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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 19 - Témoignages du 7 décembre 2016


OTTAWA, le mercredi 7 décembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones), se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues et invités.

Mesdames et messieurs, au début de l'automne, le Sénat a renvoyé au comité le projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones).

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui la marraine du projet de loi, l'honorable sénatrice Dyck, qui va nous en parler. Nous entendrons aussi à ce sujet Heather Bear, quatrième vice-chef de la Fédération des nations autochtones souveraines. Nous espérons que les représentants de l'Association des femmes autochtones du Canada arriveront aussi très bientôt.

Merci de votre présence. Nous allons commencer par un exposé de la sénatrice Dyck, puis nous écouterons Mme Bear.

L'honorable Lillian Eva Dyck, marraine du projet de loi : Mesdames et messieurs les sénateurs, le projet de loi S-215 est une réponse directe à la tragédie nationale des 1 200 femmes et filles autochtones disparues ou assassinées. L'intention de ce projet de loi est de veiller à l'équité dans la détermination de la peine liée à l'agression ou au meurtre d'une fille ou d'une femme autochtone, ainsi que de rehausser leur sécurité. Ceci figure dans la première clause du préambule du projet de loi :

Attendu que, selon la Charte canadienne des droits et libertés, la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination;

Il est évident que les femmes autochtones n'ont pas droit à la même protection de la loi.

Le projet de loi S-215 est semblable au projet de loi d'initiative gouvernementale C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, qui a été déposé en mai 2016. Le projet de loi C-16 a pour but de rehausser la sécurité des personnes transgenre.

Mesdames et messieurs, la Federation of Saskatchewan Indian Nations et l'Assemblée des premières nations ont adopté des résolutions appuyant mon projet de loi S-215. Je crois que vous en avez reçu des copies. J'ai, en outre, une lettre d'appui du groupe de femmes Iskwewuk E-wichitochika de la Saskatchewan, qui défend depuis 2005 les familles des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées. Je leur suis profondément reconnaissante de leur soutien.

Mesdames et messieurs, la surreprésentation des hommes autochtones dans les prisons fait partie du triste héritage de la colonisation. En même temps, les femmes autochtones en sont venues à être surreprésentées comme victimes. L'alinéa 718.2e) du Code criminel a été adopté en réponse à la surreprésentation des Autochtones dans les prisons, à l'époque, surtout des hommes. Le projet de loi S-215 a pour but de s'attaquer à la surreprésentation des femmes autochtones parmi les victimes.

Je sais que ce projet de loi est nouveau, en ce sens qu'il se concentre sur les femmes autochtones victimes de crimes violents. À ce jour, les avocats et les juges n'ont eu qu'à prendre en compte l'alinéa 718.2e) concernant les circonstances uniques aux délinquants autochtones.

Les femmes autochtones présentent des circonstances particulières qui font qu'elles sont plus susceptibles d'être victimes de crimes violents. Malheureusement, les femmes autochtones sont perçues comme un groupe dont personne ne se soucie, et elles sont perçues comme un groupe de cibles de choix, concernant les agressions et la violence sexuelles.

Nous savons que les femmes autochtones risquent trois à quatre fois plus que les autres femmes canadiennes d'être assassinées, d'être agressées sexuellement ou de disparaître. Les femmes autochtones risquent sept fois plus d'être ciblées par des tueurs en série. En juin 2016, Statistique Canada a signalé que, pour les femmes — mais pas pour les hommes —, le simple fait d'être autochtone représentait un important facteur de risque de violence.

En considérant comme circonstance aggravante le fait que la victime est une femme autochtone, au moment de déterminer la peine relative à un crime violent comme l'agression ou le meurtre, nous dénonçons clairement de tels crimes, ce qui peut aussi agir comme moyen de dissuasion. De plus, nous pouvons bien faire comprendre à tous que les femmes et les filles autochtones méritent d'être protégées comme nous l'avons fait pour les chauffeurs de taxi, les agents de police et d'autres catégories de personnes que nous protégeons d'une manière semblable dans le Code criminel.

Mesdames et messieurs, je sais qu'il y a des questions au sujet de l'interaction entre le projet de loi S-215 et les dispositions de l'alinéa 718.2e) du Code criminel découlant de l'arrêt Gladue. Permettez-moi d'abord de préciser que le projet de loi S-215 ne fera pas grimper le nombre de délinquants autochtones, parce que cela ne s'appliquerait qu'aux délinquants trouvés coupables d'avoir agressé ou assassiné une fille ou une femme autochtone.

Deuxièmement, l'application du projet de loi S-215 pourrait accroître la durée de la peine imposée par le juge, mais cela dépend de la façon dont cela interagit avec l'évaluation que le juge fait d'une myriade d'autres facteurs aggravants et atténuants du cas particulier.

Mesdames et messieurs, il faut se demander, à l'examen du cas d'un délinquant autochtone trouvé coupable d'avoir agressé ou assassiné une fille ou une femme autochtone, pourquoi son origine autochtone à elle n'est pas aussi prise en compte. Elle est aussi autochtone.

Dans mes recherches, je suis tombée sur deux décisions judiciaires récentes qui étayent le point de vue selon lequel l'identité autochtone de la victime de sexe féminin est un facteur à prendre en compte au moment de déterminer les peines pour les infractions violentes. Dans l'arrêt R. c. Peter, en 2014, au Nunavut, le juge a indiqué au paragraphe 108 :

[. . .] les hommes autochtones qui agressent et tuent des femmes autochtones n'ont pas plus de droits, d'après moi, que les hommes qui ne sont pas autochtones et qui ont attaqué n'importe quelle femme. En d'autres termes, les femmes autochtones ont tout autant droit à la protection que les autres femmes, peut-être davantage, vu leurs circonstances culturelles.

De même, dans la décision R. c. Neashish, rendue en 2016 au Québec, le juge a déclaré dans les paragraphes 134 et 135 :

Si l'on a beaucoup traité dans le rapport Gladue des origines autochtones de l'accusé, il ne faut pas omettre de prendre en considération la situation particulière des victimes qui sont toutes également autochtones. Elles ont aussi subi les facteurs historiques et les années de bouleversements et de développement économique de cette communauté. En plus d'être victimes des gestes posés par l'accusé, elles sont les victimes d'une discrimination directe ou systémique.

Mesdames et messieurs les sénateurs, compte tenu de la crise nationale des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées, ainsi que du risque accru, bien documenté, que courent les femmes et les filles autochtones de subir de la violence, il est temps de donner des instructions précises aux juges de sorte qu'ils considèrent comme circonstance aggravante le fait que la victime est une femme autochtone, dans les cas d'agressions ou de meurtres.

Enfin, j'attire de nouveau votre attention sur le récent rapport sur la victimisation chez les Autochtones au Canada produit par Statistique Canada. Ce rapport confirme une chose que nous savions pour la plupart d'instinct, et c'est que le seul fait d'être autochtone, pour une femme, est un facteur de risque de violence. Le projet de loi S-215 est le reflet des valeurs auxquelles croient les membres des familles des femmes autochtones disparues ou assassinées ainsi que les autres Canadiens : que toute femme, sans égard à son identité raciale, doit être traitée équitablement dans notre système de justice.

Dans trop de cas, il n'en a pas été ainsi. J'ai mentionné plusieurs cas dans le discours que j'ai prononcé lors de la deuxième lecture, au Sénat.

Pour atteindre cet objectif d'équité dans la détermination des peines, il faut porter une attention particulière aux femmes autochtones en considérant explicitement comme circonstance aggravante le fait que la victime est une femme autochtone lors de la détermination de la peine liée à des infractions précises pour lesquelles on sait qu'elles sont des cibles de choix, soit les agressions et les meurtres.

Je terminerai en vous disant, mesdames et messieurs, que le Canada est un signataire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Hier seulement, le premier ministre, Justin Trudeau, a dit que le gouvernement travaille à sa mise en œuvre. Voici ce que dit le paragraphe 22(2) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :

Les États prennent des mesures, en concertation avec les peuples autochtones, pour veiller à ce que les femmes et les enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les formes de violence et de discrimination et bénéficient des garanties voulues.

Honorables sénateurs, je crois que le projet de loi S-215 permet d'atteindre les objectifs de l'article 22.2 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le président : Merci. Madame Bear, vous avez la parole.

Heather Bear, quatrième vice-chef, Fédération des nations autochtones souveraines : Merci, sénateurs. Monsieur le président et honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de me donner l'occasion de vous parler au nom de la Fédération des nations autochtones souveraines et de la Commission des femmes des Premières Nations de la Saskatchewan. La commission des femmes est la voix politique reconnue pour la promotion des droits des femmes et des enfants des Premières Nations de la Saskatchewan. Elle est composée de femmes chefs, de chefs de tribus et de sénateurs de la FSIN en Saskatchewan. La FSIN représente 74 Premières Nations en Saskatchewan.

Je suis ici pour appuyer le projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones).

Plus tôt cette année, c'est-à-dire le 8 mars, lors de la Journée internationale de la femme, des membres du conseil d'administration de la FSIN ont rencontré la sénatrice Lillian Dyck pour se renseigner au sujet du projet de loi S-215. Quelques semaines plus tôt, la FSIN avait rassemblé des familles en vue de les préparer à participer à la phase de consultation préenquête au niveau fédéral qui précède l'enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Lors du rassemblement familial, nous avons appris l'histoire de personnes qui ont vécu des pertes terribles à la suite de crimes violents commis contre leur mère, leur fille, leur sœur ou un autre membre de leur famille. Les récits que nous avons entendus sont directement liés aux principes fondamentaux qui sous-tendent le projet de loi S-215.

Les peuples autochtones croient fermement qu'il existe des prédateurs qui ciblent les femmes autochtones parce qu'elles sont Autochtones et parce que dans la société canadienne, la vie des femmes autochtones a une valeur moindre que celle des autres femmes.

En 2014, Amnistie internationale a diffusé un appel à l'action contre la violence faite aux femmes et aux filles autochtones au Canada, en soutenant qu'il existait des preuves concluantes selon lesquelles certains hommes recherchent et ciblent les femmes autochtones pour les attaquer. Les actes de violence commis contre les femmes et les filles autochtones peuvent être motivés par le racisme, mais il se peut également que les agresseurs s'attendent à ce que l'indifférence manifestée à l'égard du bien-être et de la sécurité de ces femmes dans la société leur permette de se soustraire à la justice.

Voici quelques exemples d'hommes qui ciblent les femmes autochtones en Saskatchewan : John Crawford, Clayton Eichler et Gordon Rogers. Les peuples autochtones sont également préoccupés par la nature des accusations portées et les peines peu sévères imposées dans les cas de crimes violents commis contre les femmes autochtones.

L'été dernier, le chef et le conseil de la Première Nation de Sakimay ont organisé une cérémonie pour les familles dont un proche avait été porté disparu ou assassiné. Parmi ces dernières se trouvait la famille de feu Pamela Jean George. Pamela était une femme de 28 ans qui avait deux enfants et qui appartenait à la Première Nation de Sakimay. Elle a été agressée sexuellement et battue à mort par Steven Kummerfield et Alex Ternowetsky, qui ont été déclarés coupables d'homicide involontaire par un jury et ont été chacun condamnés à une peine de six ans et demi d'emprisonnement. Cette peine représente une simple tape sur les doigts, car elle est bien en dessous de la peine maximale.

Lorsqu'une femme autochtone est victime d'agression, d'agression sexuelle ou d'homicide, nous devons veiller à ce que les agresseurs soient punis dans toute la mesure permise par la loi.

Au rassemblement familial, nous avons entendu dire que des changements législatifs et stratégiques sont requis à tous les niveaux pour veiller à ce qu'on accorde une valeur égale aux femmes autochtones et à ce qu'on demande des comptes aux responsables de l'administration de la justice.

Les peuples et les organisations autochtones veulent obtenir l'assurance qu'une enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées entraînera la prise de mesures concrètes. Nous croyons aussi, collectivement, que des mesures peuvent et devraient être prises pendant le déroulement de l'enquête, afin d'amorcer des changements. Les membres des familles nous ont encouragés, à titre de leaders, à investir notre énergie en vue d'appuyer la sénatrice Lillian Dyck dans ses efforts visant à modifier le Code criminel par l'entremise du projet de loi S- 215.

Nous sommes d'accord avec la sénatrice Dyck, c'est-à-dire que ce changement exprimera clairement que la vie de toutes les femmes et les filles est importante et précieuse, qu'elles soient Autochtones ou non.

Une modification législative de cette nature démontrerait également que des mesures sont prises par le Canada relativement à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Comme l'énonce l'article 22.2 :

Les États prennent des mesures, en concertation avec les peuples autochtones, pour veiller à ce que les femmes et les enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les formes de violence et de discrimination et bénéficient des garanties voulues.

Avant de terminer, j'aimerais brièvement parler de la relation entre les modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi S-215 et les facteurs énoncés dans la décision Gladue. Certaines personnes pourraient faire valoir que le projet de loi S-215 va à l'encontre des directives énoncées par la Cour suprême du Canada dans la décision Gladue, mais je crois plutôt qu'il équilibre les droits et les intérêts des femmes et des hommes autochtones en veillant à ce que les tribunaux tiennent compte de ces deux éléments.

Lorsque des femmes autochtones sont victimes d'actes criminels et qu'on tient seulement compte des éléments de la décision Gladue dans la détermination de la peine, on bafoue le droit des femmes autochtones à la pleine protection offerte par la loi. Les modifications apportées au Code criminel par l'entremise du projet de loi S-215 aideront à veiller à ce qu'il n'y ait aucun préjudice contre la victime, car cela diminue la gravité de son cas comparativement à celui d'autres femmes.

