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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 9 - Témoignages du 10 mai 2016


OTTAWA, le mardi 10 mai 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 14 heures pour étudier la teneur du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (Aide médicale à mourir).

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous et bienvenue, chers collègues, invités et visiteurs qui suivez les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aujourd'hui. Nous poursuivons nos audiences concernant l'étude préalable du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (Aide médicale à mourir).

Pour notre première heure, nous avons avec nous un groupe d'experts juridiques. Accueillons, de l'Association du Barreau canadien, Kimberly Jakeman, présidente du groupe de travail sur la fin de vie, et Tina Head, avocate, Législation et réforme du droit. Sont également présents Dwight Newman, professeur et responsable de la chaire de recherche sur les droits des Autochtones à l'École de droit de l'Université de la Saskatchewan; Hamish Stewart, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Toronto; et Randal Graham, professeur de droit à la Faculté de droit de l'Université Western Ontario.

Merci à tous d'être parmi nous aujourd'hui. Je crois savoir que c'est l'ABC qui va ouvrir la séance avec ses remarques préliminaires. Vous avez la parole.

Tina Head, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Monsieur le président et honorable sénateurs, merci d'avoir invité l'Association du Barreau canadien à témoigner aujourd'hui. L'ABC est une association nationale qui regroupe 36 000 avocats et dont le mandat est de promouvoir l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. Le groupe de travail de l'ABC sur la fin de vie a pour mandat de conseiller l'association concernant les enjeux liés à la fin de vie, dont la question de l'aide médicale à mourir.

Ma collègue, Mme Jakeman, vous donnera plus de détails sur le groupe de travail et présentera le mémoire de l'ABC.

Kimberly Jakeman, présidente, groupe de travail sur la fin de vie, Association du Barreau canadien : Vous avez notre mémoire en main. Je ferai donc un bref exposé. Après quoi, n'hésitez pas à poser des questions sur l'un ou l'autre.

Le groupe de travail de l'ABC tire son expertise d'avocats de toutes les régions du Canada, dont des avocats en pratique privée, des avocats du secteur public et des avocats en entreprise. Ils exercent dans divers domaines de la pratique juridique, dont la justice pénale, les droits constitutionnels et les droits de la personne, le droit de la santé, le droit testamentaire et des successions, le droit des aînés, les droits des enfants, la protection des renseignements personnels et le règlement des conflits.

Nos clients sont entre autres des personnes qui cherchent de l'aide concernant la mort et la planification de la fin de vie. Il s'agit de professionnels de la santé, de travailleurs sociaux, de personnes vulnérables, d'établissements de santé et de soins de longue durée, d'organismes de réglementation et de gouvernements.

Le groupe de travail de l'ABC aimerait commenter trois aspects du projet de loi, à savoir les critères d'admissibilité, la portée des exemptions et les lacunes des mesures de sauvegarde.

Le premier aspect est celui des critères d'admissibilité. L'ABC appuie les modifications au Code criminel qui seraient conformes à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter, et nous sommes d'avis que le projet de loi C-14 ne va pas assez loin. Le paragraphe 241.2(2) proposé définit la notion de « problèmes de santé graves et irrémédiables » ainsi que quatre critères interdépendants circonscrivant l'admissibilité.

Le critère selon lequel la mort naturelle d'une personne doit être raisonnablement prévisible a fait l'objet de beaucoup de débats, mais le groupe de travail estime que c'est toute la disposition qui est problématique. Elle réduit le langage que, croyons-nous, la Cour suprême du Canada a délibérément pris soin d'adopter et elle introduit des notions restrictives que la cour n'ignorait pas, mais qu'elle a préféré ne pas inclure dans l'arrêt Carter. Dans la pratique, la définition limite l'accès de l'aide médicale à mourir aux personnes qui se trouvent aux dernières étapes d'une maladie et dont le décès s'annonce clairement. L'ABC estime que le paragraphe 241.2(2) devrait être entièrement supprimé.

Quant aux exemptions, le groupe de travail estime que l'aide médicale à mourir devrait être considérée comme une option dans un continuum de soins. C'est ainsi, en fait, que se déroulent les conversations sur la fin de vie. Le vocabulaire du Code criminel ne convient pas à cette réalité. À une extrémité du spectre, on interdit d'inciter une personne à se suicider, mais, à l'autre, les conversations qui se déroulent dans le cadre de l'aide médicale à mourir sont protégées dans le cadre circonscrit du projet de loi C-14. Il y a cependant lieu de s'inquiéter du point médian : on ne sait pas à quoi s'en tenir entre ce qui se passe entre les infirmières, les travailleurs sociaux, les avocats, la famille et les amis, d'une part, et les patients, les clients et leurs proches, d'autre part, au sujet des soins de fin de vie, aide médicale à mourir incluse.

Nous estimons qu'il faut modifier le projet de loi pour garantir aux Canadiens qu'ils n'ont pas à craindre d'être tenus criminellement responsables dans ces circonstances.

Le troisième aspect est celui des mesures de sauvegarde. Le projet de loi prévoit plusieurs mesures de sauvegarde, et le groupe de travail estime que certaines d'entre elles doivent retenir l'attention. Plus précisément, le paragraphe 241.2(7) proposé incorpore des normes provinciales de soins professionnels dans le Code criminel, ce qui, à notre avis, n'est pas indiqué. Il empiète sur la compétence provinciale et crée une incertitude qui ne pourra qu'entraîner un moindre accès aux services et pourrait donner lieu à des différences dans les normes pénales appliquées au pays.

Le groupe de travail recommande de supprimer cette disposition.

Concernant la question du consentement, l'alinéa 241.2(3)h) proposé renvoie à la nécessité d'un consentement explicite immédiatement avant la mort. Cette exigence peut avoir pour effet pervers qu'une personne souffre de façon intolérable ou refuse de prendre des médicaments contre la douleur jusqu'à la fin ou encore soit privée de médicaments sédatifs pour être en état de donner des instructions claires immédiatement avant sa mort.

Il y a l'affaire HS (Re) dont a été saisie la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. C'est une affaire récente, où le tribunal a reconnu que les médecins ont l'obligation permanente d'obtenir un consentement authentique, suivi et éclairé au traitement. Le tribunal a conclu qu'il valait mieux laisser aux médecins le soin de déterminer la meilleure façon de remplir cette exigence.

Le groupe de travail de l'ABC recommande de supprimer cette disposition.

Nous avons également formulé quelques recommandations techniques dans nos mémoires.

Enfin, j'aimerais dire que le groupe de travail de l'ABC apprécie le fait que la ministre souhaite avoir du temps pour examiner la question des mineurs matures, des personnes atteintes de maladie mentale et des demandes anticipées. Cependant, dans l'intérêt des personnes dont les droits constitutionnels sont ajournés, nous invitons la ministre à assortir ces études d'échéances fermes et brèves.

Au nom du groupe de travail, je vous remercie de votre attention et de votre invitation à venir témoigner. Merci.

Le président : Merci.

Professeur Newman.

Dwight Newman, professeur et chargé de la chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones, École de droit, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Bonjour. Merci de me donner la possibilité de témoigner devant le comité. Je comparais à titre de professeur de droit et responsable de la chaire de recherche sur les droits des Autochtones et le droit constitutionnel et international de l'Université de la Saskatchewan. Mes observations s'appuient sur mon travail courant sur les enjeux du droit constitutionnel.

J'attirerai l'attention du comité sur quatre points fondamentaux. Ils sont approfondis dans le mémoire écrit que j'ai envoyé au comité, mais je vais essayer d'en aborder certains aspects cet après-midi.

Je vais passer les énumérer rapidement, puis j'y reviendrai. Le premier est que l'arrêt Carter a, pour les applications potentielles par le Parlement, des répercussions plus limitées que certains l'ont laissé entendre.

Deuxièmement, le projet de loi C-14 semble aller plus loin que italic; Carter à certains égards qui risquent de susciter des préoccupations et pourraient bien compromettre les droits constitutionnels d'autres personnes, en dehors de ceux qui bénéficieraient de l'arrêt Carter.

Troisièmement, le projet de loi C-14 soulève des questions qui mériteraient sans doute qu'on réfléchisse à ses répercussions sur les collectivités autochtones.

Le quatrième point est un rappel : le Parlement pourrait bien, en fait, avoir plus d'options qu'on ne le dit généralement à l'égard de l'échéance de juin.

Je reprends donc le premier point pour dire que l'arrêt Carter n'a pas un caractère législatif. Ce n'est tout simplement pas le rôle de la Cour suprême, et le Parlement n'a pas à s'assujettir à la Cour suprême comme s'il s'agissait d'un corps législatif. Le vocabulaire employé par la Cour suprême dans cet arrêt n'a donc pas à être entièrement déterminant. Bien entendu, la cour a rendu une décision sur certaines questions constitutionnelles, mais la déclaration de la cour n'est pas une loi, et c'est au Parlement qu'il incombe en fin de compte d'élaborer une loi qui réponde aux objectifs qui semblent le plus valables au Parlement.

Plusieurs éléments étayent cette affirmation. Je dirais que c'est conforme à la théorie plus générale du dialogue sur la Charte, qui est largement discutée.

Deuxièmement, je tiens à rappeler que le droit relatif à l'interaction entre l'article 7 de la Charte et l'article premier, qui limite le précédent, a récemment évolué, notamment depuis l'arrêt Carter, la semaine dernière, de telle façon qu'on pourrait envisager différemment cette décision. Je fais simplement remarquer que, même si Carter ouvre jusqu'à un certain point une discussion du critère énoncé dans Oakes sur la limitation des droits dans le contexte d'une demande en vertu de l'article 7, la décision rendue dans l'affaire Michaud par la Cour d'appel de l'Ontario clarifie nettement le fait qu'une atteinte à l'article 7 peut se justifier en vertu de l'article premier. Le 6 mai, il y a quelques jours, la Cour suprême du Canada a refusé d'accueillir une demande d'appel de ce jugement, ce qui renforce ce principe. Donc je crois que cela mérite attention.

Le deuxième aspect dont je parlerai est que le projet de loi C-14 traduit une situation où le Parlement assume la responsabilité d'aller au-delà de Carter à certains égards. De bien des façons, le projet de loi est axé sur les situations de fin de vie selon la terminologie de Carter, mais il prévoit certaines applications plus générales qui suscitent des inquiétudes, au moins potentiellement, concernant certains groupes vulnérables.

Par exemple, il en découle essentiellement la façon dont le critère de prévisibilité raisonnable du décès n'est pas relié aux autres dispositions qu'une personne dont la mort est raisonnablement prévisible, mais qui souffre peut-être d'une maladie sans rapport avec cette éventualité, serait admissible en vertu de la loi. On s'inquiéterait ici du cas d'une personne atteinte de maladie mentale sans maladie physique connexe qui se trouve simplement à être âgée et dont, de ce fait, la mort serait raisonnablement prévisible, mais qui envisagerait l'euthanasie volontaire simplement en raison de la maladie mentale.

Il n'est pas du tout sûr que la cour ait envisagé les choses ainsi dans Carter. Si cette question était reportée à l'attention de la cour, je pense qu'on pourrait s'interroger sur son caractère distinct, et le projet de loi proposé par le Parlement prend nettement position à cet égard.

D'autres considérations sont à l'œuvre, comme je l'explique dans mon mémoire, par exemple le risque que des gens fassent du magasinage dans d'autres juridictions et auprès de différentes catégories de fournisseurs de soins médicaux dans des conditions qu'on n'aura probablement pas prévues au lendemain de l'arrêt Carter. Je ne m'étendrai pas sur ces questions, mais je tiens à revenir sur une autre considération importante. Je veux parler des collectivités autochtones.

Je veux simplement dire que le groupe externe chargé d'examiner les réponses législatives susceptibles de faire suite à l'arrêt Carter a reçu assez peu d'éléments d'information sur l'euthanasie volontaire dans les collectivités autochtones, mais que ce qu'il a reçu soulève des questions importantes. Comme l'indique le rapport du groupe externe, il y a dans les collectivités autochtones des gens qui ont toutes sortes de points de vue sur l'euthanasie volontaire, mais c'est une question qui, pour beaucoup d'entre eux, évoque un traumatisme. Des experts ont exprimé l'inquiétude que l'existence d'un système d'euthanasie volontaire creuse encore plus le fossé qui sépare les collectivités autochtones et les fournisseurs de soins médicaux.

Je vais essayer de résumer assez rapidement, mais je tiens à souligner que, en se pressant de régler les choses dans ce projet de loi, on passe trop vite à côté de certains aspects. Est-ce que le système instauré par l'arrêt Carter et le projet de loi C-14 valide effectivement le désespoir comme réponse à divers types de souffrances? Est-ce qu'il valide le suicide de telle sorte qu'il en découlerait des effets culturels très pernicieux dans les collectivités autochtones? Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, mais je pense qu'on devrait entendre plus largement les collectivités autochtones qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Il est ironique de penser que ce ne serait pas le cas alors même que des ministres sont en ce moment à New York pour parler de ces questions dans une nouvelle perspective.

Je dirai très rapidement — et j'en parle dans mon mémoire — que la question de l'échéance fixée par la cour a plus de solutions qu'on ne l'a dit. L'un des juges de la Cour suprême qui a entendu la demande de prolongation dans l'affaire Carter précisément, a déclaré sans que rien ne vienne le contredire que l'article 33 de la Charte permettrait de reporter l'échéance. Je veux simplement souligner qu'il y a des alternatives. C'est au Parlement d'en décider, et je tenais à exposer quelques considérations.

Le président : Avant de présenter le professeur Stewart, je veux vous rappeler que nous n'avons qu'une heure. Si vous prenez trop de temps, notamment dans les remarques préliminaires, cela en laissera peu pour les questions des membres du comité.

Professeur Stewart.

Hamish Stewart, professeur, Faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Je vous suis très reconnaissant de m'avoir invité à témoigner cet après-midi. Je suis ici à titre personnel, comme professeur de droit s'intéressant au droit constitutionnel et notamment au droit relatif à l'article 7 de la Charte.

Mes observations aujourd'hui portent surtout sur la question de savoir si le projet de loi C-14, à supposer qu'il soit adopté dans sa forme actuelle, serait susceptible de survivre à une contestation constitutionnelle. Autrement dit, est-il une réponse constitutionnellement suffisante à l'arrêt Carter? Je pense qu'il représente une réponse constitutionnellement suffisante à l'arrêt Carter, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres réponses susceptibles d'être tout aussi constitutionnellement suffisantes.

Comme vous le savez, l'arrêt Carter nous dit que l'alinéa 241b) du code a une portée excessive injustifiable compte tenu de son propre objet. Lequel objet était, a expliqué la cour, d'empêcher que des personnes vulnérables soient incitées à se donner la mort dans un moment de faiblesse, mais, puisque cette disposition interdisait l'euthanasie volontaire, l'aide médicale à mourir, dans tous les cas, sans égard à la situation de la personne, la disposition a été jugée excessive du point de vue de la Constitution.

Le projet de loi C-14 tient compte de cette conclusion. Comme vous le savez, il prévoit quatre critères d'accès à l'aide médicale à mourir, ainsi que huit mesures de sauvegarde pour garantir que les quatre critères sont remplis dans certains cas.

Il est tout à fait juste de dire, comme on l'a déjà dit, que le vocabulaire employé dans le projet de loi C-14 n'est pas le même que celui de l'arrêt Carter, mais la question d'ordre constitutionnel est de savoir si ses dispositions sont excessives du point de vue de l'article 7. Autrement dit, est-ce que le projet de loi C-14 empêcherait quelqu'un qui remplit les critères énoncés dans Carter d'avoir accès à l'aide médicale à mourir? Je pense qu'il n'aurait probablement pas cet effet.

Quant aux critères proposés aux alinéas 241.2(1)b) et 241.2(1)d), il est vrai que ces critères ne reproduisent pas précisément le vocabulaire employé dans l'arrêt Carter, mais, d'après moi, ce sont des mesures de sauvegarde constitutionnellement valables pour garantir que les gens qui, comme l'a dit la cour, seraient tentés de se donner la mort dans un moment de faiblesse en seront dissuadés.

Je voudrais souligner un autre point, que le professeur Newman a signalé également : il est très possible, malgré mon avis personnel sur la question, que le projet de loi C-14 soit excessif parce que la Cour suprême a énoncé, dans une affaire récente, un critère à caractère individuel pour décider si une loi est excessive. Donc, si un demandeur est capable d'identifier ne serait-ce qu'une personne remplissant les critères énoncés dans Carter et incapable d'avoir accès au système d'aide médicale à mourir en vertu du projet de loi C-14, celui-ci serait considéré comme excessif du point de vue constitutionnel.

Mais, comme l'a dit le professeur Newman, le droit relatif au rapport entre l'article premier et l'article 7 de la Charte a évolué dans les dernières années, notamment à l'égard des lois considérées comme excessives du point de vue constitutionnel. Dans Carter et Bedford et dans Michaud, la Cour suprême du Canada et la Cour d'appel de l'Ontario ont déclaré qu'il est possible de justifier une loi excessive en vertu de l'article premier en invoquant des considérations fondées sur des preuves et des considérations de politique générale qui ne doivent pas être analysées du point de vue de l'article 7 de la Charte.

Donc, comme je l'ai dit, l'argument du gouvernement dans italic; Carter, à savoir qu'une interdiction générale était nécessaire parce qu'il était trop difficile de faire la part des choses entre les personnes vulnérables et les personnes non vulnérables, a été rejeté dans ce même arrêt en vertu de l'article premier, mais la cour a déclaré ceci : « Peut-être que le Parlement pourrait concevoir un système permettant de faire la part des choses entre les personnes vulnérables et les personnes non vulnérables. » Si ce système est un peu excessif, du moins peut-il survivre à une contestation constitutionnelle en tant que limitation justifiée des droits garantis par l'article 7 si le gouvernement peut convaincre le tribunal que c'est le mieux qu'on puisse faire pour distinguer entre les personnes vulnérables et les personnes non vulnérables qui veulent obtenir une aide médicale à mourir.

Donc, d'après moi, le système proposé dans le cadre du projet de loi C-14 survivrait à une contestation constitutionnelle.

Merci de votre attention.

Le président : Merci beaucoup.

Professeur Graham.

Randal Graham, professeur, Faculté de droit, Université Western Ontario, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. C'est toujours un honneur d'être au service du processus législatif.

On m'a demandé de parler du projet de loi C-14 du point de vue de l'interprétation des lois. Plutôt que de commenter les politiques prévues dans le projet de loi, je commenterai les problèmes techniques que soulève la façon dont le projet de loi C-14, s'il était adopté, serait interprété par les tribunaux. On m'a plus particulièrement demandé de m'intéresser au préambule du projet de loi et au rôle qu'il pourrait jouer dans l'interprétation des dispositions opérationnelles du texte législatif.

Je commencerai par dire que les préambules sont importants. L'article 13 de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

Le préambule fait partie du texte et en constitue l'exposé des motifs.

Un préambule a le même statut que les dispositions opérationnelles d'une loi. Il fait partie intégrante de la loi. Il est examiné et approuvé par vote par le Parlement et il sert principalement à discerner l'objet de la loi.

Cela joue un rôle central dans le processus d'interprétation d'une loi, car les tribunaux sont invités par l'article 12 de la Loi d'interprétation à utiliser l'objet de la loi comme guide pour interpréter le texte législatif.

Le préambule d'une loi et l'objet qu'il révèle ne doivent pas être considérés à la légère. La Cour suprême du Canada a fait clairement comprendre que, dans certains cas du moins, quand il y a conflit entre l'objet d'une loi et son vocabulaire opérationnel, c'est son objet qui l'emporte sur le vocabulaire littéral de la loi, de telle sorte que le tribunal, selon le cas, forcera le sens du vocabulaire de la loi ou même y dérogera pour le rendre conforme à l'objet de la loi. Par conséquent, dans certains cas, l'objet révélé par le préambule de la loi pourrait être considéré comme plus important que le contenu des autres dispositions.

Bien entendu, les préambules ne sont pas tous égaux, et certains sont plus utiles et efficaces que d'autres. Le préambule du projet de loi C-14, dans sa version actuelle, est d'une nature que j'estime à la fois importante et potentiellement utile pour les tribunaux. Premièrement, il énumère un certain nombre des politiques sociales ayant incité le Parlement à agir. Par ailleurs, plusieurs de ces politiques et certains tours de phrase retenus pour les traduire sont tirés directement du texte de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Carter c. Canada, ce qui donne à penser qu'une partie de l'objet du projet de loi est d'adopter ou de refléter les points de vue exprimés par la cour dans cette instance. Cela multiplie les chances que le projet de loi C-14 soit interprété conformément aux points de vue exprimés par la cour dans Carter.

Si vous souhaitez examiner cet aspect dans vos questions, je pourrais vous donner quelques exemples d'éléments du préambule du projet de loi C-14 qui pourraient en fait servir à colorer le sens des dispositions opérationnelles du projet de loi.

Cette analyse comporte une difficulté, et c'est que le projet de loi C-14 est une loi portant modification et non pas une loi autonome. S'il est adopté, il ne fonctionnera pas comme loi autonome, mais comme loi portant modification du contenu d'autres lois, dont le Code criminel. Une fois que les modifications créées par la loi portant modification sont mises en œuvre, la loi portant modification est considérée comme périmée, ce qui veut dire que, à toutes fins pratiques, elle n'a plus d'autre utilité juridique. À ce stade, une grande partie du texte de fond du projet de loi C-14 fera partie d'autres lois, dont le préambule actuel du projet de loi sera absent. Le préambule proprement dit ne sera pas incorporé dans d'autres lois courantes et n'existera que dans la loi portant modification, elle-même périmée.

Quelles sont les conséquences de cet état de fait? Considérez les éléments du projet de loi qui sont censés être incorporés au Code criminel. Il n'y a aucun préambule dans le code, sans parler de quoi que ce soit qui correspondrait au texte du préambule du projet de loi C-14. On pourrait alors se demander si le préambule de l'ex-projet de loi C-14 peut servir à utiliser les dispositions modifiées du Code criminel.

La réponse à cette question est : oui, absolument. Ces dispositions, en un sens, seront séparées du préambule actuel du projet de loi, mais ce préambule restera pour les tribunaux une source utile pour interpréter les dispositions utiles du Code criminel. En un sens, les tribunaux feront du préambule du projet de loi périmé le même usage que du préambule des lois en vigueur. Ce recours à des préambules périmés s'est déjà produit dans un certain nombre de cas.

Il est donc évident que le texte du préambule est important. Il aidera probablement les tribunaux à déterminer l'objet des dispositions opérationnelles du projet de loi, même après que ces dispositions auront été incorporées dans d'autres lois. Cela peut avoir un effet considérable sur le sens des mots ou des membres de phrase constituant les dispositions opérationnelles du projet de loi C-14.

J'ai terminé mes remarques préliminaires. Merci.

Le sénateur White : Merci à chacun de vous d'être parmi nous. Ma question s'adresse à M. Newman.

Nous avons déjà discuté de la question des médecins et des infirmières. Il faut qu'il y en ait un de chaque profession ou deux de la même pour approuver la procédure. Le programme des infirmières relève des provinces, mais les provinces ne fonctionnent pas toutes de la même façon. Dans certaines provinces, elles ont certains pouvoirs qu'elles n'ont pas dans d'autres. D'après vous, est-ce qu'il serait utile que la loi exige que l'une des deux personnes chargées d'approuver la procédure soit un médecin?

M. Newman : Je pense que ce serait utile, en effet. Les infirmières ne sont pas incluses dans le projet de loi pour rien, évidemment. On a parlé, entre autres, du manque de médecins dans certaines collectivités éloignées. Une modification exigeant que l'une des deux personnes soit un médecin serait plus conforme aux réflexions de la cour dans Carter concernant le degré de qualification des personnes en question et la relation de confiance avec le médecin.

Cela dit, je n'ai rien contre les infirmières, mais je crois simplement que leur inclusion dans le projet de loi aurait surpris la Cour suprême du Canada.

Le sénateur White : Monsieur Stewart, qu'en pensez-vous?

