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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 12 - Témoignages du 28 septembre 2016


CALGARY, le mercredi 28 septembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 13 h 47, afin de poursuivre son étude sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues et à nos invités.

Plus tôt cette année, le Sénat a autorisé le comité à :

... examiner, pour en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada ainsi que les rôles joués par le gouvernement du Canada et le Parlement afin de réduire ces délais.

Il s'agit de notre 20e réunion dans le cadre de cette étude.

Pour la première heure, nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous l'honorable Neil Wittmann, juge en chef, Cour du Banc de la Reine de l'Alberta; et l'honorable Terrence Matchett, juge en chef, Cour provinciale de l'Alberta. Comme nous le savons tous, il est inhabituel pour un juge actif de comparaître devant un comité en tant que témoin, alors j'ai accepté de dire quelques mots sur les paramètres de leurs témoignages d'aujourd'hui.

Comme le rôle de la magistrature est d'appliquer la loi plutôt que de la faire, le juge en chef Matchett préfère qu'on ne lui pose pas de questions au sujet de possibles réformes du droit visant à améliorer l'efficience. Par conséquent, j'invite mes collègues à respecter ces paramètres au moment de poser des questions.

Merci, messieurs, d'être avec nous aujourd'hui. Passons aux déclarations préliminaires.

L'honorable Neil Wittmann, juge en chef, Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, à titre personnel : Merci d'avoir invité le juge Matchett et moi-même à cette audience. Je crois qu'il est tout à l'honneur du comité — si c'est effectivement votre décision — de tenir ces audiences à l'échelle du pays. Le juge en chef Matchett et moi-même n'avons pas échangé sur ce que nous allions vous dire ici aujourd'hui. Je crois que les choses sont différentes dans chaque instance.

Par conséquent, je vais vous entretenir de l'étendue et de la durée des délais touchant les instances criminelles à la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, qui est la cour supérieure de l'Alberta.

Je vais m'attacher à cela. J'ai lu le rapport intérimaire. J'ai relevé un certain nombre de recommandations visant à accroître l'efficience au chapitre de la gestion des affaires et de la gestion des dossiers qui consistent à confier à d'autres personnes que des juges nombre de tâches actuellement accomplies par les juges, alors je vous dis d'emblée que je souscris à la plupart, voire à la totalité, de ces recommandations.

Cependant, j'observe des lacunes chroniques au chapitre des ressources tant judiciaires que non judiciaires en Alberta, et la situation ne s'est guère améliorée, ou alors juste à peine, depuis que je suis devenu juge en chef adjoint ou juge en chef. J'en suis maintenant à ma 11e année dans ce rôle.

Je constate un allongement des délais dans notre cour. Dans la documentation que je vous ai fournie, j'ai indiqué que cela tient en grande partie au manque de ressources judiciaires et au manque de ressources non judiciaires.

À l'heure actuelle, nous avons 65 postes de juges à temps plein reconnus par le gouvernement fédéral, et 22 juges surnuméraires. Les juges surnuméraires, soit dit en passant, sont essentiellement des juges à temps partiel. Cet aspect, qui est prévu dans la loi provinciale, est reconnu par la Loi fédérale sur les juges.

À l'heure actuelle, 59 postes à temps plein sont pourvus. Si vous regardez le site web du Commissariat à la magistrature fédérale, vous verrez qu'il indique six postes vacants. Par contre, j'avancerais qu'il y en a neuf. Pourquoi y a-t-il neuf postes vacants? Parce que le Parlement du Canada — je devrais plutôt dire le pouvoir exécutif — n'a jamais reconnu l'article 3 de la loi sur la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, qui indique le nombre de juges de la Cour supérieure que nous devons avoir, car cet article a été adopté par le gouvernement précédent afin de mettre en relief le fait qu'il nous fallait quatre juges de plus. C'était en 2008.

Enfin, en janvier 2013, la province de l'Alberta a dit : « D'accord, nous allons vous accorder quatre juges de plus. » Le pouvoir exécutif à Ottawa a dit : « Nous ne pensons pas qu'il vous en faut quatre, nous n'allons en reconnaître que deux. » Dans la Loi d'exécution du budget qui a obtenu la sanction royale en juin 2014, on n'en reconnaissait que deux. Voilà pourquoi nous en avons six plutôt que huit. Le poste supplémentaire est un deuxième juge en chef adjoint, et c'est le résultat d'une modification de la loi sur la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, au printemps 2015, qui n'a jamais été reconnue, de sorte que ce poste n'a jamais été pourvu.

Dans le rapport précédent, on disait que le système judiciaire ne pouvait fonctionner efficacement que s'il y avait suffisamment de juges pour instruire les affaires criminelles en temps opportun. Je suis d'accord. Toutefois, une instance dotée d'une compétence plénière comme la Cour supérieure — comme notre cour — doit pouvoir compter sur des ressources judiciaires suffisantes, car elle fait tout.

Nous avons donc besoin de ressources judiciaires pour prendre en charge toutes les procédures. Nous ne pouvons continuer de réaffecter continuellement à des affaires criminelles des juges qui sont censés effectuer des contrôles judiciaires et instruire des affaires qui relèvent du droit de la famille, du droit des lésions corporelles, du droit des obligations contractuelles et du droit de la responsabilité délictuelle. Nous avons déjà beaucoup fait cela, mais les ressources dont nous disposons ne nous permettent pas d'aller plus loin.

Pour cette raison, si je commence aujourd'hui à instruire dans ma cour une affaire civile — donc, pas une affaire criminelle — qui se déroulera sur cinq jours, le dossier ira au coordonnateur du rôle à Calgary, et le délai pour ce procès sera de 138 semaines. C'est totalement inacceptable. Soulignons que cela comprend les affaires relevant du droit familial qui s'étendront sur plus de cinq jours.

À Edmonton et à Calgary, le délai applicable aux affaires criminelles est actuellement de 62 ou 63 semaines. C'est le temps que vous attendrez une fois que la cour a été saisie de votre affaire et que la date du procès a été fixée. Ça, c'est pour un procès qui durera plus de cinq jours. Or, bon nombre de nos procès durent plus de cinq jours. Par conséquent, la situation est exacerbée par le fait que la plupart des procès relatifs à des infractions graves dureront plus de cinq jours.

Il y a toute une foule de raisons pour cela. Je viens de lire l'article de M. Newark — de l'Institut Macdonald-Laurier — qui a paru hier, et il semble pointer vers un certain nombre de causes profondes; tout cela est très bien, mais du point de vue du juge saisi d'une affaire, il faut se plier aux paramètres du Code criminel et à la procédure qu'il prévoit. Nous ne pouvons faire fi de la loi et dire : « Eh bien, nous pouvons rendre la procédure beaucoup plus efficiente. » On ne peut invoquer la Charte ici.

Il est difficile pour nous de faire cela, mais nous essayons. Je ne peux pas laisser entendre que nous ne pouvons pas faire mieux avec les ressources à notre disposition. Nous sommes toujours ouverts aux suggestions. Nous tenons continuellement des séances de discussion ouverte avec les avocats spécialisés en droit criminel, en droit civil et en droit des successions. Nous rencontrons constamment des représentants du gouvernement. On nous répond souvent : « Eh bien, nous n'avons pas d'argent pour cela. » Je comprends cela, en tant que contribuable, et je crois que la plupart des membres du grand public comprennent cela.

Mais je pense que les Canadiens n'apprécient pas notre système judiciaire et notre système de justice pénale à leur juste valeur, et cela tient peut-être au fait que l'appareil judiciaire, les avocats et d'autres intervenants — si vous me passez l'expression — n'informent pas suffisamment le public à cet égard. À mon avis, ce serait bien que tous les Canadiens fassent l'expérience — en toute sécurité — de l'appareil judiciaire d'un autre pays, car ils reviendraient ici et se diraient : « Nous sommes chanceux ici », car nous avons l'un des meilleurs systèmes du monde occidental. Il suscite l'admiration de beaucoup de gens. Cela dit, nous devons nous montrer vigilants afin de préserver ce système et de nous assurer d'administrer la justice en temps opportun. Or, quand le volume augmente, nous n'y arrivons pas. Le rendement n'est pas bon. Nous ne pouvons fonctionner en mode multitâches. Nous ne pouvons instruire deux affaires à la fois.

J'ai joint à la documentation que je vous ai fournie des analyses de rentabilisation produites en juin dernier. Depuis quatre ou cinq ans, nous ne cessons de répéter aux deux gouvernements : « Écoutez, nous affichons le meilleur ratio de juges de la Cour supérieure par rapport à la population au pays. Que vous teniez compte des juges surnuméraires ou pas, nous avons le ratio le plus élevé au pays. »

Lorsque j'ai rencontré l'avocate générale à Ottawa au sujet de l'obtention de juges supplémentaires, en 2008, lorsque nous pensions n'avoir besoin que de quatre juges, elle m'a regardé droit dans les yeux et a dit : « La taille de la population ne nous intéresse pas. » Eh bien, c'est la population qui a mené à la croissance des volumes de cas dont je fais état dans mon mémoire. L'accroissement est exponentiel. Ce qui est alarmant, c'est que nos délais se sont allongés même du 1er juin au 1er septembre.

Est-ce que nous fixons des dates d'audience en double, ou en triple? Oui, nous le faisons. Nous fixions des dates d'audience en triple, et maintenant nous les fixons en double. Jusqu'à maintenant, nous avons renvoyé chez eux les parties dans huit procès criminels, car nous n'avions pas de juge pour les instruire. C'est à l'échelle de la province.

Essayons-nous d'accorder la priorité aux personnes qui sont sous garde? Oui, nous essayons. Mais dans le cas de personnes qui ne sont pas sous garde, j'ai dû, dans certains cas, prendre des décisions difficiles et dire : « Eh bien, j'ai ici une famille où les enfants sont à risque. Je vais confier cette affaire à un juge cette semaine, plutôt que l'affaire criminelle où les accusés ne sont pas sous garde. »

L'arrêt Jordan aura de sérieuses ramifications si la situation ne change pas. Ce que je trouve alarmant dans l'arrêt Jordan, c'est que la Cour suprême du Canada — avec tout le respect que je lui dois — même si elle convient du manque de ressources institutionnelles, ce qui engloberait les ressources judiciaires et non judiciaires, ne reconnaît pas la gravité du problème. Elle parle d'un changement d'ordre culturel. Oui, nous ferons de notre mieux, nous ferons notre part. Nous allons faire davantage que notre part, nous ferons tout ce que nous pouvons faire. Nous rencontrons cette semaine le procureur fédéral en chef et le sous-ministre adjoint à la justice pénale de l'Alberta pour voir comment nous allons donner suite à l'arrêt Jordan.

Alors, nous faisons de notre mieux pour gérer notre charge de travail. Nous sommes toujours ouverts aux suggestions à ce chapitre. Nous avons besoin de ressources non judiciaires pour nous aider à faire cela. La plupart d'entre nous n'ont pas vraiment dirigé une organisation, à moins d'avoir été associé directeur d'un cabinet d'avocats ou quelque chose comme cela.

J'ai probablement dépassé le temps alloué, alors je vais m'arrêter là.

Le président : Merci beaucoup de vous préoccuper du temps alloué. Nous allons nous montrer souples à l'égard des limites de temps. Comme je l'ai déjà dit, nous sommes très reconnaissants, messieurs, d'être ici aujourd'hui.

L'honorable Terrence Matchett, juge en chef, Cour provinciale de l'Alberta, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur.

Bonjour. Je tiens aussi à vous remercier de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui des questions relatives aux délais dans le système de justice pénale et de vous entretenir de certaines des initiatives importantes qui ont été prises par notre cour, la Cour provinciale de l'Alberta, au cours des huit dernières années, en collaboration avec les parties prenantes dans notre système judiciaire, ici en Alberta.

Comme vous l'avez dit dans votre rapport intérimaire, les retards dans le système de justice pénale sont incompatibles avec l'obtention de résultats justes et appropriés et — peut-être plus que tout autre facteur — minent la confiance du public envers le système. Ceux parmi nous qui siègent tous les jours à une cour de première instance ne savent que trop bien que, dans nombre de cas, justice différée est réellement justice refusée.

Vers la fin des années 1970, lorsque j'étais un jeune avocat de la défense dans une autre administration, je pouvais obtenir une date de procès à la Cour provinciale dans un délai de deux à trois semaines. Au fil des décennies, depuis cette époque, les délais n'ont cessé de s'accroître à l'échelle du pays, de sorte qu'aujourd'hui, dans la plupart des cours provinciales, on n'observe que des délais pouvant s'étendre de cinq à dix mois, et même plus, qui sont maintenant, malheureusement, monnaie courante dans les cours provinciales du pays.

De nombreux facteurs ont mené à cette situation : le nombre important d'affaires et la complexité des cas aujourd'hui; la création de l'aide juridique au milieu des années 1970; l'adoption de la Charte des droits et libertés en 1982; les progrès touchant la criminalistique et l'analyse de l'ADN, lesquels, dès le début des années 1990, ont commencé à exploser; et plus récemment l'avènement de l'ère de la technologie numérique. Tous ces faits nouveaux, même s'ils ont amélioré la qualité des résultats sur le plan de la justice, ont accru la complexité du processus et contribué de façon importante à l'allongement des délais dans le système judiciaire.

Au point où vous en êtes dans votre étude, vous savez maintenant qu'il n'y a pas de solutions rapides, il n'y a pas de formules magiques pour régler la question de la longueur des délais dans le système. Il s'agit d'un système compliqué comptant de nombreux intrants et de nombreux participants du domaine de la justice pénale. Pour raccourcir les délais, il faut intervenir à de multiples endroits et à de nombreux niveaux.

Parce que les participants dans le système judiciaire — et j'entends par « participants » la police, la Couronne, la défense et les tribunaux — sont, par nécessité, investis de pouvoirs décisionnels propres dans leur sphère de responsabilité, chacun dépend de l'autre pour s'acquitter de ses fonctions efficacement.

Contrairement à d'autres systèmes, par contre, ce n'est pas en fait un seul joueur qui régit le tout. Cette combinaison d'intervenants indépendants mais interdépendants fait qu'il est crucial pour les intervenants du système judiciaire de travailler en collaboration afin d'améliorer les pratiques de gestion des affaires et des dossiers. Nous devons nous efforcer de nous entendre sur nos attentes à l'égard d'un système qui fonctionne comme il faut, et alors ceux d'entre nous qui dirigeons nos organisations respectives doivent être prêts à mettre en œuvre les changements qui s'imposent pour obtenir de meilleurs résultats.

Comme les tribunaux possèdent un degré d'impartialité et d'autorité auquel aucun autre intervenant ne peut prétendre, nous avons un rôle très important à jouer pour ce qui est d'exercer notre leadership et d'amener toutes les parties à travailler ensemble à l'amélioration de la gestion des dossiers et d'inscrire les affaires au rôle le plus tôt possible.

Depuis 2008, la Cour provinciale de l'Alberta, avec le soutien du ministère de la Justice et du Solliciteur général de l'Alberta et de nos autres intervenants du système judiciaire, assure la direction d'un projet multiphases et pluriannuel de gestion des cas en instance.

Le but de ce projet est de mettre au point des façons nouvelles et novatrices de gérer efficacement les affaires dans notre cour pénale provinciale. Ce projet a mené à de grandes transformations. Au cours des huit dernières années, nous avons mis en œuvre nombre d'améliorations opérationnelles et de mises à niveau technologiques et intégré au fonctionnement de notre cour des systèmes de gestion des dossiers grandement améliorés.

Je sais que vous avez fait une visite du palais de justice de Calgary ce matin; j'espère que cela vous a donné l'occasion d'observer certains de ces changements innovateurs et de voir comment notre cour mène ses activités. J'ai aussi remis au comité des documents qui résument les principales initiatives et les retombées de celles-ci.

Je vais vous parler brièvement de ces grandes initiatives.

La création d'un bureau de gestion des cas en instance : il s'agit de comptoirs où les accusés peuvent se présenter aux fins des comparutions administratives initiales ou de routine. Cela permet aux magistrats de se consacrer à des questions plus importantes.

Les tribunaux de mise au rôle permettent d'attribuer un plus grand nombre d'affaires à une date donnée et de réduire le risque d'affaires non instruites, faute de temps.

Grâce à la communication électronique de la preuve par la Couronne, les avocats sont en mesure, plus tôt dans le processus, de choisir le mode d'instruction et de fixer une date pour le procès ou l'audience préliminaire.

Le fait de confier à un seul procureur de la Couronne le suivi d'un procès durant plus d'une demi-journée encourage la communication rapide de la preuve et la tenue en temps opportun de discussions avec la défense visant à régler le dossier.

Le tribunal des comparutions obligatoires fonctionne parallèlement au bureau de gestion des cas en instance et permet, par exemple, à une personne qui passe par le bureau de plaider coupable le même jour et d'assurer une surveillance judiciaire lorsque des affaires n'ont pas été mises au rôle dans les délais prescrits par le bureau.

Le nouveau système de mise au rôle communique avec d'autres applications aux fins de l'entrée de renseignements sur la disponibilité des témoins, sur les choix de la Couronne, sur l'admissibilité à la déjudiciarisation et sur la durée approximative du procès.

Enfin, la mise au rôle à distance permet aux procureurs de la Couronne et aux avocats de la défense de faire inscrire une affaire au rôle depuis leur domicile ou leur bureau, et ce, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Elle permet aussi aux avocats de la défense de rechercher de l'information sur des affaires criminelles dans toute la province.

Quels sont les facteurs de réussite qui ont favorisé la mise en œuvre d'une initiative de changement aussi vaste?

Je crois que la plupart des intervenants diraient que le leadership de la Cour était très important. Mon prédécesseur, l'ex-juge suppléant Lefever, a dirigé le début de ce projet et a certainement mis les choses en branle. Je dirige le projet depuis ma nomination en 2013, et le juge Jim Ogle, juge en chef adjoint ici à Calgary, est président du comité directeur.

À tous les niveaux, le message que nous envoyons aux gens qui dirigent le système judiciaire dans d'autres régions de la province est que c'est un aspect important pour notre cour. Nous sommes prêts à prendre les commandes, et nous croyons que nous pouvons accomplir de grandes choses si tout le monde travaille ensemble.

La structure de gouvernance réunissait tous les intervenants, alors nous avions des sous-ministres adjoints; nous avions le directeur de l'aide juridique; nous avions des gens qui pouvaient réellement prendre des décisions au sein de leur propre organisation. L'équipe de gestion du projet — je crois savoir que vous avez rencontré quelques membres ce matin — était absolument essentielle à notre réussite, car, comme l'a dit le juge en chef Wittmann, nous ne sommes pas vraiment des gestionnaires opérationnels ni des experts du changement, mais nombre de personnes qui siégeaient au comité avec nous l'étaient. Il y avait des experts des communications, des experts de la gestion du changement et des experts de la TI, et ces compétences spécialisées étaient absolument cruciales dans le cadre d'une grande initiative comme celle-là.

Encore une fois, la participation des intervenants, non seulement à l'échelon du comité directeur, mais aussi à l'échelon local : autrement dit, ce qui peut être accompli par ce comité directeur à Calgary sera peut-être différent de ce qui peut être accompli par le comité directeur d'une autre localité, comme Lethbridge, car il faut voir quels sont les enjeux dans cette ville; cela dépend des sources de pression et des personnalités des intervenants au sein de cette collectivité. Alors, chaque fois que l'initiative a pris de l'expansion, nous avons consulté des comités locaux, nous les avons invités à nous faire part de leurs commentaires avant de mettre en œuvre l'initiative. Encore une fois, ce sentiment d'avoir voix au chapitre, cette adhésion, cet engagement à l'égard de ce que nous faisons étaient absolument cruciaux.

Notre cour a reconnu que la gestion des dossiers va au-delà de ce que nous pouvons accomplir ensemble au sein du système judiciaire en dirigeant le processus. Mais qu'en est-il de la cour elle-même? Comment cela se passe-t-il à l'interne? Comment nous tirons-nous d'affaire à l'égard de notre engagement envers la gestion des dossiers? L'une des premières choses que nous avons faites, lorsque je suis devenu chef en 2013, a été de sonder les juges. Le questionnaire était long, il comptait environ 35 questions. La plupart des juges ont mis quelques heures à le remplir. Nous avons posé des questions au sujet des délais d'exécution, de la gestion des dossiers, de la gestion des affaires et d'autres aspects qui nous mèneraient à une cour plus moderne et progressiste. Au bout du compte, nous voulions savoir quelles étaient les priorités des juges. Je suis très heureux de vous dire que la grande priorité de notre cour, selon les juges, était de réduire les délais d'exécution, et que la gestion des dossiers comptait également parmi les priorités de notre cour.

Pourquoi est-ce important? C'est important parce que je ne suis pas le patron des juges de l'Alberta. Ils sont mes collègues, et j'ai besoin d'obtenir leur adhésion. J'ai besoin de leur collaboration. J'ai besoin que tous les juges dans toutes les salles d'audience, tous les jours, instruisent toutes les affaires le plus vite possible; et pour faire cela, je dois miser sur la consultation et je dois faire appel à leur engagement. C'est une partie importante de ce que nous avons fait.

