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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 23 - Témoignages du 1er mars 2017


OTTAWA, le mercredi 1er mars 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 231, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel (protection des sources journalistiques), se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour en faire l'examen.

Le sénateur George Baker (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour et bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui regardent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous allons poursuivre aujourd'hui notre examen du projet de loi S-231, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel (protection des sources journalistiques).

Pour la première heure de la séance, nous accueillons M. Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers, qui témoignera par vidéoconférence à partir de Vancouver. De l'Association canadienne des chefs de police, nous accueillons également Kevan Stuart, qui est surintendant à l'Unité des enquêtes criminelles du Service de police de Calgary, ainsi que Rachel Huntsman, qui a déjà comparu à d'autres séances et qui est juriste, comme en témoigne la jurisprudence. C'est elle qui fera la première déclaration que le comité entendra.

Rachel Huntsman, conseillère juridique, Royal Newfoundland Constabulary, Association canadienne des chefs de police : Distingués membres du comité, je vous remercie de cette invitation à faire le point sur les importantes questions concernant le projet de loi C-231. Je m'appelle Rachel Huntsman et je suis conseillère juridique pour la force constabulaire royale de Terre-Neuve. Je représente le Comité de modifications aux lois de l'Association canadienne des chefs de police. Je vais m'exprimer au nom du président et des membres. Je suis accompagnée de Kevan Stuart, le surintendant du Service de police de Calgary.

Je tiens d'abord à souligner que l'importance de la presse dans une société démocratique a été réaffirmée à de nombreuses reprises dans l'histoire juridique du Canada. De plus, l'alinéa 2b) de la Charte protège expressément la liberté de la presse et la liberté d'expression.

Dans l'affaire R. c. National Post, la Cour suprême a confirmé que le privilège du secret des sources journalistiques serait appliqué au cas par cas, d'après les quatre critères de Wigmore. Elle a rendu un jugement unanime dans lequel elle précise qu'il appartient aux organes de presse de prouver qu'ils répondent aux quatre critères de Wigmore pour que soit appliqué le privilège du secret des sources journalistiques.

L'Association canadienne des chefs de police considère que la Cour suprême du Canada a fourni suffisamment de renseignements tirés de la jurisprudence, plus précisément de l'affaire National Post. En revanche, si le Parlement juge nécessaire d'adopter une loi pour codifier le régime qui protège les sources journalistiques sur la base du cas par cas, ainsi qu'il a été décidé dans l'affaire National Post, nous aimerions faire les commentaires suivants.

Je vais d'abord parler du moment choisi pour présenter le projet de loi. Le 11 novembre 2016, dans la foulée des récents événements survenus au Québec relativement à des enquêtes policières sur des journalistes, le gouvernement du Québec a créé la Commission d'enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques à qui il a confié un mandat d'un an. L'ACCP se demande si votre comité n'aurait pas avantage à entendre les recommandations de la commission dans son étude du projet de loi.

Il y a ensuite le renversement du fardeau de la preuve. Dans la cause le concernant, le National Post a accepté d'assumer le fardeau de la preuve pour les trois premiers critères de Wigmore, mais il a soutenu qu'il devrait incomber à la Couronne d'expliquer en quoi l'ordonnance de divulgation devrait concerner le quatrième critère. La cour a dit de cet argument qu'il faisait faire « trois pas en avant et un pas en arrière », et elle l'a catégoriquement rejeté.

Même si la Cour suprême a clairement établi à qui incombe le fardeau de la preuve et pour quelles raisons, la modification proposée à l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada renverse maintenant sa prise de position. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que, si l'organe de presse prétend que l'intérêt du public, par sa volonté de protéger sa source secrète, l'emporte sur l'intérêt public dans l'enquête criminelle, le fardeau de la persuasion revient dès lors à l'organe de presse. La modification proposée à l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada ne devrait pas renverser le fardeau de la preuve.

Parlons maintenant de la définition de « journaliste ». Les témoignages entendus par le comité font ressortir que la définition a été amplement débattue, tout comme le terme « organe de presse » qui s'inscrit dans cette définition. Celle- ci est très large et il faudra l'examiner de près et la clarifier. Si les juristes, les sénateurs et les représentants des organes de presse débattent de cette question, imaginez la difficulté à laquelle sont confrontés les policiers en première ligne. Cette définition est en effet cruciale, car tous les autres articles du projet de loi s'articulent autour d'elle.

Qui plus est, les modifications proposées exigent que tout policier donne un préavis à l'organe de presse concerné. Comment alors définir un organe de presse? En cette ère du numérique, le défi est de taille pour les policiers. Doit-on considérer comme des organes de presse les médias sociaux comme Twitter et Facebook, dans un monde où ces nouveaux médias sont omniprésents?