M. Stewart : Je n'ai pas d'opinion particulière sur le fond de cette question. Mais je ferais remarquer qu'il y a un autre exemple d'interaction entre le droit pénal fédéral et la compétence provinciale en matière de santé, dont Mme Jakeman a parlé. Sans exprimer d'avis sur ses réserves à cet égard, il est inévitable, dans une loi comme celle-là, qu'on s'en remette en partie au système provincial, puisque ce sont les provinces qui délivrent leurs permis aux médecins et aux infirmières et qui fixent leurs normes de comportement.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins de leurs excellents exposés. Dans le temps qui m'est accordé, monsieur le président, j'ai une question à l'intention de l'Association du Barreau canadien.

Vous avez dit que, d'après vous, l'arrêt de la Cour suprême du Canada renvoie plutôt à la situation de Gloria Taylor. J'ai lu la décision du juge de première instance, et elle portait exclusivement sur la situation médicale de Gloria Taylor, tout comme celle de la Cour suprême du Canada telle que je la comprends.

Elle était en phase terminale, mais vous dites dans votre exposé que le projet de loi va au-delà de la décision de la Cour suprême. Comment conciliez-vous cela avec le paragraphe 66? Vous parlez dans votre argumentation de « problèmes de santé graves et irrémédiables ». Au paragraphe 66, la cour déclare qu'une personne ayant des problèmes de santé graves et irrémédiables aurait droit à une sédation palliative. C'est la fin de la vie. Cela représente deux ou trois jours. La mise en état d'inconscience serait admissible. Puis, dans les deux dernières phrases du paragraphe 127, la cour déclare qu'elle ne s'intéresse qu'aux faits de l'espèce. Autrement dit, ce sont les faits relatifs au cas de Gloria Taylor, c'est-à-dire une personne près de mourir. Et vous êtes d'accord. Dans ce cas, comment justifiez-vous l'argument selon lequel « oh non, ce projet de loi va au-delà de la décision de la Cour suprême du Canada et il est plus restrictif »?

Mme Jakeman : Premièrement, les faits dont il est question dans Carter ne renvoient pas seulement à Gloria Taylor. Ils concernent Kay Carter, qui, à mon avis, ne serait pas admissible en vertu du projet de loi C-14.

De plus, au paragraphe 1159 du jugement de première instance, la juge Smith renvoie en fait au groupe de gens dont il est question dans ses motifs de jugement. Cela va bien plus loin que le seul cas de Gloria Taylor.

Beaucoup d'affidavits ont été déposés auprès de la cour. M. Arvay vous en a déjà parlé ici. Il ne s'agissait pas seulement du cas de Gloria Taylor. La cour s'est intéressée à un groupe de gens beaucoup plus nombreux.

La sénatrice Batters : Merci à vous tous d'être parmi nous, et je souhaite particulièrement la bienvenue à mon concitoyen de la Saskatchewan, le professeur Newman.

Je lis ceci dans votre mémoire, et vous l'avez brièvement rappelé dans vos remarques préliminaires : j'aimerais que vous nous parliez un peu plus du cas d'une personne âgée qui invoquerait seulement la maladie mentale pour demander l'aide médicale à mourir et qui, selon vous, y aurait droit parce que, comme elle est âgée, sa mort peut être raisonnablement prévisible. Dans votre mémoire, vous dites que la non-admissibilité de la maladie mentale comme seul motif devrait être indiquée dans les dispositions opérationnelles du projet de loi et non pas seulement dans le préambule. J'en ai parlé moi aussi auparavant, parce que, d'après moi, le fait de placer des éléments d'une telle importance dans le préambule n'est pas une bonne façon de rédiger une loi. Pourriez-vous nous en dire plus, s'il vous plaît?

M. Newman : Nous avons entendu le point de vue très important du professeur Graham cet après-midi au sujet du caractère périmé du préambule et du fait qu'il ne sera pas incorporé aux lois que le projet de loi modifie.

Par conséquent, je ne pense pas que le contenu du préambule représente une réelle garantie par rapport au texte législatif proprement dit. Il n'est pas dit dans ce texte que la mort doit être raisonnablement prévisible en raison de la maladie en question. Il dit seulement que la mort doit être raisonnablement prévisible. C'est évidemment ouvert à interprétation, et les tribunaux pourraient bien trouver le moyen que cela ne s'applique pas seulement aux personnes âgées, mais à des personnes dont la mort est raisonnablement prévisible et dont le seul problème de santé est une maladie mentale. Rien ne permet de dire que nous puissions aller dans cette direction compte tenu du préambule. Il y a une contradiction ici.

Pour faire suite à l'argument du sénateur Baker, je tiens à souligner le contenu du paragraphe 126 de l'arrêt Carter, qui se lit comme suit :

Dans la mesure où les dispositions législatives contestées nient les droits que l'art. 7 reconnaît aux personnes comme Mme Taylor, elles sont nulles par application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

L'arrêt Carter semble plutôt se limiter aux cas semblables à celui de Mme Taylor, et je ne vois aucune preuve que la cour ait envisagé d'étendre le droit à l'euthanasie volontaire à ceux et celles dont le seul problème de santé serait une maladie mentale. Cela soulève évidemment des questions très complexes.

La sénatrice Batters : Vous avez eu un peu de temps pour nous parler de l'affaire R. c. Michaud, dans vos remarques préliminaires, mais je pense que vous avez soulevé une question importante. Pourriez-vous nous parler un peu plus de l'idée que la violation de l'article 7 peut se justifier en vertu de l'article premier selon le critère énoncé dans Oakes? Il y a quelques jours à peine — merci au passage de cette information arrivée à point nommé —, la Cour suprême du Canada a refusé d'accueillir une demande d'appel à ce sujet, de sorte que le jugement est maintenu. Pourriez-vous nous en parler et nous dire en quoi cela se répercute sur la question qui nous occupe?

M. Newman : Je précise que Michaud est une affaire relevant de la réglementation, mais c'est une affaire où la cour a estimé que la violation de l'article 7 se justifiait en vertu de l'article premier de la Charte.

Les avocats du comité savent bien que, quand la Cour suprême n'accueille pas une demande d'appel, cela ne signifie pas nécessairement que les juges sont d'accord, mais cela signifie aussi qu'ils maintiennent la décision. S'il s'agissait selon eux d'un principe contestable à l'égard de quelque chose d'aussi fondamental, on peut penser qu'ils auraient accueilli la demande d'appel et qu'ils auraient entendu la cause.

Ces éléments sont difficiles à interpréter, mais je pense que nous commençons à voir émerger dans le droit canadien un point de vue selon lequel certaines violations de l'article 7 peuvent se justifier en vertu de l'article premier. C'était une position très contestée auparavant, et c'est quelque chose qui commence à émerger actuellement.

On trouve certains arguments de cette sorte dans l'arrêt Carter. Je suis convaincu que les avocats n'auraient rien dit de plus, même pour justifier l'ancien système à ce moment-là, s'ils avaient su à quel point l'article premier évoluerait. Il est clair que les lois désormais adoptées par le Parlement pourront être soumises aux tribunaux, qui auront à déterminer si des raisons de principe plus vastes que celles qui relèvent de l'article 7 justifient certaines des limites imposées par la loi.

Du point de vue de la prudence à l'égard de questions comme celle des mineurs matures, je pense qu'il y a bien des façons de faire valoir l'article premier.

Du point de vue de la prudence à l'égard de diverses situations qui ne sont pas abordées dans le projet de loi, je pense que cela rejoint les remarques du professeur Stewart, qui disait que le projet de loi est valable sur le plan constitutionnel, et je me demande si on pourrait même imposer des limites plus strictes.

Le sénateur Joyal : J'aimerais poser une question à Mme Jakeman et peut-être inviter les autres témoins à donner leur avis.

La Cour a annulé les articles 14 et 241 du Code criminel au motif qu'il s'agissait d'une interdiction trop vaste compte tenu de l'article 7 de la Charte. Nous avons maintenant un projet de loi qui réintroduit le critère de la mort « raisonnablement prévisible » pour exclure tous ceux qui ne sont pas en train de mourir. C'est essentiellement le même argument que le gouvernement a fait valoir devant la Cour. S'il est impossible de faire la distinction entre ceux dont le décès n'est pas prévisible, même s'ils souffrent d'une situation grave, irrémédiable et intolérable, alors ils sont tous exclus.

J'ai l'impression que, en fait, concernant la prévisibilité du décès, nous faisons le même jugement parallèle que le gouvernement a fait valoir devant la Cour et que la Cour a rejeté. Qu'en pensez-vous?

Mme Jakeman : Je pense que l'ABC estimerait que c'est exact. La maladie en phase terminale était au centre de l'argumentation du gouvernement dans Carter, et cela a pu faire partie de la définition que la Cour suprême du Canada a décidé de ne pas retenir.

On voit maintenant une loi qui revient sur l'argumentation du gouvernement dans Carter, et je pense que c'est effectivement un problème.

Je pense que l'alinéa (2)d) — qui a trait à la mort raisonnablement prévisible — est une disposition vraiment difficile pour les juristes, pour autant qu'il s'agisse de terminologie juridique. Cette partie de la définition est très ambiguë et obscure, et c'est vraiment un souci pour l'ABC.

M. Graham : Concernant l'alinéa (2)d) — qui prévoit que « [la] mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible » —, je ne tiens pas à banaliser la question, mais notre mort à tous est raisonnablement prévisible du simple fait que nous sommes mortels. Ce n'est donc pas de cela qu'on parle, et la question se pose alors de savoir comment, et en référence à quels autres textes, on peut en resserrer le sens.

On pourrait s'appuyer sur une partie du préambule — et c'est pour cela que je suis ici en ce moment — qui suit de très près le vocabulaire employé par la Cour dans Carter et essayer de minimiser l'impact de l'expression « mort raisonnablement prévisible » pour minimiser les droits énoncés par la Cour dans Carter. Ce serait une façon de faire.

On pourrait aussi recourir à la maxime d'interprétation noscitur a sociis, qui signifie connaître par association et selon laquelle, quand un vocabulaire général est employé, il faut le ramener à ce qui l'alignerait sur les autres termes auxquels il est associé dans la même disposition.

Dans le cas qui nous occupe, la « mort raisonnablement prévisible » s'inscrit dans la définition d'une personne ayant des problèmes de santé « graves et irrémédiables », ce qui donne à penser qu'il est possible que l'abrègement de la vie doive découler de cet état de santé.

Si on voulait interpréter cela assez étroitement pour empiéter le moins possible sur les droits énoncés dans Carter, on pourrait dire que votre état de santé a eu un impact sur votre espérance de vie, et un médecin pourrait dire que votre espérance de vie a été réduite de ce fait. On ne sait pas de combien elle sera réduite et on ne sait pas non plus la date de votre mort, mais votre vie est écourtée de façon non négligeable par cet état de santé.

Donc, on ne sait pas comment ce sera interprété. Généralement parlant, un énoncé législatif vague comme celui-là est laissé à l'interprétation des autorités officielles, à savoir les tribunaux judiciaires ou administratifs chargés d'appliquer une certaine disposition. Mais, comme je l'ai dit, il y a un certain nombre de façons de resserrer cette interprétation.

Le sénateur Joyal : Donc, on ne pourrait pas l'interpréter en fonction du paragraphe 241.2(7) du projet de loi — « connaissance, soins et habilité raisonnables » —, on devrait laisser cela aux lois et règlements provinciaux. On va se retrouver avec un damier d'un bout à l'autre du Canada, une province interprétant la notion de mort prévisible d'une façon et une autre l'interprétant différemment, tandis qu'une autre encore ne l'interprétera pas du tout. Il n'y a pas de perspective nationale qui permettrait que tout le monde mesure les droits de la même façon dans le cadre des lois adoptées en vertu du Code criminel.

M. Graham : C'est défendable. Je ne serais pas surpris de voir un tribunal considérer cela comme une norme nationale, compte tenu surtout du contenu du préambule, qui en fait un enjeu important à l'échelle nationale, susceptible d'être interprété uniformément à travers le pays. Encore une fois, en matière d'interprétation des lois, il n'y a pas de garanties.

Le sénateur McIntyre : Merci pour tous vos exposés.

Monsieur Stewart, dans votre mémoire, vous écrivez que la pièce maîtresse du projet de loi C-14 est le paragraphe 241.2 qu'il propose d'ajouter au Code. Comme on le sait, cette disposition entre dans deux catégories, à savoir les mesures de sauvegarde et les critères de l'aide médicale à mourir.

Si je comprends bien, selon votre point de vue, il est probable que, en cas de contestation en vertu de la Constitution, la remise en cause du nouveau système ne porterait pas sur les critères, mais sur les mesures de sauvegarde. Pourriez- vous nous expliquer cela, s'il vous plaît?

M. Stewart : Certainement. Je dois d'abord préciser que mes antécédents en matière de prévision de l'inclination de la Cour suprême à confirmer ou infirmer une loi sont fort médiocres. Quand de grandes décisions s'annoncent, les gens me demandent mon avis, et je leur dis qu'il va se produire ceci ou cela, à coup sûr, et je me trompe. Je ne suis pas très habile à faire des prédictions.

Les critères énoncés dans le projet de loi ne reproduisent pas parfaitement le vocabulaire employé dans Carter, mais, selon moi, ils y sont fidèles pour l'essentiel. C'est mon point de vue. Je sais que d'autres pensent autrement. Mais l'arrêt Carter ne nous dit rien en matière de mesures de sauvegarde parce que l'ancien système n'en prévoit pas. Et ces aspects n'ont pas été contestés en vertu de la Constitution. La décision ne porte pas sur les mesures de sauvegarde qu'il conviendrait de prendre.

D'après moi, la contestation sera peut-être formulée comme suit : d'accord, même si les critères sont acceptables, ces mesures de sauvegarde sont si strictes que certaines personnes constitutionnellement habilitées à obtenir l'aide médicale à mourir n'y auront pas accès à cause de ces mesures trop strictes. C'est le genre d'attaque qui me semble prévisible.

La question sera la suivante : est-ce que le gouvernement peut convaincre le tribunal, d'une part, que c'est le mieux qu'il puisse faire pour protéger les gens susceptibles d'être tentés, dans un moment de faiblesse, de faire appel au système, ce qui est un objectif légitime — et rien dans Carter ne permet de douter de la légitimité de cet objectif — et, d'autre part, qu'il permet aux gens qui y ont droit en vertu de la Constitution d'avoir accès au système. Selon moi, c'est comme cela que les choses vont se jouer.

À mon avis, oui, on pourrait assouplir un peu les mesures de sauvegarde. Cela compromettrait l'objectif du gouvernement de protéger les personnes vulnérables, et il est donc possible que le gouvernement fasse valoir que ces mesures sont constitutionnellement valables.

Le juge de première instance comme la Cour suprême du Canada ont rappelé à un certain nombre de reprises qu'un système d'aide médicale à mourir assorti de mesures de protection strictes serait constitutionnellement suffisant. Ils n'ont pas précisé ce que devraient être ces mesures.

Je ne suis pas sûr de vous éclairer, mais c'est comme cela que je vois les choses.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Newman, vous soulevez des questions intéressantes. Vous avez parlé de l'échéance de juin et du pouvoir constitutionnel du Parlement. Si vous étiez ministre de la Justice, est-ce que vous invoqueriez la clause nonobstant?

M. Newman : Cela risquerait de dépasser ma catégorie salariale, mais je pense que ce serait à envisager.

Cette loi est littéralement une question de vie ou de mort. Beaucoup de parlementaires se sont exprimés dans les médias pour dire qu'ils estiment ne pas avoir eu assez de temps pour en discuter. Ce serait un usage procédural limité de l'article 33 pour mieux protéger les droits de tous les Canadiens et pour trouver un équilibre valable. Parce que, quand on parle de questions comme les mesures de sauvegarde, on doit se rappeler qu'il ne s'agit pas seulement de ceux qui demandent une aide médicale à mourir, mais aussi des personnes vulnérables dont les droits à l'égalité et les droits garantis par l'article 7 sont en jeu. Pour que le Parlement puisse rédiger une loi idéale, s'il a le sentiment de ne pas avoir assez de temps, je pense que l'article 33 serait un recours possible concret.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de vos exposés.

Monsieur Graham, je m'adresse à l'expert en interprétation des lois. Le projet de loi contient des termes qui ne sont pas définis, mais le ministère de la Justice a publié un glossaire des termes employés dans le projet de loi. Il s'agit notamment des expressions « déclin avancé et irréversible des capacités » et « mort raisonnablement prévisible », soit deux des aspects les plus litigieux du projet de loi selon l'audience de la semaine dernière et les opinions dont les citoyens nous ont fait part.

Pourriez-vous nous dire quelle force de loi, s'il y a lieu, peut avoir un glossaire publié sur Internet? Serait-il préférable que ce glossaire soit inclus dans le projet de loi C-14?

M. Graham : Le glossaire publié sur Internet n'a aucune force de loi à moins qu'il soit de quelque façon explicitement incorporé par renvoi dans la loi examinée, votée et adoptée par le Parlement. Dans la mesure où il serait utile dans l'interprétation d'une disposition effectivement adoptée, nous entrons dans le domaine des aides extrinsèques.

Avant 1998, la réponse à cette question aurait été que le glossaire n'aurait guère de valeur. Mais, en 1998, il y a eu l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., où la Cour suprême du Canada a carrément écarté les questions sur le genre de preuves qui pourraient être admissibles pour déterminer le sens précis des termes ou expressions employés dans une loi. Cette affaire portait sur le hansard, qui est la transcription des débats, lesquels sont littéralement infectés par le même genre de faiblesses que celles qu'on décèle dans un glossaire publié sur Internet. Quiconque a le pouvoir de faire une déclaration au Parlement, comme ceux qui ont le pouvoir d'ajouter des entrées dans un glossaire publié sur Internet, pourrait vouloir y incorporer une certaine définition en raison d'une motivation politique particulière.

D'après mes observations, après lecture d'un certain nombre de décisions où des aides extrinsèques ont été utilisées — elles sont généralement considérées comme admissibles —, il s'agit en fin de compte de déterminer l'importance attachée à telle ou telle aide extrinsèque. Si on examine les causes, on constate que cela dépend directement de l'utilité que cette aide peut avoir dans la production d'un certain résultat.

S'il s'agit d'un résultat correspondant à d'autres causes dont le tribunal a tenu compte et qu'il s'apprête à rendre une décision dans un certain sens, il se peut qu'il accorde une très grande importance à l'aide extrinsèque en question.

On voit la même chose dans les traités internationaux qui n'ont pas été adoptés, ainsi que dans les livres blancs et les déclarations de principes. Les tribunaux ont désormais recours à toutes sortes d'aides extrinsèques dans le cadre de l'interprétation des lois. Ces aides n'ont pas force de loi, mais elles peuvent jouer un rôle assez important.

La sénatrice Jaffer : Il y a trois volets à ce projet de loi. Il y a, bien sûr, le projet lui-même, puis il y a le préambule, et ensuite le glossaire. Ne pensez-vous pas que la meilleure façon de faire aurait été de définir les termes dans le projet proprement dit?

M. Graham : C'est le moyen le plus clair, en effet, même si, comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, il est fréquent que les préambules de lois périmées continuent de servir d'aide à l'interprétation. À ce stade, c'est un moyen d'interprétation, ce n'est plus le texte à interpréter. C'est un moyen d'éclairer le texte et non pas une partie intégrante du texte.

Cela dit, il y a l'arrêt R. c. Egger, rendu par la Cour suprême du Canada en 1993, où elle a renvoyé à la loi portant modification et employé le vocabulaire même de la loi périmée pour passer outre au vocabulaire littéral des dispositions en vigueur du Code criminel. C'était aussi une affaire renvoyant au Code criminel.

Je ne veux pas sous-estimer le pouvoir de ces aides à l'interprétation, mais le moyen le plus sûr de préciser l'intention d'une loi est de l'intégrer à une disposition opérationnelle.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de vos témoignages qui sont fort instructifs. J'ai l'impression que le vrai consensus qui se développe autour de ce projet de loi, c'est que 50 p. 100 des gens le perçoivent comme étant trop restrictif et 50 p. 100 ne le trouvent pas assez restrictif. Au Québec, dans le cadre de l'élaboration de la loi qui a été adoptée, nous avons consacré presque un an à la tenue de consultations publiques pour dégager un consensus. Nous savons que si aucun consensus n'est développé dans le cadre d'une loi de cette nature, qui fait appel à des valeurs morales, sociales et, à la limite, à des valeurs religieuses, nous risquons de nous retrouver devant les tribunaux pendant des années, parce qu'un groupe ou l'autre la contestera.

La question, qui est peut-être banale, est à se demander s'il n'y aurait pas lieu de rejeter ce projet de loi et de poursuivre notre réflexion pour arriver à un consensus majoritaire, de sorte que le Canada adopte une loi qui s'adressera également aux gens qui sont mourants. Tout le monde est d'accord avec une loi qui traite des mourants. Cependant, il faut aussi une loi qui tienne compte des gens qui souffrent, mais qui ne sont pas nécessairement mourants, et qui mènent une vie tout à fait inacceptable sur le plan humain.

Dans ce sens-là, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de retarder l'adoption du projet de loi, quitte à le rejeter et à continuer cette réflexion canadienne? Le rejet de la loi aura des effets relativement banals sur la loi du Québec et donnera aux provinces l'occasion d'adopter des lois qui permettront cet acte médical. Ainsi, est-ce qu'il ne faudrait pas plutôt rejeter le projet de loi tout simplement?

[Traduction]

Mme Jakeman : L'année dernière, l'Association du Barreau canadien a adopté certaines résolutions par le biais de son conseil de gouvernance. L'une d'elles était qu'il devrait y avoir une modification au Code criminel inspirée de l'arrêt Carter. La position de l'ABC est donc qu'on devrait rejeter ce projet de loi jusqu'à ce qu'il soit conforme à cette décision.

Il existe une jurisprudence. La Cour suprême du Canada s'est exprimée dans Carter, et on sait qu'il existe probablement huit causes dans le pays qui ont été l'occasion d'analyser et d'interpréter Carter. Dans tous les cas, il a été question des mesures de sauvegarde.

On sait donc ce qui existe et ce qui fonctionne. Donc, du point de vue de l'ABC, c'est une idée très raisonnable.

M. Newman : Il y a des raisons de réfléchir plus longuement au projet de loi. Si l'idée de prendre plus de temps est de permettre d'approfondir la réflexion, c'est qu'il y a d'excellentes raisons à cela.

La question est de savoir ce qui va se passer entre-temps. Si le Parlement ne prolonge pas le délai, qui est une possibilité législative, comme je l'ai dit, c'est l'arrêt Carter qui entrera en vigueur, et les conséquences de ce fait pourraient être beaucoup plus prévisibles que celles de l'adoption du projet de loi.

Je ne suis pas sûr que cela milite en faveur d'un simple rejet du projet de loi, si le but est d'avoir plus de temps pour réfléchir. Cela peut militer en faveur du recours à l'article 33 pour prolonger le délai de réflexion et élaborer une réponse à l'arrêt Carter.

Le président : Monsieur Stewart, monsieur Graham, si vous désirez répondre, vous avez environ une minute.

M. Stewart : Très rapidement, je rappellerai que, dans les quatre mois suivant l'arrêt Carter, les gens peuvent demander des exemptions constitutionnelles en vertu de cette décision. Si Carter entre en vigueur, il ne sera pas nécessaire de demander d'exemption constitutionnelle. Les gens auront accès à l'aide médicale à mourir conformément à la déclaration énoncée au paragraphe 127 de l'arrêt Carter. Je dirais que ce sera une procédure assez mal réglementée. Je ne suis pas enclin à souhaiter le report de la mise en œuvre du projet de loi, même s'il est imparfait.

M. Graham : Il y a deux questions distinctes ici. L'une est : est-ce que cette question survivra à une contestation constitutionnelle? Il se trouve que je partage l'avis de M. Stewart et que je pense que c'est le cas, quels que soient ses antécédents de prédiction. La deuxième est : est-il avisé d'adopter ce projet de loi? Ce n'est pas un terrain sur lequel je souhaite m'aventurer pour l'instant.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse au professeur Newman. J'ai l'impression que l'on tente de nous faire étudier ce projet de loi en mode « marathon » pour éviter que nous en comprenions bien la portée, car il revêt une grande importance. Si nous devons procéder rapidement malgré nous, il faudra probablement y apporter des amendements. Quels sont, selon vous, les éléments qui devraient être retirés du projet de loi de sorte qu'il respecte mieux le jugement Carter?

