Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 16 - Témoignages du 16 novembre 2016
OTTAWA, le mercredi 16 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues et témoins.
Un peu plus tôt cette année, le Sénat a autorisé le comité à étudier, pour en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et à examiner les rôles du gouvernement du Canada et du Parlement pour les combattre. Nous tenons aujourd'hui notre treizième séance dans le cadre de cette étude.
Nous avons le plaisir d'accueillir encore une fois l'honorable Neil Wittmann, juge en chef de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, qui se joint à nous par vidéoconférence de Calgary. Comme nous nous le rappelons tous, le juge en chef a comparu devant le comité la semaine dernière, mais nous avons éprouvé des difficultés techniques et avons dû interrompre notre séance avec lui, alors que de nombreux sénateurs souhaitaient encore lui poser des questions. Il a gracieusement accepté de participer de nouveau à nos délibérations, d'un autre endroit cette fois-ci, si bien que nous espérons ne pas nous heurter aux mêmes problèmes.
La semaine dernière, le sénateur Baker venait tout juste de lui soumettre ses questions sur la divulgation, la période prévue pour présenter des requêtes fondées sur la Charte et le calendrier annuel de la Cour quand nous avons été arrêtés par des difficultés techniques.
La greffière a fait parvenir la transcription de la réunion au juge en chef Wittmann, et il est prêt à répondre aux questions du sénateur Baker, ainsi qu'aux questions que les autres sénateurs pourraient vouloir lui poser.
Je vous remercie, monsieur le juge en chef Wittmann. Nous vous sommes très reconnaissants d'être de nouveau parmi nous. La parole est à vous.
L'honorable Neil Wittmann, juge en chef, Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Avant de répondre à la question du sénateur Baker, je souligne une erreur à la page 4 de la transcription. Ce n'est qu'une erreur de ponctuation. Ce n'est probablement pas très grave, mais là où mon intervention commence, au bas de la page 4, quand vous parlez d'un conseil exécutif, je vous réponds en vous parlant de la structure de gouvernance de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. La question était : est-ce qu'il y a des conseils exécutifs partout au pays? J'ai répondu : « Je n'ai pas la réponse à cette question. Je n'en ai pas entendu parler », puis il y a un point. La suite est : « Nous avons abordé la question lors de nos réunions du Conseil canadien de la magistrature. »
J'essayais plutôt de vous dire que je n'en avais pas entendu parler aux réunions du Conseil canadien de la magistrature. Quand j'ai dit « nous avons abordé la question », je voulais dire que cette structure a été mise en place en Alberta exclusivement par notre tribunal. La planification stratégique en tant que telle n'est pas propre à notre tribunal. C'est un concept commun de nos jours dans beaucoup d'organisations, mais je ne voudrais pas que vous pensiez que le CCM a établi la structure de gouvernance des cours supérieures du Canada.
Pour répondre maintenant aux questions du sénateur Baker, j'ai lu la transcription, à partir de la page 5, et il me semble qu'il me demande surtout ce que je pense de modifications apportées à l'enquête préliminaire. Il mentionne quelques difficultés concernant ce qu'on appelle, si je ne me trompe pas, les requêtes McNeil, qui permettent, dans certaines circonstances, d'obtenir les dossiers disciplinaires d'un policier. L'idée, c'est que toutes les requêtes fondées sur le voir-dire et la Charte pourraient être traitées à l'étape de l'enquête préliminaire, ce qui, je suppose, pourrait contribuer à accroître l'efficacité. Autrement dit, ce serait l'antithèse d'un délai.
Je pense que l'enquête préliminaire mériterait de faire l'objet d'une étude intense de divers participants au système, pour évaluer son utilité dans sa forme actuelle. Mais l'idée, c'est que si c'est toujours un mécanisme de filtrage visant à déterminer si une affaire mérite de faire l'objet d'un procès, autrement dit, il faut d'abord qu'un avocat de la défense ou un accusé demande une enquête préliminaire dans le système tel qu'il est conçu en ce moment. Ce pourrait être modifié aussi. On pourrait dire qu'il faut seulement examiner la plainte, sans pour autant examiner toutes les autres versions. Ce ne serait qu'un examen partiel.
Il y a beaucoup d'ententes négociées entre les avocats de la défense et le procureur. Ils peuvent aussi isoler un élément au stade de l'enquête préliminaire et déterminer qu'il n'y a pas assez d'éléments de preuve sur une chose. Comme vous le savez sans doute, s'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour qu'un jury puisse conclure à un verdict de culpabilité, le juge présidant l'enquête préliminaire doit citer l'accusé à procès.
La norme qui s'applique ici est très différente de la norme qui s'applique pendant le procès. La preuve est différente. Le juge présidant l'enquête préliminaire n'a pas le droit, selon le régime en place, d'aller au-delà d'une évaluation limitée de la preuve, sauf dans des circonstances très limitées.
La plupart du temps, le juge présidant l'enquête préliminaire n'est pas autorisé à évaluer la crédibilité ou même la fiabilité de la preuve, j'ai donc l'impression qu'il y aurait matière à changement. La Cour suprême du Canada a déterminé qu'un juge d'enquête préliminaire ne pouvait pas prendre de décisions fondées sur la Charte canadienne des droits et libertés, parce que le tribunal saisi de l'enquête préliminaire n'est pas une cour compétente pour ce faire.
