Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 14 - Témoignages du 28 octobre 2016
MONTRÉAL, le vendredi 28 octobre 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 12 h 34, pour poursuivre son étude sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
Le président : Je vous souhaite la bienvenue à la 26e séance du comité des affaires juridiques et constitutionnelles, qui sera consacrée à l'étude des questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada. Nous remercions nos témoins d'être ici cet après-midi. Nous accueillons Vincent Langlois, un chercheur de l'École de criminologie de l'Université de Montréal; Didier Deramond, qui est directeur adjoint à la Direction des opérations du Service de police de la Ville de Montréal; et Jenny Charest, la directrice générale du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels de Montréal pour le Réseau des CAVAC.
Je crois comprendre que vous souhaitez tous faire une déclaration liminaire. Nous pourrions peut-être commencer par M. Deramond. Vous avez la parole, monsieur.
[Français]
Didier Deramond, directeur adjoint, Direction des opérations, Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) : Bonjour à tout le monde et merci de nous accorder ce privilège de participer à la réunion de votre comité sénatorial.
Je suis très heureux d'être ici. Je suis accompagné de Mme Hélène Des Parois, qui est avocate au Service des affaires judiciaires du Service de police de la Ville de Montréal. S'il y a des questions plus pointues, elle sera heureuse d'y répondre, bien entendu.
Alors, merci encore une fois. Le SPVM est une grande organisation qui compte plus ou moins 4 600 policiers et 1 500 employés civils. Notre territoire couvre environ 500 kilomètres carrés, et plus ou moins 1,9 million d'habitants. Nous offrons des services de niveau 5, selon la loi, pour la police au service de Québec et nous devons répondre à plus de 1 million d'interventions par année. Cela couvre largement, je crois, la présentation du service de police.
Je suis également président du Comité régional mixte des intervenants de justice pour le Québec, et je suis président national du Comité national mixte de Sécurité publique Canada. Cela me permet donc d'avoir une vision un peu plus globale du système de justice pénale au pays. Ce forum unique existe depuis 1973, et il regroupe tous les cadres supérieurs de la fonction publique et des organismes qui s'occupent de l'application des lois.
Je ne sais pas comment vous voulez procéder, monsieur le président, pour l'introduction, ou on peut revenir par la suite pour donner une présentation?
[Traduction]
Le président : Oui, absolument. Vous avez chacun environ cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire, et nous passerons ensuite aux questions.
[Français]
M. Deramond : Très bien. Comme l'occasion est offerte au Service de police de la Ville de Montréal, je vais tenter d'être très bref et d'y aller en quatre étapes. Ce que nous avons à vous proposer se décline en quatre étapes.
Le premier de ces thèmes, c'est la maximisation de l'utilisation des salles d'audience par rapport aux délais. Nous savons que lorsque nous mentionnons les délais de justice, cela renvoie souvent à l'impossibilité d'obtenir une audience dans un délai raisonnable. Nous sommes en présence de trois facteurs incompressibles. Essentiellement, nous parlons du nombre de causes, du nombre de juges et du nombre de salles d'audience.
Nous pouvons faire le parallèle, si nous le voulons bien, avec le système de la santé. C'est un parallèle complexe à faire, mais je vais simplement vous en brosser un portrait. S'il y a des listes d'attente pour les opérations, c'est parce qu'il y a, entre autres, plus de patients que de chirurgiens et que de salles d'opération disponibles. Ainsi, comme première action à prendre, nous suggérons de réorganiser la période des vacances judiciaires tout en augmentant le nombre de juges. Bien entendu, le calendrier judiciaire, comme nous le savons très bien, durant les mois d'été, n'est pas fonctionnel.
La deuxième thématique que nous voulons aborder rapidement, c'est la mise à jour des procédures criminelles et pénales. Tout cela, en toile de fond, a une seule et unique fonction, c'est de désembourber le système judiciaire. Pour ce faire, bien entendu, il faut examiner le processus. Il y a énormément de temps à gagner avant que le processus soit enclenché.
Dans le cadre de la deuxième thématique, nous parlons de procédures criminelles et pénales. En ce sens, il est important d'administrer la justice du XXIe siècle avec les outils et les moyens qui sont à notre disposition en ce moment même. Voici quelques exemples. Nous parlons du recours à la Loi sur les contraventions, bien sûr. Je crois que vous avez déjà entendu la présentation de M. Joe Oliver, d'ailleurs, qui est venu témoigner devant vous. Tout ce que nous proposons, en fait, c'est d'amender le projet de loi qui avait été amorcé. Nous pourrions diminuer le nombre de dossiers confiés aux tribunaux en éliminant le formalisme de la procédure criminelle, et ce, en utilisant la Loi sur les contraventions pour traiter les infractions sommaires. Les retards pourraient ainsi être éliminés. Les juges seraient disponibles pour entendre des causes d'envergure, et les salles seraient libérées en même temps.
Nous avançons, en fait, que les deux tiers des causes soumises aux tribunaux criminels se concluent par un verdict de culpabilité. Il y avait 10 types d'infractions qui représentaient 70 p. 100 des causes entendues à la cour. Dans le haut du pavé, nous pouvions remarquer que c'était essentiellement des infractions pour conduite avec facultés affaiblies et des vols de faible valeur.
J'ai aussi une question à laquelle je souhaite que nous puissions répondre : que ferons-nous dans les cas de conduite affaiblie par les drogues, maintenant, avec les législations qui devront changer essentiellement dans un court délai?
Pour le Québec, il y a une forte baisse du nombre de causes. Nous parlions d'une baisse du nombre de causes d'environ 15 p. 100. Donc, évidemment, la complexité de la preuve fait en sorte que les causes diminuent. Et je fais un lien très probant avec l'arrêt Jordan.
Alors, nous parlions d'augmenter les recours et les pouvoirs de gestion d'instance aussi. Je crois que c'est l'honorable François Rolland qui est venu témoigner devant vous à ce sujet. Alors, je ne reprendrai pas ses paroles, car nous sommes tout à fait du même avis.
Il est important aussi d'utiliser les nouvelles technologies de l'information, toujours dans la deuxième thématique. Ce serait le temps de se moderniser et d'utiliser les nouvelles technologies d'information, et prévoir la comparution et la divulgation de la preuve par voie électronique. Nous pourrions aussi fixer les dates de procès à l'intérieur d'un délai imparti, conformément à la position exprimée par la Cour suprême dans l'arrêt Jordan, en convenant de la disponibilité du juge, de l'accusé, des témoins, des procureurs et de la salle, tout cela par voie électronique, bien entendu. Nous parlons de la divulgation de la preuve aussi, la preuve complexe. Je pense que ceux qui ont été policiers dans une autre vie pourront en témoigner aussi. Nous augmentons toujours la complexité de cette divulgation et la complexité des techniques.
[Traduction]
Le président : Je vais devoir vous demander de conclure.
[Français]
M. Deramond : D'accord.
La troisième thématique, rapidement, touche l'enquête préliminaire. Je sais que M. Jean-Michel Blais est venu en témoigner devant votre comité. Nous sommes du même avis que M. Blais, effectivement. Nous devons nous questionner sur l'enquête préliminaire, et sur la nécessité de la maintenir.
Enfin, la quatrième thématique concerne la Charte canadienne des droits des victimes, soit le droit à l'information, à la protection et à la participation, et cetera, que nous traitons.
Voilà, en quelques minutes, ce que le SPVM vous propose aujourd'hui : simplifier et alléger le fonctionnement du système pénal, le rendre compatible avec les avancées technologiques que nous connaissons, et l'humaniser pour que les victimes et les témoins y trouvent également leur place. Tout cela est en lien, bien entendu, avec les délais, avec l'arrêt Jordan, et avec la confiance que le public témoigne envers le système de justice.
Merci, monsieur le président.
Le président : Merci.
Vincent Langlois, chercheur, École de criminologie, Université de Montréal, à titre personnel : Bonjour. Merci beaucoup de m'avoir invité également. Merci à Maxime Charron-Tousignant, à Jessica Richardson et à Chantal Cardinal, avec qui j'ai eu l'occasion de parler de manière préliminaire avant de me présenter ici.
Mon nom est Vincent Langlois. J'ai une triple formation, soit un bac en administration des affaires et un bac en droit qui sera complété cette session. Donc, je serai admissible au Barreau à l'hiver 2017. Je complète, en parallèle, une maîtrise en criminologie.
Je représente ici l'Université de Montréal à titre de chercheur. Nous avons développé une étude qui, je pense, est pertinente dans le cadre de vos travaux par rapport à l'augmentation des requêtes en arrêt de procédures sur la base du droit d'être jugé dans un délai raisonnable. C'est une étude qui a été faite en collaboration avec Chloé Leclerc, qui est professeure à l'Université de Montréal également et qui est spécialisée dans le département de criminologie sur les questions juridiques.
Nous nous intéressions à cette question, parce qu'il y avait un manque au niveau de l'information. Il est certain que le système judiciaire veut donner un maximum de transparence, mais aucune donnée n'avait été compilée permettant de voir l'ampleur du phénomène. Donc, je vous ai remis, soit en anglais ou en français, à votre convenance, un sommaire exécutif que vous avez devant vous. Vous voyez, entre autres, un des graphiques qui vous démontre qu'il y a une explosion du nombre de requêtes pour arrêt de procédures.
Nous avons dégagé six grands axes qui ont été des conclusions inhérentes à nos recherches. Le premier, c'est qu'il y a une augmentation des requêtes pour facultés affaiblies, au niveau de ce plaidoyer, de cette demande d'arrêt de procédures. Cela va dans le sens de ce que M. Deramond vous disait précédemment. Donc, nous aussi avons observé une augmentation significative de ce type de requêtes. L'impact peut se traduire par un déni de justice. Un arrêt de procédures amène un accusé à ne pas avoir à subir de procès. Donc, à cet égard, je pense que c'est pertinent.
Il y a une augmentation dans la durée des délais aussi. La balise que nous nous étions donnée, c'est que nous avons remarqué qu'il y avait une disparité entre ce que la Cour suprême demandait dans ses récents arrêts et la réalité pragmatique sur le terrain. Les procureurs, aujourd'hui, ne plaident pas le délai déraisonnable de la même façon. Donc, nous parlions, par exemple, et c'est assez évocateur, de délais de plus de quatre ans comme marginaux, au tournant des années 2000, alors qu'aujourd'hui, ils représentent environ 35 p. 100 des requêtes qui sont plaidées devant les tribunaux. C'est donc un élément significatif à nos yeux. Selon l'analyse que nous en avons faite, les procureurs se mettent en position favorable au niveau de la défense pour pouvoir plaider cet argument du délai et du préjudice pour les accusés. À cet égard, nous voyons qu'il y a une augmentation importante. De plus, même les balises que nous voulons réduire augmentent dans la pratique.
Il y a une augmentation du nombre de requêtes qui sont accueillies également. Lorsque nous demandons un arrêt de procédures, il faut prouver plusieurs choses, comme vous le savez. Il y a le préjudice pour l'accusé, mais il y a également un ensemble de facteurs, comme l'imputabilité du délai. Est-ce que c'est la défense ou la Couronne qui est responsable du retard? C'est souvent à torts partagés. Dans ces éventualités, nous sommes dans un système de droit qui représente souvent les intérêts de l'accusé. Mais il y a la possibilité pour le système de dire que, puisque les torts sont partagés, on donnera le bénéfice du doute à la défense. Ainsi, les délais sont souvent imputés à la Couronne, même si les torts sont partagés, même si ce sont des retards qui sont inhérents aux deux parties.
En fait, nous disons qu'il y a une augmentation du nombre de requêtes qui sont accueillies. Il s'agit d'un nombre absolu, parce qu'au niveau des proportions, le taux d'acceptation est toujours resté le même depuis le début de notre analyse, soit de 1990 à ce jour. Environ 40 p. 100 des arrêts de procédures sont acceptés par le tribunal sans même que nous allions plus loin dans le procès, alors que 60 p. 100 sont rejetés. Donc, nous parlons d'une défense qui est quand même intéressante pour ceux qui veulent éviter leur procès. J'ai déjà qualifié cette pratique d'« échappatoire judiciaire », même s'il s'agit peut-être d'un abus de langage, dans le sens où plus nous faisons durer les délais, plus nous avons de chances d'être acceptés.
Il y a 40 p. 100 des causes qui sont présentées en arrêt de procédures, sur la base des articles 7, 24(1) et 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette procédure est souvent acceptée, donc à 40 p. 100, ce qui est tout de même important. Si nous parlons d'une augmentation absolue, c'est que de plus en plus de requêtes de ce type sont présentées.
En fait, quant aux autres conclusions, pour essayer d'être bref, vous les avez devant vous. Ce que nous pouvons voir aussi et qui est le plus marquant, à mon avis, est présenté à la figure 1. C'est l'augmentation exponentielle du nombre de requêtes. Effectivement, les tribunaux n'ont pas changé la façon dont ils analysent ces dossiers. Ils ont certainement, à notre avis, observé une augmentation importante du fait que le nombre et le volume des requêtes présentées ont explosé.
Pourquoi? Parce qu'il y a une certaine rentabilité stratégique pour la défense de le présenter dans un contexte où le système n'est pas en mesure d'assumer pleinement la célérité qui devrait lui revenir. Donc, cela conclut ma présentation.
Le président : Merci.
Jenny Charest, directrice générale, Centre d'aide aux victimes d'actes criminels de Montréal pour le Réseau des CAVAC : Bonjour. Je voudrais vous remercier aussi de cet honneur de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous parler du Réseau des Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC).
En fait, le Réseau des Centres d'aide existe depuis 1988, et il regroupe 17 CAVAC qui sont établis un peu partout au Québec, dans chacune des régions du Québec. La mission des CAVAC est d'offrir des services de première ligne aux victimes, à leurs proches et aux témoins. Tous les jours, nous rencontrons des personnes victimes. Nous les accompagnons dans le système judiciaire, mais nous avons également toutes sortes d'autres services à leur offrir.
En fait, nous tentons de travailler le plus possible en amont, pour faire en sorte que les personnes victimes puissent connaître leurs droits, leurs recours, et qu'elles aient accès à une information entière.
Depuis 27 ans, des centaines de milliers de personnes ont été accompagnées par les intervenants des CAVAC. Ce sont des professionnels qui sont membres d'ordres professionnels et qui, tous les jours, tentent de faire valoir les besoins des personnes victimes, autant au sein du système judiciaire que de façon générale dans toutes les démarches.
De notre côté, ce que nous voyons régulièrement dans le système de justice en ce qui concerne les délais, c'est la vision des personnes victimes. Malgré le fait que, dans la Charte des droits, dans la Loi sur l'aide aux victimes, elles aient le droit de participer et le droit d'être entendues, elles ont régulièrement le sentiment de ne pas être entendues. En outre, même si elles le sont, il y a différentes mesures qui sont mises en place auxquelles elles n'ont pas accès, ni même à l'information.
Nous sommes présents à la cour avec ces personnes, de même que dans les palais de justice partout au Québec. Il y a des équipes qui sont spécifiquement installées dans les palais de justice. Nous tentons vraiment d'être près d'elles et de leur offrir l'information. Cependant, si nous ne participons pas à un dossier régulièrement, nous nous rendons compte que les personnes sont laissées à elles-mêmes et qu'elles n'ont pas toute l'information.
Quand nous parlons des délais et de la longueur des procédures, je ne vous cacherai pas que, dans la région de Montréal, nous faisons face à une situation particulière, et les procédures qui durent plusieurs années ne sont pas l'exception, mais bien une réalité à laquelle nous faisons face. Cependant, les procédures qui durent pendant plusieurs années signifient, pour une personne victime qui a pris tout son courage pour dénoncer son agresseur, qu'elle doit mettre sa vie entre parenthèses pendant plusieurs années.
D'une part, nous lui demandons de garder en mémoire les détails de ce qui s'est passé pour un éventuel témoignage. Alors, tant et aussi longtemps que les procédures ne sont pas terminées, cette personne doit s'efforcer de ne pas oublier, de ne pas passer à autre chose. Nous travaillons à faire en sorte que la personne retrouve un certain équilibre. Or, ce que nous constatons, c'est que les procédures judiciaires peuvent faire en sorte que les délais pour retrouver cet équilibre sont beaucoup trop longs.
Des délais qui sont très longs, parfois, ont aussi des impacts directs, si nous pensons à la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Il y a des délais de prescription pour faire des demandes, et je vous dirais que tous les services qui ont été mis en œuvre l'ont toujours été dans la perspective de travailler en amont.
Nous avons maintenant un programme de référence policière qui est mis en œuvre partout au Québec. Alors, les intervenants des CAVAC se rendent dans les postes de police, dans les centres d'enquêtes, pour essayer d'être présents très rapidement, soit immédiatement après la plainte policière afin que les gens sachent qu'il existe des ressources. Malgré cela, nous constatons que plusieurs personnes ne nous connaissent pas. Il arrive tous les jours au palais de justice de Montréal, et je suis certaine que mes collègues diraient la même chose ailleurs, des personnes qui sont appelées à témoigner et qui n'ont jamais entendu parler des ressources d'aide.
Quand nous parlons de délais très longs, la victime n'est pas toujours appelée à témoigner tout de suite, à chacune des étapes. Il est arrivé malheureusement, et trop souvent, que des personnes aient dépassé le délai de prescription de l'Indemnisation des victimes d'actes criminels, et que nous n'ayons pas pu faire de demande. Donc, elles n'ont pas eu accès à toute l'information, à tout le soutien psychologique et à toute l'indemnisation pour leur réadaptation.
Tout à l'heure, je vous expliquais que la mémoire d'une victime doit rester intacte, parce qu'elle doit témoigner. Lorsqu'il s'agit d'enfants, les impacts sont encore plus importants, parce que la mémoire des enfants est une chose particulière. On sait qu'elle évolue. Alors, quand nous parlons de délais, particulièrement dans des dossiers ou des causes où des enfants sont impliqués, cela peut entraîner des impacts importants. Les enfants peuvent ne pas être en mesure de témoigner de la façon dont la justice s'y attend, avec toutes les connaissances nécessaires.
