Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 21 - Témoignages du 9 février 2017
OTTAWA, le jeudi 9 février 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 224, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (aide lors de surdose), se réunit aujourd'hui, à 10 h 29, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui assistent aujourd'hui à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Aujourd'hui, nous commençons notre étude du projet de loi C-224, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (aide lors de surdose).
Nous allons entendre aujourd'hui, pendant la première heure de notre séance, Ron McKinnon, député de Coquitlam—Port Coquitlam, qui parraine le projet de loi en question; Todd Doherty, député de Cariboo—Prince George; Christine Padaric; et Michael Parkinson, coordonnateur de la mobilisation communautaire du Waterloo Region Crime Prevention Council. Merci à tous d'être venus ici aujourd'hui.
Monsieur McKinnon, je crois comprendre que vous allez être le premier à présenter votre déclaration préliminaire. Monsieur, vous avez la parole.
Ron McKinnon, député de Coquitlam—Port Coquitlam, parrain du projet de loi : Merci, mesdames et messieurs, de m'avoir invité à discuter du projet de loi C-224. Je suis heureux que votre comité s'occupe rapidement de ce projet de loi; c'est important, car ce projet de loi sauvera des vies.
J'ai écouté les déclarations des sénateurs Campbell et White, en deuxième lecture, et ils ont tous les deux dit qu'il était urgent d'adopter le projet de loi C-224. Je suis chanceux que le sénateur Campbell ait parrainé ce projet de loi, lui qui préconise depuis longtemps des mesures de réduction des méfaits.
Je vous remercie tous de l'étude que vous avez faite récemment de la crise des opioïdes — elle vous aidera à prendre une décision éclairée au sujet du présent projet de loi —, puisque le Canada est bel et bien aux prises avec une épidémie de surdoses liées aux opioïdes. La réduction des méfaits est un des éléments de solution à ce problème.
Le Canada accuse du retard. Aux États-Unis, 37 États, de même que le district de Columbia, ont adopté des lois semblables au projet de loi C-224. La Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose n'a pas été conçue en tant que panacée qui mettrait fin au fléau de la crise des opioïdes au Canada. Elle a été conçue comme une approche on ne peut plus ciblée de réduction des méfaits. Imaginez des jeunes à une fête; pensez à des amis qui passent un bon moment en société, avec un verre de vin et une pilule, illicite ou non. Dans les deux cas, ces gens peuvent rapidement éprouver des problèmes et pourraient avoir besoin de l'aide d'un bon samaritain.
Le projet de loi C-224 ne concerne pas les mandats non exécutés, ni la conduite en état d'ébriété, ni les infractions liées à une arme. Il ne soustrait personne à des enquêtes plus approfondies et il ne limite pas les pouvoirs de la police.
Certains croient que le projet de loi C-224 ne prévoit aucune exemption pour les victimes de surdose elles-mêmes. Les paragraphes 4.1(2) et 4.1(3) l'indiquent clairement, à mon avis. Pendant l'étude du projet de loi faite par le comité de la santé, à l'autre endroit, il en a été question. Le conseiller juridique principal de la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice n'a pas eu à réfléchir longtemps avant de confirmer que les victimes de surdose elles-mêmes sont couvertes par cette exemption.
Le projet de loi C-224 permet à un jeune effrayé d'appeler le 911 sans crainte. Il permet à un ami d'essayer de sauver la vie d'un de ses proches sans craindre de faire face à des accusations de possession criminelle, une accusation qui hanterait cet ami pour le reste de sa vie.
La Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose a été adoptée à l'unanimité en troisième lecture par la Chambre des communes. Les députés, à l'autre endroit, ont reconnu que le projet de loi n'est pas une solution miracle; ils ont cependant reconnu que le projet de loi C-224 sauvera des vies.
J'espère que vous pourrez adopter ce projet de loi sans le modifier. Le Comité de la santé de la Chambre des communes avait présenté des amendements; certains membres de ce comité faisaient valoir qu'il fallait élargir davantage encore le projet de loi pour prévoir davantage d'exemptions. Oui, on pourrait élargir le projet de loi, mais cela pourrait entraîner des glissements de sa portée et créer des obstacles potentiels à son adoption. Nous devons avancer pas à pas, et il s'agit ici d'un pas important que je vous demande instamment de faire, en n'oubliant pas que la Loi sur les bons samaritains secourant des victimes de surdose n'est qu'un outil dans la trousse des outils de réduction des méfaits et que la réduction des méfaits n'est qu'un des piliers dans cette grande crise des opioïdes.
Allons-y donc et sauvons des vies. Faisons en sorte qu'il sera possible pour des jeunes de 17 ans d'appeler les secours lorsque leurs amis en ont besoin. Sauvons des vies, une à la fois, en éliminant cette crainte d'accusation de possession simple pour une personne qui veut sauver la vie d'un ami.
Le président : Madame Padaric, êtes-vous prête à faire votre déclaration préliminaire?
Christine Padaric, à titre personnel : Tout à fait.
Le président : Veuillez commencer.
Mme Padaric : Merci. Avant de faire ma déclaration préliminaire, je dois demander au Sénat d'approuver immédiatement le projet de loi C-224, sans le modifier, en raison de la crise des opioïdes qui frappe actuellement le Canada. Nous ne pouvons pas tarder à adopter ce projet de loi, parce que cela ne ferait qu'entraîner davantage de décès.
Je vous parle aujourd'hui de mon expérience personnelle. Le 5 avril 2013, mon fils de 17 ans Austin, un beau garçon intelligent, drôle et aimant faire la fête, a perdu la vie, et son décès a été directement causé, cela ne fait aucun doute, par les lacunes de la loi actuelle.
Les gens craignent d'appeler le 911 parce qu'ils craignent d'être poursuivis, lorsqu'une surdose se produit. Le projet de loi C-224 changera cela. Les gens veulent faire ce qu'il convient de faire, et le Sénat a ici l'occasion d'adopter un projet de loi qui, non seulement sauvera la vie d'une personne victime d'une surdose, mais en outre, évitera aux témoins d'une surdose de vivre toute leur vie dans la honte et une traumatisante culpabilité en raison de leur inaction.
Mon fils n'aurait pas dû mourir, et je veux que personne d'autre ne meure parce que les personnes qui assistent à une surdose ont trop peur d'appeler le 911 vu qu'ils craignent l'intervention de la police.
Quand mon fils a fait une surdose, en 2013, six témoins ont pu observer qu'il montrait tous les symptômes d'une surdose : il perdait constamment connaissance; il était impossible de le garder éveillé; il suait abondamment; il produisait des gargouillis et des ronflements; il vomissait; il avait de la difficulté à respirer et, pour finir, ses ongles et ses lèvres sont devenus bleus.
Tout cela a duré environ cinq heures — pas cinq minutes, cinq heures — et les témoins ont tout fait sauf appeler le 911. Pouvez-vous vous imaginer être en train de regarder quelqu'un mourir pendant tout ce temps? Pouvez-vous imaginer votre propre enfant qui vit cela?
Les témoins ont fait des recherches en ligne pour savoir ce qu'Austin avait et voulaient être certains qu'il s'agissait bien d'une surdose. Ils l'ont mis dans un bain rempli d'eau froide dans l'espoir que cela ferait passer la crise. Ils l'ont mis au lit, espérant que le sommeil règlerait son problème. Ils l'ont placé en position de sécurité de façon qu'il ne s'étouffe pas dans son propre vomi. Ils ont plusieurs fois parlé d'appeler le 911, pendant tout ce temps, mais ils ne l'ont pas fait, tout simplement parce qu'ils craignaient l'intervention de la police.
Austin était solide. Il ne voulait pas mourir. Il était jeune, en santé, athlétique, ce n'était pas un toxicomane. Il s'est accroché à la vie jusqu'aux premières du matin du 5 avril; les personnes qui étaient avec lui l'ont regardé et se sont dit qu'il avait l'air « mort ». À ce moment-là, le revendeur de drogues, qui habitait là, a fui les lieux. Ce n'est qu'à ce moment-là que les autres ont appelé le 911.
Mais Austin n'est pas mort tout de suite. Les ambulanciers ont pu trouver son pouls. Il a fallu six jours et une somme d'argent incroyable, de l'argent des contribuables, avant que son cerveau ne lâche et que ses autres organes cessent de fonctionner. Pendant tout ce temps, pendant les six jours que j'ai passés à ses côtés, en le tenant dans mes bras, j'ai dû faire ce qu'aucun parent ne devrait avoir à faire : attendre que ce beau grand corps plein de vie cesse de fonctionner.
Pendant cette période de désespoir absolu, ma famille et moi-même n'arrêtions pas de nous demander pourquoi les autres avaient abandonné ce beau garçon, amusant et gentil, un garçon qui m'avait déjà convaincue, en plein milieu de la nuit, de m'arrêter sur le côté de la route pour prendre un étranger qui marchait tout seul dans une tempête de neige. J'ai un nombre incalculable d'anecdotes comme celle-là à raconter; Austin aidait les gens dans le besoin, et je sais, sans l'ombre d'un doute, que s'il avait lui-même vu quelqu'un faire une surdose, il aurait fait ce qu'il fallait faire et appelé le 911, même s'il lui fallait trouver des moyens détournés de le faire.
C'est ce qui me motive à insister pour que ce projet de loi soit adopté. Je sais qu'Austin aurait voulu qu'il soit adopté, et, en réalité, c'est l'histoire d'Austin qui a motivé M. McKinnon à présenter ce projet de loi.
Si le projet de loi est adopté, n'ayez aucun doute, il faudra faire des efforts pour éduquer le public, mais l'éducation donne des résultats. J'en ai des preuves. Cela fait maintenant quatre ans que je donne des cours de formation sur la surdose et la réduction des méfaits dans les écoles secondaires de Waterloo. Depuis, il y a eu des élèves qui m'ont appelée, des mois après la formation, pour me dire qu'ils avaient appelé le 911, quand ils étaient à une fête et que l'état de santé d'une personne leur donnait des craintes. C'est parce qu'ils ont appris à faire passer la vie avant la loi.
J'ai animé un groupe de soutien aux endeuillés, à Waterloo, pour des parents qui avaient perdu un enfant mort d'une surdose. Nous racontons toujours les mêmes histoires, et nos enfants sont souvent abandonnés à la dernière minute de leur vie, lorsqu'ils auraient le plus besoin d'aide.
Les amendements qui vous sont soumis vous permettront d'éduquer la société et de changer ce comportement. S'il vous plaît, adoptez le projet de loi de façon que des vies puissent être sauvées. S'il vous plaît, approuvez-le dès maintenant, sans le modifier, de façon qu'une personne ait une autre chance de demander l'aide dont elle a besoin. S'il vous plaît, approuvez le projet de loi de façon que les mères n'aient pas à enterrer leurs enfants. Merci.
Le président : Merci.
Todd Doherty, député de Cariboo—Prince George : Merci, monsieur le président, et merci à tous les membres du comité de me permettre de parler du projet de loi C-224, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (aide lors de surdose). Merci au parrain, le député de Coquitlam—Port Coquitlam, d'avoir présenté cet important projet de loi.
J'ai eu l'occasion de parler du projet de loi C-224, en deuxième lecture, et je tiens encore une fois à exprimer mon appui inconditionnel. Au cœur du débat sur ce projet de loi, il y a le fait suivant : les témoins craignent que, en cas de surdose, s'ils appellent, ils pourraient être accusés au criminel pour possession ou une infraction pire encore. Ils craignent le jugement des autres. Ces craintes les obligent au bout du compte à choisir entre sauver la vie d'une personne ou être arrêtés et accusés. Il est temps que nous reconnaissions qu'il n'est pas toujours dans l'intérêt du public de poursuivre la personne qui a téléphoné et demandé de l'aide en cas de surdose.
Les surdoses de drogue, dans ma province, la Colombie-Britannique, atteignent des niveaux records. Selon le bureau du coroner de la Colombie-Britannique, les surdoses de drogues illicites ont tué 914 personnes en 2016 seulement. Ce sont des niveaux épidémiques. La surconsommation d'opioïdes est un problème si grave, au Canada, qu'il a tué plus de gens que les accidents d'automobile, et dans de nombreux cas, la toxicomanie commence non pas par les drogues illicites achetées dans la rue, mais par des médicaments d'ordonnance.
La Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose offre l'amnistie aux personnes qui téléphonent en cas de surdose, qui ne seront pas accusées de possession de drogue. Je l'ai souligné, pendant mon discours devant la Chambre, mais je le répète encore une fois. Si le projet de loi C-224 donnait aux gens le courage de prendre le téléphone et de prendre d'autres mesures, parce qu'elles ne craignent rien, il ne fait aucun doute que le Canada en profitera. Nous sommes tous d'accord, peu importe la ligne de parti, pour dire que chaque vie est précieuse, dans notre pays. Étant donné le nombre croissant de surdoses qui surviennent au Canada, nous devons prendre tous les moyens possibles pour protéger la vie des personnes vulnérables.