L'autre aspect important était que nous devions communiquer — par « nous », j'entends les dirigeants de la cour, à savoir le chef et moi-même, et les membres du conseil ainsi que les juges en chef adjoints de partout dans la province — que nous accordions de l'importance à la gestion des affaires. À cette fin, nous avons créé un comité de gestion des dossiers dans nos trois secteurs d'activité : il y a le comité de gestion des dossiers criminels, que je préside, un comité qui se consacre au droit familial, et un comité de gestion des dossiers civils, lequel se réunit plusieurs fois par année. Nous étudions les statistiques relatives aux volumes de dossiers qui arrivent. Nous examinons les délais d'exécution dans tous les secteurs d'activité. Nous nous penchons sur le taux d'achèvement : notre taux d'achèvement est-il de 100 p. 100, ou affichons-nous un taux inférieur, ce qui signifie que nous accusons probablement un retard?

Lorsqu'un secteur donné affiche des délais d'exécution excessifs, nous lui affectons des ressources afin d'atténuer le problème, et nous proposons des mesures de gestion des dossiers particulières pour améliorer notre rendement global. Je crois vous avoir envoyé quelques exemples de cela, comme le protocole d'instruction continue, les audiences de confirmation, et cetera. Alors, le leadership au sommet, la planification continue au sommet et la participation de l'ensemble de la magistrature sont autant de facteurs clés de notre réussite.

Je crois que les résultats que nous avons obtenus sont impressionnants. Entre 2013 et 2016, les délais d'exécution dans les affaires criminelles de la province sont passés de 22 semaines en moyenne à 18 semaines, ce qui représente une réduction de 20 p. 100 en deux ou trois ans. À la lumière de mon examen d'autres initiatives menées au pays, je crois que ce résultat serait considéré comme une réduction très importante obtenue au cours d'une période relativement courte. Je tiens à souligner que nous avons accompli cela en dépit d'une augmentation de 20 p. 100 du nombre d'accusations criminelles déposées au cours de la même période.

Comme l'a déclaré le juge Wittmann, la situation a évolué plutôt rapidement pour nous en Alberta. Le nombre d'actions introduites au cours des premiers mois de l'exercice, c'est-à-dire à partir d'avril, est déjà de 13 p. 100 supérieur à ce qu'il était à pareille date l'an dernier. On avait déjà enregistré une hausse de cet ordre, autour de 13 à 15 p. 100, l'an dernier, ce qui revient à dire qu'au cours des deux dernières années, nous avons connu une hausse de presque 30 p. 100 des actions intentées dans la province. Franchement, cela commence à influer sur nos délais d'exécution au point où les délais ont recommencé à s'allonger. Au moment où je vous parle, le délai d'exécution est à nouveau supérieur à 20 semaines, et notre taux d'achèvement se situe autour de 92 p. 100, ce qui me trouble énormément.

Qu'allons-nous faire pour rétablir la situation? Les temps sont durs en Alberta. La contribution financière à la gestion des cas en instance est essentiellement en train de s'évaporer. Face à cette situation, les dirigeants du système judiciaire se sont réunis et se sont dit que notre comité de mise en œuvre provincial, après avoir instauré le processus de communication de la preuve à Calgary cette année, n'est peut-être pas investi d'un mandat relatif aux finances, mais n'est pas pour autant relevé de sa responsabilité de diriger. Alors, qu'on soit chef de police ou substitut en chef du procureur général, qu'on soit sous-ministre adjoint, directeur de l'aide juridique ou juge en chef, il faut que tout le monde continue ensemble à travailler. Nous avons tenu une réunion il y a deux ou trois mois, et il a été convenu par tous que c'était le cas, que nous devions continuer de nous réunir, de chercher à lancer d'autres initiatives et de faire tout ce que nous pouvons pour réduire les délais d'exécution.

À un moment donné, les ressources finissent toujours par poser problème; la province a accepté, par exemple, d'étudier avec notre cour la question du nombre approprié de juges pour la province au cours des prochains mois et d'en venir à une formule appropriée au moment de déterminer les besoins à combler, de façon à veiller à ce que notre cour continue de fonctionner de façon efficiente et efficace.

Je n'ai pas le temps d'aborder les autres points que j'expose dans mes notes d'allocution, mais je suis certainement disposé à répondre à toute question que vous me poserez.

Merci.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions, à commencer par le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Tout d'abord, je tiens à remercier les témoins d'être ici aujourd'hui. Notre comité étudie les questions relatives aux délais des cours, et dans le sillage de l'arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada, il devient d'autant plus important d'en arriver à des solutions à suggérer à tous les intervenants de l'appareil judiciaire afin de prévenir peut-être des milliers d'ordonnances d'arrêt des procédures en raison d'un délai excessif, comme cela s'est produit au départ dans l'affaire Askov. La Cour suprême du Canada dit qu'elle ne veut pas que cela se produise dans cette affaire particulière, mais à moins qu'il arrive quelque chose pour changer le système, alors, de toute évidence, ce qui a été prescrit va s'appliquer, comme l'a dit le juge en chef. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir comparu devant le comité et de permettre ainsi que vos propos soient versés au compte rendu, car nous avons besoin de cette information. Nous ne sommes que des sénateurs; parmi les sénateurs ici présents, nous avons des avocats, un ancien solliciteur général, un ancien dirigeant de la police au Québec, de la Sûreté du Québec; et un simple politicien comme moi-même, qui suis au Parlement depuis 43 ans.

Merci beaucoup d'être ici. Au final, l'administration de la justice, qu'elle tombe en discrédit ou non ou que cela scandalise la collectivité, tient au rendement de nos tribunaux. Comme vous l'avez mentionné, monsieur le juge en chef, l'arrêt Jordan rendu récemment était accompagné de l'affaire Williamson — dont tout le monde ici a déjà entendu parler —, une affaire qui a fait l'objet d'un arrêt des procédures. Je crois que le grand public serait scandalisé d'apprendre cela.

Le 1er septembre dernier, je parcourais votre jurisprudence, comme la plupart d'entre nous le font, et j'ai relevé un autre cas. Je crois qu'il s'agissait de l'affaire Lam, je ne suis pas certain.

M. Wittmann : Lam, L-A-M. Je cite cette décision dans mon mémoire.

Le sénateur Baker : Dans cette affaire, nous avions — si je ne m'abuse — une période comparable à celle qu'il y avait dans Williamson. On a mis 14 mois avant d'instruire l'affaire — ce n'était pas la seule cause du retard — à la Cour supérieure. Maintenant, nous avons l'affaire Lam et une période similaire, je crois, de 14 mois avant l'instruction de l'affaire à la Cour supérieure.

Nous croyons que vous arrivez mieux que quiconque au Canada à surmonter les problèmes que vous avez, mais vu votre population, vous n'avez tout simplement pas autant de juges que les autres provinces. Diriez-vous, monsieur le juge en chef, que l'une des principales causes de ces arrêts de procédure en vertu de l'alinéa 11b), dans des affaires très graves, est le manque de juges dans votre cour? Est-ce ce que vous voulez laisser entendre?

M. Wittmann : Je crois que dans la décision Lam rendue à Edmonton, la juge Pentelechuk, que je cite dans mon mémoire, semble déclarer — et je crois qu'elle tire une conclusion de fait à cet égard quelque part dans la décision — que le procès avait été retardé une fois, puis que l'affaire avait dû être présentée de nouveau — ce n'est pas l'expression que je cherche — ou inscrite à nouveau au rôle, et il n'a pas été possible de la mettre au rôle aussitôt que les avocats étaient disponibles. La meilleure date pouvant être offerte par notre cour aurait mené à un délai oscillant autour de 55 mois.

C'est un exemple, mais je crois que chaque cas est différent. Nous en avons eu un autre la semaine dernière. J'ignore le résultat. Je crois que le juge a mis l'affaire en délibéré. Nous avons eu un autre cas vendredi. Ces cas nous arrivent à une fréquence alarmante maintenant. Je ne suis pas allé dans le détail pour toutes ces choses, mais parmi les mesures novatrices que nous avons prises, il y a la cour de comparution en matière criminelle, à Edmonton et à Calgary, qui se consacre à la mise au rôle et, essentiellement, à un examen visant à déterminer pourquoi le dossier n'avance pas.

L'attribution du suivi d'un dossier à une seule personne est une grande innovation, et il s'agit d'une initiative de la Couronne en Alberta, essentiellement, je crois, de la Cour provinciale de l'Alberta. Ce que cela signifie, c'est que le procureur de la Couronne se voit confier le dossier et le conserve jusqu'à la fin. Autrefois, un avocat de la Couronne s'occupait du travail préliminaire, puis le transférait à quelqu'un d'autre; une autre personne se chargeait du procès, et ainsi de suite. Le résultat était que, au moment de la mise au rôle, après le travail préliminaire — et nous ne recevions le dossier que lorsqu'il sortait de la Cour provinciale —, nous nous retrouvions tout à coup à essayer de concilier le calendrier de deux personnes.

Alors, cette pratique a mené à des situations où le procureur de la Couronne dit la même chose que l'avocat de la défense. Je lui dis : « Nous pouvons tenir ce procès en septembre 2017 », puis il me répond : « Eh bien, je ne suis pas disponible. Mon calendrier est plein »... C'est l'avocat de la défense qui parle. Ensuite, je dis : « Eh bien, que dites-vous d'octobre? La défense dit : « D'accord ». La Couronne dit : « Je ne suis pas disponible en octobre. Que diriez-vous de novembre? »

Que peut faire un juge dans cette situation? » Une des réactions possibles, et je crois que certains de nos juges sont peut-être sur le point de l'avoir, serait de dire : « Ce n'est pas notre problème. Voici la date. Soyez-y. » Évidemment, cela soulève de sérieuses questions dans les cours d'appel, des considérations liées à l'équité du procès et au fait d'avoir l'avocat de son choix : « Je n'ai pas pu utiliser mon propre avocat parce que vous m'avez forcé à poursuivre alors que mon avocat n'était pas disponible. » C'est un énorme problème, pas seulement pour l'institution, mais aussi à l'égard du calendrier des avocats de la défense et des procureurs de la Couronne. Mon propos est un peu décousu, je suis désolé.

Il ne s'agit pas seulement de la disponibilité institutionnelle — ou qu'une date de procès donnée soit accessible —, mais il reste que j'aimerais que nous puissions en venir au point où nous pourrions dire que l'audience doit se tenir dans un délai donné. Si votre avocat ne peut vous aider à ce moment-là, vous êtes mieux de vous trouver un autre avocat, puis une cour d'appel pourrait vous appuyer sur ce point. Je ne crois pas que cela se ferait actuellement.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup d'être ici. Comme je l'ai dit au juge Wittmann plus tôt, il est très important que ces commentaires figurent au compte rendu afin que nous puissions nous y référer au moment de rédiger nos rapports, comme nous l'avons fait cet été pour notre rapport intérimaire. Alors, merci : nous vous sommes vraiment reconnaissants.

Monsieur le juge Wittmann, vous dites qu'il y a actuellement, dans votre cour, neuf postes de juge à pourvoir pour la province de l'Alberta?

M. Wittmann : Six ont été reconnus. Nous serions très heureux si ces six juges pouvaient être nommés rapidement.

Une chose que je n'ai pas mentionnée, et qui me laisse très perplexe, c'est que, la semaine dernière, le commissaire intérimaire à la magistrature fédérale a déclaré qu'en date du 21 septembre — c'est-à-dire jeudi dernier —, il y avait 56 postes vacants dans les cours supérieures à l'échelle du pays.

La sénatrice Batters : Bon sang.

M. Wittmann : Quiconque décide d'exercer ses fonctions comme juge surnuméraire donne un préavis d'au moins trois mois, et certains juges décident plutôt de prendre leur retraite, et nous devons remplacer les juges qui partent à la retraite. À l'exception des cas où un juge actif décède, ce qui arrive parfois, le pouvoir exécutif sait très bien à quel moment le départ aura lieu. Je ne comprends pas pourquoi on ne pourrait pas faire coïncider l'arrivée d'un nouveau juge avec le départ.

Je n'ai aucune idée de ce qui se passe au sein du Cabinet, mais je sais ceci : nous avons au pays un système, mis en place par Ray Hnatyshyn à l'époque du gouvernement Mulroney, selon lequel aucun membre du Barreau ne se fait nommer juge s'il ne se montre pas à la hauteur devant un comité provincial des nominations à la magistrature. Mais le nombre de personnes dans ce que j'appellerais le bassin de candidats approuvés est, du moins en Alberta, important. On a l'embarras du choix, et c'est le cas depuis un an ou deux. Pourquoi sommes-nous incapables de nommer des juges ou de pourvoir des postes en temps opportun? Personne ne m'a jamais expliqué cela.

La sénatrice Batters : Tout à fait. Nous nous posons les mêmes questions. C'est d'ailleurs une des recommandations que nous avons formulées dans notre rapport intérimaire cet été, et c'est pourquoi il nous importait de produire un rapport intérimaire. À ce moment-là, il y en avait 44; maintenant, vous dites qu'il y a 56 postes de juges de nomination fédérale à combler à l'échelle du pays.

Vous ne pouvez commenter que ce qui se passe en Alberta, bien entendu, mais je ne crois pas que le gouvernement fédéral libéral a constitué un nouveau comité consultatif judiciaire; n'est-ce pas?

M. Wittmann : Je crois que beaucoup de gens ne connaissent pas ou comprennent mal cet aspect. Parlez-vous d'un seul poste? C'est-à-dire une personne qui prodigue des conseils à la ministre au sujet des nominations à la magistrature?

La sénatrice Batters : Non.

M. Wittmann : Parce qu'elle est en fonction depuis deux semaines et un jour ou deux. Elle a rencontré tous les juges en chef au pays qui le voulaient à l'occasion de réunions du Conseil canadien de la magistrature tenues la semaine dernière à Winnipeg. Elle parlait aux gens par téléphone. Je n'ai jamais rencontré un titulaire de ce poste affichant un enthousiasme aussi rafraîchissant, et j'espère que cet enthousiasme ne s'émoussera pas.

Maintenant, nous avons des comités provinciaux des nominations à la magistrature.

La sénatrice Batters : Oui.

M. Wittmann : Je crois savoir qu'à l'est de l'Ontario, ces comités sont dissous depuis de nombreux mois et n'ont pas été reconstitués. C'est peut-être le cas, je l'ignore.

Mais je sais deux choses. La première, c'est que le comité de l'Alberta n'a jamais cessé d'exister. En effet, il s'est réuni en décembre 2015, en mars, en mai et en juin 2016, et devait se réunir hier. Or, les responsables du comité ont reçu un appel d'Ottawa et se sont fait dire qu'il n'y aurait pas de réunion hier, mais on ne leur a pas expliqué pourquoi.

La sénatrice Batters : Les gens d'Ottawa ont fait cet appel? Intéressant.

M. Wittmann : Oui. C'est ce qu'on m'a dit. Il y a une foule de candidats dans le bassin de l'Alberta, et je crois que c'est la même chose dans le reste du pays, d'après ce que j'ai entendu des comités antérieurs.

La sénatrice Batters : Pas plus tard que cet été, la juge en chef McLachlin de la Cour suprême a mentionné qu'on pourrait nommer des gens déjà approuvés par ces comités particuliers qui existaient avant la dernière élection.

J'aimerais revenir sur un point que vous avez mentionné. Cette nouvelle personne qui prodigue des conseils à la ministre fédérale de la Justice au sujet des nominations à la magistrature, vous dites qu'elle est en fonction depuis deux semaines?

M. Wittmann : Oui.

La sénatrice Batters : Alors, il a fallu 10 mois au gouvernement pour mettre quelqu'un en place?

M. Wittmann : Apparemment.

La sénatrice Batters : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous deux d'être venus. Je sais, à l'instar de tous mes collègues, que votre présence ici est inhabituelle et que vous êtes venus parce que c'est une question très importante. Par conséquent, je tiens à vous remercier sincèrement de prendre la parole publiquement, car, comme vous le savez, cela permet de verser vos propos au dossier.

Vous avez dit que le problème des postes vacants n'est pas nouveau, qu'il n'est pas imputable au gouvernement actuel. Comme vous l'avez souligné, monsieur le juge Wittmann, c'était comme cela en 2008. Alors, c'est un problème continu, et ce n'est pas vraiment un enjeu politique, dans la mesure où c'est un problème avec lequel vous devez composer depuis un certain temps.

Monsieur le juge en chef Matchett, nous étions dans votre salle d'audience ce matin, et je tiens à vous féliciter. Nous avons fait une fantastique visite grâce à Steve Owens — de votre bureau — et son équipe. Nous espérons pouvoir intégrer cela au volet de notre rapport concernant les pratiques exemplaires. Notre analyste a parlé d'une « cour qui est de son temps ». Nous avons été vraiment impressionnés par ce que nous avons vu.

Vous avez tous deux parlé des systèmes et de la technologie, mais nous avons du mal à comprendre une chose. Nous sommes allés à Vancouver, nous sommes venus ici et nous avons entendu parler, auparavant, des tribunaux spécialisés. J'ai du mal à comprendre, et certains de mes collègues ont du mal à comprendre, en quoi ces tribunaux spécialisés aident à écourter les délais.

Par exemple, il y a le tribunal qui se consacre à la violence conjugale. Nous avons vu hier la cour communautaire et la cour consacrée aux drogues en Colombie-Britannique. D'une certaine façon, cela enlève une partie du travail à votre cour — mais pas tant à la vôtre, monsieur Wittmann —, mais est-ce la bonne façon de procéder? Au-delà de la technologie, au-delà des systèmes, au-delà de la nomination de juges supplémentaires... la charge de travail augmente : que pouvons-nous faire d'autre pour écourter les délais et composer avec les retombées de l'arrêt Jordan?

M. Wittmann : Parmi les choses qui nous ont été remises — lorsque je dis « nous » je parle des membres du Conseil canadien de la magistrature auquel je siège —, et je crois qu'il s'agit d'une lettre publique, c'est la lettre de mandat remise à la ministre fédérale, Mme Wilson-Raybould, par le premier ministre Trudeau. Dans cette lettre, il est indiqué qu'une partie de son mandat consiste, je crois, à mettre sur pied un tribunal unifié de la famille là où il n'y en a pas. Il n'y a pas de tribunal unifié de la famille en Alberta à l'heure actuelle. Il s'agit, madame, d'un domaine où l'établissement d'une cour spécialisée serait indiqué.

À mon retour de cette réunion à Ottawa, j'ai parlé au juge en chef Matchett, qui, bien entendu, a une section spécialisée consacrée à la famille et aux jeunes à Calgary et à Edmonton. Je lui ai demandé s'il était en faveur de l'établissement d'un tribunal unifié de la famille, et il m'a répondu : « Absolument. » Je lui ai dit : « Nous aussi. Écrivons ensemble une lettre sur cette question. » Nous avons rédigé cette lettre, et je ne me rappelle plus exactement à quel moment nous l'avons envoyée, je crois que c'était en mai de cette année. Nous n'avons toujours pas reçu de réponse.

Nous sommes très sérieux au sujet de certains domaines de spécialisation de notre cour. Comme nous sommes une cour itinérante et que nous siégeons à 13 endroits différents en Alberta, tous nos juges se déplacent. Nous avons des comités de spécialisation; nous avons un tribunal commercial spécialisé à Calgary qui est probablement reconnu — à l'instar de ceux de Montréal et de Toronto — comme l'instance tout indiquée pour les affaires de faillite ou d'insolvabilité, pour les fusions d'envergure, pour les plans d'arrangement, ce genre de choses.

Alors, nous faisons des progrès à ce chapitre. Il est difficile d'apporter des changements, surtout lorsque vous avez affaire à des juges sur lesquels vous n'avez — comme l'a dit mon ami, le juge en chef Matchett — aucun pouvoir. Ce sont des collègues, ils sont indépendants et ils vont penser ce qu'ils veulent penser. Certains d'entre eux diront qu'ils n'ont pas accepté cette nomination pour être un juge spécialisé, et nous répondons : « Eh bien, nous réglerons ce problème en temps et lieu. »

M. Matchett : Je dirais que les approches de justice réparatrice sont absolument cruciales, car vous ne pouvez administrer la justice en vous attachant seulement à l'efficience. Si le processus n'est pas équitable, si on ne se penche pas — dans le contexte criminel — sur les causes sous-jacentes du crime, si nous ne montrons pas que nous essayons d'accroître la sécurité de la collectivité et d'éviter la récidive le plus possible, alors ce n'est pas de la justice. Les Chinois ont beau avoir un système judiciaire d'une grande efficience, je n'en voudrais pas ici au Canada.

Si nous voulons vraiment que notre système judiciaire donne de bons résultats, nous devons investir dans une foule de choses; par exemple, dans un tribunal de traitement de la toxicomanie. Le gouvernement fédéral a contribué à de tels tribunaux pendant un certain nombre d'années. Il y a deux ou trois ans, il a remanié les budgets consacrés aux tribunaux de traitement de la toxicomanie, et il en a résulté que, en Alberta, les tribunaux de traitement de la toxicomanie d'Edmonton et de Calgary ont essuyé des réductions parce que la province a pris l'argent et l'a divisé entre les deux tribunaux, alors que l'argent n'était initialement destiné qu'à celui d'Edmonton. Ce que cela veut dire, c'est que nous ne pouvons traiter que la moitié des clients dans le tribunal de traitement de la toxicomanie; donc, de 15 à 20 personnes au maximum, au lieu de 30 à 35.

