Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 12 - Témoignages du 29 septembre 2016
SASKATOON, le jeudi 29 septembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 12 h 23, pour poursuivre son étude sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue, chers collègues et invités.
Chers collègues, plus tôt cette année, le Sénat a autorisé le comité à examiner, pour en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale du Canada et les rôles que jouent le gouvernement du Canada et le Parlement pour corriger la situation. Nous en sommes à notre vingt et unième réunion sur cette étude.
Pour la première heure, nous sommes très heureux d'avoir parmi nous, du Service de police de Saskatoon, le chef Clive Weighill et, de la Saskatchewan Crown Attorneys Association, Kelly Kaip, présidente. Merci à tous les deux d'être ici aujourd'hui.
Clive Weighill, chef, Service de police de Saskatoon : Je remercie le comité de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui.
J'ai lu avec grand intérêt votre rapport provisoire intitulé Justice différée, justice refusée — l'urgence de réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada. Comme le comité le sait fort bien, les longs délais judiciaires sont un problème partout au Canada, tant dans les tribunaux fédéraux que provinciaux. Pour nous préparer, nous avons fait un échantillonnage au hasard dans trois catégories de crime : introduction par effraction, trafic de cannabis, de méthamphétamine et de cocaïne, et vol qualifié et vol à main armée. Nous avons examiné 90 dossiers où l'accusé a été arrêté immédiatement après avoir commis l'infraction pour éviter tout délai lié à l'enquête.
Dans la catégorie des introductions par effraction, le nombre moyen de comparutions devant les tribunaux était de 9, 20 étant le nombre le plus élevé. Le nombre moyen de jours entre la condamnation et la fin des procédures était de 174, le nombre le plus élevé étant 470 jours.
Dans la catégorie du trafic, le nombre moyen de comparutions était de 10, 27 étant le nombre le plus élevé. Le nombre moyen de jours entre la condamnation et la fin des procédures était de 181 jours, le nombre le plus élevé étant 775 jours.
Dans la catégorie des vols qualifiés et des vols à main armée, le nombre moyen de comparutions était de 11, 26 étant le nombre le plus élevé. Le nombre moyen entre la condamnation et la fin des procédures était de 203, le nombre le plus élevé étant 646 jours.
Même si j'ai fourni quelques statistiques liées aux comparutions devant les tribunaux, j'estime que bon nombre des solutions ne passent pas par la mécanique des tribunaux. J'attire votre attention sur les questions macrosociales auxquelles sont confrontés les tribunaux et l'ensemble du système de justice, qui augmente considérablement le nombre de personnes qui comparaissent devant la Cour fédérale. Si nous pouvions réduire le nombre de personnes qui comparaissent en cour, nous réduirions également l'arriéré et les délais.
Si nous ne réduisons pas l'utilisation des tribunaux, nous n'arriverons pas à répondre à la demande. Dans cette veine, je vais parler de trois facteurs : la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale, la réduction de l'entrée de jeunes contrevenants dans le système de justice pénale par l'entremise de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, et la réadaptation et la transition entre les établissements correctionnels et un milieu sans détention.
En ce qui concerne le premier point, à savoir la prévention des activités criminelles, le comité a déjà mentionné la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale. Je dirais au comité que l'un des facteurs importants est la marginalisation à laquelle les Autochtones sont confrontés dans notre province. Malheureusement, un pourcentage important d'Autochtones vivent dans la pauvreté et de mauvaises conditions de logement, et sont confrontés au racisme et aux effets résiduels du colonialisme, des pensionnats indiens et d'une Loi sur les Indiens contraignante. La situation de ces Autochtones qui vivent dans ces conditions est expliquée dans un manuel d'un criminologue qui fait le lien entre les activités criminelles, la marginalisation et les déterminants sociaux qui peuvent mener au crime.
J'encourage le comité à faire une observation dans son rapport final pour que le gouvernement fédéral investisse davantage dans des stratégies pour les Autochtones afin de les aider en leur offrant de meilleurs logements, une meilleure éducation et de meilleures possibilités d'emploi dans les Premières Nations et les milieux urbains.
Je crois qu'en Saskatchewan, la prévalence de la criminalité chez les jeunes est principalement tributaire de facteurs semblables, ce qui m'amène à mon deuxième point en lien avec la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Même si les jeunes ne comparaissent habituellement pas devant la Cour fédérale, s'ils ne reçoivent pas d'aide lorsqu'ils ont des démêlés avec le système de justice pénale pour la première fois, ils risquent de se tourner vers la criminalité à l'âge adulte.
Il y a des aspects positifs dans la LSJPA dans sa version actuelle et, parallèlement, plusieurs points problématiques. Certains croient que la LSJPA ne met pas suffisamment l'accent sur la dissuasion et les sanctions. Je vais contredire cette position. La LSJPA offre plusieurs options de sanctions extrajudiciaires. La police peut avoir recours aux avertissements, aux avertissements officiels, à la déjudiciarisation avant la mise en accusation et à la déjudiciarisation après la mise en accusation.
Le problème avec cette loi, c'est qu'il y a peu d'infrastructures pour que les sanctions extrajudiciaires puissent être appliquées efficacement. Nous n'avons pas de centres de traitement des dépendances pour les jeunes et nous n'avons que des options limitées en ce qui a trait aux programmes et aux stratégies sociales pour aider les jeunes à échapper à la marginalisation. Ce qui se produit inévitablement, c'est que les jeunes finissent par violer les conditions et doivent retourner dans le système de justice pénale. Dans bien des cas, placer un jeune délinquant dans un établissement pour jeunes ne fait que l'inciter à se tourner davantage vers la criminalité et le met à risque de commettre d'autres actes criminels à l'âge adulte.
Les possibilités d'intervention chez les jeunes peuvent offrir d'importants avantages pour la société et les jeunes. Le cas d'une personne en Saskatchewan qui, à l'âge de 24 ans, a commis un meurtre est une situation qui se produit trop souvent. Si l'on examine la vie que cette femme a menée avant de commettre un homicide, il y a eu environ 24 moments dans sa vie où une intervention aurait pu porter fruit : de l'aide lorsque ses parents se sont séparés, de l'aide lorsqu'elle subissait des mauvais traitements de son beau-père, de l'aide familiale lorsque ses parents souffraient de toxicomanie, et du counseling lorsqu'elle a commencé à boire et à consommer de la drogue à un jeune âge. Ce sont là plusieurs moments dans sa vie où il aurait fallu intervenir lorsqu'elle a commencé à avoir des démêlés avec la justice en tant que jeune adolescente, et un plan de transition aurait été utile lorsqu'elle a été condamnée pour voies de fait graves en tant que jeune adulte et qu'elle a été envoyée dans un établissement correctionnel.
L'histoire se poursuit. À chacune de ces étapes, si elle avait pu bénéficier d'une intervention fructueuse, l'issue aurait sûrement été différente.
Je souhaite que le comité prenne note de ce dilemme et recommande que les gouvernements provinciaux et fédéral reconnaissent la valeur des sanctions extrajudiciaires et financent des centres de traitement des dépendances et d'importants programmes qui font cruellement défaut. Cela pourrait réduire considérablement le nombre de jeunes qui reviennent dans le système de justice pénale.
Mon prochain point est la réadaptation et la transition entre les établissements correctionnels et un milieu sans détention. C'est bien connu que les centres correctionnels en Saskatchewan et dans de nombreuses autres provinces sont surchargés. C'est en grande partie attribuable aux retards judiciaires et aux personnes placées en détention provisoire. Cela met beaucoup de pression sur Service correctionnel pour qu'il offre aux détenus de l'aide pour les problèmes de santé mentale, les dépendances, l'éducation ou les possibilités d'emploi, ou pour qu'il offre un plan de transition afin que les détenus réintègrent avec succès la société lorsqu'ils sont libérés. Le résultat final, dans certains cas, est que le détenu est placé en détention provisoire, puis purge une peine lorsqu'il est condamné et ne reçoit pas toutes les possibilités de réadaptation que Service correctionnel pourrait lui offrir.
Dans bien des cas, les délinquants purgent une peine d'emprisonnement, sont remis en liberté sans plan de transition et retournent dans le même milieu dans lequel ils évoluaient avant. S'ils retournent dans ce même milieu, faut-il s'étonner qu'ils soient portés à reprendre leur vie antérieure et à se retrouver encore une fois devant les tribunaux?
Enfin, j'encourage le comité à formuler des recommandations pour que les gouvernements provinciaux et fédéral augmentent le financement pour offrir des services aux détenus pendant leur incarcération et leur fournir un plan de transition concret pour leur libération. Si ces services et ce plan leur sont offerts, cela réduira non seulement le taux de récidive et, par le fait même, le fardeau des tribunaux, mais peut-être aussi le nombre de personnes qui sont incarcérées.
Je crois fermement que si les trois points que j'ai soulevés attirent beaucoup d'attention, le recours aux tribunaux fédéraux pourrait être considérablement réduit. Du même coup, les longs délais dans le système seraient réduits. J'ai conscience que ce sont des problèmes à long terme complexes qui dépassent peut-être le mandat du comité. Je crois cependant que ce sont d'importants facteurs qui, s'ils ne sont pas réglés, continueront d'accroître le recours aux tribunaux qui augmente sans cesse.
Je remercie encore une fois le comité de m'avoir permis de faire part de mes opinions sur ce dossier, et je suis prêt à répondre aux questions des membres.
Kelly Kaip, présidente, Saskatchewan Crown Attorneys Association : Monsieur le président, je suis procureure principale de la Couronne au ministère de la Justice de la Saskatchewan et je suis la présidente actuelle de la Saskatchewan Crown Attorneys Association.
Je remercie le comité, au nom de la Saskatchewan Crown Attorneys Association, de nous donner l'occasion de témoigner sur le problème des délais dans le système de justice pénale. J'ai moi aussi lu le rapport provisoire et je l'ai trouvé très utile dans le cadre de mon analyse de ces problèmes particuliers auxquels nous sommes confrontés.
Le système de justice pénale en Saskatchewan est le résultat d'un effort collectif. Par conséquent, avant ma comparution, j'ai consulté de nombreuses personnes qui m'ont fourni des renseignements utiles. Je me suis notamment entretenue avec Daryl Rayner, sous-procureur général adjoint pour le Service des poursuites pénales, et Tony Gerein, directeur des procureurs pour le Service des poursuites pénales. Ces deux hommes m'ont fourni des statistiques et des renseignements sur les problèmes qui sont présents dans toute la province.
De plus, je tiens à remercier les membres de la direction de la SCAA et d'autres membres du personnel qui m'ont fourni des renseignements anecdotiques sur leurs expériences avec les poursuites intentées dans la province. Elizabeth Hilts, procureure régionale de la Couronne à Regina, m'a fait connaître ses opinions sur les tribunaux de traitement que nous avons actuellement en place.
De plus, j'aimerais remercier David Belanger, qui essaie en ce moment même de traduire en français mes remarques, qui est ici malgré son horaire extrêmement chargé à la cour cette semaine. J'aimerais également remercier Cara Haaf, de Scharfstein Gibbings Walen & Fisher, qui est ici à Saskatoon et qui a offert du soutien technique.
C'est une longue liste de personnes. Je devrais également inclure mes collègues à l'Aide juridique que j'ai consultés avant de venir comparaître ici. Ce que cette collaboration montre, c'est que le système de justice pénale dans son ensemble est un effort collectif dans cette province. Si nous souhaitons régler le problème complexe et difficile des retards judiciaires, il faudra tenir des discussions franches comme celle que nous avons ici aujourd'hui.
Je peux dire qu'il y a peu de personnes dans le système de justice pénale qui soient mieux au courant des répercussions des délais anormalement longs dans le système que le procureur de la Couronne, puisque c'est le procureur qui doit souvent expliquer aux témoins, aux victimes, aux familles des victimes et aux membres du public pourquoi une affaire criminelle prend autant de temps à franchir les étapes du système. Évidemment, lorsqu'il y a des sursis judiciaires en raison des délais, nous communiquons ces résultats publiquement.
Les procureurs de la Couronne dans cette province et partout au pays sont des professionnels dévoués. Nous sommes résolus à tenir les auteurs de crimes responsables de leurs actes. Nous voyons par nous-mêmes les résultats des retards : les victimes sont perdues, les souvenirs s'estompent, la volonté des témoins et des victimes de participer au processus diminue avec le temps, et lorsque des affaires font l'objet de sursis judiciaires, elles sont rejetées sans qu'on ait pris en considération leur bien-fondé. Ces résultats vont à l'encontre de l'objectif du procureur, qui est d'avoir une collectivité en sécurité et en santé.
Le territoire que couvre le Service des poursuites pénales dans cette province est hallucinant. Notre tribunal le plus au nord est situé à Fond du Lac, en Saskatchewan. Notre tribunal le plus au sud est situé à Estevan, en Saskatchewan. Celui le plus à l'est est à Moosomin et celui le plus à l'ouest, à Lloydminster.
L'une des raisons pour lesquelles j'ai consulté mes collègues au ministère des quatre coins de la province, c'est que certains des problèmes auxquels est confronté un procureur dans un tribunal situé dans le nord de la province sont différents de ceux auxquels sont confrontés les procureurs qui travaillent dans les centres urbains. Nous avons sans doute quelques problèmes communs. Je vais essayer de les aborder brièvement, et j'énumérerai rapidement quelques- uns des problèmes les plus flagrants auxquels se heurtent les membres de mon organisation.
Le problème des délais est complexe. Il est important de séparer le problème des délais inutiles de celui des délais dont les participants au système pénal pourraient bénéficier en raison des longues périodes préalables au dépôt d'une accusation. Par exemple, dans divers tribunaux thérapeutiques tels que les tribunaux de traitement de la toxicomanie, les tribunaux chargés des causes de violence conjugale et les tribunaux de santé mentale, les délinquants ont l'occasion de participer à des programmes axés sur les problèmes associés à leurs cycles de délinquance. De plus, des séances de médiation après le dépôt de l'accusation et d'autres mesures utilisent souvent des approches de justice réparatrice. Même s'il peut falloir plus de temps pour régler ces causes, elles sont utiles pour résoudre en partie les problèmes en encourageant l'accusé à assumer la responsabilité de ses actes.
Dans mon document, j'ai abordé le rôle important que les tribunaux thérapeutiques commencent à jouer pour éliminer les causes du problème dans le système régulier. Je vais utiliser l'exemple de notre tribunal de la santé mentale, qui est actuellement à Regina. À l'heure actuelle, le tribunal de la santé mentale n'est pas financé par la province et le gouvernement fédéral. À mon sens, cela reflète certainement l'état actuel de la société où les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ne sont pas bien servies.
Il n'y a pas de psychologue ou de psychiatre pour faire des évaluations ou rédiger des rapports assortis de recommandations pour les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale qui comparaissent devant les tribunaux. Les tribunaux se fient en grande partie aux opinions d'une foule de ressources communautaires existantes tels que les professionnels de la santé mentale, les intervenants en toxicomanie et les agents de probation, pour n'en nommer que quelques-uns.
Malgré la présomption contre la détention dans la majorité des infractions prévues au Code criminel, la réalité est que les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale n'ont souvent pas de logement sécuritaire et de soutien de leur famille et de leur communauté, et des programmes adéquats ne sont pas en place. En tant que procureurs, nous devons alors prendre une décision. Peut-on remettre le contrevenant en liberté en toute sécurité? La prison est fort probablement le pire endroit pour une personne qui souffre de graves troubles mentaux. Toutefois, l'importante pénurie de ressources communautaires ne laisse guère d'autre choix aux tribunaux que de placer le délinquant en détention.
Les problèmes de toxicomanie et de violence conjugale sont tout aussi complexes, et des traitements sont absolument nécessaires dans la majorité des causes entendues par les tribunaux si nous voulons éviter que les personnes accusées récidivent.
Dans mon document, j'ai dressé une liste d'importantes pénuries de ressources à l'heure actuelle pour les services de police municipaux et fédéraux, malgré une hausse de 10 p. 100 enregistrée dans l'Indice de la gravité de la criminalité en Saskatchewan en 2015. Malgré le fait que la Saskatchewan a l'Indice de la gravité de la criminalité et le taux de criminalité les plus élevés parmi les provinces, nous n'avons pas obtenu de ressources additionnelles pour les agents de police. Nous avons plus d'agents de police dans les rues, mais moins d'outils d'enquête.
Comme je l'ai indiqué dans mon document, la fermeture de laboratoires judiciaires, la pénurie de pathologistes judiciaires et les difficultés entourant la divulgation appropriée de renseignements sont tous des facteurs qui contribuent aux retards dans le système de justice pénale.
En ce qui concerne la défense, il y a aussi des retards à la suite du retrait du financement versé pour le système d'aide juridique, les conseillers parajudiciaires aux Autochtones et les avocats du secteur privé dans le système d'aide juridique. Je trouve très encourageant de voir que des représentants du Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones et de l'aide juridique sont ici aujourd'hui.
En raison de la baisse du nombre d'avocats de l'aide juridique et de la hausse de la criminalité en Saskatchewan, certains délais sont attribuables au manque d'avocats. Alors que l'on pourrait écourter ces délais grâce à la sous- traitance, les avocats du secteur privé ne sont pas souvent attirés par le taux horaire qui prévaut pour l'aide juridique, un taux plutôt faible. De plus, le temps de préparation dont ils disposent est limité, ce qui entraîne chez eux une certaine frustration.
