Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 12 - Témoignages du 27 septembre 2016
VANCOUVER, le mardi 27 septembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 13 h 47, pour poursuivre son étude sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, plus tôt cette année, le Sénat a autorisé le comité à étudier, dans le but d'en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et à se pencher sur les rôles du gouvernement du Canada et du Parlement pour éliminer les retards. C'est notre 19e réunion dans le cadre de cette étude.
Pour la première heure de la séance, nous sommes heureux d'accueillir Adam Palmer, qui est agent de police en chef du Service de police de Vancouver; Jennifer Lopes, qui est vice-présidente de la British Columbia Crown Counsel Association; Sam MacLeod, qui est surintendant des véhicules automobiles au ministère de la Sécurité publique et du Solliciteur général de la Colombie-Britannique; et Geoffrey Cowper, qui est président du groupe British Columbia Justice Reform Initiatives et auteur du rapport intitulé A Criminal Justice System for the 21st Century, qui a été préparé pour la ministre de la Justice et la procureure générale de la Colombie-Britannique en 2012.
Merci à tous d'être ici. M. Cowper sera le premier d'entre vous à prendre la parole.
Geoffrey Cowper, président, BC Justice Reform Initiatives : Sénateur Runciman, cher membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à parler des questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
J'ai pensé aborder quatre questions à titre de déclaration liminaire. Premièrement, quelle est la nature du problème? Deuxièmement, pourquoi croyons-nous pouvoir le régler? Troisièmement, quelles solutions devons-nous élaborer? Quatrièmement, réalisons-nous des progrès?
À propos de la nature du problème, je signale d'abord qu'il existe depuis très longtemps. Nous devons comprendre que, depuis des siècles, les systèmes de justice pénale de pratiquement tous les pays éprouvent de temps à autre et assez régulièrement un problème de délais. Nous devons comprendre que c'est un problème très commun qui remonte à très longtemps, et les solutions proposées doivent donc être formulées en conséquence.
Deuxièmement, il faut au moins avoir une idée générale de la raison pour laquelle les systèmes de justice pénale éprouvent régulièrement des problèmes et des retards. Si l'on tient compte du fait que c'est une situation courante depuis des siècles dans tous les pays, on pourrait croire que des points communs sous-tendent le problème. Il y en a au moins quelques-uns.
Pour étayer mes observations, je soulignerais le fait que dans le système de justice pénale du Canada, par nécessité constitutionnelle et par valeur constitutionnelle, nous accordons à tous les participants une indépendance très considérable dans l'accomplissement de leurs fonctions. L'enquêteur, la poursuite, la défense et les tribunaux jouissent tous entre eux d'une autonomie nécessaire et utile. L'analyse des systèmes révèle toutefois qu'un risque constant et courant de retards en découle.
En même temps, on pourrait faire remarquer que, malgré leur indépendance, ce sont des processus interdépendants pour ce qui est des délais, dans le sens où la poursuite ne peut pas se mettre à la tâche avant que l'enquête ne soit terminée. On ne peut pas tenir les tribunaux responsables de l'ensemble des retards lorsque leurs dossiers demeurent fermés jusqu'à ce qu'une accusation soit portée. Les participants sont donc tous indépendants les uns des autres, mais leur performance respective dépend de celle des autres.
Il y a beaucoup d'autres choses à dire à propos de la nature du problème, mais je vais m'arrêter ici et plutôt parler de la raison pour laquelle nous pensons que nous pouvons régler le problème maintenant. J'ai quelques points à aborder à ce sujet.
Un de ces points renvoie au titre du rapport sur la justice pénale au XXIe siècle que j'ai déposé en 2012. Le XXIe siècle nous a donné des outils que nous n'avions pas aux siècles précédents, et ces outils nous donnent une raison de croire que nous pouvons non seulement éliminer les retards qui nuisent actuellement au système canadien, mais aussi trouver des solutions permanentes et durables au problème des délais.
De manière générale, les systèmes d'information, les systèmes informatiques, les systèmes d'analyse, les renseignements commerciaux et les systèmes de gestion ont transformé le reste de nos vies. La façon d'obtenir une voiture à l'aéroport, de faire notre épicerie, de recevoir le reçu pour nos services médicaux, de synchroniser les vols d'avion et ainsi de suite peut contribuer selon moi à la performance du système canadien de justice pénale.
Je vais juste y faire allusion pour l'instant, et vous voudrez peut-être y revenir dans vos questions.
Je suis convaincu que nous avons à portée de la main des solutions en cours d'élaboration et mises en œuvre qui pourraient nous donner une raison d'être optimistes. De quel genre de solutions s'agit-il?
Tout d'abord, nous devons trouver des solutions qui fonctionnent pour tous les participants. Ces solutions doivent aider les personnes concernées à accomplir leurs fonctions professionnelles et doivent être élaborées de manière à respecter l'indépendance des participants.
Un système qui assure le respect des délais d'un seul participant ne sera pas nécessairement efficace. Au bout du compte, les Canadiens ont droit à un système efficace, non seulement pour ce qui est de l'accomplissement des fonctions des procureurs ou des juges, mais aussi de celles des autres participants.
Je vais vous donner une idée de certaines de ces choses et je pourrais peut-être vous parler ensuite des progrès qui ont été réalisés selon moi. Au bout du compte, je crois que nous devons utiliser des outils modernes pour régler ces vieux problèmes.
Faisons-nous des progrès? Pendant les dernières minutes de ma déclaration, je me contenterai d'indiquer à quels égards je crois que nous réalisons des progrès et je vous donnerai une idée de ce que nous pouvons faire. Tout d'abord, des progrès sont réalisés en Colombie-Britannique. Le nombre de retards observés dans le système en 2012 a considérablement diminué. Le respect des délais s'améliore à la Cour provinciale. La Cour suprême du Canada a revu la façon dont elle traite les grands dossiers, ce qui est selon moi une amélioration considérable. Par ailleurs, la police a adapté ses méthodes de bien des façons pour mener ses enquêtes en temps opportun, et les procureurs ont apporté d'importants changements à la façon dont ils remettent et gèrent les dossiers dans le but de les régler rapidement. Enfin, les responsables du système d'aide juridique ont élaboré un système élargi pour les avocats de service, ce qui favorise aussi le règlement rapide des dossiers.
Pour terminer, je dirais qu'il n'y a pas de solution unique au problème. Il faut des solutions qui fonctionnent pour tous les participants. Il faut ensuite réfléchir à la façon de les regrouper à des fins de collaboration pour créer un système global plus efficace et plus rapide.
Ma dernière observation est pour les sénateurs. Je pense qu'il est nécessaire d'avoir une solution canadienne. Je n'ai aucune raison de croire que les gens à Terre-Neuve sont moins intéressés par un système de justice pénale rendue dans des délais raisonnables que les gens de la Colombie-Britannique. À ma connaissance, aucun effort concerté n'est déployé pour élaborer des normes nationales de rendement pour le système de justice pénale.
Je comprends le partage des pouvoirs, mais cette question a toujours été une responsabilité constitutionnelle du gouvernement fédéral et, avec tout le respect, c'est un domaine dans lequel un leadership national est nécessaire et serait apprécié par les Canadiens.
Jennifer Lopes, vice-présidente, British Columbia Crown Counsel Association : J'aimerais remercier le comité sénatorial permanent d'avoir invité un représentant de la British Columbia Crown Counsel Association à témoigner dans le cadre de ces délibérations.
L'association représente les 460 procureurs de la Couronne de la province, dont elle est l'agente négociatrice exclusive. Je comparais à titre de vice-présidente de l'association, pas en tant que représentante ou membre de la direction de la justice pénale.
J'ai étudié le rapport publié par le comité en août 2016, et j'étais heureuse de constater qu'il tient compte des préoccupations régulièrement exprimées par mes membres. Les procureurs de la Couronne et les poursuivants reconnaissent notre rôle et notre obligation constitutionnelle en vue de faire en sorte que les affaires criminelles soient traitées en temps opportun. Nous savons qu'il est important de réduire directement les retards. J'aimerais attirer l'attention sur quatre aspects qui préoccupent nos membres et qui, selon nous, élimineraient des causes de retard s'ils étaient réglés.
Il y a premièrement la technologie. La technologie est essentielle pour accroître dès le départ notre efficacité et notre productivité à partir du moment où la police ou la Couronne est saisie d'une affaire jusqu'à celui où elle est présentée aux tribunaux. Pour intenter des poursuites efficaces, il faut les bons outils. Nos membres sont frustrés parce que des problèmes de matériel et de logiciels nuisent à leur productivité et les empêchent parfois de faire leur travail.
De plus, les salles d'audience doivent avoir le nécessaire pour enregistrer et présenter les éléments de preuve. L'augmentation du nombre d'enregistrements audio et vidéo devient la norme. Pourtant, dans nos salles d'audience, ce n'est pas la norme d'avoir régulièrement l'équipement nécessaire, et des précautions spéciales doivent être prises à cet égard.
Lorsque les procureurs et leurs employés doivent passer du temps à faire des photocopies à défaut de pouvoir présenter les éléments de preuve ou les arguments sur un support électronique, des ressources précieuses sont utilisées de façon inefficace. La divulgation de renseignements représente une tâche titanesque lorsqu'on n'a pas de technologie fiable, efficace, sécuritaire et rapide.
Notre capacité de donner suite à des accusations et de divulguer de manière exhaustive des éléments de preuve approuvés dépend de la technologie disponible. Nos services de poursuites mettent l'accent sur cet aspect, et nous travaillons très fort pour atteindre un niveau de technologie nous permettant de faire le travail plus rapidement et plus efficacement.
Deuxièmement, il y a la question du personnel. La demande de services de poursuites augmente tous les ans dans la province. Le nombre de rapports dont les procureurs de la Couronne sont saisis a augmenté de 5,4 p. 100 en 2015-2016 par rapport à l'exercice précédent. De plus, le nombre de cas où des accusations approuvées se retrouvent devant les tribunaux a augmenté de 6,2 p. 100 par rapport à l'exercice précédent. Le nombre de dossiers augmente, et il ne fait aucun doute qu'ils sont de plus en plus complexes.
Les procureurs de la Couronne doivent composer avec une charge de travail croissante tout en continuant de s'acquitter de leurs obligations à l'égard du public, des barreaux au Canada et des tribunaux de façon équitable et motivée.
Pour qu'ils y parviennent, il faut maintenir un nombre adéquat de procureurs et d'employés de soutien. Si le nombre de juges saisis d'affaires criminelles augmente, il faut augmenter de manière correspondante le nombre d'employés de soutien dans les salles d'audience.
Prenons l'exemple du maintien en poste des procureurs de haut niveau, qui pourrait être facilité par la mise en place de programmes, tant des programmes de mentorat que des solutions de rechange à une retraite complète. Le mentorat procure une aide aux procureurs de haut niveau et d'excellentes possibilités d'apprentissage aux procureurs de niveau inférieur. Grâce à l'étalonnement de la retraite, ce que nous ne pouvons pas faire, les services de poursuites auraient accès au personnel plus expérimenté lorsque cela s'avère nécessaire. De pair avec un nombre adéquat d'employés de soutien, cette mesure aiderait à traiter toutes sortes de dossiers dans le système.
Le troisième aspect est celui du financement de l'aide juridique. Un système robuste d'aide juridique favorise l'efficacité des poursuites. Les accusés non représentés sont à l'origine de retards compte tenu de notre incapacité à tenir des discussions en vue d'un règlement; des procédures supplémentaires nécessaires afin de régler des questions telles que la désignation d'un avocat pour contre-interroger; et de notre incapacité à obtenir des aveux, ce qui permet manifestement de réduire la durée des procès.
Les conséquences de l'incapacité d'engager des discussions en vue d'un règlement auprès d'accusés non représentés sont mises en évidence par le nombre de dossiers réglés avant ou pendant la comparution. Dans la province, en 2015- 2016, 73,4 p. 100 des dossiers étaient réglés avant même que la date du procès soit fixée. Ce nombre serait encore plus élevé et les tribunaux auraient plus de temps si le nombre d'accusés non représentés était plus faible.
Enfin, il y a le manque de temps des tribunaux. Les procureurs de la Couronne sont tenus de planifier leurs propres engagements devant les tribunaux. Le manque de temps des tribunaux signifie que nous réservons des plages horaires six à dix mois à l'avance. Selon la nature de l'affaire, certains dossiers, par exemple dans les cas de détention préventive, ont la priorité. Lorsque l'affaire demandera plus de temps, elle est entendue plus tard. Les procureurs sont limités par les délais systémiques et doivent composer avec le temps des tribunaux qui leur est offert.
Entre-temps, il faut planifier la poursuite des procès, la détermination des peines et les demandes préliminaires. Nos membres inscrivent ces comparutions dans leur agenda aux dépens de leur temps de préparation. D'énormes pressions sont exercées pour que nous sacrifiions notre temps de préparation pour régler d'autres questions afin qu'elles franchissent les différentes étapes du système le plus rapidement possible. Cela se traduit par un temps moindre pour préparer les victimes et les témoins de même que les arguments juridiques. C'est évidemment intenable pour les procureurs, et le stress ressenti en vue de tout faire fonctionner est considérable.
L'aspect le plus frustrant du manque de temps des tribunaux est le report d'une affaire lorsqu'un dossier est prêt et que les victimes et les témoins sont présents.
Le président : Madame Lopes, je dois vous demander de conclure. J'essaie de me montrer généreux envers les témoins.
Mme Lopes : Il faudrait disposer d'un temps adéquat devant les tribunaux pour favoriser le règlement des dossiers. Il ne s'agit que de quatre aspects que nous voulons que vous régliez pour réduire les délais dans le système de justice.
Adam Palmer, agent de police en chef, Service de police de Vancouver : Distingués membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à discuter des questions relatives aux délais dans le système de justice pénale du Canada.
Au cours des dernières décennies, les enquêtes policières sont devenues de plus en plus longues et complexes, ce qui pose des défis tant à la police qu'au système de justice. Voici les trois questions dont j'aimerais parler aujourd'hui : la complexité des enquêtes, les difficultés liées à la technologie et les difficultés liées à la divulgation.
Les événements majeurs dont il est question dans le rapport LeSage-Code ont transformé les enquêtes policières et augmenté la charge de travail des policiers. Même les tâches simples que nécessite une enquête de routine peuvent demander de nombreuses heures de travail de la part des policiers et d'un réseau de soutien composé de civils avant que la police remplisse ses obligations à l'égard de la Couronne et des tribunaux.
À titre d'exemple, penchons-nous rapidement sur un aspect fondamental des enquêtes policières : l'interrogatoire de témoins. Pour donner les meilleurs éléments de preuve possible aux tribunaux, les interrogatoires doivent être remis au procureur accompagnés d'un enregistrement audio et vidéo ainsi que d'une transcription. Voici ce qui est fait pour l'interrogatoire d'un témoin qui dure une heure.
La transcription d'un bon enregistrement audio d'une heure prend environ six heures. Un mauvais enregistrement peut demander une journée et demie ou plus. Viennent ensuite la vérification de l'interrogatoire par l'agent de police ainsi que l'examen de l'interrogatoire, pour y trouver des renseignements personnels ou de nature délicate, et de l'enregistrement audio et vidéo par des adjoints de projet. Il faut ensuite organiser les éléments tirés de l'interrogatoire pour en faire des trousses de divulgation et préparer des DVD aux fins de divulgation. Lorsque les interrogatoires sont menés dans une autre langue, ces démarches demandent beaucoup plus de temps et d'argent.
Prenez maintenant en considération le fait qu'il peut y avoir de multiples témoins, victimes et suspects impliqués dans une enquête et que la durée des interrogatoires varie. Le temps et les ressources nécessaires pour s'acquitter de cette fonction policière de base augmentent rapidement. La complexité accrue ne se limite pas aux déclarations des témoins comme dans l'exemple que je viens de donner; elle est omniprésente dans presque tous les aspects des services de police modernes.
Le deuxième point que je souhaite aborder concerne les changements technologiques, à savoir les progrès technologiques et l'utilisation prolifique des appareils électroniques qui ont fait évoluer la façon dont les crimes sont commis et ont créé de nouveaux types de crimes. Le cybercrime est en pleine croissance et constitue une forme de criminalité qui n'est pas assez signalée et qui pose de nouveaux défis aux services de police et au système de justice pénale. La technologie peut être la cible des criminels ou un moyen d'arriver à leurs fins, ce qui est plus courant.
La technologie est la cible de crimes dans le cas du piratage informatique, des réseaux de zombies, des maliciels, des attaques par déni de service, des intrusions dans les réseaux, du vol de données et d'autres. On a de plus en plus recours à la technologie pour commettre des crimes, comme la fraude, le harcèlement criminel, la profération de menaces, la cyberprédation d'enfants, la distribution de pornographie juvénile, la cyberintimidation, le vol d'identité, l'hameçonnage, les appels bidons aux services d'intervention d'urgence, les rançongiciels, le trafic de drogues, le terrorisme et d'autres.
