Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 16 - Témoignages du 17 novembre 2016
OTTAWA, le jeudi 17 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 11 h 33, pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues et à notre témoin invité. Plus tôt cette année, le Sénat a autorisé le comité à étudier, pour en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et à examiner les rôles que le gouvernement du Canada et le Parlement peuvent jouer pour résorber ces délais. Il s'agit de la 31e séance consacrée à cette étude.
Nous sommes heureux d'accueillir le très honorable sir Brian Leveson, président de la Division du Banc de la Reine, magistrature de l'Angleterre et du pays de Galles, qui témoignera depuis Londres par vidéoconférence. Il se joint à nous pour parler de son rapport, Review of Efficiency in Criminal Proceedings, et de son expérience dans l'exécution de cette étude.
À titre de juge en exercice au Royaume-Uni, sir Brian nous demande de respecter son rôle, comme nous avons respecté celui d'autres juges qui ont comparu devant le comité, de limiter nos questions à son rapport et à son expérience et de nous abstenir de toute demande d'observation sur le système canadien. Il est là pour nous aider à tirer des enseignements de l'expérience britannique. Nous le remercions chaleureusement d'être avec nous aujourd'hui.
Sir Brian, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez la parole.
Le très honorable sir Brian Leveson, président de la Division du Banc de la Reine, magistrature de l'Angleterre et du pays de Galles, à titre personnel : Je suis flatté d'avoir été invité par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles du Canada à témoigner dans le cadre de son étude sur les délais dans les procédures pénales, et je suis ravi de le faire.
Pour commencer, je dois préciser que, comme on vient de le dire, je ne suis pas en mesure de commenter le système canadien, tout en reconnaissant volontiers qu'il y a de réelles similitudes entre les défis que vous avez à relever — notamment en matière de technologie et de gestion des cas — et ceux qui, en 2014, ont incité le lord chancelier et lord juge en chef à me demander d'examiner l'efficience des procédures pénales.
Tout au long de cet examen, j'ai bien précisé que, en tant que juge en exercice, je ne pouvais entrer dans la mêlée politique. J'ai pu, par contre, me servir de mon expérience de la pratique dans les juridictions pénales en Angleterre et au pays de Galles, une expérience de près de 46 ans, je crains de l'admettre, pour comprendre les raisons des défaillances du système, pour solliciter la bonne volonté de nombreux autres acteurs qui œuvrent dans les créneaux cloisonnés du système de justice pénale, et pour étudier attentivement les moyens qui nous permettraient de rendre le système efficient.
Vous trouverez la description de mon mandat dans l'étude. Je n'y reviendrai pas, mais, essentiellement, on m'a demandé d'examiner l'ensemble des pratiques et procédures en vigueur, de la première à la dernière, y compris les règles de procédure pénale, ou le processus qui va de la mise en accusation à la déclaration de culpabilité ou à l'acquittement, pour déterminer comment les alléger, les simplifier ou les améliorer de façon générale, en mettant particulièrement à profit la technologie.
L'une des limites importantes de mon examen était que je ne devais pas faire une enquête ni recommander des modifications législatives. Je devais plutôt chercher des moyens permettant de créer un système plus efficient, en travaillant dans le cadre législatif actuel. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas étendu ma réflexion au-delà de ces paramètres; j'y reviendrai plus tard.
Le point de départ de mon examen a été la constatation que, pendant au moins les 50 dernières années, nous avons pris un système conçu à la fin du XIXe siècle, et nous y avons ajouté, en succession, des protections, des procédures et des développements nouveaux. Il en est résulté un assemblage de nouveau et d'ancien qui ne constitue tout simplement pas une solution efficace à long terme aux problèmes de l'ère numérique qu'est le XXIe siècle.
Un élément essentiel de la tâche qui m'a été confiée a été la reconnaissance du fait que cet examen se devait d'être inclusif. En réalité, il n'y a pas un système de justice pénale unique, mais une série de systèmes, dans lesquels chaque acteur — la police, la poursuite, la défense, le tribunal — agit en fonction des résultats qu'il veut obtenir. Par conséquent, il était essentiel de faire intervenir tout le monde dans l'examen.
Mon équipe comprenait des agents de police et du Service des poursuites de la Couronne, des représentants du barreau et de la Law Society, des gens des services aux tribunaux, y compris les juges-greffiers, de l'aide juridique, du service national de gestion des délinquants, chargés des prisons et de la probation, et du ministère de la Justice, des universitaires et, bien sûr, des juges et des magistrats de chaque juridiction, des juges de districts aux lords juges d'appel.
La diversité des points de vue faisait partie intégrante de la mise à l'épreuve des idées et de la formulation de recommandations visant à améliorer l'efficacité et le débit du travail dans le système et, surtout, à formuler des recommandations qui pourraient emporter et emporteraient effectivement l'adhésion.
J'ai insisté pour que les intervenants soient des représentants encouragés à rapporter les idées ayant fait l'objet de discussions afin de solliciter les vues de leurs clientèles, pour ensuite revenir avec des raffinements, des améliorations ou de nouvelles idées.
Mon équipe a reconnu que si le système ne fonctionne pas pour tout le monde, il y a de fortes chances qu'il ne fonctionne pour personne — chacun a dû reconnaître les problèmes des autres et se préparer à participer à leur résolution, sans quoi l'efficience recherchée ne pourrait être obtenue. J'espère et je crois que c'est ce que nous avons atteint, avec le résultat que toutes les parties au système ont accepté mes recommandations. Si vous le voulez, je vous donnerai des exemples.
Même si j'avais le mandat de recommander des changements ne nécessitant pas de modifications législatives, je n'ai pas complètement écarté cette possibilité. Le chapitre 10 de mon rapport recense les approches et les solutions proposées au cours des très nombreux examens de la justice pénale effectués au fil des ans, mais qui sont restées lettre morte. L'objectif était de permettre au gouvernement et aux politiques en général de réfléchir de nouveau aux solutions plus ambitieuses proposées par le passé.