Cette décision a été rendue à cinq contre quatre par les juges de la Cour suprême du Canada. C'est l'arrêt Hynes, et la minorité avait déterminé qu'il s'agissait d'une cour compétente. La difficulté, toutefois, c'est que s'il y a des décisions qui sont prises sur la base de la Charte afin d'exclure ou d'inclure des éléments de preuve au stade de l'enquête préliminaire, il peut y avoir d'autres éléments de preuve présentés pendant le procès. Il peut y avoir plus de contexte pour le même enjeu, et l'une des raisons qu'a données la majorité — la décision majoritaire a été rendue par la juge en chef McLachlin —, c'était que le contentieux fondé sur la Charte à l'étape de l'enquête préliminaire pourrait ne servir à toutes fins pratiques à rien d'autre que de faire augmenter les coûts et les délais judiciaires.
Je crois qu'il y a beaucoup de place à l'amélioration dans les règles entourant l'enquête préliminaire, mais en toute déférence, n'allez pas croire que de petits correctifs à l'emporte-pièce n'auront pas de conséquences involontaires qui finiront par aggraver le problème même qu'ils sont censés régler.
J'espère avoir répondu à votre question.
Le président : Voulez-vous nous donner tout de suite vos autres réponses, après quoi nous pourrons solliciter d'autres commentaires et questions? Les deux autres questions portaient sur la limite de temps pour soumettre une requête fondée sur la Charte et le calendrier des travaux du tribunal pendant l'année.
M. Wittmann : Je suis totalement favorable à ce qu'il y ait un temps limite pour soumettre des requêtes fondées sur la Charte. Je pense qu'il y en a déjà un. Le problème, c'est que les échéances sont trop souples, ou à tout le moins, c'est ainsi qu'elles sont traitées par les tribunaux. Il n'y a aucune décision à ma connaissance, et ne vous fiez pas trop à moi pour cela, parce qu'il y a probablement des professeurs et des personnes bien plus compétentes que moi en droit criminel qui connaissent bien la question, mais si l'on rate l'échéance pour soumettre un avis exigé par la Charte et que c'est un élément fondamental de la défense d'une personne accusée, je pense que la Cour d'appel ou la Cour suprême du Canada déterminera que cela ne peut pas compromettre le traitement équitable de l'accusé.
Il arrive parfois... Je vais vous donner un exemple : si un avocat ne respecte pas l'échéance, puis qu'un tribunal détermine qu'il est incompétent, c'est un motif d'appel. L'appel se fondera alors sur l'incompétence de l'avocat de la défense, auquel cas la Cour d'appel corrigera la situation.
Je réponds donc oui à votre question sur le fait d'imposer un temps limite. Je crois toutefois qu'il est difficile de rendre cette règle applicable, mais je ne crois pas que ce soit insurmontable. Je crois que si ces règles ne sont pas tellement respectées, à tout le moins en Alberta, c'est notamment parce que l'avis exigé par la Charte doit être soumis avant le procès.
Si nous avions un système — il faudrait un changement législatif pour cela, peut-être provincial et fédéral — dans lequel non seulement l'avis exigé par la Charte devrait être fourni à l'avance, mais dans lequel les requêtes fondées sur la Charte devraient également être entendues avant le procès, il y aurait de l'eau qui coulerait sous les ponts avant que le procès n'ait lieu, si l'on peut dire. Il faudrait toutefois que cela relève du même tribunal que celui qui entendrait l'affaire, mais pas nécessairement du même juge puisque depuis l'adoption de l'article 551.1 du Code criminel, qui porte sur la gestion de l'instance, le juge responsable de la gestion de l'instance peut prendre les décisions qui s'imposent sur ces questions avant la tenue du procès. Nous le voyons de plus en plus à notre tribunal parce que les avocats de la défense comme les procureurs reconnaissent, particulièrement dans les affaires de drogue où il y a une enquête préliminaire, que les drogues sont exclues des éléments de preuve, ce qui mène habituellement à un retrait des accusations. À l'inverse, si elles sont incluses et que c'est la meilleure défense possible, elles mènent parfois à un plaidoyer de culpabilité.
Je pense qu'il serait bon d'imposer un temps limite, mais il faut faire attention à ce que cela ne nuise pas au procès, parce que la décision à l'égard de l'échéance doit être prise avant la tenue du procès.
Pour ce qui est de notre calendrier, en raison des problèmes techniques que nous avons connus pendant la vidéoconférence la dernière fois, je n'ai pas pu expliquer clairement que notre calendrier comporte trois blocs. Le premier va de janvier à juin. Il y en a un autre pour juillet et août et un troisième, de septembre à décembre.
L'horaire d'été est plus léger, mais il y a tout de même des procès. C'est relativement nouveau, cela date d'environ cinq ans, je vous dirais. Avant, il n'y avait pas de procès devant les tribunaux pendant l'été. Il y avait beaucoup de motions, des demandes spéciales, des appels des cours provinciales, et cetera, donc toutes les autres affaires judiciaires suivaient leur cours, les contrôles judiciaires aussi, mais pas les procès.
Nous tenons désormais des procès pendant l'été. Pour reprendre les mots du juge Moldaver, dans l'affaire Jordan, il doit y avoir un changement de culture, parce que nous avons commencé à offrir cette possibilité, mais que beaucoup de membres du Barreau n'ont pas été très prompts à saisir l'occasion. Ils le sont davantage maintenant, et nous tenons de plus en plus de procès pendant l'été.
Cela ne nous permet pas d'abattre plus de travail sur une échelle de 12 mois. Cela ne fait que répartir le travail sur 12 mois, alors que la majorité du travail se faisait en 10 mois auparavant.