Si le projet de loi S-215 est adopté, lorsqu'un tribunal tiendra compte des facteurs énoncés dans la décision Gladue, il devra accorder la même importance aux effets sur la victime et aux effets sur l'agresseur. Nous ne pouvons nous attendre à rien de moins du système de justice.

Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir permis de vous livrer un exposé aujourd'hui. J'aimerais terminer en insistant sur le vaste soutien qu'a obtenu la sénatrice Lillian Dyck à l'égard du projet de loi S-215. À l'assemblée des chefs de la FSIN qui s'est tenue en mai 2106, la Commission des femmes des Premières Nations a honoré la sénatrice Lillian Dyck avec une couverture étoilée et a reconnu son leadership dans le parrainage du projet de loi. Les chefs et l'assemblée ont adopté une résolution pour appuyer le projet de loi et la Commission des femmes a ensuite présenté notre résolution à l'APN en juillet 2016.

Sénateurs, les chefs appuient ce projet de loi à l'échelle du pays. Je tiens à vous remercier et à vous demander votre appui.

Le président : Merci.

Sénateurs, nous accueillons maintenant deux représentantes de l'Association des femmes autochtones du Canada, c'est-à-dire Francyne Joe, présidente, et Marilee Nowgesic, conseillère spéciale et liaison.

Madame Joe, je crois que vous livrerez un exposé. Vous avez la parole.

Francyne Joe, présidente, Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) : Bonjour, monsieur le président, membres du comité et distingués témoins et invités. Je suis la présidente par intérim de l'Association des femmes autochtones du Canada. Je suis fièrement membre de la Première Nation de Shackan, à Merritt, en Colombie- Britannique.

J'ai travaillé pendant de nombreuses années pour l'Agence des services frontaliers du Canada, mais j'ai également de l'expérience en gestion des ressources humaines, en développement économique, en entrepreneuriat et en assurances chez les Premières Nations, afin de sensibiliser et d'encourager les peuples autochtones à réaliser leurs ambitions.

Aujourd'hui, je suis accompagnée de Marilee Nowgesic, conseillère spéciale de l'AFAC.

Tout d'abord, j'aimerais reconnaître la nation algonquine, car nous sommes réunis sur son territoire traditionnel aujourd'hui. J'amène avec moi les voix de mes ancêtres, les préoccupations des femmes autochtones de partout au Canada et les espoirs de nos futurs leaders, c'est-à-dire nos jeunes.

J'aimerais également prendre un moment pour reconnaître le 75e anniversaire de Pearl Harbour. De nombreux anciens combattants autochtones, notamment mon propre grand chef Percy Joe, qui est toujours avec nous aujourd'hui, se sont tenus aux côtés de leurs collègues américains le 7 décembre et ont participé aux batailles qui ont suivi cet événement. Nous reconnaissons surtout les femmes autochtones qui ont servi leur pays par amour pour leurs collectivités et pour notre Mère la Terre.

Depuis 1974, l'Association des femmes autochtones du Canada est la seule organisation autochtone nationale représentant le point de vue, les intérêts et les nombreuses préoccupations des femmes autochtones. L'AFAC regroupe 12 associations membres provinciales et territoriales de partout au Canada. Chaque association représente sa propre nation, et l'AFAC est la nation qui les représente dans leur ensemble. Notre réseau de femmes des Premières Nations et métisses comprend des collectivités des réserves et de l'extérieur des réserves, car nous reconnaissons le droit de chaque femme autochtone à l'autodétermination. Il est essentiel que nos points de vue axés sur le sexe soient entendus dans toutes les discussions de nation à nation et que notre contribution soit entendue.

Les membres de l'Association des femmes autochtones du Canada sont honorés d'aborder devant le comité du Sénat la question de la peine prévue dans le Code criminel du Canada pour les infractions violentes commises contre les femmes autochtones. Nos discussions avec vous nous offrent l'occasion de collaborer dans un esprit de respect, de coopération et de partenariat dans le cadre du mandat d'AANC. Nous espérons que le déficit de longue date en ce qui concerne les ressources financières n'aura pas de répercussions sur notre capacité d'aborder de façon appropriée les couches complexes du Code criminel qui sont essentielles pour appuyer adéquatement notre point de vue à l'égard de cet enjeu.

J'aimerais vous communiquer trois messages importants au nom de l'AFAC.

Tout d'abord, j'aimerais vous parler du point de vue de l'AFAC au niveau communautaire. Les commentaires suivants seront formulés en tenant compte du fait que l'AFAC fait partie des cinq organismes de leadership nationaux les plus importants au Canada, à savoir l'AFAC, l'APN, ITK, le RNM et le CPA. Nous sommes dans une situation unique pour consulter les femmes autochtones qui sont touchées par la violence au niveau communautaire. Il est essentiel que vous compreniez que leur douleur et leur impuissance sont ressenties à l'échelle de leurs collectivités.

En plus de cette connaissance communautaire, nous amenons avec nous les connaissances obtenues par l'entremise de nos travaux liés aux droits de la personne et à l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Sur le plan culturel, on ne peut pas séparer les femmes autochtones de leur environnement. Sur le plan sociologique, on doit tenir compte des effets de la colonisation. Les problèmes systémiques, les politiques et les lois ont diminué la stabilité de notre environnement. Ces facteurs ont nui à la pratique de notre spiritualité et à l'expression de notre droit inhérent à l'autodétermination.

Nous comprenons la nécessité d'aborder la question de la détermination de la peine. Nous voulons veiller à ce que l'atteinte d'un équilibre dans la détermination de la peine tienne compte des agresseurs et des victimes.

Le deuxième message important que nous souhaitons communiquer, c'est que les femmes autochtones doivent être des leaders au sein de ces discussions. Ce processus à deux volets, tel que décrit par le gouvernement du Canada, doit permettre la réconciliation avec les peuples autochtones en renouvelant « la relation de nation à nation avec les peuples autochtones pour qu'elle soit fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat ». Le gouvernement a l'obligation d'aborder les problèmes liés à la détermination de la peine pour les crimes violents commis contre les femmes autochtones.

La Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants recommande d'imposer des peines plus sévères aux agresseurs. Les intervenants ont cité un manquement à l'obligation de mener des enquêtes efficaces, d'intenter des poursuites judiciaires, de condamner et de punir les agresseurs en imposant des peines appropriées pour éviter la perpétration continuelle de la violence faite aux femmes. Cette recommandation se trouve à la page 6 du rapport du Comité contre la torture, dans la partie « violence contre les femmes ». De plus, les membres du comité regrettent la déclaration faite par la délégation et affirment que l'État a une responsabilité, et qu'on devrait reconnaître que ses représentants sont des auteurs et des complices, ou qu'ils sont autrement responsables, en vertu de la convention.

L'AFAC est une organisation qui détient l'expertise nécessaire en ce qui concerne les femmes autochtones et les questions axées sur le sexe.

Troisièmement, en ce qui concerne les problèmes systémiques, l'Association des femmes autochtones du Canada recommande de s'attaquer au racisme systémique par l'entremise d'un engagement et d'efforts de sensibilisation à l'échelle communautaire, afin que lorsque les femmes signalent des crimes violents, elles ne soient pas confrontées à des obstacles supplémentaires. Nous devons reconnaître la nécessité de prendre des mesures immédiates, comme le démontrent les preuves irréfutables recueillies dans les cas de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées. Ce sont des crimes graves qui sont équivalents à la torture et à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

L'AFAC s'attaque à ces problèmes systémiques dans le cadre d'une initiative visant à entamer une discussion sur les répercussions de ces enjeux sur les femmes autochtones. Cela comprend le droit à l'autodétermination et le droit de créer notre propre identité, comme je l'ai dit plus tôt. Nous formons une nation. Lorsque les femmes qui signalent des actes violents reviennent à la maison, dans leur collectivité, elles peuvent souffrir d'un manque d'appartenance et de reconnaissance lorsqu'on ne les croit pas. Elles sont marginalisées davantage par leur propre peuple, en plus de faire face à du racisme systémique. Elles ont alors le sentiment d'être victimisées davantage lorsqu'elles signalent les crimes dont elles ont été victimes.

L'Association des femmes autochtones du Canada souhaite qu'on procède à la mise en œuvre complète de l'article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi libellé :

Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions...

Étant donné que pendant 10 ans, l'AFAC, à titre d'organisation des femmes autochtones, a été affaiblie et mise à l'écart, en plus de subir des compressions budgétaires de 60 p. 100 du gouvernement fédéral, ses membres ont décidé de renforcer activement leur capacité de fournir une réponse argumentée et de coordonner une réponse nationale en respectant des échéanciers très serrés. Il faut donc tenir compte de notre statut d'organisation en reconstruction dans les processus d'engagement en cours, et il faudrait éviter de profiter de notre situation pour nuire à notre participation à ces discussions et à ces décisions importantes.

Pendant que nous nous penchons sur les procédures et les processus sur lesquels reposera l'enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, nous sommes aussi l'organisation principale à laquelle les femmes autochtones peuvent présenter leurs problèmes, leurs préoccupations et parfois leur manque de tribune, afin que ces inégalités soient réglées de façon efficace.

L'Association des femmes autochtones du Canada collaborera avec tous les paliers du gouvernement du Canada sur la question de la peine prévue dans le Code criminel du Canada pour les crimes violents commis contre les femmes autochtones.

Je vous remercie de votre temps.

Le président : Je remercie tous les témoins. Nous passons maintenant aux questions. La parole est au vice-président du comité.

Le sénateur Baker : J'aimerais remercier les témoins de leurs excellents exposés.

Depuis des années, j'observe la sénatrice Dyck préparer ce projet de loi qu'elle a finalement réussi à présenter à notre comité aux fins d'étude. J'aimerais tout d'abord vous féliciter, sénatrice Dyck, des efforts considérables que vous avez déployés au fil des années pour préparer ce projet de loi.

J'aimerais d'abord vous poser une question élémentaire. Ce projet de loi couvre un nombre assez élevé d'articles du Code criminel. Le premier article dans lequel vous souhaitez que le tribunal considère qu'il s'agit d'une circonstance aggravante — c'est-à-dire le fait que la victime du crime est une femme indienne, inuite ou métisse — vise les articles sur le meurtre. Il s'agit des articles 235, 236 et 239, et ils visent l'homicide involontaire coupable et la tentative de meurtre. Ensuite, vous faites référence aux articles 264 à 273. Ce sont les articles sur les voies de fait et ils visent les infractions allant des voies de fait simples jusqu'à l'agression sexuelle grave. Vous avez visé tous les articles du Code criminel qui portent sur les crimes violents graves.

J'aimerais donc vous poser la question suivante — vous y avez presque répondu dans votre exposé. Vous savez que les personnes qui sont contre ce projet de loi ou qui le remettent en question feront valoir qu'il pourrait entrer en conflit, dans certaines circonstances, avec les dispositions du Code criminel relatives à la détermination de la peine, c'est-à-dire l'alinéa 718.2e), ainsi libellé :

e) l'examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité.

C'est la disposition à laquelle vous faites référence lorsque vous parlez des principes de la décision Gladue.

Comment répondez-vous aux personnes qui soutiennent que cela créera un conflit dans le Code criminel, c'est-à-dire entre les dispositions relatives à la détermination de la peine et les dispositions de tous les autres articles sur les crimes violents en ce qui concerne la victime de l'infraction?

La sénatrice Dyck : Je ne vois pas cela comme étant un conflit. Nous avons tous les trois parlé de l'atteinte d'un équilibre. Je crois que l'alinéa 718.2e) représente une bonne modification au Code criminel, car il vise la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral et les circonstances uniques qui entrent parfois en jeu lorsque des Autochtones se retrouvent devant les tribunaux en raison de circonstances liées à leur séjour dans les pensionnats indiens, à la pauvreté, et cetera. En même temps, lorsque la victime est une femme autochtone, il se peut qu'elle ait également souffert de ces mêmes circonstances, et non seulement ces circonstances sont similaires, mais elles sont également différentes, car il faut ajouter la dimension fondée sur le sexe, un élément qui n'a pas vraiment été abordé dans la documentation. Cet élément n'a jamais été étudié, car on n'a jamais tenu compte des facteurs liés au sexe dans le cas d'une personne autochtone. Quels sont les effets sur la détermination de la peine? On n'a presque jamais abordé la question des affaires dans lesquelles la victime est une femme autochtone et le délinquant est un Autochtone ou un individu de race blanche, mais il faut en parler. Je crois que la présentation de ce projet de loi permettra d'entamer les discussions à cet égard, car la femme qui se retrouve dans ce genre de situation s'y retrouve souvent parce que la société lui accorde moins de valeur qu'aux autres femmes.

À l'Université de la Saskatchewan, une professeure de la faculté de psychologie s'est penchée sur la perception des attitudes des hommes et des femmes autochtones selon les étudiants. Les hommes autochtones étaient perçus comme « dangereux et agressifs », tandis que les femmes étaient considérées comme « sexuellement faciles et disponibles » ou « pures spirituellement » — ce qui contraste beaucoup.