En janvier, il y aura deux ans que j'aurai publié mon rapport. Quels en ont été les résultats jusqu'ici? Les recommandations contenues dans le rapport ont été acceptées par le lord chancelier, sans aucune dissidence parmi ceux qui sont ici appelés les parties prenantes, expression que je déteste. Le travail a commencé aussitôt. Une commission de mise en œuvre a été établie au ministère de la Justice. Elle se composait de tous les principaux organismes de justice pénale nécessaires à la mise en place d'une réforme. Cette commission a été le moteur des changements qui nécessitaient des mesures communes, tandis que le Comité des règles de procédure pénale, dont je fais partie, s'attaquait à la modification des règles dans le but d'obtenir des résultats en matière de procédure.
Cinquante-six recommandations ont été formulées. Elles concernaient des questions aussi variées qu'une meilleure utilisation de l'informatique, la répartition des affaires entre les tribunaux d'instance et les cours pénales, une meilleure gestion des cas et du rôle des procès.
La plupart ont déjà été mises en œuvre. Elles comprennent les modifications apportées au déroulement du procès, par l'instauration d'un devoir d'engagement direct entre la poursuite et la défense, une gestion efficace et uniforme des cas par les juges et l'élargissement du prononcé des instructions par le tribunal; la création d'une position par défaut, à savoir que la preuve est servie numériquement plutôt que sur papier, et que les audiences de gestion d'affaires courantes se tiennent par un lien en direct, ou par vidéoconférence, téléphone ou correspondance électronique avec le tribunal, ce qui a l'avantage d'éviter aux parties de devoir se réunir devant le tribunal, sauf pour le procès.
Grâce à la mise en place d'un outil de performance visant les cours pénales, les données sont présentées d'une manière qui permet une meilleure évaluation de la performance, l'amélioration de la reddition de comptes et le recensement des pratiques exemplaires.
Au sujet des règles pour améliorer l'efficience des procès devant jury, ces révisions portent sur des questions comme un cheminement écrit vers le verdict; une scission de l'exposé au jury, délivré en deux parties, la première partie avant les plaidoiries et réquisitoires et la seconde partie après; la simplification de l'exposé au jury pour aider les jurés à se concentrer sur les enjeux en cause.
J'ai parlé du programme de bonne gestion des cas à deux reprises. Ce programme dirigé par le pouvoir judiciaire vise à améliorer la façon dont les affaires criminelles sont traitées par le système grâce à une gestion des cas robuste, un nombre réduit d'audiences, et la participation et l'engagement optimaux de toutes les parties. Le programme a été déployé à l'échelle nationale le 5 janvier 2016. Les premiers signes sont prometteurs : le programme semble contribuer grandement à une gestion plus efficiente des tribunaux. Il y aura une analyse formelle au début de l'année prochaine, lorsque nous disposerons de suffisamment de données fiables.
C'était là un résumé très rapide de ce qu'on m'avait demandé et de notre situation actuelle, mais je crois savoir que le reste de la séance est réservé aux questions. Je serai très heureux d'apporter mon aide dans toute la mesure de mes capacités.
Le président : Passons aux questions. Le vice-président posera les premières.
Le sénateur Baker : Merci, sir Brian, de votre exposé très instructif, et je vous félicite de l'exceptionnelle contribution que vous avez apportée au fil des ans.
Au Canada, nous avons, me semble-t-il, un système à peu près identique au vôtre en ce qui concerne les droits de la personne et la tenue de procès dans des délais raisonnables. Ce sont les mêmes termes qui se trouvent dans votre charte et dans la nôtre.
Pourriez-vous dire quel est, selon votre étude, le rôle du procureur? Quel devrait être son rôle? Doit-il chercher à obtenir une condamnation? Doit-il être un ministre de la justice? Ma principale question est la suivante, et elle est très importante : au Canada, un sursis est prononcé lorsqu'un certain nombre de mois, auquel sont soustraits les retards occasionnés par la défense, se sont écoulés avant la tenue d'un procès. Lorsqu'on dépasse les 30 mois, compte non tenu des délais provoqués par la défense, le sursis est automatiquement accordé.
Des membres de notre comité, qui discute de notre procédure, croient que nous devrions avoir un système où il n'y a pas de sursis. Il y aurait à la place un autre recours, par exemple une réduction de la peine ou une indemnisation qui pourrait être accordée à l'accusé, qu'il soit déclaré coupable ou non, si ses droits ont été violés, pour payer ses frais juridiques, ou autre chose. Cela remplacerait le sursis.
Qu'en pensez-vous? Ce serait un changement majeur dans notre système. Devant nos tribunaux, un sursis peut être accordé aux personnes qui ne sont pas seulement inculpées, mais aussi condamnées. Que pensez-vous de cette solution, soit l'abolition du sursis, qui serait remplacé par un régime de réduction des peines auquel s'ajouterait un système d'indemnisation dans les poursuites pénales, ce qui n'existe pas au Canada pour l'instant?
M. Leveson : Je vais m'engager dans le débat tout en soulignant que je ne suis pas spécialiste de la jurisprudence canadienne. Je vais aborder la question dans mon optique propre.
D'abord, les procureurs sont des ministres de la Justice. Ce n'est pas leur travail de chercher à obtenir une condamnation, et surtout pas à tout prix.
J'ai passé ma carrière comme avocat, et j'ai été aussi bien procureur qu'avocat de la défense dans une foule d'affaires pénales. La grande explication que j'ai donnée à bien des gens au fil des ans, c'est que la poursuite est une démarche intellectuelle. Il s'agit d'essayer d'exposer les faits au jury — mais il y a aussi le procès devant juge seul — sans chercher à tout prix à obtenir une condamnation. Bien sûr, la défense est une démarche plus chargée d'émotion : il s'agit d'obtenir un acquittement. C'est plutôt normal. Nous le comprenons.
Il existe aussi un droit à un juste procès, aux termes de l'article 6 de la Convention des droits de l'homme, mais nous n'avons pas de sursis qui soit automatiquement accordé. Il y a dans notre pays la notion d'abus de procédure qui permet au tribunal de surseoir à une affaire à cause de délais excessifs, mais il ne peut le faire que si cela prive le prévenu du droit à un procès équitable. Cela est cependant très différent de ce que vous avez décrit.