Les conseillers parajudiciaires autochtones ont permis de combler l'écart lorsque les gens ne sont pas admissibles à l'aide juridique et qu'ils ne peuvent pas se permettre les services d'un avocat ou qu'ils souhaitent une résolution plus rapide de leur dossier. Toutefois, tant le provincial que le fédéral ont mis fin au financement de ce programme, ce qui a mené à des pertes d'emplois.
Je suis consciente que mon temps d'intervention est presque écoulé.
Le président : En fait, vous avez dépassé le temps qui vous était alloué.
Mme Kaip : Je suis désolée. Il y a tant de choses à dire.
Le président : Vous aurez l'occasion d'ajouter de l'information lors de la période des questions.
Mme Kaip : Il est clair que nous devons souvent composer avec les retards tactiques que provoquent les avocats de la défense. C'est une réalité dans notre système et vous trouverez beaucoup de données à ce sujet dans les documents que je vous ai soumis.
Au bout du compte, en Saskatchewan, nous avons 123 procureurs de première ligne. Nous présentons des statistiques nationales plutôt intéressantes. Dans la province, l'intervalle de temps moyen entre la première comparution et la fin des procédures est de 71 jours, soit beaucoup moins élevé que la moyenne nationale qui se situe à 123 jours.
Au chapitre du nombre de cas, nous faisons plutôt bonne figure. Nous réussissons assez bien à évaluer les affaires criminelles et à les régler rapidement. De plus, nous travaillons à des initiatives au sein du ministère.
D'ailleurs, le sous-ministre Kevin Fenwick a témoigné à ce sujet. Je vais donc m'abstenir de revenir sur ces initiatives. Le meilleur terme pour décrire la journée typique d'un procureur est « triage ». En raison du nombre de dossiers à traiter, il faut être pragmatique dans la façon dont nous utilisons notre temps et nos ressources, tout en tenant compte de nos responsabilités à l'égard du public, de nos responsabilités éthiques en tant qu'avocats et de nos rôles en tant que citoyens.
Je remercie le comité de cette occasion offerte à SCAA de participer à cette étude et de fournir des données au comité. Je me réjouis à l'idée d'un processus de collaboration visant à trouver des solutions à quelques-uns des problèmes dans le système. Merci.
Le président : Nous allons maintenant amorcer notre première série de questions. Sénatrice Batters, de la Saskatchewan, vous avez la parole.
La sénatrice Batters : Je suis heureuse de revenir chez moi, en Saskatchewan. J'ai fait mes études de droit à Saskatoon, juste de l'autre côté de la rivière. Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation et pour tout le travail que vous faites dans ce dossier.
Comme je l'ai déjà répété dans les médias et plus particulièrement au comité, la Saskatchewan fait preuve d'innovation pour régler les délais judiciaires. C'est ce qui explique certaines des statistiques éloquentes que vous avez soulignées. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne reste pas des problèmes à régler et du travail à faire, mais une des raisons pour lesquelles je souhaitais venir en Saskatchewan dans le cadre de cette étude, c'est que je voulais entendre parler directement de ces solutions.
Monsieur Weighill, jusqu'à tout récemment, vous étiez président de l'Association canadienne des chefs de police, n'est-ce pas?
M. Weighill : C'est exact.
La sénatrice Batters : C'est un bel ajout à votre tableau de réussites et à celui de la Saskatchewan. En vous appuyant sur vos années d'expérience au sein du Service de police de Saskatoon, quels sont, selon vous, les deux ou trois principaux changements que vous avez aidé à mettre en œuvre au sein du service de police afin de réduire les délais judiciaires au tribunal pénal?
M. Weighill : Nous travaillons étroitement les cours provinciales, principalement, car nous menons des enquêtes préliminaires pour elles. Nous avons tenté de simplifier nos méthodes de façon à ce que les audiences aient lieu plus rapidement. Nous avons présenté diverses justifications pour les simplifications proposées relatives aux comparutions subséquentes et à la réforme du cautionnement. Nous avons joué un rôle très important pour maintenir en prison des délinquants violents et libérer ceux qui ne méritent pas d'être en prison en l'attente de leur date de comparution.
Nous avons beaucoup investi dans le soutien aux victimes. Les cas de violence ou d'intimidation où les victimes craignent de participer au système judiciaire exercent une forte pression sur nos ressources. Nos détectives de crimes majeurs passent entre 20 et 25 p. 100 de leur temps non pas à mener des enquêtes, mais bien à aider les victimes afin qu'elles se sentent suffisamment en sécurité pour participer aux audiences. Nous concentrons davantage notre énergie à nous assurer que les victimes participent aux audiences. Nous voulons éviter que le principal témoin ne se présente pas à la comparution. Nous ne voulons pas qu'une affaire soit reportée. C'est probablement les changements les plus importants que nous avons apportés.
La sénatrice Batters : Madame Kaip, j'aimerais vous parler du traitement réservé aux victimes. Hier, nous étions à Calgary et nous avons entendu le témoignage de Sheldon Kennedy. Toutefois, j'aimerais connaître votre opinion sur le sujet, car vous êtes procureure depuis longtemps et, malheureusement, c'est le genre de situation que vous voyez trop souvent.
Dans le pire des cas, une affaire est rejetée ou suspendue en raison des délais judiciaires, et vous devez alors expliquer la situation aux victimes. Pourriez-vous nous décrire l'impact qu'ont les délais judiciaires sur les victimes?
M. Kaip : Je peux certainement vous donner un exemple précis qui donne une très bonne idée de ce que peuvent vivre les victimes.
Parfois, dans le nord, les installations des tribunaux ne sont pas adéquates et nous devons nous débrouiller. À moins que les victimes soient à l'aise à attendre dans la partie de la salle d'audience réservée au public, et cette situation soulève d'autres problèmes, elles doivent souvent attendre dans une voiture de police, portes verrouillées, près de la salle d'audience.
Imaginez un enfant, appelé à témoigner sur une affaire horrible, qui doit attendre dans une auto-patrouille. Ajoutez à cela la question de sécurité : si la victime accepte d'attendre dans la partie de la salle d'audience réservée au public, elle sera confrontée à l'accusé, car ceux-ci sont souvent menés dans la salle d'audience, menottes aux poignets et chaînes aux chevilles, et placés dans la partie réservée au public. Les membres de la famille de l'accusé, surtout dans les petites villes, se rendent aux audiences et, si cela ne s'est pas déjà produit auparavant, la victime fait l'objet de représailles et hésite à coopérer avec le système de justice pénale.
Aussi, souvent, les installations ne nous permettent pas de mettre en œuvre les mesures de protection prescrites dans le Code criminel. Je pense, notamment, à des écrans pour protéger les enfants-victimes ou à du personnel de soutien. Ces enfants participent aux audiences avec un minimum de préparation. Souvent, les procureurs n'ont aucune salle à leur disposition pour préparer leurs témoins. Ils doivent faire cela, par exemple, sur la banquette arrière d'une auto- patrouille ou dans une cuisine adjacente à la salle d'audience où l'affaire est entendue et la cuisine n'est pas toujours pourvue d'une porte. Il y a très peu d'intimité.
Puis, après avoir fait tout ce travail, il est possible que le contrevenant se lève et dise : « Je congédie mon avocat; mon audience doit être remise. » Cela signifie que, quelques mois plus tard, nous devons convaincre une fois de plus la victime de venir témoigner.
Les répercussions émotionnelles sont difficiles à décrire. J'ai participé à un dossier où la victime avait 13 ans lorsque les procédures ont été amorcées. L'affaire a été retardée 27 mois et 23 jours en raison d'une requête fondée sur l'alinéa 11b). Lors de la conclusion de l'affaire, la victime avait 18 ans. Au bout du compte, l'accusé a plaidé coupable et a reçu une peine équivalente à sa période de détention, mais la victime, elle, a passé toute son adolescence sous les procédures judiciaires. Il est difficile, après un certain temps, d'expliquer à la victime pourquoi la procédure est si longue.
Le sénateur Baker : Je tiens à remercier les témoins pour leurs excellents exposés.
Votre Cour provinciale nous a présenté un exposé détaillé, ce matin, sur les procédures, notamment. Nous avons également entendu le procureur de la Couronne et, dans une certaine mesure, les services de police.
Nous étudions les délais judiciaires. Malheureusement, ces délais mènent parfois à une requête fondée sur l'alinéa 11b) et au rejet d'une affaire. L'affaire Jordan, entendue récemment, allait de pair avec l'affaire Williamson dans laquelle le contrevenant était accusé d'agression sexuelle contre des enfants pendant une période de temps tout à fait scandaleuse. Mais, l'affaire a été rejetée, parce que le tribunal a mis trop de temps à traiter le dossier.
Les délais ne comptent que si c'est la Couronne qui en est à l'origine, y compris le service des poursuites, soit vous, et les services de police, assis près de vous. On ne tient pas compte des délais causés par la défense. Tout repose sur vos épaules. Ce que l'on remarque dans la jurisprudence, en Saskatchewan, c'est que peu de cas impliquant les crimes dont le chef nous a parlé, soit le trafic de cocaïne, l'introduction par effraction avec l'intention de commettre un crime et le vol à main armée, par exemple, sont rejetés.
Vous remarquerez que tous les crimes cités par le chef sont sous la norme de 30 mois, sauf le premier qui est sous la norme de 18 mois. Toutes respectaient les principes établis dans l'affaire Jordan. Par contre, ce qui ressort de tout cela, c'est que les seules affaires rejetées dans la province en vertu d'une requête fondée sur l'alinéa 11b) portaient sur des accusations de conduite avec facultés affaiblies. Cette année, vous en avez eu deux, mais ce n'est rien comparativement aux autres provinces.
Je vais vous poser la même question que j'ai posée aux autres ce matin. Pourquoi le système semble-t-il fonctionner en Saskatchewan en ce qui a trait à l'alinéa 11b) et le rejet d'affaires, alors que les autres provinces ne parviennent pas à faire aussi bien?
Mme Kaip : La façon dont nous avons abordé la question des délais est nécessairement complexe. En fait, des décisions malheureuses ont été prises en Saskatchewan en vertu de l'alinéa 11b), notamment en ce qui concerne l'affaire Pidskalny plaidée en 2013, si je ne m'abuse. Une autre affaire impliquant une agression sexuelle sur un enfant a été rejetée en raison des délais, soit l'affaire Dallas Poole.
À la suite du rejet de ces affaires, le directeur des poursuites a émis des directives très claires, soit que s'il semble évident que les délais seront excessifs, nous devons être proactifs dans notre collaboration avec nos partenaires, les services de police. En plus des délais attribués à la Couronne, des délais qui peuvent concerner les services de police, nous sommes également tenus responsables des délais systémiques. S'il manque, par exemple, de ressources judiciaires ou de juges, ces délais sont souvent attribués à la Couronne.
Nous avons fait les choses différemment. Nous avons été proactifs dans certains de ces tribunaux thérapeutiques. Nous retirons une grande partie des problèmes qui habituellement ralentiraient le système. Nous tentons de fournir des ressources aux gens afin de réduire le récidivisme.
Nous tentons également de tenir compte des limites de nos partenaires, les services de police. Les agents de police travaillent par quarts. Les services de police doivent composer avec des absences et des heures supplémentaires. Nous tentons de tenir compte des horaires des agents de police, notamment à Regina ces derniers temps, lorsque nous fixons les dates d'audience, car nous voulons que nos témoins puissent être disponibles afin d'éviter de demander la remise d'une audience.
Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec les coordonnateurs des rôles dans les centres urbains et les régions périphériques. Nous tentons, dans la mesure du possible, d'utiliser judicieusement les ressources judiciaires. Malheureusement, cela signifie qu'il faut parfois réserver une salle d'audience pour trois, voire cinq audiences. Il nous arrive d'avoir six audiences prévues la même journée.
Évidemment, nous courrons le risque que certaines audiences n'aient pas lieu. Il arrive parfois que des affaires soient réglées le jour même. Plutôt que d'avoir une salle d'audience et des ressources sous-utilisées, nous avons au moins un procès en cours. Cela ajoute certainement au fardeau de la Couronne, de la police et des témoins, mais il y a aussi beaucoup de temps d'inactivité dans ces salles d'audience.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Madame Kaip, vous avez soulevé un élément qui a attiré mon attention : vous devez tenir compte des quarts de travail des policiers. Vivez-vous la même situation à Saskatoon qu'au Québec? J'ai été policier pendant 24 ans au Québec. Les policiers arrivent le matin au palais de justice et rencontrent le procureur de la Couronne, qui est souvent débordé. Le procureur de la Couronne accorde environ cinq minutes au policier pour présenter son dossier, qu'il s'agisse de violence conjugale ou de conduite avec facultés affaiblies. Le policier s'assoit dans la cour. Le juge arrive à 10 heures sur le banc, entend quelques représentations de la Couronne et des avocats de la défense, ajourne vers midi, et commence le procès vers 14 heures.
J'ai vécu cela pendant 24 ans. Je vois que vous me comprenez très bien et vous savez où je veux en venir. Vers 16 heures, le procureur de la Couronne est obligé de dire au policier que le dossier n'avance pas et qu'il faudra remettre sa comparution à une date ultérieure. Il y a des policiers qui attendent, souvent pendant les heures supplémentaires, ainsi que des témoins ou des victimes, et tout cela est remis. On blâmait souvent le directeur du palais de justice en disant qu'il n'y avait pas assez de salles qui étaient disponibles. Cependant, il faut dire que, des procureurs de la Couronne, il n'y en avait pas beaucoup. Est-ce que vous vivez la même situation en Saskatchewan?
[Traduction]
Mme Kaip : Nous vivons les mêmes situations. Parfois, les coordonnateurs inscrivent plusieurs affaires à l'horaire. Je ne mens pas lorsque je dis que le procureur de la Couronne fait du triage. Nous tentons de déterminer tôt le matin quelle affaire sera entendue. Nous tentons de rencontrer les avocats de la défense pour voir si certaines affaires peuvent être réglées une fois les témoins sur place. Parfois, les avocats de la défense inscrivent une affaire à l'horaire pour voir si les témoins sont vraiment investis dans le processus. Ce n'est pas toujours le cas.
Au bout du compte, nous collaborons avec les services de police et sommes conscients du fait que certains agents sont appelés à témoigner lors de leurs jours de congé. Cela crée un problème de ressources pour les services policiers qui doivent payer des heures supplémentaires aux agents concernés. Certains jours, nous devons, en quelque sorte, contrôler la circulation, et nous en sommes conscients. Dans la mesure du possible, nous envoyons les agents de police à la maison ou, s'ils sont en service, nous leur demandons de poursuivre leur journée de travail en leur disant : « Donnez-nous votre numéro de téléphone cellulaire. Nous vous appellerons 30 minutes avant votre témoignage. »
Il suffit parfois au procureur de faire preuve de bon sens pour éviter que des témoins, y compris des agents de police, ne passent la journée à attendre avant d'être envoyés à la maison. Cela est parfois inévitable, mais nous tentons le plus possible de tenir compte de tous ces éléments.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup pour votre réponse.
Ma prochaine question s'adresse à M. Weighill. Je reviens aux délais dans les cours de justice. Au Québec — et madame Kaip l'a très bien souligné —, les policiers accumulent des heures supplémentaires, parce qu'ils doivent souvent être présents en cour pendant les journées de congé, et cela coûte très cher. Il y avait eu une entente entre la Couronne et la Sûreté du Québec pour faire en sorte que les policiers puissent se rendre à la cour pendant leur quart de jour afin d'éviter les heures supplémentaires, qui coûtaient cher à la direction du corps de police à l'époque. C'est encore le même problème aujourd'hui. Souvent, la direction du corps de police ou le directeur du poste communique avec la Couronne pour l'informer que le policier ne peut pas se présenter à telle date, et on demande une remise pour qu'il puisse se présenter pendant son quart de jour afin de limiter les dépenses liées aux heures supplémentaires.
Devez-vous gérer des situations semblables au sein de votre corps de police? Souvent, quand on inscrit les policiers à l'horaire pendant leur quart de travail, cela veut dire qu'ils ne peuvent pas se présenter en cour durant leurs jours de congé ou pendant la période des vacances, ce qui est une autre source de retards. Je voudrais savoir si vous vivez cette situation qui fait gonfler vos budgets consacrés aux heures supplémentaires. Vous devez gérer cette situation, à titre de bon gestionnaire, j'en suis certain.
[Traduction]
M. Weighill : En réalité, c'est un problème, qu'ils soient en service ou qu'ils soient en congé et admissibles à des heures supplémentaires. Nous entretenons une très bonne relation avec les tribunaux concernant les horaires. Lorsque des accusations sont déposées, les agents concernés soumettent leurs congés prévus et le procureur tente de fixer les dates d'audience en fonction de jours où les agents sont en service.
Nous avons établi un système dans les grandes villes; si une audience est annulée, le procureur avise les policiers par téléphone, 24 heures d'avance, de ne pas se présenter au tribunal. La province a un excellent bilan en ce qui concerne les témoins. Si un témoin ou une victime ne se présente pas à la cour, le procureur peut demander l'ajournement de l'audience jusqu'à l'après-midi. Nous recevons un appel téléphonique et nous cessons toute autre activité pour nous assurer que la victime ou le témoin se présente à la cour en après-midi afin que la cause ne soit pas suspendue. Nous avons une excellente collaboration à cet égard. Le système semble assez bon. Nous n'avons pas constaté une importante augmentation des heures supplémentaires dans la province au cours de la dernière décennie.