Nous avons donc mis en place certains programmes d'aide et d'accompagnement des enfants. Tous les jours aussi, nous voyons que certains témoignages ne sont pas reçus comme étant valables, parce que l'enfant n'est plus en mesure d'expliquer ce qui s'est passé.
En même temps, nous constatons, à l'intérieur du système de justice, qu'il y a tout de même une adaptation et une volonté de tenir compte du niveau de développement de l'enfant. Cependant, il reste encore des choses à faire à ce niveau. Quant aux délais, les situations où un enfant est impliqué devraient faire l'objet d'un traitement particulier, en termes de priorités.
La longueur des procédures, si je vous parle des victimes—
[Traduction]
Le président : Je regrette, mais je dois vous demander de conclure.
[Français]
Mme Charest : Je terminerai en parlant des proches, particulièrement, de victimes d'homicide. Nous parlons d'un deuil traumatique qui ne peut pas être résolu tant et aussi longtemps que les procédures judiciaires ne sont pas terminées. Alors, des retards dans de telles situations sont épouvantables. Merci.
[Traduction]
Le président : Merci.
Nous allons commencer les questions par le vice-président, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Merci à nos témoins de leurs excellents exposés. C'était très instructif.
J'aimerais poser ma question à M. Deramond, mais je veux d'abord le féliciter de la grande contribution qu'il a apportée au fil du temps dans ce dossier, en essayant de régler le problème des délais judiciaires.
Tout d'abord, je lui demanderais de plus amples explications sur son allusion aux déclarations de culpabilité par procédure sommaire, à leur isolement d'une certaine façon. Dans le cas des infractions mixtes, il revient au ministère public de choisir entre une poursuite par procédure sommaire ou une poursuite par mise en accusation. Cette décision est parfois arbitraire lorsque, par exemple, le cas remonte à plus de six mois. On dispose de six mois pour déposer des accusations pour ce qui est des infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité.
Dans le cas des infractions mixtes — parmi lesquelles certaines sont plutôt simples et d'autres, plus compliquées —, la décision dépend parfois de la période de temps qui s'est écoulé plutôt que de la complexité ou de la gravité du dossier. J'aimerais que vous nous fassiez part de votre point de vue concernant les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité.
Ma principale question est la suivante, et je vais la formuler en termes très simples. Beaucoup de témoins ont parlé de la divulgation, qui est un de nos plus grands problèmes. On nous a dit à maintes reprises qu'on devrait exiger la divulgation avant le procès de tous les éléments de preuve qui seront utilisés. Malheureusement, il faudrait se soumettre aux exigences de communication énoncées dans l'arrêt McNeil — dont vous voudrez peut-être parler — qui sont très injustes pour certains policiers. Vous parlez toutefois de divulgation électronique, de documents interrogeables et biffés, et approuvés par le ministère public. Serait-il raisonnable que le comité propose que tous les éléments de preuve soient divulgués avant le procès et que, dans l'éventualité où de nouveaux éléments seraient obtenus pendant le procès, on puisse indiquer au juge que l'essentiel de ces éléments de preuve n'était pas disponible avant?
[Français]
M. Deramond : C'est une question assez complexe. Je vais tenter d'être le plus clair possible dans ma réponse.
Au niveau du recours à la Loi sur les contraventions pour les infractions sommaires, bien entendu, comme je le disais tout à l'heure, nous avons examiné aussi la finalité de tout cela. Nous avons regardé ce qui se faisait sur le terrain. Bien entendu, il y a beaucoup de choses qui sont plaidées et qui prennent énormément de temps pour des situations qui ne le nécessitent pas vraiment. Quand nous parlions de désembourber le système de justice, se sont justement des situations de ce genre qu'il faut examiner. Je vous parle de statistiques uniquement, et non de droit. Si nous voulons parler de points de droit, il y aura ma collègue, Hélène Des Parois, qui pourra vous entretenir plus précisément de ce sujet.
Il y a quand même une situation qui embourbe le système de justice pénale, où nous pourrions avoir une solution, une solution avec un système de justice adapté, intégré et évolutif aussi. À l'heure actuelle, nous utilisons les mêmes façons de faire pour traiter toutes les infractions. Or, nous savons très bien que, dans la plupart de ces causes d'infractions sommaires, il y aura un plaidoyer de culpabilité en fin de compte. Mais nous faisons durer les procès et les délais, et nous remettons les causes, bien sûr.
Il y a souvent une question aussi de casier judiciaire qui est en lien avec le plaidoyer de culpabilité. Il y a des gens qui doivent travailler à l'extérieur du pays, ce qui implique des passeports. Il y a donc une foule d'éléments à reconsidérer, comme je le disais tantôt.
Il faudrait revoir le projet de loi qui a été déposé sur la Loi sur les contraventions, pour y inclure, de façon plus optimale, certaines infractions. Je parlais d'infractions sommaires. Oui, la prescription est préoccupante, bien entendu. Il y a une prescription de six mois à une infraction sommaire. Comme vous le disiez tantôt, ces infractions sont autorisées, de toute façon, par un procureur de la Couronne. Cependant, le fait de changer le mode de fonctionnement, je crois, va nécessiter un changement de législation également. Je cède la parole à Hélène Des Parois.
Hélène Des Parois, avocate, Services des affaires juridiques, Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) : En fait, il y a déjà eu un projet de loi, il y a un certain temps, qui prévoyait que nous puissions définir comme étant une contravention, au sens de la Loi sur les contraventions, la possession d'une petite quantité de cannabis. À ce moment, plutôt que d'y avoir une dénonciation et un procès, cela devenait une contravention, et c'était jugé, ici au Québec, selon le Code de procédure pénale.
Finalement, le législateur fédéral pourrait désigner certaines infractions comme étant des contraventions. Actuellement, il y a des endroits, des cours, je pense à des Cours municipales, où nous pouvons faire trois jours de procès pour le vol d'un item qui vaut peut-être 200 $. Pourquoi? Parce que la personne va réclamer son procès, surtout à cause du stigmate que représente le casier judiciaire, parce qu'elle a besoin d'avoir un casier judiciaire vierge pour pouvoir maintenir un emploi, ou encore pour voyager à l'étranger.
Mais si nous faisions du vol de petites sommes une contravention, déjà nous pourrions désembourber le système judiciaire, pour reprendre l'expression de M. Deramond. Il s'agit d'une possibilité. Évidemment, ce sera au législateur d'établir les infractions visées.
Il existe au Québec, et probablement ailleurs, des programmes de déjudiciarisation. Les vols, par exemple, sont déjudiciarisés pour des personnes qui n'ont pas d'antécédents judiciaires ou qui n'ont pas déjà bénéficié d'une déjudiciarisation.
Je n'ai pas de statistiques, mais, au niveau du volume des dossiers, il y a tout de même beaucoup de dossiers de vols à l'étalage. Évidemment, c'est un choix. Mais, ici, il n'y a pas 36 000 solutions : ou bien il y a moins de volume dans les palais, ou bien il y a plus de salles et plus de juges, ou bien la procédure est plus simple.
En fait, c'est une suggestion.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Monsieur Deramond, vous avez mentionné brièvement dans votre déclaration liminaire que le calendrier judiciaire au Québec n'est pas fonctionnel pendant l'été. Je me demandais si vous pouviez nous en parler un peu. Est-ce ainsi pour tous les types de procès criminels ou seulement ceux dont la Cour suprême est saisie? Les tribunaux inférieurs de la province sont-ils également concernés? Et d'après votre expérience, de combien de semaines s'agit-il?
[Français]
M. Deramond : Selon mon expérience de quelques années, effectivement, il y a toujours un congé judiciaire aux Assises, c'est sûr et certain. Durant les mois d'été, les Assises sont en congé. Il y a d'autres cours également qui continuent de fonctionner, mais un peu plus au ralenti, effectivement, dans la plupart des juridictions, que ce soit à l'échelon municipal ou provincial.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Parle-t-on des mois de juillet et août?
[Français]
M. Deramond : Oui, c'est exact, les mois d'été qui sont juillet et août.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Pendant huit semaines?
[Français]
M. Deramond : Oui, c'est huit semaines effectivement, mais huit semaines qui pourraient être mises à contribution aussi sur une année globale.
Mme Des Parois : En fait, l'été, il y a seulement les détenus, à ma connaissance, qui ont droit à un procès. Pour les personnes en liberté, le procès est reporté à l'automne. Cela est prévu dans la Loi sur les tribunaux judiciaires, si je ne m'abuse, soit la période exacte où les tribunaux ne siègent pas comme ils le font au cours de l'année.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci de nous faire part de ces renseignements très utiles.
Madame Charest, vous n'avez pas vraiment eu l'occasion d'en parler dans votre déclaration liminaire, et je voulais donc vous donner l'occasion de nous en dire plus au sujet des victimes d'homicide. La question des victimes est extrêmement importante, mais nous n'avons pas entendu grand-chose à cet égard. Différents témoins nous en ont parlé, et je sais que les délais judiciaires ont de graves répercussions sur les victimes. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
[Français]
Mme Charest : Merci de me laisser parler un peu plus.
Oui, concernant les proches de victimes d'homicide, en fait, le système judiciaire est une expérience très difficile, mais qui fait souvent partie du processus de deuil. Cela demande un soutien et un accompagnement assez intenses aussi. En fait, j'aurais envie de vous dire que nous nous rendons compte que nous n'avons pas les ressources nécessaires non plus pour les accompagner autant qu'elles en auraient besoin, malgré que nous le fassions.
Les délais, d'une part, ne sont pas compris. Je pense par exemple à une expérience où les délais étaient tout à fait normaux, entre guillemets, pour nous. Il était question de changements d'avocats, ce que nous voyons souvent dans les dossiers aux Assises, parce que l'accusé change d'avocat, ce qui entraîne de nouveaux délais.
Alors, nous ne sommes pas dans l'organisation de la justice, mais bien dans la façon de la rendre, sauf que les personnes proches ne sont pas nécessairement informées de la raison pour laquelle cela se passe ainsi. Lorsqu'il faut dire au proche d'une victime d'homicide qu'un délai de trois mois, ce n'est pas un long délai, c'est épouvantable. Cela nous demande de travailler très fort avec ces gens-là, parce que, pour eux, le proche qui a été assassiné doit faire partie intégrante du processus judiciaire, alors que ce n'est pas perçu ainsi la plupart du temps.
Donc, les délais pour les proches sont très difficiles. Le deuil traumatique fait en sorte que les gens ne peuvent pas passer à autre chose tant et aussi longtemps que ce n'est pas fait. Lorsqu'il s'agit d'un cas qui prendra trois ou quatre ans, cela signifie qu'une famille entière devra attendre trois ou quatre ans pour obtenir les réponses, des réponses que nous n'avons pas toujours, et même très rarement.
Mais les proches ont la capacité d'être accompagnés et au moins d'être considérés. Ce que nous voyons, c'est qu'à partir du moment où les personnes proches qui sont présentes sont considérées, cela change les choses. Elles sont considérées dans le sens où on se demande si les délais ont été validés auprès de ces gens pour qu'ils en comprennent l'impact.
J'ai envie de faire le lien avec un des éléments que nous aimerions faire valoir. Ce serait que la Charte des droits des victimes amène, au niveau des acteurs du système judiciaire, une nécessité de valider certains éléments auprès des victimes. La question des délais devrait faire l'objet d'une validation des impacts auprès des victimes, avant qu'on puisse accorder une date de report. Il serait vraiment très aidant pour les personnes d'être consultées, ne serait-ce que pour en voir les impacts. Nous voyons des personnes victimes qui se présentent à la cour, qui attendent presque toute la journée pour apprendre que la cause est remise. Nous faisons face, tous les jours, à une colère qui est extrême et qui cause beaucoup de souffrance.
[Traduction]
Le président : Désolé. Les membres de notre comité participent activement. Ils veulent tous poser des questions, et nous avons peu de temps.
Sénatrice Jaffer, vous avez la parole.
[Français]
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup pour votre présentation. J'ai apprécié beaucoup toutes les présentations. Malheureusement, notre temps est vraiment limité.
Je vais commencer avec vous, madame Charest. Je sais que la sénatrice Batters vous a demandé de parler de l'impact sur les victimes. Je voudrais continuer dans cette veine. Quel est l'impact des délais déraisonnables sur les victimes d'agressions sexuelles, par exemple? Également, avez-vous des outils pour aider les victimes?
Mme Charest : Est-ce que nous avons des outils? Oui, ce que nous avons comme outils, c'est de nous assurer que les personnes comprennent bien l'organisation du système de justice pour qu'elles aient des attentes réalistes. Cela peut faire une différence.
Mais il y a des impacts réels. Quand on parle d'une personne victime qui doit aller à la cour, dans le cas d'une agression sexuelle, un domaine où nous parlons de choses intimes qui ont été vécues, qui ont beaucoup d'impacts, il s'agit de personnes qui sont souvent en état de stress post-traumatique. Donc, elles vivent des choses. Le fait de retourner à la cour crée parfois une reviviscence du traumatisme. C'est dans ce domaine que nous travaillons beaucoup. La préparation à la cour doit faire l'objet d'un soutien très précis auprès des personnes. Donc, il ne s'agit pas d'une seule journée. Cela signifie que, avant, après et pendant, il faut offrir un soutien pour prévoir les réactions qui sont tout de même très importantes.
Je vous parlais de l'IVAC un peu plus tôt. Il y a un certain délai dans le soutien qui est prévu. Les gens ont droit, par exemple, à une année de consultation psychologique. Nous croyons, au Réseau des CAVAC, que, lorsqu'une personne doit se présenter en cour, elle devrait redevenir admissible à recevoir un soutien psychologique précis post-traumatique, parce que tous les symptômes du stress post-traumatique réapparaissent quand revient le moment de retourner en cour. Par exemple, la semaine qui précède sa comparution en cour, elle ne dort pas. La semaine d'après, parfois, elle ne dort pas non plus. Elle s'imagine toutes sortes de choses, et il y a beaucoup d'appréhension.
Quand je parlais de l'importance du soutien, je crois qu'il faut vraiment faire en sorte que les organismes d'aide fassent partie intégrante de toute situation qui est amenée à la cour, pour s'assurer que la personne ait au moins accès aux services auxquels elle a droit.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : J'ai une question pour vous, monsieur Langlois. Je suis très intéressée par votre étude sur l'arrêt de procédures. Si j'ai bien compris, vous avez parlé d'une hausse du nombre de requêtes en arrêt de procédures. Pouvez-vous nous donner une ou deux recommandations pour composer avec cette situation?
[Français]
M. Langlois : C'est une très bonne question. En fait, c'est un peu en lien avec la question du sénateur Baker, qui parlait des infractions hybrides.
De plus, est-ce raisonnable pour un comité comme le vôtre de demander, de facto, que l'ensemble de la preuve soit divulgué?
Il y a plusieurs intervenants dans le processus judiciaire, et une des problématiques, c'est qu'il y a certaines parties, peu importe les raisons, mais c'est souvent stratégique, qui retiennent un peu l'information, soit parce qu'on l'aura jugée arbitrairement comme impertinente ou comme n'ayant pas d'intérêt pour la cause. Cela ouvre alors la porte à la défense de plaider le fait qu'elle n'a pas reçu l'ensemble de l'information et que l'accusé a droit à une défense pleine et entière, ce qui est un droit qui est reconnu et inaliénable. Donc, à cet égard, quand c'est présenté devant la cour, le juge est très attentif et il accorde des délais en fonction de l'étude et de l'analyse des documents.
Une première recommandation irait dans le sens de ce que le sénateur Baker avait posé comme question, soit que, dans les cas d'infractions hybrides, nous demandions, de façon obligatoire, à ce que l'ensemble de la preuve soit divulgué. S'il y a une preuve ponctuelle qui ne peut pas être divulguée, on pourrait en informer le tribunal d'entrée de jeu.
C'est une des premières choses. Évidemment, nous avions plusieurs autres recommandations. Mais ce que j'ai observé, c'est que parfois, la Couronne a une raison de retarder le procès, et d'autres fois, c'est la défense qui a un intérêt à le faire. Plus généralement, c'est le cas de la défense, parce que si je suis procureur pour la défense, personne ne va me blâmer d'essayer d'obtenir pour mon client, un accusé, l'opportunité de sortir du tribunal sans avoir à subir de procès. Évidemment, c'est un déni de justice pour les victimes, nous en avons parlé.
Donc, dans cette optique, il s'agit d'encadrer les pratiques professionnelles pour faire en sorte que chacun soit imputable, de bonne foi, dans les pratiques et dans les procédures. À cet égard, je pense que la divulgation de la preuve est importante. Mais il y aurait plusieurs autres recommandations que je pourrai vous faire parvenir par écrit par la suite.
[Traduction]
Le président : Sénateur Dagenais.
Le sénateur Dagenais : Merci, sénateur.
Le président : Deux policiers.
Le sénateur Dagenais : Oui. Merci beaucoup, sénateur. Je vous en suis reconnaissant.
[Français]
Ma question s'adresse à M. Didier Deramond. Je vais vous poser une question d'ordre administratif qui peut influencer les délais.
Lorsque j'étais à la Sûreté du Québec, il y avait une directive selon laquelle lorsque les policiers étaient appelés à témoigner en cour pendant qu'ils étaient en vacances, ils devaient appeler le procureur de la Couronne et faire remettre la cause, parce que, évidemment, il était question d'heures supplémentaires payées en double. Je ne sais pas si la même politique s'applique au Service de police de Montréal. Je sais que j'ai posé la question au chef de police de Calgary. Il a répondu que oui, les budgets de temps supplémentaire devaient être gérés.
Il est certain que beaucoup de dossiers sont reliés à la présence de policiers qui sont témoins. Et, effectivement, nous devons gérer les budgets de temps supplémentaire.
Vous savez comme moi qu'on n'a pas toujours le contrôle là-dessus. Est-ce que vous vivez le même problème, au Service de police de Montréal?
