple, le coût du traitement d'un accusé au sein du système de justice ordinaire se chiffre autour de 50 000 $ par année, tandis qu'une année au sein du programme du TTT coûte un peu moins de 30 000 $. Depuis 2011, d'après ces chiffres, le TTT d'Ottawa a connu 61 finissants, qui ont fait épargner 1,2 million de dollars à l'économie durant cette période.

Les gouvernements devraient concentrer leurs ressources sur des programmes de traitement pour freiner la « porte tournante » de l'accoutumance et du crime qui engendre des embâcles dans l'appareil judiciaire. Nous disposons de programmes fédéraux du TTT à travers le Canada qui réussissent bien. Cependant, le financement annuel des TTT est demeuré inchangé à 3,6 millions de dollars depuis plusieurs années, malgré l'ajout de nouveaux programmes. Les économies réalisées grâce aux TTT dépassent largement les 3,6 millions de dollars de leur financement annuel, tout en exerçant un effet positif sur les communautés et en réduisant les retards au niveau des instances judiciaires.

Cette réussite peut servir de modèle pour l'expansion et la création de programmes de lutte contre d'autres problèmes, notamment la santé mentale et l'abus d'alcool.

Encore une fois merci de m'avoir invité à comparaître devant vous. Je répondrai avec plaisir à toutes les questions que vous pourriez avoir.

Marion Wright, directrice clinique, Rideauwood Addiction and Family Services : Bonjour à vous, honorables sénateurs. Au nom des Rideauwood Addiction and Family Services d'Ottawa, je vous remercie de l'occasion qui m'est offerte de m'adresser à vous aujourd'hui.

Je m'appelle Marion Wright, et je suis la directrice clinique des Rideauwood Addiction and Family Services. En fait, Rideauwood est l'organisme ottavien avec qui le Tribunal de traitement de la toxicomanie fait affaire et il en est ainsi depuis 2006.

Je cumule près de 50 ans d'expérience en Ontario dans divers postes de direction au sein d'organismes s'occupant de toxicomanie et de santé mentale. J'ai aussi été visiteuse principale à Agrément Canada, un organisme pancanadien qui se spécialise dans la toxicomanie et la santé mentale. Je suis donc ravie de pouvoir parler aujourd'hui des tribunaux spécialisés et de leur rôle au sein de l'appareil de justice pénale et des services de santé mentale du pays.

Vous nous avez demandé de parler des délais dans le système de justice et de vous recommander des solutions à divers problèmes. Le lien entre drogue et criminalité a été établi il y a longtemps déjà, et il s'agit d'un problème sans cesse renouvelé qui coûte cher à l'État canadien. Diverses recherches ont conclu que les toxicomanes sont plus susceptibles de commettre un crime et que les individus qui ont maille à partir avec la justice sont plus susceptibles de consommer de la drogue.

Ce n'est pas d'hier que les activités criminelles liées à la drogue constituent un problème, car selon les données de Sécurité publique Canada sur le sujet, les infractions liées à la drogue ayant fait l'objet d'un signalement à la police ont augmenté de 33 p. 100 de 1998 à 2012.

On estime que la consommation de drogue coûte pas moins de 3,82 milliards de dollars par année. Il est donc temps que nous trouvions des interventions efficaces contre la criminalité liée à la drogue.

Le Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie, ou TTT, est un programme de financement sous forme de contribution qui soutient financièrement les six tribunaux de traitement de la toxicomanie du pays — Toronto, Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Ottawa et Regina — et en administre les accords de financement.

Diverses évaluations confirment le bien-fondé et des TTT et de leur structure de financement. Les TTT, qui abordent la question de la criminalité liée à la drogue autant du point de vue judiciaire que thérapeutique, ont été mis sur pied parce que le taux de récidive chez les contrevenants toxicomanes était très élevé. D'aucuns sont même d'avis que le système de justice pénale favorise la récidive chez les toxicomanes. Or, de nombreuses études ont montré que les TTT permettent justement de réduire les récidives. Ce programme demeure pertinent car, de l'avis des responsables des TTT, sans son soutien, les tribunaux canadiens non seulement seraient incapables de prendre de l'expansion, mais pourraient même voir leur nombre diminuer et être obligés d'accepter moins de clients.

Au Canada, sous la direction du ministère de la Justice, le modèle des TTT a continué d'évoluer et de s'adapter aux milieux où ils se trouvent et aux besoins de la population. Les TTT sont du ressort des provinces et ciblent les contrevenants non violents qui ont été accusés aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou du Code criminel et pour qui il y a un lien entre la toxicomanie et l'infraction commise.

Les contrevenants qui souhaitent participer au programme des TTT sont évalués afin de s'assurer qu'ils répondent aux critères établis. Au lieu d'être incarcérés, ils reçoivent plutôt une peine en milieu ouvert à la fin de leurs traitements. Voici les principaux éléments du Programme de financement des TTT du ministère de la Justice du Canada : juridiction qui se charge de surveiller l'observation des règles et les progrès chez les participants; prestation de services appropriés de traitement de la toxicomanie et de gestion de cas afin d'aider à vaincre la toxicodépendance; soutien communautaire par l'aiguillage vers les services sociaux, comme le logement et l'emploi, ce qui peut contribuer à stabiliser les contrevenants et les aider à réaliser des progrès dans leur traitement et à se conformer aux conditions fixées par le TTT.

Les approches adoptées varient d'un TTT à l'autre. Certains offrent la plupart de leurs services à l'interne, comme Rideauwood, alors que d'autres dirigent plutôt les participants vers des organismes externes de traitement. Le type de traitement et l'approche adoptée varient selon les régions du Canada et le TTT, mais dans tous les cas, les participants ont droit à des séances individuelles et collectives de consultation. Tous les TTT ont des programmes graduels qui guident les participants à travers les différentes étapes, comme l'évaluation, la stabilisation, le traitement intensif, la prévention des rechutes, le maintien et finalement l'obtention du diplôme.

Par exemple, le traitement en établissement est très important. Toronto a conclu des partenariats permanents — assortis de financement ou non — avec un certain nombre d'organismes communautaires. À Vancouver, l'équipe de soignants peut compter sur un intervenant qui travaille sur place et s'occupe de trouver un logement aux clients. La question du logement occupe une place de choix au sein du traitement, et les clients sont généralement logés dans un centre de réadaptation pour toxicomanes ou dans un logement privé.

À Edmonton, les participants sont dirigés vers des centres de jour ou des établissements fermés. Ici à Ottawa, le contrat que nous avons signé avec le Centre de gestion du sevrage d'Ottawa prévoit que les personnes qui ont besoin d'un traitement en établissement y auront droit à un lit.

Deux programmes, celui de Toronto et celui d'Ottawa, ont décidé d'offrir plusieurs types de diplôme. Toronto en offre deux, tandis qu'Ottawa en a trois. Ailleurs au pays, cela varie d'un endroit à l'autre. Vous trouverez plus de détails dans le mémoire que je vous ai remis.

La durée du traitement varie elle aussi d'un endroit à l'autre. Cinq établissements ont déterminé que les clients doivent participer au programme durant une période minimale pour avoir leur diplôme. L'abstinence varie d'un endroit à l'autre. Les participants d'Ottawa, de Vancouver et de Toronto doivent par exemple demeurer complètement abstinents durant au moins trois mois, alors que ceux de Winnipeg, d'Edmonton et de Regina doivent l'être durant quatre mois. Certains établissements exigent que les participants ne commettent aucune infraction criminelle durant au moins trois ou six mois, mais certains autres n'ont pas d'exigence du genre.

La manière dont une personne doit prouver qu'elle a atteint la stabilité sociale varie d'un cas à l'autre, mais la plupart des endroits exigent qu'elles le fassent. Dans certains cas, elles doivent avoir un logement stable ou un emploi, faire du bénévolat, ce genre de chose, alors que, dans d'autres, elles doivent établir un plan intégré de retour au travail.

Le programme offert par les Rideauwood Addiction and Family Services est administré par notre agence, en coordination avec les tribunaux de la province. Rideauwood dirige le programme, et les représentants du TTT proviennent tous de chez nous. Il y a notamment un gestionnaire de programme, un agent de probation, trois adjoints administratifs et de direction et une infirmière praticienne.

Pour être admis à Rideauwood, les participants doivent remplir cinq critères bien précis : ils doivent plaider coupable aux accusations qui pèsent contre eux et accepter la responsabilité de leurs actes; ils doivent consentir de leur plein gré au traitement; ils doivent être accusés de certaines infractions non violentes; les infractions doivent avoir été commises dans le but d'assouvir leur dépendance ou y être liées; leur dossier doit être approuvé par le procureur de la Couronne, Rideauwood et le juge du TTT.

Le traitement en tant que tel comporte différentes activités : évaluation continue, consultation formelle sur la dépendance, séances de groupe et individuelles; traitement en établissement fermé ou centre de jour; services de gestion de cas; services de santé; services sociaux; prise régulière et aléatoire d'échantillons d'urine; services de formation, d'éducation permanente et d'emploi. À Ottawa, les participants s'engagent pour au moins neuf mois, mais les exigences à remplir ainsi que le nombre de comparutions judiciaires et de séances de traitement peut être réduit à tout moment si on juge qu'il est approprié de renforcer certains comportements.

Pour obtenir le diplôme de niveau 1, les participants doivent demeurer au moins neuf mois au sein du programme et ne rien consommer durant au moins six mois consécutifs. Ils reçoivent ensuite la peine maximale, qui correspond à une journée de probation. C'est le niveau le plus élevé.

Pour le niveau 2, les participants doivent eux aussi demeurer au sein du programme durant neuf mois, mais la période d'abstinence est plutôt de trois mois consécutifs. Dans leur cas, la peine maximale correspond à 12 mois de probation.

Le diplôme de niveau 3 est décerné après 16 mois au sein du programme, et la peine maximale correspond à 18 mois de probation.

Le programme se divise donc en plusieurs niveaux.

Les personnes qui participent au programme offert par Rideauwood doivent établir ce qu'on appelle un « plan de réintégration », dans lequel ils décrivent les moyens qu'ils vont prendre pour demeurer abstinents, ne pas récidiver et ne pas abandonner les activités qu'ils ont entreprises une fois que le programme aura pris fin et qu'ils réintégreront la collectivité.

Bref, même si, à bien des égards, les données sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie sont très positives, certaines préoccupations demeurent.

Premièrement, les procédures avant procès contribuent à déterminer l'admissibilité des clients, mais même s'il s'agit d'un élément positif, les taux de non-observation et de récidive demeurent élevés et dénotent peut-être un problème touchant le service lui-même ou le modèle de traitement. Le taux global d'obtention du diplôme est d'environ 35 p. 100. Or, il s'agit de personnes dont le dossier a été préapprouvé. Je crois qu'il y aurait certainement des améliorations à apporter de ce côté-là.

Deuxièmement, dans le cas des tribunaux de la santé mentale, la formation des juges et les processus d'évaluation avant procès sont particulièrement importants.