J'ai déjà siégé à ce tribunal, alors j'ai vu l'incidence que ce tribunal de traitement peut avoir sur la vie des gens. Il sauve des vies. Je l'ai vu. Il ne s'agit pas de personnes qui quittent la salle d'audience et retournent promptement se chercher de la drogue. Nombre d'entre eux reviennent : ils viennent plusieurs années plus tard pour rencontrer les gens qui sont dans le programme maintenant.

Toutes les études sur le tribunal de traitement de la toxicomanie montrent que les retombées correspondent à 5, 6 ou 7 fois l'investissement initial. C'est un choix sensé. Ces gens commettaient de nombreux crimes auparavant, et il s'agissait toujours d'infractions contre les biens qui visaient à alimenter leur dépendance; alors, on réalise des économies lorsqu'on évite d'intenter un procès à ces personnes, de les incarcérer, de les laisser passer dans la porte tournante et probablement revenir lorsque leur peine d'incarcération est terminée. On réalise aussi des économies à l'égard des soins de santé, des services de police, des poursuites.

Certains de ces cas peuvent être déjudiciarisés — on n'a pas à recourir seulement aux tribunaux spécialisés —, mais il est temps que le système commence à trier les gens qui arrivent : qui est cette personne devant nous aujourd'hui? Souffre-t-elle d'un trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale? Est-elle aux prises avec un problème d'alcoolisme ou de toxicomanie? Dans l'affirmative, il est possible qu'un processus de déjudiciarisation s'avère plus efficace et soit plus susceptible de favoriser la sécurité de la collectivité, car on s'attaque aux causes sous-jacentes. C'est la chose efficiente et honorable à faire, et c'est ce qui nous donne un système juste et efficace.

Alors, j'aimerais qu'on insiste davantage sur le triage, car l'actuel système de défense dans lequel évoluent les procureurs, les avocats de la défense et les juges n'encourage pas vraiment les intervenants à poser la question fondamentale sur ce qui a amené la personne devant le tribunal. Mais si nous pouvons mettre certains de ces organismes de services sociaux à l'avant-plan et essayer de répondre à cette question afin de nous attacher aux personnes dans le système qui doivent s'y trouver et de diriger les autres vers un autre système, comme les soins de santé, alors cela va nous rendre plus efficients, plus équitables et plus efficaces. Je crois que c'est une considération importante.

Quant aux Autochtones... vous allez en entendre parler dans l'Ouest. La justice applicable aux Autochtones dans le Nord se résume essentiellement à ce qui suit : la date du procès est fixée, et presque personne ne se présente pour témoigner; l'action est rejetée, et les victimes n'ont aucun recours. Il n'y a pas de programmes pour les délinquants qui comparaissent effectivement et qui sont déclarés coupables. Il n'y a pas de programmes de guérison dans les collectivités. Les ressources sont rares dans la plupart des collectivités nordiques.

Dans le Sud, c'est différent. Il y a davantage de ressources, et les réserves qui sont situées à proximité des villes possèdent elles-mêmes des ressources. Mais pour ce qui est du nord du Canada, il est temps d'investir davantage dans ce genre de service d'aide pour les Autochtones. Il s'agit en fait d'éviter à ces affaires de se rendre jusqu'au procès — c'est du moins ce qu'on espère — et de réduire l'incidence du crime et, de ce fait, la pression exercée sur les tribunaux.

Le sénateur Dagenais : Merci d'être venus témoigner, messieurs les juges Wittmann et Matchett. J'ai une question, et je vais la poser en français.

[Français]

En ce qui a trait aux comités de nomination à la magistrature, j'ai fait partie de ces comités au Québec. Nous faisions nos recommandations au ministère de la Justice et, curieusement, les nominations se sont faites un an et demi ou deux ans plus tard. Je vous comprends quand vous dites que les délais sont souvent attribuables à la recommandation et à l'approbation du ministère de la Justice, sans vouloir blâmer le ministère.

Cela étant dit, une des principales recommandations dans notre rapport sera que le gouvernement fédéral travaille en collaboration avec les provinces et les territoires, de même qu'avec le pouvoir judiciaire, afin de réduire les délais. Tout le monde doit travailler ensemble. J'aimerais entendre votre opinion, à tous les deux, sur cette recommandation qui sera inscrite à notre prochain rapport.

[Traduction]

M. Wittmann : Je souscris au principe. Il y a une expression que nous utilisons au moment de déterminer si on va présenter une défense au jury; dans cette situation, on se demande si l'argument a une apparence de vraisemblance.

Le problème de la coopération fédérale-provinciale, c'est que j'ai vu des exemples — je crois qu'ils sont dans mes notes d'allocution — où l'on dit : « Nous voulons travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral afin d'étendre votre cour, monsieur le juge en chef Wittmann. » Ensuite, j'ai vu des situations où des gouvernements albertains antérieurs ont dit : « Eh bien, nous n'allons modifier la loi sur la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta que lorsqu'Ottawa s'engagera par la suite à faire les nominations qui s'imposent. » Les gouvernements se renvoient la balle, et rien ne se fait jamais.

Je suis tout à fait pour la coopération, mais je ne crois pas qu'on peut obtenir cette coopération en s'appuyant seulement sur la bonne volonté ou sur une carotte. D'une manière ou d'une autre, il faut qu'il y ait un bâton quelque part, et il faut exiger que cela se produise dans un délai raisonnable, s'il vous plaît. Sinon, je ne crois pas que cela va se produire.

Bien souvent, et je sais que cela s'est produit en Alberta... le sous-ministre de la Justice de l'Alberta est venu et a pris la parole lors de notre réunion annuelle, et tous les juges — il y en a 81 — ont dit : « Nous allons demander quatre postes de plus au Cabinet. » C'était à la fin mai. Il ne s'est toujours rien passé.

Tout ce que j'entends dire, c'est : « Nous voulons coopérer avec Ottawa; nous voulons voir ce qu'Ottawa va faire si nous ajoutons quatre postes. » Mais la province est préoccupée par les ressources qu'elle devra affecter à la suite de la nomination d'un juge par le gouvernement fédéral. En effet, même si le poste est financé par le gouvernement fédéral, il reste que le soutien est payé par la province. Alors, les budgets sont cloisonnés. Le juge en chef Matchett y a fait allusion : si nous voulons un tribunal de la santé mentale, alors nous allons faire appel aux gens des services sociaux, des services de santé, des services de police, et cetera; mais tout le monde garde un œil sur son enveloppe budgétaire.

On peut faire valoir que cela va coûter beaucoup moins cher au contribuable — puisque c'est toujours le contribuable qui paie — à long terme, mais cette logique tend à sombrer dans l'oubli lorsqu'on dit : « Eh bien, nous n'avons pas d'argent pour cela. Avez-vous de l'argent pour cela? Non, nous n'avons pas d'argent. » C'est qui, « nous »? Désolé.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de vos exposés.

Comme vous le savez, nous avons déjà déposé le premier rapport, et nous nous attendons à déposer le deuxième au début de l'an prochain. Dans notre premier rapport, nous nous penchons non seulement sur les conséquences des retards, mais aussi sur leurs causes, et nous avons aussi étudié des façons de réduire ces retards, y compris des procédures et des pratiques de gestion des affaires.

Sur la question des procédures et des pratiques de gestion des affaires, certains témoins que nous avons entendus nous ont dit que des modifications pratiques pourraient être apportées au code, notamment, parce que le code est devenu trop complexe et gagnerait à faire l'objet d'un examen général.

Le président : Une question brève, s'il vous plaît.

Le sénateur McIntyre : Oui. Par exemple, un juge de première instance qui est saisi d'une affaire pourrait prendre connaissance de l'ensemble des chefs d'accusation contre l'accusé, que les chefs relèvent exclusivement de la juridiction de la Cour provinciale ou de la Cour supérieure. Qu'en pensez-vous? Un juge pourrait se pencher sur toutes les accusations portées, par voie de procédure sommaire ou de mise en accusation. Pour qu'on en finisse.

M. Wittmann : L'idée semble bonne. J'ignore toutefois s'il y a des obstacles d'ordre constitutionnel à ce genre de modifications. Nous sommes des juges : nous avons fait le serment d'appliquer la loi, et c'est ce que nous ferons.

Je suis favorable à une réforme législative qui serait judicieuse sur le plan du processus, mais je ne connais pas suffisamment les détails de ce dont vous parlez pour savoir si cela exigerait des modifications du Code criminel, de la loi sur la procédure applicable aux infractions provinciales, des dispositions relatives aux déclarations de culpabilité par procédure sommaire et toutes ces choses, mais il y a beaucoup de gens qui s'y connaissent, et s'il y a une volonté de procéder à un examen complet, de revoir la procédure propre au Code criminel, alors beaucoup d'améliorations pourraient être apportées.

J'ai lu le rapport intérimaire et je suis d'accord avec son contenu, mais parlons de gestion des affaires. L'article 551.1 du Code criminel, qui concerne la gestion de l'instance, a été promulgué en 2011 ou en 2012, dans ces eaux-là. Nous l'invoquons constamment, et nous allons l'invoquer de plus en plus. Les gens disent : « Eh bien, pourquoi ne l'invoquez-vous pas toujours? » Et je réponds : « Où vais-je trouver tous ces juges qui vont accomplir ce travail de gestion de l'instance tout le temps? » Chaque fois qu'on me fait une suggestion, je dis : « Fantastique. Voulez-vous que je retire un juge du tribunal de la famille ou d'ailleurs? »

Le président : Nous n'avons plus de temps. L'un des désavantages d'être président, c'est que je ne peux pas poser toutes mes questions. J'en ai cinq déjà, mais je vais décrire brièvement le sujet de celles-ci pour qu'elles figurent au compte rendu.

La question des juges surnuméraires, que vous avez soulevée, est très intéressante. Nous n'avons pas tenu de discussion approfondie sur ce sujet et au sujet de ses répercussions sur la mise au rôle, entre autres choses, et sur le fait que vous avez 25 juges qui travaillent à temps partiel, comme vous l'avez dit.

M. Wittmann : Vingt-deux.

Le président : Vingt-deux. Une des questions que je me pose peut-être, c'est si le statut de juge surnuméraire n'est pas trop attrayant. Je m'interroge aussi sur l'utilité des enquêtes préliminaires dans le sillage de l'arrêt Stinchcombe; il y a aussi l'augmentation du volume d'accusations portées, que le juge Matchett a mentionnée. Nous avons vu récemment, en Ontario, une situation où on alléguait que la police surinculpait les gens, ce qui a mené à un nombre important d'ordonnances d'arrêt des procédures. Il y a l'incidence du temps passé en détention préventive sur les délais, c'est certainement un sujet que nous aimerions aborder; et le fait, comme l'a mentionné le juge Matchett, de ne pas pouvoir dire au juge quoi faire. Ce n'est peut-être pas une indication — et il est peut-être injuste de le mentionner —, mais lorsque nous avons visité la cour ce matin, nous n'avons pas entendu la raison, mais la Couronne a mentionné qu'il y avait eu 19 ajournements et que le juge avait accordé le vingtième.

C'est le genre d'enjeux que j'aimerais aborder plus vigoureusement, et je suis certain que d'autres personnes ici s'y intéressent également. Je vous serais reconnaissant de songer à la possibilité de donner suite à une invitation du comité et du président à venir à Ottawa à un moment donné, avant la fin de notre étude, car nous aurions certainement pu ajouter une autre heure à notre séance. C'est vous dire à quel point nous apprécions le fait de vous avoir avec nous et d'obtenir des réponses à nos questions.

Encore une fois, au nom des membres du comité, merci beaucoup.

Le sénateur George Baker (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Pour la deuxième heure, nous accueillons M. Kennedy, premier directeur du Sheldon Kennedy Child Advocacy Centre; M. Roger Chaffin, agent de police en chef, du Service de police de Calgary; et Damian Rogers, trésorier de l'Alberta Crown Attorneys Association.

Nous sommes impatients d'entendre vos déclarations préliminaires, lesquelles seront suivies des questions des sénateurs. Messieurs, la parole est à vous.

Damian Rogers, trésorier, Alberta Crown Attorneys Association : Merci. Je témoigne au nom de l'Alberta Crown Attorneys Association. Je n'ai pas fait circuler un avis à cet égard, mais je devrais dire que je ne suis pas ici à titre de représentant du ministère albertain de la Justice. Bien que je travaille au ministère, je ne peux pas parler en son nom. Ce que j'espère faire aujourd'hui, toutefois, c'est répondre à vos questions au sujet des façons dont mes collègues du service des poursuites judiciaires de la Couronne et moi-même faisons face à des retards et au sujet des choses que nous avons à faire pour gérer les délais.

Le vice-président : Il s'agit du procureur de la Couronne de la province?

M. Rogers : C'est exact.

Le vice-président : Et non du procureur de la Couronne fédérale.

M. Rogers : C'est ça. Nous sommes une association volontaire d'avocats de la Couronne employés par la province de l'Alberta; l'association a été fondée en 1971. Nous ne représentons pas tous les avocats de la Couronne dans la province. De ce nombre, il y a environ 300 avocats plaidants représentant la Couronne dans la province, et le nombre de personnes que nous représentons varie de temps à autre, en fonction de qui acquitte ses droits d'adhésion.

Je vais aborder brièvement trois questions, puis je tenterai de répondre à vos questions. Mes commentaires porteront sur trois choses : la charge de travail de la Couronne, les ressources des tribunaux et la réforme de la procédure. Je serai peut-être aussi en mesure d'aborder les enjeux liés aux plaideurs non représentés lorsque vous me poserez des questions. J'ai récemment fait l'expérience d'un très long procès impliquant un plaideur non représenté. Je serai heureux de vous faire part de mes observations à ce chapitre.

Je sais que la charge de travail de la Couronne provinciale, du moins, est un aspect sur lequel le comité ne peut pas avoir beaucoup d'influence, mais je causerais du tort aux membres de mon association si je ne mentionnais pas que les procureurs de la Couronne de l'Alberta sont parmi les plus occupés au Canada pour ce qui est du nombre de dossiers par personne. La population de l'Alberta s'est accrue, et le nombre de procureurs de la Couronne n'a pas suivi la cadence de cette croissance. Comme vous l'ont dit les magistrats qui viennent de témoigner, le nombre d'accusations qui entrent dans le système affiche également une croissance importante.

Nombre de ces accusations concernent des comportements criminels graves. Les données de Statistique Canada montrent que les accusations criminelles portées en Alberta sont, en moyenne, pour des crimes plus graves que la moyenne nationale; en outre, bien entendu, le gouvernement de l'Alberta est en période de restriction de l'embauche. À l'heure actuelle, 8 des 14 bureaux de la Couronne dans la province affichent un effectif de procureurs incomplet, et cela mine notre capacité d'instruire les affaires en temps opportun.

En principe, je dirais que, pour le gros de nos affaires, celles qui exigent un procès de quelques heures ou peut-être même jusqu'à deux ou trois jours, la Couronne aurait besoin d'environ six semaines entre l'établissement de la date du procès et le procès lui-même. Ce délai permettrait à la Couronne de délivrer des citations à comparaître pour les témoins, à la police, de les signifier, et à la Couronne, de se préparer pour le procès.

Mais le fait de devoir concilier l'horaire de la Couronne, l'horaire de l'avocat de la défense et l'horaire de la cour signifie qu'il n'est pas possible, dans notre province, de même espérer pouvoir tenir un procès dans les six semaines. Vous avez entendu certaines des statistiques de notre Cour provinciale et de notre Cour du Banc de la Reine pour ce qui est des délais d'exécution liés à l'établissement de la date du procès.

Bien souvent, le facteur de limitation est l'horaire du tribunal — on vous a parlé de ces délais d'exécution —, mais celui des procureurs de la Couronne peut aussi être un facteur de limitation dans notre province. De nombreux procureurs en Alberta connaissent leur emploi du temps plusieurs mois à l'avance. Je travaille actuellement comme procureur dans le cadre d'une affaire liée à un crime économique d'envergure, et ma charge de travail, pour ce qui est du nombre d'affaires, est très modeste par rapport à celle que j'avais dans ma pratique générale. À l'époque où j'étais généraliste, je devais planifier mes vacances environ un an à l'avance pour ne pas me les faire annuler par des procès. Je planifiais régulièrement des procès qui devaient se tenir dans 8 à 10 mois, et c'est toujours le cas pour nombre de nos procureurs.

On vous a déjà présenté les statistiques au sujet des délais d'exécution des tribunaux. J'avais des commentaires à formuler à ce sujet ainsi que certaines statistiques à vous présenter, mais les personnes qui vous en ont parlé sont les mieux placées pour le faire.

Je voulais parler de la question de la réforme de la procédure, et je crois que d'autres participants à notre table ronde vous en parleront. L'Alberta a déjà recommandé — lors de réunions des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Justice — que les enquêtes préliminaires soient limitées aux accusations les plus graves, comme le meurtre. Cette position, comme je l'ai dit, a été adoptée par notre gouvernement, et pas nécessairement par l'association que je représente, mais nous observons que les enquêtes préliminaires alourdissent effectivement le fardeau des cours provinciales. Elles accaparent les tribunaux lorsqu'elles ont lieu, et elles les accaparent également lorsqu'elles n'ont pas lieu. En effet, il y a souvent renoncement à l'enquête préliminaire le jour où elle est censée se tenir, ou peu avant, de sorte que la salle d'audience ne peut être utilisée.

Cela dit, notre association n'a pas d'opinion ou de position officielle à mettre de l'avant quant à ce que pourrait faire le gouvernement fédéral à l'égard des enquêtes préliminaires, et je dirais que les opinions des procureurs de la Couronne sont très variées.

Lorsque j'ai parlé à certains de mes collègues, on m'a suggéré des choses comme limiter l'enquête préliminaire aux infractions prévues à l'article 469 du code. Ce sont les infractions qui accordent une juridiction exclusive à la Cour du Banc de la Reine ou aux cours supérieures pour la tenue d'un procès. La seule de ces infractions qui est couramment invoquée est le meurtre. On pourrait les réserver aux infractions passibles d'une peine d'emprisonnement maximale d'au moins 14 ans, ce qui, encore une fois, limiterait la tenue de ces enquêtes à certaines des infractions les plus graves, comme les voies de fait graves, l'agression sexuelle causant des lésions corporelles, et cetera, éliminant du coup la question de la citation à procès; ainsi, l'enquête préliminaire serait tenue à des fins d'interrogation préalable plutôt que pour régler la question de savoir s'il y aura procès.

Il convient de souligner que la norme de la Couronne pour le maintien d'une poursuite est la probabilité raisonnable d'obtenir la condamnation. C'est une norme supérieure à celle qu'on applique à la citation à procès. Par conséquent, les procureurs de la Couronne qui font leur travail devraient mettre un terme aux poursuites qui ne répondent pas à cette norme. Pour cette raison, la fonction de présélection de l'enquête préliminaire est largement redondante. Je tiens à souligner, par contre, que cela doit reposer sur un examen convenable de l'affaire par la Couronne.

Voilà les commentaires préliminaires que je voulais faire. Merci.

Le vice-président : Merci. Monsieur Kennedy.

Sheldon Kennedy, premier directeur, Sheldon Kennedy Child Advocacy Centre : Bonjour, et merci de m'accueillir. Je vous remercie également d'avoir pris le temps de visiter le Sheldon Kennedy Child Advocacy Centre ce matin. J'espère que cela vous a éclairés sur l'impact de la violence faite aux enfants et sur le nombre de cas que nous voyons chaque mois et chaque année. C'est un honneur d'être ici avec MM. Rogers et Chaffin. La Couronne et le Service de police de Calgary sont pour nous des partenaires fantastiques.

Lorsque je regarde les enjeux, lorsque je regarde un tribunal, les enfants qui ont été maltraités, ainsi que les victimes, je me dis que pendant longtemps nous avons mis l'accent sur l'incident et avons oublié l'impact. Or, lorsque nous nous penchons sur l'impact, c'est sur celui-ci que nous finissons par travailler à long terme.

Selon les statistiques, 72 p. 100 des personnes qui se retrouvent dans un centre de traitement affirment avoir été maltraitées pendant la petite enfance. Les enfants qui ont été maltraités sont 26 fois plus susceptibles de se retrouver dans la rue à l'adolescence. Les enfants qui ont été maltraités sont 30 p. 100 plus susceptibles de décrocher au secondaire. Les garçons agressés par un membre de la famille sont 45 fois plus susceptibles de commettre des actes de violence dans leurs fréquentations.

Alors, lorsque nous mettons toutes ces choses en relation et comprenons toute l'ampleur des dommages invisibles causés par la violence, force est de reconnaître que c'est un crime grave, un crime très grave. Parmi tous les cas que nous voyons, le problème le plus courant relevé par les professionnels de la santé est l'idéation suicidaire. Alors, quand nous mettons en relation les répercussions du crime sur la victime, nous voyons que c'est important.