En 2015, à Vancouver seulement, le cybercrime était associé à 43 catégories de dossiers de police et plus de 5 300 fiches individuelles. Ce nombre augmente chaque année. Les services policiers et le système de justice sont confrontés à de nombreux défis associés à cette évolution, notamment la façon d'aborder les nouveaux types de crimes commis à l'aide de ces technologies; la répartition des victimes, des suspects et des serveurs informatiques partout à travers le monde; les diverses lois relatives à la perquisition et à la saisie des appareils électroniques; les obstacles qui nuisent à la fouille dans les appareils électroniques, comme la protection par mot de passe et le cryptage; l'obtention en temps opportun des renseignements et des données de la part des fournisseurs de services; le manque de normalisation des renseignements conservés par les fournisseurs de services; l'examen, l'analyse et la communication d'une énorme quantité de renseignements et de données probantes trouvées dans les appareils; le besoin de ressources humaines, des ressources financières et de structures supplémentaires pour les enquêtes, la divulgation et les poursuites en justice. Ces défis retardent les enquêtes policières et la divulgation.
Ainsi, il faut maintenant presque autant de travail et de divulgation pour les moyennes enquêtes que pour les grandes enquêtes. En règle générale, ce qui distingue les grandes enquêtes des autres enquêtes, c'est le nombre de ressources affectées, le nombre de stratégies utilisées et le type de stratégie d'enquête. Chacune de ces stratégies donne lieu à des renseignements qui doivent être divulgués.
Par exemple, l'écoute électronique en vertu de la partie VI du Code criminel — souvent utilisée dans les grandes enquêtes — entraîne un travail énorme pour la préparation des mesures judiciaires, l'interception des communications, la transcription et la divulgation de milliers de communications privées interceptées.
Aujourd'hui, nombre des plus petites enquêtes ont recours à des techniques similaires qui peuvent générer de grandes quantités de renseignements, ce qui est en grande partie attribuable aux progrès technologiques. On pense notamment à l'obtention de mandats pour rechercher et récupérer des preuves stockées dans des appareils électroniques, ce qui peut donner lieu au visionnement de milliers de vidéos et de photographies pour en déterminer la valeur probante, ou à l'obtention d'ordonnances de communication des données d'appel par les fournisseurs de services cellulaires ou des enregistrements dans les médias sociaux, ce qui signifie des centaines ou des milliers de pages de renseignements. La surveillance vidéo est maintenant commune et est souvent utilisée à titre de preuve dans les milieux urbains. Les nombreuses heures de preuves vidéo peuvent provenir de diverses sources et devoir être converties et divulguées.
Il est très facile, d'après ces trois stratégies d'enquête, de constater que les enquêtes policières nécessitent beaucoup de temps et de ressources, et la divulgation de grandes quantités de renseignements.
Au fil de la progression de la technologie et puisque les tribunaux continuent d'élargir la portée de ce qui est pertinent et de ce qui est considéré à titre de document d'enquête, la quantité de renseignements devant être divulgués continuera d'augmenter. De plus, l'enquête, la divulgation et les poursuites associées à ces cas entraîneront un besoin de spécialisation et d'expertise à divers niveaux.
Pour s'adapter aux changements, tous les intervenants du système judiciaire devront collaborer pour cibler et corriger les lacunes dans la loi actuelle. Pour ce faire, on pourrait exiger la normalisation de l'entreposage et de la conservation des données par les fournisseurs de services de télécommunications et la vérification des renseignements sur les abonnés, établir un système normalisé pour l'échange de renseignements entre la police et la Couronne, et offrir des ressources technologiques et une formation connexe au système judiciaire au sujet de la divulgation électronique, dont le volume est de plus en plus important. Le niveau de maîtrise varie entre les divers services de police de même qu'entre la police et la Couronne.
L'établissement de processus de consultation préliminaire entre les intervenants du système de justice pour rationaliser le processus de divulgation et réduire les délais n'est habituellement pas un enjeu pour les enquêtes spécialisées, mais peut l'être pour les cas courants.
Il faudrait effectuer une recherche dans tous ces domaines et analyser les mesures prises par d'autres pays pour s'attaquer au problème. Le gouvernement du Canada devrait réaliser une étude en comité ou commander une recherche universitaire sur l'évolution du crime en raison de la technologie, son incidence sur la population et la capacité des organismes d'application de la loi de protéger la population, d'exécuter la loi et de faire des recommandations sur les mesures à prendre.
Le président : Excusez-moi, mais je vais devoir vous demander de conclure.
M. Palmer : Bien qu'il dépasse quelque peu le mandat du comité, je m'en voudrais de ne pas aborder un dernier point. Je sais que les réunions du comité visent à discuter des retards dans le système de justice canadien. Il est toutefois important de reconnaître l'importance d'aider les gens de façon proactive avant qu'ils ne connaissent des démêlés avec la justice. Bien que les tribunaux parallèles comme les tribunaux de la santé mentale, les tribunaux de traitement de la toxicomanie et le Tribunal communautaire du centre-ville jouent un rôle essentiel, ils visent des personnes qui ont déjà des démêlés avec le système de justice.
Puisque nous connaissons bien le lien entre la toxicomanie et d'autres crimes, notamment les crimes contre les biens, il faut en faire plus pour aider les gens qui tentent d'obtenir un traitement, qu'ils aient commis un crime ou non. Nous devons songer à d'autres options comme le traitement sur demande, qui permet aux gens d'avoir recours rapidement à des services de désintoxication et de rétablissement. Ce n'est pas toujours le cas aujourd'hui. Merci.
Sam MacLeod, surintendant des véhicules automobiles, ministère de la Sécurité publique et du Solliciteur général, gouvernement de la Colombie-Britannique : Sénateur Runciman, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me permettre de témoigner devant vous aujourd'hui au sujet du Programme d'interdiction immédiate de conduire, mis en œuvre par la Colombie-Britannique pour lutter contre l'alcool au volant.
J'aimerais d'abord vous donner quelques renseignements généraux. Avant la mise en œuvre du programme en 2010, la Colombie-Britannique était comme toutes les autres administrations. La police avait recours aux accusations en vertu du Code criminel, aux interdictions de conduire et aux suspensions de 24 heures pour lutter contre l'alcool au volant.
Pour porter des accusations en vertu du Code criminel, le policier devait amener le conducteur fautif au poste de police. Ce policier n'était donc plus sur la route pendant environ 4 heures, ce qui est très long, puis l'enquête en vertu du Code criminel prenait environ 25 à 30 heures. Avant 2010, environ 8 800 accusations en vertu du Code criminel étaient déposées chaque année, ce qui représentait environ 30 p. 100 du temps disponible dans les salles d'audience provinciales.
Entre 2000 et 2010, le taux de mortalité associé à l'alcool au volant en Colombie-Britannique est resté le même, soit environ 113 décès par année. L'incidence du taux d'alcoolémie chez les conducteurs est demeurée la même au cours de cette période également; il n'y avait donc aucune tendance à la baisse à cet égard. Pour répondre au problème et à la surcharge du système judiciaire, on a mis en œuvre le Programme d'interdiction immédiate de conduire en septembre 2010.
Le programme permet de prendre des sanctions immédiates et importantes en vertu de la Loi sur les véhicules à moteur, notamment des sanctions pécuniaires, une suspension immédiate du permis de conduire, la mise en fourrière immédiate des véhicules, un renvoi obligatoire vers les programmes de rattrapage et souvent l'obligation d'utiliser un antidémarreur. Le programme est conçu en vue de faciliter le travail des policiers. Les sanctions sont émises sur les lieux et les policiers n'ont pas à amener le conducteur au poste de police pour réaliser un autre alcotest.
En ce qui a trait aux infractions dans la fourchette d'avertissement pour un taux d'alcoolémie entre 0,05 et 0,08, la première infraction entraîne une interdiction de conduire pendant 3 jours, la deuxième infraction au cours des 5 années suivantes entraîne une interdiction de conduire pendant 7 jours et la troisième infraction et les suivantes entraînent une interdiction de conduire pendant 30 jours.
Les conducteurs qui échouent au test ou qui refusent de se conformer aux ordres n'auront pas le droit de conduire pendant 90 jours et verront leur véhicule mis en fourrière pendant 30 jours. Les policiers peuvent utiliser les outils existants du Code criminel pour les infractions plus graves ou si le conducteur est assujetti à de multiples interdictions de conduire.
Les sanctions pécuniaires sont importantes. Pour un avertissement de 3 jours, le coût associé aux sanctions administratives, au remorquage et au rétablissement du permis est d'environ 600 $. Pour les avertissements de 7 jours, le coût est d'environ 780 $ et pour les avertissements de 30 jours, il est d'environ 1 330 $ au total. Les coûts associés au défaut ou au refus d'obéir aux ordres sont d'environ 1 430 $; ils sont donc importants, et le programme correctif entraîne des coûts supplémentaires.
La Colombie-Britannique offre deux programmes correctifs : le Programme de conduite responsable, qui comprend une séance d'information de 8 heures ou une séance d'orientation de 16 heures, et le programme de verrouillage du système de démarrage, dont j'ai parlé plus tôt.
En février 2016, la participation aux programmes correctifs est devenue obligatoire à partir d'un certain nombre de points. Nous affectons les points en fonction de la sanction : la suspension du permis pendant 24 heures entraîne 2 points; un avertissement ou un échec entraînent 3 points. Si un conducteur reçoit 6 points au cours d'une période de 5 ans, il doit prendre part au Programme de conduite responsable; s'il reçoit 9 ou 10 points au cours d'une période de 5 ans, il doit prendre part au programme de verrouillage du système de démarrage.
Sur le plan de la justice administrative, l'objectif était d'éliminer le recours aux tribunaux pour ce type d'infraction. Le processus d'appel est géré par mon bureau. Si un conducteur veut contester une interdiction immédiate de conduire ou en appeler de la décision, il dispose de sept jours pour présenter un avis à mon bureau. L'appel est entendu de vive voix ou se fait par écrit, selon la durée de la sanction. Ce qu'il faut retenir, c'est que les policiers ne participent pas à ces révisions. Ils déposent un rapport sous serment auprès de mon bureau, qui est utilisé dans le processus de règlement.
Il y a 13 motifs de révision, qui portent surtout sur les appareils de détection et la fiabilité des tests ou des résultats. Mon bureau dispose de 21 jours pour procéder à la révision, en vertu de la Loi sur les véhicules à moteur. Je peux prolonger ce délai au besoin. En 2015, nous avons prolongé le délai d'environ 22 p. 100 de toutes les révisions. Nous nous attendons à ce que ce nombre diminue de façon importante au cours de l'année à venir. Nous avons affecté des ressources supplémentaires à ce programme.
En ce qui a trait aux contestations judiciaires, le Programme d'interdiction immédiate de conduire a entraîné des contestations d'ordre constitutionnel. Le programme a survécu aux contestations et a été modifié à quelques reprises. Nous en sommes à la troisième version du programme, qui est légal et très efficace.
Pour nous, le nombre de décès associés à l'alcool au volant dans la province était le problème le plus important. Comme je l'ai dit plus tôt, c'était 113 décès par année. Au cours des 6 années suivant la mise en œuvre du programme, nous sommes passés à 56 décès par année en moyenne. C'est environ 300 vies sauvées. Ces avantages ont été corroborés. Des études indépendantes reconnaissent la réduction du nombre de décès, de blessures, de collisions et de dommages matériels associés à l'alcool au volant.
Nous effectuons régulièrement des enquêtes routières. Nous en avons réalisé une en 2010 et une autre en 2012, pour clore en quelque sorte la mise en œuvre du programme. Dans chacune de ces études, nous avons examiné le cas de 2 500 conducteurs qui ont été interceptés et se sont soumis volontairement à l'alcotest. Nous avons constaté qu'en plus de réduire le nombre de décès, le programme avait entraîné une réduction de 59 p. 100 du nombre de personnes ayant un taux d'alcoolémie supérieur à 0,08, une réduction de 21 p. 100 du nombre de conducteurs dans la fourchette d'avertissement et une réduction globale de 44 p. 100.
En plus de ces diminutions, on a constaté qu'il y avait eu chaque année 73 accusations de moins en vertu du Code criminel. C'est une réduction d'environ 83 p. 100 du nombre d'accusations portées devant les tribunaux et environ 34 000 cas au total.
En conclusion, le programme fonctionne très bien. Il réduit avec succès le nombre de décès, permet aux tribunaux d'éviter d'entendre 7 300 cas par année et entraîne une réduction importante du taux d'alcoolémie des conducteurs. Merci.
Le président : Nous passons maintenant à la période de questions. Le sénateur Baker, vice-président du comité, prendra la parole en premier. Allez-y, monsieur le sénateur.
Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leurs excellents exposés. Le comité en tiendra compte lorsqu'il rédigera son rapport.
Je tiens à souligner que l'absence de normes nationales soulignée par M. Cowper est très pertinente; nous en entendons beaucoup parler. J'aimerais poser une question, à laquelle j'ai pensé pendant les exposés de la représentante de la Couronne et de l'agent de police en chef. Comme l'a dit l'agent de police en chef, les procès très complexes entraînent des questions de divulgation complexes également. Les enquêtes prennent du temps. Les délais préinculpation et les délais postérieurs à la mise en accusation sont visés par l'article 7 de la Constitution du Canada et par l'alinéa 11b) de la Charte des droits et libertés, et certains cas sont rejetés.
En Colombie-Britannique, la police n'a pas le droit de porter des accusations; c'est la Couronne qui s'en charge. Dans le cas d'actes terroristes, même la Couronne n'a pas le droit de porter des accusations. C'est un bureau d'Ottawa qui s'en charge.
Quelle incidence la situation a-t-elle sur le moral d'un policier qui poursuit une affaire depuis quatre ou cinq ans, qui a cumulé les preuves et qui voit son dossier rejeté? C'est ma question à l'intention de l'agent de police en chef.
J'ai une importante question pour la représentante de la Couronne. Est-ce que vous vous objecteriez à ce que dans notre rapport, nous prévoyions l'obligation de divulguer l'information avant le procès et que si une divulgation était nécessaire pendant un procès, il faudrait prouver qu'on a eu recours à une diligence raisonnable pour les obtenir avant le procès ou qu'ils n'étaient pas disponibles?
Ce sont mes deux questions : une à l'intention de la police et l'autre à l'intention de la Couronne.
M. Palmer : Tout d'abord, je dirais que le moral est bon au sein des forces policières. Toutefois, les agents vivent certaines frustrations, surtout ceux qui travaillent dans les domaines d'enquête spécialisée et qui travaillent sur de longs procès très complexes pour des crimes importants comme des homicides. Il y une incompréhension de la part de la population et peut-être même au sein du service de police parmi les patrouilleurs et les agents de première ligne au sujet de l'ampleur de certains de ces dossiers complexes.
Votre question avait aussi trait à la façon dont la Couronne portait des accusations en Colombie-Britannique. J'aime beaucoup le système de la Colombie-Britannique. Je sais qu'il diffère de celui des autres provinces du Canada, mais je crois qu'il nous rend plus forts, parce que nous passons par le processus d'examen avec l'avocat de la Couronne. C'est un bon processus de vérification, qui nous permet de veiller à avoir tous les renseignements nécessaires pour des poursuites fructueuses. J'approuve le modèle de la Colombie-Britannique.
Le président : Que pensez-vous de ma principale question au sujet de la divulgation avant le procès?
Mme Lopes : Dans le cadre de nos poursuites, nous visons la divulgation complète avant même que la date du procès ne soit fixée. Nous le faisons parce que, pour être franche, l'établissement du calendrier relève plus des arts que de la science. Une fois la divulgation faite, les deux parties peuvent analyser le cas et prévoir les questions qui seront abordées en cour.
Or, ce n'est pas toujours possible ou réaliste. Nous le savons. Aucun procureur ne voudrait qu'une divulgation tardive soit faite au beau milieu d'un procès, car cela change complètement la donne. Si vous souhaitez proposer que la divulgation soit terminée avant la date du procès ou donner des directives en ce sens, cela correspondrait à notre objectif et nous appuierions sans réserve une telle proposition.
Quant à ce qu'il faut faire lorsque la divulgation a lieu durant le procès, il existe diverses solutions, notamment l'ajournement du procès pour permettre à la défense d'étudier les principaux points de la divulgation.
Le président : C'est ce qui pose problème, car cela entraîne des retards.
Mme Lopes : Exactement. Toutes les mesures dissuasives à l'égard de la divulgation tardive revêtent une grande importance. Un des problèmes du ministère public, c'est qu'il n'a pas toujours le contrôle des informations qui lui sont fournies. Il est aussi de notre intérêt de ne pas voir un procès être retardé en raison d'une divulgation tardive. Nous déployons tous les efforts nécessaires pour obtenir les informations.
Comme je l'ai indiqué, l'idéal c'est que la divulgation soit terminée au moment de la mise en accusation, lorsque la date du procès est fixée.
Le sénateur Baker : Vous n'auriez aucune objection.
La sénatrice Jaffer : Je remercie chacun d'entre vous de vos exposés fort utiles. J'ai beaucoup de questions, mais peu de temps. Je vais donc commencer avec Mme Lopes et parler de la cour criminelle et des personnes non représentées.
J'ai entendu des observations de divers témoins, à Ottawa, et même de la Cour suprême. Je crois comprendre qu'à la cour criminelle, peu de personnes ne sont pas représentées, mais à l'instar de nombreuses personnes qui ne participent pas à ces audiences, vous avez indiqué que beaucoup de gens ne sont pas représentés. Que constatez-vous? Y a-t-il beaucoup de gens qui ne sont pas représentés?
Mme Lopes : Je travaille dans l'un des palais de justice les plus occupés au pays, la Cour provinciale de Surrey. En raison du très grand volume de cas, nous avons des accusés non représentés. Des avocats de service sont en poste dans les palais de justice tous les jours, mais notre rôle d'audience compte plus de 100 cas, et ce, pour trois salles d'audience seulement. Donc, une ou deux personnes ne peuvent s'occuper de tous les cas.
