Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 22 - Témoignages du 15 février 2017
OTTAWA, le mercredi 15 février 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 231, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel (protection des sources journalistiques), se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur George Baker (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, témoins et membres du grand public qui suivent les délibérations d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous commençons aujourd'hui notre étude du projet de loi S-231, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel (protection des sources journalistiques). Nous entendrons un peu plus tard des représentants de la Coalition des médias canadiens, de Radio-Canada, du Globe and Mail et du journal Le Devoir.
Pendant la première heure, nous commencerons par entendre l'exposé de l'honorable sénateur Claude Carignan, C.P., qui est le parrain du projet de loi. Je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui, sénateur. La parole est à vous.
[Français]
L'honorable sénateur Claude Carignan, parrain du projet de loi : Monsieur le président, je suis heureux de m'adresser au comité dans le cadre de l'étude du projet de loi S-231, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel (protection des sources journalistiques).
Le projet de loi S-231 a pour objectif de protéger une des composantes essentielles de la liberté de presse qui est de plus en plus menacée. Je fais référence ici aux sources journalistiques.
Dans une société libre et démocratique, il existe des piliers qui soutiennent le système démocratique. Sans l'existence de ces piliers, une démocratie perd l'essence même de sa raison d'être. La liberté de presse est l'un des piliers d'une société libre et démocratique. La presse a un devoir d'information juste et équitable et agit comme contre-pouvoir en maintenant une pression constante sur le gouvernement du jour. Qui dit devoir d'informer crée par implication nécessaire le droit de savoir, le droit d'être informé.
Un gouvernement ou toute institution publique qui exerce un rôle législatif, exécutif ou judiciaire, tout organisme privé qui en tout ou en partie utilise les fonds publics, doit nécessairement rendre des comptes de l'utilisation de ces fonds publics ou de l'exercice de son pouvoir. Toute personne qui détient un pouvoir est nécessairement susceptible un jour d'en abuser. La personne qui est témoin de cet abus de pouvoir ou de cet abus d'utilisation de fonds publics doit pouvoir utiliser le canal le plus approprié à sa situation pour dénoncer cet abus et le faire en toute confiance. Pour de nombreux citoyens et citoyennes et pour plusieurs raisons, le canal le plus approprié sera souvent celui des journalistes. Elles deviennent ce qu'on appelle des sources journalistiques.
Pourquoi protéger les sources journalistiques? Elles sont nécessaires afin de tenir l'État, et toute personne ou organisme qui utilise les fonds publics, responsables et redevables envers la population. Sans elles, des scandales d'envergure, comme le « Shawinigate » ou « l'affaire des commandites », n'auraient jamais vu le jour.
Les sources journalistiques font face à des menaces tant physiques que psychologiques et financières lorsqu'elles révèlent des abus. Une crainte ou une pression peut tarir la source et priver le public du droit d'être informé. Une relation de confiance est donc nécessaire entre le journaliste et sa source. La présence d'un code juridique solide et complet qui donne à la source la certitude que le journaliste aura la capacité juridique de préserver son engagement de garantir l'anonymat renforcera la confiance de la source.
[Traduction]
Le journalisme d'enquête dépend des relations de confiance qui s'établissent avec les sources. Toute la société en souffre lorsque la relation entre le journaliste et sa source est compromise. Le projet de loi S-231 vise à protéger cette relation de confiance dans l'intérêt du public.
C'est grâce aux sources confidentielles que les enjeux de grande importance pour le public lui sont révélés. Le projet de loi S-231 assurera leur protection.
[Français]
Or, les sources craignent de plus en plus de dénoncer les malversations.
Le projet de loi S-231 est rédigé sur la base d'un contrat de fiduciaire qui s'établit entre le journaliste et la source, sans quoi la confidence n'aurait jamais eu lieu où l'obligation corrélative des journalistes est de maintenir l'anonymat et de prendre tous les moyens légaux nécessaires pour protéger cet anonymat.
Le projet de loi S-231 modifie la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel. D'abord, en ce qui concerne la Loi sur la preuve au Canada, le projet de loi S-231 définit en quoi consiste un journaliste et une source journalistique, à l'article 39.1(1).
Le paragraphe 39.1(3) permet à un journaliste de s'opposer à la divulgation d'un renseignement ou d'un document auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne ayant un pouvoir de contrainte. L'opposition peut être soulevée par un journaliste ou son média pour le motif que le renseignement ou le document identifie ou est susceptible d'identifier une source journalistique. Un tribunal, un organisme ou une personne pourrait aussi soulever d'office une opposition.
Le paragraphe 39.1(7) prévoit que le tribunal ou l'organisme peut autoriser la divulgation du renseignement ou du document seulement s'il estime que l'information ne peut être obtenue par un autre moyen raisonnable et que l'intérêt public dans l'administration de la justice l'emporte sur l'intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique. Le tribunal ou l'organisme devra tenir compte du caractère essentiel du renseignement ou du document, de la liberté de la presse et des conséquences de la divulgation sur la source journalistique et le journaliste. Le projet de loi S-231 codifie ainsi les critères de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.
Le paragraphe 39.1(8) fait porter le fardeau de la preuve sur la personne qui demande la divulgation. Cette dernière étant la mieux placée pour démontrer les caractères essentiels du renseignement et surtout l'impossibilité d'obtenir le renseignement par d'autres moyens. Un mécanisme d'appel est également prévu au paragraphe 39.1(9).
En ce qui concerne le Code criminel, l'article 3 structure le processus judiciaire relativement aux mandats de perquisition, autorisations ou ordonnances. Le nouveau paragraphe 488.02(1) précise que le concept des « données » inclut les données informatiques telles que les logs et les données de géolocalisation. Le paragraphe 488.01(2) prévoit qu'un mandat de perquisition, une autorisation ou une ordonnance concernant une source journalistique ne pourra être décerné que par un juge d'une cour supérieure de juridiction criminelle au sens de l'article 552.
Ce changement vient rehausser les exigences requises pour adjuger sur une question aussi fondamentale qu'une demande de mandat de perquisition. L'éventail des mandats confiés à un juge d'une cour supérieure, dans les cas de sources journalistiques, couvrirait notamment les articles 492.1 portant sur les mandats pour dispositif de localisation et l'article 492.2 qui porte sur les enregistreurs de données.
Un mandat, une autorisation ou une ordonnance ne pourra être obtenu que si, en plus des conditions requises, le juge est convaincu à la fois, d'une part, qu'il n'existe aucun autre moyen par lequel les renseignements peuvent raisonnablement être obtenus et, d'autre part, que l'intérêt public à faire des enquêtes et à entreprendre des poursuites relatives à des infractions criminelles l'emporte sur le devoir du journaliste de protéger la confidentialité dans le processus.
L'article 488.01(4) établit que le mandat peut être assorti de conditions que le juge estime indiquées afin de protéger la confidentialité des sources et de limiter la perturbation des activités journalistiques.
Le nouveau paragraphe 488.02(1) prévoit qu'une fois l'exécution du mandat achevée, tous les renseignements obtenus seront scellés. Aucune des parties n'y aura accès sans le consentement du juge. Un fonctionnaire qui demanderait à examiner ou à faire des copies d'un document sous scellé devra envoyer au journaliste ou à l'organe de presse intéressé un avis de son intention. Le journaliste et l'organe de presse intéressé disposeront alors de 10 jours afin de s'opposer à la demande de communication d'un fonctionnaire pour le motif que le renseignement identifie ou est susceptible d'identifier une source journalistique. Le juge ne pourra émettre une ordonnance de communication que s'il est convaincu qu'il n'existe aucun autre moyen par lequel les renseignements peuvent raisonnablement être obtenus.
Également, l'intérêt public doit l'emporter sur le droit du journaliste à la confidentialité. Il incombe à la police de convaincre un tribunal que les renseignements sont essentiels à une enquête en cours. On parle ici du renversement du fardeau de la preuve. Les journalistes et leurs sources ont bénéficié de certaines avancées dans le cadre de l'arrêt Globe and Mail et l'arrêt National Post. Aujourd'hui, avec le projet de loi S-231, ils auront l'occasion de voir leurs droits renforcés dans la législation.
Ainsi, pour la première fois dans l'histoire du Parlement, un projet de loi reconnaissant la protection des rapports confidentiels entre un journaliste et sa source peut devenir loi. Je vous invite donc à appuyer ce projet de loi, et ce, dans l'intérêt public.
[Traduction]
Si nous ne protégeons pas les dénonciateurs, ils n'oseront pas divulguer l'information qu'ils possèdent. Cette information est importante pour vous, pour moi et pour tous les Canadiens. C'est la raison pour laquelle le projet de loi S-231 est si important.
Je vous remercie; je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci, sénateur.
Chers collègues, je vous prierais de bien vouloir être brefs dans vos questions. J'essaierai de ne pas vous interrompre, mais le sénateur Carignan a considérablement dépassé le temps prévu. Je ne lui poserai pas de question. C'est mon obligation.
Sénateur Joyal?
[Français]
Le sénateur Joyal : Merci, sénateur Carignan, de votre présentation. Je voudrais, dans un premier temps, comprendre exactement ce qu'on protège et à quel niveau on protège le journaliste et ses sources. La police peut faire la filature d'un journaliste. Elle peut, par exemple, obtenir une autorisation d'écoute électronique. Avec ce qu'on connaît aujourd'hui de la géolocalisation, la police peut suivre pratiquement à la trace les déplacements d'une personne.
Vous vous attardez plutôt au mandat de perquisition, c'est-à-dire la saisie de sources journalistiques, de documents ou d'autres informations que le journaliste pourrait détenir. En pratique, votre projet de loi, si je le comprends — à moins que vous n'y ayez pas consacré d'intérêt —, ne couvre pas toute l'activité professionnelle d'un journaliste pouvant faire l'objet d'un suivi ou d'un intérêt de la part des forces policières, que ce soit pour des questions reliées au crime organisé, ou pour d'autres, plus délicates celles-ci, liées à la sécurité du pays.
Le sénateur Carignan : D'abord, l'objectif du projet de loi est de protéger la source, pas nécessairement un journaliste susceptible de commettre un acte criminel. Ce dernier pourra être suivi à ce moment-là.
Dans la partie du projet de loi qui concerne le Code criminel, il est mentionné que l'obtention d'un mandat de perquisition devra faire l'objet de mesures spéciales lorsqu'un journaliste ou un organisme de presse est visé par un mandat de perquisition, et que des mesures devront être prises pour veiller à ce que les activités journalistiques soient perturbées le moins possible.
De plus, il est dit que les informations détenues ou saisies ne seront protégées que si elles sont susceptibles de divulguer ou d'identifier une source. Cela s'applique aux dispositions sur le mandat de perquisition.
Quant à la question de l'admissibilité de la preuve, le projet de loi modifie la Loi sur la preuve au Canada et s'applique à tout tribunal qui rend des décisions en matière fédérale. Quant à l'aspect de production de la preuve, le journaliste aura la possibilité de s'opposer en produisant une preuve susceptible d'identifier une source journalistique.
Évidemment, dans le cas des perquisitions et des mesures de mise sous scellé, cela devra être invoqué par le journaliste. Dans le cas de la Loi sur la preuve au Canada, il s'agit de la preuve faite devant les tribunaux; c'est une question d'admissibilité de la preuve.
Certaines mesures existent déjà dans la common law, entre autres le test de Wigmore pour juger de l'admissibilité de la preuve. Le projet de loi codifie ces critères et renverse le fardeau de la preuve à l'étape 4 dans le but de déterminer l'intérêt public. Donc, c'est la partie principale.
Quant au droit civil, le projet de loi ne couvre évidemment pas tout le droit canadien. Vous aurez remarqué que le droit provincial pénal statutaire — ou le droit civil provincial — n'est pas couvert.
Comme on l'a vu dans l'arrêt Globe and Mail, on a permis, au Québec en particulier, l'utilisation du test de Wigmore pour juger de l'admissibilité de la preuve. Des jugements de la Cour suprême s'appliquent, mais il faudrait que les provinces adoptent des lois particulières selon leur domaine de compétence.
Le sénateur Joyal : J'ai une préoccupation par rapport à la structure que vous mettez en place. À mon avis, elle laisse un trou sur la capacité des autorités policières à faire elles-mêmes la preuve sans qu'il y ait d'éléments contradictoires, sans qu'il y ait un procureur assigné pour contre-interroger et pousser la présentation des faits devant le juge.
Dans un contexte où un certificat de sécurité est demandé par les autorités policières, ces autorités font la preuve devant le juge, mais il y a aussi la communication d'une partie des renseignements à un avocat spécialisé qui représente l'intérêt public, alors que dans ce cas, on laisse la police en privé avec un juge. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu d'équilibrer la présentation des faits sur lesquels la police se fonde, de sorte que la décision du juge soit une décision d'arbitre et non pas une décision d'enquêteur?
Le sénateur Carignan : Je ne suis pas d'accord avec vous, respectueusement.
Le sénateur Joyal : Je ne dis pas que je veux amender le projet de loi de cette façon. Je vous demande pourquoi vous avez exclu cette approche.
Le sénateur Carignan : En pratique, si la police se présente devant un juge pour obtenir un mandat de perquisition devant la Cour supérieure, le juge pourrait demander à l'organe de presse de présenter des observations avant de lancer le mandat de perquisition.
En vertu de ce projet de loi, le juge aurait le pouvoir de fixer toute autre condition qu'il estime appropriée pour protéger les sources journalistiques, en plus de devoir prononcer l'ordonnance de mettre l'information sous scellé. Du moment que l'information est saisie, le policier ne peut faire des copies et ne peut prendre connaissance des documents. Il ne doit que les mettre sous scellé.
Lorsqu'il désire en prendre connaissance, tout cela se fait sous le contrôle du tribunal, sous scellé. Si le policier désire en prendre connaissance, il devra faire parvenir un avis au journaliste ou à l'organe de presse concerné en mentionnant qu'il veut regarder ce qu'il y a dans le paquet scellé. Par la suite, l'organe de presse ou le journaliste aura un délai de 10 jours pour faire une requête et débattre de cet aspect de la divulgation ou non, ou du risque de divulgation d'une source. Il y aura donc un débat avec les procureurs sur place et une discussion complète au sujet de la protection de la source.