[Traduction]

M. Newman : Premièrement, je conteste la prémisse selon laquelle le but de ce projet de loi doit être de mieux respecter le jugement Carter. Le but doit être d'offrir une réponse parlementaire à l'arrêt Carter, et je ne vois pas pourquoi cette réponse ne pourrait pas contenir des éléments qui s'écartent du jugement Carter. Comme je l'ai souligné dans mon premier point, le jugement Carter n'est pas de nature législative. En définitive, c'est au Parlement qu'il incombe de décider de la position qu'il veut prendre.

Quant aux amendements souhaitables, j'en ai mentionné quelques-uns relativement à certaines mesures de sauvegarde problématiques, que j'aborde plus en détail dans le mémoire écrit.

Je doute que tous les amendements opportuns puissent être facilement apportés dans une chambre de Sénat, dans des conditions de marathon. J'ai souligné le fait que le comité externe a recensé certains éléments dont les répercussions sur les communautés autochtones ne sont pas du tout les mêmes que sur la population canadienne au sens large. Dans certains cas, on pourrait penser que cette constatation fournit toute une série de raisons de tenir des consultations plus intensives avec les communautés autochtones et, à moins que cela puisse se faire dans le cadre d'un marathon, la réalité est que ce n'est pas facile d'insérer dans ce projet de loi les amendements appropriés dans un si court laps de temps.

Le sénateur Plett : Ma question est pour Mme Jakeman. Dans votre exposé, vous avez parlé du préambule, et c'est justement dans le préambule que se trouve ce qui m'inquiète le plus de ce projet de loi, à savoir, la partie sur les mineurs matures. Ma position sur la question des mineurs matures est très claire — en fait, je préférerais qu'on les appelle tout simplement les « enfants ».

Vous avez laissé entendre que vous souhaiteriez que le gouvernement accélère le processus d'étude sur la question des mineurs matures. Parlant des droits de la personne et des droits garantis par la Charte, croyez-vous que c'est empiéter sur les droits d'un enfant que de l'empêcher de se donner la mort, et à quel âge établissez-vous la distinction?

Mme Jakeman : L'Association du Barreau canadien étudie actuellement la question des mineurs matures, des personnes atteintes de maladie mentale ainsi que celle des directives anticipées. Nous ne disposons de limites claires sur aucun de ces éléments. Nous croyons que quoi qu'il arrive dans le prochain... Le texte de loi ne renferme aucune disposition ni chronologie particulière quant au moment où la distinction doit se faire. Tout ce que nous disons, c'est que nous aimerions que cela évolue rapidement, de sorte que s'il est conclu que ces personnes sont des personnes vulnérables — et je vous assure que certains membres du groupe de travail croient que c'est effectivement le cas —, leurs droits constitutionnels soient pris en charge sans tarder.

Le sénateur Plett : Plutôt que d'essayer de résoudre un problème que votre association ne comprend pas très bien — et je soupçonne la majorité des Canadiens de ne pas y voir clair non plus — ne serait-il pas plus sage d'avancer un peu plus lentement, de faire preuve de prudence plutôt que de plonger tête première dans l'incertitude?

Mme Jakeman : Je comprends votre point de vue. Nous voulions uniquement souligner que ce groupe est lui aussi composé de personnes vulnérables et qu'il est important que ces personnes connaissent leurs droits en vertu de l'arrêt Carter. L'arrêt Carter ne traite pas du tout de ce groupe.

La sénatrice Batters : Pour résumer la question des mineurs matures, reconnaissez-vous, madame Jakeman, que les droits découlant de l'arrêt Carter visent exclusivement les adultes capables, n'est-ce pas?

Mme Jakeman : C'est exact.

Le président : Merci, chers témoins. Nous vous sommes reconnaissants de vos témoignages. Vous êtes conscients des contraintes de temps. Nous pourrions facilement vous garder une heure de plus, mais nous devons fonctionner de cette façon. Merci de votre contribution à nos délibérations.

Notre deuxième groupe de témoins se penchera sur le point de vue réglementaire. Si je prononce mal certains noms, corrigez-moi lorsque vous en aurez l'occasion.

Sont présents aujourd'hui, de la Fédération des ordres des médecins du Canada, le Dr Douglas Grant, président, et le Dr Trevor Theman, président sortant. De l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario, le Dr Joel Kirsh, président, et le Dr Rocco Gerace, registraire. Du College of Registered Nurses of British Columbia, Christine Penney, greffière adjointe et agente de chef de politique et pratique.

Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui. Nous allons commencer par les déclarations liminaires de la Fédération. Vous avez la parole.

Dr Douglas Grant, président, Fédération des ordres des médecins du Canada : Merci. Au nom de la Fédération des ordres des médecins du Canada, je remercie le comité de nous donner l'occasion de faire ces exposés.

Le corps médical de chacun des 13 membres provinciaux et territoriaux de la Fédération des ordres des médecins du Canada, la FOMC, est régi par des dispositions législatives axées sur l'intérêt de la sécurité publique. Notre rôle de législateurs est de protéger les patients. Les présentes observations sont faites au nom des patients servis par les législateurs, dans le but d'établir une réglementation efficace de l'aide médicale à mourir.

C'est au législateur qu'incombera la double responsabilité de communiquer au public et au corps médical de quelle façon l'aide médicale à mourir sera administrée et d'en superviser l'administration. Essentiellement, les législateurs envisagent de jouer un rôle central dans l'approche qu'adoptera le Canada relativement à l'aide médicale à mourir.

On a souligné le besoin de concision. La FOMC appuie bon nombre des aspects fondamentaux du projet de loi C-14 de même que les dispositions qui consistent à étendre les exemptions de responsabilité criminelle aux travailleurs auxiliaires de la santé. Nous soutenons tout particulièrement l'idée que deux médecins doivent s'impliquer dans l'évaluation de l'admissibilité.

La FOMC considère que le projet de loi C-14 coïncide dans une large mesure avec les principes que nous avons décrits dans un document d'orientation que nous avons produit tout de suite après l'arrêt Carter. Nous sommes particulièrement reconnaissants du fait que le projet de loi C-14 laisse place à la réglementation, par les législateurs, du type de médecine exercée.

La FOMC nourrit cependant certaines réserves sur le projet de loi C-14. La première concerne la clarté. Il va de soi que la clarté du cadre législatif est essentielle pour assurer une approche harmonisée et efficace à l'aide médicale à mourir. J'aimerais attirer votre attention sur l'énoncé suivant : « la mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible ».

Cette disposition que votre groupe de témoins juridiques vient d'aborder semble poser la proximité de la mort comme critère d'admissibilité. Ce n'est pas aux législateurs qu'il revient de présenter un témoignage sur le fait que l'aide médicale à mourir soit limitée aux seules personnes proches ou assez proches de la mort, mais la FOMC souligne, dans sa présentation, que le libellé de ce critère d'admissibilité doit être clarifié.

C'est de la langue juridique et non du langage médical, et j'ai cru comprendre que les avocats ne l'aiment pas non plus. Cette formulation est trop vague pour être comprise ou appliquée en tant que disposition médicale et trop ambiguë pour être réglementée de manière efficace. En outre — et j'invoque le point soulevé par la question du sénateur Joyal —, il existe tellement d'interprétations que la FOMC devra s'atteler à la tâche d'harmoniser les différentes approches provinciales, car chaque province y va de sa propre interprétation du terme « raisonnablement prévisible ».

Nous devons reconnaître le danger qui accompagne toute absence de clarté, car à défaut d'un langage clair, les médecins seront peu disposés à agir. Si ce libellé demeure inchangé, nous estimons qu'il constituera un obstacle au traitement, puisque devant l'incapacité à établir l'admissibilité avec certitude, les médecins hésiteront à agir.

La deuxième grande préoccupation mentionnée dans notre mémoire touche les questions liées à l'accessibilité. Bon nombre de ces questions ont été abordées précédemment, mais permettez-moi d'insister sur le fait que le projet de loi C- 14 ne prend aucunement en considération le cas de patients dont la capacité et la santé sont en déclin. À l'idée de se voir refuser l'aide médicale à mourir une fois qu'on les aura jugés incapables de porter un jugement éclairé, ces patients peuvent déterminer n'avoir pas d'autre option que de demander l'aide médicale à mourir de façon précipitée, pendant qu'ils en sont encore capables et plus vite qu'ils ne l'auraient autrement choisi. La nécessité de demander la mort prématurément est aussi ce qui avait initialement amené Mme Carter devant les tribunaux.

Les médecins de ces patients à la santé déclinante seront confrontés à la tâche aussi difficile que précaire d'évaluer la capacité d'un patient sur son lit de mort et, poussés par un sentiment d'urgence, de fournir le service au patient avant qu'il ne soit trop tard, avant que le patient n'ait plus la compétence requise. En outre, les législateurs devront, de leur côté, relever l'impossible défi qu'est celui de fournir une orientation claire aux médecins qui tentent de naviguer dans ces eaux troubles au nom de leur patient. Nous demandons donc que le projet de loi comporte un énoncé clair et précis sur l'admissibilité des patients dont la capacité est en déclin.

Pour ce qui est de l'objection de conscience du médecin, il faut dire que notre profession a des antécédents gênants, la liberté de conscience des médecins ayant souvent été exercée au détriment des droits du patient. Nous avons vu ce même dilemme se manifester dans le cadre de la contraception, de l'avortement, de l'accès aux produits sanguins et de l'accès aux pratiques traditionnelles de guérison.

Je vous prie de m'excuser, mon temps est écoulé. Merci.

Le président : Je suis désolé, mais nous n'avons pas le choix que de fonctionner de la sorte.

Dr Joel Kirsh, président, Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario : Merci, monsieur le président, merci, sénateurs, de m'avoir invité à comparaître pour discuter du projet de loi C-14. Je m'appelle Joel Kirsh, je suis président de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario. Je suis pédiatre et j'ai pratiqué la pédiatrie, les soins intensifs pédiatriques et la cardiologie pédiatrique pendant 24 ans à l'Hôpital pour enfants malades de Toronto. Avec moi, à ma gauche, le Dr Rocco Gerace, qui cumule 29 années d'expérience en médecine d'urgence et qui est registraire de l'Ordre depuis 14 ans.

L'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario est mandaté par la Loi pour servir et protéger l'intérêt public, un rôle que nous prenons très au sérieux. Le travail que nous accomplissons en tant que législateur médical en Ontario, y compris notre réponse à l'aide médicale à mourir, ne perd jamais de vue ce mandat.

En 2015, l'Ordre a rédigé un document sur les attentes à l'égard des médecins concernant l'aide médicale à mourir. Ce document d'orientation provisoire a été approuvé par notre conseil au début de 2016. Depuis, en l'absence de cadre législatif, il sert de guide aux médecins et aide les patients à s'orienter.

L'Ordre appuie de nombreux aspects du projet de loi. Cependant, vu le peu de temps dont nous disposons, nous nous concentrerons sur nos principaux sujets de préoccupation — ceux qui, selon nous, nuiront à l'autonomie du patient et à son accès à l'aide médicale à mourir. Ces sujets sont les critères d'admissibilité, les mesures de sauvegarde et l'objection de conscience.

Tout d'abord, les critères d'admissibilité. L'Ordre émet des réserves sur deux aspects de ces critères. Pour qu'ils aient accès à l'aide médicale à mourir, le projet de loi requiert des patients qu'ils soient âgés de 18 ans et qu'ils soient capables d'un jugement éclairé. Le fait d'associer la capacité à un âge précis va à l'encontre de l'approche qui sous-tend la législation applicable en matière de capacité et de consentement. Par exemple, en Ontario, le consentement à recevoir des soins médicaux n'est pas associé à l'âge. Les personnes sont considérées comme capables si elles sont en mesure de comprendre l'information médicale pertinente de même que les conséquences d'une décision de recevoir ou non un traitement.

L'approche adoptée par le projet de loi peut prêter à confusion en Ontario et dans d'autres provinces ou territoires. Elle peut également donner lieu à une incohérence encombrante et difficile à concilier. Un patient mineur de l'Ontario, qui serait jugé apte à refuser un traitement pouvant lui sauver la vie ou à demander l'interruption du maintien des fonctions vitales ne serait cependant pas admissible à l'aide médicale à mourir.

La définition d'un « problème de santé grave et irrémédiable » contenue dans le projet de loi étant incohérente avec l'arrêt Carter, elle sèmera la confusion au sein du corps médical et du public. L'exigence visant la nature incurable de la maladie laisse entendre que les patients doivent se soumettre à tous les traitements ou remèdes possibles avant de pouvoir demander l'aide médicale à mourir. Cette exigence force les patients à suivre des traitements qu'ils jugent inacceptables.

L'exigence voulant que les patients se trouvent dans un état de « déclin avancé et irréversible des capacités » signifie qu'il doit s'agir d'un état qui se détériore avec le temps. Cela exclut donc toute condition autrement grave et incurable, causant des souffrances constantes et intolérables, sans toutefois être évolutive. En outre, l'exigence voulant que la mort soit « raisonnablement prévisible » implique que les patients doivent être au seuil de la mort avant de pouvoir demander l'aide médicale à mourir. Cette exigence exclut donc le patient atteint d'une maladie grave et incurable accompagnée de souffrances constantes et intolérables, sans toutefois être en phase terminale.

La deuxième préoccupation de l'Ordre porte sur les mesures de sauvegarde, plus particulièrement sur la définition de la notion d'« indépendance » et sur la disposition visant la période de réflexion. La définition de la notion d'« indépendance », telle qu'applicable aux témoins et aux praticiens de la santé, posera d'importants obstacles à l'accès des patients. Les exigences visant l'indépendance des témoins empêcheraient la famille du patient, les soignants et les fournisseurs de soins de santé d'agir à titre de témoins. Certains patients qui seraient autrement admissibles à l'aide médicale à mourir, mais qui ont du mal à trouver deux témoins répondant à cette définition peuvent se voir contraints de faire appel à de purs étrangers pour agir en tant que témoins à une demande qui est on ne peut plus personnelle et intime, au risque de se voir refuser l'accès à l'aide médicale à mourir.

Les exigences voulant que les médecins et infirmiers praticiens n'entretiennent aucune relation d'affaires ou ne soient aucunement liés l'un à l'autre empêchent que des médecins travaillant dans un même groupement de bureaux de médecins ou dans un même établissement de soins de santé puissent offrir l'aide médicale à mourir. Puisque, dans certaines communautés, le groupe de médecins ou l'établissement de soins de santé englobe l'ensemble des médecins qui la servent, les patients qui souhaitent recevoir de l'aide médicale à mourir devraient quitter leur communauté.

L'Ordre appuie l'exigence d'une période de réflexion, mais croit que le libellé de cette disposition devrait être élargi pour permettre aux praticiens de l'abréger à 15 jours pour des motifs liés à la souffrance du patient.

Notre troisième sujet de préoccupations est l'objection de conscience. Pour en discuter, je cède la parole au Dr Gerace.

Dr Rocco Gerace, registraire, Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario : L'objection de conscience, à l'instar des autres points discutés, influe de façon importante sur l'accès du patient à l'aide médicale à mourir. Bien que le comité mixte et l'Ordre ont tous deux convenu que les médecins qui, par objection de conscience, s'opposent à l'aide médicale à mourir doivent au moins fournir au patient une recommandation efficace, cette affirmation a fait l'objet de critiques. À notre avis, cette directive est cohérente avec la décision de la Cour suprême selon laquelle il doit y avoir conciliation des droits du médecin et de ceux du patient. Le fait que certains groupes de médecins militent en faveur de l'accès direct nous apparaît comme une abdication à la responsabilité professionnelle et éthique qui est la nôtre et qui consiste à placer les intérêts du patient avant ceux du médecin.

Nous demandons instamment au gouvernement fédéral de travailler avec les provinces, les territoires et les législateurs médicaux à la formulation d'attentes claires à l'égard des médecins, de sorte que l'objection de conscience d'un médecin n'entrave pas l'accès au traitement.

Christine Penney, greffière adjointe et agente de chef de politique et pratique, College of Registered Nurses of British Columbia : Honorables président et membres du comité, je vous remercie d'avoir invité le CRNBC à comparaître devant vous pour parler de cette question sociale de la plus haute importance.

Le College of Registered Nurses in British Columbia réglemente 40 000 infirmiers autorisés et infirmiers praticiens dans l'intérêt du public. En vertu de la Health Professions Act, le CRNBC établit et applique des normes visant à s'assurer que les infirmiers fournissent aux patients et à leurs familles des soins sécuritaires, compétents et éthiques.

En réponse à l'arrêt Carter et au rapport du comité mixte, le CRNBC a travaillé étroitement avec ses homologues et autres intervenants des provinces, notamment le ministère de la Santé de Colombie-Britannique, les autorités sanitaires, l'Ordre des médecins et chirurgiens et l'Ordre des pharmaciens de la Colombie-Britannique, afin de s'assurer que tous assument leurs rôles respectifs dans l'établissement de normes, de protocoles et d'approches sécuritaires concernant la prestation et la facilitation de l'aide médicale à mourir.

Outre l'examen et l'élaboration de normes, de limites et de conditions applicables aux infirmiers et infirmiers praticiens de la Colombie-Britannique, le CRNBC a examiné quelles méthodes d'assurance de la qualité doivent être mises en place pour favoriser l'engagement du personnel infirmier.

Nos recommandations portent principalement sur deux domaines clés : le premier, la mise en place de soutiens réglementaires pour la collaboration interprofessionnelle, et le second, la mise en place de mécanismes d'assurance de la qualité.

Au sujet du soutien réglementaire à la collaboration interprofessionnelle, nous avons formulé cinq recommandations. J'y viendrai dans un moment. Nous avons fait un renvoi à la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada, qui a déposé un mémoire auquel nous avons joint une lettre à l'appui de certains éléments contenus dans ce mémoire.

Notre première recommandation est que le projet de loi couvre la collaboration et la prise de décisions partagée entre patients, praticiens de la santé et membres de la famille. Des recherches menées dans les pays du Benelux montrent que le patient, sa famille et les fournisseurs de soins de santé obtiennent de meilleurs résultats lorsqu'une attention législative est donnée à la nature interprofessionnelle du travail et à l'importance de la collaboration tout au long du processus, notamment par la tenue de discussions sur l'admissibilité, de discussions multiples visant à assurer la bonne compréhension du demandeur d'aide médicale à mourir ainsi que par la tenue d'une séance de compte rendu officielle après l'événement.

Notre deuxième recommandation est que le projet de loi clarifie les rôles des infirmiers praticiens en ce qui concerne la détermination des exigences d'admissibilité du patient. Si le diagnostic de problèmes de santé graves et irrémédiables et le pronostic de mort prévisible sont confirmés par la consultation médicale et les rapports diagnostiques, il est alors approprié qu'un infirmier praticien puisse synthétiser l'information — la preuve — en vue d'établir l'évaluation de l'admissibilité de concert avec un autre infirmier praticien ou un médecin. Toutefois, en Colombie-Britannique, il n'entre pas dans le champ de compétence d'un infirmier praticien de déterminer de façon indépendante la nature grave et irrémédiable d'une maladie ou d'un problème de santé ni d'établir un pronostic.

Notre troisième recommandation est que le projet de loi précise clairement que seul un médecin ou un infirmier praticien puisse administrer personnellement les substances. Le CRNBC considère que le rôle d'un infirmier autorisé doit se limiter à la prestation d'assistance à l'aide médicale à mourir et exclure l'administration de substances.

Quatrièmement, nous recommandons que le préambule du projet de loi C-14 fasse ressortir la différence notable entre l'aide médicale à mourir et les soins palliatifs. Le résultat escompté des soins palliatifs est d'améliorer la qualité de vie des gens atteints de maladies graves. À la réception d'une demande d'aide à mourir, il importe de déterminer si la demande découle d'une non-satisfaction de besoins physiques, émotifs ou spirituels que des soins palliatifs supplémentaires pourraient combler, comme la gestion de la douleur ou des symptômes, l'anxiété, la perte de la capacité à effectuer des activités de la vie quotidienne et ainsi de suite. L'aide médicale à mourir n'est pas une solution de rechange appropriée pour une personne qui, en fait, recherche des soins palliatifs.

Notre dernière recommandation sur le sujet est que le gouvernement évite de formuler les points liés à l'objection de conscience et qu'il laisse ce soin aux ordres professionnels, dont c'est clairement la compétence.

Le président : Je vous remercie.

Nous allons passer aux questions, en commençant par la vice-présidente, la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous pour vos exposés. Ils nous serviront dans notre travail.

Docteur Kirsh, vous nous avez expliqué le cas délicat que représentent les mineurs matures. Si je comprends bien, vous traitez déjà les mineurs matures en tant qu'adultes, et vos patients doivent choisir le traitement qu'ils souhaitent recevoir et la façon dont ils veulent composer avec ce traitement. Vous nous dites maintenant que les mineurs matures et les adultes ne seront plus traités de la même façon. Ai-je bien compris?

Dr Kirsh : Je représente aujourd'hui l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario, mais je tiens aussi à m'exprimer en tant que pédiatre, sénatrice.

Je me suis aussi longuement entretenu avec mes collègues des soins palliatifs et de la pédiatrie. Je crois que vous entendrez ce jeudi les témoignages de représentants de la Société canadienne de pédiatrie, alors je ne peux me prononcer en leur nom. À l'heure actuelle, quand nous examinons le consentement d'une jeune personne à des actes médicaux ou à des soins de santé — et par « jeune personne », on entend une personne de moins de 18 ans — nous prenons en compte sa capacité au regard de l'acte médical. Faire des points de suture à un enfant et l'opérer à cœur ouvert, par exemple, sont deux choses très différentes, et la capacité varie avec l'âge. Il existe donc un continuum de capacité et cette dernière varie en fonction de l'intensité, de la complexité de l'acte médical et de l'âge du patient. Cela dit, d'autres facteurs peuvent influer sur la capacité d'un patient, comme son stade de développement, qui peut être différent chez des enfants du même âge.

Je travaille dans un hôpital qui offre des soins de courte durée, où les cas et les besoins sont complexes. Je vais tenter de répondre du mieux possible à votre question. Notre organisme est conscient des défis que posera le libellé du projet de loi dans le cas des patients qui ne sont âgés que de 13, 14 ou 15 ans, mais qui sont mûrs pour leur âge. En ce qui a trait aux soins médicaux, ces jeunes personnes ont plus d'expérience que la majorité des adultes. Elles ont donc la capacité d'examiner certaines des décisions difficiles qu'elles sont appelées à prendre en vertu du projet de loi C-14.

La sénatrice Jaffer : J'ai une question pour ceux qui réglementent la profession, Mme Penney et le Dr Grant. Ma question porte sur ce que l'on entend par « raisonnablement prévisible ». La ministre a dit qu'elle tenait à ce que la définition de cette notion demeure souple afin qu'elle puisse être interprétée librement par les médecins praticiens.

À mon avis, cela pose problème. Comment pouvez-vous réglementer cela et comment serez-vous en mesure de conseiller vos collègues sur ce que l'on veut dire par mort « raisonnablement prévisible »?

Dr Grant : Je ne sais pas. C'était l'essence et l'un des points clés de ma proposition.

La sénatrice Jaffer : Oui.

Dr Grant : Je crains que, compte tenu du libellé actuel, la notion de mort « raisonnablement prévisible » soit interprétée différemment, tant d'une province à l'autre — bien que la FMRAC s'efforcera, espérons-le, de dégager un consensus, et je suis persuadé qu'elle y parviendra — que d'une autorité sanitaire à l'autre et d'un médecin à l'autre. Cette expression ne fait tout simplement pas partie du jargon médical.

Mme Penney : Je pense, également, que les infirmières praticiennes se fieront aux données probantes spécialisées et à l'état de leurs patients. Encore une fois, par nos recommandations sur l'assurance de la qualité, nous espérons réellement qu'il y aura harmonisation à l'échelle provinciale et que la loi l'exigera. Il ne serait pas très utile que chaque autorité y aille de sa propre interprétation, mais c'est ce qui va se passer si l'accès aux soins n'est pas uniformisé.

Le sénateur White : Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui.