Les lois sur les bons samaritains n'empêchent pas que les gens soient arrêtés pour d'autres infractions, par exemple la vente ou le trafic de drogue ou la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Ces politiques protègent seulement la personne qui appelle et la victime d'une surdose, qui ne seront ni arrêtées ni accusées pour possession simple de drogue, possession d'articles pour la consommation de drogue ou pour avoir consommé de la drogue. Nous savons qu'il est possible d'éviter la plupart des décès et des complications liées à une surdose grâce à des médicaments appropriés et à une intervention rapide des services d'urgence. Toutefois, il arrive trop souvent que cet appel ne soit pas fait, et les gens sont abandonnés sans les soins médicaux nécessaires. J'ai déjà déclaré que, chaque année, bien trop de vies sont fauchées à cause de la drogue et de l'alcool et davantage de Canadiens sont blessés ou deviennent handicapés en raison d'une surdose.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, ce n'est pas en tant que député que je comparais devant vous. Je comparais devant vous pour donner un visage au projet de loi ou, du moins, en souligner personnellement l'importance. Je suis un époux. Je suis le père de quatre magnifiques adultes. J'ai des frères et une sœur. Ce projet de loi est d'une grande importance. Toutefois, il arrive trop tard pour ma famille. Notre famille a également été touchée par un décès accidentel dû à une surdose.
En 2008, nous avons reçu un appel; mon beau-frère venait de décéder quelques minutes plus tôt seulement. Monsieur le président, mon beau-frère n'était pas un consommateur de drogue. Il n'était pas un criminel et il ne vivait pas non plus une vie pleine de risques. Nous ne connaissons toujours pas, à ce jour, toutes les circonstances de sa mort, mais nous savons une chose : mon beau-frère est mort seul d'une surdose accidentelle. On l'a abandonné, et la personne qui se trouvait avec lui, à ce moment-là, a décidé de ne pas appeler la police ni l'ambulance pour lui offrir de l'aide. Au contraire, cette personne a effacé les données de son téléphone, tout l'historique des appels, toute preuve de leurs liens ou de son implication. Je vais le dire encore une fois. Mon beau-frère est mort seul.
Je ne peux pas m'empêcher de penser que, si ce projet de loi avait été adopté, en 2008, mon beau-frère serait encore en vie aujourd'hui. Ma belle-mère et mon beau-père auraient encore leur fils unique. Mon épouse et sa sœur auraient encore leur petit frère, et mes enfants auraient encore leur oncle.
J'ai déjà affirmé, ici même, que nous devons ensemble laisser un héritage positif. Comme d'innombrables autres victimes, mon beau-frère n'aurait pas dû perdre la vie. En adoptant le projet de loi C-224, nous avons l'occasion de permettre aux gens de prendre le téléphone et de faire ce qu'il faut faire, sans crainte d'être accusé. C'est de notre devoir, en tant que députés, et le vôtre, en tant que sénateurs, de faire des changements, et je considère que ce projet de loi est un parfait point de départ. Peut-être, je dis bien peut-être, que ce processus sauvera des vies.
Michael Parkinson, coordonnateur de la mobilisation communautaire, Waterloo Region Crime Prevention Council : Bonjour, au nom du Waterloo Region Crime Prevention Council, c'est un plaisir pour moi de vous présenter les données probantes tirées de notre recherche sur les obstacles qui empêchent de téléphoner au 911 en cas d'urgence liée à une surdose.
Le mandat du conseil, en réalité, c'est de s'attaquer aux causes profondes de la criminalité, aux craintes suscitées par la criminalité et à la victimisation. Nous le faisons de façon concertée, avec de nombreux autres secteurs et de nombreux autres systèmes.
Le Canada, tout comme les États-Unis, vit la pire crise concernant l'innocuité des médicaments de son histoire, et cela ne date pas d'hier, non plus. Je me réjouis de constater que, plus de 15 ans après que cette crise mortelle a éclaté, on ne remet pas en question les mots qui la décrivent, comme crise, urgence ou épidémie. À l'échelle du pays, les Canadiens cherchent un mode d'intervention rapide et proportionnel, mais nous ne l'avons pas encore trouvé.
Chaque année est une année record, quant aux décès par surdose. En Ontario, depuis l'an 2000, on a recensé plus de 7 000 décès liés aux opioïdes. Par comparaison, le SRAS a causé au total au Canada 44 pertes de vie.
Collectivement, nous avons dépensé des milliards de dollars pour subventionner les opioïdes d'ordonnance, essentiellement l'héroïne de qualité pharmaceutique, au cours des 17 dernières années. Aujourd'hui, nous trouvons du fentanyl que je qualifie d'« artisanal » dans presque toutes les collectivités du Canada. Il s'agit d'opioïdes à fort dosage, dont nous n'avons eu connaissance qu'en 2013, environ, et nous avons émis un avis. Ce sont ces substances-là qui sont responsables de l'augmentation des décès par surdose en Colombie-Britannique, en Alberta et, nous le soupçonnons, en Ontario également, de même que dans tous les États américains du nord-est.
Les gens à risque sont ceux qui en consomment à l'occasion ou qui en consomment quotidiennement. Il arrive souvent que le consommateur n'ait aucune idée de ce dont cette substance est faite. Souvent, les revendeurs de la rue ne savent pas ce qu'ils vendent. Les gens courent un très grand risque de décès.
Le projet de loi C-224 est une bouée de sauvetage essentielle, qui doit faire partie de la trousse de premiers soins de notre pays. Vous avez entendu dire qu'une surdose, c'est un cas d'urgence médicale. Il ne faut pas oublier que toutes les secondes comptent. Il ne faut pas oublier que la victime ne peut pas se sauver elle-même, que sa vie est entre les mains d'un témoin ou d'un bon samaritain. C'est la différence entre la vie et la mort. C'est la différence entre une vie avec un handicap ou sans handicap. Le meilleur conseil que les autorités sanitaires du Canada peuvent donner consiste entre autres à appeler le 911.
En 2008, nous avons épluché les dossiers des hôpitaux et les dossiers des coroners de la région de Waterloo; l'une des plus importantes constatations que nous avons faites, c'est que les gens étaient plus nombreux à se présenter eux- mêmes à l'hôpital qu'à y être amenés par les services d'urgence médicale. C'est toujours la même stratégie : les témoins abandonnent la victime à l'hôpital et prennent la fuite. Les gens veulent faire la bonne chose, mais ils craignent d'avoir des démêlés avec la justice. Ils laissent la victime à la porte et ils déguerpissent.
En 2012, nous avons voulu savoir quels obstacles empêchaient une personne de téléphoner au 911 lorsqu'il y avait surdose de substances illicites, et nous avons effectué une recherche primaire dans un secteur du sud-ouest de l'Ontario qui, à notre avis, était représentatif du Canada, puisqu'on y trouve des régions urbaines et des régions rurales et toute une fourchette de revenus. Nous avons effectué une enquête auprès de 450 personnes qui consommaient de la drogue ou qui avaient entrepris un processus de désintoxication.
Près de 60 p. 100 des répondants avaient déjà été témoins d'une surdose. Nous avons constaté que les témoins d'une surdose de drogues illicites — et, la plupart du temps, il y a au moins un témoin — appelaient le 911 et attendaient avec la victime dans seulement 46 p. 100 des cas. Par comparaison, le taux d'appels en cas d'arrêt cardiaque dépasse les 90 p. 100.
Nous avons découvert que la principale raison pour laquelle les gens n'appelaient pas le 911, c'est qu'ils craignaient la présence des policiers et pensaient que la victime ou le bon samaritain aurait en conséquence des démêlés avec le système de justice. Nous avons constaté que 83 p. 100 des répondants pensaient que, s'ils appelaient le 911, ils pourraient faire face à des accusations au criminel.
La crainte du système de justice pénale est le principal obstacle qui les empêche de composer le 911, et cela confirme certaines observations plus récentes, quoique en nombre limité, recueillies à l'échelle du pays. Je sais que quelques données ont été recueillies en Colombie-Britannique, au Manitoba et en Ontario. Nos résultats sont similaires aux résultats des recherches menées aux États-Unis. C'est principalement pour cette raison qu'une loi sur les bons samaritains est en vigueur dans la plupart des États américains.
Les dernières données s'appliquant aux États-Unis montrent que 88 p. 100 des gens qui consomment de la drogue sont plus susceptibles d'appeler le 911 depuis l'entrée en vigueur d'une loi sur les bons samaritains et depuis qu'ils sont au courant de son existence. Il est essentiel que le projet de loi C-224 profite de l'appui d'un programme de formation et d'éducation destiné au personnel de l'exécution de la loi, aux personnes qui craignent les services d'ordre et la justice et à tout le monde qui pourrait être concerné.
Dans la région de Waterloo, notre conseil a examiné le rapport et les options stratégiques — tous les premiers intervenants, tous les acteurs des services de santé et des services sociaux —, et nous avons pour terminer recommandé l'adoption d'une loi sur les bons samaritains. Cinq ans plus tard, c'est avec plaisir que nous offrons notre appui au projet de loi C-224. Nous sommes certains que tous les organismes du Canada aimeraient que ce projet de loi soit rapidement adopté.
Il n'existe pas vraiment de données qui permettraient de croire que la crise des surdoses au Canada prendra bientôt fin. Les collectivités sont prêtes pour le projet de loi C-224. Il ne s'agit pas d'une solution magique qui pourra à elle seule mettre fin à la crise des surdoses, mais il ne faudrait pas la sous-estimer.
Le président : Veuillez conclure, s'il vous plaît.
M. McKinnon : Mais le projet de loi C-224 est un outil clé, absolument, les données probantes le montrent, et il est garanti qu'il sauvera des vies.
Le président : Nous allons devoir terminer ici et passer aux questions; nous commençons par le vice-président du comité.
Le sénateur Baker : Merci aux témoins de ces excellents exposés, précieux pour le présent projet de loi.
Quand j'ai pris connaissance de cela, au début, j'avais une question technique. Bien sûr, le Sénat a pour tâche de réfléchir à tête reposée aux questions et à étudier les questions qui peuvent se présenter. Il existe probablement une réponse évidente, mais je ne la connais pas. Je crois que c'est une question technique; elle n'a rien à voir avec l'intention ou avec l'adoption du projet de loi.
Le projet de loi prévoit qu'une surdose peut faire l'objet d'une accusation en application du paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Cette disposition ne s'applique qu'aux drogues énumérées aux annexes I, II et III. Il y a huit annexes. Sur ces huit, six portent sur les drogues.
Je pose cette question technique parce que, si vous tenez compte de la jurisprudence récente — les cas typiques liés à la drogue, la possession — si vous pensez au Nouveau-Brunswick, à l'affaire Frenetti, il y a trois semaines, au paragraphe 71, les drogues énumérées à l'annexe I, sept pilules de méthamphétamine, puis les drogues énumérées à l'annexe IV, le diazépam, en général, cela concerne en même temps les drogues énumérées à l'annexe I.
Prenez l'affaire Pilkington, de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Voici le paragraphe 19 :
La Couronne demande une peine concurrente de 18 à 24 mois pour les drogues énumérées à l'annexe IV, tandis que la défense soutient que cette annexe doit valoir une peine substantiellement plus légère que celles prévues pour les infractions au titre de l'annexe I, étant donné la peine maximale de trois ans, moins lourde.
Prenez Terre-Neuve, ma province d'origine, et vous voyez dans la décision R. c. Adams, le lorazépam, la morphine, la cocaïne, l'oxycodone. C'est une même personne qui a été trouvée en possession de toutes ces substances, mais le lorazépam est un des médicaments énumérés à l'annexe IV. Pour cette infraction, la personne en question a été condamnée à une peine d'emprisonnement de 405 jours, pour avoir possédé cette substance. Mais c'est une drogue énumérée à l'annexe IV, qui n'est pas visée par le présent projet de loi.
Je pourrais citer des cas dans toutes les provinces, tout simplement pour montrer qu'habituellement, une personne possède plusieurs types de drogues, essentiellement aux fins d'en faire le trafic.
Donc, ici, vous vous attaquez aux principales drogues. Il ne faut pas l'oublier; les drogues énumérées aux annexes I, II et III sont les drogues principales. C'est ça, la drogue. Les policiers sont assez futés. Ils vont porter des accusations dès qu'ils peuvent le faire, et ils vont porter des accusations pour...
Le président : J'aimerais que vous posiez votre question, maintenant.
Le sénateur Baker : C'était ma question. Pouvez-vous y répondre?
J'imagine que cet aspect a été abordé par la Chambre des communes, comme il le fallait, probablement, et cela n'enlève rien à la valeur du projet de loi; ne vous méprenez pas sur mes paroles. Mais c'est une question technique. Est- ce que quelqu'un peut y répondre?
M. McKinnon : Lorsque nous travaillions sur ce projet de loi, nous avons jugé nécessaire de lui donner une portée très étroite. Nous l'avons soumise à des fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère de la Santé pour être certains d'avoir leur appui, parce qu'il est essentiel d'avoir l'appui du gouvernement pour que ce projet de loi soit adopté, pour que la Chambre des communes l'adopte.
On aurait pu élargir la portée de ce projet de loi de toutes sortes de manières. Le Comité de la santé, à l'autre endroit, a suggéré d'ajouter l'immunité pour les cas de non-respect d'ordonnances du tribunal et des choses du même type. Ces suggestions ont été jugées « irrecevables » parce qu'elles élargissaient la portée du projet de loi, à ce moment- là.
Le véritable objectif, toutefois, c'était de lui laisser une portée limitée de façon que nous puissions obtenir des résultats. Si nous lui donnons une trop grande portée, c'est comme si, au bout du compte, nous essayions de résoudre tous les problèmes du monde, mais nous arrivons à quelque chose qui ne peut pas être adopté.