[Traduction]
Le vice-président : Sénateur Carignan, vous avez eu l'occasion d'expliquer le projet de loi dans sa totalité, et je crois que vous en avez présenté tous les éléments. Je vous prierais de nous répondre le plus brièvement possible pour que nous puissions tenir une deuxième série de questions et permettre au sénateur Joyal d'intervenir de nouveau plus tard.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Carignan, je tiens à vous féliciter pour votre projet de loi. C'est un projet de loi fort attendu, compte tenu des événements qui se sont produits au Québec dernièrement.
Nous n'en sommes pas à nos premières tentatives à la Chambre des communes ou au Sénat de vouloir protéger les sources au niveau informatique. Il y a 10 ans, le Bloc Québécois déposait le projet de loi C-426. À l'époque, la Fédération des journalistes était d'accord avec ce projet de loi.
Pouvez-vous nous expliquer si le projet de loi actuel reprend essentiellement les mêmes objectifs et s'il adopte la même ligne juridique pour protéger les sources, ou s'il y a des distinctions qu'il faudrait souligner?
Le sénateur Carignan : J'ai lu le projet de loi C-426. Au début, j'ai commencé à m'en inspirer pour rédiger le projet de loi. Mais compte tenu des jugements de la Cour suprême qui sont postérieurs au projet de loi C-426, la Cour suprême, dans son test de Wigmore, allait beaucoup plus loin en termes de protection.
Je l'ai mis un peu de côté. Il y a peut-être une disposition qui est claire, celle en vertu de laquelle cette loi a préséance sur toute autre. Je m'en suis inspiré pour la définition de « journaliste », mais j'ai davantage tenu compte des jugements récents de la Cour suprême.
Le sénateur Boisvenu : Au Québec, il y a la Cour supérieure, la Cour du Québec et les cours municipales. Quels tribunaux québécois auront la juridiction pour appliquer cette loi?
Le sénateur Carignan : Toute cour qui applique le Code criminel, tout juge qui donne un mandat de perquisition en vertu du Code criminel, tout organisme judiciaire, quasi judiciaire ou personne qui prend une décision basée sur une loi fédérale. Par exemple, ce pourrait être la Loi sur la concurrence ou la Loi sur le droit d'auteur, donc tout ce qui est de compétence fédérale. Le projet de loi ne s'appliquerait pas au droit civil provincial ou au droit pénal statutaire.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que votre projet de loi couvre aussi l'émission de mandats de perquisition? Il s'agit d'une problématique qui a été soulevée au Québec, entre autres.
Le sénateur Carignan : Oui. Clairement, je vous dirais que le tiers ou la moitié du projet de loi couvre l'émission de mandats de perquisition et leur mise en vigueur. Il fournit des outils au juge et un guide sur la façon de prononcer des ordonnances particulières lorsqu'il s'agit d'un organe de presse.
Le sénateur Pratte : J'aimerais vous poser deux questions rapides, sénateur Carignan. D'abord, le projet de loi suit de très près les enseignements de la Cour suprême, sauf sur un point : le fardeau de la preuve. Vous le renversez complètement. Pourquoi avez-vous suivi de très près la Cour suprême, sauf sur cet élément?
Le sénateur Carignan : J'ai lu le jugement. Selon les procureurs dans l'arrêt National Post, c'était au poursuivant de faire la démonstration de la preuve, et je partage leur avis. Le poursuivant est mieux placé pour savoir qu'il ne peut avoir d'autres mesures que celles de l'utilisation ou de la divulgation de la source.
Je crois que c'est un fardeau trop lourd pour les journalistes de démontrer qu'il y a d'autres moyens. C'est plutôt à la police ou au poursuivant de faire cette preuve-là. Selon la Cour suprême, le fardeau de la preuve est un élément qui n'est pas majeur dans l'exercice de cette balance, compte tenu du fait qu'on prend l'ensemble des éléments qui sont là et qu'en fin de compte, c'est une question de gros bon sens. Je paraphrase un peu la Cour suprême, mais c'est ce que les juges ont déclaré.
Le sénateur Pratte : Dans les deux séries de modifications proposées à la Loi sur la preuve et au Code criminel, lorsqu'il s'agit de l'autorisation pour la divulgation du document ou de l'autorisation pour divulguer le contenu d'un mandat, en aucun temps on ne tient compte de la gravité du crime. Ne croyez-vous pas qu'il aurait été approprié de tenir compte de la gravité du crime allégué ou faisant l'objet d'une enquête?
Le sénateur Carignan : Non, parce que dans la mesure de l'intérêt public par rapport à l'intérêt de l'administration du ministère de la Justice, le juge prendra le critère de la gravité de crime comme un élément de mesure. Cela fait partie des indicateurs qui sont donnés lorsqu'on applique la quatrième partie du test de Wigmore. Il peut y avoir certaines situations où nous pourrions vouloir protéger la source, peu importe l'importance du crime qui est commis de façon objective, compte tenu du fait que l'organisme public ou politique visé nécessite une protection. Par exemple, ce pourrait être une situation où on vise le premier ministre, parce qu'il aurait commis une petite infraction qui aurait dégénéré en un immense conflit ou qui aurait entraîné une crise politique.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Sénateur Carignan, certains ont laissé entendre que la définition de « journaliste » dans ce projet de loi devrait peut-être être plus précise et plus détaillée, afin d'inclure peut-être les blogueurs, les éditorialistes, les chroniqueurs et les pigistes, par exemple. J'aimerais savoir si vous seriez ouvert à l'idée d'élargir la définition de journaliste dans votre projet de loi ou si vous estimez que la définition actuelle englobe déjà adéquatement tous ces groupes.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je crois que la définition inclut déjà les éditorialistes, les chroniqueurs et l'ensemble des personnes de ce milieu. La définition est large, et c'était voulu pour englober le plus grand nombre de personnes possible, des salariés comme des pigistes. C'est dans la détermination, dans la balance que le tribunal aura à déterminer, en ce qui concerne l'intérêt public. L'un des éléments du test de Wigmore, c'est que le tribunal doit vérifier si le type de relation entre le journaliste et la source doit être protégé pour l'intérêt public. C'est à peu près le terme qui est utilisé. On peut alors tenir compte de la notion de journaliste, qui pourrait aller jusqu'à un blogueur, par exemple. C'est clairement exprimé dans l'arrêt National Post.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Votre projet de loi prescrit que les mandats de perquisition, les autorisations et les ordonnances relatives aux sources journalistiques soient décernés par un juge d'une cour supérieure plutôt que par un juge de paix. Pourquoi estimez-vous que ce serait une meilleure option et vous attendez-vous à ce que cette nouvelle exigence occasionne des délais judiciaires, comme notre comité étudie déjà cette question?
[Français]
Le sénateur Carignan : Non, je ne crois pas que cela causera des délais. Les juges de la Cour supérieure sont disponibles pour ce genre de dossier.
On a constaté une augmentation du degré de protection lorsque nous faisons affaire avec la Cour supérieure plutôt qu'à un juge de paix. Il y a une différence au niveau du statut, de la formation et de l'expérience entre les juges de paix et les juges de la Cour supérieure.
Les juges de paix jouent un rôle assez technique. Ils s'occupent de l'émission de mandats de perquisition. Ils ont une pile de dossiers d'un côté au début de la journée, et le lendemain, la pile se trouve de l'autre côté. À la Cour supérieure, les juges portent une attention plus particulière et sont plus sensibles aux éléments constitutionnels. Je crois que le milieu juridique s'entend pour dire que le degré de protection est plus élevé lorsqu'on fait affaire avec la Cour supérieure.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie, sénateur, de votre présentation. Je vous félicite de bien vouloir parrainer ce projet de loi, qui est d'une importance capitale. À l'heure actuelle, aucune loi au Canada ne protège la confidentialité des sources journalistiques, y compris les sonneurs d'alertes. Il faut s'en remettre à la jurisprudence, notamment aux deux décisions de la Cour suprême du Canada, National Post et Globe and Mail, qui ont analysé la protection constitutionnelle au titre de la protection des sources journalistiques. Comme vous l'avez mentionné, c'est là que le test de Wigmore a vu le jour. Le projet de loi vise à protéger les activités journalistiques, particulièrement en ce qui concerne le recours aux dénonciateurs et autres sources confidentielles.
Cela dit, êtes-vous persuadés que les journalistes et leurs sources seront mieux protégés une fois l'adoption de ce projet de loi?
Le sénateur Carignan : Compte tenu du contexte juridique actuel, ce serait une protection adéquate. Pour aller plus loin que cela, il faudrait que les journalistes fassent des compromis par rapport à un ordre professionnel. Cela fait l'objet d'un débat depuis plusieurs années, à savoir si les journalistes devraient être membres d'un ordre professionnel comme les membres du Barreau, par exemple. Cela a toujours été rejeté.
Il serait sans doute possible d'avoir une protection optimale au moyen d'une charte, la Charte québécoise, particulièrement. Compte tenu de l'évolution du contexte actuel sur la notion de journaliste — les médias évoluent rapidement —, c'est la meilleure solution possible.
Le sénateur McIntyre : Le sénateur Pratte a fait référence au fardeau de la preuve. Si j'ai bien compris, auparavant, le fardeau de la preuve revenait aux journalistes.
Dans le cadre de votre projet, le fardeau de la preuve reviendra maintenant à la Couronne. Je crois que c'est bien. Ce serait plutôt à la Couronne d'en faire la preuve et non au journaliste lui-même. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
Le sénateur Carignan : Je partage votre opinion, puisque les policiers ont beaucoup plus de moyens pour faire la preuve qu'il n'existe pas d'autres moyens raisonnables que le mandat en question ou pour obtenir les renseignements en question, contrairement au journaliste.
[Traduction]
Le vice-président : Je me demande, sénateur Carignan, si vous pourriez nous donner des réponses un peu plus courtes.
Le sénateur White : J'ai deux questions à vous poser.
Au sujet de la définition de « journaliste », elle évoque la diffusion d'information par les médias. Le mot « média » a une nouvelle signification dans le monde d'aujourd'hui. Ne devrait-on pas mentionner qu'il doit s'agir d'une « organisation » ou utiliser un terme comme « organisation médiatique »?
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai songé à cette notion, mais je trouvais qu'il était plus approprié de le placer dans le sens large des médias, qui inclut les nouveaux médias, compte tenu de l'apparition rapide et fulgurante des nouveaux médias de communication.
[Traduction]
Le sénateur White : Mon inquiétude, c'est qu'il pourrait y avoir des membres des Hells Angels qui décideraient d'alimenter un blogue pour perturber une écoute électronique légitime. C'est ma crainte. Quand je pense aux médias, je serais porté à y inclure les blogues. Même de façon limitée, ils peuvent avoir un effet négatif.
[Français]
Le sénateur Carignan : C'est pourquoi le tribunal doit appliquer des critères avant de donner son autorisation, notamment, l'intérêt public dans l'administration de la justice l'emporte sur l'intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique. À ce moment-là, on a différents critères. Cette partie du test est fondamentale pour le juge qui ne pourrait considérer comme une source journalistique, par exemple, un blogue tenu par les Hells Angels. Je ne pense pas qu'il soit dans l'intérêt public de maintenir un lien assidu entre la source et les Hells Angels.
[Traduction]
Le sénateur White : Ma prochaine question porte sur ce qui arrivera en cas de problème à ce chapitre.
Je regarde toutes sortes de reportages. J'ai travaillé pendant 32 ans comme policier dans trois provinces et trois territoires. Je n'ai jamais vu ce problème ailleurs qu'au Québec. Je souligne que je ne suis pas très en faveur des lois rédigées pour s'attaquer à un problème régional. Ce genre de problème s'est-il déjà posé ailleurs qu'au Québec au cours des dernières années? Tous les cas que j'ai vus semblaient être au Québec, et si c'est un problème de surveillance, ce n'est peut-être pas un problème législatif, mais un problème de surveillance.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je ne crois pas que le Québec fait exception dans le monde, parce que plusieurs démocraties ont des codes de protection des sources. Le mémoire de la Coalition des médias canadiens énumérait plusieurs pays disposant d'un tel code, pays qui ont sûrement été confrontés à des menaces et à la nécessité de protéger des sources journalistiques découlant de ces menaces.
Lorsque je siégeais au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, j'ai posé la question à des représentants des services du renseignement concernant le reste du Canada. Les réponses que nous avons reçues, c'est que, actuellement, il n'y a pas de journalistes sous écoute ou qui font l'objet d'écoute. Cela laisse sous-entendre qu'il y en a peut-être eu auparavant et qu'il y en aura peut-être un jour. Je crois que c'est le genre de problématique qui peut être difficile de prévoir.
Une chose est certaine, lors des consultations que j'ai eues avec certains journalistes, ces derniers m'ont confié que, depuis ces événements, ils sentaient que les sources étaient plus nerveuses, que les gens parlaient moins et que les sources se tarissaient de crainte que leur anonymat ne soit pas protégé.
Simplement pour cette raison, si l'effet du projet de loi n'était que d'instaurer un cadre juridique qui donnerait l'assurance aux sources que les journalistes auront les moyens nécessaires de protéger leur anonymat et qui permettrait à ces citoyens de dénoncer des abus, je crois que l'objectif aura été atteint.
[Traduction]
Le vice-président : Il est bien dommage que nous n'ayons pas accès à la dénonciation sous serment et aux mandats accordés au Québec. Il est bien dommage que nous n'ayons pas accès à ces documents pour l'étude de ce projet de loi, ne trouvez-vous pas?
Le sénateur White : Nous avons l'habitude d'appeler des témoins à venir nous aider, monsieur le président.
Le vice-président : Après la GRC, nous irons voir le représentant de la Sûreté du Québec, puis le juge pour poser des questions.
Sénateur Dagenais, vous avez représenté la Sûreté pendant 20 ans. Quelles questions et réponses avez-vous pour la GRC sur la question précédente?
