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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 14 - Témoignages du 27 octobre 2016


OTTAWA, le jeudi 27 octobre 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 29, pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues et à nos invités. Plus tôt cette année, le Sénat a autorisé le comité à examiner les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et à présenter un rapport à ce sujet et à se pencher sur les rôles du gouvernement du Canada et du Parlement pour éliminer ces délais. C'est notre 26e réunion dans le cadre de cette étude.

Au cours de la première heure, nous entendrons le témoignage de deux représentants du Congrès des peuples autochtones : le chef adjoint national, M. Kim Beaudin; et le conseiller principal en politiques, M. Ron Swain. Je vous remercie tous les deux de votre présence. Messieurs, la parole est à vous.

Kim Beaudin, chef adjoint national, Congrès des peuples autochtones : Merci. Honorables sénateurs, je suis ravi d'être ici, sur le territoire traditionnel algonquin, en Ontario, dans la belle ville d'Ottawa, notre capitale nationale.

Le nouveau chef national du Congrès des peuples autochtones, Robert Bertrand, m'a demandé de présenter cet exposé, car pendant ma vie adulte, je me suis toujours soucié des questions de justice et de sécurité publique qui concernent les peuples autochtones.

Je vis à Saskatoon, qui compte l'une des populations autochtones vivant en milieu urbain les plus importantes au pays. J'ai été juge de paix pour la Saskatchewan pendant cinq ans. Je travaille actuellement dans le cadre du programme Straight Up, qui est l'un des seuls programmes de réhabilitation destinés aux Autochtones membres d'un gang au Canada. De plus, je préside la Coalition of Indigenous Peoples of Saskatchewan depuis sept ans.

J'aimerais citer les propos de l'honorable Michael Phelan de la Cour fédérale concernant la cause Daniels c. Canada.

Les Métis et les Indiens non inscrits, qui n'ont même pas la protection du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, sont beaucoup plus exposés à la discrimination et aux autres troubles sociaux. Il est exact d'affirmer que l'absence d'une initiative fédérale dans ce domaine fait en sorte qu'ils sont les plus désavantagés de tous les citoyens canadiens.

Je dis sans équivoque que les Métis et les Indiens non inscrits sont les citoyens canadiens les plus défavorisés. Nous ne devons pas oublier qu'il a fallu que la cause Daniels soit entendue par la Cour suprême du Canada pour qu'on mette fin au vide juridique concernant les Métis et les Indiens non inscrits pour lequel les provinces et le gouvernement fédéral se renvoyaient la balle. C'est vrai. Les provinces sont tout aussi responsables que le gouvernement fédéral du nombre scandaleusement élevé d'Autochtones incarcérés.

Le Congrès des peuples autochtones, ou CPA, est l'une des cinq organisations autochtones représentatives nationales qui sont reconnues par le gouvernement du Canada. Crée en 1971 sous le nom de Conseil national des Autochtones du Canada, l'organisation avait été établie à l'origine pour représenter les intérêts des Métis et des Indiens non inscrits. En 1993, elle a été restructurée et renommée CPA. Le CPA a élargi sa représentation pour inclure tous les Indiens inscrits et non inscrits vivant à l'extérieur des réserves et les Métis et les Inuits du Sud, et il est le porte-parole national de ses organismes affiliés provinciaux et territoriaux.

L'une des réalités les plus tristes, c'est que dans toutes les régions du pays, ce sont les Métis et les Indiens non inscrits qui ont le plus grand nombre de casiers judiciaires et ce sont eux qui ont le plus de démêlés avec le système judiciaire. Par exemple, la violence familiale, la toxicomanie et l'abus d'alcool ont créé un cycle de destruction dévastateur pour nos collectivités. Certains facteurs font en sorte qu'un nombre disproportionné d'Autochtones se retrouvent devant les tribunaux : pauvreté, mauvaise santé, échecs scolaires, violence familiale, toxicomanie, manque de logements décents et sentiment d'aliénation concernant la culture autochtone.

Dans le cadre des audiences importantes d'aujourd'hui, j'aimerais attirer votre attention sur certains points qui ont été soulevés dans des articles récents du Globe and Mail et qui concernent les Autochtones.

Adam Capay est un exemple vivant de tout ce qui est contestable au Canada dans les prisons, le système de justice et le traitement des Autochtones. M. Capay est un Autochtone de 23 ans qui a été placé en isolement cellulaire à Thunder Bay, en Ontario, pendant quatre ans. Il se trouvait seul dans un sous-sol au bout d'un long corridor. Sa cellule était scellée avec du plexiglas. Jusqu'à hier, les lumières étaient allumées 24 heures par jour, et il a fallu qu'il y ait un tollé pour qu'on lui donne des conditions plus décentes.

Comme le révélait le Globe and Mail, M. Capay ne pouvait pas faire de différence entre le jour et la nuit. Lorsque Renu Mandhane, la commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne lui a rendu visite, elle a dit qu'il semblait avoir des troubles de mémoire et d'élocution attribuables à ses conditions d'incarcération. La seule chose que les autorités carcérales de l'Ontario n'ont pas fait subir au pauvre homme, c'est de l'enchaîner la tête en bas contre le mur d'un donjon. Or, elles auraient tout aussi bien pu le faire. Dans une certaine mesure, M. Capay a été torturé par l'État, en raison de son isolement et de la dépravation causée par l'exposition constante à la lumière, une technique de torture reconnue. Selon les Nations Unies, contraindre une personne à l'isolement cellulaire pendant plus de 15 jours est une forme de torture.

Ce n'est pas tout. Du point de vue légal, M. Capay est innocent. En 2012, il a été accusé de meurtre au premier degré à la suite du décès d'un autre détenu de la prison de Thunder Bay, où était incarcéré M. Capay pour des infractions mineures. Quatre ans plus tard, il n'a toujours pas subi de procès. La Cour suprême du Canada dit que tout délai dans le dépôt d'accusations et l'achèvement d'un procès dépassant 30 mois constituent des violations du droit de l'accusé en vertu de la Charte des droits; l'accusé doit être jugé dans un délai raisonnable.

M. Capay a été détenu sans procès pendant 52 mois. Le temps qu'il a passé en isolement cellulaire est 100 fois plus long que la période maximale au-delà de laquelle l'ONU considère qu'il s'agit de torture, soit 15 jours. On a volé les droits de la personne de ce jeune Autochtone canadien. Si ce n'était de l'intervention du gardien de prison courageux qui a attiré l'attention de la commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne sur l'état critique de cet homme, il serait encore en prison.

Il est impossible de catégoriser le traitement inhumain infligé à M. Adam. On ne doit plus jamais le placer en isolement et on devrait lui fournir des soins médicaux pour ses problèmes de santé mentale. L'accusation de meurtre devrait être suspendue en raison du retard déraisonnable, et les gens qui ont laissé une telle chose se produire doivent être tenus responsables. Rien ne pourrait dédommager ce jeune pour cette situation scandaleuse qu'on lui a fait subir.

Encore une fois, j'aimerais parler d'un article du Globe and Mail qui révèle que selon l'Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada, il y a des différences marquées : 43 p. 100 des habitants des réserves n'ont pas d'emploi, comparativement à 6,5 p. 100 pour toute la division de recensement. En 2010, le revenu du ménage dans les réserves était de 19 091 $ comparativement à 60 000 $ partout ailleurs. Une grande partie des habitants des réserves ne sont pas scolarisés. Les Autochtones représentent 74 p. 100 de la population carcérale en Saskatchewan, soit la plus forte proportion au pays, même s'ils ne représentent que 12 p. 100 de la population adulte.

La voiture dans laquelle se trouvait Colten Boushie lorsqu'il a été abattu s'est retrouvée dans un chantier de récupération parce qu'on n'avait pas effectué les tests médicolégaux indépendants. C'est un fait qui pourrait avoir d'importantes répercussions sur le procès et l'homme qui est accusé du meurtre.

M. Boushie, un Autochtone de 22 ans, a été assassiné le 9 août dernier dans une confrontation avec Gerald Stanley sur une exploitation agricole de la Saskatchewan. Ce meurtre a provoqué des manifestations à l'extérieur du tribunal et a attisé des tensions raciales dans la province. Le premier ministre Brad Wall a lancé un appel pour que les gens cessent de faire circuler des propos racistes et haineux dans les médias sociaux.

Selon la demande de mandat de la GRC, M. Boushie a été abattu d'une balle dans la tête. M. Stanley a été accusé de meurtre au second degré. Le frère du regretté Boushie a dit qu'il voulait que justice soit faite de sorte qu'il n'ait pas à se faire justice.

En tant qu'ancien juge de paix, je connais le système et j'aimerais faire des recommandations. La cause de Colten Boushie est un excellent exemple de l'énorme fossé qui existe entre les Autochtones, dont la proportion de gens qui vivent dans la pauvreté est démesurée, et les non-Autochtones, qui possèdent des biens et qui forment la société principale. Le fait est qu'un non-Autochtone, M. Gerald Stanley, qui est accusé d'avoir abattu un Autochtone, a été libéré sous caution. Pendant ce temps, des détenus autochtones ne peuvent pas être libérés sous caution; alors, après avoir été gardés en détention, ils doivent compter sur un avocat de service et des avocats payés par l'État. Par la suite, ils sortent après avoir plaidé coupables, et ils ont un casier judiciaire également.

Du point de vue légal, un Autochtone, M. Capay, est innocent. Il a été accusé de meurtre au premier degré à la suite du décès d'un autre détenu de la prison de Thunder Bay, où était incarcéré M. Capay pour des infractions mineures. Quatre ans plus tard, il n'a toujours pas subi de procès.

La Cour suprême du Canada dit que tout délai dans le dépôt d'accusations et l'achèvement d'un procès dépassant 30 mois constituent des violations du droit de l'accusé en vertu de la Charte des droits et l'accusé doit être jugé dans un délai raisonnable.

M. Capay a été détenu sans procès pendant 52 mois et le temps qu'il a passé en isolement cellulaire est 100 fois plus long que la période maximale au-delà de laquelle l'ONU considère qu'il s'agit de torture, soit 15 jours. On a volé les droits de la personne de ce jeune Canadien. Si ce n'était de l'intervention du gardien de prison courageux qui a attiré l'attention de la commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne sur l'état critique de cet homme, il serait encore en prison.

Programmes de déjudiciarisation : accroître l'accessibilité des personnes qui souffrent de toxicomanie ou de maladie mentale à des programmes de déjudiciarisation avant et après la mise en accusation.

Examen global des soins de santé : mener un examen approfondi des services de santé offerts en prison pour déterminer s'ils répondent aux besoins de la population carcérale.

Formation en santé mentale : se pencher sur l'amélioration du programme sur la santé mentale offert aux agents correctionnels. Selon le Code criminel, les services de police canadiens n'ont pas le pouvoir d'agir à titre de membres de la Couronne et ils administrent la justice — ils arrêtent des individus, par exemple. Ils exercent deux fonctions.

Réforme du cautionnement : il faut étudier la possibilité de donner à des policiers l'option de libérer des individus pour les mêmes catégories comme les arrestations.

Places pour libérés sous caution : les organismes gouvernementaux devraient collaborer pour examiner la possibilité de financer des places — programmes offerts à l'extérieur du système de détention.

