Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 15 - Témoignages du 2 novembre 2016
OTTAWA, le mercredi 2 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour poursuivre son étude des questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et étudier le rôle du gouvernement du Canada et du Parlement dans la réduction de ces délais.
Le sénateur Bob Runciman (président) est dans le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues et chers invités, bonjour. Soyez les bienvenus.
Chers collègues, plus tôt, cette année, le Sénat a autorisé le comité à entreprendre une étude sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et le rôle du gouvernement du Canada et du Parlement dans la réduction de ces délais et à faire rapport sur la question. La réunion d'aujourd'hui est la vingt-huitième consacrée à cette étude.
Au cours de la première heure, nous avons le plaisir d'accueillir les auteurs de deux rapports récents de l'Institut Macdonald-Laurier. Il s'agit d'abord de Scott Newark, consultant en politiques publiques chez DSN Consulting. Il est l'auteur du rapport Justice on Trial : Inefficiencies and ineffectiveness of the Canadian criminal justice system.
Par vidéoconférence, nous accueillons aussi, depuis la Nouvelle-Zélande, M. Rick Audas, qui est professeur agrégé en statistique et en économie de la santé à l'Université Memorial. Il est le coauteur du rapport intitulé Report Card on the Criminal Justice System : Evaluating Canada's Justice Deficit.
Merci, messieurs, d'être avec nous.
Monsieur Audas, d'après ce que j'ai compris, le sort vous a désigné et vous ferez la première déclaration préliminaire. Vous avez la parole.
Rick Audas, professeur agrégé, statistique et 'économie de la santé, Université Memorial, à titre personnel : Je veux d'abord vous remercier de votre invitation à témoigner devant votre comité, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. C'est pour moi un véritable honneur et privilège. Je vous en suis très reconnaissant.
Aujourd'hui, je veux parler de travaux que j'ai réalisés avec Benjamin Perrin, à l'Université de la Colombie- Britannique, travaux qui, comme vous le savez, ont été parrainés par l'Institut Macdonald-Laurier.
Notre tâche a consisté à examiner l'efficacité de chaque province. Nous l'avons entreprise en dressant une liste assez longue des sujets que nous étions désireux d'étudier et de sujets qui, dans nos séances de remue-méninges, évoquaient d'autres sujets qui devaient figurer dans le rapport et les sujets qui présentaient de l'importance pour les Canadiens. En effet, en fin de compte, tout rapport d'évaluation devrait refléter les valeurs et les priorités des Canadiens.
Malheureusement, nous avons été quelque peu déçus des données disponibles et des méthodes qui avaient servi à les rassembler et à les utiliser. Je m'étendrai un peu plus sur ce sujet dans quelques instants.
Une évidence : partout au Canada, on manque de données fiables de comparaison. C'est ce qui fait que la durée acceptable pour traiter une demande n'est pas évidente ni la durée acceptable pour classer une affaire criminelle ou une affaire civile. Je pense que nous comprenons tous que nous souhaitons que ces dossiers se règlent rapidement; mais, il n'existe tout simplement pas de points de comparaison pour mesurer l'efficacité des tribunaux, et c'est une lacune importante.
Le président : Monsieur Audas, je suis désolé de vous interrompre. Je me demande si vous pouvez ralentir un peu votre débit. Nos interprètes éprouvent des difficultés.
M. Audas : Très volontiers.
En fin de compte, notre travail était comparatif. Nous avons comparé chaque province à une moyenne nationale et non à des normes convenues de rendement. Nous avons estimé que c'était la marche à suivre, vu l'absence de point établi de comparaison dans les publications ou la pratique.
Nos données sont provenues principalement du Système canadien d'information socioéconomique, le portail de Statistique Canada pour accéder aux données des vastes collections de ce ministère. Nous avons cherché les données disponibles, mais, en fin de compte, nous avons convenu d'une trentaine d'indicateurs à ranger dans cinq grands domaines. Dans la plupart des cas, nous nous sommes fiés aux données rassemblées aux trois dates les plus récentes, c'est-à-dire soit 2013-2014 et 2015 ou 2012-2013, bien que, parfois, il nous ait fallu remonter jusqu'en 2008 ou 2009.
Nous avons rangé nos constatations dans cinq grands domaines. Le premier était la sécurité publique, qui mesure différents taux de criminalité, le taux de classement des affaires, le nombre d'individus illégalement en liberté, le nombre de ceux qui ont fait défaut de comparaître, le nombre de manquements aux conditions de la probation et les perceptions de la sécurité dans le public.
Le deuxième domaine était l'appui aux victimes et l'accessibilité de la police, l'information des victimes et des citoyens, le nombre d'ordonnances de dédommagement rendues et le nombre de victimes dirigées vers des services pour elles.
Le troisième domaine était les coûts et les ressources : coûts pour la sécurité publique, coûts de l'incarcération et effectifs policiers dans chaque province. Chaque fois encore, nous avons présenté et analysé les données province par province.
Le quatrième domaine était l'équité et l'accès, et il s'agit de l'équité de la police, des dépenses d'aide juridique, de la proportion d'Autochtones chez les incarcérés et de deux ou trois autres mesures.
Le dernier domaine était constitué par l'efficacité : réaction rapide de la police, accusations suspendues ou retirées, durée moyenne des affaires judiciaires et nombre d'accusés en détention provisoire. Nous avons pensé qu'il était raisonnable de ranger les données dans divers domaines que nous pourrions produire dans une sorte de rapport d'évaluation.
Qu'avons-nous fait des données? Pour les rendre comparables, nous avons dû les transformer en taux dans de nombreux cas et nous avons établi la moyenne dans le temps pour élaguer les données aberrantes. Nous avons fait la moyenne pour chaque mesure et calculé le degré de performance de chaque province par rapport à la moyenne. Encore une fois, nous avons comparé les données à une moyenne, comme je l'ai dit, et non à des points de comparaison établis.
La moyenne des résultats dans les cinq domaines nous a procuré un pointage par domaine, tandis que la moyenne du pointage de chaque domaine nous a donné un pointage global et le rang de chaque province.
Que nous révèlent les données? Les écarts entre provinces et territoires étaient sensibles; c'était vraiment remarquable. Le Canada est immense, je comprends, et nous croyons généralement que, d'un endroit à l'autre, les services sont comparables. Mais les statistiques les montrent très différents. Une forte tendance dans le sens est-ouest se dégage, trois provinces de l'Atlantique, Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et Nouveau-Brunswick, occupant les trois premiers rangs, le Québec suivant au quatrième, puis la Nouvelle-Écosse.
Le très haut taux de criminalité dans l'Ouest, particulièrement dans les territoires, nous a sauté aux yeux et, à partir de là, les difficultés qu'en éprouve le système de justice dans ces provinces et territoires.
Nous constatons des écarts importants dans le traitement des causes criminelles, notamment dans le taux de classement des affaires, la durée des affaires judiciaires et la proportion d'accusations suspendues ou retirées. Les différences entre les provinces et les territoires sont frappantes.
Encore une fois, les lacunes dans les données sont étonnantes. Par exemple, les renseignements que nous possédons sur les tribunaux civils sont si minces ou lacunaires qu'ils étaient inutilisables. Bien sûr, ces tribunaux, qui permettent le règlement des différends, sont extrêmement importants au Canada, et notre incapacité de juger de cette réalité en dit beaucoup sur notre incapacité d'évaluer la rapidité de la résolution des différends.
Nous en savons très peu sur la récidive et le récidivisme. Encore une fois, ces deux phénomènes sont importants pour les Canadiens, et nous croyons que le système de justice doit faire mieux à ce sujet, mais les données ne permettent presque pas de formuler de conclusion sur eux.
Nous sommes très peu informés sur la victimisation. Encore une fois, pour nous il est évident que nous devons comprendre ce qui arrive aux victimes de la criminalité et comment nous essayons de conjurer leurs malheurs.
De plus, nous sommes à peu près ignorants de la pratique de se représenter soi-même en justice et des autres moyens de règlement des différends. Encore une fois, l'une des tendances qui commencent à se dessiner dans les publications est le nombre accru de personnes qui se représentent elles-mêmes, en grande partie à cause des coûts. L'aide juridique, comme nous le savons, n'est vraiment accessible qu'aux très pauvres. Pourtant, les coûts juridiques et les honoraires des avocats augmentent et ils deviennent de plus en plus complexes. Il est difficile aux citoyens de se trouver un avocat, et beaucoup d'anecdotes circulent sur diverses causes abandonnées faute d'argent. Encore une fois, le manque d'équité du système nous inquiète particulièrement. Ça ralentit certainement le cours de la justice. L'affaire prend plus de temps à se régler pour le citoyen qui se représente lui-même, que pour celui qui peut compter sur les conseils d'un professionnel.
Le président : Je suis désolé de vous interrompre encore. En avez-vous pour longtemps? Nous voulons du temps pour les questions. Pourriez-vous conclure, s'il vous plaît?
M. Audas : Absolument. Nous pourrons réaffirmer qu'il existe beaucoup d'indicateurs de bon rendement. J'aime notamment insister sur le fait que d'autres professions et institutions, particulièrement les établissements de santé et d'instruction, se sont inspirées de données sur le rendement. Encore une fois, les thèmes généraux et les plus importants visent à employer ces renseignements pour mieux guider et gérer les modalités de la prestation des services au Canada.
Pour conclure, nous croyons que le système de justice est un des piliers de la société canadienne. Pour jouer son rôle, il doit être efficace, compétent et juste. Il importe de réagir à ce que les données disent. Il faut surveiller étroitement les délais, les lacunes et les manques d'équité et y réagir rapidement. Enfin, les acteurs du système ont besoin d'accéder à des données actualisées et ils devraient répondre de leur rendement quand ils cessent de satisfaire aux normes convenues. Merci.
Scott Newark, consultant en politiques publiques, DSN Consulting : Je remercie le comité de m'avoir invité. J'ai suivi autant que j'ai pu vos séances. La liste de vos témoins que j'ai consultée hier soir m'a extrêmement impressionné. Votre travail sert de tremplin à quelques-uns de ces problèmes complexes, compte tenu, particulièrement, de la nature de notre système de justice à l'intérieur d'un édifice à plusieurs niveaux de gouvernement.
Il y a quelques semaines, j'ai été encouragé de voir que, aux réunions des ministres de la Justice fédéral, provinciaux et territoriaux, on avait ajouté le sujet que vous étudiez maintenant à la liste des sujets qu'ils voulaient ajouter eux- mêmes. Je l'avais recommandé comme moyen de s'attaquer à certains de ces problèmes intergouvernementaux.
Permettez-moi de m'expliquer sur mon rapport. Il y a peut-être cinq ans, un ami à moi, anciennement de la GRC, m'a demandé si j'étais disposé à rencontrer les représentants d'un nouvel institut en gestation, ce que j'ai fait. Ils m'ont demandé quel était pour moi le sujet parmi les plus importants sur lequel l'institut pouvait produire un rapport. J'ai répondu l'analyse des statistiques sur la criminalité, qui sont une mine de précieux renseignements.
Il y a absolument des points à améliorer, mais j'ai commencé à m'atteler à ce travail alors que j'étais cadre supérieur de l'Association canadienne des policiers, dans les années 1990, l'examen des données et, notamment, celles sur les récidivistes. C'est ainsi que je suis entré dans le monde de la politique stratégique, en ma qualité de procureur de la Couronne en Alberta.