Docteur Kirsh, je veux juste m'assurer d'avoir bien compris. Ce que vous suggérez par rapport à l'âge, c'est qu'il incomberait au professionnel de la santé de déterminer si le patient est suffisamment âgé pour comprendre l'objet de sa demande. J'ai été policier. Je n'étais pas autorisé à interroger quelqu'un de moins de 18 ans sans qu'un parent soit présent. J'essaie de savoir comment ça fonctionnerait.

Dr Kirsh : J'aimerais revenir sur mes remarques liminaires en tant que président de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario. Nous estimons que cette question posera problème. Je ne crois pas avoir compétence pour suggérer un libellé ou des amendements. Cela échappe à mes compétences.

J'ai choisi ces analogies pour vous faire comprendre ce qui nous a amenés à considérer cette question comme un problème, puisque le libellé actuel du projet de loi entraînera des disparités dans la prise de décisions relatives à la vie ou à la mort de mineurs.

Le sénateur White : Donc, vous ne suggériez pas qu'on inclue les moins de 18 ans, mais vous disiez que cela pourrait poser problème.

Dr Kirsh : Je crois que ça pose problème dans le libellé actuel. Il a été question d'études et d'approches diverses, y compris d'autres notions qui ne sont pas réellement définies dans le projet de loi, comme la prise de décision au nom d'autrui ou les directives préalables. Ce sont toutes des questions qui pourraient poser problème et qui mériteront d'être examinées plus en profondeur.

Le sénateur White : Et vous prenez conscience du fait que c'est ce que nous faisons aujourd'hui en raison d'une décision de la Cour suprême qui n'avait rien à voir avec les mineurs. Cette décision n'avait rien à voir avec les personnes de moins de 18 ans. La Cour suprême ne nous a pas non plus priés d'étudier la question des mineurs en rendant cette décision.

L'Ordre suggère-t-il aussi que ni les médecins praticiens, ni les infirmières praticiennes ne devraient avoir à aiguiller les patients vers un autre professionnel? Est-il exact qu'il leur incombe d'orienter leurs patients vers un autre professionnel?

Dr Kirsh : J'invite mon collègue, le Dr Gerace, à répondre à cette question.

Dr Gerace : Conformément au rapport du comité mixte spécial, l'Ordre a déclaré que les médecins sont tenus d'aiguiller leurs patients vers un autre corps de praticiens ou un autre médecin praticien. Ils n'ont pas le choix. Nous craignons que, si les médecins omettent de le faire, les patients auront de la difficulté à accéder aux traitements sanctionnés par la loi.

Le sénateur White : Donc, les médecins praticiens et les infirmières praticiennes auront l'obligation de diriger leurs patients vers un autre professionnel.

Dr Gerace : Je ne peux parler qu'au nom des médecins praticiens de l'Ontario.

Le sénateur White : Donc, nous les traiterions différemment. Pensez-vous que vos membres seraient d'accord?

Dr Gerace : Nous avons certainement l'appui notre conseil d'administration, dont les membres se sont prononcés à l'unanimité, à l'exception d'une abstention, en faveur de cette exigence dans le cas de la mort assistée. Nous pensons que la majorité des gens dans la profession seront du même avis, mais certaines personnes ne le sont pas.

Le sénateur White : Madame Penney, quelle est votre opinion sur l'obligation des infirmières praticiennes d'aiguiller leurs patients vers un autre professionnel?

Mme Penney : En Colombie-Britannique, l'emploi du verbe « to refer » pose problème, parce qu'il signifie autre chose, alors nous parlons plutôt de transfert de soins; il faut s'assurer que le transfert de soins est complet.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leurs excellents exposés.

Docteur Kirsh, vous pouvez peut-être répondre à cette question qui vient à l'esprit de toutes les personnes qui étudient ce projet de loi. Quelle était l'intention de la Cour suprême du Canada pour ce qui est de l'application de la loi dans le cas des patients qui sont en phase terminale et dans le cas de ceux qui ne le sont pas?

La Cour suprême du Canada a rendu son jugement. Ensuite, elle a prolongé sa déclaration d'invalidité de quatre mois. Les patients ont donc eu la permission de demander à un juge d'une cour supérieure de déterminer s'ils étaient ou non admissibles à l'aide médicale à mourir.

Pendant cette période de quatre mois, la loi se résumait au paragraphe 127 de l'arrêt Carter. Cependant, les lignes directrices émises par votre ordre à l'égard des médecins ont été présentées comme guide pour le traitement des cas soumis à la Cour suprême du Canada. Il y en a eu huit au pays, dont quatre ont été présentés dans vos lignes directrices intérimaires. J'essaie d'en obtenir une copie. Dans tous les cas, il s'agissait de patients en phase terminale. Vos lignes directrices sont évoquées dans trois de ces cas. Vos lignes directrices permettaient-elles l'aide médicale à mourir dans le cas des patients qui n'étaient pas en phase terminale?

Dr Kirsh : Merci de votre question, sénateur. Je suis un peu soulagé. Quand vous avez pris la parole, j'ai d'abord pensé que vous vouliez savoir si je pouvais vous expliquer l'intention de la Cour suprême. La seconde partie de votre question me rassure.

Nos lignes directrices le permettent, car nous suivons de près la décision de la Cour suprême, et notre interprétation de cette décision...

Le sénateur Baker : Le paragraphe 127 uniquement?

Dr Kirsh : Je ne me souviens pas de la ligne exacte, sénateur. Vous m'en excuserez. Quand nous avons rédigé les lignes directrices intérimaires à l'intention des membres de la profession en Ontario, notre intention était de suivre étroitement la décision de la Cour suprême au regard des problèmes de santé « graves et irrémédiables » et de réviser ces lignes directrices au fur et à mesure que les textes de loi et la jurisprudence seraient mis à notre disposition. Nous avons du personnel qui examine chaque décision et qui suit les développements autour de la question. En fait, vendredi matin, nous rencontrerons de nouveau notre groupe de travail pour apporter d'autres révisions à nos lignes directrices à la lumière des éclaircissements que nous aurons obtenus d'ici là.

Le sénateur Baker : Les lignes directrices autorisaient donc aussi l'aide médical à mourir pour les patients qui n'étaient pas en phase terminale?

Dr Kirsh : Nous avons suivi le libellé du jugement rendu par la Cour suprême, monsieur le sénateur, en ce qui a trait aux problèmes de santé « graves et irrémédiables ».

Le sénateur Baker : Et à la douleur « intolérable ». Il y avait trois conditions : le consentement éclairé, des problèmes de santé graves et irrémédiables et une douleur intolérable.

Dr Kirsh : Je crois que le texte disait « souffrances intolérables ».

Le sénateur Baker : Oui, il s'agit des trois conditions.

Dr Kirsh : Nous avons imposé les exigences énoncées dans l'arrêt Carter dans nos lignes directrices intérimaires.

Le sénateur Baker : Voilà qui est intéressant.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous de vos exposés.

Docteur Kirsh, à la lecture du mémoire que nous a présenté votre ordre, un document a capté mon attention. Il s'intitule « Interim Guidance on Physician-Assisted Death ». Je l'ai trouvé très intéressant et je vais vous dire pourquoi. Ce document a été utilisé par des médecins et des juges de la Cour supérieure de l'Ontario et de cours supérieures d'autres provinces pour traiter des demandes d'autorisation judiciaire d'accès à l'aide médicale à mourir pendant l'intérim, qui allait de février à juin 2016.

Afin d'empêcher les abus potentiels du droit d'infliger la mort, surtout dans le cas des personnes vulnérables, et aussi pour des raisons pratiques, croyez-vous que chaque demande d'aide médicale à mourir devrait être soumise à l'examen et à l'approbation d'un juge d'une cour supérieure avant que cette aide soit prodiguée? En d'autres mots, ce document devrait-il, à votre avis, demeurer en vigueur?

Dr Kirsh : Merci, sénateur. Je pense que vous me demandez de vous donner mon opinion sur ce que la loi ou le Code criminel dira sur la question après le 6 juin, et j'estime que c'est en dehors de mon champ de compétence.

Nous n'avons pas pris de position au regard du contrôle judiciaire ou d'une exigence de contrôle judiciaire. Cela pourrait être perçu comme un frein à l'accès dans certaines régions de notre province ou du Canada. Comme j'ai tenté de le préciser dans mes remarques tout à l'heure, nous nous préoccupons d'abord et avant tout de l'accès offert aux patients et de l'autonomie de patients.

Le sénateur McIntyre : D'autres témoins aimeraient-ils faire des observations?

Dr Trevor Theman, président sortant, Fédération des ordres des médecins du Canada : Je suis le secrétaire général du College of Physicians and Surgeons of Alberta. Le Dr Grant est le secrétaire général de l'organisme homologue en Nouvelle-Écosse. J'ai aussi eu l'occasion de représenter l'Alberta au groupe consultatif provincial-territorial d'experts chargé d'examiner ce qu'on appelait alors physician-assisted dying, ou aide médicale à mourir en français, et de fournir des conseils au ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario et à la procureure générale de l'Ontario, de même qu'à leurs homologues du reste du pays par leur entremise.

Je crois que la réponse, de mon point de vue et du point de vue de notre ordre, est que cela constituerait un obstacle additionnel. La question relève à la fois du droit et de la médecine, et la Cour suprême, selon moi, a dit qu'il s'agissait d'un acte médical. Cela deviendra un acte médical légal, tout comme l'interruption de grossesse l'est devenue il y a 30 ans. Nous médicalisons donc cet acte. Le fait de renvoyer une décision d'ordre médical à une cour supérieure constituerait à mon avis une entrave à l'accès dans le pays.

Dr Gerace : Je suis d'accord avec le Dr Theman. Je crois qu'il est inapproprié de mêler les cours de justice aux soins médicaux. Cela ne concerne que les patients et leurs fournisseurs de soins.

Le sénateur McIntyre : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas du même avis. Merci.

Le sénateur Joyal : Docteur Grant, votre organisme a-t-il été consulté par le ministère pendant la rédaction du projet de loi, alors qu'il évaluait divers problèmes médicaux et leurs répercussions en vue de les inclure dans le projet pour s'assurer que les membres de la profession pourraient s'en servir?

Dr Grant : À ce que je sache, la FMRAC n'a pas été consultée, et je peux dire que le College of Physicians and Surgeons of Nova Scotia ne l'a pas été non plus.

Le sénateur Joyal : Puis-je poser la même question au Dr Kirsh?

Dr Gerace : Nous n'avons pas été consultés.

Le sénateur Joyal : Je vais essayer de m'exprimer de la façon la plus neutre possible. Le gouvernement a dû jongler avec des notions qui sont effectivement lourdes de sens sur le plan médical ou qui ont des répercussions médicales et qui sont interprétées dans les différentes provinces par les 10 ordres de médecins existant au Canada, mais vous n'avez pas été consultés au sujet de la portée d'une définition qui, à première vue, a soulevé des inquiétudes. Savez-vous si d'autres au sein de la profession ont été consultés?

Dr Grant : Quand vous parlez de la profession, faites-vous allusion aux organismes de réglementation?

Le sénateur Joyal : Oui.

Dr Grant : Je crois pouvoir dire sans me tromper qu'aucun ordre de médecins provincial ou territorial n'a été consulté, sénateur.

Le sénateur Joyal : J'aimerais que nous revenions sur votre remarque au sujet de la façon dont nous définissons une mort naturelle qui devient raisonnablement prévisible. Dans le l'alinéa d) du projet de loi, si vous l'avez devant vous, on peut lire ceci :

d) sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l'ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie.

Comment interprétez-vous la seconde partie de la phrase? Va-t-elle dans le même sens que la première ou apporte-t- elle en fait des éclaircissements au médecin qui serait appelé à revoir sa décision?

Dr Grant : Je crois que vous savez déjà quelle sera ma réponse.

Le sénateur Joyal : Je ne suis pas médecin.

Dr Grant : Fait intéressant, quand l'arrêt Carter a été prononcé, nous avons eu l'impression que ce dernier ne prenait aucunement en compte la proximité du décès. La réglementation du Québec, comme vous le savez, parle de la fin de vie. Mon interprétation de la notion de mort « raisonnablement prévisible », avec cette modification, est que la mort n'est pas nécessairement imminente, mais proche, en quelque sorte, et qu'elle peut être envisagée.

Je crois que c'est très difficile pour un médecin. Si nous adoptons le point de vue du patient qui souffre et de sa famille, il devient extrêmement difficile d'interpréter cette notion. Je crois que chaque médecin a son propre point de vue sur la question. Tous les médecins sont encouragés à aborder la question de la fin de vie dès le début avec leur patient — c'est-à-dire, dès le début du processus — afin de pouvoir mieux l'apprivoiser. Les médecins amorcent ce dialogue à différents points du continuum.

Ce qui nous inquiète, sénateur, c'est que les médecins ne seront pas à l'aise avec ce vocabulaire que ni les patients, ni les médecins, ni les avocats ne comprennent réellement, et je ne sais pas vraiment comment réglementer en la matière ou comment mettre cela en application.

Le sénateur Joyal : Docteur Kirsh, dans votre exercice de la médecine auprès des mineurs, comment appliqueriez- vous ces critères dans une telle situation?

Dr Kirsh : Je vous demande pardon, sénateur. Faites-vous allusion à ce que l'on entend par une mort « raisonnablement prévisible »?

Le sénateur Joyal : Oui, et sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à l'espérance de vie exacte du patient.

Dr Kirsh : Si vous faites précisément allusion à mon exercice de la cardiologie pédiatrique, sachez que suis toujours confronté à des problèmes de santé potentiellement mortels. Il est impossible de prédire pour un patient donné une espérance de vie précise ou un délai précis entre le moment où il consulte et le moment probable de son décès, s'il souffre d'une condition mortelle. En fait, nous évitons de le faire, puisque d'une manière ou d'une autre, toute prédiction faite en de telles circonstances est inexacte.

Ce n'est pas un vocabulaire qui m'aiderait dans l'exercice de la pédiatrie.

Le sénateur Plett : Mes questions s'adressent aux deux témoins de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario. J'énoncerai d'abord mes questions, après quoi vous pourrez y répondre.

Comme vous l'avez évoqué plus tôt, vous vous opposez — et cela m'inquiète — au fait que le projet de loi suggère que la mort ne doit être envisagée qu'en dernier recours.

J'ose espérer que c'est une solution de dernier recours. Il s'agit bien ici, littéralement, d'une question de vie ou de mort. Vous vous êtes essentiellement opposés à toutes les garanties que le gouvernement a mises en place. D'un point de vue médical, comment expliquez-vous votre objection au fait que l'aide médicale à mourir doit demeurer une solution de dernier recours, et quel type de médecin refuserait d'envisager toutes les solutions de rechange et tous les traitements possibles et d'inciter leur patient à faire de même avant d'accepter de mettre fin à la vie de ce dernier?

Ma question au sujet de l'objection de conscience est la suivante : En quoi est-ce que le fait de refuser toute participation à ce processus ou de ne pas aiguiller un patient vers un autre professionnel contrevient-il à l'éthique? À quel code d'éthique l'objectif de préserver la vie contrevient-il et comment pouvez-vous laisser entendre que l'éthique des défenseurs de l'euthanasie est plus valable que celle de ceux qui s'y opposent?

Dr Gerace : Premièrement, en ce qui a trait à l'objection de conscience, les médecins doivent se préoccuper d'abord et avant tout de leurs patients et faire fi de leurs propres convictions. Donc, tout patient qui demande des informations sur une procédure légale a le droit de les obtenir. Je suis d'avis, et c'est également l'avis de l'Ordre, qu'un médecin qui refuserait de fournir ces informations à son patient ou de prendre les dispositions nécessaires pour que ce dernier ait accès à cette information manquerait à son devoir professionnel.

Je pense simplement qu'il est inadmissible de reléguer au second rang les besoins du patient. Nous avons connu cela auparavant. Certains d'entre nous exerçaient déjà la médecine lorsque l'interruption de grossesse a été légalisée, et c'était la règle à suivre. Si vous ne vouliez pas pratiquer d'avortements, vous preniez les dispositions voulues afin que votre patient consulte un autre médecin qui pourrait lui parler de la procédure. C'est le patient qui compte, et non le praticien.

Le sénateur Plett : Dans l'arrêt Carter, la Cour suprême du Canada reconnaît explicitement, au paragraphe 132, la nécessité de trouver un équilibre entre les droits des patients et ceux des médecins.

Dr Gerace : C'est exact. Nous croyons que l'exigence d'une réorientation vers un autre professionnel permet de concilier ces droits. Le médecin qui aiguille son patient vers un autre praticien ne participe pas à la mise à mort du patient.

C'est aussi mon cas en tant qu'urgentiste. Si j'estime que mon patient a besoin d'une intervention chirurgicale ou s'il souhaite en subir une, je l'aiguille vers un chirurgien. Ce n'est pas à moi de décider s'il subira ou non une intervention. C'est au chirurgien que revient cette décision.

Le sénateur Plett : C'est de la vie de quelqu'un dont il est question ici. Je ne crois pas que ce soit la même chose.

Docteur Kirsh, pourriez-vous répondre à mon autre question?

Dr Kirsh : Je m'en remets à la réponse fournie par le Dr Gerace à la question sur l'objection de conscience.

Pourriez-vous, monsieur le sénateur, me rappeler l'objet de votre autre question?

Le sénateur Plett : Elle portait sur le dernier recours. À quelle étape du processus l'aide médicale à mourir devrait être la solution de premier recours? Dans quelles circonstances une personne devrait-elle demander qu'on l'aide à mourir?

Dr Kirsh : Vous voudrez bien m'excuser si mes remarques ou si notre proposition vous ont donné l'impression que nous nous opposons au vocabulaire choisi, en particulier à l'expression « dernier recours ». Je crois que nous avons évité d'en parler.

Le sénateur Plett : Non, votre proposition le dit très clairement, vous suggérez bien que l'aide médicale à mourir doit être une option de dernier recours. C'est l'une des préoccupations que vous avez soulevées.

Dr Kirsh : L'autre aspect et j'ai abordé a trait à l'emploi de l'adjectif « incurable » dans le projet de loi. En tant qu'organisme de réglementation, nous ne pensons pas que, selon nos lignes directrices, un patient doive envisager tous les remèdes possibles si certains de ces remèdes ou traitements ne sont pas acceptables à ses yeux. Je crois que c'est ce qu'a dit la Cour suprême.

Pour ce qui est du « dernier recours », il arrive parfois que ce que vous faites pour prolonger la vie d'un patient ne réponde pas à ses besoins au vu de la souffrance et des problèmes de santé graves et irrémédiables qui l'affligent. Mes collègues des soins palliatifs, malheureusement, sont régulièrement confrontés à ce genre de situation. Parfois, ils ne parviennent pas à contrôler la douleur d'un patient. Il arrive aussi qu'ils ne parviennent pas à limiter l'anxiété de la famille du patient. De plus, ils sont souvent appelés à répondre aux questions des familles sur l'aide médicale à mourir offerte aux enfants lorsqu'ils ont clairement atteint les limites des soins palliatifs. Si c'est cela que vous entendez par « dernier recours », alors oui, c'est ce à quoi nous sommes confrontés.

Le sénateur Plett : Je suis désolé. Je n'ai pas dit que c'est ce que je voulais dire par...

Le président : Sénateur Cowan.

Le sénateur Cowan : Bienvenue. Je regrette d'avoir raté la première partie de votre exposé. J'ai une précision à apporter et une question à poser. Mon collègue, le sénateur Baker, a parlé des cas qui ont été traités conformément aux lignes directrices intérimaires et a suggéré, je crois, que tous ces cas concernaient des patients en phase terminale. Je crois comprendre qu'un cas récent au Manitoba concernait une femme atteinte du SLA et que le médecin traitant a dit qu'il lui restait de trois à cinq ans à vivre. Est-ce exact?

Dr Kirsh : Je ne sais pas.

Le sénateur Cowan : Il a été largement question de l'échéance du 6 juin. Supposons que le projet de loi ne soit pas accepté d'ici le 6 juin. Nous devrons alors nous conformer à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Carter et à l'orientation qu'elle fournit, puis aux lignes directrices élaborées par vos différents organismes de réglementation à l'intention des médecins. Pourriez-vous nous donner quelques indications sur ce à quoi tout cela ressemblerait à votre avis?

Dr Grant : Il n'y aura pas de vide juridique. Ce ne sera pas le Far West. L'arrêt Carter fournit suffisamment d'orientation, et ce sont les organismes autorisés à réglementer l'exercice de la médecine qui la réglementeront.

Ce n'est pas non plus un territoire inconnu. La raison pour laquelle cette question a été soumise à la Cour suprême du Canada — il s'agit essentiellement de la même question que dans l'arrêt Rodriguez rendu 25 ou 26 ans auparavant —, c'est que le monde a changé. La question de l'aide médicale à mourir touche des pays du monde entier. La caractéristique essentielle de l'aide médicale à mourir est qu'il s'agit d'un acte médical.

Les soins en équipe constituent l'un des domaines pour lesquels l'absence de loi est la plus préoccupante aujourd'hui. La question inaugurale au sujet de l'exemption ou de la protection offerte aux personnes qui aident les médecins à fournir cette aide me préoccupe. J'ai bon espoir qu'en l'absence de loi, si les organismes de réglementation ont besoin de plus de temps pour réfléchir à la question, ils seront en mesure de le faire.

Dr Gerace : Lorsque l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario a créé ses lignes directrices, il l'a fait en pensant qu'il n'y aurait pas de loi. Nous étions confrontés à la date butoir du 6 février. Rien ne laissait présager qu'il y aurait un prolongement, alors nous avons créé des lignes directrices dans cette perspective.

Il serait dommage que quelque chose comme les soins dispensés en équipe auxquels Mme Penney a fait allusion ne soit plus possible. Ça serait une mauvaise chose. Il n'y aurait pas de registre national des décès nous permettant d'en mesurer l'efficacité.

Que la vie se poursuive ou pas, s'il n'y a pas de loi en vigueur le 6 juin, il y aura des disparités dans le système.

Le sénateur Cowan : Je ne conteste pas le projet de loi. Je me demande simplement si le ciel nous tomberait sur la tête en l'absence de loi. Vous avez répondu à ma question.

Dr Theman : Selon moi, l'élément crucial, si vous voulez, consiste à créer des protections pour les autres fournisseurs de soins de santé.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s'adresse à madame Penney. Merci beaucoup à vous tous de votre présence. Vos témoignages nous confirment que ce projet de loi aurait mérité une consultation publique, professionnelle et juridique beaucoup plus solide que celle que nous avons faite. Je ne mets pas la faute sur le président du comité, mais je trouve regrettable que notre étude soit expéditive. Madame Penney, vous avez affirmé plut tôt que le travail des infirmières dans ce domaine devrait se limiter à l'accompagnement du patient et devrait exclure l'administration du médicament. Ai-je bien compris?

[Traduction]

Mme Penney : Oui. Nous suggérons des infirmières autorisées, par opposition aux infirmières praticiennes, dont le champ d'activité leur permettrait d'administrer la substance en question. Les infirmières autorisées n'ont pas compétence en cette matière, à notre avis.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dans les collectivités éloignées du Nord, souvent, les soins médicaux sont administrés par des infirmières, avec l'aide du médecin traitant qui communique par Internet ou par circuit télévisé, car il est rare qu'un médecin puisse être présent en permanence. Ainsi, ce sont souvent les infirmières qui administrent l'ensemble des services médicaux, à l'exception des chirurgies. Comment peut-on rendre votre position compatible avec l'administration du médicament et l'accompagnement du patient dans ce type de collectivités?

[Traduction]

Mme Penney : Je pense que ce serait possible, si les médecins ou les infirmières praticiennes étaient disponibles tout au long du processus.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Cependant, la plupart du temps, les professionnels ou les médecins ne sont pas disponibles, et ce sont les infirmières qui donnent l'ensemble des soins et des services sur des périodes assez longues. Va-t-on laisser le patient souffrir en attendant que le médecin vienne sur place lui administrer les médicaments? J'essaie de voir comment ces gens, dans les régions éloignées du Nord, peuvent recevoir des traitements équivalents à ceux qui sont administrés aux gens du Sud. Le sort de ces collectivités me préoccupe.