Les victimes du crime coûtent 54 milliards de dollars par année à notre pays. Les coûts directement liés à la violence faite aux enfants au pays s'élèvent à 21,4 milliards de dollars. Ce n'est pas une somme modeste, à mon sens. Je crois que, lorsque nous nous penchons sur l'écart entre les services à l'enfance et les services destinés aux adultes, et lorsque nous parlons de réduction de la pauvreté, nous devons comprendre l'impact de ces types de crimes sur les enfants.

Notre psychologue en chef, M. Daniel Garfinkel, a présenté un exposé à notre conseil d'administration hier. Il a parlé de notre travail visant à faire ce qui se fait de mieux et à sortir des sentiers battus et à mettre au point « la » pratique exemplaire pour ce qui est du traitement d'enfants, de jeunes délinquants âgés de moins de 12 ans qui passent à l'acte et adoptent des comportements sexualisés, d'enfants qui ont été maltraités qui interrompent leur traitement, qui passent à autre chose, et puis le processus judiciaire arrive, et ils doivent aller en cour un an ou un an et demi plus tard, et ces enfants se retrouvent en traitement, ils ont des idées suicidaires, et tout recommence.

Notre organisation mène 130 enquêtes par mois, et 68 p. 100 de celles-ci concernent des affaires d'agression sexuelle. Quant au reste, il s'agit de cas de violence physique et de négligence particulièrement graves. Les enfants sont pour la plupart âgés de 4 à 12 ans. Dans 98 p. 100 des cas, ces enfants sont maltraités par une personne qu'ils connaissent; 47 p. 100 sont maltraités par un parent ou un pourvoyeur de soins. Alors, quand ces enfants se retrouvent à la barre des témoins, ne croyez-vous pas qu'il y a un déséquilibre dans le rapport de force entre l'agresseur et l'enfant? Quel enfant veut voir son parent — qu'il soit un agresseur ou non — avoir des ennuis? Quel enfant voudrait faire du mal à ses parents? Je n'en ai jamais vu, mais c'est ce qui s'est produit. Nous faisons témoigner ces enfants, mais le ferions-nous toujours si nous comprenions le déséquilibre de pouvoir?

J'aimerais vous lire une lettre qui reflète ce que nous voyons. C'est une lettre que nous avons reçue d'une mère, et je veux seulement vous donner une idée de l'expérience des mères à l'égard du système.

Je suis en contact avec le système judiciaire depuis deux ans et demi. Je veux aider à changer un système qui est indéniablement déséquilibré.

J'étais mariée à mon petit ami du secondaire; nous avons été ensemble pendant 21 ans. Il était tout ce que j'avais connu, à l'âge de 17 ans; lorsque nous sommes devenus un couple, je croyais que notre avenir s'annonçait prometteur. Je n'avais aucune idée des horreurs que j'allais endurer ou de la douleur infinie que j'allais connaître. Par contre, mes souffrances sont dérisoires par rapport à celles que mes enfants ont dû endurer.

Le 12 avril 2014, ma belle et courageuse fille m'a révélé que son père — biologique, pourrais-je ajouter — les agressait sexuellement, sa sœur et elle. Il habitait encore à la maison, à ce moment-là, alors j'ai dû trouver rapidement un moyen de faire sortir mes trois enfants sans qu'il s'en aperçoive, et nous nous sommes immédiatement adressés aux autorités. Il les avait torturées pendant 10 ans; cela avait commencé lorsque l'une avait 7 ans, et l'autre, 3 ans. Mon fils avait également fait l'objet d'une terrible violence physique et mentale, quoique, heureusement, l'aspect sexuel lui avait été épargné. Je n'entrerai pas dans les détails, à part pour dire que les détectives qualifiés qui s'occupent de ces situations au quotidien ont fondu en larmes durant les entrevues à l'occasion desquelles ces anges ont raconté leur histoire. Il s'est fait arrêter ce soir-là pour des voies de fait qu'il avait commises à mon endroit en décembre 2013, et il a été officiellement accusé de 23 infractions différentes le lendemain.

Notre vie était menacée, et une ordonnance de protection d'urgence a été mise en place — essentiellement, un bout de papier lui disant de se tenir loin de nous —, voilà tout ce qui nous a séparés de ce monstre pendant deux ans, pendant que nous attendions après le système judiciaire. Il a affirmé deux fois qu'il allait plaider coupable, seulement pour changer d'avis la veille de sa comparution. Enfin, en octobre 2015, il a plaidé coupable à un exposé conjoint des faits bien moins grave. Nous devions présenter des déclarations de la victime le 17 mars 2016. Nous l'avons fait; mes incroyables, fortes et courageuses filles se sont tenues devant leur agresseur, l'ont regardé dans les yeux et lui ont dit exactement quelles conséquences ses crimes avaient eues sur leur vie. Nos déclarations ont été si convaincantes que deux articles ont été rédigés dans les journaux à notre sujet...

Le 10 juin 2016, il a été condamné à neuf ans d'emprisonnement. Nous nous en sommes réjouis; aucune période n'aurait été suffisante, en réalité, mais, au moins, cette petite peine était réconfortante, d'une certaine manière. Je devrais souligner que, même à ce moment-là, il refusait encore d'assumer l'entière responsabilité à l'égard de ses actes et qu'il blâmait ma fille aînée pour la violence.

Je me suis dit que j'allais enfin pouvoir respirer, que c'était enfin terminé, qu'enfin, nous allions vraiment pouvoir commencer à guérir. (Nous guérissons, et, grâce à l'aide du Sheldon Kennedy Centre...) Je me trompais totalement, cette histoire n'est pas terminée. Voici où j'estime que le système a vraiment échoué... Il sera probablement admissible à une libération conditionnelle dans trois ans. Oh, et ce n'est pas tout : dans un an, il pourra demander d'effectuer des visites sous surveillance à l'extérieur de la prison, et dans seulement deux ans, il pourra présenter une demande de SEMI-LIBERTÉ SANS SURVEILLANCE... Ainsi, un homme peut violer ses enfants pendant DIX ans, les livrer à une torture inimaginable et, essentiellement, recevoir une tape sur les doigts? Cet homme a trompé tout le monde. Il a fait exploser une bombe nucléaire dans ma vie, dont les retombées touchent toutes les personnes qui nous connaissent, mes enfants et moi. La douleur infligée par les actes de cet homme est incommensurable et perdurera pour le reste de notre vie. Nous allons guérir, nous allons gérer les symptômes du TSPT et vivre pleinement une vie formidable; toutefois, à mesure que des gens entreront dans notre vie et apprendront notre histoire, nous verrons la douleur que nous connaissons trop bien leur traverser le cœur.

La partie la plus triste et la plus difficile, dans tout cela, c'est l'horrible vérité : mon histoire n'est pas unique. Ces situations arrivent bien trop souvent; elles sont en fait très fréquentes. Comment, en tant que Canadiens, pouvons-nous simplement rester sans rien faire et accepter cela comme étant la norme? Comment pouvons-nous laisser ces délinquants recevoir des peines aussi douces?

C'est un genre de lettre que nous voyons souvent, beaucoup trop souvent.

J'ai à vous présenter certaines suggestions de recommandations provenant du Child Advocacy Centre.

Premièrement, débarrassons-nous des enquêtes préliminaires dans les cas d'agression sexuelle. Dans ce cas, il est essentiel que les ressources judiciaires soient appliquées à cette recommandation. Pour assurer l'infrastructure appropriée, la Cour du Banc de la Reine aura besoin d'un plus grand nombre de juges ayant une expertise en matière de droit pénal, si l'enquête préliminaire est éliminée.

Deuxièmement, il nous faut des tribunaux particuliers, spécialisés en matière de violence faite aux enfants, inspirés du tribunal des drogues, lequel s'est révélé efficace pour ce qui est de réduire les taux de récidive et de prévenir la récidive.

Je vais m'en tenir à cela, et j'ai hâte de répondre à vos questions.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

Le président : Merci. Monsieur Chaffin.

Roger Chaffin, agent de police en chef, Service de police de Calgary : Bonjour, et merci beaucoup. Je suis touché par l'offre de comparaître devant vous aujourd'hui. Je vous félicite également d'avoir pris l'initiative de venir à Calgary et de nous entendre.

En tant que chef de police, je représente près de 3 000 membres assermentés et civils qui protègent environ 1,2 million de Calgariens et qui composent avec la complexité de la criminalité et de la victimisation dans notre ville.

Votre sujet d'aujourd'hui — étudier les délais dans le système de justice pénale — est d'une importance cruciale en ce qui a trait au maintien de l'ordre également. En première ligne de ce système, nous faisons face à de vraies personnes qui ressentent des sentiments réels et les effets des délais dans le système de justice.

Aux fins de l'étude, et plus particulièrement pour contribuer aux solutions qui pourraient être mises en œuvre à l'échelon fédéral, nous proposons trois aspects différents à l'intérieur du spectre de facteurs qui entraîneront des retards avant la tenue d'un procès, que le gouvernement fédéral devrait étudier et envisager de régler.

Tout d'abord, je voudrais appuyer la recommandation formulée par M. Kennedy concernant l'élimination des enquêtes préliminaires pour les enfants vulnérables. Je pense qu'il est évident que, plus ils sont exposés à revivre les horreurs dont ils ont été victimes, plus il sera difficile pour eux de passer à autre chose dans leur vie.

L'une des choses que je voudrais vous recommander a pour but de vous aider à comprendre, du point de vue du maintien de l'ordre, que les complexités du système judiciaire reflètent celles des services de police. Notre capacité de gérer les cas complexes, les cas de crime organisé complexes ou les cas difficiles et graves constitue un énorme effort pour les ressources des services de police. Elle coûte très cher; elle est très chronophage, c'est-à-dire qu'un simple événement lié au crime organisé peut donner lieu pour nous à plusieurs mois, voire des années, d'enquête et exiger des centaines de milliers, voire de millions de dollars pour amener l'affaire devant les tribunaux, seulement pour apprendre que les tribunaux ne sont pas structurés de manière à recevoir des enquêtes aussi complexes.

Cela veut dire que nous séparons les affaires, c'est-à-dire que nous n'allons traduire en justice que cette personne, mais pas celles-là, et cela est certainement contraire à l'idée des témoins à risque élevé et des victimes à risque élevé qui ont souffert en raison de ces enquêtes et souffert en raison de l'affaire initiale, et nous croyons très simplement qu'il doit y avoir une restructuration du processus judiciaire afin de permettre aux ressources d'accorder le même genre d'attention aux affaires majeures et complexes dont nous sommes saisis.

Nous sommes d'avis que la criminalité organisée violente et omniprésente au sein de nos municipalités suscite de grandes préoccupations pour la sécurité réelle des collectivités. Les organismes d'application de la loi investissent fortement dans les ressources humaines et organisationnelles pour combattre ces groupes à mesure que la violence de gangs prend de l'ampleur. Lorsque cette violence est ciblée et interceptée par la police, des accusations sont déposées après la tenue d'enquêtes très complexes, puis le système de justice pénale est mobilisé afin de sanctionner adéquatement et de dénoncer les comportements qui avaient été ciblés. Toutefois, les obstacles ou les délais dans le système entraînent une dégradation au sein de la collectivité de la confiance à l'égard de l'administration de la justice.

Ce que nous vous demandons d'envisager, c'est de permettre à certaines divisions des tribunaux de se concentrer sur les affaires peu complexes, comme la déjudiciarisation, où l'accent est mis sur la réhabilitation, sur le ressourcement conjoint et sur la relation entre les intervenants, comme la police, les services sociaux et les services de probation, puis de mettre un certain accent sur les tribunaux consacrés aux cas à complexité élevée.

Les tribunaux pour les cas à complexité élevée doivent vraiment être en mesure d'étudier de façon holistique les types de crimes liés aux gangs violents : armes à feu, drogues, violence extrême. Ces actes sont rarement l'œuvre d'une seule personne. Quand nous voyons des dizaines de personnes impliquées dans l'organisation d'une infraction, elles doivent toutes être mises en accusation afin d'être prises en compte dans l'administration de la justice.

Lorsque nous regardons les dispositifs d'écoute, maintenant, la capacité de procéder à des enquêtes au titre de la partie VI... Cela devient très, très complexe, et les enregistrements doivent obtenir l'attention des tribunaux, qui doivent avoir la capacité de les voir en temps opportun.

La prise en compte d'éléments comme la cybercriminalité au fil de son évolution et de nos structures de traités d'entraide juridique... Les tribunaux ont besoin de temps pour recevoir adéquatement tous ces éléments et pour les comprendre. Il devient si intensément difficile d'enquêter sur la criminalité en col blanc — comme nous l'appelons —, qu'actuellement, nous laissons simplement les victimes au bord de la route parce que nous ne pouvons pas les amener devant les tribunaux. Si nous ne pouvons pas le faire, il est question de nombreuses années avant que nous arrivions, un jour, au bout du compte, à ce que justice puisse au moins être considérée comme ayant été rendue.

Nous examinons des choses, comme un mécanisme consacré à la Cour supérieure qui pourrait permettre la collaboration entre des organismes policiers plurigouvernementaux, selon la norme actuelle. Il s'agit rarement d'une chose à laquelle la ville de Calgary seulement fait face par elle-même. Souvent, nous faisons intervenir d'autres organismes afin qu'ils examinent ces affaires complexes.

La gestion de cas devrait comprendre l'évaluation de la sécurité des collectivités. Ce dont nous allons nous occuper avec d'autres services de police et avec quoi les autres services de police vont devoir composer, c'est la façon dont une collectivité va être gérée après que tout ce processus sera terminé.

Des organismes fédéraux pourraient participer, comme l'ASFC, la GRC, les services correctionnels, les services de probation... ils doivent tous intervenir dans ce système, tout comme la Couronne et les avocats des accusés, qui doivent tous être pris en considération. Ce que nous proposons, c'est un financement réel et une formation appropriée visant à spécialiser les intervenants de ces cours pénales afin que nous n'ayons pas affaire à des tribunaux qui ne comprennent pas ou qui ne peuvent pas gérer ces choses de la façon dont nous le voudrions et d'une manière qui sera au moins en harmonie avec la complexité de l'enquête qui s'est soldée par la judiciarisation de l'affaire en question.

L'autre affaire qui va dans le même sens, c'est que, afin que l'on réussisse à présenter ces affaires devant les tribunaux, au début... Les services de police font face à des difficultés; il est très difficile de présenter des affaires relatives à l'ADN devant un tribunal parce qu'il faut tout simplement trop de temps avant que l'ADN soit analysé. Nous voudrions vraiment que le comité envisage l'établissement d'un mécanisme ou de mesures de soutien pour assurer cette collaboration provinciale et fédérale et pour voir si nous pouvons apporter certains changements au programme d'ADN. Les semaines, voire les nombreux mois qu'il faut pour faire analyser l'ADN signifient que les agresseurs sont libres et que nous ne pouvons pas leur mettre le grappin dessus avant que cet élément de preuve revienne du laboratoire, et, chaque semaine, jour et mois pendant lesquels les choses traînent mettent des gens à risque.

Enfin, je voudrais au moins soulever l'idée selon laquelle le projet de loi C-13 est un autre enjeu que nous devons régler. Nous savons, d'après l'article 487.021, que le Code criminel va exiger un examen complet des articles de ce projet de loi. Je peux vous dire que, du point de vue des services de police, le système a augmenté remarquablement la complexité des enquêtes — même les plus simples — que notre service doit mener.

Le nombre de mandats et d'ordonnances de communication demandés par les enquêteurs du Service de police de Calgary au cours de la dernière année a augmenté d'environ 25 p. 100, et cette tendance prend de l'ampleur d'année en année. Les recherches technologiques, y compris des choses aussi simples que l'obtention du nom et de l'adresse d'un client, sont maintenant des étapes d'enquête standard exigeant des autorisations judiciaires. Nos membres sont tout simplement en train d'être dépassés par le besoin de fournir ces autorisations encore et encore. Elles font piétiner des enquêtes majeures ainsi que des petites enquêtes.

L'intention du projet de loi C-13 était de simplifier la capacité des organismes d'application de la loi d'enquêter sur les crimes technologiques ou cybernétiques et de les intercepter. Ce n'est tout simplement pas ce qu'il fait actuellement. Nous sommes accablés par le fardeau.

Sur ce, je vous remercie de l'occasion, et je répondrai à toute question que le comité pourrait me poser. Merci beaucoup du temps que vous m'accordez.

Le président : Merci à tous.

Nous allons commencer ces questions avec le vice-président, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci. J'ai deux questions à poser au représentant de la Crown Attorneys Association.

Tout d'abord, concernant le témoignage présenté devant le comité il y a quelques instants par le juge en chef, dans le cadre duquel il a affirmé qu'il survenait plusieurs cas qui pourraient se solder par des décisions au titre de l'alinéa 11b), ce qui pourrait faire en sorte que des crimes graves qui ont été commis soient simplement rejetés par les tribunaux, et le fait que c'est ce tribunal de l'Alberta qui a rejeté l'affaire qui se rattache à l'arrêt Jordan concernant des agressions sexuelles commises contre des enfants, dans laquelle une personne a été reconnue coupable... puis toute l'affaire a simplement été rejetée et balayée par l'argument formulé au titre de l'alinéa 11b).

Ma première question est la suivante : le procureur de la Couronne vérifiera-t-il — alors que, désormais, bien des affaires, en Alberta et partout au Canada, vont tout simplement être rejetées par les tribunaux — si les dispositions relatives à la transition énoncées dans l'arrêt Jordan sont terminées, c'est-à-dire dans 18 et 30 mois... ensuite, la crise se produit, et où des milliers de cas — sauf si on fait quelque chose au sujet des délais dans les tribunaux — pourraient simplement être rejetés automatiquement par les tribunaux?

Ma deuxième question est très simple. Nous étudions plusieurs modifications que nous pourrions proposer dans le rapport de notre comité concernant les règles de procédure et le Code criminel. Nous étudions les divulgations de la Couronne, de la police, la réduction des périodes, et ainsi de suite, ainsi que les mandats, et ce que le sénateur McIntyre a soulevé lors de la dernière séance tenue ici, c'est-à-dire certaines dispositions de la loi, lorsqu'une personne fait l'objet de multiples accusations... La moitié de ces cas pourraient relever exclusivement de la compétence de la Cour supérieure, certains pourraient relever exclusivement de la compétence de la Cour provinciale; les agents de police vont et viennent entre deux tribunaux différents relativement aux mêmes faits pour établir la preuve contre l'accusé en faisant perdre du temps aux tribunaux.

Je crois savoir, monsieur Rogers, que vous avez surmonté d'une certaine manière dans votre administration l'exigence du Code criminel selon laquelle les questions comme celles qui sont visées aux paragraphes 4(1) et 5(1) de la LRCDS — compétence exclusive de la Cour provinciale — peuvent être tranchées par un seul juge de première instance, qui que ce soit. Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à surmonter cette exigence?

M. Rogers : Concernant la première question au sujet de l'arrêt Jordan et de ses répercussions, je peux affirmer avec certitude qu'il s'agit d'une affaire suscitant des préoccupations considérables chez les procureurs ainsi qu'au sein du Service des procureurs de la Couronne de l'Alberta.

Pour ce qui est de la réaction des services de poursuite à l'affaire Jordan, je pense que, dans notre province, nous bénéficions d'un bon ensemble de ressources technologiques. J'ai déjà exercé en Ontario. Selon moi, en Alberta, nos ressources, du point de vue du suivi de nos cas, se comparent avantageusement à celles que je connais ailleurs dans le pays, mais il y a dans notre système un grand nombre de cas — si on regarde seulement les chiffres relatifs à la durée de la poursuite, au temps écoulé depuis l'assermentation d'une information — qui posent problème par rapport à l'échéance par défaut établie dans Jordan.

Nous avons maintenant accès à cette information très rapidement. L'un des systèmes informatiques auxquels un grand nombre de nos procureurs ont accès est utilisé dans les administrations où la gestion des dossiers judiciaires a été déployée. Il s'agit d'une application appelée PRISM. Les procureurs peuvent regarder tous les cas qui leur ont été attribués, tous les cas qui leur appartiennent, et voir combien de temps s'est écoulé depuis que les accusations ont été déposées. Des indicateurs rouges et des indicateurs jaunes les avertissent lorsque les cas présentent un risque en conséquence de l'arrêt Jordan. De même, les personnes qui jouent un rôle administratif reçoivent également des rapports, et cela se produit, qu'elles soient ou non dans une province appliquant la gestion des dossiers judiciaires. Elles reçoivent de l'information au sujet des affaires qui sont traitées par les procureurs, selon lesquels elles jouent un rôle de supervision à l'égard de ce qui semblerait être un risque, d'après les lignes directrices.

Je pense que cela nous aidera à tenter d'attirer l'attention des procureurs et celle des tribunaux vers les cas qui présentent des problèmes, mais il ne s'agit pas de fabriquer des ressources judiciaires.

Dans de nombreuses administrations de la province de l'Alberta, nous avons établi des procédures à suivre pour écrire au juge en chef adjoint ou à un autre juge administratif afin de recenser les cas qui devraient être mis de l'avant afin que l'on trouve des dates moins tardives, alors nous pouvons tenter de faire cela, mais ces dates pourraient simplement ne pas être disponibles, et des décisions pourraient avoir été rendues pour que des affaires moins graves ne soient pas instruites dans le but de faire de la place pour des affaires plus graves. Nous pourrions découvrir que, malgré tous nos efforts, certains cas font l'objet d'un sursis à la suite de la décision rendue dans l'affaire Jordan. Je pense qu'il s'agit d'un risque réel.