La perception des femmes comme étant des personnes sexuellement disponibles et un peu laxistes sur le plan moral en font des cibles. Dans une société raciste, elles sont également considérées comme étant moins utiles, et les agresseurs pensent qu'ils peuvent s'en tirer à bon compte. Lorsqu'on se penche sur certains des cas dont a parlé la vice-chef Bear, par exemple, on voit que c'est ce qui arrive dans certains cas. Je ne dis pas que c'est toujours ainsi, mais, malheureusement, lorsque la victime est autochtone, il arrive parfois, selon le juge et les jurés, qu'elle ne soit pas considérée de la même façon que le serait une femme blanche. Je pense que cela réintroduit cet aspect dans le système, afin qu'on se penche soigneusement sur la question pour éviter d'être inconsciemment tendancieux.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous les témoins. Comme l'a indiqué le sénateur Baker, la sénatrice Dyck a travaillé fort au fil des ans pour présenter ce projet de loi, qui mérite évidemment que nous l'examinions sérieusement.

Cela dit, je suis d'accord avec vous, sénatrice Dyck, quand vous dites qu'il n'y a actuellement pas de circonstances aggravantes dans le code lorsque la victime est une femme autochtone. Les juges peuvent toutefois envisager des circonstances aggravantes n'étant pas expressément stipulées dans le code. Je parle de l'article 718 du code.

J'aborde la question parce que, dans votre discours de deuxième lecture au Sénat, vous avez affirmé que le sous- alinéa 718.2a)(i) ne suffit pas pour répondre à la violence faite aux femmes autochtones, car il faut établir l'élément de haine, ce qui peut être difficile à prouver. Cependant, l'article 718 autorise également un juge à considérer la partialité et les préjugés fondés sur la race et sur le sexe.

À votre avis, en quoi diffère le sous-alinéa 718.2a)(i), et comment est-ce similaire aux critères proposés dans le projet de loi? Selon vous, de quelle façon les juges pourraient-ils appliquer et utiliser différemment les dispositions de votre projet de loi lors de la détermination de la peine?

La sénatrice Dyck : La première disposition, l'alinéa a), comprend le sexe et la race. Il n'est toutefois pas fait expressément mention des femmes autochtones. Lorsqu'on combine le sexe et la race, vous vous retrouvez avec des personnes qui tombent dans une tout autre catégorie. J'essayais de faire valoir que dans le cas d'une femme autochtone, la considération du sexe ou de la race ne suffit pas; la race étant ce qu'elle est. On n'emploie pas le terme « autochtone ». Nous savons très bien qu'il est déjà question de l'identité autochtone à l'alinéa 718.2e). De plus, le terme « autochtone » figure dans la Constitution et dans la Charte. Nous savons donc qu'il faut accorder une attention particulière à l'identité autochtone.

Dans mon projet de loi, l'ajout de l'« identité de femme autochtone » à l'alinéa e) précise qu'il faut tenir compte de tous les articles du Code criminel dont a parlé le sénateur Baker, car nous savons que c'est ce qui arrive aux femmes autochtones. Elles sont attaquées, assassinées et agressées sexuellement. La première partie du libellé est beaucoup plus générale et pourrait englober un certain nombre d'infractions, tandis que c'est plus précis dans ce cas-ci. Nous avons la preuve que les femmes autochtones sont plus vulnérables à ces infractions. Je pense que c'est une approche beaucoup plus ciblée. Nous avons discuté de la possibilité de l'intégrer à l'alinéa a), mais je ne pense pas que ce soit aussi précis ou que ce soit mieux selon les études qu'un ajout à l'article 235 et aux articles sur les voies de fait et le meurtre du Code criminel.

J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Sinclair : En vertu des dispositions actuelles du Code criminel, pour que la race ou le sexe soit considéré comme une circonstance aggravante, il faut présenter une certaine preuve devant le juge qui prononcera la peine. Est-ce votre intention de recourir à cette disposition pour mettre un terme à cette façon de procéder de sorte que le sexe et la race de la personne soient automatiquement pris en considération?

La sénatrice Dyck : Oui. Si la personne est une femme autochtone, on en tiendra compte automatiquement.

Le sénateur Sinclair : L'autre question que je voulais vous poser est plus épineuse pour moi. La question des transgenres a été soulevée au Sénat et au Parlement.

À votre avis, que pourrait changer cette disposition à l'égard de la communauté transgenre et, surtout, de ceux qui s'identifient comme une femme et qui sont nés garçons ou vice versa?

La sénatrice Dyck : Dans le projet de loi?

Le sénateur Sinclair : Oui. Quelles seraient selon vous les répercussions du projet de loi lorsque la victime d'une infraction est transgenre? Y avez-vous pensé?

La sénatrice Dyck : Oui. Il en est question dans d'autres paragraphes. Les transgenres sont visés par la section A du Code criminel, qui porte, je crois, davantage sur les crimes haineux. Il est parfois plus difficile de démontrer un motif de haine. Je sais qu'une étudiante à la maîtrise a étudié les crimes haineux contre les Autochtones, et elle a dit qu'il y en a très peu. Les données dans la documentation sont très vagues, et elle a donc conclu — il s'agit d'un mémoire de maîtrise en droit — qu'il devrait y avoir une disposition pour les femmes autochtones, mais qu'il ne serait pas facile de parler de haine étant donné qu'il est très difficile de prouver ce genre de motif. Il devrait donc y avoir un autre moyen de protéger les femmes autochtones.

Le président : Y a-t-il un autre témoin qui veut répondre à la question?

Marilee Nowgesic, conseillère spéciale et liaison, Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) : Nous avons eu l'occasion d'étudier la question, d'en faire un survol, car c'est devenu un sujet de discussion au niveau communautaire. Quelqu'un est né garçon, mais il est devenu femme à l'âge adulte, au cours de sa vie. Il faut également composer avec des considérations complexes pour ce qui est de l'inscription, de l'adhésion, des codes d'adhésion et ainsi de suite. Lorsque nous avons songé à en tenir compte ici, nous nous sommes penchés sur tout cela. Il s'agit juste de déterminer comment traiter la question. On s'en apercevra après le crime, pendant l'enquête, alors qu'on se penche sur les détails du crime, pendant l'examen effectué par les agents ou les autorités médicales, mais ce n'est pas une chose facile à reconnaître. Comme l'a mentionné la sénatrice Dyck, on s'appuiera davantage sur la notion de crime haineux.

Le sénateur Sinclair : Donc, vous partez du principe qu'il faudra démontrer un motif de haine.

Mme Nowgesic : Oui.

Le sénateur Sinclair : Merci.

La sénatrice Batters : Sénatrice Dyck, votre projet de loi prévoit l'ajout au Code criminel de l'article suivant, l'article 239.1 :

Le tribunal qui détermine la peine à infliger à l'égard d'une infraction prévue aux articles 235, 236 ou 239 est tenu de considérer comme circonstance aggravante le fait que la victime soit une personne du sexe féminin qui est indienne, inuite ou métisse.

Il y a ensuite un deuxième article semblable.

Sénatrice Dyck, comment définit-on « indienne, inuite ou métisse »? Est-il nécessaire qu'une femme qui est indienne, inuite ou métisse ait un certain pourcentage d'ascendance indienne, inuite ou métisse?

La sénatrice Dyck : Nous l'avons indiqué parce que, dans la loi, il existe une définition juridique d'« Autochtone », mais il s'agirait d'une déclaration volontaire. On se considère comme autochtone, métis ou inuit.

La sénatrice Batters : Je vois, mais s'il s'agit d'une déclaration volontaire, quelqu'un qui a seulement 10 p. 100 d'ascendance indienne, inuite ou métisse serait donc visé par le projet de loi?

La sénatrice Dyck : Dans la mesure où la personne s'identifie ainsi. Ce que vous voulez dire, je crois, c'est qu'on pourrait parfois avoir quelqu'un qui a, disons, 1 p. 100 d'ascendance autochtone. Cette personne est-elle vraiment autochtone? Il arrive souvent que l'agresseur choisisse une personne qu'il connaît dans une certaine mesure. Pendant qu'ils discutent, il apprend à la connaître et sait ensuite à quoi s'en tenir. Il pourrait ainsi apprendre qu'elle vient de la nation de Sakimay ou de la communauté métisse de Cumberland House.

Lorsque l'ascendance est de l'ordre de 1 p. 100, on ne ressemble probablement pas à un Autochtone. En tout cas, dans l'Ouest, nous sommes différents. Dans les journaux, on voit souvent qu'un délinquant autochtone recherché mesure cinq pieds six et pèse 280 livres.

La sénatrice Batters : Pensez-vous que les définitions dont vous parlez devraient faire partie du projet de loi?

La sénatrice Dyck : De quelles définitions parlez-vous?

La sénatrice Batters : Les définitions figurant dans la loi dont vous avez parlé.

La sénatrice Dyck : Je pense qu'elles sont déjà là. Je n'ai pas le projet de loi sous les yeux.

La sénatrice Batters : Elles ne sont pas là.

La sénatrice Dyck : Il en est question quelque part. Il est écrit que la victime de l'infraction est une femme qui est indienne, inuite ou métisse.

La sénatrice Batters : Oui, mais on n'en dit pas plus long. Vous dites que la déclaration volontaire suffit.

La sénatrice Dyck : Oui.

La sénatrice Batters : À votre avis, de quelle façon cette mesure législative aura-t-elle une incidence sur les cas où l'auteur du crime n'est pas au courant de l'ascendance autochtone de la victime?

La sénatrice Dyck : Je pense que le juge devra en tenir compte. Comme je l'ai dit, je crois qu'il y a eu un échange dans la plupart des cas. Je pense que la plupart des données montrent que, lorsqu'une femme autochtone est agressée ou assassinée, ce n'est habituellement pas par un étranger. C'est habituellement quelqu'un qui la connaît, ce qui signifie que l'agresseur sait si la victime est autochtone ou non. Je pense que le fait que les chiffres indiquent un taux aussi élevé de survictimisation démontre très clairement que les délinquants ciblent précisément ce groupe de personnes. En fait, je vais vous raconter une brève anecdote.

La sénatrice Batters : À vrai dire, j'ai juste une deuxième question, et notre temps est limité. Je suis désolée.

La sénatrice Dyck : Bien, allez-y.

La sénatrice Batters : Vous avez déposé ce projet de loi au Sénat, sénatrice Dyck, il y a presque exactement un an, et je suis certaine que vous avez parlé à vos collègues de la Chambre des communes et du Cabinet du gouvernement libéral au cours de la dernière année. Je me demande si vous auriez l'obligeance de nous dire si la ministre de la Justice, Mme Wilson-Raybould, et le gouvernement libéral vont appuyer ce projet de loi s'il est adopté au Sénat.

La sénatrice Dyck : Je leur ai parlé. Ils n'ont pas dit qu'ils s'y opposeraient.

La sénatrice Batters : Je vois. Qu'ont-ils dit à ce sujet?

La sénatrice Dyck : Ils sont préoccupés par le principe Gladue, du lien avec le principe. Ils se soucient davantage de la protection du délinquant. Ils n'ont pas vu l'argument en faveur de la protection de la femme.

Le sénateur Plett : Merci aux témoins. Je veux faire écho aux commentaires du sénateur Baker et de la sénatrice Dyck, et vous féliciter de la ténacité dont vous avez fait preuve en appuyant cette mesure législative jusqu'à l'étape de l'étude en comité.

Je tiens vraiment à éviter de comparer cette mesure législative au projet de loi C-16, car je ne pense pas que ce soit possible. J'espère que votre projet de loi sera davantage en mesure d'atteindre son objectif que le projet de loi C-16, qui, d'après moi, n'accomplit pas ce qu'il est censé accomplir.

Si j'ai bien compris de ce que vous avez mentionné au sujet des transgenres, l'article du Code criminel qui porte sur les crimes et les propos haineux s'applique à cette communauté. Cependant, en vertu du projet de loi C-16, une femme transgenre est considérée comme une femme aux yeux de la loi.

Donc, d'après vous, une femme transgenre autochtone ne se qualifierait-elle pas dans ce cas-ci?

La sénatrice Dyck : Se qualifier pour quoi?

Le sénateur Plett : On tient déjà compte du statut de femme transgenre dans la loi, en vertu du projet de loi C-16, lors d'un crime haineux.

La sénatrice Dyck : Ce projet de loi est en cours d'étude; il n'a pas été adopté.

Le sénateur Plett : Très bien. Donc, est-il possible que les deux projets de loi se contredisent?

La sénatrice Dyck : La décision serait très intéressante s'il s'agit d'un transgenre autochtone. La personne est-elle du sexe féminin ou masculin? Honnêtement, je ne le sais pas. C'est une situation très compliquée.

Le sénateur Plett : À votre avis, cette mesure législative s'applique-t-elle à une personne autochtone à l'identité sexuelle changeante, si elle est considérée comme ayant été une femme au moment de l'agression — car, en répondant à la question de la sénatrice Batters, vous avez dit qu'on peut s'autoidentifier?

La sénatrice Dyck : Si la personne est autochtone et qu'elle affirme avoir été une femme à ce moment-là.

Le sénateur Plett : À quel moment, avant ou après l'agression?

La sénatrice Dyck : Au moment de l'agression ou de l'assassinat.

Le sénateur Plett : Mais son identité sexuelle est changeante, ce qui signifie qu'elle change d'un jour à l'autre.

La sénatrice Dyck : L'identité retenue serait celle que la victime a indiquée à la personne, à l'auteur du crime, au délinquant.

Le sénateur Plett : Une victime qui veut en faire un crime haineux pourrait affirmer qu'elle s'identifie en tant que femme et, si elle n'y tient pas tant, qu'elle s'identifie en tant qu'homme.

La sénatrice Dyck : Cela permettrait sans aucun doute de faire une comparaison intéressante.

Le sénateur Joyal : Je suis certain que vous avez eu l'occasion de réfléchir à l'incidence de votre projet de loi sur la Charte des droits et libertés. De mon point de vue — et je peux me tromper, car je n'ai pas consulté tous les articles du Code criminel —, je crois qu'il pourrait s'agir d'un des rares cas dans le code où la distinction entre les sexes serait à considérer pour ce qui est de la détermination de la peine ou en tant qu'élément factuel présenté à cette fin.