Accès à un système de justice juste et équitable : bien des gens sont en détention provisoire dans certaines provinces, comme l'Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l'Alberta et la Colombie-Britannique, et le taux d'incarcération des Autochtones est démesurément élevé. Les Autochtones devraient avoir accès aux ressources voulues pour qu'on étudie des options afin d'accélérer le processus. Cela garantira qu'aucun Autochtone ne se morfondra dans nos prisons au Canada.

Accès à des options en matière de cautionnement : il est nécessaire que le système de justice réfléchisse à des options sur la remise en liberté de l'accusé.

Donner suite à divers rapports pour lesquels les gouvernements provinciaux n'ont assuré aucun suivi. En 2004, la Saskatchewan a rédigé un rapport. On n'a donné suite à aucune recommandation, et le document accumule la poussière.

Racisme systémique dans le système de justice : il faut offrir une formation culturelle aux employés fédéraux et provinciaux. En Saskatchewan, les compressions dans le programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones constituent un exemple. Au moment où le gouvernement fédéral a augmenté les fonds consacrés au système, la Province de la Saskatchewan a réduit le financement de ce programme de 2 millions de dollars.

Profilage racial : ce problème est un facteur du taux d'incarcération élevé des Autochtones au pays. C'est un prolongement du système de laissez-passer du gouvernement fédéral mis en place par le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada. Le système fédéral ne comprend pas assez de pavillons de ressourcement pour les personnes âgées et les femmes autochtones.

Enfin, j'aimerais parler de l'examen complet des lois, des politiques et des pratiques et des processus opérationnels qui figurait dans la lettre de mandat de la ministre de la Justice. Le Congrès des peuples autochtones imagine une collaboration entre la ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique qui reflète les priorités communes afin qu'il y ait des discussions sur des sujets convenus dans le cadre d'une relation de nation à nation avec la Couronne et les provinces en fonction de la reconnaissance des droits, d'une collaboration respectueuse et de la réconciliation. Cette démarche doit appuyer les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions. Je cède tout d'abord la parole au vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leur exposé.

Monsieur Beaudin, votre témoignage est troublant : vous avez décrit la situation d'une personne incarcérée pour une infraction mineure qui, pendant sa longue incarcération de quatre ans, n'a pas été jugée et est accusée d'avoir commis une autre infraction.

La loi prévoit que lorsqu'une personne est arrêtée, elle comparaît devant un juge de paix ou un juge dans les 24 heures. C'est ce que prévoit le Code criminel. À partir de ce moment, si cette personne est incarcérée, c'est la Couronne qui détermine la suite des choses.

Évidemment, le directeur des poursuites pénales de la province où cela a eu lieu a une grande part de responsabilité dans le cas que vous avez décrit. Comme vous le dites, l'argument fondé sur l'alinéa 11b), le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, a été violé; il s'agit d'un retard de 22 mois.

La Couronne a la responsabilité de faire avancer la cause. Cette responsabilité lui incombe. La Couronne est responsable, et elle n'a pas fait son travail dans les exemples que vous nous avez donnés.

Vous êtes un ancien juge de paix. À votre avis, comment pourrions-nous régler le problème? Devrait-il y avoir de la surveillance? À votre avis, comment pouvons-nous régler ce problème très important auquel nous faisons face? Avez- vous des suggestions à cet égard?

M. Beaudin : Oui, j'en ai certainement. Je crois qu'on devrait surveiller le processus et qu'après une certaine période minimale, on devrait provoquer les choses. Par exemple, lorsque j'étais juge de paix, je prenais note des problèmes qui se posaient et je disais, par exemple, que la personne aurait besoin d'assistance dans les 15 jours. Les problèmes de santé mentale sont un exemple de choses dont je prenais note. Je craignais que ces dossiers passent entre les mailles du filet du système.

Je ne sais pas si cela fonctionnait. Honnêtement, je ne pourrais pas vous dire si c'est le cas, mais je voulais certainement m'assurer d'avoir inscrit cela, soit tout ce dont je m'étais occupé à l'époque.

Le sénateur Baker : Avez-vous déjà mené des enquêtes sur le cautionnement?

M. Beaudin : Oui.

Le sénateur Baker : Lors des enquêtes sur le cautionnement, lorsqu'on refuse la libération, bien entendu, on peut examiner les dispositions sur la mise en liberté sous caution pendant une certaine période; ou s'il y a de nouvelles circonstances, un examen peut avoir lieu. Le juge de paix d'adresse alors à un juge d'une cour supérieure. Donc, si l'avocat est compétent, il présentera un examen des dispositions sur la mise en liberté sous caution devant la cour. Toutefois, dans les cas que vous décrivez, de toute évidence, les accusés n'étaient pas représentés par un avocat compétent.

M. Beaudin : Exactement. Je peux vous dire en toute honnêteté que presque 100 p. 100 du temps, ils n'avaient même pas d'avocat; ils se défendaient eux-mêmes devant le tribunal. Pendant les audiences sur la libération sous caution, par exemple, ils essayaient de se défendre eux-mêmes pour obtenir leur libération.

Le sénateur Baker : Il y a donc quelque chose qui cloche dans le programme d'aide juridique.

M. Beaudin : En effet.

Le sénateur Baker : C'est vraiment grave.

M. Beaudin : Oui. La plupart du temps, ils obtenaient leurs renseignements du personnel du tribunal lui-même. Nous ne considérions pas ces renseignements comme des conseils juridiques en tant que tels, mais c'est à peu près comment les choses fonctionnaient. J'ai l'impression que c'est comme cela un peu partout, mais en Saskatchewan, par exemple, c'est ce qui arrive.

Le sénateur Baker : De la surveillance pour la Couronne; de l'aide juridique pour les détenus?

M. Beaudin : Oui.

Le sénateur Baker : Ce sont vos deux principaux messages sur ces questions?

M. Beaudin : Oui.

La sénatrice Batters : Je vous remercie tous deux d'être ici aujourd'hui. Je viens justement de la Saskatchewan, donc j'ai bien hâte d'en entendre plus à ce sujet.

Vous avez absolument raison de dire qu'il y a beaucoup de défis à relever en Saskatchewan, et vous en avez mentionné quelques-uns. En même temps, pour ce qui est des délais judiciaires, la Saskatchewan a su innover positivement. Les statistiques sur les délais judiciaires en Saskatchewan sont relativement bonnes comparativement à celles des autres régions du pays, et cela, malgré ces grandes difficultés.

J'aimerais savoir si vous pouvez nous parler des innovations que vous avez observées pour les Autochtones qui ont été aidantes en Saskatchewan et dont on pourrait peut-être s'inspirer pour aider les Autochtones ailleurs au pays. Vous avez nommé le Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones. Avez-vous dit que c'est l'ancien gouvernement fédéral qui a bonifié le financement ce programme avant que le gouvernement provincial n'ampute son budget de 2 millions de dollars? Est-ce bien cela?

M. Beaudin : Ce qui est arrivé, c'est que le gouvernement fédéral, ce gouvernement, avait versé des fonds supplémentaires au Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones. Puis quand le budget a été déposé en Saskatchewan, le financement de ce programme a été réduit.

La sénatrice Batters : C'est récent, cela date de quelques mois?

M. Beaudin : Oui, c'était dans le dernier budget. Au final, c'était probablement kif-kif. Personne dans le système n'y a gagné quoi que ce soit.

Je peux vous dire par ailleurs que dans le cadre de mes fonctions actuelles, comme je l'ai déjà dit, je participe à un programme pour les ex-membres de gangs. Un tout petit peu moins de mille personnes bénéficient de notre programme à Saskatoon. Elles nous racontent leurs histoires. J'ai entendu quelques affaires sur le système lui-même, je sais comment il les touche, donc j'ai une assez bonne idée de la situation de ce point de vue. C'est très frustrant pour ces personnes, parce que bien souvent, quand elles sont jugées dans le système, elles ne sont pas traitées équitablement. Les facteurs économiques entrent toujours en ligne de compte : la pauvreté et les dépendances. Les deux principaux problèmes que nous observons dans notre organisation et qui nuisent au système judiciaire, c'est sans aucun doute les problèmes de santé mentale et de dépendance.

La sénatrice Batters : Absolument.

M. Beaudin : Je crois hors de tout doute raisonnable que si nous nous attaquions à ces deux problèmes dans le système de justice lui-même (et même dans le système correctionnel, qui relève de la province), il y aurait probablement plus de la moitié moins d'affaires devant les tribunaux. Il n'y aurait plus de surpopulation. Les programmes retrouveraient alors leur raison d'être pour les personnes qui sont là. Ce serait une amélioration énorme.

La sénatrice Batters : Donc pour raccourcir les délais dans l'appareil judiciaire, pour revenir à quelques bonnes recommandations, diriez-vous que les tribunaux spécialisés que vous voyez (il y en a en Saskatchewan, notamment le tribunal de traitement de la toxicomanie) seraient des modèles prometteurs à reproduire ailleurs au pays pour aider les Autochtones? Y a-t-il d'autres innovations qui vous viennent à l'esprit et que vous trouvez prometteuses?

M. Beaudin : Un autre grand facteur à prendre en considération, c'est que les Autochtones se déplacent beaucoup. Je veux dire par là que nous avons de la parenté partout au Canada.

Prenons l'exemple de la Saskatchewan. Un Autochtone du Nord, disons de La Loche, vient s'installer à Saskatoon, mais se heurte à un problème avec la police. Des accusations sont portées contre lui, et il doit y faire face. Ce qui arrive, bien souvent, c'est que quand la personne rentre chez elle, elle n'a pas les moyens de revenir à Saskatoon.

Il y a un problème de juridiction dans la province — et je suis presque certain que c'est la même chose dans toutes les autres provinces —, il n'y a pas de renvoi direct entre les juridictions, ce qui cause des problèmes. Dans votre rapport, vous parlez de la technologie, et c'est très bien, nous devrions l'utiliser.

L'autre idée qui devrait ressortir aussi, à mon avis, de mon point de vue de juge de paix, serait d'utiliser encore plus le programme des juges de paix. Il fait économiser des millions de dollars à la Saskatchewan, et je crois qu'il pourrait lui en faire économiser beaucoup plus. Le budget de la justice, en Saskatchewan, est de 600 millions de dollars. C'est beaucoup d'argent. Je crois que le budget du gouvernement canadien est de 650 millions de dollars, cela vous donne une idée de l'ordre de grandeur.

Il vient d'y avoir une élection municipale à Saskatoon, et depuis hier, nous avons un nouveau maire élu. Il a notamment parlé du budget de la police, qui est passé de 72 millions de dollars à 82 millions de dollars. C'est ce qui avait été demandé. Tous les ans, ce budget augmente à Saskatoon, mais un moment donné, vous savez, le barrage va se rompre. Les services de police demandent aux contribuables beaucoup d'argent et beaucoup de ressources. Ce n'est pas vraiment nécessaire.

La sénatrice Batters : Sur la question du budget, si vous me le permettez, tout le monde doit comprendre que c'est évidemment la province qui a la responsabilité d'administrer la justice. Elle administre les tribunaux, qui ont toutes sortes de grandes dépenses associées à un vaste personnel, entre autres choses. Le gouvernement fédéral joue un rôle plus stratégique.