Troisièmement, les membres compétents et dévoués de l'appareil judiciaire pourront contribuer à ce que davantage de clients soient assignés aux TTT. Résultat : les résultats sont plus concluants et les sanctions sont réservées aux seuls cas qui les justifient.

Quatrièmement, comme le Canada compte de très nombreux fournisseurs de services en santé mentale et en toxicomanie, si tribunaux spécialisés, comme les TTT, étaient mieux soutenus, les gens y auraient — évidemment — recours plus souvent, et les délais judiciaires raccourciraient. Mais surtout, les participants qui se livrent à des actes criminels en seraient les grands gagnants, puisqu'ils pourraient traiter leur dépendance, obtenir du soutien et dire adieu à la criminalité.

Je vous remercie beaucoup du temps que vous m'avez accordé.

Le président : Nous allons commencer par la vice-présidente du comité, la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous deux. J'aimerais que Mme Wright nous donne quelques précisions. Quand vous parlez d'une formation pour les juges, de quel type de formation est-il question, et de quelle durée?

Mme Wright : Cela s'applique non seulement aux Tribunaux de traitement de la toxicomanie, mais aussi aux tribunaux spécialisés en matière de santé mentale ou aux tribunaux de résolution de problèmes. Étant donné la nature unique du délinquant et le fait que le traitement donne de très bons résultats, il est très important que le juge et les membres de l'appareil judiciaire comprennent que ce sont des troubles traitables dans bien des cas et qu'il doit y avoir des sanctions appropriées, par exemple lorsque les résultats d'une analyse d'urine sont positifs pour la drogue. Il doit y avoir des sanctions appropriées.

Cependant, on doit également comprendre que ces individus sont aux prises avec des problèmes humains et qu'il est possible de les aider par des traitements plutôt que par l'emprisonnement. Ils ont commis une infraction et ils doivent en assumer la responsabilité, mais il s'agit de savoir comment les aider à réintégrer la société. Les membres de l'appareil judiciaire et les juges jouent un rôle très important; ils doivent savoir et comprendre ce qui se passe lorsqu'une personne a des problèmes de dépendance à la drogue ou de santé mentale, ou les deux, et comprendre aussi comment elle peut se libérer de sa dépendance. Les toxicomanes qui consomment quotidiennement des substances illicites ne réussissent pas en une seule journée à cesser de consommer. Il faut un certain temps.

Il y a une chose qui aide beaucoup — et les données le confirment —, et c'est l'exigence, comme dans tous les Tribunaux de traitement de la toxicomanie, selon laquelle le participant doit comparaître chaque semaine au tribunal, où ses progrès sont évalués et les analyses d'urine sont examinées. Cela a des effets très positifs non seulement sur cette personne, mais aussi sur les autres participants au programme judiciaire de traitement de la toxicomanie qui sont présents. Une personne peut participer au programme depuis neuf mois et réussir très bien, et une autre peut en être seulement au premier mois ou à la première semaine du programme et ne pas obtenir d'aussi bons résultats, malgré la compréhension et les sanctions des juges. Toutefois, la personne qui en est seulement à sa première semaine se rend compte que si d'autres personnes réussissent, elle aussi peut réussir. C'est ainsi que le juge travaille en partenariat pour aider la personne.

La sénatrice Jaffer : Ma question s'adresse à vous deux. Vous savez que nous nous penchons sur les délais judiciaires. En me préparant pour la séance d'aujourd'hui, j'ai pensé que votre travail est probablement bénéfique sur ce plan. J'aimerais que vous me disiez quelles mesures nous devrions mettre en place pour améliorer les choses à ce chapitre, en particulier en ce qui concerne les gens dont vous vous occupez. Les retards seraient probablement très difficiles et néfastes pour les personnes avec qui vous travaillez; j'aimerais donc savoir ce que vous suggérez et quelles recommandations nous devrions formuler, selon vous, pour régler le problème des retards judiciaires.

M. Fairbairn : En élargissant le programme... C'est avant tout une question d'argent. Si nous avions plus d'argent, nous pourrions élargir le programme et avoir plus de participants. Cela suffirait pour faire diminuer les retards futurs. On retire déjà les participants du processus judiciaire conventionnel pour les intégrer au programme des TTT. Il ne faut pas oublier que lorsqu'ils participent à ce programme, ils sont peu susceptibles de commettre d'autres actes criminels. Lorsque ces personnes consomment de la drogue, en particulier celles qui ont une dépendance au crack, il leur en coûte entre 150 $ et des milliers de dollars par jour. Elles doivent trouver l'argent quelque part; il peut provenir d'introductions par effraction ou de petits vols dans les voitures. Ce sont là des accusations qui seront portées à la suite d'enquêtes policières. Si nous pouvons les limiter en inscrivant davantage de participants aux programmes des TTT, nous empêcherons que davantage d'accusations criminelles soient portées au sein du système judiciaire. Cela aidera beaucoup à réduire les retards.

Mme Wright : L'aspect du traitement est important. Si nous voulons réduire le nombre d'infractions commises par les individus, nous devons réduire leur consommation de drogue, et le meilleur moyen de le faire, c'est par un traitement actif. Plus il y aura de gens qui suivent un traitement actif et il y aura de collaboration interdisciplinaire, plus il y aura d'effets positifs non seulement sur les personnes, mais aussi sur les retards judiciaires. Toutefois, le traitement de la toxicomanie et des problèmes de santé mentale concomitants est de compétence provinciale. C'est un défi. Le nombre d'établissements de traitement n'est jamais suffisant. Cela a aussi des répercussions, je crois; le programme pourrait donner de meilleurs résultats sur le plan judiciaire s'il y avait davantage de Tribunaux de traitement de la toxicomanie au pays.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de vos exposés.

Il ne fait aucun doute que l'abus d'alcool et de drogue est un problème endémique dans nos collectivités, et je tiens encore une fois à vous féliciter de l'excellent travail que vous accomplissez.

À la suite d'un plaidoyer de culpabilité à des accusations liées aux drogues illicites, un Tribunal de traitement de la toxicomanie impose des conditions de mise en liberté. Madame Wright, je sais que vous avez répondu à une question de la sénatrice Jaffer concernant la formation des juges, mais qu'en est-il des membres de la commission des libérations conditionnelles et des autres instances? Reçoivent-ils une formation adéquate pour ce qui est de l'imposition de conditions aux personnes toxicomanes?

M. Fairbairn : Je ne peux vous le dire en ce qui concerne les agents de probation, mais du point de vue du service de police d'Ottawa, en tant qu'agent de liaison du Tribunal de traitement de la toxicomanie, je dirai que lorsqu'une personne est mise en liberté sous les conditions que j'ai décrites au tableau 1, elle retourne dans la collectivité. Elle comparaît de façon hebdomadaire devant le tribunal. Elle se rend tous les jours au centre de traitement de la toxicomanie Rideauwood. Cependant, n'oubliez pas que ces personnes présentent un risque élevé de récidive. Elles seront très souvent arrêtées par les policiers. Il est possible qu'elles consomment à nouveau. Au sein du service de police d'Ottawa, j'essaie de former des agents afin qu'ils sachent que ces personnes participent à un programme de TTT, qu'elles doivent respecter les conditions du TTT, notamment ne pas se trouver dans des endroits comme le Marché By, où la consommation de drogue est omniprésente, comme nous le savons, ne pas consommer, et ainsi de suite. Par conséquent, lorsqu'un policier voit que la personne participe au programme de TTT, il me signalera son comportement par courriel ou dans un rapport, et je transmettrai cette information au procureur fédéral et au procureur provincial. Le Tribunal de traitement de la toxicomanie finira par recevoir l'information.

Les participants sont mis en liberté notamment sous la promesse de faire preuve d'une sincérité totale à l'égard du tribunal. Lors de la comparution suivante, ils devront informer le juge du fait qu'ils se sont fait arrêter par la police, qu'ils ont peut-être consommé, qu'ils n'ont peut-être pas respecté le couvre-feu et qu'il y a peut-être des raisons pour lesquelles on les a arrêtés. La police les a peut-être arrêtés simplement pour leur dire bonjour. Ils doivent en informer le juge. En transmettant l'information à l'avance, je peux le confirmer et je saurai s'ils mentent ou s'ils cachent la vérité.

Le sénateur McIntyre : Pour les délinquants, est-il plus difficile de respecter les conditions qui les obligent à s'abstenir de consommer de l'alcool que des drogues illicites?

M. Fairbairn : Honnêtement, cela dépend du participant. Habituellement, ceux qui ont un problème de toxicomanie accordent plus d'importance aux drogues, et ceux qui ont un problème d'alcool, plus d'importance à l'alcool. En général, c'est l'un ou l'autre, mais il arrive que ce soit les deux.

Mme Wright : Je suis d'accord avec mon collègue, mais ce n'est pas vraiment l'un ou l'autre. Dans bien des cas, ils consomment de nombreux médicaments, de l'alcool et des drogues illicites; il est donc très difficile de départager les problèmes des personnes du point de vue de la santé ou du point de vue neuropsychologique.

Le sénateur McIntyre : Madame Wright, vous avez mentionné les six centres de traitement. À votre avis, d'autres villes canadiennes pourraient-elles bénéficier des Tribunaux de traitement de la toxicomanie?

Mme Wright : Absolument. D'ailleurs, dans l'est de l'Ontario, on met sur pied deux nouveaux tribunaux de traitement de la toxicomanie, un à Brockville, et l'autre à Kingston. Ils ne font pas partie du programme de financement, mais ils tentent de réunir, au sein des centres de traitement et en partenariat avec les instances judiciaires, tous les éléments d'un tribunal de traitement de la toxicomanie; c'est là une occasion d'accroître l'efficacité.

M. Fairbairn : Il y a des villes — dont London, en Ontario, Calgary, en Alberta, et Kings County, en Nouvelle- Écosse — qui sont en train de lancer des projets pilotes pour les programmes de TTT.

Le sénateur Baker : Je tiens à remercier les témoins et à les féliciter de l'excellent travail qu'ils accomplissent dans leurs fonctions respectives.

J'aimerais vous poser ce qui semble être, à première vue, une question toute simple. Nous nous penchons, bien entendu, sur la législation fédérale, et le paragraphe 720(2) du Code criminel permet à un juge de reporter la détermination de la peine pour permettre à l'accusé de présenter une demande d'admission à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie. Le paragraphe 10(4) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances dit pratiquement la même chose.

Ces deux lois fédérales — le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances — mentionnent les programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie. Selon vous, quelles modifications pourrions- nous apporter à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et au Code criminel afin d'être équitables envers tous les accusés?

À mon avis, le problème qui se pose, dans le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, c'est que l'accusé doit présenter une demande pour suivre un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie avant la détermination de la peine. Or, si l'avocat de l'accusé n'est pas aussi efficace qu'il devrait l'être, alors la personne rate cette occasion parce qu'elle n'a pas présenté de demande avant la détermination de la peine dans la procédure pénale.