Permettez-moi maintenant d'aborder une partie des questions sur lesquelles mon examen a porté. Le problème, c'est que nous avons entouré notre système de tant de protections que les retards sont devenus endémiques.
Lorsque j'ai commencé ma carrière au barreau, si j'agissais comme procureur ou défendeur dans une affaire de viol, il y avait la déclaration de la victime, celle d'un médecin, celle d'un policier, peut-être celle d'un autre témoin, celle du défendeur et peut-être celle d'un de ses témoins. Aujourd'hui, nous vérifions les messages dans le téléphone portable de l'accusé, dans Facebook et sur toutes les plateformes où il y a eu des échanges immédiatement après les faits. Il y a une quantité énorme de faits supplémentaires qui doivent faire l'objet d'une enquête, et tout cela demande beaucoup de temps.
Le but de l'examen était de trouver des moyens d'abréger les délais. L'un des principes consiste à dire qu'il faut faire les choses correctement du premier coup. Le procureur et la police sont les portes d'entrée de notre système, tout comme ils le sont dans le vôtre. Ils décident qui il faut inculper, et il faut qu'ils agissent sans tarder. Le devoir d'engagement, dont je parle dans l'examen, consiste à s'assurer que le procureur et l'avocat de la défense tiennent compte l'un de l'autre et aient des échanges.
La difficulté que je perçois, j'ose le dire et vous me pardonnerez, c'est que, s'il y a un sursis automatique, c'est qu'on arrête de discuter de qui a fait quoi pour se demander qui est responsable des délais. Sauf votre respect, il ne me semble pas que ce soit là une utilisation du temps terriblement sensée.
Bien sûr, on veut que les affaires soient réglées le plus rapidement possible. On veut procéder rapidement, mais cela ne peut pas être un jeu. Ce qui se passerait chez nous, si nous avions ce dispositif automatique, c'est qu'il y aurait une multitude de contestations. Par exemple : j'avais le droit de demander la communication de ce fait et vous n'avez pas répondu; par conséquent, le délai à partir du moment de ma demande est votre responsabilité, pas la mienne. Nous serions submergés de problèmes comme celui-là.
Il y a beaucoup de choses que j'admire dans le système canadien, mais je ne suis pas sûr d'admirer cette disposition.
Le sénateur Baker : Sir Brian, je suis désolé, mais vous n'avez pas répondu à ma question. Je sais que vous auriez fini par y arriver, mais la présidence m'a fait signe parce que le temps file. Je répète ma question : que pensez-vous de l'idée de certains membres du comité qui voudraient que le sursis ne soit pas automatique au bout de 30 mois, mais qu'il y ait un autre dispositif, comme un allégement de la peine ou le versement d'une indemnisation?
M. Leveson : Je suis tout à fait d'accord. Le seul fait que j'aie marqué mon désaccord sur ce dispositif suppose qu'il doit y avoir une autre solution. À mes yeux, l'indemnisation n'en serait pas une parce que cela donnerait encore lieu à un autre débat.
La convention offre une solution. Si des droits garantis par cette convention sont enfreints, cela ne veut pas dire, d'après la Cour européenne des droits de l'homme, qu'on échappe aux poursuites, mais qu'il en est tenu compte dans la peine imposée.
Désolé de n'avoir pas répondu à votre question. Je me suis laissé entraîner par mon sujet.
Le sénateur Baker : Vous avez répondu. Merci.
Le sénateur McIntyre : Merci, sir Brian, de votre excellent exposé. Votre rapport a été publié en janvier de l'an dernier. Il présente 56 recommandations et de nombreuses observations. Et deux mois après, le gouvernement britannique a réagi favorablement à votre rapport, acceptant toutes vos recommandations en principe. C'est toute une réalisation. Mes félicitations.
J'ai deux questions à vous poser sur votre rapport. Vous y proposez que la police, les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense soient tenus responsables des manquements répétés aux diverses règles juridiques et judiciaires. Vous avez ajouté qu'il faudrait tenir des registres de ces manquements et saisir les tribunaux lorsque des tendances aux manquements sont relevées.
Voici ma question : pourriez-vous m'expliquer comment ce système de responsabilité fonctionnerait? Qu'est-ce qui constituerait, selon vous, un manquement qui mérite d'être noté au registre?
M. Leveson : Je dirai d'abord que le grand problème de la justice pénale, c'est qu'il n'y a aucune sanction à l'encontre de ceux qui ne font pas ce qu'ils sont censés faire. Dans les affaires civiles, si un plaignant ou un demandeur manque à ses obligations, on peut rayer l'affaire du rôle. Si c'est l'intimé qui déroge, on peut écarter la défense. Mais en droit pénal, on ne peut pas écarter la défense d'un accusé inculpé d'un crime. On ne peut pas, ou on ne devrait pas, sinon avec de grandes précautions, déclarer qu'une poursuite ne peut avoir lieu.
En matière de sanctions, nous n'avons toujours pas trouvé la solution. Nous avons essayé d'imposer des frais, mais le problème des coûts surgit alors, et on risque de perdre tout intérêt à la vie parce que chacun des points est pris en compte, et il y a des litiges secondaires qui font perdre inutilement du temps aux tribunaux.
Si des gens négligent de se conformer aux ordonnances de la cour, un certain nombre de juges rendent la chose publique, en ce sens que l'ordonnance et le manquement sont tous deux du domaine public. Le vendredi après-midi, à 16 heures, certains juges exigent que l'avocat fautif se présente gratuitement devant le tribunal pour y expliquer pourquoi il n'a pas fait ce qu'il devait, ce qui l'embarrasse publiquement parce qu'il a manqué à ses obligations.
Dans certains tribunaux, cela fonctionne, mais il faut un certain type de juge et il faut vouloir s'attaquer vraiment au problème. Le problème des sanctions pour manquement à communiquer des éléments ou pour autre chose est très ardu. Fréquemment, c'est la poursuite qui doit agir, mais le Crown Prosecution Service a des fonds très limités et il ne parvient pas à agir. Voilà pourquoi j'ai insisté sur le fait qu'il faut faire les choses correctement dès le départ et s'engager, au lieu d'avoir à corriger des erreurs après coup. Le problème des sanctions est très réel. Si vous arrivez à le régler, je vous serais reconnaissant de me faire savoir comment vous vous y êtes pris.