Et, à mon avis, c'est pour cette raison que cela s'est passé comme ça à la Chambre des communes, à savoir que le projet a été adopté à l'unanimité par vote oral en seconde lecture et à l'unanimité par vote par appel nominal, en troisième lecture.
Le sénateur White : Je félicite M. McKinnon d'avoir présenté ce projet de loi. Mes sincères condoléances à Mme Padaric et à M. Doherty.
Comme vous l'avez dit, monsieur McKinnon, j'ai parlé de ce projet de loi devant le Sénat, et je suis en effet en faveur. Par souci de transparence, je propose quelques amendements.
J'ai pris connaissance des éléments de preuve qui avaient été soumis à la Chambre, et le ministère de la Justice a soulevé quelques préoccupations. M. Saint-Denis, conseiller principal à la Section des politiques en matière criminelle, avait soulevé quelques préoccupations touchant la première version du projet de loi. A-t-on réfléchi à la possibilité d'apporter les changements qu'il avait suggérés à ce moment-là? Est-ce que des amendements ont été proposés ou allez- vous discuter avec le ministère de la Justice quant à la possibilité d'apporter ces changements?
M. McKinnon : Il a présenté ces recommandations à la Chambre quand il est venu témoigner devant le comité. Si je me souviens bien, personne n'y a donné suite; il n'y a eu aucune tentative de modifier le projet de loi.
Je pense que le problème a peut-être trait à la forme. Les rédacteurs législatifs à qui nous avons demandé de rédiger le projet de loi ont utilisé leur propre construction syntaxique. Je suis conscient du fait que le ministère de la Justice aurait peut-être dit les choses différemment, mais, dans tous les cas, le projet de loi semble atteindre les buts recherchés.
Le sénateur White : Si vous me le permettez, monsieur le président, je n'en suis pas si sûr. Selon M. Saint-Denis, le projet de loi demande à la police de ne pas porter d'accusations; il ne fait pas en sorte qu'une personne n'est pas coupable d'avoir commis une infraction. Voyez-vous, en réalité, l'infraction n'est pas retirée de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances; tout ce que nous faisons, c'est dire qu'il pourrait y avoir une exception pour certaines personnes.
Je ne sais pas si c'est le style de rédaction qui pose problème. Il ne parle pas du style. Ce qu'il dit, c'est que c'est mal écrit. J'utiliserais le mot « problématique ». Son point ne concerne pas cela; il parle plutôt de la manière dont c'est rédigé.
J'ai une deuxième question. Dans tout le compte rendu, on demande si la personne qui fait la surdose sera protégée. Dans votre témoignage, vous avez précisé que, selon vous, les paragraphes 2 et 3 protègent tout le monde. Cependant, en réalité, le paragraphe 4(3) — soyons clairs —, est intitulé « Précision ». C'est-à-dire qu'il ne fait que vous renvoyer au paragraphe 2. Il ne s'agit que d'un éclaircissement apporté ou paragraphe 2, mais il n'ajoute rien au texte de loi.
Dans les faits, le paragraphe 3 ne fait que préciser le paragraphe 2 avec sa mention de « toute personne ». Cela ne veut pas nécessairement dire qu'il s'applique vraiment à la victime de surdose, ni — et c'est ce qui me préoccupe — à la personne qui décide de partir. Après 32 ans dans les forces policières, je peux vous dire que peu de personnes s'attardent. Ils filent à l'anglaise.
Pour terminer, je crois fermement qu'il serait utile d'agrandir la portée du projet de loi. Je veux que les gens cessent d'avoir peur : cessent d'avoir peur de partir, cessent d'avoir peur de rester et cessent d'avoir peur de faire l'objet d'une accusation parce qu'ils ont donné un demi-comprimé d'Oxy 80. Je ne suis pas sûr que cette crainte est éliminée.
Lorsque vous avez discuté du projet de loi, avez-vous songé à y ajouter d'autres dispositions afin de faire en sorte qu'absolument personne — que la personne soit restée ou partie — ne puisse faire l'objet d'accusations par rapport à cela? Quelqu'un a-t-il soulevé cette préoccupation? J'ai parcouru le compte rendu pour essayer de trouver des exemples précis.
M. McKinnon : Nous sommes passés par un certain nombre de versions pendant la rédaction du projet de loi. À un moment donné, le libellé était si alambiqué que je ne pouvais plus le comprendre. Nous l'avons donc séparé un peu en différentes parties afin de rendre les choses plus claires, pour moi du moins. Le paragraphe 4(3) a donc été rédigé dans le but de clarifier le texte.
Une année s'est écoulée, et en lisant le texte de loi, je comprends tout à fait ce que vous voulez dire. Je crois toutefois que le but recherché est atteint. Il y a eu également un témoignage devant le comité de la santé à l'autre endroit qui appuyait ce point de vue.
La sénatrice Jaffer : Avant de commencer, je veux souligner le courage dont Mme Padaric et M. Doherty font preuve. Beaucoup de personnes regardent nos séances, et je crois que votre courage à lui seul va les aider. Merci beaucoup.
Cela me déplaît toujours d'être en désaccord avec mon ami, le sénateur White, mais je ne suis pas d'accord avec son interprétation. Dans le projet de loi, il y a un passage — et j'aimerais que vous me l'expliquiez — où il est écrit : « [...] d'une surdose ne peut être accusé d'une infraction ». Donc, aucune accusation n'a encore été portée. Aucune accusation n'est portée, et vous dites que nul « ne peut être accusé ». Est-ce que c'est là votre interprétation?
M. McKinnon : C'est mon interprétation, oui.
La sénatrice Jaffer : J'aimerais aussi avoir un éclaircissement à propos de ce passage : « il a demandé de l'aide et est resté sur les lieux. » Pourquoi avez-vous besoin de ces deux critères?
M. McKinnon : Cela concerne exactement le point que le sénateur White a soulevé : les gens demandent de l'aide, puis se sauvent.
Je crois qu'il est important, lorsqu'il y a une situation d'urgence de ce genre, que les gens restent sur les lieux pour aider. La personne doit aider le premier répondant à trouver la victime, lui dire ce qui se passe et préciser quelle substance a ou n'a pas été prise. Comme je l'ai déjà dit, c'est parce que les gens attendent qu'il y a des morts. Tout ce que nous pouvons faire pour aider les victimes à recevoir des soins rapidement va aider à sauver des vies.
La sénatrice Jaffer : Vos témoignages sont convaincants, et après les avoir tous écoutés, je comprends pourquoi vous voulez que le projet de loi soit adopté, comme il l'a été de façon unanime à la Chambre. Vous voulez qu'il soit adopté ici. Il y a peut-être certaines difficultés, mais ce que vous voulez, c'est nous convaincre, grâce à ce que vous avez dit, d'adopter le projet de loi sans modifications. Est-ce exact?
M. McKinnon : Certainement, c'est ce que j'espère. Je comprends que votre travail est d'adopter des lois saines; c'est aussi notre intention. On ne peut pas faire autrement. Mais je crois aussi que la recherche de la perfection nuit au bien; si nous essayons d'atteindre la perfection ici, les choses vont s'enliser pendant des mois. Le projet de loi va peut-être être présenté de nouveau au conseil des ministres pour que l'on puisse s'assurer qu'ils soutiennent toujours le texte législatif avec ses modifications.
On ne peut pas prendre ce temps de plus à la légère. En adoptant ce projet de loi promptement, nous allons venir en aide à un certain nombre de personnes. Il va aussi falloir du temps pour que le public prenne connaissance de ce projet de loi et comprenne ses limites. Nous allons devoir monter une campagne d'information sur Facebook et sur les médias sociaux afin que les jeunes en prennent connaissance. Plus tôt nous pouvons mettre la machine en marche, plus tôt les gens sauront qu'ils peuvent composer le 911 pour venir en aide un ami, et plus tôt nous pourrons commencer à sauver des vies.
Le sénateur McIntyre : Merci à tous de vos témoignages. Je remercie aussi M. McKinnon de parrainer ce projet de loi qui a reçu le consentement unanime sans modifications de la part de tous les partis à la Chambre des communes. Cela montre clairement à quel point ce projet de loi est important.
Ce n'est pas un projet de loi compliqué. Il ne comprend que deux dispositions : un titre abrégé, suivi d'une modification de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui créera une exception à l'application du paragraphe 4.1.
Cela dit, le sénateur Baker a soulevé la question de toutes les différentes substances, et j'ai aussi une autre observation à faire. Je remarque que le projet de loi ne concerne que la possession, et non le trafic et la possession à des fins de trafic. Y a-t-il une raison en particulier pourquoi ces infractions — le trafic et la possession à des fins de trafic — ont été exclues des exceptions prévues dans le projet de loi? Est-ce qu'il serait plus difficile de prouver qu'une personne possède des substances à des fins de trafic par rapport au simple fait qu'elle en possédait?
M. McKinnon : À nouveau, c'est quelque chose dont nous avons discuté avec les représentants du ministère de la Justice. Ils se sont montrés très clairs sur le fait qu'ils ne voulaient pas que le trafic soit pris en considération ici. Ils sont disposés à appuyer le projet de loi pour les cas de simple possession, mais ils ne voulaient rien savoir du trafic. Nous voulions nous assurer d'avoir le soutien du gouvernement, parce que notre but est de faire bouger les choses, pas de préparer un projet de loi magnifique qui ne sera jamais adopté. Ai-je répondu à votre question?
La sénatrice Pate : Je tiens à vous présenter mes condoléances à tous les deux.
Pendant que j'étudiais ce projet de loi, j'ai pensé aux personnes qui sont en libération conditionnelle, en liberté sous caution ou à qui on a imposé des conditions à la mise en liberté — il peut aussi s'agir peut-être de probation pour les jeunes — et qui pourraient se retrouver dans cette situation avec l'un de leurs proches.
Je me pose aussi la question qui a été posée à propos du trafic, mais je voulais aussi savoir pourquoi vous aviez décidé de supprimer, dans la proposition, l'exception s'appliquant aux personnes qui décident de partir. La plupart des personnes ne savent pas quelles lois s'appliquent dans ce cas. Peut-être qu'il y en a qui vont chercher sur Google comment sauver une personne, mais je doute qu'elles essayent de trouver quelles sont les lois. Donc, pourquoi ne pas prévoir une exception qui ferait en sorte d'augmenter la probabilité qu'une personne demande de l'aide? Après une campagne de publicité à ce sujet, peut-être qu'une personne ne va pas rester sur les lieux, mais au moins elle va donner des renseignements qui vont permettre de sauver des vies.
M. McKinnon : Je vais répondre la même chose qu'à certaines des questions précédentes : nous ne voulons pas que le projet de loi s'éparpille. Si on commence à ajouter des exceptions en cas de manquement aux conditions de la libération conditionnelle ou des exceptions relatives à d'autres conditions imposées par les tribunaux, on touche d'autres domaines du droit ainsi qu'à d'autres lois. Ce projet de loi est axé spécifiquement sur la Loi réglementant certaines lois et autres substances.
En deuxième lecture, certaines de ces idées ont été proposées, mais il a été clair qu'elles allaient au-delà de la portée prévue. Selon le mandat que la Chambre nous a confié par rapport à ce projet de loi, nous ne pouvons modifier aucune autre loi. Cela aurait peut-être été possible avant que le projet de loi ne soit présenté en première lecture, mais rendu en deuxième lecture, c'était hors de question. Ces idées ont été rejetées parce qu'elles élargissent la portée du projet de loi au-delà du mandat que la Chambre avait confié au comité.
Encore une fois, je crois que notre but principal est de garder la portée du projet de loi restreinte afin de nous permettre d'arriver à un résultat. Plus le projet de loi est englobant, plus le risque est grand de susciter des désaccords sur une chose ou une autre. Sous sa forme présente, le projet de loi reçoit un consentement unanime. Cela n'aurait peut-être pas été le cas si sa portée avait été plus grande. Donc, pour des raisons pratiques, nous avons restreint sa portée.
La sénatrice Pate : C'est dommage, puisque cela pourrait, dans les faits, finir par nuire à votre objectif global.
M. McKinnon : Je pense que vous avez raison, mais, à nouveau, ce projet de loi n'est pas censé être une panacée. Si nous pouvons régler ces problèmes, ceux visés par ce projet de loi, ce sera déjà un énorme pas en avant. Nous proposons un simple changement qui ne coûtera rien au gouvernement ni aux autorités policières. Si nous pouvons sauver une vie — rien qu'une vie — parce que quelqu'un a demandé de l'aide, alors cela aura valu tout le temps que nous avons pris.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Chaque vie compte, madame Padaric, et je suis sensible à ce que vous avez vécu. Je ne suis pas contre les mesures proposées dans ce projet de loi. Mais en même temps, ce que votre fils a consommé, il a bien fallu que quelqu'un le lui fournisse. Je me demande ce qu'on fait lorsqu'on est face à une personne qui donne ou vend un produit qui peut être mortel. J'aimerais vous entendre à ce sujet, vous ou les autres intervenants.
[Traduction]
Mme Padaric : Pouvez-vous répéter la deuxième moitié de votre question?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Votre fils a consommé de la drogue. Il est certain que quelqu'un lui a fourni cette drogue. J'aimerais savoir ce qu'on doit faire face aux personnes qui fournissent ces produits mortels à nos enfants.
J'aimerais aussi entendre les autres intervenants à ce sujet, s'ils ont des commentaires à faire.