M. Beaudin : Oui.

La sénatrice Batters : Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup de votre exposé, qui était très instructif. J'aimerais que nous parlions un peu de la situation des femmes. Vous avez peut-être des chiffres meilleurs que d'autres, mais selon l'information dont je dispose, le tiers des femmes en prison seraient des Autochtones. Si vous le voulez bien, j'aimerais que vous nous disiez comment les délais dans le système de justice touchent les femmes autochtones et que vous nous fassiez trois recommandations que le comité pourrait présenter pour aider les femmes autochtones en ce qui concerne les délais judiciaires.

M. Beaudin : C'est une très bonne question. Je n'arriverai jamais à comprendre comment l'incarcération des femmes autochtones a pu augmenter autant en quelques années. Je crois qu'il y a eu une hausse de quelque chose comme 90 p. 100 en quelques années. C'est sûrement le genre de chose qui pourrait faire l'objet d'une politique, n'est-ce pas? Il doit y avoir des réseaux d'aide.

Je suis persuadé que quand des femmes autochtones entrent dans le système de justice, cela a un effet énorme sur leur famille. Quand elles partent, soudainement, il y a toutes sortes d'autres problèmes qui frappent la famille et les enfants. Les enfants se retrouvent en famille d'accueil, et c'est un énorme cercle vicieux. Ce n'est tout simplement pas bon.

Ce que nous devrions essayer de faire, d'après ce que j'observe à Saskatoon, c'est de nous asseoir pour faire preuve d'une plus grande créativité. Il y a des gens qui réclament une réforme, et j'ai moi-même réclamé une réforme du système (qui ne serait pas sans rappeler une commission royale) pour tenter de comprendre ce que nous pouvons faire pour que le système fonctionne et pour amener les gens à y participer.

Nous avons beaucoup de pain sur la planche. Il faut s'attaquer à ce problème pour nos femmes autochtones, qui sont l'une des composantes les plus importantes de la famille. Cela ne fait aucun doute.

La sénatrice Jaffer : Qu'est-ce qui pourrait les aider? Selon votre vaste expérience, que notre comité pourrait-il recommander exactement pour réduire les délais dans les procédures pénales visant des femmes autochtones? Vous qui avez l'expérience du terrain, quel genre de choses que recommanderiez-vous?

M. Beaudin : Je pense que bien souvent, il ne devrait pas nécessairement y avoir d'accusations devant un conseil de justice en tant que tel, mais plutôt des mesures à l'extérieur du système. Par exemple, une personne faisant souvent l'objet d'accusations mineures ne devrait pas nécessairement engorger le système judiciaire. Il faudrait peut-être plutôt renvoyer ces affaires au programme des juges de paix, par exemple, qui pourraient les examiner et faire un suivi sans qu'il n'y ait d'accusations formelles. Les jugent de paix pourraient trancher ces questions sans qu'elles ne passent officiellement par le système judiciaire. Je crois que cela contribuerait beaucoup à régler le problème.

La santé mentale est également un problème récurrent. Les problèmes de toxicomanie, en particulier, sont gigantesques. Je pense que c'est un facteur très important. Nous parlons de guérison, par exemple. La culture est un aspect très important, et la guérison joue un rôle dans tout cela, cela fait partie de notre culture autochtone. Il y a aussi le fait que le système de justice est vraiment étranger aux Autochtones. Ils apprennent à le connaître une fois qu'ils sont pris dedans. J'ai entendu souvent des gens l'appeler en anglais le « just us system » plutôt que le « justice system ». Ce n'est pas comme ça qu'ils l'appellent.

L'autre problème, bien sûr, c'est qu'ils ne font pas très confiance au système, ils n'ont pas l'impression d'être traités équitablement. Je pense que le Globe and Mail a publié des statistiques il y a quelques mois, qui montraient, par exemple, que pour l'infraction criminelle de voies de fait simples, les Autochtones étaient généralement condamnés à six mois d'emprisonnement, contre trois mois pour les non-Autochtones.

Quand on y pense un peu, les voies de fait simples ne devraient probablement même pas figurer dans le Code criminel. Elles devraient être régies autrement. Pour les crimes plus graves, c'est différent, j'en conviens, mais c'est mon opinion personnelle. C'est une façon dont nous pourrions changer le système pour nous concentrer sur les problèmes les plus graves et les régler. Nous en sortirions tous gagnants.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Le sénateur White : Je vous remercie tous les deux d'être ici aujourd'hui. J'ai beaucoup aimé vous entendre sur la toxicomanie et la maladie mentale, en particulier. En Ontario, à l'heure actuelle, il y a une liste d'attente d'environ six mois pour les personnes ayant besoin d'un traitement de la toxicomanie en établissement, quel que soit leur âge, qu'elles aient 14 ou 44 ans. Beaucoup de ces personnes s'adonnent à des activités criminelles, il faut l'avouer, pour satisfaire leur dépendance pendant qu'elles attendent une place, et le problème s'aggrave pendant ce temps, parce qu'elles se retrouvent en prison avant même d'avoir pu recevoir un traitement.

Pouvez-vous nous donner une idée du temps d'attente en Saskatchewan? Vous avez lancé le chiffre de 50 p. 100, et je pense qu'il y a un représentant de l'Association du Barreau canadien qui nous a dit la semaine dernière que plus de 70 p. 100 de ses clients souffrent d'une dépendance quelconque. Pouvez-vous nous donner une idée du temps d'attente et du pourcentage des gens qui sont actuellement dans le système et qui se battent contre l'un ou l'autre de ces problèmes ou les deux?

M. Beaudin : Eh bien, selon mon expérience sur le terrain, je vous dirais que cela tourne probablement autour de 90 p. 100. C'est assez élevé. Le pourcentage des gens qui souffrent d'une dépendance est plus élevé que celui de ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale, même s'il est tout de même élevé, à n'en pas douter. Nous devons affecter plus de ressources à cela si nous voulons pouvoir embaucher des gens qui ont les compétences nécessaires pour aider ces gens, et ce, même dans le système correctionnel provincial ou fédéral.

Diverses personnes m'appellent pendant qu'elles sont en détention pour me dire qu'on leur refuse leur droit à de la médication. Il y a un participant à notre programme dont le frère est mort parce qu'il n'a pas reçu d'attention médicale. Il est mort du cancer. Il a essayé de demander de l'aide médicale, mais ils n'ont pas voulu l'aider du tout, et il a fini par mourir.

Le sénateur White : Il ne faut pas se leurrer, quand on parle du système de justice, les prisons et les tribunaux sont bien loin en aval. Mais en amont, il pourrait peut-être y avoir plus de d'argent pour la Stratégie nationale antidrogue ou la santé, pour créer un modèle d'intervention précoce qui viserait les groupes que vous connaissez si bien.

M. Beaudin : Oui.

Le sénateur White : Le fait est que 25 p. 100 des femmes et 19 p. 100 des hommes incarcérés au Canada sont autochtones, bien qu'ils représentent à peine 3 p. 100 de la population. De façon réaliste, serait-il plus utile, selon vous, de financer davantage un système plus en amont, comme celui de la santé ou de la Stratégie nationale antidrogue?

M. Beaudin : Tout à fait. Je serais d'accord à 100 p. 100 avec cette idée.

Le sénateur White : Je vous remercie d'être venus nous rencontrer, messieurs.

Le sénateur Joyal : J'essaie de réfléchir à la meilleure façon d'aborder le problème de la surpopulation d'Autochtones dans le système correctionnel et du traitement qui leur est réservé. Quand j'ai lu dans le Globe and Mail de ce matin que 40 p. 100 des détenus passeront plus de 30 jours en isolement et que 214 souffrent de problèmes de santé mentale (c'était dans le Globe and Mail ce matin), je me demande si nous pouvons vraiment avoir la satisfaction de résoudre le problème, de mettre en place une véritable solution en en ajoutant simplement un petit peu ici, un petit peu là. Nous aurons le sentiment d'avoir fait quelque chose. Selon moi, c'est un problème systémique, et l'on ne peut pas régler un problème systémique avec une petite touche de vert ici et une petite touche de rouge là pour embellir le portrait. Ce problème mérite une démarche sans précédent. Compte tenu de la volonté politique du gouvernement, je suis d'avis que nous devons établir la responsabilité du ministère de la Justice, essentiellement, qui consisterait à examiner tout ce qui doit être mis en place pour nous attaquer au problème, du début à la fin, jusqu'à ce qu'un Autochtone qui a été condamné ait également été réhabilité et soit désormais en mesure d'assumer ses responsabilités dans la société canadienne générale.

J'ai lu toutes vos recommandations ici et là. Certaines prendront probablement forme un moment donné. D'autres seront laissées de côté et accumuleront de la poussière quelque part sur une tablette. J'ai l'impression que nous avons besoin, comme on le dit en français, d'un bon coup de barre. Il faut totalement changer notre angle d'approche global du problème des Autochtones dans le système de justice.

Tant que nous ne reconnaîtrons pas l'ampleur du problème, nous n'interviendrons qu'au cas par cas, comme dans l'affaire de M. Capay, que vous avez décrite, et d'autres Autochtones finiront par se retrouver dans la même situation.

Pour autant que j'appuie les recommandations que vous avez formulées, je doute qu'elles constituent la solution. Je pense qu'il faut aller plus loin.

M. Beaudin : Oui.

Le sénateur Joyal : Si nous voulons vraiment agir de manière responsable, je crois que c'est l'unique solution. Je n'ai pas autant d'expérience terrain que vous, mais d'après tout ce que je vois et j'entends, jour après jour, année après année, il semble qu'il faille tenir compte des problèmes de santé mentale, de consommation de drogue et d'alcool chez les Autochtones quand ces personnes sont confrontées au système judiciaire. C'est la raison pour laquelle elles accaparent le système judiciaire. À mon avis, il n'y a pas d'autres causes à cela.

Comment aborder le problème? Comme le sénateur White vient de le dire, nous savons que nous pouvons investir davantage dans le traitement de maladies mentales, mais le problème va bien au-delà. En toute déférence pour le sénateur White, dont j'admire l'expérience professionnelle de policier, c'est l'impasse que je vois ici. Je siège depuis des années à ce comité, et j'entends toujours la même chose. Je me dis qu'il faut un moment donné nous demander comment résoudre le problème. Par où commencer? Qui aura la volonté politique nécessaire? Lisez l'article de ce matin sur la façon dont le ministre de l'Ontario...

Le président : Nous laisserons le témoin vous répondre.

Le sénateur Joyal : Je vais me faire interrompre poliment par le président.

Le président : Je ne veux pas interrompre les témoins; je veux leur permettre de répondre.

Le sénateur Joyal : Je comprends.

M. Beaudin : Je pense que si nous commencions par décrire le genre de problèmes que nous éprouvons dans nos politiques, l'idée finirait par faire son chemin pour se transposer dans le système lui-même.

Je sais qu'on parle d'argent — l'argent est toujours un grand enjeu, parce que ce genre de chose coûte cher —, mais je pense que nous économiserons au final quand nos politiques en tiendront compte. Je n'arrive pas à me rappeler la dernière fois que nous avons vraiment remis en question le système de justice lui-même et particulièrement son incidence sur les Autochtones.