M. Deramond : Pour être franc avec vous, oui, nous avons ce problème. Ce n'est pas différent d'ailleurs, effectivement. Nous devons gérer les budgets, nous aussi, au Service de police de la Ville de Montréal.
Nous avons quand même mis des mesures en place. Nous avons un logiciel qui nous permet de régulariser certaines choses et de définir avec le procureur de la Couronne le meilleur moment pour attribuer une date à une cause, et ce, pour le bien-être de tout le monde et pour éviter que la cause soit remise. Donc, cette mesure est en place.
Oui, nous avons des directives, mais ce type de situation peut être autorisé, à la pièce, et nous devons analyser chacune des situations. Alors, s'il y a un procès important, même si l'individu est en vacances, nous allons quand même autoriser les heures supplémentaires et donner la permission au policier de se présenter au tribunal aux dates prescrites.
Le sénateur Dagenais : Avec votre permission, monsieur le président, j'aurais une courte question.
Nous savons qu'en Ontario comme à Montréal, il y a beaucoup de causes qui sont reliées à la déficience mentale, où nous pourrions acheminer de tels dossiers vers un autre tribunal. En Ontario, il y a une espèce de tribunal pour traiter ce type de cas.
Est-ce que cette mesure a été étudiée à Montréal? Parce que vous traitez bon nombre de dossiers où les gens souffrent de troubles mentaux.
M. Deramond : Oui, nous l'avons examinée également, mais, à Montréal, nous sommes un peu des chefs de file. Nous avons différentes façons de traiter les cas de santé mentale. Nous avons mis en place des équipes de réponse en intervention de crises. Nous avons aussi des patrouilles hybrides qui comptent des travailleurs sociaux.
Il y a plusieurs solutions qui sont examinées, justement, pour éviter de judiciariser les personnes qui ne doivent pas l'être, qui sont vraiment à la recherche d'une relation d'aide quelconque.
Donc, nous orientons les personnes aux bons endroits. Bien évidemment, il restera toujours des causes où nous devrons accuser les personnes, parce qu'elles ont commis un acte criminel. À ce moment-là, nous le faisons, mais nous tentons de diminuer ou de désembourber les cours avec d'autres solutions.
Le sénateur Dagenais : Merci.
Le sénateur Joyal : Ma première question s'adresse à M. Langlois. Évidemment, j'ai écouté très attentivement la présentation de votre tableau.
Est-ce que j'étirerais trop votre conclusion en soutenant que c'est dans l'intérêt de la défense d'obtenir le plus de remises possible?
M. Langlois : Je suis heureux que ce soit vous qui ameniez la question, pour être honnête. Il est certain que nous ne pouvons pas présumer des intentions, mais l'ensemble des faits que nous avons présentés démontre que c'est dans l'intérêt de la défense.
À cet égard, ma collègue Chloé Leclerc a fait une étude spécifique sur la question, et il y a 53 p. 100 des accusés qui reconnaissaient que leur avocat avait volontairement fait traîner les procédures dans l'intérêt de leur défense. Il s'agissait de 53 p. 100 des gens qui avaient été interrogés, dont 13 p. 100 disaient ne pas le savoir. Donc, il y a probablement une majorité de dossiers où la défense à un intérêt à faire traîner les procédures.
Évidemment, c'est la défense qui est la plus facile à exprimer. Dans le fond, tout ce qu'il faut prouver, c'est le préjudice et le fait que le délai était trop serré par rapport à une norme raisonnable. La Cour suprême ayant renforci cette norme, elle est encore plus accessible, parce que le système n'est pas en mesure d'atteindre l'idéal que la Cour suprême a établi récemment.
Le sénateur Joyal : Est-ce que vous avez publié ces statistiques et cette étude? Je constate qu'elle est récente en termes de données, soit 2015.
Est-ce que vous avez partagé ces conclusions avec le Conseil de la magistrature ou avec les juges en chef des différentes cours, de manière à ce qu'ils soient bien conscients que, dans leur gestion des dossiers, ils font face à une sorte de perversion du système? Parce que c'est ce que c'est. Ce n'est pas un moyen de défense reconnu par le Code criminel ou dans la Charte que de pouvoir bénéficier de remises afin de faciliter le relâchement du prévenu.
M. Langlois : Vous avez raison. En fait, c'est pour cela que j'avais parlé d'échappatoire judiciaire. Nous avons communiqué l'information au bureau de la ministre de la Justice du Québec. Nous avons communiqué l'information à un ensemble d'intervenants judiciaires, sans avoir reçu beaucoup d'échos à cet égard. Évidemment, nous avons publié un article dans La Presse également. Nous avons fait une soumission au Journal du Barreau qui n'était pas chaud à l'idée de la publier. Donc, ce n'est peut-être pas nécessairement dans les priorités éditoriales.
Par contre, pour les juristes, je pense qu'il y a une pertinence évidente à ce que cette information soit connue, et particulièrement pour les juges que vous mentionniez, parce que c'est eux qui doivent apprécier un tel plaidoyer.
En outre, nous pouvons dire aussi que cela a un impact sur la négociation de plaidoyer. Cela peut aussi entraîner une perversion de la justice, dans l'optique où, lorsque nous négocions une peine qui, techniquement, selon la preuve dont nous disposions, aurait dû être facilement énoncée et que nous négocions, nous édulcorons ou nous diluons en fait l'approche judiciaire. Donc, il y a des enjeux, car nous diminuons les accusations pour obtenir un plaidoyer de culpabilité. Dans cette optique, quand nous faisons ce genre de stratagème, évidemment, cela ne sert pas la justice non plus.
Le sénateur Joyal : Monsieur Deramond, j'ai été étonné de constater que, dans le plan d'action qui a été rendu public par la ministre de la Justice du Québec, au début du mois d'octobre, et dans les six champs d'action qui sont proposés comme nécessitant des interventions, ni la Sûreté du Québec, ni aucun des corps de police n'ont semblé participer à la Table Justice-Québec, alors que les corps de police sont parties prenantes essentielles au déroulement du processus judiciaire, car c'est vous qui rassemblez la preuve. Comme l'a dit tantôt mon collègue, le sénateur Dagenais, c'est vous qui vous vous rendez disponibles également en ce qui concerne les auditions et les enquêtes préliminaires.
Comment se fait-il que vous n'ayez pas été impliqués dans la définition du plan d'action du ministère?
M. Deramond : Nous sommes souvent impliqués dans la définition des programmes d'action, que ce soit en matière d'agressions sexuelles ou d'autres domaines, dans les politiques et les orientations gouvernementales.
Dans ce cas-ci, effectivement, nous n'avons pas été invités à la table de consultation. La raison exacte pour laquelle nous n'avons pas été invités, je ne pourrais pas vous la donner, je n'en ai aucune idée. Cependant, les travaux ont été publiés.
Le sénateur Joyal : Par exemple, nous soulevons la question des mégaprocès, et vous êtes évidemment impliqués dans le déroulement d'un mégaprocès. Vous êtes impliqués dans la culture des délais et des remises.
Il y a plusieurs sujets qui ont fait l'objet de considérations de la part de la Table Justice-Québec qui, il me semble, s'adressent directement à vous. À titre d'interlocuteurs dans la mise en application des recommandations provenant de la Table Justice-Québec, vous devez être concernés.
M. Deramond : Effectivement, et nous avons fait des revendications aussi. Mercredi prochain, d'ailleurs, nous allons nous asseoir pour parler des mégaprocès.
Le sénateur Joyal : Très bien. Merci.
Le sénateur McIntyre : J'ai des questions pour M. Deramond et pour M. Langlois.
Monsieur Deramond, dans vos notes d'allocution, vous avez regroupé vos propositions sous quatre grands thèmes. J'attire votre attention au deuxième thème dans lequel vous soulignez l'importance d'augmenter les recours et les pouvoirs de la gestion d'instance. Autrement dit, il s'agit de l'importance d'accorder aux tribunaux le pouvoir de véritablement gérer les instances en éliminant les remises inutiles.
Plusieurs intervenants nous ont souligné l'importance de ce thème. Brièvement, pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
Mme Des Parois : Je pense qu'on voit, à partir de ce que la Cour suprême indique dans l'arrêt Jordan, que le vrai problème, à mon sens, c'est l'évaluation du temps. Je pense que le rôle d'un juge peut être très important pour arriver à s'asseoir avec les parties et à bien évaluer le temps, parce que si les parties réservent quatre semaines pour un procès et qu'après les quatre semaines, nous nous rendons compte qu'il faut quatre autres semaines, le système ne pourra pas donner, après le premier bloc de quatre semaines, immédiatement un autre bloc. Donc, je pense que le juge pourrait jouer un rôle, premièrement, pour que le temps soit mieux évalué.
De plus, par expérience, il y a souvent des requêtes liées à la Charte qui sont présentées très peu de temps avant le procès. Ceci ne devrait pas avoir lieu, parce que la Couronne qui reçoit cette requête quelques jours avant le procès n'a pas le temps de se retourner pour assigner les bons témoins et pour préparer les bons arguments pour repousser la requête. Cela fait en sorte que les procès sont reportés. Donc, au niveau de la gestion d'instance, il s'agirait de discipliner les parties, si l'on peut dire, afin que les requêtes ne soient pas annoncées à la dernière minute.
Le sénateur McIntyre : Donc, l'important, c'est de donner au juge ou d'accorder aux tribunaux le pouvoir de véritablement gérer ces instances. Très bien, merci.
Monsieur Langlois, selon les résultats de votre étude, il y a une augmentation significative dans la durée des délais au Québec ainsi qu'une hausse du nombre de requêtes en arrêt des procédures. Je comprends également que le type d'infractions faisant le plus l'objet de requêtes en délai raisonnable, ce sont les conduites avec facultés affaiblies. Cela étant dit, est-ce qu'il y aurait une autre façon, ou un autre moyen d'attaquer ce fléau ou ce problème?
M. Langlois : En fait, c'est beaucoup dans les pratiques professionnelles que nous pensons qu'il y a une bonne partie de la solution, et la divulgation de la preuve comme je l'ai mentionnée plus tôt.
Par rapport aux conduites avec facultés affaiblies, ce que nous avons observé, je pense que c'est intéressant, c'est qu'il y a un ensemble de cabinets d'avocats qui se sont spécialisés sur cette question et qui, systématiquement, font traîner les procédures avec des mesures dilatoires reconnues. En fin de compte, ils présentent toujours la même procédure, la même requête, peu avant le procès, ayant eux-mêmes fait traîner le procès. C'est généralement ce que nous remarquons au Québec dans les cas de conduite avec facultés affaiblies. Ces cabinets spécialisés sont souvent surreprésentés dans les présentations de telles requêtes.
Donc, il faudrait également regarder, au niveau déontologique, l'encadrement des fondements réels, des motivations réelles des demandes de délai. Par contre, il s'agit aussi de trouver l'équilibre entre les droits fondamentaux des accusés d'avoir une défense pleine et entière, et la célérité du système judiciaire, tout en respectant la déontologie.
Donc, c'est surtout les pratiques professionnelles qui, à mon avis, doivent être dénoncées et puis évaluées.
Le sénateur McIntyre : C'est cela, exactement. Il faut augmenter les recours et le pouvoir de la gestion d'instance. Voilà!
M. Langlois : Absolument.
Le sénateur McIntyre : Voilà la solution. Merci.
Le sénateur Boisvenu : Je vais garder ma question pour les prochains témoins qui se présenteront. Ma question est de nature plus éthique que statistique.
[Traduction]
Le président : Sénateur White?
Le sénateur White : Merci à vous tous d'être ici.
Monsieur le chef adjoint, je sais que vous ne parlez pas au nom de tous les chefs au Canada, mais je pense qu'ils affirment depuis environ 10 ans que nous consacrons trop de temps à des affaires très peu importantes, et qu'il n'y a aucune proportionnalité. On semble accorder la même attention à un vol à l'étalage qu'à une tentative de meurtre.
Je pense que ce qu'ils essayaient d'accomplir au moyen du système de contraventions pour ce qui est de la marijuana était vraiment un test pour voir s'il y a d'autres infractions que nous pourrions gérer différemment, de façon plus administrative, plutôt que de tout mettre dans le même système pénal comme nous le faisons maintenant. Pour que les choses soient claires, car je sais que beaucoup de personnes disent que la police veut sévir contre la criminalité, ce que nous envisageons vraiment, c'est un système qui nous permet d'être un peu plus intelligents à l'égard des crimes mineurs. À votre avis, est-ce la voie dans laquelle nous nous engageons?
[Français]
M. Deramond : Exactement, sénateur White, c'est justement ça. Nous parlions de désembourber le système de justice. Nous parlions de criminalité de moindre importance.
Je veux être prudent dans la façon dont je le dis, parce qu'il y a des victimes, tout de même, en fin de compte. Donc, d'une façon sociétale, je pense que nous avons la responsabilité comme représentants de la justice pénale de trouver des solutions à différents problèmes adaptés aux nouvelles réalités.
Nous sommes présentement à la croisée des chemins. Le système a une capacité et celle-ci a été atteinte il y a déjà très longtemps. Or, on nous demande, à nous, les utilisateurs de ce système, de trouver des solutions. C'est ce que nous faisons cet après-midi, comme vous le faites depuis un certain temps, essayer de trouver des solutions conjointement en faisant de la consultation, et c'est tout à fait correct.
J'en fais de mon côté aussi avec les différents comités. Je peux vous dire que c'est une idée qui a été mise de l'avant par plusieurs chefs de police, par l'ACCP aussi, l'Association canadienne des chefs de police.
En ce qui concerne la possession de petites quantités de marijuana, nous connaissons maintenant la situation, bien sûr, avec le projet de loi qui sera présenté à ce sujet.
Tout cela étant dit, c'est qu'il y avait une idée derrière cela qui était de laisser la place aux tribunaux et de se concentrer sur les procès que nous devons faire.
[Traduction]
Le sénateur White : Je vous remercie beaucoup de vos explications. Je vous en suis reconnaissant.
Ma deuxième question sera brève. Nous continuons d'entendre que la toxicomanie et les maladies mentales sont courantes dans l'ensemble du système de justice pénale, surtout quand nous parlons des délinquants. On nous dit également qu'on peut soit mettre quelqu'un en prison pendant un jour ou six mois, soit lui faire suivre un traitement d'un jour dans six mois. C'est la réalité à laquelle nous faisons face. Pour ce qui est de la Stratégie nationale antidrogue, les chefs de police veulent-ils eux aussi que le gouvernement fédéral investisse davantage dans les programmes de traitement, plus particulièrement dans les systèmes provinciaux, afin que les gens soient traités plus rapidement plutôt que de rester dans la rue où ils commettent des crimes?
[Français]
M. Deramond : Effectivement. Nous traitons énormément de la prévention avec le plus grand des intérêts, à travers le pays.
Nous le faisons en matière de drogue et en matière de santé mentale. Comme je le disais dans mon allocution d'ouverture, nous pouvons sauver du temps avant le processus judiciaire. Nous pouvons sauver du temps aussi pendant le processus judiciaire, et certainement après également, parce qu'il y a tout un processus de réinsertion.
Alors, il faut travailler sur tous les fronts en même temps, soit avant, pendant, et après. Si nous sommes capables de faire des petits gains dans toute cette sphère d'activité, je pense que tout le monde en sortira gagnant.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir comparu aujourd'hui.
Notre prochain groupe de témoins comprend Claudia Prémont, bâtonnière du Québec, et Sylvie Champagne, secrétaire de l'Ordre et directrice du contentieux, qui viennent toutes les deux du Barreau du Québec. Nous accueillons également Sophia Rossi Lanthier, avocate et administratrice sur le conseil d'administration, du Jeune Barreau de Montréal; et, à titre personnel, Marie Manikis, qui est professeure adjointe en droit pénal à l'Université McGill. Merci à vous tous d'être ici.
Madame Prémont, nous allons commencer par vous.
[Français]
Claudia Prémont, bâtonnière du Québec, Barreau du Québec : Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, bonjour. Je suis Claudia Prémont, bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée, comme vous l'avez dit d'entrée de jeu, de Sylvie Champagne, qui est la secrétaire de l'Ordre et également la directrice du Contentieux.
Je vous remercie énormément de votre invitation. La rencontre d'aujourd'hui est extrêmement importante, compte tenu de l'ampleur du problème que nous connaissons et de la nécessité d'y remédier le plus rapidement possible. Le Barreau travaille depuis toujours à une meilleure justice plus efficace, plus accessible. Nous travaillons avec tous les intervenants du milieu dans le cadre de différents forums, comme vous avez pu le constater à nos commentaires.
Le 3 octobre dernier, nous avons participé au Plan d'action 2016-2017 de la Table Justice-Québec, qui comportait six axes particuliers, lesquels recoupent, selon nos conclusions, les quatre recommandations de votre rapport du mois d'août 2016. J'ai compris, en fonction des quelques questions que vous avez posées avant notre arrivée, que vous connaissez bien ce plan d'action.
Alors, nous avons déposé nos commentaires écrits. Dans les quelques minutes qui me sont allouées, je soulignerai certains d'entre eux, si vous me le permettez.
D'abord, la réforme du Code criminel est demandée depuis un bon moment par le Barreau, particulièrement, la question des peines minimales qui constituent pour nous un élément ayant directement affecté les délais en empêchant l'atteinte d'un règlement dans plusieurs dossiers.
En novembre 2012, d'ailleurs, le Barreau du Québec a contesté judiciairement le Projet de loi C-10. Notre intérêt a d'ailleurs été contesté jusqu'en Cour suprême du Canada. À ce stade-ci, nous avons suspendu la contestation compte tenu de la lettre de mandat de la ministre de la Justice qui souligne l'importance de procéder à la réforme du Code criminel et, particulièrement, de traiter des peines minimales.
En second lieu, il y a la magistrature, c'est-à-dire qu'il y a deux volets. Tout d'abord, il est question des nominations. Comme nous l'indiquions dans nos commentaires, pour nous, les nominations doivent être faites plus rapidement. Nous soulignions, dans le cadre de nos commentaires, le fait que les comités de nomination à la magistrature fédérale, tant dans la région est que ouest, n'étaient pas encore en place.