Comme vous le savez, à l'article 718.2, le principe Gladue ne fait pas de distinction entre les hommes et les femmes. Dans ce cas-ci, il faut prendre en considération le fait que la victime du crime est une femme, et le fait qu'on ne ferait pas de distinction si elle était un homme; on se rapporterait alors à l'article 718, qui est de portée générale, pour tenir compte de la race, mais pas du sexe, bien entendu, car votre projet de loi s'en serait chargé.

Avez-vous mesuré l'incidence de cette distinction par rapport à la Charte, à l'égalité des sexes, et comment répondez- vous à ceux qui invoquent cet argument?

La sénatrice Dyck : Je pense que la réponse se trouve au paragraphe 15(2). Étant donné que les femmes sont manifestement la cible de crimes violents, même si la loi fait acception de personne et s'applique également à tous, le paragraphe 15(2) dit :

Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Je pense que c'est ce passage qui s'applique, car nous savons, compte tenu de la crise nationale des femmes et des filles autochtones portées disparues ou assassinées, que nous avons un problème lié aux femmes autochtones. Je pense donc que, en vertu du paragraphe 15(2), nous pouvons adopter une loi en raison de ce désavantage précis que révèlent maintenant tous les éléments de preuve de différents groupes, dont l'Association des femmes autochtones du Canada et la GRC.

Le sénateur Joyal : Je n'en doute pas. Vous connaissez mon point de vue sur la question, qui est consigné au compte rendu, comme vous le savez. J'essaie simplement de comprendre l'incidence de la mise en œuvre du projet de loi. Certains pourraient soumettre un argument contraire afin de contester sa mise en œuvre et sa constitutionnalité. Voilà pourquoi je soulève la question, étant donné que certains pourraient faire valoir que les hommes autochtones sont eux aussi beaucoup plus souvent victimes de meurtre, de crimes, de voies de fait, et ainsi de suite que les hommes non autochtones. Nous savons que les dossiers des prisons le démontrent abondamment.

C'est pourquoi j'essaie de comprendre la nuance que vous apportez sur le plan légal, de toute évidence — pour être certain que le projet de loi survivrait à une contestation fondée sur la Charte, et qu'il entrera dans le système judiciaire sans que sa constitutionnalité ne soit remise en doute.

J'essaie de comprendre le caractère systémique du principe de l'arrêt Gladue, c'est-à-dire la reconnaissance de la condition particulière des peuples autochtones. Si nous pouvions étendre cette reconnaissance systémique à un groupe d'Autochtones très précis, c'est-à-dire les femmes, il s'agirait plus ou moins d'une évolution progressive du principe visant à reconnaître la discrimination systémique dans le système.

Le président : Avez-vous une question, sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Comprenez-vous mon raisonnement à ce sujet?

La sénatrice Dyck : Oui.

Le sénateur Joyal : Je n'essaie pas de rendre une décision ici, mais comment composeriez-vous avec une telle contestation?

La sénatrice Dyck : L'une des décisions judiciaires que j'ai lues dans mon exposé disait que les femmes autochtones étaient victimes d'une discrimination systémique. J'ai essayé de faire valoir qu'en raison de notre héritage colonialiste, les situations que subissent les femmes autochtones sont différentes que celles que vivent les hommes. Par conséquent, les dispositions ne doivent pas être exactement pareilles, et il doit y avoir une disposition particulière pour les femmes.

J'ai aussi mentionné le rapport de Statistique Canada, qui dit que même si les hommes autochtones sont eux aussi surreprésentés parmi les victimes d'agressions et de meurtres, on constate bel et bien que les femmes autochtones perdent encore au change, une fois qu'on retire les autres facteurs de risque. Pour une femme, le seul fait d'être autochtone était un facteur de risque de violence, mais pas chez les hommes. Voilà qui montre clairement la différence entre les deux sexes.

Le sénateur White : Sénatrice Dyck, vous n'êtes pas sans savoir que j'ai travaillé près de 20 ans à titre de policier dans des collectivités autochtones. J'ai vu les Ed Horne de ce monde qui ont abusé de centaines d'enfants. Y a-t-il une raison pour laquelle votre projet de loi n'inclut pas l'ensemble des femmes et des enfants autochtones, puisque je dirais que les enfants sont eux aussi bien plus souvent victimes?

La sénatrice Dyck : Le projet de loi parle de personnes du sexe féminin. Il ne précise pas l'âge de ces personnes.

Le sénateur White : Je parle toutefois de l'ensemble des enfants — pas seulement des filles, mais bien des deux sexes. À vrai dire, la grande majorité des victimes d'abus sexuels que j'ai vus étaient des garçons.

La sénatrice Dyck : Je pense que le projet de loi s'appliquerait aussi aux enfants étant donné qu'aucun âge n'est précisé.

Le sénateur White : Mais il viserait seulement les enfants de sexe féminin. Je parle toutefois tant des garçons que des filles.

La sénatrice Dyck : Oui, vous avez raison.

Le sénateur White : Avez-vous tenu compte des deux sexes?

La sénatrice Dyck : Il s'agit bel et bien d'une autre catégorie. Encore une fois, je crois qu'il nous faudrait des éléments de preuve et des chiffres pour le démontrer.

Le sénateur White : Vous accepteriez donc un amendement? Est-ce bien ce que vous dites?

La sénatrice Dyck : Non. C'est peut-être en raison de mon esprit scientifique, mais je pense toujours que les données et les chiffres sont là pour montrer s'il y a un problème.

Le sénateur White : Nous sommes dans l'appareil politique; nous n'avons donc besoin d'aucune donnée. Je blague.

La sénatrice Dyck : Je ne suis pas contre les amendements. Je pense que tout projet de loi peut être amélioré.

Le sénateur White : Merci, sénatrice.

Avez-vous rencontré les représentants de l'Association du Barreau canadien pour savoir s'ils approuvent le projet de loi? J'aimerais beaucoup qu'ils appuient un projet de loi émanant du Sénat à un moment donné.

La sénatrice Dyck : Non, je ne les ai pas rencontrés. Je crois qu'ils faisaient partie des témoins proposés, mais ils n'étaient peut-être pas libres.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je veux d'abord que vous preniez note que je suis de ceux qui ont souvent dénoncé le manque de sévérité des sentences, principalement dans le cas des crimes violents à l'endroit des femmes.

Cependant, j'ai une question de fond sur ce projet de loi. Dans notre société, les politiciens parlent beaucoup de l'inclusion des communautés plutôt que de leur isolement. Croyez-vous qu'en donnant aux juges un tel pouvoir, vous laissez entendre du même coup aux agresseurs de femmes qu'ils auraient peut-être une sentence moins sévère s'ils agressaient une adolescente ou une femme blanche, asiatique ou noire qui vit ici au Canada? Comme citoyen, ou encore si j'étais membre de la famille d'une victime, je serais un peu révolté que l'agresseur bénéficie d'une sentence moins sévère en raison de la discrimination que pourrait engendrer le projet de loi. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

La sénatrice Dyck : C'est une question intéressante. Cela revient encore à... Étant donné que les chiffres montrent cette énorme surreprésentation des femmes autochtones parmi les victimes, il en va peut-être de même pour les femmes noires. Je n'en suis pas certaine. Il est vrai que le projet de loi crée une catégorie propre aux femmes autochtones. Je ne suis pas convaincue que les dispositions poussent un délinquant — probablement un homme — à choisir une autre victime parce qu'il croit pouvoir s'en tirer. C'est pertinent si le délinquant se trouve dans une collectivité où vivent de nombreuses femmes noires. Je soupçonne toutefois que nous pourrions observer un phénomène semblable dans les milieux où il y a une majorité de femmes noires plutôt que de femmes autochtones. Dans ces milieux, il est fort probable que les femmes noires soient également la cible d'infractions violentes.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup, sénatrice Dyck, de même que tous les autres qui comparaissent. Je vous remercie également de tout le travail que vous avez fait pour contrer la violence à l'égard des femmes et pour essayer de sensibiliser la population aux problèmes de sous-protection et de surveillance policière excessive des femmes autochtones.

Sénatrice Dyck, je me demande si vous auriez présenté un tel projet de loi si les choses ne se passaient pas ainsi. Autrement dit, auriez-vous présenté le projet de loi tel qu'il est si les femmes ne portaient pas l'hyper responsabilité de leur propre victimisation; et s'il n'y avait aucune pratique raciste et misogyne au sein des forces policières quand vient le temps de protéger les femmes autochtones, d'intenter des poursuites et de les défendre convenablement? Avez-vous envisagé l'incidence de la violence des femmes contre les femmes?

Même si le sénateur White est parti, j'aimerais ajouter que les dispositions du Code criminel sur la violence faite aux enfants englobent le volet qui le préoccupe.

La sénatrice Dyck : Je ne suis pas certaine de comprendre votre question. Voulez-vous savoir si mon projet de loi s'attaque aux autres aspects du système de justice pénale, comme la surveillance policière?

La sénatrice Pate : Non, veuillez m'excuser. J'ai semé la confusion en replaçant ma question dans un contexte.

Auriez-vous proposé ce projet de loi si nous ne nous savions pas aussi clairement que les femmes autochtones sont particulièrement susceptibles d'être victimes, et moins susceptibles d'être prises au sérieux lorsqu'elles le sont?

La sénatrice Dyck : Eh bien, je ne crois pas que ces dispositions auraient été nécessaires. Le besoin est pressant compte tenu de toutes les données que nous avons désormais, qui nous viennent de l'Association des femmes autochtones du Canada, ou AFAC, et qui ont été confirmées par la GRC. Nous vivons bel et bien une crise nationale, dans laquelle les femmes autochtones sont la cible d'infractions violentes, d'agressions sexuelles et de meurtres. Autrement, le projet de loi n'aurait pas été nécessaire, tout comme les principes de l'arrêt Gladue n'auraient pas été requis si les délinquants autochtones n'étaient pas surreprésentés dans les prisons. Les dispositions répondent à un besoin sociétal.

La sénatrice Pate : J'ignore si vos accompagnateurs et vous voudrez répondre, mais certains d'entre nous se demandent notamment comment les dispositions seront appliquées, surtout lorsqu'on parle de femmes qui ont déjà été criminalisées, et plus particulièrement de femmes autochtones, qui sont plus susceptibles d'être criminalisées. Je pense notamment aux femmes qui sont déjà en prison et qui sont constamment pénalisées pour leur comportement derrière les barreaux. Les femmes seront-elles plus susceptibles d'être criminalisées en raison de ces dispositions?

La sénatrice Dyck : Parlez-vous des Autochtones en prison?

La sénatrice Pate : Ou de toute femme autochtone accusée d'avoir agressé une autre femme autochtone.

La sénatrice Dyck : Non. Le projet de loi porte sur la victime, mais je pense que vous parlez de délinquantes.

Le sénateur Sinclair : Il est question d'une femme autochtone qui s'attaque à une autre femme autochtone.

La sénatrice Dyck : Oh, une femme qui s'en prend à une femme. Ce serait couvert par l'alinéa a), je crois.

Le président : Deux sénateurs aimeraient poser des questions au deuxième tour, mais je crains que le temps ne soit écoulé.

Chers témoins, je tiens à vous remercier d'être venus participer à notre examen de cette mesure législative.

Pour la deuxième heure, nous accueillons des témoins pour discuter du projet de loi S-215 : William Trudell, président du Conseil canadien des avocats de la défense; Solomon Friedman, avocat criminaliste et associé chez Edelson Clifford D'Angelo Friedman LLP; et Edward Prutschi, associé chez Adler Bytensky Prutschi Shikhman LLP. Merci d'être venus nous rencontrer.

Monsieur Friedman, je crois savoir que vous allez commencer par une déclaration liminaire. Nous écouterons ensuite M. Prutschi, puis M. Trudell.

Solomon Friedman, avocat criminaliste et associé, Edelson Clifford D'Angelo Friedman LLP : Monsieur le président, monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui du projet de loi S-215. Pour commencer, je fais écho aux sentiments des distingués témoins qui m'ont précédé cet après-midi. La victimisation disproportionnée des femmes autochtones a terni l'image de la société canadienne en général, et plus particulièrement de notre système juridique.

Ce problème complexe a pris naissance dans les héritages canadiens persistants du colonialisme, du racisme institutionnel et de la discrimination systémique. Pour les hommes et les femmes autochtones, la situation a été meurtrière, rien de moins. C'est un bagage honteux qui ternit encore aujourd'hui notre caractère national.

Vu sous cet angle, le projet de loi S-215 est sans doute une tentative bien intentionnée de reconnaître la victimisation des femmes autochtones et de les protéger contre cette violence récurrente. La sénatrice Dyck mérite d'être saluée pour tenter de remédier à ce qui semble être un problème insoluble et déconcertant pour bien des gens. Mais comme tout avocat criminaliste pourra vous le dire, il ne suffit pas d'avoir de bonnes intentions pour créer une loi solide, et j'estime en toute déférence que le projet de loi S-215 n'est pas une bonne loi. Quatre grandes raisons expliquent mon raisonnement.

Avant de vous les présenter, permettez-moi de formuler l'observation suivante. Sur les plans de l'analyse statistique et de la connaissance d'office, il est clairement établi que la surreprésentation des Autochtones parmi les victimes d'infractions est aussi indissociable de l'envers de la médaille, à savoir la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire de façon générale.