Je dirais toutefois que la situation est différente dans les régions nordiques de la province. Cela fonctionne bien dans les villes où nous avons la possibilité de faire ce genre de choses. Toutefois, pour un détachement de la GRC situé à Fond du Lac, par exemple, tout doit se passer comme prévu, le jour prévu. Si quelqu'un est absent et que l'affaire est ajournée, il faudra peut-être un mois avant qu'on puisse tenir une nouvelle audience. Nous avons certainement beaucoup plus de latitude dans les centres urbains que dans le Grand Nord.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup. Vous avez très bien répondu.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux de vos exposés.
Les témoins qui ont comparu au comité ont beaucoup parlé des réussites obtenues en Saskatchewan. J'ai l'impression que ces succès sont principalement attribuables aux efforts combinés de tous les intervenants.
Il est évident que la jurisprudence relative à la Charte impose des exigences considérables sur la police et les procureurs de la Couronne, en particulier en ce qui concerne la divulgation. Pourriez-vous nous parler de ce que vous avez fait pour satisfaire à ces exigences?
Mme Kaip : L'enjeu de la divulgation est une quête perpétuelle pour le service des poursuites et les services de police, car c'est un enjeu qui comporte divers degrés de complexité. On constate que la divulgation se fait de plus en plus sous format électronique, à mesure que la technologie évolue. Plus précisément, en ce qui concerne les crimes majeurs liés à un meurtre, par exemple, les informations nous sont fournies sur une clé USB ou un disque dur externe. Ce sont des formats interrogeables, avec index. C'est une technologie formidable, et les informations peuvent être mises à jour périodiquement.
Ce sont les crimes les plus graves pour lesquels nous pouvons déposer des accusations; ces ressources sont essentielles. Quant aux autres mécanismes de divulgation, je peux vous parler en toute connaissance de cause du service de police de Regina. Lorsque diverses parties sont mêlées à une affaire — six personnes accusées d'un meurtre, par exemple —, on assigne aux accusés ce qu'on appelle une cote « C ». Il y a six catégories de divulgation distinctes.
Il s'agit du même événement et des mêmes enquêteurs. À l'étape de la divulgation, les informations sont fournies au bureau du procureur en format papier. La poursuite doit alors s'assurer que la preuve divulguée est identique pour les six accusés, mais elle doit aussi être caviardée afin de tenir compte des enjeux liés aux privilèges d'une tierce partie témoin du crime, aux informations personnelles des victimes ou même aux informations relatives à un informateur confidentiel. Nous tenons évidemment à assurer la sécurité des informateurs confidentiels.
Il n'en demeure pas moins que c'est un processus complexe. Nous devons aller de l'avant pour essayer de gérer les choses de façon plus efficace. Les services des poursuites de la Saskatchewan sont allés en Ontario pour étudier le programme SCOPE de la province. Nous avons examiné son fonctionnement et nous en avons tiré des enseignements. Nous en sommes actuellement à mettre en œuvre notre propre version de ce système, que nous appelons EPIC.
Nous espérons peaufiner notre processus de divulgation à mesure que nous progressons, mais un des principaux enjeux liés aux délais des poursuites est d'obtenir la divulgation et de faire parvenir les renseignements aux avocats de la défense. Souvent, lorsqu'il y a un changement d'avocat après la divulgation de la preuve, nous devons reprendre tout le processus.
Il va sans dire qu'en ce qui concerne la divulgation, certains vont mentionner qu'il faudrait peut-être fixer des délais. Il est extrêmement important que toutes les parties au litige aient le plus de renseignements possible et une compréhension la plus exhaustive possible de la teneur de l'enquête. Je ne sais pas s'il serait utile de fixer un délai précis. De toute évidence, accorder des ressources supplémentaires aux services de police leur permettrait de faire une transition vers une divulgation par voie électronique. À l'avenir, cela serait utile.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Weighill, en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, les policiers peuvent soustraire les jeunes au système de justice pénale. Recommanderiez-vous que l'on accorde aux agents de police davantage de pouvoirs discrétionnaires pour renvoyer les adultes accusés?
M. Weighill : Absolument. Je suis tout à fait favorable à la déjudiciarisation. Cela permet d'accélérer le processus judiciaire dans les tribunaux, et cela aurait sans doute pour effet de réduire le nombre de personnes devant comparaître en cour. Il y a la déjudiciarisation avant la mise en accusation et la déjudiciarisation après la mise en accusation. Je suis favorable aux deux. Tout le monde est gagnant.
Le président : J'ai deux ou trois questions.
Monsieur Weighill, vous avez parlé de la surpopulation dans les établissements de détention provisoire, du manque de programmes, et cetera. Vous avez établi une distinction entre ce que j'appelle les prisons provinciales, où on trouve des détenus condamnés à une peine à purger, et les établissements de détention provisoire.
Une des choses qui me laisse perplexe, c'est que je ne suis pas certain qu'on ait entendu des témoignages, même brefs, sur l'une ou l'autre de ces solutions. La durée moyenne de l'incarcération, même pour un détenu condamné à une peine à purger en établissement provincial, est de 60 jours, tout au plus. C'est à peu près cela en Ontario.
Je ne suis pas certain qu'un établissement de détention provisoire soit l'endroit idéal pour offrir des programmes, mais j'aimerais savoir ce qu'on pense de l'autre solution offerte aux tribunaux, soit le recours à la surveillance électronique. Il pourrait y avoir une condition pour l'accès aux programmes. Cela permettrait aussi à la personne en cause de conserver son emploi ou de suivre un traitement quelconque.
Les coûts seraient beaucoup plus faibles que l'incarcération. Je suis curieux de connaître votre point de vue à cet égard.
M. Weighill : Je ne suis pas contre l'idée que des gens purgent une peine à l'extérieur d'un établissement. Ma seule préoccupation est liée à ce qui se passe lorsque la responsabilité incombe totalement aux services de police. Qui se chargera du suivi pour ceux qui seront libérés dans le cadre d'un programme de surveillance électronique? Je vous laisse deviner. Ce sera la police. Nous nous retrouverons dans une situation où des gens ne seront pas détenus, puis nous recevrons des appels nous indiquant que le dispositif de télésurveillance ne fonctionne pas.
On y a recours de plus en plus, puis la responsabilité revient à la police. Nous y sommes favorables, pourvu que le gouvernement et la province s'en chargent; l'idée, c'est que cela ne relève pas de la police.
Le président : Pour ma part, j'estime que cela devrait relever des services correctionnels. Il s'agit simplement de transférer des dossiers et de leur faire économiser beaucoup d'argent, à mon avis.
J'ai une question pour vous, madame Kaip. Le nom de Sheldon Kennedy a été mentionné plus tôt. Un de ses arguments les plus solides et les plus convaincants est que nous devrions songer à éliminer les enquêtes préliminaires pour tous les cas de violence faite aux enfants.
Votre association a-t-elle des observations, une opinion ou une prise de position à cet égard?
Mme Kaip : Les dispositions du Code criminel relatives aux enquêtes préliminaires sont entrées en vigueur assez récemment. Elles nous permettent de faire une bonne partie du travail sur papier. En fait, ces dispositions ont été particulièrement utiles pour les cas d'agression sexuelle contre des enfants. Aux termes du paragraphe 540(7) du Code criminel, nous pouvons présenter tout élément de preuve, pourvu qu'il soit crédible et digne de foi. Le seuil est assez bas. Il s'agit de la même norme que celle que nous appliquons pour les enquêtes sur mise en liberté provisoire et les audiences de détermination de la peine, plutôt que d'appliquer la norme de preuve hors de tout doute raisonnable utilisée pour les procès.
Les juges sont très réticents à restreindre le contre-interrogatoire, car les allégations d'agression sexuelle contre des enfants sont très importantes et très graves. Ils considèrent souvent le processus d'enquête préliminaire comme une occasion de prendre connaissance de la preuve du ministère public. La crédibilité des témoins peut être mise à l'épreuve. Une enquête préliminaire réalisée dans les règles de l'art mène souvent à un plaidoyer de culpabilité, en particulier lorsque la preuve est très convaincante.
Il arrive que des occasions soient perdues lors de l'enquête préliminaire. À titre d'exemple, beaucoup de preuves pourraient être écartées à l'étape de l'enquête préliminaire. Le ministère public doit fournir des preuves pour chaque élément de l'infraction, sauf s'il y a des aveux.
Prenons par exemple un vol commis avec une arme à feu. En fait, cet exemple s'est produit dans un des dossiers que j'ai traités. La date de l'enquête préliminaire a été fixée. La question était de savoir si l'accusé était en possession de l'arme de calibre .30-08 lorsqu'il est entré dans un dépanneur. Dans cette affaire, l'enjeu était l'identité de la personne; il s'agissait de savoir si les témoins civils pouvaient confirmer que cette personne était bien celle qui tenait l'arme à feu. L'avocat de la défense ne voulait pas admettre, aux fins de l'enquête préliminaire, que l'arme utilisée était une arme à feu, ce qui signifie que nous devions produire une preuve de continuité démontrant que l'arme à feu que nous avions saisie était bien celle qui avait été utilisée. Tous les policiers qui avaient manipulé cette arme, ainsi que l'armurier de la GRC qui avait mis l'arme à feu à l'essai et déterminé qu'elle était fonctionnelle, ont dû être appelés à comparaître. Par conséquent, la durée de l'enquête préliminaire est passée d'une journée à deux jours.
Le paragraphe 540(7) est utile à cet égard, car cela nous permet d'éliminer certains des aspects les plus fastidieux de la présentation de la preuve. L'adoption de restrictions supplémentaires à l'égard du processus d'enquête préliminaire pourrait, à terme, être utile, car cela nous permettrait d'en réduire la durée. Cela permettrait alors de réduire la période d'attente avant que l'affaire soit entendue devant la Cour du banc de la Reine et que le dossier soit réglé, d'une façon ou d'une autre.
Le président : Je comprends cela. Les préoccupations de M. Kennedy — que beaucoup d'entre nous partagent, je crois — portent sur les effets traumatisants pour les très jeunes enfants.
La sénatrice Batters : Madame Kaip, dans votre exposé, vous avez fait référence aux tactiques dilatoires des avocats de la défense. Je crois que vous avez indiqué que votre mémoire comporte plus de détails à ce sujet. Étant donné que des gens nous écoutent aujourd'hui, nous aimerions avoir quelques brèves observations à ce sujet, car selon les témoignages d'avocats de la défense que nous avons entendus, de telles tactiques n'ont pas lieu. Pourriez-vous nous présenter votre point de vue à ce sujet, s'il vous plaît?
Mme Kaip : En Saskatchewan, nous essayons de nous entendre sur tous les points, mais parfois, ce n'est pas possible. J'ai moi-même vu ce qui semble être des tactiques dilatoires. Souvent, les avocats de la défense ne le font pas à dessein, car il arrive que nous ayons affaire à des plaideurs très habiles qui connaissent très bien le système.
Je vais encore une fois m'appuyer sur mon expérience personnelle. Récemment, un homme était détenu en raison d'allégations d'agression sexuelle avec grande violence. Une déclaration de culpabilité à cette infraction aurait été sa deuxième pour une infraction du genre. À la première date fixée pour l'enquête préliminaire, des preuves ont été présentées, puis l'avocat de la défense a fait une demande tardive de divulgation. Il convient de se rappeler que lorsque nous fixons la date d'une enquête préliminaire, nous sommes tenus d'aviser la cour, par l'intermédiaire du formulaire que nous utilisons en Saskatchewan, que nous sommes prêts à aller de l'avant et qu'il n'y a pas de problème relatif à la communication de la preuve. Cela dit, il y a eu un ajournement.
À la deuxième date, la victime s'est de nouveau présentée pour témoigner. Il était assis dans la salle d'attente en compagnie d'une personne des services aux victimes et attendait de comparaître. L'accusé a alors congédié son avocat. Il a indiqué qu'il lui était impossible de faire des appels téléphoniques après 21 heures, étant donné qu'il était détenu dans un établissement provincial de détention provisoire.
Comme je m'interrogeais à ce sujet, j'ai demandé au directeur de l'établissement de détention provisoire de me fournir les registres de Telmate, soit les registres des appels téléphoniques faits par les détenus. Il était évident que l'accusé faisait des appels à toute heure du jour et de la nuit; cette information a été transmise au juge lors de l'audience suivante. L'accusé n'avait pas encore retenu les services d'un autre avocat. Il voulait qu'on lui accorde du temps pour le faire. Il a obtenu trois autres ajournements, simplement pour trouver un avocat.
Donc, neuf mois après la première date fixée pour l'enquête préliminaire, le processus n'est pas encore terminé et aucune date n'a encore été établie. Nous espérons que la victime n'aura eu qu'à se présenter trois fois au tribunal avant que l'enquête préliminaire puisse être terminée. Ensuite, nous devrons de nouveau nous présenter au tribunal, si un procès est nécessaire.
Cela peut manifestement se faire pour des raisons tactiques. L'objectif, du moins pour certains des accusés qui connaissent bien les rouages du système judiciaire, c'est de décourager les victimes. Ils espèrent que certaines victimes ne voudront pas comparaître pour témoigner et que leurs souvenirs s'estomperont. Ainsi, les accusés pourraient être acquittés, par exemple. La défense pourrait s'effondrer et le ministère public pourrait suspendre les procédures ou retirer les accusations.
Le président : Je dois vous interrompre. Sénateur Baker, il nous reste deux minutes. Les témoins pourraient aussi garder cela à l'esprit.
Le sénateur Baker : Il incombe à la Couronne de présenter les éléments de preuve qui, s'ils sont retenus, pourraient être présentés au procès. Je voulais vous poser une question sur vos obligations de divulgation de type McNeil, mais lorsque nous parlions des délais liés à la divulgation, vous avez exprimé votre désaccord à cet égard.
Je me permets donc de vous poser la question. Quel mal y a-t-il à fixer des délais relatifs à la divulgation avant la tenue d'un procès, alors qu'on impose à la défense des délais pour la présentation de requêtes préalables et de requêtes pour les cas de contestation fondée sur la Charte? Elle est tenue de le faire. Si nous imposions à la Couronne une limite de temps pour les requêtes préalables avec comme seules exceptions que la Couronne doive prouver que l'information n'était pas disponible avant la tenue d'un procès ou qu'elle a fait preuve de diligence raisonnable sans toutefois obtenir ces renseignements, quel serait votre argument contre une telle mesure?
Mme Kaip : J'adore argumenter. Le problème, c'est que dans un certain sens, chaque cause évolue différemment, évidemment. Parfois, l'enquête progresse même après le dépôt des accusations. Imposer une limite de temps et exiger que la Couronne justifie la divulgation de renseignements supplémentaires à l'aide d'un test quelconque entraînerait la création d'une procédure supplémentaire qui devrait être menée avant la tenue d'un procès.
En ce qui concerne les enjeux liés à divulgation, nous devons examiner les requêtes de type Stinchcombe présentées par la défense. Il y a aussi les requêtes de type O'Connor, qui sont des demandes visant la communication à titre de tiers. Avant la comparution en cour, l'accusé peut présenter diverses requêtes, y compris d'autres requêtes fondées sur la Charte. Bien que des lignes directrices puissent être adoptées pour fixer des délais relatifs à la divulgation, l'adoption d'une règle fonctionnelle à cet égard pourrait être un exercice dangereux, car on ne ferait qu'ajouter une procédure supplémentaire, dans ces circonstances.
Le président : Madame Kaip, monsieur Weighill, merci. Je vous suis très reconnaissant du temps que vous nous avez consacré aujourd'hui. Vos témoignages nous sont très utiles dans nos délibérations.
Pour la deuxième heure, nous accueillons M. Matt Gray, qui est directeur d'Établir des partenariats pour réduire la criminalité au ministère de la Justice du gouvernement de la Saskatchewan. Représentant Community Mobilization Prince Albert, nous avons M. Markus Winterberger, analyste de l'intelligence stratégique, et Mme Tamara Dunlop, analyste tactique. Enfin, nous entendrons M. Norman Taylor, le président de Global Network for Community Safety Canada Inc.
Nous avons hâte d'entendre vos exposés. Bien entendu, les sénateurs vous poseront ensuite des questions.
Norman Taylor, président, Global Network for Community Safety Canada Inc. : Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les sénateurs. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui.
Nous avons de bonnes nouvelles, qui vous aideront dans votre étude sur les retards dans le système de justice pénale et sur les façons dont nous pouvons améliorer et rationaliser le système de justice pénale. Je dois toutefois vous aviser que, contrairement au dernier groupe d'experts que nous avons entendu, qui a parlé de la procédure de manière très précise, nous avons un point de vue plutôt indirect de la situation. Nous ne sommes pas avocats, bien que Markus le soit, et nous abordons le sujet selon l'angle de la sécurité et du bien-être de la collectivité. Je vais vous expliquer de quoi il s'agit.
Je ne parlerai que quelques minutes avant de céder la parole à Markus. Il vous expliquera le fondement du modèle en soi.
Il y a environ huit ans maintenant, on a demandé mes services à titre de conseiller pour les services de police, les gouvernements et l'Association canadienne des chefs de police. On m'a demandé de réaliser une étude sur l'avenir des services de police en Saskatchewan en réponse aux taux élevés de criminalité et de violence dans la province. Naturellement, ces chiffres donnaient à penser qu'il y avait quelque chose qui clochait dans le système de police.
Après environ une année d'études et de consultations, j'ai pu rédiger un document à l'intention du cabinet, dans lequel je disais qu'il n'y avait pas de problème avec la police, mais bien avec les personnes marginalisées. Étant donné les circonstances de marginalisation qui placent de nombreuses personnes en situation de discrimination composée ou à risque élevé, les policiers ne seront jamais assez nombreux si on aborde la situation selon l'angle de la justice pénale. À notre avis, il fallait trouver une solution pangouvernementale et mobiliser tous les intervenants du système de services sociaux conçu pour réduire ces risques et répondre aux besoins des personnes.