Le président : Merci. Comme c'était des réponses aux questions du sénateur Baker, je ferai un tour de table, et il aura peut-être la possibilité d'y réagir un peu plus tard.
Le sénateur McIntyre : Je vous souhaite la bienvenue à cette deuxième vidéoconférence, monsieur le juge en chef Neil Wittmann. Je m'excuse des difficultés techniques que nous avons éprouvées le 3 novembre.
Quand vous avez comparu devant le comité à Calgary, en septembre dernier, vous avez fait état de divers problèmes dans le système de justice pénale de votre province, l'Alberta. Pour y remédier, vous préconisiez l'ajout de ressources judiciaires et non judiciaires, comme des responsables de la gestion des instances. Pouvez-vous nous expliquer un peu de quoi il s'agit, s'il vous plaît?
M. Wittmann : C'est peut-être une idée que je devrais creuser davantage, mais il me semble qu'il y a des gestionnaires d'instance un peu partout au pays dans beaucoup de bureaux de pratique civile. Ils gèrent les affaires. C'est ce qu'ils font.
Je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas de gestionnaire d'instance, investi de certains pouvoirs — et je ne parle pas là de pouvoirs judiciaires en vertu de l'article 96, mais des mêmes pouvoirs qu'un gestionnaire civil pour gérer un dossier, afin de parler avec les avocats ou la personne qui se représente elle-même pour leur demander quels sont les véritables enjeux. Que ferez-vous vraiment? Quels chefs d'accusation défendrez-vous pour cette mise en accusation? Que voulez-vous obtenir? Y aurait-il une résolution possible à des chefs d'accusation moindres? Ce sont toutes des choses qu'on finit par faire un moment donné, mais pour beaucoup, il n'est pas nécessaire de recourir aux services d'un juge de la Cour supérieure, à tout le moins à mon avis. Il y a beaucoup de questions d'organisation du temps là-dedans. Je ne veux pas avoir l'air négatif, mais il s'agit beaucoup d'exercer des pressions, d'insister, de poser des questions et de veiller à ce que l'affaire avance.
Nous perdons épouvantablement de temps au Canada, d'après moi, à faire comparaître des personnes accusées et leurs avocats devant un tribunal pour un ajournement. Il y a parfois consentement entre les parties. La théorie, c'est que le tribunal pourrait perdre sa compétence sur la personne si elle ne comparaissait pas. Je pense qu'il faut cesser cette pratique. Nous sommes au XXIe siècle.
Le sénateur McIntyre : Tous les juges souhaitent qu'un procès se déroule rondement. Cela ne fait aucun doute d'après les témoignages que nous avons tous entendus.
Selon le code, les juges ont-ils le pouvoir juridique de tout mettre en œuvre pour qu'un procès se déroule rondement? Ont-ils tous les pouvoirs nécessaires en vertu du code ou faudrait-il le modifier pour leur conférer un plus grand pouvoir, afin qu'ils puissent s'assurer que le procès avance rapidement?
M. Wittmann : Premièrement, je pense qu'il y a beaucoup de modifications qui pourraient être apportées au Code criminel pour accélérer les procès.
Le sénateur McIntyre : Pouvez-vous nous donner des exemples?
M. Wittmann : Par exemple, pour revenir à la question du sénateur Baker, si le Code criminel prévoyait que toutes les requêtes fondées sur la Charte doivent être présentées après un préavis de la défense à la Couronne tant de jours avant le début du procès, qu'elles doivent avoir été entendues et qu'une décision doit avoir été rendue avant le début du procès, la question ne serait pas tellement d'accorder plus de pouvoirs au juge, mais cela aiderait sûrement.
Pour la gestion de l'instance, un juge pourrait fixer les échéances, et certains juges le font déjà. Le Barreau ne s'y oppose pas. Il accueillerait favorablement cette mesure. Tout le monde veut de la certitude. La certitude est une valeur précieuse dans le système de justice pénale.
Ce n'est qu'un exemple de modification qui pourrait être la bienvenue. Y aura-t-il des exceptions? Oui, il y en aura probablement, mais cela changerait beaucoup la dynamique.
Ensuite, toujours sur la question des ressources, il y a beaucoup de littérature sur le droit de la famille, par exemple, qui justifierait qu'il n'y ait qu'un juge par famille. En droit pénal, quand la Cour supérieure est saisie d'une affaire, c'est-à-dire quand il y a une mise en accusation directe ou qu'une personne est citée à procès, je pense que ce serait beaucoup plus efficace si l'affaire était confiée à un seul et même juge.
À l'heure actuelle, à tout le moins à notre tribunal — et je ne sais pas bien comment les autres tribunaux organisent leur temps, mais je pense que nous fonctionnons comme la plupart des autres cours supérieures —, le juge responsable de la gestion de l'instance n'est pas nécessairement le juge responsable du procès, par exemple. Il y a d'autres juges qui, faute d'un meilleur terme, touchent le dossier avant la tenue du procès. S'il n'y avait qu'un juge par dossier, il ne serait pas nécessaire de mettre le nouveau juge en contexte à chaque nouvelle étape. C'est simplement une autre idée qui mériterait réflexion.
Le sénateur McIntyre : Merci.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. J'apprécie vraiment que vous comparaissiez de nouveau devant nous, monsieur le juge en chef Wittmann. Peut-être qu'on vous l'a déjà dit, j'ai manqué les premières minutes de votre témoignage, mais je vous remercie infiniment du témoignage important que vous nous avez présenté à Calgary, quand nous nous sommes réunis là-bas. Votre témoignage a joué un rôle très important, à mon avis, dans la nomination d'au moins 24 nouveaux juges au Canada, puisqu'il a contribué à exercer des pressions sur la ministre de la Justice fédérale pour qu'elle le fasse, donc je vous en remercie.