On venait me consulter quand se présentait une difficulté à résoudre. Nous avancions des solutions et, souvent, à la fin des procédures et dans des affaires très médiatisées mettant en cause des récidivistes, il devenait évident pour moi qu'il ne s'agissait pas de modifier légèrement tel article ou invoquer telle disposition : c'est les lois qu'il fallait changer.
C'est la démarche que j'ai essayé de suivre depuis, dans mes différents rôles visant à cerner au plus près la nature du problème. Puis à me demander, si c'était bien le problème, pourquoi c'en était un? Ça exige une partie de l'analyse que votre comité a faite. Ensuite, si nous sommes parvenus à réduire le problème de manière à mieux comprendre pourquoi c'en est un, il faut trouver des éléments de solution.
Des points de vue différents suscitent des points de vue différents sur les solutions, mais, si au moins les choses se passent ainsi, on profite d'un excellent avantage, dès le départ, pour la résolution des problèmes. Voilà pourquoi j'ai été particulièrement impressionné par le travail de votre comité.
Je me propose de vous donner pour le moment un aperçu très général, dans l'espoir que, pendant la période des questions, nous pourrons entrer dans les détails.
Le rapport que j'ai rédigé pour l'Institut Macdonald-Laurier a procuré une analyse initiale des données sur des questions précises, et certaines de ces données souffraient de problèmes identiques à ceux que le témoin précédent a éprouvés. L'idée était qu'après avoir déterminé la nature des données et ce qu'elles disaient sur l'efficience ou le manque d'efficacité du système, deux notions différentes d'après moi, il fallait se demander qui étaient les acteurs dans notre système de justice, quelle était la nature des affaires dont s'occupe le système de justice? Quand nous aurons des éléments de réponse, nous pourrons savoir si nous avons des solutions.
Je l'admets, je me suis beaucoup intéressé aux récidivistes. Je ne crois pas que nous ayons fait du très bon travail, ces 15 dernières années, à l'égard des récidivistes, parce que, l'une des réalités de notre système de justice, c'est la proportion exagérée de crimes commis par si peu de contrevenants. Quand, sur les plans opérationnel ou stratégique, on cible ces récidivistes, on peut obtenir des résultats très significatifs pour la sécurité publique.
D'un autre point de vue, s'occuper des récidivistes, c'est franchement de la prévention de la criminalité. Empêcher ces multirécidivistes d'agir, c'est de la prévention. Ce n'est pas le rôle exclusif de la prévention, bien sûr. Je sais que vous avez eu de bonnes discussions sur les autres mesures et la déjudiciarisation et j'ai lu certains des documents produits et des questions posées par le sénateur White, mais, effectivement, nous distinguons bien les différents contrevenants dans le système, pour ne pas appliquer la solution uniforme, identique pour tous que nous réservons aux récidivistes.
Ensuite, ayant déterminé de qui il s'agit et le profil des affaires dans le système, comment le système s'en occupe-t-il?
C'est un fait que, depuis l'adoption de la Charte des droits et libertés, notre système s'est préoccupé davantage du processus. Il ne s'agit plus de savoir si les éléments de preuve conviennent mais, plutôt, s'ils sont admissibles. Il faut comprendre que notre système de justice a été conçu bien avant l'adoption de la Charte, et c'est l'un de ses principaux points forts, au grand étonnement de mes amis conservateurs. Je pense que le génie de notre système de justice réside dans sa capacité de sévir contre ce contrevenant, contre son infraction et il le doit intrinsèquement en grande partie au pouvoir discrétionnaire des agents du système. Ce n'est pas seulement les juges. C'est aussi les policiers, les avocats de la poursuite, les juges et même, après la condamnation, les agents correctionnels. Il faut aussi que le système fonctionne de cette façon et qu'il profite de ce pouvoir discrétionnaire. Je sais que des témoins vous ont parlé d'une culture d'aversion au risque dans le système de justice, qui pose un problème très difficile.
J'ai formulé certaines recommandations, et je peux vous en parler, si cela vous intéresse. Elles portent surtout sur le manque d'efficacité des programmes correctionnels. Ne serait-il pas utile de savoir quels programmes permettent de diminuer le taux de récidive?
L'ancien gouvernement a aboli le programme des prisons agricoles au motif que les détenus n'allaient pas devenir des agriculteurs. On ne s'attendait pas non plus à ce que ce soit le cas. Ces exploitations agricoles leur permettaient d'acquérir les compétences et les comportements nécessaires à leur réadaptation.
Par ailleurs, lorsqu'on a besoin de fonds, il faut toujours penser aux montants provenant des contraventions impayées et de la confiscation des cautions. Je suis tombé là-dessus par hasard, il y a quelques années, alors que je travaillais pour l'Association canadienne des policiers et que je témoignais dans le cadre d'une étude d'un projet de loi visant à modifier la façon dont on recouvrait les amendes impayées.
Malheureusement, j'avais prédit qu'on se retrouverait avec un grand nombre d'amendes impayées. Lorsque je travaillais pour le gouvernement de l'Ontario, nous avions proposé des amendements en vue d'accroître les services aux victimes, et je savais que cela allait coûter de l'argent. J'ai constaté qu'au gouvernement, lorsqu'on propose une mesure quelconque, si on peut trouver une source d'argent, sans réclamer de nouveaux fonds, on a toujours plus de chance de faire avancer les choses.
Nous avons découvert qu'il y avait environ 490 millions de dollars d'amendes non perçues, dont peut-être 50 millions de dollars se rapportaient à la confiscation des cautions. Lorsqu'un individu enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution, il doit s'adresser à la Cour supérieure afin d'obtenir une ordonnance qui l'exige à acquitter un montant donné. On ne se donne tout simplement pas la peine de le recueillir.
L'Ontario Association of Police Services Boards a mené une étude en 2011, et elle a découvert que la province de l'Ontario avait, à elle seule, 1 milliard de dollars d'amendes non perçues.
Le président : Monsieur Newark, je vais vous demander de conclure.
M. Newark : Il y a certains éléments pratiques qui peuvent découler du travail du comité, et j'espère que ce que je vous ai dit aujourd'hui vous aidera dans le cadre de vos travaux, parce que selon moi, éternel optimiste que je suis, c'est non seulement nécessaire, mais aussi réalisable. Je vous remercie.
Le sénateur Baker : Je vous remercie pour votre travail, messieurs Audas et Newark, de même que pour les rapports que vous avez rédigés.
Avant de vous poser ma principale question, étant donné que vous êtes un ancien procureur de la Couronne, monsieur Newark, je ne sais pas si vous avez quelque chose à dire sur les deux sujets à l'étude, c'est-à-dire le recours à des protonotaires pour régler de nombreuses questions qui accaparent le juge de première instance avant le procès et qui permettrait de le libérer de certaines responsabilités, puis l'obligation de la Couronne de divulguer avant le procès tous les éléments de preuve utilisés au procès, et le fait que l'admission des nouveaux éléments de preuve se ferait de la même manière que devant les tribunaux d'appel. Autrement dit, on doit démontrer qu'on a fait preuve d'une diligence raisonnable et que ces éléments n'étaient pas disponibles au moment où le procès a eu lieu.
Ma principale question se rapporte à votre étude. Votre étude révèle que l'Ontario affiche un piètre bilan en ce qui concerne la proportion d'accusations suspendues ou retirées. Elle a le pire bilan pour ce qui est du nombre de suspensions. Vous avez établi des comparaisons entre le nombre de cas, les accusations et les suspensions, puis ce qui s'est réellement retrouvé au procès. Vous privilégiez un système où c'est le procureur de la Couronne, plutôt que les policiers, qui porte les accusations, contrairement à l'Ontario, si je ne me trompe pas, et vous avez indiqué que dans les provinces où la Couronne déposait les accusations, les délais étaient moins longs et, par le fait même, il y avait moins de suspensions.
Le sénateur White a indiqué à notre comité, lors d'une récente visite à Montréal, qu'il y avait en fait seulement deux provinces où ce sont les procureurs de la Couronne qui prennent ces décisions, et il s'agit de la Colombie-Britannique et du Nouveau-Brunswick. Ce n'est pas le cas du Québec. Je constate toutefois un problème dans votre rapport. Vous dites que l'Ontario a le pire bilan, et pourtant, elle est la province qui compte le moins de crimes violents par habitant au Canada et celle qui affiche le deuxième plus faible taux d'infraction contre les biens.
Par conséquent, une personne raisonnable qui examine votre rapport se dira : « Favorisons un système où il y a des suspensions et où c'est la police qui dépose les accusations. L'Ontario a beau avoir un grand nombre d'accusations suspendues, elle est tout de même la province la plus sûre, avec le plus bas taux de crimes violents par habitant. » Dans votre rapport, si je puis me permettre, selon ce que je comprends, vous condamnez un système qui gaspille de l'argent et ainsi de suite, mais la personne rationnelle qui va examiner ces données souhaitera aller vivre dans cette province. Comment répondez-vous à cette critique?
M. Newark : Tout d'abord, sachez que les données que vous avez citées ne viennent pas de moi; ce sont les données de Statistique Canada, tirées de Juristat. Cela va peut-être vous étonner, mais je n'aime pas l'idée de la Couronne qui approuve les accusations.
Le sénateur Baker : Tant mieux pour vous.
M. Newark : J'estime que c'est une erreur, compte tenu de ce que j'ai dit plus tôt. Il y a différentes composantes dans le système de justice qui exercent le pouvoir discrétionnaire. Selon moi, le système est devenu beaucoup trop bureaucratique. J'ai parlé également de l'aversion pour le risque, où il est plus facile de déposer plus d'accusations que d'être critiqué pour ne pas l'avoir fait. J'ai quitté mon poste de procureur en 1992; cela fait donc un bon moment. À l'époque, la Couronne ne procédait pas à une analyse préliminaire avant le dépôt d'une accusation, mais, en raison de mon travail, je collaborais avec les policiers dans le cadre de certaines opérations qu'ils menaient. Toutefois, ce n'était pas un processus officiel où je vais approuver ceci ou cela. Dans le rapport, il est question de l'efficacité du système. Si les accusations ne sont pas justifiées, on risque de prendre plus de temps pour parvenir à un règlement. Je peux en témoigner personnellement. Mieux on fait le travail au début du processus, meilleures sont les chances de réussir dans le dossier.
Pour ce qui est du recours à d'autres méthodes pour parvenir au règlement d'un différend, c'est l'une des choses que le comité pourrait envisager — et les procédures précises qui sont officialisées — pour voir si elles donnent réellement les résultats escomptés ou si elles ne font qu'ajouter d'autres couches de bureaucratie. Je vous recommanderais de lire le rapport de l'ancien sous-ministre adjoint de l'Alberta, M. Greg Lepp, à ce sujet. J'abonde dans le même sens. Je me rends à l'occasion dans les tribunaux et j'examine les choses. Je ne fais que secouer la tête. Comme je l'ai déjà dit, monsieur le sénateur, à l'audience des remises, on observe beaucoup d'activités mais très peu de productivité.
Le sénateur Baker : Plutôt que les avocats se présentent au tribunal le lundi matin pour remplir la salle d'audience, seriez-vous d'accord pour qu'on ait davantage recours à Internet et aux courriels?