Ce point a été clairement expliqué dans le récent rapport du ministère de la Justice, qui dit :

Les auteurs d'actes de violence contre les Autochtones sont le plus souvent d'autres membres de la collectivité autochtone, tels que les conjoints, les parents ou les amis des victimes, ce qui explique pourquoi la victimisation des Autochtones au Canada est souvent considérée comme une réflexion des infractions commises par les Autochtones.

Ces chiffres doivent être replacés dans leur contexte historique et culturel. Comme l'a dit la Commission de vérité et réconciliation :

La violence et les infractions criminelles ne sont pas inhérentes à la population autochtone. Elles proviennent d'expériences très spécifiques que les Autochtones ont vécues, y compris les séquelles intergénérationnelles des pensionnats.

En effet, de nombreuses études révèlent que les actes de violence sont souvent commis par des individus pour qui la violence s'est normalisée après qu'ils en aient eux-mêmes été victimes, plus particulièrement pendant l'enfance.

C'est pour cette raison que la Cour suprême du Canada a ordonné aux juges d'appliquer la connaissance d'office à des éléments tels que l'histoire du colonialisme, les déplacements et les pensionnats. Ils doivent déterminer dans quelle mesure cette histoire continue de se traduire par une faible scolarisation, de faibles revenus, un taux de chômage élevé, des taux élevés de toxicomanie et de suicide et, bien sûr, des taux supérieurs d'incarcération chez les peuples autochtones.

Cette représentation disproportionnée est particulièrement évidente lorsque le crime violent en question est un homicide. En 2014, le taux global d'Autochtones accusés d'homicide au Canada était 10 fois supérieur à celui des accusés non autochtones.

Au cours de la même période, le taux de femmes autochtones accusées d'homicide était 23 fois supérieur à celui des femmes non autochtones accusées.

Dans ce contexte, les problèmes inhérents au projet de loi à l'étude deviennent évidents.

Premièrement, je crains que le projet de loi S-215 ne soit contraire à la garantie d'égalité prévue à l'article 15 de la Charte des droits et libertés, en raison de son incidence négative et disproportionnée sur les délinquants autochtones.

En deuxième lieu, le projet de loi S-215 pourrait effectivement aller à l'encontre des principes énoncés à l'alinéa 718.2e) du Code criminel, ainsi que par la Cour suprême du Canada dans des décisions telles que Gladue et Ipeelee.

Troisièmement, le projet de loi S-215 est inutile, étant donné que le caractère vulnérable des victimes, en raison de leurs particularités individuelles et collectives, est déjà bien reconnu dans le Code criminel et la common law comme étant un facteur aggravant lors de la détermination de la peine.

Quatrièmement, compte tenu de l'effet dissuasif minimal de la peine imposée chez les délinquants violents, la mesure législative n'aura vraisemblablement qu'un effet marginal, le cas échéant, sur la perpétration d'infractions violentes contre les femmes autochtones.

Je vais conclure par cette dernière réflexion. L'expérience nous a appris que le droit pénal ne convient ni aux gestes symboliques ni aux politiques sociales. Le droit pénal est un outil rudimentaire qui ressemble plus à une massue qu'à un scalpel. C'est du côté de la détermination de la peine que c'est le plus évident, puisque les juges doivent imposer des peines convenables à partir d'un examen détaillé de l'infraction, du délinquant et du contexte social particulier ayant mené l'individu devant les tribunaux. Les juges sont bien placés pour assumer cette tâche, mais les parlementaires le sont beaucoup moins.

Je serai ravi d'approfondir ces éléments en réponse à vos questions. Je vous remercie infiniment de votre attention.

Edward Prutschi, associé, Adler Bytensky Prutschi Shikhman LLP : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie. Il est toujours difficile de passer en deuxième, et je suis persuadé que ce sera encore plus difficile pour M. Trudell d'être le troisième témoin. Mais il va très bien s'en sortir. J'appuie presque sans réserve tout ce que M. Friedman a dit. Plutôt que de vous présenter une déclaration préparée, je vais donc garder le plus de temps possible pour les questions et les réponses. Tout comme M. Freidman, je crois que c'est essentiel pour parler des problèmes que pose un projet de loi bien intentionné.

Je vais toutefois aborder deux ou trois enjeux déterminants. Tout le monde a déjà parlé de l'arrêt Gladue. C'est très évident à mes yeux. Sur l'invitation, on voit que mon titre est « associé », mais permettez-moi de préciser que je suis un avocat en droit criminel. C'est ce que je fais tous les jours, et je sais que MM. Friedman et Trudell font le même travail. Ceux d'entre nous qui passent leurs journées devant les tribunaux criminels, à défendre non seulement les affaires autochtones, mais aussi tous les types de dossiers, peuvent comprendre ce qui va se passer. Je vais vous dire ce qui me préoccupe.

Il a fallu énormément de temps pour que l'arrêt Gladue devienne réellement fonctionnel, si je peux m'exprimer ainsi, et qu'il ait une incidence véritable sur les délinquants autochtones et les peines qu'ils reçoivent. Nous le savons parce que l'arrêt Gladue remonte à environ 13 ans. L'affaire date de 1999, mais ce n'est qu'en 2012 que la Cour suprême du Canada a rendu la décision Ipeelee. Elle a essentiellement demandé à tous les intervenants du système judiciaire ce qu'ils avaient fait au cours des 13 dernières années, puisque nous n'avions pas respecté l'intention de l'arrêt Gladue. La cour a donc réitéré l'importance de cet arrêt.

Ce qui me préoccupe au sujet d'un projet de loi comme celui-là — et encore une fois, je salue bien bas la sénatrice Dyck de l'avoir mené jusqu'ici —, c'est le fait que certains juges y verront une invitation à se servir de n'importe quelle disposition du Code criminel pour envoyer aux délinquants autochtones un message de sévérité en matière de criminalité. En fin de compte, c'est ce qui va se produire dans la plupart des situations. Nous connaissons et reconnaissons tous les statistiques. Dans les faits, je crois que ce projet de loi va s'appliquer de manière disproportionnée aux délinquants autochtones de sexe masculin plutôt qu'à n'importe qui d'autre. Je crois que nous devons reconnaître cela et en être conscients. C'est un exercice dangereux, et je ne sais pas très bien comment les juges vont composer avec deux lois contradictoires, une qui prône des circonstances aggravantes pour les victimes et l'autre, des circonstances atténuantes pour les délinquants. C'est une situation qui pourrait avoir des conséquences imprévisibles.

J'ai aussi eu le bonheur de lire les observations que la sénatrice Dyck a servies au Sénat dans le cadre de la deuxième lecture, observations que j'ai trouvées très utiles. Elles contenaient quelques exemples, notamment en ce qui concerne les chiens d'assistance et les travailleurs des transports en commun. J'ai trouvé que c'était un argument très intéressant et très astucieux. Dans mon esprit « juridique », je me suis fait la réflexion suivante : « Bravo! Ce n'est pas quelque chose que j'avais envisagé, à l'époque. »

J'ai repris les notes et j'ai lu ces questions, car, je dois l'avouer, il ne m'est pas arrivé souvent de défendre des gens accusés d'avoir blessé un chien d'assistance. Ce n'est pas quelque chose qui arrive souvent, du moins, pas dans ma pratique. Le libellé de ces articles uniques en leur genre est éloquent. Dans l'article sur les chiens d'assistance, il est question d'un animal qui est en train d'aider un policier dans l'exercice de ses fonctions. Dans l'article sur le conducteur de véhicule du transport en commun, on parle d'un délit commis au moment où le conducteur est en train de conduire un véhicule. Ces distinctions sont très importantes puisque, pour autant que je le sache, c'est la première fois qu'un projet de loi crée une classe de victimes particulière, un statut de victime particulier, si vous me permettez l'expression, un statut permanent et applicable en tout temps. Cela n'est pas basé sur ce qu'une femme autochtone fait à tel ou tel moment. Ce n'est même pas basé sur le fait — et je crois que c'est un problème constitutionnel et juridique —, sur le fait que le délinquant était au courant ou non que sa victime était autochtone. On se base simplement sur le fait que la victime elle-même est une femme autochtone.

Nous avons déjà parlé de l'objet des sous-alinéas 718.2a)i) et ii). Certaines options du Code criminel offrent déjà la possibilité d'utiliser des éléments de preuve comme circonstances aggravantes. Le code vous permet déjà d'utiliser comme circonstances aggravantes le fait que le crime cible une Autochtone parce qu'elle est, soit une femme — en a) —, soit une Autochtone — en b) — ou les deux — en c). La liste est consignée à l'article 718, et les circonstances s'appliquent indépendamment de 718.2e) — les facteurs Gladue.

Il y a donc un certain degré de zèle législatif qui vient avec cela. Nous le voyons en particulier dans le fait que ce projet de loi vise également l'article 269, qui porte sur le meurtre. Au Canada, la peine minimale obligatoire pour un meurtre est l'emprisonnement à perpétuité. Dans le meilleur des cas, cela aura une incidence sur les libérations conditionnelles pour les personnes accusées de meurtre au deuxième degré. Il y aura peut-être des problèmes d'admissibilité à la libération conditionnelle, un scénario somme toute assez marginal.

Je crois que j'ai fait le tour de tous les points d'interrogation. Cependant, avant de laisser la parole à M. Trudell, je vais dire ceci. Dans son allocution accompagnant la deuxième lecture, la sénatrice Dyck a mentionné les affaires précises de deux femmes. Dans une de ces affaires, il est question de Cindy Gladue, qui, bien entendu, ne doit pas être confondue avec l'autre Gladue, celle de l'affaire Gladue. Selon l'un des scénarios, il était question d'un procès devant jury, et l'accusé était trouvé coupable. Il est important de souligner que ce projet de loi n'a aucun effet sur les personnes dont la culpabilité n'est pas reconnue. Il convient de se poser des questions sur la façon dont le système de justice fonctionne. Je serai heureux de vous parler de ces questions lors d'une autre occasion. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il s'agit d'une personne trouvée non coupable, le projet de loi n'est pas pertinent. Il ne s'applique que lorsqu'il y a culpabilité.

Le deuxième scénario concerne le cas tragique de Helen Betty Osborne...

Le président : Monsieur Prutschi, comme vous avez dit vouloir laisser du temps pour les questions, je vais vous demander de conclure.

M. Prutschi : Ce que je veux dire, c'est que, malheureusement, le projet de loi n'aurait pas aidé ces femmes, même dans ce deuxième exemple.

William Trudell, président, Conseil canadien des avocats de la défense : Je serai bref. Honorables sénateurs, au nom du Conseil canadien des avocats de la défense, merci beaucoup de l'invitation que vous nous avez lancée. Il y a pas mal longtemps que je vous ai vus. Je suis heureux d'être ici à nouveau.

Premièrement, ce qui me frappe, c'est le caractère extraordinaire de l'époque dans laquelle nous vivons. Nous accordons une attention bien réelle à certaines des luttes que les Premières Nations mènent dans notre communauté. Même si ce n'est pas exactement relié au sujet qui nous intéresse, sachez que j'ai regardé l'hommage qui a été fait à Gord Downie, hier soir, et je me suis dit que nous sommes en train de vivre une période très importante de l'histoire de notre société.

Le projet de loi de la sénatrice Dyck cherche à étoffer cette discussion et à faire valoir différents points de vue, ce qui est important. Cependant, à mon humble avis — et je me fais l'écho de mes collègues —, je crois que ces dispositions pénales soulèvent quelque chose de complètement différent.

Nous sommes désormais dans une ère de justice réparatrice. Il n'y a qu'à regarder certaines des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du sénateur Sinclair pour avoir une bonne idée des principes de cette forme de justice. Le préambule du projet de loi S-215 stipule :

Attendu que, selon la Charte canadienne des droits et libertés, la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination; [...]

Malheureusement, ce projet de loi classe les victimes, et fait en sorte que certaines d'entre elles sont « moins égales que d'autres ».

Deuxièmement, depuis des décennies et toujours aujourd'hui, les femmes autochtones courent beaucoup plus de risques d'être portées disparues, d'être assassinées ou d'être victimes d'autres crimes violents que les femmes qui ne sont pas autochtones. Je me demande si ce projet de loi n'arrive pas un peu trop vite, étant donné que l'enquête sur les femmes assassinées ou portées disparues est censée parler de cela. Une fois que cette enquête sera terminée, nous serons peut-être mieux placés pour déterminer si ce type de loi répond à un besoin. Pour l'instant, à mon humble avis et conformément à l'opinion de mes collègues, nous n'avons pas besoin de ce projet de loi.

Quant aux principes présidant à la détermination de la peine, le fait de prouver que l'infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l'origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, la déficience mentale ou physique, l'orientation sexuelle ou d'autres choses semblables constitue déjà une circonstance aggravante. Bien franchement, ce projet de loi n'est pas nécessaire.

Je voulais vous laisser sur ce qui suit : le Conseil canadien des avocats de la défense est un conseil. Là où nous n'avons pas d'organisme, nous avons des représentants. Lorsque je les ai joints la semaine dernière, nos représentants dans les Territoires du Nord-Ouest, au Yukon et au Nunavut étaient très préoccupés par ce projet de loi, puisqu'il a une incidence sur les principes de Gladue et d'Ipeelee et sur ce qu'ils constatent au quotidien dans le Nord. En parlant de l'effet que ce projet de loi aura sur la collectivité qu'il vise, le mot qui a été utilisé est « désastreux ».

Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.

Le président : Nous allons commencer par le vice-président.

Le sénateur Baker : Nos trois témoins s'y connaissent très bien en matière de jurisprudence. En droit criminel, vous êtes des avocats de la défense extrêmement efficaces.