Par ailleurs, les amendements proposés à l'article 488 relativement au mandat posent problème. Les modifications apportées aux dispositions du projet de loi visant le mandat ont donné lieu à un processus totalement distinct pour les journalistes, même dans les cas où l'enquête criminelle ne concerne aucunement leur profession. Par exemple, si un journaliste fait l'objet d'une enquête criminelle pour conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles et que la police doit obtenir un mandat de perquisition pour saisir un élément de preuve, un processus distinct serait maintenant appliqué. Même si l'intention visée par cette disposition n'a certainement pas été d'offrir une protection particulière aux journalistes — une protection qui n'existe d'ailleurs pour aucun autre citoyen du Canada —, c'est pourtant le résultat de cet article.

Deuxièmement, comment le policier saura-t-il si la personne qui fait l'objet d'une enquête est journaliste? Même si les citoyens ont droit au silence, les journalistes devraient-ils être tenus de s'identifier dans les circonstances?

Troisièmement, les dispositions relatives aux préavis ne devraient pas être entérinées par une loi, mais être laissées à la discrétion du juge émettant l'ordonnance.

Quatrièmement, le Code criminel permet les fouilles et les perquisitions sans mandat quand les circonstances le justifient, mais les critères envisagés sont si exigeants qu'il serait quasiment impossible d'obtenir un mandat. La formulation proposée, « [...] malgré les autres dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale », se trouve à éliminer cette importante disposition sur les fouilles et les perquisitions.

En conclusion, l'Association canadienne des chefs de police recommande le maintien des protections fournies par la Cour suprême du Canada, principalement dans le jugement National Post.

Ce ne sont pas toutes les sources ou tous les sonneurs d'alerte qui devraient bénéficier des protections de grande portée prévues dans le projet de loi. Le privilège devrait être décidé au cas par cas. Par ailleurs, il conviendrait peut-être que votre comité attende les conclusions de la commission du Québec avant de terminer ses travaux sur ce projet de loi.

Je vous remercie et je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le vice-président : Merci.

Monsieur le surintendant, avez-vous quelques mots à ajouter?

Kevan Stuart, surintendant, Unité des enquêtes criminelles, Service de police de Calgary, Association canadienne des chefs de police : C'était très bien exposé. Ce qui est le plus important pour nous, c'est la définition de « journaliste » et d'« organe de presse » dans le monde moderne en constante évolution des médias sociaux, des médias traditionnels, des blogueurs et des gens qui soumettent des articles à des magazines ou à des journaux traditionnels. Quelle est la définition de « journaliste »? Quelle est la définition d'« organe de presse »? Ces concepts changent constamment.

Le vice-président : Merci, monsieur le surintendant.

Nous allons maintenant passer à M. Tom Stamatakis, qui n'en est pas à sa première comparution devant notre comité. Il se joint à nous par vidéoconférence à partir de Vancouver. Il a très bien représenté les policiers au fil des ans. Nous tenons à le remercier d'avoir comparu si souvent devant notre comité.

Tom Stamatakis, président, Association canadienne des policiers : Merci, monsieur le président. Bonjour à vous et aux autres sénateurs membres du comité.

Merci encore de m'avoir invité à comparaître pour discuter du projet de loi S-231, un projet de loi d'intérêt public émanant du Sénat qui a été déposé par votre collègue, le sénateur Carignan, et qui porte sur la protection des sources journalistiques. Comme toujours, je suis reconnaissant d'avoir l'occasion de m'adresser à vous, et ma déclaration liminaire sera brève pour vous permettre de poser le plus de questions possible plus tard.

Je vois que quelques nouveaux visages se sont ajoutés au comité depuis ma dernière comparution. À titre d'information, comme vous l'avez dit, je suis président de l'Association canadienne des policiers, une organisation qui représente plus de 60 000 membres de première ligne des forces policières, des civils et des agents assermentés, d'un bout à l'autre du Canada. Nous formons le principal organisme de défense des policiers au pays, et nos membres proviennent de 160 corps policiers du Canada, des plus petites villes et des plus petits villages du pays aux grandes municipalités et aux services de police provinciaux, sans oublier la GRC, les services policiers des chemins de fer et les forces policières des Premières Nations.

Comme beaucoup d'entre vous le savent déjà, je suis également un agent du service de police de Vancouver et je suis détaché auprès de l'association locale, ce qui explique pourquoi je comparais aujourd'hui par vidéoconférence à partir de Vancouver.

Je tiens également à signaler que je ne serai pas en mesure de me prononcer sur les détails d'incidents liés à des interactions policières et à des enquêtes de journalistes. J'ai suivi une bonne partie des affaires qui ont mené à la présentation de cette mesure législative, mais je n'ai pas de renseignements privilégiés ou de connaissances spéciales à vous communiquer aujourd'hui. Je suis ici pour vous présenter mes premières réflexions et pour essayer de répondre de mon mieux aux questions que vous pourriez avoir.