[Traduction]

Mme Penney : Oui, je comprends votre inquiétude. Je présume que vous vous inquiétez du fait que les infirmières pourraient ne pas être habilitées à gérer les répercussions inattendues — si une personne meurt, se réveille ou subit des crises d'épilepsie. Le champ d'activité d'une infirmière est limité si cette dernière ne reçoit pas l'orientation d'un médecin ou d'une infirmière praticienne.

Les gens du Nord devraient réellement recevoir les mêmes soins que le reste des Canadiens et des Canadiennes. Cela dit, évidemment, la géographie constitue parfois un obstacle. Les infirmières praticiennes sont de plus en plus nombreuses au sein des collectivités.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai deux courtes questions qui s'adressent au Dr Grant. Tout d'abord, comment avez-vous accueilli l'élargissement non nécessaire de certains pouvoirs aux infirmières et aux pharmaciens? De plus, dans quelle mesure ces infirmières et pharmaciens ont-ils la capacité de juger de ce que nous devons appeler, selon le projet de loi, l'état irrémédiable ou de la mort raisonnablement prévisible d'une personne?

[Traduction]

Dr Grant : Merci de votre question. Je ne crois pas que je puisse me prononcer au sujet du champ d'activité des infirmières ou des pharmaciens. En Nouvelle-Écosse, quand des médecins collaborent avec des infirmières praticiennes, ces dernières travaillent de manière autonome, mais pas entièrement indépendante. Ils collaborent donc continuellement.

Votre question portait davantage sur le vocabulaire employé et sur la désignation du personnel le mieux formé et le mieux à même de déterminer si des problèmes de santé donnés sont graves et irrémédiables. Il faut revenir au patient. Le défi à relever, quand on exerce la médecine, consiste à apporter un bagage de connaissances tout en examinant la situation du point de vue du patient. Les modifications importantes au libellé de l'arrêt Carter montrent que ces questions sont examinées sous l'angle du patient. Il est question des souffrances intolérables qu'endure le patient, de problèmes de santé irrémédiables compte tenu des traitements jugés acceptables par le patient. C'est cela, le rôle du médecin : comprendre la maladie telle qu'elle est vécue par le patient, comprendre sa condition.

Vous connaissez mes préoccupations au sujet de la notion de mort « raisonnablement prévisible ». Cette expression ne veut pas dire grand-chose pour les médecins. Quant à savoir qui est le mieux à même de prendre une décision à cet égard, je crois que les médecins peuvent le faire.

La sénatrice Lankin : Docteur Kirsh, vous avez parlé des mineurs matures, et vous avez fait allusion à la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, en Ontario, et à certaines de ses dispositions. L'envers de la médaille, c'est l'évaluation de la capacité, les directives préalables et la prise de décision pour autrui. C'est un régime très complexe qui requiert de la collaboration, mais qui fonctionne, à mon avis.

Ma prochaine question s'adresse aux représentants de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario : quand les ministres sont venus nous voir, nous leur avons posé une question au sujet des directives préalables et des raisons de l'exclusion, tandis que d'autres questions ont porté sur les mineurs matures. Ils nous ont répondu que, même si les provinces possèdent toutes leur propre régime, certaines d'entre elles estiment que leur régime ne fonctionne pas bien pour ce qui est des directives préalables et du consentement au traitement. J'ignorais que c'était le cas. Je n'avais rien lu sur le sujet et je n'avais jamais entendu de débat sur la question. En vous fondant sur l'expérience que vous avez acquise à l'échelle du pays, confirmez-vous ce que l'une des ministres a dit, ou avez-vous une opinion différente?

Dr Gerace : Personnellement, madame la sénatrice, je crois que cela fonctionne bien en Ontario, alors je vais laisser mes collègues de la Nouvelle-Écosse et de l'Alberta répondre à cette question.

Dr Theman : La question porte sur ce qui ne fonctionne pas exactement.

Pour ce qui est de savoir si nos fournisseurs tiennent toujours compte des directives personnelles du patient et agissent conformément à ces directives, il arrive rarement que ce ne soit pas le cas et que cela pose problème. À d'autres égards, je ne suis pas certains de ce à quoi les ministres faisaient allusion.

Dr Grant : C'est la même chose dans mon cas. Je ne crois pas que nous observions des défaillances dans le système, mais il arrive que des actions ne soient pas réalisées conformément aux souhaits des patients. Il arrive qu'un médecin ne parvienne pas à régler tous les détails d'un plan, et cela occasionne de la confusion. Cela dit, je ne crois pas que cela soit attribuable à une défaillance de notre régime; c'est dû à l'application des responsabilités.

Le président : Merci à tous nos témoins d'avoir pris le temps, en dépit de leurs horaires qui, nous le savons, sont très chargés, d'aider le comité dans ses délibérations. Nous vous sommes très reconnaissants.

Notre troisième groupe de témoins se compose ainsi : pour le compte de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire, Michael Bach, vice-président de la direction; du Conseil des Canadiens avec déficiences, Rhonda Wiebe, coprésidente, Comité de l'éthique en fin de vie, qui se joint à nous par vidéoconférence; du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada, Carmela Hutchison, présidente; et de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, la Dre Susan MacDonald, présidente, et Monica Branigan, membre du conseil et présidente du Groupe de travail sur l'aide médicale à mourir. Je vous remercie tous d'être des nôtres aujourd'hui.

Nous commencerons par Mme Wiebe, qui se joint à nous par vidéoconférence. Pourriez-vous commencer par vos remarques préliminaires?

Rhonda Wiebe, coprésidente, Comité de l'éthique en fin de vie, Conseil des Canadiens avec déficiences : Merci de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui.

Le Conseil des Canadiens avec déficiences est le plus grand organisme au Canada qui soit constitué de personnes aux prises avec un handicap et qui s'exprime en leur nom. Contrairement à d'autres groupes, le CCD existe depuis 40 ans et s'efforce d'atteindre l'égalité dans un certain nombre de domaines, qu'il s'agisse des transports, des soins de santé, de l'éducation, des pensions de retraite ou du revenu. Nous avons une vue d'ensemble sur ce que cela signifie de vivre avec un handicap et nous travaillons en vue de nous assurer que les personnes aux prises avec un handicap jouissent des mêmes droits que les autres citoyens.

Nous reconnaissons la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Carter, et nous apprécions le fait que vous cherchiez à obtenir l'opinion du milieu que nous représentons. Nous ne voulons en aucun cas entraver cette mesure législative. Nous souhaitons plutôt nous assurer que c'est la meilleure mesure législative qui soit. Nous donnons notre point de vue, car nous savons ce que c'est de vivre avec des problèmes de santé graves et irrémédiables. Nous le faisons quotidiennement.

Je suis une personne handicapée. J'ai subi 21 interventions chirurgicales. Je suis aveugle au sens de la loi. Ma mobilité est restreinte et je vis avec une douleur considérable. Mes capacités iront en diminuant, alors je dois continuer de définir ce que veut dire avoir de la valeur et vivre dans la dignité et de façon autonome.

L'autonomie ne va pas à l'encontre des garanties, car toutes les personnes n'ont pas les mêmes possibilités. Si nous ne pouvons pas comprendre les choix qui s'offrent à nous, c'est peut-être parce qu'ils ne sont pas communiqués d'une manière qui nous est accessible. De nombreux médecins n'ont pas les compétences voulues pour expliquer les solutions possibles dans la langue des signes, à une personne atteinte d'aphasie ou présentant une déficience cognitive, ou encore à des patients qui sont sourds et aveugles. Lorsque nous croyons être à court de solutions quant à l'endroit où nous pouvons vivre, à la manière dont vous pouvons vivre, à ce que nous pouvons apprendre, à ce que nous pouvons gagner, aux endroits où nous pouvons aller et à la manière dont nous pouvons interagir avec notre communauté, nous devenons indûment vulnérables. Cela mine notre résilience et notre autonomie.

Pensez aux différents facteurs sociaux qui nous touchent. Nous sommes toujours confrontés à la discrimination, et ce, à un point tel que nous devons être protégés par la Charte. Par le passé, le Canada a favorisé des politiques et une approche politique remplies de bonnes intentions, certes, mais néfastes en ce qui a trait aux handicaps, que l'on pense à l'eugénisme, aux infanticides, à l'institutionnalisation, à la stérilisation forcée et à la ségrégation. Les organes législatifs ont joué un rôle crucial au regard de ces atrocités, et pourtant, nous nous sommes toujours fait dire par des Canadiens et des Canadiennes non handicapés que c'était « pour notre propre bien ».

À la lumière de tout cela, qu'entend-on par autonomie et par vulnérabilité? Quand on devient handicapé, il faut s'adapter à une perte. Chaque jour, il faut trouver de nouvelles façons de se déplacer, de vivre. On doit parfois trouver un nouveau logement, de nouvelles manières d'apprendre et d'interagir avec les autres. Si nous adhérons à la notion d'autonomie, nous devons prendre en compte les problèmes que posent le manque de soutien auquel nous sommes confrontés au quotidien ainsi que la discrimination dont nous faisons l'objet.

Nous craignons que certaines personnes qui souhaitent obtenir de l'aide médicale à mourir soient encore sous le choc provoqué par ce changement et qu'elles soient marginalisées par la société. De nombreux groupes confrontés à la marginalisation ont besoin de la protection de la Charte. Les nouvelles abondent de cas de personnes socialement marginalisées qui souhaitent mettre fin à leurs jours. Le taux de suicide chez les adolescents homosexuels a atteint à lui seul un tel degré qu'on a lancé la campagne « It Gets Better ». Cette campagne envoie un message clair aux jeunes gais, lesbiennes et transgenres. Il dit que, malgré les préjugés terriblement blessants dont ils font l'objet, les jeunes LGBT sont merveilleux tels qu'ils sont, que les choses iront en s'améliorant s'ils peuvent s'entourer des bonnes personnes et aller chercher le bon type de soutien à leur disposition.

Nous vous demandons d'adhérer au mandat de la Cour suprême d'empêcher que les personnes vulnérables « soient incitées à se suicider dans un moment de faiblesse ».

Le CCD, à l'instar d'autres organismes des quatre coins du pays, appuie la Norme sur la protection des personnes vulnérables. Il faut examiner la situation dans son ensemble. Gardez à l'esprit que nous courrons davantage le risque de vivre dans la pauvreté, de ne pas recevoir d'instruction et de subir toutes sortes de violences. Nous sommes aussi moins susceptibles d'occuper un emploi. N'oubliez pas non plus que nous risquons davantage de vivre dans un logement inadéquat et dangereux. Rappelez-vous que, chaque jour, nous devons surmonter des obstacles dans nos rapports physiques avec le monde et composer avec la stigmatisation.

Nous voulons une belle vie et une belle mort. Avoir une belle mort signifie avoir accès non seulement à l'aide médicale à mourir, mais aussi à des soins palliatifs.

Merci.

Susan MacDonald, présidente, Société canadienne des médecins de soins palliatifs : Bon après-midi, monsieur le président, invités et honorables sénateurs. Merci de m'avoir invitée à présenter les amendements que la Société canadienne des médecins de soins palliatifs propose que vous apportiez au projet de loi. Je vous remercie à l'avance de votre travail soutenu et de votre réflexion en cette matière. La Dre Monica Branigan va vous expliquer ces amendements.

Monica Branigan, membre du conseil et présidente du Groupe de travail sur l'aide médicale à mourir, Société canadienne des médecins de soins palliatifs : Nous avons beaucoup réfléchi à la question et nous avons trois recommandations concrètes à formuler pour que le projet de loi C-14 soit modifié de manière à ce que le droit aux soins palliatifs soit aussi ancré que celui à une mort accélérée.

Ce n'est pas le cas en ce moment. Nous savons que jusqu'à 3 p. 100 des Canadiens auront peut-être recours à la mort accélérée. Il est possible que 10 p. 100 d'entre nous meurent subitement. Ainsi, environ 87 p. 100 d'entre nous pourront bénéficier de soins palliatifs et, pourtant, nous n'avons aucun droit à ce genre de soins. Pour le moment, c'est plutôt disparate et tout dépend du lieu où l'on habite. Nous avons donc réfléchi aux moyens d'inclure des mesures de sauvegarde pour que le projet de loi C-14 prévoie le droit aux soins palliatifs.

Notre première recommandation consiste à modifier le dernier paragraphe du préambule : « que le gouvernement du Canada s'est engagé à élaborer des mesures non législatives visant à soutenir l'amélioration d'une gamme complète d'options de soins de fin de vie... », par l'adjonction de la mention suivante : « notamment par l'établissement d'un secrétariat national sur les soins palliatifs ».

Un secrétariat national aura le pouvoir de garantir une approche uniforme dans tout le pays pour la mise en œuvre d'une stratégie nationale en matière de soins palliatifs. Ce travail a déjà été fait. Il manque encore le moyen de le mettre en œuvre. Ainsi, nous pourrons définir et contrôler les normes canadiennes, non seulement pour la prestation de soins de fin de vie, mais aussi pour la sensibilisation de tous les professionnels.

Un organisme national est également nécessaire pour voir comment soutenir les aidants naturels, non seulement pour leur fournir des informations et des outils, mais encore pour leur offrir soutien et protection dans leur emploi quand ils prennent soin de leurs proches.

Enfin, il faut un organisme national pour organiser une campagne de sensibilisation du public parce que les gens méconnaissent les soins palliatifs, méconnaissent les directives anticipées et parce qu'ils ont très peur de la mort et des souffrances inutiles qui peuvent l'accompagner.

Notre deuxième recommandation porte sur les critères d'admissibilité et plus précisément l'alinéa d) : « d) [la personne] a fait une demande d'aide médicale à mourir de manière volontaire, notamment sans pressions extérieures ». Nous demanderions l'adjonction de la mention suivante : « ou manque d'accès aux services nécessaires pour aborder les causes profondes de la demande, y compris les soins palliatifs, le traitement de douleurs chroniques et les soins gériatriques, sans exclure d'autres options ». Car en l'absence de soins palliatifs, comment une demande pourrait-elle vraiment être volontaire? Elle ne saurait être volontaire s'il n'existe pas d'options.

Notre troisième recommandation consiste à ajouter un nouvel alinéa sous les critères d'admissibilité comme suit : « [la personne] a fourni des preuves documentaires attestant que les critères d'admissibilité ont été satisfaits en fonction des normes établies à l'échelle fédérale ». Ainsi, nous serions en mesure de vérifier si les gens ont eu accès aux services dont ils avaient besoin ou si c'est ce manque d'accessibilité qui les pousse à demander l'aide à mourir. Nous avons d'excellentes données sur les motifs pour lesquels les gens font la demande. Comme la loi prévoit un examen d'ici cinq ans, il nous faut des données fiables pour pouvoir prendre de futures décisions.

En somme, nous estimons que le droit aux soins palliatifs devrait être aussi ancré que celui à la mort accélérée et nous avons formulé trois recommandations concrètes en espérant que vous les retiendrez.

Merci.

Le président : Merci.

Monsieur Bach.

Michael Bach, vice-président de la direction, Association canadienne pour l'intégration communautaire : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs. Je suis heureux de vous faire un exposé au nom de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire. Nous sommes le porte-parole national des personnes ayant des déficiences intellectuelles et de leurs familles, et nous travaillons pour les droits fondamentaux, l'inclusion et la citoyenneté à part entière de ces personnes.

Je veux commencer par dire à quel point nous sommes navrés de constater la tournure amère que ce débat a prise. C'est à se demander si nous n'avons plus une cause commune dans ce pays au sujet de ce que signifie être compatissant, notre compréhension commune de la souffrance et une idée de ce qu'il va falloir pour protéger le droit à l'autonomie tout en respectant les Canadiens vulnérables. En fait, nous n'avons pas d'approche commune pas plus qu'un sens commun du but à viser pour l'avenir au sujet des droits de tous les Canadiens énoncés à l'article 7. Nous sommes très inquiets de la division que la question va causer entre les Canadiens et entre les professionnels des soins de santé.

Je tiens à dire d'emblée que c'est ce qui a motivé nos propositions dès le départ. Nous avons été surpris par la férocité des réactions défavorables aux mesures de sauvegarde que nous avions proposées pour les Canadiens vulnérables. J'ai été frappé par le commentaire des représentants de la Fédération des ordres des médecins du Canada pour qui l'objectif principal est de garantir l'accès. Absolument, mais l'autre objectif de la cour est de savoir comment protéger les Canadiens vulnérables. Nous ne pensons pas que ce soit aussi simple. Les Canadiens vulnérables ne portent pas un écriteau sur la poitrine disant : « Je suis un Canadien vulnérable. Ne me donnez pas l'accès. » Voilà ce qui a motivé notre travail depuis le début et les propositions qui en ont découlé.

Et il est vrai que nous étions présents dans l'affaire Carter. Nous avions préconisé le maintien de l'interdiction, car nous nous disions que ce serait la meilleure mesure de sauvegarde pour les Canadiens vulnérables. Nous respectons entièrement la décision.

Une fois la décision rendue, quand nous avons repris nos travaux sur les mesures de sauvegarde, nous nous sommes penchés sur ce que les demandeurs avaient présenté dans la décision de première instance et les garanties qui devaient être adoptées selon eux pour protéger les Canadiens vulnérables à l'avenir. Nous avons pensé que c'étaient les paramètres avec lesquels nous devions travailler.

Les plaignants, les conseillers juridiques comme Joe Arvay et B.C. Civil Liberties, avaient proposé l'obligation d'une évaluation psychiatrique obligatoire dans tous les cas, d'une consultation sur les soins palliatifs possibles, d'un examen préalable et le droit du patient de contester les décisions de l'examen préalable. Voilà les idées que nous avons proposées.

La réaction que nous obtenons maintenant, c'est que nous serions en train de faire de l'obstruction. Nous avons perdu dans l'affaire Carter et voilà que nous faisons de l'obstruction. En fait, nous avons simplement essayé de préciser ce que les plaignants avaient proposé en premier lieu parce que nous sommes d'accord avec eux. Nous sommes d'accord avec les observations et nous sommes d'accord avec les conclusions de la juge du procès et avec la preuve qu'elle a obtenue des plaignants quant aux garanties nécessaires, preuve que la Cour suprême du Canada a définitivement acceptée sans conteste.

Néanmoins, voilà où nous en sommes. Pour tenter d'en arriver à une compréhension commune, car le 6 juin est tout proche, et en l'absence d'une loi à cette date, nous espérons en avoir une à un moment donné, et il faudra nous réunir de nouveau d'une manière ou d'une autre.

Dans les quelques minutes dont je dispose, je voudrais simplement dire qu'une bonne partie de notre travail a consisté à analyser ce que l'on entend par personne vulnérable susceptible d'être incitée à se donner la mort dans un moment de faiblesse. Il existe des recherches approfondies de plus en plus nombreuses sur ce que l'incitation signifie et nous avons des données d'autres pays où ces systèmes existent.

Une très ample documentation clinique a recensé cinq types d'incitation. La première est que les gens sont incités en raison d'une vision déformée ou fausse due à une maladie.

La deuxième réside dans le désespoir issu de l'autostigmatisation associée à un statut social et culturel négatif dans la société, comme ce dont Rhonda a parlé.

La troisième, c'est la coercition directe. Nous avons des cas en Oregon, par exemple. Il y eu un cas où un homme à qui son aidant naturel n'avait laissé que le choix d'opter pour l'aide médicale à mourir ou alors...

Le président : Je dois vous demander d'abréger.

M. Bach : La documentation est donc là.

Notre mémoire décrit en détail nos propositions, qui se fondent sur ce que nous avons entendu de mes collègues, et demande que l'on augmente le niveau de consentement éclairé. À défaut d'un examen préalable, nous allons au moins obtenir une étude sur l'examen préalable dans le préambule, puisque nous nous penchons sur les études pour rendre le système plus permissif.

Merci.

Le président : Madame Hutchison, je vous en prie.

Mme Carmela Hutchison, présidente, Réseau d'action des femmes handicapées du Canada : Bonjour.

Je veux juste vous présenter brièvement notre organisation. Le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada est un organisme féministe s'intéressant aux diverses formes de handicaps, qui s'efforce de résoudre les problèmes rencontrés par des femmes handicapées afin de promouvoir l'inclusion des femmes et des filles handicapées et des femmes sourdes. Notre thème stratégique global s'articule autour du leadership, du partenariat et du réseautage pour résoudre les problèmes de la pauvreté, de la violence contre les femmes et les personnes handicapées.

Bon nombre des principes de protection dans le préambule ne sont pas repris dans le corps de la loi. C'est une des plus grandes préoccupations que nous ayons au sujet de la loi. Lorsqu'on lit le préambule, on s'aperçoit qu'une grande partie de ce qui est proposé est bon ou favorable, mais il n'y est pas question des obstacles intersectoriels, tels la capacité physique, le racisme, la violence, la pauvreté, la discrimination, le manque de soutien aux personnes handicapées et le manque de ressources pour que les femmes handicapées puissent mener une vie sûre et motivante.

Les cinq propositions ont été faites par un député pendant notre témoignage du 4 février 2016 sur les soins palliatifs dont nos collègues ont déjà parlé ici.

Le gouvernement du Canada doit également se conformer à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en particulier l'article 6.

Parmi les amendements que nous proposons, nous voudrions après :

... établit l'équilibre le plus approprié entre, d'une part, l'autonomie des personnes qui demandent cette aide et, d'autre part, les intérêts des personnes vulnérables qui ont besoin de protection...

L'adjonction de « ... conformément à la Norme sur la protection des personnes vulnérables ». Nous souhaitons que la phrase soit ajoutée au texte de loi actuel, car la Norme sur la protection des personnes vulnérables, dont nous avons tous parlé ici, a été approuvée par 50 organisations. Nous pensons que l'application de cette norme est le meilleur moyen de répondre à ces garanties, car elle est fondée sur des preuves et a été approuvée par 50 organisations.

À la page 2 du préambule, nous voulons ajouter un nouveau paragraphe, comme suit :

Que le gouvernement du Canada s'est engagé à respecter ses engagements envers la Convention relative aux droits des personnes handicapées...

Nous voulons ajouter ce paragraphe, car il s'agit de l'un des organismes envers lesquels le Canada s'est engagé.

Ensuite, là où il est dit :

que le gouvernement du Canada s'est engagé à respecter les principes prévus par la Loi canadienne sur la santé — la gestion publique, l'intégralité, l'universalité, la transférabilité et l'accessibilité — à l'égard de l'aide médicale à mourir;

Le paragraphe après celui-là devrait être supprimé, à savoir le suivant :

que le gouvernement du Canada s'est engagé à élaborer des mesures non législatives visant à soutenir l'amélioration d'une gamme complète d'options de soins de fin de vie...

Nous souhaitons que le paragraphe suivant soit entièrement supprimé, comme je l'ai indiqué dans notre mémoire.

Ensuite, nous tenons à souligner que la législation doit suivre tous les principes énoncés dans le préambule. Vous devez avoir une loi. Il n'y a pas eu une seule loi qui respecte les principes énoncés dans le préambule.

Ensuite, il y a la partie du Code criminel sur le consentement à la mort et à l'aide médicale à mourir et ce que cela signifie. Nous voulons que tous les membres de l'équipe de soins de santé soient en mesure de communiquer efficacement entre eux et avec les patients au sujet de l'aide médicale à mourir, car la prestation des soins médicaux est maintenant assurée par des équipes multidisciplinaires. L'acte même de l'aide médicale à mourir devrait être limité à des équipes spécialisées définies dans la loi, mais tous les membres de l'équipe de soins devraient être capables de communiquer entre eux et avec les patients.

Quant aux « problèmes de santé graves et irrémédiables » proposés à l'alinéa 241.2(2)c) où il est dit :

c) sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités lui cause des souffrances physiques ou psychologiques...

Le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada souhaite que les mots « ou psychologiques » soient supprimés. Le paragraphe se poursuivrait alors comme suit :

... persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu'elle juge acceptables;

d) sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l'ensemble de sa situation médicale, et...

... au lieu de « sans pour autant »...

... qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie...

Il faudrait donc supprimer « sans pour autant » et le remplacer par « et ». Il faudrait une espérance de vie déterminée pour le patient, car il devrait y avoir des limites.

Le président : Je dois vous demander de conclure.