M. Newark : Absolument. Par exemple, si je puis me permettre, j'aimerais aller encore un peu plus loin en vous parlant de la notion de divulgation. J'ai lu le témoignage du représentant de l'Association du Barreau canadien, et j'ai été étonné. Pour une fois, je suis d'accord avec les avocats de la défense. Il est ridicule qu'aujourd'hui, nous devions attendre aussi longtemps pour obtenir la divulgation. J'ai mené des travaux en 2013 pour le service de police de Calgary sur la situation financière des services de police. Le chef Rick Hanson m'avait demandé de me pencher sur certains aspects. On avait créé une base de données fonctionnelle — une capacité de base de données électronique —, mais on n'arrivait pas à la relier au bureau de la Couronne. J'aimerais également mentionner qu'on peut apporter des changements sans forcément modifier la loi. Parfois, on peut obtenir les résultats souhaités par des moyens opérationnels ou le recours à la technologie. Je crois qu'on vous a parlé d'OSCAR, qui permet d'analyser les bases de données. En effet, l'un des éléments essentiels sera de pouvoir assurer la sécurité de l'information et la vérification de l'identité, de sorte que les gens à qui vous confiez de l'information soient réellement les gens que vous pensez. N'empêche que cette technologie existe; nous pourrions le faire.
Le sénateur White : Je tiens à remercier nos témoins. Monsieur Newark, je suis ravi de vous revoir. J'aimerais qu'on discute de nouveau de la prévention de la criminalité, parce que même si j'apprécie que vous citiez mes propos, il y a une autre question qui a été soulevée. Il s'agit de la pénurie de programmes de traitement de la toxicomanie en établissement au pays. Nous avons une liste d'attente d'environ sept mois et, en fait, une étude qui a été réalisée dans l'Ouest canadien, il y a environ huit ans, a révélé qu'un toxicomane moyen pourrait commettre de quatre à huit crimes par jour pour assouvir sa dépendance, ce qui n'a guère surpris la majorité des travailleurs de rue.
Selon vous, est-ce qu'il incombe au gouvernement canadien de mettre en œuvre une stratégie nationale antidrogue? Les centres de désintoxication ne sont-ils pas le meilleur moyen de prévenir la criminalité? N'y aurait-il pas là une possibilité de placer ces gens dans des centres de traitement de la toxicomanie plutôt que dans des établissements correctionnels?
M. Newark : Je suis entièrement d'accord avec vous. Selon moi, c'est une compétence qu'il faut absolument acquérir, en ce sens qu'il faut reconnaître les différences et la nature différente des délinquants.
Par exemple, lorsqu'on traite avec les gens dont vous parlez, au bout du compte, on n'a pas nécessairement besoin d'inscrire les condamnations; on peut recourir à d'autres mesures. Toutefois, dans les tribunaux de l'Ontario, j'ai remarqué à quel point le processus est lent. Ce qui est ironique, c'est que plus c'est long, lorsque les gens dont vous parlez sont libérés sous caution, plus ils devront respecter des conditions longtemps et plus ils risquent de les enfreindre.
L'une des statistiques sur laquelle il conviendrait de se pencher est, à mon avis, l'augmentation du nombre d'infractions contre l'administration de la justice. J'aimerais savoir quelle est la proportion de ces infractions qui sont réellement de nouveaux crimes par opposition à une violation des conditions. J'ai bien l'impression qu'il faudra investir de l'argent dans des ressources sur le terrain capables de reconnaître qu'un tel cas devrait faire l'objet d'une déjudiciarisation ou d'une autre mesure. Quant aux conditions, cela pourrait être pendant une libération sous caution, mais il pourrait être plus rapide de suivre un programme de traitement de la toxicomanie que de faire traîner les choses avec des comparutions qui n'en finissent plus. Je pense que nous avons la capacité de le faire. C'est d'ailleurs pourquoi le gouvernement fédéral ne pourra pas faire cavalier seul; les gouvernements provinciaux devront emboîter le pas. Ils devront reconnaître et élaborer la stratégie dont vous parlez, mais il faut à tout prix essayer de réduire le nombre de ces personnes qui reviennent sans cesse devant les tribunaux. Reconnaissons-le; c'est l'essentiel. Si on peut amener les gens à ne pas commettre ce type d'actes, on pourra mieux assurer la sécurité publique.
Le sénateur White : Monsieur le président, si je puis me permettre, j'aurais une brève question à poser à M. Audas. Certaines études — et en fait, j'ai pris part à quelques-unes d'entre elles l'an dernier en Australie — qui ont comparé le coût des programmes de traitement de la toxicomanie en établissement, par exemple, par rapport au recours à notre système de justice traditionnel, ont révélé que pour chaque dollar dépensé dans les centres de désintoxication, on économiserait 7 $ dans notre système de justice, à partir des services de police jusqu'aux tribunaux. Je me demandais si vous aviez participé à ce type de travaux. Je sais que la London School of Economics a travaillé là-dessus. Est-ce que vous vous êtes penché sur les économies qui pourraient être réalisées grâce à d'autres systèmes, non seulement des mesures, mais aussi des systèmes de rechange au système judiciaire conventionnel, pour traiter les gens qui ont des démêlés avec la justice?
M. Audas : Aucune de mes recherches n'a porté là-dessus. Toutefois, j'ai lu des documents sur le sujet, et ils appuient ce que vous dites. Le recours au système de justice conventionnel est une façon très inefficace de traiter ce type de délinquants. Il serait beaucoup plus efficace de trouver la cause sous-jacente et d'y remédier. Comme vous l'avez souligné, il y a une importante pénurie d'établissements de traitement de la toxicomanie pour les individus aux prises avec une dépendance. Par conséquent, nous avons affaire à des récidivistes et à des gens qui, dans l'attente de leur comparution, commettent de plus en plus de crimes.
Même lorsqu'on mesure ces choses, on mesure en fait le coût de leur traitement. On ne mesure pas les torts causés aux victimes; c'est un aspect qui est souvent négligé dans les études. Les conséquences pour les victimes de crime sont graves, et on n'en tient pas compte. Encore une fois, lorsqu'on dit que pour chaque dollar dépensé, on en épargne sept, il s'agit d'une sous-estimation importante lorsqu'on songe aux victimes de la criminalité.
À mon avis, ces questions doivent être examinées d'un point de vue pragmatique. L'un des problèmes que nous avons à l'échelle du gouvernement, c'est que la justice s'entremêle aux soins de santé et aux services sociaux, et les systèmes n'interagissent pas entre eux et traitent ces situations d'une façon un peu pragmatique. Nous avons réellement besoin d'une approche pangouvernementale pour remédier à ces types de problèmes, et je suis convaincu que nous réaliserons des économies substantielles et obtiendrons des résultats nettement supérieurs. Non seulement nous économiserons de l'argent, mais nous aurons aussi moins de toxicomanes, moins de victimes et des taux de criminalité plus bas.
Le sénateur McIntyre : Merci à vous deux pour vos exposés et le travail que vous faites.
Monsieur Newark, vous avez formulé plusieurs recommandations. L'une d'entre elles — et je crois que vous avez abordé le sujet indirectement — visait à élargir la compétence des cours provinciales. En fait, vous recommandez que l'on modifie le Code criminel de façon à ce que certaines infractions deviennent des infractions hybrides en les rendant passibles d'une peine d'emprisonnement de cinq ans moins un jour, et que l'on modifie aussi l'article 553 de manière à conférer la compétence absolue aux cours provinciales. J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet.
Vous avez également fait une recommandation relativement à l'examen des procédures de règlement des différends obligatoires en vertu de la partie 28.1 du Code. Vous concluez que cela peut avoir pour effet de retarder les procédures plutôt que de les accélérer. Pourriez-vous nous en dire plus long là-dessus?
M. Newark : Oui, monsieur. Je vais commencer par les enquêtes préliminaires. Comme vous le savez sans doute, les enquêtes préliminaires étaient la méthode qui permettait à la Couronne de divulguer la preuve dont elle disposait à l'accusé. Elles étaient répétitives en ce sens qu'on présentait le même dossier qu'au procès. La norme était moins rigoureuse pour une citation à procès. Toutefois, la décision Stinchcombe a rendu la divulgation obligatoire. Au bureau où je travaillais, nous divulguions tous les éléments pratiquement tout le temps. Nous n'avions pas besoin de la Cour suprême pour nous dire qu'il fallait le faire. Si les avocats savaient que nous avions la preuve, ils pouvaient savoir que je n'allais pas oublier de prouver que Leduc se trouvait en Alberta. Par conséquent, cela a augmenté la possibilité d'obtenir des plaidoyers de culpabilité lorsqu'ils connaissaient la preuve.
Je crois que cela illustre très bien l'un des impacts dont j'ai parlé. L'arrêt Stinchcombe a eu une incidence sur un système de justice qui fonctionnait déjà avec des enquêtes préliminaires. Est-ce que l'on doit continuer de mener ces enquêtes préliminaires, si on obtient la divulgation autrement? Selon moi, cela vaudrait la peine de se pencher là- dessus.
J'ai utilisé un exemple d'introduction par effraction dans une résidence, car la peine est l'emprisonnement à vie. Évidemment, on n'impose jamais une peine d'emprisonnement à vie dans le cas d'une introduction par effraction. On pourrait donc créer un article distinct et l'article 553 confère la juridiction absolue aux cours provinciales. Si c'est bien le cas, il faudrait certainement accroître le financement des cours provinciales, mais à mon avis, c'est une option qu'il vaut la peine d'envisager. Si c'est déjà fait en raison d'une décision de la Cour suprême, pourquoi le faire à nouveau?
En ce qui concerne les procédures de règlement des différends, ce que je voulais précisément dire, c'est que selon les histoires que j'ai entendues et les choses dont j'ai été témoin, il semble qu'on soit satisfait d'avoir participé à une réunion plutôt que d'avoir résolu l'affaire grâce à la réunion. Lorsqu'on adopte une approche prudente — et plusieurs témoins qui ont comparu devant votre comité ont parlé de la culture du retard et de l'acceptation de cette culture —, je crois qu'il serait probablement plus sage de prendre du recul et de se demander, après un examen de ces procédures de règlement des différends, si elles produisent autre chose qu'une réunion.
En effet, après une analyse rationnelle des faits, j'aimerais encourager Statistique Canada et Juristat à cet égard. Par exemple, lorsque ces organismes examinent les ajournements, j'aimerais connaître la raison de chaque ajournement.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Audas, j'aimerais vous poser deux questions. Comment votre rapport est-il différent des rapports précédents sur l'état du système de justice pénale du Canada? Votre rapport deviendra-t-il un exercice annuel?
M. Audas : À notre connaissance, il s'agit du premier examen systématique, province par province, qui vise à comparer le rendement d'une série de mesures objectives sur lesquelles on s'est entendu. Je crois que nous avons produit la première fiche de rendement à cet égard au Canada. Je pense qu'il s'agit donc d'un important point de départ pour examiner le rendement du système judiciaire et pour cerner les différences entre les provinces. À mon avis, même si Statistique Canada fait un excellent travail de collecte de données, il n'est pas aussi facile d'y avoir accès et de les interpréter. Souvent, il faut beaucoup de travail et de réflexion pour déterminer comment présenter les statistiques, afin qu'elles puissent être utilisées pour établir des comparaisons entre les provinces. Je crois que notre travail représente une étape importante dans ce processus.