Je pense que cela remonte au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Cela fait longtemps; il en était question dans ce rapport. À mon avis, la situation perdure depuis. J'ai 58 ans. Quand j'étais jeune, c'était déjà un grave problème. Je me rappelle de notre ancien chef décédé, Jim Sinclair, qui en parlait. Il en parlait il y a 30 ans.

Effectivement, un moment donné, si nous pouvions nous doter de politiques adaptées pour établir nos grandes orientations et qu'elles guident les mesures concrètes ensuite, nous pourrions probablement réformer le système. Je pense que c'est ce qui fonctionnera éventuellement, mais encore une fois, il doit pour cela y avoir une volonté politique. Vous mentionnez des éléments importants.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de votre exposé. Beaucoup d'Autochtones vivent dans des villages éloignés qui relèvent souvent de cours de circuit. Pouvez-vous nous parler des difficultés associées aux cours de circuit et nous expliquer comment elles contribuent aux délais?

Il y a une chose que j'aimerais savoir, puisque vous avez mentionné avoir tenu des audiences sur la libération sous caution. Quand il n'y a pas d'établissement de détention quelque part, qu'arrive-t-il si une personne est arrêtée et doit être détenue sans possibilité de libération?

M. Beaudin : Quand une personne est détenue sans possibilité de libération, elle est habituellement détenue là où elle se trouve, par exemple à Saskatoon, à Regina ou à Prince Albert. C'est là où elle est incarcérée. Si la personne vient de La Loche, de La Ronge ou d'un autre endroit du genre, dans le Nord, de Cumberland House, par exemple, elle se retrouvera hors de son village. C'est un autre problème qui se pose.

Vous parlez des cours de circuit. Je sais que certaines cours ont un calendrier, selon lequel elles se rendent dans différentes localités, et elles peuvent ne s'y rendre que toutes les deux semaines, par exemple, deux fois par mois. Ce n'est rien pour accélérer les choses quand elles n'y vont que de temps en temps.

Le rapport fait état de la nécessité d'accroître le nombre de juges pour régler ce genre de questions.

Le sénateur McIntyre : À ce sujet, les cours de circuit peuvent-elles s'occuper de toutes les questions de droit pénal au même titre qu'une cour supérieure, ou doivent-elles renvoyer certaines affaires sérieuses à une cour supérieure?

M. Beaudin : Je dirais qu'elles peuvent s'en occuper. Il n'est pas nécessaire de s'adresser à une cour supérieure. À vrai dire, cela dépend aussi de la gravité des accusations, mais je crois que c'est possible. À mon avis, les cours de circuit peuvent trancher de telles affaires. D'ailleurs, cela accélérerait le processus.

Le sénateur McIntyre : Les travailleurs autochtones auprès des tribunaux participent-ils aux cours de circuit?

M. Beaudin : Oui, ils y participent. Ils se déplacent d'une collectivité à l'autre. Par exemple, à Saskatoon, ils se rendent à North Battleford pour régler des questions locales et pour fournir des renseignements aux gens. Donc, oui, ils se déplacent et, là encore, les ressources sont utilisées au maximum.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Dans un pays comme le nôtre, j'ai de la difficulté à croire aux injustices. Par contre, je ne dis pas que cela ne n'arrive pas. La Cour suprême a édicté ce qui était trop long dans la situation de M. Capay. Qui est responsable de sa situation?

[Traduction]

M. Beaudin : Lorsque le rapport a été publié, j'ai été très troublé parce que le ministre y affirme que c'est au système de déterminer le rôle des gardiens et des responsables.

Ce qui m'a frappé, c'est qu'il appartient à la cour de trancher l'affaire. C'est la cour qui essaiera de déterminer ce qui est arrivé à M. Capay. Pourquoi cet homme a-t-il croupi en prison pendant quatre ans? Comment a-t-il pu se perdre dans les méandres du système? Le système carcéral ne fait qu'administrer le processus.

C'est pourquoi j'ai été un peu surpris par les propos du ministre parce que ce sont les divers juges, notamment le juge de paix, qui administrent le dossier. On pourrait facilement s'en enquérir auprès d'eux.

C'est un point que j'ai souligné tout à l'heure; cela en dit long sur l'administration de la justice. Les juges devraient avoir plus de responsabilités pour déterminer ce qui arrive aux individus. Où vont ces gens? Passent-ils entre les mailles du filet? Comment se fait-il que je n'aie pas vu telle ou telle personne depuis longtemps?

Les juges devraient être sensibilisés à ces questions. Je sais qu'ils ne peuvent pas tout mémoriser, mais on devrait, à tout le moins, les tenir au courant de ce genre d'information. Ainsi, nous ne ferons plus face à de telles situations, et les gouvernements du Canada et de la province de l'Ontario ne seraient plus embarrassés par ce genre de questions.

Le Canada jouit certes d'une excellente réputation. Nous devons maintenant amener les peuples autochtones à ce niveau. C'est ce que j'espère faire.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Il a passé quatre ans en prison. Personne ne s'est préoccupé de sa situation, aucun membre de sa famille, aucun avocat, aucune aide juridique. Certaines personnes se trouvent en Arabie saoudite et font la une des journaux chaque semaine. Je ne peux croire que personne ne s'est occupé de lui pendant quatre ans.

[Traduction]

M. Beaudin : Oui, j'abonde dans le même sens. Il y a une autre idée qui m'est venue à l'esprit : nous devrions entreprendre un examen afin de voir s'il y a d'autres gens qui sont pris dans l'engrenage en ce moment même. Il y a peut-être des cas dont nous n'avons même pas entendu parler. J'espère que chaque ministre passera un coup de fil pour savoir ce qui se passe dans sa province respective. Nous espérons que plus personne ne languira ainsi dans le système.

Vous avez soulevé un autre bon point. J'ai pensé à des pays comme la Corée du Nord et l'Iran. Les gens là-bas auraient eu de meilleures chances de s'en sortir que M. Capay, ce qui est malheureux.

Le président : Je dois dire que j'ai été, moi aussi, surpris et choqué par la réponse du gouvernement de l'Ontario — aussi bien celle du ministre des Services correctionnels que celle du procureur général. Hier, le procureur général, qui représente la Couronne, a dit essentiellement : « La décision ne m'appartient pas. » Il aurait dû plutôt se montrer soucieux et compatissant en disant : « J'ai demandé à mes collaborateurs de me fournir, d'ici demain, un rapport sur les raisons qui expliquent une telle situation et sur les mesures à prendre pour réparer le tort qu'a subi cette personne. »

Parlez-nous des efforts déployés pour surveiller de telles situations, c'est-à-dire lorsqu'un détenu n'est pas seulement placé en isolement, mais lorsqu'il attend toujours son procès dans un centre de détention provisoire depuis un bon bout de temps. Je suppose que votre organisation n'a pas les ressources nécessaires pour suivre de près ce genre de dossiers. Nous savons que d'autres organisations comme la Société Elizabeth Fry, l'Armée du Salut et la Société John Howard sont à l'affût de tels cas. Avez-vous une relation quelconque avec ces organisations? Si vous ne disposez pas des ressources nécessaires, avez-vous établi des liens pour vous tenir au courant de telles situations, dans la mesure du possible, et pour commencer à sonner l'alarme?

M. Beaudin : Pour l'instant, nous n'avons établi aucune relation avec l'organisation. Cela dépend aussi des ressources.

Dans notre unité, nous travaillons de façon bénévole. Notre organisation n'est pas financée par le gouvernement fédéral. Nous effectuons beaucoup de visites dans les établissements correctionnels, tant à l'échelle fédérale qu'à l'échelle provinciale. Nos bénévoles se rendent sur place pour parler aux détenus. Nous essayons de les aider. Pour ce faire, il faut beaucoup de ressources humaines. Si nous avions en place ce genre de solutions, nous pourrions aider les gens, accélérer le processus lié au traitement de leur dossier et veiller à ce qu'ils soient entendus. Voilà l'élément clé.

Le président : Savez-vous s'il s'agit d'un problème récurrent? Est-ce l'absence de représentation juridique, qui constitue un facteur important ici? Y a-t-il une sorte de problème prioritaire et récurrent qui cause ces retards et qui explique pourquoi ces gens ne subissent pas de procès?

M. Beaudin : Lorsque j'étais juge de paix, un certain nombre d'accusés n'avaient pas accès à un avocat. Ils n'avaient même pas les moyens de payer le montant de 50 $ pour obtenir une mise en liberté sous caution. Disons qu'ils ne comparaissaient pas devant la cour à deux ou trois reprises; le système pouvait alors les garder en détention, si bien qu'ils ne pouvaient plus s'en sortir. Ils y traînaient donc pendant des mois et des mois, au-delà de la période de détention provisoire.

Dans pareils cas, il arrivait parfois que les accusations soient maintenues ou retirées. Ils restaient dans le système pendant un certain temps — plusieurs mois en détention —, après quoi les accusations étaient rétractées.

Je sais qu'un des sous-ministres en Saskatchewan m'a parlé de ce problème. Il n'arrivait pas à comprendre pourquoi, dans un système donné, on gardait ces gens en détention et, dans un autre processus, on les laissait partir, disons, dès lundi.

Le taux d'incarcération continue de grimper. Pourtant, notre taux de criminalité est en baisse. C'est pourquoi nous avons du mal à comprendre cette situation. Oui, cela demande un peu de recherche.

Le président : Il nous reste un peu de temps pour un deuxième tour.

Le sénateur Baker : Monsieur Beaudin, vous avez fait une suggestion fort intéressante, et je pense que je suis d'accord avec vous là-dessus. Vous n'en avez pas parlé dans votre exposé, mais au beau milieu de votre déclaration, vous avez dit : « Je crois personnellement que les cas de voies de fait simples pourraient être réglés hors des tribunaux. »

Lorsqu'on examine les registres des tribunaux au Canada, on voit chaque jour des cas de « voies de fait simples ». Par exemple, si je vous touche contre votre gré, il s'agit d'une voie de fait et, chaque jour, les tribunaux consacrent du temps à de tels dossiers.

Dans certaines cultures, le contact physique est une pratique courante. Je sais que c'est le cas dans ma province, à Terre-Neuve, et je sais qu'il en va peut-être de même pour les Autochtones aussi.

Si je vous fais un geste menaçant, c'est un voie de fait. Si je prends un stylo et que je le lance en votre direction, c'est un voie de fait avec une arme.

Au fond, vous vous demandez pourquoi on ne retire pas complètement les cas de voies de fait simples du système judiciaire de sorte qu'ils soient tranchés par des juges de paix. Est-ce bien ce que vous proposez?

M. Beaudin : Oui.

Le sénateur Baker : Pourquoi n'en avez-vous pas parlé dans votre exposé? Est-ce parce qu'il s'agit d'une opinion personnelle?

M. Beaudin : Pas nécessairement, mais quand on se fait poser des questions, on ne peut s'empêcher de se dire : « Ah, j'aurais pu en parler à cet endroit-là. »

Le sénateur Baker : Cette approche allégerait considérablement la charge de travail des tribunaux au Canada. Vous parlez de voies de fait simples, comme l'acte de faire des gestes menaçants, de toucher quelqu'un, de lancer un crayon en direction d'une personne ou même d'utiliser une arme, ce qui est un crime plus grave.