Beaucoup de gens ne satisfont pas aux critères d'admissibilité à l'aide juridique. Ceux qui touchent un revenu, ne serait-ce que modeste, n'ont pas droit à l'aide juridique. Je ne connais pas exactement quels sont les règlements à cet égard, mais je peux vous dire que cela pose problème à la Cour provinciale.
La sénatrice Jaffer : Le reste du temps qui m'est imparti sera consacré à cette question, mais je pense qu'il est important que le comité l'entende. Aujourd'hui, nous sommes allés au 222, rue Main, et nous avons pu voir comment fonctionnent le tribunal communautaire et le tribunal de traitement de la toxicomanie. Nous en avons entendu parler.
Avez-vous des tribunaux communautaires ou des tribunaux de traitement de la toxicomanie à Surrey? Étant donné que je suis originaire de la Colombie-Britannique, j'aimerais que mes collègues connaissent les difficultés auxquelles vous êtes confrontés à Surrey. À ma connaissance, il s'agit de l'endroit le plus occupé. Comment cela se déroule-t-il? Pourquoi y a-t-il tant de difficultés? Pourquoi les retards judiciaires ont-ils une si grande incidence sur les tribunaux où vous travaillez?
Mme Lopes : Un projet d'expansion a été lancé à la Cour provinciale de Surrey. Par conséquent, je pense que les choses vont changer. Nous n'avons ni tribunal communautaire ni tribunal de traitement de la toxicomanie. Récemment, au cours de la dernière année, nous avons mis sur pied un tribunal spécialisé dans les cas de violence familiale, car il s'agit d'un enjeu important dans la région de Surrey. Nous observons une augmentation du nombre de dossiers de ce genre, mais il s'agit de notre seul tribunal spécialisé.
La sénatrice Jaffer : J'aimerais avoir vos commentaires — vous et le chef de police Palmer — sur un autre aspect qui a été soulevé par les gens. Lorsqu'il y a un retard au tribunal et que vous devez ordonner l'arrêt des procédures en raison de ce retard, la personne qu'on laisse tomber, c'est la victime, essentiellement. On en fait à nouveau une victime. Pourriez-vous tous les deux décrire comment cela se passe?
Mme Lopes : Le processus judiciaire est extrêmement stressant pour les victimes et les témoins. D'abord, c'est un long processus. Il est extrêmement décevant de se préparer à comparaître au tribunal, puis d'apprendre que tout est annulé. Ces gens n'ont rien fait de mal et la police n'a commis aucune erreur non plus. Ce n'est qu'une question de temps. Lorsque nous avons affaire à ces gens, on constate qu'ils ont le sentiment que nous les avons complètement laissés tomber.
M. Palmer : J'abonderais dans le même sens. Nous avons constamment affaire aux victimes, évidemment. Nous avons des unités spécialisées qui s'occupent des victimes. Les membres de notre Unité des services aux victimes et les agents qui se spécialisent dans la violence familiale orientent les victimes d'actes criminels tout au long du processus judiciaire.
Pour tout type de crime, peu importe sa nature, nous avons affaire à des victimes qui doivent traverser ce processus à la fois long et ardu. Cela peut être une grande source de stress, car c'est un processus qui leur est étranger. Les gens ne comprennent pas comment cela fonctionne et deviennent nerveux lorsqu'ils doivent se présenter en cour. Puis, ils en arrivent au point où ils sont prêts à témoigner. Lorsqu'ils se présentent pour témoigner et que tout est annulé, c'est extrêmement frustrant et démoralisant. Il s'agit d'un obstacle considérable pour quiconque voudrait participer au processus judiciaire de nouveau, parce que les gens ont tendance à se demander pourquoi ils devraient y participer, étant donné que cela n'a pas fonctionné la fois précédente. Donc, ils abandonnent.
La sénatrice Batters : Je remercie chacun d'entre vous d'être venu aujourd'hui et de nous aider dans notre importante étude.
Madame Lopes, je viens de la Saskatchewan et pendant votre exposé, j'ai trouvé intéressant le passage où vous parliez de l'idée de compter sur des procureurs des échelons supérieurs. Cet été, après la présentation de notre rapport préliminaire sur notre étude des délais dans le système de justice j'ai discuté avec un procureur principal de la Couronne de la Saskatchewan. Il m'a rappelé un bon exemple de ce qui a été fait en Saskatchewan à une certaine période, lorsque les délais des tribunaux sont devenus un enjeu très important. On risquait d'avoir un grand nombre de cas dans ce qu'on appelle la zone rouge. Deux des procureurs de la Couronne les plus expérimentés ont été assignés à la cour du rôle. Je ne sais pas si c'est le terme que vous employez ici ou non. Cela a été fait pour une période déterminée, pour quelques mois ou quelque chose du genre. Cela a permis de réduire considérablement l'arriéré qui avait été accumulé jusque-là.
Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet et nous dire quel est l'avantage d'avoir des procureurs des niveaux supérieurs ayant l'autorité et l'expérience nécessaires pour prendre d'excellentes décisions par rapport à de telles causes, plutôt que de s'en remettre à d'autres niveaux d'autorité? En quoi cela peut-il être vraiment utile dans ce genre de cas? Vous pourriez nous expliquer plus en détail l'idée que vous avez soulevée.
Mme Lopes : Actuellement, en Colombie-Britannique, nous n'avons aucune possibilité de remplacer les procureurs du ministère public, à l'exception de gens qui sont partis à la retraite et qui peuvent parfois être réembauchés à titre de procureurs suppléants. Lorsque les gens quittent leurs fonctions, c'est habituellement parce qu'on ne leur offre aucune garantie qu'ils auront du travail par la suite.
La province a mis en place un programme destiné aux juges principaux; ces juges peuvent réduire leur charge de travail, mais ils jouent toujours un rôle actif. À notre avis, si nous avions un programme semblable pour les procureurs, par exemple, nous pourrions faire appel à ces gens au besoin. Nous pourrions alors compter sur les gens les plus expérimentés, car ils ont la capacité de s'acquitter d'une multitude de tâches. Nous pourrions faire appel à ces ressources formidables pour régler la situation.
Donc, à l'approche de procès pour lesquels nous manquons de personnel, nous pourrions puiser dans un bassin de gens expérimentés qui connaissent nos politiques et notre rôle en tant que procureurs du ministère public. Ils pourraient prendre la relève et mener ces procès. Voilà l'idée derrière la création d'un programme pour les procureurs principaux.
La sénatrice Batters : J'ai peut-être manqué cette information, mais avez-vous indiqué depuis combien de temps vous êtes procureure?
Mme Lopes : Depuis 16 ans.
La sénatrice Batters : Vous étiez donc procureure pendant une longue période avant l'entrée en vigueur des dispositions relatives aux sanctions administratives. Pourriez-vous, aux fins de compte rendu, nous parler de ce que vous avez constaté au cours de votre carrière, avant l'entrée en vigueur de ces sanctions?
Je suis moi-même avocate et je sais que lorsque j'ai commencé à exercer ma profession, les procès relatifs à la conduite avec facultés affaiblies prenaient habituellement une demi-journée, peut-être, tandis que maintenant, on entend souvent dire que les procès liés à la conduite avec facultés affaiblies s'étirent sur deux ou trois jours. Je me demande si vous pourriez nous donner un aperçu plus précis que la situation que je viens de décrire.
Mme Lopes : Dans notre région, nous prévoyons habituellement deux jours de procès pour les causes de conduite avec facultés affaiblies avec un taux de plus de 0,08. Ce sont les causes qui ne comportent pas d'enjeux plus complexes. On parle du temps nécessaire pour étudier la preuve et pour la présentation des arguments juridiques habituels.
Lorsque le programme a été lancé, en 2010, comme vous l'avez entendu, le temps consacré aux procès dans notre système a été considérablement réduit, et nous avons constaté une réduction immédiate des délais à notre palais de justice.
Nous étions d'avis que cela se traduirait aussi par une diminution du nombre de dossiers. Dans notre secteur, nous avons principalement affaire à la Gendarmerie royale du Canada. Fait intéressant, malgré la diminution du temps de procès, le nombre de dossiers transmis aux procureurs du ministère public a augmenté. Les dossiers touchent d'autres aspects; notamment la violence familiale — l'un des aspects pour lesquels on observe une augmentation importante —, les infractions administratives et les cas de manquement à des ordonnances du tribunal. Les procureurs n'ont plus à traiter des procès liés à la conduite avec facultés affaiblies ni à fixer les dates de ces procès.
La sénatrice Batters : Monsieur MacLeod, merci beaucoup des informations que vous avez fournies au sujet des sanctions administratives. Je savais que nous entendrions des commentaires positifs sur la façon dont cela s'est déroulé.
Madame Lopes, vous êtes peut-être la mieux placée pour me le dire, ou cela pourrait être M. Palmer. Le système de sanctions administratives comporte-t-il des avantages précis dont nous devrions être au courant afin d'en tenir compte dans notre étude?
M. Palmer : Je suis très favorable à ce système; cela a été une mesure positive pour la Colombie-Britannique. Le service de police de Vancouver l'appuie sans réserve. Pour les policiers, le processus est plus simple. Les statistiques démontrent que cela a permis de réduire le nombre de décès et de sauver des vies en Colombie-Britannique. Je n'y vois pas beaucoup de désavantages. J'y suis très favorable.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Cowper. Je vois que vous vous occupez de réformes dans le domaine de la justice. Vous me direz si je me trompe. Lorsque je siégeais au comité responsable de la nomination des juges de la Cour supérieure, nous devions étudier différents dossiers. Nous ne disposions que de trois réunions par année pour étudier un grand nombre de demandes. Je ne sais pas si c'est le cas dans toutes les provinces.
Seriez-vous d'accord si nous indiquions dans notre rapport que, lorsque les avocats postulent un poste de juge à la Cour supérieure, le comité de nomination devrait se réunir plus fréquemment afin d'étudier les dossiers plus rapidement? Je remarque qu'ici, en Colombie-Britannique, il manque sept juges à la Cour supérieure. J'aimerais vous entendre à ce sujet. Avez-vous le même problème qu'au Québec? Il faut remplir ces postes vacants. Est-ce en raison du peu de réunions qui sont tenues pour choisir les candidats?
[Traduction]
M. Cowper : Premièrement, plus de 90 p. 100 des affaires pénales sont instruites et jugées dans des tribunaux provinciaux au Canada. Donc, la plupart des causes pénales sont, de loin, instruites par des juges nommés par des gouvernements provinciaux.
Dans mon rapport de 2012, j'ai recommandé que le gouvernement envisage de conclure un protocole d'entente au sujet du nombre de juges requis pour l'examen des dossiers. Cet aspect fait partie de la loi habilitante, mais n'est toutefois pas en vigueur.
Je pense toujours qu'il serait très utile pour tout le monde, aux échelons provincial et fédéral, si les gouvernements avaient une idée générale des besoins des tribunaux en ce qui concerne la nomination des juges pour le traitement du nombre de dossiers. Je dirais que cela va dans les deux sens.
À titre d'exemple, la soustraction du processus judiciaire des cas de conduite avec facultés affaiblies avec un taux de plus de 0,08 a entraîné une réduction radicale du nombre d'affaires criminelles instruites en Colombie-Britannique. Il s'agit là d'un facteur pertinent pour juger s'il convient de remplacer les juges ou non.
Je suis d'avis qu'il faut avoir un aperçu de la complexité des cas et du nombre de dossiers. Actuellement, une partie des dossiers est liée à des infractions d'ordre administratif qui sont beaucoup plus simples que les cas de conduite affaiblie avec un taux de 0,08. Une communication ouverte et transparente est nécessaire pour que le système judiciaire ait un nombre suffisant de juges pour juger ces affaires. Je pense que ce serait utile.
En ce qui concerne la situation actuelle liée aux juges nommés par le fédéral, l'aspect le plus délicat pour le système de justice pénale, c'est que les cours supérieures ont déjà un nombre suffisant de juges ayant une formation en droit pénal pour l'instruction des affaires criminelles complexes. Cela ne découle pas uniquement du fait qu'on ait recruté les bonnes personnes pour occuper des postes de juges; on a aussi formé les gens qui ont été nommés aux cours supérieures pour traiter des cas complexes.
En tant qu'avocat non spécialiste en droit criminel, je suis d'avis que de nos jours, la gestion judiciaire de poursuites criminelles complexes exige qu'on fasse appel aux juges les plus hautement spécialisés en droit criminel. Au XXIe siècle, nous ne devrions pas compter sur l'apprentissage en cours d'emploi pour ce genre de choses. Il faut mieux que cela; c'est donc un aspect supplémentaire dont il faut tenir compte. Il faut encourager la présentation de candidatures et le traitement rapide de ces candidatures.
Pour terminer, je dirais qu'un des problèmes qui passent inaperçus dans notre système actuel, c'est que les personnes qui présentent leur candidature pour un poste à une cour supérieure attendent parfois jusqu'à deux ans pour savoir s'ils seront nommés. La plupart des gens que nous tentons d'encourager à présenter leur candidature sont dans la quarantaine ou la cinquantaine. Demander à quiconque — des gens qui ne savent même pas s'ils figurent sur la liste — de mettre leur vie en suspens pendant deux ans en attendant un appel du ministre de la Justice qui pourrait complètement transformer leur vie est une pratique et une tradition d'un autre âge que nous ferions mieux d'abandonner.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Avec votre permission, monsieur le président, j'aurais une question à poser à Mme Lopes. J'ai entendu dire qu'il y a eu des mégaprocès en Colombie-Britannique, et on sait que les mégaprocès en demandent beaucoup aux procureurs de la Couronne. Ils font souvent face à une batterie d'avocats de la défense, et ils peuvent n'être que deux ou trois à représenter l'État.
Êtes-vous d'accord avec moi qu'il y a un manque de ressources, que les ressources sont sous-utilisées, ou qu'elles ne sont pas assez bien formées pour faire face à cette nouvelle réalité? J'espère qu'il n'y aura plus de mégaprocès, parce qu'au Québec, ça n'a pas été un succès. J'aimerais vous entendre là-dessus.
[Traduction]
Mme Lopes : Je peux parler en toute connaissance de cause, car je faisais partie de l'équipe de procureurs dans l'affaire R. c. Pickton. À l'époque, c'était considéré comme mégaprocès, mais certainement pas dans le sens qu'on donne aux causes les plus importantes. Il est important de savoir que ces cas nécessitent qu'on y consacre des ressources considérables au bon moment, car dans de telles affaires, l'aspect de la divulgation est probablement la plus importante partie. Il est aussi très important d'y consacrer les ressources d'entrée de jeu afin que l'étape de la divulgation ait lieu le plus rapidement possible pour éviter les retards.
Par la suite, le processus ralentit. Les demandes préalables au procès prennent beaucoup de temps. Il y a toujours des questions litigieuses qu'il faut examiner. Il est très important de définir ce qu'est un mégaprocès, de déterminer quelles ressources seront nécessaires et à quel moment il faudra les utiliser. Il faut aussi s'assurer de ne pas nous concentrer uniquement sur ces cas et de ne pas oublier que toutes les accusations criminelles sont importantes.
Quiconque parmi nous serait accusé d'une infraction quelconque — même une infraction simple — verrait sa vie transformée. Nous devons garder cela à l'esprit. On ne peut négliger aucune accusation, quelle qu'en soit la gravité, afin de nous assurer de la réussite de mégaprocès.
Le sénateur McIntyre : Merci à tous de vos exposés. Dans ma province natale du Nouveau-Brunswick, ce sont les procureurs de la Couronne qui sont chargés de déposer les accusations. C'est aussi le cas en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique. Je crois comprendre qu'il y a une bonne consultation entre les agents de police et les procureurs de la Couronne. À votre avis, devrait-on encourager ce genre de consultations dans toutes les provinces? Si oui, que fait-on de l'indépendance nécessaire entre les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions?
Mme Lopes : Les services des poursuites doivent demeurer indépendants de l'enquête, mais je crois que la Couronne et la police peuvent travailler ensemble sans nécessairement compromettre cette indépendance.
En Colombie-Britannique, nous arrivons très bien à fournir des avis juridiques sans diriger les enquêtes. J'encourage d'ailleurs ce genre de collaboration puisqu'elle aide l'enquête. L'objectif est de maintenir l'attention non seulement sur les besoins de l'enquête, mais aussi sur la façon de recueillir des preuves recevables qui pourront ensuite être utilisées efficacement lors de la poursuite. Il faut donc bel et bien préserver l'indépendance du procureur de la Couronne.
Le sénateur McIntyre : Je tiens à remercier M. MacLeod d'avoir porté à notre attention le programme d'interdiction immédiate de conduire, ou PIIC. Il est bien évident que l'approche de la Colombie-Britannique sur la question des accusations de conduite avec facultés affaiblies diffère de celle des autres provinces canadiennes. À vous écouter, monsieur MacLeod, il semble évident que les policiers imposent des sanctions en vertu de la Motor Vehicule Act plutôt que du Code criminel. Je crois savoir que les agents ont un certain pouvoir discrétionnaire à cet égard.
Ma question s'adresse à vous quatre. Y a-t-il d'autres infractions criminelles qui pourraient être réglementées par la loi provinciale, compte tenu de la compétence provinciale?