Nous espérions attirer — et nous avons réussi — l'attention sur la question, c'est-à-dire avec la fiche de rendement, afin de déterminer la meilleure façon de l'améliorer. Manifestement, nous sommes seulement en mesure d'analyser les données auxquelles nous avons accès. Nous comptons énormément sur les données de Statistique Canada. L'une des choses que j'aimerais souligner, c'est qu'on a besoin de plus de données et surtout du type de données que M. Newark vient de décrire, c'est-à-dire des données sur l'issue des procédures et sur les raisons qui expliquent ces résultats. Plus nous avons de renseignements, plus nous pouvons utiliser ces données pour améliorer la gestion du rendement. Cela se fait dans d'autres secteurs. Par exemple, je mène la plus grande partie de mes travaux dans le domaine des soins de santé, et dans ce domaine, nous travaillons beaucoup sur les indicateurs de rendement et sur la façon dont les organismes peuvent utiliser ces indicateurs pour améliorer la gestion et le rendement.
La sénatrice Batters : J'aimerais remercier les deux témoins d'être ici. Monsieur Newark, je vous remercie des compliments que vous avez formulés à l'égard de l'étude entreprise par le Sénat. Nous sommes heureux que d'autres personnes jugent qu'il s'agit d'un travail important. J'ai participé à une table FPT pendant quatre ou cinq ans avec le ministre de la Justice de la Saskatchewan lorsque j'étais son chef de cabinet, et je sais donc que c'est un sujet de conversation qui revient constamment. Nous sommes donc très heureux de pouvoir tenter d'aider ces provinces et ces territoires à résoudre ces problèmes.
J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de vos recommandations qui visent à nous aider à réduire les retards judiciaires. J'aimerais savoir si vous avez des suggestions au sujet du problème de la conduite avec facultés affaiblies, car c'est un problème qui, à mon avis, cause un embouteillage dans le système de justice pénale. C'est certainement un problème très important et il faut l'aborder de façon appropriée, mais en même temps, j'aimerais savoir si vous avez des suggestions à cet égard.
M. Newark : Tout d'abord, j'ai également assisté à des réunions FPT pour aider les ministres. Si je me souviens bien, pendant l'une de ces réunions, le gouvernement de l'Ontario a présenté plus de recommandations liées à des changements de politique que toutes les autres provinces réunies. Ces réunions peuvent représenter une bonne occasion pour faire avancer les choses.
En ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies, l'une des choses que j'ai mentionnées, je crois, dans le rapport — et je sais que vous connaissez l'approche de la Colombie-Britannique qui consiste, honnêtement, à décriminaliser la conduite avec facultés affaiblies. D'accord, cela a l'effet positif de réduire les retards judiciaires, mais il faut exprimer clairement ce que nous faisons dans ce cas-ci. Les modifications présentées par le gouvernement précédent relativement à l'élimination des soi-disant témoins experts, que nous nous appelions autrefois la défense dite des « deux bières » — c'est-à-dire que l'accusé se présentait et des experts livraient un témoignage —, ont permis de réduire cela. C'est un problème récurrent.
Je vous suggère d'examiner une affaire que vous pourriez trouver utile, l'affaire Jackson, qui a été entendue cette année à la Cour d'appel de l'Ontario. Il s'agit essentiellement d'une affaire dans laquelle la Cour d'appel dénonce, en termes directs, la façon dont les demandes de divulgation, comme le disait le sénateur Baker, sont devenues inefficaces — elles servent d'épée, et non de bouclier — en tant que protection conférée par la Charte, et elles sont utilisées de façon désinvolte et entraînent des retards. Cela concernait la certification de l'alcootest, et c'est un vieil ami du sénateur White, Vince Westwick, qui a dirigé les efforts pour renvoyer l'affaire à la Cour d'appel.
C'est l'un de ces cas où l'on peut affirmer qu'on ne suivra pas ce processus et, selon les mots exacts utilisés par la Cour d'appel, la demande était une « expédition de pêche ». J'aimerais qu'un plus grand nombre de juges prennent ce genre de décision.
Je ne connais pas la réponse à cette question, mais elle vaut la peine d'être examinée. Étant donné que notre système est devenu tellement axé sur le processus, il ne s'agit plus vraiment de savoir si la preuve est pertinente ou admissible. Si nous sommes en mesure de clarifier et de préciser les éléments dont la police a besoin pour obtenir une autorisation judiciaire afin d'obtenir la preuve et d'être en mesure de présumer qu'elle est admissible devant le tribunal, j'ai l'impression que cela pourrait nous permettre d'épargner beaucoup de temps. Il se peut que certains avocats de la défense qui sont payés selon le temps consacré à l'affaire, y compris l'aide juridique, ne soient pas très enthousiastes à cette idée, mais je crois que cela pourrait rendre le système judiciaire beaucoup plus efficace.
Toutefois, l'une des choses dont il faut absolument s'assurer avant la mise en œuvre, c'est qu'on est en mesure de mesurer adéquatement la teneur en THC chez les conducteurs, car si nous ne pouvons pas faire cela, nous serons en plein cauchemar.
La sénatrice Batters : Absolument. Monsieur Newark, vous avez mentionné les amendes non perçues d'une valeur de 1 milliard de dollars en Ontario, et c'est tout simplement renversant.
M. Newark : N'est-ce pas?
La sénatrice Batters : Ce que je remarque au sujet de l'Ontario, et nous avons entendu cela à de nombreuses reprises, car plusieurs avocats de l'Ontario comparaissent devant notre comité et parlent de la façon dont ils ne veulent pas des amendes obligatoires et certaines infractions, et qu'ils ne veulent pas ceci ou cela, mais cela revient toujours au fait que l'Ontario est une province du Canada qui n'offre pas de programme de solutions de rechange à l'amende. De plus, contrairement à de nombreuses autres provinces, notamment ma province, la Saskatchewan, l'Ontario n'offre pas de programme de service communautaire. À votre avis, si le gouvernement de l'Ontario mettait en œuvre un programme de solutions de rechange à l'amende, un programme de service communautaire, et cetera, cela pourrait-il aider à résoudre le problème?
M. Newark : Je ne connais pas suffisamment la façon dont cela fonctionne en Ontario, mais j'espère que les travaux du comité produiront une analyse des pratiques exemplaires utilisées dans toutes les provinces, afin que vous puissiez déterminer cela.
Je suggérerais toutefois d'ajouter les mots « ou paiement » si nous modifions l'article 734.5, qui autorise la province à retenir un permis ou une licence si le délinquant est en défaut de paiement d'une amende, car l'une des conclusions de nos recherches, c'est que nous donnons de l'argent du gouvernement — par l'entremise de retours d'impôts ou de prestations de bien-être social — à des gens qui nous doivent de l'argent, car ils sont en défaut de paiement d'une amende ou en confiscation de la caution. Si nous ajoutions cela et que nous apportions les modifications nécessaires pour permettre aux provinces de faire cela, et que les paliers de gouvernement collaboraient pour regrouper les bases de données, vous pourriez établir un régime de paiements échelonnés.
Cela pourrait aider à résoudre certains des problèmes liés aux suramendes compensatoires obligatoires, c'est-à-dire lorsqu'on impose une amende de 100 $, mais à 10 $ par mois, donc une pizza de moins par mois.
Je créerais un fonds comme le Fonds d'aide aux victimes mis sur pied par l'Ontario, c'est-à-dire un fonds dédié et prévu par la loi dans lequel l'argent pourrait seulement être dépensé pour des questions liées à la sécurité publique ou à l'administration de la justice, plutôt que d'être versé dans le trou noir des revenus généraux. Cela produirait des résultats, et c'est une notion remarquable que celle d'augmenter les revenus en réclamant les dettes que nous doivent les gens qui enfreignent la loi, plutôt que d'augmenter les impôts des gens qui obéissent à ces lois.
Le sénateur Baker : Il y a quelques instants, vous avez parlé de la décriminalisation de la conduite avec facultés affaiblies... eh bien, il n'a jamais été illégal de boire et de conduire au Canada. En fait, il est illégal de conduire avec un taux d'alcoolémie de plus de 0,08 par 100 millilitres ou avec des facultés affaiblies.
Malheureusement, aucune loi n'indique qu'une personne ne peut pas boire et conduire, mais je présume que votre suggestion de créer un raccourci pour permettre à la preuve présentée par un policier de devenir l'évaluation présumée effectuée par ce policier faisait référence aux dispositions sur la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et aux agents d'évaluation dans l'affaire qui se trouve devant la Cour d'appel de l'Ontario. Faites-vous référence à cela?
M. Newark : Non, ce n'était pas une affaire de conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Il s'agissait d'une conduite avec facultés affaiblies par l'alcool, et l'avocat de la défense a demandé une certification liée à l'alcootest, et la preuve était détenue par la police d'Ottawa, et non par la Couronne. Il y a donc un processus distinct pour obtenir cette preuve. Il a fallu aller jusqu'au bout du processus, et une décision a été rendue, mais comme je l'ai dit, la Cour d'appel a décrété qu'il n'y avait aucune raison de faire cela, et qu'on cherchait tout simplement à ralentir les procédures.
Le sénateur Baker : C'est la suite de toute une série d'affaires. Vous recommandez de prendre une accusation en vertu du Code criminel, par exemple, introduction par effraction dans un dessein criminel, et selon vous, on pourrait l'inclure dans la compétence provinciale exclusive.
Notre comité a examiné cette disposition du code, et ce que nous pourrions faire valoir, c'est qu'étant donné qu'il y a parfois de multiples accusations — par exemple, des accusations aux termes de la LRCDAS, une accusation d'introduction par effraction et une autre accusation. On pourrait se retrouver avec 10 ou 12 accusations, dont certaines exclusivement aux termes de la LRCDAS, ce qui signifie qu'on se retrouve avec un procureur de la Couronne de l'échelon fédéral et, ici, la compétence provinciale exclusive que, selon vous, nous devons attribuer à ces cas. Eh bien, on se retrouve avec deux affaires traitées en même temps, donc deux tribunaux qui examinent les mêmes preuves.
Les membres du comité songent à suggérer, dans le rapport final, d'éviter de créer cette situation — c'est-à-dire une situation dans laquelle le Service fédéral des poursuites porte certaines accusations et le Service provincial des poursuites porte d'autres accusations devant un tribunal différent —, en permettant au juge, habituellement un juge de la Cour supérieure, qui prend le contrôle de l'affaire de déterminer la compétence provinciale exclusive. Êtes-vous d'accord avec cette suggestion?
M. Newark : Oui. Et, en fait, dans mon temps...
Le sénateur Baker : C'est probablement ce que vous feriez?
M. Newark : Honnêtement, je m'occuperais moi-même de certains cas fédéraux.
Le sénateur Baker : Vous êtes donc d'accord avec cette suggestion?
M. Newark : Je suis absolument d'accord avec l'idée de regrouper des éléments pour éviter les chevauchements.
Le sénateur White : J'aimerais remercier les témoins d'être ici.
Des témoins nous disent que notre système est défectueux et que nous avons trop de gens devant les tribunaux et qu'on porte trop d'accusations. Toutefois, parmi ces témoins, certains affirment qu'il leur faut davantage de ressources, car trop souvent, les mauvaises personnes se retrouvent dans le système judiciaire, et je ne suis pas d'accord avec cela. À mon avis, il faut réduire le nombre de personnes devant les tribunaux.
Il y a quelques années, nous avons mené quelques recherches qui nous ont permis de conclure que dans les trois provinces examinées, il fallait en moyenne neuf comparutions pour régler une affaire. Il n'y avait aucune proportionnalité. Il pouvait s'agir d'un vol à l'étalage ou d'une tentative de meurtre; cela ne semblait faire aucune différence. Vingt-cinq pour cent de ces affaires ont été réglées par l'entremise d'une libération conditionnelle, d'une absolution inconditionnelle ou d'une condamnation avec sursis.