Je dois admettre que je suis ambivalent au sujet du projet de loi S-231. En tant que travailleur, je comprends mes collègues des médias qui ont un rôle très important à jouer dans notre société. Demander des comptes au gouvernement et aux services de police est essentiel pour obtenir la confiance du public à l'égard des forces policières, et les journalistes doivent être en mesure, pour être efficaces, de faire leur travail le plus librement possible.

Je représente aussi régulièrement des policiers qui peuvent subir le même genre de techniques d'enquête envahissantes visées par ce projet de loi. Dans ce contexte, je m'intéresse donc moi aussi à la reddition de comptes dans ce genre d'enquêtes, mais pour les policiers, la réponse n'est pas aussi simple qu'elle peut paraître à première vue.

Il convient de noter que les journalistes bénéficient déjà de protections — on en a mentionné certaines dans la déclaration liminaire précédente —, y compris celles garanties par la Charte des droits et libertés. Tout agent qui veut procéder à la surveillance d'un journaliste et obtenir un mandat à cette fin doit suivre des procédures et des pratiques reconnues, qui consistent notamment à convaincre un juge de la nécessité de cette mesure extraordinaire.

Les membres du comité doivent être conscients que toute restriction ou toute formalité administrative supplémentaire a un coût. Le fait de nuire aux enquêtes, malgré les meilleures intentions du monde, pourrait être une conséquence imprévue du projet de loi, surtout en raison du niveau supérieur des juges qui devraient autoriser une surveillance exercée par les forces de l'ordre. Je suis certain que tous les membres du comité ont vu les rapports récents concernant les conséquences des délais judiciaires sur un certain nombre de procès en cours, et le projet de loi S-231, s'il est adopté, contribuerait peut-être à allonger ces délais.

Je suis également préoccupé par la définition plutôt large de « journaliste » dans le projet de loi S-231. Voici le passage concerné :

journaliste Personne qui contribue directement, soit régulièrement ou occasionnellement, à la collecte, la rédaction ou la production d'informations en vue de leur diffusion par les médias, ou tout collaborateur de cette personne.

Compte tenu de l'évolution constante de la technologie, je crains que, du point de vue des policiers, une partie des personnes qui réclameront une protection ne corresponde peut-être pas aux personnes visées par ce projet de loi. La prolifération des blogues, des messages publiés sur Facebook et même des gazouillis a créé une grande zone grise, car de nombreuses personnes peuvent prétendre produire du matériel aux fins de publication dans les médias et encore plus de personnes peuvent prétendre de façon crédible qu'elles leur viennent en aide. Un civil qui filme un acte criminel avec son téléphone et qui remet ces images à un journaliste entre-t-il dans cette catégorie?

Comme je l'ai dit d'entrée de jeu, même si je ne suis pas toujours d'accord avec mes collègues des médias, je respecte le travail qu'ils font, et je comprends parfaitement qu'ils veulent exercer leur importante profession le plus librement possible. La protection des sources est un aspect clé dans l'atteinte de cet objectif. Les différents paliers judiciaires ont convenu, à juste titre selon moi, qu'il devait en être ainsi.

Cela dit, votre comité a une tâche difficile. Les journalistes préfèrent peut-être avoir carte blanche, mais nos services de police doivent eux aussi poursuivre leur travail, qui consiste entre autres à mener des enquêtes qui protègent nos collectivités et nos citoyens. Dans un monde parfait, ces deux emplois n'entreraient pas en conflit, mais, comme nous le savons tous, rien n'est parfait, et il revient donc au Parlement et à vous de concilier ces intérêts opposés.

Je ne suis toujours pas convaincu qu'un petit nombre d'incidents largement médiatisés justifient cette nouvelle mesure législative qui semble coûteuse et qui pourrait avoir un certain nombre de conséquences imprévues, mais j'espère qu'aucun membre du comité ne perçoit cette préoccupation comme un manque de soutien en faveur de médias canadiens libres et sans entraves.

Je vais terminer là-dessus. Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci encore de m'avoir invité à comparaître devant vous.

Le vice-président : Merci. Le sénateur Carignan sera le premier à poser des questions.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse à Mme Rachel Huntsman. Dans votre présentation, vous suggérez d'attendre les résultats de la commission d'enquête qui est en cours au Québec.

[Traduction]

Mme Huntsman : Oui, monsieur le sénateur, je comprends.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais poursuivre ma question. Je voulais m'assurer d'avoir bien lu. Vous êtes au courant, depuis la décision Keable rendue par la Cour suprême en 1978, qu'il a été reconnu que les commissions d'enquête provinciales ne pouvaient pas toucher les compétences constitutionnelles fédérales. Donc, le champ du suivi de la commission ne pourra pas s'étendre au fédéral, et la commission ne pourra faire de recommandations liées au Code criminel ou aux procédures pénales. Ne trouvez-vous pas que c'est une perte de temps que d'attendre les résultats d'une commission qui ne donnera rien à l'échelle fédérale?