M. MacLeod : Je ne sais pas si j'ai les compétences nécessaires pour répondre à cette question sur les autres mécanismes ou infractions au Code criminel qui pourraient être réglés sans recours aux tribunaux. En Colombie- Britannique, nous envisageons de sortir les contraventions du système judiciaire provincial, mais je ne pourrais pas répondre en ce qui a trait aux autres infractions au Code criminel.
Le sénateur McIntyre : Est-ce que quelqu'un d'autre veut répondre?
M. Cowper : Le domaine qu'il faut évidemment examiner est la gestion des infractions en matière de violence familiale. Certains préconisent la justice réparatrice pour ce genre d'infractions puisqu'elle nécessite le consentement et l'accord de la victime de même que de l'accusé. Il s'agit dans bien des cas d'une déviation du système, et même d'un devancement du système. J'ai toujours trouvé que cette solution et d'autres mesures de rechange étaient plus productives que d'autres mesures purement punitives pour rétablir la paix sociale dans le cas des infractions relationnelles.
Ces dernières années, nous avons constaté une augmentation marquée des poursuites et de la répression dans les affaires de violence conjugale, ce qui n'a toutefois pas nécessairement diminué la violence au sein de la collectivité.
De façon générale, je dirais qu'il faut examiner avec soin la possibilité de sortir dès le début les affaires appropriées du système, et d'opter pour d'autres mesures qui permettent d'atteindre les mêmes objectifs publics que le système de justice pénale.
Je sais que c'est un sujet très controversé, mais c'est extrêmement important aujourd'hui puisque nous cherchons en fin de compte à améliorer la sécurité des foyers et des relations. Ce qui fonctionne le mieux, c'est ce qui est dans l'intérêt supérieur de la population et de toutes les personnes touchées.
Le président : Je suppose que ma question s'adresse à l'ensemble des témoins, à l'exception peut-être de M. MacLeod. Si vous avez lu notre rapport provisoire, vous avez remarqué que nous soulignons l'importance prioritaire de la gestion des cas et des dossiers judiciaires par le pouvoir judiciaire, en quelque sorte.
Même si Mme Lopes dit que la planification est un art, nous avons eu une réunion plus tôt aujourd'hui où nous avons été informés que les choses s'étaient améliorées de façon spectaculaire à la Cour provinciale de la Colombie- Britannique.
Notre rapport provisoire disait notamment que la participation et la direction du pouvoir judiciaire dans l'application des principes de gestion des dossiers judiciaires sont essentielles pour réduire efficacement les arriérés et les retards des tribunaux pénaux.
Je voudrais d'abord m'adresser au chef Palmer. Il y a justement trois membres de ma famille qui sont agents de première ligne en Ontario, c'est-à-dire dans une autre province. J'ai entendu leurs frustrations de devoir prendre leur mal en patience, puis de se faire dire que quelque chose s'est produit, et de repartir pour enfin être rapatriés une semaine ou deux plus tard. De nombreux agents de première ligne sont donc mécontents que la gestion des dossiers judiciaires ne fonctionne pas aussi bien qu'elle le pourrait ou le devrait.
Je me demande simplement ce que vous avez observé et ce que vous pourriez recommander à cet égard. Nous avons clairement laissé une partie de la responsabilité à l'appareil judiciaire. J'ignore si vous êtes d'accord. Vous ne voudrez peut-être pas vous prononcer, mais vous pourriez nous donner vos commentaires à tour de rôle.
M. Palmer : C'est une question complexe, mais je vais simplement vous donner quelques pistes de réflexion. La situation de la Colombie-Britannique n'a rien à voir avec celle de toutes les autres provinces. Le service de police utilise un système de gestion des dossiers, ou SGD, propre à la Colombie-Britannique. Qu'il s'agisse d'une police municipale ou de la GRC, chaque service de police de la province se sert de l'Environnement de gestion de l'information sur les dossiers de la police, ou système PRIME, qui est ensuite coordonné avec le système JUSTIN des procureurs de la Couronne.
Le mariage des deux systèmes, qui sont tout à fait différents, a entraîné beaucoup de problèmes au fil des ans, mais le système est obligatoire dans la province. Malgré les difficultés croissantes, je dirais 15 ans plus tard que le système a bien fonctionné pour nous.
Il est utile d'avoir une procédure de gestion des dossiers uniforme entre la police et la Couronne de toute la province. Toutefois, la question se résume en grande partie aux relations. Je ne peux parler qu'au nom de Vancouver. Je connais la haute direction de la ville et de la Couronne.
Vous avez dit que vous étiez tout à l'heure au 222, rue Main. Nous rencontrons régulièrement les procureurs de la Couronne et la Couronne régionale pour discuter des questions qui retardent le système ou de tout ce que nous pouvons faire pour le moderniser et améliorer la circulation de l'information. Nous nous rencontrons régulièrement, et je pense que cette relation est importante.
Il arrive qu'il y ait des frustrations du côté des agents de première ligne dans la rue. La charge de travail habituelle d'un agent de première ligne à Vancouver ou dans une ville comme Surrey est assez importante. Il est très difficile d'essayer de gérer les dossiers en plus des tâches officielles, alors que le nombre de dossiers à traiter augmente de plus en plus chaque jour.
Le président : Il y a du travail à faire.
M. Palmer : Tout à fait.
Mme Lopes : J'ai deux aspects à aborder en réponse à la question que vous avez posée sur la gestion des dossiers judiciaires, sénateur.
D'une part, nous nous efforçons de coordonner le système JUSTIN avec le système de planification de la Couronne. Il s'agit en ce moment de deux mécanismes de planification distincts. Nous nous présentons en fait au bureau du gestionnaire de cas avec nos carnets pour essayer de choisir des dates de procès. Dans le système auquel nous travaillons, tout le monde pourra consulter nos horaires et saisir les dates, ce qui nous sera d'une grande aide.
D'autre part, une gestion efficace des dossiers judiciaires aide grandement tous les intervenants. Je le constate davantage dans ma pratique à la Cour suprême qu'à la Cour provinciale. Nous effectuons des conférences préparatoires. Nous indiquons toujours la progression des dossiers. Nous sommes responsables, et les dates sont fixées lorsque chaque partie doit respecter certains délais. C'est fort utile, et ce serait une excellente pratique à adopter pour tous les tribunaux.
Le président : C'est beaucoup plus facile que la procédure de la cour d'appel.
M. Cowper : Je mentionnerais trois choses d'emblée. Il faut regarder le système dans son ensemble. Le nombre de suspensions en Ontario est deux fois plus important qu'en Colombie-Britannique. C'est directement attribuable au système d'approbation des accusations de la Colombie-Britannique, qui filtre les dossiers à une étape préalable.
Un procureur peut dire : « Écoutez, même si vous aviez le droit de porter des accusations dans cette affaire, nous n'irions pas de l'avant. » C'est ce qui se passe en Ontario, et cela ne fait que reporter la frustration à plus tard dans le système. Je crois vraiment que notre démarche est préférable.
La gestion des dossiers judiciaires a un rôle à jouer, mais aussi le recours à la technologie afin de bien gérer le système. Le ministère du Procureur général va dans ce sens puisqu'il s'agit au bout du compte du parti qui contrôle plus ou moins ce qui se rend jusqu'aux tribunaux, après quoi les juges doivent intervenir.
Pour terminer, je dirais que le troisième élément est le recours à la technologie. Si vous fréquentez souvent les palais de justice provinciaux, vous savez que ces lieux ressemblent à une réunion policière tellement ils sont remplis d'agents de police, et on peut se demander pourquoi. Il n'y a pas si longtemps, et peut-être même hier encore, un procureur de la défense pouvait parfois se demander si une affaire était prête à être entendue, et on vérifiait alors si des agents de police étaient présents pour témoigner.
Nous pouvons et devons abandonner cette pratique. Il existe toutes sortes de solutions technologiques pour faire en sorte que les gens se déplacent seulement lorsque c'est nécessaire plutôt que de convoquer tous les intervenants d'une affaire à 10 heures du matin, alors qu'on sait bien que tous ne seront pas appelés à témoigner ce jour-là.
Le président : Qui prend ces décisions? Est-ce l'administration de la police ou les tribunaux eux-mêmes?
M. Cowper : Les tribunaux ne choisissent pas qui se présentent à la première matinée d'audience. Il s'agit d'une décision conjointe du bureau des poursuites et de la police.
Il y a des systèmes qui sont examinés. Le nouveau processus de planification demande plus généralement si une affaire est prête pour le procès. Plutôt que la décision soit prise à l'extérieur d'une salle d'audience donnée, l'information est donnée au juge nommé, après quoi le procureur peut dire : « Si vous demandez à entendre mon affaire aujourd'hui, je suis prêt pour le procès. »
Une partie de l'épreuve décisive qui consistait auparavant à voir qui traîne dans le couloir a été abolie. Cette façon de faire peut être éliminée complètement au moyen d'un usage approprié de la technologie.
La sénatrice Jaffer : Lorsque vous avez parlé des tribunaux nationaux, j'ai d'abord grimacé, mais je vous ai écouté. En fait, vous avez une bonne idée entourant le détournement et la gestion de la colère, des choses qui semblent se produire au sein des tribunaux communautaires. J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de cette idée.
Lorsque M. Cowper aura terminé, madame Lopes, pourriez-vous nous dire si le fait d'avoir un tribunal national à Surrey, si j'ai bien compris, a eu une incidence sur les délais? Y a-t-il eu un grand nombre d'affaires qui ont été sorties du système judiciaire de façon à libérer la cour, pour faire suite à l'idée de M. Cowper?
M. Cowper : Pour commencer par le début, une grande importance est accordée à la rapidité dans les affaires intérieures. Nous savons tous que des études démontrent que les deux tiers des personnes accusées dans une affaire de violence familiale vivent en fait avec la victime jusqu'à 48 heures suivant la mise en accusation. On sait bien que de nombreuses affaires de violence familiale se produisent au sein d'une relation continue. Le fait que nous y participions en faisant simplement abstraction de cette réalité contribue selon moi au problème plutôt que de le régler.
Deuxièmement, le fait de fermer les yeux sur la présence d'une relation continue et de traiter l'affaire comme une infraction distincte semble aussi contribuer au problème plutôt que de le résoudre. Il faut être sensible au fait que les victimes vivent différentes choses. Il existe différentes possibilités de réadaptation et de changement. Ce qu'il faut dans de nombreuses situations, c'est un procès rapide pour que tout le monde connaisse le résultat. Il est donc fondamental d'établir une distinction entre ce genre de dossiers.
Pour terminer, sénatrice Jaffer, je suis persuadé que vous serez d'accord avec ce point. J'ai pris la parole lors d'une réunion de conseillers familiaux appartenant à différents milieux culturels, et voici ce qu'ils ont dit : « Écoutez, si les gens d'autres cultures ne comprennent pas la réalité d'une femme qui ne parle pas anglais, et qui devra quitter sa famille et peut-être même sa communauté religieuse si les poursuites se continuent, ils ne pourront pas tenir compte de la situation des femmes dans ces circonstances. »
Nous devons nous améliorer à ce chapitre. Beaucoup d'efforts ont été déployés, mais ceux-ci ne contribuent pas complètement à réduire la violence au sein des relations. Voilà sur quoi il faut mettre l'accent, selon moi.
Le sénateur Baker : J'ai seulement une question. Monsieur Cowper, je vous félicite de votre rapport de 2012 sur la Colombie-Britannique qui portait sur ce dont le système judiciaire a besoin, et qui attire notre attention sur les normes nationales. J'aimerais que vous commentiez le tout.
Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit il y a un instant. Vous dites qu'il y a deux fois moins de personnes accusées en Colombie-Britannique qu'en Ontario. Il y a aussi deux fois plus de suspensions en Ontario qu'en Colombie-Britannique. Vous dites que c'est peut-être attribuable au fait que la police ne porte pas d'accusation en Colombie-Britannique.
Pour mettre les choses en perspectives, ne convenez-vous pas qu'il y a moins de crimes violents par habitant en Ontario que dans toute autre province canadienne, et que la province présente le deuxième taux de crimes contre les biens parmi les moins élevés? Peut-on également faire valoir que la police doit porter les accusations, et que plus d'accusations doivent peut-être être portées pour prévenir les crimes violents et les crimes contre les biens?
Ces chiffres ont été publiés récemment par l'Institut Laurier, je crois.
Le président : C'est exact.
Le sénateur Baker : Ne convenez-vous pas qu'il s'agit peut-être d'un argument valable qui va à l'encontre de ce que vous avez proposé sur la pratique de la Colombie-Britannique?
Ma question initiale était la suivante : quelle devrait selon vous être la principale recommandation de notre comité sur le plan des normes nationales?
Le président : Je vais devoir vous demander de répondre aussi brièvement que possible. Il nous reste un autre sénateur, et nous dépassons le temps alloué.
M. Cowper : Pour répondre très rapidement à la première question, ce que je voulais dire à propos de l'Ontario, c'est qu'il y a eu un nombre beaucoup plus élevé de suspensions là-bas. Ce genre d'accusations ne sont pas portées en Colombie-Britannique, mais elles se rendent à mi-chemin en Ontario, et je doute qu'il soit dans l'intérêt de qui que ce soit d'être accusé d'un crime qui n'ira nulle part.
En tant que citoyen, je dois dire que nous sommes tous Canadiens en ce qui a trait à la priorité. Dans un système de justice pénale commun, nous devons avoir des attentes communes. Si nous sommes accusés d'un crime, après combien de temps pouvons-nous espérer être convoqués à un tribunal et résoudre l'affaire dans tout le pays?
Je doute que votre travail puisse être plus prioritaire. Je pense que cet aspect compte deux volets. D'une part, quel objectif cherchez-vous à atteindre? Il faut ensuite laisser la suite des choses aux tribunaux si l'objectif n'est pas atteint, étant donné que la Cour suprême du Canada a fixé des délais à l'extérieur dans l'affaire Jordan. Je trouve que ce ne sont pas des délais que vous devriez chercher à atteindre, mais ils représentent en quoi consiste un bon rendement.
Le sénateur Baker : Est-ce qu'une partie de la différence entre le nombre de suspensions de l'Ontario et de la Colombie-Britannique peut être attribuable à ce que cette dernière province a fait sur le plan des accusations de conduite avec facultés affaiblies? Il y a encore des milliers d'affaires sur la tolérance de 0,08 qui passent par le système de justice pénale de l'Ontario, mais ce n'est plus le cas en Colombie-Britannique.
M. Cowper : Cette différence existe depuis longtemps. Elle remonte à des années, bien avant la modification concernant le seuil de 0,08.
Le président : Merci encore à vous tous d'être venus aujourd'hui et de nous avoir fourni vos observations sur un problème qui, selon nous, préoccupe énormément tous les Canadiens.
Mesdames et messieurs, nous allons maintenant accueillir notre prochain groupe de témoins, à savoir Darlene Shackelly, directrice générale de la Native Courtworker and Counselling Association of BC, Paul Doroshenko, avocat de l'Acumen Law Corporation, Richard Fowler du cabinet Fowler et Smith, qui représente la Trial Lawyers Association of British Columbia, et Eric Gottardi, associé au cabinet Peck and Company.
Eric Gottardi, associé, Peck and Company : Monsieur le président, mesdames et messieurs, bonjour. Je suis heureux de comparaître encore une fois devant le Comité, cette fois-ci à titre individuel et non comme je le fais d'habitude, au nom de l'Association du Barreau canadien. Merci de m'avoir donné la possibilité de témoigner aujourd'hui.
Je suis pénaliste et j'exerce ici à Vancouver. Même si je travaille essentiellement comme avocat de la défense, j'ai également plaidé dans de nombreuses affaires à titre de procureur de la Couronne au cours des cinq à huit dernières années.
Si j'ai bien compris, j'ai été invité à témoigner devant vous aujourd'hui en partie, du moins, parce que j'ai plaidé devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Jordan, dont le jugement a été récemment rendu. Je peux peut-être vous dire quelques mots sur l'affaire Jordan et ensuite vous faire part des questions importantes qui en découlent, selon moi.
Il y a presque huit ans, M. Jordan a été accusé suivant une opération d'infiltration ordinaire concernant 1,5 kilogramme de cocaïne. M. Jordan a dû attendre presque quatre ans avant d'être traduit en justice, et ce, surtout à cause d'un manque chronique de ressources dans le système. Ce n'est pas M. Jordan qui ait occasionné des retards considérables, mais c'est lui qui en a souffert un préjudice véritable et présumé.
Sa demande de suspension de la procédure a néanmoins été rejetée par le tribunal de première instance ainsi qu'en appel. Au final, la Cour suprême a jugé de façon unanime que le retard était déraisonnable, ni plus ni moins.
Dans les années qui ont suivi les jugements rendus par la Cour suprême dans l'affaire Morin et plus tard l'affaire Askov, je vous dirais que l'accès à la justice en temps opportun a perdu du terrain et les retards institutionnels se sont aggravés, et ce, à bien des endroits. Malgré la déclaration claire de la cour quant au droit de l'accusé d'être jugé dans une période raisonnable, et malgré la responsabilité de la Couronne qui doit veiller au respect de ce droit, les ressources sont toujours insuffisantes à bien des endroits, et ce, depuis de nombreuses années.
Les tribunaux et les services de poursuite se sont rendus à l'évidence qu'il n'y aurait plus d'investissements dans le régime de justice pénale et que, par conséquent, les règles étaient appliquées d'une façon qui « permet [tent] de tolérer des délais de plus en plus longs ».