Devrions-nous, à votre avis, recommander une modification à la loi pour permettre à un juge, après avoir eu la preuve qu'une personne a une dépendance à une drogue dure, car il est question ici de drogues dures, comme la cocaïne, et non de marijuana ou d'autres drogues... Nous devrions peut-être changer cela, je ne sais pas. Mais devrions- nous donner aux tribunaux le pouvoir — sans que l'accusé l'ait demandé, car certains d'entre eux ne sont pas représentés — de permettre à l'accusé, si le procureur général y consent, ce qui est nécessaire, de présenter une demande, c'est-à-dire donner le pouvoir au tribunal de permettre automatiquement à cet individu de présenter une demande d'admission à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie?

M. Fairbairn : Personnellement, je ne peux pas parler de l'aspect juridique pour ce qui est d'une modification à la loi et au Code criminel. Toutefois, il serait très utile, à mon avis, que davantage de juges et de tribunaux connaissent le programme et les avantages qui pourraient en découler. Il y aurait plus de sensibilisation.

Et à l'extérieur des tribunaux également. En général, ces délinquants se retrouvent très souvent dans le système judiciaire. Ils devraient déjà connaître le programme ou des personnes devraient le leur en parler afin qu'ils soient au courant lors de la détermination de la peine ou à leur première comparution.

Il serait bien que les juges connaissent le programme et, lorsqu'ils ont affaire à une personne non violente qui semble avoir une dépendance aux drogues dures, qu'ils puissent lui suggérer de faire une demande d'admission à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie.

Mme Wright : Puis-je ajouter quelque chose? Je ne saurais formuler des observations sur la modification des lois, mais je dirai que le renforcement des mesures préparatoires au procès en collaboration avec les partenaires clés serait possible dès le départ.

Des réunions très interactives ont lieu entre les fournisseurs de traitement, le juge et la Couronne; elles sont parfois très animées. S'il y en a davantage et si on renforce cela, alors on pourra orienter plus adéquatement la personne vers le traitement, comme vous l'avez mentionné. Si les bonnes personnes savent quelle est la bonne chose à faire, la personne recevra le traitement qui lui convient. Si l'on renforce cet aspect, on améliorera certainement les résultats du programme également.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous ai entendu parler du Tribunal de traitement de la toxicomanie; vous avez du personnel qui travaille au TTT, soit des juges et des procureurs de la Couronne. S'agit-il de gens nouvellement nommés ou proviennent-ils du système traditionnel? S'ils proviennent du système traditionnel, cela signifie qu'il doit y avoir un manque de personnel quelque part. Vous faites un genre de préprocès, mais si vous affectez votre personnel au TTT, cela veut-il dire qu'il y a un manque de personnel au sein du système traditionnel? À moins qu'il ne s'agisse de personnes nouvellement engagées?

[Traduction]

M. Fairbairn : Parlons-nous expressément des juges et des procureurs fédéraux? Je ne crois pas que ce soit un problème, car à Ottawa seulement, nous avons environ quatre procureurs qui s'occupent des TTT, et nous avons un procureur fédéral ainsi qu'un procureur provincial. Il n'y a donc pas tellement de gens qui s'occupent de ce programme. Il n'y a en fait qu'un procureur fédéral et un procureur provincial qui s'en occupent à Ottawa.

[Français]

Le sénateur Dagenais : La mise en place des TTT s'est faite, je crois, en 2004 ou aux environ, et selon des témoins qui ont comparu devant nous, il ne semble pas y avoir eu de réduction des délais comme tels. Ce serait même le contraire qui s'est produit. Comment expliquez-vous cela? Y a-t-il eu une recrudescence, une augmentation des cas?

[Traduction]

Mme Wright : Personnellement, je crois qu'il y a une augmentation du nombre d'actes criminels liés aux drogues. Donc, cette situation risque de faire contrepoids à la réduction des retards dans le système judiciaire, car le nombre d'actes criminels de ce type a sans aucun doute augmenté.

Chose certaine, ceux qui offrent des traitements ont constaté que les polytoxicomanes ont de plus grands besoins en matière de traitement depuis les 10 dernières années, et même depuis que les tribunaux de traitement de la toxicomanie ont été mis sur pied.

Le sénateur White : Je vous remercie tous les deux. C'est un plaisir de vous revoir.

Ma question porte plus précisément sur les observations qui ont été faites à propos des coûts. Les coûts d'incarcération d'un détenu sont de 118 000 $ par année. Pouvez-vous me dire quels sont les coûts annuels associés à une personne qui occupe à plein temps un lit dans un établissement et y suit un traitement? Je ne parle pas des coûts liés à la personne en tant que telle, mais plutôt au lit qu'elle occupe.

Mme Wright : Si je comprends bien ce que vous dites, vous voulez en savoir plus sur un aspect du traitement qui serait...

Le sénateur White : Non. Par exemple, il y a un certain nombre de lits à la Harvest House. Savez-vous quels sont les coûts annuels associés à un lit?

Mme Wright : Un lit coûte environ 30 000 $ par année.

Le sénateur White : Donc, la différence entre un lit là-bas et un lit sur le chemin Innes, c'est que l'un coûte 118 000 $, tandis que l'autre coûte 30 000 $.

Mme Wright : Monsieur le sénateur, il faut ajouter à cela les mesures de soutien ainsi que les traitements qui sont offerts.

Le sénateur White : Sur le plan psychologique ou psychiatrique, ou encore sur un autre plan.

Mme Wright : Exactement. Ces mesures de soutien et traitements feront probablement augmenter le coût. Les lits ne représentent qu'une partie des coûts d'un établissement; si on ajoute aussi les mesures de soutien nécessaires, il est fort probable que les coûts augmenteront. Cela dit, ceux-ci sont assurément inférieurs à 100 000 $. Je crois qu'une fois qu'on ajoute les soins, comme ceux qui sont offerts par les infirmières et par les travailleurs sociaux, par exemple, le montant se situe aux environs de 60 000 $.

Le sénateur White : J'ai une question, qui découle des observations que vous avez formulées au sujet des délinquants non violents. D'autres pays, notamment certains pays scandinaves et l'Australie, ont eu plus de succès en traitant la toxicomanie chez les personnes ayant commis des crimes violents et en les aidant à réussir les différentes étapes d'un programme de traitement. Pourquoi n'a-t-on pas recours à des mesures similaires ici en ce qui concerne les délinquants violents?

Mme Wright : En toute honnêteté — la réponse que je vais vous donner est très pragmatique —, le financement accordé dans le cadre du Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie est vraiment très limité. Nous pouvons seulement offrir certaines mesures de soutien compte tenu du financement que nous recevons. Dans ce cas, nous avons décidé de nous concentrer sur les délinquants qui ne sont pas violents.

En ce qui concerne les délinquants violents, je pense qu'il faudrait offrir des programmes un peu différents, qui comportent de nombreux autres volets. Comme vous l'avez mentionné, à juste titre d'ailleurs, dans les autres pays, c'est le genre de chose qui est tout à fait envisageable. Nous ne nous sommes pas encore engagés dans cette voie.

Le sénateur White : Monsieur Fairbairn, on entend souvent que les policiers n'appuient pas les programmes parce qu'ils veulent seulement emprisonner les criminels. Selon vous, dans quelle mesure le Service de police d'Ottawa appuie-t-il les tribunaux de traitement de la toxicomanie et d'autres programmes similaires, comme le tribunal de la santé mentale et d'autres formes de traitement?

M. Fairbairn : La majorité des policiers ont une personnalité de type A, et comme vous l'avez mentionné, nous aimons bien envoyer les criminels en prison. Puisque je travaille en liaison avec les tribunaux de traitement de la toxicomanie, j'ai plus que jamais l'occasion de sensibiliser les autres agents aux avantages du programme et de comprendre que ce n'est pas parce que quelqu'un a commis un acte criminel qu'il est nécessairement une mauvaise personne. Il est question ici de gens ont développé une dépendance aux drogues. C'est une dépendance, au même titre que l'alcool ou le jeu. Cela fait partie de leur vie. Nous devons d'abord nous attaquer à ce problème.

Beaucoup d'agents se rendent maintenant compte que certaines personnes ont bel et bien une dépendance aux drogues et qu'il n'est pas nécessaire de traiter ces gens comme des criminels. Nous pouvons les traiter comme des êtres humains et les aider. Je crois que c'est un point de vue qui commence à être de plus en plus répandu au sein des corps policiers.

Mme Wright : Puis-je ajouter quelque chose à ce sujet? La majorité des personnes qui offrent des traitements, dont je fais partie, voient les policiers comme des partenaires clés, qui nous aident à obtenir les résultats escomptés. En Ontario, il existe même certains programmes éprouvés, comme le programme Coast, qui est offert dans la région d'Hamilton-Wentworth et dans le cadre duquel les policiers, les spécialistes de la santé mentale et les intervenants en toxicomanie travaillent en collaboration. Cette approche a donné lieu à des résultats positifs.

Le Service de police d'Ottawa a aussi créé une unité spéciale, qui joue un rôle très utile. Les connaissances et la compréhension qui découlent de ce partenariat sont excellentes.

Le président : Selon les statistiques liées aux crimes que vous avez fournies pour l'an dernier — selon le ministère de la Justice... Vous travaillez en liaison avec les tribunaux, ce qui signifie que vous travaillez avec les procureurs de la Couronne. Vous établissez l'horaire de comparution des témoins et des policiers, par exemple. Est-ce que c'est le rôle que vous jouez?

M. Fairbairn : Mon rôle est le suivant. Lorsqu'une personne présente sa demande, celle-ci est soumise à la Couronne. La Couronne, elle, me transmet ces renseignements et elle les envoie aussi à l'agent de probation. Nous examinons alors le dossier de la personne pour déterminer si celle-ci correspond aux critères que nous avons énoncés. Ainsi, elle ne doit pas avoir d'antécédents de violence et elle doit avoir une dépendance aux drogues dures, entre autres. Ensuite, je communique mon opinion, en indiquant si j'appuie ou non la demande.

Parfois, je me situe à mi-chemin à cet égard; en toute franchise, je dois déterminer si nous pouvons offrir des traitements à la personne et si celle-ci est prête à les suivre et à respecter les règles, ce qu'elle n'a peut-être pas fait par le passé lorsqu'elle s'est retrouvée en probation après avoir été remise en liberté. Ensuite, je laisse la Couronne prendre la décision qui s'impose.

Le président : De façon générale, ces personnes sont en détention préventive, non? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Fairbairn : Cela varie; parfois, les gens sont libérés, parfois, ils demeurent détenus. Cela dépend vraiment de la personne.

Le président : Je regarde les statistiques sur la possession de drogues, par exemple. La moyenne des comparutions par rapport aux causes réglées est de presque 7 — 6,9, plus précisément.

M. Fairbairn : C'est exact.

Le président : On compte aussi 178 accusations suspendues et retirées.

M. Fairbairn : C'est exact.

Le président : Je me demande si vous pourriez nous parler de ces deux aspects, qui sont liés à la situation que nous essayons de comprendre. Quel est le lien avec vos activités? C'est ce que je veux vraiment savoir.