Le sénateur Dagenais : J'ai une question à poser, mais elle ne s'adresserait pas à la GRC. Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Ma question sera courte, parce que le temps file. Comme les sénateurs Joyal et McIntyre l'ont mentionné, les policiers ont beaucoup de moyens pour obtenir de l'information, qu'il s'agisse de filature ou d'écoute électronique.
De nouvelles technologies existent aujourd'hui qui nous permettent de faire bien des choses. On peut, par exemple, suivre nos valises partout dans le monde à partir de notre téléphone cellulaire à Ottawa, et c'est magnifique.
Vous l'avez peut-être déjà mentionné, mais est-ce que votre projet de loi sera de nature à rassurer les journalistes sur la protection des sources?
Le sénateur Carignan : L'objectif n'est pas nécessairement de rassurer les journalistes autant que de rassurer les sources. Je crois que les sources doivent savoir que, dans une démocratie comme le Canada, s'ils parlent en confiance, selon une entente mutuelle où la source accepte de communiquer une information à la condition essentielle que son anonymat sera conservé, et que le journaliste accepte cette entente, le projet de loi donnera des outils au journaliste pour respecter son engagement de confidentialité envers la source et pour prendre tous les moyens nécessaires pour protéger son identité, et je crois que cela fait le travail.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Merci, sénateur Carignan, de tout votre travail pour l'élaboration de ce projet de loi. De manière générale, j'en appuie le principe. Je veux seulement m'assurer que ce projet de loi fonctionnera en dernière analyse. Je me suis déjà trouvé à l'autre bout du spectre d'une demande de mandat, donc j'ai des questions.
C'est un exemple où l'intention est de protéger la tierce partie et non le contrevenant. Le contrevenant est la personne qui divulgue de l'information au journaliste, je présume. Je suppose donc que l'intention est de protéger le journaliste et ses sources.
Pour revenir à la prémisse de cette question, je me demande si votre intention est de limiter l'application de ce projet de loi aux seules situations où il y a présomption de crime ou s'il devrait s'appliquer dans toutes les situations où un journaliste parle avec une source sur laquelle les services policiers souhaitent recueillir des renseignements.
[Français]
Le sénateur Carignan : Pour moi, le projet de loi vise toute juridiction de compétence fédérale.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Cela comprendrait donc les situations dans lesquelles les policiers recueillent essentiellement des renseignements en écoutant une conversation entre un journaliste et un terroriste potentiel?
Le sénateur Carignan : Oui.
Le vice-président : Sénatrice Dupuis?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci, sénateur Carignan. Ma première question porte sur la source journalistique. Est-ce qu'on parle toujours ici d'une personne? Parce que la définition de la source, c'est une source. Est-ce qu'une entité autre qu'une personne peut constituer une source journalistique, selon vous?
Le sénateur Carignan : Selon moi, non, parce qu'une corporation morale peut difficilement divulguer de l'information, à moins que ce soit par l'entremise d'une personne physique.
La sénatrice Dupuis : C'est ce que je voulais clarifier.
Le sénateur Carignan : Il doit y avoir une contrepartie de protection de l'anonymat. Pour avoir cette entente, par laquelle la source transmet l'information en contrepartie de l'engagement de conserver l'anonymat, on parle automatiquement d'une personne physique.
La sénatrice Dupuis : La question que je me posais, c'est pourquoi ne pas l'avoir dit à une source journalistique? Y avait-il une raison de choisir le terme « source » plutôt que « personne », puisqu'on parle de toute façon uniquement d'une personne?
Mon autre question concerne la définition de « journaliste ». Vous avez dit qu'il peut s'agir de salariés ou de pigistes. C'est donc une personne qui fait cette activité, peu importe qu'elle soit bénévole dans un journal communautaire, un employé salarié ou à forfait.
Le sénateur Carignan : Oui. Un pigiste pourrait très bien avoir obtenu une information qui est d'intérêt public. On voit de plus en plus de pigistes. Leur travail peut être fait de façon bénévole, au sens qu'ils ne sont pas rémunérés, mais l'information qu'ils recueillent est susceptible d'être transmise ou publiée. En ce sens, cette condition est couverte.
La sénatrice Dupuis : Au paragraphe 2 de l'article 39.1, après la définition, j'essaie de bien comprendre. Le présent article s'applique malgré les autres dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale.
Le sénateur Carignan : En vertu de la Loi sur l'interprétation, j'ai voulu, par cette disposition, donner un caractère prépondérant. En cas d'ambiguïté entre deux lois, les tribunaux doivent comprendre que le législateur a voulu donner prépondérance aux dispositions particulières qui touchent la protection des sources journalistiques. C'est l'une des dispositions que j'ai reprises du projet de loi C-426.
La sénatrice Dupuis : Plus loin, au paragraphe 7, où le tribunal doit estimer si un certain nombre de conditions sont remplies, à l'alinéa b), sous-alinéa (ii), on mentionne la liberté de la presse. Est-ce que cela veut dire que la prépondérance de ce qui apparaît au paragraphe 2 sur toute autre loi fédérale accorderait une prépondérance à la liberté de la presse par rapport à la protection du droit à la vie privée, qui est prévue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne?
Le sénateur Carignan : La liberté de la presse est déjà garantie en vertu de la Charte. Les deux droits sont protégés de toute façon par la Constitution. Cette balance entre les deux droits se ferait au niveau constitutionnel.
La sénatrice Dupuis : À l'article 488.02(2), on fait référence à un journaliste et à un organe de presse intéressé. Est-ce que vous pouvez clarifier ce que vous entendez par « intéressé »?
Le sénateur Carignan : Prenons l'exemple d'un journaliste du Globe and Mail. Si la perquisition se fait sur le bureau du journaliste à l'intérieur de l'organe de presse, s'agissant d'une information qui était destinée à être utilisée par le Globe and Mail, un organe de presse intéressé pourrait être le Globe and Mail.
La sénatrice Dupuis : Est-ce que ce pourrait être n'importe quel autre organe? Parce que l'intérêt, vous savez...
Le sénateur Carignan : Exactement. Il faut un intérêt juridique. Le mot « intéressé » signale que la personne doit démontrer un intérêt particulier.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Comme vous vous y attendez sans doute, il y a une question qui me vient à l'esprit de la perspective d'un enquêteur.
Le sénateur Carignan : Je m'y attendais.
La sénatrice Boniface : Au sujet de la définition de « journaliste », pour poursuivre dans la foulée de la question du sénateur White, je pense que c'est une définition difficile, compte tenu de l'état actuel de l'industrie. Je vais également poser la question aux autres témoins. Vous êtes-vous demandé comment un enquêteur pourrait l'interpréter de manière à en exclure ou à y inclure certaines personnes, si vous voyez ce que je veux dire? Pour moi, ce pourrait être à peu près n'importe qui prendrait un crayon et se dirait journaliste, et c'est ce qui me préoccupe d'un point de vue d'enquêteur, puisqu'il faut les guider le mieux possible.
[Français]
Le sénateur Carignan : Le fait que la personne contribue directement, régulièrement ou occasionnellement à la collecte, à la rédaction ou à la production d'information en vue de sa diffusion par les médias donne le signal que cette personne a pour fonction de produire de l'information destinée à la diffusion. Comme pour n'importe quelle définition, il peut y avoir des zones grises. Les tribunaux devront sûrement fixer les paramètres de cette définition telle qu'on l'entend. Toutefois, c'est le lot de toute loi.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Vous êtes-vous demandé s'il serait pertinent de définir le terme « média »?
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai réfléchi à cette question. Le danger est de vouloir accorder la protection à un certain type de média uniquement et non à d'autres. Comme nous vivons l'explosion de différents types de médias, il m'apparaissait inapproprié de se limiter à un média. Le Huffington Post fêtait son cinquième anniversaire. Il a pris une ampleur incroyable qui, pour moi, n'était pas prévue. Je crois qu'il est maintenant clairement un média. Il y a cinq ans, aurait- on parlé du Huffington Post comme d'un média? Je n'en suis pas certain. Or, aujourd'hui on n'en doute même pas.
[Traduction]
Le sénateur Munson : Très brièvement, j'aimerais poursuivre au sujet de la définition du journalisme.
Soit dit en passant, je vous remercie de ce projet de loi. Je vois pourquoi la Coalition des médias canadiens l'appuie, de manière générale, mais la définition de « journaliste » pose problème.
Elle dit que la définition proposée exclut les éditorialistes et les chroniqueurs, et que cette situation est problématique puisque les éditorialistes et les chroniqueurs ont une telle visibilité auprès du public qu'ils ont tendance à recevoir beaucoup de conseils et de renseignements confidentiels. De plus, il serait nécessaire de préciser que les personnes qui agissent à titre de journalistes lorsqu'elles reçoivent de l'information seront protégées elles aussi.
Seriez-vous ouvert à un amendement pour inclure explicitement ce groupe?
[Français]
Le sénateur Carignan : Je suis ouvert à tout amendement qui bonifierait le projet de loi. Cependant, quand j'ai lu le mémoire, je ne comprenais pas qu'on puisse voir que cela excluait. Pour moi, cela incluait. À mon avis, la définition est la plus large possible. Elle inclut toute personne qui collecte de l'information dans le but de la diffuser. Automatiquement, chroniqueurs et éditorialistes sont inclus. Le danger de dresser une liste est que cela peut lancer le signal qu'on en exclut certains. Pour moi, c'était déjà inclus.
[Traduction]
Le sénateur Munson : C'est un projet de loi d'initiative parlementaire, n'est-ce pas?
Le sénateur Carignan : Oui.
Le sénateur Munson : Nous savons à quel point il faut du temps pour qu'un tel projet de loi soit adopté. Quelles sont vos attentes? Croyez-vous que ce projet de loi peut devenir loi assez vite pour garder sa pertinence à la lumière de ce qui s'est passé au Québec?
[Français]
Le sénateur Carignan : Si le Sénat adopte ce projet de loi, comme le recommande le comité, si le projet de loi franchit l'étape de la troisième lecture assez rapidement pour être transmis à la Chambre des communes, qui a énormément de respect pour les travaux du Sénat, et si ce projet de loi est adopté avec une forte majorité, ce sera un signal important au gouvernement pour qu'il y porte une attention particulière. Je m'attends à ce que le gouvernement en prenne acte. Il a déjà exprimé la volonté de vouloir protéger les sources journalistiques. Il aura donc une occasion extraordinaire de passer de la parole aux actes.
[Traduction]
Le vice-président : J'essayais de ne pas poser de questions, mais je dois vous en poser une, sénateur Carignan, puisque vous vous êtes dit ouvert à des amendements. Le sénateur Joyal et le sénateur Sinclair vous ont interrogé sur la portée du projet de loi.
Il contient un article par lequel vous souhaitez que les mandats de perquisition soient délivrés par un juge d'une cour supérieure. Votre projet de loi prescrit ceci :
... un mandat de perquisition prévu par la présente loi, notamment aux articles 487, 487.1, 492.1 ou 492.2...
Un seul de ces articles porte sur les mandats de perquisition. Les autres portent sur les autorisations et les mandats, et il y a toute une différence entre un mandat et un mandat de perquisition. Il y a toute une distinction à faire.
Par ailleurs, l'article 487.01 n'est pas mentionné. C'est pourtant le plus utilisé, et certains diront qu'on en abuse, pour obtenir des autorisations judiciaires. C'est l'article sur le mandat général, qui ne constitue pas du tout un mandat de perquisition. Il permet aux policiers de faire ce qu'ils veulent. Ils peuvent utiliser des satellites, ils peuvent faire toutes sortes de choses, comme le sénateur Joyal l'a dit. Votre projet de loi ne fait pas mention de l'article le plus utilisé à cette fin.
Prenez les articles 188 et 186, mentionnés un peu plus bas. Il faut déjà s'adresser à un juge d'une cour supérieure pour obtenir ce genre d'autorisation. Non seulement faut-il l'autorisation d'un juge d'une cour supérieure, mais il faut une demande signée par un mandataire au nom du ministre, s'il s'agit d'une enquête fédérale, ou du ministre provincial de la Justice, s'il s'agit d'une affaire de compétence provinciale. La composition même du projet de loi posera donc problème.
Puisque vous êtes ouvert à des amendements, si vous deviez envisager de modifier le libellé de cet article pour y parler d'autorisations judiciaires plutôt que de mandats de perquisition, il serait moins précis, mais vous pourriez parler des demandes présentées par application des parties VI et XV, qui portent sur toutes les autorisations consenties en vertu du Code criminel. Seriez-vous ouvert à cela?
Vous pouvez y penser pendant que nous amorçons notre deuxième série de questions. Je vais donner à chaque intervenant la possibilité de poser une question au second tour. Nous commencerons par le sénateur Joyal.
[Français]
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur le sujet de la preuve qui doit être faite selon laquelle il n'y a aucun autre moyen raisonnable d'obtenir les renseignements.
Dans le cas d'un mandat de perquisition, comme l'a dit le sénateur Baker, la police se présente avec des motifs raisonnables de croire que. Ici, nous sommes dans une tout autre procédure, dans une procédure ex parte entre le juge et la police, dans laquelle on transforme le juge en juge-enquêteur qui vérifie qu'il n'y a pas d'autres moyens pratiques que ceux que la police veut bien lui présenter.
C'est la raison pour laquelle je vous demande s'il n'y aurait pas moyen de considérer, pour rendre le processus de décision le plus crédible possible, la mise en place d'une procédure devant le juge dans laquelle le juge demeure l'arbitre et ne se transforme pas en enquêteur. C'est là que se situe une difficulté inhérente à l'approche que vous proposez. Je ne dis pas que nous ne devons pas la conserver; je dis que nous sommes dans une procédure ex parte qui prend une allure différente que la procédure de mandat de perquisition.
Le sénateur Carignan : Je comprends. D'autre part, si on envisage le fait de placer la possibilité d'une intervention de la part d'un procureur au rang de l'émission du mandat de perquisition, il faudrait déterminer quel type de procureur pourrait être choisi à ce niveau. Je vois mal le fait que ce soit le représentant d'un journaliste ou d'un organe de presse, dépendamment de la situation factuelle, au risque de voir disparaître la preuve dans le cas où le journaliste est visé par l'enquête.