Vous avez comparé le libellé de ce projet de loi à celui des dispositions actuelles du code afin de conclure que ces aspects étaient déjà couverts et que le projet de loi allait entrer en conflit avec les principes établis dans l'arrêt Gladue.

Il y a selon moi une grande différence entre le libellé de ce projet de loi et celui de l'alinéa 718.2a), où il est question des circonstances atténuantes et des circonstances aggravantes. Cette disposition concerne les circonstances qui peuvent alourdir ou alléger la peine, selon qu'il s'agit d'une circonstance aggravante ou atténuante. En d'autres mots, la disposition du code affirme que la peine peut-être alourdie ou allégée, ce qui est très différent de ce que dit le projet de loi. En effet, le projet de loi stipule que le tribunal « est tenu de considérer ». Il ne dit pas que le tribunal est tenu « d'alourdir la peine » ou « d'alléger la peine », mais qu'il est tenu de « considérer comme circonstance aggravante ». Le libellé du projet de loi est passablement différent de celui du code.

Comme vous le dites, monsieur Friedman, vous êtes un plaideur chevronné. Vous dites que le projet de loi ne va pas avoir une grande incidence. Pourquoi dites-vous que c'est un mauvais texte de loi si, après tout, il n'aura pas tant d'effet que cela?

Là où je veux en venir, c'est que le projet de loi est écrit pour essayer de remédier à un problème très grave que nous avons au Canada et qui fait présentement l'objet d'une étude, comme vous l'avez souligné. Donc, le libellé du projet de loi cherche à inciter le tribunal à considérer telle ou telle chose comme facteur aggravant, et non pas à alourdir ou à alléger.

Vous ne pouvez pas comparer cela à un article qui stipule que vous devez alourdir ou alléger, aggraver ou atténuer. C'est ce à quoi je vous demande de réfléchir. Avez-vous des observations à formuler?

M. Friedman : Lorsque j'ai dit qu'il n'aurait pas beaucoup d'effet, je voulais dire qu'il n'allait pas faire grand-chose pour dissuader les délinquants de commettre des crimes contre les femmes autochtones.

La recherche sur les avantages ou l'absence d'avantages en ce qui concerne l'établissement des peines est assez catégorique, et ces avantages sont extrêmement modestes, voire inexistants.

En ce qui concerne la question des facteurs aggravants dans la détermination des peines, je suis impatient de voir arriver le jour où je rencontrerai un procureur de la Couronne qui acceptera de reconnaître qu'un facteur aggravant ne devrait pas alourdir la peine d'un criminel. Les considérations sont aggravantes, ce qui signifie qu'elles appellent une punition plus sévère. Cela ne signifie pas l'emprisonnement automatique, mais cela veut dire que vous avez perdu un certain avantage et que vous pourriez écoper d'une peine plus sévère.

J'estime toutefois que nous devons regarder au-delà des dispositions sur la haine et les préjugés. Si l'on regarde l'article 718 proprement dit, on nous dit tout d'abord qu'il faut dénoncer le comportement illégal et examiner le tort causé à la victime et à la collectivité. J'ai relevé avec grand intérêt les causes évoquées par la sénatrice Dyck. Les tribunaux tiennent déjà compte de la vulnérabilité des victimes en tant que personnes et en tant que catégorie de personnes. C'est quelque chose qui existe en common law.

Plus précisément, je vais terminer en disant que 718 stipule que sont « notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant [...] ». Le mot « notamment » signifie que les tribunaux ont le droit de tenir compte de n'importe quel aspect du crime qui pourrait être considéré comme aggravant. Le fait que la victime est vulnérable est tout à fait conforme à cela et c'est une circonstance couramment acceptée par la jurisprudence.

Le sénateur Baker : Il faut néanmoins reconnaître que cela est très différent de 718 puisque 718 affirme qu'une peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes. De toute évidence, vous reconnaissez que c'est ce que dit le code.

M. Friedman : Je suis d'accord pour dire que c'est effectivement le libellé du code, mais le seul sens que l'on peut donner à l'effet qu'un facteur aggravant pourrait avoir sur la détermination de la peine est que la peine devrait être...

Le sénateur Baker : Même si l'on parle de « tenir compte de ».

M. Friedman : Oui, le juge tiendra compte de ces aspects. À quoi cette logique nous mène-t-elle? Le juge tient compte de telle ou telle circonstance et la soupèse. Ce facteur aggravant ne suffira peut-être pas à faire pencher la balance du côté d'une punition plus sévère, mais il ne fait aucun doute que c'est sur ce plateau de la balance qu'il se retrouvera.

Le sénateur McIntyre : Ma question cherche à clarifier quelque chose quant à l'interprétation. Le code utilise le mot « autochtone », mais pas « indien », « inuit » ou « métis ». En revanche, le projet de loi utilise ces trois mots.

Croyez-vous que le fait que le projet de loi parle de « personne du sexe féminin qui est indienne, inuite ou métisse » pourrait causer des problèmes, étant donné que ces mots ne sont ni reconnus ni définis par le code? Pourrait-il y avoir un problème d'interprétation?

M. Trudell : J'ai encerclé ce passage parce que je ne savais pas comment cela devait être défini. Je ne suis pas en mesure de donner une définition exacte qui comprendrait les personnes que la sénatrice Dyck cherche à protéger. D'autres sont plus qualifiés que moi pour ce faire. J'avoue que cet aspect est très nébuleux pour moi.

Je parlais récemment avec Jonathan Rudin et je lui disais que j'avais participé à un groupe d'experts, mais j'ai utilisé les mauvais termes. Je crois que j'ai parlé d'« aboriginal » en anglais, alors que, selon lui, il fallait parler d'« indigenous » ou l'inverse.

Quoi qu'il en soit, le projet de loi doit être clair. J'ai eu un doute en le lisant, car je ne comprenais pas ce que cela signifiait.

M. Prutschi : J'ai parlé à Jonathan précisément à ce propos. Jonathan Rudin est le directeur des Services juridiques autochtones en Ontario. Il m'a aussi fait part de certaines de ses réserves au sujet du projet de loi.

Je crois qu'aux termes du Code criminel tel qu'il est maintenant — pas d'après ce que dit le projet de loi —, le terme « autochtone » est utilisé dans son acception plus générale pour permettre le genre de choses dont parle la sénatrice Dyck, c'est-à-dire l'auto-identification, l'autodéclaration.

C'est une chose que de permettre l'auto-identification dans l'arrêt Gladue. Pour la gouverne des sénateurs, voilà comment cela fonctionne. Dans la majorité des collectivités, quelqu'un des Services juridiques autochtones fait une démarche pour rencontrer le client en personne afin de fouiller ses racines autochtones, ce qui prend un temps considérable. Lorsque cela est terminé, le représentant des services juridiques rédige un rapport sur ces antécédents. Lorsqu'un juge en a l'occasion, il lit le rapport et se sert de tous ces facteurs pour déterminer la peine appropriée.

Je ne crois pas que le Code criminel permettrait le scénario où une catégorie de victimes serait créée à partir d'auto- identifications. Constitutionnellement, le fait qu'une victime s'autodéclare comme étant autochtone n'a pas d'importance — que ce soit ex post facto dans le cas de victimes d'homicide ou à un certain moment au cours d'une agression sexuelle, par exemple. Ce qui a de l'importance, c'est le délinquant. D'un point de vue légal, si le projet de loi est adopté, il faudra déterminer si le délinquant savait que la victime était autochtone. Il y aura des problèmes de preuve, car, comme nous l'avons dit, tous les Autochtones n'ont pas nécessairement l'air autochtones, et il est toujours possible que les gens fassent ce genre d'erreur, sciemment ou non.

Le sénateur McIntyre : L'avocat de la défense pourrait-il arguer que l'accusé ne savait pas que la victime était autochtone?

M. Prutschi : Les avocats de la défense font flèche de tout bois. C'est ce que nous faisons. Les avocats de la défense vont nécessairement faire valoir cet argument. C'est ce que je ferais, et je suis convaincu que c'est aussi ce que feraient M. Friedman et M. Trudell.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Friedman, vous étiez ici, plus tôt, lorsque le sénateur Baker a posé une question à la sénatrice Dyck sur le conflit qui pourrait exister entre cette loi et les dispositions actuelles du Code criminel, qui suggère aux juges d'imposer une autre sentence que l'emprisonnement lorsque l'accusé est un Autochtone. Un jour, il se peut que, dans le cadre d'un crime violent commis envers une femme autochtone, l'accusé soit d'origine autochtone. Sur le plan juridique, pour un tribunal, le critère de la prépondérance s'appliquera-t-il en fonction de l'origine de l'accusé ou de l'origine de la victime?

[Traduction]

M. Friedman : C'est une bonne question. Elle met en évidence le fait qu'il y a vraiment deux côtés d'un même cycle. L'incarcération exagérée d'Autochtones est la principale cause de la surreprésentation des Autochtones en tant que délinquants. Il faut faire ce que fait Gladue, c'est-à-dire essayer de freiner cette tendance en adoptant le raisonnement suivant : « Si nous détournons le plus de personnes possible de la prison, nous mettrons fin à l'aliénation par rapport à la collectivité, la famille et la tradition, et nous éloignerons ces personnes de tous les facteurs qui nourrissent la criminalité. Nous pourrons alors peut-être endiguer ces débordements. » Or, avec ce projet de loi, nous allons nourrir la bête sous prétexte que la victime est une femme autochtone — et nous savons ce que les statistiques nous disent —, nous allons perpétuer un cycle de violence qui poussera l'incarcération et la criminalité à la hausse. Selon moi, cela va faire en sorte que les femmes autochtones vont se sentir encore moins en sécurité que maintenant, parce que le cycle d'incarcération à outrance et de surreprésentation dans le système pénal va reprendre.

M. Trudell : La recommandation 40 du rapport de la Commission de vérité et réconciliation parle de la justice. Voilà ce qu'elle dit — sénateur Sinclair, j'espère que je vais lire cela correctement :

40. Nous demandons à tous les ordres de gouvernement de créer, en collaboration avec les peuples autochtones, des programmes et des services suffisamment financés et faciles d'accès destinés expressément aux victimes autochtones, ainsi que des mécanismes d'évaluation appropriés.

Nous devons vraiment canaliser actuellement notre énergie sur cet aspect. Dans le cas d'un juge qui se trouve devant une telle situation dans le Nord canadien, que peut-il faire en matière de justice réparatrice? S'il choisit d'imposer une peine d'emprisonnement, la personne sera alors séparée de sa famille, parce que les centres de détention sont extrêmement loin. À mon humble avis, cela fait partie de la discussion que nous avons ici.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup aux témoins de leur présence aujourd'hui. J'aimerais commencer par vous, monsieur Friedman.

Vous avez dû considérablement écourter votre exposé pour respecter le temps imparti. Je tenais donc à vous donner l'occasion de nous faire part de votre analyse fondée sur l'article 15 de la Charte relativement au projet de loi et nous expliquer pourquoi vous pensez que le projet de loi risque d'être déclaré inconstitutionnel pour ces motifs.

M. Friedman : Nous sommes tous bien au courant que l'article 15 garantit à tous les Canadiens le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimination. La protection de la Charte ne se limite pas tout simplement aux lois qui sont évidemment discriminatoires. Autrement dit, la loi fait une distinction évidente à première vue entre diverses catégories de personnes. Cela concerne également les effets préjudiciables et la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, c'est-à-dire que la loi est apparemment neutre, mais, en raison des renseignements que nous avons et qui peuvent être présentés comme éléments de preuve — et les statistiques auxquelles j'ai fait référence sont amplement suffisantes pour démontrer cette corrélation —, un groupe est ciblé en raison de ses caractéristiques en matière de disparité de traitement. C'est un problème sur le plan constitutionnel.

La question que nous devons maintenant nous poser est la suivante : « Cela pourrait-il survivre à un examen minutieux en vertu de l'article 1 de la Charte? » C'est possible, mais nous avons besoin de données probantes. Il faudrait, par exemple, démontrer au cours de cette analyse que cette mesure améliorerait la sécurité des femmes autochtones. À mon avis, si les peines minimales obligatoires nous ont appris quelque chose, c'est que, lorsque nous commençons à parler de peines disproportionnées ou exagérément disproportionnées, nous pouvons rarement justifier les avantages qui découlent de l'imposition de peines plus sévères. Il ne fait aucun doute à mon esprit que le lien de causalité entre la surreprésentation comme victimes et comme délinquants constituerait certainement une contestation fondée sur la Charte et une cause défendable de discrimination par suite d'un effet préjudiciable en vertu de l'article 15.

La sénatrice Batters : Monsieur Prutschi, vous n'avez pas eu assez de temps pour parler de l'affaire Osborne. Je tenais donc à vous donner l'occasion de le faire.

M. Prutschi : Je vous en remercie, sénatrice. L'une des deux femmes auxquelles la sénatrice Dyck a fait référence dans son intervention à l'étape de la deuxième lecture était, comme vous l'avez souligné, Helen Betty Osborne. C'est l'histoire d'une femme de 19 ans qui a brutalement été assassinée. La GRC cherchait des suspects et croyait qu'il y en avait quatre. En fin de compte, des accusations ont été portées contre trois personnes. L'une d'entre elles n'a jamais été poursuivie, parce qu'il a été jugé que le témoignage de ces personnes faisait partie intégrante des poursuites engagées contre les deux autres. Les policiers et les procureurs ont décidé qu'ils avaient besoin de ces témoins; ils leur ont promis l'immunité. L'un des deux a été acquitté. Comme je l'ai mentionné plus tôt en parlant de l'affaire Gladue, dans le cas d'un acquittement, le projet de loi n'aura aucune conséquence sur une personne qui est déclarée non coupable. Les dispositions s'appliqueront seulement dans le cas des accusés qui sont condamnés. L'autre suspect a été reconnu coupable de meurtre. D'après moi, le projet de loi n'aura à peu près pas d'effets. Je crois que la seule situation dans laquelle les dispositions du projet de loi pourraient avoir des effets serait dans le cas d'un meurtre au deuxième degré et de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle.