Nous savons qu'ils le seront très prochainement, puisque nous avons reçu la demande de fournir à la ministre des noms de candidats et de candidates qui pourraient siéger sur lesdits comités, et nous nous en réjouissons.
Présentement, il y a trois vacances à la Cour supérieure du Québec. Nous croyons sincèrement qu'il y aurait lieu que les nominations soient faites plus rapidement. Dans la majorité des cas, on sait à l'avance qu'un juge va quitter son poste, prendre sa retraite, devenir surnuméraire. Donc, les délais devraient être plus rapides pour combler les postes vacants.
Le deuxième volet, c'est la question des ressources insuffisantes. Comme vous le savez peut-être, le juge en chef, lors de la rentrée judiciaire, a émis un constat, soit l'augmentation de la population au cours des 30 dernières années. Nous avons parlé d'une augmentation d'environ 20 p. 100. Pendant cette même période, la quantité de juges a augmenté uniquement de 3,5 p. 100. Le nombre de juges est insuffisant, selon nous.
Il y a présentement trois vacances qui ne sont pas nommées par le gouvernement fédéral, mais les postes sont créés. Il y a trois postes créés par la Loi sur les tribunaux judiciaires, mais qui n'ont toujours pas été créés par le gouvernement fédéral, c'est-à-dire selon la Loi sur les juges. Le juge en chef considère que cinq postes de juges supplémentaires seraient nécessaires pour pourvoir à la tâche.
À cet égard, l'arrimage doit être amélioré, c'est-à-dire que, lorsque le poste est créé au provincial, il devrait l'être le plus rapidement possible au fédéral. Il faut tenir compte, lorsqu'on parle de la nécessité d'avoir plus de juges, que de 2011-2012 jusqu'à 2016-2017, nous constatons une augmentation constante du nombre de jours et de juges.
Alors, il est possible que le nombre de dossiers ouverts n'ait pas nécessairement augmenté, mais que le nombre de jours de procès pour les juges ait augmenté de 1 276 en 2011-2012 à 1 698 en 2016-2017. Également, ce que je vois comme problématique quant à l'insuffisance du nombre de juges, c'est que le rôle des juges a énormément changé.
Non seulement ils entendent des procès, mais ils ont également des rôles à titre de conciliateurs dans le cadre des conférences de règlement à l'amiable. Ils font énormément de gestion avec les nouvelles règles et il leur est également demandé de gérer les instances, comme j'ai pu le comprendre dans les échanges que vous avez eus avec les témoins qui nous ont précédés. On va leur demander d'être encore plus efficaces dans leur gestion d'instance. Alors, évidemment, le temps qu'ils consacrent à la gestion n'est pas passé à entendre des procès.
[Traduction]
Le président : Madame Prémont, je dois vous demander de conclure.
[Français]
Mme Prémont : Oui, absolument.
Je terminerai en parlant du budget alloué à la justice. Le Barreau du Québec a, depuis plusieurs années, insisté sur le fait qu'il doit y avoir une injection d'argent. La justice, c'est l'enfant pauvre, à notre avis. C'est nécessaire si on veut, entre autres, une justice plus efficace et plus rapide en matière de délais criminels.
Je vous invite à lire nos commentaires pour le reste. Nous serons ouverts à répondre à vos questions. Merci.
[Traduction]
Le président : Merci.
Je vous rappelle qu'il y a d'autres témoins. Notre directive est que vous preniez environ cinq minutes afin que les sénateurs aient assez de temps pour poser leurs questions.
Madame Manikis, vous avez la parole.
Marie Manikis, professeure adjointe, Droit pénal, Université McGill, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invitée. Je tâcherai d'être aussi brève que possible.
Je pense que nous comprenons tous que la question à l'étude est très importante et concerne tous les acteurs du processus de justice pénale, surtout à la suite de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Jordan. Nous constatons qu'il est nécessaire de s'attaquer véritablement à la question des délais judiciaires, et mon exposé sera axé sur quatre principaux points.
Le premier est lié aux premières comparutions et aux enquêtes sur remise en liberté. J'ai entrepris une étude, qui est dans sa phase initiale. Nous avons examiné des centaines d'enquêtes sur remises en liberté et de premières comparutions au Québec, plus précisément à Montréal. Nous avons constaté le nombre d'ajournements qui ont eu lieu pour diverses raisons.
Parmi les éléments dignes de mention, mentionnons le fait que le procureur n'était souvent pas présent dans la salle d'audience. Dans certains cas, les dossiers n'avaient pas été remis et les clients n'avaient pas rencontré d'avocat, ce qui s'explique en grande partie par un problème de transport. Une grande partie des prisonniers étaient présents aux audiences, et les retards attribuables au transport étaient si importants que l'ensemble du processus prenait du temps. Les longs délais sont souvent liés au transport ou à la présence de l'accusé au procès. De plus, les avocats de la défense, surtout ceux des services d'aide juridique, n'avaient souvent pas encore rencontré leur client.
Lorsque des conditions de remise en liberté étaient imposées, nous avons entre autres remarqué qu'on ne discutait ou ne considérait pas les antécédents des personnes concernées à cette étape. C'est une des choses que nous avons constatées. Nous avons remis en question l'efficacité de ces ordonnances, surtout lorsque des problèmes de santé mentale ne sont peut-être pas pris en considération.
Nous avons également constaté — et c'est lié à cette situation — un manque de ressources. Pour ce qui est des juges, nous avons vu des postes vacants n'ayant pas été pourvus. C'est également vrai à la Cour du Québec, et en ce qui a trait aux procureurs.
Le procureur est appelé à jouer un rôle plus actif à différentes étapes du processus, en assumant par exemple des obligations déontologiques. De plus, il incombe souvent aux procureurs de demander des peines minimales obligatoires. Plusieurs services de poursuites semblent être sous-financés.
Je mets surtout l'accent sur le Québec. J'ai vu plusieurs rapports publiés maintenant depuis des années, et on estime que 200 nouveaux procureurs devraient être embauchés pour atteindre la moyenne nationale. On manque donc de personnel. Ces procureurs sont également les moins bien rémunérés dans la province, c'est préoccupant, et je pense que c'est probablement l'une des causes des longs délais.
Enfin, j'ajoute que les accusations portées devraient faire l'objet d'un examen préliminaire effectué par le procureur. Dans la plupart des provinces, lorsqu'une accusation est portée par la police, elle ne fait bien souvent pas l'objet d'un examen préliminaire effectué par le procureur. Seuls la Colombie-Britannique, le Québec et le Nouveau-Brunswick ont une politique selon laquelle un examen préliminaire des chefs d'accusation doit être effectué par le procureur. On estime que les accusations sont retirées dans 30 p. 100 des cas où le procureur de la Couronne n'a pas fait d'examen préliminaire. Cette situation allonge également les délais. Il peut s'écouler beaucoup de temps entre le moment où la police porte une accusation et celui où le procureur décide de la retirer parce qu'elle n'est pas suffisamment motivée — ou parce qu'il pourrait y avoir d'autres façons de régler la question.
Je pense que la question de la déjudiciarisation et de l'utilisation en dernier recours du système de justice pénale sont des choses auxquelles il faut réfléchir très sérieusement. La commission du Canada a préparé un certain nombre de rapports sur la santé mentale. Dans le rapport de Frank Iacobucci publié en 2014, des éléments intéressants ont été soulevés quant à la façon de procéder, y compris une formation destinée aux policiers, une formation en matière de lutte contre les préjugés pour affronter les obstacles comportementaux qui mènent à des actes discriminatoires à différentes étapes du processus décisionnel. Le rapport propose également l'embauche de psychologues, ce qui revient à reconnaître l'importance d'une collaboration entre les services de police et des psychologues, en mettant l'accent sur la promotion des techniques de désamorçage. Voilà certains des éléments à mettre de l'avant.
Je serai heureuse de répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci.
Madame Rossi Lanthier, vous avez la parole.
[Français]
Sophia Rossi Lanthier, avocate et administratrice au Conseil d'administration, Le Jeune Barreau de Montréal : Bonjour à vous tous. Je suis ici aujourd'hui à titre de représentante de l'Association du Jeune Barreau de Montréal. Notre association représente les 5 100 avocats qui pratiquent dans la région de Montréal et qui sont inscrits au Tableau de l'Ordre du Barreau du Québec depuis 10 ans ou moins.
Il y a plusieurs avocats qui sont membres de notre association, comme Adam Villeneuve, qui m'accompagne aujourd'hui, qui pratique en matières criminelle et pénale.
Notre mission, au Jeune Barreau, c'est, d'une part, de promouvoir l'accessibilité à la justice et de défendre les intérêts de nos membres. Donc, vous comprendrez que nous étions particulièrement heureux de recevoir votre invitation aujourd'hui et nous vous en remercions. Nous sommes particulièrement concernés par ce problème, de par notre mission, et également parce que, comme Me Villeneuve, il y a plusieurs de nos membres qui pratiquent en matières criminelle et pénale.
Dans le cadre de la présente consultation, l'approche que nous avons choisi d'adopter est quelque peu différente. Nous avons mis sur pied un comité avec plusieurs de nos membres qui pratiquent en matières criminelle et pénale dans divers secteurs, soit à l'aide juridique, en pratique privée, à la défense et à la Direction des poursuites criminelles et pénales.
Les avocats qui pratiquent en la matière, je ne vous apprendrai rien en vous disant cela, sont bien au fait de la problématique des délais. Cette problématique est très bien connue. C'est pourquoi nous avons fait appel à nos membres pour connaître leurs expériences. Également, nous avons pris connaissance des divers interventions et mémoires qui ont été présentés dans le cadre de votre étude.
Considérant que la problématique est bien connue, ce que nous avons choisi de faire aujourd'hui, c'est de vous présenter des solutions. Donc, nous, les jeunes avocats, nous avons choisi de nous mettre en mode solutions. Nous allons vous présenter quatre solutions qui, selon nous, peuvent aider à réduire les délais en matières criminelle et pénale.
Vous pouvez constater, à même notre mémoire, que toutes les solutions que nous proposons sont des solutions qui sont applicables au niveau provincial, mais aussi localement. Donc, évidemment, nous savons très bien que nous sommes devant un comité sénatorial qui est de juridiction fédérale.
Par ailleurs, lorsque nous avons pris connaissance de votre rapport intérimaire, nous avons pu constater que vous prôniez la collaboration entre le fédéral et le provincial pour aider, justement, à résoudre le problème des délais en matières criminelle et pénale. Évidemment, je pense que cette collaboration est essentielle, considérant que, si nous regardons uniquement du côté de la juridiction fédérale, nous n'allons régler qu'une partie du problème.
Alors, les solutions que nous vous proposons sont assez simples et tournent autour d'un élément, soit les bonnes pratiques. Dans un premier temps, nous pensons que c'est important d'initier les futurs avocats aux bonnes pratiques en matière de gestion de l'instance. Il faut aussi les sensibiliser à l'incidence positive que peut avoir une bonne gestion de l'instance sur la réduction des délais.
À l'heure actuelle, dans le cursus universitaire, à l'École du Barreau et aussi pendant le stage, les avocats sont très peu sensibilisés à l'impact qu'une bonne gestion de l'instance peut avoir sur les dossiers. Nous pensons qu'au niveau de l'École du Barreau ainsi qu'au niveau du stage, il devrait y avoir une sensibilisation aux bonnes pratiques.
Les avocats ne devraient pas avoir à apprendre à gérer sur le tas, comme on dit, alors qu'ils commencent à pratiquer. Dans un système qui est déjà sclérosé par une culture de complaisance envers les délais, il faut prendre le problème à la source. Donc, chez les futurs praticiens, si nous les sensibilisons, nous pensons que si nous outillons les jeunes avocats pour faire face à cette problématique, nous pourrions réduire sensiblement le problème. Donc, cela fait partie de l'éducation et de la sensibilisation, si vous le voulez bien.
[Traduction]
Le président : Nous ne serons pas en mesure d'entendre tous vos exposés. Nous les avons tous en main. Par conséquent, vous voudrez peut-être résumer le vôtre, et nous passerons ensuite aux questions.
[Français]
Mme Rossi Lanthier : Oui, bien sûr.
Je pense qu'il y a vraiment consensus sur la question des délais. Les délais sont très longs et doivent être réduits. Il y a une accumulation de toutes sortes de problématiques dont vous avez pris connaissance, qui fait en sorte qu'il y a beaucoup de délais.
Il y a certaines des mesures qui peuvent être prises qui sont complexes et coûteuses. Nous pensons que les solutions que nous vous proposons sont très simples et facilement applicables. Elles sont pratiques, peuvent être mises en place facilement et respectent les droits fondamentaux.
Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup.
Nous allons commencer les questions par le vice-président, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leurs excellents exposés.
Les représentantes du Barreau voudront peut-être intervenir à ce sujet, mais lorsqu'on se penche sur les délais qui mènent à l'arrêt de procédures, seules les mesures du ministère public — le service des poursuites, le procureur et la police — et des tribunaux — et je parle ici des retards institutionnels, des retards inhérents — sont prises en considération. Tous les retards attribuables à l'avocat de la défense ne sont pas pris en considération lorsqu'on procède à l'arrêt de procédures. J'ignore si vous avez des observations à formuler à ce sujet.
Voici ma principale question, qui s'adresse à tous ceux qui voudront y répondre. Vous dites que les juges responsables de la gestion de l'instance et les juges de conférence de règlement ont besoin de temps, ce qui explique pourquoi on n'y a pas recours dans les procès. C'est précisément pour éliminer les retards que nous avons introduit la gestion de l'instance dans le Code criminel, pas pour en créer. Vous nous dites que cela crée des retards. Les conférences de règlement ont été ajoutées aux règles partout afin de mettre fin aux retards. Il n'est pas nécessaire de faire un procès quand on arrive à une entente lors d'une conférence de règlement.
Donc, vous dites que les juges qui tentent de prévenir les délais se trouvent à en être la cause parce qu'ils ne peuvent pas siéger à la cour. C'est très déroutant. Vous pourriez peut-être parler de cet aspect.
Je cherche toujours à obtenir une réponse à une question que j'ai posée au groupe d'experts précédent. La question est la suivante : êtes-vous d'accord avec la proposition du comité, qui est que la communication de tous les éléments de preuve devant être utilisés lors d'une affaire pénale doit être entièrement faite avant le procès; que l'ajout de toute nouvelle preuve durant le procès doit d'abord faire l'objet d'une demande au tribunal, avec démonstration qu'on a fait preuve de diligence raisonnable et que l'élément de preuve ne pouvait être fourni avant la tenue du procès?
Ce sont mes deux questions, mais j'aimerais d'abord que vous parliez de l'aspect contradictoire que vous nous avez présenté.
[Français]
Mme Prémont : Vous avez parfaitement raison de dire que tout ce qui touche une entente à l'amiable vise à sauver du temps devant un juge pour un procès. Cela est clair, et lorsqu'il y a un résultat, il y en a un.
Mais, il faut également être conscient que si cette conciliation, cette médiation n'est pas faite à l'extérieur du processus en tant tel et est faite par les mêmes personnes... Pour avoir échangé avec la magistrature et les représentants de la Cour supérieure et de la Cour du Québec, il est clair que le rôle du juge a changé au fil des ans. À partir du moment où nous augmentons les jours de procès pour les auditions et qu'en plus, nous ajoutons d'autres tâches, il est clair qu'au moment où nous nous parlons, il n'y a pas suffisamment de juges pour pourvoir à la tâche. C'est ce que je disais.
Évidemment ce sont les mêmes personnes qui font les deux processus, alors, nous ne pouvons pas être à deux endroits en même temps. À la cour, après plusieurs années de pratique, même si je ne pratique pas en droit criminel, mais en droit de la famille, je peux vous dire que, lorsque la conférence de règlement à l'amiable est arrivée en 2003, il y avait très peu de praticiens, en droit de la famille par exemple, qui s'adressaient au juge pour obtenir une conférence de règlement à l'amiable. De nos jours, il n'y a pas assez de dates pour tous les procureurs qui veulent aller en conférence de règlement à l'amiable.
Alors, c'est évident qu'il y a beaucoup de jours par année qui sont consacrés à cette tâche par les juges qui, auparavant, entendaient des dossiers. Alors, c'est en ce sens que se situe mon propos. Je pense que le rôle du juge, au fil des ans, a énormément changé. Nous lui demandons, d'ailleurs, de le faire ainsi, et je pense que c'est bon, mais il faut être conscient que ce sont les mêmes intervenants qui procèdent dans les deux cas.
Adam Villeneuve, avocat, Le Jeune Barreau de Montréal : Mon opinion est simple. Un juge, en ce qui a trait à la gestion de l'instance, en ce qui a trait au règlement, va être limité par la préparation des deux parties. Si la défense et la poursuite ne font pas leurs devoirs avant d'arriver devant un juge d'instance qui veut gérer l'instance, le juge va être limité. Certes, nous pourrions lui donner des pouvoirs supplémentaires, et nous devrions le faire.
Mais, ma crainte principale, ultimement, c'est que les droits constitutionnels des accusés soient atteints. Je ne veux pas blâmer personne, je ne suis pas venu ici pour blâmer qui que ce soit, mais si les parties ne font pas leurs devoirs avant la gestion de l'instance, le juge va être limité.
Le sénateur Boisvenu : Madame Manikis, c'est un plaisir de vous de revoir. Pour mes collègues, Mme Manikis a fait son doctorat en Angleterre, et son sujet était la Charte des droits des victimes. À ce moment-là, elle a travaillé de façon très serrée avec l'Association des familles des personnes assassinées et disparues, et avec mon cabinet au Sénat. Elle est un peu à l'origine de la charte que le gouvernement conservateur a adoptée il y a maintenant deux ans. Je tenais à le souligner, parce qu'elle est très humble au sujet de sa contribution.