Cette partie du projet de loi est un peu délicate. C'est pourquoi, dans les dispositions du projet de loi, j'ai prévu l'obligation qu'aurait le juge de prévoir les mesures nécessaires pour conserver l'anonymat par la mise sous scellé.
Je me suis inspiré des procédures de perquisition dans les bureaux d'avocat, durant lesquelles le syndic supervise l'opération afin de s'assurer que tout est mis sous scellé. Ce n'est que par la suite que le débat peut avoir lieu. J'ai fait ce parallèle avec le projet de loi afin que les mesures soient prises pour que l'information, dès qu'elle est saisie, soit mise sous scellé, que la procédure se fasse et que, par la suite, l'avocat du journaliste puisse débattre à ce niveau.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Quand j'ai lu ce projet de loi, la question des notifications aux journalistes m'est tout de suite venue à l'esprit. Je connais le processus de demande pour obtenir un mandat de perquisition afin de fouiller un cabinet d'avocats. Les dispositions en vigueur prescrivent que l'avocat ou le cabinet en est avisé et qu'un autre avocat supervise la perquisition.
Il ne semble pas y avoir d'obligation d'aviser le journaliste lorsqu'un mandat est demandé, qu'il a été délivré, qu'un document a été obtenu ou qu'un renseignement a été obtenu. Ainsi, le journaliste ne peut pas s'y objecter quand des renseignements sont demandés.
Avez-vous réfléchi à la possibilité de donner aux journalistes la possibilité de contester une perquisition?
[Français]
Le sénateur Carignan : La procédure n'exclut pas la possibilité de demander l'annulation du mandat de perquisition. La protection de la source est une procédure supplémentaire, mais cela n'empêche pas un média ou un journaliste de contester le mandat de perquisition.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Je le mentionne parce que pour les mandats à long terme délivrés en vertu du Code criminel, il y a une obligation pour les policiers, après une certaine période de temps, d'aviser l'accusé ou la personne visée par le mandat du fait qu'un mandat a été délivré et qu'il ou elle en est la cible, même si le mandat porte peut-être sur un autre contrevenant. Cela ne semble pas être le cas dans votre projet de loi.
[Français]
Le sénateur Carignan : Le projet de loi vise la situation particulière, elle n'a pas pour effet d'exclure les autres dispositions qui s'appliquent dans le cadre d'un mandat. Si c'était le cas du mandat à long terme dont vous parlez, cela n'enlèverait pas l'obligation du poursuivant d'aviser. Ces dispositions sont spécifiques et, à moins d'être en contradiction avec les autres, elles ne les excluent pas.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Dans l'un des cas mentionnés dans les reportages sur la situation au Québec, un ou une journaliste semble avoir été visé par des mandats de perquisition ou des activités de perquisition pendant une longue période (des années, en fait, si je ne me trompe pas), alors que les autorités n'ont déployé aucun effort pour l'en aviser.
S'il y avait eu une disposition dans le code applicable dans les circonstances, on s'attendrait à ce qu'elle ait été suivie, mais peut-être que la réponse serait d'inclure des dispositions dans ce projet de loi pour qu'il soit très clair que quand un mandat de perquisition vise un journaliste, il faut l'en aviser.
[Français]
Le sénateur Carignan : C'est le cas, parce que si le policier veut regarder l'information, tout est sous scellé. Du moment que le policier désire en prendre connaissance, il est automatiquement dans l'obligation d'aviser, et le journaliste a un délai de 10 jours pour signaler son désaccord ou pour proposer des mesures de protection de la source. Automatiquement, cette situation ne pourrait pas se produire avec un tel projet de loi.
[Traduction]
Le vice-président : Merci, sénateur Carignan, d'avoir pris l'initiative de proposer ce projet de loi.
Pour la seconde heure, nous recevons des représentants de la Coalition des médias canadiens, soit Éric Trottier, éditeur-adjoint et vice-président à l'information à La Presse, ltée; Michael Cooke, éditeur, Torstar Newspaper Ltd., et Sébastien Pierre-Roy, avocat, Chenette, boutique de litige Inc., qui en raison d'un manque d'espace à la table, est assis derrière ses collègues, mais il s'avancera s'ils ont besoin de son aide pour répondre à des questions.
De Radio-Canada, nous recevons Michel Cormier, directeur général de l'information, Services français, qui est bien connu, ainsi que Jennifer McGuire, directrice générale et rédactrice en chef, CBC News.
Du Globe and Mail, nous recevons David Walmsley, rédacteur en chef; nous accueillons également le grand journaliste d'enquête Brian Myles, rédacteur en chef du journal Le Devoir.
Nous vous remercions toutes et tous de votre présence parmi nous pour le témoignage important que vous vous apprêtez à présenter devant le comité.
Monsieur Trottier, à vous de briser la glace.
[Français]
Éric Trottier, éditeur adjoint et vice-président à l'information, La Presse, ltée, Coalition des médias canadiens : Honorables sénatrices et sénateurs, merci de m'avoir invité. Je suis Éric Trottier. J'œuvre dans le journalisme depuis 25 ans, principalement à La Presse.
Si je suis devant vous aujourd'hui, c'est parce que l'automne dernier, nous avons vécu quelque chose que nous ne pensions pas possible dans ce pays. Nous avons appris, par pur hasard, que le Service de police de Montréal avait espionné les communications de notre journaliste, Patrick Lagacé, pendant plus d'un an, alors qu'il n'était soupçonné d'aucune infraction. Pendant ce temps, les policiers ont obtenu les noms, adresses et numéros de téléphone des personnes qui ont échangé avec notre journaliste pendant plus d'une année. De plus, la police avait accès aux données de localisation en direct de notre journaliste.
Peu de temps après ces révélations, nous avons appris qu'au moins six autres journalistes québécois, de Radio- Canada, du Journal de Montréal, de TVA et de La Presse, ont vu leurs échanges téléphoniques être espionnés par la Sûreté du Québec. Dans une autre affaire, Patrick Lagacé a été mis sous surveillance, cette fois après avoir posé des questions au bureau du maire de Montréal au sujet d'une contravention que ce dernier avait reçue. Dans tous les cas, les policiers cherchaient à connaître l'identité des sources confidentielles des journalistes.
Comme tous mes collègues, et comme vous tous aussi sans doute, je suis attaché à une presse libre, sans laquelle une démocratie véritable ne peut exister. Ces mots, vous les avez entendus 1 000 fois, principalement ici, j'en suis sûr. Toutefois, depuis cet automne, ils résonnent avec une vérité nouvelle pour nous. Nous pensions être à l'abri d'intrusions de cette sorte de la part des représentants de l'État. Nous pensions que ce genre de chose n'arrive pas dans une démocratie constitutionnelle comme le Canada. Ces événements ont eu ceci de bon : ils ont permis une solidarité entre tous les médias pour réaffirmer les principes et les valeurs du journalisme. Ils ont été l'occasion également pour les parlementaires de redire combien sacrée est la liberté de presse.
En plus de La Presse, la Coalition des médias canadiens, que je représente ici avec mes collègues autour de la table, est constituée de cinq autres groupes de médias parmi les plus importants au Canada. Nous sommes venus vous dire que nous apprécions la célérité avec laquelle le Sénat a entrepris de déposer et d'étudier le projet de loi S-231. Nous souhaitons vous apporter tout notre soutien.
Sans confidentialité des sources, il ne peut y avoir de journalisme d'enquête ni de journalisme sérieux tout court. Ce projet de loi vise la protection des sources journalistiques mais, au fond, c'est de l'intégrité de nos institutions démocratiques dont il est question.
Le régime législatif actuel est dépassé. La démonstration est faite : des mandats de surveillance de nos journalistes peuvent être obtenus lors d'enquêtes sur des gestes qui ne constituent pas des actes criminels, notamment graves. Les enquêteurs n'ont pas non plus à justifier la violation du caractère confidentiel des sources des journalistes. Sans garantie contre les intrusions policières, les mesures de protection prévues par la Cour suprême ne veulent rien dire. Il est donc nécessaire et urgent de rétablir l'équilibre entre les forces policières et les médias. Or, les mesures proposées par le projet de loi rétablissent l'équilibre, en resserrant la procédure pour obtenir un mandat de surveillance contre un journaliste.
Le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui propose certaines bonifications, mais sachez que, de notre point de vue, le projet de loi, s'il était adopté, apporterait un progrès significatif pour la protection de la liberté de la presse.
Dans l'état actuel des choses, je vous le rappelle, le Canada fait figure de cancre en matière de protection des sources journalistiques quand on le compare aux autres grandes nations occidentales. L'espionnage de journalistes semble, pendant ce temps, être devenu une technique d'enquête routinière pour les forces policières. Nous comptons sur vous pour réécrire l'histoire.
Michel Cormier, directeur général de l'information, Services français, Radio-Canada : Merci de nous recevoir et merci de ce projet de loi, sénateurs. Je suis Michel Cormier, directeur général de l'information des Services français de Radio- Canada.
Une des composantes essentielles du mandat de Radio-Canada, comme diffuseur public, est d'éclairer le public en lui fournissant une information juste et complète. Les reportages d'enquête que nous produisons ne seraient pas possibles sans la collaboration de sources confidentielles dont la protection est au cœur de leur contribution.
Vous conviendrez que c'est avec un certain désarroi qu'on a appris, le 3 novembre 2016, que la Sûreté du Québec avait obtenu, trois ans plus tôt, un mandat d'un juge de paix que soit ordonné à des entreprises de téléphone de communiquer les registres d'appels entrants et sortants de trois des plus réputés journalistes d'enquête de Radio- Canada : Alain Gravel, Marie-Maude Denis et Isabelle Richer.
Cette ordonnance couvrait une très longue période, près de cinq ans, soit du 1er novembre 2008 au 1er octobre 2013, ce qui équivaut justement à la période où l'émission Enquête fouillait la question de la corruption dans l'industrie de la construction au Québec de façon très large. Pour nous, c'est possiblement cinq ans de sources confidentielles qui auraient pu être exposées, non seulement sur ces enquêtes, mais sur d'autres enquêtes dans lesquelles nous travaillions aussi, donc des dizaines et des dizaines d'enquêtes, des centaines de sources. C'est la gravité de ce qu'on a obtenu. Deux journalistes de La Presse et un journaliste du Journal de Montréal avaient aussi été visés par des ordonnances similaires, comme l'a dit mon collègue, Éric Trottier.
Ce qui est particulièrement troublant, c'est que la SQ ait demandé à un juge de paix d'ordonner que soient remis des renseignements pouvant identifier de nombreuses sources journalistiques pendant une période de cinq ans sans qu'aucune mesure de protection des sources ne soit mise en place. Cette demande a été faite sans que personne ne soit mis au courant non plus. N'eut été de la crise engendrée par l'affaire Lagacé, jamais Radio-Canada, ses journalistes, les médias et le public n'auraient été informés de cette grave atteinte à la liberté de la presse et à la protection des sources journalistiques. Il faut également souligner que l'enquête de la SQ s'est terminée en 2014 sans qu'aucune accusation ne soit déposée contre qui que ce soit.
C'est ce qui nous amène, en gros, à appuyer ce projet de loi. Nous aurions certains amendements à proposer. Je vais en proposer un, qui porte sur la participation des journalistes dans ces débats judiciaires.
Or, il faut s'assurer que le projet de loi S-231 permettra la participation, le plus systématiquement possible, des journalistes et des médias dans les débats judiciaires. Nous avons la conviction que les problèmes que nous avons vécus au cours de la dernière année trouvent en grande partie leur source dans l'absence de transparence du processus.
L'expérience démontre que la participation des journalistes aux débats qui touchent des questions de transparence du processus judiciaire apporte habituellement un éclairage essentiel aux tribunaux. Nous ne comptons plus le nombre d'ordonnances de non-publication qui ont été émises par un juge, puis revues souvent par le même juge après qu'il a eu l'occasion d'entendre le point de vue des médias. Il y a donc nécessité, à notre avis, d'un préavis.
Nous croyons que, dans la très grande majorité des cas, il n'y aura aucun empêchement à donner un préavis aux journalistes avant d'émettre un mandat ou une ordonnance les concernant, et c'est pourquoi nous proposons un amendement en ce sens. Je vais laisser à ma collègue, Jennifer McGuire, le soin de vous exposer plus en détail cette proposition.
[Traduction]
Jennifer McGuire, directrice générale et rédactrice en chef, CBC News, Radio-Canada : Je m'appelle Jennifer McGuire et je suis directrice générale et rédactrice en chef de CBC News. Je tiens à tous vous remercier à mon tour pour cette occasion de prendre la parole aujourd'hui.
L'amendement dont je souhaite discuter est simple, et il offre une solution au problème important décrit par Michel, soit que la seule perspective entendue par la cour est celle de la police. Il est certain que l'intérêt public nécessite une plus grande considération. Nous proposons qu'avant qu'une décision ne soit rendue, le journaliste concerné puisse expliquer pourquoi, dans certains cas, l'intérêt public peut être mieux servi par la protection d'une source que par le partage de l'information avec les autorités policières.
Cette proposition s'appuie sur une des dispositions les plus fortes qui se trouve déjà dans le projet de loi S-231, c'est- à-dire la disposition qui établit clairement qu'un mandat ne peut être donné par un juge de paix, nécessitant plutôt une audience devant un juge d'une cour provinciale ou supérieure. Il s'agit d'un excellent point de référence. Après tout, l'obtention d'un mandat lié à un média d'information devrait être l'exception, pas la norme.
Un rapport préparé l'an dernier pour le conseil municipal de Montréal concluait que dans les dernières années, plus de 98 p. 100 de toutes les demandes de mandat présentées à un juge de paix par la police de Montréal ont été approuvées. C'est pourquoi il faut manifestement relever le niveau d'exigence.
Nous reconnaissons que dans certains cas, l'information puisse être trop critique pour qu'un journaliste y ait accès. Dans notre proposition, nous répondons à cette préoccupation en demandant la désignation d'un avocat spécial, similaire à la fonction d'amicus curiae, lequel pourrait, après avoir passé en revue la divulgation, faire les représentations nécessaires auprès du juge.