Il n'y a que deux études de cas, mais le projet de loi n'aurait malheureusement rien changé dans les affaires concernant ces deux femmes que la sénatrice Dyck a présentées avec tant de passion.

Le sénateur White : Merci beaucoup, monsieur le président. Merci aussi aux témoins de leur présence. C'est en fait une bonne chose d'avoir un point de vue différent de ce que nous avons entendu.

Pratiquement 35 p. 100 des femmes dans les pénitenciers fédéraux au Canada sont des Autochtones. Je présume qu'un pourcentage semblable d'entre elles sont en prison pour des crimes violents commis contre des femmes ou des enfants autochtones.

Vous inquiétez-vous également que les personnes dont il est question aujourd'hui et que nous essayons de protéger se verraient imposer des peines plus sévères en raison du projet de loi?

M. Prutschi : Les femmes y sont beaucoup moins nombreuses que les hommes. C'est vrai pour ce qui est des Autochtones et des non-Autochtones. Toutefois, lorsque nous examinons les effets sur les Autochtones délinquantes, cela n'a d'autre choix que d'avoir des conséquences. Cela concerne des femmes autochtones qui commettent des crimes contre d'autres femmes autochtones, y compris des filles. Il s'agira majoritairement de cas de violence familiale. Cela inclut également des cas de violence entre conjoints de même sexe. C'est un aspect dont il faut tenir compte, même si je crois que cela touchera un plus petit nombre de personnes.

Le sénateur White : Monsieur Friedman, je crois vous avoir entendu dire « bonne loi ». Comment vous y prendriez- vous pour rédiger une bonne loi? Tout le monde comprend ce que nous essayons d'accomplir ici.

Sous-entendez-vous qu'il y a une manière de modifier le projet de loi en vue d'atteindre notre objectif, soit d'essayer de réduire les taux de récidive chez les femmes autochtones victimes?

M. Friedman : C'est la question évidente. Je sais que c'est la raison de notre présence à tous ici. C'est évidemment la raison pour laquelle la sénatrice Dyck est ici.

Le recours au droit pénal comme instrument de politique générale est une option attrayante, parce que cela ne coûte rien à première vue. Cela n'exige ni dépense ni budget. Il suffit d'adopter la loi et d'espérer que cela aura les effets désirés. Ce type de problème nécessite notre attention et des ressources en amont.

Je parlais justement ce matin à notre spécialiste locale en matière de jurisprudence autochtone. Je discutais de mon exposé avec elle et je lui ai demandé son point de vue. Elle m'a dit que nous devons investir des ressources dans l'éducation, la prévention de la violence et l'intégration des stratégies de lutte contre la violence familiale qui misent sur la sensibilisation et arrêter de simplement punir et incarcérer les gens. Cependant, les conseillers, les programmes et la justice réparatrice coûtent de l'argent. Je vous exhorte donc à éviter de vous laisser séduire par la solution miracle. Le Code criminel est rarement une solution miracle. Il s'agit d'un problème complexe et difficile qui nécessitera des solutions complexes et difficiles.

J'ai le plus grand respect pour le travail de la sénatrice Dyck qui a déployé d'énormes efforts en la matière, mais nous ne pourrons pas, à mon humble avis, régler la cause profonde du problème en nous concentrant tout bonnement sur la dernière étape du système de justice, soit la détermination de la peine, et en imposant des peines plus sévères, alors que tout le reste n'a pas fonctionné.

M. Trudell : Sénateur White, je dis à tous mes clients que défendre une cause est un peu comme réaliser une opération pour un chirurgien. Vous avez les radiographies. Nous sommes à l'étape où nous recevons les radiographies lorsqu'une enquête aura lieu. Bref, les dispositions législatives se révéleront peut-être non nécessaires ou non pertinentes lorsque nous aurons un portrait global de la situation. L'aide prend diverses formes à l'embouchure de la rivière, mais ce n'est pas vraiment le cas en amont, alors que c'est précisément à ce moment qu'il faut en offrir. La femme autochtone qui est détenue a probablement été victime de violence et de voies de fait, et l'enfant dont vous vous préoccupez également du sort sera exposé à la même chose. C'est culturel, et c'est particulièrement troublant dans le Nord canadien.

Le sénateur White : Merci.

Le sénateur Sinclair : Les critiques faciles sont très claires, et je crois que vous les avez toutes formulées. Toutefois, j'ai l'impression qu'il y a une question difficile dont nous ne traitons pas, et j'aimerais savoir si vous avez une solution à proposer. Cela semble être à l'origine de la réflexion de la sénatrice Dyck relativement au projet de loi. Si vous consultez la documentation qui a été présentée ce soir au Comité, l'accent est mis sur le problème de la victimisation des femmes autochtones par des tueurs en série au pays, c'est-à-dire que les femmes autochtones sont plus susceptibles d'être victimes d'un tueur en série que tout autre groupe au pays.

Le renvoi aux dispositions du Code criminel concernant la détermination de la peine qui ont été mises en évidence montre l'importance et le problème du conflit entre les victimes autochtones et les délinquants autochtones. Voici ma question. Si le projet de loi n'est pas une réponse acceptable à la victimisation des femmes autochtones, quelle est selon vous la solution pour régler le problème très difficile et très urgent — je crois que nous en convenons tous — des femmes autochtones qui sont victimes de manière disproportionnée de tueurs en série au pays?

M. Friedman : Premièrement, je dirais que vous pensiez probablement, sénateur Sinclair, que dans votre nouvel environnement vous seriez débarrassé des avocats de la défense qui passent à côté d'une évidence. Malheureusement, ce n'est probablement jamais le cas.

Dans le cas d'un tueur en série, nous avons affaire à une personne qui se fout de la peine minimale obligatoire imposée aux meurtriers au pays. L'ajout d'une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine ne dissuadera aucunement cette personne. Si nous examinons le travail réalisé en ce qui concerne les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au pays, il est question de la manière dont les plaintes sont traitées par les corps policiers locaux au moment de la disparition. Comment ces plaintes sont-elles traitées par la communauté externe? Comment les autorités s'en occupent-elles? Voilà la véritable question que nous devons nous poser. Comment validons-nous les inquiétudes? Nous faisons fi de ces personnes, ce qui contribue sans conteste à la victimisation et à la déshumanisation des femmes et des filles autochtones.

Cependant, à mon avis, nous intervenons beaucoup trop tard dans le système si nous le faisons au moment de la détermination de la peine. C'est une question de ressources et de sensibilisation des policiers et du système de justice. Ce n'est pas une question dont il faut nous occuper au moment de la détermination de la peine, parce qu'au moment de la détermination de la peine le problème fait rage depuis longtemps.

M. Trudell : Sénateur Sinclair, il y a un problème important ici, et la sénatrice Dyck l'a soulevé, et vous en avez aussi parlé, mais le système de justice pénale, comme nous l'avons déjà mentionné, n'est pas le moyen de le régler. Nous discutons et intervenons en vase clos depuis de nombreuses années; le simple fait d'avoir cette discussion, tout comme la discussion qui a eu lieu au sujet de la santé mentale, est une bonne chose. Il y a 10 ans, nous n'en aurions jamais parlé.

À mon humble avis, nous avons commencé à le faire. Vous cherchez à trouver la réponse et vous vous demandez ce que nous ferons. Nous ne le savons pas encore, mais nous avons commencé à en parler ici au Sénat. Cette discussion n'aurait jamais eu lieu il y a 10 ans. Je crois que cela fait partie d'un processus auquel a contribué votre commission, et la commission l'a peut-être même lancé, mais nous passons à côté de la plaque en nous tournant vers le droit pénal pour dénoncer une situation. Nous avons l'impression d'avoir fait quelque chose, alors que nous n'avons pas vraiment fait quoi que ce soit. Je ne peux pas dire si nous sommes passés à côté de la plaque. Je ne pense pas que nous soyons déjà rendus là. Il s'agit d'une discussion importante qui évolue, et je serais déçu que nous ayons recours à une mesure législative comme solution temporaire, parce que cela ne réglera absolument rien.

M. Prutschi : Sénateur, je pourrais au moins vous donner une réponse à ce qui est manifestement la question la plus difficile. J'ai déjà représenté de nombreuses personnes accusées de meurtre et même certaines personnes reconnues coupables de meurtre, et je peux vous dire qu'elles ne consultent pas le Code criminel avant ou après leurs crimes. Bref, il n'y a rien que nous pouvons inclure dans le Code criminel qui les influencera.

Lorsque vous demandez ce que nous pouvons faire pour lutter contre les tueurs en série qui ciblent les femmes autochtones, je présume que les femmes autochtones sont des cibles faciles pour ces personnes, et je crois que les statistiques le confirment. Si nous voulons contrer ce fléau, la société doit intervenir pour que les femmes autochtones soient des cibles moins faciles. Il ne fait aucun doute que certaines d'entre elles sont prises pour cible, parce qu'elles sont Autochtones, mais prenons l'exemple des travailleuses du sexe et de Robert Pickton. Il est bien connu que les travailleuses du sexe sont souvent les proies des tueurs en série. Ils sont très peu nombreux, mais ces personnes cherchent une victime facile et sans défense dont les policiers ne se préoccupent pas et qui n'habite pas en banlieue. Bien honnêtement, ces personnes vivent en marge de la société. Plus nous pouvons aider les femmes autochtones à ne plus être des cibles faciles et moins une personne qui est déjà un tueur en série potentiel sera susceptible de passer à l'acte. Elle ne sera pas dissuadée par ce que nous inscrivons dans le Code criminel, mais elle se rendra compte que sa victime est plus forte et n'est plus laissée à elle-même. Cela permettra d'accroître la sécurité des femmes autochtones plus que tout ce que nous pourrions inscrire dans la loi.

La sénatrice Pate : J'aimerais revenir sur la dernière question. En vous écoutant, cela m'a rappelé certaines discussions à l'époque lorsqu'il était question du viol conjugal et du rôle des lois pour déclarer que le cautionnement du traitement discriminatoire des femmes en particulier et des femmes autochtones, dans le cas présent, ne sera plus toléré. De mon point de vue, cela semble très clairement être, comme d'autres l'ont mentionné et comme vous l'avez également fait, l'objectif de la sénatrice Dyck avec son projet de loi. Je ne peux m'empêcher de penser que Jamie Gladue n'a pas pu profiter de certaines de ces dispositions.

Nous connaissons les faits. Dans le cas de la Cour suprême du Canada, je dirais que le système se protégeait, et cela sous-entend qu'il s'agissait d'une décision relative à la détermination de la peine, alors que, si nous regardons en fait ce qui s'est passé au cours de l'enquête préliminaire, la violence qu'elle vivait n'a pas été prise au sérieux. Le viol de sa sœur a été qualifié de liaison, et elle a été dépeinte comme une femme jalouse plutôt qu'une femme qui se défendait et qui défendait potentiellement quelqu'un d'autre.

Je vous exhorte à réfléchir encore une fois à la question du sénateur Sinclair. Le feriez-vous maintenant, étant donné qu'une partie du rôle des lois est d'énoncer les normes comportementales auxquelles nous nous attendons?

M. Trudell : Eh bien, je reviens sur la question que vous avez posée plus tôt au premier groupe de témoins. Nous parlons ici d'un projet de loi, et vous avez posé une question au sujet de ses effets. Vous avez demandé à la sénatrice Dyck si elle avait pensé aux conséquences de son projet de loi. Je crois que nous disons tous que les répercussions du projet de loi n'ont pas fait l'objet d'une réflexion.

Nous sommes des avocats de la défense ici pour vous aider, et nous croyons que le projet de loi ne s'attaque pas au problème qui vous inquiète, parce que les conséquences seront différentes. Les juges se retrouveront pris entre l'arbre et l'écorce, et cela ira à l'encontre de l'arrêt Gladue.

Là où je veux en venir, c'est que vous laissez entendre qu'il y a un message à transmettre et, d'après ce que proposent le sénateur Sinclair et la sénatrice Dyck, c'est ce qui s'impose. Mon argument, c'est que le message fait son effet progressivement et il prendra certainement de l'ampleur grâce aux travaux de la prochaine commission.

Donc, lorsque la commission commencera à faire rapport dans un an ou n'importe quand, vous comprendrez peut- être mieux comment aborder la question soulevée par la sénatrice Dyck. Selon moi, une mesure législative ne constitue pas, à ce stade-ci, une solution au problème que nous essayons de régler en raison de l'incidence négative du projet de loi.

M. Prutschi : Sénatrice, je ne peux pas nier l'importance d'envoyer un message. Je n'ai peut-être pas trop insisté là- dessus dans mes observations, et je n'ai peut-être pas accordé au projet de loi le mérite d'au moins transmettre ce genre de message.

À mon avis, il y a des moyens beaucoup plus efficaces de s'y prendre pour envoyer un tel message que de se contenter de rédiger une mesure législative en matière de droit pénal. Si le gouvernement tient à envoyer un message, il devrait viser les procureurs de la Couronne, les juges et les chefs de police, c'est-à-dire ceux sur lesquels il exerce un énorme contrôle en ce qui concerne leur nomination, leur éducation et les directives transmises à leurs subalternes. Ce sont eux qui protégeront ces femmes, et ils le feront bien mieux que toute mesure législative élaborée par quelqu'un au ministère de la Justice, sans vouloir offenser mes collègues qui travaillent là-bas.