Ma question s'adresse à Mme Prémont. Je vais être le plus diplomate possible pour vous la poser. Vous savez que mes préoccupations sont particulièrement liées aux droits des victimes d'actes criminels et au traitement des victimes dans le système de justice, qui, à mon avis, à certains égards, n'est pas inclusif pour les victimes, mais plutôt exclusif.
Nous avons entendu des statistiques ce matin qui m'effraient toujours un peu par rapport à l'équité du système de justice, particulièrement au Québec. Comme l'a confirmé le juge Fournier ce matin, près de 55 p. 100, 60 p. 100 des victimes vont abandonner leur plainte en cours de procès, à cause des délais qui sont trop longs.
Quand nous apprenons d'un chercheur comme M. Langlois que plus de 50 p. 100 des avocats de la défense vont, de façon volontaire, retarder les délais des procédures judiciaires, est-ce que nous ne sommes pas là devant un problème éthique qui désavantage volontairement les victimes dans le système de justice pour faire acquitter un individu?
Il y a un rôle fondamental que le Barreau doit jouer à cet égard, parce que votre organisation doit aussi servir l'intérêt public. Mais, je vois qu'ici, nous ne servons pas l'intérêt public par rapport au système de justice, et nous servons plutôt l'intérêt des avocats.
Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, parce que cela m'apparaît quand même une préoccupation majeure de voir que, sciemment, nous retardons les procédures pour que les victimes, dans le système, abandonnent leur plainte et qu'en bout de piste, le criminel soit acquitté.
Quand nous savons qu'une femme sur dix dénonce des agressions sexuelles, nous sommes, à mon avis, dans un problème éthique qui s'adresse directement au Barreau, et pas seulement au législateur.
Mme Prémont : À cet égard, notre mission, c'est effectivement la protection du public, et sachez que nous y sommes attachés, attelés, et que nous y travaillons quotidiennement. Nous travaillons à changer la culture des procureurs. En 2015, nous avons modifié notre Code de déontologie afin de prévoir de façon précise que tout abus de procédures ou une procédure entreprise par un avocat qui ne devrait pas l'être correspond à une faute déontologique.
Nous prenons nos responsabilités. Nous discutons de ce problème ouvertement. Je peux vous dire, monsieur le sénateur, qu'à la Table Justice-Québec, entre autres, c'est un des axes du plan d'action en tant que tel, soit tout ce qui touche aux changements de culture et à de nouvelles façons de procéder.
Je vous dirais que nous sommes peut-être un peu plus en avance au niveau civil. Nous l'avons fait avec l'arrivée du nouveau Code de procédure civile. Nous avons appuyé ce changement. Nous en avons parlé à nos membres et nous continuons de les outiller afin que, justement, cela fonctionne mieux.
Nous le faisons aussi au criminel. Évidemment, je vous dirais que l'arrêt Jordan a réveillé les esprits, n'est-ce pas? Sachez que cela nous tient extrêmement à cœur. Je suis d'accord avec vous que cela n'a pas sa raison d'être. Il faut améliorer la situation. Il faut en parler. À mon humble avis, les membres sont au fait de cela et sont conscients de la nécessité d'améliorer la situation.
Une des actions que le Barreau s'est engagé à mettre en place de façon plus formelle, alors que cela existait déjà de façon informelle, c'est d'améliorer, entre autres, les relations entre les avocats de la défense et les avocats de la Couronne. Je ne vous dis pas que toutes les relations sont mauvaises, mais le fait de les améliorer aiderait à développer un sentiment de confiance qui permettra, par la suite, de trouver les meilleures façons pour arriver avec des délais beaucoup plus raisonnables.
Alors, sachez que nous portons le message et que nous en parlons ouvertement. Ce n'est pas quelque chose qui est balayé sous le tapis, loin de là.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup pour vos présentations, c'est vraiment intéressant. J'ai une question pour les avocats ici présents.
[Traduction]
Dans nos audiences dans l'ensemble du pays, un des commentaires que nous avons entendus était que les avocats en sont responsables, en particulier les avocats de la défense.
Je vais commencer avec vous, monsieur Villeneuve. Encore ce matin, des témoins ont indiqué que vous causez volontairement des délais pour pouvoir négocier — ce n'est pas ce que je dis — et que cela représente un avantage pour vos clients. Pourrais-je avoir vos observations à ce sujet, puis celles de Mme Prémont?
[Français]
M. Villeneuve : Je ne prêcherai pas pour ma paroisse aujourd'hui. Je n'ai pas une pratique à volume. Ma clientèle, habituellement, c'est des cas de première offense, alors je ne suis pas à la cour très souvent. Mais, j'ai été témoin, et je tiens à le souligner au comité, de pratiques purement dilatoires dans des conversations de corridor.
C'est une réalité à laquelle il faut faire face. Selon moi, nous devons corriger le tir au niveau des avocats qui vont accéder à la profession, pour les empêcher de prendre de mauvais plis. Il faut des incitatifs tels que ceux que nous avons décrits dans notre mémoire, afin que les avocats plus âgés, ceux qui baignent dans la culture de complaisance, ne soient pas portés et n'aient pas le réflexe d'adopter des mesures dilatoires.
Les victimes en souffrent, c'est un fait. Elles vont retirer leur plainte, c'est un fait aussi. Mais, moi, j'aurais un revers de la médaille à présenter. J'ai certains clients qui ont souhaité plaider coupables, malgré le fait que la preuve n'ait pas été suffisamment forte pour justifier un verdict de culpabilité. Pourquoi voulaient-ils plaider coupables? Parce que la victime ne se présentait pas en cour aux dates fixées. Donc, évidemment, la poursuite demandait à ce que l'on reporte le dossier. Je ne pouvais pas m'y opposer, car il s'agissait d'une première demande de remise, ou parfois d'une deuxième. Dans certains dossiers, cela a amené un client à plaider coupable, malgré la force de la preuve. Selon moi, c'est un affront à la présomption d'innocence.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Madame Prémont, dans votre réponse, pourriez-vous aussi parler de l'incidence des peines maximales et minimales sur les délais?
[Français]
Mme Prémont : Selon le Barreau, la question des peines minimales a affecté directement les délais. Lorsque nous discutons, tant avec les procureurs de la défense que de la Couronne, nous apprenons que plusieurs procès ont eu lieu, parce que la sentence en fin de compte était une peine minimale. À ce moment-là, et cela se plaide, cela empêche, si vous voulez, certains règlements de se faire. C'était plus facile dans le passé.
C'est ce que nous entendons des praticiens en ce qui concerne les peines minimales. C'est la position que le Barreau a adoptée, et c'est pourquoi, au sujet du projet de loi C-10, nous avons demandé d'intervenir au débat. C'était important pour nous que la discrétion soit redonnée au tribunal à cet égard. C'est sûr que si les gens tiennent nécessairement à aller en procès, parce qu'en conclusion, nous n'arrivons pas à un règlement, nécessairement cela provoque un engorgement des tribunaux. Disons que c'est un facteur qui contribue à la question.
La sénatrice Jaffer : Merci.
Le sénateur Dagenais : Je ne veux pas revenir sur la question à laquelle Mme Prémont et Mme Champagne ont abondamment répondu, sur les délais dans les cours de justice à cause de tendances qui, parfois, peuvent faire plaisir au client de l'avocat. Mais, j'espère que le Barreau du Québec, qui est un organisme très professionnel, trouvera des moyens à mettre en place pour dissuader certains avocats de la pratique d'utiliser ce stratagème qui, à l'occasion, sert très bien le client. Je vous avouerais même que, dans mon autre vie, je connaissais des clients qui me disaient : « Donne- moi donc le nom de tel avocat. Avec lui, je vais pouvoir m'en tirer. Il va étirer les délais ». Vous savez, à un certain point, ils sont connus quand même.
Je veux revenir à la Table Justice-Québec. Mon collègue, le sénateur Joyal, a demandé à M. Didier Deramond s'il avait été invité à la Table Justice-Québec. Nous avons su que les deux principaux corps de police du Québec n'avaient pas été invités. Je trouve cela un petit peu dommage, parce qu'ils font partie, évidemment, de l'appareil judiciaire, qu'on le veuille ou non. J'imagine que vous avez participé à la Table Justice-Québec, et que vous y avez été invités?
Mme Prémont : Oui. Nous avons été invités par la ministre. Effectivement, j'ai entendu la question tout à l'heure. Je ne serais pas capable de vous dire pourquoi ils n'y étaient pas. Certaines associations, notamment l'Association des avocats et avocates de la défense, n'y étaient pas. Nous avons demandé à la ministre d'ajouter ces associations, parce qu'on trouvait pertinent qu'elles y soient. Pour ce qui est du Barreau, nous avions également des membres de notre Comité de droit criminel avec nous, mais cela nous semblait être pertinent. Mais, je ne saurais vous répondre quant aux raisons.
Le sénateur Dagenais : J'imagine que le directeur des poursuites pénales et criminelles, lui, participait à la table?
Mme Prémont : Absolument.
Le sénateur Dagenais : C'est dommage qu'il ne participe pas à notre table, aujourd'hui. Merci beaucoup, madame.
Le sénateur Joyal : Je constate, dans les recommandations qui sont contenues dans le rapport de la Table Justice- Québec, en relation avec ce que vous nous disiez en ouverture, le besoin de combler des postes et la connaissance préalable que ces postes deviendront vacants. C'est un peu comme le Sénat, nous savons quand il y aura des postes vacants. Il y a aussi le besoin financièrement de doter le système de justice d'équipements électroniques contemporains et le besoin de salles qui sont sous-jacents à tout cela. Comment se fait-il que, dans le rapport de la Table Justice- Québec, aucun de ces éléments ne s'y retrouve, alors que tous les praticiens du système semblent reconnaître que c'est incontournable? Le rapport donne certainement la bonne direction. Mais, comme dit l'autre, le portefeuille ne suit pas ce qu'il y a comme objectifs pratiques dans le rapport.
Cela m'étonne, parce que si nous voulons être efficaces, ces questions sont incontournables. Pourquoi ces éléments ne se retrouvent-ils pas dans le rapport de la Table Justice-Québec?
Mme Prémont : Je suis d'accord avec vous et nous l'avons dit clairement. Dans le cadre de la conférence de presse, il y avait même une question qui me visait. J'ai répondu que, à mon avis, les ressources manquent.
Maintenant, pour la ministre de la Justice, puisque c'est elle qui a convoqué la Table Justice-Québec, à cette première étape, l'une des réponses ne devait pas être le manque de ressources, si vous voulez. Elle a dit : « Nous allons commencer par être plus efficients avec les ressources en place. Par la suite, nous verrons s'il y a un manque de ressources, et s'il y en a un, à quel niveau. » Mais, cela étant dit, ce n'est pas la position du Barreau. De notre côté, nous constatons un manque de ressources et nous croyons que le budget relié à la Justice est insuffisant.
Le sénateur Joyal : Oui. L'autre question suit les propos et la réponse de Me Villeneuve aux incitatifs, entre guillemets. Je crois que l'arrêt Jordan est catastrophique pour la profession. Je suis moi-même un avocat à la retraite, et mon collègue, le sénateur Carignan, est aussi membre du Barreau.
Mme Prémont : Une onde de choc.
Le sénateur Joyal : Comme a dit mon collègue, le sénateur Baker, ce n'est pas seulement le système qui doit être pointé, mais tous ceux qui maintiennent la culture des délais. La culture des délais, elle repose principalement sur les épaules des avocats. L'arrêt Jordan, c'est contre nous. Ici, le « nous » en est un collectif.
Si nous voulons changer la culture des délais, j'ai bien lu votre mémoire aussi, maître Rossi Lanthier, il me semble qu'il faut qu'il y ait des mesures d'encadrement obligatoires. Et, cela passe par la réforme du Code de procédure criminelle. Je ne pense pas que nous puissions arriver à briser cette culture simplement en étant tous de bonne foi quand nous débutons dans la profession. J'admire votre enthousiasme, mais je crois qu'il faut qu'il y ait une révision du Code de procédure pour donner aux juges les pouvoirs de gestion des procès qui vont obliger les parties à la vertu.
Dans ce sens, nous pouvons, comme vous le proposez, les sensibiliser, les éduquer, et ainsi de suite, mais cela ne viendra pas tout seul quand il y a une culture, je dirais, séculaire qui, de surcroît, rend service aux avocats de la défense. Nous avons eu les statistiques du chercheur Vincent Langlois plus tôt aujourd'hui. Pour une fois, nous voyons comment, et vous l'admettez vous-même, maître Villeneuve, c'est bien ancré dans le système.
Alors, j'aimerais vous entendre sur les initiatives que nous pouvons prendre pour encadrer de façon obligatoire la gestion des délais et la prévention des délais.
Sylvie Champagne, secrétaire de l'Ordre et directrice du Contentieux, Barreau du Québec : C'est sûr qu'au niveau de la gestion des délais, il y a des choses qui peuvent être faites dans le Code criminel. Nous avons demandé, au lieu de réviser le Code criminel par portions, de le revoir dans son entièreté pour ajuster le système, que ce soit au niveau des enquêtes préliminaires, de la divulgation de la preuve, ou des divers sujets qui ont été abordés.
Effectivement, au niveau de la gestion, il faudrait revoir le Code de procédure pénale pour donner des outils additionnels à la magistrature afin qu'elle puisse exercer une gestion efficace des dossiers. Le Barreau est toujours ouvert à collaborer sur ces sujets et à examiner les questions. Mais, ce n'est pas une chose que nous avons entreprise nous-mêmes, présentement, au Barreau du Québec.
Le sénateur McIntyre : Merci pour vos présentations.
Madame Prémont, tout en partageant les propos de mes collègues, je trouve que vous avez bien décrit le rôle du Barreau du Québec dans le cadre du plan d'action de la Table Justice-Québec annoncé en octobre.
Je dois avouer que j'ai beaucoup aimé les commentaires du Barreau dans le cadre de la consultation sur les délais dans le système de justice pénale au Canada.
Madame Rossi Lanthier, les avocats qui ont moins de 10 ans de pratique, comme vous l'avez soulevé dans votre mémoire, ont-ils une perspective différente de l'administration de la justice criminelle, notamment au niveau de la culture juridique et de la relation entre les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense?
Mme Rossi Lanthier : Est-ce qu'ils ont une conception différente? Je pense que ce que nous voulons dire et ce que Me Villeneuve a mentionné, c'est qu'essentiellement, en arrivant, nous sommes teintés par la culture existante. Donc, les jeunes avocats, lorsqu'ils commencent leur pratique, sont nécessairement influencés par la culture existante.
Je suis d'accord avec le sénateur Joyal. Nous avons mis de l'avant de bonnes pratiques et nous les prônons. Par ailleurs, je pense que des modifications législatives contraignantes sont nécessaires afin d'imposer les bonnes pratiques aux avocats, tant de la défense que de la poursuite.
Le sénateur McIntyre : Comme vous l'avez mentionné dans votre mémoire, il faut faire une sensibilisation et une éducation des futurs avocats quant aux pratiques exemplaires, oui. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci beaucoup à chacun d'entre vous. Vos exposés ont été vraiment utiles.
Je tiens à féliciter les membres du Jeune Barreau de Montréal d'être venus au comité aujourd'hui et d'avoir présenté un point de vue aussi novateur et aussi axé sur les solutions. J'adore cela. C'est toujours ce que je recherche lors des réunions du comité.
Je tenais à vous donner l'occasion de nous en dire plus sur deux des aspects de votre mémoire. Une des solutions proposées vise à encourager la tenue d'un dialogue ouvert et précoce entre la poursuite et la défense. J'aimerais également que vous parliez brièvement de l'universalisation de la technologie, par rapport à la trop grande dépendance au papier — ce dont je suis moi-même coupable —, que vous avez évoquée, et à l'utilisation des courriels pour confirmer les dates de procès. Vous pourriez peut-être nous en parler brièvement. Je pense effectivement que les solutions viendront des jeunes, qui ont des idées nouvelles et novatrices.
[Français]
Mme Rossi Lanthier : Alors sur l'élément des moyens technologiques, nous constatons à l'heure actuelle qu'il y a une disparité quant à l'accès aux moyens technologiques entre les divers intervenants. Donc, ce n'est pas tous les intervenants qui ont accès à la même technologie. Il y a des gens qui ont accès à plus de technologie que d'autres.
Alors, il est sûr que le fait de donner accès à cette technologie à tous les tribunaux, à tous les intervenants est très coûteux. Par ailleurs, nous devrions optimiser les moyens technologiques qui sont accessibles à tous. À titre d'exemple, le courriel. Nous ne fixons même pas une date d'audition par courriel. On ne va même pas consulter les parties par courriel pour connaître leurs disponibilités. Le courriel, c'est certainement un moyen technologique qui est accessible à tous et que nous pourrions optimiser. Alors, au lieu d'attendre que tout le monde ait accès à la même technologie, pourquoi ne pas utiliser et optimiser les moyens existants qui sont accessibles à tous? Ceci est pour la question de la technologie.
Sur la question des échanges, à l'heure actuelle, les parties se parlent. Par ailleurs, cela revient encore à la question des bonnes pratiques, à savoir que, nous, nous prônons les bonnes pratiques, nous prônons la sensibilisation, mais peut-être que les moyens contraignants, les moyens législatifs, sont nécessaires. Mais, ce qu'il faut, ce sont des échanges constructifs et rapides dans le cadre des dossiers.
Les échanges doivent être constructifs, ce qui nécessite une bonne connaissance du dossier, des enjeux juridiques et de la preuve. À l'heure actuelle, ce n'est pas ce qui existe entre les parties. C'est vraiment la culture qui engendre cela.
Donc, nécessairement, au niveau de l'échange, nous voulons favoriser les échanges constructifs. Nous voulons que ça change. Et nous, les jeunes, nous considérons qu'une partie du problème, c'est qu'il faut que ça change à la base. Nous sommes les avocats de demain. Donc, nous pensons qu'il y a une modification qui peut être apportée maintenant et, nous espérons qu'à l'avenir, du moins sur cet aspect, cela va aider à réduire un peu les délais.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Excellent.