Le sénateur McIntyre : Dans votre rapport, vous proposez aussi qu'il y ait une structure de frais modifiée pour récompenser un engagement significatif de l'avocat de la défense avec la poursuite.
Voici ma question : comment fonctionnerait cette structure? Y a-t-il un risque que des avocats ne cherchent à agir trop rapidement dans les instances pénales, quitte à nuire à leurs clients?
M. Leveson : Il y a dans notre système d'aide juridique des incitatifs qui ont des effets contradictoires, et c'est pour les faire disparaître que j'ai tenu à encourager une façon d'aller de l'avant. Je sais que le ministre de la Justice a travaillé très fort avec l'organisme chargé de l'aide juridique et les diverses professions afin de récompenser l'efficacité dans le travail, tout en évitant de récompenser l'inefficacité.
D'après moi, cela n'obligera pas et n'encouragera pas les avocats à desservir les intérêts de leurs clients pour régler leurs affaires rapidement, mais je tiens simplement à éliminer les incitatifs qui donnent des effets contraires à ceux qui sont recherchés. Je veux qu'on fasse le travail sans tarder et qu'on parvienne à un règlement lorsque c'est possible, ce qui n'est pas toujours le cas, de la façon la plus efficace possible. Le pire des deux mondes, c'est quand on prépare tout pour un procès et que l'accusé finit par plaider coupable.
Certains défendeurs veulent suivre toute la démarche jusqu'au procès avant de plaider coupable, mais c'est parce qu'il y a une lacune en aval, dans le système, et qu'elle n'est corrigée qu'au dernier moment. C'est là une lacune que nous devons combler.
Le sénateur Joyal : Merci, sir Brian, de la contribution que vous apportez à notre réflexion. Ma première question portera sur la capacité des juges de gérer les cas.
Comment abordez-vous la question de la capacité qu'on pourrait donner au juge d'intervenir dans la gestion des instances pour éviter les délais injustifiés ou un ralentissement des rouages dans les suites à donner aux accusations, dans les procès, et ainsi de suite? Comment abordez-vous cette question?
M. Leveson : Voici ce qui se passe. Si un défendeur est inculpé d'un crime — en ce moment, s'il est déféré à la cour pénale, il y a procès devant juge et jury —, il est cité un jour ou deux après à ce tribunal, et le défendeur est mis en accusation. Il y a ensuite une audience préliminaire : il faut s'assurer que le défendeur a tout ce qu'il faut et fixer un délai pour la tenue du procès.
Entre autres choses, le rapport recommande d'adopter la plateforme commune qui a été mise au point en technologie de l'information. Il s'agit d'un dispositif de TI qui permet à la police d'expédier directement en ligne les documents de la poursuite. Ils sont alors accessibles pour le défendeur et surtout pour le tribunal. Nous sommes favorables à la prise en main des instances par le juge plutôt qu'à l'application d'un système de dossiers; les affaires sont présentées pour examen et le juge peut prendre des ordonnances et les signifier aux parties, qui peuvent aussi faire des demandes en ligne. Tous n'auraient pas à se présenter en cours pour faire valoir un point de vue. Tout peut se faire par voie électronique.
En outre, les défendeurs peuvent comparaître par voie électronique. Je peux vous parler au Canada, mais il est parfois difficile de parler à quelqu'un dans une prison locale à cause de problèmes de vidéo.
Nous déployons de grands efforts. L'une des recommandations veut qu'on ait davantage recours à la technologie de façon à éviter de réunir tout le monde, ce qui occasionne des coûts très élevés. Si nous pouvons communiquer par voie électronique, l'avocat qui prend la responsabilité de l'affaire peut être celui qui envoie le courrier électronique. Le fait qu'il est au milieu d'un procès, occupé à autre chose, ne change rien. Il peut envoyer son message à 9 ou 10 heures du matin, et le juge peut répondre quand il en a le temps. Il y a là une approche plus directe de l'administration et de la gestion des cas. Voilà l'idée, et elle donne de bons résultats.
Le sénateur Joyal : C'était là ma deuxième question. Votre rapport recommande le recours aux moyens numériques que la nouvelle technologie met à notre disposition. Recevez-vous des réactions favorables de ce que nous appelons ici « la culture des délais »? Comment les médias ont-ils réagi à l'utilisation des moyens électroniques pour éviter de devoir réunir toutes les parties au même moment au tribunal, ce qui est difficile pour une foule de raisons, compte tenu de toutes les personnes qui doivent participer à la tenue d'un procès? Avez-vous eu une réaction favorable de la part du barreau, de la police, des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense?
M. Leveson : Tout le monde est en train d'apprendre. Voilà la vérité. Il ne faut pas oublier que les avocats, dans notre pays, étaient plus habitués à la plume d'oie. La machine à écrire a donc été une véritable innovation. La transition est difficile. Ce qui est particulièrement difficile, c'est de travailler à partir de documents numériques plutôt qu'imprimés. Je n'hésite pas à avouer que j'ai beaucoup de mal à lire et à rédiger des documents que je vois à l'écran plutôt que sur papier, mais je crois comprendre que le barreau, les avocats et le barreau adoptent volontiers le système parce qu'il permet d'économiser beaucoup de temps et d'argent.
J'ai ici une donnée statistique intéressante. Vous savez peut-être que nous avons à Londres un bâtiment qui s'appelle « The Shard ».
Le sénateur Joyal : Oui, je suis au courant.
M. Leveson : On me dit que chaque mois, nous économisons un volume de papier tel que, si on l'empilait, on obtiendrait 2,7 fois la hauteur du Shard. Voilà quelles sont les économies de papier réalisées tous les mois.
Cette évolution a ceci d'extraordinaire que, pour les avocats, le temps, c'est de l'argent. Si nous leur permettons de travailler de cette manière, ils peuvent accomplir leur travail de façon beaucoup plus efficace. Je touche du bois, mais je crois que les choses se passeront bien. Bien sûr, il faudra voir avec le temps et aplanir les difficultés, mais nous sommes très satisfaits de la plateforme commune.