C'était dans le contexte de discussions nationales sur l'économie et les services de police, où l'on tentait de trouver des façons de réduire le coût des services policiers et de la justice pénale. Je suis heureux de dire qu'au cours des dernières années, nous avons créé à mon avis l'une des seules stratégies de réduction de la demande qui soit. On avait beaucoup parlé des aspects économiques liés aux services policiers et des solutions en matière d'approvisionnement, et abordé plusieurs questions : combien de policiers avez-vous? Combien les payez-vous? Combien coûte leur équipement? Ce sont là des conversations au sujet de l'approvisionnement.
Nous nous intéressons surtout à la demande : comment réduit-on les appels de service, les pressions exercées sur le système de justice et les pressions exercées sur les services policiers alors que les problèmes ne relèvent pas de leur compétence au départ, mais ont d'autres causes profondes?
En 2010 et 2011, nous avons réalisé une recherche exhaustive afin de voir ce que les autres administrations avaient appris au sujet des déterminants sociaux de la santé et des précurseurs des facteurs criminogènes, et d'étudier les divers exemples de solutions pangouvernementales comme celle de l'Organisation mondiale de la santé en matière de santé publique. Nous avons ensuite rédigé une charte à laquelle prennent part neuf ministères du gouvernement de la Saskatchewan, ses partenaires policiers, la GRC et les services municipaux. Par l'entremise de cette charte, tous les intervenants s'engageaient à s'ouvrir à de nouvelles façons de faire les choses.
Parallèlement, Dale McFee était le chef de police de Prince Albert à l'époque. Il mobilisait ses partenaires des services sociaux. Il prenait part à l'initiative provinciale. Nous avons réuni nos efforts et avons fait un voyage en Écosse, puisque nos recherches indiquaient que le pays avait adopté des pratiques prometteuses. Nous avons saisi l'occasion de démontrer l'efficacité d'une nouvelle approche en utilisant Prince Albert à titre de fondement, mais avec la contribution de la province également.
En février 2011, le modèle de Prince Albert a été lancé et nous avons tenu la première réunion du Hub huit semaines après notre voyage en Écosse seulement. Notre modèle a continué de prendre de l'ampleur, et nous parlerons tout à l'heure de ses résultats.
Quelques mois plus tard, le premier ministre Brad Wall nous a rendu visite et a annoncé une stratégie visant à adopter le modèle de Prince Albert à l'échelle provinciale, en vertu de la charte appelée Établir des partenariats pour réduire la criminalité. Cette charte aura bientôt pour titre Établir des partenariats pour assurer la sécurité et le bien-être de la collectivité, parce que nous avions abordé la question sous l'angle de la criminalité, mais nous avons réalisé qu'elle allait bien au-delà de cela.
En 2012, Toronto a été la première délégation externe à venir voir ce qui se passait à Prince Albert. L'Ontario a ensuite créé un groupe de travail, dont je vais parler en détail plus tard. Plus de 30 autres délégations ont ensuite visité Prince Albert pour comprendre l'expérience profonde qui s'y vivait.
Markus Winterberger, analyste, Intelligence stratégique, Community Mobilization Prince Albert : Je vais vous parler du Hub de Prince Albert et du centre de responsabilité, et de leur fonctionnement.
Le Programme de mobilisation communautaire du service de police de Prince Albert se veut une alliance stratégique entre plusieurs organismes communautaires qui vise à améliorer le bien-être de la collectivité par l'entremise de la collaboration intersectorielle.
La mission du programme comporte deux volets : les discussions du Hub et le centre de responsabilité. Les discussions du Hub visent une intervention immédiate en situation de risque aigu le plus rapidement possible, habituellement dans les 24 à 72 heures. Le centre de responsabilité est un centre de recherche et d'analyse à temps plein qui appuie le Hub; il vise à trouver des solutions à long terme aux problèmes systémiques et à trouver les causes profondes des problèmes sociaux.
Qu'est-ce que le Hub de Prince Albert? C'est une discussion d'une heure et demie entre les travailleurs de premier plan de plusieurs organismes du secteur des services sociaux, qui a lieu deux fois par semaine, les mardis et jeudis. Il s'agit d'une discussion; le Hub ne fait pas de gestion de cas et n'a aucun pouvoir. La gestion de cas et la prestation des services relèvent exclusivement des organismes.
Le Hub vise à atténuer les risques et à faire le pont entre les personnes et les services. La discussion du Hub se centre sur une intervention immédiate, coordonnée et intégrée par l'entremise de la mobilisation des ressources existantes pour aider les personnes et les familles qui présentent un risque aigu.
Comment définit-on le risque aigu? Il s'agit d'une situation où une personne est exposée à un risque pour elle-même ou pour les autres et où le risque est à ce point élevé qu'une intervention rapide est jugée nécessaire.
Les quatre éléments suivants définissent un risque aigu : 1) des intérêts importants sont en jeu; 2) la probabilité de préjudice; 3) l'intensité importante du préjudice; 4) la nature multiorganisationnelle du risque.
Les organismes qui participent au Hub de Prince Albert sont les services de protection de l'enfance et de l'aide au revenu, les services de santé mentale et de lutte contre les toxicomanies, le service de police de Prince Albert, le conseil consultatif, les divisions scolaires catholiques et publiques, les services d'aide aux victimes, la GRC, le service des incendies de Prince Albert, l'unité mobile d'intervention d'urgence, les services correctionnels et le Grand conseil de Prince Albert.
Quel est le processus utilisé à la table du Hub? La discussion du Hub vise à aborder des situations présentées par les organismes individuels. Si la situation passe par le processus de filtrage du Hub, on cognera à la porte dans les 24 à 48 heures, habituellement le jour même. Tous les organismes qui peuvent offrir leur aide pour atténuer les facteurs de risque désignés cogneront à la porte des clients pour offrir leurs services. L'idée est d'offrir aux clients les services dont ils ont besoin et de faire le pont vers les services communautaires.
Une fois que les services sont offerts ou que le lien est établi, on ferme le dossier du Hub et les organismes qui ont établi un lien avec les clients par l'entremise du processus sont responsables de gérer leurs besoins.
En ce qui a trait à la protection de la vie privée, nous avons élaboré un processus à quatre filtres. Filtre 1 : les organismes ont épuisé toutes les options qui leur sont habituellement offertes et le risque n'a pas pu être atténué en raison de sa complexité. Chaque organisme utilise un processus de renvoi interne à cette étape-ci.
Filtre 2 : la situation est présentée à la table du Hub, qui décide si on doit l'aborder.
Filtre 3 : la situation est abordée à la table. Si le Hub détermine que les personnes sont déjà prises en charge par les services, alors la discussion s'arrête là.
Filtre 4 : les organismes qui peuvent offrir leurs services se réunissent en plus petits groupes. On peut alors échanger des renseignements plus détaillés et plus pertinents, et offrir les services.
En résumé, le Hub en soi n'est pas une société ni une institution gouvernementale. Il s'agit simplement d'une discussion multiorganisationnelle, d'une intervention rapide dans un environnement discipliné et sécuritaire et d'une manière de collaborer pour offrir aux clients et à leur famille les services dont ils ont besoin.
Parlons maintenant rapidement du centre de responsabilité. Quels sont les services primaires et la structure du centre de responsabilité? Tandis que le Hub se centre sur l'intervention rapide et les problèmes à court terme, le centre de responsabilité travaille à temps plein pour trouver des solutions systémiques à long terme et à faire des recommandations qui se fondent sur l'expérience, la recherche et l'analyse. Le centre de responsabilité travaille avec les organismes à promouvoir les pratiques exemplaires et à désigner les lacunes dans le système.
Bien que le Hub et le centre de responsabilité fassent partie du Programme de mobilisation communautaire du service de police de Prince Albert, ce sont deux organismes distincts. Cette pratique tient compte des recommandations en matière d'évaluation relative à la vie privée. Le centre de responsabilité utilise des renseignements anonymisés pour ses recherches.
Que fait-on des données recueillies par l'entremise de ces processus et comment les utilise-t-on? On intègre les renseignements recueillis et anonymisés à la base de données du Hub. Le comité directeur du Hub examine chaque mois un rapport sur les données. Les facteurs de risque recueillis sont classés selon des catégories de risque afin d'évaluer les risques les plus importants. Le comité directeur du Hub peut faire des recommandations au centre de responsabilité et proposer des domaines de recherche ou des projets d'action pour aborder ces risques.
Quelles sont les réalisations du Hub de Prince Albert? Les organismes du Hub ont proposé 1 668 discussions au cours des 5 dernières années. Quelque 1 498 discussions ont été acceptées et 170 ont été rejetées. Parmi les discussions acceptées, 58 p. 100 ont permis d'orienter les clients vers des services et 33 p. 100 ont permis de présenter aux clients des services qu'ils ne connaissaient peut-être pas avant. Seuls 4 p. 100 des clients ont rejeté l'offre de services.
Voilà pour le Programme de mobilisation communautaire du service de police de Prince Albert. Je cède maintenant la parole à Norm Taylor.
M. Taylor : Au cours des cinq années suivant la création du Hub de Prince Albert, nous avons décidé d'utiliser l'expression « sécurité et bien-être de la collectivité » pour tenir compte du caractère social du projet. Il faut comprendre qu'en 2011, les phrases comme « sécurité et bien-être de la collectivité » n'étaient pas populaires au Canada. Il n'y avait aucune science sociale associée aux approches collaboratives multisectorielles. La plupart des recherches se fondaient sur ce qu'on appelle une approche axée sur les incidents. En d'autres termes, il fallait qu'il se passe quelque chose dans un secteur ou dans un autre. Il fallait qu'une personne soit admise en salle d'urgence, qu'elle soit arrêtée ou qu'elle soit victime d'un crime. C'était donc un incident et notre système savait comment intervenir.
Notre modèle est différent parce qu'il est axé sur le risque. On se concentre sur les risques avant qu'un incident ne se produise et les interventions se fondent sur les facteurs de risque aigu décrits par Markus.
Au début, les réactions ont été nombreuses. De façon particulière, au cours de la première année, on a constaté une diminution importante de l'indice des crimes violents à Prince Albert. La diminution a été continue, bien qu'elle n'ait pas été aussi marquée qu'au cours des deux premières années. L'indice de gravité des crimes violents a diminué de 39 p. 100, je crois, dans certaines catégories. Nous avons vu une diminution du nombre d'appels dans un service de police qui n'avait auparavant connu que des augmentations. En fait, le nombre d'appels avait doublé au cours des huit années précédentes.
Cela a attiré l'attention de la communauté policière, mais aussi des éducateurs, des professionnels des soins de santé et des professionnels des services sociaux du pays.
À l'heure actuelle et à notre connaissance, il y a maintenant 75 répliques du modèle de Prince Albert, qui se fondent sur les disciplines et pratiques mises à l'essai et éprouvées à Prince Albert. Les États-Unis ont également mis en place quatre répliques de notre modèle, et je viens d'apprendre il y a quelques jours que Whitehorse, au Yukon, adopterait peut-être aussi le modèle; ce serait donc un territoire également. Je crois que huit provinces se sont investies pleinement dans ce projet.
Trois provinces en ont fait une stratégie centrale, notamment la Saskatchewan, en vertu de l'initiative Établir des partenariats, à laquelle travaille Matt. La province de l'Ontario a tellement de médecins qu'elle a adopté le modèle en vertu de la Stratégie pour une province de l'Ontario plus sécuritaire annoncée par le ministre Yasir Naqvi il y a quelques mois. On va au-delà de l'approche axée sur le risque du Hub. Les activités du centre de responsabilité décrites par Markus sont considérées à titre d'activités de planification de la sécurité et du bien-être de la collectivité et sont de nature multisectorielle; elles sont concentrées à l'échelle locale régionale et orientées par le même type de données fondées sur le risque.
Le modèle Hub en soi fait l'objet d'une analyse continue, de multiples évaluations et d'un perfectionnement local, mais je suis heureux de dire qu'un des objectifs que nous nous étions fixés dès le départ était d'assurer la fidélité au programme afin que le modèle puisse être reproduit et utilisé de la même façon à Charlottetown, à l'Île-du-Prince- Édouard ou à Surrey, en Colombie-Britannique, dans la mesure du possible. Nous y sommes parvenus dans une large mesure. Tout comme d'autres, nous avons élaboré des modèles de formation fiables pour ce faire.
En juin 2015, pour boucler la boucle, la Saskatchewan a adapté le modèle aux sciences sociales. En collaboration avec d'autres partenaires, le gouvernement de la Saskatchewan a formé l'Alliance sur les connaissances en matière de sécurité communautaire, un centre de création et de transfert des connaissances unique en son genre conçu pour faire avancer la recherche et l'apprentissage dans ce domaine. Plus tôt cette année, l'alliance a lancé la première revue multisectorielle avec comité de lecture consacrée à la sécurité et au bien-être de la collectivité, le Journal of Community Safety and Well-Being. Je suis très fier d'en être le rédacteur en chef. Nous venons de publier notre premier numéro en août; les articles publiés relèvent de la recherche, du milieu universitaire et du domaine de la médecine.
Les praticiens et les champions de l'ensemble du Canada sont enthousiastes et adoptent l'approche en matière de sécurité et de bien-être de la collectivité axée sur le risque pour de nombreuses raisons, notamment pour les avantages qu'elle procure sur le plan économique, opérationnel et social. Il importe de souligner que les policiers ont été des chefs de file à cet égard, notamment pour la réduction évidente du nombre de situations de crise, d'appels de service, d'actes criminels et de tout ce qui encombrait le système de justice pénale.
La sénatrice Batters : Je vous remercie beaucoup de votre présence ici aujourd'hui et de tout le travail que vous consacrez à une solution novatrice pour rendre la vie des gens de ma province plus sécuritaire. C'est ce qui compte.
Je ne sais pas si vous avez lu notre rapport provisoire. Je vous invite à le faire. Dans ce rapport, qui a été publié cet été, nous faisons référence au Hub de Prince Albert à titre de modèle d'innovation que de nombreuses administrations devraient adopter.
Au cours de nos réunions, des témoins ont fait référence à l'équipe d'intervention de Prince Albert. Des gens et le comité l'ont souvent qualifiée de réussite, parce que ce modèle permet de regrouper des services juridiques et d'autres types de services en une seule équipe et d'ensuite orienter les candidats adéquats vers des programmes plus appropriés en vue de minimiser les risques autant que faire se peut.
Monsieur Taylor, voici ma première question. Vous avez mentionné la Saskatchewan et l'Ontario. Quelle était la troisième province?
M. Taylor : L'Île-du-Prince-Édouard s'est engagée plus tôt cette année à se doter d'une stratégie provinciale. Le premier ministre MacLauchlan l'a présentée, et les participants se sont rencontrés le mois dernier. Le comité se penchera sur le document analytique sur la sécurité et le bien-être des collectivités et tout le reste.
La sénatrice Batters : C'est excellent. J'étais chef de cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan lorsque nous avons examiné pour la première fois cette idée avec le ministre des Services correctionnels, de la Sécurité publique et des Services policiers. C'était merveilleux d'assister à la naissance de cette initiative lorsque le chef McFee l'a mise en œuvre à Prince Albert et de la voir se répandre dans l'ensemble de la province.
J'aimerais vous poser une question, compte tenu de votre expérience en la matière. L'une des recommandations de notre rapport provisoire était d'utiliser davantage les technologies. Dans l'équipe d'intervention de Prince Albert, avez- vous été témoin d'avancées technologiques qui pourraient être intégrées aux diverses étapes et aux divers aspects des procédures pénales pour en améliorer l'efficacité et réduire les délais?
M. Taylor : Merci de votre question, sénatrice. Je vous donnerai un début de réponse, puis je demanderai à Markus et à Tamara de faire des commentaires d'un point de vue légèrement différent.
Premièrement, comme je l'ai mentionné, nous avons un projet au sein de la CSKA, ou la Community Safety Knowledge Alliance. Un projet de recherche est en cours en ce qui concerne les équipes d'intervention qui mettent à profit les technologies. Nous avons appris que, même si les équipes d'intervention sont un modèle efficace, des partenaires en matière de services sociaux doivent être présents à la table. Dans certaines petites collectivités, c'est un défi, et c'est encore pire dans les collectivités éloignées, parce qu'elles n'ont peut-être pas sur place de tels professionnels du domaine des services sociaux.
Nous examinons la question des tables qui mettent à profit les technologies, comme nous l'avons fait dans le cas des documents électroniques et des interventions de cybersanté où nous avons pu faire le tri des situations et planifier les interventions en ayant recours à des technologies pour établir le dialogue entre tous ces partenaires.
Je crois que les technologies nous offrent d'incroyables possibilités relativement à l'analyse de données. Je vais demander à Markus et à Tamara de dire quelques mots au sujet de la base de données de suivi des risques et de la nature des données que nous avons maintenant à notre disposition, mais que nous n'avions pas avant d'adopter une approche axée sur les risques.
M. Winterberger : La base de données dont nous avons recours dans nos discussions à la table est probablement un exemple de la façon dont les technologies peuvent être utilisées dans un cadre plus vaste. Nous avons 12 équipes d'intervention en Saskatchewan qui se servent toutes de la même base de données. La date est inscrite en temps réel par Internet durant les discussions de la table. La base de données est hébergée par le ministre de la Justice à Regina. Bref, toutes les données des différentes équipes sont mises en commun.