À titre d'exemple, à Surrey en Colombie-Britannique, où une bonne partie de l'affaire a été entendue, un retard allant jusqu'à 18 mois à la Cour provinciale était tout à fait habituel pour des procès simples. Les juges de cette juridiction ainsi que d'autres dans la province ont décrit la situation comme étant une crise, et les procédures, dans un premier temps surtout celles d'une importance mineure, ont commencé à être suspendues.
Avant l'affaire Jordan, la jurisprudence découlant de l'alinéa 11b) de la Charte des droits et libertés devenait de plus en plus confuse et difficile à appliquer. Dans l'affaire Jordan, le juge Moldaver a indiqué que la jurisprudence empoisonnait l'existence de la plupart des juges, et moi-même, je suis d'accord.
C'était un système qui a permis à la Couronne, dans l'affaire Jordan, de faire valoir que sur les 49 mois qu'il a fallu attendre pour entendre l'affaire, seulement 5 mois étaient attribuables à la Couronne et au retard institutionnel. L'énorme différence entre 49 et 5, dans un système judiciaire accusatoire, indique bien que quelque chose ne fonctionne pas.
Dans l'affaire Jordan, la majorité des juges ont dit vouloir se défaire de l'ancien système, qui consistait à comptabiliser les jours, les semaines et les mois et à tenter d'attribuer le blâme à diverses parties. La cour a établi des plafonds présumés au-delà desquels tout retard serait perçu comme déraisonnable, à moins que la Couronne puisse le justifier.
Une minorité des juges dans l'affaire Jordan a critiqué la majorité et ces plafonds comme étant arbitraires et reposant sur une preuve insuffisante, et elle a demandé que des modifications législatives soient apportées.
À mon avis, deux problèmes découlent de l'affaire Jordan. Tout d'abord, les tribunaux ont besoin des ressources nécessaires afin de mettre fin à la pratique qui consiste à réserver la salle d'audience pour deux procès concomitants. Ils doivent également disposer de ressources suffisantes afin d'accorder la priorité aux affaires dont le délai prévu a été dépassé ainsi qu'aux affaires qui nécessitent des séances supplémentaires. Si l'on se sert de l'affaire Jordan à titre d'exemple, la période écoulée entre les séances supplémentaires pour le suivi de l'affaire était effarante. Oui, les estimations fournies par les avocats doivent être plus précises et éventuellement faire l'objet d'un examen plus approfondi, mais le système de traitement des affaires doit être plus souple afin de pouvoir permettre le déroulement de la procédure avant qu'elles ne deviennent des causes perdues.
Deuxièmement, la collecte, la préparation et la gestion des pièces à communiquer, c'est-à-dire les pièces liées à l'enquête qui constitueront la liasse de la première partie conformément aux principes de Stinchcombe, doivent être grandement uniformisées partout au pays et peut-être même finalisées avant que les accusations ne soient approuvées. Il faudrait peut-être songer à une approche visant l'approbation des accusations dans chaque province.
Troisièmement, on devrait normaliser et encourager le remplacement des comparutions en salles d'audience répétitives et non productives, qui coûtent cher, par le recours à la technologie, soit des séances de Face Time ou de Skype, des vidéoconférences ou encore de simples appels téléphoniques.
Pour terminer, je vous dirais que l'incidence précise de l'affaire Jordan ne sera pas connue avant des années. C'est une décision historique qui appelle un changement de culture dans tous les aspects du régime de justice. Nous avons déjà vu quelques affaires en Colombie-Britannique et en Ontario qui semblent tomber dans le même piège, c'est-à-dire un examen à la loupe de la conduite des avocats de la défense.
À mon avis, une telle approche n'est qu'une solution de facilité. Il est beaucoup plus facile de montrer du doigt un seul avocat de la défense que de suggérer ou recommander un changement culturel au sein des services de poursuite de la Couronne, des forces de l'ordre et des tribunaux, mais sauf votre respect, c'est la meilleure façon de trouver les moyens les plus efficaces d'obtenir des changements. Merci.
Richard Fowler, Fowler et Smith, Trial Lawyers Association of British Columbia : Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de l'invitation.
Je comparais aujourd'hui au nom de la Trial Lawyers Association of British Columbia, une organisation regroupant 1 400 avocats, dont environ 300 avocats de la défense. Moi-même, je suis pénaliste depuis plus de 20 ans et j'ai participé à des procédures de première instance et d'appel en Colombie-Britannique et au Yukon. J'ai travaillé sur plusieurs grandes affaires, comme celle d'Air India.
Notre association a notamment comme valeurs de tenter d'améliorer le professionnalisme et les normes des avocats ainsi que l'accès à la justice, et ce qui est tout à fait pertinent dans le cadre de votre étude qui porte sur les retards dans le système de justice. Les retards ont une incidence sur l'accès à la justice, comme vous l'avez indiqué dans votre premier rapport, et le professionnalisme et le respect des normes élevées de la part des avocats peuvent contribuer à réduire les retards.
J'aimerais surtout parler des services d'avocat. Les services compétents d'un avocat expérimenté aident à guider le déroulement d'un procès et rendent gérables les procès complexes et les empêchent de s'éterniser. Un avocat efficace doit apprendre à faire preuve de bon jugement. Nous devons analyser un montant croissant d'informations et de questions juridiques complexes et décider de l'approche à retenir dans une affaire. Nous devons décider quels sont les moyens qu'il faut faire valoir et ceux qui n'ont pas de mérite juridique. On acquiert ainsi des compétences analytiques et un bon jugement, grâce à des années de mentorat auprès de collègues expérimentés, soit une formation entre collègues propre à notre profession.
Vous avez entendu Mme Lopes cet après-midi qui, au nom du service des poursuites, a décrit les avantages du recours aux avocats principaux. De nombreuses études sur les procès complexes d'une importance critique font référence au besoin de faire participer des avocats expérimentés. Le rapport LeSage-Code sur les procès criminels complexes a souligné le problème des avocats inexpérimentés ou faisant preuve de mauvais jugement dans le cas d'affaires complexes et a recommandé des incitatifs financiers par le truchement de l'aide juridique afin de s'assurer de la participation d'avocats expérimentés.
L'Institut canadien d'administration de la justice, dans son rapport découlant de la table ronde sur les procès criminels complexes tenue en Colombie-Britannique en 2014, a relevé le financement des avocats de la défense comme étant un problème qui avait une incidence sur le déroulement des grands procès.
J'aimerais que vous songiez tous au problème suivant : la meilleure façon de former de jeunes avocats est de les faire comparaître en salle d'audience aux côtés d'avocats expérimentés, afin qu'ils puissent bénéficier d'un mentorat traditionnel. Les coupes profondes à l'aide juridique ont nui énormément à la capacité des avocats chevronnés d'accompagner leurs collègues moins expérimentés en salle d'audience.
Pendant les premières années de ma carrière, j'ai eu la chance de travailler comme seconde dans bien des affaires complexes, mais il est maintenant relativement rare que des avocats débutants soient retenus par l'aide juridique afin de comparaître ne serait-ce que dans les affaires les plus graves.
Si l'on veut que le régime de justice pénale fonctionne, nous devons investir dans la formation de la présente et de la future génération de pénalistes afin qu'ils puissent devenir les meilleurs avocats possible. Nous devons investir pour leur transmettre les meilleures compétences, leur inculquer le meilleur jugement et leur montrer comment tirer profit des technologies utilisées en salle d'audience.
La police investit des millions au chapitre de la formation. Nous investissons des millions pour ce qui est de la formation et du perfectionnement des procureurs de la Couronne. Nous devons reconnaître le besoin d'investir dans les avocats de la défense, et pour ce faire, tous les gouvernements doivent reconnaître l'importance primordiale d'un financement suffisant pour l'aide juridique, comme l'a dit Mme Lopes cet après-midi.
Les coupes à l'aide juridique n'ont pas seulement une incidence sur l'accès à la justice. Elles nuisent considérablement au développement et au maintien d'un barreau de pénalistes expérimentés, très compétents, qui est absolument essentiel au fonctionnement efficace de notre système de justice.
J'ai entendu les témoignages du groupe précédent, et j'aimerais conclure en vous faisant cinq observations compte tenu de ces témoignages.
Nous devons éviter l'éternisation des procès. C'est tout à fait inefficace. C'est inefficace pour les juges, qui doivent ranger leurs notes et peut-être reprendre le fil du procès dans six mois. C'est très inefficace pour les avocats, qui doivent mettre l'affaire de côté et ensuite la revoir six mois plus tard.
Comme M. Cowper l'a indiqué cet après-midi, les mesures visant à écarter les gens du régime de justice pénale et les solutions de rechange sont efficaces. La justice réparatrice fonctionne bien. Nous devons écarter les affaires du régime de justice pénale qui ne doivent pas y être. Nous avons un besoin criant de soins de désintoxication, que ce soit la drogue ou l'alcool. Si les gens peuvent se faire soigner pour leur dépendance, ils ne seront pas en salle d'audience. C'est une simple réalité. Nous pouvons écarter bien des intervenants du système de justice pénale si nous soignons leur toxicomanie.
Il est certes louable de fixer des normes nationales en matière de retard, mais pensons à la diversité des communautés ici au Canada. J'ai travaillé au Yukon. Comment appliquerons-nous des normes nationales à Watson Lake, là où le tribunal ne siège qu'une fois par mois et où le juge et les avocats doivent se rendre par avion si la météo est au beau fixe, car si le temps est mauvais, ils ne pourront pas s'y rendre? Les normes nationales ne sont pas dignes de l'attention de votre comité, sauf votre respect. Elles ne tiennent pas compte de la variété géographique du Canada. Merci beaucoup.
Darlene Shackelly, directrice générale, Native Courtworker and Counselling Association of BC : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci beaucoup de votre invitation.
J'aimerais reconnaître les Salish de la Côte, car nous nous retrouvons sur leur territoire traditionnel aujourd'hui, c'est-à-dire celui des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.
Je suis venue aujourd'hui pour parler au nom de l'organisation que je représente, qui existe depuis 43 ans. Nous sommes une organisation provinciale, dotée d'un mandat national. Il existe des programmes d'assistance parajudiciaire aux Autochtones partout au pays, dans chacune des provinces, ainsi que dans les territoires. Nous avons probablement tous les mêmes problèmes en ce qui concerne l'administration des avocats de la défense près les tribunaux. L'organisation que je représente offre des services directs à 8 000 personnes concernant 2 300 infractions de nature administrative.
Il est très fort probable qu'une personne autochtone reconnaîtra sa culpabilité en raison de la nature étrangère du système de justice auquel elle est confrontée. Depuis la création de notre organisation dans les années 1960, les Autochtones qui doivent comparaître devant les tribunaux souhaitent le faire aussi rapidement que possible. Il incombe à nos employés de s'assurer que ces personnes comprennent entièrement leurs droits et responsabilités devant les tribunaux, la nature des accusations et les possibilités devant elles. C'est probablement la toute première tâche de notre organisation.
Il y a également la jurisprudence qui nous gêne dans l'avancement de nos dossiers, comme l'affaire Gladue qui met en cause le Code criminel du Canada. Cette décision concerne une affaire de la Colombie-Britannique et à notre avis, on ne la cite pas suffisamment ici en Colombie-Britannique. Notre service d'aide juridique offre peu de soutien sur cette question. Je sais qu'il manque d'argent très rapidement dans des affaires connexes. Le service reçoit son financement de la fondation du droit et non de la province. C'est un parcours de combattant que de faire valoir la décision Gladue.
Le leadership des Premières Nations de la Colombie-Britannique a en outre réalisé des progrès en ce qui concerne l'établissement des tribunaux pour les Premières Nations. Il en existe quatre actuellement dans la province. Nous espérons que de nombreuses Premières Nations exercent des pressions sur la province afin qu'elle en crée d'autres. Les tribunaux des Premières Nations peuvent en fait appuyer énormément le système de justice en Colombie-Britannique.
Je crois également qu'il doit y avoir une vraie représentation de la vérité et de la réconciliation au Canada. La Commission de vérité et de réconciliation a émis 94 recommandations à ce sujet, dont 16 portent sur la justice. La province de la Colombie-Britannique et le Canada doivent avant tout examiner les priorités qui ont été établies par les leaders des Premières Nations, c'est-à-dire réduire la surreprésentation des enfants autochtones dans les foyers d'accueil, des adultes autochtones dans les pénitenciers et des jeunes dans les centres de détention, et prévenir et soigner les troubles causés par l'alcoolisation fœtale. Ces priorités ont été fixées par les leaders des Premières Nations.
Il y en a une qui porte sur le lien entre la justice et la santé. En Colombie-Britannique, les Premières Nations gèrent leur propre service de soins de santé par le truchement de la régie de la santé des Premières Nations. Cette question est donc d'une importance critique pour aider les gens qui doivent passer par le système de justice, du fait qu'ils souffrent de troubles de santé mentale, de toxicomanie et du syndrome de l'alcoolisation fœtale.
Ce sont des priorités dans le domaine de la santé, et je crois qu'il faudrait associer la santé et la justice dans le système judiciaire. Merci.
Paul Doroshenko, avocat, Acumen Law Corporation : Je remercie le président et le comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui sur ces questions importantes.
Je suis avocat de la défense à Vancouver, en Colombie-Britannique. Je plaide des causes en Colombie-Britannique et en Alberta et j'exerce ma profession depuis 2000. Je me spécialise dans les affaires concernant la conduite avec facultés affaiblies. Depuis l'entrée en vigueur en 2010 du programme de suspension immédiate du permis de conduire en Colombie-Britannique, je me fais le porte-parole des droits des personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies.
Je vous parlerai aujourd'hui des retards dans les procès criminels, de la façon dont les procès pour conduite avec facultés affaiblies ont évolué au fil des dernières années, et de l'approche préconisée par la Colombie-Britannique pour décourager l'alcool au volant. J'espère vous expliquer clairement comment ces changements récents ont eu une incidence considérable sur les retards.
Jusqu'à 2008, un procès concernant la conduite avec facultés affaiblies prenait en moyenne un jour pour la plupart des avocats. En général, on faisait témoigner un ou deux policiers et parfois un membre du public au sujet de la conduite. Les avocats spécialisés dans le domaine pouvaient prévoir deux ou trois procès de cette nature par semaine. Il était aussi très fréquent que ces procès n'aient pas lieu le jour prévu.
Depuis 2010, la durée de ces procès a plus que doublé. Selon ma propre expérience, en ayant discuté avec des avocats de la défense et nos collègues de la Couronne, un procès de deux jours, comme l'a dit Mme Lopes, est devenu la norme. C'est la nouvelle norme en ce qui concerne les procès pour conduite avec facultés affaiblies. Comment avons-nous doublé la durée d'un procès dans quelques années seulement?
Le 1er juillet 2008, une modification importante au Code criminel du Canada est entrée en vigueur en ce qui concerne les présomptions dans les affaires mettant en cause un taux d'alcool supérieur à 80 milligrammes. Avant la modification, les avocats de la défense pouvaient déposer des preuves attestant que le taux d'alcool dans le sang de leur client n'aurait pas été ce qu'indiquait le relevé de l'alcootest. Cela s'appelait la preuve du contraire. La modification adoptée en 2008 a modifié le Code criminel de façon à remplacer l'absence de la preuve du contraire par la présomption de preuve convaincante en l'absence de preuve indiquant trois choses : le test a été administré incorrectement, l'analyse incorrecte a fait que le relevé dépassait les 80 milligrammes par 100 millilitres, et le taux d'alcool dans le sang de l'accusé ne dépassait pas la limite légale.
Or, il n'existait rien dans la modification concernant les affaires déjà devant les tribunaux. Cela semble être un oubli. La question a été résolue au bout de plusieurs années, ce qui a causé des retards dans d'innombrables affaires déjà en cour dans le système.
En 2012, la Cour suprême du Canada a statué sur la validité constitutionnelle de ces changements dans l'arrêt R. c. St-Onge Lamoureux. La cour a restreint la teneur de la modification afin que seul l'accusé ait à démontrer que l'alcootest avait été effectué de façon incorrecte ou que l'utilisation incorrecte de l'instrument approuvé pourrait avoir causé un relevé non fiable.
Cette modification a soulevé des questions et des préoccupations intéressantes aux yeux des avocats de la défense. Auparavant, peu de pièces étaient communiquées par la Couronne aux avocats de la défense en ce qui concerne l'utilisation et l'entretien de l'instrument. Ce n'était pas un aspect auquel on avait sérieusement pensé. Maintenant, il fallait que les avocats de la défense songent aux critères qui seraient nécessaires afin de démontrer que les alcootests n'avaient pas été administrés comme il faut.
Il faut faire des vérifications afin de s'assurer de l'entretien et du bon fonctionnement d'un instrument. Le technicien doit administrer un alcootest correctement. Les avocats de la défense devaient désormais établir que l'instrument n'avait pas été entretenu comme il faut, ou ne semblait pas fonctionner comme il faut pour une raison quelconque, ou encore que les techniciens avaient négligé de suivre la procédure à la lettre, afin de contrecarrer les nouvelles présomptions dont il était question à l'article 258 du Code criminel.
Les éléments de preuve provenant de l'accusé ne contenaient presque jamais ce type de renseignement. Il fallait désormais que la Couronne en soit responsable, ainsi que les fournisseurs des instruments et les entreprises qui en assurent le maintien. Par conséquent, les avocats de la défense, comme moi-même, demandons de plus en plus la communication d'une telle preuve.