Je remarque également que la dernière fois où vous avez témoigné devant nous, vous avez parlé dans votre déclaration préliminaire des modifications apportées aux comités consultatifs de la magistrature et de vos grandes inquiétudes à leur égard puisque tous les comités ont tous été démantelés dans l'attente du tout nouveau processus que la ministre fédérale de la Justice a annoncé. Bref, comme vous l'avez souligné, personne ne peut être nommé à la Cour supérieure à l'heure actuelle.
Quelle était la situation avant l'annonce récente de la ministre de la Justice? Combien y avait-il de comités consultatifs de la magistrature en Alberta et combien étaient actifs à ce moment-là?
M. Wittmann : Je crois qu'il y a 17 comités consultatifs de la magistrature au pays. Les provinces les plus grandes, comme l'Ontario et le Québec, en ont plus d'un. Je pense qu'il y en a trois en Ontario. Je me trompe peut-être. Chose certaine, il y en a un en Alberta. Ce comité n'a pas été démantelé avant le 19 ou le 20 octobre, date à laquelle ils ont tous été démantelés. Ce comité était intact. Il s'était réuni en décembre 2015. Il s'est réuni en mars 2016, en mai 2016 et en juin 2016. Il devait se réunir le 26 septembre, je crois. Cette réunion a été annulée. Elle avait été reportée au 21 octobre, puis bien sûr, elle a finalement été annulée puisqu'ils sont tous disparus.
Je comprends le désir de réinstituer des comités et je comprends les réformes qui ont été mises en place pour évaluer les candidatures des juges des cours provinciales et déterminer lesquelles seront « hautement recommandées ». Ces comités se composeront uniquement de représentants institutionnels du Barreau canadien et du bureau du procureur général de la province, d'un juge de la Cour supérieure (qui aura désormais le droit de vote), d'un représentant du barreau de la province et de trois personnes nommées par le gouvernement fédéral, ce qui exclut toute représentation institutionnelle des organismes d'application de la loi, si je ne me trompe pas.
C'est très bien. Je suis toutefois consterné de constater que beaucoup de candidatures déjà approuvées (des personnes qui constitueraient probablement d'excellentes nominations) ne le sont plus. On leur a dit qu'elles pouvaient présenter un nouveau dossier. Eh bien, d'après ce que certaines personnes me disent en Alberta (parce que je ne prétends pas le savoir), la nouvelle demande à remplir représente tout un fardeau. Certains estiment à 15 heures le temps qu'il faut pour la préparer. J'ai peur que certaines personnes abandonnent. Elles ne le feront pas.
À part cela, nous avions trois postes vacants au moment où les comités ont été démantelés, selon le gouvernement fédéral. Selon la province de l'Alberta, il faudrait en ajouter 12, parce que c'est ce que la loi albertaine dicte. Un autre poste s'est libéré lundi. Il y en a un autre à combler à partir du 19 décembre et un autre, à partir du 3 janvier. Je sais que je répète ce que j'ai dit lors de mon premier témoignage.
La sénatrice Batters : Ce n'est pas grave.
M. Wittmann : La situation évolue constamment. Elle nécessite une gestion continuelle. J'ai peur que la situation n'empire en raison du temps qu'il faudra pour constituer ces comités, pour qu'ils soient fonctionnels, pour que les candidats présentent leurs demandes, que celles-ci soient examinées, puis qu'il y ait finalement des candidats.
La sénatrice Batters : Oui. Comme vous l'avez dit la dernière fois, la ministre fédérale de la Justice a nommé récemment à la Cour d'appel de l'Alberta des nouveaux juges qui provenaient de votre cour du Banc de la Reine. Il y a donc aussi ces postes à combler.
M. Wittmann : Oui.
La sénatrice Batters : Vous avez parlé de la lourdeur de la procédure du comité consultatif de la magistrature, du processus de demande. Il y a un autre processus qui est lourd lui aussi — et je suis certain que vous pourrez nous en parler un peu —, c'est celui de l'examen des candidatures, puisqu'il doit y avoir des réunions à ce sujet, qu'il faut vérifier les références des personnes et tout et tout. Pouvez-vous nous parler du genre de choses que doit faire un comité consultatif de la magistrature et de la lourdeur du processus au démarrage s'il faut réexaminer les candidatures de toutes ces personnes?
M. Wittmann : Je ne pense pas être bien placé pour répondre à cette question, puisque je ne sais pas ce qui se passait pendant les délibérations du comité avant la modification.
La sénatrice Batters : Je comprends. Vous n'avez jamais siégé à ce genre de comité.
M. Wittmann : Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il y aura un arriéré. Il y a en avait un auparavant du fait que l'on ne pouvait traiter qu'un nombre limité de dossiers à chaque réunion. Est-ce que le nouveau processus va prévoir un plus grand nombre de réunions? C'est chose possible. Il se peut également que l'on ajoute des réunions pour faire du rattrapage. Je l'ignore.
J'ai aussi appris qu'il y aurait des séances de formation pour les membres ces comités, et je pense que c'est une bonne idée. Mais je répète que je ne sais pas combien de temps il faudra pour que ces comités puissent se mettre au travail.
[Français]
Le sénateur Dagenais : La mise en place de mesures pour réduire les délais nécessitera la participation de tous les intervenants. Du côté des juges, vous avez parlé d'une formation ou de directives spéciales pour que des décisions soient prises qui auront un impact important sur les délais. Pourriez-vous nous expliquer comment se déroulent les échanges sur ce sujet?