En acceptant nos suggestions, vous pourriez atteindre un meilleur équilibre entre les objectifs principaux de ce projet de loi : protéger les sources journalistiques tout en donnant à la police les outils dont elle a besoin pour faire son travail.
Je ne peux imaginer un meilleur moment pour réaffirmer l'engagement de notre pays envers la liberté de la presse. Les Canadiens méritent et demandent d'être informés. Soyez-en sûrs : un journaliste d'enquête de qualité compte pour beaucoup. Les sources confidentielles jouent un rôle clé dans nos reportages les plus importants.
Je vais ajouter un exemple à la liste que vous avez déjà entendue aujourd'hui. Pensez à la question du harcèlement sexuel au sein de la GRC. Les reportages de Radio-Canada ont fait plus qu'exposer les méfaits. Ils ont mené au changement, ils ont préservé l'intégrité de l'une des institutions les plus critiques au Canada et, ultimement, ils ont contribué à la confiance du public.
Le contexte actuel met les sources confidentielles à risque et a un effet dissuasif sur elles, ce qui nous empêche d'effectuer une partie de notre travail. Nous avons besoin d'une plus grande protection. C'est pourquoi nous trouvons encourageant le projet de loi S-231 et nous espérons qu'il sera adopté.
Notre proposition modeste permettrait de grandement améliorer ce projet de loi et de préserver l'équilibre délicat nécessaire pour servir l'intérêt public. Cela permettrait d'établir une instance d'arbitrage dans l'éventualité où des autorités soumettraient une demande exagérée ou mal ficelée. Et cela permettrait au juge d'avoir une perspective plus large sur les enjeux en cause.
Nous sommes prêts à répondre à vos questions. Je vous remercie encore une fois.
Michael Cooke, éditeur, Torstar Newspaper Ltd., Coalition des médias canadiens : J'aimerais remercier le sénateur Carignan de son appui éclairé et indéfectible à ce projet de loi. Je suis d'accord avec son essence et pratiquement avec chaque mot qu'il contient. J'en ajouterai quelques-uns de mon cru pour faire ressortir certains éléments.
Je suis l'éditeur du Toronto Star. Pour bien d'autres journalistes que je connais, comme pour vous aussi, la communication semble difficile entre les journalistes et les policiers. La plupart du temps, nous avons pourtant les mêmes idéaux. Chacun à notre façon, nous cherchons la vérité et travaillons à exposer tout acte répréhensible. Je trouve donc particulièrement inquiétant que le Canada soit l'une des rares petites démocraties occidentales sans loi- bouclier pour protéger les journalistes. C'est un club sélect dont nous ne devrions pas faire partie.
Il est vrai qu'on trouve dans la jurisprudence la notion de protection des sources confidentielles, mais le problème réside dans son application, parfois par oubli ou ignorance, simplement, du fait que beaucoup d'enquêtes journalistiques commencent par une confidence faite par un lanceur d'alerte. Comme le caillou du proverbe qui déclenche une avalanche, il suffit parfois qu'un citoyen inquiet, un fonctionnaire ou un agent de police se confie à un reporteur en qui il a confiance. Souvent, si la nouvelle est assez importante pour soulever l'intérêt du public, elle déclenche une enquête publique, une enquête criminelle ou la modification de la loi. Parfois les trois, dans un merveilleux tiercé qui prouve la valeur de notre presse libre.
Cette presse libre évolue et fait de nos collectivités de meilleurs milieux de vie. J'oserais dire que les reportages qui catalysent de tels changements sont beaucoup plus fréquents ici que ne le pensent les Canadiens. Ils sont publiés en anglais et en français. On les entend à Radio-Canada dans les deux langues, grâce à l'émission Enquête, à CTV avec W5, et on les lit dans le Globe and Mail, par exemple l'enquête actuelle sur le traitement, par la police canadienne, des plaintes de viol, et dans le Toronto Star de vos humbles serviteurs. Ce travail qui conduit à la dénonciation des scandales, dont la révélation provoque le changement, on le célèbre, on l'applaudit partout dans notre pays, particulièrement notre propre gouverneur général, grâce au prix Michener de journalisme attribué aux organisations de presse révélant négligences ou méfaits, et cette reconnaissance mène au changement. Des lanceurs d'alerte en sont presque toujours à l'origine.
Vous vous rappellerez peut-être les enquêtes du Toronto Star sur les allégations de consommation de crack par le maire de Toronto de l'époque, Rob Ford. Le maire et son frère, qui était conseiller municipal, les avaient niées en crachant sur le journal. La controverse publique et les dénégations ont duré de nombreux mois, jusqu'à ce que le maire soit obligé d'avouer ses mensonges aux Torontois. Ces révélations qui étaient d'intérêt public, les prix Michener et le travail de mes collègues ici présents auraient été impossibles n'eût été ces sources anonymes qui ne doutent pas de la protection des journalistes.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, les événements des derniers mois au Québec m'inquiètent. D'après ce que nous avons appris depuis, aucune des enquêtes ayant entraîné l'autorisation généralisée, par des juges, de recueillir des enregistrements de sources confidentielles n'a semblé porter sur des crimes graves ou des crimes pour lesquels le journaliste lui-même faisait l'objet de l'enquête. Au contraire, elles visaient toutes à seulement découvrir l'identité de lanceurs d'alerte ou même de faire cesser de simples fuites internes dans la police. C'est inquiétant, principalement parce que la Cour suprême du Canada a fixé des règles à suivre avant que n'importe qui puisse poser des questions sur les sources confidentielles. Pourtant, toutes ces règles ont été enfreintes au Québec, et c'est la raison pour laquelle il faut que la loi change.
Nous ne demandons pas de la chambouler pour protéger le journalisme contre la police. Nous demandons de meilleures garanties, une meilleure reddition des comptes, plus de transparence. Nous soutenons que l'adoption du projet de loi empêchera la police de se servir des moyens employés jusqu'ici pour réprimer les auteurs des fuites internes ou harceler les journalistes, parce que les précautions constantes, intelligentes et méticuleuses des tribunaux ne feront délivrer des mandats d'enquête sur des crimes très graves qu'en cas d'absolue nécessité. Voilà pourquoi nous proposons ces modifications.
Notre position est la suivante : toutes les enquêtes ne justifient pas l'intrusion de la police dans les rédactions. D'accord, certains crimes comme les agressions sexuelles ou la pornographie infantile pourraient faire exception, mais pas la possession de faux papiers ni de petits crimes de nuisance générale ni le vol d'une babiole ou le simple fait d'embarrasser la police.
[Français]
Je vous remercie de m'avoir écouté.
[Traduction]
Le vice-président : Merci, monsieur Cooke.
Maintenant, entendons le rédacteur en chef du Globe and Mail, M. David Walmsley.
David Walmsley, rédacteur en chef, le Globe and Mail : Je vous remercie de prendre le temps d'examiner l'importante question dont nous sommes saisis aujourd'hui.
Il existe de bonnes raisons pour que des sources soient confidentielles. Pendant des décennies, l'intérêt public, au Canada, a profité de la dénonciation de méfaits par des personnes qui, souvent, prenaient un grand risque personnel. Le Globe and Mail appuie l'initiative du projet de loi, lequel applique des normes plus rigoureuses qui conviennent aux conditions complexes et capitales du journalisme renseigné par des sources. Le projet de loi exige davantage de l'État, c'est-à-dire que, à l'avenir, l'autorisation d'un juge devra être discutée devant le juge d'une instance supérieure, et, relativement à la divulgation de l'identité de la source, la preuve incombera à la police plutôt qu'au journaliste.
Ensuite, le projet de loi uniformise le traitement de tous les documents mis sous scellés, en ajoutant un niveau de protection à la complexité de nos rapports avec nos sources.
Si je peux ramener le comité sept ans en arrière, le Globe and Mail a mené, en 2010, un combat juridique de tous les instants jusqu'à la Cour suprême pour protéger le secret des sources qui avaient contribué à notre enquête sur le scandale des commandites. Dans cette enceinte, j'ai entendu les arguments et j'ai reconnu les enjeux. À la fin, nous avons eu gain de cause.
Ce tribunal suprême a reconnu que même si la Constitution n'accordait pas aux journalistes et aux sources une protection générale, les journalistes et l'État étaient assujettis à des règles claires, les quatre critères dits de Wigmore, sur la préservation du secret d'une source.
À noter que la facture de cette victoire du Globe and Mail s'est élevée à 1 million de dollars, montant que très peu d'organisations médiatiques sont capables ou même ont le goût de dépenser et, après une telle dépense, nous attendons des résultats.
Ce n'était certainement pas de nous retrouver ici, sept ans après, pour réagir à des agissements qui faisaient fi de la loi.
Nous, de l'industrie, nous sommes scandalisés par les faits récemment révélés au Québec. Quelqu'un peut-il laisser entendre que la Commission Charbonneau n'était pas d'intérêt public? Qu'elle existerait même sans de braves sources et un journalisme qui inspire la confiance? Il faut défendre et protéger le travail impeccable du journalisme d'enquête. L'arrêt de la Cour suprême pour lequel nous nous sommes tellement battus en 2010 a manifestement besoin de renforts. Le projet de loi, parrainé par un sénateur, va encore plus loin pour donner cette assurance. Merci.
Le vice-président : Merci, monsieur Walmsley.
Entendons maintenant le rédacteur en chef du Devoir, M. Brian Myles.
[Français]
Brian Myles, directeur, Le Devoir : Je vous remercie, monsieur le président, de me recevoir aujourd'hui. À titre de directeur du journal Le Devoir, j'appuie également le projet de loi S-231. Je devrais tout d'abord remercier le sénateur Carignan d'avoir pris l'initiative de déposer un projet de loi et d'avoir réussi le miracle de générer un quasi-consensus parmi les patrons de presse et les éditeurs du Québec et du Canada. C'est très difficile d'amener tous ces gens à des consensus. Chapeau à vous, sénateur Carignan! Vous avez réussi à le faire, parce que le projet de loi répond à plusieurs de nos préoccupations. Je ne repasserai pas sur l'importance du journalisme d'enquête, vous êtes tous à même de comprendre qu'il n'y a aucune enquête journalistique digne de ce nom qui peut aboutir en l'absence de sources confidentielles.
Je me permettrai une seule nuance; il y a des sources et il y a des documents. Il est aussi important de protéger la source que le matériel et de protéger ce qui est diffusé et ce qui n'est pas diffusé également, puisque dans une enquête journalistique, il y aura un ensemble de sources qui nous amènera à faire une démarche. La partie visible est la source citée de manière anonyme, dans le journal, c'est celle qui apparaît derrière le paravent à la télévision, mais il y en a aussi plusieurs autres en amont qu'il faut protéger.
Il est important d'envisager le journalisme comme un métier et non pas comme une profession. Si on tente de vous amener à l'idée qu'il faut définir le groupe des journalistes, je vous invite à résister à cette tentation. Il n'y a pas de consensus dans notre métier pour qu'il devienne une profession. Les leçons du grand jugement, le grand arrêt de la Cour suprême dans la cause « Ma chouette », qui a été plaidée avec courage par le Globe and Mail et d'autres médias, c'est que nous formons un groupe hétérogène et mal défini, et que nous ne pouvons pas avoir accès à un statut ou à une protection quasi constitutionnels. On s'est accommodé d'un privilège qualifié, d'une logique du cas par cas que les tribunaux appliquent où il y a un travail d'équilibrage des droits en présence. Les droits ne sont pas hiérarchisés dans notre environnement constitutionnel. Ils sont en compétition les uns avec les autres. On a appris à vivre avec cette espèce de système. Le test de Wigmore nous a donné une assurance assez grande que le journalisme d'enquête et les sources allaient être protégés. Le projet de loi devient intéressant, justement parce qu'il réconcilie cette logique du cas par cas avec le test de Wigmore.
Je vous invite à bien comprendre qu'on n'a pas nécessairement besoin d'envisager le statut professionnel et la protection des sources pour y arriver. Plusieurs pays et plus d'une trentaine d'États aux États-Unis ont réussi à donner aux journalistes des lois sur la protection des sources sans qu'il y ait un statut professionnel pour les journalistes. La clé du succès est d'offrir une définition assez large de l'activité journalistique. Il y a des inquiétudes quant à savoir où on trace la ligne. Est-ce qu'un blogueur à la solde des Hells Angels pourrait obtenir la protection des sources? Je vous dirais qu'il y a des moyens de ne pas arriver là. D'abord, en faisant confiance au jugement des tribunaux supérieurs qui attribueront une valeur à l'activité journalistique et, ensuite, en précisant peut-être un peu la définition de journaliste. Pour ce faire, je vous invite à suivre la définition utilisée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, organisation qui aura bientôt 50 ans et qui regroupe l'essentiel des journalistes professionnels actifs au Québec.
Il serait important qu'une éventuelle loi sur la protection des sources soit appliquée par les tribunaux supérieurs et les juges de cours supérieures, et que l'on ne permette pas aux juges de paix ou aux magistrats de mettre le nez dans l'évaluation des demandes, parce que c'est précisément le problème qu'on a connu au Québec. À ceux et celles qui se demandent si on est à légiférer un problème québécois, je vous réponds, non. C'est un problème national qui se présente malheureusement avec une plus grande acuité au Québec en ce moment. Lorsque la GRC décide de mettre sous surveillance Joël-Denis Bellavance, qui est présent aujourd'hui, c'est un corps de police fédérale avec des pouvoirs fédéraux qui agit en vertu d'une loi fédérale, le Code criminel. Il ne faut pas être trop naïf et ne pas s'imaginer que le problème est un problème typique du Québec et des policiers québécois. Il nous concerne tous.