Plus j'étudiais le dossier, plus je découvrais des preuves pertinentes, et plus je savais ce que je devais demander et ce qui pourrait mal tourner. Laissez-moi vous dire qu'on commence à peine à voir les problèmes que peuvent poser les appareils de détection approuvés.
Les avocats de la défense ont été surpris de voir le nombre et le type de problèmes liés aux alcootests dans les cas de conduite avec facultés affaiblies. On nous avait appris que l'échantillon d'haleine prélevé à l'aide de cet appareil pratiquement infaillible constituait un élément de preuve fiable. Nous avions oublié la morale du Magicien d'Oz. Une fois qu'on a regardé derrière le rideau, on se rapproche de la vérité.
Lorsque Mme St-Onge Lamoureux a été traduite devant les tribunaux, on ne s'était pas encore vraiment penché sur l'efficacité ni sur le fonctionnement de l'appareil comme tel, mais à ce moment-là de ma carrière, j'avais déjà relevé de nombreux problèmes liés à ces instruments. Je savais que les modifications aux présomptions actuellement prévues dans le Code criminel étaient dangereuses, en ce sens que des innocents pouvaient être reconnus coupables de conduite avec un taux d'alcoolémie supérieur à la limite permise.
En 2008, j'ai obtenu des documents conformément à la Loi sur l'accès à l'information concernant des tests réalisés aux laboratoires de la GRC sur un modèle d'appareil. Au cours de l'année précédente, les Services des sciences judiciaires et de l'identité de la GRC avaient enquêté sur un problème que j'avais relevé avec l'appareil BAC Datamaster C. Parmi les documents que j'ai reçus en réponse à ma demande figurait un courriel de M. Benny Wong, du laboratoire judiciaire de la GRC de Vancouver. Monsieur Wong se demandait combien d'âmes innocentes avaient été déclarées coupables à cause de ce problème. J'ai d'ailleurs transmis ce courriel ainsi que d'autres documents au comité.
On compte sur les Services des sciences judiciaires et de l'identité de la GRC pour fournir de l'information neutre. N'empêche, il s'agit d'une organisation gouvernementale où il peut y avoir des conséquences si on ne suit pas la ligne du parti. Selon la mentalité, ces appareils sont pratiquement infaillibles, et la seule information qui soit pertinente est celle qui est inscrite sur les alcootests. Certains membres des Services des sciences judiciaires et de l'identité de la GRC m'ont confié en privé qu'ils ne se sentaient pas à l'aise avec cette position.
On constate aujourd'hui que cette information qui n'était pas divulguée auparavant est nécessaire pour éviter les erreurs judiciaires. De plus, même en ayant accès à cette preuve concernant les appareils, la mesure de protection fournie par l'ancienne disposition sur la preuve contraire demeure nécessaire pour éviter les condamnations injustifiées.
On ne peut plus revenir en arrière. Maintenant que nous sommes conscients des problèmes que peuvent occasionner ces appareils, le Parlement ne peut pas rédiger une loi valable sur le plan constitutionnel qui les rend infaillibles. Cette demande accrue de divulgation exerce des pressions supplémentaires sur le système judiciaire. Non seulement les demandes de communication de la preuve avant le procès sont souvent nécessaires, mais les délais pour obtenir la preuve ont également accablé lourdement le système.
Jusqu'à tout récemment, la Couronne ne disposait pas d'un système adéquat pour obtenir ou fournir de l'information au sujet de l'appareil. Ce n'est que depuis quelques années que c'est devenu monnaie courante en Colombie-Britannique et en Alberta.
Encore là, ce n'est pas suffisant. Plus tôt cette année, en Alberta, on a dû abandonner les procédures dans des centaines de cas de conduite avec facultés affaiblies, parce qu'on n'a pas pu produire de dossiers d'entretien adéquats. Les dates d'audience étaient fixées, et comme on n'a pas retiré les accusations avant la date du procès, on n'a pas pu allouer le temps à d'autres causes. Toutes ces questions liées à la divulgation des renseignements et à leur mauvaise gestion par les avocats de la Couronne ont contribué aux délais judiciaires. C'était l'un des facteurs énoncés dans la décision Jordan dont on a parlé plus tôt.
J'aimerais discuter des changements apportés aux litiges fondés sur la Charte qui ont entraîné des retards additionnels. Un autre facteur qui a contribué aux longs délais des tribunaux est la façon dont les litiges fondés sur la Charte ont évolué au cours des dernières années. Cela pose problème dans tous les types de procès criminels, mais on le constate tout particulièrement dans les procès pour conduite avec facultés affaiblies.
Auparavant, les avocats de la défense avaient seulement besoin de prouver qu'il y avait une violation importante de la Charte pour que les résultats des tests d'haleine soient exclus de la preuve. En 1997, dans l'affaire Stillman, la Cour suprême avait déclaré qu'une preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui-même devait automatiquement être exclue. Depuis ce temps-là, il était relativement simple d'écarter un élément de preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte. Les échantillons d'haleine étaient automatiquement exclus de la preuve s'ils avaient été obtenus en mobilisant l'accusé contre lui-même, en vertu du Code criminel, et s'ils avaient été prélevés sous la menace d'une accusation de refus de se soumettre à un alcootest.
Le processus était donc très simple lorsqu'on utilisait l'approche définie dans l'arrêt Stillman. Les avocats de la défense pouvaient faire valoir une violation de la Charte et une analyse fondée sur le paragraphe 24(2) en même temps. Le résultat était prévisible : si on pouvait établir qu'il y avait une violation de la Charte, on savait à quoi s'attendre. Il faudrait simplifier le contre-interrogatoire afin de se pencher sur les atteintes flagrantes aux droits garantis par la Charte plutôt que d'explorer des violations potentielles, comme c'est le cas en ce moment.
Depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Grant, le processus est devenu beaucoup plus complexe. Aujourd'hui, les avocats de la défense doivent s'attarder sur tous les domaines de violations possibles et mener un contre-interrogatoire plus approfondi pour prouver qu'une violation était particulièrement grave ou a eu d'importantes répercussions sur l'accusé. Cela prend nécessairement plus de temps pour interroger les témoins et présenter des arguments. Les avocats de la défense et de la Couronne hésitent maintenant à recourir au paragraphe 24(2) de la Charte en même temps qu'ils invoquent des manquements, étant donné que le nombre et la gravité des manquements jouent maintenant un plus grand rôle pour déterminer si la preuve sera exclue ou non.
Cela a eu une incidence non seulement sur les cas de conduite avec facultés affaiblies, mais aussi sur tous les procès criminels où des questions relatives à la Charte se posent. Le processus est plus long et entraîne des retards. Les juges sont également plus réticents à rendre cette décision; ils souhaitent donner des motifs plus détaillés qui pourront être examinés plus tard, lorsque la demande d'exclusion d'éléments de preuve au titre du paragraphe 24(2) sera présentée.
Si le temps me le permet, j'aimerais parler de la suspension immédiate du permis de conduire en Colombie- Britannique. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a voulu éliminer les délais judiciaires, les arguments fondés sur la Charte et les demandes de divulgation.
Autrement dit, notre gouvernement a trouvé le moyen de réduire les retards judiciaires en éliminant pratiquement toutes les poursuites pour conduite avec facultés affaiblies. Il a essentiellement remplacé les poursuites par des suspensions immédiates du permis de conduire en fonction des résultats des appareils de détection approuvés. En imposant cette sanction administrative, le gouvernement a renoncé aux arguments fondés sur la Charte, au processus de divulgation et à la vérification des preuves recueillies par les policiers.
Cela a porté un dur coup à notre système judiciaire. L'imposition d'une peine à partir des résultats d'un ADA est dangereuse et sans précédent. Dans la documentation que je vous ai fournie, vous trouverez quelques dossiers d'entretien d'ADA, dont aucun n'a été porté à l'attention des accusés.
Il n'y a rien de constitutionnel dans la réalisation d'une fouille corporelle sur la base d'un simple soupçon sans l'immunité contre l'utilisation de la preuve. Ici, nous n'avons aucun mécanisme pour contester la validité de la demande si le conducteur fournit un échantillon. Les ADA sont également beaucoup plus faillibles que les instruments au poste. L'entretien courant est effectué par les agents, et les problèmes importants liés à ce processus sont fréquents.
Le président : Pourriez-vous conclure, s'il vous plaît, monsieur Doroshenko?
M. Doroshenko : À la suite de l'imposition de la suspension immédiate du permis de conduire, les délais de notre système judiciaire ont simplement été transférés ailleurs. Les gens doivent maintenant attendre jusqu'à trois ans pour obtenir une décision concernant la suspension immédiate de leur permis de conduire pour 90 jours.
Jusqu'à il y a quelques mois, près de 1 000 personnes étaient dans l'attente d'une décision en Colombie-Britannique. Cela s'explique par le fait que les arbitres n'ont aucune formation juridique à cet égard. Ils se tournent donc vers le gouvernement pour obtenir des conseils sur la décision qu'ils doivent prendre dans ce type de dossiers. Ils sont incertains et attendent des décisions de la Cour suprême du Canada qui seraient pertinentes. Il est également possible d'en appeler d'une décision de suspension immédiate du permis de conduire. La Cour suprême de la Colombie- Britannique est d'ailleurs saisie d'une panoplie de cas.
Nous avons également eu un sérieux problème avec le fait qu'il s'agit d'une sanction administrative sur laquelle le gouvernement peut exercer son influence, si l'on se fie à la décision AG c. Lee.
Le président : Vous pourrez y revenir durant la période de questions. Je vais maintenant céder la parole au vice- président, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Merci, monsieur le président. J'aurais besoin d'environ une heure seulement pour l'interroger sur la question des appareils de détection approuvés. C'est un domaine juridique complexe et c'est sans aucun doute le plus contesté dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies.
Ce qui arrive, c'est que les autorités essaient toujours d'éliminer tous les moyens de défense possibles et, ce faisant, elles ouvrent la porte à d'autres possibilités de défense. On est rendu au point où on doit prouver que l'appareil a mal fonctionné ou que le test n'a pas été réalisé correctement par l'agent, que 20 minutes auparavant, la personne a éructé, mâchait une gomme, et ainsi de suite.
C'est un domaine très complexe. Soit dit en passant, sans vous révéler notre source, sachez qu'on nous a également dit que les tribunaux étaient maintenant saisis d'un très grand nombre d'appels en raison du nouveau système.
J'aimerais vous poser une question d'ordre général. Monsieur Gottardi, en ce qui concerne l'alinéa 11b), vous avez mentionné que vous estimiez que la communication de la preuve devrait probablement ou possiblement avoir lieu avant le procès. J'ai oublié les termes exacts que vous avez employés. À titre d'avocat de la défense, vous devez faire valoir vos arguments fondés sur la Charte avant le procès. Vous devez d'ailleurs y présenter tous vos arguments préalables au procès, alors qu'est-ce qui ne va pas avec la Couronne?
Est-ce là où vous vouliez en venir? J'imagine qu'au beau milieu d'un procès, si vous décidiez d'invoquer un argument fondé sur la Charte concernant un aspect qui a été présenté durant le procès, vous auriez du mal à obtenir la permission de la cour.
Seriez-vous favorable à une recommandation du comité selon laquelle toute la preuve devrait être divulguée avant le procès si elle était disponible?
M. Gottardi : En fait, ce que je proposais, c'est plutôt que la communication de la preuve ait lieu avant le dépôt des accusations, et non pas avant le procès.
Le sénateur Baker : Toute la preuve?
M. Gottardi : Non.
Le sénateur Baker : On ne serait pas obligé de divulguer tous les éléments.
M. Gottardi : Non. Seulement ce qui est essentiel. Évidemment, cela ne s'appliquerait pas à tous les cas, notamment les cas de crimes violents. Dans certains cas, une arrestation s'impose, et la personne ne sera pas mise en liberté sous caution. De plus, il y a autant de cas, sinon plus, qui exigent une très longue enquête policière en raison du recours à l'écoute électronique et à toutes sortes de dispositifs électroniques. Dans les cas de pornographie juvénile, les ordinateurs sont saisis. Vous avez entendu à quel point les services électroniques de la GRC sont étayés dans ce type de cas.
Le compte à rebours ne commence que lorsque les accusations sont déposées. Dans une province où les accusations doivent être approuvées au préalable, lorsqu'il n'y a pas de circonstances contraignantes qui nécessitent que l'accusation soit déposée immédiatement, il n'y a pas de risque pour le public. Il s'agit d'une très longue enquête. À mon avis, nous devons prendre la communication de la preuve et sa gestion très au sérieux. Les policiers et la Couronne se livrent une lutte continue pour savoir qui va payer pour quoi. Nous assumerons les coûts jusqu'au dépôt des accusations, et ce sera ensuite au tour de la Couronne.
Nous devons mettre en place un meilleur système pour recueillir et gérer la preuve dès le premier jour de l'enquête. Il est nécessaire d'apporter un changement au sein de la culture policière. En fait, c'est déjà en cours. Nous avons vu différents systèmes de gestion de cas, que divers services de police ont essayé de mettre en œuvre, mais ensemble, il faut faire mieux. Nous ne devons pas avoir peur d'innover.
Je sais que d'autres groupes comme le comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice ont parlé de la mise en place d'un centre de divulgation qui réunirait la Couronne, la police et la défense. Évidemment, il ne s'agirait pas de l'avocat de la défense qui s'occupe de l'enquête, mais plutôt d'un avocat de la défense qui examinerait les documents et qui déterminerait ceux qui doivent être communiqués, car ils constituent une information émanant de la partie principale et ceux qui ne doivent pas l'être, car ils ont été fournis par des tiers.
On doit nous dire quels devraient être les documents à communiquer avant le dépôt des accusations ou peu de temps après, de sorte que l'on ne se retrouve pas dans la situation où je me trouve en ce moment. J'en suis à ma deuxième semaine d'un mégaprocès qui va durer six mois, et il me manque encore beaucoup d'éléments d'information. La cause sera reportée, et il n'y a rien que je puisse faire ou que j'aurais pu faire pour accélérer le processus.
Je ne dis pas que la Couronne ne travaille pas avec diligence. Je crois simplement que la communication et la gestion de la preuve sont probablement le problème le plus important auquel notre système judiciaire est confronté. L'une des principales causes des retards et des ajournements est la communication tardive de la preuve.
Nous pouvons mieux recueillir l'information, ou peut-être en recueillir moins, et mieux la gérer. Nous assisterons sans aucun doute à moins d'ajournements et de retards. C'est donc ce que j'essayais de faire valoir ici.
Le sénateur Baker : J'aurais une question complémentaire concernant les dispositions sur la conduite avec facultés affaiblies. Nous avons toujours eu les dispositions établies dans Grant, où le juge doit déterminer si la preuve doit être exclue ou non. Nous avons toujours eu une liste de choses que le juge devait prendre en considération. Peut-être que je me trompe, mais je ne crois pas que cela a changé considérablement en vertu du paragraphe 24(2).
Pourquoi avez-vous soulevé ce point? Cela prolongerait la durée des procès; il n'y a pas de doute là-dessus. Vous dites que nos procès sont beaucoup plus longs aujourd'hui en raison de ce nouveau système établi en Colombie- Britannique et de la modification à la loi découlant de l'arrêt St-Onge Lamoureux. Pourquoi avez-vous soulevé le paragraphe 24(2)?
M. Doroshenko : La modification législative découlant de l'arrêt St-Onge Lamoureux est un changement que le Parlement a apporté au Code criminel afin de modifier les dispositions relatives à la preuve contraire. Par conséquent, nous devons maintenant nous pencher sur l'efficacité réelle de l'appareil approuvé. Je ne parle pas ici d'un alcootest utilisé en bordure de la route. Je parle de l'appareil de détection approuvé utilisé au poste de police. Nous devons maintenant recueillir toute l'information puis l'examiner. Cela a rallongé le processus de divulgation et, par le fait même, les procès, car nous devons désormais faire appel à des techniciens et à d'autres employés de ces entreprises. Nous devons fouiller dans les documents.
Lorsqu'on invoque des arguments fondés sur la Charte dans un cas de conduite avec facultés affaiblies, les tribunaux doivent considérer beaucoup plus d'éléments que par le passé. C'était...
Le président : Automatique.
M. Doroshenko : Pas automatique, mais presque une exclusion automatique. Dans le cas d'une violation de l'alinéa 10b), par exemple, on fera valoir que les lectures sont arrivées après, et elles seront exclues. C'est donc la fin de l'analyse fondée sur le paragraphe 24(2).
On réunit tout dans un seul argument. Les juges qui se sont prononcés dans l'affaire Grant disent qu'ils ne peuvent pas vraiment le faire à cause d'un argument. Au fond, on se trouve à avoir cette discussion avec le juge : « Étant donné que je dois tenir compte de tous ces facteurs et que vous devez connaître ceux au sujet desquels j'en suis arrivé à une conclusion avant de pouvoir présenter votre argument en vertu du paragraphe 24(2), revenons la semaine prochaine, puis je vous ferai part de ma longue décision sur ce que je pense de cette violation de la Charte et des motifs connexes. »
Il faut donc contre-interroger les témoins pendant une journée et demie pour décortiquer tous les menus détails qui contreviennent à la Charte. Il y a toujours sept ou huit autres infractions à la Charte. Il y a infraction à l'alinéa 10a). Quand on a terminé tout l'argumentaire et que le juge tranche, il faut recommencer les plaidoiries sur le paragraphe 24(2).