Le sénateur Baker : Deuxième question.

M. Rogers : Pour ce qui est de la situation des accusations multiples, je ne connais aucune disposition portant sur les problèmes relatifs aux accusations, où la compétence revient exclusivement à la Cour provinciale ou à la Cour supérieure, car, bien entendu, nombre des infractions auxquelles nous avons affaire sont des infractions hybrides, et nous pouvons prendre des mesures à leur égard par voie de mise en accusation, même si nous ne le pourrions pas autrement parce qu'elles sont jointes dans un renseignement lié à des infractions directement punissables par mise en accusation.

Mais vous avez également mentionné les infractions au titre de la LRCDS, les infractions liées à la drogue et les infractions provinciales. Dans la province, nous avons établi un accord entre les Couronnes fédérale et provinciale, qu'on appelle souvent l'« accord majeur/mineur » — je suis certain qu'il a un nom plus technique —, lequel permet à la province d'attribuer à un procureur de la Couronne fédérale, et à la Couronne fédérale d'attribuer à des procureurs provinciaux, la poursuite d'accusations mineures qui feraient habituellement l'objet de poursuites par l'autre. Certes, les procureurs provinciaux se chargent souvent des infractions liées à la possession simple de stupéfiant en même temps que des infractions provinciales, et ainsi de suite.

Le sénateur Baker : Bien.

M. Rogers : Je suppose que cet accord n'est pas en place dans toutes les autres provinces.

Le sénateur Baker : Non. Il contrevient au Code criminel.

M. Rogers : Je ne peux pas me prononcer à ce sujet, mais il a été conclu, et, à ma connaissance, il n'a pas fait l'objet de contestations.

Le sénateur Baker : Félicitations.

La sénatrice Batters : Merci infiniment à vous tous de votre présence aujourd'hui et de nous avoir fait part de ces commentaires importants.

Je veux commencer par M. Kennedy. La visite de votre établissement que nous avons effectuée ce matin était très impressionnante, alors je vous remercie infiniment. Je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour aider les Canadiens qui ont été très touchés par ces genres de tragédies. Comme votre histoire est maintenant très connue, parfois, les gens oublient comment vous avez transformé une tragédie complète dans votre propre vie en quelque chose de très puissant. Alors, je vous en remercie.

J'ai remarqué quelques slogans dans les documents de votre centre, dont l'un était « Hope, Help and Healing » — Espoir, aide et guérison. Je pense qu'il aurait été impossible de mieux l'exprimer, en fait.

Je voudrais que vous nous en disiez un peu plus au sujet de l'incidence considérable des délais dans le système de justice pénale sur les victimes de violence faite aux enfants. Nous en avons un peu entendu parler pendant que nous étions à votre centre, aujourd'hui, et je voudrais simplement que vous nous expliquiez le genre de conséquences qu'ont ces retards sur ces victimes très vulnérables.

M. Kennedy : Merci, madame la sénatrice Batters.

J'ai posé la question à la clinicienne en santé mentale de notre programme de santé mentale, qui travaille juste en arrière sur ces cas. Ce sont des travailleurs de première ligne; nous avons 30 agents de police, 30 travailleurs sociaux et des travailleurs en santé mentale. Des psychiatres, le bureau du procureur de la Couronne et la GRC travaillent tous ensemble, encore une fois, à essayer de ne pas victimiser de nouveau ces enfants. Elle s'appelle Laura Patterson. Elle a pour mandat de s'occuper des enfants qui passent par l'appareil judiciaire. La plupart du temps, ils ont terminé la thérapie, et ils poursuivent leur vie, et, subitement, ils doivent retourner devant les tribunaux.

Je regarde les chiffres. Du 1er janvier 2015 au 30 juin 2016, nous avons eu 44 cas, et 59 p. 100 de ces jeunes — principalement des adolescents, dans ce cas — présentent des idées suicidaires; 20 p. 100 d'entre eux ont tenté de se suicider; 25 p. 100 affichent un comportement agressif; 16 p. 100, un comportement sexualisé; et 20 p. 100 sont toxicomanes. Et la liste continue.

Lorsque nous regardons ce que nous savons, les données scientifiques sont claires en ce qui concerne le développement du cerveau des enfants. Quand les enfants ont vécu dans des environnements marqués par un stress toxique soutenu, dans des situations à long terme qui ne diffèrent pas du processus judiciaire, cela change la façon dont leur cerveau se développe. Les données scientifiques sont claires, aujourd'hui; pourtant, nos systèmes ne tiennent pas encore compte de la science.

Lorsque nous regardons dans les villes et que nous en parlons et en entendons parler tout le temps, nous abordons les stratégies de réduction de la pauvreté, et je crois que le processus judiciaire a un rôle important à jouer en ce qui a trait aux stratégies de réduction de la pauvreté au sein de nos collectivités, car, si nous ne faisons pas du bon travail auprès de ces jeunes, ici, et que nous ne comprenons pas les conséquences réelles dans tous ces domaines, nous les voyons ici, et, d'un point de vue budgétaire, nous n'avons pas les moyens de changer la façon dont nous faisons ce travail. Nous n'en avons pas les moyens. Nous ne pouvons pas nous permettre l'absence de liens entre les services aux enfants et les services aux adultes.

Combien des tentatives de suicide, les 20 p. 100 des 44 ont été réussies? Je dois dire que, lorsque nous ne faisons pas du bon travail auprès de nos jeunes, cela les tue, et c'est ce que nous savons. Je pense que nous avons enfin été en mesure d'établir un lien avec cela et que nous avons enfin pu rendre visibles les conséquences invisibles.

Je crois fermement en la tenue de procès équitables, mais je ne pense pas qu'il soit équitable qu'un petit de quatre ans doive se présenter à la barre devant tous les adultes. À mes yeux, il ne s'agit pas d'un procès équitable. Je pense que nous devons comprendre cela et y prêter attention. Je suppose que, ce que nous voyons, c'est le résultat final de ce processus, et ce résultat, c'est que ces jeunes remplissent nos systèmes carcéraux, remplissent nos systèmes de santé mentale, décrochent de l'école et se font arrêter par la police.

La sénatrice Batters : Et meurent.

M. Kennedy : Si nous regardons la santé mentale, un échantillon de sept personnes sur un millier souffre de troubles mentaux. Plus de 80 p. 100 des préoccupations relatives à la santé mentale au pays découlent d'expériences néfastes durant l'enfance. Si nous voulons supprimer la stigmatisation qui entoure la santé mentale et comprendre d'où elle provient, il vaudrait mieux que nous comprenions cela.

La sénatrice Batters : Exact.

Compte tenu de ces délais dans l'appareil judiciaire, nous voyons parfois ajournement après ajournement, et nous avons entendu des victimes expliquer comment elles ont l'impression d'être de nouveau victimisées lorsqu'elles doivent retourner devant les tribunaux. Ce matin, nous avons un peu entendu parler de la façon dont les victimes pourraient avoir l'impression qu'elles sont même remises en question : « Oh, se pourrait-il que le juge ne me croie pas, puisque l'affaire n'avance pas? Pourquoi n'avance-t-elle pas? » Vous pourriez peut-être seulement nous en dire un peu plus à ce sujet.

M. Kennedy : Nous savons qu'une partie de la plus grande conséquence que subissent ces jeunes enfants — parce qu'ils ont été agressés par des personnes de confiance dans leur vie —, c'est qu'ils croient avoir fait quelque chose pour le mériter et que ce doit être leur faute. Quand on regarde le processus qu'ils doivent traverser... Et je pense que le cadeau offert par le Child Advocacy Centre, c'est que nous avons amené les systèmes qui ont pour mandat législatif de faire ce travail à dire : « Vous savez quoi? Nous pouvons faire les choses autrement, et nous pouvons mieux les faire. » Je pense que c'est ce que nous demandons, ici, aujourd'hui. Ce que nous observons chez ces jeunes, c'est que le processus est très déroutant pour eux.

La façon dont le système est conçu, et je sais que dans certains de ces comités permanents dont j'ai déjà parlé, nous devons atteindre un équilibre ici pour ce qui est de la compréhension du système à l'égard de la victime. Il y a assurément un déséquilibre relatif à la victime et à l'accusé. La réhabilitation des criminels et l'espoir que ceux-ci suscitent sont beaucoup plus grands que ceux de la victime, et je crois que nous devons revenir à un équilibre.

La seule façon dont nous pourrions faire cela, c'est si nous comprenons vraiment l'impact réel. Vous pouvez examiner n'importe quelle étude sur les expériences néfastes de l'enfance ou consulter la ChildTrauma Academy avec Bruce Perry et la Palix Foundation ici à Calgary; les données scientifiques sont claires et montrent que cela a un impact très important sur nos enfants.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous trois de vos exposés. Vous allez certainement aider notre travail.

Monsieur Kennedy, nous étions à votre centre aujourd'hui. Vous avez fait du travail extraordinaire avec d'autres personnes pour mettre sur pied le centre, et je vous en félicite.

Lorsque j'étais au centre, j'ai vu avec d'autres — la police, l'hôpital — que vous avez été en mesure de vous spécialiser et d'en faire un peu plus pour les enfants. Tout est axé sur les enfants, mais les deux groupes manquants étaient les avocats de la défense et les juges, et pour des raisons évidentes les avocats de la défense ne peuvent pas y être. Je sais que les juges ne peuvent pas non plus, ni même la Couronne. Il est difficile de déterminer tout ce que ces gens peuvent faire. J'ai quitté le centre en pensant que nous devons peut-être nous pencher sur les tribunaux spécialisés.

J'ai une question pour vous trois. Nous avons examiné les tribunaux spécialisés. Nous avons vu le tribunal communautaire; nous avons vu hier le tribunal de traitement de la toxicomanie et savons que vous avez un tribunal de la famille.

Selon votre expérience à vous trois, croyez-vous que, si nous prenions une partie du travail du tribunal principal pour le donner aux tribunaux spécialisés, cela changerait la situation ou cela réduirait-il le temps passé devant le tribunal? Cela influerait-il sur les retards des tribunaux?

M. Chaffin : C'est une question intéressante, parce que je suis effectivement convaincu que, si nous créons des environnements judiciaires plus uniques pour que nous puissions nous pencher sur des problèmes particuliers, cela aiderait, en théorie, à gérer les retards et à faire en sorte que nous soyons plus organisés.

Comme M. Kennedy l'a dit, cependant, on examine vraiment les résultats à long terme. Le fait d'avoir un tribunal spécialisé sans services spécialisés pour assurer le suivi ne sert que les intérêts des tribunaux. Encore une fois, je veux souligner qu'il s'agit de vraies personnes; elles ne sont pas des numéros de registre; elles ne sont pas des statistiques. Il s'agit de personnes qui ont besoin d'une intervention complète, qu'elles soient des délinquants violents et leurs victimes ou ces personnes vulnérables.

Ce qui m'inquiète le plus, d'une manière ou d'une autre, c'est qu'on traite la situation comme si nous devions rationaliser le processus, non pas comprendre que ces personnes sont les véritables victimes qui ont de véritables impacts importants sur la sécurité communautaire et sur la vie; on ne comprend pas l'équité et la justice sociales lorsqu'on se borne à soumettre les affaires à un processus éclair devant les tribunaux. Nous devons avoir un processus de bout en bout qui permet qu'on s'occupe d'elles.

La sénatrice Jaffer : Le juge en chef de la Cour provinciale a dit quelque chose de puissant. Il a dit : il n'est pas question de tribunaux efficaces; la Chine a des tribunaux efficaces; c'est la justice, et vous, qui devez penser à la personne.

Ce que nous avons vu hier, c'était d'envisager un changement global pour offrir des services aux gens. Il s'agit d'un changement à long terme, mais aussi est-ce que cela aide à combler les retards des tribunaux?

M. Kennedy : Nous venons de tenir une conférence internationale ici à Calgary, avec 40 pays. Nous avons eu la chance de parler à d'autres pays concernant leur travail. Si vous regardez les deux éléments manquants, selon vous — et on ne les retrouve pas au Child Advocacy Centre —, une des choses qui étaient recommandées, c'était : pourquoi les avocats de la défense ne rencontreraient-ils pas cet enfant dans un cadre adapté aux enfants, et pourquoi n'aurions-nous pas une télévision en circuit fermé pour que les enfants témoignent à partir du centre? L'ensemble du processus se tiendrait au Child Advocacy Centre. Nous ferions cela avec les enfants et les jeunes contrevenants, dans la salle d'audience.

Je vous dis que ce déséquilibre de pouvoir est réel lorsqu'on est face à face. Si vous regardez des adultes qui se font intimider au travail et voyez la peur des gens à l'idée de dénoncer la situation, imaginez, à plus forte raison, un enfant agressé sexuellement pendant 10 ans par son père; c'est réel... et je crois que, compte tenu de tout ce que nous pouvons faire, ce serait une solution simple.

Pourquoi plaçons-nous ces enfants en face de ces délinquants? Nous le faisons déjà. Ce n'est pas comme tenter de réinventer la roue. Je crois qu'il s'agit d'y ajouter quelques rayons. C'est une solution facile. Elle aurait beaucoup moins d'impact sur l'enfant, mais ce sont deux solutions qui ont été portées à notre attention.

Je reviens à Roger, et je sais que je reviens constamment sur le sujet. La décision que nous devons prendre c'est de ne pas essayer de faire cheminer les gens dans le système judiciaire aussi rapidement que nous le pouvons. Nous avons besoin de qualité et d'efficacité. La seule façon de les obtenir est de comprendre exactement les personnes dont nous nous occupons de même que le côté criminel à cet égard.

Oui, j'ai été une victime dans le système judiciaire. J'ai déjà pris la parole dans les prisons et je peux vous dire que les gens qui s'y trouvent ont aussi subi des impacts lorsqu'ils étaient enfants. Nous devons comprendre tous ces aspects et prendre nos décisions en conséquence.

Lorsque nous prenons nos décisions au nom de tous les organismes qui sont dans notre centre, nous plaçons l'enfant au milieu et prenons la décision en son nom, non pas au nom de l'organisme, et je crois que c'est critique.

M. Rogers : Je me ferais l'écho de ce qu'a plus tôt dit le juge en chef Matchett : certains de ces tribunaux spécialisés peuvent vraiment améliorer les résultats pour les gens qui sont en butte à un cycle de criminalité.

Le tribunal de traitement de la toxicomanie à Edmonton est celui que je connais probablement le mieux. Il y a aussi un tribunal équivalent ici à Calgary. Je sais que pour le tribunal de traitement de la toxicomanie à Edmonton — et le juge en chef Matchett a parlé des problèmes de financement à cet égard — une partie du financement qui était fourni par le gouvernement fédéral a été coupée. Avant même cette réduction du financement, il y avait beaucoup trop d'inscriptions de personnes accusées qui voulaient profiter du programme du tribunal de traitement de la toxicomanie et qui n'ont pas pu le faire.

Ils acceptaient des admissions à l'occasion — des affiches étaient placardées dans le palais de justice d'Edmonton disant que les demandes étaient acceptées — et dans les 24 ou 48 heures de l'ouverture des demandes pour une nouvelle admission, on cessait d'accepter les demandes de nouveau. Il n'y avait tout simplement pas assez de ressources.

Pour ce qui est de savoir s'il s'agit d'une solution ou si cela résoudrait les retards des tribunaux, c'est probablement à long terme qu'on doit penser pour combler ces retards. Il y a beaucoup de ressources dans l'immédiat qui sont affectées à un tribunal de traitement de la toxicomanie qui iraient à un tribunal pour les délinquants autochtones, à la cour Gladue ou à un tribunal de la santé mentale. Cet investissement peut bien en valoir la peine à long terme. Il peut aider les gens à cesser de récidiver. Je ne crois pas qu'il s'agit d'une solution à court terme parce qu'on doit y affecter beaucoup de ressources provenant d'organismes de travail social, d'organisations communautaires et des juges travaillant dans ces tribunaux. Mais, comme le juge en chef Matchett l'a dit, il s'agit d'êtres humains, et notre but n'est pas uniquement de punir les gens pour leurs crimes; c'est de les réhabiliter et de protéger la collectivité des récidivistes. À cet égard, ces tribunaux spécialisés semblent être très efficaces.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, de vos exposés.

Monsieur Kennedy, je suis complètement d'accord avec votre recommandation selon laquelle une modification devait être apportée au code et que nous devrions éliminer les enquêtes préliminaires dans le cas d'agressions sexuelles à l'égard d'enfants. J'étais à votre centre ce matin. J'ai parlé à votre personnel et j'ai effectivement fait cette recommandation. Félicitations, et j'espère qu'elle se concrétisera.

Messieurs Chaffin et Rogers, dans ma province du Nouveau-Brunswick, de même qu'en Colombie-Britannique, les procureurs de la Couronne déposent des accusations et non les services de police. En Alberta, c'est l'opposé : les services de police portent les accusations. Je comprends qu'il doit y avoir un certain élément d'indépendance entre les services de police et le bureau du procureur de la Couronne, et je comprends aussi que, dans votre province, il y a une bonne consultation entre les deux organismes. Êtes-vous satisfaits de la structure actuellement en place?

M. Chaffin : Du point de vue de la police de Calgary, oui, je dirais que nous sommes satisfaits en raison de la relation intime que nous avons avec la Couronne. Lorsque nous avons besoin de soutien et de conseils, nous lui demandons.

Je crois, toutefois, que ce que nous commençons à observer, comme nous en avons déjà parlé, au sujet des retards, c'est les complexités actuelles du système judiciaire. Elles commencent à surpasser la capacité de certains de nos membres de comprendre le droit et les détails de celui-ci. Alors nous nous retrouvons de plus en plus souvent à demander des conseils avant de déposer des accusations.

De manière non officielle, nous prenons déjà le plus possible de mesures afin de nous assurer de faire preuve de diligence raisonnable, de faire comprendre nos motifs raisonnables et de faire en sorte que nos pratiques soient soutenues devant le tribunal, mais ce que vous observez, comme vous l'avez vu dans votre administration, c'est simplement qu'il est de plus en plus difficile de s'attendre à ce qu'un généraliste comprenne les complexités importantes en 2016.

M. Rogers : Nous avons effectivement dans notre province des dispositions visant un mécanisme de consultation préalable à l'accusation, mais vous avez raison : la majorité des accusations sont déposées par la police sans consultation préalable avec la Couronne.

Dans quelques domaines, c'est différent. Je travaille dans une unité de poursuite spécialisée dans laquelle à peu près tous nos dossiers sont des poursuites qui supposent des consultations préalables à l'accusation. Nous avons plusieurs unités : crimes économiques, crimes technologiques et cybercriminalité, où il s'agit principalement de poursuites relativement à des infractions d'exploitation d'enfants en ligne et de pornographie juvénile, à des infractions réglementaires et au crime organisé, alors nous avons effectivement ce degré de consultation préalable à l'accusation.

Je crois que, dans le rapport intérimaire du comité, il y avait une citation d'un rapport produit par notre ancien sous-ministre adjoint, Greg Lepp, qui est maintenant juge à la Cour provinciale. Ce rapport, qui s'intitulait Injecting a Sense of Urgency, portait sur le désir d'apporter au service des poursuites ici des changements pour donner à la police un accès plus facile aux procureurs de la Couronne afin de tenir une consultation préalable à l'accusation dans les cas d'affaires graves. Ce rapport découle d'une affaire suspendue pour cause de retard qui concernait une agression sexuelle. Je crois qu'il y a des procédures en place pour permettre une consultation préalable à l'accusation dans la province. Quant à savoir si elles peuvent être rajustées ou changées, ce n'est probablement pas à moi de le dire, mais nous faisons cela.

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Chaffin.

[Français]

Monsieur Chaffin, le but de notre travail est de trouver des façons de réduire les délais des procès. Nous savons que la présence des policiers en cour nécessite beaucoup d'heures supplémentaires, car ils sont parfois en vacances ou en congé hebdomadaire. S'ils doivent être présents en cour, il s'agit d'heures supplémentaires, et celles-ci coûtent excessivement cher au corps de police. Certains corps policiers, de concert avec les procureurs de la Couronne, demandent à ce que les policiers se présentent en cours pendant leurs quarts de jour pour éviter les frais liés aux heures supplémentaires. Or, cela peut occasionner des retards.

Avez-vous vécu de telles situations en Alberta? Par exemple, arrivait-il que vous décidiez, de concert avec la Couronne, qu'un policier ne pouvait témoigner au cours d'une semaine donnée ou trois semaines plus tard, car il était en vacances pendant un mois? En outre, une telle situation entraînait-elle des heures supplémentaires? Je sais que cela se fait dans d'autres provinces.