M. Fairbairn : À titre d'agent qui travaille en liaison avec les tribunaux de traitement de la toxicomanie, je n'ai pas vraiment mon mot à dire en ce qui concerne le nombre de fois que les gens doivent comparaître devant les tribunaux avant que leur cause soit réglée.

En ce qui concerne le Service de police d'Ottawa, il convient de souligner que nous devons en ce moment composer avec un problème particulier. Lorsque les avocats de la défense et de la Couronne se réunissent pour discuter d'un dossier, bien souvent, ils établissent les dates de comparution en supposant que la personne plaidera coupable. Donc, ils supposent que dans six mois, lorsqu'ils se présenteront au tribunal, la personne plaidera coupable.

Finalement, lorsqu'ils se présentent au tribunal, six mois plus tard, deux à six autres causes doivent être entendues ce jour-là dans la même salle, et donc, il est impossible de tenir le procès à ce moment. La défense le sait et elle dit donc qu'elle va demander à ce que la comparution soit repoussée à une date ultérieure, c'est-à-dire dans trois à six mois. Or, les procureurs de la Couronne savent que si cela se produit, la défense invoquera l'alinéa 11b) de la Charte, et ils seront alors tenus de plaider la cause sur-le-champ, sinon, aucune peine d'emprisonnement ne sera imposée.

C'est ainsi que fonctionne le système judiciaire, plus particulièrement à Ottawa.

Le président : Selon vous, qui devrait essayer de remédier aux problèmes qui affligent ce système?

M. Fairbairn : Cette responsabilité devrait incomber à l'administration, aux tribunaux en tant que tels, qui devraient se pencher sur la façon dont ils établissent leurs horaires. Je sais qu'au bout du compte, le principal problème, c'est le financement; s'il y avait plus de juges et de procureurs de la Couronne, je suis convaincu que nous ne serions pas aux prises avec de tels problèmes, mais le financement est limité, tout comme le nombre d'avocats et de juges, d'ailleurs. C'est le système judiciaire lui-même qui doit se pencher sur la question.

Le président : Selon moi, l'ennui, c'est que certains témoins ont laissé entendre que l'unique problème, c'est le financement, alors que de toute évidence, les juges ont aussi un rôle clé à jouer.

M. Fairbairn : Tout à fait.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je tiens à vous féliciter pour votre travail. J'ai une préoccupation principale en ce qui concerne la réduction des délais, soit l'objectif de réduire le taux de récidive. Nous savons que, dans bien des cas, au niveau criminel, la consommation mène à la récidive; il y a un lien direct entre les deux. Quelle est la proportion homme-femme dans votre travail en termes de consommation? J'ai été informé qu'au cours des dernières années, une augmentation de la clientèle féminine avait été observée. Quel est le pourcentage de personnes que vous réussissez à récupérer sur une période d'environ cinq ans? Ou du moins, quelle est la portion de ceux qui ne consommeront plus sur environ cinq ans?

[Traduction]

Mme Wright : Pour ce qui est de la proportion homme-femme, oui, nous constatons qu'il y a une augmentation du nombre de femmes qui commettent des actes criminels. Nous nous rendons aussi compte qu'il faut mettre l'accent sur les Autochtones, hommes et femmes, dans nos centres de traitement de la toxicomanie et au sein des tribunaux de traitement de la toxicomanie. C'est un autre aspect qui doit être renforcé, et il est très important d'offrir des services qui correspondent à la culture autochtone. Nous devons pouvoir traiter plus d'hommes et de femmes et leur offrir le traitement qui leur convient et dont ils ont besoin.

M. Fairbairn : Je crois que l'an dernier, le rapport était de deux hommes pour une femme. Je crois que 65 demandeurs étaient des hommes et 36, des femmes.

Mme Wright : Par contre, l'écart entre les deux se creuse.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Par rapport à votre performance en matière de non-récidive, soit les gens qui cessent de consommer, quel est le pourcentage des gens que vous récupérez?

[Traduction]

M. Fairbairn : Depuis 2011, 161 personnes ont présenté une demande pour participer au programme des tribunaux de traitement de la toxicomanie offert à Ottawa. Au total, 61 personnes ont terminé le programme, ce qui représente un taux de réussite de 38 p. 100. Par comparaison, selon l'étude qui a été menée en avril 2015, la moyenne nationale était d'environ 27 p. 100. Donc, la moyenne d'Ottawa dépasse d'environ 10 p. 100 la moyenne nationale.

Le président : Nous avons quelques minutes. Y a-t-il d'autres questions?

La sénatrice Fraser : J'ai une autre question. C'est déjà tout un exploit d'amener ces personnes à terminer toutes les étapes d'un programme, et donc, je dois féliciter tout le monde — pas seulement vous, mais aussi tous ceux qui vous aident à atteindre cet objectif.

Cela dit, combien de personnes demeurent dans le droit chemin? Disposez-vous de renseignements à ce sujet, même s'il s'agit de données non scientifiques?

Mme Wright : Je ne peux pas vous fournir de données tangibles à ce sujet, mais je sais que les personnes qui réussissent le niveau 1 du programme des tribunaux de traitement de la toxicomanie réintègrent généralement la collectivité, ne récidivent pas et s'abstiennent de consommer des drogues. Je crois que c'est l'aspect le plus important. Même si ces personnes rechutent, la probabilité qu'elles commettent de nouveau un acte criminel est réduite, car elles ont déjà accès à des mesures de soutien communautaire. Elles ont aussi une meilleure compréhension de leur problème et connaissent certains outils qui peuvent les aider à ne pas consommer.

Toutefois, ce nombre diminue, car malheureusement, c'est une situation fort problématique. Même si ici, à Ottawa, le taux de réussite du programme est plutôt bon, lorsqu'on tient compte de tous ceux qui y sont admis, on se rend compte qu'un taux de 35 p. 100 à 38 p. 100 n'est quand même pas très élevé. Je n'ai pas de données de suivi. J'ai seulement des données empiriques.

La sénatrice Fraser : Selon les données empiriques dont vous disposez, vous estimez que ceux qui ont atteint le niveau 1 maintiennent le cap. Qu'en est-il de ceux qui atteignent le niveau 2 ou 3?

M. Fairbairn : Le rapport d'avril 2015 indique qu'en moyenne, 60 p. 100 de ceux qui ont réussi le programme n'ont pas commis d'autres actes criminels après quatre ans. C'est plutôt élevé. De toute évidence, il y a une amélioration.

Tous les jours, je traite avec des gens qui ont réussi le programme et avec des personnes qui ont été expulsées du programme. Les personnes qui ont été expulsées du programme reçoivent peu de soutien de la part de l'organisme Rideauwood ou des programmes de traitement. Elles retournent vivre dans des quartiers où beaucoup de gens consomment de la drogue. Leurs amis sont des toxicomanes. Même si ces personnes essaient de trouver un emploi, elles demeurent en chômage, et parfois, elles n'ont pas de domicile fixe. Elles subissent beaucoup d'inconvénients à la fin du traitement. Donc, c'est un peu difficile, mais je pense qu'il est excellent que 60 p. 100 de ces gens ne commettent pas d'actes criminels après quatre ans.

Le sénateur White : Je vous remercie tous les deux d'être ici. Mme Wright, j'ai présenté un exposé aux gens de Rideauwood à propos du traitement de la toxicomanie. J'ai mentionné que les toxicomanes qui vivent dans les rues commettent entre six et huit actes criminels par jour. Deux de vos clients m'ont dit que certains jours, ils commettaient entre 20 et 30 actes criminels. À l'heure actuelle, combien de temps doit attendre une personne qui veut suivre une cure de désintoxication à Ottawa, une personne qui veut quitter la rue et cesser de consommer de la drogue?

Mme Wright : Elle attend beaucoup trop longtemps. On parle de six à neuf mois d'attente.

Le sénateur White : Donc, on parle de six à neuf mois pour une personne qui a commis 20 actes criminels par jour. Nous savons ce qui se passe si nous ne faisons rien à cet égard. Cela dit, je pourrais payer moi-même ma cure de désintoxication cet après-midi si j'avais l'argent nécessaire, n'est-ce pas?

Mme Wright : Malheureusement, vous avez raison.

Le sénateur White : Les riches ont accès à des traitements, mais les pauvres, eux, vont en prison.

Le président : Nous avons le temps pour deux autres questions.

Le sénateur Baker : Pourquoi refusez-vous les gens qui sont assujettis à des conditions? Vous avez dit qu'il y a quatre critères à respecter. Selon le quatrième critère que vous avez mentionné, les participants au programme ne doivent pas être assujettis à des conditions. Il est question ici des lois fédérales. Ces gens ont subi un procès, ont plaidé coupable ou n'ont pas encore reçu leur peine, mais vous dites qu'ils ne doivent pas être assujettis à des conditions; c'est l'un des critères que vous avez mentionnés. Pourriez-vous nous donner plus d'explications à ce sujet?

M. Fairbairn : Les gens qui participent au programme ne doivent pas faire l'objet d'une peine avec sursis; il n'est pas question ici de gens qui ne doivent pas être assujettis à des conditions.

Le sénateur Baker : Ils ne doivent pas faire l'objet d'une peine avec sursis, mais ils n'ont pas encore été condamnés.

M. Fairbairn : C'est l'un des critères. Ils n'ont pas encore été condamnés.

Le sénateur Baker : Pour une autre infraction.

M. Fairbairn : C'est exact.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, il s'agit d'un taux de 60 p. 100 de non-récidive. Je tiens à vous féliciter. C'est la voie de l'avenir que de réduire la récidive afin que ces gens ne se retrouvent pas dans des « portes tournantes » dans les palais de justice.

Quel est le pourcentage des gens traités par rapport aux besoins? Vous ne devez toucher qu'une petite portion des gens qui ont un problème d'alcool et de comportement criminel. Quel pourcentage de gens arrivez-vous à traiter, et quels seraient les besoins pour que vous puissiez traiter le maximum de personnes?

[Traduction]

M. Fairbairn : À Ottawa, nous pouvons accueillir entre 20 et 25 participants au programme des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Plus précisément, nous accueillons des gens qui consomment des drogues dures. Nous n'offrons pas de programmes de traitement de l'alcoolisme à Ottawa. Nous n'offrons aucun programme à ceux qui ont conduit en état d'ébriété. Or, nous savons tous que la conduite en état d'ébriété représente un grave problème et que ces dossiers paralysent le système judiciaire.

Je n'ai pas de statistiques, car il n'en existe pas. Aucune étude n'a été menée pour répondre aux questions que vous posez. Il serait légitime de penser qu'un plus grand nombre de programmes destinés aux personnes avec des troubles de santé mentale et de dépendance à l'alcool — surtout pour ce qui est de la conduite avec facultés affaiblies — serait utile. Il existe quelques programmes de justice collaborative en Colombie-Britannique. Selon moi, cela aiderait également sur le plan des délais judiciaires.