La sénatrice Batters : Je vous remercie beaucoup de vous être joint à nous, sir Brian. Vous avez dit que pour les avocats, le temps c'est de l'argent. Vous avez tout à fait raison. Je le sais d'expérience, puisque j'ai exercé le droit. Pour les avocats et aussi pour leurs clients, le temps, c'est de l'argent. Dans le dossier qui nous occupe, c'est important pour tous les intervenants. Je voudrais vous expliquer que, malheureusement, le système canadien est au bord de la crise. Hier, aux informations nationales, nous apprenions une nouvelle inquiétante : une autre accusation de meurtre est tombée à cause des délais des tribunaux. C'est vraiment inquiétant. Il y a eu une autre affaire semblable il y a environ un mois.
M. Leveson : Je me suis promis de ne rien dire du système canadien, mais ces faits sortent vraiment de l'ordinaire. N'en parlez pas aux avocats anglais. Autrement, je vais avoir une foule de demandes.
La sénatrice Batters : Vous avez tout à fait raison. Merci beaucoup de votre rapport. Comme vous venez de le laisser entendre, l'adoption de la technologie présente un défi, mais c'est aussi une chance, dans ce genre de contexte. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur les innovations technologiques utilisées dans votre système pour offrir une possibilité réelle de faire économiser du temps devant les tribunaux.
M. Leveson : Il y en a un certain nombre. J'ai parlé de la plateforme commune et de la capacité de communiquer offerte aux avocats. J'y reviens. Dans les affaires civiles, les deux avocats peuvent communiquer l'un avec l'autre. Chez nous, pour les affaires pénales, les avocats sont au tribunal. Ils ne sont pas disponibles; personne ne contrôle le dossier. L'une des exigences à satisfaire est que quelqu'un soit responsable du dossier. Il doit y avoir un nom indiqué pour l'affaire, et les avocats sont alors incités à communiquer par courrier électronique pour régler eux-mêmes les problèmes et, lorsqu'ils ne peuvent pas y arriver faire, ils communiquent avec le tribunal, qui peut alors intervenir.
J'entends un bruit. Je vais faire venir quelqu'un. M'entendez-vous toujours?
La sénatrice Batters : Oui, absolument. Très bien.
M. Leveson : D'accord. Quelqu'un va venir retirer la note sur mon écran. Désolé.
La sénatrice Batters : Tout va bien. Allez-y. Nous vous entendons fort bien.
M. Leveson : Très bien. Il y avait une barre énorme en travers de mon écran, avec une sorte de bruit.
C'est donc là un système, celui de la plateforme commune, que nous sommes en train de mettre en place, et nous espérons éliminer beaucoup de papier, comme je l'ai dit. Le juge en chef de la Nouvelle-Zélande a récemment visité l'une de nos cours pénales, celle de Cardiff, et dans une salle qui, autrefois, aurait été pleine de dossiers, il n'y en avait que six. Six dossiers de documents sur support papier. Le reste avait été numérisé.
Nous en faisons beaucoup plus. Désormais, les témoins, et plus particulièrement les témoins vulnérables, peuvent témoigner à distance par liaison vidéo. On utilise une ligne de RNIS dans notre communication avec vous. Mais si je peux converser avec mon beau-frère à Brisbane par Skype, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas utiliser un système analogue pour avoir des échanges avec quelqu'un qui se trouve dans la prison locale.
Les conséquences sont nombreuses. Les défendeurs n'aiment pas se présenter fréquemment au tribunal parce qu'ils perdent leur cellule. Ils doivent quitter la prison et risquent de ne pas récupérer leur cellule. Ils préfèrent donc ne pas comparaître. Nous faisons donc beaucoup plus de choses par liaison vidéo pour les défendeurs. Ils peuvent témoigner sans être sur place. Plus important encore, les policiers peuvent le faire. Combien de fois n'avez-vous pas vu des policiers traîner sans rien faire au tribunal, attendant de témoigner, pour constater ensuite que leur témoignage a été accepté de toute façon et qu'ils peuvent partir? Nous essayons d'améliorer l'efficacité de tout le système en autorisant bien plus de gens à comparaître par voie électronique, au moyen de Skype ou de FaceTime ou d'une autre application, de façon qu'ils puissent utiliser leur temps plus efficacement.
Voici un autre exemple du même ordre. J'ignore si c'est la même chose au Canada, mais, si les avocats veulent voir leurs clients en prison, ils doivent se rendre sur place. Ils doivent se soumettre aux contrôles de sécurité. Puis, à 11 heures, c'est le repas des prisonniers. Je n'ai jamais compris pourquoi c'était si tôt. Les avocats doivent alors partir après avoir passé seulement une heure avec le prisonnier. S'ils pouvaient communiquer avec eux par voie électronique, les avocats pourraient s'entretenir pendant des heures avec eux depuis le confort de leur bureau. Bien sûr, il faudrait s'assurer que le défendeur ne peut pas communiquer par Skype avec son revendeur de drogues, mais cela est faisable. Le National Offender Management Service envisage ces possibilités avec enthousiasme, et l'une des raisons qui n'est pas la moindre, c'est que nous dépensons une fortune à transférer les gens d'une cellule à l'autre, à les transporter par fourgon entre la prison et la cour, alors que cela n'est pas nécessaire, si la communication peut se faire par Skype. Cela n'est pas possible pour les procès, mais ce l'est pour tout le reste.
Il arrive même que des défendeurs reçoivent leur condamnation par voie électronique. On va jusque-là. On peut se demander si cela est acceptable, et il peut arriver que ce ne le soit pas parce que l'affaire a une dimension publique. Nos tribunaux sont équipés de très grands écrans pour que tous puissent voir qui est là.
Voici un autre exemple. Il concerne cette fois la division pénale de la cour d'appel. Beaucoup de défendeurs ne s'y présentent jamais, mais ils peuvent désormais participer par liaison vidéo. Voilà quelques exemples.