[Traduction]
Mme Padaric : Oui, mon fils s'est trouvé dans un endroit où il y avait de la drogue. Dans son cas, il s'agissait de la morphine. Mais, je le redis, peu importe la substance en question à ce moment, quelqu'un aurait dû composer le 911. J'essaie de dissocier le fait de sauver une vie des questions de droit, parce qu'une vie est plus importante que la loi.
Dans le cas de mon fils, le vendeur de drogue a été accusé de trafic de substances et d'homicide involontaire coupable. Cependant, il y avait six autres personnes cette nuit-là dans l'appartement qui auraient pu agir.
Mes ateliers visent, en partie, à aider les jeunes à comprendre qu'ils ont des choix à faire et qu'il y a des choses qui auraient pu être faites. Oui, il y avait de la drogue, mais quelqu'un aurait pu faire sortir mon fils de l'appartement avant d'appeler la police. L'amener ailleurs.
Avec le recul, ça ne me fait rien si le revendeur ou quelqu'un d'autre a fait l'objet d'accusations. Je ne m'en soucie pas. Tout ce que je veux, c'est que mon fils soit toujours vivant.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Avez-vous d'autres commentaires?
[Traduction]
M. Parkinson : J'aurais dû mentionner dans mon exposé que pendant la préparation de mon témoignage devant la Chambre à propos de ce projet de loi, j'ai aussi discuté avec des agents de la GRC dans ma collectivité qui ont vu ce genre de problème ainsi qu'avec des amis proches qui connaissaient mon beau-frère. Je leur ai demandé leur avis sur la loi — sur ce texte législatif —, et ils m'ont tous répondu, sans l'ombre d'un doute, que ce texte de loi pourrait avoir un effet très important s'il peut sauver une vie ou réduire — ou éliminer complètement — le nombre de cas de surdose où ils doivent intervenir. Ils ont vu le texte du projet de loi.
Je tiens aussi à dire que je n'appuie pas les comportements criminels. Je suis contre la drogue. Je peux vous dire, assis ici — même si je ne suis pas député — ce que j'aimerais faire à cette personne. Mais, tout comme l'a dit Mme Padaric, ce qui importe pour moi n'est pas la prise de drogue ni la personne qui a donné la drogue à mon beau-frère. Ce qui m'intéresse, c'est le fait que les gens ne demandent pas d'aide, parce que si nous pouvions seulement ravoir notre beau- frère, ce serait la chose la plus importante pour nous.
Selon moi, vous pourriez le demander à n'importe quel autre parent : on ne cherche pas quelqu'un à qui jeter le blâme. Je suis sûr qu'ils en assument déjà beaucoup. On passe par un grand nombre d'émotions différentes. Même après de nombreuses années, c'est évident que la douleur est toujours vive dans notre famille. Je crois que ce qui vient le plus nous chercher — je vous ai vu, monsieur le président — est le fait qu'on l'a jeté comme un déchet sans prendre la peine d'appeler de l'aide. Il aurait pu vivre. Il aurait pu être en vie aujourd'hui.
Je crois que c'est l'intention de ce projet de loi, d'après tous les commentaires que j'ai entendus.
Le président : Votre temps est écoulé.
M. Parkinson : Pardonnez-moi, monsieur le président. Pourrais-je terminer très rapidement...
Le président : Non, je suis désolé. Je vous avais averti.
La sénatrice Boniface : Monsieur McKinnon, dans votre témoignage, j'ai trouvé intéressant le fait que 37 États ont déjà adopté des lois similaires. Je me demandais si vous aviez des renseignements à propos des inconvénients. On nous a parlé des avantages, mais avez-vous de l'information sur la façon dont les choses se sont passées là-bas jusqu'ici?
M. McKinnon : Je ne connais pas vraiment leur situation et je n'ai pas de données là-dessus à ma disposition. M. Parkinson en sait peut-être plus sur les données existantes, ce qu'elles veulent dire et ce qu'on pourrait en tirer. Il y a quand même un assez grand nombre d'États — 37, comme je l'ai mentionné — qui ont adopté ce genre de loi. Au départ, un petit nombre ouvrent la voie, puis d'autres suivent le mouvement parce qu'ils croient que c'est efficace, et je partage leur avis. Je crois que nous allons voir sa valeur, une fois que nous aurons adopté le projet de loi et que ses dispositions seront appliquées. C'est quelque chose de difficile à quantifier, mais il suffit de sauver une vie pour que l'effort en vaille la peine.
La sénatrice Batters : Je vous remercie tous d'être ici. Je suis vraiment désolée des tragédies qui vous ont affligés, madame Padaric et monsieur Doherty.
Madame Padaric, quand vous parliez de votre fils, Austin, j'ai retenu ce que vous avez dit à propos du fait qu'il venait toujours en aide aux autres. Vous avez dit : « [...] même s'il lui fallait trouver des moyens détournés de le faire. » Selon moi, ce projet de loi est — de façon appropriée — ce que lègue votre fils. De cette façon, il va aider d'autres personnes qui vont se trouver dans la même situation mortelle où il s'est trouvé.
Donc, évidemment, ce que nous essayons de faire avec ce projet de loi est de sauver des vies, et j'aimerais qu'autant de vies que possible soient sauvées. Je crois aussi fermement que le sénateur Baker a soulevé un point important quand il a demandé pourquoi ce projet de loi ne s'appliquait qu'à trois des annexes. Pourquoi restreindre sa portée à ces trois annexes en particulier? J'ai été préoccupée lorsque j'ai compris qu'une drogue comme le lorazépam — communément appelée Ativan — n'en fait pas partie.
Monsieur McKinnon, voulez-vous vous exprimer par rapport à cela?
M. McKinnon : Oui. J'imagine que je pourrais reprendre ma réponse précédente à propos du fait que nous souhaitions restreindre l'intention et la portée du projet de loi afin qu'il puisse recevoir un large appui. Habituellement, plus le projet de loi a une grande portée, moins il obtient de soutien.
La sénatrice Batters : Qu'est-ce qui vous a laissé penser que le projet de loi n'obtiendrait pas le consentement unanime de tous les partis si vous ajoutiez d'autres types de drogues?
M. McKinnon : À dire vrai, quand nous avons préparé le projet de loi, nous ne nous attendions pas à recevoir un consentement unanime. Nous avons parlé avec les représentants du ministère de la Justice et avec ceux du ministère de la Santé, et ils nous ont fait des recommandations quant à la portée du projet de loi qu'ils pourraient appuyer. Cela a pesé très lourd dans nos réflexions sur l'intention du projet de loi.
La sénatrice Batters : Est-ce qu'un groupe en particulier — le ministère de la Justice ou n'importe lequel des partis présents à la Chambre des communes — vous a dit qu'il retirerait son consentement au projet de loi si vous ajoutiez les drogues inscrites à une autre annexe, par exemple le lorazépam inscrit à l'annexe IV?
M. McKinnon : Non, personne n'a rien dit de tel. Cependant, au moment où nous sommes arrivés sur le parquet de la Chambre des communes, le projet de loi avait plus ou moins déjà sa forme actuelle. Rendu là, il ne nous restait plus beaucoup de marge de manœuvre pour y apporter des changements.
La sénatrice Batters : Mais encore, tout ce que nous voulons faire, c'est adopter le meilleur projet de loi possible de façon rapide et efficiente. La plupart du temps, c'est quelque chose que le Sénat réussit bien : faire en sorte qu'un projet de loi atteigne effectivement l'objectif souhaité.
Je m'interroge aussi à propos de la dernière phrase de la première page du projet de loi, concernant le cas où une personne a demandé de l'aide et, comme cela est écrit dans le libellé actuel, « est restée sur les lieux ». Selon vous, l'utilisation du mot « et » au lieu du mot « ou » soulève-t-elle des préoccupations? Potentiellement, cela pourrait dire qu'une personne doit demander de l'aide et rester sur les lieux, et pas l'un ou l'autre. Cela pourrait peut-être aussi s'appliquer à plus d'une personne.
M. McKinnon : Je le redis, notre intention n'est pas vraiment d'accorder une immunité générale. Nous voulons que les gens restent sur les lieux et continuent d'aider. C'est une chose de demander de l'aide et de fuir, mais dans ce cas, qui va dire aux premiers répondants où aller? Qui va rester avec la personne pour prendre soin d'elle si elle est en détresse?
La sénatrice Batters : Donc, vous voulez que la personne soit obligée rester sur les lieux si elle veut répondre aux critères de l'exception?
M. McKinnon : C'est exact.
Le sénateur Sinclair : J'ai une autre question technique, en plus des deux qui ont été posées par la sénatrice Batters et le sénateur Baker. La formulation dans ce projet de loi soulève quelques problèmes. Je dis cela parce que j'ai été juge, et je peux m'imaginer devoir trancher une affaire de ce genre où des accusations ont été portées contre une personne.
Pour revenir au problème que la sénatrice Batters a mentionné, je me demandais comment on pourrait interpréter une situation où une personne décide, au lieu d'appeler le 911 et de rester sur les lieux, d'embarquer la personne en voiture pour l'amener à l'hôpital. Est-ce que la personne est protégée par la disposition si elle reste avec l'autre personne à l'hôpital, même si ce n'est pas, sur le plan technique, les lieux initiaux?
M. McKinnon : Effectivement, je dirais que le projet de loi soulève une préoccupation par rapport à la définition de ce que sont les lieux. D'une certaine façon, j'imagine qu'on pourrait dire que les lieux, c'est où la victime se trouve, peu importe où.
Le sénateur Sinclair : C'est votre opinion, mais je peux vous dire que vous avez probablement tort.
M. McKinnon : Effectivement, je reconnais que ce sont des préoccupations juridiques valides. Je ne suis pas avocat, et c'est peut-être pour cela que certaines choses m'ont échappé. La véritable intention du projet de loi est de faire en sorte que les gens peuvent demander de l'aide d'une façon ou d'une autre si quelqu'un est en détresse, et ce, sans avoir peur d'être poursuivis en justice pour possession de drogue.
Si c'était possible, nous voudrions vraiment élargir la portée, mais, à nouveau, nous voulons que le projet de loi reste aussi simple que possible.
Le Comité de la santé de l'autre Chambre a discuté de ce que ce concept « des lieux » veut dire. J'ai réfléchi à une façon de simplifier les choses, mais cela semble n'avoir créé que d'autres ambiguïtés.
Le sénateur Sinclair : Ce serait peut-être plus pratique de dire « reste avec la victime » ou « reste avec la victime de surdose », mais je vous laisse le soin d'y réfléchir.
En passant, je tiens aussi à dire que j'appuie l'intention du projet de loi. Je crois fermement que nous en avons besoin. Je veux m'assurer que ce n'est pas quelque chose qui peut être facilement contourné. C'est pourquoi j'ai posé cette question.
Je veux aussi offrir mes condoléances aux deux témoins qui nous ont présenté leur histoire personnelle.
La sénatrice Omidvar : Je vous offre aussi mes condoléances. Grâce à vous, nous avons une nouvelle perspective qui s'éloigne du jargon juridique et technique.
Ma question concerne les fausses alertes. Est-ce que la loi, telle que vous l'avez prévue ici, protégera les personnes même dans les cas où il n'y a pas eu de surdose? Quelqu'un croit qu'une personne fait une surdose et compose le 911. La police arrive, et ce n'est pas le cas. Qu'est-ce qui arrive, dans ce cas?
M. McKinnon : On ne s'attend pas à ce que tout le monde soit un expert en médecine. On ne s'attend pas à ce que les gens connaissent la définition juridique ou médicale d'une surdose. S'ils croient qu'une personne est en détresse et qu'elle a besoin d'aide, alors ils devraient demander de l'aide. En ce qui me concerne, je crois que c'est l'objectif du projet de loi.
Si j'avais à avancer une définition de la surdose, aux fins de ce projet de loi, ce serait essentiellement un cas où il y a un doute raisonnable de croire qu'une personne fait une surdose. Cela ne veut pas dire qu'un professionnel de la santé ou un médecin ou un premier répondant serait de cet avis, mais si quelqu'un dans la rue croit qu'il y a un problème, il doit se dire : « Joe ne respire plus. On ne sait pas s'il fait vraiment une surdose, mais il y a un problème. On doit l'aider. On ne doit pas se sauver ou le jeter aux urgences et déguerpir. »
L'objectif du projet de loi est de faire en sorte que si quelqu'un a un doute raisonnable de croire qu'une personne est en détresse, alors elle demandera de l'aide et sera protégée en conséquence.
La sénatrice Omidvar : Je comprends que c'est l'intention du projet de loi, mais je ne suis pas certaine de ce qui se passerait en cas de fausse alerte.
M. McKinnon : Le sénateur Sinclair a, bien sûr, a une bonne expérience dans ce domaine. Nous espérons que le projet de loi sera adopté sans modifications, parce que nous voulons que cela soit fait rapidement. C'est important. Mais, c'est vraiment à vous de décider ce dont nous avons besoin. C'est votre rôle, évidemment, et vous avez tout mon respect par rapport à cela.
Le sénateur Joyal : J'ai une question similaire à propos du paragraphe (2). On mentionne que la personne visée par l'exception doit être victime d'une surdose. J'ai de la difficulté avec ce concept : le fait qu'on doit être soi-même victime de surdose. Ce que je veux dire, c'est qu'en cas de surdose, la faculté mentale est altérée. Lorsque vous faites une surdose, vous n'êtes pas vraiment maître de vous-même. L'exception prévue ferait en sorte qu'aucune accusation ne sera portée contre la victime. Comme l'a dit le sénateur White, cette personne serait vraisemblablement coupable de quelque chose, mais elle ne serait accusée d'aucune infraction.