[Traduction]
M. Wittmann : Je vous prie de m'excuser, mais je ne suis pas sûr d'avoir bien compris la question.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Lorsque vous recevez de la formation ou des directives visant à réduire les délais dans les cours de justice, comment ces directives ou ces formations se déroulent-elles? Est-ce qu'on vous dit : « Voici ce que vous devez faire. », ou est-ce qu'il s'agit plutôt d'échanges avec les gens qui sont responsables de la formation?
[Traduction]
M. Wittmann : La formation dont je parlais est celle des membres du comité consultatif pour la nomination des juges. Je ne sais pas en quoi consiste ou consistera cette formation. Pour que les choses soient bien claires, disons que je ne fais pas partie de ce comité — il y a un juge de la Cour d'appel qui est en membre — ce qui fait que je ne sais pas ce que comprendra cette formation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Normalement, en tant que juge, vous recevez tous les ans une formation de deux ou trois semaines. Est-ce que, durant ces formations, on vous indique quoi faire pour écourter les délais dans les cours de justice?
[Traduction]
M. Wittmann : Je crois que la plupart de mes collègues au Canada préféreraient que l'on parle d'éducation judiciaire continue, plutôt que de formation. Nous avons des programmes d'éducation, tant à l'intérieur de la province pour tous les membres de nos tribunaux, que dans tout le pays à l'intention des juges. Ces programmes traitent d'un large éventail d'enjeux avec lesquels nous devons composer dans notre rôle de juge.
Si vous me demandez s'il existe un programme offert par l'Institut national de la magistrature qui porterait expressément sur les délais dans le système de justice pénale, je dois vous répondre que je n'en connais aucun.
Je m'attends toutefois à ce que l'on conçoive un programme à cette fin dans la foulée de l'arrêt Jordan. À la fin septembre, nous avons tenu une séance à ce sujet dans le cadre de notre programme albertain. C'était la semaine précédant ma première comparution. On avait réservé une demi-journée pour traiter des délais.
Nous avions invité le Substitut en chef du Procureur général de la province ainsi que le procureur fédéral en chef du Service des poursuites pénales du Canada. Nous avons discuté des mesures qu'ils entendaient prendre et de ce que nous pourrions faire pour nous assurer de tous travailler dans le même sens.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur le juge, je vous souhaite la bienvenue.
Ma question est liée à la nouvelle réforme du processus de nomination des juges. Récemment, le gouvernement a modifié sa façon de faire. D'abord, les comités consultatifs seraient abolis, selon les renseignements que nous avons obtenus au sujet de la nomination des magistrats, et des comités seraient constitués dans un cadre plus normalisé. Que pensez-vous de cette réforme par rapport à la nomination des juges?
[Traduction]
M. Wittmann : Je ne pourrais pas vous dire si les comités sont constitués dans un « cadre plus normalisé » comme vous l'avez indiqué, car je ne sais pas vraiment ce que vous voulez dire par là. Je pense qu'ils sont toujours un peu constitués de la même manière. Il y a un juge qui préside, un représentant de l'Association du Barreau canadien, un représentant du Barreau provincial, un représentant du procureur général de la province plus trois personnes nommées par le gouvernement fédéral.
La différence vient de l'absence d'un représentant des forces de l'ordre et du fait que le juge peut désormais voter, ce qu'il ne pouvait pas faire auparavant.
Je faisais partie de l'un de ces comités dans les années 1990 à titre de représentant du Barreau, et je peux vous dire qu'il était très rare que nous ayons à voter, et encore plus que le président ait à le faire. Les candidats proposés font habituellement consensus.
La vérification des références est rigoureuse. Les représentants de la population au sein de ces comités, les profanes pour ainsi dire, évaluent les candidats dans une perspective différente de celle adoptée par ceux qui ont une formation juridique.
Je pense que le nouveau processus sera sans doute meilleur du fait que le gouvernement précédent a éliminé la catégorie « fortement recommandé » pour n'en conserver que deux, soit « recommandé » et « sans recommandation ». En l'absence d'une norme bien définie, l'ancienne formule pouvait mener à l'utilisation de critères plus ou moins exigeants selon la province et le comité. En se limitant aux catégories « recommandé » et « sans recommandation », on peut inciter certains comités à ne recommander que les candidats vraiment exceptionnels.
Je ne saurais toutefois vous dire de quelle manière tout cela va se concrétiser, car je ne connais pas les critères exacts, pas plus que je ne sais s'ils seront énoncés clairement ou quelle formation sera offerte.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On sait que le Québec est dernier de classe en ce qui concerne les délais, qui sont deux fois plus longs qu'en Ontario et presque trois fois plus longs que dans les Maritimes. Or, la ministre de la Justice du Québec vient de présenter un plan d'action pour réduire les délais. Avez-vous pris connaissance de ce plan d'action?
[Traduction]
M. Wittmann : Non, mais j'aimerais bien pouvoir le faire si cela pouvait améliorer les choses en Alberta.
Le président : Monsieur le juge en chef, j'ai quelques brèves questions pour vous. Vous avez parlé de cette réunion en septembre, juste avant votre comparution devant notre comité. Je me demandais si vous aviez profité de l'occasion pour discuter de la façon dont il convient d'interpréter les conclusions de la Cour suprême dans l'arrêt Jordan pour ce qui est des causes dont le système est déjà saisi. Je ne veux pas vous poser de questions au sujet d'une cause en particulier, mais la Cour indiquait que le plafond de 30 mois ne s'appliquerait pas, pour autant que le ministère public parvienne à démontrer que les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu'il existait au préalable.