M. Friedman : Je me contenterai d'ajouter que nous sommes des avocats de la défense qui travaillent sur le terrain. Par conséquent, les idées et les principes énoncés par des comités comme le vôtre finissent par se répercuter sur ce que nous faisons.

En lisant le projet de loi, j'ai pensé à une affaire que j'avais menée à terme il y a quelque temps : ma cliente, une femme inuite, était accusée de s'être livrée à des voies de fait contre une autre femme autochtone et de lui avoir causé des lésions corporelles. Grâce aux efforts de notre tribunal Gladue à Ottawa et aux mesures de soutien mises à la disposition de ma cliente, nous avons réussi à obtenir le résultat escompté; ainsi, elle n'a pas été condamnée au criminel pour ce qui serait jugé autrement comme des voies de fait assez graves, puisqu'elle était elle-même une survivante du régime des pensionnats.

Maintenant, imaginez ce qui serait arrivé si cette loi était en vigueur. Au moment de déterminer la peine, le juge serait obligé — du moins, de façon assez concrète — de se prononcer sur un facteur considéré comme une circonstance aggravante. Comment cela aurait-il servi à cette femme qui avait été elle-même brutalisée et marginalisée par notre système politique? La réponse, c'est que nous aurions là un problème très épineux.

Je ne peux sous-estimer l'incidence du projet de loi sur les femmes autochtones, surtout celles qui sont placées en établissement, aux côtés d'autres femmes, parmi lesquelles on trouve souvent, bien entendu, un nombre disproportionné de femmes autochtones. Ces infractions les hanteront, perpétuant ainsi le cycle de victimisation et de récidive.

Nous voyons cela sur le terrain. Je sais que, pour ma part, la situation m'inquiète, et elle inquiète aussi mes collègues.

Le sénateur Joyal : Merci. Le projet de loi établit une distinction fondée sur le sexe. Il établit un régime spécial pour les femmes autochtones. En vertu de l'article 15, on pourrait soutenir qu'une telle démarche est discriminatoire.

Pensez-vous que le projet de loi pourrait être épargné grâce à l'article 1, puisque l'arrêt Gladue a déjà reconnu les problèmes systémiques auxquels font face les Autochtones du Canada à l'heure actuelle? Autrement dit, le projet de loi pourrait-il résister à une contestation fondée sur la Charte si un tel argument était invoqué?

M. Friedman : Bill, voulez-vous répondre à cette question? J'en serai heureux, si vous le voulez.

M. Trudell : Je trouve la question aussi complexe que l'argument qui serait invoqué. C'est une question très pertinente, sénateur Joyal, mais mon Dieu qu'il est difficile d'y trouver une réponse. En tout cas, nous espérons qu'une contestation ne s'avérera pas nécessaire.

Je vais laisser à mes jeunes collègues le soin de vous répondre, mais les ramifications mêmes de la question ont de quoi m'inquiéter.

M. Friedman : Permettez-moi de comparer cette mesure législative aux autres circonstances aggravantes prévues dans le Code. On en arrive à un constat très important : dans le cas de toute autre circonstance aggravante, l'élément en cause est la relation entre le délinquant et la victime. Par exemple, le délinquant est-il l'époux ou le conjoint de fait? S'agit-il d'une personne en position de confiance ou d'autorité? Voilà ce qui constitue, en soi, l'aspect aggravant : l'accusé, devenu maintenant le délinquant — une personne de la part de qui on s'attend à beaucoup mieux, surtout si la victime est intrinsèquement vulnérable dans un tel contexte —, a exploité cette relation et, ce faisant, a commis une infraction.

Or, dans le cas qui nous occupe, la situation est complètement différente. Le projet de loi dont nous sommes saisis établit une catégorie distincte fondée sur rien de moins que l'identité de la victime. Il n'existe aucune disposition semblable dans le Code criminel. Vous ajoutez ainsi un autre élément. De toute évidence, cette mesure nuirait de façon disproportionnée à un segment de la population qui est déjà vulnérable et qui, en fait, jouit d'une protection en vertu de l'article 718.

Cela posera donc un problème épineux, et je doute que le projet de loi puisse être épargné en vertu de l'article 1, d'autant plus qu'il incomberait au gouvernement de démontrer non seulement l'existence d'un lien rationnel, mais aussi l'effet bénéfique réel sur ce qui est visé, à savoir la vulnérabilité et la victimisation des femmes autochtones.

L'inclusion d'une telle circonstance aggravante dans la détermination de la peine permettra-t-elle vraiment de s'attaquer au problème? Cette démarche ne fait pas grand-chose dans tous les autres cas; pourquoi devrait-on s'attendre à ce qu'il en soit autrement dans ce cas-ci?

M. Prutschi : Sénateur, nous avons déjà entendu l'argument sur l'importance d'envoyer un signal. Quel message le projet de loi transmettrait-il? Selon moi, la seule façon de faire valoir un argument plausible en vertu de l'article 1 au regard des dispositions sur l'égalité prévues à l'article 15, c'est de dire que les femmes autochtones font partie d'une catégorie de personnes qui nécessitent une protection spéciale. Bien que les statistiques confirment cette réalité à certains égards, si on devait invoquer un tel argument — et c'est difficile pour moi de dire une chose pareille en tant qu'homme de race blanche, mais puisque vous me posez la question, je n'ai pas le choix —, je serais préoccupé par les messages qu'on enverrait ainsi à l'ensemble des femmes autochtones. Ce serait comme si nous leur disions que nous leur avons désigné comme un groupe ayant besoin de protection de sorte que nous puissions épargner une loi qui est autrement inéquitable. Je ne sais pas s'il s'agit là d'une solution à court terme et j'ignore en quoi consisteraient les répercussions à long terme si l'État en venait à approuver ce genre de discours, à supposer même qu'un tribunal permette que les choses en arrivent là.

Le président : Il nous reste assez de temps pour un bref second tour. Sénateur Baker, aviez-vous une question à poser?

Le sénateur Baker : Oui, monsieur le président. La dénonciation est un principe de la détermination de la peine en droit pénal, qui permet d'atteindre deux objectifs. D'une part, elle envoie un message à la société et, d'autre part, comme la Cour d'appel de l'Ontario l'a déclaré il y a de nombreuses années, elle envoie un message au délinquant afin qu'il n'ose pas récidiver. Dénonciation et augmentation des peines — voilà exactement ce que fait le projet de loi, qu'il s'agisse de voies de fait, d'agressions sexuelles ou d'agressions sexuelles graves.

Tels sont les deux facteurs de la dénonciation, et nous voyons certaines de ces circonstances pratiquement tous les jours dans nos tribunaux, comme l'a dit la marraine du projet de loi; en effet, nos tribunaux sont continuellement saisis de cas de voies de fait mettant en cause des personnes en particulier. Cette réalité ne réfute-t-elle pas toute votre argumentation quant à l'effet possible d'une telle mesure?

M. Trudell : Votre Honneur, puis-je formuler quelques observations sur ce que vous venez de dire avant que vous condamniez mon client à une peine d'emprisonnement?

La dénonciation se fait de plusieurs façons. Dans bien des cas, l'accusation elle-même en est un moyen, mais le problème qui se pose ensuite, c'est que vous ne dénoncez pas seulement un crime, mais également la personne devant vous. Permettez-moi de vous dire quelques mots sur cette personne. C'est une victime de violence, qui n'a pas de logement, qui est vulnérable, qui n'a pas bénéficié des mêmes possibilités que vous et moi, et qui n'a aucun avenir ou, du moins, qui n'en avait aucun.

Toutefois, depuis le crime, cet individu a suivi des séances de réadaptation, il a pris des mesures pour gérer ses problèmes de santé mentale ou son problème d'alcool, si bien qu'il y a maintenant un employeur qui est prêt à l'embaucher.

Alors, je vous invite à y penser : dans ces circonstances, le crime doit être dénoncé, mais pas l'accusé qui se trouve devant vous, et le système de justice pénale ne se limite pas à la peine que vous envisagiez d'imposer il y a deux minutes.

M. Prutschi : Je me suis assis à l'arrière de beaucoup de salles d'audience, à écouter Bill prononcer ce discours. Je ne suis pas sûr qu'il y ait grand-chose d'autre à ajouter si ce n'est que je n'ai pas encore vu de cas où un juge ne se demande pas à un moment donné : « Que dois-je faire concernant la dénonciation? » On n'a pas besoin d'articles particuliers du Code criminel pour convaincre les juges que la dénonciation est un facteur dans la détermination de la peine. C'est déjà un des piliers fondamentaux du système de justice pénale.

N'oubliez pas que le projet de loi couvre une panoplie d'infractions, allant des meurtres jusqu'à la profération de menaces; il y aura donc, bien évidemment, une différence importante quant au degré de dénonciation qui s'impose. Dans le cas d'un meurtre, les juges procèdent toujours à une dénonciation, mais c'est quelque peu inutile puisque l'individu reçoit, de toute façon, une peine d'emprisonnement à perpétuité. Pour ce qui est des menaces, je ne sais pas trop quel est le degré de dénonciation nécessaire avant qu'on aille trop loin. Il existe une zone grise lorsqu'on a affaire à des voies de fait simples, à une agression sexuelle ou à des voies de fait graves. Bien entendu, plus il s'agit d'un acte répréhensible, plus la dénonciation s'impose, mais on n'a pas besoin du projet de loi pour mettre cela en application. Chaque juge à qui j'ai eu affaire l'a fait de son propre chef et, à l'instar de Bill, j'essaie d'atténuer cela à certains égards.

M. Trudell : Sénateur Baker, permettez-moi d'ajouter que, dans une telle situation, l'accusé sera mis au courant du tort qu'il a causé à la victime, et il en sera tenu responsable. Ces plaidoiries ne se feront pas en vase clos, car la victime aura l'occasion de présenter une déclaration.

Par conséquent, il faudra déterminer si l'accusé comprend les répercussions de son acte. Dans la négative — c'est-à- dire si l'accusé fait preuve d'incompréhension, d'insensibilité et de déni —, alors la dénonciation pourrait être le seul moyen de transmettre le message. Toutefois, dans la pratique, notre travail consiste à aider l'accusé à comprendre les répercussions de son crime et, par la suite, c'est le juge qui a le pouvoir discrétionnaire de décider quoi faire.

Le président : Sénateur Sinclair, dernière question.

Le sénateur Sinclair : Monsieur Friedman, votre argument relatif à la Charte m'intrigue parce que le Code criminel contient d'autres dispositions en vertu desquelles les tribunaux sont non seulement autorisés, mais aussi appelés à tenir compte de facteurs comme le sexe, la race et l'orientation sexuelle dans la détermination de la peine. Ces dispositions semblent pouvoir passer l'épreuve de la Charte. Alors, je me demande pourquoi vous pensez que ce cas-ci est différent.

M. Friedman : Il y a deux raisons qui expliquent pourquoi, selon moi, la situation en l'espèce est différente.

Le sénateur Sinclair : D'ailleurs, la différence ne réside pas nécessairement dans la nature de la relation entre le délinquant et la victime.

M. Friedman : Je suis d'accord. Il y a deux raisons pour lesquelles j'estime que cette situation est différente. Premièrement, ces caractéristiques font généralement partie de l'infraction. Donc, si nous parlons de race, d'orientation sexuelle et de sexe, le Code criminel prévoit qu'il faut déterminer si l'infraction était motivée par la haine ou les préjugés. Pourtant, une telle disposition est complètement évacuée du projet de loi.

Deuxièmement, aucune de ces infractions — qu'il s'agisse de crimes motivés par la haine ou d'infractions contre des enfants, un conjoint, des chiens d'assistance, des policiers ou des conducteurs de véhicule de transport en commun — n'est commise de façon disproportionnée par une catégorie précise de délinquants.

En l'occurrence, pour ce qui est des infractions contre les femmes autochtones, nous n'avons pas besoin d'invoquer le gros bon sens. La réalité statistique saute aux yeux. Ces infractions sont commises par un nombre disproportionné de délinquants autochtones.

Donc, à mon humble avis, on ne peut pas simplement dénoncer ou dissuader des infractions contre certaines catégories de personnes parce que, déjà en partant, on se retrouve avec une catégorie de délinquants qui, en raison même de leur identité, sont plus susceptibles d'être visés par cette disposition. Selon moi, cela ouvre la voie à une contestation fondée sur l'article 15.

Le sénateur Baker : L'article 15 ne porte que sur les cas qui y sont énumérés.

M. Friedman : Il ne fait aucun doute que les Autochtones sont visés par l'article 15, qui traite de la discrimination. Il y a évidemment lieu d'élargir la portée des motifs qui y sont mentionnés, car il ne s'agit pas de catégories hermétiques. Ce n'est qu'une simplement énumération. Tout motif analogue peut être invoqué en vertu de l'article 15, et la jurisprudence regorge de cas où l'identité autochtone est visée par cette disposition.

Le président : Messieurs, merci de votre contribution fort utile. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Chers collègues, avant de lever la séance, je tiens à vous informer que le comité de direction nous recommande de ne pas nous réunir la semaine prochaine. La Chambre sera très occupée, car il y aura un certain nombre de votes. Quelqu'un a-t-il des objections à cet égard?

Très bien. Nous n'allons donc pas nous réunir la semaine prochaine. Il n'y aura pas de réunion la semaine prochaine.

(La séance est levée.)

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