À votre avis, existe-t-il un scénario où nous n'aurions pas seulement les infractions susceptibles de poursuites en justice et les mises en accusation par voie sommaire, mais également une catégorie où aucune accusation n'est portée, et dans laquelle nous pourrions régler l'affaire par l'entremise d'une libération accordée par un juge de paix ou d'autres juges, sur une période de six mois, pendant laquelle le délinquant devrait adopter un bon comportement, sans nécessairement avoir à comparaître neuf fois et engendrer tous les coûts liés à ce processus? Nous savons comment l'affaire se terminera. Je pourrais vous demander comment l'affaire se terminera, et je pourrais poser la même question à tous les avocats de la défense, à tous les procureurs et à tous les policiers : ils répondront tous qu'on obtiendra une condamnation avec sursis. Pourquoi ne pourrions-nous pas obtenir ce résultat au début plutôt qu'à la fin du processus?
M. Newark : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je crois que le plus gros obstacle, dans ce cas, c'est notre système. Dans notre temps, les intervenants de ce système pouvaient utiliser leur pouvoir discrétionnaire. Par exemple, personne ne m'a jamais accusé d'être indulgent à l'égard des criminels, mais dans toutes les affaires, j'utilisais la démarche qui me semblait appropriée. La dernière affaire que j'ai traitée en tant que procureur, dans une petite ville appelée Drayton Valley, concernait un jeune homme d'environ 18 ans. Il avait déjà été mêlé à quelques affaires d'introduction par effraction. Il fréquentait les mauvaises personnes. Les policiers de la GRC affirmaient qu'il était sur le point de reprendre sa vie en main, et il a donc été mis en liberté sous caution. Souvent, dans ce genre d'affaires, si le délinquant respecte les conditions de sa libération et que tout fonctionne, cela devient sa peine, comme vous dites, dans une condamnation avec sursis. Nous avons fait tout cela, et la police était d'accord. Le jeune homme a déneigé l'entrée du commerce dans lequel il s'était introduit par effraction, et cetera. Nous nous sommes réunis à nouveau, et il était sur le point de plaider coupable et de convertir ses conditions de mise en liberté sous caution en conditions de probation. J'ai parlé avec le policier qui s'occupait de cette affaire et qui connaissait très bien sa ville, et j'ai plutôt retiré les accusations, car le jeune homme avait réussi à reprendre sa vie en main, et la dernière chose dont il avait besoin, c'était d'ajouter une condamnation à son casier judiciaire d'adulte.
Comme je le dis, je ne crois pas que de nombreuses personnes auraient dit que j'étais indulgent à l'égard des criminels, mais c'était — et je crois que ça l'est toujours — un processus qui était censé faire partie de notre système judiciaire, c'est-à-dire que les intervenants pouvaient exercer un certain pouvoir discrétionnaire. Oui, à l'avant-plan du système, il faut régler ces affaires plus rapidement pour éviter d'avoir à passer par tout le processus, mais cela signifie que des gens prennent des décisions. Veuillez me pardonner mon parti pris, mais en particulier, dans cette province, c'est la Couronne. Je viens d'une province où, bien honnêtement, la Couronne contrôlait les poursuites et les procédures. Ce n'est pas mon avis sur ce que j'ai vu dans la province de l'Ontario, et je crois que cela a des effets très négatifs sur l'ensemble du système.
Le président : C'est bon. Puisqu'il n'y a plus de questions, il nous reste quelques minutes, alors si vous voulez ajouter quelque chose, vous le pouvez avant que nous terminions. Monsieur, voulez-vous dire quelque chose?
M. Audas : Certainement. J'aimerais ajouter que je suis très d'accord avec M. Newark. Je pense que nous devons explorer d'autres façons de faire les choses. Compte tenu du volume de matériel et d'affaires qui cheminent dans le système, il nous faut une façon d'accélérer le processus et de réaliser des gains d'efficacité dans le système. Donc, si nous pouvons nous entendre sur une idée commune du résultat recherché, mettons-la à exécution le plus rapidement possible.
L'autre chose que je dirais, c'est qu'il nous faut des données pour examiner ces cas et pour évaluer ce qui se produit, parce que je pense que nous ne savons tout simplement pas, dans bien des cas, quels sont les résultats au bout du compte. Nous sommes par conséquent incapables de prendre de bonnes décisions stratégiques parce que nous ne savons réellement pas ce qui se passe. Il faudrait de ce fait un genre de registre national des affaires, des crimes, des personnes qui les commettent et des personnes qui en sont victimes. D'après moi, si nous avions cette ressource, nous pourrions avec beaucoup plus d'exactitude traiter de bon nombre des questions et discussions que nous traitons ici de manière anecdotique, faute d'avoir d'autres données. Les politiques qui découleraient de cela seraient nettement plus efficaces.
M. Newark : Je vais ajouter quelque chose à propos des données seulement, parce que c'est ce qui m'a amené à me pencher sur les statistiques relatives à la criminalité. Je tiens à dire que, d'après moi, les rapports Juristat de Statistique Canada se sont nettement améliorés au cours des cinq dernières années, mais je suis tout à fait d'accord concernant l'importance des données que nous ne recueillons pas. Pourquoi donc ne pas recueillir des données au sujet du profil des délinquants? Combien de crimes ont été commis par des personnes libérées sous caution, en probation ou en liberté conditionnelle, ou par des non-citoyens passibles d'expulsion en raison d'infractions criminelles commises dans le passé? Nous recueillons ces données. Je vois cette information quand je reçois les documents de la police dans un dossier. Ces données sont recueillies, mais elles ne sont pas analysées et communiquées. Le faire s'accompagnerait de deux importants bienfaits. Premièrement, il y aurait une mesure de la responsabilité systémique qui manque cruellement, d'après moi, à notre système de justice. Vous entendez toujours parler de l'importance de l'indépendance, bien sûr — et c'est vrai —, mais l'indépendance et la responsabilité ne devraient pas être des concepts irréconciliables.
Deuxièmement, il vaut mieux que nous ayons cette information — et c'est la raison pour laquelle j'ai commencé à la regarder — parce qu'elle contribue à la prise de décisions stratégiques éclairées. Ce que je dis souvent, c'est que nous n'avons vraiment pas besoin d'être sévères concernant la criminalité, mais que nous devons être honnêtes au sujet de la criminalité de manière à pouvoir y réagir intelligemment. Comme je le dis, les récidivistes et le milieu correctionnel seraient un bon point de départ parce que nous pourrions apporter des changements importants pour cibler les personnes qui commettent des crimes à répétition. Cela améliorerait la sécurité du public. Nous pourrions aussi réattribuer des ressources pour les personnes qui sont mises en détention pour la première fois. C'est à cela que vous voulez consacrer des ressources. Je pense que notre système est trop universel. Le travail que vous faites comprendra, je l'espère, une analyse de cela, pour que des améliorations soient apportées.
Le président : Je vous remercie tous les deux, messieurs. Je vous sais gré de votre présence et de vos témoignages.
Notre témoin suivant est impatient de nous parler officiellement de certaines choses. Nous accueillons maintenant David Bird, avocat retraité, anciennement du ministère de la Justice du Canada. Il comparaît à titre personnel, aujourd'hui.
Monsieur Bird, merci beaucoup d'être venu malgré le court préavis. Nous vous en savons gré. La parole est à vous.
David Bird, avocat retraité, ministère de la Justice, à titre personnel : J'aimerais commencer par vous remercier de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui. C'est un sujet qui me préoccupait énormément quand je pratiquais le droit au ministère de la Justice, et je suis impatient de faire ce que je peux pour contribuer à l'avancement de ce dossier. J'ai notamment adressé une lettre au ministre, l'honorable Ralph Goodale, avec copie conforme au président du comité. Je présume que si je suis ici aujourd'hui, c'est entre autres en raison de cette lettre.
Si vous me le permettez, j'aimerais lire ma lettre pour qu'elle soit consignée et qu'il soit possible à quiconque le souhaite de la consulter à l'avenir. La lettre est adressée au ministre de la Sécurité publique.
Monsieur : Je vous écris pour vous demander d'adopter immédiatement des dispositions législatives autorisant le prélèvement automatique d'un échantillon d'ADN au moment de la mise en accusation, de manière à remplacer le système complexe actuel qui entrave l'efficacité de la Banque nationale de données génétiques, la BNDG. Contrairement aux lois d'autres pays libres et démocratiques qui prévoient le prélèvement d'un échantillon d'ADN quand une personne est accusée de toute infraction grave, les lois canadiennes exigent une ordonnance de la cour dans tous les cas et placent les infractions dans des catégories s'accompagnant de règles différentes servant à déterminer les cas où une cour peut rendre une ordonnance relative à la BNDG. Selon ce système complexe, la plupart des délinquants ne tombent pas dans les catégories soumises à une ordonnance relative à la BNDG, ce qui mène à des erreurs et cause de la confusion. Ainsi, de nombreux délinquants qui devraient fournir un échantillon ne sont pas tenus de le faire. Par conséquent, le nombre de profils d'identification génétique du fichier des condamnés (FC) de la BNDG augmente d'environ 30 000 par année seulement, au lieu de l'augmentation de 100 000 profils par année qu'on obtiendrait si tous les délinquants devaient fournir un échantillon d'ADN.
Je suis un avocat retraité du ministère de la Justice. J'ai été avocat pour la GRC pendant 15 ans. Le prélèvement d'échantillons d'ADN était l'un de mes dossiers, et j'ai participé de près à la création de la BNDG, ce qui a nécessité l'élaboration d'ententes internationales de partage de données sur l'ADN, conformément aux lois canadiennes.
Lors de l'examen prévu par la loi de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques que le Comité permanent de la sécurité publique et nationale a réalisé, j'ai comparu avec d'autres témoins experts, soit Richard Bergman, président du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques, l'honorable Peter Cory, ancien juge à la Cour suprême et membre du Comité consultatif, Greg Yost, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice, et M. Ron Fourney, directeur, Services nationaux et recherche, à la GRC.
Au cas où les résultats de l'examen prévu par la loi et les recommandations unanimes du comité permanent présentées en juin 2009 n'auraient pas été portés à votre attention, j'aimerais souligner l'importance de la principale recommandation, qui se lit comme suit :
Le Comité recommande que la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et les lois connexes soient modifiées de manière à exiger systématiquement le prélèvement d'échantillons d'ADN dans tous les cas de déclaration de culpabilité pour l'ensemble des infractions désignées. Avant de procéder à cette modification, le gouvernement toutefois doit affecter les ressources nécessaires pour répondre à la demande accrue d'analyses d'ADN qui résultera du prélèvement automatique sur déclaration de culpabilité.
Le gouvernement de l'époque a accepté les recommandations :
Les recommandations formulées par le comité permanent sont, en principe, acceptables pour le gouvernement. En conséquence, celui-ci mènera, de façon prioritaire, des consultations auprès des provinces, des forces de l'ordre et d'autres intervenants en vue d'obtenir un consensus sur la meilleure façon de procéder.
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a aussi entrepris un examen de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. J'ai aussi comparu devant ce comité en tant que témoin expert. Le comité permanent a publié son rapport en juin 2010, et les recommandations étaient, encore une fois, les suivantes :
Que le Code criminel soit modifié de manière à autoriser le prélèvement immédiat et automatique d'un échantillon d'ADN sur tout adulte ayant été reconnu coupable d'une infraction désignée au sens de l'article 487.04 du Code criminel.