Le président : Nous devons passer à la sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : Je vous remercie tous d'être ici aujourd'hui pour nous aider dans cette étude importante. Monsieur Doroshenko, vous aviez beaucoup d'information à nous transmettre dans votre déclaration préliminaire. J'aimerais entendre parler un peu plus des problèmes que vous constatez dans le modèle administratif de la Colombie- Britannique. Je sais que vous n'avez pas eu le temps d'entrer dans tous les détails, donc j'aimerais vous donner un peu de temps pour nous décrire brièvement quelques-uns des inconvénients que vous voyez, parce qu'il est important de brosser un portrait complet de la situation.
M. Doroshenko : Il y a des inconvénients pour l'accusé, comme il y a des inconvénients pour la société. Nous avons notamment remarqué que les policiers n'avaient plus les compétences nécessaires pour mener des enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies. Ils sont tenus de mener une enquête pour suspension immédiate du permis de conduire seulement si la personne n'a jamais auparavant été trouvée coupable de conduite avec facultés affaiblies ou s'il n'y a pas d'accident.
Or, il arrive que des policiers se présentent sur des scènes d'accidents où une personne est gravement blessée et qu'ils ne sachent pas comment effectuer une enquête sur la conduite avec facultés affaiblies parce qu'ils ne font toujours que des suspensions immédiates du permis de conduire. C'est très préoccupant.
Le deuxième problème, c'est que le pouvoir discrétionnaire des policiers n'est pas utilisé de façon adéquate, à mon avis. Nous voyons beaucoup de personnes se faire suspendre leur permis de conduire plusieurs fois.
Il faut dire, aussi, que ce type de suspension arrive vite. Je dois vous dire que l'un des bons côtés du délai d'un an avant la tenue d'un procès pour conduite avec facultés affaiblies, c'est que pendant un an, le client est terrifié à l'idée de se présenter au tribunal. Pendant cette année, beaucoup de gens se reprennent en main. Qu'ils gagnent ou qu'ils perdent en bout de ligne, beaucoup de gens ont tellement peur de leur comparution qu'ils cessent de boire et de conduire pendant l'année.
Cela dit, d'autres personnes se font imposer une suspension immédiate du permis de conduire la nuit même. Elles n'ont plus de voiture. Elles se retrouvent au bar le lendemain. Puis elles se retrouvent dans mon cabinet quatre mois plus tard avec une autre suspension immédiate du permis de conduire parce qu'elles ne ressentent tout simplement pas la même pression.
De même, les gens se méfient énormément des alcootests routiers. Il y a une très bonne raison à cela. Ce n'est qu'un échantillon. Je ne peux pas vous divulguer les détails des dossiers dont je m'occupe, parce que je n'en ai pas le droit. Je ne peux vous divulguer l'information que la liberté d'information me permet de divulguer. Les alcootests routiers sont des appareils de détection qu'on qualifie d'approuvés. Ils ont été conçus pour détecter la présence d'alcool et non pour punir les gens. Ils n'ont jamais été conçus pour justifier des sanctions. Leur but était d'élever l'opinion du policier au critère des motifs raisonnables et probables de croire.
Les policiers n'ont même pas l'équipement requis pour évaluer la fiabilité de l'échantillon recueilli. Si l'instrument au poste de police fonctionne bien, il devrait détecter la présence d'alcool dans la bouche ou dans l'haleine et faire la différence entre les deux. C'est le problème du rot.
Les alcootests routiers n'ont pas cette caractéristique et ne donnent même pas de relevé numérique qu'on pourrait comparer. Si un sujet a un relevé numérique qui dépasse 240, puis que le relevé suivant est de 100, on sait que l'un des deux ou les deux sont erronés, ce qui n'est pas le cas avec les alcootests routiers approuvés.
Je dois toutefois vous parler un peu de la suspension immédiate du permis de conduire et de l'affirmation du gouvernement de la Colombie-Britannique selon laquelle ce modèle sauverait beaucoup de vies. On omet toujours de mentionner une chose très intéressante, c'est-à-dire que l'ICBC, la compagnie d'assurance du gouvernement de la Colombie-Britannique, a analysé si c'était bel et bien le cas. Elle a produit un rapport provisoire interne qui n'a jamais été publié. On a su, grâce à une demande d'accès à l'information seulement, que le gouvernement ne pouvait prétendre rien de tel.
Il y a beaucoup d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte. D'abord, il y a une tendance à la baisse de la conduite avec facultés affaiblies dans la société en raison du vieillissement de la population. Ensuite, le régime de suspension immédiate du permis de conduire est arrivé en même temps qu'un nouveau régime sur les excès de vitesse, qui permet de saisir la voiture de la personne pendant sept jours. Pendant la période de six mois où la loi a été abrogée et les policiers ne pouvaient suspendre le permis de conduire, il y a eu moins de décès dans la province. Il s'avère que la seule chose efficace pour dissuader les gens de conduire après avoir consommé de l'alcool, c'est la discussion. Pendant cette période, nous ne pouvions que discuter parce que la loi avait été jugée non constitutionnelle. Un projet de loi controversé a été déposé. Pendant une longue période, la conduite en état d'ébriété a été un sujet récurrent dans les discussions sociales en Colombie-Britannique. Il ne fait aucun doute que cela a fait diminuer le nombre de personnes conduisant en état d'ébriété sur nos routes.
La sénatrice Batters : Pourriez-vous nous remettre une copie de ce rapport?
M. Doroshenko : Il est accessible. Je peux vous l'obtenir grâce à une demande d'accès à l'information.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous et toutes de vos exposés. Ils soulèvent beaucoup de questions. Je commencerai par vous, monsieur Fowler. Vous faites partie d'une organisation très active dans la formation et la défense des victimes.
J'ai écouté très attentivement ce que vous avez dit sur le rôle d'avocat de la défense. La Trial Lawyers Association en fait assurément beaucoup. Quand j'étais une jeune avocate, mon partenaire d'expérience me disait toujours que les avocats n'ont pas le même sens de l'engagement que les médecins pour former les jeunes médecins; ce n'est tout simplement pas naturel pour nous de former les jeunes. Il me disait toujours si nous formions les jeunes, le Barreau serait bien meilleur.
Quand je vous entends, je vois qu'il y a de l'information individuelle pour les avocats. Il faut faire quelque chose. Votre groupe offre clairement beaucoup de formation aux avocats pour protéger le droit des victimes. Cela ne fait aucun doute.
Je me demande si vous et l'ordre des avocats avec lequel vous travaillez très étroitement pourriez trouver une façon d'offrir ce genre de formation aux avocats de la défense, avec l'aide du gouvernement et peut-être de l'aide juridique. Y avez-vous réfléchi?
M. Fowler : La difficulté tient aux gens qui vont plaider devant les tribunaux. Les avocats plaidants constituent un très petit sous-groupe de tous les diplômés des écoles de droit. Je ne peux vous donner le pourcentage, mais la proportion des personnes qui deviennent avocates au sens classique du terme et qui vont fréquemment plaider devant les tribunaux est assez faible.
La réalité économique de la profession de criminaliste a énormément changé. J'aime toujours donner l'exemple des frais de stationnement à la Cour suprême à mes débuts, en 1995. Ils étaient de 3,50 $ à l'époque, contre 16 $ aujourd'hui. Le taux horaire versé par l'aide juridique est pourtant resté le même. Les frais généraux à Vancouver ont bondi. Tous les membres de notre cabinet ont besoin d'un bureau. Ils ont des frais généraux. Les procureurs n'ont pas de frais généraux à payer. Leur formation est payée. Toute la formation que nous prenons, nous devons la payer de notre poche.
Si nous voulons suivre un cours offert par la Trial Lawyers Association ou la Continuing Legal Education Society, nous devons payer 500 $ ou 600 $ et prendre une journée où nous ne pourrons pas être au tribunal. C'est essentiellement une perte nette pour cette journée-là, parce que nous facturons nos services à la journée ou à l'heure dans notre domaine. Il en coûte donc très cher aux avocats de la défense de suivre de la formation.
Le plus grand changement, et même la Couronne en souffre, c'est que les jeunes avocats ont de moins en moins la chance de plaider en cour. C'est pourtant là où l'on apprend le métier. C'est là qu'on apprend à mener un contre- interrogatoire. C'est là qu'on apprend qu'un bon contre-interrogatoire dure une demi-heure, et non trois heures et demie. C'est là qu'on apprend qu'il ne vaut pas la peine de faire une telle demande, mais qu'il vaut la peine de faire celle-là.
Le code LeSage le mentionnait, en Ontario, il y a déjà quelques années, en raison des mégaprocès qui traînaient pendant des mois et des années. Deux principaux facteurs ont été nommés pour expliquer la situation : le manque d'expérience des avocats et le manque de jugement des avocats d'expérience. Comment s'en sortir? La solution passe par une bonne formation.
En Ontario, ils ont dit que l'aide juridique devait davantage payer ses avocats, pour que des avocats de 15 ou 20 ans d'expérience acceptent les affaires de meurtre. Je me suis occupé de presque 50 affaires de meurtre. Beaucoup de personnes se retrouvent devant les tribunaux sans jamais avoir défendu ce genre de cas avant ni même y avoir travaillé comme assistant. C'est un problème.
La sénatrice Jaffer : Je dois vous dire que j'ai travaillé à Watson Lake comme subalterne. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'on ne peut pas vraiment fixer de normes nationales. Je pense que la réalité diffère beaucoup d'un endroit à l'autre en Colombie-Britannique.
Je vais maintenant me tourner vers Mme Shackelly. Je participe à cette étude depuis un certain temps et je m'intéresse à la question des tribunaux autochtones séparés. Nous avons entendu divers témoignages ce matin, et je vous ai écoutée. J'ai une question à vous poser. Si vous n'avez pas de réponse à me donner maintenant, vous pourrez la transmettre au comité plus tard. Vous n'avez pas besoin de vous sentir pressée d'y répondre aujourd'hui. Croyez-vous que le temps est venu, particulièrement autour du 222, rue Main, d'établir des tribunaux autochtones séparés, pour les raisons exactes que vous avez données.
Mme Shackelly : En fait, ce serait une bonne solution. Les membres comme les dirigeants des Premières Nations en Colombie-Britannique se demandent ce qui arrive à leurs membres dans le système judiciaire.
Nous savons que les tribunaux des Premières Nations peuvent prononcer des peines. Cela signifie que les Premières Nations sont responsables de la structure de ces tribunaux, qui peuvent prendre la forme de comités d'aînés ou d'autres formes et qui élaborent des plans de guérison.
Dans l'appareil judiciaire classique, les intimés comparaissent en fonction des accusations qui pèsent contre eux, et on les revoit souvent ensuite. Nous en sommes conscients. Quant à eux, les tribunaux des Premières Nations se demandent davantage ce qui a mené la personne dans le système et comment on peut régler les problèmes sous-jacents.
Il y a beaucoup de choses qui se passent en Colombie-Britannique autour de la question du traumatisme. La dépendance à l'alcool et à la drogue n'est plus systématiquement évoquée comme problème no un. Il s'agit d'un symptôme, et c'est reconnu. Que les tribunaux des Premières Nations ont-ils à offrir? Ils peuvent aider la fondation d'une famille non seulement de la personne. Ils peuvent contribuer à l'adoption d'un mode de vie productif plutôt que de mettre l'accent sur les accusations qui pèsent contre la personne. De même, il est bien que les personnes doivent périodiquement revenir rendre des comptes aux tribunaux par la suite.
La sénatrice Jaffer : Quand j'ai commencé à exercer le droit en Colombie-Britannique, il n'y avait pas autant de femmes autochtones dans le système judiciaire qu'aujourd'hui. Malheureusement, nous connaissons les statistiques concernant la population carcérale. Que faut-il mettre en place pour aider les femmes autochtones, en particulier, et régler le problème des délais dans le système de justice?
Mme Shackelly : Nous savons ce que montrent les statistiques, en raison de l'âge de notre organisation. La proportion des hommes accusés d'une infraction a toujours été plus élevée. Nous constatons maintenant une hausse dans les statistiques des femmes autochtones. Le plus dérangeant, c'est que ces infractions sont de nature plus violente.
La situation se répercute également sur le système correctionnel. Le traitement des femmes en général doit tenir compte de toutes les dimensions, comme pour les hommes. Nous mettons beaucoup l'accent sur les hommes, parce ce sont le plus souvent des hommes qui sont accusés d'infractions. Il faut tenir compte de toute la population des jeunes, des femmes et des hommes, de toute la cellule familiale d'un point de vue communautaire.
Les solutions elles-mêmes viendront de la communauté. C'était probablement la prémisse du tribunal communautaire de Vancouver. Il s'agissait d'une autre forme de tribunal chargé de la détermination de la peine, qui mettait la communauté à contribution. Le tribunal communautaire de Vancouver est toujours là, mais il n'y a plus de participation de la communauté.
On prévoit cependant ramener cette participation. Je pense que le fondement de ce genre de tribunal doit être la contribution de la communauté au système judiciaire.
Le sénateur McIntyre : Madame Shackelly, j'aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Jaffer. Je vous remercie de décrire les problèmes propres aux Autochtones confrontés au système de justice pénale.
Lorsqu'elle a comparu devant notre comité, Paula Marshall du Mi'kmaq Legal Support Network, à Halifax, a dit que les Autochtones étaient confrontés à toutes sortes de problèmes dans le système de justice canadien. Je ne répéterai pas tout ce qu'elle a dit, mais avez-vous l'impression que nous avançons dans la bonne direction jusqu'à maintenant?
J'ai toujours cru aux tribunaux des Premières Nations. Je peux vous le dire d'emblée, parce que j'ai exercé le droit pénal au Nouveau-Brunswick pendant 35 ans. Nous avons nous aussi nos Premières Nations. Selon moi, les tribunaux des Premières Nations sont la solution. Avez-vous l'impression que nous avançons dans la bonne direction jusqu'à maintenant?
Mme Shackelly : Oui, je suis d'accord. De même, j'aimerais remercier Paula Marshall d'avoir exposé la situation. Les Mi'kmaq Legal Services travaillent en lien avec la province de la Nouvelle-Écosse pour la rédaction de rapports de type Gladue. Ils ont un contrat précisément pour cela. C'est une relation assez étrange avec la province, puisque quand ils rédigent des rapports de type Gladue, ils facturent la province puis la province les paie. Malheureusement, ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent en Colombie-Britannique, et je crois que c'est une grave lacune du système.
Le Code criminel a 20 ans. Après tout ce temps, la Colombie-Britannique devrait avoir un plan plutôt que de fonctionner de manière fragmentée comme elle le fait en ce moment. Cela dit, je suis d'accord avec votre affirmation concernant les tribunaux des Premières Nations. Plus il y en aura, pour que les communautés puissent aider les Autochtones dans le système, plus ce modèle aura de chances de réussite.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Fowler, j'ai bien aimé ce que vous avez dit. Les avocats de la défense gagnent leurs procès grâce à leurs contre-interrogatoires. C'est de là que vient l'expertise. En tant qu'avocat de la défense, on ne gagne pas un procès grâce à l'interrogatoire principal, mais grâce au contre-interrogatoire. Il faut y exceller, ce qui exige beaucoup d'expérience. Les vieux boucs ont fort à enseigner aux jeunes boucs en la matière.
J'ai une question simple à vous poser, monsieur Gottardi. Dans l'affaire Jordan, la Cour suprême du Canada a établi un nouveau cadre juridique et de nouveaux plafonds de 18 et de 30 mois. La majorité a proposé un régime transitoire, une opinion que la minorité ne partageait pas.
Cette décision pourrait-elle occasionner des délais dans beaucoup d'affaires? Croyez-vous que ces nouveaux présumés plafonds risquent d'être trop difficiles à appliquer?
M. Gottardi : Je ne pense pas. Premièrement, est-ce que je pense que la majorité ou même la minorité s'est dite inquiète que des milliers d'affaires soient retardées? Je ne pense pas. La majorité a vraiment exposé le contexte, dans son jugement, pour indiquer clairement qu'elle ne souhaite pas voir se reproduire la situation qui a suivi la décision Askov. Elle a créé ce régime transitoire pour contribuer à faire le pont entre l'ancien et le nouveau système.
Ensuite, les preuves soumises au tribunal sur les délais des tribunaux viennent de notre province. Elles découlaient de rapports préparés par nos tribunaux. Ces rapports montraient en fait qu'avant même les débats suscités par l'affaire Jordan, même nos juridictions les plus occupées comme celles de Vancouver et de Surrey étaient revenues à des chiffres assez près des cibles que la Cour suprême du Canada avait établies il y a quelques années par les arrêts Morin et Askov. Le dossier de preuve montrait que la crise était pour ainsi dire passée, donc je ne crois pas qu'on risque vraiment de voir des milliers d'affaires retardées.
Je n'ai aucune idée de l'efficacité qu'auront ces plafonds, comme M. Fowler l'a mentionné. Un plafond de 30 mois ne servira vraiment à rien à l'Île-du-Prince-Édouard, où l'on peut obtenir un procès en quatre semaines.