La sénatrice Batters : Excellent. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le juge. Vous avez parlé de simplifier les choses. Ne croyez-vous pas que la poursuite devrait épurer la preuve qu'elle compte utiliser dans un procès, de façon à revenir à des faits un peu plus simples à présenter devant le jury et ainsi limiter les objections des avocats de la défense?
[Traduction]
M. Leveson : Absolument. Je suis tout à fait d'accord. Le ministère public doit veiller à ne présenter que les faits pertinents.
Voici le problème. Il arrive très fréquemment que le procureur ait l'impression que des éléments de preuve sont tout à fait pertinents pour un aspect de l'affaire. Par exemple, la preuve de faits similaires. Nous autorisons maintenant les preuves de mauvaise moralité. Si ces témoignages révèlent une propension à commettre des crimes, le procureur voudra avancer des preuves. Puis, des thèses contradictoires à ce sujet s'affronteront.
Le procureur doit aussi compter avec l'« effet CSI » : tout le monde a vu l'émission « Les Experts », où tous les crimes sont élucidés grâce à quelque génie en médecine légale. La vérité, c'est que nous n'avons pas l'argent nécessaire pour faire appel à ce dispositif scientifique dans chaque affaire. Les jurys se font donc fréquemment demander par les avocats de la défense : « Où sont les preuves scientifiques? » Il faut alors répondre : « Un instant. Nous ne sommes pas dans une émission de télévision où on dépense plus d'argent pour un seul épisode que tout le budget du service médico- légal. » Mais cela veut dire que les procureurs essaient de réunir tous les éléments de preuve, puisqu'ils doivent établir une preuve au-delà de tout doute raisonnable, comme c'est certainement le cas au Canada. Je suis d'accord avec vous.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je sais que vous n'allez pas faire de commentaires sur le système de justice canadien, mais au cours des dernières années, particulièrement au Québec, nous avons eu ce qu'on appelle des mégaprocès. Ils concernaient des bandes de criminels organisés et il y avait des dizaines de criminels à juger en même temps. Je dois vous dire que cela a été un échec lamentable pour notre système judiciaire. Avez-vous déjà vécu ce genre de situation, des mégaprocès qui rassemblaient plusieurs dizaines d'accusés? Le cas échéant, quelle est votre appréciation de ce système et de l'efficacité de ces mégaprocès?
[Traduction]
M. Leveson : J'ai des idées très arrêtées à ce sujet. D'abord, il y a une limite au nombre de prévenus qu'on peut juger dans une seule affaire. Des dizaines, c'est beaucoup trop — 8, 9, 10 ou 11 — même si on les sépare, dans un seul procès.
Ce qui me dérange, au sujet du nombre de procès, c'est lorsque le procès dure plus longtemps que la peine qui finira par être prononcée. C'est le cas notamment pour les affaires de fraude, qui sont très complexes. Je crois comprendre que, au Canada, il est possible d'être jugé par un juge seul sans la participation d'un jury. Bien des inculpés ont choisi un procès avec un juge seul.
Chez nous, cela est impossible, tellement nous sommes convaincus, de façon inhérente, de la valeur du système de jury. C'est l'une des idées que j'ai lancées au chapitre 10. Un certain nombre d'études ont porté sur la possibilité que certaines affaires soient jugées par un juge seul.
Je pense effectivement qu'il y a un problème très réel lorsqu'il faut juger des affaires exceptionnellement complexes à la vitesse du juré le plus lent. Avons-nous trouvé une solution? Non. Nous utilisons des présentations visuelles, des pictogrammes.
L'un de mes problèmes, c'est que, vu l'évolution de la société, où nous passons de plus en plus de temps à regarder des téléphones intelligents et d'autres appareils électroniques, nous sommes moins capables de nous concentrer sur des documents sur papier. Cela rend extrêmement difficile la tenue de procès très complexes sur des fraudes.
Je n'ai pas trouvé de solution à ce problème. Si vous en trouvez une pendant vos délibérations, j'en prendrai connaissance avec un intérêt très vif, puisque nous avons le même problème. Il faut qu'il y ait une limite au nombre de personnes jugées dans un seul procès.
Il y a eu un meurtre à la gare Victoria pour lequel une vingtaine de jeunes gens ont été inculpés. Je crois qu'il y a eu quatre procès sur les mêmes faits de façon que les jurys puissent s'y retrouver.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur le juge, c'est un honneur pour nous de vous recevoir aujourd'hui. Lors des audiences que nous avons tenues à travers le Canada, les gens ont souligné deux éléments principaux : le manque de ressources et la culture du retard. Dans les travaux que vous avez menés en Angleterre et au Pays de Galles, ces deux éléments étaient-ils présents? Comment les avez-vous abordés dans votre rapport?
[Traduction]
M. Leveson : Les délais ont été endémiques non seulement à cause des inefficacités du système, qui sont légion, mais aussi à cause des pressions qui s'exercent sur les tribunaux.
La nature des crimes qui font l'objet de procès dans notre pays change. Lorsque j'étais jeune avocat, nous devions nous occuper de vols, de cambriolages, de batailles de rue, de viols, de meurtres et un peu d'agressions sexuelles. Aujourd'hui, nous avons des enquêtes, comme vous le savez, sur des affaires d'agressions survenues par le passé. Les vrais problèmes, ce sont ces agressions survenues par le passé, la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité et l'exploitation des enfants.
Ce sont là des crimes sur lesquels il est difficile de faire enquête, pour lesquels les poursuites sont complexes et prennent beaucoup de temps. Cela ajoute aux délais dans la tenue des procès. Je ne peux rien faire en ce qui concerne la complexité des affaires dont le système judiciaire est saisi, mais j'ai mis l'accent sur ce que font la police et le CPS.
Au chapitre 9 de mon examen, je demande plus de ressources pour les procureurs. Le problème, c'est que nous avons traversé une terrible période d'austérité, comme vous le savez sûrement, et tous les budgets ont été coupés. La difficulté, c'est que, comme je l'ai déjà dit, la police et les procureurs sont la porte d'entrée du système de justice pénale. Ce sont eux qui décident des affaires dont le système est saisi, et puis nous devons réagir en conséquence. Or, ils sont gravement à court de ressources; ils ne trouvent pas la réponse du premier coup et ils apportent constamment des révisions et des modifications.