C'est certainement un aspect. Cela se veut aussi une manière de créer la possibilité de rendre accessibles les données. Je constate souvent qu'il y a de nombreux systèmes de données qui ne se parlent pas. Les données sur la santé dans une région peuvent être complètement différentes de celles d'une autre. Les systèmes ne se parlent pas, et les données ne sont pas accessibles. Elles le sont peut-être au sein de la région, et encore.
En ce sens, je crois que les technologies pourraient améliorer l'accès aux données du système de justice et leur collecte, ce qui permettrait à long terme de réaliser des analyses pour améliorer l'efficacité des procédures judiciaires. C'est seulement une possibilité.
M. Taylor : Si vous me le permettez, j'aimerais montrer le lien entre cela et l'objectif précis. Je sais que dans votre rapport et vos délibérations vous avez examiné les tribunaux de la santé mentale, les tribunaux spécialisés dans la violence conjugale et les tribunaux spécialisés. J'ai eu des discussions avec un juge provincial que je connais très bien. Il a souvent répété que les tribunaux de la santé mentale étaient excellents, mais que seulement un très petit nombre de personnes qui remplissent certaines conditions y ont accès.
Il a vu dans le modèle d'intervention la capacité de prendre le type de données dont Markus parlait à l'instant et de les rendre beaucoup plus accessibles. Imaginez-vous l'effet que cela aurait si des agents correctionnels, des procureurs ou d'autres intervenants liés au système de justice pénale avaient accès à l'abondance de données qui sont utilisées dans les tribunaux de la santé mentale et qu'ils s'en servaient pour un plus grand nombre de personnes et dans un plus grand nombre de situations.
Nous pourrions sortir des jeunes du système de justice pénale en leur fournissant le soutien adéquat. Rien ne nous empêche de faire de même avec un plus vaste groupe de personnes. Le soutien aux victimes peut aussi être amélioré grâce aux données axées sur les risques. Nous avons appris que bon nombre des situations que nous traitons au sein des équipes portent beaucoup plus sur la possible victimisation que le délinquant. Voilà ce que je voulais vous dire.
Le sénateur McIntyre : Merci de vos exposés. Je suis ravi de voir que vous faites la promotion du modèle non seulement au sein de la province, mais aussi à l'extérieur.
Savez-vous s'il existe, dans d'autres pays, des modèles capables de gérer les procédures pénales et de limiter les délais que les gouvernements du Canada devraient songer à étudier?
M. Taylor : Sénateur, si vous le permettez, j'aimerais décortiquer votre question. Je ne pense pas être qualifié pour faire des commentaires en ce qui concerne précisément les procédures relatives aux poursuites criminelles. Cependant, je peux vous parler des fondements de notre travail au sein de l'équipe d'intervention et de notre approche plus globale axée sur les risques par rapport à la sécurité et au bien-être des collectivités. Nous nous sommes fondés sur les expériences écossaises, néerlandaises, colombiennes et même sud-africaines. Dans le cas de la Colombie, des cuadrantes locales sont mises sur pied à Bogotá et relèvent des autorités municipales. Elles élaborent des stratégies de collaboration en vue d'améliorer la sécurité et le bien-être, et ces stratégies ont permis de considérablement réduire la criminalité et la victimisation. Le modèle écossais est également bien établi à cet égard.
J'ai le privilège d'être directeur du programme d'études internationales de l'Association canadienne des chefs de police. Au cours des 14 dernières années, j'ai envoyé 150 cadres supérieurs dans 35 pays. Nous avons appris que la collaboration ou la capacité de mobiliser les autres parties du système est pratiquement la seule manière de gérer les répercussions économiques croissantes des services de police dans le système de justice pénale. Nous devons réduire la demande, et nous le faisons en mettant l'accent sur les facteurs de risque. C'est souvent appelé le modèle de santé publique.
Le sénateur McIntyre : Un autre témoin aimerait-il faire un commentaire?
Matt Gray, directeur, Établir des partenariats pour réduire la criminalité, ministère de la Justice, Gouvernement de la Saskatchewan : Oui. Merci, sénateur.
J'aimerais confirmer le point que vient de faire valoir Norm. Au cœur de la collaboration et de la mobilisation dans tout type de programme ou d'initiative dans le domaine du système de justice pénale, de la santé ou de l'éducation, la communication de renseignements pertinents aux bonnes personnes et au bon moment est fondamentale. À la base, tout type de collaboration, de mobilisation des services ou de gestion coopérative des dossiers exige que les bons renseignements soient communiqués aux bonnes personnes et au bon moment.
Je sais que cela ne répond pas à votre question, mais je crois que c'est pertinent.
Tamara Dunlop, analyste tactique, Community Mobilization Prince Albert : J'aimerais également faire un commentaire. La base de données regroupe des données spéciales. Nous avons la capacité dans la province grâce aux 12 équipes d'intervention d'offrir à chacune son propre portail. Les données extraites de la base de données qu'elles analysent sont propres à leur collectivité.
Ce qui se passe à Moose Jaw, en Saskatchewan, en ce qui a trait aux facteurs et aux catégories de risque est très différent de ce qui se passe à La Ronge. Nous sommes en mesure de cerner les risques précis pour chaque collectivité, parce que ces risques peuvent être très différents d'une collectivité à l'autre.
M. Winterberger : Si vous me le permettez, je vois un lien entre la réduction des délais et notre travail, même si c'est peut-être un lien un peu indirect. Si je ne m'abuse, la première recommandation de votre rapport provisoire était de trouver des manières d'améliorer la gestion des dossiers. C'est un élément que nous avons cerné grâce aux données des équipes d'intervention. La collecte de données nous a permis de réaliser qu'il y a des situations, en particulier dans les dossiers complexes, où nos services ne rendent pas justice aux personnes. Nous les voyons revenir, et nous constatons qu'il y a une mention à leur sujet dans la base de données comme quoi ils ont des problèmes systémiques.
Grâce à cela et à la reconnaissance sur la scène locale du travail du centre de responsabilité, nous pouvons déterminer que cette gestion des dossiers ne se fait pas actuellement et que des personnes perdues font sans cesse le tour des services et se retrouvent régulièrement devant le système de justice pénale. Tout le monde est au courant, mais c'est cyclique, et ces personnes congestionnent les tribunaux. Cela augmente les délais dans le système de justice, parce que ces situations nécessitent des efforts, alors que cela pourrait être traité de manière beaucoup plus préventive grâce à une meilleure gestion des dossiers et à de meilleurs services axés sur les clients.
Le sénateur McIntyre : Autrement dit, des lacunes dans les données pourraient occasionner des délais dans les poursuites criminelles.
M. Winterberger : Je ne suis pas certain de vous suivre.
Le sénateur McIntyre : Il était question des données, et vous avez dit que des lacunes à cet égard pourraient poser des problèmes. Est-ce bien ce que vous avez dit?
M. Winterberger : Je présume que plus les données sont précises et complètes, meilleure est notre analyse de la situation.
Le sénateur McIntyre : Merci.
Le président : Sénateur Dagenais, allez-y.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Taylor. Vous me direz si vous avez vécu la même situation en Saskatchewan. Au Québec, le gouvernement, dans le but d'économiser de l'argent, a décidé de fermer plusieurs institutions. Des gens qui souffrent de troubles psychologiques se sont donc retrouvés à la rue et ont pu commettre une variété de crimes auxquels ont été confrontés les policiers du Service de police de la ville de Montréal. De malheureux événements se sont produits. Aujourd'hui, force est de constater que les policiers agissent davantage comme des travailleurs sociaux que des policiers. Autrement dit, ils doivent tenir compte de la santé mentale des individus, et certaines directions de corps de police ont décidé d'offrir de la formation à ce sujet à leur personnel.
Ce matin, nous avons rencontré des gens de la Cour provinciale. Tout le monde doit mettre l'épaule à la roue dans le même sens. Les avocats de la défense, de la Couronne, et les services policiers doivent travailler ensemble afin de trouver une solution. Auriez-vous une recommandation à nous faire que nous pourrions inscrire à notre rapport? Quelle serait votre principale recommandation pour régler ce problème qui entraîne des retards dans les cours de justice?
[Traduction]
M. Taylor : Sénateur, merci beaucoup de soulever cet enjeu.
Comme vous avez entendu Markus le mentionner, nous avons eu plus de 1 000 situations au sein de l'équipe d'intervention de Prince Albert. Si nous additionnons tous les cas semblables au pays, nous avons bien au-delà de 5 000 situations présentant un risque aigu que nous avons maintenant triées et que nous sommes parvenus à comprendre. Je peux vous affirmer que systématiquement partout au pays les problèmes de santé mentale, qui sont aggravés par d'autres facteurs de risque, comptent au moins parmi les deux principaux facteurs de risque que nous constatons, en particulier chez les jeunes.
C'est un grave problème au pays, et c'est en partie ce qui nous a poussés à adopter le modèle des équipes d'intervention. Nous avons rapidement appris que bien des éléments contribuaient à la victimisation et aux taux élevés de violence et de criminalité même à Prince Albert et que ces éléments étaient liés à des problèmes de santé mentale qui sont aggravés par la toxicomanie, des problèmes liés au logement et à l'itinérance, et cetera.
Je ne suis pas clinicien. Je ne peux donc pas commenter les décisions ayant trait à la désinstitutionnalisation au Québec, en Ontario, où j'habite, et ici en Saskatchewan. Je suis certain qu'il y a de très bonnes raisons pour cela. J'ai entendu de nombreux professionnels m'affirmer que c'est encore une meilleure manière de traiter les personnes. Cependant, notre erreur a été de ne pas reconnaître la nécessité d'offrir le soutien dont ces personnes ont besoin et de les placer dans un système qui fonctionne en vase clos.
Nous avons grandement étudié cette question, et j'aimerais vous expliquer ce que permet notre modèle. Pour la première fois, ces personnes qui doivent composer avec des facteurs de risque cumulatifs sont en mesure d'être traitées grâce à des interventions auxquelles participent toutes les parties concernées. Les problèmes de santé mentale ne sont pas en soi un indicateur de criminalité. Pour être bien honnête, ils sont davantage un indicateur de victimisation, mais nous savons que ces problèmes, lorsqu'ils sont aggravés par la toxicomanie, l'itinérance, la violence à la maison et d'autres facteurs, sont un baril de poudre.
Nous faisons le suivi de certains résultats anecdotiques. Nous faisons beaucoup pour suivre les gens qui ont été aidés. L'une des meilleures expressions que j'ai entendues provient de Brandon, au Manitoba, où une jeune femme qui a des problèmes de santé mentale a reçu l'aide de l'équipe d'intervention qui lui a permis de se débarrasser de ce qu'elle comparait à un sac à dos de 300 livres. C'est ce qu'elle avait l'impression d'avoir sur les épaules, soit les facteurs cumulatifs qui pesaient sur elle et qui l'entraînaient vers une vie de criminalité et de victimisation. L'équipe d'intervention a été en mesure de lui offrir instantanément des services complets pour l'aider à se débarrasser de ce poids, comme elle l'a dit.
Voici une recommandation pour vos travaux. À moins d'adopter une telle approche et de continuer non pas d'être présent après les faits, mais bien de traiter les facteurs de risque au moyen d'une approche axée sur la collaboration, le même problème continuera de se répéter, et la situation s'empirera.
Le bon côté, c'est que nous avons maintenant énormément de données empiriques qui prouvent à quel point c'est efficace. Lorsque nous pouvons regrouper tous les intervenants du système, ces personnes évitent de tomber dans un état de crise. Elles sortent de cet état de risque aigu.
Comme vous avez entendu Markus le dire, seulement 4 p. 100 des personnes ont refusé les interventions offertes par une équipe. C'est donc dire que 96 p. 100 d'entre elles nous ont remerciés et sont maintenant en mesure de recevoir l'intervention nécessaire pour retrouver le droit chemin.
Tous leurs problèmes ne sont pas pour autant réglés. Nous en sommes conscients. Nous savons qu'elles ont encore des problèmes, mais nous les aidons à se sortir de cet état de risque aigu qui mène à de graves interventions qui les blessent, qui blessent des policiers et qui dérangent vraiment la société.
Le président : Monsieur Taylor, vous mentionnez avoir énormément de données empiriques. J'essaie seulement de faire le lien entre cela et le principal mandat du comité qui est d'examiner les délais dans le système de justice. Je crois vous avoir entendu dire que vous consacriez beaucoup d'énergie au suivi. Dans le cadre de ce processus, essayez-vous d'établir un tel lien?
Il ne fait aucun doute que certaines initiatives ont des avantages sociaux considérables. Nous avons visité des tribunaux de la santé mentale, des tribunaux spécialisés dans la violence conjugale et des tribunaux de traitement de la toxicomanie, mais c'est tout un défi d'essayer de trouver le lien qui existe entre cela et les répercussions sur les tribunaux, et c'est le moins qu'on puisse dire. Est-ce un aspect que vous essayez de surveiller?
Je viens de le demander à notre analyste, et les seules données que nous avons concernent 2011-2012 et 2010-2011. La durée médiane des procès devant les tribunaux pour adultes en Saskatchewan a légèrement diminué; elle est passée de 75 en 2010-2011 à 72 en 2011-2012.
Parmi les preuves empiriques que vous avez recueillies, y a-t-il quelque chose que nous pourrions inclure dans notre rapport final?
M. Taylor : C'est une excellente question. En ce qui concerne le suivi, l'évaluation et toute la gamme de résultats dont vous avez parlé, monsieur le sénateur, sachez qu'il existe un certain nombre d'études. Nous serons heureux de les mettre à la disposition de votre comité afin qu'elles fassent partie de la documentation. On a publié 12 évaluations ou études sur le modèle Hub, ou le modèle des tables de situation, comme on l'appelle en Ontario. À cela s'ajoutent des rapports analytiques de données, ainsi qu'un certain nombre de documents de recherche.
J'aurais bien voulu citer une étude précise qui présente une analyse directe de l'incidence de la réduction des risques et des procédures criminelles. Je ne crois pas que ce soit possible. Il y a de nombreuses raisons à cela. Tout ce travail est encore très nouveau. Cela ne fait vraiment que trois ou cinq ans que nous recevons ces données. Pour la gouverne du comité, si vous deviez concentrer votre attention sur un aspect, ce serait le point soulevé par Matt.
Une des raisons pour lesquelles nous ne disposons pas de ces renseignements, c'est que le système n'est pas propice à l'échange des données. Quand nous essayons d'étudier les répercussions sur la réduction du nombre d'admissions à l'urgence, nous ne pouvons pas trouver de correspondances entre les données de l'hôpital et les données du modèle Hub parce que la pratique actuelle limite la capacité des gens d'échanger de l'information.
Il en va de même pour notre principal défenseur et représentant, le sous-ministre McFee au ministère provincial de la Justice, en collaboration avec son ministère partenaire, soit le ministère du Procureur général. Même dans ces circonstances, nous ne pouvons pas obtenir des ensembles de données qui concordent et qui nous permettent d'établir des liens.
Relativement aux grandes questions sur lesquelles se penche votre comité, nous appuyons tout ce qui nous aidera à améliorer ces connexions de données et à procéder au type d'analytique qui nous permettra de déceler les points de convergence entre divers secteurs. C'est de cela que nous aurons besoin.
À l'heure actuelle, une étude est menée conjointement par la Saskatchewan et l'Ontario afin d'examiner les pratiques de détention préventive et de détermination de la peine. Ce travail mettra en lumière certaines pistes de solution, mais il faut dire que nous avons du mal à obtenir les bons renseignements et à tenir les discussions qui s'imposent.
Le président : Les difficultés liées à la collecte de données ne sont certes pas l'apanage de la Saskatchewan. Même dans le cas de Statistique Canada et du système juridique en général, nous nous trouvons parfois dans des situations frustrantes à cause du manque d'information disponible dans certains domaines importants.
Les sénateurs ont-ils d'autres questions à poser dans le peu de temps qui nous reste? Sinon, l'un ou l'autre des témoins aimerait-il ajouter quelque chose avant que nous concluions?
M. Gray : Avant de travailler pour le gouvernement de la Saskatchewan, j'ai fait carrière dans les forces de l'ordre. J'ai été policier pendant 18 ans. J'étais en train de réfléchir à votre question sur la façon d'alléger le système judiciaire sur le plan des problèmes de santé mentale.
Dans bien des cas, la procédure judiciaire se déclenche dès qu'un petit incident ou un crime relativement mineur est commis par une personne souffrant d'un épisode de maladie mentale. À cause de facteurs cumulatifs liés aux troubles mentaux ou du manque de services de gestion des cas, ces gens se retrouvent sans cesse devant les tribunaux à la suite de manquements aux conditions de la mise en liberté sous caution ou aux règles de procédure judiciaire. Ils sont donc pris dans le système. Comme les témoins précédents l'ont mentionné, il serait utile d'avoir d'autres méthodes de déjudiciarisation. Malheureusement, nous nous contentons parfois de laisser le système judiciaire gérer les problèmes de santé mentale.
Pour revenir au point soulevé par Norm sur les capacités d'échange de renseignements avec nos partenaires du secteur de la santé, l'établissement de partenariats importants permettrait d'alléger considérablement le fardeau dans le cas des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale et qui commettent des crimes très mineurs. À l'heure actuelle, on ne fait rien pour régler ces problèmes. On n'offre pas de thérapie à ces gens. Ils finissent donc par récidiver. D'ailleurs, ils ne se retrouveraient probablement même pas devant les tribunaux s'ils avaient accès à un programme de déjudiciarisation offert par un établissement de santé.