Madame Manikis, j'ai pris note d'un élément; vous pensez qu'il faut embaucher environ 200 nouveaux procureurs. C'est énorme. Vous dites que ce sont les moins bien payés de la province, mais je pense que vous vouliez plutôt parler de l'ensemble du pays. Est-ce exact?
Mme Manikis : C'est exact, oui.
La sénatrice Batters : Merci.
Madame Prémont, en ce qui concerne les comités consultatifs de la magistrature, j'ai justement posé une question à ce sujet cette semaine au leader du gouvernement au Sénat. Qu'en est-il au Québec? La semaine dernière, la ministre fédérale de la Justice a procédé à des nominations à la magistrature et a indiqué qu'elle rétablirait les comités consultatifs de la magistrature, mais pas avant quelques mois. Au Québec, certains comités consultatifs de la magistrature fonctionnaient-ils toujours, ou ont-ils tous été démantelés au cours de la dernière année? Qu'en est-il?
[Français]
Mme Prémont : Dans la dernière année, effectivement, il n'y avait aucun comité qui fonctionnait, soit depuis octobre 2015, mais ils devraient être remis en place, selon ma compréhension, d'ici la mi-novembre, pour procéder rapidement aux nominations et traiter les vacances qui existent présentement.
Maintenant, il y a également le fait qu'il y a des postes qui ont été créés par la loi provinciale, mais qui ne sont pas créés au fédéral. Évidemment, il faudrait que cela soit arrimé pour que, par la suite, les nominations puissent avoir lieu, c'est clair.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Avez-vous dit qu'au Québec, les comités consultatifs de la magistrature ne fonctionnent pas depuis un an?
[Français]
Mme Prémont : C'est cela. Exactement.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Wow, c'est stupéfiant.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je suis d'accord avec plusieurs éléments qui ont été soulevés, entre autres, la nécessité d'un nouveau Code de procédure criminelle pour aider le juge à encadrer le fonctionnement, et particulièrement pour forcer les avocats de la défense à avoir plus de discipline dans leurs requêtes ou leurs moyens de fonctionner.
Je suis d'accord aussi que les avocats de la Couronne ne sont pas assez nombreux et sont sous-payés, ce qui crée un problème de recrutement et de rétention de la compétence.
Je suis avocat depuis maintenant 26 ou 27 ans, donc le problème existait avant que le gouvernement Harper arrive au pouvoir et avant qu'il impose des peines minimales. Donc, je comprends que vous avez un rôle politique à jouer aussi, et qu'il y a le message des peines minimales. Mais, selon moi, le problème est beaucoup plus profond que cela.
Je vois que le comité et les témoignages sont sur la bonne voie. Est-ce que vous ne trouvez pas qu'il y a un manque de leadership de la part des ministres, notamment? J'entends la ministre de la Justice dire : « On va essayer de faire ce qu'on peut avec ce qu'on a actuellement puis être plus efficients », alors que nous avons une bombe nucléaire qui plane sur le système de justice, soit les effets de l'arrêt Jordan. Est-ce qu'il n'y a pas un manque de leadership? Quand la ministre s'exprime à vous de cette manière, imaginez ce qu'elle dit à son ministre des Finances quand elle veut obtenir plus d'argent pour le système de justice. J'ai peur de la façon dont elle présente la cause du système de justice au Conseil des ministres.
Donc, ma première question est la suivante : est-ce qu'il n'y a pas un manque de leadership? Cela vaut aussi pour nous du côté fédéral. Deuxièmement, est-ce que vous ne trouvez pas qu'il devrait y avoir des chambres spécialisées?
Vous êtes une procureure en droit de la famille, mon épouse est une procureure en droit de la famille. Je ne compte pas le nombre de fois qu'elle m'a raconté une histoire où elle se retrouve devant un juge qui n'a jamais fait de droit de la famille de sa vie, qui ne comprend rien au droit de la famille, et qu'elle doit l'instruire, ce qui occasionne d'autres délais. Cependant, lorsqu'elle plaide devant un juge spécialisé en droit de la famille, ce qui représente 50 p. 100 des causes, cela va beaucoup mieux, beaucoup plus rapidement, et les dossiers progressent avec des jugements qui sont plus appropriés à la situation.
Donc, est-ce que vous ne trouvez pas qu'il devrait y avoir des chambres spécialisées, particulièrement en Cour supérieure?
Mme Prémont : Alors, si je peux me permettre de répondre rapidement à la première et à la deuxième question. En matière de leadership, ce que je constate, c'est que la Table Justice-Québec, malgré ses imperfections, est quand même une excellente avancée. Tout le monde était autour de la table, hormis les policiers, comme vous l'avez souligné tout à l'heure. Tout le monde travaillait dans le même sens. Cela ne s'est pas produit très souvent par le passé. Alors, là- dessus, je pense que les astres sont alignés et que nous avons tous un objectif commun.
De notre côté, nous avons demandé des états généraux sur la justice. Cela fait plus de 25 ans qu'il n'y en a pas eu. Nous pensons que c'est nécessaire. Nous connaissons les problèmes. Le but n'est pas d'asseoir tous les intervenants pour refaire ce qui est déjà fait dans plusieurs forums différents. Il s'agit tout d'abord de se poser la question à savoir pourquoi nous en sommes arrivés là. Je pense qu'il faudrait se la poser, la question, et ensuite, trouver des solutions avec les personnes de chaque milieu. Nous avions les policiers en tête, entre autres. Des gens aussi, des justiciables, ceux qui s'adressent au système de justice. Alors, nous pensons que cela devrait être fait. Nous l'avons demandé à la ministre de la Justice. Nous verrons quel en sera le résultat, mais sachez que c'est dans nos cartons.
Sur la deuxième question des chambres spécialisées, absolument, nous l'indiquons dans notre mémoire. J'y crois énormément. J'y crois, oui, pour les délais, comme vous le dites, mais également parce que les juges qui sont spécialisés dans une matière, qui la connaissent bien, vont trouver des solutions novatrices, à mon avis, pour que la justice soit rendue de façon plus efficace.
Nous l'avons vu à Québec. Je parle de ce que je connais, parce que je suis une praticienne de la Ville de Québec, en droit de la famille. Nous avons une juge qui a pratiqué toute sa vie en droit de la famille, qui est juge coordonnatrice et qui est arrivée avec des solutions vraiment extraordinaires au niveau de la garde des enfants, et pour garder un juge dans un dossier, particulièrement dans les dossiers à haut conflit.
Alors, ce sont des idées qui sont mises sur la table par des juges qui connaissent leur matière et qui aiment leur travail. Alors, nous sommes absolument fervents de cette option et nous considérons que ce serait une excellente chose.
[Traduction]
Le sénateur White : Merci à tous d'être ici.
Madame Prémont, ma première question est liée à votre commentaire initial sur la nécessité d'avoir plus de juges, plus de procureurs et plus de ressources financières pour le système de justice. J'ai travaillé au sein des services de police et je parle toujours d'offre et de demande. Vous parlez essentiellement de la gestion de la demande, mais la plupart des services de police du pays diront plutôt qu'il faut gérer l'offre, qu'il y a trop de gens dans le système de justice. Trop de personnes font l'objet d'accusations criminelles, car il n'y a pas de solution de rechange. Nous n'avons pas un processus administratif. À titre d'exemple, la Colombie-Britannique a mis en place un processus administratif pour les causes de conduite avec facultés affaiblies.
Ne convenez-vous pas qu'au lieu d'accroître les ressources d'un système déficient — c'est ce que je pense — il conviendrait de consacrer davantage d'énergie aux personnes qui se retrouvent dans le système de justice et dont le dossier pourrait être traité autrement?
[Français]
Mme Prémont : C'est très certainement un élément extrêmement intéressant à vérifier, à étudier. Nous pensons également que tout ce qui touche à la facilitation, à la médiation, à la conciliation doit être développé. Déjà, en matière civile, nous sommes avancés, mais c'est tout aussi bon en matière criminelle. Cela existe au Québec. Je pense que oui, c'est un des éléments sur lesquels nous devons travailler. D'ailleurs, je pense que les citoyens veulent aussi aller vers ce type de résolution de conflits. Alors, oui. Maintenant, est-ce que nous avons poussé sur les autres? Peut-être que Me Champagne peut vous répondre à cet égard.
Mme Champagne : En ce qui concerne la problématique de la santé mentale, et les problèmes des gens qui ont des toxicomanies, c'est clair, il y a déjà des programmes offerts au Québec dans les différentes cours. Nous pensons effectivement qu'en ce qui a trait au syndrome de la porte tournante, pour ces gens, il faut beaucoup plus axer nos actions en faveur de la prévention, mais aussi en faveur des services sociaux et de santé. En effet, il ne faut pas examiner la question uniquement d'un point de vue curatif. Il y a beaucoup de travail à faire pour éviter le syndrome de la porte tournante, et le Barreau soutient ces initiatives.
[Traduction]
Le sénateur White : J'ai une autre petite question concernant la santé mentale et la toxicomanie. Actuellement, plus de 70 p. 100 des délinquants qu'on retrouve dans notre système de justice pourraient être considérés comme souffrant de maladie mentale ou du trouble concomitant qu'est la toxicomanie. Or, aujourd'hui, au Canada, il faut six ou sept mois pour qu'une personne puisse commencer un programme de traitement de la toxicomanie. Cela vaut pour toutes les provinces, et personne ne fait les choses correctement.
Diriez-vous qu'il faut aussi inclure, dans un symposium ou une discussion sur la justice, la question de la nécessité d'une stratégie nationale antidrogue qui serait véritablement axée sur l'aide qu'il faut offrir aux gens avant qu'ils ne commettent quatre à huit crimes par jour pour assouvir leur dépendance?
[Français]
Mme Prémont : À mon avis, oui. Maintenant, peut-être que vous voulez ajouter sur ce point? Mais, oui, à mon avis, je pense qu'il faut nécessairement discuter de cela, entre autres, dans le cadre d'états généraux.
[Traduction]
Mme Manikis : Je pense que c'est aussi en grande partie lié à un changement de culture et même à la capacité de déterminer qui souffre de maladie mentale avant que ces personnes n'arrivent à la première étape ou avant que des accusations soient portées contre elles. À mon avis, une formation à cet égard serait une bonne façon de favoriser les changements de culture, y compris chez les psychologues et au sein des services de police. C'est fondamental.
Quant aux enjeux liés aux peines minimales obligatoires, nous avons également constaté que cela touche beaucoup de personnes atteintes de maladie mentale. On observe notamment que souvent, elles ont recours à une contestation fondée sur l'article 12, et c'est ce qui cause les délais. C'est une exigence constitutionnelle permanente.
Dans d'autres pays, notamment en Angleterre et au pays de Galles, on a ajouté une clause d'exonération, qui permet au juge de décider s'il convient d'imposer une peine réduite dans les cas où cela s'avère nécessaire et où il est possible de trouver d'autres solutions. Une telle façon de procéder est impossible dans le cas des peines minimales obligatoires, sauf s'il y a une contestation constitutionnelle, ce qui mobilise beaucoup de ressources au sein de l'appareil judiciaire puisque ces causes sont examinées séparément.
Je vais vous envoyer des documents sur les technologies, y compris un modèle de renseignements opérationnels mis au point en Alberta, et sur des mécanismes permettant de faire un suivi des progrès en fonction de divers critères. Certains éléments des tribunaux ontariens étudient l'efficience obtenue et le taux d'observation de ces critères. Il est intéressant de voir que les activités de chaque organisme font l'objet d'un examen constant et qu'on cherche la cause principale des délais.
À mon avis, l'adoption de tels critères dans l'ensemble des différents systèmes, y compris les bureaux des procureurs et les divers organismes, serait une des solutions pour faire un suivi des progrès et de l'efficacité.
Le président : Très bien, merci. Nous avons légèrement dépassé le temps imparti, mais je pense que c'est du temps judicieusement utilisé en raison de la contribution de chacun d'entre vous à notre étude. Je vous remercie encore une fois d'être venus au comité aujourd'hui.
Nous accueillons maintenant notre dernier groupe de témoins de la journée. Représentant l'Association des avocats de la défense de Montréal, nous avons M. Philipe Knerr, qui est avocat. Nous entendrons également M. Mathieu Rondeau-Poissant, de l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense.
Bienvenue, messieurs. Vous avez environ cinq minutes pour vos exposés.
[Français]
Philipe Knerr, avocat, Association des avocats de la défense de Montréal : Monsieur le très honorable président, honorables membres de ce comité, mesdames, messieurs, l'Association des avocats et avocates de la défense de Montréal souhaite d'abord vous remercier de l'initiative que vous avez prise en nous invitant à venir participer à cette discussion qui porte sur les délais en matières criminelle et pénale.
À titre introductif et très brièvement, notre association, mieux connue sous l'appellation d'AADM, représente près de 500 avocates et avocats de la défense pratiquant dans la grande région métropolitaine de Montréal. Donc, nous représentons également les Barreaux de Longueuil, de Laval et de la métropole.
Aux fins de la présente allocution, je souhaite me concentrer plus particulièrement sur la réalité des délais qui règnent au palais de justice de Montréal. À cet effet, et je ne pense pas sonner le glas d'aucune façon, je crois que nous sommes présentement en état de crise, je dirais même de crise avancée.
À titre d'exemple, à la Cour du Québec, un accusé qui est en liberté présentement et qui a besoin de deux jours ou plus pour une enquête préliminaire va devoir attendre 23 mois avant la tenue de celle-ci. Ensuite, subséquemment, il devra attendre encore 23 mois avant de subir son procès. Si l'on fait le calcul, mesdames et messieurs, ce délai surpasse grandement le plafond de 30 mois qui est imposé par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Jordan et Williamson.
Évidemment, l'AADM n'est pas ici simplement pour parler de la problématique que vous connaissez très bien. Nous sommes ici également pour vous faire part de nos réflexions ainsi que certaines de nos recommandations.
Mais avant tout, il est essentiel de réitérer que la problématique des délais ne peut être attribuée aux actes d'un intervenant de notre système de justice. À cet égard, je déplore malheureusement les commentaires qui visent à faire porter aux avocats de la défense le blâme exclusif pour les délais qui sont générés dans notre système de justice.
D'ailleurs, bien que ceci semble être trop souvent oublié par plusieurs acteurs de notre système, en aucun cas les délais qui sont générés par la défense ne peuvent être mis à profit pour l'accusé dans l'optique d'obtenir un arrêt des procédures, et cela, il faut se le rappeler. Les délais en matière criminelle sont l'affaire de tous les intervenants.
Pour cela, l'AADM a collaboré notamment à la Table Justice-Québec afin de mettre en œuvre un plan d'action visant à améliorer l'efficacité de notre système de justice. Cette initiative commune, rassemblant la grande majorité des acteurs de notre système, a d'ailleurs déjà porté ses fruits. Nous voyons qu'à Montréal, depuis la mi-octobre, nous avons un système de visio-comparution, qui permet aux avocats de la défense d'avoir une communication beaucoup plus rapide avec les détenus qui se trouvent au centre carcéral de Bordeaux. Par ailleurs, cela permet d'éviter de devoir transporter à chaque fois des détenus au palais de justice.
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l'exploitation des nouvelles technologies est l'une des solutions les plus importantes à envisager dans notre combat visant à réduire les délais. Évidemment, mon temps est très limité, alors je vais passer en rafale certaines solutions auxquelles nous avons aussi pensé.
Dans le cas de la divulgation de la preuve, surtout dans les dossiers de mégaprocès ou dans les grands projets d'envergure, il nous arrive souvent de recevoir des téraoctets d'information. On parle de plusieurs centaines de milliers de pages, voire de millions de pages. Ça prend parfois des années à évaluer.
Dans ces circonstances, nous croyons qu'un cahier de procès devrait être remis dès le début du dossier à la défense, ou dans les meilleurs délais, afin de cibler le débat qui aura lieu devant les tribunaux.
Toujours en ce qui concerne la divulgation, nous recommandons qu'une politique claire soit édictée, dans laquelle il serait prévu qu'aucun dossier ne peut être autorisé sans que la divulgation soit complète aux yeux du procureur qui autorise, à moins, évidemment, qu'il y ait des circonstances voulant que la sécurité publique soit en jeu et qu'on doive porter des accusations le plus rapidement possible.
Nous croyons aussi que la mise sur pied d'un programme de mesures de rechange extrajudiciaires, tel qu'il existe présentement en matière de droit de la jeunesse, serait très intéressante à mettre en œuvre dans les dossiers chez les adultes.
Dernièrement, en ce qui concerne la prolifération des peines minimales au Canada, il y a deux solutions que nous envisageons. Nous avons parlé tout à l'heure, lors de l'exposé du Barreau du Québec, de l'intérêt de prévoir des mesures législatives où le juge peut déroger à une peine minimale dans certaines circonstances exceptionnelles, lorsqu'il y a plusieurs facteurs atténuants qui justifient une peine autre, et aussi dans les dossiers de conduite avec facultés affaiblies. C'est un gros problème dans notre système. Nous suggérons l'opportunité de soumettre ces dossiers aux sanctions administratives, pour éviter la judiciarisation de tous ces dossiers.
Alors, voilà mon bref exposé de cinq minutes. Je vous remercie énormément de votre attention.
Mathieu Rondeau-Poissant, avocat, représentant du district de Longueuil, Association québécoise des avocats et avocates de la défense : Bonjour. Je suis donc représentant de l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense. Nous sommes une association sœur de l'AADM. En fait, le président de l'AADM siège au conseil d'administration de l'AQAAD, ce qui fait en sorte que nous avons une vision globale et assez unie des changements qui sont apportés, même si ça n'a pas toujours été le cas. Donc je ferai mien l'ensemble des propos que mon collègue vient de formuler.
Je voudrais être beaucoup plus spécifique et vous emmener sur un terrain qui nous semble particulièrement préoccupant. Lors de notre dernier colloque annuel, nous avons fait un recensement des problèmes que nos membres vivaient dans chacun des districts; nous représentons des procureurs de l'ensemble des districts du Québec.