Mme Wright : La Faculté des sciences de la santé de l'Université du Manitoba, notamment la division chargée d'étudier l'alcoolisme et la toxicomanie, a élaboré des programmes de très grande qualité qui s'adressent précisément aux personnes coupables de conduite avec facultés affaiblies. Ce genre de programme a profité considérablement à une solide cohorte d'Autochtones.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Félicitations, et merci!

[Traduction]

Le président : Encore une fois, je vous remercie tous deux de votre présence ainsi que de votre participation à nos délibérations. Je vous souhaite une bonne continuation.

Durant la deuxième heure de séance, nous entendrons Dr Keith Ahamad, professeur clinicien adjoint à l'Université de la Colombie-Britannique, ainsi que Rebecca Jesseman, conseillère principale en politiques au Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

Nous sommes impatients d'entendre vos exposés et nous vous souhaitons la bienvenue.

Rebecca Jesseman, conseillère principale en politiques, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, bon après-midi. Je me nomme Rebecca Jesseman et je suis directrice et conseillère principale en politiques au Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

Je tiens à remercier les membres du Comité de reconnaître et d'explorer la relation complexe entre la consommation de drogues et le système de justice pénale.

Pour ceux qui ne le sauraient pas, le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies a été créé il y a plus de 25 ans par une loi du Parlement, dans le but d'assurer un leadership à l'échelle nationale afin de réduire les méfaits liés à l'alcool et aux autres drogues. La promotion de politiques et de programmes fondés sur des données probantes est au cœur de notre mandat.

Tout d'abord, nous savons que la relation entre la consommation de drogues et le système de justice pénale est complexe. La consommation de drogues illicites est liée à des crimes commis pour se procurer de l'argent, comme le vol, alors que l'alcoolisme est associé plus étroitement aux crimes de nature violente. La majorité des délinquants dans les prisons canadiennes ont des antécédents de consommation de drogues. Bon nombre d'entre eux ont vécu un traumatisme et souffrent de troubles de santé mentale.

Comme d'autres témoins vous l'ont dit, la consommation de drogues touche également les infractions administratives. On considère que c'est vouer les personnes à l'échec que de leur imposer des conditions de remise en liberté ou de mise en probation exigeant qu'elles s'abstiennent de consommer de l'alcool ou d'autres drogues, sans leur assurer l'accès à des services. Le chemin de la guérison est semé de rechutes. Paradoxalement, le fait de prédire tôt qu'une personne répétera un comportement à risque peut s'avérer un indicateur de réussite et non d'échec.

La consommation problématique de drogues est un facteur de risque criminogène, c'est-à-dire que sa présence indique qu'il y aura récidive. Le fait de viser certains besoins criminogènes précis constitue un moyen utile et efficace d'améliorer la sécurité publique et de réduire les récidives, ce qui m'amène au deuxième thème de mon exposé : les services et le soutien.

La prestation d'une série exhaustive de services fondés sur des faits probants permet de régler efficacement les problèmes de consommation de drogues et de réduire le taux de récidive. Elle donne accès à des services de diagnostic et de traitement précoces, comme des outils de dépistage éprouvés et des options allant d'un traitement de substitution aux opioïdes à une thérapie cognitivo-comportementale ainsi que des services de suivi, comme le soutien par les pairs. Il est nécessaire d'adapter les services en fonction du sexe, de l'âge et de la culture et de tenir compte des besoins des femmes, des jeunes, des Autochtones et des Inuits, et des personnes souffrant de troubles de santé mentale concomitants. Les services doivent également prendre en considération les besoins complexes liés à la santé physique, au logement et au chômage.

Ce qui m'amène au troisième thème de mon exposé : les lacunes et les défis. Les Canadiens qui se retrouvent dans le système de justice pénale ont des difficultés considérables à naviguer le système de traitement, lequel est complexe. Beaucoup de ces obstacles sont associés au fait que les ressources sont limitées, que le système fonctionne en silos et que la consommation de drogues et la criminalité font toutes deux l'objet de préjugés.

Le recours à la déjudiciarisation et à des mesures de rechange dépend des sources de soutien communautaires disponibles. Cependant, l'accès à des services en toxicomanie fondés sur des faits probants laisse sérieusement à désirer, en particulier à l'extérieur des grands centres urbains au Canada.

Les difficultés sont encore plus grandes dans les centres de détention provinciaux ou territoriaux. En effet, les séjours y sont courts, le personnel est insuffisant et il manque d'espace pour le programme, ce qui en limite considérablement la disponibilité.

J'aimerais conclure en soulignant certains modes d'intervention prometteurs. Le comité a entendu parler du modèle de l'équipe d'intervention à Prince Albert, en Saskatchewan. Cet exemple montre d'excellente façon la valeur de l'intervention précoce et d'une approche holistique et exhaustive. Le modèle a été adopté ailleurs au Canada. Des équipes de soutien spécialisées, comme les équipes de traitement communautaires dynamiques ou les équipes de transition en milieu correctionnel constituent d'autres options. Les centres de désintoxication non médicaux et les logements supervisés à bas seuil d'accès offrent aussi des solutions au cercle vicieux du système pénal.

Le comité a discuté de la valeur des tribunaux de traitement avec les témoins précédents. Ces tribunaux jouent un rôle important, mais ils absorbent beaucoup de ressources, tant pour la cour que pour les personnes concernées, et dépendent de la disponibilité de services communautaires adéquats et fondés sur des faits probants.

En guise de conclusion, j'insiste sur le fait que la toxicomanie est un problème de santé et que le système judiciaire ne doit pas être considéré comme la meilleure voie d'accès à un traitement.

Offrir des mesures de déjudiciarisation et des solutions de rechange et favoriser l'accès à un éventail de services fondés sur des données probantes constitue un moyen éprouvé et économique d'atténuer les répercussions de la consommation de drogues sur le système de justice pénale et sur l'ensemble de la société.

Je vous remercie de votre attention et je serai heureuse de répondre à vos questions.

Dr Keith Ahamad, professeur clinicien adjoint, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bon après- midi et merci de me recevoir afin de discuter du sujet à l'étude, qui est très important. Je me nomme Keith Ahamad. Je suis un médecin spécialisé en toxicomanie. Je travaille auprès de toxicomanes en clinique interne et externe, à Vancouver, en Colombie-Britannique. J'ai travaillé à la prison municipale de Vancouver et consacré la moitié de mon temps à des travaux de recherche sous forme d'essais cliniques et à l'épidémiologie de la toxicomanie.

Aujourd'hui, je vais parler de la vaste quantité de données probantes qui indiquent que la dépendance est une maladie chronique récurrente et du fait que les soins prodigués en clinique sont largement déphasés par rapport aux connaissances scientifiques. La plupart des soins laissent à désirer et ne tiennent pas compte des avancées scientifiques. Les soins offerts par le système correctionnel ne sont pas fondés sur des données probantes. Nos patients sont libérés sous la condition de subir un traitement obligatoire, lequel n'est pas scientifiquement fondé dans bien des cas, ce qui mène à une rechute et, bien souvent, à une réincarcération.

J'ai préparé un document afin de vous faire part de faits scientifiques emballants. On ne peut pas vraiment le voir ici, mais j'essaie de vous montrer la dopamine, un composé chimique que notre cerveau produit en réponse à des choses qui nous sont importantes, qui renforce des comportements importants pour notre survie. La production de dopamine est provoquée par la nourriture et des signaux sexuels. Les scientifiques sont capables de mesurer la quantité de dopamine libérée dans le cerveau. On constate que les drogues provoquent la production d'énormes quantités de dopamine sur une période plus longue que la normale, ce qui fait qu'on risque d'en abuser et d'adopter des comportements à risque. On utilise le terme prégnance pour désigner le fait que les consommateurs de drogues accordent plus de valeur à ces drogues qu'aux autres choses qui sont normalement considérées comme importantes.

Nous sommes ici pour discuter du fait que la plupart des gens peuvent consommer des drogues et de l'alcool. Soulignons que j'inclus l'alcool parmi les drogues — le fait que l'alcool soit légal ne fait aucune différence. Il s'agit d'une drogue quand même. La grande majorité des gens peuvent consommer ces substances sans problème, contrairement aux personnes dont il est question aujourd'hui et qui représentent une faible proportion de la population, c'est-à-dire celles qui deviennent physiquement dépendantes de ces substances et qui sont incapables de constater qu'elles les consomment compulsivement malgré les méfaits importants qu'elles causent à leur santé et à leurs relations sociales. Le graphique illustre le fait qu'au début, on consomme des drogues pour se sentir bien, mais qu'avec le temps, le cerveau se modifie et on a besoin de consommer ces substances continuellement pour se sentir normal.

Il existe de nombreux traitements éprouvés, y compris des médicaments, pour normaliser le comportement afin de soulager et d'éliminer les symptômes de manque. D'énormes quantités de données viennent valider l'efficacité des traitements de la toxicomanie. Le problème, c'est qu'en Amérique du Nord, et au Canada en particulier, les soins en toxicomanie sont prodigués par des profanes non qualifiés et les professionnels de la santé, y compris les médecins, ne sont pas formés pour reconnaître, prévenir, diagnostiquer et traiter la toxicomanie par des moyens éprouvés scientifiquement. Vous avez sans doute entendu parler de médicaments tels que le suboxone, la buprénorphine ou la méthadone, dont on a amplement prouvé l'efficacité pour prévenir les méfaits associés à la dépendance aux opiacés.

Par ailleurs, il existe également des médicaments éprouvés pour les problèmes de consommation d'alcool, qui sont largement sous-utilisés en Amérique du Nord. En effet, ils sont prescrits dans moins de 10 p. 100 des cas dans les centres de traitement des dépendances. Malgré les nombreuses données indiquant qu'ils font diminuer la consommation excessive d'alcool et favorisent l'abstinence, ces médicaments ne sont pas administrés aux patients.

De plus, beaucoup de données indiquent que ces médicaments et d'autres interventions éprouvées préviennent les rechutes et la réincarcération chez les personnes souffrant d'alcoolisme, de dépendance aux opiacés ou même aux stimulants.

À l'extérieur des services correctionnels, le système de soins de santé n'utilise pas des méthodes fondées sur des données probantes. Selon mon expérience auprès de patients qui ont été incarcérés, non seulement les médecins qui œuvrent au sein des services correctionnels n'utilisent pas de traitements éprouvés, mais aussi ils ne se soucient pas particulièrement de la santé à long terme du patient comme le ferait un médecin à l'extérieur du système correctionnel envers un patient atteint d'une maladie cardiovasculaire, par exemple. Or, la toxicomanie ne devrait pas être traitée différemment, puisqu'il s'agit d'une maladie cérébrale chronique et récurrente. On ne prescrit pas les médicaments nécessaires aux patients ou l'on cesse progressivement le traitement sans prendre le soin de doser le médicament afin de prévenir les symptômes de manque, une rechute et les méfaits associés à la dépendance.

En outre, les conditions de libération acculent les patients à l'échec. Beaucoup de centres de traitement mandatés au pays pour administrer un traitement non réglementé ou éprouvé scientifiquement sont gérés comme des logements, où l'on s'empare de la prestation d'assurance sociale des occupants et les force à abandonner les médicaments éprouvés. En fait, il n'est pas rare que les occupants dans ces centres continuent à consommer de la drogue.