Le président : Personnellement, j'ai certaines réserves à l'égard de tous les organismes, associations et programmes qui sont en place. Je ne perds pas de vue le mandat du comité relativement aux délais judiciaires. Nous avons parlé aujourd'hui du tribunal de traitement de la santé mentale et de la violence conjugale. Lorsqu'on voit le système carcéral, les prisons et les infractions commises par des gens qui souffrent, sous une forme ou une autre, de maladie mentale, en particulier du côté des femmes dans les collectivités autochtones, les statistiques disponibles mettent en lumière un problème de plus grande envergure, à savoir l'utilisation efficace des ressources limitées.
Comme je l'ai mentionné ce matin lorsque nous parlions du tribunal de traitement de la santé mentale de Saskatoon, il y a quelques années, on nous avait donné l'assurance que nous aurions les services communautaires nécessaires pour composer avec les difficultés engendrées par la fermeture des établissements auxquels tous ces gens avaient l'habitude de recourir.
Voilà pourquoi, dans le cadre des délibérations du comité, je compte encourager les témoignages de ceux qui œuvrent dans le domaine de la santé mentale afin qu'ils nous parlent des mérites de leur travail et de celui de leurs collègues dans le secteur de la santé et afin qu'ils nous expliquent comment on n'a pas su remplir les engagements qui avaient été pris à la fermeture de tous ces établissements.
M. Taylor : Je suis tout à fait d'accord sur ce que vous venez de dire et je pense que c'est là une grande priorité. Permettez-moi de revenir à votre échange avec Matt, car j'aimerais faire un lien avec le point soulevé par la sénatrice Batters au sujet de la technologie et donner suite à la question du sénateur McIntyre sur l'expérience d'autres pays.
Je ne voudrais surtout pas que le comité ait l'impression que les gens n'essaient pas de regrouper et d'améliorer les données, mais une chose qui me paraît très prometteuse dans ce domaine, c'est que le Centre canadien de la statistique juridique fait un excellent travail, notamment grâce à sa récente étude sur les démêlés répétés. Plusieurs initiatives sont en cours à cet égard.
Les résultats du modèle Hub ne font aucun doute; comme Markus l'a expliqué, nous rassemblons des gens tous les mardis et jeudis matin. Nous sommes en mesure de faire quelque chose sur le plan humain : échanger des idées et des points de vue. Je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas capables d'obtenir le même effet grâce à toutes les données disponibles. Nous avons constaté que la plupart des données existent déjà.
Dans d'autres pays, on utilise de plus en plus d'outils comme les systèmes analytiques dictés par des règles. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont effectué beaucoup de recherches dans ce domaine. Nous nous engageons dans cette voie. Pour comprendre comment la technologie contribue réellement à la réalisation de ces gains, au regard des observations que vous venez de faire, monsieur, nous devrions nous demander pourquoi nous refusons que les données soient mises à profit à cette fin.
De nos jours, il existe des méthodes qui permettent de dépersonnaliser et d'anonymiser ces données. Ainsi, nous pouvons protéger la vie privée des gens. Nous pouvons également laisser les données parler d'elles-mêmes pour nous aider à comprendre les tendances, les besoins en matière de soutien et les façons dont nous pouvons réorienter le système afin de fournir aux gens les mesures de soutien qui les aideront à rester dans le droit chemin.
Selon moi, c'est ce qui se profile à l'horizon. Voilà vers quoi nous nous dirigeons dans le dossier de la sécurité et du bien-être des collectivités. Nous allons au-delà de l'interaction humaine propre au modèle Hub pour miser sur l'analytique des données, c'est-à-dire nous fier aux données pour comprendre les risques. Nous adoptons la même approche que celle suivie par l'Organisation mondiale de la Santé dans ses programmes de lutte contre la faim ou les maladies. Nous savons que les problèmes de criminalité et de victimisation présentent à peu près les mêmes constantes.
Je vous recommande donc de faire tout en votre pouvoir pour promouvoir ce genre de systèmes et pour encourager les organismes administratifs qui possèdent les données à commencer sans tarder à favoriser l'échange des données.
Le président : Je vous remercie tous d'avoir été des nôtres et d'avoir pris le temps de contribuer à nos délibérations. Nous vous en sommes reconnaissants.
Nous passons maintenant au dernier groupe de témoins de la journée. Nous recevons Craig Goebel, chef de la direction, et Joanne Khan, directrice des services légaux, tous deux de la Legal Aid Saskatchewan. Nous accueillons également trois représentantes du Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones de la Saskatchewan : Annette Ermine, gestionnaire du programme, Kathleen Makela, gestionnaire, programme d'études juridiques pour les peuples autochtones, Native Law Centre, College of Law, Université de la Saskatchewan, et Carol Lafonde, assistante parajudiciaire aux Autochtones. Enfin, nous recevons Michael Owens, vice-président, et Andrew Mason, président, de la Saskatoon Criminal Defence Lawyers Association Inc.
Kathleen Makela, gestionnaire, programme d'études juridiques pour les peuples autochtones, Native Law Centre, College of Law, Université de la Saskatchewan, Saskatchewan Aboriginal Courtworker Program : Merci. Je vais vous présenter très brièvement le Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones de la Saskatchewan et son rôle dans le contexte des délais judiciaires.
Je suis la présidente du conseil consultatif du Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones de la Saskatchewan et je suis accompagnée de deux de mes collègues : Annette Ermine, gestionnaire du programme, et Carol Lafonde, assistante parajudiciaire aux Autochtones. Je ferai attention au temps et, après mon exposé, nous répondrons ensemble aux questions.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier de nous donner l'occasion de venir vous parler. Si vous me le permettez, je vous rappelle que nous vous avons fourni trois documents et nous vous invitons à les consulter probablement ce soir ou demain pour la suite de vos délibérations. Le premier document, qui se veut une présentation du programme d'assistance parajudiciaire, contient quelques pistes de réflexion. C'est sur quoi je vais m'attarder maintenant.
Nous avons également inclus, dans l'annexe A, le document d'information en date de février 2013 sur le Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones. C'est un document assez à jour, qui vous aidera à mieux comprendre le programme. L'annexe B contient l'évaluation du Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones. Il s'agit d'un rapport national publié en mars 2013. On y examine le Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones de la Saskatchewan et tous les autres programmes similaires offerts dans l'ensemble du pays.
J'ai préparé quelques notes auxquelles je vais me reporter, alors je vous prie de m'excuser. Je voudrais commencer par expliquer que le Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones a été créé, pour la première fois, en 1969 par le PA Friendship Centre. Le programme tel que nous le connaissons aujourd'hui a été établi en 1994. Nous offrons des services selon presque les mêmes paramètres depuis 1995.
La Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan, qui s'appelle maintenant la Fédération des nations autochtones souveraines, et la nation métisse de la Saskatchewan ont joué un rôle primordial dans la réforme du programme en 1994, et elles demeurent des partenaires encore aujourd'hui.
Le Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones de la Saskatchewan comporte deux caractéristiques essentielles. Premièrement, le programme est offert par des Autochtones en Saskatchewan. Les fournisseurs qui s'occupent de la prestation du programme sont des organismes autochtones basés dans les collectivités, et les conseillers parajudiciaires sont, eux-mêmes, des Autochtones. Deuxièmement, le programme ne tient pas compte du statut. En effet, les conseillers parajudiciaires n'obligent pas les clients à présenter une pièce d'identité. Tant qu'ils s'identifient comme Autochtones, ils peuvent accéder aux services offerts par les conseillers parajudiciaires.
Le programme d'assistance parajudiciaire a toujours eu pour objectif de relever les défis particuliers auxquels font face les Autochtones dans le système judiciaire. Les conseillers parajudiciaires passent le plus clair de leur temps devant les tribunaux. Leur travail consiste à aider les Autochtones à comprendre ce qui se passe au juste. Autrement dit, en quoi consistent les accusations portées contre eux et comment la procédure judiciaire se déroulera-t-elle? Les conseillers parajudiciaires expliquent également au personnel du système de justice la situation d'un Autochtone non seulement dans le cadre de la procédure judiciaire, mais aussi dans le contexte de la Saskatchewan.
En somme, le programme d'assistance parajudiciaire fait en sorte que les Autochtones soient traités de manière juste, équitable et respectueuse sur le plan de leur culture dans notre système de justice pénale. Nous avons élargi la portée du programme afin d'y inclure le système de justice familiale et, à certains égards, le système de justice pour les jeunes, mais surtout en ce qui a trait à des affaires de justice pénale.
Comme vous le savez sans doute, les Autochtones se heurtent à des difficultés tout à fait particulières lorsqu'ils ont affaire avec le système judiciaire en Saskatchewan et au Canada. Annette en parlera probablement durant la période des questions. Selon nous, l'histoire et les séquelles des pensionnats et la colonisation subie par les Autochtones influent encore aujourd'hui sur la façon dont les Autochtones sont traités et représentés dans le système judiciaire. Nous pouvons en reparler tout à l'heure, et vous pouvez également lire à ce sujet dans les rapports que je vous ai remis.
On peut dire sans se tromper que la plupart des juges et des fonctionnaires de la cour sont d'avis que les conseillers parajudiciaires offrent un service indispensable. Ils aident à accélérer le traitement des dossiers juridiques et le déroulement des procédures judiciaires en favorisant la compréhension mutuelle et la communication entre eux et les Autochtones qui comparaissent devant les tribunaux et qui interagissent avec le système judiciaire.
Le programme de la Saskatchewan repose sur un modèle unique. Les conseillers parajudiciaires sont embauchés et supervisés par des organismes d'exécution, lesquels sont établis au sein des collectivités. Ces organismes offrent des locaux à bureaux, un accès téléphonique, un accès aux courriels, ainsi que des services de vérification. Ils ne paient pas les salaires ou les avantages sociaux. C'est la province qui s'en occupe par l'entremise du programme d'assistance parajudiciaire.
Le premier composant est donc l'organisme d'exécution qui assure la prestation du programme. Le deuxième composant du programme est représenté par la gestionnaire du programme, Annette Ermine. Elle est responsable de l'administration quotidienne du programme d'assistance parajudiciaire partout dans la province. Elle relève de la province. En plus de surveiller la conformité aux accords de financement, elle assure la planification à long terme, la formation et la désignation des conseillers parajudiciaires. Elle s'occupe également de l'élaboration de programmes et de la collaboration avec un conseil consultatif.
Cela nous amène au troisième composant du programme, c'est-à-dire le conseil consultatif chargé de la gestion du programme, conseil que je préside d'ailleurs. On y trouve des représentants de la Fédération des nations autochtones souveraines, ainsi que de la nation métisse de la Saskatchewan et du ministère provincial de la Justice.
Le message important que nous voulons vous transmettre aujourd'hui, c'est que le programme d'assistance parajudiciaire est une ressource précieuse. Malheureusement, depuis 2002, le programme est soumis à un plafond de financement fédéral. Depuis 14 ans, les fonds consacrés à ce programme à frais partagés s'élèvent à 5,5 millions de dollars à l'échelle nationale. La moitié de l'argent dépensé en Saskatchewan, soit 620 000 $, provient du gouvernement fédéral. Ce montant n'a pas changé depuis 2002.
La population autochtone en Saskatchewan est en pleine croissance. Or, étant donné qu'un grand nombre d'Autochtones ont des démêlés avec la justice, que ce soit dans le système de justice pénale, familiale ou pour les jeunes, la Saskatchewan a dû rationaliser ses services et les réduire à leur plus simple expression. La province compte un programme de partage des coûts à parts égales et, jusqu'à l'année dernière, elle payait plus de 70 p. 100 des coûts du programme.
Dans le document que je vous ai remis, vous verrez que la Saskatchewan a financé le programme de façon disproportionnée. Toutefois, ce financement n'a pas été renouvelé dans le dernier exercice budgétaire. Le gouvernement provincial a réduit de plus de 700 000 $ le financement accordé au Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones de la Saskatchewan. Résultat : alors que nous pouvions offrir des services à 85 p. 100 des tribunaux de la province, nous n'en pouvons desservir maintenant que 55 p. 100.
En fait, le financement actuel correspond au montant accordé en 1995. Par conséquent, le nombre de conseillers parajudiciaires en Saskatchewan est passé de 35 à 19 et, depuis quelques années, on ne compte que 5 conseillers des services familiaux aux Autochtones.
Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions, mais il est important de comprendre qu'en raison du plafond de financement et des récentes compressions dans le financement provincial, le programme d'assistance parajudiciaire est mis à rude épreuve. Nos conseillers parajudiciaires sont dévoués à leur travail. Les organismes d'exécution qui désignent et surveillent les conseillers parajudiciaires subissent, eux aussi, beaucoup de pression. Il s'agit d'organismes communautaires qui n'ont pas beaucoup d'argent supplémentaire. Bref, nous aimerions que l'engagement envers le programme d'assistance parajudiciaire soit réexaminé à l'échelle nationale et provinciale, et nous vous invitons à envisager la possibilité d'accroître le financement à cet égard. Voilà l'essentiel de mon message.
Craig Goebel, chef de la direction, Legal Aid Saskatchewan : J'aimerais mentionner deux ou trois choses qui ne sont pas dans l'exposé écrit que nous avons déposé aujourd'hui, et je vous prie de m'excuser de ce retard.
La première chose, c'est qu'il n'y a pas de manque de bonne volonté en ce qui concerne les partenariats et les relations qui se nouent en Saskatchewan autour du système de justice pénale. Je peux affirmer sans hésitation que le Programme d'assistance judiciaire aux autochtones a une valeur incalculable. Les compressions dont le programme a fait l'objet ont été un choc pour tous les intervenants du système : les clients, la Couronne, les juges et les avocats de la défense. Cela ne fait aucun doute. Les relations entre les avocats de la Couronne, le personnel de l'aide juridique, les avocats et les avocats de la défense sont bonnes partout dans la province. Principalement, les relations que nous parvenons à établir avec les juges sont de bonnes relations.
Selon moi, la bonne volonté qui règne dans la province devrait permettre une coopération beaucoup plus soutenue qu'elle ne l'est présentement. Nous devons pour ce faire retirer la cape du bon travail dans laquelle nous nous drapons et reconnaître le fait que nous n'avons peut-être pas de vêtements. D'après ce que je peux voir, nous devons avancer plus rapidement et nous investir beaucoup plus dans notre travail si nous voulons que le système fonctionne mieux.
Le commentaire formulé dans le rapport provisoire du comité est instructif. Je suis allé à d'autres endroits et j'ai travaillé dans d'autres domaines. J'ai eu des conversations où tout le monde s'entendait pour dire que les délais organisés ou non intentionnels du système tiraient tout vers le bas. Il ne fait aucun doute que c'est probablement le cas et que les choses devraient être accélérées.
Nous devons faire montre d'une bienveillance accrue les uns envers les autres en ce qui concerne notre participation et nos torts. Lorsque j'en ai l'occasion, je rappelle que Legal Aid Saskatchewan et les avocats de la défense peuvent toujours s'améliorer. Ils pourront toujours être plus efficaces et plus productifs. Il s'agit simplement de voir comment tout le monde peut travailler en fonction de cet objectif.
Joanne Khan, directrice des services juridiques, Legal Aid Saskatchewan : J'abonde dans le même sens que M. Goebel lorsqu'il souligne l'importance d'appuyer les partenaires avec qui nous travaillons aux tribunaux. Les conseillers parajudiciaires et ceux qui travaillent en médiation fournissent une aide précieuse. Nous travaillons tous ensemble. Nous les appuyons sans réserve. Il est vraiment regrettable de voir à quel point on leur a coupé les vivres.
Ce matin, vous avez eu l'occasion de parler avec des gens de la Cour provinciale. J'ai également parlé un peu d'une stratégie en santé mentale à leur intention. Il y a des choses intéressantes qui peuvent être faites pour diminuer les délais ou y mettre fin. L'une de ces choses est de viser une résolution précoce dans la salle d'audience no 1, c'est-à-dire là où sont fixés les cautionnements. C'est l'endroit où la défense et la Couronne se rencontrent avant d'aller devant le tribunal afin de discuter des résolutions possibles. En privilégiant cette façon de faire, nous pourrions régler la question en amont, c'est-à-dire avant de commencer à prendre du retard.
Comme l'a dit M. Goebel, nous avons de très bonnes relations. Nous sommes très heureux de travailler avec nos partenaires. Nous sommes désemparés devant le nombre toujours grandissant de clients qui sont en détention ou en détention provisoire. Nous peinons à composer avec cet état de fait. Nous essayons de trouver de meilleures façons de procéder, des pratiques exemplaires, et nous tentons d'orienter nos ressources en ce sens.
[Français]
Andrew Mason, président, Saskatoon Criminal Defence Lawyers Association Inc. : Merci pour l'invitation de faire une présentation à votre comité.
[Traduction]
Nous voulons certes parler des délais, mais ce dont nous voulons vraiment parler, ce sont des délais en fonction de la qualité de la justice pratiquée. Notre association représente environ 50 avocats de la défense de Saskatoon. Nous existons depuis 1979 et notre expérience collective fait en sorte que nous avons une connaissance approfondie de certaines des raisons qui, du point de vue de la défense, peuvent causer des délais, et c'est ce dont nous aimerions vous faire part.
La qualité de la justice est plombée de bien des façons par les délais excessifs attribuables aux tribunaux. Les affaires qui ne sont pas nécessairement le seul fait de la poursuite ou des cours contribuent à l'augmentation du fardeau qui pèse sur les tribunaux. Cela contribue aux retards que les cours accumulent dans le traitement des affaires ainsi qu'aux délais institutionnels.
Nous aimerions souligner un certain nombre de facteurs consignés dans la présentation écrite que vous avez reçue. Je vais parler de trois de ces facteurs et notre vice-président, Michael Owens, vous parlera de trois autres.