Nous venons tout juste de vivre une autre situation à Ottawa où une affaire de meurtre a été suspendue au bout de quatre ans. J'aimerais simplement connaître l'approche de votre tribunal à cet égard. Avez-vous formulé des directives? Vous êtes-vous entendus sur la manière d'en arriver à une décision en pareil cas?
M. Wittmann : Non, et je ne pense pas qu'on le fera. Comme vous le savez, tous nos juges sont indépendants. Il serait donc inapproprié que je suggère quelque interprétation que ce soit, en me fondant sur la mienne.
Comme tous les autres juges au Canada, nous prenons en compte les décisions déjà rendues par d'autres instances tout en essayant de communiquer les nôtres à tout le monde. On peut ainsi considérer par exemple ce qu'un tribunal ontarien a décidé dans une affaire similaire. La décision d'une cour d'appel peut être encore plus probante, mais ce n'est pas nécessairement toujours chose faite.
Lorsque nous ne siégeons pas, il nous arrive certes de discuter entre nous de ces questions auxquelles vous faites référence dans l'arrêt Jordan. Je n'ai pas encore rencontré personne qui sache exactement ce qu'on veut dire en parlant, dans le contexte de cette transition, de la nécessité de se conformer au droit tel qu'il existait au préalable.
Je trouve cela un peu étrange, car la plupart des juges, et je crois qu'ils devraient tous le faire, se basent sur la preuve produite pour rendre leurs décisions. Dans une telle situation, quels éléments de preuve pourra-t-on avancer pour démontrer que l'on s'est conformé au droit tel qu'il existait au préalable? Je pense qu'il faudra attendre que quelqu'un en saisisse un tribunal et présente son plaidoyer et peut-être aussi quelques éléments de preuve pour qu'une décision soit rendue.
Le président : Je ne sais pas si un profane pourrait comprendre ce qu'on entend par « une application contextuelle ». Probablement que même les juristes en perdent leur latin.
Il y a une autre question qui a été portée à mon attention de façon indirecte sans qu'elle soit soulevée dans les témoignages que nous avons entendus pendant nos audiences. Il s'agit de savoir s'il y aurait lieu d'envisager la création d'une section de première instance unique pour le système judiciaire canadien. Qu'en pensez-vous?
M. Wittmann : Je pense qu'il faut envisager toutes les possibilités. Je sais qu'il y a par exemple au Nunavut ce qu'on appelle un tribunal à palier unique. Au tout début des années 2000, une controverse à ce sujet a opposé la cour provinciale de l'Alberta et la Cour du Banc de la Reine. Il était alors question de mettre en place un tribunal de la famille unifiée pour toute la province. La cour provinciale a proposé que l'on crée tout simplement un tribunal unifié, pas seulement pour la famille, de manière à tout rassembler sous une même instance. Cette suggestion a suscité une certaine animosité.
Tout cela fut plutôt regrettable, car nous n'avons pas pu avoir en bout de ligne notre tribunal de la famille unifiée. Sans vouloir tomber dans les considérations politiques, je me souviens que le gouvernement de l'Alberta a écrit une lettre à ce sujet au ministre fédéral, parce qu'un tel changement aurait exigé d'importantes modifications aux lois fédérales. Je crois que c'est l'honorable Martin Cauchon qui a répondu en nous indiquant de communiquer à nouveau avec lui lorsque toutes les provinces se seront ralliées. Comme cela n'est jamais arrivé, nous ne sommes pas plus avancés aujourd'hui.
Je ne sais pas si cela rendrait le système judiciaire plus juste et plus efficient. Par exemple, on pourrait sans doute traiter plus de causes de nature courante grâce à l'apport d'un plus grand nombre de juges et à la mise en commun des ressources. On serait porté à croire qu'un tel système serait plus efficient, et peut-être bien que ce serait effectivement le cas.
Je ne suis pas contre le concept en lui-même. Je peux vous dire que c'est une idée qui ne plairait pas à un grand nombre de juges de la cour supérieure dans ce pays. Plusieurs juges des cours provinciales seraient par contre tout à fait d'accord.
Pour tout vous dire, mon épouse est elle-même juge au sein de la section pénale de la cour provinciale à Calgary, et ce, depuis 16 ans. Nous ne discutons pas de ces questions à la maison.
Le président : Si je vous ai bien compris, il serait bon que le comité se penche sur cette possibilité.
M. Wittmann : Je pense que oui. J'aurais toutefois une mise en garde à vous faire, sénateur Runciman. J'ai vécu l'expérience d'un processus de modification des règles de la justice civile à Calgary. J'ai été président du comité directeur de l'Alberta Law Reform Institute de 2000 à 2010. Il nous a fallu 10 ans pour arriver à nos fins.
Comme j'ai pu le constater, on ne réussit pas toujours à concevoir un nouveau système qui soit parfait en tout comme on le souhaiterait. Même lorsque les changements voulus peuvent être mis en œuvre, il arrive que l'évolution des circonstances et du contexte culturel fasse en sorte que les réformes qui vous apparaissaient judicieuses au départ ne le sont plus tellement 10 ans plus tard.
Je crois préférable d'isoler certains éléments que l'on veut améliorer pour essayer d'y apporter des changements, plutôt que d'essayer de refaire le système de fond en comble.
Le sénateur Joyal : Merci de votre contribution.