Bref, avant de répondre à vos questions, je vais résumer en disant qu'il existe une quantité immense de données indiquant que la toxicomanie est une maladie chronique et récurrente du cerveau. On n'utilise pas assez de pratiques éprouvées scientifiquement dans les collectivités et dans les services correctionnels. Au moment de leur libération, les patients issus des établissements carcéraux sont obligés de suivre un traitement qui n'a pas été éprouvé. Le système actuel les voue à l'échec. Les taux de rechute et de réincarcération sont d'ailleurs énormes.

Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de vos présentations, que j'ai trouvées très éclairantes. J'aimerais d'abord obtenir une précision de la part de Dr Ahamad. Si je vous ai bien compris, vous avez dit que les médecins qui œuvrent au sein des services correctionnels se soucient davantage des résultats à court terme que de la santé à long terme de leurs patients incarcérés. Pourriez-vous préciser vos propos sur ce sujet, s'il vous plaît?

Dr Ahamad : Selon moi, les soins de santé prodigués dans les établissements carcéraux au pays sont privés. Bien des médecins se préoccupent plus de la sécurité que de la santé à long terme des patients. Plutôt que de bâtir les ressources nécessaires pour traiter une dépendance aux opiacés, par exemple, ce qui demanderait plus de temps avec le patient pour l'inciter à prendre un médicament et éviter que celui-ci soit détourné dans la prison, on force les patients à cesser de prendre le médicament. Les patients contractent le VIH en prison par les seringues employées pour s'injecter de la drogue. Aucune mesure de réduction des méfaits n'est appliquée — malgré le fait que la consommation de drogues soit très courante dans le système carcéral — et on n'administre pas aux patients des doses accrues graduellement et validées par des données scientifiques, et on ne prévoit pas de suivi par un médecin après la libération. De plus, aucune planification n'a lieu durant la période d'incarcération par rapport à la trajectoire et à la santé du patient lorsqu'il quittera le système carcéral.

La sénatrice Jaffer : Les tribunaux canadiens ont affirmé que la dépendance peut être un handicap. Compte tenu du tableau que vous nous avez montré, diriez-vous que la consommation régulière de drogues peut causer un handicap? Est-ce lié aux effets sur le cerveau?

Dr Ahamad : C'est exact. Les méthodes scientifiques sont remarquables. L'imagerie cérébrale nous permet maintenant de voir que diverses zones du cerveau sont endommagées, y compris le lobe frontal. Le lobe frontal est la partie du cerveau qui sert au jugement et à la prise de décision. Nous pouvons démontrer que le lobe frontal assimile beaucoup moins de glucose — c'est-à-dire le sucre employé comme source d'énergie — chez les personnes qui consomment de la cocaïne et de l'alcool depuis longtemps. Si cette partie du cerveau est endommagée, la capacité de prendre de bonnes décisions est d'autant plus réduite.

La sénatrice Jaffer : L'étude que nous faisons est particulière dans la mesure où nous cherchons des façons de mettre fin aux délais dans le système de justice. Nous avons entendu toutes sortes de témoignages sur la longueur des délais. Hier, on nous a dit que des dates sont fixées en 2019 pour des personnes qui sont actuellement en détention, ce qui est troublant. Nous avons appris qu'ici même, à Ottawa, une personne qui était toujours en détention après trois ans s'est suicidée. Tout cela est troublant. Compte tenu de votre travail, l'un de vous trois pourrait-il faire des suggestions ou des recommandations sur la façon de prévenir les délais dans le système de justice?

Mme Jesseman : J'attirerais l'attention du comité sur l'importance d'intervenir le plus tôt possible en amont. L'exemple des récidivistes me vient immédiatement à l'esprit, car nous savons que la moitié ou la majorité des infractions sont commises par un faible nombre de délinquants, du moins dans la plupart des centres urbains. Bon nombre de ces délinquants ont des problèmes de toxicomanie. Il y a des occasions de prendre en charge ces personnes le plus tôt possible grâce à des programmes de soutien communautaire, et je conviens avec mes collègues que ces programmes devraient être fondés sur des données probantes. Cela peut se faire à l'étape de l'arrestation. On peut notamment intervenir auprès des policiers afin qu'ils soient mieux outillés pour procéder à une évaluation de base afin de déterminer si la personne a bel et bien un problème de toxicomanie, et s'il y a lieu de la confier aux soins de certains intervenants. Dans bien des cas, les récidivistes qui retardent le système de justice ont une foule de besoins qui peuvent être liés à la toxicomanie, au logement, à l'emploi, à la santé mentale, et cetera. Pour mettre fin au problème de la porte tournante, il faut faciliter l'accès aux ressources et aux effectifs qui permettent de cerner ces besoins et d'offrir à ces personnes des services communautaires adaptés à leur situation.

Dr Ahamad : Je suis tout à fait d'accord. Il est très important d'intervenir en amont selon une approche fondée sur des données probantes afin de traiter un problème de santé qui a des répercussions sur le comportement. C'est une maladie qui est tout à fait traitable, et comme ma collègue l'a souligné, il faut intervenir en amont.

Nous devons former l'ensemble des professionnels de la santé et des fournisseurs de services de soutien pour qu'ils sachent qu'il s'agit d'une maladie cérébrale récurrente et chronique, et qu'il existe des méthodes fondées sur des données probantes qui permettent d'en atténuer considérablement les effets néfastes.

Comme ma collègue l'a souligné, les problèmes liés au logement et aux autres supports sociaux sont des facteurs très importants qui peuvent déclencher chez mes patients une rechute qui les amène à la récidive et à la réincarcération.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Plusieurs pays et même certains États américains ont décidé de légaliser la marijuana et de décriminaliser certaines drogues. Est-ce que vous êtes au courant des conséquences de ces réformes sur l'administration de la justice?

[Traduction]

Mme Jesseman : Je serais ravie d'en parler. J'ai beaucoup étudié les effets de la légalisation de la marijuana aux États-Unis sur le système de justice pénale.

Je répondrais d'abord qu'il est trop tôt pour tirer des conclusions sur les résultats. À Washington et au Colorado, la légalisation date seulement de 2014, et elle commence à peine à faire son chemin en Oregon et en Alaska.

Nous savons cependant, en comparant les statistiques sur le système de justice à celles sur les arrestations policières, que ce ne sont pas les accusations de possession simple de cannabis qui engorgent le système de justice. Je ne suis donc pas sûre que cela aura une grande incidence sur les délais dans le système de justice.

J'ai entendu certains intervenants à Washington et au Colorado faire état d'une augmentation des interventions policières à l'égard du marché noir. Selon les sources que l'on consulte, cela peut être attribuable à une hausse soit des activités sur le marché noir, soit des ressources disponibles pour intervenir.

Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas voir la légalisation de la marijuana comme une solution magique qui nous évitera de devoir investir dans des ressources policières et judiciaires consacrées à l'application des lois relatives à la marijuana. Il y aura toujours un marché noir, et il faudra se pencher sur le problème de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

Pour ce qui est de la décriminalisation d'autres drogues, j'aimerais citer au comité l'exemple du Portugal. Vous êtes peut-être au courant. Il y a maintenant plusieurs années, le Portugal a décriminalisé toutes les drogues, y compris les opiacés et la cocaïne. Quelle que soit la drogue en question, si une personne est accusée de possession simple, c'est-à- dire de possession à des fins personnelles, son cas sera confié à un comité de dissuasion composé d'un professionnel des services sociaux, d'un professionnel du système de justice et d'un professionnel de la santé qui détermineront si la personne a un problème de toxicomanie qui serait mieux traité par le système médical, si elle a divers problèmes qui nécessitent un régime complet de services communautaires, ou si son cas devrait être traité par le système de justice pénale.

Selon les évaluations que j'ai examinées, cette approche s'est avérée fort efficace pour ce qui est de lutter concrètement contre quelques-uns des effets les plus néfastes de la toxicomanie sur la santé, d'alléger le fardeau du système de justice pénale et de combattre certains préjugés qui subsistent envers les toxicomanes, en particulier dans le système de justice.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Les gens qui consomment de l'alcool ou des drogues ont des conditions à respecter. La question est fort simple : quels sont ceux qui ont le plus de difficulté à respecter les conditions? Ceux qui abusent de l'alcool ou ceux qui consomment des substances illicites, comme les drogues?

[Traduction]

Mme Jesseman : En un mot, je n'en sais rien. Honnêtement, je n'ai aucune information à ce sujet. Je suis désolée.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci d'être ici parmi nous, madame Jesseman et docteur Ahamad. J'écoutais votre présentation, et cela m'a rendu très pessimiste quant aux programmes de réhabilitation offerts dans nos pénitenciers, d'autant plus que, dans les prisons provinciales, il y a très peu de mesures correctives pour les gens qui consomment. Souvent, la raison donnée, c'est que le séjour est trop court pour qu'on puisse les traiter. Donc, on se demande à quoi servent les prisons si on ne peut y offrir de traitements. Est-ce que vous avez eu des discussions avec le système carcéral canadien sur la performance de ses programmes, particulièrement en ce qui a trait à la toxicomanie et à l'alcoolisme?

[Traduction]

Dr Ahamad : Je vous remercie de votre question. Nous avons récemment discuté avec les intervenants de la Colombie-Britannique en matière de santé au sujet de la possibilité d'offrir des soins fondés sur des données probantes pour les troubles liés à la consommation d'opiacés. Nous avons aussi collaboré étroitement avec le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique afin de trouver une solution à ces problèmes.

Il y a de quoi être optimiste, car, en 2016, nous allons apporter des changements majeurs pour que les méthodes de traitement employées dans notre pays soient fondées sur des données probantes. À Vancouver, l'Université de la Colombie-Britannique et l'hôpital St. Paul ont créé un programme de formation en traitement médical de la toxicomanie qui, en trois ans seulement, est devenu le plus important programme de cette nature en Amérique du Nord.

Bon nombre d'entre vous savent que le quartier Downtown Eastside compte un très grand nombre de consommateurs de drogues injectables. Nous devons mettre en place une stratégie fondée sur des données probantes comme nous l'avons fait pour le VIH en 1997. À Vancouver, l'infection au VIH est maintenant une maladie chronique. Dans bien d'autres régions du monde, elle est encore épidémique. Nous devons adopter la même approche à l'égard de la toxicomanie.

J'espère que, dans 10 ans, nous porterons un regard favorable sur les changements que nous sommes en train d'apporter aujourd'hui. Ces changements doivent s'appuyer sur une base de données scientifiques considérable. Nous avons les données probantes nécessaires. Il nous faut seulement mettre en place des politiques et former l'ensemble des professionnels de la santé pour qu'ils puissent lutter contre ce problème en se fondant sur ces données. Si nous y parvenons, je vous assure que cela fera une énorme différence au cours des 10 prochaines années.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le changement qui sera mis en œuvre au sein du système pénitencier canadien aura-t-il aussi des répercussions sur la période postsentencielle, lorsque les gens sortent des pénitenciers? L'approche dans le traitement pendant cette période sera-t-elle différente de celle que nous avons aujourd'hui?