Le gouvernement du moment a signalé que les recommandations du comité sénatorial permanent correspondaient généralement à celles du comité permanent de la Chambre des communes et a affirmé consulter activement les organismes d'application de la loi, les provinces et les intervenants concernant la mise en œuvre des recommandations.
D'après mon souvenir, les consultations ont été entreprises et les recommandations ont reçu le soutien unanime des provinces et de tous les intervenants, sauf bien sûr les avocats de la défense qui soutenaient qu'un échantillon d'ADN ne devrait être prélevé que pour les adultes reconnus coupables d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. Cependant, rien n'a été fait, car le gouvernement précédent a refusé de fournir l'argent nécessaire pour faire en sorte que la BNDG puisse traiter la forte augmentation d'échantillons qu'elle aurait à analyser et à verser dans le fichier des condamnés.
Pour parler franchement, à cause du refus d'utiliser davantage la BNDG, des milliers de Canadiens pourraient avoir été victimes de meurtres, de viols, de vols ou d'autres crimes commis par des personnes qui auraient été arrêtées au début de leur carrière criminelle s'il y avait eu prélèvement automatique d'un échantillon d'ADN au moment de la déclaration de culpabilité. Je vous presse de mettre cette recommandation en œuvre.
Selon l'expérience d'autres pays, je crois que le coût de la mise en œuvre de cette recommandation sera inférieur à ce qu'il aurait été en 2010. Contrairement aux empreintes digitales qui sont prises chaque fois qu'une personne est accusée d'un acte criminel, l'ADN n'est prélevé qu'une seule fois. Le fichier des condamnés contient maintenant plus de profils qu'au moment où les coûts ont été calculés. Nous pouvons donc présumer qu'il y aura davantage de personnes accusées pour lesquelles il ne sera pas nécessaire de prélever un échantillon parce qu'il y en a déjà un dans le fichier des condamnés. Il y aura bien des coûts additionnels pour la BNDG ainsi que pour les services correctionnels des provinces et du fédéral qui devront s'occuper de personnes trouvées coupables qui n'auraient autrement pas été retrouvées, mais les bienfaits pour les Canadiens l'emportent de loin sur les coûts.
Une fois que la loi permettra le prélèvement automatique d'échantillons d'ADN au moment de la déclaration de culpabilité, je vous presse de demander à vos dirigeants d'autoriser le prélèvement d'un échantillon d'ADN au moment de l'arrestation et de permettre une recherche dans la BNDG qui ferait ressortir les liens de parenté comme c'est le cas en Angleterre et dans la plupart des États américains. Si un échantillon d'ADN était prélevé au moment de l'arrestation, les bienfaits seraient encore plus grands que pour le prélèvement d'ADN après la déclaration de culpabilité, car on pourrait ainsi identifier très rapidement les délinquants. Voici un extrait de la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Maryland v. King, qui confirme le prélèvement d'un échantillon d'ADN au moment de l'arrestation.
L'ADN prélevé d'une personne arrêtée représente un moyen d'identification irréfutable de la personne dont il a été prélevé. Comme dans le cas d'une empreinte digitale, les 13 locus ne sont pas en soi la preuve d'un crime en particulier de la même façon qu'un test de dépistage des drogues permet en soi de prouver la consommation de drogues illégales. Un profil génétique est utile aux forces policières parce qu'il leur donne une forme d'identification qui leur permet de parcourir les dossiers dont elles ont la possession valide. À cet égard, utiliser l'ADN à des fins d'identification n'est pas différent de comparer le visage d'une personne arrêtée à la photographie d'une personne recherchée qui n'a pas été précédemment identifiée, ou de comparer des tatouages à des symboles de gangs connus, ou de comparer les empreintes digitales de la personne arrêtée à celles qui ont été prélevées sur une scène de crime.
En plus des avantages pour la sécurité du public que la Cour suprême des États-Unis a évoqués, si les échantillons d'ADN étaient prélevés au moment de l'arrestation, on pourrait éviter les coûts que représente le système actuel pour les cours et les organismes d'application de la loi qui doivent demander des ordonnances de prélèvement d'échantillons d'ADN, les préparer et les appliquer.
Les recherches familiales consistent à vérifier s'il y a dans la banque de données génétiques un échantillon d'ADN d'un proche parent de l'auteur de l'infraction en utilisant essentiellement le même genre d'analyse que ce qui sert régulièrement pour la vérification de la paternité. Les recherches familiales se sont souvent révélées très utiles pour résoudre les crimes les plus haineux. Les recherches familiales ont été lancées en Angleterre et ont servi à identifier le violeur en série qui collectionnait les chaussures à talons aiguilles, le Stiletto Rapist. On s'en est servi récemment pour identifier le tueur en série de Los Angeles surnommé le Grim Sleeper. Les recherches familiales pourraient aussi être utiles pour résoudre des crimes comme ceux de la route des larmes.
Pour que le Canada en vienne à suivre les normes internationales qui tirent le maximum des avantages de la technologie génétique pour la sécurité du public, je vous presse de relire les rapports des comités permanents.
Sincères salutations, David Bird.
Le président : Quand avez-vous écrit cette lettre?
M. Bird : Le 2 juin dernier.
Le président : Vous n'avez pas reçu de réponse?
M. Bird : Rien à ce jour.
Le président : Nous allons entamer les questions, à commencer par le vice-président, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Bird, de votre présence aujourd'hui et du courage dont vous avez ainsi fait preuve.
Au comité, nous lisons et examinons la jurisprudence sur les retards. Nous remarquons que des échantillons d'ADN ne sont pas automatiquement prélevés pour les crimes graves à cause d'une disposition du Code criminel, et je veux que vous me confirmiez qu'il s'agit bien du paragraphe 487.051(2), qui dit ceci à propos du tribunal :
Toutefois, il n'est pas tenu de le faire s'il est convaincu que l'intéressé a établi que l'ordonnance aurait, sur sa vie privée et la sécurité de sa personne, un effet nettement démesuré par rapport à l'intérêt public...
Autrement dit, c'est pour les infractions primaires. Vous avez souligné que les infractions primaires comprennent les meurtres, les actes terroristes, et cetera, mais que ce n'est pas automatique. En vertu du Code criminel, il n'est pas possible de rendre une ordonnance relative à l'analyse génétique. Voilà un argument. Puis, comme nous l'avons vu dans la jurisprudence, cela se rend à la Cour supérieure de l'Ontario, la cour d'appel. Il y a eu une affaire récente d'enlèvement dont la Cour d'appel de l'Alberta a été saisie, et la question était la suivante : faut-il accepter de rendre une ordonnance relative à l'analyse génétique?
C'est pour les infractions primaires — j'aimerais que vous vérifiiez cela — dans le Code criminel, et nous ne parlons pas des infractions secondaires. Vous avez travaillé comme avocat pour la GRC et pour le ministère de la Justice. Avons-nous raison de dire que pour les infractions primaires au Canada, cette procédure existe déjà dans le Code criminel?
M. Bird : Oui, sénateur. À ma connaissance, c'est exactement ce que cela dit.
Le sénateur Baker : Les tribunaux sont saisis de cela. Une procédure relative à un enlèvement devant un tribunal de première instance albertain a cheminé jusqu'à la Cour supérieure de l'Alberta, puis jusqu'à la Cour d'appel de l'Alberta. En fin de compte, la Cour d'appel dit : « En effet, vous devez produire l'échantillon d'ADN. » Cependant, le temps perdu en cour pour les infractions primaires, vous êtes d'accord avec cela? C'est bien là ce que vous soutenez.
Vous voulez aller plus loin que cela et vous voulez que ce soit aussi pour les infractions secondaires, si je comprends bien. Mais est-ce que nous comprenons bien ce que nous lisons dans la jurisprudence : que cette défense existe pour l'analyse génétique dans le cas des pires crimes pouvant être commis dans ce pays?
M. Bird : C'est exactement ce que je comprends. Les tribunaux ont la discrétion de décider de ne pas rendre d'ordonnance dans certaines circonstances.
Le sénateur White : Merci, monsieur Bird, de votre présence aujourd'hui. Ma première question va porter sur les essais d'armes à feu. Nous avons le RCIIB, le Réseau canadien intégré d'identification balistique, depuis 2004 environ. Il est permis de penser qu'un service de police qui saisit une arme utilisée pour commettre un crime ou encore une douille ou une balle sur les lieux d'un crime — autrement dit, après des tirs au fond d'un terrain de stationnement — peut entrer l'information dans le RCIIB, mais les services de police au Canada n'ont pas l'obligation de le faire. La grande majorité des services de police ne le feront pas. En fait, s'ils le faisaient, la GRC dirait qu'elle n'a pas les ressources pour entrer cela dans le système d'une manière ou d'une autre.
Nous avons un autre système qui ressemble assez à ce que vous disiez à propos des échantillons d'ADN, et qui est aussi bon que la prise d'empreintes digitales. C'est la prise des empreintes d'une arme à feu. En réalité, des homicides ont été résolus au Canada spécialement parce que certains services de police saisissent cette information régulièrement dans le système — notamment les services de police d'Edmonton et de Calgary.
Ne croyez-vous pas que les services de police qui saisissent des armes à feu à la suite d'un crime et qui recueillent donc des éléments de preuve devraient avoir l'obligation de saisir les données dans ce même système?
M. Bird : Sénateur, je conviens que si nous pouvons en faire plus pour aider les policiers à élucider des crimes par des analyses médico-légales ou par d'autres moyens, nous devons le faire. En fait, je dirais que l'ADN peut être utile dans le domaine médico-légal pour la balistique et les armes à feu, car on trouve souvent de l'ADN sur l'arme à feu ou les douilles pouvant être liées à la scène de crime et à l'auteur. L'ADN peut être un outil extrêmement efficace, de même que les autres données balistiques recueillies.
Le sénateur White : Exactement. Je voulais justement dire ensuite que nous avons fait beaucoup de chemin au cours des 15 dernières années. De nos jours, une empreinte digitale sur un volant nous permet d'extraire assez d'ADN pour déterminer quelque chose. Cependant, nous utilisons toujours ce que nous avons appris en 2000 ou en 2003 pour présenter des preuves au tribunal. Nous ne sommes pas passés à l'étape suivante, et il s'agit des ressources. Ce n'est pas une question d'aptitude, mais bien de ressources.
M. Bird : Je suis d'accord avec vous. À mon sens, les ressources sont essentiellement l'élément déterminant dans notre système, et le prélèvement d'ADN est limité à des infractions désignées. On peut se demander pourquoi. Je ne peux vous donner une bonne explication. Or, lorsque le système a été mis sur pied, il était parfait. Le système parfait consistait en un régime de mandat touchant 32 infractions énumérées, dont le meurtre, l'agression sexuelle, l'enlèvement — des infractions graves —, et les infractions désignées qui pouvaient être contenues dans le fichier de criminalistique se limitaient à ces infractions primaires. De plus, les ordonnances relatives à la Banque de données génétiques rendues par les tribunaux se limitaient aux mêmes infractions. C'était un système parfait.
Ce qu'il en a résulté, c'est que cela a limité les coûts que les forces policières devaient assumer pour effectuer les analyses d'ADN sur les scènes de crime à celles-là seulement. C'étaient les éléments déterminants. Des procureurs généraux des provinces ont fait des pressions pour que le gouvernement fédéral fournisse plus de ressources afin de les aider à effectuer leurs analyses d'ADN sur les scènes de crime. Des ententes sur les analyses biologiques ont été conclues avec l'Ontario et le Québec dans le cadre desquelles elles reçoivent de l'argent pour les aider à remplir le fichier criminalistique.