M. Beaudin : Oui.

Ron Swain, conseiller principal en politiques, Congrès des peuples autochtones : Je voudrais revenir à la question du sénateur Baker sur la raison pour laquelle cette option ne figure pas dans notre mémoire. Je suis un collègue du chef adjoint. Je lui fournis de l'aide pour les recherches et la préparation des mémoires.

Je connais le sénateur White parce qu'il était un agent de police pendant 33 ans, et j'ai moi-même travaillé comme policier pendant 33 ans au sein de la Police provinciale de l'Ontario. Le sénateur White était au service de la GRC.

Le président : Je vous prierais d'aller à l'essentiel, parce qu'il y a deux autres sénateurs qui souhaitent poser des questions.

M. Swain : Le problème, c'est que les voies de fait simples mènent à la violence conjugale; c'est un signe précurseur. Cela commence par des voies de fait simples, puis cela dégénère au bout du compte. Voilà pourquoi nous prenons ce dossier avec des pincettes.

Dans nos collectivités, la violence familiale est un phénomène endémique, qui s'accompagne de problèmes de toxicomanie et de troubles de santé mentale, d'autant plus que nos gens sont victimes de diverses formes de privation culturelle, comme celles attribuables aux séquelles des pensionnats. En raison de ces éléments précurseurs, nos collectivités et nos familles sont prédisposées à souffrir de la violence familiale, et ce, à un taux plus élevé que la norme.

Je sais qu'il s'agit d'une réponse simple, mais quand on parle de voies de fait simples et de violence conjugale, on a affaire à une question très compliquée.

Le sénateur White : Je voudrais poursuivre dans la même veine. Pensez-vous qu'il est peut-être temps que nous procédions à un examen complet de la définition d'infraction criminelle? Il est souvent question d'infraction mixte, de déclaration de culpabilité par mise en accusation ou par procédure sommaire, mais nous ne disposons pas de pouvoirs discrétionnaires à cet égard.

Certains témoins nous ont parlé de la possibilité d'offrir des options administratives au lieu de nous en tenir uniquement au Code criminel ou aux tribunaux criminels, comme c'est le cas actuellement. Cela ressemble à l'option administrative qui existe en Colombie-Britannique pour la conduite avec facultés affaiblies. Pensez-vous qu'une telle solution pourrait également s'avérer utile?

M. Beaudin : Bien sûr. Parlant de la Colombie-Britannique, nous pourrions explorer ces pistes de solution pour régler certains de ces problèmes.

Il y a une autre option que j'ai oublié de mentionner : les cercles de détermination de la peine, particulièrement ceux dans les collectivités autochtones. J'ai eu l'occasion d'y participer il y a quelques années. Ces cercles misent davantage sur la reddition de comptes du point de vue de l'accusé. En effet, dans ce système, l'accusé est tenu de rendre davantage de comptes que devant les tribunaux, parce que ce sont les membres de la collectivité qui s'adressent à lui et qui tranchent la question.

Je me souviens d'un homme qui est passé par là. Il m'a dit qu'il n'en revenait pas à quel point il était difficile pour lui de se faire réprimander par sa collectivité pour son comportement. Il pensait à tort que cette procédure allait être plus simple que le système judiciaire.

On devrait utiliser les cercles de détermination de la peine dès le départ dans certains des cas dont il est question. On offrirait également un appui puisque le processus aboutirait à des recommandations de services de soutien.

Par ailleurs, d'après mon expérience de travail dans le système, lorsqu'un policier procède à l'arrestation d'une personne et qu'il porte différentes accusations contre elle, lorsqu'on franchit toutes les étapes du système, force est de constater qu'il y a un énorme écart sur le plan du soutien et de l'interaction des policiers avec les gens. Voilà ce que nous appelons du racisme systémique. Nous l'appelons ainsi parce que les Autochtones croient que ce problème découle du système et qu'il se poursuit avec la police. Nous devons y mettre un terme.

Dans les régions où l'on trouve une forte population autochtone — par exemple, Saskatoon, Prince Albert, Regina —, cet enjeu demeure à l'avant-plan. Certains disent que nous devrions embaucher plus de policiers autochtones ou prendre d'autres mesures de ce genre. Or, les policiers n'ont tout simplement aucun pouvoir discrétionnaire puisque, là encore, ils doivent suivre les politiques et les règles établies.

Pour moi, il importe peu qu'un agent de police soit autochtone ou non. Ce qui pourrait influer sur le cours des choses, c'est entre autres la question de savoir si les policiers se préoccupent vraiment de ce qui se passe. Voilà donc ma conviction en ce qui a trait aux policiers et à tout le reste.

En tout cas, vous posez là de bonnes questions, et j'espère que nous pourrons également faire intervenir les cercles de détermination de la peine.

La sénatrice Batters : Tout d'abord, monsieur Swain, je suis contente que vous ayez invoqué l'argument concernant la violence conjugale. J'ai entendu la série de questions à ce sujet, mais il s'agit d'un problème extrêmement grave. La vaste majorité des cas de voies de fait, à mon avis, seraient liés à la violence conjugale. Malheureusement, toutes les collectivités au Canada sont touchées, mais je sais pour les collectivités autochtones, il s'agit d'un problème très grave qui peut prendre des proportions considérables et même dégénérer en meurtre. Nous ne voulons pas que les gens pensent que nous ne prenons pas ces cas très au sérieux. C'est pourquoi je suis personnellement opposée à toute mesure en ce sens. Je sais que ce n'est pas du tout ce que le sénateur Baker voulait insinuer, mais je tenais simplement à souligner la gravité du problème.

Monsieur Beaudin, je me demande si vous avez déjà rencontré Kim Pate. Elle a participé aux travaux de la Société Elizabeth Fry — peut-être qu'elle y est toujours associée —, mais je sais que récemment, elle enseignait le droit à Saskatoon. Cette organisation pourrait s'avérer très utile. Vous habitez en Saskatchewan, n'est-ce pas? J'ai manqué le début de votre témoignage.

M. Beaudin : J'habite présentement à Saskatoon.

La sénatrice Batters : Mme Pate pourrait donc être une bonne personne-ressource avec laquelle vous pourriez communiquer. Elle comparaît souvent devant notre comité, et elle pourrait être utile pour votre organisation.

Le président : Merci, messieurs. Nous vous sommes reconnaissants de votre présence ici aujourd'hui et nous vous remercions d'avoir témoigné devant le comité et d'avoir contribué à nos délibérations.

Au cours de la deuxième heure, nous allons entendre, par vidéoconférence depuis Toronto, le juge Shaun Nakatsuru, coordonnateur administratif du tribunal Gladue de la Cour de justice de l'Ontario. Il se joint à nous aujourd'hui pour nous parler du tribunal Gladue. En tant que membre permanent de la magistrature, le juge Nakatsuru ne pourra pas commenter les réformes possibles en matière de droit et, à cet égard, je demande à mes collègues de respecter ces paramètres au moment de poser leurs questions.

Monsieur le juge, merci d'être des nôtres. Aimeriez-vous faire des observations préliminaires?

L'honorable Shaun Nakatsuru, coordonnateur du tribunal Gladue, Cour de justice de l'Ontario, à titre personnel : C'est pour moi un grand privilège, et j'espère que mon témoignage sera d'une certaine utilité pour le comité. Permettez-moi de dire ceci : je n'ai jamais comparu devant un comité sénatorial, ce qui pourrait être une bonne chose, mais pas forcément.

Comme vous l'avez dit, monsieur le président, je suis quelque peu limité dans certaines des réponses que je peux donner à vos questions, mais ce que j'aimerais faire, dans la mesure du possible et dans le temps qui m'est imparti, c'est de vous fournir quelques renseignements sur le tribunal Gladue ici, à Toronto, sur son rendement et son fonctionnement, en plus d'aborder la question des délais peut-être de façon générale et, plus particulièrement, dans le contexte du tribunal Gladue, puisque si je comprends bien, c'est l'objet des réunions du comité.

D'entrée de jeu, j'aimerais dire ceci au sujet du tribunal Gladue : je suis le coordonnateur du tribunal et ce, depuis maintenant deux ou trois ans. J'en assume aussi la présidence de façon régulière.

Je vais vous parler brièvement de l'histoire du tribunal Gladue. Je ne veux pas passer le temps précieux dont nous disposons à faire un exposé sur les principes établis dans l'affaire Gladue ou quelque chose du genre. Je pense qu'il pourrait être plus utile de vous donner une perspective du fonctionnement du tribunal depuis les tranchées, mais je crois que je me montrerais négligent si je ne commençais pas par parler de la cause faisant autorité, c'est-à-dire l'affaire R. c. Gladue, dont je suis persuadé que la plupart d'entre vous avez entendu parler. Il s'agit de l'arrêt de la Cour suprême qui est vraiment à l'origine de notre tribunal à Toronto.

Comme vous le savez sûrement, dans cette affaire, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur une disposition du Code criminel, l'alinéa 718.2e), qui porte sur l'attention particulière que les juges doivent accorder aux circonstances des délinquants autochtones, ainsi que sur les sanctions substitutives auxquelles ils doivent songer avant d'envisager la privation de liberté lorsqu'ils déterminent la peine à infliger aux délinquants autochtones. Ils ont déterminé qu'il s'agissait de mesures vraiment correctives auxquelles les divers tribunaux devaient accorder du poids.

Par la suite, dans l'affaire Ipeelee, la Cour suprême du Canada a affirmé ces principes et a, grosso modo, encouragé les tribunaux de première instance à tous les échelons à accorder une attention sérieuse aux circonstances particulières des délinquants autochtones quand ils comparaissent dans notre système de justice pénale.

Ces principes établis dans l'affaire Gladue ont, depuis, été appliqués dans d'autres contextes, comme les audiences sur la libération sous caution et les cas d'extradition.

Notre tribunal Gladue à Toronto est un tribunal spécialisé en ce sens que nous traitons certaines questions, certains délinquants, d'une façon particulière qui, je l'espère, apaise certaines des préoccupations soulevées par la Cour suprême dans l'affaire Gladue. Il s'agissait d'une initiative judiciaire, à laquelle ont collaboré, en 2001, la Couronne, des avocats de la défense et d'autres intervenants du système, car on estimait à l'époque qu'on ne déployait pas suffisamment d'efforts pour composer avec les préoccupations soulevées par la Cour suprême dans l'affaire Gladue.

Je sais que Jonathan Rudin, qui est directeur d'Aboriginal Legal Services, a aussi été invité à témoigner devant vous, et c'est une personne-ressource exceptionnelle car, honnêtement, notre tribunal ne pourrait pas fonctionner sans le concours d'Aboriginal Legal Services ici à Toronto.

Voici ce que nous faisons et la façon dont fonctionne le tribunal Gladue. En gros, nous faisons trois choses : nous tenons des audiences sur la libération sous caution, nous déterminons les peines et nous faisons de la déjudiciarisation. Toute personne qui s'identifie comme Autochtone a la possibilité de venir au tribunal Gladue à Toronto. Lorsqu'un Autochtone comparaît devant un tribunal, où qu'il soit au pays, il est clair que le juge de paix ou le juge qui préside l'audience doit appliquer les principes établis dans l'affaire Gladue. Cela dit, toute personne désireuse de venir au tribunal Gladue à ces fins est libre de le faire une fois qu'elle s'est identifiée comme Autochtone.