De plus, le nombre de policiers est réduit et les agents ont une multitude de choses à faire. Ils sont moins au courant de ce qu'il faut prouver pour bâtir un dossier solide. Il faut donc de la formation pour les policiers et les procureurs sur ce qu'il faut faire avant de se présenter devant les tribunaux.
J'ai dit qu'il fallait injecter des fonds dans le système aux premières étapes de façon à réaliser des économies dans l'ensemble du système. J'ai soumis une demande que le Trésor a acceptée. Il a débloqué des fonds pour que les procureurs puissent se préparer correctement et mieux s'organiser au début de l'enquête au lieu de faire du rattrapage six mois plus tard.
Les délais dans le système sont certes endémiques, mais il y a aussi les pressions générales du travail et du type de travail. Il y a aussi le nombre de défendeurs qui n'avouent pas leur culpabilité. Autrefois, les personnes inculpées de vol et de cambriolage plaidaient coupable. Dans les affaires d'agressions sexuelles survenues par le passé, il y a généralement un procès; certains inculpés plaident coupable, mais il y a procès dans beaucoup de cas. Il y a aussi des procès chaudement disputés qui prennent beaucoup de temps.
De nombreux facteurs jouent, mais vous avez tout à fait raison : le manque de ressources et les délais sont tous les deux des problèmes pour le système.
Le sénateur Sinclair : J'ai écouté votre exposé avec intérêt. Je vous signale que j'ai été juge au Canada pendant 28 ans avant d'être nommé sénateur. Récemment, la Cour suprême du Canada a établi des délais contraignants pour la tenue des procès. Il y a une question que je me suis souvent posée et dont j'ai discuté avec mes collègues lorsque j'étais juge : pourquoi ne pas fixer les dates de procès à la première ou à la deuxième comparution pour nous assurer que les parties s'efforcent de respecter les délais?
Avez-vous des observations à nous livrer à ce sujet?
M. Leveson : Il arrive fréquemment que nous fixions des dates. C'est même ce que nous faisons presque invariablement. J'ai parlé des PTPH, c'est-à-dire des auditions préparation de plaidoyer et de procès. Il y a généralement une audition de gestion de l'affaire. Puis, on doit généralement fixer une date pour le procès. Puis, tout s'organise en fonction de la date du procès. La chronologie découle donc de la date du procès. Nous ne laissons donc pas les gens évoluer à leur gré dans le système. Il y a 10 ans, il est certain que cela se faisait peut-être. Lorsque j'ai commencé ma carrière au barreau, c'était certainement le cas. Les affaires prenaient le temps qu'il fallait.
Aujourd'hui, nous imposons des limites non seulement pour certains aspects — et c'est pourquoi nous avons parlé de ce qui se produit lorsque les choses ne se font pas à temps —, mais nous pouvons aussi établir des limites de temps pour la tenue des procès. On ne peut pas avoir tout le temps qu'on veut. Le temps est une denrée précieuse pour tout le monde. Nous fixons donc des limites, et il faut s'organiser en conséquence.
L'idée de fixer un délai, après quoi on obtient une carte pour sortir de prison, littéralement, si j'emprunte l'analogie du Monopoly... Je ne m'étonne pas que des gens essaient en quelque sorte de s'approcher le plus possible de la limite, si je peux dire, quitte à dire ensuite : « Ce n'est pas notre faute si le ministère public a fait traîner les choses en longueur. Nous n'avons rien à nous reprocher. Laissez-nous sortir. » Je serais très inquiet si cette proposition était avancée ici.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup, sir Brian. J'aurais une ou deux questions à vous poser au sujet de votre mandat. Je voudrais aussi savoir si vous avez abordé certaines choses.
Au Canada, l'un de nos problèmes, c'est que le système est engorgé en partie parce que nous avons de plus en plus recours au système de justice et aux tribunaux pour régler les conséquences de mesures sociales anémiées et d'un système de santé, notamment en santé mentale, qui ne répond pas aux besoins. Nous commençons à voir des gens qui sont principalement des indigents, avec une grave surreprésentation des membres des Premières Nations et d'autres peuples autochtones, ainsi que d'autres groupes racialisés.
Vous êtes-vous demandé, dans ce contexte, pour peu que vous ayez un problème semblable — puisque vous avez dit que la police et les procureurs sont la porte d'entrée du système judiciaire — s'il y avait lieu de songer à des lignes directrices qui précisent qu'il faut d'abord envisager d'autres systèmes pour voir s'il n'y aurait pas là une bonne façon de prendre en charge telle ou telle personne? Nous avons quelque chose de cette nature dans nos lois sur la justice pour les adolescents, mais peut-être pas dans notre Code criminel.
Deuxièmement, un des moyens d'améliorer l'efficacité qui sont encouragés chez nous consiste à inciter le plus grand nombre de personnes possible à plaider coupable et à ne pas se faire représenter devant les tribunaux. C'est peut-être plus efficace, mais pas forcément plus juste et équitable.
M. Leveson : Je le reconnais. Il ne s'agissait pas de voir qui doit être soumis au système ou non. Ce n'était pas l'objet de mon étude. Mais j'ai des idées très arrêtées sur tout ce dont vous avez parlé.
Vous me pardonnerez une allusion personnelle. Mon père était consultant en psychiatrie. Lorsque les hôpitaux psychiatriques pour les séjours à long terme ont été fermés, dans les années 1970, il a dit : « Très bien, cela peut se faire, mais les prisons seront très rapidement engorgées. » C'est exactement ce qui s'est produit. Un grand nombre des détenus sont affligés de problèmes de santé mentale. Un nombre encore plus important d'entre eux ne savent ni lire ni compter et ils arrivent en prison avec tout un éventail de problèmes sociaux qui ont commencé dès leur naissance, voire avant. Il faudrait de meilleurs moyens de s'en occuper.