[Traduction]

Dr Ahamad : Oui. Je dirais que l'approche actuelle, tant dans le système correctionnel qu'en amont, n'est pas fondée sur des données probantes. Nos patients — certains les appellent les détenus — sont envoyés dans un système qui n'est pas prêt à les accueillir. Ils ne reçoivent pas les soins dont ils ont besoin.

Imaginons qu'une personne soit admise dans un hôpital afin de recevoir un traitement à la suite d'une crise cardiaque, et qu'elle soit ensuite prise en charge par un système de santé qui ne lui permet pas d'obtenir les médicaments dont elle a besoin pour soigner son cœur. C'est exactement le genre de système que nous avons actuellement.

Cette maladie entraîne un comportement criminel parce que les intervenants de notre système ne sont pas assez bien formés pour traiter ces patients. Actuellement, le traitement qu'ils reçoivent n'est pas fondé sur des données probantes. D'ailleurs, on leur impose certains types de traitement qui font plus de mal que de bien. Pour ces patients, il faut certainement commencer par mettre en place le meilleur traitement fondé sur des données probantes que l'on puisse offrir dans le cadre du système de justice pénale, et il faut prévoir des services complémentaires lorsqu'ils sont renvoyés dans la collectivité.

Mme Jesseman : J'ajouterais que nous savons que bon nombre des accusations portées ont trait à l'administration de la justice, et que, dans certains cas, elles visent une personne qui a violé les conditions de sa liberté conditionnelle à cause de sa toxicomanie.

Si on leur offre un traitement au sein de l'établissement ou, mieux encore, si on leur offre également un traitement efficace après la détention, ces personnes seront moins susceptibles de violer leurs conditions et d'engorger le système de justice à cause des accusations liées à l'administration de la justice.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins et je les félicite tous deux de leur excellent travail dans leur domaine respectif.

J'aimerais seulement vous poser une question pour explorer davantage un aspect que vous avez abordé, docteur Ahamad. Vous avez entièrement raison; nous avons obtenu, il y a quelques instants, des statistiques de l'Ontario qui révèlent que 31 p. 100 des causes traitées par le système de justice de cette province ont trait à des accusations de nature administrative qui concernent la violation d'une condition de libération ou de toute condition imposée lors du processus judiciaire.

Ma question, docteur Ahamad, est la suivante. Vous avez été clair dans votre description. Vous avez parlé de maladie cérébrale, de maladie de l'esprit ou de maladie mentale. Or, en ce qui concerne ces infractions administratives, notamment en ce qui a trait à la violation de conditions, il y a deux aspects à considérer : l'actus reus et ce qu'on appelle la mens rea, c'est-à-dire l'intention. Cela désigne le fait d'agir en connaissance de cause, avec l'intention de violer une condition. Êtes-vous en train de nous dire que, en ce qui a trait à 31 p. 100 des causes jugées dans cette province — et je suppose que le pourcentage est semblable dans votre province — il faudrait intervenir à l'extérieur du système de justice dans les cas d'infraction non violente liée à la violation de conditions administratives, et qu'il faudrait peut-être inclure dans le Code criminel une défense semblable à celle prévue à l'article 16? Selon cet article, les troubles mentaux peuvent soustraire une personne à la responsabilité criminelle. Ainsi, pour ce qui est des accusations portées par la Couronne ou par le policier, si le code contenait des dispositions qui fournissent non seulement une excuse, mais une défense, peut- être qu'on ne porterait pas d'accusation et qu'on réglerait le cas autrement. Cela épargnerait du temps au système de justice.

Avez-vous quoi que ce soit à dire à ce sujet? J'ai été frappé par les termes que vous avez employés. Vous avez parlé de maladie cérébrale. Avez-vous quelque chose à dire sur ce dont je viens de parler? Dans quelle mesure devrions-nous sérieusement recommander des modifications de cette nature au Code criminel et à d'autres lois fédérales?

Dr Ahamad : Merci de votre question. Il m'est difficile de me prononcer là-dessus, car je ne suis pas spécialiste du système judiciaire.

Le sénateur Baker : Vous êtes spécialiste du cerveau.

Dr Ahamad : En effet. Je suis médecin, mais pas spécialiste du système judiciaire. C'est un problème de santé publique et non de justice pénale. Si mes patients ne reçoivent pas de soins fondés sur des données probantes, s'ils voient leurs facultés affaiblies au point de violer les conditions de leur libération conditionnelle, si leur sevrage est très difficile, si leur état de manque est irrésistible, et si leur situation sociale les pousse à commettre un crime parce qu'ils ont constamment envie de consommer de la drogue, alors je considère que nous manquons à nos responsabilités envers eux. Je ne sais pas exactement comment remédier à la situation dans le cadre du système de justice, mais je peux vous assurer qu'il y a énormément de données scientifiques qui tendent à démontrer que c'est un problème de santé et non de justice pénale.

Le sénateur White : Je vous remercie tous deux de votre présence. Docteur Ahamad, en ce qui a trait notamment à ce qu'on pourrait probablement appeler le traitement de la toxicomanie en temps opportun, certains établissements — par exemple, il y en a un à Ottawa qui traite les jeunes — ont dit avoir observé que, plus on intervient tôt pour traiter les toxicomanes — particulièrement les jeunes toxicomanes — dès qu'ils développent une dépendance, moins ils risquent de faire une rechute. Par exemple, un jeune qui développe une dépendance à 15 ans risque davantage de faire une rechute s'il est traité à 18 ans que s'il reçoit un traitement à 15 ans et 4 mois. Dans certains cas, le risque est multiplié par 10 avec l'âge. Est-ce exact?

Dr Ahamad : Oui. La jeunesse est le principal facteur de risque de dépendance précoce.

Le sénateur White : Merci de vos observations. Nous avons entendu quelqu'un plus tôt — je ne sais pas si vous étiez assis en arrière — qui a dit qu'il faut attendre huit ou neuf mois pour obtenir un traitement. Cela va à l'encontre de toutes les données scientifiques. Il faudrait pouvoir obtenir un traitement dans les jours suivant la demande.

Dr Ahamad : Cela devrait se faire sur demande. Il y a ce concept du stade de changement. Nous devons mobiliser les patients dans le milieu où ils se trouvent. Le traitement de la toxicomanie a pour but de réduire les méfaits sanitaires, médicaux et psychosociaux qui y sont associés. Si nous intervenons rapidement en amont, en nous servant de mesures de réduction des méfaits, nous réduirons tous les méfaits en aval qui sont associés à la toxicomanie. Il est essentiel de pouvoir offrir à ces patients un traitement fondé sur des données probantes.

Il s'agit d'une maladie très hétérogène. Les facteurs menant à la toxicomanie sont complexes, et nous devons intervenir — comme ma collègue l'a dit — rapidement afin de pouvoir prévenir tous les méfaits en aval qui y sont associés.

Le sénateur White : L'année dernière, j'ai passé presque cinq mois à faire des recherches sur la méthamphétamine en cristaux en Australie. Nous nous sommes penchés sur le fait que la méthamphétamine en cristaux, ou « glace, » stimule la production de neurotransmetteurs, et que, si une personne se fait traiter dans les 30 jours suivant sa consommation de cette drogue, il serait possible, sinon de réparer les dommages, du moins de ramener les gens à leur état normal. Est- ce vrai?

Dr Ahamad : Nous apprenons tellement de choses sur le cerveau. Il est plastique, et il peut guérir, mais pas aussi bien pour certaines personnes. En effet, dans certains cas, il est impossible de réparer les dommages. Le cerveau continue de se développer jusqu'à la fin de la vingtaine.

Je m'écarte un peu du sujet, mais je crois que la guerre contre la drogue a échoué. Elle a augmenté la puissance et la disponibilité des drogues. Nous avons parlé de la légalisation de la marijuana. Nous n'avons qu'à penser à la réglementation du tabagisme, qui est un exemple à suivre en matière de santé publique. À l'époque, le tabagisme n'était pas réglementé pour des raisons lucratives, malgré les nombreux méfaits qui y sont associés.

De nos jours, les jeunes fument davantage de la marijuana que du tabac. Les différentes substances causent évidemment des dommages différents. L'alcool est une substance cancérigène, mais pas les produits opiacés. Si nous réglementons adéquatement ces substances, nous pouvons réduire les méfaits qui y sont liés.

Le sénateur White : Le dernier point que je veux soulever est que nos dépenses sont loin d'être suffisantes. Nous ne sommes probablement pas d'accord sur la légalisation ou la décriminalisation, entre autres, mais je pense que nous pouvons tous les deux convenir que, à l'heure actuelle, nous ne dépensons pas assez d'argent pour permettre aux toxicomanes de recevoir un traitement au Canada. Loin de cela.

Dr Ahamad : Oui, vous avez raison. Les délais d'attente sont ahurissants. Pour chaque dollar que nous consacrons au traitement de la toxicomanie fondé sur des données probantes, nous économisons de 4 à 7 $.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux de vos interventions. Comme vous le savez, il y a six tribunaux de traitement de la toxicomanie au Canada : un à Toronto, un à Vancouver, un à Edmonton, un à Winnipeg, un à Ottawa et un à Regina. Madame Jesseman, dans votre intervention, vous avez parlé brièvement de ces tribunaux.

À votre avis, les tribunaux de traitement de la toxicomanie sont-ils un modèle à suivre pour promouvoir la réinsertion des contrevenants?

Mme Jesseman : Je pense que, comme les témoins précédents l'ont dit, il existe plusieurs différents modèles de traitement de la toxicomanie dans les tribunaux, et qu'il y a des pratiques dans ces modèles qui sont certainement efficaces. Je crois qu'il y a des données probantes qui nous permettent de déterminer quels sont les éléments efficaces, par exemple veillez à ce que vous cibliez les services comme il se doit. La participation à des tribunaux de traitement de la toxicomanie est un processus très intensif. Si vous vous demandez quel est l'investissement le plus efficace, c'est celui dans les délinquants à risque élevé qui seront davantage aux prises avec le système de justice à l'avenir et qui sont passibles de sanctions plus sévères pour les infractions qu'ils commettent. C'est pourquoi je suis très intéressée à approfondir l'une des dernières questions du comité en ce qui concerne l'admissibilité des délinquants violents et non violents aux tribunaux de traitement de la toxicomanie parce que des recherches menées dans d'autres pays indiquent que cela peut donner de bons résultats.

Je reviens toujours à la nécessité d'offrir une gamme continue de services fondés sur des données probantes dans la collectivité afin d'appuyer le rôle des tribunaux de traitement de la toxicomanie parce que c'est vraiment ce sur quoi le succès repose.