Un des problèmes à l'origine de la création du tribunal Gladue en 2001 a été le manque de sensibilisation ou d'information parmi les divers intervenants du système qui les empêchait d'être en mesure de dire qu'ils appliqueraient les principes établis dans l'affaire Gladue. En gros, un nombre insuffisant de personnes s'identifiaient comme Autochtones dans le système judiciaire, même si elles étaient peut-être de descendance autochtone. En conséquence, le tribunal Gladue, qui se réunit ou siège deux fois par semaine à Toronto, se penche sur cette question. Je pense que personne ne serait surpris d'apprendre qu'il a fait du très bon travail à cet égard.

J'estime aussi qu'il a bien traité les préoccupations soulevées dans l'affaire Gladue. À l'époque, la question principale était le recours excessif et disproportionné à l'incarcération des délinquants autochtones. Cependant, je crois qu'il se penche aussi sur les questions d'aliénation et de méfiance, et appuie tout le concept de la réconciliation entre les peuples autochtones et le reste du Canada.

Alors, que faisons-nous de différent? Premièrement, nous avons une équipe de juges, de substituts adjoints, de procureurs fédéraux et provinciaux, d'avocats de service ainsi que d'avocats de la défense dévoués, qui deviennent particulièrement ferrés dans l'application des principes établis dans l'affaire Gladue. Il règne donc une atmosphère de coopération au tribunal Gladue ainsi qu'un désir et une motivation d'essayer de traiter les préoccupations que j'ai déjà mentionnées.

Dans le contexte de la mise en liberté sous caution, de la détermination des peines et de la déjudiciarisation, nous ne faisons pas de procès. Si la question finit par être portée devant les tribunaux, elle entre dans le système régulier au palais de justice et est traitée là-bas.

Je ne vais pas entrer dans les détails en ce qui concerne les mises en liberté sous caution. Vous pouvez me poser des questions à ce sujet si vous voulez. Je ne sais pas si je pourrai vous être utile. En ce qui concerne les mises en liberté sous caution, la détermination de la peine et la déjudiciarisation, en règle générale, nous essayons de privilégier une approche réparatrice lorsqu'une affaire s'y prête. Autrement dit, nous avons recours à la réhabilitation sans ignorer, bien sûr, la dissuasion et la dénonciation au besoin, et nous essayons de façonner un règlement approprié qui prenne en compte les préoccupations du délinquant, de la victime et de la collectivité en général.

Nous disposons de ressources considérables. Nous bénéficions des services d'Aboriginal Legal Services, qui assignent des intervenants dans les tribunaux, des préposés à l'assistance postpénale pour faire le suivi de tout programme que suivent les délinquants. Nous bénéficions aussi du Programme de cautionnements, qui offrira des services aux Autochtones en l'absence de cautions pour les délinquants autochtones. Et, au bout du compte, dans ce type d'esprit de collaboration, la plupart de nos règlements font l'unanimité auprès des parties.

Dans ce tribunal, nous estimons donner aux gens la possibilité d'être entendus par le système judiciaire. Autrement dit, nous prenons le temps. Il arrive que nos dossiers soient longs et que nos affaires prennent considérablement plus de temps que les affaires dans le système régulier, et j'y reviendrai quand je parlerai de la question des délais. Tout compte fait, le tribunal Gladue à Toronto a plutôt bien réussi selon moi à atteindre les objectifs fixés par la Cour suprême. Encore une fois, il s'agit de mon opinion à moi et à personne d'autre.

Pour ceux d'entre vous qui êtes susceptibles de vous y intéresser, Scott Clark, professeur agrégé à l'Université Ryerson, a procédé à une évaluation du tribunal en 2016, que vous pourrez consulter sur le site web d'Aboriginal Legal Services. Elle offre un important complément d'informations sur le fonctionnement de notre tribunal et sur les progrès que nous réalisons pour atteindre les buts que nous nous sommes fixés.

Il s'agit, en bref, d'un survol du tribunal Gladue. Je ferais preuve de négligence si j'omettais de vous dire que notre tribunal n'est pas le seul tribunal autochtone ou Gladue en Ontario ou dans le Grand Toronto. Il y a un certain nombre de tribunaux Gladue, ou de tribunaux autochtones, à la grandeur de l'Ontario. Certains d'entre eux fonctionnent de façon très semblable. Certains ont même fait preuve d'une plus grande créativité dans leur façon de composer avec les délinquants autochtones. Ici, à Old City Hall, nous avons aussi essayé de privilégier des approches plus créatives. Je pense avoir entendu quelqu'un mentionner les conseils de détermination de la peine, et nous sommes en train d'en utiliser davantage pour les personnes, avec leur consentement, dans les types d'affaires qui s'y prêtent. Nous apprenons au fur et à mesure la meilleure façon de les mener.

Il s'agit là de solutions de rechange concrètes et significatives que le système de justice pénal dans son ensemble cherche pour appliquer les objectifs énoncés dans le Code pénal et dans la jurisprudence.

J'aimerais maintenant aborder la question des délais.

Je pense qu'il est banal de dire « justice tardive est déni de justice ». Lorsqu'ils touchent les délinquants autochtones ou les victimes ou communautés autochtones, les délais déraisonnables sont les mêmes que pour toute autre personne qui a eu affaire au système de justice pénale.

Vous avez probablement beaucoup entendu parler des conséquences négatives, alors je ne veux pas prendre de votre temps pour vous les répéter de mon point de vue. J'aimerais cependant dire que les délais se suivent, mais ne se ressemblent pas. Je veux en revenir à notre tribunal Gladue.

Parfois, la justice significative, la justice appropriée au plan culturel ou la justice sensible aux circonstances et aux besoins des peuples autochtones peut prendre du temps. Il est important de faire les choses correctement, ce qui peut parfois prendre du temps. Si vous prenez l'évaluation de 2016 du professeur Clark, vous verrez dans les données qu'il a recueillies que les affaires traitées au tribunal Gladue prennent plus de temps qu'ailleurs et qu'elles supposent plus de comparutions que d'autres affaires dans notre palais de justice ou en Ontario. Ce qui explique cela en partie — et c'est quelque chose que les données ne reflètent pas toujours — est que notre façon de traiter les affaires au tribunal Gladue est parfois très différente.

Voilà ce que j'entends par cela : premièrement, dans bien des cas, le tribunal s'occupe de délinquants précis d'une façon qui ressemble à de la gestion de cas. Autrement dit, pour essayer de trouver une meilleure solution que l'incarcération, il faudra peut-être suivre bien des étapes à l'extérieur du tribunal, entre diverses parties, pour en arriver à l'étape où cette meilleure solution peut être mise en œuvre.

À titre d'exemple, le tribunal Gladue dispose d'un système de déjudiciarisation assez sain. Les protocoles de déjudiciarisation sont aussi du domaine public; vous pouvez également les trouver sur le site web d'Aboriginal Legal Services. Quand les circonstances s'y prêtent, il peut arriver que la Couronne, tant au fédéral qu'au provincial, traite une affaire à l'extérieur du système de justice pénale, qu'elle suspende ou qu'elle retire les accusations, et que les personnes qui acceptent la responsabilité de leurs actions soient envoyées, quand il y a lieu de le faire, dans un milieu réparateur, c'est-à-dire un conseil communautaire.

Ce conseil communautaire, sous l'égide d'Aboriginal Legal Services, compte des bénévoles de la communauté, des Autochtones, qui essaient d'appliquer les principes réparateurs que nous connaissons tous bien, je crois, à l'extérieur du système de justice pénale. Ils tiennent un conseil ou une réunion avec le délinquant, et ils obtiennent des renseignements et formulent des recommandations et des directives auxquelles le délinquant doit se conformer.

Je pense que Jonathan Rudin aurait beaucoup plus de renseignements que moi à vous donner sur le fonctionnement de ces conseils communautaires car, à titre de juge, je ne participe pas à cet aspect de la partie réparatrice.

Cependant, pour en arriver à l'étape où la Couronne suspend les accusations, il arrive souvent qu'on doive exiger de la personne qu'elle fasse certaines choses ou qu'on doive obtenir des renseignements. Cela donne souvent lieu à des comparutions répétées au tribunal et, encore une fois, cela prend parfois du temps, mais le jeu en vaut la chandelle.

Alors même si les statistiques indiquent peut-être des délais dans les procédures judiciaires, et même si les comparutions au tribunal sont nombreuses, on prend vraiment des mesures pour obtenir le résultat adéquat.

Il en va de même pour les audiences sur la libération sous caution et la détermination de la peine. La plupart du temps, dans les cas de détentions provisoires à répétition, ou lorsque la peine n'est pas déterminée immédiatement, c'est parce que bien des programmes, des services ou autres sont mis en place par le conseil pour faire en sorte qu'on détermine la peine appropriée pour un délinquant donné et que cette peine reflète les principes réparateurs applicables dans ce cas particulier.

En outre, étant donné que nous privilégions cette approche de la gestion des cas avec certains des délinquants, nous aimons avoir cette continuité entre le tribunal et le délinquant de façon à ce qu'on le fasse revenir en cour régulièrement, non seulement pour faire le suivi de son cheminement, mais aussi pour voir les progrès qu'il a réalisés.

Vous comprenez sûrement que bien des personnes qui se retrouvent dans notre système judiciaire viennent d'un secteur vulnérable de notre communauté, qu'elles ont peut-être été marginalisées en raison de certains facteurs mentionnés par la Cour suprême dans l'arrêt Gladue et qu'elles n'ont jamais vraiment pu décider de leur avenir dans le contexte du système de justice pénale.

Ce qui me touche beaucoup dans la façon dont nous faisons les choses dans notre tribunal Gladue est que si vous prenez les commentaires formulés par les délinquants interviewés par le professeur Clark, vous dégagez un thème commun : ils se sentent, en quelque sorte, responsabilisés ou écoutés dans notre tribunal autochtone, ce qui n'a pas été le cas dans la même mesure dans certains autres tribunaux avec lesquels ils ont peut-être eu affaire par le passé.

Encore une fois, peut-être que mon argument est un peu banal, mais les délais se suivent et ne se ressemblent pas toujours. Les délais n'ont pas toujours des conséquences négatives pour la communauté ou la victime du délinquant qui fait l'objet d'accusations. Cela étant dit, je pense que chaque personne dans le système de justice pénale est consciente du besoin de gérer un système de justice pénale efficace où les délais ne sont nullement déraisonnables. Cependant, je pense que nous comprenons aussi que les délais sont non seulement inévitables dans certains cas, mais qu'ils peuvent aussi avoir des conséquences très positives et offrir des avantages.

Voilà, en gros, les remarques liminaires que j'avais à prononcer. J'espère ne pas avoir pris trop de temps.

Le président : Merci, monsieur. Honorables sénateurs, il nous reste un peu plus de 30 minutes pour la période de questions, alors je vous encourage à faire en sorte que tout le monde ait la chance de poser ses questions. Nous allons commencer par le vice-président, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur le président. Je vais poser immédiatement mes deux questions. Je tiens à féliciter le juge pour sa présentation très intéressante au comité. J'aimerais faire remarquer que vous avez une grande expérience de la jurisprudence avec plus de 80 affaires depuis la fin des années 1980. Je pense que votre première affaire remonte à 1988 et que la dernière était en 2004, alors que vous avez comparu devant la Cour suprême pour représenter le procureur général de la province, je crois, comme intervenant.