Nous examinons sérieusement la question de la déjudiciarisation d'affaires qui seraient normalement soumises au système de justice pénale. Dans un rapport qui n'a été publié qu'aujourd'hui, je crois, David Lammy a examiné, à la demande du premier ministre, le problème de la surreprésentation des Noirs et d'autres minorités ethniques dans le système de justice. C'est l'une des choses qu'il a étudiées, il a tiré une conclusion qui n'est que provisoire : il y a effectivement surreprésentation. Une grande partie du problème s'explique ainsi : les jeunes, les jeunes adultes et les adultes qui ont un cadre social cohésif peuvent très bien être mis en garde, avertis et écartés du système de justice, alors que, pour ceux qui n'ont pas ces mêmes avantages, on se dit qu'il vaut mieux les assujettir au système. Ils se retrouvent avec un casier judiciaire et les condamnations en deviennent presque des prophéties qui portent le germe de leur propre réalisation, car ils reviennent sans cesse dans le système.
La difficulté, c'est que la réadaptation et la déjudiciarisation sont une très lourde tâche et coûtent très cher. Pour ma part, j'estime que nous devrions faire beaucoup plus de travail de cette nature et le faire plus longtemps. Le problème que vous soulignez est endémique, tout à fait endémique. Nous n'avons pas de problème avec les membres des Premières Nations, mais tout le reste, nous l'avons.
Le président : Sir Brian, sauf erreur vous avez parlé d'audiences préliminaires en réponse à une question du sénateur Joyal. Connaissez-vous bien les enquêtes préliminaires du système canadien?
M. Leveson : Non, je le crains.
Le président : Je voulais poser la question, car un certain nombre de témoins ont dit au comité que, dans bien des cas, voire dans tous les cas, nous devrions envisager d'éliminer ces enquêtes à cause de leur impact sur la tenue des procès. Si le processus ne vous est pas familier, peut-être pourriez-vous nous dire ce que comporte une audience préliminaire en Grande-Bretagne.
M. Leveson : À cette audience, le juge se saisit de l'affaire et essaie de cerner les vrais problèmes. Il y a un problème sur ce plan, mais je n'en ai pas parlé, et il s'agit du droit au silence. Ce que j'en pense, je l'ai dit dans mon étude : le droit au silence, c'est très bien, mais la justice pénale n'est pas un jeu. La défense ne pourrait plus se contenter de dire : « Je ne dirai rien. Voyons si vous pouvez prouver quelque chose. » Nous devons savoir quels sont les problèmes, sur quoi le jury doit faire porter son attention. L'audience préliminaire est le seul moyen d'amener les parties à cerner l'affaire, à définir l'objet du procès, à savoir quels témoins doivent comparaître, qui peut témoigner par liaison vidéo, qui doit être présent sur place.
Le président : L'audience s'accompagne-t-elle de la pleine communication de la preuve par le ministère public?
M. Leveson : Absolument.
Le président : Vous avez également parlé d'une solide gestion des cas. Selon les témoignages de plus d'un d'entre eux au cours de notre étude, les juges en chef ne se considèrent pas comme les patrons. Ils sont les collègues d'autres juges et ils ne sentent pas à l'aise pour exiger d'eux une gestion plus énergique des cas, par exemple. Vous avez parlé d'une solide gestion des cas. Les juges britanniques ont-ils la même attitude lorsqu'il faudrait être plus exigeant auprès de leurs collègues qui ne gèrent pas les cas aussi bien qu'ils devraient le faire?
M. Leveson : Il y a six ou sept ans, j'ai eu la chance d'assister à une conférence des juges en chef au Canada, ce qui m'a beaucoup plu. J'éprouve un profond respect pour vos juges en chef.
Je vous conseille d'étudier nos règles de procédure pénale. J'ignore si vous les avez jamais vues. Le Comité des règles de procédure pénale est présidé par le juge en chef, mais il est normalement dirigé par une juge d'appel. Je fais partie de ce comité, comme d'autres juges, des avocats et des représentants du ministère. C'est le même genre de regroupement que celui de l'étude, et nous y rédigeons les règles. Les règles de procédure pénale font partie de la législation subordonnée des lords, et elles déterminent le déroulement des instances. Je n'ai donc aucun mal à dire : « Voilà ce que disent les règles. Faites-le. » Tous les juges ont juré de juger les affaires conformément aux lois et usages du royaume. Les règles de procédure pénale font partie des lois.
Cela ne plaît pas à tout le monde, mais c'est la loi. Si vous avez des règles semblables, je vous conseille de lire les nôtres. On les trouve en ligne. Je pourrais vous indiquer certains passages particuliers, car le tout est très volumineux.
Certains juges seraient farouchement opposés à ce que nous disons. Certains universitaires sont d'avis que nous allons trop loin dans le respect du droit au silence, mais j'estime que l'État, en tant que tel, a le droit de fixer les budgets. Nous devons utiliser les fonds avec efficacité et efficience pour juger les prévenus équitablement, et cela veut dire que nous devons nous attaquer aux problèmes et faire le travail.
Le président : Sir Brian, nous n'avons plus de temps. Nous tenons à vous remercier. Vous avez été très généreux de votre temps et vous avez été très utile pour la suite de notre étude. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Le sénateur Joyal : C'est tout à fait vrai. Merci, sir Brian.
M. Leveson : Je vous en prie. Si je peux vous être utile pour quoi que ce soit d'autre dans votre étude, n'hésitez pas à communiquer avec mon bureau. Mes meilleurs vœux vous accompagnent dans vos travaux.
Le sénateur Joyal : J'invoque le Règlement. Je suis désolé d'informer les membres du comité que j'ai appris ce matin que le Québec a publié un rapport spécial sur les méga-procès. Ce rapport a été remis à la directrice des poursuites pénales à la demande expresse de celle-ci. Il me semblerait utile que le comité ait un exemplaire de ce rapport et l'examine puisque, comme M. Leveson vient de le dire, la question des méga-procès est très importante. Nous avons été saisis de ce problème lorsque nous étions à Montréal, et il nous serait très utile d'étudier les recommandations qui découlent de ce rapport. Je suis désolé, mais je n'ai pas d'exemplaire. Je viens d'en apprendre l'existence dans le journal de ce matin.
Le président : Excellente idée. La séance est levée.
(La séance est levée.)