[Traduction]

M. Chaffin : C'est une très bonne question. Je sais que Damian aurait probablement des commentaires à ce sujet, mais c'est une des complexités importantes dans un environnement de quarts de travail où un agent travaille le jour et la nuit et a des quarts irréguliers. Ce n'est pas comme le service d'incendie, où vous travaillez peut-être pendant le même quart toute votre carrière. Cela dépend dans quelle unité vous travaillez; votre quart peut changer radicalement d'une semaine à l'autre, et vous essayez de fixer une date pour le tribunal à l'avance et de trouver des façons d'éviter les coûts supplémentaires. Il y a aussi la fatigue, car un agent peut travailler un quart de travail de 12 heures la nuit sans dormir et doit se présenter au tribunal le matin pour témoigner au cours d'une affaire compliquée, et ensuite essayer de rentrer chez lui en automobile l'après-midi après avoir été éveillé depuis plus de 24 heures. C'est le genre de véritables complexités relatives à la santé que nous, les policiers, devons affronter.

Mais nous éprouvons des problèmes d'horaire. Nous déployons beaucoup d'efforts avec les cours provinciales pour nous assurer que nos horaires sont prêts à l'avance et que nous avons une structure, dans nos conventions collectives avec nos syndicats, pour nous assurer de savoir quel genre d'avis nous devons donner aux employés, mais nous devons nous efforcer tant bien que mal de coordonner les horaires selon la disponibilité du tribunal. Un simple retard au tribunal pourrait signifier que tout tombe à l'eau et qu'il faut recommencer. Nous devons essayer de trouver le moment où l'agent et le tribunal sont disponibles. Nous avons ensuite une façon de faire les choses, de nous assurer qu'il est en mesure d'offrir le meilleur témoignage possible, qu'il est assez reposé et préparé, vu qu'il travaille sur d'autres affaires en même temps.

Un des sujets pertinents pour les services de police actuellement, c'est comment garder nos membres en santé, s'assurer qu'ils font de leur mieux pour représenter les victimes et assurer l'administration de la justice, mais en le faisant d'une manière rentable. Cela représente un défi pour la police et les tribunaux depuis pas mal longtemps, et cela devient plus compliqué.

Le sénateur Dagenais : Merci.

Le président : J'aimerais simplement revenir sur une question. Vous dites que cela devient plus compliqué. Je me demande si vous pouvez nous en dire plus à ce sujet.

M. Chaffin : Les régimes de convention collective de nos membres demandent que l'on exerce de plus en plus de contrôle sur des choses comme le coût d'aller témoigner en cour, les répercussions relatives au moment où nous commençons à payer et aux retards ou de la durée d'une période que nous devons leur accorder pour changer leurs quarts de travail. À chaque renouvellement de nos conventions collectives, les membres prennent davantage conscience du fait que ce que nous faisons est malsain, et cela requiert un certain degré de respect de leur propre vie et de leur capacité de gérer leur vie.

À mesure que les tribunaux accusent des retards, il est très difficile de dire, si nous ne faisons pas cela maintenant — dans la foulée peut-être de l'arrêt Jordan — que l'incapacité de se présenter devant un tribunal, la réticence à le faire ou certains autres problèmes au moment de se présenter en cour peuvent faire en sorte qu'une personne perde son procès. Je crois que cela engendre des complications pour nous tous.

Le fait d'essayer de travailler avec la Couronne, de travailler avec la police, dont les employés ont un régime compliqué, et de coordonner tout cela n'est pas un travail facile; cela prend du temps.

Le président : Y a-t-il jamais eu des discussions sur la vidéoconférence? La défense ne soutient peut-être pas cela. Je ne sais pas si on en a déjà discuté.

M. Chaffin : C'est comme M. Kennedy l'a dit : je soutiendrais fortement tout ce qui procurerait ce type d'efficacité. Vous pouvez imaginer être debout depuis 12 heures ou plus et ensuite devoir faire de la route jusqu'au tribunal... la fatigue, l'épuisement et l'affaiblissement de ces personnes. J'aimerais beaucoup voir un environnement dans lequel les agents pourraient se reposer un peu mieux.

Le président : Je connais cet argument. Trois membres de ma famille sont des policiers de première ligne, et ils m'ont fait part de leur frustration au moment de faire le pied de grue dans les tribunaux.

J'ai seulement un petit commentaire. Nous avons fait la connaissance de M. Stooke. Il est officier supérieur. Je ne suis pas certain de connaître son rang.

M. Chaffin : Il est chef adjoint à la retraite.

Le président : Il est chef adjoint à la retraite et a parlé de ce que vous avez fait, chef, à propos des problèmes d'ADN. L'ACCP a-t-elle fait quelque chose à cet égard? Il me semble qu'il s'agit d'un problème simple à régler, mais qui a des répercussions graves pour le système de justice et pour nombre de victimes et de victimes potentielles.

Le sénateur Baker : Cela cause des retards.

Le président : Cela cause des retards, mais si vous attendez pour de l'ADN et qu'une personne est toujours en liberté et commet des crimes et que son ADN est dans votre système... voilà les types de défis qui se posent. Il me semble qu'il devrait y avoir un véritable tollé pour qu'on règle le problème. Les provinces devraient en parler davantage, votre organisation, l'ACCP. Je ne sais pas ce qui se passe de son point de vue.

M. Chaffin : Je siège aussi au conseil de l'ACCP. C'est un enjeu national. Nous observons des pays comme le Royaume-Uni où le délai d'analyse de l'ADN est de cinq jours, et nous dépassons largement cela. Notre délai est de plus de 60 jours.

Le président : C'est honteux.

M. Chaffin : Et c'est pour les cas les plus graves. C'est seulement une tout autre affaire.

L'ADN est analysé par un organisme appelé Services nationaux de police, qui relève de la GRC, mais n'est pas particulièrement financé par celle-ci. Alors il y a des problèmes concernant un niveau de financement suffisant pour les rendre pertinents.

Le besoin de preuves d'ADN a surpassé la capacité de gérer tout l'ADN : tout ce que vous pouvez gérer, ce sont les cas graves, comme les introductions par effraction... ou des cas qui seraient jugés moins graves qui touchent des Canadiens chaque jour, où justice n'est pas rendue parce que nous ne pouvons pas faire analyser l'ADN de ces affaires, car les techniciens sont trop occupés.

Nous tenons des discussions maintenant avec les officiers supérieurs de la GRC et les Services nationaux de police pour faire valoir qu'il doit y avoir une autre façon. Il doit exister une autre façon, localement, de renforcer la capacité d'analyse de l'ADN.

Mais l'idée c'est, d'être en mesure d'établir un lien avec les bases de données nationales. Si, par vous-même, vous reteniez les services d'entreprises pour le faire, respecteriez-vous nécessairement les normes du tribunal et seriez-vous en mesure d'établir un lien avec cette base de données nationale? C'est le type de complexités auxquelles nous faisons face. C'est un vieux régime que nous essayons de moderniser, et il a besoin de soutien et de défenseurs pour dire qu'il doit exister une meilleure façon de procéder.

Le président : Je crois qu'on devrait en parler davantage, et nous allons peut-être ajouter notre voix au débat.

La sénatrice Batters : Monsieur Rogers, plus tôt aujourd'hui nous parlions à une procureure de la Couronne de l'Alberta. Nous sommes aujourd'hui le 28 septembre. Elle nous a dit que si elle devait instruire un procès pour meurtre, aujourd'hui, en Alberta, la date du procès serait fixée en 2018; est-ce exact?

M. Rogers : Je crois que cela dépend de l'endroit où il serait instruit.

La sénatrice Batters : Je crois qu'elle parlait de Calgary.

M. Rogers : Certainement, dans certaines administrations, ce serait le cas.

La sénatrice Batters : C'est choquant.

M. Rogers : Je participe actuellement aux poursuites contre une personne ayant participé au vol de guichets automatiques. Cette personne est aussi visée par certains nombres d'accusations dans d'autres administrations. Je sais que, depuis mai 2016, il y a une date de procès fixée pour janvier 2018, et que c'est un procès de cinq jours devant la Cour du Banc de la Reine, une de nos plus petites cours rurales. Alors, oui, ce sont les types de délais d'exécution avec lesquels nous devons composer.

Dans la Cour provinciale, je crois que le délai d'exécution moyen, et le juge en chef Matchett l'a mentionné, peut être de l'ordre de 21 ou 22 semaines, mais cela comprend de nombreuses petites affaires dont la durée du procès est fixée à une ou deux heures dans notre tribunal peu complexe qui instruit ces types de procès. La période pour obtenir un procès de 5 ou 10 jours est beaucoup plus longue.

La sénatrice Batters : Oui. Et maintenant avec l'arrêt Jordan...

Le président : Nous devons nous arrêter ici, je suis désolé.

Merci messieurs. Nous avons beaucoup apprécié votre présence et vos témoignages.

Avant de poursuivre avec les derniers témoins, je veux mentionner que j'espère que la sénatrice Batters nous rejoindra, mais un problème personnel difficile vient juste de survenir, alors elle a dû quitter la réunion. Je ne sais pas combien de temps elle sera absente. Je voulais simplement expliquer son absence.

Dans notre dernier groupe de témoins, nous recevons Mme Suzanne Polkosnik, présidente-directrice générale de Legal Aid Alberta; Mme Denise Blair, directrice générale de la Calgary Youth Justice Society; M. Graham Johnson, associé de la firme Dawson, Duckett, Shaigec et Garcia au nom de la Criminal Trial Lawyers Association; Mme Margaret Keelaghan, avocate générale principale de la Calgary Legal Guidance; et M. Ian Savage, président de la Criminal Defence Lawyers Association of Alberta. Je vous remercie tous d'être ici avec nous aujourd'hui.

Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de Mme Polkosnik. Vous avez la parole.

Suzanne Polkosnik, présidente-directrice générale, Legal Aid Alberta : J'aimerais vous remercier de m'offrir la possibilité de présenter mon exposé et de fournir aujourd'hui une mise en contexte du point de vue de l'aide juridique. Certes, nos mémoires couvrent un éventail de sujets, mais je crois qu'aux fins de mes commentaires d'aujourd'hui, j'aimerais vraiment me concentrer sur la question des personnes non représentées par avocat devant les tribunaux et sur la façon dont cela contribue aux retards que nous observons dans le système.

L'aide juridique joue un rôle important pour assurer la représentation de personnes, et, ainsi, est un facteur capital au moment d'aborder la question des personnes non représentées.

Ce que nous observons, c'est un nombre croissant de personnes qui comparaissent devant les tribunaux qui ne peuvent pas retenir les services d'un avocat dans un système de plus en plus complexe et dans lequel il est difficile de se retrouver si on n'a pas un avocat. L'aide juridique est censée être positionnée pour aider à répondre à ce besoin. Cela devient de plus en plus difficile, et je crois que l'on peut dire — et je ne le dis certainement pas avec fierté — que nous avons échoué. Nous avons échoué à la suite d'un éventail de problèmes, mais, ce qui est le plus urgent, c'est le fait que la demande continue d'augmenter, mais pas le financement.

Nous recevons du financement principalement du gouvernement provincial, mais une partie de celui-ci vient du gouvernement fédéral. Ce financement fédéral est demeuré essentiellement le même depuis 2008. L'annonce d'un nouveau financement pour les programmes d'aide juridique, lorsqu'on regarde les sommes, la formule de financement actuelle, le nombre d'années au cours desquelles il sera échelonné et la somme d'argent qui est réellement en jeu, se traduit par un montant annualisé d'environ 1 million de dollars supplémentaires pour la Legal Aid Alberta, ce qui fait que nous sommes en mesure de poursuivre nos activités pendant six jours de plus.

Je ne dirais en aucune façon que nous n'apprécions pas le geste, mais, dans la réalité, cela accroît très peu notre capacité de régler le problème du nombre croissant de personnes non représentées.

Je crois qu'on peut dire que l'aide juridique dans la province — et ce n'est pas exclusif à l'Alberta — a souffert de sous-financement chronique, et cela sert dans les faits à mettre en péril l'équité, l'efficacité et l'efficience de l'ensemble du système.

Ce que nous rencontrons en Alberta, en raison tant d'une population croissante que de notre situation économique actuelle, c'est une demande sans précédent pour nos services. Par conséquent, nous trouvons que nous sommes de plus en plus incapables de répondre aux besoins auxquels nous faisons face. Nous savons que lorsque les personnes ne sont pas représentées, nous observons une augmentation du nombre de processus administratifs qui se déroulent devant les tribunaux et une prolifération des ajournements, sans parler du problème lié à l'équité du système lorsqu'on ne peut pas se défendre à armes égales.

Nos lignes directrices sur l'admissibilité financière, qui tiennent à la justification fondée sur les moyens, déterminent si les gens sont admissibles ou non à une représentation de l'aide juridique, en fonction d'un seuil de revenu net sous les 20 000 $ par année. Si vous gagnez plus de 1 639 $ par mois et 20 000 $ par année, vous êtes trop riche pour recevoir de l'aide juridique dans la province de l'Alberta. Nous savons que vous auriez de la difficulté à retenir les services d'un avocat si vous gagniez 21 000 $ par année, alors on se retrouve avec une crise croissante devant les tribunaux.

Certainement, le comité a entendu parler aujourd'hui de divers aspects qui ont une incidence sur les délais : l'indisponibilité d'un nombre adéquat de juges, les problèmes liés à la disponibilité des salles de cour, les problèmes liés à l'application de la loi à la poursuite; par ailleurs, il est indubitable que le grand nombre de personnes non représentées ou sous-représentées a une incidence importante sur les délais.

Le président : Je vais devoir vous demander de conclure.

Mme Polkosnik : Absolument. En ce qui concerne notre système d'aide juridique, à mesure que nous progressons, nous avons tenté plusieurs fois de trouver des manières d'améliorer notre contribution à l'aide des moyens dont nous disposons, mais tant et aussi longtemps que les lignes directrices sur l'admissibilité financière s'appuient sur une justification fondée sur les moyens plutôt que sur les besoins en cause, il sera difficile pour nous de remédier à ces délais.

Le président : Merci. Madame Blair.

Denise Blair, directrice générale, Calgary Youth Justice Society : Merci beaucoup de me donner la possibilité de faire partie de la solution visant à influer de manière positive sur notre système de justice pénale. C'est pour nous un véritable honneur d'être ici.

Notre mémoire montrera de quelle manière notre travail peut aider à réduire les délais dans les procédures criminelles de deux manières. Premièrement, le fait de recourir à la déjudiciarisation dans le cas des jeunes faisant face à des accusations mineures a une incidence immédiate et directe; pour les jeunes qui en bénéficient, c'est une solution pratique, et moins il y a de jeunes dans les tribunaux, plus les délais sont courts pour ceux qui s'y trouvent.

Deuxièmement, notre travail a une incidence à long terme puisqu'il réduit les taux de récidive et prévient la participation des jeunes à des activités criminelles d'entrée de jeu. J'espère également que notre mémoire montrera que nous croyons au potentiel des jeunes, à celui des bénévoles et à ce qu'il est possible de faire lorsque des liens positifs s'établissent entre les deux.

Depuis 20 ans, la Calgary Youth Justice Society aide les comités de justice pour la jeunesse à offrir une solution de rechange communautaire aux tribunaux. Des milliers de bénévoles ont aidé des jeunes et leur famille dans leur quartier à traverser un moment éprouvant en leur offrant des ressources et en les encourageant à changer les choses. Jusqu'à maintenant, 12 000 jeunes ont profité d'une déjudiciarisation. Ces 12 000 jeunes qui ont l'espoir et la possibilité d'avoir un avenir plus prometteur.

Lorsqu'on leur donne une deuxième chance après une mauvaise décision, la plupart des jeunes saisissent l'occasion qui se présente. Dans 90 p. 100 des cas, cela se traduit par une réussite, et, à un certain moment, un suivi sur trois ans a révélé que 80 p. 100 des jeunes n'avaient pas eu de nouveaux démêlés avec le système.

Depuis les huit dernières années, la tendance en matière d'aiguillage est à la baisse, mais il y a de plus en plus d'infractions graves, et les jeunes ont des besoins de plus en plus complexes. En réaction à cette situation, Calgary a mis en place une approche adaptée sur le plan culturel pour les jeunes autochtones vivant à Calgary de même qu'un comité spécialisé qui soutient les jeunes ayant des besoins en santé mentale; actuellement, nous examinons de quelle manière nous pouvons améliorer l'expérience vécue par les jeunes immigrants et les familles d'immigrants, qui font face à des défis uniques lorsqu'ils sont confrontés à notre système de justice pour la première fois.

En ce qui concerne l'aspect préventif, un nouveau programme intitulé « In the Lead » renforce la résilience des jeunes susceptibles de prendre des risques qui peuvent mener à des activités criminelles. Cette approche unique est axée sur les forces et les possibilités chez les jeunes, alors que d'autres sont axées sur les lacunes et le risque : l'accent est mis sur les forces, et non sur les faiblesses.

Grâce au mentorat offert par des bénévoles du milieu des affaires de Calgary, les jeunes participants transforment la perception qu'ils ont d'eux-mêmes, de leurs collectivités et de leur avenir. Au cours de la période d'évaluation de cinq ans, les participants ont invariablement démontré d'importantes améliorations au chapitre de leur résilience globale et sont moins enclins à prendre part à des activités supposant la prise de risques.

Lorsqu'on leur donne le soutien et les possibilités dont ils ont besoin, tous les jeunes peuvent changer, et ils le font. La prévention, la déjudiciarisation et la justice réparatrice jouent un rôle important dans l'administration de la justice et, plus important encore, dans la vie des jeunes et des collectivités.

Pour soutenir cet important travail, il convient d'examiner quelques questions. De quelle façon la valeur de ce travail essentiel peut-elle être mieux connue et soutenue? Comment pouvons-nous amener les bénévoles à étendre la portée de leurs activités afin de mieux répondre aux besoins des jeunes qui ont des démêlés avec le système de justice ou qui en ont eu?

Dans ma réponse écrite, j'ai raconté l'histoire d'une mère qui nous a mis au défi d'en faire plus. Sa fille avait réussi le programme de sanctions, mais elle a tragiquement perdu la vie par la suite à cause d'une surdose. Sa mère a dit que, une fois le programme de sanctions relatif à l'infraction terminé, le soutien de la collectivité a aussi pris fin. Elle m'a rappelé que sa fille faisait partie de notre taux de réussite. Je me demande ce qui se serait produit si la collectivité avait été en mesure d'entretenir le lien.

De quelle manière le système peut-il mieux soutenir les jeunes ayant des besoins particuliers, comme les jeunes ayant des problèmes de santé mentale et les jeunes immigrants et leur famille, et être mieux adapté aux problématiques particulières auxquelles ils font face? De quelle manière le fait d'insister sur l'équité peut-il nous aider à nous assurer que chaque jeune a ce dont il a besoin pour réussir, tout en préservant l'égalité? Enfin, de quelle manière des changements systémiques peuvent-ils avoir une incidence immédiate sur la diminution du nombre de jeunes devant les tribunaux?

Si on s'efforce d'aiguiller les jeunes vers le programme de sanctions avant l'inculpation plutôt qu'après, on peut éliminer deux comparutions devant le tribunal par jeune. À Calgary seulement, cela pourrait équivaloir à 600 comparutions chaque année. De plus, pourrait-on encourager la participation des citoyens dans le but de favoriser d'autres manières la déjudiciarisation dans le cas des jeunes? Les précieuses ressources bénévoles sont-elles utilisées à leur plein potentiel à l'échelle du système et du Canada?

En terminant, voici ce qu'un aîné autochtone m'a déjà dit : « Denise, ce ne sont pas les programmes ni les systèmes qui changent les gens; ce sont les relations. » Au moment d'aborder la question des longs délais judiciaires, il est important de ne pas seulement regarder à l'intérieur pour trouver la solution; il faut aussi se tourner vers l'extérieur. Cela fonctionne lorsque nous sollicitons la collaboration des bénévoles et des partenaires de la collectivité afin d'établir des liens positifs avec les jeunes qui sont axés sur les forces, les possibilités et la guérison. Le gouvernement peut ouvrir la voie en encourageant les citoyens à continuer de faire partie intégrante de la solution et à accroître leur participation en leur fournissant les ressources nécessaires et en les habilitant.

J'aimerais aussi ajouter que la Calgary Youth Justice Society propose son aide au comité du Sénat et est prête à l'aider de quelque manière que ce soit à faire progresser ses travaux dans le cadre des prochaines étapes.

Le président : Merci. Monsieur Savage.

Ian Savage, président, Criminal Defence Lawyers Association of Alberta : Merci. Je tiens à préciser que je représente la Defence Lawyers Association située à Calgary. M. Johnson est ici au nom de l'association située à Edmonton, mais, depuis de nombreuses années, les deux associations travaillent ensemble à l'échelon provincial afin de promouvoir divers enjeux, et particulièrement l'aide juridique, au cours des quelques dernières années. Nous travaillons en étroite collaboration avec Susan, ici présente, pour faire pression sur le gouvernement provincial actuel, tout comme nous l'avons fait pour l'ancien. Nous avons eu légèrement plus de succès auprès du gouvernement provincial actuel qu'auprès de l'ancien, mais les choses ne vont pas très vite, et nous continuons d'exercer des pressions à cet égard.

Nous reconnaissons que le régime d'aide juridique reçoit de loin la plus grande partie de son financement du gouvernement provincial, mais nous souscrivons aux observations de Legal Aid Alberta selon lesquelles un quelconque espoir de voir une réduction du nombre d'accusés non représentés dans le système judiciaire de l'Alberta si le financement fédéral n'augmente pas.