Au cours de votre carrière, vous avez aussi soulevé des arguments fondés sur l'alinéa 11b) de la Charte. La jurisprudence fait état de deux arguments de la sorte que vous avez soulevés quand vous étiez avocat. Mes questions ne porteront pas là-dessus. Je tiens simplement à faire remarquer que vous avez une connaissance approfondie du droit pénal et de son fonctionnement.

Premièrement, vous faites exceptionnellement bien valoir que le délai qu'il faut pour qu'un procès se déroule — à partir du moment où des accusations sont portées jusqu'à la détermination de la peine, qui est la période que le tribunal prend en compte pour déterminer l'existence d'un délai des procédures suffisamment important pour justifier un argument fondé sur l'alinéa 11b) de la Charte — est, dans certaines circonstances, une bonne chose, une chose nécessaire pour que justice soit faite dans une affaire en particulier.

J'ignore si vous voulez vous prononcer là-dessus, mais je présume que dans l'affaire Jordan et d'autres affaires semblables qu'elle a tranchées, la Cour suprême du Canada estimerait que le délai supplémentaire dont vous avez parlé entrerait dans la catégorie des circonstances exceptionnelles s'agissant de la durée des procédures devant les tribunaux. C'est une règle très stricte; nous avons entendu bien des témoignages de personnes qui s'opposent à une attente de 30 mois et de 18 mois au motif qu'elle est illogique. Cependant, je dirais que les circonstances exceptionnelles qui vont au- delà de la période de 30 mois s'appliqueraient à un tribunal spécial.

C'est ma première observation. J'ignore si vous voulez la commenter. J'ai consulté la jurisprudence jusqu'à maintenant. On y trouve 69 décisions se rapportant à l'affaire Jordan. Aucune ne concerne de tribunaux spéciaux ou leur caractère exceptionnel.

Quels seraient les avantages, pour la justice à l'égard des accusés, des conditions de mise en liberté qu'ils obtiendraient de votre tribunal par rapport aux conditions normales de mise en liberté, dont certaines sont exigées par le Code criminel mais dont d'autres correspondent, en vertu de l'usage, à certaines infractions? Je parle des conditions de mise en liberté. Des critères particuliers s'appliqueraient-ils? Des témoins viennent de dire que certains Autochtones veulent se déplacer. Ils doivent revenir chez eux. Bien sûr, s'ils sont accusés d'une infraction normale, ils ne peuvent pas quitter la juridiction, d'après les conditions de mise en liberté, pour s'occuper de leur maison à l'extérieur de cette juridiction.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l'avantage du tribunal Gladue, en ce qui concerne les conditions de mise en liberté par rapport à un tribunal utilisant la procédure normale? Merci.

M. Nakatsuru : Permettez-moi de répondre ainsi à la première partie de votre question sur les circonstances exceptionnelles. Je ne peux pas formuler d'observations précises, parce que, visiblement, ce sujet pourrait faire l'objet d'un litige à un certain moment, mais je pourrais dire ceci sur la façon de procéder du tribunal Gladue : comme certains délais bénéficient visiblement d'un consentement unanime et, souvent, dans l'intérêt de la défense, il arrive très souvent que la défense renonce en particulier à tous les délais causés par ces ajournements.

Elle comprend, comme l'accusé ou le contrevenant, que le procès est retardé à cause d'un motif sérieux, et que, autrement dit, il faut plus de temps pour enquêter et bien faire les choses. Le délai n'est habituellement pas un problème parce qu'on considère qu'on y a explicitement renoncé. Même dans le nouveau cadre établi par suite de l'affaire Jordan, ce délai ne serait pas envisagé à l'intérieur des limites qu'on présume que la Cour suprême du Canada aurait établies.

La deuxième partie concerne les conditions de mise en liberté. Il importe beaucoup, dans chaque cas, mais, en particulier, quand il s'agit d'un accusé autochtone, de personnaliser ces conditions en fonction des circonstances dans lesquelles se placent la personne et l'affaire.

Dans l'exemple où la personne n'est à peu près pas libre de se déplacer, il faut tenir compte de la possibilité que les limites imposées à la personne qui vit dans une communauté éloignée et qui doit se déplacer soient beaucoup plus nuisibles qu'à un citadin. Toutes ces conditions doivent être adaptées à la personne.

La différence entre le tribunal Gladue et le tribunal autochtone est qu'on nous invite particulièrement à faire attention au contexte et aux circonstances particulières du contrevenant. Comme exemple concret de notre manière différente de procéder dans le tribunal autochtone, des conseillers parajudiciaires autochtones interrogent la personne cherchant à obtenir une caution de nos tribunaux. Ils en tirent les renseignements nécessaires pour régler, parmi ses antécédents, la cause qui l'amène devant le tribunal, par exemple, une toxicomanie, la précarité du logement et l'isolement par rapport à sa communauté. Ces renseignements permettent de lui offrir des programmes et des services culturellement adaptés; d'élaborer un plan de soins et une méthode pour la libérer au moyen de beaucoup d'appuis qui seront disponibles à sa mise en liberté.

Quand nous nous occupons des conditions de mise en liberté, nous annexons ce plan de soins à nos conditions de liberté sous caution. Nous avons quelques raisons pour le faire. L'une d'elles est qu'il n'est pas obligatoire de s'y conformer rigoureusement sous peine d'être accusé de les violer, parce que ce serait injuste pour beaucoup de ces personnes, dont certaines amorcent le parcours pour leur réadaptation. Cependant, cela leur donne la possibilité d'accéder aux programmes et aux services disponibles et cela protège la communauté, sachant que les conditions qui ont conduit telle personne dans le système de justice pénale font l'objet d'un suivi. Il importe de le faire dès le début des procédures, même avant la détermination de la peine.

Le président : J'ai horreur d'interrompre un juge en exercice, mais un nombre important de sénateurs voudraient vous questionner, et le temps commence à manquer.

Nous allons passer à une autre question. Si, à la fin, il nous reste du temps, peut-être pourrez-vous formuler quelques observations en guise de conclusion sur des questions sur lesquelles vous souhaiteriez vous étendre.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le juge, pour votre exposé. J'ai deux questions. L'une sur l'affaire Gladue, et l'autre sur la détermination de la peine. Comme nous le savons tous, la Cour suprême, dans cette affaire, a examiné l'alinéa 718.2e) du Code. Cet alinéa suffit-il pour faire bénéficier les contrevenants autochtones de décisions plus justes, ou bien le Code a-t-il besoin d'autres révisions à cet égard?

Un certain nombre de programmes de justice réparatrice s'adressent aux Autochtones. On trouve aussi des cercles de détermination de la peine, des pavillons de ressourcement dans les prisons et des services culturels et spirituels. Quelle est votre évaluation de ces programmes? Est-ce qu'ils contribuent à réduire la récidive et à éloigner les contrevenants autochtones du système de justice pénale?

M. Nakatsuru : Comme vous m'y avez enjoint, j'essaierai d'être le plus bref possible.

Sur la première question, je pense que vous seriez en bien meilleure posture que moi pour y répondre, en ce qui concerne les réformes nécessaires.

Ensuite, des évaluations ont été publiées sur l'efficacité de certains de ces services. La difficulté, bien sûr, est que les données objectives ne sont pas toujours complètes et que la méthode suivie n'est pas parfaite. La seule réponse que je peux donner est que, uniquement parce que ce n'est pas des données scientifiques, si on affirme que ces programmes donnent de bons résultats, cela ne signifie pas qu'on se contente de ce résultat. Quand on respecte l'alinéa 718.2e) du Code criminel, plus le juge qui détermine la peine, la Commission des libérations conditionnelles ou n'importe qui d'autre dispose d'options et de solutions de rechange, plus il peut trouver des solutions de rechange innovantes au moment de la détermination d'une peine qui n'est pas l'incarcération.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup pour votre exposé. Je l'ai trouvé très utile.

Notre étude porte sur les délais dans le système de justice. J'ignore combien d'affaires sont retirées des mains des tribunaux principaux. Je dis « tribunaux principaux » faute de mieux. Est-ce qu'on libère ainsi de leur temps? Est-ce que cela contribue à comprimer les délais judiciaires, même si cela risque de ne pas être utile à votre tribunal?

M. Nakatsuru : Chaque affaire qu'on peut diriger à l'extérieur du système de justice pénale contribue à résorber le problème des délais. C'est un aspect important de la gestion des cas dans le système judiciaire ou les tribunaux.

Je n'ai pas de données ni d'études objectives à citer. Visiblement, ce que je sais n'est qu'anecdotique. Dans tout le pays, la plupart des tribunaux ont un rôle d'audiences très chargé. Plus le nombre d'affaires qu'on peut diriger ailleurs est élevé, le moins de délais il y aura, globalement. C'est la meilleure réponse que je puisse vous donner.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur Nakatsuru, pour votre présentation. Si on fait un parallèle entre les tribunaux traditionnels et le tribunal Gladue, peut-on en conclure que les Autochtones sont privilégiés d'avoir accès à une cour comme la vôtre? Avez-vous une idée du coût du système Gladue? Y a-t-il des économies à réaliser par l'État?

[Traduction]

M. Nakatsuru : Pour répondre à votre deuxième question, je ne possède vraiment pas de renseignements qui me permettraient de vous aider.

La réponse à votre première question se trouve dans des affaires comme l'affaire Gladue ou Ipeelee, où l'application des principes de l'affaire Gladue et de l'alinéa 718.2e) n'est jamais automatiquement à l'avantage des contrevenants autochtones. Tous les principes de la détermination de la peine doivent s'appliquer à ces contrevenants, comme à tous les autres.

La seule différence est que, pour les motifs déjà cités dans la jurisprudence, parfois l'égalité réelle exige plus qu'une détermination exacte de la peine, parce que chaque individu qui comparaît devant le juge est différent des autres.

Nous devons respecter le principe de l'harmonisation des peines, pour les affaires semblables, mais l'application des facteurs énoncés dans l'arrêt Gladue pour les contrevenants autochtones n'enfreint pas ce principe. Au contraire, elle l'éclaire de nombreuses façons importantes.

Le sénateur Joyal : Merci. Ma question est plus technique sur le plan juridique. Quand le contrevenant est accusé d'une infraction pour laquelle une peine minimale est prévue, il ne peut pas comparaître devant vous. Il ne peut pas bifurquer vers le tribunal Gladue. Est-ce que cela s'applique à la caution? Autrement dit, est-ce la définition de l'infraction qui vous autorise à entendre l'affaire ou est-ce que, dans le cas de la caution, vous devriez vous prononcer sur la décision visant un Autochtone?

M. Nakutsuru : Je vous remercie pour cette question. D'abord, le tribunal Gladue peut être saisi de toutes les affaires, même celles pour lesquelles une peine minimale est obligatoire. Et cela signifie, bien sûr, que ces peines minimales obligatoires doivent être respectées dans la décision du tribunal, en l'absence de toute contestation ou préoccupation d'ordre constitutionnel.