Comme vous l'avez dit tout à l'heure en répondant à une question, nous sommes après tout rendus au XXIe siècle. Ne croyez-vous pas qu'il serait grand temps de revoir les modes de fonctionnement du système en priorisant le recours aux technologies modernes pour qu'il puisse évoluer davantage dans le sens de la formation dispensée aux juristes de la nouvelle génération? Ceux-ci sont très à l'aise avec ces outils technologiques. Comme vous l'avez indiqué, il ne fait aucun doute que le système actuel fonctionne sur des bases qui ne correspondent aucunement à celles de notre société moderne.
Pensez-vous que ce serait une bonne chose de réviser le système en misant sur les nouvelles technologies? Voyez-vous comment nous pourrions procéder ainsi pour rendre le système plus efficient et mieux adapté aux grands objectifs établis dans l'arrêt Jordan?
M. Wittmann : Je crois effectivement que c'est une bonne idée. La technologie moderne a toutefois ses bons et ses mauvais côtés. Parmi les avantages, il y a la rapidité et la possibilité de retrouver facilement les informations nécessaires pour rendre une décision éclairée, et je parle ici du point de vue d'un juge.
Du côté des inconvénients, il y a selon moi le fait qu'il n'est pas possible de filtrer les renseignements pour déterminer lesquels devraient être utilisés. Il se peut que je l'aie mentionné la dernière fois, mais la communication électronique de la preuve a pour effet d'inonder nos instances civiles sous des tonnes d'informations dont la plus grande partie n'est pas pertinente et ne peut pas être utilisée en l'absence d'un filtrage adéquat.
Je n'ai jamais vu, et je ne verrai jamais comme juge, une communication complète de la preuve telle qu'exigée dans l'arrêt Stinchcombe pour une affaire pénale, mais je sais que le service des poursuites à Edmonton vient tout juste d'adopter la communication électronique.
Ma réserve vient du fait que l'information n'est pas filtrée. On ne fait que transmettre tous les éléments obtenus de la police. Lorsque la défense reçoit l'information, il lui faut la filtrer. C'est une opération qui exige beaucoup de temps, si on veut bien faire le travail.
À mon avis, il faudrait pouvoir compter sur un système qui tienne compte des avancées technologiques, mais qui mette également ces avancées à contribution pour aller chercher les informations vraiment nécessaires à la décision.
De quoi la défense a-t-elle vraiment besoin dans le contexte d'une affaire pénale? Il y a eu des cas où on a eu recours à la technologie pour des causes civiles. Une fois tous les documents numérisés, on peut alors par exemple se servir de mots clés pour chercher ce qu'on veut. Si le logiciel est bien conçu, il peut produire des résultats plus fiables et plus précis que ceux que pourrait obtenir une personne dans les mêmes circonstances. Si cela pouvait être possible pour la communication de la preuve à la défense, ce serait merveilleux.
Le sénateur Joyal : Comme vous l'avez mentionné précédemment, vous entendez des causes civiles. Êtes-vous au fait de modes de fonctionnement dont on pourrait s'inspirer également dans les causes pénales?
M. Wittmann : Je crois que les tribunaux, surtout en Alberta — et c'est encore une question de ressources — devraient sans doute passer à un système de dossiers électroniques. À ce que je sache, il n'y a pas un seul tribunal au Canada qui utilise un système entièrement fondé sur les dossiers électroniques. Avec un tel système totalement électronique, vous pouvez voir sur votre moniteur au tribunal tout ce qui s'est passé auparavant dans la cause dont vous êtes saisis. Je peux ainsi savoir combien il y a eu d'ordonnances; combien il y a eu d'ajournements; s'il y a eu un voir-dire et quel en a été le résultat. Je pense qu'il serait utile de pouvoir consulter tous ces renseignements en format électronique. C'est ce que j'appelle l'aspect concret de la technologie.
Les tribunaux doivent mettre en place les outils nécessaires pour que les avocats et les juges puissent les utiliser. Il arrive actuellement dans certaines causes civiles que les avocats se présentent avec les outils électroniques et les programmes informatiques nécessaires pour que nous puissions avoir un véritable procès électronique.
Ce sont les tribunaux qui devraient s'en charger. Dans le cas des cours supérieures provinciales, le gouvernement de la province devrait faire le nécessaire.
Le sénateur Sinclair : Merci de vos observations, monsieur le juge en chef. J'ai quelques questions à propos d'éléments au sujet desquels vous pourriez peut-être nous en dire plus long.
Premièrement, pour ce qui est des délais, étant donné que la Charte exige qu'un procès soit tenu dans un délai raisonnable, et que les tribunaux ont maintenant fourni certaines indications quant à ce qu'on doit entendre par « délai raisonnable », croyez-vous qu'il soit nécessaire d'apporter des changements à nos lois pour régler cette question du procès dans un délai raisonnable? Je ne parle pas des problèmes liés aux reports ou à la détention préventive. Je m'intéresse seulement pour l'instant à la question du procès lui-même.
M. Wittmann : Vous parlez en fait de la Charte.
Le sénateur Sinclair : Oui.
M. Wittmann : Je fais peut-être montre d'une trop grande candeur, mais j'aurais cru qu'il était beaucoup plus difficile de modifier la Charte que d'apporter des changements au Code criminel. Les changements au Code criminel n'auraient pas préséance sur ce que prévoit la Charte. Alors, devrions-nous modifier la Charte? Je ne crois pas. J'estime tout à fait légitime de vouloir qu'un procès puisse se tenir dans un délai raisonnable. Reste à savoir ce que l'on entend par raisonnable.