Mme Hutchison : Sous la rubrique des « mesures de sauvegarde » et l'alinéa 241.2(3)d), qui dit : « s'assurer que la personne a été informée qu'elle pouvait, en tout temps et par tout moyen, retirer sa demande », comment une personne peut-elle retirer sa demande une fois que la prestation de l'aide médicale à mourir a déjà eu lieu?

Sous l'alinéa 241.2(3)g), « s'assurer qu'au moins quinze jours francs se sont écoulés »...

Le président : Nous devons avancer.

Nous commencerons nos questions par la vice-présidente.

La sénatrice Jaffer : La question du manque de soins palliatifs a été soulevée à plusieurs reprises. Docteure MacDonald et docteure Branigan, vous avez notamment suggéré d'élargir les critères d'admissibilité pour inclure un manque d'accès aux services requis pour traiter les causes profondes de la demande, y compris, mais sans s'y limiter, les soins palliatifs.

Nous savons que beaucoup de gens à l'heure actuelle se voient privés de soins palliatifs. Je voudrais savoir ce que vous pensez tous les deux des moyens de permettre aux Canadiens d'un bout à l'autre du pays, en particulier dans les régions rurales et les collectivités autochtones, d'avoir accès à des soins palliatifs.

Dre Branigan : Je pense que nos recommandations sont toutes interdépendantes. Nous avons besoin d'un leadership à l'échelle nationale pour que cela se produise. Nous sommes au Canada. Ce ne sera pas la même chose partout, mais nous devons avoir des normes uniformes. Je sais que les régions rurales présentent des difficultés particulières, mais je vais demander à ma collègue de Terre-Neuve de répondre.

Dre MacDonald : Je travaille dans une zone tertiaire de Terre-Neuve, mais je vois souvent des patients partout dans l'île et au Labrador. Il existe maintenant des moyens qui permettent de ne pas être physiquement sur place. Nous pouvons utiliser la technologie de diverses façons pour compenser le fait que nous sommes très peu nombreux et que nos patients sont très dispersés.

Rappelez-vous que ce ne sont pas seulement les médecins qui s'occupent des soins palliatifs. Nous sommes ici aujourd'hui, mais nous sommes en fait une très grande équipe. Les infirmières font une énorme partie du travail. Il y a beaucoup plus d'infirmières sur le terrain et dans les communautés qu'il n'y a de médecins. Nous utilisons nos infirmières en santé communautaire. Par exemple, à Saint-Jean, nous avons formé tous les infirmiers et infirmières en santé communautaire en soins palliatifs pour qu'ils puissent fournir une partie de ces services.

La sénatrice Jaffer : Madame Hutchison, RAFH Canada est actif depuis longtemps et il est très reconnu pour son travail. Il nous serait utile de savoir quelles sont les difficultés supplémentaires que les femmes handicapées doivent surmonter pour avoir accès aux soins palliatifs.

Mme Hutchison : Elles ont les mêmes difficultés que celles dont nous avons parlé dans les exposés. L'accès est toujours aussi difficile et on ne semble pas y accorder d'importance. Ce sont les habitants des régions rurales et les peuples autochtones qui ont le plus de difficulté, mais c'est plus ou moins la même chose dans les zones urbaines. Tout dépend toujours du financement et de la mesure dans laquelle la personne pourra se débrouiller à la maison par opposition à un milieu de soins de longue durée. Il y a beaucoup de pression pour que les gens se trouvent dans le milieu qui leur convient le mieux, que ce soit leur choix ou non.

La qualité des soins demeure un problème constant. C'est une question sans fin parce que les soins palliatifs, les soins à domicile et les soins continus, comme tous les niveaux de soins, n'ont jamais été prévus dans la Loi canadienne sur la santé pour commencer. Bien sûr, les gens ont peur de reprendre la loi pour les inclure. Nous devons nous mobiliser pour mettre en place ces normes nationales. Nous devons faire ce qu'il faut.

Le plus triste c'est que tout cela devrait déjà exister avant de dépenser le moindre dollar pour l'aide médicale à mourir.

Le sénateur White : Docteure MacDonald, si j'ai bien compris, vous avez fait un sondage auprès de vos membres pour savoir s'ils seraient favorables à l'idée que des médecins qui fournissent des soins palliatifs puissent offrir l'aide à mourir et ils ont massivement répondu qu'ils ne voudraient pas participer. Je suppose que cela veut dire que l'organisation que vous représentez ne soutient pas l'obligation de la part des médecins, ou du moins de vos médecins, de participer ni même d'orienter le patient vers quelqu'un d'autre. Est-ce exact?

Dre MacDonald : Nos membres en ont discuté et on leur a directement demandé s'ils voulaient le faire, s'ils voulaient administrer le médicament ou s'ils feraient l'injection. Voilà ce à quoi les gens ont répondu par la négative.

Je dirais que tous les membres de l'organisation et tous les médecins en soins palliatifs que j'ai rencontrés répondront à un appel à l'aide. Si quelqu'un souffre et demande de l'aide, nous allons les aider. Quels que soient les choix en matière de traitement, que ce soit la chimiothérapie, une autre intervention chirurgicale ou l'aide médicale à mourir, nous aidons nos patients s'ils nous le demandent.

Dre Branigan : Je pourrais l'énoncer d'une manière qui pourrait vous être utile. Nous avons dû travailler très dur pour que les gens acceptent seulement une recommandation de soins palliatifs, tellement ils ont peur de la mort. Nous voulions savoir comment faire en sorte que les soins palliatifs soient considérés comme distincts de l'acte de précipiter la mort. Nous voulons que les services de soins palliatifs soient un lieu d'accueil et sans danger pour les personnes qui ne pourront jamais y accéder et pour les personnes qui l'envisagent comme une possibilité.

Lorsque nous avons sondé nos membres, 26 p. 100 des médecins ont dit qu'ils y penseraient. Ce n'est pas comme s'ils n'allaient pas participer du tout. Nous voulions vraiment que les soins palliatifs soient perçus comme un acte distinct et un lieu sûr pour tous.

Le sénateur White : Environ 74 p. 100 ont dit qu'ils ne croyaient pas devoir participer; est-ce exact?

Dre Branigan : Oui. Vous devez également comprendre le contexte. Nous sommes très préoccupés, un peu moins à mesure que le temps passe et que les discussions se poursuivent, mais nous avons réagi comme par un mouvement de réflexe : « Accélérer la mort? Eh bien, nous orienterons le patient vers les soins palliatifs. » Vous pouvez imaginer la peur que cela a engendrée. C'est ce que ce chiffre montre également.

Le sénateur White : Le projet de loi prévoit que le ministre de la Santé pourra prendre des règlements à l'égard du suivi, ce qui devrait être présent à mon sens. Mais je pense que cela devrait être une exigence pour un certain nombre de raisons, par exemple lorsqu'on est à la recherche d'un autre médecin ou professionnel de la santé. Si nous devons examiner la loi dans cinq ans, il nous faut quelque chose de concret à examiner au-delà des preuves anecdotiques. Pensez-vous que cela devrait être inscrit dans la loi au lieu d'être une simple suggestion que le ministre envisage ces règlements?

Dre Branigan : Je pense que cela doit être une exigence, en effet.

Le sénateur Plett : J'ai deux questions, l'une pour Mme Wiebe et l'autre pour la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, et d'autres peuvent bien sûr répondre aussi.

Madame Wiebe, permettez-moi de faire comme ma collègue la sénatrice Batters l'a fait tout à l'heure avec un témoin de la Saskatchewan et vous souhaiter la bienvenue en tant que Manitobain.

Ma question, madame Wiebe, semblable à celle du sénateur White, porte sur la liberté de conscience. Souhaitez-vous soutenir le droit des médecins, des infirmières praticiennes et des pharmaciens à la liberté de conscience au point où ils pourraient refuser d'orienter un patient et où ils pourraient lui donner une liste de personnes qui pourraient participer, sans être obligés d'aller au-delà?

Avant que vous ne répondiez, madame Wiebe, je vais poser mon autre question.

Pour les médecins en soins palliatifs, mon père était en soins palliatifs pendant les deux dernières semaines de sa vie il y a environ six ans et il a obtenu un traitement formidable. J'aurai toujours le plus grand respect et toute ma reconnaissance pour les personnes qui travaillent dans ce domaine.

L'Ordre des médecins et chirurgiens s'inquiétait du fait qu'il est suggéré dans le projet que l'aide à mourir devrait être une option de dernier recours, ce qui m'a vraiment bouleversé. Je pensais que tous les médecins seraient de cet avis. Comment vous sentiriez-vous? Et à quel moment la personne devrait-elle faire sa demande, s'il y a lieu?

Je vais laisser Mme Wiebe répondre et ensuite vous pouvez y répondre également, si vous le voulez bien.

Mme Wiebe : Merci pour la question.

Le CCD n'a pas adopté de position concrète à l'égard des médecins qui choisissent de ne pas participer. Cependant, nous aurions tendance à appuyer ces médecins qui pensent que les personnes vulnérables ne sont pas aussi bien protégées, que l'aide médicale à mourir n'est pas envisagée pour ceux qui ne sont seulement en fin de vie, que l'aide médicale à mourir est offerte à quelqu'un qui ne fait pas la preuve d'un consentement volontaire et capable ou qu'une demande d'assistance médicale à mourir n'a pas été étudiée pour voir si la cause de la souffrance du patient a été induite par des conditions psychosociales ou non médicales. En l'absence d'une évaluation de la souffrance et de la vulnérabilité, nous appuierions les médecins qui choisissent de ne pas participer.

Dre Branigan : Pourriez-vous me poser une question toute courte et simple dans vos commentaires? J'aimerais pouvoir y répondre.

Le sénateur Plett : Permettez-moi encore de dire que l'Ordre des médecins et chirurgiens a un problème avec le fait que le projet de loi prévoit que la demande de l'aide médicale à mourir est censée être une option de dernier recours et a déclaré ne pas être d'accord. Je leur ai demandé si elle devrait être le premier recours et à quel moment une personne devrait la demander.

Ma question est la suivante : Seriez-vous d'accord avec l'Ordre des médecins pour dire que cela ne devrait être qu'un dernier recours, demander la mort?

Dre Branigan : Je pense que ce sera au patient de décider suivant sa perception du degré de sa souffrance. Je ne pense pas que ce soit au médecin de lui demander s'il y a pensé. Je pense qu'il faut examiner la souffrance et si le patient demande s'il existe d'autres options, cette option peut bien sûr lui être donnée.

Mon travail se limite à parler aux patients et à offrir des services de counseling. J'ai déjà eu beaucoup de discussions là-dessus. J'ai constaté que les patients sont très heureux d'entamer cette discussion et veulent plus d'informations à ce sujet.

Le sénateur Plett : Permettez-moi de reformuler quelque peu la question. Ne pensez-vous pas que d'un point de vue médical, vous devez expliquer toutes les options et demander si la personne ne veut pas plutôt trouver une autre option que de mourir?

Dre Branigan : Merci pour cette précision. Est-ce que je crois que toutes les options devraient être bien étudiées? Absolument. Beaucoup de médecins ne savent pas comment décrire les soins palliatifs. C'est un problème.

D'autre part, si vous étiez un patient qui l'envisageait sérieusement, voudriez-vous vraiment obtenir cette information de quelqu'un qui pense que l'acte lui-même était odieux et que la seule raison pour laquelle il donne ces informations c'est pour éviter la sanction de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario?

Je pense que l'accès est un énorme problème. Je ne pense pas qu'une bonne orientation soit la solution à ce problème. Vers qui envoyons-nous la personne? Ce n'est pas une bonne solution.

La meilleure solution est d'avoir un système de coordination au niveau provincial, soit un système de coordination pour relier les fournisseurs qualifiés et disposés à des patients admissibles.

Nous le faisons dans d'autres domaines comme les greffes. Prenons le Réseau Trillium pour le don de vie. C'est exactement ce qu'ils font. Voici un patient et voici un organe. Comment faire le lien entre les deux?

C'est le système qui fera fonctionner le tout et non pas le fait de bien orienter le patient parce que certains médecins, une minorité, estiment que l'orientation d'un patient équivaut à une approbation et qu'ils sont donc directement liés à l'acte.

Beaucoup de gens diraient...

Le président : Je regrette.

Sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. J'ai deux courtes questions à poser, et la première s'adresse au Dr Branigan. Croyez-vous que le fait d'offrir un meilleur accès aux soins palliatifs pourrait réduire sensiblement le nombre de personnes qui auraient recours à l'aide médical à mourir?

[Traduction]

Dre Branigan : La question est de savoir si les soins palliatifs permettraient de réduire le nombre de personnes qui le demandent. Je n'en suis pas certaine. De nombreuses études indiquent que même pour les personnes qui obtiennent une ordonnance dans l'Oregon, la grande majorité obtient des soins palliatifs. Il y aura des patients qui veulent vraiment un contrôle et ce n'est pas quelque chose que nous pouvons changer.

Serons-nous capables de détourner certaines personnes si des soins palliatifs accessibles font partie des choix? Je pense que c'est possible. Je soupçonne néanmoins — je ne veux pas pécher par arrogance —, que nous ne pourrons pas améliorer toutes les souffrances de manière satisfaisante pour tout le monde.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai une courte question à poser à M. Bach. Si le projet de loi était adopté tel quel, y aurait-il des cas de personnes vulnérables qui ne seraient pas protégées par le projet de loi C-14? Le cas échéant, pourriez-vous nous en donner des exemples?

[Traduction]

M. Bach : Je vous remercie de la question.

Nous sommes préoccupés par les personnes qui peuvent être incitées à prendre cette décision, comme la coercition directe dont je parlais où en Oregon, on a obligé un homme à choisir entre les soins de longue durée ou l'aide médicale à mourir. Il s'agissait d'une situation ou un aidant naturel lui fournissait des soins et la famille n'en pouvait plus. Ce qui nous inquiète c'est que les deux professionnels de la santé décrits dans le projet de loi C-14 ne doivent pas nécessairement avoir l'expertise nécessaire pour répondre à cette question.

Les enquêtes menées aux États-Unis indiquent que seuls 2 p. 100 des médecins ont l'expérience ou le savoir-faire nécessaire pour reconnaître les signes de mauvais traitements. Les mauvais traitements infligés aux personnes âgées seront un problème énorme dans ce système.

Voilà pourquoi nous avons proposé dans l'amendement que nous vous avons fourni que l'évaluation de la vulnérabilité soit essentielle. Si ces deux professionnels de la santé pouvaient exiger une consultation palliative dans le cadre de la demande, il nous semble que les médecins en soins palliatifs pourraient apporter une bien meilleure expertise.

Je suis d'accord avec l'amendement proposé par nos collègues pour une évaluation qui permettrait l'analyse de la gamme complète des options pour alléger la souffrance des gens, non seulement les options médicales, mais aussi sociales et psychosociales.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous pour vos exposés.

Monsieur Bach, dans le mémoire que votre association a présenté au comité, il est recommandé six amendements spécifiques au projet de loi C-14. Dans l'une de vos recommandations, vous demandez un examen préalable de l'aide médicale à mourir par une Cour supérieure.

J'ai soulevé tout à l'heure la question de l'autorisation judiciaire avec les représentants de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario. Je dois admettre qu'ils n'ont pas été très réceptifs à cette idée, même si ce système existe depuis février dernier et restera en place jusqu'en juin de cette année.

Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez, s'il vous plaît?

M. Bach : Je pense qu'il est très intéressant de noter que la Cour suprême a jugé bon d'exiger une autorisation judiciaire, plutôt que d'avoir simplement deux médecins prendre une décision en attendant. Certes, la Cour suprême semblait penser que l'autorisation judiciaire correspondait au raisonnement de sa décision originale dans l'affaire Carter.

Nous avons également appuyé le travail de David Baker et Gilbert Sharpe qui ont présenté un projet de loi pour un examen préalable et des amendements détaillés au Code criminel. Nous y serions favorables.

Nous pensons simplement que le travail d'un médecin consiste à examiner les causes de la souffrance et à proposer des options que le patient peut envisager et non de ne pas à autoriser l'intervention qui vise à mettre fin à la vie de quelqu'un et que nous devrions faire la distinction afin de protéger l'intégrité du système de soins de santé.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à tous.

On a fait plusieurs allusions à l'Oregon dans ce groupe. Je voudrais rappeler à ceux qui nous écoutent que la loi en Oregon exige que la personne ait une maladie en phase terminale et qu'elle en soit également à la fin de sa vie. À l'heure actuelle, ce projet de loi ne prévoit ni l'un ni l'autre et il est donc en quelque sorte amplifié quand on regarde cet exemple.

Monsieur Bach, dans un des amendements que vous avez proposés à ce projet de loi, vous parlez de la nécessité d'avoir une sauvegarde qui exigerait une consultation spécialisée pour quelqu'un qui demanderait l'aide médicale à mourir. Pourriez nous dire pourquoi vous pensez que c'est une bonne exigence.

M. Bach : L'ensemble des recommandations est vraiment motivé par l'exigence du consentement éclairé que la Cour suprême a très clairement énoncée. Compte tenu de la finalité de cette décision qui n'exige pas mon droit à l'autonomie négative, soit de refuser un traitement ou d'y mettre fin, mais de demander au système de soins de santé de faire une intervention destinée à mettre fin à ma vie, nous devons nous assurer que les gens soient pleinement informés.

Comme seules cinq provinces au Canada ont des normes législatives régissant le consentement éclairé, les lignes directrices pour les pratiques de consentement éclairé émises par les organismes de réglementation varient dans pays. Nous n'avons pas de norme nationale ou un ensemble national de pratiques autour du consentement éclairé. Comme nous le notons également, le projet de loi renvoie à des influences extérieures, ce qui est une norme beaucoup plus étroite du consentement éclairé que celle que la Cour suprême a donnée pour commencer, à savoir que dans les cas où la personne peut être incitée à se donner la mort, on doit définir cette incitation et en tenir compte.

À notre avis, le counseling spécialisé serait un moyen d'établir une norme nationale pour que les gens soient pleinement informés.

La sénatrice Batters : Serait-ce amplifié par le fait que la Cour suprême du Canada pensait aux médecins, alors que le projet de loi prévoit des infirmières praticiennes et éventuellement aucun médecin pour donner l'approbation, l'évaluation de la capacité et administrer l'aide à mourir. Est-ce amplifié en ce sens?

M. Bach : Absolument. Nous craignons que tout ceci soit largement motivé par le droit d'accès, que nous respectons, mais les mécanismes pour veiller à ce que les personnes vulnérables soient identifiées et prises en compte n'existent pas. Il serait utile de répondre à cette préoccupation.

La sénatrice Batters : Madame Hutchison, vous avez dit que vous vouliez la suppression de la souffrance « psychologique » du projet de loi. Je suis du même avis. Je le demande depuis un certain temps. Vous avez également parlé des problèmes dans le préambule. Je trouve problématique que le préambule soit le seul endroit où il soit explicitement dit que les souffrances psychologiques à elles seules ne sauraient être un moyen d'accéder à l'aide médicale à mourir. Est-ce que cela vous préoccupe également?

Mme Hutchison : Pourriez-vous répéter cette partie de la question?

La sénatrice Batters : Vous avez dit vouloir la suppression des souffrances « psychologiques » des dispositions du projet de loi. J'ai déjà fait remarquer dans des discussions sur le projet de loi le fait que le seul endroit dans le projet de loi qui mentionne spécifiquement la « souffrance psychologique » comme motif unique pour accéder à l'aide médicale à mourir est dans le préambule et non dans le corps du projet de loi. Je pense que cela pourrait conduire à penser que quelqu'un pourrait accéder à l'aide médicale à mourir uniquement sur la base de la souffrance psychologique parce que cela ne figure pas dans le corps du projet de loi. Est-ce que vous pensez la même chose?

Mme Hutchison : Oui, car en lisant le préambule, je pensais que ce n'était pas mentionné, mais j'ai vu que cela l'était dans les dispositions. J'aimerais plus de cohérence et j'en aimerais la suppression, oui.

La sénatrice Batters : Absolument, pour être parfaitement clair.

Le sénateur Joyal : Bienvenue.

J'hésite devant votre proposition d'inclure spécifiquement l'offre de soins palliatifs comme condition préalable pour qu'une personne décide si elle veut ou non se prévaloir de l'aide médicale à mourir, particulièrement en raison de votre témoignage et de l'information que la population canadienne peut obtenir, soit que moins de 10 p. 100 des Canadiens auront accès à des soins palliatifs. Autrement dit, si nous retenons votre proposition, nous limiterions en fait l'aide médicale à mourir à seulement 10 p. 100 des Canadiens.

Je suis tout à fait favorable à une extension des soins palliatifs, mais pour moi, il s'agit davantage d'une politique sociale qui devrait faire partie de la Loi canadienne sur la santé plutôt que dans le Code criminel. Ce que nous faisons ici c'est modifier le Code criminel. Si nous voulons inscrire dans le Code criminel que les soins palliatifs doivent être disponibles dans toutes les régions du Canada, tant dans les grands centres urbains que dans les parties les plus éloignées, nous allons restreindre l'exercice du droit à un point tel qu'à mon avis, ce serait inconstitutionnel. La mesure ne correspondrait pas à l'interprétation que la Cour suprême a unanimement donnée de l'article 7.

Dre Branigan : L'amendement, tel que nous l'avons recommandé, ne visait pas à bloquer l'accès. Le chiffre de 10 p. 100 que vous avez n'est probablement pas exact et témoigne du fait que nos données laissent à désirer, d'où la nécessité d'un secrétariat national.

Je crois que la Dre MacDonald a dit qu'il existait d'autres moyens de communiquer avec un spécialiste sans qu'il soit nécessairement en face de vous.

Il s'agit de savoir si vous voulez un projet de loi qui ne le mentionne pas. Vous dites en fait que si ce n'est pas disponible, c'est acceptable plutôt que de dire : « Je n'ai pas de soins palliatifs, ma famille n'est pas prise en charge, je me sens comme un fardeau, donc une mort accélérée me semble la meilleure option pour moi. » Est-ce ce que vous voulez?

Le sénateur Joyal : Excusez-moi, mais ce n'est pas ce que la Cour suprême a dit. La personne doit souffrir d'un état de santé grave et irrémédiable et la souffrance doit lui être intolérable. Le critère n'est pas que l'on est « fatigué de vivre ». Un jour, je pourrais être fatigué de vivre, mais je ne souffre pas d'une maladie grave, irrémédiable et intolérable. Je ne pense pas que nous devrions trop élargir les critères.

Dre Branigan : Je ne parle pas de les élargir. Le concept du fardeau est une des grandes raisons pour laquelle on accorde aux gens d'autres pays l'aide médicale à mourir. Pour certains, être grave et irrémédiable c'est d'avoir besoin d'aide pour aller aux toilettes, suivant le contexte. Si cette aide vous est fournie par votre famille parce que vous n'avez pas accès à ces services, cela peut vous pousser indirectement à faire la demande si vous ne voyez pas d'autre option.

Je comprends votre inquiétude. Vous ne voulez pas de quelque chose qui ne soit pas réalisable, mais nous devons commencer à recueillir des données pour savoir si cela motive certaines demandes car ce n'est clairement pas ce que nous voulons.

Le sénateur Joyal : Comme il est indiqué dans le projet de loi et comme le comité mixte spécial l'a proposé dans son rapport en février, si deux médecins doivent examiner la capacité de consentir et en viennent à une conclusion sur l'état physique ou mental grave et irrémédiable de la personne et si la personne est dans un état de souffrance intolérable, la pression de la famille n'est pas un élément que le médecin doit prendre en compte avant de conclure que cette personne a droit à l'aide médicale à mourir. Il en sera de même pour le deuxième médecin.

Encore une fois, même si je suis favorable aux soins palliatifs, j'ai beaucoup de mal, personnellement, à dépasser cette limite.

Dre Branigan : Formulons-le de cette façon : Comment peut-il s'agir d'une demande volontaire quand on n'a pas accès à une solution de rechange?

Mme Hutchison : Je satisfais à la définition clinique des critères pour cette intervention. En fait, j'ai fait mon premier exposé au comité mixte de l'hôpital.

Dans le temps qu'il a fallu au comité pour faire sa recommandation et rédiger les mesures de ce projet de loi, je n'ai toujours pas eu un seul service depuis ma sortie de l'hôpital — pas un seul service. Voilà où est le problème.