Maintenant, abordons la définition du terme « journaliste ». Il faudrait modifier certains aspects du projet de loi, aussi complet soit-il, notamment à l'article 39.1. J'estime qu'on devrait inclure les journalistes, ceux qui contribuent ou qui ont contribué. Encore une fois, le meilleur exemple est le scandale des commandites. Les faits et gestes ont été posés en 1998, le scandale a éclaté vers 2004, et un dernier coupable a été envoyé en prison il y a à peine un mois. La protection doit s'étendre sur une longue période de temps, y compris pour des journalistes qui auraient pu quitter le métier. Il faudrait aussi inclure les supérieurs, les cadres en autorité qui ont accès aux secrets des sources, et il faut amener cette distinction et s'assurer qu'on protège autant le contenu journalistique, le factuel, que le contenu d'opinion, c'est-à-dire la chronique ou l'éditorial parce que, vous serez peut-être surpris de l'apprendre, on fait aussi parfois des chroniques à l'aide de sources anonymes.
Si vous deviez rechercher un supplément de confort sur ce qu'est ou n'est pas un journaliste, je vous lis telle quelle la définition que la FPJQ utilise depuis près de 50 ans. La FPJQ reconnaît comme journaliste la personne qui, sans exercer en parallèle un métier ou des fonctions incompatibles avec le journalisme et sans être en conflit d'intérêts avec la pratique du journalisme, a pour occupation principale, régulière et rétribuée l'exercice du journalisme.
À partir du moment où on a cette pierre d'assise, les tribunaux supérieurs seront capables de faire la part des choses entre ceux qui méritent la protection et ceux qui ne la méritent pas. Ce système est assez souple pour protéger d'éventuels blogueurs. Il y a 10 ans, on n'aurait jamais pensé qu'un site web ou que Vice Media demanderait la protection des sources. Aujourd'hui, elle a un cas clair, net et précis de protection des sources qui met en opposition la sécurité nationale. Il m'apparaît que les journalistes de Vice Media méritent la protection, d'où l'importance — et je salue votre préoccupation, sénateur Carignan — de garder la définition assez large et de ne pas trop codifier.
Aux paragraphes 39.1(7) et suivants, on devrait se donner un concept plus protégé, plus sécuritaire. L'organisme ou la personne qui fait la demande devrait faire la preuve qu'elle a épuisé tous les moyens d'enquête raisonnables. Au fond, on parle de policiers qui cherchent dans les sources et viennent en faire la preuve aux juges. Il faut s'assurer que ces policiers fassent cette démonstration. Si vous vous inquiétez du renversement du fardeau de la preuve, je vous dirais que c'est déjà acquis grâce à l'arrêt Dagenais, qui fait en sorte que la règle dans les procès, c'est qu'ils soient publics, et que l'interdit, c'est qu'il y ait des ordonnances de non-publication. L'arrêt Dagenais a aussi amené dans les tribunaux un renversement du fardeau de la preuve. C'est le demandeur d'une ordonnance de non-publication qui doit convaincre qu'il est dans l'intérêt public d'obtenir ladite ordonnance. Le fardeau n'est pas aux journalistes et aux médias de prouver que le débat doit être public.
J'ajouterais — toujours aux paragraphes 39.1(7) et suivants — qu'un juge doit prendre en considération l'importance du journalisme d'enquête pour combler le déficit de nos institutions démocratiques. Il est important de le faire afin qu'on puisse pondérer la liberté de presse avec les autres droits.
Pour tout ce qui touche la modification du Code criminel, j'ai eu l'occasion de lire le mémoire de mes collègues et je m'y rallie à 100 p. 100. Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Je remercie tous les témoins de nous avoir communiqué des modifications très utiles et les faits remarquables qui expliquent certains de ces mandats. Le Code criminel est censé accorder des protections. À moins d'en avoir violé des articles, et je suppose qu'on donne le soin à une enquête de le divulguer, les faits exposés aujourd'hui sont certainement une esquisse inquiétante du sort subi par ces journalistes.
Passons aux questions, que j'espère les plus courtes possible, tout comme les réponses.
[Français]
Le sénateur Joyal : Premièrement, est-ce que ce projet de loi, d'après vous, mettra fin à la pêche aux informations? Je pense à M. Trottier et autres qui ont été suivis pendant cinq ans. On espère qu'on va finir par trouver quelque chose. Cela m'apparaît être un des éléments les plus importants du vice du système.
Ma deuxième question s'adresse à Mme McGuire.
[Traduction]
En ce qui concerne l'avocat spécial, j'ai posé la question plus tôt parce que, la première mouture de la Loi antiterroriste que j'ai connue, en 2001, ne disait rien à son sujet. Nous en avons fait la proposition, et, en fin de compte, la Cour suprême en a confirmé la nécessité quand il y a conflit d'intérêts; et l'intérêt public, bien sûr, est l'objectif suprême.
Pourriez-vous en dire un peu plus sur les rapports actuels, en général, avec les médias?
[Français]
Ma première question s'adressait à M. Trottier.
M. Trottier : Dans la mesure où il n'y a pas de protection sérieuse accordée aux sources, on pourrait mettre fin à la pêche aux informations avec ce projet de loi, ou à tout le moins diminuer le genre d'occasion dont disposerait la police.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Comme le sénateur Sinclair l'a dit, il n'est pas obligatoire d'avertir le journaliste après un certain temps. Autrement dit, le projet de loi ne fixe aucun délai. Voilà pourquoi je pense que la remarque du sénateur Sinclair est importante, si on veut encadrer ce qu'on appelle l'expédition de pêche. Actuellement, la manœuvre n'a pas de fin déterminée. Si nous voulons la limiter, nous devons établir des critères ou fixer un délai à la police, aux forces de sécurité ou à quiconque a l'obligation de signaler qu'il l'a fait. Sinon, je ne vois pas comment nous pouvons réellement nous attendre à beaucoup de changements.
[Français]
M. Trottier : C'est un bon point. Notre avocat, maître Pierre-Roy, qui nous accompagne et qui a écrit le mémoire, pourrait peut-être vous en dire davantage.
[Traduction]
Sébastien Pierre-Roy, avocat, Chenette, boutique de litiges inc., Coalition des médias canadiens : Nous sommes persuadés que l'ordonnance de mise sous scellés qui s'applique automatiquement lorsque les données touchant un journaliste sont saisies aura cet effet, parce que si la police veut accéder à l'information, elle devra donner un préavis. Alors, même si l'enquête dure longtemps, avant que les données ne puissent être consultées et la source révélée, l'avis aura été donné, ce qui nous satisfait.
En ce qui concerne l'avocat spécial, les mécanismes de la loi sur l'immigration sont complexes, mais ça se résume à autoriser l'accès des données et des renseignements à un avocat qui pourra ensuite contester certaines allégations ou simplement proposer de meilleures solutions et limites, qui peuvent même simplifier le problème ultérieurement. Voilà pourquoi c'était l'une des solutions auxquelles nous songions.
Le sénateur Joyal : Qui serait chargé de désigner cet avocat spécial et, cet avocat spécial, de qui relèverait-il? Vous le représentez-vous, par exemple, provenant d'un vivier d'avocats compétents, aux yeux des médias, dans le domaine du journalisme et du fonctionnement des médias, en général?
M. Pierre-Roy : Je suis certainement candidat.
En fait, pour des interventions fructueuses, il faudrait des avocats possédant une certaine expérience du droit des médias. Il existe une organisation canadienne d'avocats des médias appelée Ad IDEM. Elle rassemble des avocats à la retraite et de nouveaux membres qui peuvent tous agir en qualité de fonctionnaires judiciaires et être tenus au secret absolu. Ça se fait dans le contexte de l'immigration. Nous croyons que ça pourrait être étendu au cas qui nous occupe.
Le sénateur Joyal : Monsieur Cooke, je vous vois hocher la tête.
M. Cooke : J'allais ajouter que je pense que l'une des idées intéressantes et importantes entendues aujourd'hui est, pour répondre à votre question, celle de cesser de confier la délivrance de ces ordonnances à une simple cour de paix et de la confier à une instance supérieure qui en aurait la juridiction. J'ai moi-même constaté que le fait de s'adresser à des juges de paix pour ces mandats de perquisition, c'est comme jouer à pile ou face. Il faut s'adresser à un tribunal plus expérimenté.
[Français]
M. Cormier : Si je peux me permettre, sénateur Joyal, l'une des raisons pour lesquelles la partie de pêche a duré cinq ans, c'est qu'on n'était pas au courant qu'elle avait lieu. Alors, si on est tenu de nous informer et que nous avons le droit de contester l'injonction avant qu'elle soit émise, il sera difficile de nous espionner à notre insu pendant une période aussi longue.
Le sénateur Joyal : Ne devrait-il pas y avoir des limites à l'autorisation d'espionnage? Pour certaines écoutes électroniques, l'obtention du mandat est pour une période déterminée et, ensuite, les autorités doivent retourner devant le juge. Il y a des crans d'arrêt dans le système, et c'est ce qui m'apparaît être essentiel si on veut encadrer ces initiatives des forces policières afin qu'elles restent centrées sur l'intérêt de l'objectif à atteindre et pas simplement ouvertes à tout vent pour tenter d'attraper quelque chose.
M. Cormier : C'est un bon point.
[Traduction]
Le vice-président : Demain matin, nous recevons des représentants de l'Association canadienne des avocats en droit des médias, et c'est une excellente question. Comme vous le savez, dans les circonstances normales, un tel mandat peut avoir une durée d'un an. Un rapport doit être produit après trois mois, il est destiné au juge, après quoi il faut obtenir l'autorisation de poursuivre, mais le mandat ne peut pas durer plus d'un an; vous avez absolument raison.
Le sénateur Joyal : Et vous vous rappelez que nous avons adopté ce projet de loi ici même, dans notre comité.
Le président : Oui. Vous avez raison.
Le sénateur Pratte : M. Myles en a parlé, mais je voudrais entendre d'autres témoins à ce sujet, lequel a été soulevé plus tôt par le sénateur White.
Le problème de la surveillance des journalistes a été perçu par certains comme un problème exclusivement québécois. Beaucoup m'ont demandé pourquoi il fallait légiférer à l'échelon fédéral, modifier la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel, vu le caractère exclusivement québécois du problème. Je voudrais entendre d'autres témoins.
M. Walmsley : Je pense que nous essayons ici de satisfaire à un critère d'excès, et, en général, ceux qui peuvent se permettre des excès sont ceux qui s'y adonneront. Ce n'est pas purement provincial. Le Globe and Mail doit combattre des manifestations de l'ambition démesurée de l'État dans tout le pays. Je me sens donc à l'aise pour affirmer que le problème est de ressort fédéral.
[Français]
M. Trottier : Je rappelle que le SCRS ne peut pas s'engager à dire qu'il n'y en a pas eu ou qu'il n'y en aura pas. La GRC n'a pas hésité à faire suivre deux de nos journalistes, en 2007 et en 2008, pendant une assez longue période. Il est clair qu'avec la technologie qui est à notre portée, un enquêteur ambitieux serait fou de ne pas utiliser tous les moyens à sa disposition. Ce que le projet de loi veut faire, c'est mettre des obstacles à cette belle ambition qu'ont certains de nos policiers.
Le sénateur Pratte : Je suis évidemment favorable au projet de loi, et cela ne surprendra personne. Je veux toutefois être bien sûr qu'on procède de la façon correcte et que l'équilibre entre la recherche de la vérité et la protection des sources journalistiques soit bien respecté. C'est pourquoi je suis rassuré de voir que, dans le mémoire de la Coalition des médias canadiens, on tient compte, dans les modifications à apporter au Code criminel, de la gravité du crime.
Pour ce qui est des modifications à la Loi sur la preuve au Canada, je vois qu'il n'en est pas question. Ne serait-ce pas une bonne idée d'inclure cette notion dans les modifications à la Loi sur la preuve?
M. Pierre-Roy : Nous voyons ces questions comme deux différents terrains de jeu. Il y a la nécessité de protéger les journalistes contre les enquêtes policières qui vont trop loin, ce qui est traité dans les modifications au Code criminel. C'était la question la plus urgente.
Pour ce qui est de la Loi sur la preuve, on a un privilège contre le témoignage. On a un privilège contre les interrogatoires qui pourraient avoir lieu dans une arène déjà bien délimitée, avec un juge qui sera saisi de la question. Bien souvent, on ne se trouvera pas dans un contexte criminel. C'est la raison pour laquelle nous n'avions pas, dans notre mémoire, inclus la notion de gravité du crime en ce qui a trait à la Loi sur la preuve, puisque, de toute façon, la discussion peut avoir lieu pleinement, selon les critères établis, devant un juge qui rendra une décision. Ce sera rarement fait dans le secret.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci à vous tous d'être ici.
Nous reconnaissons tous l'importance vitale d'une presse libre, de la liberté d'information et du besoin de protéger les sources journalistiques pour faciliter l'exercice de ces libertés. Mais je suppose que nous serions aussi d'accord sur l'importance première de la sécurité pour notre pays, et certaines des situations importantes dont nous avons entendu parler, aujourd'hui et dernièrement, découlent de l'opposition entre ces deux priorités.
D'après ce que j'ai compris, les tribunaux se contentent de décider de ces questions au cas par cas. Entrevoyez-vous des problèmes par suite de la codification de la protection des sources journalistiques dans notre droit? Je vous pose la question à vous deux, MM. Walmsley et Myles. Est-ce que cela procure une souplesse suffisante pour régler une urgente question de sécurité nationale, par exemple, ou encore, la nécessité de protéger les sources journalistiques est- elle absolue, d'après vous?
M. Walmsley : La protection des sources, particulièrement quand il est question de sécurité nationale, est probablement le problème le plus complexe que nous ayons à résoudre. Je ne crois absolument pas que la police qui s'occupe des questions de sécurité nationale pense que le journaliste soit peut-être le premier acteur qu'elle doit considérer, mais, souvent, quand le journaliste parle à d'éventuels criminels, il s'expose à se faire cueillir.
Il faut un équilibre relatif. Je pense que l'idée d'un ami de la cour est très utile dans le domaine de la sécurité nationale, domaine que je séparerais presque de la protection des sources en général.
Rappelons-nous qu'il faut, d'après la Cour suprême, chouchouter assidûment les sources. L'information ne circule pas dans un dossier portant le nom complet de son auteur, elle n'est pas obtenue en passant par là, comme par hasard. On l'obtient par des discussions suivies et des rapports de confiance qui se sont développés graduellement et dont on peut montrer le développement.