Voilà que la Cour suprême du Canada nous fournit certaines indications pour définir ce qui est raisonnable. Dans la conjoncture actuelle, plusieurs intervenants ont un rôle à jouer à différents égards pour que nous atteignions les objectifs fixés. Je crois que le juge Moldaver en a mentionné un certain nombre. Ainsi, les tribunaux et les juges, de même que tous les autres intervenants, doivent faire le nécessaire pour favoriser un changement de culture et améliorer nos modes de fonctionnement, mais nous ne pouvons pas non plus sacrifier l'équité sur l'autel de l'efficience.
Pour que les procès puissent se tenir dans un délai raisonnable, tout au moins chez nous en Alberta, il nous faudra davantage de ressources judiciaires et non judiciaires. À l'heure actuelle, la date d'instance devant notre cour à Calgary et à Edmonton est fixée à 62 semaines plus tard pour les procès devant durer plus de cinq jours. S'il faut 18 mois pour que nous soyons saisis de l'affaire, il ne nous reste que 52 semaines avant d'atteindre le plafond de 30 mois. Dès le début du procès, nous sommes donc déjà en retard par rapport aux lignes directrices établies dans l'arrêt Jordan, en excluant les périodes soustraites pour le délai imputable à la défense et les considérations semblables.
Pour réduire ces délais, il faut mettre un plus grand nombre de juges à contribution dans le système en place de manière à ce que les choses se déroulent plus rondement. Différents facteurs pourraient aussi permettre d'accélérer le processus.
Le sénateur Sinclair : Je vous prie de m'excuser, monsieur le juge en chef; ma question n'était peut-être pas assez claire.
En tenant compte du fait que la Charte exige qu'un procès soit tenu dans un délai raisonnable, je voulais savoir pour quelle raison il faudrait apporter des modifications au Code criminel pour en arriver au même résultat. Ma seconde question va un peu dans le même sens. Pensez-vous que l'on devrait modifier le Code criminel pour supprimer le droit à une enquête préliminaire?
M. Wittmann : Je suis désolé de ne pas avoir bien compris votre première question. Je crois effectivement que des modifications législatives seraient utiles, car il faut mieux définir ce qu'on entend par « procès dans un délai raisonnable ». C'est un peu comme tous ces gens qui parlent d'accès à la justice. Dès qu'on leur demande ce qu'ils veulent dire exactement par là, ils sont interloqués. Vous voulez savoir pourquoi? Eh bien, c'est parce cette expression est tellement employée à toutes les sauces qu'elle perd tout son sens si l'on ne prend pas la peine de bien y réfléchir et, encore là, elle n'aura pas le même sens pour tout le monde.
C'est la même chose avec le concept d'un procès dans un délai raisonnable. C'est justement pour cette raison que l'on fixe des échéanciers dans l'arrêt Jordan. On y indique qu'il peut y avoir des délais dans des circonstances indépendantes de notre volonté et qu'il peut y avoir présomption dans certains cas.
Mais chaque cause est différente et il y aura toujours des exceptions. Les juges en l'espèce traitent des problèmes de complexité, du délai imputable à la défense et de toute une série d'autres facteurs. Je pense que le système devrait être modifié de telle sorte que les procès s'insèrent d'une manière générale plus tôt dans le processus, ce qui devrait améliorer les chances de voir tous les procès tenus dans un délai raisonnable.
Le président : Si vous me permettez d'intervenir, je rappelle que vous avez déjà traité des enquêtes préliminaires en réponse à une question posée par le sénateur Baker et qu'il n'est donc pas nécessaire que vous reveniez sur le sujet, car cela figure déjà au compte rendu.
Nous avons un dernier sénateur qui souhaiterait poser une brève question avant que le temps nous manque.
Le sénateur Baker : Nous tenons à vous remercier très sincèrement pour vos comparutions devant notre comité. Votre contribution exceptionnelle nous est d'une grande utilité.
Il arrive que les requêtes soient remplies de formules toutes faites sans que l'on aborde vraiment le fond de la question. Notre comité devrait-il recommander que les tribunaux rejettent d'emblée toutes les requêtes semblables qui ne traitent pas des faits en cause pour appuyer une argumentation fondée sur la Charte? Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Wittmann : J'ose croire que c'est exactement ce que nous faisons. L'une des choses intéressantes à propos du droit criminel, c'est qu'il n'y a pas de sanction lorsqu'on perd. Je ne suis pas en train de dire que cela devrait être le cas dans le cadre d'un procès, mais nous parlons de demandes qui ne sont pas du tout valables, et on se demande pourquoi elles sont présentées, si la cour les considère comme des demandes désespérées.
Je ne sais pas si notre système devrait nécessairement se concentrer là-dessus, car la plupart des avocats sont intègres et ne participent pas à cela. Je ne suis pas en train de dire que personne ne le fait, mais la vaste majorité d'entre eux ne devraient pas nous inquiéter.
J'aimerais terminer en répétant quelque chose que j'ai dit la première fois. Nous avons l'un des meilleurs systèmes de justice pénale du monde libre. Je le sais, et ne laissez personne vous dire le contraire. Le visage de notre système de justice, c'est la juge en chef McLachlin. Elle est hautement respectée partout dans le monde, et ne soyons donc pas trop critiques envers nous-mêmes à cause des délais, car il demeure que nous avons un meilleur système que la plupart des autres pays, à mon avis.
Le président : Je vous remercie, juge en chef Wittmann; vous avez été très généreux de votre temps, et votre témoignage est très utile. Le comité vous en est vraiment reconnaissant. Merci, monsieur.
(La séance est levée.)