Au final, cependant, avec les ententes sur les services de police, les provinces assument une part des coûts pour que l'ADN soit analysé par les laboratoires judiciaires administrés par la GRC, et ces coûts ont un effet dissuasif sur elles. En fait, d'après mon expérience personnelle, je peux vous dire que j'étais au Nouveau-Brunswick lorsque nous essayions de mettre en œuvre les mesures législatives originales régissant la banque de données génétiques, et les procureurs nous ont dit qu'on leur avait donné l'ordre de ne pas demander d'ordonnances relatives à la Base de données génétique parce qu'on croyait que la province payait pour l'analyse, qui est une analyse distincte; elle est effectuée par la Banque nationale de données génétiques, ce qui ne coûte rien aux provinces. Or, ce n'est pas ce que les gens avaient compris, et ils imposaient un plafond à ce que demandaient les procureurs.
Ce malentendu, je crois, est l'un des problèmes fondamentaux qui doivent être éliminés. Cela concerne le droit pénal et, par conséquent, le gouvernement fédéral a la responsabilité de participer au financement. En outre, le gouvernement fédéral semble dire « non, nous ne ferons pas cela; si les provinces veulent cela vraiment, elles devront le financer elles- mêmes ».
Jusqu'à ce que les discussions progressent à cet égard, c'est l'explication que je peux vous donner sur le fait que rien ne s'est produit au cours des cinq dernières années.
Le sénateur White : Je vous remercie. La semaine dernière, un représentant de la GRC a comparu devant nous. Il gère les SSJI, soit les Services des sciences judiciaires et de l'identité. C'est ce qu'on appelait auparavant les services d'information et d'identité, qui font partie des Services nationaux de police, et ils étaient financés par le gouvernement fédéral. En fait, ils ont commencé à accumuler des déficits en 2004 ou 2005 de deux ou trois millions par année. Je crois comprendre que le déficit dépasse les 10 millions de dollars. Ce témoin nous a expliqué qu'il n'y a plus de déficit parce qu'on envoie une plus grande partie de la facture aux provinces et aux services de police. Tous les services de police au pays ont du mal à respecter leur budget cette année.
Vous avez tout à fait raison; dans des cas de vol de voiture et de délit de fuite, ils ne font pas d'analyse d'ADN à partir d'empreintes sur le volant, car ils devront payer pour l'exécution de la première analyse. Il en résulte que des crimes ne sont pas élucidés.
Au bout du compte, par « Services nationaux de police » on entend « service fédéral ». Or, à l'heure actuelle c'est un service fédéral qui est financé à l'échelle locale, ce qui signifie que si l'endroit en question n'a pas l'argent, alors devinez quoi? Le crime ne fait pas l'objet d'une enquête approfondie.
M. Bird : J'inciterais les sénateurs à faire un suivi et à déterminer exactement ce qui explique l'existence de ce problème de financement concernant les analyses sur les scènes de crime et les réticences. Lorsque j'ai quitté la GRC, le fichier de condamnés contenait environ 99 000 échantillons provenant de scènes de crime. Il est certain que le nombre de crimes commis au cours des 10 dernières années, depuis l'entrée en vigueur des mesures législatives régissant la banque de données génétiques, dépasse de loin 99 000. C'est une très petite partie, mais, oui, bon nombre de crimes sont élucidés sans preuve génétique. Si l'on veut éviter des condamnations injustifiées et si l'on veut raccourcir les délais dans les tribunaux, si l'on peut présenter des preuves génétiques devant les tribunaux, ce sont les meilleurs éléments de preuve, ou la preuve idéale. On ne parle pas d'identification visuelle. On ne parle plus de cheveux et de fibres. On ne parle plus de microscope. On parle d'ADN. S'il est impossible de remplir ce critère, il y a un problème.
Je crois que c'est la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui, soit pour vous aider. Il faut se concentrer sur certaines questions. Entre autres, il faut se concentrer sur le fichier des condamnés et prendre des mesures pour qu'il fonctionne bien. À mon avis, soit dit en passant, justice tardive est déni de justice pour la plupart des gens. Si la police prélevait des échantillons d'ADN sur une scène de crime aujourd'hui et qu'on n'obtenait pas de résultat positif dans les banques de données génétiques, dans le fichier des condamnés, qu'on ignorait qui est l'auteur du crime, mais que ce dernier était arrêté aujourd'hui et qu'il avait déjà été arrêté auparavant pour répondre à des accusations pour une autre infraction, il peut s'écouler quatre ou cinq ans avant que cette condamnation soit enregistrée, quatre ou cinq ans avant que les victimes sachent que l'auteur a été traduit devant les tribunaux, et il faudrait tenir un procès distinct. Ainsi, le système judiciaire, plutôt que d'avoir l'information au départ sur les liens entre cet individu et d'autres infractions, doit porter d'autres accusations et tenir d'autres procédures.
Donc, les affaires judiciaires s'éterniseront. On se retrouvera avec un système qui encourage les délinquants à retarder leur condamnation, car s'ils croient qu'il y a des preuves d'ADN sur la scène de crime, ils peuvent être en mesure d'empêcher — en plaidant coupable à des crimes inférieurs ou en raison d'erreurs que nous observons dans le système —, le prélèvement d'échantillon de leur ADN.
À mon avis, nous devrions recueillir cette information au moment de l'arrestation de l'individu, et j'encourage cela fortement. Cela voudrait dire que non seulement on pourrait établir un lien entre l'individu et d'autres crimes, mais aussi qu'il ne serait pas libéré sous caution, surtout si l'on établit des liens avec des infractions graves et qu'il risque de faire d'autres victimes. C'est une question de sécurité publique.
Franchement, je ne peux vous dire quelles infractions sont plus liées à des crimes graves que d'autres. À mon avis, la plupart des sociopathes se fichent des lois et commettent des infractions mineures, comme le vol à l'étalage et d'autres infractions, parallèlement aux infractions graves qu'ils commettent, comme les agressions sexuelles.
Je suppose que les auteurs des attentats du 11 septembre avaient volé des préparations pour nourrisson dans des dépanneurs et ailleurs pour les vendre afin de financer leur attaque contre le World Trade Center. Le vol à l'étalage dans un dépanneur est une infraction mineure, mais si l'on avait pu établir des liens, qui sait ce qui aurait pu être évité.
Je ne peux rien prédire en ce sens, mais tout ce que je peux dire, c'est qu'on devrait prélever des échantillons d'ADN dans toute la mesure du possible, tant sur des délinquants condamnés que sur des scènes de crime, pour la sécurité et le bien-être de tous les Canadiens. Il ne s'agit pas seulement de permettre aux victimes d'obtenir justice plus rapidement, mais de protéger l'ensemble de la société.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Bird, je vous remercie de votre exposé. Si je comprends bien votre point de vue, c'est très clair. Un échantillon d'ADN devrait être prélevé au moment de l'arrestation et non, comme l'ont recommandé les avocats de la défense ou d'autres intervenants, être prélevé sur tout adulte reconnu coupable d'un acte criminel. Cela dit, votre recommandation a-t-elle reçu beaucoup d'appuis?
M. Bird : Très peu, en ce sens que c'est un processus contradictoire, et ce, depuis le début. Je suis assis là où était assis M. Newark qui, lorsqu'il représentait l'Association canadienne des policiers, défendait avec ardeur le prélèvement d'échantillons au moment de l'arrestation. À l'époque, le ministère de la Justice, dans sa grande sagesse, a fait comparaître trois juges durant les audiences du comité pour qu'ils disent qu'ils croyaient que c'était peut-être inconstitutionnel ou que cela allait à l'encontre de la Charte.
Par la suite, dans la décision qu'a prise la Cour suprême du Canada dans l'affaire Rodgers, la juge Charron a dit essentiellement qu'on devrait pouvoir considérer l'ADN comme étant l'équivalent moderne de la prise des empreintes digitales, qui a lieu au moment de l'arrestation. Ainsi, ma seule mise en garde quant à ce que je dis aujourd'hui — plutôt que de dire « faisons-le au moment de l'arrestation » —, c'est que le système n'est probablement pas prêt pour cela, que les recommandations que vous avez faites — soit qu'il y ait prélèvement d'un échantillon à la suite d'une condamnation pour toutes les infractions primaires ou toutes les infractions désignées par le Code criminel, les actes criminels —, seraient une étape pour réaliser certains progrès, régler la question et demander aux responsables de revenir avec un plan pour déterminer la meilleure façon de procéder au moment de l'arrestation.
Je peux vous dire que les mesures de protection de la vie privée liée à l'ADN au Canada sont parmi les meilleures au monde. Notre système de prélèvement d'échantillons d'ADN et d'envoi de profil génétique à la Banque nationale de données génétiques sans donnée d'identification personnelle — ce qu'on appelle simplement un numéro d'identification unique — était novateur. Or, cela voulait dire également que lorsqu'il s'agit d'échanger des renseignements génétiques avec d'autres pays et de se conformer aux dispositions du Code criminel à cet égard, nous pouvons bien collaborer avec des partenaires européens qui ont leurs propres lois sur la protection de la vie privée et échanger de l'information de façon limitée, ce qui est utile dans les enquêtes internationales, ce qui peut être extrêmement important.
Si un criminel se présente dans plusieurs pays, il y a beaucoup d'alarmes. Il pourrait s'agir de prédateurs sexuels qui voyagent. Ce travail de collaboration existe entre le Canada et les États-Unis. Il pourrait s'agir de terroristes, de criminels internationaux mêlés au trafic de drogue ou d'armes ou affiliés à un gang ou qui sont dans le crime organisé.
Le sénateur McIntyre : Concernant ce que vous venez de dire, je crois comprendre que vous avez examiné les mesures législatives sur l'ADN d'autres pays. Par exemple, dans votre rapport, vous parlez des pratiques de l'Angleterre et de la plupart des États américains. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet s'il vous plaît? À quel point serait-il utile de prélever des échantillons d'ADN au moment de l'arrestation?
M. Bird : Dans ma lettre, j'ai parlé entre autres d'une enquête sur un violeur au Royaume-Uni. Dans ce pays, on a toujours prélevé des échantillons d'ADN lors de l'arrestation pour ce qu'on appelle là-bas des recordable offences, et il y a un vaste éventail de possibilités. Dans cette affaire, il s'agissait de l'arrestation d'une femme qui conduisait en état d'ébriété, et il a été possible d'établir un lien entre son ADN et des analyses faites sur une scène de crime où un viol avait été commis, mais c'est une femme. Il ne s'agissait pas d'une correspondance parfaite, mais bien d'une correspondance familiale. Cela a amené les gens à penser qu'il s'agissait d'un proche parent. Il s'est avéré qu'il s'agissait de son frère. Cela a permis d'arrêter un violeur qui collectionnait les souliers à talons hauts de ses victimes qu'il agressait sexuellement.
Dans le système britannique, dans bien des cas, on a arrêté des gens pour de très petites affaires et on a pu établir un lien avec d'autres crimes. Par exemple, un camionneur a jeté une brique en bas d'un viaduc et il y avait des traces d'ADN sur la brique. On a été en mesure d'établir un lien entre lui et l'infraction commise par son frère également. Il s'agit d'infractions mineures. Ce que je veux dire, c'est qu'on ne peut savoir si des liens peuvent être établis entre des infractions de gravité moindre et des infractions graves.