Je ne parviens pas à me représenter de cas où la sécurité nationale, si c'est dans un contexte de menace imminente, satisferait à un critère concernant les rapports avec des sources.
[Français]
M. Myles : Depuis les arrêts National Post et Globe and Mail, « Ma Chouette », la protection des sources est tout de même relativement circonscrite.
Je dois vous rappeler que, comme pays du G7 faisant partie du Commonwealth et comme démocratie en santé, nous sommes parmi les derniers de classe en matière de protection des sources. On a une absence complète de loi pour protéger les sources. Le régime actuel ne permet pas d'avoir le degré de confort que l'on recherche lorsqu'il est question d'écoute, de surveillance, d'accès aux données GPS d'un téléphone cellulaire, où l'intrusion policière se fait de manière très rapide avec des juges de paix qui autorisent des mandats de façon complaisante.
Ce n'est pas tant un enjeu de sécurité nationale ou d'enquête qu'il faut faire avancer, mais de paresse policière. Les policiers tournent les coins ronds et vont directement aux carnets d'adresses des sources journalistiques pour faire avancer une enquête. Bien souvent, c'est pour débusquer un sonneur d'alarme à l'interne et le sanctionner d'avoir parlé aux médias. Dans ma pratique, j'ai vu de tels cas. Dès que quelqu'un parle, ce qui est grave pour les institutions publiques et, à plus forte raison, les organisations policières, ce n'est pas ce qu'il a dit, c'est le fait qu'il ait parlé. Le projet de loi permettrait d'éviter ces expéditions punitives.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Je tiens à vous questionner tous sur les passages frontaliers. Vous savez qu'ils échappent à l'obligation d'être munis d'un mandat. Les agents de la sécurité frontalière croient avoir le droit de fouiller votre ordinateur, votre téléphone et votre personne, vos chaussures, vos cavités corporelles et ils se permettent tout. Croyez- vous que les journalistes devraient bénéficier d'une protection supérieure à celle des non-journalistes?
Si je vous prends en défaut, j'en suis désolé.
M. Cormier : Absolument.
M. Walmsley : Je suis heureux d'y répondre.
Je pense que le premier critère d'une fouille personnelle est de ne pas passer inaperçue du principal intéressé, contrairement aux expéditions de pêche dont nous avons été informés.
Nous savons qu'il y a eu un resserrement des frontières ces dernières semaines et que les journalistes sont plus nombreux qu'auparavant à faire l'objet de contrôles secondaires lorsqu'ils entrent aux États-Unis. Quand nous allons aux États-Unis, nous prenons désormais des mesures pour protéger nos sources dans une plus grande mesure que nous le faisions il y a quelques mois seulement.
Nous suivons de nouveaux protocoles à titre préventif pour tenter de restreindre l'accès à nos sources et d'assumer notre responsabilité à l'égard des relations que nous entretenons avec elles. L'objectif n'est pas d'empêcher la nation de s'attaquer à nous.
Lorsqu'un journaliste établit une relation avec une source, il lui appartient autant de protéger la source que d'empêcher l'État de la découvrir. Puisque la technologie permet désormais l'écoute illicite et d'autres pratiques dont nous n'avons pas connaissance, nous devons mettre au point des protocoles plus rigoureux et stricts que jamais. C'est d'ailleurs un enjeu réel à l'heure actuelle.
Je dirais donc que les journalistes doivent bel et bien être protégés sans tarder.
Le sénateur Sinclair : Le problème s'est présenté chez les journalistes autochtones qui couvraient l'impasse relative au pipeline au Dakota du Nord, par exemple, qui ont tous été fouillés lorsqu'ils ont traversé la frontière.
Mme McGuire : Il nous est arrivé que le téléphone cellulaire d'un journaliste soit confisqué, après quoi celui-ci a décidé de rebrousser chemin plutôt que de franchir la frontière.
Le sénateur Sinclair : Je me pose aussi des questions sur la protection des écrivains et des producteurs de films dans des cas particuliers, par exemple si un romancier ou un auteur écrit un livre à propos d'une forme de criminalité. Prenons l'exemple de l'auteur qui a raconté l'histoire des Hells Angels et qui a parlé à bien des gens alors qu'il était peut-être journaliste, ou peut-être pas. Disons qu'il n'était pas un journaliste selon la définition employée ici, qui semble nécessiter une contribution régulière ou occasionnelle, c'est-à-dire plus ou moins fréquente à un média. Qu'en est-il de la protection dont ont besoin les auteurs et les producteurs de films qui essaient de préparer un projet unique, ou même de ceux qui parlent à une source d'information unique sans nécessairement établir de relation avec elle? Pensez-vous que ces personnes ont besoin de protection ou qu'elles sont protégées par les dispositions du projet de loi?
M. Walmsley : Je pense que la question à se poser ne réside pas du côté de l'employeur. Il peut s'agir d'un pigiste, catégorie dans laquelle je placerais le groupe dont vous parlez.
Le fardeau de la preuve prévu au projet de loi vise à protéger ceux qui essaient de mettre au jour les injustices. Qu'il s'agisse d'un film, d'un livre ou d'un autre médium, si l'auteur dépend de personnes dont les propos outrepassent le mandat officiel, il mérite qu'on lui offre une protection aux termes de l'infraction relative à l'intérêt public plutôt qu'à des mécanismes de défense des employés.
M. Cooke : En effet, il incombe toujours au juge de trouver le juste équilibre entre les différents intérêts. Je suis porté à m'en remettre à l'excellent jugement de la Cour suprême du Canada d'il y a quelques années, qui se rapportait aux lois sur la diffamation. Voilà qui était un véritable cadeau pour les journalistes et les Canadiens. Je me rappelle du contexte de la décision, et j'essaie d'interpréter la loi du point de vue des juges de la magistrature ce jour-là.
M. Cormier : Si l'objectif est de déterminer qu'il s'agit d'activités journalistiques, comme la collecte d'informations et l'intention de les publier dans l'intérêt public, je pense que c'est un moyen facile d'y arriver. Il ne faut pas seulement s'attarder au salaire mensuel de la personne et à son employeur.
Le sénateur Sinclair : Ou sa situation d'emploi.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je suis ravi de voir autant d'éminents journalistes à un comité sénatorial. Je peux vous dire que la dernière fois où on a vu autant de journalistes au Sénat, c'était il y a quelques années, et ce n'était pas pour les mêmes raisons. Cela vous permettra de constater de visu qu'il se fait de l'excellent travail au Sénat.
Monsieur Cormier, vous avez mentionné que l'histoire a commencé à Radio-Canada avec le cas de M. Patrick Lagacé et que, par la suite, plusieurs autres cas ont été dévoilés.
Croyez-vous qu'il existe encore des cas qui n'ont pas été rendus publics? Et croyez-vous qu'il y aurait d'autres cas qui remonteraient à plus loin que la période discutée présentement dans le projet de loi du sénateur Carignan?
M. Cormier : On ne le sait pas. On n'en a aucune idée. Comme vous le savez, il y a une commission d'enquête qui va commencer ses travaux prochainement au Québec sur les cas qui nous occupent. Est-ce qu'il y aura d'autres informations qui en sortiront? On ne le sait pas. Voilà le cœur du problème, on ne le sait pas. S'il n'y avait pas eu l'incident Lagacé, on ne le saurait pas aujourd'hui, on n'aurait jamais eu l'information et on ne serait pas ici. C'est pour cette raison qu'on argumente pour la transparence dès le début pour qu'on puisse aborder la question des injonctions et des demandes faites par la police à un juge sur ce genre de question.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Trottier, est-ce que l'effet négatif des récents événements dont vous parlez pourrait contrer le projet de loi du sénateur Carignan ou est-ce que la peur d'être éventuellement identifié va plutôt persister? Est-ce que cela aurait pour effet que vous pourriez perdre des sources?
M. Trottier : Comme quelqu'un l'a dit plus tôt, dans la situation actuelle, les sources que nous perdons présentement nous demandent de trouver une méthode plus sûre pour communiquer avec nos journalistes. Dès le lendemain, nous avons senti qu'il y avait des journalistes qui ne recevaient plus d'appels de leurs sources régulières. Nous sommes en train d'en mesurer les conséquences. Pour l'instant, c'est énorme.
Nous croyons que le projet de loi va rassurer beaucoup de monde, c'est certain, parce que, encore une fois, on pose un obstacle important aux corps policiers qui n'hésitent pas à utiliser ces méthodes à l'heure actuelle.
Le sénateur Dagenais : Ma dernière question s'adresse à M. Walmsley. Le sénateur White, qui était ici plus tôt, semblait croire que le projet de loi était peut-être destiné à traiter un problème typiquement québécois. Mis à part l'épisode de « Ma Chouette » dont on a parlé, concernant M. Daniel Leblanc, pensez-vous que vos journalistes, à Toronto ou ailleurs au pays, ont déjà fait l'objet d'une intrusion policière qui cherchait à connaître leurs sources?
[Traduction]
M. Walmsley : Je dirais que oui. J'ignore si votre comité a déjà rencontré des sources prêtes à renoncer à leur anonymat, mais je peux vous dire que lorsque nous discutons avec elles, nous constatons que c'est justement pour cette raison que nous sommes tous ici. Nous sommes ici parce que les sources s'exposent à des menaces sérieuses, ce qui a ralenti notre capacité de collecte de nouvelles. Nous devons désormais utiliser le chiffrement. Nous devons faire plus de travail en personne, ce qui suppose de prendre l'avion vers différentes destinations afin de rencontrer les sources individuellement. Nous ne pouvons plus discuter au téléphone comme nous en avions l'habitude.
Même s'il n'y a pas d'intrusion, nous pouvons sentir la nervosité. D'une certaine façon, cette perception est aussi forte que tout le reste.
Le sénateur Dean : Je remercie tous les témoins d'être avec nous. Il est merveilleux d'entendre vos témoignages.
L'un d'entre vous a parlé tout à l'heure de la diversification des médias ou du secteur journalistique, puis a fait référence à quelques organisations qui ne sont pas représentées aujourd'hui. Le secteur englobe même des gens que nous ne voudrions probablement pas convoquer, qu'on peut appeler la gauche alternative, la droite alternative ou quelque chose du genre. Ces organisations ont elles aussi pu survivre grâce à l'omniprésence des médias numériques.
Quelle place ces gens occupent-ils dans toute cette affaire? Est-ce qu'une protection est offerte lorsque c'est justifié? La procédure est suivie, puis la décision incombe à un juge; est-ce plus facile ainsi? Avez-vous songé à la place qu'occupent d'autres formes de prétendues organisations médiatiques dans cette question?
M. Walmsley : Je dirais que toute organisation qui s'adonne au journalisme d'intérêt public est visée par le projet de loi. Le nombre d'entre elles qui pratiquent un tel journalisme est relativement faible par rapport à la surabondance d'information diffusée. Je suis donc agnostique sur le plan de la distribution; je n'ai pas d'opinion. Qu'un journaliste travaille pour un journal ou uniquement dans la sphère numérique, il peut faire une erreur d'une façon ou d'une autre.
Si le journaliste travaille pour l'intérêt public, la discussion concernant les mesures de protection est très pertinente. Nous sommes généralement d'avis que ceux dont le seul objectif est de commettre des méfaits, de causer des ennuis et de politiser le débat n'arriveront pas à respecter les critères déjà établis.
M. Cooke : Pour revenir à la décision de la Cour suprême sur la diffamation en ce qui a trait au journalisme d'intérêt public, il s'agit d'une norme en matière de diffamation. Voilà qui pourrait bien devenir la norme du projet de loi, lorsqu'il sera adopté; ce devrait être le cas, et c'est ce que nous espérons.
En fin de compte, ce sont les tribunaux qui détermineront à juste titre à quel type de journalisme ces protections s'appliquent — ce qui fera ensuite partie de la common law. C'est une grande question qui nous préoccupe. Nous y avons beaucoup réfléchi.
La situation doit suivre son cours. C'est très détaillé, mais ces détails sont fort importants.
Le sénateur Dean : Je dois dire que j'appuie fermement le projet de loi. Je m'inquiétais simplement de ses ramifications.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Merci pour vos présentations. En novembre dernier, à la suite des révélations concernant la surveillance des journalistes, le gouvernement du Québec annonçait la création d'une commission d'enquête publique sur la protection des sources journalistiques. Cependant, le mandat de la commission se limite, pour l'instant du moins, à enquêter sur les pratiques policières en matière d'enquête. Messieurs Walmsley et Cormier, avez-vous des commentaires à faire au sujet de cette commission d'enquête?
M. Cormier : Notre principale préoccupation — et on en a beaucoup discuté entre nous et avec la Fédération des journalistes —, c'est qu'on ne veut surtout pas que l'enquête porte sur le travail des journalistes, mais bien sur celui de la police.
On veut que ce qui s'est passé mène à des correctifs pour éviter que cela ne se reproduise. On n'ira pas trop loin dans la discussion, parce que la commission d'enquête va amorcer l'audition de témoins, mais essentiellement, c'est notre principale préoccupation. Pour ce qui est de savoir jusqu'où cela doit aller, je ne vais pas me prononcer à ce sujet.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Walmsley, voulez-vous faire un commentaire?
[Traduction]
M. Walmsley : Oui. J'ai récemment publié un article de Michel Cormier dans le Globe and Mail, parce que je trouve qu'il explique mieux la situation. Il est plus près du problème, et c'est son équipe qui est touchée. Mais je suis sur mes gardes étant donné la possibilité qu'une telle commission d'enquête puisse se dérouler dans n'importe quelle autre ville ou province. Ce qui nous pose problème, c'est de comprendre la nécessité d'une protection policière associée à la protection journalistique. Pour l'instant, je ne suis pas convaincu que la commission d'enquête du Québec se soit penchée sur la question suffisamment.