Le premier problème qui a été soulevé est la relation entre les avocats de la Couronne et les avocats de la défense. Le deuxième problème est la relation entre les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense et la magistrature. Essentiellement, il s'agit de problèmes de communication. Nous entendons souvent dire que les avocats de la défense font trop de requêtes, des requêtes qui sont futiles et inutiles, et que c'est ce qui embourbe le système de justice. Nous travaillons actuellement à établir des rencontres entre les différents procureurs-chefs et les représentants régionaux de notre association, dans le but de faciliter les communications. Nous croyons fermement qu'une meilleure communication entre les différents intervenants, tout au long du dossier, est nécessaire.
Mon collègue, Me Knerr, a dit précédemment qu'il appréciait énormément ce qui est nouveau dans le district de Montréal, et dans plusieurs districts : la gestion d'instances. Maintenant, lorsque nous voulons fixer une date de longue durée dans les divers districts du Québec, il y a un juge gestionnaire qui est nommé et qui nous rencontre, avant les heures de cour dans certains districts, et dans d'autres, tout au long de la journée. Par exemple, à Montréal, il y a une salle qui est complètement dédiée à cela. Cela permet de créer des échéanciers clairs, tant pour la Couronne que pour la défense, tant pour la divulgation de la preuve que pour les requêtes. Le juge peut ainsi constater la futilité de certaines demandes de part et d'autre, et faire en sorte que nous n'allions pas d'un pro forma à l'autre sans qu'il n'y ait aucune communication, ce qui a pour effet de prolonger inutilement les débats. C'est l'un des éléments qui nous semblent clés.
Je pense que l'instauration d'un programme semblable à ce qui se fait en droit civil depuis des années, où il y a, au début des dossiers, un échéancier clair qui est fait pour tous serait une autre solution. Par exemple, on va dire à la Couronne qu'elle a tant de temps pour finaliser sa divulgation, et à la défense qu'elle dispose de tant de temps pour annoncer ses requêtes. À telle date, il y aura une fixation d'enquête préliminaire, elles devront décider si elles veulent ou pas une enquête préliminaire. À telle autre date, il y aura fixation du procès. Tout cela aiderait grandement, surtout dans les dossiers d'importance. Il y a plusieurs dossiers qui ne nécessitent pas une telle gestion. Mais en ce qui a trait aux dossiers d'importance et de longue durée, cela faciliterait grandement la communication entre les intervenants.
Il a été mentionné plus tôt qu'il n'y avait pas de date fixée par courriel. C'est faux. Nous en fixons. J'en ai personnellement fixé deux, juste cette semaine. Mais pour cela, il doit y avoir un juge nommé au dossier. Par exemple, quand il y a un juge nommé à l'enquête préliminaire et qu'une date doit être fixée, c'est certain que c'est plus facile. Nous pouvons faire une conférence téléphonique, envoyer deux courriels, et la date est fixée. Nous la fixons à la cour deux jours plus tard, puis nous allons officialiser le tout dans un procès-verbal. Bien entendu, c'est plus simple, mais cela exige des juges gestionnaires de l'instance.
L'autre élément qui revient souvent, c'est la nomination de plus de procureurs. Je m'entretenais avec Me Pierre Teasdale, qui m'a autorisé à vous rapporter ses propos. Me Teasdale a été procureur de la Couronne tout près de 40 ans au Québec. Il a démissionné principalement parce qu'il y a une grande érosion du pouvoir qui est octroyé à chaque procureur dans les districts. C'est la raison pour laquelle il a quitté son poste. Mon collègue m'a fait remarquer que mon ancien associé, Dominique Saint-Laurent, qui a également été procureur de la Couronne durant une vingtaine d'années, a quitté son poste pour les mêmes raisons.
Me Teasdale me disait que même si on réclame encore plus de procureurs, ce n'est pas ce qu'il faut. Il faut redonner le pouvoir aux procureurs de prendre les décisions dans les dossiers.
J'ai 16 ans de pratique. Lorsque j'ai commencé à pratiquer, il était assez usuel, tant devant les Cours municipales qu'à la Cour du Québec, de régler des dossiers liés aux facultés affaiblies par l'article 327 du Code de la sécurité routière, qui est le fait d'avoir mis en péril ou en danger la vie d'autrui. C'est une infraction pénale qui permettait de régler ces dossiers et qui faisait en sorte que ces dossiers n'allaient pas à procès. Or, depuis plusieurs années, il y a une directive qui interdit à tout procureur de faire ce genre de règlement. Les procureurs sont les mieux placés pour déterminer, dans leurs dossiers, quelles décisions ils peuvent prendre.
Alors, je crois que cela résume l'élément central, soit la relation entre la Couronne et la défense, qui pourrait grandement améliorer la gestion des délais. Merci.
[Traduction]
Le président : Nous passons maintenant aux questions, en commençant par le vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Merci aux témoins.
Je tiens à souligner, à titre d'observation préliminaire, que l'arrêt Jordan nous donne une certaine marge de manœuvre là où on observera un nombre élevé d'arrêts de procédures en vertu de l'alinéa 11 b). Dans les régions où les délais sont chose courante, l'arrêt Jordan offre une certaine latitude parce que le ministère public peut avoir recours à des pratiques antérieures. Lorsqu'on examine les cas d'arrêts de procédures en vertu de l'alinéa 11 b), on constate que par rapport aux délais institutionnels, la cour ne critique que le ministère public, la police et les tribunaux, mais jamais les avocats de la défense. Je vous invite à vérifier. La responsabilité de la défense à l'égard des délais n'a été évoquée dans aucune demande d'arrêt de procédures en vertu de l'alinéa 11 b); ce n'est jamais arrivé.
Voici ma question. Vous avez tous les deux fait une suggestion. De votre côté, monsieur Knerr, vous avez suggéré que la divulgation de la preuve liée à une affaire devrait être complétée avant la tenue du procès. C'est ce que vous avez indiqué, si j'ai bien compris.
Monsieur Rondeau-Poissant, vous avez suggéré que nous empruntions le modèle de conférence de règlement, utilisé en procédure civile, afin de l'appliquer aux affaires criminelles, ce qui permettrait de décider de toutes les questions en privé, devant un juge.
Ai-je bien compris les deux propositions que vous nous avez présentées?
[Français]
M. Rondeau-Poissant : D'abord, oui, il y a la facilitation pénale, qui est un processus qui existe déjà au Québec, tant à la Cour d'appel, qu'à la Cour supérieure ainsi qu'à la Cour du Québec. J'ai participé moi-même à la première facilitation pénale, en appel, il y a une douzaine d'années. C'est un système qui fonctionne bien et qui est établi au Québec.
Par ailleurs, ce dont je parlais, c'est plutôt la gestion d'instance qui est publique, parce que les débats sont publics, et qui se fait en salle de cour, mais qui permet au juge d'imposer des délais, tant à la Couronne qu'à la défense, de façon à ce que le dossier avance. De plus, cela permet de faire en sorte que, le jour du procès, il n'y ait plus de question à trancher, à part la question essentielle du procès.
Donc, c'est essentiellement ce que je suggérais.
[Traduction]
M. Knerr : Pour répondre à votre question sur les motions liées à l'arrêt Jordan — ce qui nous ramène aussi aux questions de divulgation —, la réalité, c'est que trop souvent, en ce qui concerne la divulgation, nous devons continuellement réclamer la divulgation des mêmes éléments de preuve. Prenez par exemple les notes de la police dans les dossiers de conduite avec facultés affaiblies. À mon avis, il est inconcevable que nous ne recevions pas les notes de la police dès la première communication des preuves. Nous ne les recevons pas. Nous devons donc les demander, systématiquement. Cela entraîne donc, dans tous les dossiers, des délais supplémentaires d'au moins deux à trois mois, parce que la défense informe le ministère public qu'elle n'a pas les notes de la police, qui sont pourtant essentielles pour que son client puisse faire valoir son droit constitutionnel de présenter une défense pleine et entière.
Le sénateur Baker : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aurai deux questions très courtes. La première est très simple. S'il y a divulgation de la preuve, est-ce que l'enquête préliminaire sera encore une étape nécessaire?
M. Knerr : Pour répondre à votre question en ce qui concerne l'enquête préliminaire, je dois dire que je m'attendais à ce qu'on discute de cela aujourd'hui. L'enquête préliminaire a une fonction qui est très importante, qui est celle de l'exploration et de l'interrogatoire préalable. L'enquête préliminaire, à certains égards, nous aide à tester la preuve, à en apprendre plus sur la preuve.
Évidemment, la divulgation de la preuve, parfois, sera simplement une page de déclaration d'une personne qui décrira ce qui lui est arrivé, mais elle aura été écrite par le policier qui prend la déclaration. À l'enquête préliminaire, c'est drôle, mais pour une page de déclaration, nous aurons parfois une heure de contre-interrogatoire et nous allons révéler des faits qui sont essentiels à la défense de notre client.
Parfois, par contre, l'enquête préliminaire peut aussi servir pour la poursuite, parce qu'elle va lui permettre de cibler son dossier ou de convaincre mon client. On lui dira : « Écoutez, la preuve est très forte contre vous, essayons de trouver une façon de régler le dossier. »
Alors, je pense que l'enquête préliminaire a son utilité, je pense qu'elle est essentielle. Peut-être que nous pourrions en parler sous un autre couvert également, mais pour répondre à votre question plus particulière, pour les raisons que j'ai évoquées, je crois que l'enquête préliminaire conserve toute son utilité.
Le sénateur Dagenais : Évidemment, à part le volume et la preuve à divulguer, est-ce que vous pourriez nous donner un peu plus de détails sur vos relations avec les procureurs de la Couronne et avec le directeur des poursuites criminelles et pénales? Est-ce qu'il y a des choses qui pourraient changer rapidement pour réduire les surprises ou les délais?
En passant, je me permets de vous dire qu'il ne faut pas non plus cibler davantage les avocats de la défense. Nous avons beaucoup parlé aujourd'hui des délais. Je crois que tout le monde, autant les juges, les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense, font partie du problème et de la solution.
Alors, je vous écoute relativement à votre relation avec le DPCP.
M. Rondeau-Poissant : Dans la relation avec le DPCP, la première chose qui est reprochée, c'est que nous recevons très peu de réponses à nos appels et à nos courriels. Bien entendu, les procureurs de la Couronne se plaignent souvent d'avoir trop de dossiers, trop de volume et de ne pas être en mesure de répondre à nos appels. Cependant, le fait de ne pas prendre les appels augmente uniquement leur tâche le jour du pro forma.
C'est la plainte la plus commune, je vous dirais, depuis l'arrêt Jordan. Dans un dossier devant le juge Bisson il y a deux semaines, le procureur de la Couronne en faisait état. Nous avons beaucoup plus de retours d'appels, soudainement, nous avons beaucoup plus de retours de courriels, soudainement, et cela facilite grandement notre travail et accélère, bien entendu, les dossiers.
Le problème n'est pas nécessairement lorsque nous nous rencontrons. Les gens sont relativement capables de se parler. Il n'y a pas d'animosité particulière, sauf entre certains individus en particulier. Je songe aussi à un district, dans lequel il existait un problème particulier, lié à certaines attitudes. Mais en général, ça va relativement bien.
Ce qui est difficile, ce sont les lacunes en ce qui concerne les retours d'appels et de courriels, qui font que nous sommes obligés d'attendre à la veille du pro forma pour avoir une réponse.
Le sénateur Dagenais : D'accord. Merci beaucoup, messieurs.
La sénatrice Jaffer : Merci de vos présentations; c'est vraiment intéressant pour moi.
[Traduction]
Ce que nous avons entendu dans l'ensemble du pays, c'est que les avocats de la défense en sont en grande partie responsables. Je ne vous demande pas de répondre à cela.
Quels sont les trois aspects que nous pourrions retenir de vos témoignages d'aujourd'hui et recommander dans notre rapport pour aider à réduire les délais? J'ai ici une recommandation selon laquelle une meilleure communication entre... Je ne sais même pas si je devrais considérer cela comme une recommandation. Il serait toutefois formidable que nous puissions inclure dans notre rapport trois éléments, du point de vue des avocats de la défense, qui pourraient aider à réduire les délais.
M. Knerr : Je pourrais commencer par présenter une recommandation. J'en ai discuté avec mon collègue avant de venir témoigner au comité.
Au Québec, la gestion de l'instance a eu des effets très positifs. J'en fais mention parce que le juge responsable de la gestion de l'instance est chargé d'établir ce que nous appelons un échéancier, ce qui signifie essentiellement que les aspects X, Y et Z d'un dossier doivent être réglés avant une certaine date.
Dans la pratique, je traite d'un grand nombre de causes relativement importantes. Nous traitons beaucoup de dossiers liés à des crimes économiques, mais nous progressons réellement lorsque nous passons à l'étape de la conférence de gestion de l'instance. Personnellement — et je sais que la question a été discutée sur une autre tribune dans le passé —, je tenais à proposer la nomination d'un juge responsable de la gestion de l'instance dès le début d'un procès ou le plus tôt possible, car cela oblige les parties à faire le nécessaire pour faire progresser le dossier et passer à l'étape du procès le plus rapidement possible, le cas échéant.
C'est une de mes suggestions. Je suis certain que mon collègue en a d'autres.
[Français]
M. Rondeau-Poissant : Pour reprendre ce qui a été suggéré précédemment, la facilitation judiciaire serait le deuxième élément. Il y a déjà au Québec un système de facilitation judiciaire pour le règlement du dossier. C'est-à-dire qu'à partir du moment où l'accusé est prêt à discuter d'un règlement et que le procureur de la Couronne est généralement prêt également, nous pouvons rencontrer un juge et débattre des faits. Le juge va alors faire des suggestions et aider les parties à en venir à une solution. C'est un système efficace.
Je pense qu'il devrait y avoir également de la facilitation, surtout dans les gros dossiers, au niveau des requêtes elles- mêmes, mais non pas sur le fond du dossier, non pas sur la question à savoir si oui ou non l'accusé va plaider coupable et quelle sentence il recevra. Par exemple, nous avons une requête en divulgation de preuve ou une requête de type O'Connor. Les requêtes de type O'Connor sont des requêtes qui sont très longues à débattre, parce que ce sont des documents émanant de tiers. Il faut que le juge filtre l'ensemble des documents. Ce sont des requêtes qui peuvent prendre des semaines à débattre.
Si la facilitation était accessible pour ce genre de requêtes, cela permettrait certainement à tous les intervenants de donner leur opinion, le juge pourrait trancher informellement et dire qu'il est d'avis que tel ou tel document devrait être remis, et que d'autres ne devraient pas l'être. Cela permettrait d'avancer beaucoup plus rapidement qu'au moyen d'un autre type de requêtes, soit des requêtes en entiercement qui sont un peu du même genre, où le secret professionnel est soulevé dans certains documents. Ce type de requêtes pourraient très bien passer par de la facilitation plutôt que par des débats judiciaires qui sont longs, à huis clos et qui n'amènent rien de plus.
Donc, le troisième élément serait, comme nous le disions précédemment, de faciliter les communications, peut-être par des directives du DPCP. Il n'y a pas uniquement les procureurs de la Couronne qui ne répondent pas à leurs courriels. Je suis certain que s'il y avait un procureur de la Couronne ici, il vous dirait qu'il y a des avocats de la défense qui ne le font pas non plus. Il ne s'agit pas de leur jeter la pierre
Mais selon le Code de déontologie, nous avons l'obligation de répondre aux appels et aux lettres. Il semble que ce ne soit pas tout à fait compris par tous les membres au sein du système pénal. Renforcer cet élément aiderait certainement à réduire les délais.
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, messieurs. Je pense que la discussion que nous avons est très intéressante, et là où je suis convaincu, c'est qu'il va falloir faire preuve d'une très grande transparence dans la recherche de solutions.
Lorsqu'il est dit que les peines minimales sont l'une des causes des retards, je regarde les statistiques, et les années où il y a eu le plus de lois qui ont été adoptées en ce qui a trait aux peines minimales, c'est la période de 2010-2015. Si on la compare aux années précédentes, ou du moins aux cinq années précédentes, il s'agit d'une augmentation de 25 p. 100. Si nous regardons les 10 années antérieures, il s'agit d'une augmentation de 300 p. 100.
Donc, à mon avis, il n'y a aucun lien entre les peines minimales et les délais, car l'augmentation a été plus importante lors des périodes où aucune loi n'a été adoptée au sujet des peines minimales, par rapport aux années où on a adopté les sentences minimales.
L'autre élément que vous avez soulevé, c'est qu'il faut exonérer les avocats de la Couronne du problème des délais. Il y a quelques minutes, nous avons eu, pour une première fois, des statistiques qui émanent directement des gens qui étaient inculpés et qui révèlent que presque 50 p. 100 des gens ont avoué que leur avocat de la défense avait sciemment retardé les procédures pour favoriser soit un acquittement ou un désistement de la victime.
Alors, je me dis que oui, la Couronne doit faire un exercice fondamental sur son fonctionnement, le gouvernement doit faire un exercice fondamental sur les ressources qu'il y consacre, mais il va falloir aussi que les avocats de la défense fassent un examen de conscience par rapport au système et qu'ils admettent que chacun a sa part de responsabilité.
M. Rondeau-Poissant : Nous sommes probablement parmi les avocats de la défense les moins représentatifs du problème de retarder les dossiers. Ni moi ni Me Knerr ne faisons de volume. Parce qu'il y a deux traditions au niveau des avocats de la défense, et c'est l'une des grandes difficultés pour arriver à l'unité dans une association d'avocats de la défense.
Il y a les gens qui font des dossiers de plus longue durée. Il y a les avocats qui font plus le volume. Les deux sont essentiels. La participation de ces deux catégories d'avocats de la défense est essentielle au processus judiciaire, parce qu'il y a, en effet, les dossiers dont on entend beaucoup parler dans les médias, les gros projets, l'UPAC qui a été fort occupée dans les dernières années au Québec, et il y a également le quotidien.