Y a-t-il un problème? Concernant l'ADN — le Royaume-Uni et les États-Unis —, ce sont tous des profils anonymes, de 13, 16 ou 20 locus, qui ne dévoilent rien. Si vous avez mon profil génétique, tout ce que vous avez, c'est une série de chiffres aléatoires. Il ne vous renseigne pas sur l'apparence de mes cheveux ou la couleur de mes yeux. Il ne vous permet pas de connaître mon origine ethnique. Il s'agit simplement d'un élément identificateur. En fait, à mon avis, l'ADN porte moins atteinte à la vie privée que n'importe quelle photographie. Les photographies donnent énormément de renseignements sur une personne. L'ADN ne dit presque rien, mais il permet de vous identifier. Si une personne laisse des traces d'ADN sur une scène de crime, elle sera obligée d'expliquer les raisons pour lesquelles des traces de son ADN se trouvent sur les lieux. Si elle peut l'expliquer, elle sera acquittée; sinon, elle sera une personne d'intérêt.
La sénatrice Batters : Monsieur Bird, je vous remercie beaucoup de comparaître devant le comité aujourd'hui et de nous donner de l'information essentielle pour notre étude et les Canadiens. Je trouve absolument troublant que vous ayez eu le courage d'envoyer cette lettre au ministre Goodale, le ministre de la Sécurité publique, en juin, soit il y a maintenant cinq mois, dans laquelle vous dites ceci :
Pour dire les choses franchement, ce refus d'utiliser davantage la BNDG a peut-être fait en sorte que des milliers de Canadiens ont été assassinés, violés, volés et ont été victimes d'actes commis par des personnes qui auraient été arrêtées plus tôt dans leur carrière criminelle s'il avait été possible de prélever automatiquement un échantillon d'ADN à la suite d'une condamnation. Je vous exhorte d'appliquer la recommandation.
Malgré cela, vous n'avez toujours pas reçu de réponse cinq mois plus tard. Nous espérons faire comparaître le ministre Goodale devant le comité dans le cadre de notre étude. Croyez-moi, je vais lui poser des questions à ce sujet, et j'espère que quelqu'un dans son bureau verra les témoignages d'aujourd'hui et en prendra note. Ce serait formidable si l'on vous fournissait une réponse, avant même que le ministre comparaisse devant le comité je l'espère.
Je me demande si vous le savez. Lorsque le gouvernement Trudeau est arrivé au pouvoir, chaque ministre a reçu une lettre de mandat de la part du premier ministre. Le ministre Goodale en a reçu une au sujet de son ministère. Savez- vous s'il était question de la Banque nationale de données génétiques dans la lettre de mandat?
M. Bird : Je n'en sais rien, malheureusement. Je suis retiré depuis cinq ans, donc personne ne me parle de ce qui est remis au ministre.
La sénatrice Batters : Elles sont publiques; je vais donc jeter un coup d'œil pour voir si ce dossier s'y trouve. Il me semble qu'il s'agit d'un dossier crucial pour ce ministère. S'il ne s'y trouve pas, nous allons en demander la raison au gouvernement Trudeau. Merci beaucoup.
Le sénateur Baker : Monsieur, croyez-vous que le comité, dans ses recommandations portant sur les délais dans le système de justice pénale, devrait, au minimum, inclure la suppression du paragraphe 487.051(2) du Code criminel, celui que nous avons lu plus tôt qui fournit un moyen de défense contre le prélèvement des empreintes génétiques des personnes ayant commis des infractions primaires, infractions qui comprennent le meurtre, l'enlèvement, le viol et certains des pires crimes perpétrés au Canada? Ce moyen de défense paralyse le système de justice pénale relativement aux appels. Pensez-vous que nous devrions recommander qu'il soit retiré du Code criminel?
M. Bird : Je recommanderais qu'il soit retiré et j'irais beaucoup plus loin. À mon avis, le régime de mandat devrait demeurer dans le Code criminel, mais tout le reste du système lié à la banque de données génétiques devrait être inclus dans la Loi sur l'identification des criminels ou dans la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, sous la forme de processus administratif, comme c'est le cas avec les empreintes digitales.
Le sénateur Baker : Pouvez-vous aussi confirmer que si une personne est arrêtée — vous parlez du moment de l'arrestation — pour une infraction mixte, par exemple conduite avec facultés affaiblies ou voies de fait; si elle est accusée, puis libérée, l'infraction peut être poursuivie par procédure sommaire ou par voie de mise en accusation? Elle doit se rendre au poste de police le lendemain, en vertu de la Loi sur l'identification des criminels, pour se faire photographier et pour faire prendre ses empreintes digitales, même s'il s'agit d'une infraction mixte. C'est la loi que nous avons au Canada. Pouvez-vous confirmer cette affirmation?
M. Bird : Je ne peux pas vous dire, de mémoire, si c'est exactement...
Le sénateur Baker : Moi, je le peux. Cette affirmation est exacte. Elle confirme ce que vous dites, qu'une photographie et des empreintes digitales sont prises automatiquement pour chaque accusation portée au Canada pour une infraction mixte. Si vous êtes innocenté, vous pouvez déposer une demande pour faire retirer les données. Ma question est la suivante : pouvez-vous comparer le Canada à d'autres pays par rapport à n'importe quel élément de votre exposé?
M. Bird : Au Royaume-Uni, comme je l'ai déjà dit, les données étaient collectées pour toutes les infractions, et jusqu'à récemment, les dossiers étaient conservés indéfiniment. Cette façon de procéder a dû être modifiée à la suite d'une contestation judiciaire de sa constitutionnalité; la cour pénale européenne a déclaré qu'il était inconstitutionnel de conserver ainsi les dossiers. On a donc imposé une limite de temps à la rétention des données, mais avant cela, il n'y en avait pas.
C'est semblable aux États-Unis. La plupart des États font maintenant le prélèvement au moment de l'arrestation. Ils prélèvent aussi les empreintes génétiques de certains immigrants. Ils cherchent à vérifier leur identité. Le prélèvement de l'ADN et des empreintes digitales, ainsi que la rétention des dossiers sont des enjeux. Je suggérerais au comité d'inviter des témoins qui pourraient parler de la façon d'intégrer le tout à un processus suivi au moment de l'arrestation. J'ai entendu la discussion que vous avez eue plus tôt au sujet du tri des accusations, à savoir si on devrait le faire ou non. Cela a une incidence sur la prise des empreintes digitales. Il faut aussi régler cette question. J'encouragerais le Sénat à l'examiner en même temps. Toutefois, en attendant, je vous dirais de modifier au moins le Code criminel, ce qui peut être fait facilement, de façon à ce que les empreintes génétiques soient prélevées automatiquement lorsqu'il y a condamnation. Éliminez la discrétion; faites-en une étape normale du processus.
Le sénateur Baker : Une réserve : la Loi sur l'identification des criminels cite précisément les infractions punissables par mise en accusation. Vous avez tout à fait raison. Toutefois, une infraction mixte, lorsqu'il y a accusation, est considérée comme étant punissable par mise en accusation aux fins de la Loi sur l'identification des criminels. C'est la loi au Canada.
Merci beaucoup d'avoir défendu ici aujourd'hui la suppression du moyen de défense eu égard aux infractions primaires comme première étape de l'évolution relative à l'ADN.
Le sénateur White : Merci beaucoup. Mon intervention sera peut-être un peu redondante; pardonnez-moi. Toutefois, je tiens à la faire simplement parce que des gens qui écoutent sont peut-être en train d'essayer de comprendre le tout et, bien sûr, pour une raison ou pour une autre, les lettres « ADN » inspirent toujours la peur. Actuellement, nous avons environ 3,5 millions d'empreintes digitales prises de criminels au Canada. Nous avons autour de 35 millions d'empreintes digitales latentes prélevées sur des scènes de crime au pays, et le système informatisé de dactyloscopie compare continuellement les empreintes latentes aux empreintes des criminels. Le système compare continuellement les empreintes afin de déterminer si un criminel connu a commis d'autres crimes. Ce que vous dites aujourd'hui, c'est que nous devrions faire exactement la même chose avec les empreintes génétiques. Nous avons les ressources nécessaires. Nous avons la banque de données génétiques. En fait, nous le faisons déjà pour certains crimes et certains criminels. Nous devrions le faire pour tous les crimes et tous les criminels. Cela pourrait nous aider à couper les gens dans leur élan, à les empêcher de commettre d'autres crimes.
M. Bird : Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Bird, dans votre mémoire, je remarque que vous soulignez que des recommandations ont été faites par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, ainsi que par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Ces recommandations ont été suivies par des consultations menées auprès de la plupart des parties intéressées dans les provinces. Les parties intéressées ont toutes donné leur appui, à l'exception des avocats de la défense. De quel genre d'appui parlez-vous? Parlez-vous de l'appui du prélèvement des empreintes génétiques au moment de l'arrestation?
M. Bird : Non. Je parle de l'appui des recommandations des deux comités permanents concernant le prélèvement des empreintes génétiques au moment de la condamnation.
Le prélèvement au moment de l'arrestation est beaucoup plus controversé, mais évidemment, les intervenants du milieu de l'application de la loi défendent ardemment cette position, et ce, depuis le début. Des groupes divers se sont dits préoccupés par les répercussions de cette approche sur la protection de la vie privée.
J'ai entendu des défenseurs des délinquants — les représentants des sociétés John Howard et Elizabeth Fry — témoigner qu'ils étaient inquiets que des gens soient stigmatisés inutilement si on prélevait leur ADN et si on le conservait dans la banque de données génétiques.
Un grand débat politique est en cours. Je recommande qu'on le poursuive. Nous sommes en marge du régime international du Royaume-Uni et des États-Unis, des partenaires plus rapprochés de l'échange d'ADN; pour le dire franchement, la façon dont le système canadien fonctionne les laisse plutôt perplexes. Ils sont tous passés à un système de prélèvement au moment de l'arrestation, pour toutes les infractions. Pas nous.
Pourquoi ne remplace-t-on pas le système actuel de prélèvement après la condamnation pour donner aux Canadiens le bénéfice de la détection précoce?
Le sénateur McIntyre : À vous entendre, il semblerait que le plus grand obstacle à votre proposition, c'est qu'elle ne respecte pas la Charte.
M. Bird : C'était le problème avant l'arrêt Rodgers de la Cour suprême. Dans cette décision partagée (4 contre 3), la cour a déclaré que l'ADN même ne soulevait pas ce genre de préoccupation quant à la Charte et elle a conjecturé qu'on pourrait procéder au moment de l'arrestation, qu'elle le considérerait. Évidemment, ce n'est pas gagné jusqu'à ce qu'il y ait contestation, mais si nous mettons en place des régimes adéquats de protection des renseignements personnels, nous pouvons régler la question des dossiers, ainsi que montrer que cela ne porte pas atteinte à la vie privée et que la Cour suprême des États-Unis a examiné la norme internationale et a déterminé qu'il existait des contrôles raisonnables. Nous pourrions gagner.
D'après moi, vous devez parler aux avocats défenseurs des droits de la personne du ministère de la Justice pour connaître leurs avis actuels.
Le président : Merci, monsieur Bird. Votre témoignage était très intéressant et utile. Qui sait, maintenant, vous recevrez peut-être une réponse à votre lettre. Espérons-le.
(La séance est levée.)