Et la solution, ce n'est pas de me tuer, monsieur. La solution est d'offrir des services. Je ne vais pas flancher. Je ne mourrai pas. Je vais vivre. Je vais vivre. Je vais choisir la vie et je ne serai pas perçue comme repoussante.

Des voix : Bravo.

Mme Hutchison : Je ne serai pas traitée indignement.

C'est mon mari, assis dans cette salle, qui fournit justement le traitement, et parfois quand je...

Le président : Je vous ai accordé un temps limité.

Mme Hutchison : Je l'ai bien compris. Il ne me reste qu'une phrase.

Quelquefois, dans d'autres contextes, quand je dois donner une description détaillée de ce qui se passe, on me dit que c'est dégoutant, que je devrais m'abstenir de dire de telles choses en public. Et je n'arrive même pas à décrire, puisque notre temps est limité, ce qu'on doit endurer. La solution n'est pas de nous tuer.

Le président : Je suis désolé.

Le sénateur Joyal : Personne n'a laissé entendre qu'on devrait vous tuer.

Le président : On ne peut pas laisser durer ce type de conversation. D'autres sénateurs souhaitent poser leurs questions.

Je vous en prie, sénatrice Lankin.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup.

Monsieur Bach, j'aimerais faire suite à la recommandation d'examen préalable. Nous avons parlé tout à l'heure, comme vous en avez été témoin, de médecins qui estiment que la décision est médicale plutôt que juridique. Ils proposent de la rendre médicale et non juridique.

Il est intéressant que vous mentionniez Gilbert Sharpe qui a été pendant de longues années avocat-conseil au ministère de la Santé de l'Ontario et qui a joué un rôle-clé dans le développement du régime de consentement aux soins de la province, y compris d'un mécanisme décisionnel de la capacité à consentir par un tribunal spécialisé et de nouvelles dispositions sur le consentement libre et éclairé.

Ma réaction instinctive est de dire qu'il faudrait s'abstenir d'avoir constamment recours aux tribunaux dans ces cas, mais je reste intriguée par cette recommandation d'un tribunal de révision plus spécialisé qui fonderait sans doute ses décisions sur des expertises médicales ou autres.

Je vous inviterais à décrire brièvement, puisque le temps nous presse, ce à quoi le résultat pourrait ressembler et comment il pourrait s'inscrire dans le cadre actuel du régime de consentement aux soins, qui se présente différemment, il faut bien le reconnaître, dans chaque province.

M. Bach : Je pense que le tribunal ontarien, la Commission du consentement et de la capacité, représente exactement le modèle que Gilbert Sharpe avait à l'esprit.

Je ne peux pas parler en son nom. C'est manifestement le modèle que nous avions eu à l'esprit et il est excellent.

À la commission, un jury de trois personnes — un médecin, un avocat et un membre du public, dont il existe un bassin — examinent des demandes qui mettent cause une question de capacité à consentir.

Il est fait état de 6 500 demandes examinées et de 55 réglées dans son dernier rapport annuel de 2014-2015. Elle a l'obligation légale de rendre sa décision dans un délai de sept jours. Il est ressorti de nos discussions avec les membres de la Commission du consentement et de la capacité que, dans certaines situations d'urgence, la décision est rendue dans les 24 heures.

Elle communique par le biais de vidéoconférences afin d'assurer un service dans les milieux ruraux et éloignés. Elle se pose donc en modèle en termes de nombres de demandes traitées en Ontario. J'espère que nous n'entendrons pas plus de 6 500 demandes par an en Ontario, bien que cela serait possible et que nous pourrions les traiter rapidement.

Par égard pour mes collègues des ordres professionnels, il ne s'agit pas simplement d'une décision médicale, puisque l'interdiction n'a pas été invalidée. C'est une exception à l'interdiction du suicide assisté figurant au Code criminel. C'est une exception figurant au Code criminel, et nous estimons qu'un contrôle judiciaire est requis pour s'assurer que les critères ont été satisfaits. Ainsi, il sera possible de justifier une exception à l'interdiction dans des circonstances exceptionnelles.

Le président : Merci à tous. Excusez-moi d'avoir interrompu, à l'occasion, un certain nombre d'entre vous. Nous apprécions tous la passion dont vous faites preuve, surtout la vôtre, madame Hutchison, mais nous faisons face à un échéancier serré. J'espère que vous le comprenez.

Je vous remercie de vous être déplacés et de nous donner un coup de main. C'est très apprécié.

Notre dernier groupe est composé du Dr Arnaud Painvin, qui est membre du comité consultatif de médecins de Dying with Dignity Canada. Nous accueillons aussi Margaret Birrell, présidente du Alliance of People with Disabilities in Carter v. Canada, ainsi que Angus Gunn, conseiller juridique, qui se joint à nous par vidéoconférence de Vancouver. Léa Simard sera aussi parmi nous. Merci à tous de vous être déplacés aujourd'hui.

Docteur, il me semble vous allez maintenant nous adresser quelques remarques préliminaires.

Dr Arnaud Painvin, membre du comité consultatif de médecins, Dying With Dignity Canada : Merci, monsieur le président. Au nom de Dying with Dignity Canada, nous remercions le comité pour cette invitation et je serai également heureux de répondre à vos questions en français, au besoin.

Je commence par ma conclusion. Tout d'abord, je note que le projet de loi C-14 est très restrictif, au point de ne pas être conforme aux enseignements clairs de la Cour suprême dans l'arrêt Carter, ceux que devrait suivre la Couronne.

Deuxièmement, le projet de loi C-14 est discriminatoire à plusieurs égards et, de ce fait, n'est pas conforme à la Charte.

Troisièmement, il utilise souvent des formulations vagues et inadmissibles, à risque d'occasionner la confusion autant chez les patients que chez les fournisseurs de soins de santé et de services juridiques, surtout en ce qui a trait à la période d'évolution de la maladie et au choix du moment de la décision.

Quatrièmement, il n'existe aucun mécanisme d'examen obligatoire de la loi tous les deux ou trois ans qui puisse être déclenché par le public.

Le projet de loi C-14 comporte des restrictions dans trois domaines principaux qui sont sources de discriminations inadmissibles. Il définit la maladie comme devant être incurable. Pourtant, la Cour suprême avait précisé que l'exigence de problèmes de santé « ne signifie pas que le patient doive subir des traitements qu'il juge inacceptables ». Il existe un écart important entre la formulation adoptée par le projet de loi C-14 et les enseignements de la Cour suprême.

Il s'agit donc d'une discrimination et de restriction inadmissibles, puisque le projet de loi C-14 exclut de sa portée ces patients qui souffrent de problèmes de santé graves et irrémédiables, mais qui ne souhaitent pas poursuivre leur traitement, comme, par exemple, une chimiothérapie causant des effets secondaires douloureux tant au niveau physique que moral. En d'autres termes, le projet de loi C-14 exige que l'on procède à tous les traitements offerts, faute de quoi on serait inadmissible à recevoir l'aide médicale à mourir. Cette partie, également, n'est pas conforme aux enseignements de la Cour suprême.

Dying with Dignity Canada propose de radier l'alinéa 241.2(2)a) et de le remplacer par ce qui suit : « elle est atteinte d'une maladie, d'une affection ou d'un handicap graves qui est irrémédiable ou pour lequel il n'existe aucun traitement que le patient juge acceptable. »

En ce qui a trait aux mineurs matures, le projet de loi devrait envisager le cas de figure de mineurs souffrant de problèmes de santé chroniques et irrémédiables qui demanderaient une aide médicale à mourir. Dans ma pratique, j'ai vu de nombreux enfants à l'hôpital SickKids de Toronto qui souffraient de maladies en phase terminale et qui demandaient des soins de fin de vie. Les critères d'admissibilité devraient être fondés sur le consentement libre et éclairé, la capacité et le niveau de maturité, et non pas l'âge.

Des exemples d'aide médicale au suicide existent en Belgique et aux Pays-Bas.

Le projet de loi C-14 interdit le recours aux demandes anticipées pour l'aide médicale à mourir. Cette mesure est discriminatoire, puisqu'elle ferme la porte à la mort assistée pour les Canadiens qui sont toujours capables, mais qui souffrent de démence ou d'une autre maladie chronique dégénérative telle que la maladie de Huntington. Ils n'auraient plus accès à ce service s'ils devaient devenir incapables.

Nous savons que la question des demandes anticipées reste très complexe. Elles devront être limpides afin de bien décrire quand et où elles pourront être mises en œuvre au profit d'une personne devenue incapable, et de qui il pourra s'agir.

Les demandes anticipées pour l'aide médicale à mourir sont permises en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Colombie. Dying with Dignity propose donc de radier l'alinéa 241.2(2)b) et d'y insérer un alinéa traitant des demandes anticipées.

Le projet de loi est inacceptable, restrictif et discriminatoire en ce qui a trait à la séquence des événements en cause. Il mentionne un « déclin avancé et irréversible de ses capacités ». Cette formulation imposerait des années de souffrance physique et mentale aiguë aux patients souffrant d'une maladie chronique irréversible et invalidante comme la sclérose en plaques ou la sclérose latérale amyotrophique. Ceux-ci peuvent ne pas avoir atteint la phase terminale de leur maladie, dont le mûrissement reste imprévisible et peut être de longue durée. Conséquemment, la formulation adoptée risque de violer le droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, enchâssée dans la Charte.

Le président : Je vous inviterais maintenant à conclure, s'il vous plaît.

Dr Painvin : Nous estimons que le projet de loi C-14 est discriminatoire à plusieurs égards. Il est très restrictif, au point de ne pas refléter les enseignements de la Cour suprême. Nous voulons un examen obligatoire de la loi aux deux ou trois ans, qui puisse être déclenché par le public.

Le président : Merci, monsieur.

J'invite maintenant Mme Birrell et M. Gunn à prendre la parole. Je vous en prie.

Angus Gunn, conseiller juridique, Alliance of People with Disabilities in Carter v. Canada : Je vous remercie de nous donner cette occasion de témoigner devant vous cet après-midi.

Je vous présente, à votre droite, Margaret Birrell, la présidente de l'Alliance. Je m'appelle Angus Gunn et je tiens le rôle de conseiller en litige pour l'alliance depuis 2011.

Nous notons que vous avez peut-être une copie de notre mémoire. On m'a demandé cet après-midi de vous lire des remarques préparées qui portent seulement sur deux des amendements suggérés dans le mémoire. Ni l'un, ni l'autre n'a été accepté par le comité permanent de la Chambre des communes, mais l'alliance les présente aujourd'hui dans l'espoir que le second examen objectif que leur offrira cette chambre leur donnera l'attention qu'ils méritent. Mme Birrell se fera un plaisir de répondre à toutes les questions qu'aurait le comité.

Le premier amendement vise à restaurer le mécanisme des directives anticipées. Le projet de loi C-14 n'incorpore pas la recommandation du comité mixte spécial visant à permettre l'utilisation de directives anticipées. Les droits, garantis par la Charte, de ceux qui souffrent de démence ne méritent pas moins d'égards du fait que leur souffrance soutenue et insupportable les prive aussi de leur capacité décisionnelle.

Le gouvernement a avancé deux arguments à l'appui de son exclusion des directives anticipées, et nous estimons qu'aucun ne résiste à un examen approfondi. Tout d'abord, on soutient que les directives ne peuvent se faire l'écho du consentement d'une personne au moment où l'aide médicale à mourir lui serait prodiguée. Deuxièmement, on dit que l'exclusion des directives anticipées servirait à se prémunir contre les effets de suppositions erronées.

Pourtant, les directives anticipées nous fournissent la preuve incontestable du consentement d'une personne au moment où sa capacité à le fournir était entière. La démence détruit, en fin de compte, la capacité à consentir. Insister pour que la capacité de consentement soit présente au moment de la fourniture de l'aide médicale à mourir revient à exiger l'impossible.

Existe-t-il vraiment des individus qui décident qu'ils préféreraient mourir plutôt que d'endurer, disons, l'Alzheimer, mais qui, ensuite changeraient d'avis parce que l'Alzheimer ne serait pas si terrible après tout?

Même si de telles personnes existent, pourquoi leur faiblesse devrait-elle avoir préséance sur les milliers d'individus dont la maladie les prive de la capacité de pouvoir confirmer que leurs souhaits n'ont pas changé?

Pourquoi l'interdiction totale, rejetée dans l'arrêt Carter pour les personnes souffrant de sclérose latérale amyotrophique serait-elle acceptable pour celles souffrant de démence?

Si une personne, quand elle est encore capable, décide en toute connaissance de cause, rendu à un stade avancé de déclin, la qualité et la valeur de sa vie pourraient s'être dégradées au point où le recours à l'aide médicale à mourir serait souhaitable, pourquoi diable cette décision ne serait-elle pas respectée, et de quel droit l'État la rejetterait-il au motif qu'elle serait le reflet de suppositions erronées?

L'exclusion des directives anticipées, même pendant les six mois nécessaires à une étude approfondie, mine les droits garantis par la Charte et serait la source de souffrances inutiles pour des milliers de Canadiens. L'Alliance somme le comité de restaurer le mécanisme des directives anticipées pour l'aide médicale à mourir.

Le deuxième amendement que nous exhortons le comité à supprimer est l'exigence que la mort soit raisonnablement prévisible. L'exigence d'une mort raisonnablement prévisible, figurant dans le projet de loi C-14, n'est pas conforme à l'arrêt Carter. Effectivement, Kay Carter elle-même souffrait de sténose spinale, qui n'est ni fatale ni susceptible d'abréger la vie.

Le gouvernement évoque, à sa décharge, l'adoption d'une position politique, mais l'arrêt Carter a établi des minimums de protection constitutionnelle que le projet de loi C-14 se doit, à tout le moins, de mettre en œuvre. Aucun raisonnement politique ne peut déroger à ces minimums constitutionnels.

Dans tous les cas, nous soutenons que les objectifs politiques du gouvernement sont déjà atteints par les autres éléments du critère établi par l'arrêt Carter.

La controverse née du fait que Mme Carter aurait pu avoir gain de cause dans son affaire, mais serait inadmissible en vertu des critères du projet de loi C-14, souligne un autre problème dont souffre cette disposition. Le droit pénal canadien adhère au principe de certitude : les interdictions doivent être fixées et prévisibles.

Les Canadiens ne devraient pas avoir à deviner si leurs actes sont interdits ou pas, sur la base d'une application au cas par cas de concepts flous tel que « raisonnablement prévisible » ou « pas trop lointain ». Nous sommons le comité d'enlever l'exigence de la prévisibilité de la mort.

Nous vous remercions, une fois de plus, pour l'occasion de participer aux précieux travaux de ce comité.

Le président : Merci.

Madame Simard, je vous invite à procéder aux dernières remarques préliminaires.

[Français]

Léa Simard, à titre personnel : Bonjour, je viens vous parler de l'histoire de ma mère, Louise Laplante, décédée le 13 mars. Il sera difficile pour moi de parler, car il y a beaucoup d'émotion. Ma mère s'est laissée mourir de faim, pendant quatre jours, chez ma sœur et moi, parce que le Canada ne pouvait pas lui offrir de l'aide médicale à mourir. Elle était atteinte de sclérose en plaques, et la loi au Québec ne lui permettait pas l'aide médicale à mourir, puisqu'elle n'était pas en fin de vie. Ce que je souhaite, en venant témoigner ici, c'est que dans mon pays, le Canada, nous puissions retirer le critère de la mort raisonnablement prévisible, qui est tellement flou, et qui enlève de l'espoir à plusieurs personnes qui ne mourront pas nécessairement rapidement.

Le Québec a déjà adopté une loi qui est un peu restrictive. Ce que je souhaite le plus, aujourd'hui, c'est de tenter de retirer les détails restrictifs, surtout pour des personnes comme ma mère qui sont atteintes de maladies dégénératives. Ma mère souffrait constamment et n'avait plus de qualité de vie. Sa vie n'était que souffrance, mais elle était très consciente et lucide. Après avoir consulté plusieurs médecins qui auraient voulu l'aider, ils s'entendaient tous pour dire qu'elle répondait à plusieurs critères, mais qu'elle n'était pas en fin de vie, selon la loi du Québec.

Cependant, en analysant le projet de loi canadien, j'étais triste de constater que ma mère n'y aurait pas eu droit non plus, comme Mme Carter. Nous avons eu à traverser cette épreuve, parce que notre pays ne nous permet pas de respecter la volonté d'une personne dont la vie s'est terminée, qui souffre énormément et consciemment. Après plusieurs examens, on convient qu'elle souffre trop, mais qu'il n'est pas possible de respecter son désir de quitter son corps.

Je viens témoigner pour mettre un peu d'humanité dans l'étude de ce comité. Je l'ai vécu, et plusieurs familles continueront à le vivre si le Canada ne modifie pas son projet de loi C-14. Dans la vie de tous les jours, si on n'est pas très au courant de ce qui se passe, on entend parler de ce projet de loi et on se réjouit en pensant qu'on pourra aider des personnes. Cependant, lorsqu'on en étudie le texte, on se rend compte qu'il faudra, encore une fois, trouver des médecins ouverts d'esprit et, encore une fois, le médecin devra juger du critère de la mort « raisonnablement prévisible ». Ainsi, si on a affaire à des médecins qui ont peur — et nous avons eu presque uniquement des médecins qui avaient peur —, ils ne savent que faire. Il faut absolument enlever la menace qui pèse sur les médecins. J'espère qu'il y aura une campagne d'information sur cette loi. J'espère que les médecins seront mis au courant qu'ils n'ont pas à craindre d'aider quelqu'un à mourir. Nous avons souvent ressenti cette peur lorsque nous demandions de l'aide, car les médecins avaient trop peur de nous aider. C'est incroyable, cette menace qui plane au-dessus de leurs têtes. J'espère sincèrement que cette menace sera éliminée, afin que les médecins soient en mesure d'aider certains patients et de respecter leur volonté, comme dans le cas de ma mère, qui souffrait tellement, mais qui était lucide, et dont la mort n'était pas prévisible.

Ainsi, elle doit aller en Suisse, dans un autre pays que le Canada, pour avoir accès à l'aide médicale à mourir, ou se laisser mourir de faim. C'est incroyable. Je ne peux pas croire qu'en 2016, ici au Canada, la loi ne sera pas plus ouverte, de sorte que des personnes atteintes de maladies incurables et qui subissent des souffrances insoutenables ne puissent pas recevoir de l'aide pour quitter ce monde dans la dignité. Merci.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant aux questions, et j'invite la sénatrice Jaffer, la vice- présidente du comité, à ouvrir la marche.

La sénatrice Jaffer : Merci à tous pour vos présentations.

Madame Simard, je voulais vous dire qu'on vous a très bien comprise, et nous garderons vos propos à l'esprit lors de nos délibérations. Merci d'avoir échangé avec nous sur un sujet aussi difficile. Ce n'est pas facile, mais nous l'apprécions.

J'ai une question à l'intention de Mme Birrell et de M. Gunn au sujet des directives anticipées. Quand vous avez comparu devant la Chambre, vous avez dit, si j'ai bien compris, que les questions des mineurs matures et des maladies mentales méritaient une réflexion approfondie, mais que celles des directives anticipées avaient déjà été suffisamment étudiées, et que la Belgique et les Pays-Bas se posaient en exemples.

Sans procéder à un examen approfondi de la question, comment envisagez-vous le fonctionnement d'un système de directives anticipées au Canada dans les situations où il n'est pas possible d'obtenir un consentement éclairé?

Mme Birrell : Tout d'abord, il faut que cela figure dans la loi. Cela doit y être inscrit. Nous avons des directives anticipées en Colombie-Britannique et un accord de représentation. Toutefois, il ne s'agit pas de l'aide médicale à mourir, mais plutôt de nos choix en matière de soins de santé.

J'ai pris part à plusieurs affaires dans le cadre du système britanno-colombien, et donc les modèles existent. On n'a pas à consacrer beaucoup de temps aux directives anticipées — quand la personne signe ce qu'elle veut, c'est écrit. C'est confirmé et final. Quand elle veut la mettre en œuvre, outre les cas de coercition, et qu'elle souhaite de l'aide, on devrait la lui accorder.

La sénatrice Jaffer : Docteur Painvin, vous avez avancé dans votre mémoire que l'exclusion des directives anticipées équivaut à de la discrimination, surtout à l'encontre de ceux qui souffrent de maladies dégénératives. Pouvez-vous élaborer, s'il vous plaît?

Dr Painvin : Oui. Je prends un exemple. Supposons qu'on m'ait diagnostiqué un début d'Alzheimer. J'ai des problèmes de mémoire, mais je reste mentalement très capable. Je décide un jour de signer une demande anticipée prévoyant une aide médicale à mourir. Bien sûr, je ne sais pas quand je pourrais en avoir besoin. Supposons que, 20 ans plus tard, je devienne incapable. Le problème des directives anticipées est le suivant : quand décide-t-on de la mettre en œuvre, et qui le fait? Ces questions sont très difficiles.

À l'analyse des littératures belge, néerlandaise, luxembourgeoise et colombienne, on voit que tous ces pays permettent que les directives anticipées portent sur l'aide médicale à mourir. Il y a deux critères : quand le patient est dans le coma, et quand il ne peut plus communiquer. Ces critères sont utilisés pour mettre en œuvre la décision du patient, prise 20 ans auparavant, d'avoir recours à l'aide médicale à mourir.

Le problème est fort complexe, tout à fait. À Dying with Dignity Canada, nous sommes d'accord pour étudier la question. C'est essentiel mais extrêmement difficile à transposer dans une loi — très difficile.

Le sénateur White : Mes condoléances, madame Simard. Merci à tous de vous être déplacés.

Docteur, parlons des moins de 18 ans. Quels critères appliquerez-vous dans le cas d'un jeune? Il me semble que vous avez déjà parlé de ceux avec lesquels vous n'étiez pas d'accord. Pouvez-vous nous expliquer comment cela pourrait fonctionner?

Dr Painvin : J'ai vu de nombreux enfants souffrir de maladies en phase terminale, et même ceux de 12 ans étaient très mûrs. Je pense qu'il serait erroné d'utiliser l'âge comme critère. Le faire serait très arbitraire, puisqu'il y a des enfants de 14 ans qui sont très intelligents et qui comprennent la nature de leur maladie et son pronostic. Au Canada, on parle de situer la barre à 16, 17 ou bien 15 ans. En Belgique, par exemple, on la situe à 12 ans. Aux Pays-Bas, c'est 12 ans. Je ne sais pas comment ils en sont venus à fixer cet âge-là, mais c'est très jeune.

Ma réponse, sénateur, est qu'il faudrait plutôt privilégier le critère du niveau de maturité de l'enfant plutôt que son âge, tout en portant attention aux réactions que sa maladie provoque chez lui.

Le sénateur White : Comme vous le savez, nous utilisons souvent l'âge comme critère dans nos lois parce que nous estimons que les jeunes ne sont souvent pas en mesure de prendre seuls certaines décisions cognitives. Vous avez été exposé à de nombreux enfants ayant décidé d'arrêter leur traitement. Il y a quand même une différence entre cesser leur traitement et leur enlever la vie, ou les aider à s'enlever la vie. Il n'en reste pas moins qu'un enfant qui décide de mettre fin à sa vie demeure pour moi un problème insoluble. Les adultes devraient être là pour les protéger.

Vous ne soutenez pas qu'il y ait un âge parfait. Vous nous demandez de laisser au personnel médical la tâche de gérer un enfant de 12 ans et prendre avec lui une décision. C'est bien ce que vous suggérez?

Dr Painvin : C'est très difficile. J'ai vu de nombreux enfants en bas âge ayant pleinement conscience du pronostic de leur maladie. Je suis d'accord, 12 ans peut paraître très jeune. Ce n'est ni leur tâche ni la mienne de vous dire à quel âge la barre devrait être située. Je crois fermement que les mineurs canadiens devraient avoir accès à l'aide médicale à mourir à condition qu'ils soient assez mûrs et puissent prendre une décision éclairée. C'est tout ce que je peux vous dire. Quant à savoir si c'est 16, 17 ou 18 ans, je n'ai aucune réponse.