Ce que j'ai de la difficulté à comprendre, c'est que, dans la plupart des cas, la personne qui devrait demander de l'aide n'est pas dans le même état que la personne en danger de mort. Je me demandais pourquoi l'exception s'applique seulement si la personne fait une surdose. À mon avis, cela impose un lourd fardeau à une personne dont les facultés mentales sont déjà altérées ou diminuées à un point tel qu'elle ne réalise pas ce qui se passe autour d'elle.
J'essaie de comprendre la façon dont l'exception est censée s'appliquer.
M. McKinnon : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d'accord avec votre interprétation. Il est écrit, dans le projet de loi, ce qui suit : « [...] parce que lui-même ou une autre personne est victime d'une surdose [...]. »
Selon moi, l'idée est que si une personne a pris une substance et se dit « les choses sont en train de mal tourner, je ferais mieux de demander de l'aide », alors elle ne devrait pas pouvoir être accusée d'une infraction pour possession, et elle devrait également être protégée si c'est son ami qui est en détresse. La personne qui demande de l'aide devrait avoir droit à l'immunité.
Je crois que le projet de loi est formulé de façon à ce qu'une personne puisse demander de l'aide si une autre personne ou elle-même est victime d'une surdose, que ce soit vraiment le cas ou non. Je crois que le paragraphe (1) mentionne la notion de croyance, lorsqu'il est question de la personne qui a « des motifs raisonnables de croire que l'intervention de professionnels de la santé [...] est nécessaire de toute urgence ».
Donc, peu importe s'il y a une surdose selon la définition médicale ou juridique ou non, je crois que l'important est que la personne croit qu'il y a un problème et que l'intervention des professionnels de la santé est nécessaire.
Le sénateur Campbell : Merci, monsieur McKinnon. Je crois que vous êtes au courant de l'admiration que j'ai à votre égard pour avoir préparé ce projet de loi.
J'ai probablement une meilleure compréhension des surdoses que quiconque dans la salle. J'ai passé 20 ans à enquêter sur ce genre d'affaires, et je tiens à exprimer mes condoléances à vous deux. Je ne sais plus combien de fois j'ai entendu ce genre d'histoire.
Cette idée d'étapes progressives me préoccupe fortement. Je n'y crois pas. Je crois qu'on doit faire les choses de la bonne façon et protéger tout le monde dans la mesure du possible.
J'ai donc une question pour vous par rapport à ce projet de loi : selon vous, quelles pourraient être les désavantages si nous décidons de modifier le projet de loi afin d'élargir sa portée? Je crois que nous pouvons protéger plus de gens. Nous pourrions aussi régler le problème pour les juges qui doivent trancher ce genre de cas ponctuels.
Je sais que ce projet de loi peut sauver des vies. Je sais aussi que cela n'arrivera pas immédiatement, parce que les personnes que nous visons ne vivent pas dans la réalité. Elles ne réfléchissent pas correctement. On pense que tout le monde reste calme en cas de surdose. Ce n'est pas vrai. C'est la panique, et personne ne sait ce qui se passe. Je veux que tout le monde soit conscient du fait qu'il est rare de voir un décès causé par la prise d'opioïdes seulement. En général, ça commence avec une alcoolémie élevée, puis ils prennent d'autres choses. Il y a donc beaucoup de mélanges.
Donc, n'est-ce pas plus important pour nous d'essayer de protéger le plus grand nombre de personnes possible dès le départ au lieu d'avoir à revenir lorsque les juges nous demanderont des précisions? On doit adopter un bon projet de loi. Et...
Le président : Je vous prie de conclure, sénateur.
Le sénateur Campbell : J'ai terminé. Merci, monsieur le président.
M. McKinnon : J'aimerais certainement pouvoir protéger autant de personnes que possible, mais il y a des restrictions sur le plan de la pratique. On ne peut pas régler tous les problèmes du monde avec un seul projet de loi. On peut toutefois venir en aide à un petit groupe de personnes qui font partie de la catégorie visée. Ce projet de loi suit le processus depuis près d'un an maintenant. C'est un projet de loi très simple auquel personne ne s'oppose vraiment. En principe, tout le monde nous appuie et veut améliorer les choses.
Je me répète, mais je crains que le mieux ne soit l'ennemi du bien. Les choses s'enlisent lorsqu'on essaie de les perfectionner. Cela pourrait prendre des mois de plus. Le processus va peut-être prendre des années de plus avant de pouvoir commencer à aider les gens dans le vrai monde. Je crois que c'est ce qui me préoccupe. Si on apporte des modifications, cela suppose un de procéder à permutations et à des combinaisons et, au bout du compte, de retourner à l'autre endroit ainsi que devant le conseil des ministres pour voir si le gouvernement soutient le nouveau texte avec ses modifications, et tout le reste.
Si possible, il vaut mieux ne pas réveiller le chat qui dort.
Le président : Je veux remercier les témoins, en particulier ceux qui ont vécu des pertes dans leur propre famille. Nous vous sommes très reconnaissants de vos témoignages et de votre aide dans le cadre de notre étude.
Pour notre deuxième heure d'aujourd'hui, nous recevons le Dr Isra Levy, médecin chef en santé publique de Santé publique Ottawa; Trevor Daroux, chef adjoint à la retraite, Service de police de Calgary; et Michal Crystal, avocat chez Spiteri & Ursulak LLP.
Messieurs, je vous remercie d'être ici. Docteur Levy, vous pouvez commencer votre déclaration préliminaire.
Dr Isra Levy, médecin chef en santé publique, Bureau du Médecin chef en santé publique, Santé publique Ottawa : Bonjour et merci beaucoup.
Je m'appelle Isra Levy et je suis médecin chef en santé publique pour la Ville d'Ottawa. Je vous suis reconnaissant de m'avoir invité ici afin de vous faire part de mes opinions en tant qu'intervenant aux premières lignes de la santé publique à l'échelle locale. Nous travaillons, bien sûr, à prévenir et à traiter la toxicomanie et, de façon plus générale, à promouvoir la bonne santé mentale.
Comme nous le savons, la gamme d'approches médicales utilisées pour combattre la toxicomanie comprend la prévention, le traitement et la réduction des méfaits. En pratique, ces approches sont interreliées et, bien sûr, sont complémentaires aux mesures d'application de la loi.
Vous n'êtes pas sans savoir que la situation actuelle est grave, et que le risque qu'une personne soit victime de surdose augmente. Ici même en Ontario, il y a eu plus de 800 cas de surdose accidentelle en 2015. Plus de gens sont morts d'une surdose accidentelle après avoir pris des opioïdes en Ontario que dans un accident de la route.
Nous sommes d'avis qu'il s'agit d'un problème humain, et non d'une question statistique. Il s'agit d'un problème de santé. Même si le problème s'est fait davantage ressentir dans l'ouest du pays jusqu'ici, c'est l'ensemble du pays qui est touché ou qui va certainement l'être.
Si un bon samaritain prend des mesures rapidement en cas de surdose, cela peut améliorer le pronostic. Il gagne du temps jusqu'à ce que les intervenants d'urgence arrivent sur les lieux. Toutefois, cela arrive seulement lorsqu'on avertit les intervenants d'urgence. Un grand nombre de surdoses se produisent en présence d'une autre personne. Cependant, moins de la moitié des gens qui sont témoins d'une surdose appellent la police. Lorsque les services médicaux d'urgence ne sont pas avertis en cas de surdose, il ne fait aucun doute que le risque de décès est plus élevé, même dans les cas où la naloxone, un antagoniste des narcotiques, a été donnée afin d'inverser les effets de la surdose entraînée par les opioïdes. Je tiens aussi à souligner particulièrement le fait qu'un grand nombre de cas de surdose sont causés non pas par des opioïdes, mais par une combinaison de drogues multiples. Toutefois, il y a des choses que les intervenants d'urgence peuvent faire dans toutes ces circonstances, pourvu qu'on les avertisse.
À Ottawa, nous exécutons un programme de prévention des surdoses dues aux opioïdes depuis un peu plus de quatre ans maintenant. Nous demandons à quiconque utilise ces drogues, ainsi qu'à ses parents et amis, de suivre une formation pour savoir comment utiliser la naloxone. Avec nos partenaires locaux, nous avons distribué plus de 1 000 trousses de naloxone à des membres du public dans notre collectivité, et nous savons qu'au moins 100 d'entre elles ont été utilisées pour traiter une surdose. Toutefois, nous savons également que la police a été avertie dans moins d'un tiers — moins que cela, en fait, 29 cas sur 101 — des cas où nous pouvons confirmer que la naloxone a été utilisée. Les gens ne demandent pas de l'aide parce qu'ils craignent d'être arrêtés et de manquer aux conditions de leur probation ou de leur libération conditionnelle.
Le projet de loi C-224 a pour objectif de réduire ces obstacles, et nous sommes d'avis que c'est une très bonne chose. Si le projet de loi est adopté rapidement, nous pourrons commencer dès maintenant à informer ceux avec qui nous travaillons qu'ils ne s'exposent à aucun risque s'ils décident d'avertir la police en cas de surdose.
Comme vous l'avez constaté, un grand nombre d'administrations ont adopté des lois sur les bons samaritains afin d'encourager les personnes à demander des soins médicaux en cas de surdose ou après une injection de naloxone. Il y a aussi quelques efforts d'évaluation dont nous sommes au courant, mais pas beaucoup. D'après ce que nous savons, il y a très peu d'information sur l'efficacité de ces lois offrant une immunité en cas de surdose. Toutefois, il semble que leur impact prend de plus en plus d'importance.
Une étude a été menée dans l'État de Washington — Washington étant, bien sûr, l'un des premiers États à avoir adopté ce genre de loi — il y a environ cinq ans. Apparemment, la police et les procureurs ont conclu qu'il n'y avait aucune raison de croire que ce genre de loi faisait obstruction à l'accomplissement de leurs activités. Fait plus important encore, de mon point de vue de médecin, près de 90 p. 100 des utilisateurs d'opioïdes dans cet État ont dit qu'ils étaient plus susceptibles d'avertir la police à l'avenir en cas de surdose maintenant qu'ils sont au courant de cette loi.
Lorsqu'il n'y a pas de lois sur les bons samaritains comme celle à l'étude aujourd'hui, nous qui travaillons aux premières lignes des services de santé devons nous fier au jugement des forces policières lorsqu'il s'agit d'intervenir en cas de signalement de surdose. Même si nous sommes favorables à cette collaboration fréquente entre le domaine de la santé et les forces de l'ordre — c'est certainement le cas ici à Ottawa —, cette stratégie comprend trop de zones obscures et a pour conséquence que les consommateurs de drogue vont craindre de s'attirer des ennuis s'ils composent le 911.
[Français]
Je peux dire, sans risque de me tromper, que le projet de loi C-224 peut sauver des vies.
[Traduction]
Selon ce qui se passe sur le terrain à Ottawa, je peux dire avec confiance que le projet de loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose va sauver des vies, et rapidement. J'appuie ce projet de loi de tout cœur et demande au Sénat — je l'implore — de l'adopter sans modifications afin de ne pas retarder les choses. Ainsi, nous pourrons commencer à informer notre collectivité. Merci.
Le président : Merci. Monsieur Crystal.
Michael Crystal, avocat, Spiteri & Ursulak LLP, à titre personnel : Monsieur le président, monsieur le vice-président, mesdames et messieurs, merci beaucoup de me donner l'occasion de témoigner devant vous ce matin à propos du projet de loi C-224, la Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose. C'est toujours un privilège de venir témoigner devant l'un des comités érudits du Sénat. L'occasion est d'autant plus spéciale, car mon fils de 14 ans, James, est avec moi. Le texte législatif proposé vise en particulier les gens de sa génération.
Je témoigne devant vous aujourd'hui à titre personnel, en tant que père et criminaliste qui pratique le droit criminel depuis 25 ans. J'ai vu de près les ravages que peut entraîner la dépendance aux opioïdes. Pour être honnête, certaines images continuent de me hanter : le garçon de 15 ans à North Bay qui a pris le fusil de chasse chargé de son père et est entré dans une pharmacie exigeant qu'on lui donne de l'oxycodone; le pharmacien corrompu et mal intentionné qui a rendu à nouveau un de ses clients dépendant aux opioïdes après deux ans de sobriété et qui lui a même, plus tard, demandé des références; et enfin, le cas le plus récent, celui de l'île Cornwall, où un jeune garçon autochtone a participé à une affaire de traite de personnes en mer afin d'être payé en oxycodone.
Margaret Atwood, dans son poème intitulé Marrying the Hangman, a écrit que de vivre en prison, c'est de vivre sans miroir, et que de vivre sans miroir, c'était de vivre sans soi-même.
Le projet de loi C-224 est un miroir. C'est un reflet de la réalité où les gens qui consomment des substances désignées ensemble refusent invariablement d'alerter la police lorsque leur compagnon est victime d'une surdose, par crainte de s'incriminer eux-mêmes. En conséquence, je suis d'avis que le projet de loi C-224 va sauver des vies et qu'il doit être adopté sous sa forme actuelle, sans modifications.