Je peux vous parler de quelques éléments positifs au sujet de l'Alberta. La majorité des avocats de la défense n'aimeront probablement pas ce que je vais dire, mais l'initiative relative à la communication de la preuve par voie électronique du ministère de la Justice de l'Alberta, dont vous avez peut-être déjà entendu parler plus tôt ce matin — je ne veux pas répéter quelque chose qui a déjà été mentionné — réduira forcément ou manifestement les délais initiaux dans le système. Cela va simplement aider.

Un autre point sur lequel j'aimerais insister fortement, c'est le fait que, depuis des centaines d'années, notre système judiciaire se fonde sur la comparution en personne : la personne accusée, par son avocat, un procureur de la Couronne et les témoins doivent être présents en personne à presque toutes les étapes, à tout le moins, certainement, à l'étape du règlement ou l'étape du procès. Malheureusement, dans l'ère technologique où nous vivons, il s'agit là d'un concept archaïque que nous devons aborder en modifiant le Code criminel de manière à permettre, à tout le moins, à l'avocat de la défense de comparaître par voie électronique à l'occasion d'une comparution de routine.

À l'heure actuelle, il est inutile d'aborder la question plus complexe de la comparution à distance de témoins, mais cela se fait déjà. On permet déjà à des témoins experts de le faire, et j'ai entendu des témoins qui ont comparu au cours de la séance précédente vous parler de jeunes témoins ou d'agents de police qui ont reçu l'autorisation de comparaître ou de témoigner à distance. Si nous avons l'intention de franchir ce pas, ce qui est probablement inévitable selon moi, franchement, il est certain que les comparutions de routine initiales doivent pouvoir se faire par voie électronique. Cela va réduire considérablement les délais.

La seule autre question préliminaire dont je parlerai, encore une fois, et vous en avez peut-être déjà entendu parler, est l'initiative de l'Alberta relative à l'examen du cautionnement, et c'est un processus qui est en cours ici en Alberta. Ce que vous devez comprendre, et je suis certain que vous le comprenez tous, c'est que la question du cautionnement et des procédures connexes, tout comme la disponibilité du cautionnement, est directement liée à la question de la surpopulation dans les centres de détention provisoire et les centres correctionnels, ce qui, en retour, mène directement aux répercussions qu'ont ces deux systèmes, soit le système de cautionnement et le système de détention provisoire, sur les groupes défavorisés, autochtones et autres groupes raciaux touchés. C'est donc une question complexe, mais c'est une question qui doit être réglée. Merci.

Le président : Merci. Monsieur Johnson.

Graham Johnson, associé, Dawson, Duckett, Shaigec & Garcia, Criminal Trial Lawyers Association : Ce que j'espère que le comité retiendra de notre exposé, c'est que pour qu'un système judiciaire fonctionne équitablement, adéquatement et efficacement, il faut une certaine flexibilité.

Les tribunaux peuvent être saisis d'un nombre infini de scénarios. Les victimes, les témoins et les personnes en cause sont définis par une combinaison infinie de facteurs individualisés qui les amènent devant les tribunaux, et le système doit se montrer aussi souple que possible pour composer avec cette réalité. Récemment, on a observé une tendance à délaisser la souplesse et à favoriser la rigidité au sein du système. Il y a eu une augmentation du nombre de peines minimales obligatoires. Il y a eu des restrictions quant à l'utilisation d'outils précieux de détermination des peines, comme les ordonnances de sursis, et il peut être très difficile de régler un cas, bien souvent, si quelqu'un sait qu'on cherche à obtenir une peine minimale obligatoire. Les peines minimales obligatoires peuvent s'appliquer à un comportement auquel on ne penserait pas d'emblée, si on ne travaille pas en première ligne.

Par exemple, l'un des plus anciens dossiers de mon cabinet actuellement concerne un incident dans lequel est impliqué un Autochtone âgé de 18 ans qui a été accusé d'agression sexuelle armée sur une personne âgée de moins de 16 ans. Cela entraîne une peine de cinq années. Lorsque la plupart des gens entendent parler de cette infraction, ils pensent à quelque chose comme le véritable viol d'un enfant à la pointe d'un couteau, ou quelque chose du genre, et la plupart des gens ne seraient pas en désaccord avec l'imposition d'une peine minimale de cinq ans pour ce type de comportement.

Toutefois, voici les faits allégués : un garçon âgé de 18 ans, sans antécédents, laissé seul pour un court moment avec une fillette âgée d'environ 10 ans aurait, selon la fillette, pris une roche dans sa main et dit : « Bouge pas sinon je vais te frapper avec cette roche. » Il aurait ensuite glissé sa main dans le pantalon de la jeune fille, mais par-dessus ses sous- vêtements, puis elle a bougé et s'est enfuie. S'il avait dit : « Je vais te donner un coup de poing si tu bouges », il n'y aurait pas eu de peine minimale obligatoire. Il aurait peut-être été condamné à six ou neuf mois, ou peut-être à un an de prison, pour cette infraction. Mais puisqu'il est accusé de l'avoir fait avec une roche, qui est une arme selon le Code criminel, cela donne lieu à une peine minimale de cinq ans.

Cela fait en sorte qu'il est pratiquement impossible de régler ce cas avant le procès, même si je suis convaincu qu'il devrait en être ainsi. Je suis certain que cette jeune fille ne veut pas témoigner, un Autochtone âgé de 18 ans et relativement peu éduqué ne veut probablement pas témoigner, mais, puisque la peine minimale est de cinq ans, c'est le genre de dossier qui se rend jusqu'au procès.

En quelques mots, je soutiens tout ce qu'a dit Suzanne au sujet du financement de l'aide juridique. Les choses allaient si mal en Alberta il y a un an et demi environ que nous voyions sans cesse ce qu'on qualifie de demandes Rowbotham, soit des demandes visant l'obtention des services d'un avocat commis d'office présentées par des personnes qui, dans de nombreux cas, étaient sous le seuil de la pauvreté, mais ne répondaient pas aux critères énoncés dans les lignes directrices sur l'admissibilité financière à l'aide juridique.

À Edmonton et à Calgary, il y avait un tribunal qui ne traitait que ces demandes. Les juges et les procureurs exécutaient des tâches qui incombaient habituellement aux agents d'aide juridique : « L'infraction est-elle grave? Quel est votre salaire? Quelles sont vos dépenses? » Tout cela était débattu lors d'une audience publique. C'était terriblement inefficace, et, encore une fois, sauf s'il y a une injection massive de fonds dans l'aide juridique, ce type de problème persistera. Merci.

Le président : Merci. Madame Keelaghan.

Margaret Keelaghan, avocate générale principale, Calgary Legal Guidance : Merci, mesdames et messieurs. J'apprécie d'avoir la possibilité de m'exprimer au nom de Calgary Legal Guidance. Je ne veux pas répéter quoi que ce soit qui a déjà été dit, mais permettez-moi de déclarer que je soutiens les commentaires de Suzanne, de même que les commentaires de mes amis M. Johnson et M. Savage.

J'ai fait carrière comme avocate de la défense en droit criminel, mais je travaille actuellement pour une organisation sans but lucratif. Nous offrons divers services juridiques à des Calgariens qui sont socialement et économiquement défavorisés.

Aujourd'hui, je vais tenter de m'en tenir aux questions qui concernent les personnes qui ont des démêlés avec le système de justice pénale et qui vivent des problèmes de pauvreté et de marginalisation.

Je vais brièvement répéter les commentaires qu'a formulés M. Johnson au sujet de la détention avant procès parce que, comme je l'explique dans mon mémoire, c'est une question très importante avec laquelle nous devons composer, particulièrement en Alberta. Je sais que vous avez déjà vu les statistiques, mais je vais en reparler brièvement. Le taux de personnes accusées détenues avant le procès a triplé au cours des 30 dernières années, et la proportion de détenus condamnés par rapport aux accusés en détention provisoire a complètement changé au cours de la dernière décennie.

Actuellement, on peut constater que les procureurs qui demandent fréquemment la mise en détention de personnes accusées ayant des antécédents criminels. Il s'agit souvent de personnes défavorisées, et il n'y a aucune uniformité dans les politiques qui régissent l'exercice du pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il faut procéder à la mise en détention. De plus, les dispositions législatives en matière de révocation du cautionnement sont très fréquemment utilisées dans les tribunaux en Alberta par les procureurs de la Couronne.

Cela fait en sorte qu'il y a un très grand nombre de personnes accusées qui sont détenues avant la tenue de leur procès. Nous observons qu'une réelle pression est exercée au chapitre des accusés détenus qui se disputent les dates de procès les plus rapprochées, laissant ceux en liberté provisoire attendre de longues périodes avant leur procès.

L'autre répercussion que nous pouvons constater de ce nombre élevé de prisonniers en détention préventive, c'est une augmentation du nombre de plaidoyers de culpabilité; les personnes accusées peuvent donc régler leur cas et pratiquement sortir de prison. Cela peut sembler être une issue appropriée ou positive, mais ce qui se passe en fait, c'est que les personnes accusées en détention plaident coupables dans des situations où elles disposent d'une défense valide et viable, fondée sur une violation de la Constitution et de la Charte, ou qu'il existe un nombre insuffisant d'éléments de preuve pour obtenir une condamnation.

Cela entraîne donc un cercle vicieux où des personnes accusées finissent par avoir un casier judiciaire qui ne cesse de s'allonger, ce qui fait qu'elles auront moins de chances d'obtenir une mise en liberté provisoire la prochaine fois qu'elles se retrouveront en détention. Comme vous l'avez entendu, cela exerce une énorme pression sur le système et occasionne des retards.

Cela est particulièrement vrai des délinquants autochtones. C'est en Alberta que le taux d'incarcération de délinquants autochtones est le plus élevé, et c'est aussi la province où il y a le moins de services qui leur sont destinés.

Calgary Legal Guidance est très favorable à l'augmentation du nombre de programmes de surveillance des personnes en liberté sous caution comme ceux qu'offre la Société John Howard Society dans un certain nombre d'administrations afin de réduire le nombre de délinquants en détention provisoire.

Nos mémoires abordent quelques-unes des questions liées aux détenus condamnés. Encore une fois, je reprends les observations de M. Johnson au sujet du nombre croissant de restrictions touchant les solutions de rechange aux peines. Nous soutenons pleinement l'annulation de certaines modifications entrées en vigueur en 2007 et en 2012 qui limitent le recours à des peines avec sursis.

Les peines avec sursis sont une solution de rechange à l'incarcération qui s'est avérée très efficace et qui a réduit le taux de récidive. Encore une fois, si moins de gens faisaient appel au système de justice pénale, les délais seraient plus courts. Nous sommes très favorables à l'annulation de certaines de ces modifications, de même que celles qui concernent les peines minimales obligatoires.

Encore une fois, je suis d'accord avec mon ami M. Johnson au sujet de l'effet qu'ont ces types de dispositions restrictives concernant la détermination de la peine sur les délais dans le système de justice pénale. De façon empirique, nous constatons que beaucoup plus de personnes accusées se rendent à l'étape du procès parce qu'elles sont peu enclines à consentir à un règlement lorsqu'il n'y a pas de solution de rechange possible, comme une peine avec sursis, ou qu'elles font face à des peines minimales obligatoires très lourdes.

Le président : Je dois vous demander de conclure.

Mme Keelaghan : Merci. En ce qui concerne les accusés qui se représentent eux-mêmes, j'ai brièvement abordé, dans mes mémoires, quelques dispositions novatrices qui sont en vigueur à Calgary. Calgary Legal Guidance a pris part au projet de confirmation de l'instruction, qui est un projet bénévole dirigé par des avocats bénévoles et des étudiants qui aident les accusés non représentés à régler leur cas avant de comparaître devant le tribunal. Cela a permis de réduire de façon considérable le nombre d'affaires abandonnées le jour où le procès doit se tenir.

Dans mes mémoires, j'aborde également le fait que nous soutenons l'augmentation du nombre de programmes de déjudiciarisation et de tribunaux communautaires comme moyen de réduire le taux de récidive.

Merci, monsieur.

Le président : Merci. Nous allons commencer la période de questions par le vice-président, monsieur le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci à tous les témoins de vos mémoires aux fins du compte rendu dont nous tiendrons compte au moment de la rédaction de notre rapport, auquel le gouvernement doit répondre dans un certain délai.

Ma question, la seule que j'ai le temps de poser, est mise en lumière par le fait que le juge en chef de la Cour supérieure était ici plus tôt. Il a mentionné, dans son exposé, que je n'avais pas encore lu... J'ai soulevé un certain nombre de cas, dont un, survenu récemment, le 1er septembre, ici en Alberta, qui a été rejeté en vertu d'une disposition prévue à l'alinéa 11b) de la Charte, et le juge en chef a mis en lumière l'une des phrases qu'a prononcées le juge de première instance.

Mais je pensais à une autre phrase du juge de première instance, celle où il mentionne l'obligation de communication découlant de l'arrêt McNeil — et vous savez tous en tant qu'avocats de la défense ce qu'est cette obligation — le juge de première instance a dit qu'il y avait une culture de complaisance dans la province de l'Alberta au sujet de cette obligation de communication.

La question générale que je vous pose est la suivante : puisque l'obligation de communication semble être l'un des principaux problèmes causant des délais judiciaires au Canada, qu'y a-t-il de mal à exiger — et je sais qu'il y a des arguments qui vont à l'encontre de cela — que tous les documents qui doivent être utilisés au procès soient communiqués bien avant le procès, avant même qu'on vous demande de présenter les arguments fondés sur la Charte, avant le procès, que tous les éléments de preuve soient divulgués.

En d'autres mots, la police devra travailler immédiatement, aussitôt qu'une accusation est portée, et fournir les documents, y compris la levée des scellés sur les mandats, un mandat visé par l'article 186, qui doivent tous être communiqués de toute manière, mais vous devez présenter une demande à la cour pour que ce soit fait.

Y a-t-il quelque chose de mal à recommander que les documents soient communiqués avant le procès? La seule exception est la suivante : si les documents sont communiqués durant le procès, la Couronne doit prouver qu'ils n'étaient pas disponibles avant le procès et que toutes les mesures nécessaires ont été prises en vue de les obtenir. Est-ce mal de formuler cette suggestion? L'un des avocats de la défense en droit criminel veut-il répondre?

M. Savage : Je vais répondre.

Non, cette suggestion n'a rien de mal. L'obligation de communication générale existe. Le problème, ce sont les délais relatifs à l'obtention des documents, et aussi le fait que dans les affaires de grande envergure, les documents arriveront au compte-gouttes, et ce, malheureusement, y compris durant le procès.

Les avocats de la défense seront très certainement favorables au concept que vous avez défendu ou mentionné il y a un certain moment selon lequel, si la Couronne a l'intention de s'appuyer sur des éléments de preuve lors du procès, ces éléments doivent être communiqués avant un certain moment, et qu'il convient de justifier toute tentative de divulgation après cette date.

M. Johnson : Je suis d'accord avec vous. Selon la théorie qui sous-tend la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Stinchcombe, qui a autorisé la communication, tous les documents sont censés être divulgués avant le plaidoyer. C'est la théorie. Cela ne fonctionne pas toujours ainsi dans la réalité.

Parfois, ces problèmes peuvent être réglés par des juges qui font de la gestion de cas, des conférences avant procès; mais, de plus en plus, si des juges peuvent être nommés sans avoir beaucoup d'expérience en droit criminel, ils ne savent pas nécessairement quelle est la bonne question à poser, s'ils président un tribunal d'instruction ou quelque chose du genre, de façon à déceler ces problèmes à un stade précoce, pour que tout ne déraille pas durant le procès pour un problème de divulgation.

M. Savage : J'aimerais seulement ajouter que c'est le grand défaut du processus de communication actuel. Je ne veux pas insulter les procureurs de la Couronne, mais il n'y a aucune incidence directe sur la Couronne ou la police si la communication se fait le jour même du procès ou le jour avant. La défense obtient un ajournement, et la Couronne en porte l'odieux, pour ainsi dire. Mais dans les tribunaux provinciaux, en Alberta à tout le moins, selon mon expérience, votre procès se tiendra dans les 18 mois, les restrictions énoncées dans l'arrêt Jordan seront respectées, et il n'y aura donc pas de sursis.

Il pourrait y avoir des problèmes à la Cour du Banc de la Reine en raison de notre retard concernant la nomination des juges, dont vous avez déjà entendu parler, qui fait en sorte que des procès pour meurtre et d'autres procès sont prévus pour 2018. C'est à ce chapitre qu'il y aura des problèmes, les cas complexes présentés devant la Cour du Banc de la Reine. Toutefois, actuellement, il n'y a aucune conséquence qui pèse sur la Couronne ou la police pour les délais de communication, et je suis d'accord avec ce que vous proposez.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos exposés et d'avoir été présents aujourd'hui.

Je suis certain que vous avez tous entendu parler du modèle de carrefour en place à Prince Albert , et, d'ailleurs, dans son rapport daté du mois d'août de cette année, le comité fait allusion au modèle. Comme vous le savez, le modèle regroupe une équipe pluriorganisationnelle qui se consacre à la prévention de la criminalité en rassemblant des services de santé, des services sociaux, des services de police, des organismes d'éducation et d'autres services en un seul lieu.

Savez-vous si des modèles de carrefour sont utilisés par certaines collectivités de votre province et, si c'est le cas, pourriez-vous expliquer quels sont les bienfaits d'une telle approche pour la collectivité? Madame Blair, voulez-vous commencer?

Mme Blair : Je ne sais pas. Je n'ai pas de réponse à cet égard. Je ne suis pas au courant.

Mme Keelaghan : Je pourrais peut-être répondre, monsieur le sénateur. Je ne suis pas au courant d'un modèle semblable à celui de Prince Albert en Alberta.

Encore une fois, dans mes mémoires, je fais mention du soutien que nous offrons aux tribunaux communautaires. Il y a un avocat à mon bureau qui prend part à une étude des tribunaux communautaires à l'échelle du Canada et des États-Unis. Des modèles semblables sont en place aux États-Unis, et nous prônons certainement l'instauration de tels modèles en Alberta, où des gens accusés d'infractions mineures et d'infractions au Code de la route sont en mesure de se présenter devant le tribunal, un tribunal de quartier ou un tribunal communautaire, où les gens ont accès à un certain nombre de services différents qui peuvent les aider à affronter des problèmes comme la toxicomanie ou les problèmes de santé mentale. C'est presque comme un guichet unique, mais le tribunal est également en mesure de régler les crimes mineurs et les infractions au Code de la route. Encore une fois, cela a pour effet de raccourcir les délais en désengorgeant le système. Toutefois, comme je l'ai dit, à ma connaissance, il n'y a pas de modèle semblable au modèle de carrefour en Alberta.

Mme Polkosnik : Moi non plus, mais je peux affirmer que, au moyen de Legal Aid Alberta, nous faisons quelque chose qui est très différent du modèle du carrefour, mais nous tentons de jumeler des activités de représentation en justice avec des activités que l'on pourrait considérer comme relevant davantage du travail social.

Dans nos bureaux où sont offerts des services de représentation en justice aux jeunes délinquants, nous avons des travailleurs auprès des jeunes qui collaborent avec nos avocats et nos clients afin d'aider à trouver une solution à certains autres problèmes auxquels les jeunes pourraient être confrontés, qui ne sont pas nécessairement de nature juridique, mais qui ont une incidence sur le résultat du processus judiciaire.

Un travailleur social collabore avec un avocat et aide à coordonner tous les services, fournis par d'autres systèmes, dont un jeune est bénéficiaire, y compris des services de protection de l'enfance, des services fournis par le système d'éducation et par différents professionnels de la santé, ainsi que des services de consultation en toxicomanie, afin de tenter de réunir tous ces services de soutien et d'offrir une certaine approche coordonnée.

Toutefois, ces activités ne sont menées que dans nos bureaux d'Edmonton et de Calgary. Elles sont seulement liées aux cas de représentation en justice de jeunes délinquants et ne sont menées que dans nos bureaux et n'ont pas été étendues davantage. C'est l'approche la plus près du modèle du carrefour que nous avons réussi à mettre en place au sein de Legal Aid Alberta.

Le sénateur McIntyre : Très bien.

Le président : Je crois que je devrais mentionner que les membres du comité ont visité le tribunal communautaire plus tôt aujourd'hui. Nous avons tous été très impressionnés par son fonctionnement, mais nous avons certaines questions concernant ses incidences sur les délais judiciaires.

La sénatrice Jaffer : Depuis le début de la présente étude — je vous regarde, monsieur Savage et monsieur Johnson, et vous aussi, madame Polkosnik — tout est de votre faute. Partout, nous avons entendu que c'est la faute des avocats de la défense. Toute la journée aujourd'hui nous avons entendu que tout est de votre faute, et, pour avoir été avocate de la défense moi-même, chaque fois que j'entends ce commentaire, cela me fait grincer des dents.