Le sénateur Baker : Merci pour vos excellents exposés. Je dois dire que je suis en total accord avec ce que vous avez dit au sujet des directives anticipées. Pouvez-vous confirmer, pour le comité, quelque chose à propos des directives anticipées? Dying with Dignity Canada suggère l'adoption de directives anticipées dans toutes les provinces, avec des modèles et ainsi de suite.

Si je me rappelle la nature des directives anticipées, sur la dernière page du très long sondage, le dernier item mentionne que, si un hôpital est en désaccord avec ma directive, alors je souhaite aller à un autre hôpital. Au-dessus, on lit que si le fournisseur de soins est en désaccord, alors je souhaite trouver un autre fournisseur de soins. En haut de la page, une section-clé comporte ce que l'on refuse, comme des mesures de maintien en vie, et ce que l'on accepte. La première chose qui me frappe est l'inclusion de médicaments pour soulager la douleur qui peuvent hâter la mort. C'est actuellement inclus dans la directive anticipée de toutes les provinces canadiennes. Alors je ne vois pas en quoi on s'opposerait à ce que les directives anticipées figurent dans le projet de loi. Pouvez-vous me confirmer que ceci figure bel et bien dans les directives anticipées auxquelles ont accès les Canadiens dès maintenant?

Dr Painvin : J'y tâcherai.

J'ai travaillé 32 ans en soins intensifs. Nous savons tous que des médicaments pour soulager la douleur sont souvent utilisés pour déclencher le processus, donc c'est sûrement ce à quoi vous vous référez.

Le sénateur Baker : Même si cela peut hâter ma mort, c'est là en toutes lettres, ce que vous signez.

Dr Painvin : En tant que médecin, je n'accélèrerai en aucun cas le taux d'absorption de morphine d'un patient afin de causer sa mort. Ce n'est pas encore acceptable.

Le sénateur Baker : Vous devez respecter la directive anticipée. C'est ce que dit la loi.

Dr Painvin : Tout à fait. Mais, sénateur, il y a un problème avec les directives anticipées. Il ne s'agit pas que d'aide médicale à mourir, mais de directives anticipées en général. Voulez-vous des soins intensifs? Voulez-vous être ventilé?

Le problème est de savoir qui y aura accès. Si j'ai un accident de la route seul, qu'on m'envoie à l'hôpital et que j'ai mes directives anticipées quelque part, comment y donner accès aux fournisseurs de soins de santé? Comment les ambulanciers pourront-ils commencer leur traitement et pratiquer sur moi la RCP? Si je refuse, ils n'ont aucun moyen de savoir que j'ai une directive anticipée.

À DWD, nous envisageons un genre de carte qu'on pourrait garder dans son portefeuille, et l'ambulancier serait légalement obligé de tenir compte de cette directive anticipée. Si personne n'en tient compte, c'est comme si la directive n'existait pas. Le problème des directives anticipées pour les soins conventionnels ou pour l'aide médicale à mourir est un enjeu très complexe.

J'aimerais ajouter quelque chose, sénateur. Autant pour nous à Dying With Dignity que pour de nombreux Canadiens, le projet de loi C-14 est une énorme surprise puisqu'il ne respecte manifestement pas les enseignements de la Cour suprême du Canada.

Deuxièmement, pour des raisons évidentes, la portée du projet de loi a été restreinte pour des raisons politiques. On veut que le projet soit adopté, surtout en vote libre.

Donc, il nous pose de gros problèmes. Il doit être modifié, sans quoi il fera immédiatement l'objet d'un recours judiciaire. Lors du premier recours judiciaire, le juge prendra en compte le projet de loi, d'un côté, et l'avis de la Cour suprême, de l'autre, et la Couronne perdra.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Simard, j'aimerais vous remercier d'être venue témoigner aujourd'hui. Pour aider notre compréhension, au sein du comité, de ce que vivent les familles comme la vôtre, j'aimerais savoir à quel moment votre mère a pris sa décision, dans quel environnement, quels conseils lui ont été donnés, le cas échéant, et à qui elle communiquait ses préoccupations. Je terminerai ma question comme suit : est-ce que, du point de vue familial, il y avait un accord unanime?

Mme Simard : Je commencerai par répondre à la dernière question en disant que, oui, c'était unanime. Elle nous en parlait depuis plusieurs années. Comme elle était une personne très spirituelle, la mort ne lui faisait pas peur, et à nous non plus, par chance. Il faut dire qu'elle nous a éduqués en ce sens.

Elle avait eu son diagnostic 15 ans auparavant. Au cours des cinq dernières années, sa situation s'était détériorée à la suite d'une chute qui avait entraîné une fracture de la hanche et de la clavicule. Elle s'est alors retrouvée en fauteuil roulant, après quoi ce fut la dégringolade, surtout au cours des six mois qui ont précédé sa mort.

Elle recevait des soins à domicile grâce au CLSC de son quartier, à Longueuil. Ces soins lui suffisaient, car elle désirait garder une certaine indépendance. C'était une femme très forte, très solitaire aussi. Elle préférait recevoir le moins de soins possible et rester à la maison. Nous étions très satisfaits des soins qu'elle recevait à domicile. Par contre, la situation se détériorait de plus en plus, à un point tel qu'elle était très craintive la nuit. Il n'y a ni soins ni visites la nuit. Elle restait donc 12 heures sans recevoir ni visites ni soins, et cette situation était devenue impossible.

Nous avons donc rencontré une travailleuse sociale afin d'avoir recours à une ressource intermédiaire. Finalement, les choses n'ont pas fonctionné et, après évaluation, on nous a recommandé un Centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Son entrée au CHSLD a été le tournant de sa décision. C'était l'enfer pour elle, à 66 ans, de se retrouver parmi une clientèle dont l'âge moyen était d'environ 85 ans, et avec des gens totalement absents. C'étaient des conditions atroces pour une personne solitaire, indépendante qui, tout à coup, devient totalement dépendante, dans un environnement qu'elle déteste.

Soit dit en passant, ma mère était végétarienne. Or, elle s'est retrouvée au CHSLD avec des menus qui ne lui convenaient absolument pas, avec des façons de faire très brusques et des déformations professionnelles. On s'adressait à elle comme à une petite vieille sourde. Bref, c'était l'enfer. C'est exactement ce qui l'a poussée à prendre sa décision.

Elle pensait aller en Suisse, mais elle n'avait pas assez d'énergie pour faire le voyage. En considérant tous ces facteurs, quelles solutions s'offraient à elle, sans que nous soyons incriminés? C'était de se laisser mourir de faim. Elle voulait prendre sa propre décision et être maître de sa mort. La seule façon d'y arriver était de se priver elle-même d'eau et de nourriture.

[Traduction]

Dr Painvin : Puis-je rajouter quelque chose, en tant que médecin? Mourir de faim prend trois semaines tandis que mourir de déshydratation ne prend que quelques jours. Si le mot « incurable » n'est pas radié du projet de loi C-14, nous serons confrontés à des Canadiens qui suivent cette voie. C'est complètement inacceptable.

[Français]

Le sénateur Joyal : À quel moment, madame Simard, avez-vous contacté un médecin pour requérir l'aide médicale à mourir qui, selon vous, aurait dû être disponible dans les circonstances?

Mme Simard : Son médecin de famille, le médecin traitant, a été mis au courant. Elle était très ouverte. Nous étions très contents d'avoir ce rapport avec elle. Elle était certaine que ma mère était admissible en vertu de la loi au Québec. Après avoir parlé à deux ou trois collègues, elle s'est rendu compte que le critère de fin de vie venait en premier lieu, et que s'il n'était pas rempli, on ne pouvait absolument pas aider cette personne dans sa démarche. Nous étions déçus, parce que, pendant au moins trois semaines, on croyait que le Québec pouvait nous aider, étant donné que son médecin de famille nous avait encouragés à le faire. Finalement, c'est tombé à l'eau.

Les démarches en Suisse ont donc démarré. Toutefois, la chute d'énergie et la détérioration de son état ont continué, et nous avons abandonné cette voie. Lorsqu'elle est entrée au CHSLD, elle a eu un nouveau médecin traitant. On lui parlait et on lui posait des questions. Le dialogue était très ouvert. On parlait de son désir de mourir, de quitter son corps, d'arrêter ses souffrances. Le médecin entendait très bien la demande, mais ne savait absolument pas quoi faire. Encore une fois, il a communiqué avec deux ou trois collègues de l'hôpital Pierre-Boucher, situé à côté du CHSLD, mais il est resté sans ressources, ni réponses, ni aide.

Finalement, il nous a laissés partir à la maison. On a alors demandé d'amener ma mère à la maison pour réaliser son projet de grève de la faim, parce qu'il était devenu insupportable pour elle de rester dans ce centre d'hébergement. Aucun médecin, aucune aide, aucun professionnel de la santé n'avaient de solution pour nous. Ce qu'ils voulaient, c'était améliorer ses conditions de vie.

Lorsqu'on est aux prises avec une souffrance telle qu'elle ne nous donne plus de plaisir à vivre, le fait d'avoir un coussin ergonomique sur son fauteuil roulant ne change absolument rien. Le fait qu'un ergothérapeute vienne vous faire faire des exercices pour soulager votre mal d'épaule ou de cou, qui vous donne mal à la tête 24 heures par jour, ne sert plus à rien. Ce qu'on propose, c'est améliorer les conditions de vie. Or, il ne reste aucune qualité de vie. Il n'y a donc rien à améliorer.

Quand une personne lucide et consciente fait la demande d'être libérée de son corps et que, après examens et études professionnelles, on comprend que cette personne n'est pas dépressive, qu'il ne s'agit pas d'un suicide, mais bien d'une aide à mourir et à se libérer de son corps, on doit évaluer la question comme telle.

Le sénateur Joyal : Est-elle décédée de faim et de soif?

Mme Simard : Oui.

Le sénateur Joyal : Ou bien est-ce que, finalement, le médecin, constatant son état...

Mme Simard : Non, il nous a laissés partir à la maison. Nous avons quitté le centre d'hébergement pour l'installer dans une chambre dans la maison de ma sœur. Ma sœur et moi étions à son chevet pendant quatre jours dans une petite chambre où elle faisait ce projet de grève de la faim pour en finir. Les personnes dans ces situations sont en attente, sont dépendantes de tout le monde, et ne peuvent rien décider pour elles-mêmes. Elles manquent d'énergie et de ressources, et n'ont plus de mobilité. Elles sont dépendantes de tous ceux qui les entourent.

Nous ne pouvions même pas demander à ma mère de nous accorder deux ou trois jours pour trouver une solution, car il fallait la sortir de là immédiatement pour commencer son projet. Elle avait atteint un point de non-retour, c'était terminé pour elle, et nous ne pouvions la convaincre du contraire. Nous ne voulions pas la convaincre du contraire, parce que nous étions d'accord que ses souffrances étaient trop grandes pour qu'elle puisse continuer à vivre.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Docteur Painvin, en réponse à la question du sénateur White, vous avez mentionné les Pays-Bas et la Belgique, et j'aimerais vous rappeler ce qu'un témoin nous a dit. Il a précisé que :

Si l'on devait normaliser au Canada ce qui s'est produit aux Pays-Bas et en Belgique, on en arriverait à quelque 9 000 décès par an, en partant des mêmes données.

Aux Pays-Bas, l'expression « souffrance psychologique » a permis à un homme de 63 ans en pleine forme de mourir euthanasié parce qu'il ne pouvait faire face à la perspective de la retraite. Le psychiatre chargé de l'évaluer à la clinique a dit que le patient :

... était parvenu à le convaincre qu'il lui était impossible de continuer ainsi. Qu'il était seul au monde, qu'il n'avait jamais eu de compagne ou de compagnon, qu'il n'avait plus de contact avec sa famille. C'est comme s'il ne s'était pas développé. Il avait l'impression de ne plus avoir le droit de vivre. Il était rongé par le sentiment de haine qu'il se vouait.

Son problème n'était que de nature psychologique et non physique.

Une femme de cinquante-quatre ans qui avait une peur pathologique des microbes, en Belgique, a aussi satisfait au critère de la souffrance psychologique.

Estimez-vous que la loi belge soit une réussite?

Dr Painvin : Non, je ne le crois pas. C'est pour cela que les mesures de sauvegarde doivent être très précises. Quant aux exemples que vous avez donnés, je dirais qu'il s'agit là d'évaluations professionnelles erronées du patient de la part de son médecin.

Le sénateur Plett : Vous proposez d'abaisser l'âge des enfants, ou comme vous les appelez, des mineurs mûrs, comme en Belgique. Je pense que vous avez dit 12 ans, ou peut-être 11. Je ne suis pas sûr. Avez-vous dit 12 ans?

Dr Painvin : Oui.

Le sénateur Plett : Une partie du préambule mentionne que le gouvernement envisage la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée. Si vous partez de la maladie mentale comme seule condition médicale et considérez des enfants de 11 et de 12 ans, nous aurions déjà eu 15 morts à Attawapiskat il y a quelques mois.

Comment la seule maladie mentale plus des enfants peuvent-ils être des facteurs déterminants? Si, au moins, il s'agissait d'une maladie médicale plutôt que d'une maladie mentale plus les enfants? Je n'arrive pas à m'y faire.

Dr Painvin : Sénateur, en ce qui a trait aux enfants, ils devront être soumis à une évaluation psychologique et psychiatrique très professionnelle effectuée par un expert, un pédiatre en l'espèce. Il n'est pas question ici de gens déprimés. C'est très différent.

Quand j'ai mentionné les 12 ans en Belgique, je n'ai pas dit qu'il fallait s'arrêter à cet âge-là. Ce n'était qu'un exemple.

Le sénateur Plett : J'espère que, lorsque nous aurons les cartes que vous nous recommandez, la mienne se lira « ne me tuez pas en cas d'accident ».

Dr Painvin : Oui, monsieur.

Le président : Madame Birrell, il nous reste une minute si vous ou M. Gunn voulez répondre à ce commentaire.

Mme Birrell : Je pense que nous continuons à ériger des obstacles sur la voie de la mise en œuvre de l'aide médicale à mourir. Les directives de soins anticipées sont signées par la personne en cause qui décide quand elle veut mourir, et tout cela est enregistré. Les directives ne sont suivies que si la personne le veut. Je parle donc d'une certaine planification.

J'ai pris part à la conclusion de l'accord de représentation en Colombie-Britannique. Je faisais partie du groupe ayant rédigé la loi. Ce qui se passe, dans ce cas-là, c'est que l'individu en cause se présente devant un notaire public ou un avocat avec un ou deux représentants afin de rédiger...

Le président : Je suis désolé, madame Birrell. Je vous en avais offert l'occasion, mais je dois vous retirer la parole. Vous ne répondez pas à la question. Dans tous les cas, nous reviendrons peut-être vers vous ultérieurement.

Le sénateur Cowan : Merci pour votre exposé.

Docteur, j'ai une question à vous poser. Nous savons tous à quel point ces questions sont difficiles à traiter, même sans avoir le type d'expérience personnelle qu'a vécu Mme Simard. On parle beaucoup de la date butoir du 6 juin et de ce qu'on doit accomplir. Même s'il n'est pas parfait, n'est-il pas mieux d'avoir ce projet de loi plutôt que de ne pas en avoir du tout? Comme nous connaissons la position de la Cour suprême du Canada par l'entremise de l'arrêt Carter, pensez-vous qu'il vaille mieux avoir ce projet de loi que de ne pas en avoir ou bien devrions-nous prendre le temps de bien faire les choses?

Dr Painvin : C'est une question très difficile, sénateur. Nous sommes sur la bonne voie, mais le projet de loi C-14 n'est pas conforme aux directives de la Cour suprême. Si nous nous retrouvons avec une nouvelle loi en juin ou en juillet, elle fera immédiatement l'objet d'un recours judiciaire mettant en cause ses formulations de même que sa portée restreinte et discriminatoire.

Donc est-ce bon ou mauvais? Ce sont les deux. C'est un pas en avant pour le pays que d'avoir une loi sur l'aide médicale à mourir, mais j'estime qu'on devrait en avoir une qui soit adaptée. Nous avons assez d'exemples à suivre à l'étranger et nous disposons ici de gens intelligents qui pourront s'affairer à concevoir une loi qui ne soit pas discriminatoire, d'une part, et qui se conforme aussi bien à la décision de la Cour suprême qu'à la Charte, d'autre part. En l'état, le projet de loi C-14 ne respecte pas les impératifs de la Cour suprême et de la Charte.

Est-ce bon ou mauvais? Ce sont les deux.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci à tous les quatre pour vos présentations. Madame Simard, décidément, c'est une histoire plutôt triste que vous avez racontée. Je vous offre mes condoléances les plus sincères pour la perte de votre mère.

[Traduction]

Madame Birrell, je comprends ce à quoi sont confrontées les personnes handicapées lorsqu'elles ont affaire à des médecins. Dans cette veine, savez-vous s'il existe des lois parlant de personnes qui ont des troubles du langage ou de la parole ou des déficiences de communication?

Mme Birrell : Je pense que les personnes souffrant d'une déficience de communication comme partie intégrante de leur handicap, mais pas en tant que dégénérescence, doivent pouvoir compter sur un système. Il faut que cela existe en amont pour que les souhaits de la personne soient très clairs. C'est la première chose.

Rappelez-moi la deuxième partie de votre question?

Le sénateur McIntyre : Existe-t-il des lois appuyant les personnes qui ont un trouble de la parole ou du langage, ou une déficience de communication dans leurs démarches auprès des médecins?

Mme Birrell : Non. Il n'y a aucun critère ni loi spécifique. Les groupes de défense aspirent à ce que ce soit mis en place. Je pense qu'il est important qu'ils existent.

La sénatrice Batters : Docteur Painvin, le suicide médicalement assisté demeure un phénomène rare au niveau mondial. J'ai cru comprendre que neuf pays ou États seulement permettent ce type de procédure, y compris des États américains qui exigent que le patient soit atteint d'une maladie mortelle et soit en phase terminale, n'est-ce pas? C'est bien neuf pays ou États dans le monde entier qui permettent actuellement le suicide médicalement assisté?

Dr Painvin : Il y a les États de l'Oregon, de Washington et du Vermont.

La sénatrice Batters : Dans tous les cas il est question d'une maladie mortelle en phase terminale?

Dr Painvin : Oui.

La sénatrice Batters : Je crois comprendre que seuls six autres pays dans le monde le permettent.

Dr Painvin : Oui, mais ils n'utilisent pas le terme « incurable ».

La sénatrice Batters : Oui, mais il s'agit du principe. Nous ne sommes pas les derniers au monde à souscrire à ce type de législation. Cela reste plutôt rare.

Dr Painvin : Effectivement.

La sénatrice Batters : En ce qui a trait à la question des mineurs matures, vous nous avez parlé, lors de votre témoignage, d'un enfant de 12 ans qui serait très mûr et d'un autre de 14 ans qui serait très intelligent. Vous nous avez parlé de la Belgique et des Pays-Bas comme étant des pays où l'on permet le suicide médicalement assisté pour des enfants âgés de 12 ans. Dans le contexte canadien actuel, en prenant en compte le projet de loi qui nous est soumis, il n'est pas question d'enfants de 17 ans atteints d'un cancer mortel et endurant les derniers mois de leur vie, puisque le projet de loi n'exige pas la présence d'une maladie mortelle en phase terminale. Croyez-vous que, pour les moins de 18 ans, il faudrait exiger que les candidats à l'aide à mourir souffrent d'une maladie mortelle et soient en phase terminale?

Dr Painvin : Je dirais oui, mais le problème reste la définition de « maladie mortelle ». Même dans le cas d'une maladie mortelle, la mort peut aussi bien survenir au bout de quelques mois que de quelques semaines.

La sénatrice Batters : D'accord, merci.

Dr Painvin : Pour répondre à la question, c'est oui.

La sénatrice Batters : Vous avez aussi fait un commentaire à un moment donné sur le gouvernement libéral qui permet à ses députés de voter librement sur ce projet de loi. Vous semblez être contre la possibilité d'un tel vote au Parlement. Est-ce bien le cas, ou ai-je mal interprété vos propos?

Dr Painvin : Je me garde bien d'émettre mon avis personnel sur cette question. J'ai cru comprendre que ce serait un vote libre.

La sénatrice Batters : Vous avez fait un commentaire, mais vous avez insinué que vous ne pensez pas qu'un vote libre devrait être tenu en la matière, est-ce bien votre avis?

Dr Painvin : Non. Mais je pense que lors d'un vote libre, le risque couru augmente toujours, surtout lorsqu'il s'agit de ces questions. Plus le projet de loi sera restrictif, plus il aura de chances d'être adopté; plus il sera de portée large, plus il sera probable qu'un problème sera identifié. C'est ce que je voulais dire.

La sénatrice Batters : Mais pensez-vous que les députés devraient avoir un vote libre sur une question aussi essentielle pour la conscience de chacun qu'est cette question de vie et de mort?

Dr Painvin : Tout à fait. C'est mon avis personnel mais pas nécessairement celui de DWD.

La sénatrice Batters : Donc Dying With Dignity Canada ne pense pas qu'un vote libre devrait être tenu?

Dr Painvin : Non, ce n'est que mon avis.

La sénatrice Batters : Mais vous représentez aussi Dying With Dignity Canada. Les députés devraient-ils avoir un vote libre ou pas?

Dr Painvin : Oui.

La sénatrice Batters : Ils le pensent, donc. D'accord, merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Simard, merci beaucoup d'avoir partagé avec nous cette expérience très douloureuse de la perte de votre mère. Effectivement, les gens qui viennent nous rencontrer se demandent souvent comment ce « comité de sages » que nous sommes peut traiter avec des témoignages comme le vôtre. Personnellement, et cela vaut pour plusieurs de mes collègues, je suis très sensible au fait que ce projet de loi traite avant tout des mourants et laisse de côté les proches, les victimes, les gens qui souffrent de maladies incurables, mais pas nécessairement mortelles à court terme.

Sachez que votre message a été bien reçu, que nous y sommes très sensibles et que nous avons beaucoup gagné à vous entendre. Repartez rassurée, car nous vous avons entendue, et je suis convaincu que votre témoignage fera partie de notre réflexion. Nous espérons que celle-ci sera axée d'abord sur vos besoins, dans la mesure du possible. Merci beaucoup.

Mme Simard : Merci à vous.

Le sénateur Pratte : Madame Simard, merci d'être venue témoigner aujourd'hui. J'aimerais vous poser une question, mais si vous la trouvez trop personnelle, sentez-vous bien à l'aise. J'ai été intrigué par le fait que vous ayez décrit votre mère comme une personne qui était très spirituelle.

Quand j'étais jeune, nous avions des cours de religion. La religion qu'on nous enseignait, et plusieurs autres religions, voyaient plutôt mal l'idée de s'enlever la vie, l'idée du suicide, et voyaient d'un bon œil l'idée de la souffrance. Je ne sais pas quelle était la religion de votre mère ni sa spiritualité, mais comment a-t-elle concilié sa spiritualité à l'idée de mourir?

Mme Simard : C'est une bonne question. Je pourrais peut-être vous répondre en disant qu'elle croyait à ce qui est plus grand qu'elle. Elle n'était pas centrée sur elle-même ou égoïste. Elle croyait qu'à un moment donné, on peut effectivement avoir terminé sa mission sur la Terre, surtout quand notre corps nous fait souffrir et nous dit que c'est terminé.

Je pense que c'était sa spiritualité, en fait, qui lui a fait voir qu'il était peut-être temps pour elle d'en finir. Elle n'avait pas peur de la mort; au contraire, elle la voyait comme une délivrance. Pour elle, mourir voulait dire « arrêter de souffrir ». Je crois que la mort fait peur à plusieurs d'entre nous, mais pour elle, ce n'était pas le cas.

Ainsi, cet aspect ajoutait encore plus de poids à son dossier; autrement dit, quand on a affaire à une femme qui n'a absolument pas peur de la mort, qui a réglé toutes ses choses, dont toute la famille est au courant de sa décision, dont toute la famille l'encourage dans son projet, il est d'autant plus difficile d'accepter qu'il n'y avait aucune solution pour elle, mis à part la grève de la faim.

[Traduction]

Le président : Merci aux témoins de s'être déplacés et d'avoir contribué au débat entourant cet important projet de loi. Nous l'apprécions vivement.

(Le comité s'ajourne.)

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