Je vais maintenant vous parler brièvement des limites et des avantages relatifs au projet de loi.
D'abord, l'élément le plus important du projet de loi C-224 est le fait qu'il prévoit une exception protégeant une personne d'être accusée de possession de substances. Je suis prêt à avancer que cette exception s'applique, à tout le moins, à la personne qui avertit la police et à la victime de surdose. Puisqu'il s'agit d'un texte législatif prévoyant une exception, les principes directeurs d'interprétation des lois exigent que le texte législatif soit interprété à la lettre.
À la page 483 de Sullivan on the Construction of Statutes, l'auteur écrit ce qui suit :
[...] les tribunaux conseillent parfois d'interpréter à la lettre les exemptions et les exceptions prévues. À titre subsidiaire, une personne cherchant à se prévaloir de l'avantage offert par l'exemption ou l'exception prévue à la loi doit établir clairement qu'elle satisfait aux conditions décrites.
Je crois savoir qu'on a peut-être proposé des modifications à ce projet de loi, et il me semble très clair que nous sommes face à ce genre de situation de va-et-vient. Ce projet de loi est proposé par un simple député. Essentiellement, le projet de loi veut faire en sorte qu'une personne puisse appeler la police en cas de surdose. On veut encourager les gens à agir. Il ne s'agit pas d'un projet de loi émanant du gouvernement, et nous sommes tous tentés de le modifier afin de le peaufiner dans le but de réagir à une situation plus vaste. C'est l'essence même de la création des lois.
Au bout du compte, je suis d'avis que c'est un excellent ballon d'essai. C'est un grand pas en avant. Je crois que nous devons comprendre qu'il s'agit du fait de composer le 911 dans des situations où il y a une dépendance aux opioïdes. Ce projet laisse entrevoir des choses meilleures, mais je suis d'avis qu'il faut passer à l'action, même si cela ne correspond pas à notre façon habituelle de concevoir les mesures législatives. Dans ce cas particulier, parce que le projet permettra de sauver des vies, j'affirme qu'il faut l'adopter. Surveillons son évolution. Examinons la façon dont il sera interprété par les tribunaux et modifions-le par la suite. Après tout, nous devons garder à l'esprit que ce projet de loi a fait consensus dans l'autre Chambre; je crois que cela ajoute au sérieux du projet.
Merci beaucoup. Je vous remercie de m'avoir accordé du temps.
Le président : Merci. Monsieur Daroux.
Trevor Daroux, chef adjoint à la retraite, Service de police de Calgary, à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis heureux d'être présent aujourd'hui pour parler du projet de loi C-224, la Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. La Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose est une partie importante d'une stratégie globale dont nous avons plus que besoin pour nous attaquer à une crise qui sévit dans notre pays.
L'arrivée du fentanyl a créé une crise sanitaire sans précédent. En 2016, le service du coroner de la Colombie- Britannique a signalé 914 décès par surdose de substance illicite. Même si les statistiques de l'Alberta pour la même période ont été rendues publiques il y a seulement deux jours, le gouvernement albertain avait déclaré que 308 décès causés par une surdose de substance illicite étaient survenus entre janvier et septembre 2016. De ce nombre, 193 étaient liés au fentanyl, et 145, à d'autres drogues. Il y a deux jours, les responsables ont annoncé qu'il était survenu 343 décès liés à l'usage du fentanyl.
Même si les interventions nécessaires pour régler cette crise sont complexes et nécessitent une approche multidisciplinaire, nombre de ces décès auraient pu être évités grâce à une intervention médicale en temps opportun. Il nous appartient de cerner et d'éliminer les obstacles qui empêchent les victimes d'une surdose de substance illicite de demander de l'aide médicale ou qui limitent leur accès à cette aide. Par le passé, la crainte de poursuites judiciaires constituait un de ces obstacles. Le projet de loi C-224 servira à régler cette situation.
La crise actuelle due au fentanyl met en lumière les défis, les problèmes et les dangers liés au trafic de drogue. Certes, même si les dommages causés par le fentanyl font les manchettes partout au pays, d'autres substances illicites continuent de ravager des vies, des familles et des collectivités. Le projet de loi C-224 aidera non seulement à lutter contre la crise actuelle liée aux opioïdes, mais également à fournir l'assistance médicale nécessaire en temps opportun aux personnes victimes d'une surdose d'autres substances.
Même si le projet de loi C-224 éliminera des obstacles à l'obtention de soins médicaux, il est nécessaire d'assurer un accès aux traitements en temps opportun pour obtenir un effet durable. Trop souvent, une intervention médicale sauve la vie d'une personne, mais cette dernière se retrouve de nouveau dans la rue pour succomber à la même assuétude en risquant une autre surdose. Le projet de loi C-224 ne fera pas qu'augmenter la possibilité d'avoir accès à un traitement médical d'urgence; il donnera aussi l'occasion de faire appel à des intervenants aptes à fournir un traitement et d'avoir recours à des programmes appropriés, quand cela est possible.
La problématique de la toxicomanie et du trafic de substances illicites est si complexe qu'aucune discipline ne peut à elle seule s'y attaquer efficacement. Afin d'obtenir des effets notables sur cette crise d'envergure nationale, nous devons adopter une approche holistique à volets multiples pour influer à la fois sur la demande et sur l'offre en ce qui concerne les drogues. Pour ce faire, il faut appliquer une stratégie globale et multidisciplinaire tout au long du continuum de l'éducation, de la prévention, de l'intervention, de la réduction des méfaits, du traitement et de l'application de la loi.
Le Dr Nicholas Etches, médecin hygiéniste des Services de santé de l'Alberta, a déclaré : « Je conviens que les corps policiers n'arriveront pas à régler cette situation à force d'arrestations. Pas plus que nous, les médecins, y arriverons en multipliant les cures de désintoxication. » Le Dr Etches évoque la nécessité d'adopter une stratégie efficace de réduction des méfaits. Il est essentiel de combiner la réduction des méfaits et le traitement de la toxicomanie pour réduire la demande.
La prévention au moyen de l'éducation est un autre élément important de ce continuum. Le traitement des dépendances peut se révéler coûteux et difficile et donner des résultats variables. La prévention par l'éducation offre l'occasion de prévenir les dépendances et demeure le moyen le plus économique et le plus efficace d'empêcher ces tragédies. Des communications soutenues à l'intention du public et l'intégration de messages adaptés à l'âge dans les programmes scolaires sont essentielles pour lutter en amont contre cette crise.
Même si aucune mesure législative ne réussira à prévenir toutes les tragédies liées au trafic de substances illicites, le projet de loi C-224, combiné à une stratégie de communication efficace et une formation adéquate, permettra de sauver des vies.
Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir permis de prendre la parole ici aujourd'hui.
Le président : Merci. Merci à tous. Nous sommes très reconnaissants. Nous commencerons par les questions du vice- président, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leur excellent exposé.
Ma seule question s'adresse à M. Michael Crystal, qui est très connu parce qu'il s'est occupé d'affaires très médiatisées allant de Terre-Neuve-et-Labrador jusqu'à l'Ontario. C'est un avocat très compétent.
Voici ma question, monsieur : ce projet de loi a été adopté à l'unanimité, comme vous l'avez souligné, à la Chambre des communes. Vous mentionnez qu'il pourrait y avoir des lacunes. Vous l'avez déclaré dans votre exposé aujourd'hui. Vous avez entendu mes collègues proposer des modifications qui devraient être apportées pour améliorer le projet. Chaque membre du comité en a entendu parler.
Vous soutenez que nous devons adopter ce projet de loi immédiatement, sans amendement. Toutefois, monsieur Crystal, si vous étiez certain que ce projet de loi, après avoir été amendé par notre Chambre, serait renvoyé à la Chambre des communes, où la version améliorée obtiendrait le consentement unanime, et qu'il ne figurerait pas au bas de la liste de dossiers des députés, comme c'est habituellement le cas, mais qu'il serait convenu de façon unanime de lui accorder la priorité et de le traiter immédiatement, et que nous ferions cette demande dans nos observations, soit des instructions que nous pouvons donner à la Chambre des communes accompagnant chaque mesure législative... Si c'était le cas, ne seriez-vous pas d'accord pour dire qu'il serait préférable de procéder de cette façon dans le cas de ce projet de loi et que compte tenu de ces faits, vous approuveriez les amendements?
M. Crystal : Tout à fait. J'ai eu l'occasion d'écouter le premier groupe de témoins. Je suis étonné qu'il ne s'agisse pas d'un projet de loi du gouvernement et je compatis avec les promoteurs du projet de loi parce qu'ils doivent présenter de nouveau le projet au Cabinet et débattre avec tous les membres des autres partis, ce qui n'est pas une mince affaire. Je souhaiterais que ce projet de loi devienne un projet de loi émanant du Sénat. C'est possible d'en faire un projet de loi du Sénat.
Cette tribune — j'imagine que je vous retourne votre compliment, mais c'est bien involontaire — est la plus importante au pays. Je suis très fier que mon fils m'accompagne, parce que c'est ici que les choses se passent. La Cour suprême du Canada examine les transcriptions des délibérations de ce comité au moment de rendre des décisions concernant des mesures législatives, et c'est ici que prennent vraiment forme les lois et qu'elles sont améliorées.
Je vous dirai, sénateur Baker, que je vous relance et j'augmente la mise. Je vous demande d'en faire un projet de loi du Sénat. Il est trop important pour que les chambres se renvoient la balle, comme c'est parfois le cas dans ces situations. Il s'agit d'un projet de loi simple.
Je partage l'avis du sénateur Campbell. Permettez-moi de prendre quelques instants, mais je souhaite simplement mentionner l'« approche progressive ». Je suis désolé, parce que dans mes commentaires, je préconisais une approche progressive, et c'est ce que j'entendais par « ballon d'essai », mais seulement parce que nous souhaitons tous que ce projet de loi soit adopté.
Ainsi, je vous dis bravo, sénateur Baker, de proposer que le projet soit renvoyé à la Chambre des communes et qu'il soit prioritaire. Je vous dis d'aller plus loin et d'en faire un projet de loi émanant du Sénat. Nous sommes tous réunis et nous appuyons tous ce projet d'une façon ou d'une autre. Il est possible de l'améliorer, et il faudrait le faire.
Le sénateur White : Je remercie les témoins de leur présence. Je félicite le chef adjoint Daroux, qui a récemment pris sa retraite du Service de police de Calgary.
Le sénateur Baker m'a un peu enlevé les mots de la bouche, monsieur Crystal. Par souci de clarté, ce projet de loi, tel que rédigé, ne vise pas les personnes en libération conditionnelle, dont les conditions pourraient comprendre l'interdiction de fréquenter des personnes faisant usage de drogue ou qui sont en probation. Bon nombre des personnes que nous nous attendons à voir appeler le 911 feront partie de ce groupe. Le projet de loi ne visera pas d'autres substances ni d'autres infractions. La portée est très restreinte. Si les personnes en comprennent vraiment le libellé, elles pourraient ne pas appeler. Je crois que vous seriez d'accord pour dire qu'il serait utile d'élargir la portée du projet de loi si nous voulons vraiment sauver des vies. M. Daroux vient de décrire les gens qui ne seraient pas visés, qui comptent pour la moitié des personnes décédées l'an passé.
M. Crystal : Hier, j'ai discuté avec Jonathan Rudin des Aboriginal Legal Services, situés à Toronto. Il n'a pas manqué de signaler qu'il faut viser aussi les personnes contrevenant à leurs conditions de mise en liberté sous caution et de probation ainsi que les personnes contrevenant à leur mise en liberté conditionnelle.
Les commentaires que je m'apprête à formuler sembleront ralentir l'adoption du projet de loi, mais vos propos et ceux du sénateur Baker m'encouragent.
Le projet de loi s'appuie sur une prémisse erronée, soit que la personne qui donne des drogues à une autre a fait du trafic de substance. Le fait d'affirmer que cette exception n'existe pas équivaut à ignorer ce qui constitue du trafic et risque de créer de la confusion chez les juristes qui devront invoquer cette mesure législative.
Nous savons ce qui doit être fait concernant ce projet de loi. Les lois s'apparentent à des vêtements prêts-à-porter; elles ne sont pas taillées sur mesure. Si elles l'étaient, elles ne fonctionneraient pas.
Le sénateur White : Si je puis, j'aimerais poser une brève question de suivi. Je vous remercie de cette réponse.
M. Crystal : Je suis désolé de comparer ce que nous faisons ici à une simple confection de vêtements.
Le sénateur White : Par ailleurs, rien n'empêche le gouvernement, s'il le souhaite, si le projet de loi est amendé, de le prendre et d'affirmer : « Il s'agit maintenant d'un projet de loi gouvernemental, et nous allons le traiter en priorité aujourd'hui. »
Le sénateur Joyal : Comme il l'a fait dans le cas du fentanyl.
Le sénateur White : Comme il l'a fait avec les précurseurs du fentanyl. Il l'a fait de lui-même.
M. Crystal : Je comprends cela, mais j'ai beaucoup parlé de ce sujet avec les membres du personnel de M. McKinnon. Ils ont mené une bataille très noble et ont réussi à obtenir l'unanimité, ce qui n'est pas fréquent dans l'autre Chambre. Je vous demande seulement de tenir compte de la realpolitik à laquelle on s'adonnera quand le projet de loi sera renvoyé à la Chambre des communes. Si vous y réfléchissez et pensez à la bataille menée par M. McKinnon et à celle qui devra peut-être être menée afin qu'on en fasse une mesure législative du gouvernement, je vous invite à réfléchir à la façon dont ces conséquences pourraient être atténuées si le projet de loi devient un projet de loi émanant du Sénat.