Le premier facteur que je vais aborder s'inscrit bien dans la lignée des présentations que vous venez d'entendre. Il s'agit des engorgements attribuables au manque de ressources pour les programmes d'aide juridique et de conseillers parajudiciaires. Le fait qu'un accusé ne soit pas en mesure d'obtenir et de retenir les services d'un conseiller efficace en temps voulu se traduit par une multiplication des comparutions en cour. Or, ces comparutions doivent être administrées par la cour, par la poursuite. Il y a des piles et des piles de dossiers à traiter. Le conseiller de l'aide juridique doit se rendre sur place avec des piles de dossiers, et informer les prévenus qu'ils ont rendez-vous avec lui dans six semaines. Il y a tous ces fardeaux qui minent le processus.
Vous pouvez bien avoir toute la bonne volonté du monde et des ressources adéquates pour les cours et la poursuite, mais si vous ne soutenez pas aussi l'aide juridique, il y aura perte de ressources. Ces ressources seront minées inutilement à cause d'un financement insuffisant de l'aide juridique. L'aide juridique est en crise et cela ne date pas d'hier, mais la situation est particulièrement grave à l'heure actuelle, dans cette province.
Le programme des conseillers parajudiciaires a permis de réduire considérablement ce fardeau en permettant aux conseillers de rencontrer les accusés mis sous garde au moment de leur arrestation. Les conseillers pouvaient alors recueillir des renseignements auprès des accusés et monter un bon dossier pour les faire libérer. Une quantité excessive de détentions sont attribuables au manque de ressources pour la préparation des dossiers. Beaucoup de gens qui sont en détention auraient probablement pu être relâchés s'ils avaient eu accès à des ressources appropriées lors de l'enquête sur le cautionnement. Ceci n'est certes pas la seule raison, mais certains problèmes comme celui-là pèsent sur l'aide juridique. En effet, le fait pour un conseiller d'avoir à se rendre au centre correctionnel pour rencontrer un client est beaucoup moins efficient que de recevoir ce client à son bureau.
Certaines choses ont changé depuis l'affaire Gladue et l'affaire Ladue qui a suivi en Cour suprême. Les cours qui doivent déterminer la peine sont désormais tenues de reconnaître les facteurs mis en évidence par l'affaire Gladue. Pour que cela puisse se faire, nous devons présenter les affaires de façon méthodique. Il s'agit en essence de retourner dans le passé du prévenu et d'exposer les facteurs susceptibles d'expliquer son comportement criminel. Ce serait vraiment une bonne chose qu'un système soit mis en place pour accélérer le processus judiciaire et alléger le fardeau qui pèse sur les tribunaux.
Il y avait un système en place pour faire cela. C'était quelque chose comme un rapport présentenciel. À l'heure actuelle, dans des villes comme Toronto, Calgary et Vancouver, les avocats de la défense doivent faire des pieds et des mains pour se procurer ces rapports. C'est un processus chronophage.
Je vais dire un mot sur la question de la récidive qui a été soulevée par le chef de police, hier. Dans une certaine mesure, il s'agit d'une porte tournante. Il y a ces gens qui ont un long parcours d'affaires criminelles et qui engorgent inutilement le système parce qu'ils ne sont pas traités. Le système correctionnel provincial n'offre pratiquement aucun traitement. Lorsque ces personnes sont relâchées, on ne voit pas à leurs besoins assez rapidement. Dans le cas de libération conditionnelle, les agents responsables sont tellement débordés qu'ils n'ont pas le temps de leur accorder l'attention dont elles ont besoin.
Il y a quelques années, un étudiant à la maîtrise de l'Université de la Saskatchewan a réalisé une étude qui traçait un lien très intéressant entre les interventions en temps opportun et le taux de récidive. Je peux vous donner l'adresse du site si vous le voulez. Quoi qu'il en soit, il existe une très forte corrélation entre le fait d'intervenir en temps opportun sur des cas à haut risque et la réduction du taux de récidive. L'abaissement du taux de récidive est remarquable. Si nous pouvons alléger le fardeau qui pèse sur les cours en ayant recours à ces interventions, nous allons contribuer à résoudre ce problème tenace des délais dans le système de justice pénale.
Pour une personne qui est détenue, les délais ne sont pas une bonne chose. Pour les personnes qui sont accusées d'une infraction, la stigmatisation sociale est grande et les conséquences de cela sont difficiles à gérer. Pour les accusés détenus qui ont une défense à présenter à la cour, le fait d'être dans cette situation particulière pendant une longue période n'est pas quelque chose de très réjouissant. Très peu de mes clients qui ont une défense valable souhaitent avoir un délai additionnel. Bien sûr, lorsqu'il s'agit d'affaires qui sont sans espoir, le fait d'attendre un peu plus longtemps augmente les chances que quelque chose se produise et donne lieu à un acquittement, mais de façon générale, les inculpés souhaitent que les procédures suivent leur cours sans traîner. Il est donc important que le système soit en mesure de faire cela, conformément à ce qui est requis sur le plan constitutionnel.
Je vais céder la parole à Mike Owens, qui parlera des trois autres facteurs.
[Français]
Michael W. Owens, vice-président, Saskatoon Criminal Defence Lawyers Association Inc. : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs.
[Traduction]
Bienvenue à Saskatoon. Merci d'être là.
Je veux vous parler un peu plus en détail de certains aspects qu'Andrew vient d'aborder. L'un de ceux-là concerne les délais relatifs à la communication de renseignements par la police et la Couronne.
Le problème avec cela, c'est que lorsque vous présentez une demande de divulgation, vous devez vous y reprendre par deux ou trois fois. Malgré cela, il arrive souvent que les renseignements demandés n'arrivent qu'au moment du procès, ce qui cause des délais. Il pourrait s'agir d'un enregistrement vidéo de l'accusé ou d'un témoin que la poursuite a fait venir et dont vous ignorez les intentions.
Lorsque j'ai entendu le sénateur Baker dire qu'il faudrait que le processus de divulgation pour la Couronne soit assorti d'une limite de temps, j'ai trouvé que c'était une bonne idée puisque cela forcera la Couronne à examiner le dossier. Souvent, ce qui arrive, c'est qu'un dossier sera examiné trois ou quatre fois par trois ou quatre procureurs différents. La fonction du premier consiste essentiellement à décider s'il y a lieu de poursuivre. Je ne crois pas que le dossier obtient toute l'attention qu'il mérite, et je vais vous dire pourquoi. Jusqu'à ce que le procès proprement dit soit confié à un procureur, aucun procureur n'a eu à se dire ceci : « Je vais devoir faire face à un juge et défendre cette poursuite. Je vais être dans la ligne de mire, j'aurais donc avantage à examiner cela de plus près. »
La Colombie-Britannique a un système particulier à cet égard. J'ai participé à des procès en Colombie-Britannique, en Alberta et au Manitoba, ainsi que deux à Toronto. Chaque endroit a son propre système. En Colombie- Britannique, on affecte un procureur au procès avant même que le plaidoyer ait été entendu. Or, dans la moitié des affaires dont j'étais saisi, cette façon de procéder m'a incité à suggérer à mon client de plaider coupable, et ce, avant même qu'une date de procès ait été fixée. Nous menions la négociation de plaidoyer afin d'établir ce qui devait être une sentence appropriée et je n'avais même pas à me rendre en Colombie-Britannique.
Je me souviens entre autres de cette affaire où j'avais correspondu avec l'avocate de la Couronne. De toute évidence, elle avait examiné le cas. Elle m'a dit qu'elle s'occupait du procès et qu'elle allait régler cette affaire qui portait à peu de chose près sur un cas de violence familiale. Le fait d'être responsable d'un dossier fait beaucoup pour vous inciter à accélérer les procédures, ce qui n'est pas le cas lorsque c'est trois ou quatre personnes qui s'y intéressent un peu à reculons.
Quoi qu'il en soit, les délais en matière de divulgation sont problématiques puisqu'il est plutôt rare que quelqu'un se rende à la police avec une liste de 22 choses demandées par la défense et ajoute : « Pouvez-vous y jeter un coup d'œil et voir ce que vous avez? » Invariablement, lorsque cela se produit, l'avocat de la Couronne vous dira que vous avez tout ce qu'il a, alors qu'il n'aura probablement pas vérifié au préalable parce qu'il a trop de dossiers à gérer. Cette dynamique doit changer, car elle donne lieu à des délais dans le déroulement des procès proprement dit.
En ce qui concerne les délais attribuables aux tribunaux et à la poursuite en raison du manque de ressources, cela se produit constamment parce que nous n'avons tout simplement pas assez de personnel pour examiner chaque dossier de façon indépendante. C'est ce qui force l'avocat à dire : « J'aurais intérêt à demander le procès, puisque cela fera en sorte que quelqu'un sera enfin affecté au dossier dans les deux ou trois prochaines semaines. » On a même évoqué la possibilité pour la défense de présenter un plaidoyer d'innocence dans l'espoir qu'il y ait divulgation. Malheureusement, tant et aussi longtemps qu'on n'a pas franchi une date limite s'approchant de la date même du procès, il n'est pas rare que la divulgation ne soit pas au rendez-vous. Si elle l'est, les renseignements divulgués pourraient nécessiter le recours à un expert, ce qui, aux termes du code, doit s'accompagner d'un avis de 30 jours. Tout est donc remis encore une fois, et c'est ce qui est problématique.
Il y a donc un taux de roulement élevé. Cela signifie qu'il vous faudra attendre des mois et des mois avant d'avoir une date de procès dans l'une des neuf salles d'audience de Saskatoon. C'est un problème.
Je passe peut-être la moitié de ma vie professionnelle dans des localités rurales de la Saskatchewan. Je ne parle pas ici de North Battleford. Je parle de collectivités comme Assiniboia, Blaine Lake ou Unity. Dans ces endroits, un tribunal vient siéger une fois par mois. Si les renseignements demandés n'arrivent pas deux ou trois jours avant le plaidoyer proprement dit, le procès est remis au mois suivant.
Au lieu d'exercer sa fonction juridictionnelle, la cour devient une administratrice. C'est un problème puisque cela se traduit par un autre report d'un mois. Les victimes ne veulent pas que ces choses soient reportées d'un mois. Elles veulent elles aussi qu'il y ait règlement. L'accusé veut savoir ce qu'on lui reproche exactement afin d'être en mesure de prendre une décision éclairée, mais vous ne pouvez pas faire cela sans divulgation ou si la divulgation arrive le jour même du procès.
La semaine dernière, j'ai reçu une télécopie de 214 pages du bureau de la GRC de Nipawin, en Saskatchewan. C'était le jour avant la date où nous étions censés présenter le plaidoyer. Les choses ne vont pas très bien lorsque cela se produit.
Le dernier facteur dont je veux parler est ce que nous appelons le problème de surcharge dont, notamment, les manquements à l'égard de personnes qui ont des problèmes de toxicomanie et de santé mentale. Ce sont des problématiques qui peuvent être débusquées. J'ai entendu le chef Weighill parler du fait que la police ne tenait pas compte de ces aspects et préciser qu'il était tout à fait d'accord avec cela. C'est une bonne façon de voir les choses sauf que ce n'est malheureusement pas ce qui se passe. Je ne vois pas les gens qui sont censés avoir une audience de cautionnement être relâchés, comme le Code criminel permet à un agent responsable de le faire.
Je crois comprendre, d'après les indications du bureau du shérif adjoint, qui s'occupe de tout le monde au tribunal, que depuis l'agrandissement des installations au poste de police de la ville, un nombre accru de personnes ont une enquête sur le cautionnement. Il fut un temps où c'est là qu'on réglait la question quand on manquait d'espace au poste de police. Maintenant qu'il faut s'adresser aux tribunaux, il faut maintenant plusieurs jours pour s'occuper des gens faisant l'objet d'un renvoi ou d'une mise en liberté sous caution.
En ce qui concerne le fait que les lois pénales découragent les règlements rapides, les sanctions minimales constituent un problème, car certains n'ont rien à perdre. Je suis d'avis, comme certains autres — notamment un grand nombre de juges que je connais — que nous devrions faire confiance aux juges pour examiner les faits et imposer une peine appropriée à la situation et à l'infraction. Comme un juge me l'a fait remarquer, la déclaration de culpabilité se fait en fonction de l'infraction, mais la détermination de la peine s'effectue en fonction du délinquant. Il me semble logique que si nous adoptons cette philosophie, la résolution rapide devrait s'avérer possible, mais les peines minimales nous obligent à aller en cour. Je comprends que ces peines minimales ont pour but de maintenir l'ordre, mais cette philosophie fait certainement bien des adeptes.
Le président : Monsieur Owens, je vais vous demander de clore votre propos. Vous disposiez tous de 5 minutes, et vous en êtes maintenant rendu à 14.
M. Owens : Veuillez m'excuser.
Le président : Je veux donner aux autres témoins l'occasion de répondre aux questions. Vous avez donc 30 secondes.
M. Owens : Nous avons besoin d'un règlement rapide avec un régime de sanctions qui convienne aux juges, aux accusés et aux victimes. C'est moins de 30 secondes. Merci beaucoup de m'avoir écouté.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. C'est formidable d'être en Saskatchewan. Je vous remercie tous de témoigner et de travailler d'arrache-pied pour la population de la Saskatchewan.
Mes questions seront brèves. La Saskatchewan est confrontée à de nombreux défis. Ses 1,1 million d'habitants sont dispersés sur un très vaste territoire. Le nombre de personnes vulnérables et le taux de criminalité y sont élevés. Pourtant, les chiffres relatifs aux délais en cour pénale sont assez bons si on les compare à ceux de bien des provinces du pays. Le mérite en revient à des gens comme vous qui, chaque jour, travaillent fort pour les citoyens de la Saskatchewan.
Madame Makela, vous avez brièvement traité du Saskatchewan Aboriginal Courtworker Program, dont j'ai observé les bienfaits. Pourriez-vous nous indiquer quelles sont les deux ou trois principales manières dont ce programme contribue à réduire les délais dans les cours pénales de la Saskatchewan?
Mme Makela : J'ai promis à mes collègues de les laisser parler, alors voulez-vous répondre à cette question, Annette?
La sénatrice Batters : Je leur saurais gré de répondre à cette question, car mon temps est très limité.
Mme Makela : Bien sûr.
Annette Ermine, gestionnaire du programme, programme d'études juridiques, Saskatchewan Aboriginal Courtworker Program : Pour répondre précisément à cette question, les assistants parajudiciaires travaillent en première ligne dans les cours criminelles et les tribunaux de la famille. Le rapport d'évaluation réalisé en 2013 en a certainement fait mention. C'est également ce que mes collègues ici présentes ont indiqué.
Pour ce qui est de la réduction des délais, ce sont ces assistants parajudiciaires qui parlent principalement avec les Autochtones dans les tribunaux. Les assistants parajudiciaires des domaines du droit pénal et de la famille peuvent parler aux membres de notre peuple. Ils font la lumière sur la situation, discutent des accusations et expliquent le processus judiciaire. Ils peuvent envisager de s'adresser aux avocats, à l'aide juridique ou aux juges pour trouver une solution. Voilà comment ils aident les Autochtones. Carol Lafonde, assistant parajudiciaire depuis 20 ans, ajoutera quelques mots. Merci.
Carol Lafonde, assistante parajudiciaire aux programmes d'assistance parajudiciaire aux Autochtones, Saskatchewan Aboriginal Courtworker Program : Les assistants parajudiciaires peuvent intervenir quand des clients se voient refuser l'aide juridique, que ce soit pour des motifs financiers ou en raison des services offerts. Nous avons suivi une formation et nous pouvons obtenir une divulgation de la Couronne, examiner les éléments de preuve avec le client et l'aider à discuter de la sentence en cour.
En raison des réductions, nous ne sommes plus que deux à Saskatoon. Nous tentons toujours de faire de notre mieux pour aider les gens qui passent entre les mailles du filet, si l'on peut dire. Ils ont encore besoin d'aide et pourraient ne pas comprendre exactement ce qui se passe. Ils se sentent intimidés par le processus judiciaire; c'est là que les assistants parajudiciaires interviennent. Il y a aussi les services juridiques du programme CLASSIC, mais leur capacité d'aider des clients est toutefois limitée.
Bien des gens recourent au service d'assistance parajudiciaire aux Autochtones, surtout à Saskatoon, où le tribunal est malheureusement le plus occupé en Saskatchewan.
La sénatrice Batters : Selon vous, diriez-vous que la réduction des délais est principalement attribuable à cette communication avec les gens confrontés au système de justice?
Mme Lafonde : C'est une des raisons principales, effectivement. Nous pouvons fournir des explications aux gens pour les aider à comprendre.
La sénatrice Batters : Pourriez-vous aussi nous parler brièvement du programme d'aide juridique CLASSIC offert à Saskatoon? Je sais qu'il remporte beaucoup de succès également.
Mme Lafonde : Ce programme est proposé par un groupe d'étudiants qui se préparent à devenir avocats. Ils peuvent prodiguer des conseils aux gens ayant contrevenu à la loi. Ils n'aident pas tout le monde. Je sais qu'ils ne s'occupent pas des personnes accusées pour la première fois de conduite avec facultés affaiblies ou d'affaires criminelles. Une bonne partie des cas reviennent aux assistants parajudiciaires.
La sénatrice Batters : Mais ils fournissent une certaine aide?
Mme Lafonde : Oui.
La sénatrice Batters : Aident-ils un grand nombre de gens visés par ce genre d'accusations?