C'est l'une des questions que les magistrats se posaient. Le juge Cromwell, plus précisément, celui a rédigé le jugement minoritaire dissident, s'interrogeait sur l'application de ces normes à l'échelle du Canada. Il faudra attendre de voir ce qui ressortira de l'affaire Jordan, mais il pourrait y avoir place à des mesures plus ciblées de la part du Parlement. Nous devons veiller à ce que tous les Canadiens aient accès à la justice en temps opportun. Ce ne serait sûrement pas le cas si une personne de l'Île-du-Prince-Édouard, pour reprendre mon exemple, devait attendre 30 mois pour être entendue par la Cour suprême du Canada. Je suppose qu'il faudra attendre de voir.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Doroshenko, je vous avoue que vous m'avez fait sursauter. Je suis un policier qui a 39 ans de service. J'ai été technicien d'éthylomètre. J'ai effectué plus de 200 tests d'éthylomètre. Je connais bien l'appareil, qui était calibré toutes les semaines. Nous recevions une formation tous les ans. Vous connaissez toutes les procédures de test préalables nécessaires afin d'assurer le bon fonctionnement de l'appareil.
J'ai aussi travaillé avec le dépisteur Alert, qui n'était pas un test en tant que tel, mais plutôt une preuve supplémentaire nous permettant d'emmener la personne au poste de police pour qu'elle souffle dans l'éthylomètre. Vous n'avez pas parlé des indicateurs symptomatiques, notamment la langue pâteuse, les yeux rouges et la conduite erratique. Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je ne veux pas en débattre aujourd'hui.
Par contre, il y a des avocats de la défense qui sont spécialistes en matière de remises : « Excusez-moi, Votre Honneur, la semaine prochaine, je suis en vacances, ou dans deux semaines, je suis en Cour supérieure, ou encore, mon client est malade. » Le délai déraisonnable permet souvent au client de s'en sortir. Nous ne nous entendrons pas aujourd'hui, et c'est correct. Nous avons chacun nos opinions.
Monsieur Fowler, vous avez parlé des mégaprocès. J'aimerais vous entendre davantage à ce sujet. Au Québec, il y a eu des mégaprocès si longs que tous les Hells Angels ont été acquittés et qu'on leur a remboursé les sommes saisies. Personne n'était prêt pour un mégaprocès. Peut-on dire que les juges n'étaient pas préparés à subir de tels procès ou que les avocats de la Couronne étaient débordés? Imaginez trois pauvres avocats de la Couronne devant une vingtaine d'avocats de la défense. De plus, le gouvernement a souvent dû prendre en charge l'aide juridique. Tout cela a coûté des millions de dollars au contribuable, et on se retrouve aujourd'hui avec des membres des Hells Angels qui parcourent les rues et qui se refont une beauté. J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet. À mon avis, on ne devrait plus fonctionner de cette façon. On devrait tout simplement traiter les accusés séparément.
[Traduction]
M. Fowler : J'ai lu certaines études réalisées sur les problèmes des mégaprocès au Québec. On déplore le manque de collaboration entre les services de police et la Couronne avant un nombre élevé d'arrestations. Autrement dit, les procureurs ne pouvaient pas prévoir à l'avance qu'il y aurait une telle opération ce jour-là pour arrêter une centaine de personnes. Cette collaboration entre la Couronne et la police est importante.
Il y a eu une étude ou une table ronde sous l'égide de l'Institut canadien d'administration de la justice à Vancouver, en 2014. J'ai fait parvenir le rapport au comité. On peut le trouver sur le site web de l'ICAJ, et l'une des recommandations qu'il contient est d'améliorer les liens entre les services de police et la Couronne au préalable, et même avec les tribunaux, pour qu'ils sachent à l'avance que 20 ou 30 personnes seront arrêtées.
Ces procès au Québec étaient ingérables, parce qu'une vingtaine de personnes ont été accusées dans un même procès. Je ne sais pas si c'est à cause d'un manque d'expérience de ce genre de procès, mais l'on ne peut pas juger 20 personnes dans le cadre d'un même procès. Pensons seulement en chiffres. Vingt personnes font l'objet d'un procès. Il y a 20 avocats, qui font chacun un contre-interrogatoire. Même si chacun fait un contre-interrogatoire très efficace de 15 minutes, on en arrive à cinq heures de contre-interrogatoire. C'est bien trop long. C'était bien trop gros. Ces procès ont été trop mal préparés, trop mal menés. Un mégaprocès nécessite toute une planification. C'est ce que je peux vous dire.
Le président : J'ai une question pour vous aussi, monsieur Fowler. Elle porte sur un rapport de 2014 pour le compte de l'Institut canadien d'administration de la justice et la contribution de l'avocat de la défense qui a participé à cette table ronde. Je sais que le rapport traite d'affaires complexes, mais je pense qu'il peut s'appliquer à un contexte plus vaste.
Il y a été question du modèle de financement actuel de l'aide juridique et du fait qu'il peut être problématique s'agissant des comportements et des actions pouvant être dédommagés et ceux qui ne peuvent pas l'être. Je sais que vous avez fait allusion au financement versé aux avocats débutants pour assister aux audiences, mais je me demande si vous pouvez parler de ce commentaire dans une optique de réduction des délais.
Je serais intéressé à entendre vos éventuelles recommandations au comité en ce qui concerne le modèle de financement et la façon dont il pourrait être adapté pour nous aider.
M. Fowler : J'ai participé à la table ronde, donc je suis au fait de ces discussions. Il y a diverses façons de financer l'aide juridique. Il existe un modèle axé sur le taux horaire et un autre, sur la demi-journée ou la journée en cour. Autrement dit, il s'agit d'un modèle à taux fixe pour un quelconque nombre de demi-journées ou de journées. Ensuite, il y a un type de modèle qui offre un paiement forfaitaire pour mener à bien le procès. Les avocats du secteur privé ont aussi recours à tous ces modèles. Je facture certains clients à l'heure, j'en facture d'autres en fonction du nombre de journées qu'il faudra passer en cour, et j'en facture d'autres à taux fixe.
Le problème avec le droit pénal est que les règlements rapides ne sont pas nécessairement moins chers pour le client, car l'avocat doit toujours analyser l'affaire. Il lui faut quand même lire toute la divulgation et formuler des recommandations à son client sur la façon de procéder. La préparation adéquate d'une affaire suppose de nombreux coûts initiaux, qu'il s'agisse d'un règlement rapide assorti de discussions avec la Couronne ou d'un procès.
L'ennui avec le modèle de l'aide juridique était qu'une bonne partie du financement était versée aux personnes pour qu'elles assistent au procès en raison d'un taux pour la demi-journée ou la journée de procès, tandis que si vous régliez le dossier avec un plaidoyer de culpabilité et un prononcé de sentence, vous pouviez recevoir 100 $. En Colombie- Britannique, vous recevez 100 $ pour un plaidoyer et une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, mais 500 $ pour une demi-journée en cour.
Le sénateur : Il n'y a aucun incitatif.
M. Fowler : Ce n'est pas que les gens fassent nécessairement preuve d'un manque d'éthique à cet égard mais, inconsciemment, ce facteur finira inévitablement par jouer sur la décision de certains avocats.
Nous devons reconnaître que régler les affaires hors cour peut être aussi coûteux que d'aller en cour. Nous devons encourager le règlement rapide en payant les avocats convenablement pour analyser une affaire et avoir des discussions sérieuses avec le procureur au début de la procédure. La seule façon de le faire est par l'intermédiaire d'un modèle de financement de l'aide juridique qui reconnaisse que les avocats doivent faire beaucoup de travail initial.
Le président : Je présume que vous avez présenté ce type d'argument.
M. Fowler : Je le fais depuis 10 ans en Colombie-Britannique.
Le président : Obtenez-vous des réponses?
M. Fowler : Ce qu'il faut retenir, c'est que dans toute province qui essaie d'équilibrer son budget, on ne propose pas d'injecter 20 millions de dollars supplémentaires dans l'aide juridique. Cela ne se fait tout simplement pas. Sauf votre respect, l'ennui c'est que les politiciens ne font pas le lien si on omet de verser du financement à l'avocat de la défense.
Nous sommes dotés d'un système tripartite. Nous avons un juge, un avocat de la défense et un procureur. Si l'une de ces trois personnes dans notre système axé sur la confrontation est un maillon faible — par exemple, le juge n'a pas de formation en droit pénal, le procureur ne dispose pas des ressources adéquates ou l'avocat de la défense n'a pas été bien formé —, le système ne sera pas efficace. Il faut reconnaître que l'inefficacité engage des dépenses quelque part.
Il peut s'agir du temps pour lequel il faudra payer le shérif ou l'administrateur judiciaire afin de déplacer les détenus, car il y aura une continuation pendant les trois jours qui suivront. Si vous commencez à injecter du financement dans l'aide juridique, à mieux former les avocats de la défense et à vous attendre à un meilleur rendement de leur part en retour, le système fonctionnera mieux. Vous ne pouvez pas simplement vous organiser avec les juges, les administrateurs judiciaires et la Couronne en laissant de côté les avocats de la défense. Cela ne se fait pas.
Le président : Vous ne pouvez pas présenter d'argument financier qui tienne la route.
M. Fowler : Je pense que vous pouvez le faire, mais qu'au bout du compte, c'est vraiment la question de savoir si on investit l'argent dans les écoles, la réduction d'impôts ou les soins de santé.
Le président : Il me semble que, à première vue, vous ne parliez pas de ressources supplémentaires, mais d'une réaffectation des ressources.
M. Fowler : Sauf votre respect, le problème qui réside dans le coût des délais n'est pas très évident à moins d'un arrêt de procédures. Au plan financier, on ne le voit pas. Les gens ne disent pas qu'il nous faut investir 50 millions de dollars de plus dans les procureurs en raison des délais. Ce n'est pas aussi évident que cela.
La sénatrice Batters : Monsieur Fowler, lorsque vous parliez à l'instant de faire le lien, c'est ce à quoi sert le Sénat. Je dirais qu'il est chargé de mener un second examen objectif. Je suis ravie que vous ayez eu l'occasion de soulever cet argument qui sera maintenant sur le compte rendu, ce qui, espérons-le, vous sera utile.
Monsieur Gottardi, pendant vos remarques liminaires, vous avez fait un commentaire que je veux m'assurer d'avoir bien compris. Je pense que vous avez dit que vous ne pensiez pas que les tribunaux devraient réserver les procès en double. Je me demande ce que vous pensez cependant du taux élevé d'affaires qui tombent à l'eau.
Je suis originaire de la Saskatchewan. Dans notre rapport provisoire, nous avons formulé des commentaires concernant le système judiciaire parallèle que la Saskatchewan utilise pour tenter de réduire la quantité précieuse de temps d'instruction qui est perdue à la dernière minute et essayer de l'utiliser à bon escient.
Je me demande si vous êtes entièrement en désaccord avec ce type d'approche à l'égard des surréservations. Les tribunaux suivent des estimations relativement prudentes de leurs surréservations. Ils utilisent un système comme celui des transporteurs aériens pour surréserver les sièges. Ils s'attendent à ce qu'un certain pourcentage soit annulé à la dernière minute en raison de plaidoyers de culpabilité et de la hausse du nombre d'ajournements — ce type de choses.
Pensez-vous que les tribunaux devraient utiliser une estimation plus prudente de leurs pratiques de surréservation qu'ils le font actuellement? Je me demandais simplement ce que vous en pensiez.
M Gottardi : Il n'existe pas de solution facile au problème. Encore une fois, c'est un problème qui est attribuable au manque de ressources systémiques. Si vous n'avez pas suffisamment de juges dans les salles d'audience pour entendre toutes les causes, vous devez réserver en double et déterminer lesquelles seront entendues. Si vous n'obtenez pas beaucoup de coopération de la part des avocats, il est possible que vous ne sachiez pas ce qui se passe jusqu'au matin même de l'audience.
Cela me ramène à un commentaire que M. Fowler a formulé. Si les avocats reçoivent les incitatifs adéquats pour régler rapidement les affaires, moins de causes devront être réglées en cour. Un des risques de pareille mesure est que s'il est aussi alléchant de régler hors cours que d'aller en procès, nombre d'avocats feront pression sur leurs clients pour qu'ils plaident coupables et qu'ils règlent les affaires aussi rapidement que possible. Ce n'est pas une perspective particulièrement alléchante lorsque les gens n'ont pas les moyens de se payer un avocat et qu'ils doivent se tourner vers l'État pour obtenir une aide juridique.
La sénatrice Batters : J'aimerais une réponse, cependant. Êtes-vous entièrement en désaccord avec la pratique ou reconnaissez-vous qu'il existe une certaine estimation qui soit prudente?
J'ai pratiqué le droit pendant de nombreuses années. Je sais combien de procès tombent à l'eau à la dernière minute parce que quelqu'un regarde les éléments de preuve à la toute fin et décide qu'il est coupable.
M. Gottardi : C'est un système qui existe pour composer avec les pires pratiques possibles. C'est une réalité engendrée par la nécessité, mais ce n'est pas un modèle idéal. Ce n'est pas un modèle de pratiques exemplaires.
Nous savons tous que des avocats pratiquent ainsi, mais ce n'est pas ainsi que nous devrions pratiquer.
La sénatrice Batters : Cependant, cela arrive. Êtes-vous d'accord?
M. Gottardi : En effet. Cela arrive quand je me présente à la Cour provinciale de Richmond pour un procès de deux jours. Que faire si mon témoin est venu de Chine et que son affaire est reportée? Il doit retourner en Chine et revenir au bout de six mois. C'est inexcusable. Je n'ai littéralement aucune excuse à donner au client pour justifier que cela arrive dans notre système. C'est honteux que pareille chose se produise.
Il y a des façons de traiter ce problème pour s'assurer que cela ne survienne pas. Le fait que cela se produise est inexcusable. On fait des surréservations, et on en fera probablement toujours dans une certaine mesure. Les avocats de la défense ne sont pas mieux, eux qui prennent de multiples engagements le même jour. On est très loin du modèle de pratiques exemplaires sur la façon de faire notre travail et celle dont le système devrait accepter le travail que nous présentons.
Le sénateur Baker : Je m'en remettrai certainement à votre opinion sur ce point, car vous avez gagné l'argument relatif à l'alinéa 11b) dans l'affaire Jordan. Vous étiez avocat de la défense, et il vous est arrivé de gagner cet argument à titre d'avocat de la Couronne. Si je me souviens bien, l'affaire Bentley était une de ces causes il y a des années. Ai-je raison?
M. Gottardi : Oui.
Le sénateur Baker : Vous connaissez le sujet à fond. Vous avez fait une déclaration il y a un mois. Vous avez dit que vous ne croyiez pas que beaucoup d'affaires seraient rejetées. Les dispositions transitoires protégeaient vraiment ces affaires dans les domaines où les délais en cour étaient très marqués.
À défaut de changer la mentalité des tribunaux — appelons-la comme ça — les procédures et les règles des tribunaux ou le Code criminel pour réduire ces délais, des milliers d'affaires seront rejetées dans ces secteurs qui sont aujourd'hui protégés par les dispositions transitoires. N'êtes-vous pas d'accord?
M. Gottardi : Je ne sais pas si je le suis. C'est difficile à dire. Chaque affaire est différente. Chaque province est différente. L'arriéré de chaque tribunal est différent. Nous avons vu des tribunaux faire de l'excellent travail pour écouler leur arriéré.
À la fin des années 1990, la Cour d'appel de l'Ontario avait un arriéré horrible dont elle s'est débarrassée, en gros, dans l'espace de trois ans. Il y a des façons pour les tribunaux de gérer leurs arriérés. De toute évidence, une d'entre elles serait d'avoir une équipe complète de juges pour entendre les causes. Les postes vacants devraient être pourvus par des juges. Les salles d'audience fermées et vides qui ne sont pas utilisées chaque jour devraient être ouvertes et occupées par un juge qui entend des causes.
Je pense que l'affaire Jordan appelle à un changement de culture. On voit des affaires aujourd'hui que les avocats de la défense ont abordées dans le cadre de l'ancien régime. En Ontario, il y a eu l'affaire Gandhi, dans laquelle le code de justice a disséqué le comportement de l'avocat de la défense sur environ huit pages. Des collègues ontariens me disent que cela sera de plus en plus fréquent. Les gens vont finir par comprendre. Je suis certain que la même chose arrivera aux avocats de la Couronne qui ont des procès impliquant de multiples accusés et qui n'aboutissent pas.
Il faudra du temps. Il faudra peut-être trop de temps. Dans l'intérim, vous pourriez avoir des affaires qui tombent dans cette zone dangereuse. Si le Parlement a la possibilité de légiférer à cet égard, ce qui compte vraiment, c'est que l'on aspire à respecter le délai de 30 mois et le délai plus court pour les procès à volet unique. Si vous vous rendez à 30 mois, c'est que quelque chose a vraiment très très mal tourné. Nous ne commencerons pas à nous inquiéter à ce moment-là; nous viserons à ce que le processus ne dépasse pas ce délai.
Pour que le système en arrive où il doit en arriver, nous avons tous besoin de changer notre façon de faire. Ce ne sera ni joli ni facile. Il n'existe pas de solution universelle.
Qu'il s'agisse des organismes d'application de la loi, des procureurs, de la défense ou des tribunaux, chaque acteur doit se regarder en face et décider de ce dont il a vraiment besoin pour faire son travail et déterminer ce qu'il doit changer pour arriver à le faire plus rapidement et mieux.
Le président : D'accord. Cela met fin à notre réunion. Je tiens à vous remercier tous pour vos témoignages et vos contributions à nos délibérations. Nous vous en savons gré.
(La séance est levée.)