Comme Michel le dit, et je suis d'accord avec lui, il est probablement superflu de s'attarder au journalisme. La commission d'enquête devrait vraiment se pencher presque exclusivement sur le comportement de la police.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Une commission d'enquête, c'est bien, mais ça demeure une commission d'enquête. Comme nous le constatons, le projet de loi S-231 va plus loin en modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada. Par exemple, en ce qui concerne le Code criminel, il structure le processus judiciaire relativement aux mandats de perquisition, aux autorisations et aux ordonnances.
Vous avez dit que vous souhaitiez un léger amendement au projet de loi. Cela dit, avec ou sans amendement, pensez- vous que les sources seront plus à l'aise de divulguer des informations si le projet de loi devient législation?
[Traduction]
M. Walmsley : Je pense que oui. J'ai des exemples de sources qui ont soulevé la question dans certaines histoires. Elles ne nous ont pas abandonnés, mais elles sont conscientes du risque. Encore une fois, la situation de chaque source est différente, mais ce qu'elles ont en commun, c'est le désir de demeurer secrètes, souvent en raison du risque qu'elles courent sur le plan personnel. Il arrive dans de rares occasions que des sources signent des déclarations sous serment, qui disent que le public sera mis dans le coup si tout se termine, mais c'est rare. Je pense toutefois que la question a semé un découragement général et a donné lieu à une certaine prise de conscience. Quand nous disons à une source que nous allons protéger sa confidentialité, elle nous demande comment nous pouvons lui garantir. Bien sûr, nous ne pouvons rien lui assurer de tel.
Le sénateur Sinclair : Je m'excuse, mais nous avons une autre séance de comité qui commence à l'instant.
Le vice-président : J'allais justement le dire. Certains membres du comité devront partir puisqu'un autre comité commence.
La sénatrice Boniface : Je fais partie de ces membres. Je vais y aller, et j'y reviendrai plus tard.
La sénatrice Dupuis : Pourquoi ne posez-vous pas votre question?
Le vice-président : Commençons par vous, dans ce cas.
La sénatrice Boniface : Merci.
Je reviens sur la question de la définition, que j'aborde sous un angle différent. Si vous parliez à la police, comment lui expliqueriez-vous l'interprétation de la définition d'un « journaliste », l'utilité de cette définition et la prise de décision dès le début?
[Français]
M. Trottier : Dans notre mémoire, on ajoute un peu à la définition qui encadre relativement bien le métier de journaliste dans le projet de loi. On ajoute le fait que la personne doit gagner principalement sa vie en collectant et en diffusant de l'information au public. On pense être près d'arriver à une définition qui ferait consensus et qui permettrait de protéger l'ensemble des sources qui doivent être protégées.
M. Myles : Je voudrais ajouter à cela le critère de l'intérêt public qui revient constamment dans nos conversations, que les tribunaux utilisent de toute façon, et qui est important.
Ce critère encadre la pratique du métier afin qu'elle s'exerce en absence d'un conflit d'intérêts, faisant en sorte que c'est l'activité principale de la personne, l'activité pour laquelle elle est rétribuée, et que si une personne est journaliste pigiste ou surnuméraire, elle n'exerce pas d'activités connexes qui la mettent en conflit d'intérêts ou en apparence de conflit d'intérêts. Ainsi, quelqu'un qui est faussement journaliste et qui alimente une marque de grand magasin ou de grande entreprise n'aurait pas accès à la protection des sources en raison du principe des fonctions incompatibles.
La sénatrice Dupuis : Merci d'avoir apporté cette précision, parce que je pense qu'elle est très importante. Dans l'amendement que vous proposez, il est question de resserrer la définition de « journaliste » comme étant la personne qui exerce dans le cadre d'une occupation principale et rémunérée. Est-ce bien là la nature de votre amendement?
Aussi, j'aimerais comprendre ce qu'il y a derrière le travail de la police concernant les mandats de perquisition. Je comprends qu'elle ne les sort pas de son chapeau. C'est pourquoi j'aimerais mieux comprendre le contexte qui amène tel corps policier — que ce soit le SPVM ou la Gendarmerie royale —, pour des motifs de sécurité nationale ou autres, à demander des mandats.
Pourriez-vous m'aider à mieux comprendre le contexte derrière cette chasse aux mandats de la part des corps policiers?
M. Trottier : Je peux peut-être vous parler du cas de Patrick Lagacé. Le cas le plus grossier qui a fait beaucoup jaser, c'est celui du maire de Montréal, Denis Coderre. Le maire Coderre avait obtenu une contravention et il s'était passé quelque chose par rapport au paiement de cette contravention. Patrick Lagacé a entendu parler de cette histoire et a fait tout simplement un appel au bureau du maire de Montréal. Le jour même ou le lendemain, le maire Coderre a appelé le chef de police pour lui demander comment il était possible que Patrick Lagacé soit au courant de sa contravention et de son défaut de paiement. C'est à partir de là qu'on a mené une enquête sur Patrick Lagacé, parce qu'on voulait savoir qui lui parlait.
La sénatrice Dupuis : Je vous remercie de nous donner cet exemple, parce qu'il illustre bien la raison pour laquelle je vous pose la question. Autrement dit, ce n'est pas un policier qui s'est réveillé et qui s'est dit : « Ce serait intéressant de suivre Lagacé ». Il y a un maire qui a posé une question à son chef de police.
On ne saura probablement jamais le fin fond de l'histoire. Est-ce que le chef de police s'est senti intimidé par le fait que le maire lui ait demandé cela? Est-ce que des pressions ont été exercées sur le chef de police? C'est ce que j'essayais de mieux comprendre, parce qu'il semblerait qu'on mette l'accent uniquement sur le fait qu'il y a des policiers. Je suis très consciente du fait que les policiers utilisent des méthodes ou se mettent en action, parce qu'ils reçoivent des ordres.
Existe-t-il d'autres types de situations que ce cas précis dont vous nous parlez?
M. Trottier : L'autre type de situation, c'est la première histoire qu'on a révélée, au sujet de Patrick Lagacé, où les affaires internes de la police enquêtaient sur le comportement d'un policier. Au départ, ce n'était pas une enquête criminelle, c'était une enquête quasi disciplinaire des affaires interne, où on pensait que le policier coulait de l'information, notamment à des journalistes. À force de fouiller de l'information sur ce policier, ils ont obtenu d'autres types de renseignements. Il y avait une histoire de fabrication de preuve et, en menant leur enquête, ils se sont rendu compte que Patrick Lagacé parlait souvent à ce policier.
Les policiers chargés de l'enquête pouvaient bien écouter toutes ses conversations, bien entendu, les espionner, mais au lieu de se contenter de cela, ils ont décidé d'enquêter sur Patrick Lagacé, parce qu'il parlait souvent au policier qui faisait l'objet d'une enquête. C'est comme cela qu'ils ont commencé cette enquête qui a duré plus d'un an.
M. Myles : Derrière cela, il y a aussi une culture. J'ai été président de la Fédération des journalistes pendant quatre ans, j'ai côtoyé de près les grandes organisations policières. Cette culture, c'est une culture du secret et du contrôle du message. Ainsi, quand on s'intéresse aux sources des journalistes, c'est parce que l'on cherche à identifier un sonneur d'alarme, quelqu'un qui a osé parler, qui a dérogé à la culture du secret.
Les policiers n'agissent pas seuls, mais selon une ligne de commande et une hiérarchie. On se demande — et c'est peut-être ce que la commission nous apprendra — si cela remontait jusqu'aux politiques ou pas.
Il y a derrière cela une culture du secret, non seulement à l'intérieur des forces policières, mais également, les institutions publiques ont tendance à chercher les sonneurs d'alarme et à les punir. L'exemple le plus flagrant qu'il y a eu à Ottawa était celui de Sylvie Therrien, qui avait dénoncé les quotas à l'assurance-emploi. Elle a perdu son emploi.
M. Trottier : Dans tous les cas qui nous occupent, à l'intérieur de ce qui a été révélé jusqu'à maintenant, l'idée était d'avoir de l'information sur des policiers qui étaient des sources journalistiques. À la base de tout cela, nous avons appris en 2015 — je crois que Le Journal de Montréal l'a révélé à la suite de nos histoires —, qu'un des dirigeants du Service de police de Montréal aurait affirmé qu'il en avait assez des fuites d'information et qu'il voulait trouver qui en était à l'origine. C'est peut-être cela, espérons-nous, que la commission fouillera pour qu'on puisse vraiment découvrir qu'à l'origine, il y avait eu une commande.
Ce que je disais tout à l'heure, c'est que quand la technologie existe, il est très tentant de l'utiliser pour aller au fond des choses. Il est clair que les policiers vont continuer de l'utiliser tant qu'Ottawa ne légiférera pas, selon nous.
[Traduction]
Le vice-président : Sénateur Carignan, c'est à vous de poser la dernière question et de conclure la séance.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'aimerais vous remercier de votre présence et de vos témoignages concernant ce projet de loi.
Vous en avez glissé quelques mots chacun, de temps à autre, mais la raison d'être du projet de loi, c'est aussi de protéger la source. J'aimerais que vous me parliez de vos expériences pratiques, que vous nous expliquiez pourquoi il faut protéger la source.
Parlez-nous de la vulnérabilité de la personne qui dénonce, à quelles menaces elle fait face, qu'il s'agisse de craintes qui ont un impact physique, psychologique ou financier, ou qu'il s'agisse du crime organisé. Pouvez-vous nous expliquer comment une source se sent psychologiquement, et de quelle manière elle se sent menacée?
M. Trottier : D'expérience, on a eu plusieurs histoires à La Presse, et mes collègues pourront témoigner dans le même sens et enrichir mes propos. Au cours des 15 dernières années, des cadres supérieurs ou des policiers nous ont parlé pour des raisons d'intérêt public. Ils étaient au courant d'une histoire qui se déroulait, d'une situation, d'actions incorrectes qui étaient posées autour d'eux et ils décidaient de dénoncer tout simplement pour servir l'intérêt public. Ils connaissaient les risques qu'ils prenaient, mais ils croyaient que c'était approprié, compte tenu des enjeux d'intérêt public qui étaient en cause, et ils ont perdu leur emploi. Ils ont été congédiés, parce que leur employeur a obtenu des preuves contre eux ou parce qu'on les a tout simplement soupçonnés. On les a forcés dans certains cas à prendre leur retraite, mais il y a eu des congédiements directs aussi.
Ces sources vivent un stress immense lorsqu'elles nous approchent, et c'est pour cela que — on l'a dit tout à l'heure —, depuis la sortie de l'histoire Lagacé, cela a fait taire beaucoup de gens, parce que les gens sentent qu'ils jouent avec le feu lorsqu'ils nous parlent.
Il n'y a aucune protection légale présentement, et les corps de police en profitent abondamment. En tout cas, au Québec, on l'a vu, c'est devenu une pratique assez régulière. Il est certain que cela a causé un stress important. Mes collègues peuvent en parler davantage.
[Traduction]
Mme McGuire : J'aimerais revenir sur l'exemple de la GRC que j'ai donné dans mon exposé. Lorsque Natalie Clancy préparait cette histoire, elle a parlé à des dizaines de femmes qui lui disaient que dans la culture de leur milieu de travail, elles craignaient davantage les représailles de leurs patrons que les criminels sur le terrain. Dans ce cas-ci, il ne s'agissait pas de modifier la responsabilisation d'une institution publique. Il s'agissait d'un milieu de travail insoutenable.
Sans égard aux mesures prises par les journalistes pour montrer qu'ils prennent la situation au sérieux et qu'ils respecteront leurs engagements envers les personnes qui prennent de grands risques sur le plan personnel, nous estimons que la protection supplémentaire des sources que vous proposez aujourd'hui serait dans l'intérêt de tous et favoriserait assurément la pratique d'un bon journalisme.
[Français]
M. Myles : Il y a des enjeux de confiance, puis des craintes aussi. Les sources ne sont pas dupes, elles savent qu'elles vont être traquées, donc la première chose qu'elles nous demandent, c'est ce qu'on peut leur offrir comme protection.
Aujourd'hui, sachant que les policiers nous épient, nous devons faire la démonstration que nous sommes très alertes d'un point de vue technologique. Lorsque nous rencontrons nos sources, nous n'apportons pas notre cellulaire avec nous, nous devons leur prouver que nous n'avons pas fait d'échanges téléphoniques à l'aide de cellulaires, que nous avons limité les conversations qui peuvent être interceptées au strict minimum et que nous avons fait attention pour que le point de rendez-vous soit connu seulement de la source et du journaliste. Il faut être un peu paranoïaque, il faut s'assurer de ne pas avoir été pris en filature.
Cela va de la perte d'emploi aux sanctions, en passant par la perte du statut social, et parfois, il est même question de vie ou de mort. Moi, concrètement, une source m'a appelé et, alors que je croyais avoir droit à une nouvelle histoire, cette personne a passé une heure à me faire son « testament politique », en me disant : « J'ai beaucoup parlé récemment, s'il m'arrive quoi que ce soit, je veux que quelqu'un quelque part à qui je fais confiance puisse le savoir aussi ». Cela peut aller jusque-là dans des cas gravissimes où le crime organisé est impliqué, où la pression sur le lanceur d'alerte est énorme.
Aucune des sources qui ont parlé aux médias n'en est sortie indemne après avoir été exposée publiquement. La protection est importante, justement, parce qu'on le dit, le journalisme d'enquête va se tarir si les sources n'ont plus confiance en notre capacité de les protéger.
Ce n'est pas seulement pour nous. On a beau faire attention, il faut que l'État puisse garantir la protection des sources et qu'il puisse mettre un paravent devant l'appétit policier pour nos carnets d'adresses.
[Traduction]
Le vice-président : Merci.
Merci beaucoup, sénateur Carignan.
Je note également la présence de Joël-Denis Bellavance dans l'auditoire. Bob Fife était également ici. Il y a de nombreux grands journalistes dans la salle aujourd'hui.
Nous tenons à remercier tous nos témoins présents aujourd'hui, pour leur témoignage exceptionnel, que nous allons utiliser pour rédiger le genre de mesure législative que le sénateur Carignan et le reste des sénateurs veulent que le Sénat adopte.
(La séance est levée.)