Je vous le dis, et ce n'est pas nouveau pour vous — je vais commencer par vous, à titre de présidente et chef de la direction de Legal Aid Alberta —, aujourd'hui même, nous avons entendu dire que les avocats de l'aide juridique veulent absolument comparaître devant le tribunal, parce qu'ils ne reçoivent que 100 $ s'ils représentent leurs clients à une audience sur la libération sous caution ou à une audience pour la détermination de la peine. Vous savez de quoi je parle — le président ne m'accorde qu'une période de temps limitée —, et je me demande simplement, ayant déjà travaillé comme avocate à l'aide juridique et connaissant ce type de service, je sais qu'on ne se réveille pas la nuit pour se demander comment faire pour facturer davantage Legal Aid Alberta ou comment prolonger une affaire. Voici ce que je veux dire : n'est-il pas possible de discuter avec les avocats de la défense — je sais que vos ressources financières sont limitées — et d'en arriver à une meilleure façon de rémunérer les avocats de la défense afin de surmonter cet obstacle et d'examiner les façons de travailler de manière plus efficace, au lieu de s'en tenir seulement à l'idée que les avocats de la défense facturent leurs services et que c'est ce qui explique les longs délais? Je suis certaine que vous avez déjà entendu des commentaires semblables; ce n'est pas nouveau pour vous.

Mme Polkosnik : Assurément, quoique Legal Aid Alberta ne souscrit pas au point de vue selon lequel il s'agit d'un problème créé par les avocats de la défense. Nous savons très bien que le système, du moins en Alberta, repose, pas entièrement, mais en grande partie, sur nos avocats de la défense, qui sont constamment obligés, en raison de notre régime de tarification et des innombrables restrictions qu'il comporte, de compenser notre incapacité de payer en faisant du bénévolat. Donc, même s'il existe des problèmes liés à certains codes de facturation, pour ainsi dire, liés à certaines tâches de routine, de façon générale, Legal Aid Alberta ne considère pas que l'organisme paie trop ses avocats ou qu'il reçoit des factures indues pour les services fournis par les avocats de la défense.

La sénatrice Jaffer : Non, cela ne m'inquiète pas du tout. Ce n'est pas ce qui me préoccupe. C'est la perception qu'une des raisons, pas la seule raison, tient au fait que les avocats de la défense ont l'habitude de se présenter à la cour, et que chaque fois qu'ils se présentent à la cour — je ne tente pas d'être désinvolte, je veux seulement le souligner —, ils reçoivent 100 $, donc cela devient machinal en quelque sorte. Franchement, je trouve ce genre de remarque offensante, et, de plus, ce n'est pas la vérité.

Mme Polkosnik : Je suis désolée; j'avais mal compris. Selon notre grille tarifaire et notre mandat, ce type de dépense n'est pas permis. Nous examinons avec attention les raisons des remises. S'il s'agit d'une pratique motivée par les intérêts des avocats de la défense, la dépense n'est pas admissible selon nos règles tarifaires.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Monsieur Savage et monsieur Johnson, hier, quand nous étions à Vancouver, nous avons entendu dire quelque chose que je sais depuis toujours — et j'arrive en fin de carrière —, soit que les avocats n'ont pas, comme les médecins, le réflexe de former de jeunes avocats, du moins pas autant que les médecins le font dans leur domaine, enfin, c'est ce que j'ai toujours cru.

Vous êtes tous les deux très engagés. Vous êtes présents ici à titre bénévole. Quelle mesure croyez-vous que nous devrions mettre en place pour soutenir les seuls intervenants qui ne reçoivent pas de fonds gouvernementaux relativement à la formation, qui s'occupent seuls de toute la formation, qui font beaucoup de bénévolat s'ils acceptent de fournir des services d'aide juridique, parce que ces services ne sont pas rémunérés de façon adéquate? Que croyez- vous que nous pouvons faire pour aider à réduire les délais dans le système juridique afin de renforcer la communauté des juristes?

M. Savage : Si vous parlez des systèmes d'éducation internes, honnêtement, la technologie a été notre meilleure alliée. Maintenant, nous avons, de même que la plupart des associations des avocats de la défense, un serveur de liste interne auquel peuvent s'inscrire les membres afin d'obtenir de la formation gratuite de la part de leurs collègues au moyen de courriels quotidiens, pour tout dire.

Pour ce qui est des séances de formation offertes au pays, je participe à nombre d'entre elles. Les frais de déplacement pour se rendre aux différents lieux de formation sont importants. S'il existait un crédit d'impôt à l'intention des avocats qui sont des travailleurs autonomes et des professionnels participant à ce genre de séance de formation, cela aiderait aussi. Mais, honnêtement, je crois que la technologie a grandement augmenté les possibilités pour les avocats débutants de recevoir de l'aide et de la formation.

La sénatrice Jaffer : Hier, les avocats plaidants de la Colombie-Britannique ont dit qu'il n'y a pas assez de jeunes avocats qui sont présents à la cour. Ils ont affirmé qu'il n'y a pas de meilleure expérience que celle où un avocat expérimenté amène un avocat débutant à la cour et que c'est ce qu'il manque pour réussir à former de meilleurs avocats.

M. Savage : Au cours de mes 29 années passées comme avocat, j'ai pu constater qu'il est extrêmement difficile pour de jeunes avocats d'obtenir un poste de stagiaire en droit s'ils souhaitent faire un stage dans le domaine du droit pénal ou de la défense en droit pénal. C'est tout simplement difficile parce qu'il s'agit d'un système privé. La plupart des avocats de la défense ne gagnent pas beaucoup d'argent et, en conséquence, ne sont pas en mesure de payer les frais liés à un stagiaire.

Les ordres des avocats sont de plus en plus souples et permettent aux stagiaires en droit de partager leur temps entre divers maîtres de stage, et cela aide un peu.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Mme Polkosnik. Depuis ce matin, on a beaucoup parlé des enfants. Nous avons visité le centre Sheldon Kennedy. Je vous rappelle que le 23 juillet 2015, le gouvernement de M. Harper a promulgué la Charte canadienne des droits des victimes, qui prévoit que les victimes ont droit à de l'information, à de la protection, et qu'elles peuvent participer au processus judiciaire. Elles ont droit aussi au dédommagement.

Les victimes sont-elles suffisamment renseignées au sujet du système de justice pénale, du rôle qu'elles peuvent y jouer, des services et des programmes auxquels elles ont droit, et des plaintes qu'elles peuvent déposer en ce qui concerne la violation d'un droit prévu à la Charte canadienne des droits et libertés? Selon vous, ici en Alberta, y a-t-il quelqu'un qui informe les victimes de leurs droits? Est-ce que cela varie selon les provinces?

[Traduction]

Mme Polkosnik : Assurément, en ce qui concerne les enfants, un des commentaires formulés par un témoin précédent soulignait combien il est fréquent que les victimes et les accusés deviennent au bout du compte une seule et même personne et que les personnes qui ont été des victimes deviennent des contrevenants. Bien sûr, nous constatons que c'est très souvent le cas parmi la clientèle de jeunes à laquelle Legal Aid Alberta offre des services.

Je suis en mesure d'affirmer que Legal Aid Alberta se concentre de façon presque exclusive, en raison de son mandat, sur la représentation en justice des accusés. L'organisation n'a pas comme mandat d'offrir des services aux victimes.

Cela dit, dans le cadre de nos programmes, et cela est vrai au sein de notre bureau offrant des services de représentation en justice aux jeunes contrevenants, de même que dans notre bureau offrant des services en droit de la famille, où nous offrons aussi les services de travailleurs sociaux, le personnel traite bien souvent des problèmes touchant les victimes parce qu'ils suivent de près les personnes qui sont confrontées aux mêmes problèmes que les contrevenants eux-mêmes ou les accusés.

Il s'agit donc d'un aspect de notre travail, mais nous nous concentrons vraiment sur les accusés, en dépit du fait qu'ils ont peut-être été, à un certain moment, des victimes. Il ne s'agit pas d'activités auxquelles Legal Aid Alberta participe directement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci.

Avez-vous un commentaire à faire, monsieur Savage?

[Traduction]

M. Savage : Tous les organismes de la Couronne, à tous le moins les gros bureaux en Alberta que je connais — je ne sais pas ce qu'il en est des plus petits bureaux — ont une unité de service aux victimes, qui existe depuis de nombreuses années et dont le personnel est responsable d'assurer la liaison entre les victimes et différents organismes dans la collectivité et est habilité à le faire. Personnellement, je ne connais pas ces activités. Je suis un avocat de la défense, et non un procureur, mais ces bureaux existent en Alberta depuis des décennies.

M. Johnson : Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, ce que M. Savage a dit est vrai. Selon mon expérience, il existe des services aux victimes. On inscrit même une note à ce sujet dans le dossier. Un agent de police demandera à la victime, en première ligne, si elle souhaite obtenir du soutien et du suivi des services aux victimes, et cela est noté dans la déclaration qui est transmise aux avocats de la défense.

Quant à la question de savoir si les victimes sont pleinement renseignées à propos de l'évolution de l'affaire, parfois, elles ne le sont pas autant qu'elles le devraient, parce que le système judiciaire actuellement, en ce qui concerne les restrictions touchant les outils d'imposition des peines et les peines minimales, manque tellement de souplesse que, parfois, nous devons le contourner. Parfois, des ententes sont conclues entre les procureurs et les avocats de la défense, par exemple, pour modifier une accusation afin qu'une personne ne soit pas visée par une peine minimale, parce que le procureur convient que cela serait injuste.

Nous nous présentons devant le tribunal, et la victime se demande probablement pourquoi une accusation réduite est portée. Au lieu que la victime soit présente à l'audience et entende les observations des deux parties et comprenne les motifs pour lesquels un juge pourrait décider qu'une peine en particulier est appropriée, ou ne l'est pas, cela est décidé au cours de négociations entre la Couronne et la défense, derrière des portes closes, parce que le système n'est vraiment pas flexible en ce moment.

Le sénateur Dagenais : Merci.

Le président : Ma question porte sur le thème « c'est entièrement de votre faute ».

Mme Keelaghan a mentionné que le nombre de personnes détenues de façon préventive a augmenté. Croyez-vous qu'il existe un lien, et je m'adresse en particulier aux avocats de la défense, entre les incidences de la prise en compte du temps passé en détention préventive préalable au procès sur les délais et le problème de surpopulation?

Mme Keelaghan : C'est drôle que vous me posiez cette question. Je réfléchissais à cela pendant la fin de semaine. Au départ, quand les modifications ont été apportées au Code criminel afin de limiter la période passée sous garde pouvant être prise en compte dans le cas d'un accusé ayant été détenu de façon préventive, j'ai cru comprendre que ces modifications étaient apportées entre autres parce qu'on avait l'impression que des personnes accusées restaient en détention préventive et laissaient cette période s'allonger afin que le double ou le triple soit retranché d'une peine d'emprisonnement.

Toutefois, si vous examinez les statistiques à cet égard, vous constaterez que, depuis l'entrée en vigueur de ces modifications, les taux de détention préventive ont continué d'augmenter et, en fait, ont continué d'augmenter à un rythme important. Si les nouvelles dispositions visaient à régler ce problème, c'est un échec.

Pendant mes années en cabinet privé, jamais un client ne m'a dit : « Laissez-moi patienter dans le centre de détention, où je suis logé avec deux autres personnes, où aucun programme ne m'est offert, afin que je puisse accumuler un peu plus de jours avant de plaider coupable. » C'est un non-sens.

Le président : Je tiens pour acquis que vous partagez tous ce point de vue.

Je souhaite poser quelques autres questions rapidement concernant l'augmentation du nombre d'accusations et l'abus d'accusations. Certains médias en Ontario ont récemment fait état du nombre important de sursis accordés. L'auteur de l'article mentionnait parmi les raisons principales l'abus d'accusations de la part des agents de police, le pouvoir discrétionnaire de la police et des préoccupations concernant la négociation de plaidoyers, ou peu importe les raisons, l'aversion au risque, nous ne savons pas vraiment. Constatez-vous ce genre de choses en Alberta? Existe-t-il un problème à cet égard? Votre système est semblable à celui de l'Ontario en ce qui concerne le dépôt d'accusations.

M. Johnson : Oui, j'estime que c'est un problème. C'est en partie causé par un certain nombre de modifications apportées au Code criminel afin de créer des infractions très précises pour des gestes qui étaient déjà visés par des dispositions plus générales.

Par exemple, la possession d'un bien volé a toujours été un crime. Récemment, on a précisé que la possession de pièces d'identité volées, ou de véhicules à moteur ou d'autres choses, est une infraction distincte.

En conséquence, dans le cas d'une personne qui se fait prendre dans un véhicule en possession de nombreuses pièces d'identité, auparavant, celle-ci aurait probablement été accusée de possession de biens volés d'une valeur inférieure à 5 000 $; cette même personne verrait maintenant 35 chefs d'accusation pour possession de pièces d'identité volées être portés contre elle, soit un chef d'accusation pour chaque carte de crédit ou pièce d'identité volée qui a été trouvé dans le véhicule.

Pour les procureurs, la preuve à fournir est beaucoup plus compliquée. En cas de procès, ils doivent présenter des éléments de preuve pour chaque chef d'accusation. C'est beaucoup moins efficace. À mon avis, ces modifications législatives n'étaient vraiment pas nécessaires, parce que le même geste était déjà visé par une disposition générale concernant les biens volés.

Le président : Le sénateur Baker me faisait remarquer plus tôt, et il peut apporter des précisions, que le nombre d'accusations liées à des crimes violents et à des infractions contre les biens a chuté de façon extraordinaire en Ontario.

Le sénateur Baker : L'Ontario a le plus faible taux de crimes violents par habitant au Canada.

Le président : Je souhaite obtenir vos commentaires très rapidement. Nous avons entendu des témoignages, de même que des commentaires au Sheldon Kennedy Centre et aussi de la part de M. Kennedy, concernant l'utilité des enquêtes préliminaires. De toute évidence, il est très favorable à l'élimination des enquêtes préliminaires dans le cas de violence faite aux enfants. J'aimerais simplement entendre vos commentaires concernant cette proposition. Vous pouvez tous vous exprimer.

M. Savage : C'est un sujet très complexe. Le système judiciaire repose sur une défense diligente et éthique pour toute personne accusée. De toute évidence, nous jouons un rôle essentiel dans le système judiciaire, tout comme le juge, le procureur et la police. Cela pose problème à de nombreuses personnes, mais c'est le fondement de notre système de justice pénale moderne, et je ne crains pas de le défendre.

Dans le cadre de ce rôle, nous sommes appelés à contre-interroger des témoins mineurs, et, tant que ces infractions sont prévues dans les lois et que des accusations sont déposées, inévitablement, les avocats de la défense contre-interrogeront des enfants. Ce sont les règles du jeu.

Le président : Je ne remets pas cela en question, mais nous discutons des enquêtes préliminaires.

M. Savage : Je comprends. En ce qui concerne les enquêtes préliminaires, je vais continuer d'appuyer cette procédure parce qu'elle est encore utile. Les enquêtes préliminaires aident la Couronne et la défense à cerner les véritables questions et, au bout du compte, elles permettent encore de gagner du temps et de réduire les délais en évitant un procès lorsque ce n'est pas nécessaire. Une enquête préliminaire de trois jours est préférable à un procès de trois semaines.

M. Johnson : Je suis d'accord. De plus, j'ajouterais que, bien souvent, dans le cas de témoins mineurs, les déclarations faites aux agents de police sont plutôt vagues. Les policiers leur disent : « Quelque chose t'est arrivé. Peux- tu nous expliquer ce qui s'est passé? » Les allégations de l'enfant ne sont pas toujours parfaitement claires.

Par exemple, en ce qui concerne les agressions sexuelles, il y a une grande différence entre ce que les tribunaux en Alberta qualifient d'agression sexuelle grave, ce qui suppose une forme quelconque de pénétration, et ce qu'ils qualifient de contacts sexuels, soit des attouchements par-dessus les vêtements ou quelque chose de cet ordre. Parfois, le procureur et l'avocat de la défense peuvent tous les deux croire qu'un enfant laisse peut-être entendre que c'est une agression sexuelle avec pénétration complète qui a eu lieu.

Une enquête préliminaire a lieu; vous posez quelques questions à l'enfant, vous pouvez préciser que ce n'est pas ce que l'enfant allègue. Bien souvent, une enquête préliminaire peut faciliter le règlement d'une affaire avant la tenue d'un procès. Selon moi, elles sont très utiles.

Le président : Je souhaite approfondir le sujet. Je suis convaincu que nous tiendrons d'autres audiences. Ce n'est pas possible de le faire aujourd'hui. Il reste assez de temps pour que le sénateur Baker puisse poser une dernière question rapidement.

Le sénateur Baker : En ce qui concerne les juges qui sont chargés d'un procès et qui ont la responsabilité d'entendre tous les arguments préalables au procès, de faire la mise au rôle, et ainsi de suite, quand vous examinez les règles de procédure, par exemple les règles de procédure au civil ou les règles de procédure des instances fédérale, vous constatez qu'il existe des mécanismes pour décharger les juges de beaucoup de ces responsabilités. Il existe dans le système judiciaire fédéral des protonotaires, et, si un argument fondé sur la Charte est invoqué, ils l'instruisent; ils se chargent même des questions interlocutoires et prennent des décisions. Ces décisions sont susceptibles d'appel.

Pendant notre rencontre avec des juges, nous avons posé cette question, et les juges de tribunaux fédéraux ont affirmé qu'il serait possible d'avoir recours à des protonotaires et que ces procédures pourraient être appliquées au système de justice pénale. Dans les affaires au civil, il existe des conférences de règlement, et ainsi de suite, qui sont utiles pour trancher l'affaire pour rendre une décision définitive.

Croyez-vous qu'il serait possible de copier le concept et de faire entendre les arguments préalables au procès, les arguments fondés sur la Charte, ou quoi que ce soit d'autre, par des protonotaires pour soulager de ses responsabilités le juge auquel le procès a été attribué, ou de recourir à toute autre procédure au civil qui pourrait permettre d'alléger les responsabilités du juge pendant de longs procès?

M. Savage : Une telle procédure est déjà prévue dans le Code criminel en ce qui concerne les mégaprocès; ce que vous proposez consiste donc à appliquer cette procédure à d'autres procès, ou peut-être à tous les procès. Sur le plan théorique, je n'ai pas d'objection à l'égard de ce processus, pourvu que, bien sûr, la décision d'y avoir recours soit prise par le juge à l'enquête préliminaire, pour ainsi dire, le juge initial...

Le sénateur Baker : Qui n'est pas un juge du tout; il s'agit plutôt d'un avocat ayant beaucoup d'expérience, comme vous.

M. Savage : Certainement. Merci de mousser ainsi ma carrière. Quoi qu'il advienne, pourvu que ces décisions soient susceptibles d'appel...

Le sénateur Baker : Devant le juge de première instance.

M. Savage : ... devant un tribunal d'appel.

Le sénateur Baker : Devant le juge de première instance. Il n'est pas possible de trancher une question interlocutoire...

M. Savage : Il faudrait attendre la fin du procès pour déposer un appel devant la cour d'appel.

Le sénateur Baker : Oui, ce serait le point négatif. Êtes-vous d'accord?

M. Johnson : Je crois que les inconvénients pourraient être plus importants que les avantages.

Le sénateur Baker : Vraiment.

M. Johnson : Dans la mesure où il faudrait respecter un nouvel ensemble de politiques et de procédures, et où des choses devront être présentées à l'avance... en cas de contestation, si vous n'êtes pas d'accord avec la décision rendue, il se pourrait que vous deviez attendre jusqu'à la fin du procès, et l'appel ne viserait pas le procès...

Le sénateur Baker : Il faut attendre la fin du procès de toute façon. Il n'est pas possible d'interjeter appel pendant le procès devant le juge de première instance.

M. Johnson : Non, ce n'est pas possible.

Le sénateur Baker : Il faut attendre, donc votre argument ne tient pas la route.

M. Johnson : Toutefois, selon moi, compte tenu du fait que la procédure existe déjà dans le cas des mégaprocès, je crois qu'elle peut procurer certains avantages, mais que le fait d'ajouter des règles, des politiques et des procédures à respecter peut prolonger les délais au lieu de les raccourcir. Par ailleurs, au lieu d'avoir à respecter des procédures et des règles compliquées, bien souvent, la façon la plus efficace de régler une affaire est de tenir une conférence préparatoire présidée par un juge d'expérience qui peut demander au procureur et à l'avocat de la défense : « Quel est l'essentiel du cas? » et dire : « Voici comment je vois les choses. Du côté de la défense, votre position ne semble pas très solide, à mon avis. Peut-être y a-t-il lieu de la revoir », ou « Du côté de la Couronne, je vois des faiblesses sur cet aspect. Peut-être devriez-vous revoir le dossier et réfléchir à cela. » Bien souvent, ce genre de conférence s'avère très efficace pour faciliter le règlement, tout en ne prenant qu'une fraction du temps qui aurait probablement été consacré aux questions interlocutoires présidées par les fonctionnaires de justice.

Je proposerais de privilégier le bon sens et j'affirmerais qu'il est préférable de tenir des conférences de gestion des cas, des conférences préalables au procès présidées par des juges d'expérience qui sont en mesure d'aller au fond d'une affaire très rapidement.

Le président : C'est une bonne chose que nous arrivions à la fin de la période allouée. Je crois que vous êtes en train d'agiter un drapeau rouge.

Je vous remercie tous d'être venus et d'avoir consacré une partie de votre temps à nous aider dans nos délibérations. Nous en sommes très reconnaissants.

(La séance est levée.)

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