Quant à savoir si les avocats de la défense retardent sciemment les dossiers, j'en doute. Il y a certains types de dossiers qui demandent du temps, je suis convaincu de cela. Les dossiers de violence conjugale sont souvent réglés au passage du temps. Est-ce que c'est pour faciliter ou pour avoir un meilleur résultat? Je ne le crois pas. Je pense que pour les gens, particulièrement dans les dossiers de violence conjugale, mais également dans les dossiers de chicanes de voisinage, le passage du temps apporte des bienfaits pour l'ensemble des accusés.
Par ailleurs, est-ce qu'il faut qu'il y ait une remise en question des avocats de la défense? Je peux vous dire qu'à notre association, nous parlons régulièrement de ces choses. On essaie d'amener nos membres vers de meilleures pratiques, et l'ensemble des intervenants du système fait la même chose. Je pense qu'effectivement tous les intervenants ont à se regarder dans les yeux et à se demander pourquoi il y a des délais. C'est ce que nous sommes en train de faire, c'est ce que la Couronne est en train de faire et, nécessairement, cela va mener à des changements dans le système.
Le sénateur Boisvenu : Mais les données que je viens de vous fournir viennent de gens qui étaient accusés eux-mêmes. Plus de 50 p. 100 ont avoué que leur avocat, de façon volontaire, retardait les procédures. Elles viennent des accusés eux-mêmes.
Alors, c'est pour cette raison que je dis que si nous voulons vraiment améliorer notre système de justice, tout le monde devra mettre l'épaule à la roue. Sans quoi, dans 10 ans, nous nous reverrons ici, nous constaterons le nombre de procès qui n'ont pas lieu à cause des délais, et l'évolution va simplement se poursuivre.
Le sénateur McIntyre : Je parle en connaissance de cause, parce que j'ai déjà été avocat de la défense.
Comme avocat de la défense, vous avez souvent à représenter des accusés qui font face à plusieurs chefs d'accusation, certains punissables par voie sommaire, d'autres par voie criminelle. Habituellement, une panoplie de chefs d'accusation pèse contre eux. L'accusé a été incarcéré, et le tout est suivi de plusieurs comparutions en cour, parfois devant un juge de juridiction provinciale, parfois de juridiction fédérale. Souvent, l'accusé doit sortir de prison, être placé dans une camionnette, être transporté en cour pour sa comparution, à moins qu'on procède par vidéo.
La détention provisoire de l'accusé en attente de son procès risque d'être plutôt longue, comme vous le savez. Alors, que pensez-vous de l'idée que le traitement d'un dossier soit confié à un seul juge, au lieu que l'accusé comparaisse devant plusieurs juges à différentes occasions?
M. Knerr : Puis-je vous demander simplement de préciser, quant à votre question, si vous parlez du même juge du début, à savoir de la comparution jusqu'au procès?
Le sénateur McIntyre : Oui, du début à la fin, au lieu de comparaître devant 10 ou 15 juges, ou même d'autres juges. Parce que nous parlons de délais judiciaires, ici. J'ai souvent représenté des accusés qui voulaient en finir avec cela, soit ils passaient au procès ou bien ils plaidaient coupables. En les faisant comparaître devant différents juges, cela entraînait nécessairement des délais judiciaires, et beaucoup de stress aussi pour l'accusé et les victimes.
M. Knerr : Je suis d'accord avec ce que vous dites en ce qui concerne le stress qui est vécu par l'accusé et par la victime, surtout lorsque l'accusé est détenu.
Cela étant dit, c'est une idée intéressante de suggérer que le même juge suive le dossier.
Le sénateur McIntyre : Avec consentement, naturellement, le consentement de l'accusé et tout cela.
M. Knerr : Évidemment. Cela étant dit, je ne sais pas si nos ressources sont suffisantes pour que nous puissions le faire. Je ne pense pas.
Je crois qu'un des problèmes importants de notre système en ce moment, c'est le manque de ressources dans le nombre de juges qui sont nommés et le nombre de salles d'audience qui existent.
Le sénateur McIntyre : Mais si vous aviez à faire un tel choix, est-ce que vous le feriez?
M. Knerr : Je ne vois pas d'inconvénient, d'emblée, avec cette façon de procéder. La réalité, à Montréal, c'est que dans le cas d'un dossier dont un juge est gestionnaire, ce dernier va suivre le dossier, en règle générale, jusqu'à ce que nous fixions une date de procès devant un autre juge. Je ne crois pas que cette façon de faire soit génératrice de retards d'aucune façon. Est-ce qu'elle peut être utile? Je ne suis pas exactement en mesure de répondre à votre question en termes de limiter les retards, justement parce que la réalité est que nous n'avons pas les ressources pour le faire, selon moi.
Le sénateur McIntyre : Mais, moi, je pense que les ressources seraient là, parce que, souvent, les accusés, et j'en ai représenté plusieurs, veulent en finir avec tout cela. Ils ont tellement hâte soit de plaider coupables ou d'aller au procès.
M. Rondeau-Poissant : Si je peux me permettre un commentaire, rapidement, sur cette question, moi, je ne vois qu'un seul inconvénient dans la méthode où un juge suivrait un dossier du début à la fin.
L'avantage d'avoir un juge gestionnaire qui est différent du juge du procès, c'est que cela permet une plus grande ouverture au niveau des représentations qui sont faites de part et d'autre, parce que l'on peut révéler des éléments qui ne seraient pas révélés au procès, qui ne seront pas révélés au juge du procès. Nous pouvons les révéler au juge d'instance qui, lui, pourra prendre les décisions appropriées. Le juge du procès n'est pas mis au fait de ces informations, parce qu'elles ne sont pas utiles au stade du procès et qu'elles ne seront pas admissibles en preuve.
Par exemple, le juge d'instance peut très bien être mis au fait de discussions entre la Couronne et la défense, de suggestions de sentence ou de sentence potentielle. Cela pourrait teinter l'opinion d'un juge de procès s'il devait entendre pendant des mois les procureurs débattre d'une sentence potentielle et, ensuite, décider de la culpabilité ou non de l'accusé. Alors, je pense que le fait de distinguer le juge gestionnaire qui suit le dossier du juge qui tiendra le procès est un meilleur système, surtout pour sauvegarder les droits constitutionnels et pour avoir un procès juste et équitable.
M. Knerr : J'adhère entièrement à ce que mon collègue vient de dire.
Le sénateur Joyal : J'aurais deux questions. La première, pour faire suite à ce que vous venez de mentionner, a trait au manque de salles et au manque de juges. Je suis étonné que, dans le rapport de la ministre de la Justice et de la Table Justice-Québec, dont vous êtes signataire vous-même, cette question ne soit pas abordée. Il me semble que, si c'est un élément aussi fondamental pour l'efficacité du système et la réduction des délais, cela aurait dû normalement faire partie des recommandations. Pourquoi ne retrouve-t-on pas une telle recommandation dans le rapport?
M. Knerr : Je vais répondre à cette question en deux volets.
La première, c'est que, personnellement, je n'ai pas siégé à la Table Justice-Québec. C'est notre présidente, Danièle Roy, qui l'a fait. Il y a des raisons, que je ne peux expliquer, qui justifieraient pourquoi ce n'est pas mentionné dans le plan d'action de la Table Justice-Québec.
Cela étant dit, sur le plan personnel, dans le cadre d'une conversation que j'ai eue avec un des juges coordonnateurs adjoints de la Cour du Québec, j'ai appris que, présentement, la Cour du Québec opère avec moins de cinq juges qu'à l'habitude, donc en deçà de la norme du nombre de juges normalement attribués à un district. Alors, c'est un problème qui est criant, selon moi.
La deuxième chose, c'est que ce juge, qui s'occupe de la gestion des salles et de la gestion des assignations des juges, nous dit qu'il n'y a tout simplement pas assez de salles. Il pourrait aller chercher des juges suppléants, qui pourraient venir remplacer de temps en temps ou ponctuellement dans certains dossiers, mais il n'y a pas assez de salles pour le faire. C'est, selon moi, un problème patent de notre système.
Je conviens avec vous que ce n'est pas indiqué dans le plan d'action de la Table Justice-Québec, mais sur le plan personnel, je peux vous dire que c'est un problème important que j'ai constaté.
Le sénateur Joyal : Maître Rondeau-Poissant, vous avez insisté énormément sur le rôle du juge gestionnaire, sur les éléments essentiels de son rôle de facilitateur des communications, ainsi de suite. Ne croyez-vous pas, comme nous l'avons entendu plus tôt, qu'il y a lieu de procéder à une réforme du Code de procédure pénale, un peu comme dans le cas du Code de procédure civile au Québec, qui a encadré la médiation, le cheminement de la procédure, de telle manière que, finalement, le procès soit la dernière option, parce qu'elle est la plus coûteuse, la plus longue, et cetera?
Est-ce qu'il n'y aurait pas une façon d'encadrer les pouvoirs du juge à l'égard du déroulement du procès et des étapes préliminaires, qui permettrait presque de forcer les avocats à se situer dans ce couloir, comme ils seront très bientôt obligés de s'y situer à compter du 1er janvier 2017 en procédure civile?
M. Rondeau-Poissant : Il y a eu au cours des années des arrêts de la Cour suprême, surtout un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario, l'arrêt Felderhof, qui est venu donner du pouvoir au juge gestionnaire, pour expliquer quels étaient les pouvoirs des juges dans la gestion d'instance.
De plus en plus, les juges sont interventionnistes. Je ne sais pas s'il est nécessaire de le codifier, parce que je pense que les réalités ne sont pas les mêmes nécessairement à travers le Canada. Une codification amène une standardisation pancanadienne, qui pourrait convenir à certains endroits et ne pas convenir à d'autres. Les règles de pratique sont là pour pallier, en partie.
La Cour suprême a déjà établi les pouvoirs de gestionnaire d'instance et a rappelé, dans l'arrêt SharQc, l'arrêt Auclair, que le juge d'instance avait d'énormes pouvoirs de gestion, qui sont peu ou pas assez souvent utilisés. Mais le juge Brunton, dans l'arrêt SharQc, a utilisé ce pouvoir de gestion. C'est un cas, d'ailleurs, où c'est le même juge qui a siégé de l'enquête de caution jusqu'à l'arrêt des procédures. Il devait être le juge du procès, et cela a permis une gestion peut-être plus serrée. Il est sûr que c'est un procès exceptionnel, avec 157 accusés dans une même dénonciation. Cela dit, je pense que les pouvoirs existent déjà.
Maintenant, est-ce que nous avons besoin d'une loi pour dire aux juges qu'ils doivent exercer les pouvoirs qui leur ont déjà été reconnus? Je ne le pense pas. Je vous dis qu'au jour le jour, nous le voyons. La réalité, c'est qu'ils utilisent beaucoup plus de pouvoirs de gestion aujourd'hui qu'il y a cinq ans, et aujourd'hui qu'il y a six mois.
Je ne pense pas que la réforme du Code de procédure soit nécessaire, car nous avons déjà la Loi sur la preuve et nous avons déjà des règles de pratique. Je pense que nous sommes suffisamment encadrés, suffisamment normés. Maintenant, il faut que les juges utilisent les pouvoirs qui sont à leur disposition.
Le sénateur Joyal : Mais qui, alors, peut les amener à les utiliser?
[Traduction]
Le président : Je suis désolé, mais nous devons poursuivre.
La dernière question revient au sénateur Carignan.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai deux questions, et la première porte sur la disparité entre les districts judiciaires.
Dans le système de soins de santé, si nous allons au Centre hospitalier de Saint-Eustache, comparativement à celui de la Côte-Nord, nous allons passer plus rapidement sur la Côte-Nord qu'à Saint-Eustache, parce qu'il n'y aura pas de temps d'attente.
Est-ce que les avocats de la défense ont constaté également une disparité des délais entre les différents districts judiciaires? Le cas échéant, à quoi l'ont-ils attribuée?
M. Rondeau-Poissant : Il y a clairement des disparités importantes entre les districts judiciaires. Il y a plusieurs éléments qui peuvent les expliquer. Il faudrait examiner la question district par district pour déterminer ce qui est le cas. Il y a des districts qui ont beaucoup moins de dossiers à traiter. Si nous prenons, par exemple, le district de Saint-Jean- sur-Richelieu, c'est un district où il y a très peu de volume, peu de procureurs de la Couronne, un seul juge, et cela va très vite.
Bien entendu, Montréal a beaucoup plus de volume, beaucoup plus de juges, et c'est nettement plus embourbé. Or, il y a de tout, il y a des petits districts aussi où c'est problématique.
Je ne pense pas que nous puissions faire des généralités; cependant, il y a clairement des disparités entre les districts. Il y a certaines disparités dans la façon de fonctionner du DPCP, mais il très difficile de dire exactement ce qui cause de telles disparités.
Ce que nous remarquons, par exemple, c'est que les districts dont les centres de détention sont à proximité des palais de justice ont tendance à mieux rouler, parce que les détenus arrivent à l'heure. C'est un élément dont nous parlons très peu, mais le retard des détenus est un élément majeur de retard. Commencer un procès à 10 h parce que les détenus ne sont pas arrivés, ce n'est pas hors du commun, que ce soit à Montréal ou ailleurs. Donc, la proximité des centres de détention est facilitante.
Je participais à une demande de transfert, il n'y a pas longtemps, pour accompagner un détenu à Longueuil. Cela peut prendre jusqu'à 1 h 10, le matin, car ils sont coincés dans la circulation et qu'il n'y a pas beaucoup de routes de rechange. S'il y a des bouchons de circulation, ils sont obligés de passer par la même route. Cela entraîne nécessairement des retards importants. Ce que nous appelons le « rôle de 11 heures », qui est le rôle des détenus, commence rarement avant midi, 12 h 30, dans le district de Longueuil.
C'est un élément dont il faut tenir compte. Donc, dans les districts où le centre de détention est tout près — je pense à Amos, où le centre de détention est joint au palais de justice par un tunnel, un peu comme à Gouin —, les délais sont certainement plus courts, et c'est quelque chose qui pourrait être étudié.
Le sénateur Carignan : Je suis membre du Barreau et, par hasard, j'ai reçu depuis quelques minutes un avis du directeur des poursuites criminelles et pénales, qui dit ceci :
Négociation de plaidoyer et gestion d'instance avant la première étape pro forma.
Chers collègues, veuillez noter que, dans la foulée de l'arrêt Jordan, le directeur des poursuites criminelles et pénales a résolu de procéder à l'établissement de nouvelles pratiques, dans l'optique de favoriser la réduction des délais de traitement de certains dossiers d'infraction criminelle.
Avant la communication de la preuve ou à une étape ultérieure pour les dossiers déjà actifs, il est possible que vous receviez un document intitulé Position de la poursuite sur la peine dans le cadre d'une résolution rapide. Ce document établit, dans le cadre d'une négociation de plaidoyer de culpabilité rapide, la peine proposée par le poursuivant, laquelle deviendra caduque si le dossier n'est pas réglé dans les 120 jours de la communication.
Suite à la comparution et à la divulgation de la preuve remise à l'accusé ou à son représentant, toute négociation entre les parties devra dorénavant se tenir impérativement avant la prochaine étape du pro forma.
Pour vous, cela va-t-il améliorer le système? Est-ce qu'une telle pratique peut améliorer les délais?
M. Knerr : J'ai plutôt des commentaires à faire à cet effet.
Le premier commentaire, c'est que c'est un système qui est similaire à ce qui existe, à ma compréhension, à Vancouver ou en Colombie-Britannique.
Cependant, il faudra voir la qualité de cette offre. Offrir à un accusé quelque chose qu'il peut obtenir après procès, en termes de sentence, n'est pas une négociation de plaidoyer. Il ne sert absolument à rien de plaider coupable dans de telles circonstances.
La deuxième chose, c'est qu'il faudra voir aussi à quel point les procureurs seront flexibles après coup. Si nous faisons une offre au début du dossier, nous n'avons pas les circonstances atténuantes qui sont inhérentes à un accusé. Je me mets à la place du procureur, et il sera très difficile de formuler une offre sensée dans les circonstances inhérentes à cet accusé.
M. Rondeau-Poissant : Le système a été mis à l'essai dans les districts de Québec et de Hull. Cela fait environ six mois que des programmes pilotes sont en place. L'Association des avocats de la défense de Québec (AADQ) a déjà formulé des recommandations dans le cadre du programme pilote. Ce sont probablement les gens les plus à même de vous répondre à ce sujet, parce qu'ils l'ont vécu.
Je sais, entre autres, qu'un des problèmes exprimés, c'était l'absence de répondant. Donc, comme il n'y a pas d'intégration verticale du dossier, c'est horizontal, et n'importe quel procureur peut théoriquement négocier le dossier. Ils reçoivent une offre, et ils n'ont personne avec qui négocier. Donc, cela ne nous mène pas très loin. Ensuite, ils attendent le prochain pro forma, puis ils rencontrent le procureur qui est là.
Je ne pense pas que ce soit un mauvais système. Cela peut poser certains problèmes, mais il doit y avoir un interlocuteur. Pour ce faire, il faut un interlocuteur qui est bien au fait du dossier. Également, il faut que les 120 jours commencent le jour où la divulgation de la preuve est complétée, parce que si ça prend 110 jours pour avoir la preuve, il nous reste 10 jours pour négocier, ce qui n'est pas très long.
Alors, c'est un survol rapide, mais si l'AADQ est invitée à comparaître devant votre comité, elle sera probablement plus apte à vous répondre.
Le sénateur Carignan : Le directeur des poursuites criminelles et pénales pourrait aussi venir témoigner. Je pense qu'il faudra faire le nécessaire pour lui faire entendre raison.
Le sénateur Joyal : Il était partie au rapport de la table de concertation, la Table Justice-Québec.
[Traduction]
Le président : Messieurs, merci beaucoup de votre temps, de vos témoignages et de l'aide que vous nous avez apportée dans notre étude sur cet enjeu très important. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Chers collègues, c'est là-dessus que se terminent notre réunion et notre semaine de travail.
(La séance est levée.)