Je pense que nous devons examiner attentivement l'efficacité du recours à des membres du personnel des tribunaux. Ils se spécialisent dans l'application de la loi, et non dans l'offre de traitement. Les preuves démontrent que certains délinquants réagissent favorablement à — et je ne vais pas employer le bon terme, alors je ne me donnerais même pas la peine de le prononcer — la présence d'une personne en position d'autorité qui les surveille, facilite leur accès aux services, vérifie leur analyse d'urine et fait rapport sur les progrès réalisés. C'est quelque chose qui fonctionne bien pour certains contrevenants, mais pas tous. Je pense que cela dépend de la mesure dans laquelle nous comptons sur le système de justice pour corriger un problème de santé.

Le sénateur McIntyre : Certains tribunaux canadiens, comme la Commission canadienne des droits de la personne, ont affirmé que la toxicomanie était une incapacité.

Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

Mme Jesseman : Je suis d'accord avec mon collègue, compte tenu des preuves que nous avons des répercussions physiques de la toxicomanie sur le cerveau.

Le sénateur McIntyre : Monsieur le docteur, je sais que vous êtes d'accord. Vous avez déjà abordé cette question.

Dr Ahamad : Oui, c'est vrai.

Le président : Il nous reste du temps, s'il y a d'autres questions.

Le sénateur Joyal : Je tiens à m'excuser aux témoins. Mon attention était retenue par une autre intervention.

C'est un enjeu que mes collègues connaissent très bien. Il est essentiel qu'une personne incarcérée ait accès à des soutiens appropriés, à des gens à qui elle peut parler, surtout lorsqu'elle souffre d'une maladie qui a déjà été prise en considération dans des décisions antérieures des tribunaux. Nous avons vu — et c'est l'une des questions dont le comité est saisi — qu'on tente d'alléger le fardeau des tribunaux devant s'occuper du cas de personnes qui reviennent sans cesse devant eux. Il y a un pourcentage de personnes revenant devant les tribunaux parce qu'elles sont alcooliques ou toxicomanes.

Quelle est votre estimation ou évaluation des services offerts dans les tribunaux quand des autorités compétentes jugent qu'une personne est atteinte d'un syndrome? Croyez-vous que la personne recevra les soins appropriés et qu'elle ne sera pas traitée de manière à ce qu'elle ne voie plus la lumière au bout du tunnel et qu'elle devienne un client permanent du système judiciaire? Quelle est votre opinion du système et de son fonctionnement à cet égard?

Mme Jesseman : Il y a des exemples de pratiques exemplaires au Canada. Cependant, dans l'ensemble, il y a des lacunes importantes dans le système, particulièrement pour les contrevenants. Si nous examinons les tendances actuelles dans le système de justice, nous constatons que ces lacunes sont encore plus importantes pour les Premières Nations et les Inuits, ainsi que pour les femmes. Nous savons que ce sont des groupes qui sont de plus en plus aux prises avec le système de justice.

Le sénateur Joyal : Avez-vous quelque chose à ajouter, docteur? J'ai demandé... Je suis désolé de faire une telle demande, mais je demanderais peut-être l'autorisation du comité. J'ai des statistiques d'autres témoins qui montrent le pourcentage de personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. C'est stupéfiant de constater que la plupart des femmes dans le système souffrent de ce genre de problèmes ou ont été maltraitées. Autrement dit, ce sont davantage des problèmes sociaux que des problèmes de criminalité.

Pourrais-je demander l'autorisation des membres du comité de déposer les deux réponses qui m'ont été fournies par d'autres témoins ayant comparu devant nous? J'ai demandé ces statistiques afin que nous puissions comprendre le phénomène sociologique du système de justice. Qui sont les personnes qui engorgent le système? Je pense que les statistiques le révèlent très clairement. Il est très évident qu'une grande partie des gens qui reviennent sans cesse devant les tribunaux sont ceux qui n'ont pas accès aux traitements appropriés. S'ils y avaient accès, ils se trouveraient à un endroit différent.

Il semble que le système n'aborde pas le problème comme il se doit, de manière à ce que, à un moment donné, il y ait une solution à cette situation qui ne cessera de se reproduire et de s'aggraver si nous ne nous attaquons pas à la racine du problème. Nous savons tous que la proportion de la population augmente. Le recensement de Statistique Canada le montre clairement.

Qui est chargé de s'assurer qu'une telle situation est abordée correctement?

Mme Jesseman : À strictement parler, le traitement est de compétence provinciale et territoriale, à l'exception des délinquants sous responsabilité fédérale qui relèvent du Service correctionnel du Canada, tout comme les membres de la Défense nationale et du service de police national du Canada.

J'aimerais dire que c'est la responsabilité de tous. Cela ne concerne pas un seul secteur. Comme le comité l'a entendu très clairement, ce n'est pas seulement un problème de santé. C'est un problème qui touche le système de justice, le logement, l'emploi et les services sociaux. Je pense aussi qu'il est dans l'intérêt public de reconnaître que la toxicomanie est un problème de santé et d'éliminer l'obstacle que les préjugés peuvent poser aux gens qui se font ou tentent de se faire traiter.

La sénatrice Fraser : Docteur Ahamad, j'ai d'abord une demande à faire, puis une question à vous poser. Cela s'éloigne un peu de la question de l'engorgement des tribunaux. C'est pourquoi j'ai attendu que le président dise que nous disposions d'un peu de temps. Voici ce que je veux vous demander : pouvez-vous vous assurer que la greffière obtienne des copies de vos tableaux et graphiques?

Dr Ahamad : Oui, je peux les envoyer par courriel.

La sénatrice Fraser : De cette façon, elles peuvent nous être distribuées.

Pour ce qui est des traitements, vous êtes non seulement très bien renseigné à ce sujet, mais c'est aussi quelque chose qui vous passionne. Vous avez fait deux remarques qui m'ont frappée. La première est qu'il existe maintenant des médicaments qui peuvent avoir des effets réels et contribuer à la guérison d'une personne. Je me demandais si vous parliez de médicaments que l'on prend pour une période limitée ou de médicaments comme des pilules pour la thyroïde qu'il faut prendre tous les jours pendant le reste de sa vie. Cette dernière option entraînerait des coûts pour les personnes qui sont « sur la mauvaise voie ». Voilà ma première question.

Dr Ahamad : Je suis d'avis, et c'est cet avis que notre groupe de recherche a exprimé au ministère de la Santé de notre province, que tous les traitements de la toxicomanie, y compris la pharmacothérapie fondée sur des données probantes et les traitements médicalement assistés, devraient être offerts gratuitement à toutes les personnes, peu importe leur position économique et sociale. C'est de cette façon que nous avons traité le VIH en Colombie-Britannique. Tout le monde a accès aux médicaments nécessaires parce que traiter les conséquences est extrêmement coûteux. Je crois aussi que, sur le plan éthique et moral, nous avons une responsabilité en vertu de la Loi canadienne sur la santé de donner accès, et d'enlever tout obstacle...

La sénatrice Fraser : Il s'agit donc de quelque chose à long terme.

Dr Ahamad : Oui. Les preuves démontrent que, dans le cas de certains médicaments, quelques personnes devront les prendre à long terme afin d'éviter les atteintes à la santé et les préjudices sociaux associés à certaines dépendances. Pour d'autres personnes, ce n'est peut-être pas le cas. Cependant, nous devons demeurer en contact étroit avec nos patients au fil du temps. S'ils font une rechute ou qu'ils risquent d'en faire une, nous devons reprendre leur traitement.

Nous faisons cela avec tous les autres champs de la médecine. Si je vous traitais pour des problèmes de tension artérielle en vous donnant un médicament et que votre tension artérielle recommençait à monter, cela ne voudrait pas dire que vous auriez échoué ou que vous auriez commis une erreur. Je réitérerais les objectifs des soins, et je tenterais d'améliorer votre santé à long terme. Nous devons faire la même chose avec les dépendances. Les dépendances ont le même taux de rechute que les autres maladies chroniques récurrentes, comme l'insuffisance cardiaque, l'asthme et la broncho-pneumopathie chronique obstructive : de 40 p. 100 à 60 p. 100.

Or, quand des toxicomanes rechutent, on considère que c'est de leur faute, au lieu de leur faire suivre de nouveau un traitement fondé sur des données probantes afin de prévenir les conséquences néfastes à long terme sur leur santé.

La sénatrice Fraser : J'ai une autre question, et je sais que le président va m'interrompre parce que c'est ce qu'il fait toujours.

Quand vous parliez des programmes de traitement dans le service correctionnel, je crois vous avoir entendu dire que, dans l'ensemble, ils ne sont pas aussi bons qu'ils devraient l'être la plupart du temps. Je pense vous avoir entendu dire qu'il y avait même des traitements qui étaient — ce n'est pas le terme que vous avez utilisé, mais le mien — contre- productifs. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que cela implique?

Dr Ahamad : Lorsque des personnes sont obligées de suivre un traitement, par exemple de participer au programme des Alcooliques Anonymes, les résultats sont parfois plus mauvais que si le traitement est facultatif. Par conséquent, si vous forciez certaines personnes à participer au programme des AA au lieu de leur laisser le choix, cela pourrait donner de moins bons résultats.

Les données sur ce programme sont discutables et douteuses. Malheureusement, il demeure le principal outil de traitement parce qu'il est gratuit et soutenu par des pairs. Il ne donne pas d'excellents résultats. Lorsqu'il est obligatoire, il aide certaines personnes et d'autres, non. La situation de certains des participants demeure la même, alors que celle d'autres s'aggrave. Le programme peut avoir des conséquences néfastes.

L'année dernière, un examen systémique intéressant a été mené sur la méta-analyse, et je serais heureux de vous l'envoyer.

Le sénateur White : Ma dernière question porte sur les prisonniers en détention provisoire. Je pense que, probablement, la moitié des personnes incarcérées dans les pénitenciers en Ontario sont en détention provisoire, souvent pendant des mois, et n'ont aucun accès aux traitements ou aux programmes.

En fonction de notre discussion plus tôt sur les meilleures chances de guérison et les risques moins élevés de rechute des toxicomanes qui se font traiter rapidement, croyez-vous que l'inverse s'applique pour les gens qui, même s'ils ne consomment pas de substances illicites, ne reçoivent pas de traitement? Les gouvernements doivent-ils examiner cette question sous un angle différent?

Dr Ahamad : À tous les stades des soins. Vous ne refuseriez jamais d'offrir des traitements pour d'autres troubles médicaux, et nous ne devons pas traiter différemment ces patients, qu'ils soient incarcérés ou qu'ils vivent parmi nous. Comme ma collègue l'a dit, il y a un continuum de soins, mais il y a aussi un accès à des soins fondés sur des données probantes pour chaque stade du système.

Mme Jesseman : Je pense que l'un des moyens de réduire le nombre de personnes en détention provisoire est de nous assurer que nous avons la capacité de déterminer les services qui pourraient permettre aux détenus de vivre sous surveillance dans la collectivité, au lieu d'être incarcérés, et de leur fournir ces services.

Le président : Je vous remercie de nouveau tous les deux d'avoir comparu devant nous et d'avoir apporté une contribution très utile et intéressante à nos délibérations. Nous vous en sommes très reconnaissants.

(La séance est levée.)

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