Oui, je sais qu'il y a consensus, mais éliminons les obstacles et réfléchissons au fait de parrainer ce projet de loi en tant que projet de loi du Sénat.
La sénatrice Jaffer : Merci à tous. Je suis heureuse d'entendre votre opinion, docteur Levy, ainsi que la vôtre, monsieur Daroux.
Mon ami, le sénateur Baker, pour qui j'ai un grand respect, a dit : « si le gouvernement », mais rien ne nous dit que le gouvernement en fera une priorité, qu'il prendra la bonne décision, et, s'il le fait, qu'il peut l'améliorer.
Nous avons entendu une mère parler de son enfant de 17 ans. J'habite dans un quartier où il y a trois morts par jour. Cela se produit maintenant. Rien ne garantit que le gouvernement accordera la priorité à ce projet de loi. Entre-temps, ne croyez-vous pas que ce projet de loi devrait être adopté maintenant?
M. Crystal : Je croyais que vous vous adressiez à moi. Je ne veux pas porter de jugement.
La sénatrice Jaffer : Je m'adresse à vous.
M. Crystal : Merci. C'est ce que je crois. Comme avocat, je suis déchiré, parce que je partage l'avis des sénateurs Joyal, Baker et White. Je sais, à titre d'avocat, ce qu'il faut pour que ce projet de loi puisse être utilisé par les organismes d'application de la loi, les avocats de la défense, les procureurs, les juges et qu'il soit utilisable aux yeux de l'ancien juge Sinclair. Il y a des lacunes. Tout de même, je souhaiterais que ce projet de loi soit adopté. Je vous laisse le soin d'examiner la meilleure façon d'y arriver.
Le président : Quelqu'un d'autre veut-il répondre à la question?
Dr Levy : Merci de poser la question et de me permettre d'y répondre.
Je suis quelque peu déchiré également. En tant que citoyen et personne qui s'intéresse au droit, je reconnais et je comprends qu'on peut l'améliorer. Mais en tant que clinicien et spécialiste de la santé publique, j'ai demandé hier à des membres du personnel infirmier avec qui je travaille aux premières lignes dans le cadre de notre programme de réduction des méfaits quelle était la chose la plus difficile qu'ils avaient faite. L'un d'eux m'a répondu : « Regarder dans les yeux une personne qui a perdu un ami à cause d'une surdose. » Je peux vous dire que dès l'instant où le projet de loi sera adopté, dans les rues, dans la ville, les membres du personnel infirmier auront des discussions différentes avec les gens qui consomment de la drogue.
Selon moi, il faut agir de toute urgence, et le mieux est l'ennemi du bien.
M. Daroux : J'ajouterais qu'il est important, selon moi, que le projet de loi aille de l'avant, et je pense qu'il est crucial qu'il soit amendé et adopté rapidement. Cela repose vraiment sur la capacité de dire aux gens que ce projet de loi aura réellement une incidence. De la formation relative à l'application de la loi peut être donnée, mais c'est de la personne qui accompagne ce jeune de 17 ans qui a fait une overdose dont il s'agit vraiment. Ces personnes croient-elles en fait qu'elles sont protégées par cette disposition? Je pense que la communication à cet égard doit être considérable, mais qu'elle doit également rejoindre la population cible que nous examinons.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de vos exposés.
J'appuie le projet de loi, qu'il soit amendé ou non, donc ma question vise surtout à obtenir des éclaircissements. Cela dit, je suis en train d'examiner la définition d'une surdose dans le projet de loi et j'aimerais simplement savoir ce que vous avez à dire sur le sujet.
Selon la définition, il faut que la personne ait des motifs raisonnables de croire que l'intervention de professionnels de la santé ou d'agents d'application de la loi est nécessaire de toute urgence. Si on regarde les circonstances visées par ce projet de loi, il y a de fortes probabilités que les personnes se trouvant sur les lieux aient les facultés affaiblies par la drogue ou l'alcool. Ma question est donc la suivante : l'utilisation de la norme selon laquelle la personne doit avoir des « motifs raisonnables de croire » dans la définition de la surdose peut-elle être un problème? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Dr Levy : Merci. Je ne suis pas avocat et je ne sais pas de quelle façon un juriste aborderait la question, mais d'un point de vue clinique, ce n'est pas si compliqué. C'est vrai qu'on peut souvent être confronté à un faux positif, si l'on peut dire. Lorsqu'une personne appelle pour demander de l'aide, il est possible qu'un ambulancier paramédical arrive sur les lieux et conclue qu'il s'agit non pas d'une surdose, mais plutôt d'une urgence liée au diabète, par exemple. Mais toute personne n'ayant pas de formation médicale ou sanitaire aurait tout aussi bien pu avoir des motifs raisonnables de croire l'appel.
De notre point de vue, à titre d'intervenants de première ligne, nous aurions posé un diagnostic différentiel. Bref, je crois que la définition, telle qu'elle est, est adéquate du point de vue d'un professionnel de la santé.
Le sénateur McIntyre : Ce ne serait pas un problème d'un point de vue clinique?
Dr Levy : Non.
M. Crystal : C'est une très bonne question. Le libellé aborde la question des accusations; il ne prévoit pas la défense qui sera invoquée. On peut se demander de quelle façon un fait observé de façon raisonnable, mais erronée, peut s'inscrire dans cette disposition si une personne a tort. De ce point de vue, je crois que l'événement déclencheur tiendrait au fait qu'il existe une sorte de situation d'urgence où quelqu'un doit intervenir. Je ne pense pas que cette personne sera tenue à des normes beaucoup plus élevées.
Le sénateur Sinclair : J'ai posé une question au premier groupe de témoins concernant la situation où une personne croit que son ami fait une surdose, le conduit à l'hôpital, le laisse là, puis s'en va. Monsieur Crystal, pourriez-vous nous dire de quelle façon vous pensez que cela pourrait relever du projet de loi?
M. Crystal : Merci d'avoir posé la question, monsieur le sénateur. Comme je l'ai dit, le problème auquel nous ferons face dans le cadre des exceptions tient au fait que l'interprétation qui sera très restrictive. Je ne peux pas répondre de manière définitive à la question que vous posez, comme vous le savez.
Votre question soulève un problème dont pourrait être saisi un juge, et il y a des cas à l'appui. Rappelez-vous le passage dans le livre de Sullivan : [...] les tribunaux conseillent parfois d'interpréter à la lettre les exemptions et les exceptions prévues. À titre subsidiaire, une personne cherchant à se prévaloir de l'avantage offert par l'exemption ou l'exception prévue à la loi doit établir clairement qu'elle satisfait aux conditions décrites.
Le sénateur Sinclair : C'est à cette personne qu'incombe le fardeau de la preuve.
M. Crystal : Le fardeau lui incombe, et votre question soulève cet enjeu. Même si nous croyons lui offrir une protection, la protection n'est peut-être que partielle. C'est pourquoi je suis déchiré. Manifestement, différentes circonstances posent problème.
C'est pourquoi je dis qu'il s'agit réellement d'une disposition faite sur mesure, parce que tout tourne autour de l'appel téléphonique. Elle ne prévoit rien vraiment au-delà de l'appel téléphonique, soit la personne qui fait la surdose et la personne qui compose le 911. Elle n'est pas conçue pour aller au-delà de cela. De toute évidence, c'est une de ses limites.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Docteur Levy, ma question s'adresse à vous. On s'apprête à modifier le Code criminel. Bien sûr, toute loi doit avoir une portée en termes de résultats. On sait que certains États américains ont une loi comparable à celle-ci. Avez-vous des données fiables sur les résultats obtenus grâce à une telle loi dans ces États quant au nombre de vies sauvées? Y a-t-il des données probantes qui existent dans ce domaine?
Dr Levy : Pardonnez-moi, je fais des efforts, mais je suis plus à l'aise en anglais.
[Traduction]
La réponse courte est non. Nous ne possédons pas de données concernant le nombre de vies sauvées. Même ici à Ottawa, nous ne pouvons que formuler des hypothèses quant au nombre de vies sauvées en fonction du nombre de fois où les trousses ont été utilisées. En raison des difficultés que nous avons décrites et qui touchent même la définition de ce qu'est en fait une surdose, concept qu'il est difficile de définir dans toutes circonstances, il n'est vraiment pas possible d'en arriver à une réponse définitive.
Mais il existe des motifs raisonnables de croire que des vies ont été sauvées, et je ne sais pas si tout le monde était présent lorsque je l'ai dit, mais j'ai mentionné qu'une étude réalisée à Washington montrait qu'il n'y avait aucun impact sur les organismes d'application de la loi et les fonctions des procureurs. Cette étude particulière a révélé que ces aspects n'avaient pas été touchés de façon considérable et qu'il y avait définitivement eu une amélioration en ce qui concerne les attitudes au moment d'appeler les services d'urgence.
En ce qui a trait à votre question en particulier, nous n'avons pas ces données à ma connaissance.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Les sénateurs Baker et Campbell ont soulevé une problématique qui m'apparaît assez sérieuse. Comme vous le savez, les surdoses sont un cocktail de drogues ou de boissons qu'une personne ingère. Le projet de loi est assez restrictif par rapport à certaines drogues qui pourraient nous permettre d'exclure des accusations contre un bon samaritain qui voudrait venir en aide à une personne victime de surdose. À ce moment-là, n'y aurait-il pas lieu que le comité élargisse la portée de cette loi à d'autres types de drogues, sachant que les consommateurs en état de surdose sont souvent sous l'emprise de plusieurs drogues, ce qui permettrait beaucoup de discrétion de la part des policiers pour porter des accusations à d'autres niveaux?
Dr Levy : Merci beaucoup.
[Traduction]
Encore une fois, du point de vue d'un praticien, les surdoses sont fréquemment des cas de polypharmacie, la consommation d'un mélange de médicaments. En fait, la substance la plus commune est l'alcool. Si seulement nous pouvions nous débarrasser de l'alcool, ou du moins d'empêcher les gens d'en consommer trop.
Comme je l'ai déjà dit, je ne connais pas grand-chose au sujet de cette mesure, mais selon mon interprétation, la personne qui appelle les secours est protégée. La raison de l'appel n'a pas vraiment d'incidence sur la protection. Donc, peu importe la nature de la surdose et quelle que soit la cause de l'état clinique qui semble se présenter, selon ce que je comprends, la personne qui appelle les secours est protégée.
Si cette interprétation est juste, alors je ne partage pas les préoccupations soulevées. Mais d'autres sont peut-être plus en mesure de témoigner de la validité de ces préoccupations.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J'aurais une question d'abord pour vous, docteur Levy, et peut-être aussi pour les deux autres témoins. Je crois comprendre qu'il y a deux éléments dans la définition de surdose. Il y a un premier élément qui est constaté par un médecin, et c'est l'événement physiologique qui découle de l'introduction d'une substance dans le corps d'une personne qui met la vie de la personne en danger. La deuxième condition qui est ajoutée ici est qu'il y ait des motifs raisonnables de croire qu'une intervention est nécessaire de toute urgence.
Autrement dit, il me semble qu'il y ait deux ordres dans cette définition, deux niveaux. Le premier ordre est objectivement constaté par un professionnel de la santé, et le deuxième ordre serait lié au fait que la personne qui fait l'appel croit qu'on doit faire intervenir des professionnels de la santé. Je suppose que si j'étais cette personne, comme je ne connais rien en médecine, je ne pourrais d'aucune façon répondre à la deuxième partie de cette définition.
Ma question pour vous porte sur la définition médicale. La première partie correspond-elle au fait que n'importe quel médecin appelé à témoigner devant un tribunal pourrait affirmer que oui, cela correspond à un phénomène connu dans sa spécialité, la médecine, comme répondant à une surdose?
[Traduction]
Dr Levy : Nous compliquons peut-être outre mesure le concept de surdose. Il n'existe aucune définition médicale précise d'une surdose. Essentiellement, lorsqu'une personne présente un niveau de conscience altéré, cela peut être dû à une surdose.
Une personne peut faire une surdose en ingérant trop d'eau. Du point de vue clinique, les symptômes varieront selon la nature de la substance. Il peut s'agir d'un scénario clinique où une personne procède à des évaluations biologiques et a recours à des tests pour vérifier ce qui se passe et établir l'origine du problème; il peut s'agir d'un empoisonnement causé par n'importe quelle substance toxique ou de différents processus physiologiques qui n'ont absolument rien à voir. Ce qu'il faut déterminer, c'est s'il y a une situation d'urgence où une personne peut voir qu'une autre n'arrive pas à fonctionner.
Nos partenaires et nous tenons environ 20 000 rencontres chaque année avec des consommateurs de drogue pour échanger des seringues ou offrir d'autres types d'interventions prévues dans le spectre de réduction des méfaits. Environ 10 p. 100 de ces personnes ont moins de 20 ans. Plus particulièrement, certaines de ces personnes ne font que faire des expériences Elles sont avec des amis; leurs amis ont des problèmes, et elles s'en rendent compte parce qu'elles n'arrivent pas à les réveiller. Ils sont endormis. Cela peut être temporaire; ils peuvent très bien reprendre conscience après quelques minutes. Mais nous ne voulons pas que ces personnes aient peur de composer le 911 pendant ce temps. Ce sont ces personnes, ces adolescents de banlieue, qui sont terrifiées. On nous dit qu'elles craignent de faire cet appel.