Mme Lafonde : Oui. Je pense que leurs ressources commencent à atteindre leur limite aussi, car bien des gens obtiennent un ajournement pour consulter le programme CLASSIC pour cette raison particulière.
La sénatrice Batters : Je félicite la faculté de droit de l'Université de la Saskatchewan, mon alma mater, d'offrir ce programme formidable.
Mme Lafonde : Oui.
Le sénateur Baker : Monsieur le président, les exposés ont été portés au compte rendu. Ils nous sont très précieux. Nous les examinerons lorsque nous délibérerons de nos recommandations. Quand nous présentons des recommandations au gouvernement fédéral, ce dernier doit nous répondre.
Je remercie particulièrement la Saskatoon Criminal Defence Lawyers Association d'avoir indiqué que les réductions imposées à l'aide juridique et au programme des assistants parajudiciaires figurent parmi les principaux facteurs.
Je remercie également Joanne Khan, aux fins du compte rendu, d'avoir pris la parole ce matin et de comparaître pour traiter de toute cette question.
Tout cela pour dire que je suis tout à fait d'accord avec vous, particulièrement en ce qui concerne les recommandations relatives à la divulgation. Nous en parlerons dans notre rapport. Merci beaucoup. Nous vous enverrons une copie de nos recommandations.
Le sénateur McIntyre : Merci beaucoup de vos exposés.
Il ne fait aucun doute que le système de justice pénale du Canada pourrait être mieux adapté aux réalités, aux traditions et aux cultures autochtones. Lors de son témoignage devant le comité, Paula Marshall, du Réseau de soutien juridique micmac, que vous connaissez certainement très bien, l'a d'ailleurs confirmé.
Diriez-vous qu'il existe un consensus entre les communautés autochtones du pays à propos de cette nouvelle approche?
Mme Ermine : Si je peux me permettre d'intervenir, je suis une Autochtone du territoire du Sud visé par le Traité 4. Je répondrai à cette question, sénateur McIntyre, en faisait expressément référence au rapport de la Commission vérité et réconciliation, que nous connaissons tous, j'en suis certaine. On y réclame des mesures concrètes et y parle de tout ce qui se passe en Saskatchewan.
Selon Statistique Canada, les taux de criminalité par habitant de la Saskatchewan et de l'Alberta sont les plus élevés au pays. Ces taux de criminalité sont le résultat des nombreux pensionnats qui ont été construits dans ces provinces.
En raison de la réduction du budget du programme d'assistants parajudiciaires, la province compte 19 assistants parajudiciaires en droit pénal, alors qu'elle en avait 35, et 5 assistants parajudiciaires en droit de la famille. Des 19 assistants qui servent 44 tribunaux dans la province, seulement 8 travaillent à temps plein.
À titre de femme autochtone issue des terres visées par un traité, je peux parler du travail qu'un grand nombre d'entre nous accomplissent. Beaucoup d'Autochtones souhaitent seulement être entendus. Ils veulent savoir qu'ils font partie du processus. Il existe un large consensus à propos de l'approche à adopter. J'espère avoir pu répondre à votre question.
Le sénateur McIntyre : Oui, vous y avez répondu.
MM. Mason et Owens, dans l'arrêt Jordan, la Cour suprême a établi un nouveau cadre juridique et des limites de 18 mois pour les procédures sommaires et de 30 mois pour les actes criminels. Elle a également proposé un régime de transition. Selon vous, ces nouvelles limites sont-elles trop difficiles à appliquer?
M. Mason : Je ne puis me prononcer à cet égard. La plupart des affaires se règlent à l'intérieur de ces délais. Cette prescription ne s'applique qu'aux dossiers hors de l'ordinaire et aux délais attribuables à la Couronne ou institutionnels, pas aux délais imputables à la défense. J'ignore si on considérera un délai attribuable à l'aide juridique comme un délai institutionnel ou un délai imputable à la défense. C'est un problème.
Les délais sont parfois attribuables à des facteurs comme la présence d'un seul pathologiste judiciaire en Saskatchewan. Nous avons été confrontés à ce problème, mais je suppose qu'il a maintenant un associé ou un adjoint. Je ne me suis occupé que d'une enquête préliminaire dans une affaire de meurtre. Il a fallu attendre huit mois pour recevoir le rapport du pathologiste relativement à une blessure à la tête très complexe, dont on ignorait la cause. Il s'agissait d'un élément de preuve crucial, et c'était un mois avant l'enquête préliminaire. Il a été très difficile pour la défense d'obtenir les services d'un expert pour examiner le rapport.
Ces facteurs provoquent des délais. Ces derniers ne sont pas nécessairement attribuables à la Couronne ou à la police. C'est un problème de ressources. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de pathologistes. J'ignore comment on peut simplement imposer des limites pour résoudre ce problème. Il faut affecter des ressources à tous les goulots d'étranglement pour que le système fonctionne.
Fondamentalement, il ne devrait pas y avoir de raison. Ce n'est pas un idéal, mais le pire scénario. La cour a statué que les délais sont de 18 et 30 mois pour des affaires instruites devant une cour provinciale ou devant une cour supérieure. Cela laisse place à beaucoup de délais injustes et dérangeants, sans toutefois dépasser la limite prévue dans la Constitution. Je ne pense pas qu'il soit difficile de respecter ces délais si le système de justice pénale est doté de ressources adéquates.
Le sénateur McIntyre : Je vous pose cette question parce que la minorité ne partageait pas l'avis de la majorité dans l'arrêt Jordan.
M. Owens : Vendredi dernier, j'ai passé toute la journée à discuter pour la première fois de cet arrêt et de son application en Saskatchewan dans un dossier où le délai était de 34 mois dans une affaire de procédure sommaire. Ce délai était attribuable aux deux parties. Je peux vous dire que cet arrêt obligera les gens à se discipliner et à faire le nécessaire au moment opportun. Je ne pense pas qu'il fera autre chose que d'imposer une certaine discipline dans le système. Ce n'est pas irréaliste.
En Saskatchewan, certains ont indiqué que dans le cas d'une procédure sommaire, en tenant compte de toutes les statistiques et de tout ce qu'il faut savoir, le délai est de 8 à 10 mois. Le délai de 18 mois est donc amplement suffisant. Il s'appliquera à la procédure initiale et même la deuxième fois en cas d'un premier ajournement. Souvenons-nous que la limite de 18 mois s'applique aux délais causés par la Couronne et ne tient pas compte de ceux imputables à la défense. Les cas de procédure sommaire ne devraient donc pas poser de problème.
La limite de 30 mois dans les causes criminelles devrait laisser amplement de temps également, particulièrement s'il est certain qu'il y aura une conférence préparatoire à l'instruction et qu'il y a plus de tribunaux. Habituellement, de deux à trois mois avant le procès, on rencontre un juge qui assume des tâches administratives pour lui demander si on dispose de tous les renseignements nécessaires et qui figure sur la liste des témoins pour s'assurer que le procès puisse se tenir le plus tôt possible et qu'il n'y aura pas de préparations de dernière minute.
Certains tribunaux exigent que ce soit les avocats de la Couronne et de la défense qui s'occuperont du dossier en cour qui soient présents, et non quelqu'un se contentant de prendre la relève temporairement. Cette idée me plaît aussi.
On a débattu plus tôt de la proposition de M. Kennedy de ne pas tenir d'enquêtes préliminaires. J'ignore à quel point le comité a examiné la question, mais les enquêtes préliminaires ont ceci de bon qu'elles contribuent à réduire les délais et la durée des procès. La Couronne peut enfin voir le dossier et doit l'étudier avant l'instruction en cour. C'est une occasion que je ne voudrais pas perdre. En fait, nombreux sont ceux qui ont préconisé que ces enquêtes soient élargies pour réduire le délai au point de pouvoir envisager des requêtes fondées sur la Charte au lieu d'attendre le procès pendant 28 mois plutôt que 12.
Le sénateur McIntyre : Je peux comprendre qu'on tienne une enquête préliminaire pour un grand nombre d'infractions criminelles, mais je ne partage pas votre opinion dans le cas d'agression sexuelle d'enfants.
M. Owens : Je n'y vois aucune objection.
Le sénateur McIntyre : Comment un enfant de quatre ou de six ans peut-il être contre-interrogé par des avocats de la défense spécialisés en droit criminel expérimentés? C'est, à mon sens, inacceptable.
M. Owens : Je suis d'accord avec vous. Personne ne pourrait être en désaccord. Le Code criminel permet qu'à la discrétion du procureur général, le procès se déroule par voie d'accusation directe, ce qui élimine la tenue d'une enquête préliminaire. Cette disposition, déjà prévue dans le Code criminel, peut être utilisée. La décision revient au procureur général en pareil cas.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de modifier le Code criminel pour préciser qu'il n'y a pas d'enquête préliminaire, puisque ce pouvoir y est déjà prévu.
M. Mason : Pourrais-je ajouter quelque chose à ce sujet?
Le président : Non, je suis désolé. Je veux donner aux autres sénateurs l'occasion d'intervenir.
Sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à l'ensemble de nos invités. Je vous remercie de vos présentations. Je veux revenir sur l'aide juridique. C'est un sujet dont certains d'entre vous ont parlé. Occasionnellement, les gens n'y sont pas admissibles et décident de se représenter eux-mêmes. Nous savons que le fait de se défendre soi-même en cour peut entraîner des retards dans les procédures, autant au civil qu'au criminel. D'ailleurs, on l'a vécu au Québec. À la suite de l'attentat contre Pauline Marois, lors des élections, Richard Bain a décidé de se représenter lui-même. Il a ensuite changé d'avocat trois ou quatre fois. Y a-t-il des services additionnels qui pourraient être fournis lorsqu'une personne n'est pas admissible à l'aide juridique et qu'elle décide de se défendre elle-même? Peut-on l'aider d'une différente façon? Je vous invite tous à répondre à la question, mais pas tous à la fois.
M. Mason : Il y a plusieurs avocats qui offrent leurs services gratuitement au public. J'ai des clients qui n'ont pas les moyens de se payer un avocat. La Law Society of Saskatchewan encourage ce genre de travail bénévole. C'est nécessaire, parce que le système d'aide juridique ne s'adresse pas aux inculpés qui ne risquent pas d'aller en prison. Il y a toutes sortes d'infractions qui ne sont pas admissibles à l'aide juridique. C'est à nous, les avocats de la défense, de trouver une solution à ce problème, et nous y travaillons.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.
Est-ce que quelqu'un d'autre voudrait ajouter un commentaire?
[Traduction]
M. Goebel : Le plan d'aide juridique de la Saskatchewan comporte des dispositions sur l'éventail de services et l'admissibilité financière. Ces deux facteurs sont régis par la loi, mais l'admissibilité financière est liée à l'admissibilité à l'aide sociale. Quand les personnes ne sont pas admissibles à l'aide juridique, il se peut que ce soit parce que l'affaire ou les accusations ne l'exposent pas nécessairement à un risque d'emprisonnement ou parce que sa situation financière se situe au-dessus du seuil prévu pour se prévaloir de l'aide sociale.
Nous sommes au service des gens qui vivent de l'aide sociale ou qui bénéficient du soutien financier d'une bande indienne. Nous devons offrir toute la gamme des services possibles aux gens se situant dans cette tranche de revenus. Nous prêtons en outre assistance au tribunal en agissant comme avocats commis d'office.
Nous remplissons notre mandat en nous appuyant sur des critères d'admissibilité financière. Ceux qui satisfont à ces critères ont droit à l'aide juridique. Cependant, il y a un groupe important de gens dont les revenus dépassent le plafond établi qui risquent de se retrouver au niveau des bénéficiaires de l'aide sociale s'ils doivent recourir aux services d'un avocat en pratique privée. Il n'est pas vraiment possible de se faire une idée précise de l'ampleur du phénomène, mais il convient certes de s'efforcer d'étendre les services à cette portion de la population également. C'est dans ce sens- là que l'on préconise une augmentation des ressources pour l'aide juridique.
Nous respectons les modalités financières établies dans notre mandat conformément à ce que prévoit la loi. Nous ne pouvons pas intervenir à l'égard des infractions punissables par déclaration sommaire ou des premières inculpations de conduite avec facultés affaiblies, car il ne devrait pas y avoir de peine d'incarcération dans des cas semblables. Des modifications législatives pourraient être apportées à cet effet, mais il faudrait alors régler la question des ressources, car le nombre de personnes admissibles augmenterait.
Comment vous répondre? On pourrait simplement dire que l'aide juridique remplit d'une façon générale son mandat en Saskatchewan, mais qu'il convient, dans une perspective politique, de se demander ce que l'on pourrait faire de plus, ce qui exigerait de la part du gouvernement fédéral une injection supplémentaire de ressources et de fonds dans le système de justice pénale.
Le président : J'aurais une question de suivi relativement à l'étendue des services offerts. Est-ce que cela varie d'une province à l'autre ou est-ce à peu près la même chose dans tout le pays?
M. Goebel : C'est assez uniforme dans tout le pays. C'est surtout attribuable au fait qu'il existe, comme vous le savez, une entente fédérale de financement qui exige un niveau minimal de services de la part de la Couronne.
Le président : Mais vous pouvez en faire davantage.
M. Goebel : Certainement.
Le président : Y a-t-il des distinctions marquées entre les différentes administrations au pays?
M. Goebel : Non.
Le président : Pas à votre connaissance.
M. Goebel : Non.
Le président : C'est un commentaire que j'ai lu quelque part, mais que je n'ai pas sous les yeux. Je crois qu'il s'agissait d'une table ronde qui s'est penchée en Colombie-Britannique sur les moyens à prendre pour régler plus rapidement les causes complexes. Les représentants de la défense traitaient des mandats d'aide juridique et, sans entrer dans les détails, des modalités de certaines activités et responsabilités au titre desquelles les avocats sont rémunérés dans le cadre de l'aide juridique sans que cela ne fasse vraiment avancer les procédures judiciaires, alors que pour d'autres, ils ne sont pas rémunérés. Je ne sais pas si vous pouvez nous dire ce que vous en pensez.
Le rapport d'étude qui nous a été fourni ne renfermait pas davantage de détails. Je me disais simplement que nous pourrions profiter de votre comparution pour voir si vous avez des observations ou des opinions à exprimer à ce sujet.
M. Goebel : Je crois que vous traitez ici de deux choses différentes. Il y a d'abord la question des causes complexes comportant de nombreux éléments. Dans la plupart des provinces, les régimes d'aide juridique ont été mis à jour et permettent des arrangements de financement distincts en pareil cas. À titre d'exemple, les modalités du mandat d'aide sociale en Saskatchewan établissent que les sommes d'argent pouvant être consacrées à une cause donnée correspondent à ce qu'aurait payé pour sa propre défense un homme ou une femme ayant des moyens financiers modestes.
Je ne prétends pas pouvoir vous indiquer dans quelle mesure on peut s'écarter de la norme applicable, mais je vous dirais que les causes impliquant des armes à feu et des bandes criminalisées ne relèvent pas du mandat de l'aide juridique. Lorsqu'on a conçu l'aide juridique pour aider les gens à faible revenu à avoir droit à un traitement équitable au sein du système judiciaire, on ne pensait certainement pas aux bandes criminalisées, aux armes à feu et au crime organisé.
Nous envisageons actuellement un déplacement des fonds ou un recours à des formules de financement différentes. C'est un élément, mais il y a aussi le fait, comme vous l'avez signalé, qu'un certain nombre d'avocats de la défense peuvent se spécialiser dans les causes semblables et toucher ainsi des honoraires plus élevés que ceux prévus pour l'aide juridique. Aucun avocat en pratique privée offrant des services d'aide juridique ne peut avoir intérêt à prolonger indûment les procédures alors que ses honoraires s'établissent à 88 $ l'heure, ce qui est moins du tiers du taux horaire de 300 ou 400 $ qu'il peut exiger de ses autres clients. Ces avocats sont plutôt incités à examiner le dossier, conseiller le client et régler l'affaire à ce palier.
Le président : Il nous reste encore quelques minutes. Monsieur Mason, vous souhaitiez intervenir au sujet des enquêtes préliminaires.
M. Mason : Pour revenir à ce que disait le sénateur McIntyre concernant l'enquête préliminaire et les risques de mauvais traitements à l'égard des jeunes victimes, surtout dans les cas d'agression sexuelle, j'ai récemment eu une cause dans laquelle une fillette de 9 ans a dû témoigner. C'était l'enquête préliminaire pour une affaire de meurtre. Elle avait fait une très bonne déposition à un agent de police spécialement formé pour interroger les enfants. J'ai demandé à pouvoir contre-interroger la fillette à l'égard de certains aspects cruciaux de son témoignage, mais ma requête a été rejetée.
En vertu de l'article 540 du Code criminel, la Couronne peut désormais faire recevoir en preuve ces dépositions si elles ont été enregistrées dans les règles. Conformément au paragraphe 540(7), ces dépositions doivent être plausibles et dignes de foi. Si la déposition est prise suivant les règles, elle peut réduire les risques associés à l'obligation pour l'enfant de raconter son histoire une deuxième fois, une expérience qui peut être très difficile. La déposition peut être prise en compte à l'étape de la déclaration ainsi qu'au procès.
Le sénateur McIntyre : Je parlais expressément des cas d'agression sexuelle et non pas de meurtre.
M. Mason : Oui, mais ce serait la même chose dans le cas d'une agression sexuelle, même que ce serait sans doute encore plus important, car il serait plus difficile pour l'enfant de raconter sa version des faits une deuxième fois.
Le président : Je tiens à vous remercier de votre présence aujourd'hui, de vos témoignages et de votre contribution à notre étude. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)