Peu importe si l'affaire ou l'infraction est grave, qu'elle soit passible d'une peine minimale obligatoire ou peu importe tout le reste. Le tribunal Gladue, à Toronto, est compétent.

En ce qui concerne votre deuxième déclaration, s'il y a des peines minimales obligatoires ou la définition des infractions, rien de cela n'empêche d'en saisir le tribunal des cautionnements. L'affaire peut être inscrite relativement à l'application réelle de la loi concernant la caution, mais cela n'empêche pas d'en saisir le tribunal Gladue.

Le sénateur Joyal : Mon collègue McIntyre vous a demandé quel était le taux de réussite du tribunal Gladue relativement aux récidives. Avez-vous des chiffres ou un étalon qui nous permettrait de comprendre le degré de réussite ou d'utilité du tribunal Gladue?

M. Nakatsuru : Pour répondre aussi directement que je le peux à votre question, des évaluations ont porté sur la récidive dans le volet où intervient le conseil communautaire ou la justice réparatrice, par lequel les individus sortent du système de justice pénale et dont l'évaluation se trouve, encore une fois, sur le site web des services juridiques autochtones. On y trouve quelques évaluations.

Malheureusement, les données sont un peu désuètes. La dernière évaluation remonte à 2000. D'après certaines conclusions, pour autant que je me les rappelle, ces mesures avaient été efficaces contre la récidive.

En ce qui concerne le système de justice pénale et la récidive, à ce que je sache, aucune étude n'a évalué objectivement la récidive. Mais, du point de vue judiciaire, nous devons toujours prendre des précautions dans l'évaluation de la récidive comme mesure de réussite du système, parce que beaucoup d'autres mesures couronnées de réussite ne peuvent pas être facilement quantifiées comme la récidive. Par exemple, quand on encourage la réconciliation entre les peuples et les communautés autochtones le système de justice pénale, si des individus estiment qu'ils ont été injustement traités par le tribunal ou traités avec justice, qu'ils soient victimes ou autochtones, parce qu'il faut garder à l'esprit que, dans beaucoup de communautés, les victimes sont souvent elles-mêmes autochtones. Nous ne jugeons pas seulement des contrevenants autochtones.

Enfin, sur la récidive, les données sont parfois difficiles à évaluer. Je ne suis pas sociologue, mais c'est difficile à évaluer, parce que, comment quantifier la récidive par rapport à tel individu? L'individu, par exemple, revient devant le tribunal Gladue, mais il est accusé d'infractions beaucoup plus ou beaucoup moins graves que s'il n'était pas, avant, passé par les services sociaux ou des programmes préalables. Il est difficile de mesurer ce genre de question par des données sur la récidive.

Comprenez-moi bien. Je crois que ce genre d'étude est important. Visiblement, nous avons besoin de mesures objectives sur le bon fonctionnement de notre système judiciaire. Ce genre de données serait utile non seulement aux juges et aux avocats, mais aussi à des personnes comme vous.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, monsieur le juge. J'essaie de comprendre, et quelque chose m'a peut-être échappée dès le début de votre exposé sur le genre de statistiques dont vous parlez. De combien d'affaires votre tribunal Gladue est-il saisi journellement, hebdomadairement, annuellement? À quelle fréquence votre tribunal se réunit-il?

M. Nakatsuru : Le tribunal se réunit deux fois par semaine, le mercredi et le vendredi. C'est en partie une question de ressources. Elles ne nous permettent pas de nous réunir plus souvent. Ce n'est pas seulement un manque de personnel, mais de locaux aussi. Le rôle des audiences peut être très chargé.

Permettez-moi de vous répondre directement. Rappelez-vous que les chiffres cités pour Toronto peuvent être très différents de ceux qu'on obtient sur d'autres régions de l'Ontario où les pourcentages risquent d'être plus élevés. Je vous renvoie à l'étude de Clark, qui a fait des calculs et analysé l'information.

Je n'ai pas l'information ici, mais je me rappelle qu'il a dit que, par rapport au pourcentage global d'affaires, le tribunal Gladue s'est peut-être occupé de 3,2 p. 100 de celles dont était saisi le palais de justice de l'ancien hôtel de ville. Cela ne veut pas dire que les contrevenants autochtones ne constituaient que 3,2 p. 100 de tous les individus qui ont défilé devant lui. Ce n'est qu'eux qui sont passés dans le circuit Gladue. S'ils ont choisi de ne pas le faire, c'est pour une foule de raisons.

Si vous voulez connaître les chiffres concrets, réels, ils se trouvent dans l'étude de Clark.

La sénatrice Batters : Que signifient ces 3,2 p. 100? Combien de personnes par jour, par semaine, par année cela fait? Si vous ne possédez pas ces statistiques, pourriez-vous, s'il vous plaît, les obtenir pour nous?

M. Nakatsuru : Je peux seulement vous diriger vers l'étude de Clark. Elle se trouve sur le site web des services juridiques autochtones. Il a fait les calculs. Je ne parviens pas à me rappeler s'ils portaient sur une période de sept mois, mais, à l'époque, 94 personnes sont passées par le tribunal Gladue. C'est ce dont je me souviens le mieux.

La sénatrice Batters : Vous vous souvenez de 94 personnes en sept mois? Nous allons le vérifier, mais c'est ce dont vous vous souvenez, en gros?

M. Nakatsuru : Oui. Vous pouvez le vérifier dans l'étude de Clark.

Le président : Je ne suis pas certain si vous avez entendu parler du premier tribunal autochtone au Canada dans la réserve d'Akwesasne, dont on a fait l'annonce il y a quelques mois. Il ne s'occupe pas d'affaires criminelles, mais de petites infractions, comme aux règlements municipaux, aux autres règlements, des infractions sur le tabac, de vandalisme, ce genre d'infractions.

Vous n'avez peut-être pas d'opinion à ce sujet, mais, d'après vous, le comité ferait-il bien d'encourager le gouvernement à chercher à élargir ce genre d'initiative, pour créer des tribunaux autochtones complètement séparés du système ordinaire, qui pourraient s'occuper de certaines affaires criminelles précises? Pensez-vous qu'il vaut la peine, pour notre comité, de peut-être recommander au gouvernement d'envisager d'examiner cette question?

M. Nakatsuru : C'est dans le domaine de la réforme du droit. Des initiatives sont prises. Le ministère du Procureur général de l'Ontario est probablement mieux placé pour poser ce genre de question.

Pour répondre à cette question d'un point de vue judiciaire, si vous examinez les problèmes des délais systémiques dans le système de justice pénale, tout renvoi d'une affaire ou d'une infraction vers une instance extérieure au système de justice pénale peut seulement contribuer à les résorber. Simple question de bon sens.

Ensuite, toujours pour répondre à cette question, l'un des aspects les plus importants des affaires Gladue ou Ipeelee et d'autres affaires dont a été saisie la Cour suprême du Canada — encore une fois, ce n'est rien de neuf, de nombreuses commissions ainsi que le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation ont toujours encouragé notre système judiciaire à imaginer des solutions innovantes à des problèmes tels que l'aliénation et à faire mieux voir aux contrevenants autochtones comment la loi les touchait au niveau personnel ou communautaire.

Toute solution créative proposée par le comité, le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux qui met à contribution leur intelligence et leurs ressources sera bien accueillie non seulement par le système de justice pénale lui- même, mais aussi par les gens que nous servons.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie de votre témoignage et surtout, je vous félicite pour votre travail. Le milieu dans lequel vous œuvrez n'est pas évident.

Le profil des Autochtones incarcérés m'interpelle vraiment, parce qu'ils sont plus jeunes que la population blanche, moins scolarisés, plus susceptibles d'avoir des antécédents en toxicomanie, d'être incarcérés pour des infractions violentes, d'obtenir une plus grosse peine en tant qu'adolescents, de vivre une disproportion pour les antécédents de violence familiale et de faire partie de gangs de rue. On s'aperçoit que l'incarcération n'est pas une solution. En tentant d'améliorer les conditions d'incarcération et les délais, on ne se penche pas sur les causes, on travaille sur les conséquences d'un système social qui ne répond pas aux attentes de ces collectivités pour réduire la criminalité, pour intégrer les jeunes dans un parcours scolaire ou professionnel. Le fait d'être scolarisé et d'occuper un emploi aide à réduire le taux de criminalité. Sommes-nous sur la bonne voie en tentant d'améliorer les conditions d'incarcération plutôt que d'améliorer le processus judiciaire, alors que les causes sont peut-être ailleurs?

[Traduction]

M. Nakatsuru : Les profils dont vous avez parlé, monsieur le sénateur, sont souvent ceux des individus qui comparaissent devant les tribunaux Gladue. Je suis d'accord avec vous pour dire que, malheureusement, on retrouve souvent ces caractéristiques chez les délinquants autochtones qui sont traduits devant le système de justice pénale.

Je pense que certains de vos commentaires ont également été exprimés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Gladue, dans lequel la Cour reconnaît que le système de justice pénale pourrait ne pas être en mesure de s'attaquer aux véritables problèmes auxquels les personnes et les collectivités autochtones sont confrontées. C'est un défi en soi. Elle le reconnaît, tout comme vous l'avez reconnu dans votre question.

Toutefois, dans l'arrêt, on revient à dire que même si on ne peut pas résoudre tous les problèmes qui donnent lieu à ce type de profil et à la surreprésentation des Autochtones dans nos prisons, nous, les juges, avons un certain pouvoir en ce sens que nous pouvons faire partie de la solution au lieu de simplement empirer le problème.

Même si nos tribunaux sont d'accord avec ce que vous avez dit, au bout du compte, la Cour a déclaré que nous devions faire notre juste part et faire partie de la solution.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Les gouvernements dans les réserves ou dans les communautés ont une responsabilité intrinsèque. Il semble y avoir des contradictions. Des autochtones sont incarcérés dans des prisons qui se trouvent dans des communautés blanches. Une fois qu'ils ont purgé leur peine, ils retournent dans leur communauté et vivent souvent isolés. Les chefs des communautés sont-ils conscients que les solutions doivent provenir aussi bien de l'intérieur de la communauté que du gouvernement dans le cadre de ses grandes mesures sociales?

[Traduction]

M. Nakatsuru : Vous avez souligné certains problèmes systémiques et, encore une fois, sachez que notre institution ne dispose pas de toutes les ressources nécessaires pour traiter de tout cela, mais ce que je peux dire, c'est que dans le système judiciaire, on est ouvert à l'idée de faire participer les collectivités pour savoir ce qui revêt de l'importance pour elles. Je crois que c'est important non seulement pour notre tribunal Gladue, mais aussi pour l'ensemble du système de justice pénale, lorsqu'il s'agit des délinquants autochtones. Si ces individus ne peuvent pas se faire entendre au sein de leurs collectivités, au final, c'est le respect pour l'administration de la justice, dans ces collectivités et dans l'ensemble du pays, qui sera diminué.

Nous en sommes conscients, du moins, au sein du système de justice.

Le président : Merci, monsieur le juge, de nous avoir fait profiter de votre expertise et de votre expérience dans le cadre de notre étude sur ces questions très importantes. C'est très apprécié.

Des voix : Bravo!

M. Nakatsuru : Je vous remercie de m'avoir invité.

Le président : C'est ce qui met fin à nos travaux pour aujourd'hui. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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