Des deux parties que vous avez décrites, je suis d'avis que c'est la deuxième qui a le plus d'importance en ce qui a trait à la question posée : ces gens sauraient-elles reconnaître que la personne qui les accompagne a vraisemblablement ou peut-être besoin d'aide et seraient-ils prêts à appeler les secours?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse au Dr Levy. Docteur Levy, dans votre présentation, vous avez mentionné que même les consommateurs d'opiacés reconnaissent difficilement qu'ils en consomment, même lorsque vous faites preuve d'ouverture. J'ignore si vous avez une idée de l'ampleur de la campagne de promotion qui devra accompagner ce projet de loi pour faire comprendre aux gens qui composeront le 911 l'importance de cet appel. Car, ce n'est pas tout de faire un projet de loi; il faut aussi atteindre ces gens-là et leur en faire comprendre la nécessité en leur disant clairement qu'en composant le 911, ils ne feront pas l'objet d'une accusation. Ceux qui consomment des opiacés ont de la difficulté à le reconnaître. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
Dr Levy : Mon collègue, M. Daroux, a soulevé le même point. Je suis tout à fait d'accord avec lui à ce sujet, merci. Il en effet question de la façon dont le bénéficiaire potentiel de cette modification judicieuse de la loi sera informé des changements et de ce qu'ils représentent.
C'est justement ce que nous faisons dans le domaine de la santé publique locale. Essentiellement, c'est l'une de nos principales tâches. Nous passons beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont nous pouvons informer les gens et à la façon de réussir à adresser le bon message au bon public de la bonne façon.
En résumé, les campagnes multimédias aident, mais en fin de compte, la meilleure façon de faire passer le message à une personne est d'employer une méthode individualisée. C'est très exigeant et difficile. Nous sommes avantagés à l'échelon local; nous, dans le secteur de la santé, nos partenaires, dans les services communautaires et sociaux, et de plus en plus nos partenaires, dans le domaine de l'application de la loi. Nous passons beaucoup de temps à réfléchir à l'élaboration de messages complémentaires et à essayer de transmettre des messages multidimensionnels à l'aide de médias et de moyens conventionnels et de médias sociaux, mais aussi à l'aide des interactions que supposent les services directs; nous cherchons à nous assurer que les messages sont uniformes.
Le sénateur Pratte : Poursuivons dans la même veine; n'êtes-vous pas préoccupé par le fait qu'en raison de la portée limitée de l'exemption, le projet de loi ne soit pas en mesure d'aider un certain nombre de gens? Cet effort de communication aura un succès limité parce que les gens comprendront que certains d'entre eux ne seront pas protégés. Par conséquent, puisque dans de nombreux cas, ce sont les jeunes qui ne font pas confiance au corps policier, l'effort de communication ne donnera peut-être pas ce résultat; ils ne croiront pas qu'ils sont protégés. La réussite sera donc limitée.
Dr Levy : Encore une fois, merci de me donner la possibilité de répondre. Cela ne me préoccupe pas. En fait, les communications que nous établissons avec le groupe cible pour faire passer notre message — nous et nos autres partenaires — portent sur un message beaucoup plus large. C'est un message au sujet des dangers liés à l'utilisation inappropriée de tout médicament ou de toute substance. C'est un message qui porte sur le choix de ne pas consommer. Il explique de quelle manière reconnaître les problèmes lorsqu'ils se présentent. Il explique ce qu'il faut faire lorsque ces problèmes surviennent.
Cela serait une petite partie d'un message global. Je suis peut-être naïf de croire que nous pourrions être en mesure d'ajouter un message rassurant au moment d'interagir avec les gens. Si ce message rassurant se révélait faux, eh bien, en effet, vos préoccupations seraient bien fondées. Mais il est impossible de le savoir avant des années à venir, et, pendant ce temps, mon optimisme inhabituel me laisse croire que nos partenaires responsables de l'application de la loi, nos procureurs et nos corps judiciaires interpréteraient en fait cette disposition d'une manière compatible avec l'intention et que nous ne serions pas obligés de changer notre message en cours de route parce que les choses ne vont pas comme prévu.
La sénatrice Batters : Monsieur Crystal, vous faites les plus beaux compliments : l'une des dernières fois où vous étiez ici, vous m'avez appelée madame la juge Batters et, aujourd'hui, vous avez — et de façon très appropriée je pense — qu'il s'agit de la tribune la plus importante au pays : c'est ici que les lois sont adoptées et améliorées. Je vais publier cela sur Twitter plus tard aujourd'hui. Merci beaucoup du compliment; je pense que c'est très vrai.
En écoutant le groupe de témoins précédent, vous avez entendu certaines suggestions formulées par quelques-uns d'entre nous au sujet de la façon dont ce projet de loi pourrait possiblement être amélioré. Je sais que nous essayons tous d'établir la meilleure loi à cet égard et de sauver le plus de vies possible. Je sais que vous avez dit qu'il serait probablement préférable de simplement adopter le projet de loi maintenant et que ce n'est qu'une question de forme, mais selon vous, quels sont les changements les plus importants à apporter à ce projet de loi?
M. Crystal : Je suis d'accord avec le sénateur Baker pour dire que toutes les annexes devraient être visées. Tout comme mon bon ami Jonathan Rudin, des Services juridiques autochtones, je pense que les contrevenants aux conditions de la libération conditionnelle et à des conditions du tribunal — et je sais que d'autres l'ont dit ici aujourd'hui — doivent être inclus également.
Écoutez, madame la sénatrice Batters. Le problème, c'est que le projet de loi a été présenté comme projet de loi d'exception. Lorsqu'on creuse davantage, et c'est ce que nous faisons ici, on se rend compte que le projet de loi n'accorde pas l'immunité. Nous ne disons pas qu'il ne peut pas y avoir de poursuites ni que quelque chose ne constitue pas une infraction. Ce que nous disons, c'est que « des accusations ne peuvent être portées », ce qui peut poser un problème, parce que les cas présentés devant les tribunaux où aucune accusation n'est portée engendreront inévitablement un argument juridique, qu'il soit fondé sur la Charte ou autre chose.
Je pense que cela s'explique par le fait qu'il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire plutôt que d'un projet de loi émanant du gouvernement. Encore une fois, je comprends l'objectif du projet de loi, mais si nous allons dans le détail et que nous le réorganisons, je pense que nous devons également nous demander s'il s'agit en bonne et due forme d'un projet de loi d'exception ou s'il devrait être envisagé comme un projet de loi qui donne l'immunité. Parlons-nous d'une défense ou d'une exception?
L'interprétation du projet de loi dépendra de notre façon de le présenter. Si on le présente comme un projet de loi d'exception, il sera examiné très attentivement et il sera interprété très rigoureusement. Si on le voit comme un projet de loi qui donne une défense ou l'immunité, son interprétation sera beaucoup plus large.
Je réfléchissais aux commentaires du sénateur White. Nous savons également qu'il est ici question d'une force centripète et d'une force centrifuge : de manière centripète, le projet de loi prévoit une exception, donc son interprétation sera restrictive; de manière centrifuge, les responsables de l'application de la loi chercheront à punir les gens qui sont, selon eux, coupables d'infractions. Cette dualité créera en réalité des situations très complexes devant les tribunaux.
Si nous avons l'intention de l'établir à partir de rien, nous devons nous poser de nombreuses grandes questions, mais lorsque j'ai écouté aujourd'hui l'autre groupe de témoins ainsi que M. McKinnon, pour qui j'ai le plus grand respect, et M. Doherty, j'ai observé que tout cela tournait autour de l'appel téléphonique et d'une situation limitée, et je crois comprendre pourquoi il faut prendre des mesures à cet égard.
Tout ce que je peux dire, en fin de compte, c'est « si, une fois fait, c'était fini, il serait bon — que ce soit vite fait », et c'est pourquoi je pense que quelqu'un doit user de son influence pour faire avancer ce projet de loi. Ce pourrait être le Sénat, parce qu'il est très difficile, je crois, pour M. McKinnon de revenir avec un projet de loi d'initiative parlementaire et de dire : « Je vais convaincre le gouvernement de l'approuver. »
La sénatrice Batters : C'est un député du gouvernement.
M. Crystal : C'est un député du gouvernement, mais ce n'est pas un poids lourd. De toute façon, cela ne me regarde pas, mais je vous le dis, il faut donner plus de poids à ce projet de loi. Nous savons tous qu'il s'agit d'un projet de loi très important.
Le sénateur Joyal : Docteur Levy, je suis en train d'examiner la liste des substances qui figurent aux annexes IV et V. Pouvez-vous nous parler de cas de surdose liés à la consommation de barbituriques et de substances qui figurent sur la liste dont vous avez été témoin, dans le cadre de votre pratique? À mon avis, il s'agit de ce qu'on appelle réellement des médicaments d'ordonnance. Nous connaissons l'importance actuelle de la consommation d'antidépresseurs par les Canadiens. Si vous avez vu les récents rapports, les chiffres ont monté en flèche. Selon moi, cela signifie que le nombre de surdoses liées aux substances figurant aux annexes IV et V pourraient se multiplier considérablement au cours des années à venir.
Ce serait très difficile pour une personne qui arrive ou qui est sur les lieux, puisque c'est ce qui est visé par le projet de loi, de décider d'appeler des secours ou non, selon le fait qu'elle sera protégée ou non et selon la drogue qu'a consommée la personne.
Selon votre expérience, de quelle manière pouvons-nous évaluer l'impact du projet de loi sur la réalité que vous observez quotidiennement?
Dr Levy : Je crois que le projet de loi pourrait probablement s'appliquer aux médicaments non prescrits. Les médicaments d'ordonnance peuvent certainement être consommés délibérément ou accidentellement d'une manière qui peut causer une surdose. Certes, tous mes commentaires concernaient les surdoses accidentelles, et certaines de ces surdoses accidentelles, dont le nombre augmente ici à Ottawa — elles comptent pour environ les deux tiers des surdoses involontaires — concernent l'utilisation de médicaments d'ordonnance.
En ce qui aux substances comme les barbituriques, si une personne fait une surdose délibérée ou accidentelle et que quelqu'un arrive sur les lieux, je crois que cette personne ne serait probablement pas à risque dans les circonstances dont nous parlons.
Nous parlons ici de cas où il y a eu certaines activités illicites précédant la surdose, et cela ne s'applique habituellement pas à une situation où une personne fait une surdose à cause de médicaments d'ordonnance, à moins qu'elle ne les utilise de manière inappropriée.
En résumé, il y a de nombreuses années que je n'ai pas pratiqué la médecine clinique de façon soutenue, mais selon mon expérience, ce scénario est peu commun et ne me préoccupe pas vraiment.
Le sénateur Joyal : À moins que le médicament n'ait été volé ou vendu sur le marché noir, par exemple, ou que ces substances dont il est question aux annexes IV et V aient été obtenues ou vendues illégalement.
Dr Levy : Absolument. Dans ce contexte, je peux comprendre.
Le sénateur Joyal : Les personnes ne seraient donc pas protégées?
Dr Levy : C'est exact. Je reconnais que c'est une limite. De notre pointe de vue, le projet de loi, s'il est adopté, nous permettrait de dire à nos patients, qui ne font habituellement pas partie de cette catégorie, qu'ils sont protégés alors qu'ils ne l'étaient pas hier.
La sénatrice Omidvar : Ma question s'adresse à M. Crystal. Je fais face à un dilemme entre la perfection et le bien. Je reconnais que nous vivons dans un monde imparfait. Je ne crois pas que ce projet de loi deviendra un projet de loi émanant du gouvernement. Ce n'est pas dans la lettre de mandat. Pouvez-vous imaginer un scénario où le projet de loi est adopté, sans amendement, puis qu'il est suivi par un nouveau projet de loi du Sénat qui aborde les questions de portée et de circonstances que vous avez décrites?
M. Crystal : Oui, je peux l'imaginer, et, dans mon mémoire initial, dont vous avez tous une copie, je crois, c'est ce que je disais : c'est un ballon d'essai. Nous verrons ce qui passe et, pendant ce temps, nous travaillons à le rendre meilleur.
Le président : Messieurs, je vous remercie de votre précieuse contribution à nos travaux.
Mesdames et messieurs, selon l'ordre du jour, nous devions procéder à un examen article par article. Peut-être que nous n'avions pas prévu que la discussion serait aussi longue. Nous avons longuement débattu la question de savoir s'il faut modifier ou non la mesure, donc nous avons dépassé notre temps.
Je vais expliquer ce qui se passe. On nous a suggéré de remettre à plus tard l'étude article par article. Nous pensons le reporter au 1er mars, et nous ferons venir des représentants du ministère de la Justice afin qu'ils puissent répondre à toutes les questions ou préoccupations que nous pourrions avoir. Sommes-nous tous d'accord?
Des sénateurs : Oui.
Le sénateur White : J'aimerais souligner que si quiconque souhaite obtenir une copie des délibérations du comité de la Chambre des communes, certaines des questions que nous avons abordées aujourd'hui ont été soulevées à la mi-juin 2016; ainsi, tout le monde comprendra que ça n'a rien de nouveau pour la plupart des gens.
(La séance est levée.)