[Traduction]

Mme Huntsman : Merci, monsieur le sénateur.

Je ne pense pas que c'est une perte de temps. Je crois que la commission d'enquête a été créée à cause du comportement douteux de policiers à l'égard de journalistes. Je suis certaine que votre comité formulera des recommandations. Espérons que certaines de ces recommandations porteront sur la façon dont les policiers devraient enquêter sur les journalistes et sur les sources journalistiques.

Si le comité est en mesure de faire des recommandations, je pense que certaines pourraient être utiles à cette respectable commission en lui donnant une certaine orientation, car si je ne m'abuse, et corrigez-moi si je me trompe, ce projet de loi a peut-être été rédigé compte tenu des événements qui sont survenus au Québec.

Le sénateur McIntyre : Merci de vos exposés.

Je veux revenir à une question du sénateur Carignan concernant la commission d'enquête au Québec. Dans votre mémoire, vous invitez notre comité à attendre ses conclusions avant de donner suite au projet de loi.

Ce qui me pose problème, et je suis d'accord avec le sénateur Carignan, c'est que le Canada n'a actuellement aucune disposition législative pour protéger la confidentialité des sources journalistiques, y compris les sonneurs d'alerte. Nous devons donc nous en remettre à la jurisprudence, ce qui me semble être un des principaux problèmes.

Ne croyez-vous pas qu'il est très important de souligner l'importance de ce projet de loi plutôt que de s'en remettre uniquement à une commission d'enquête?

Mme Huntsman : Monsieur le sénateur, vous avez évidemment parfaitement raison de dire qu'aucune disposition législative ne protège les sources journalistiques, mais nous avons toutefois à cette fin une solide jurisprudence. De plus, il existe deux privilèges très importants : le secret professionnel et la confidentialité des informateurs. Aucun de ces privilèges n'est actuellement protégé par une loi, car ils le sont plutôt en vertu de la common law.

Or, si ces deux privilèges très importants sont bien protégés en vertu de la common law, je demande pourquoi il est nécessaire que le privilège du secret des sources journalistiques ait son propre cadre législatif.

Le sénateur McIntyre : Aux termes de la loi en vigueur, un juge de paix est responsable de la délivrance des mandats de perquisition, des autorisations et des ordonnances concernant les journalistes. Le projet de loi S-231 éliminerait le rôle des juges de paix, ce qui signifie qu'un juge au sens de l'article 552 du code, ou un juge d'une cour pénale supérieure, assumerait dorénavant cette responsabilité. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, s'il vous plaît.

Mme Huntsman : Merci, monsieur le sénateur.

Vous avez tout à fait raison de dire que le projet de loi exige que les mandats liés aux journalistes soient dorénavant décernés par un juge d'une cour supérieure. Pour répondre à la question, j'ai écouté les témoignages entendus par la commission la semaine dernière, et on a remis en question la capacité et la formation des juges de paix quant à savoir s'ils devraient décerner les mandats de perquisition. J'aimerais en parler, si vous le permettez.

Au Québec, les juges de paix suivent une formation. À vrai dire, la Loi sur les tribunaux judiciaires établit une distinction entre les juges de paix fonctionnaires et les juges de paix magistrats, qui sont des avocats ayant au moins 10 ans d'expérience. Ces avocats sont choisis dans un bassin de procureurs de la Couronne et d'avocats de la défense expérimentés. Je pense qu'il y a vraiment lieu de se pencher sur l'affirmation voulant que les juges de paix ne soient pas formés adéquatement ou suffisamment expérimentés pour être en mesure de lancer ces très importants mandats de perquisition.

De plus, la façon dont les juges de paix procèdent change d'une province à l'autre. Par exemple, à Terre-Neuve, nos juges de paix ne décernent pas de mandats de perquisition. Ils n'en décernent aucun.

Je peux seulement parler de ma propre province et de ce qu'on m'a dit à propos du Québec, mais je comprends que les autres provinces aient recours à leur propre régime.

À l'heure actuelle, les mandats de perquisition liés à des cabinets d'avocats peuvent être décernés par des juges de paix. Je crois qu'on préfère qu'ils le soient par des juges, mais les juges de paix sont une option conforme à la jurisprudence.

L'exigence selon laquelle tous les mandats de perquisition visant des journalistes doivent être décernés par des cours supérieures a créé une catégorie entièrement distincte de mandats pour les journalistes. Je me demande pourquoi les mandats visant des journalistes doivent être l'apanage des cours supérieures alors que ceux qui visent des avocats peuvent provenir des juges des cours provinciales à Terre-Neuve.

Le sénateur McIntyre : La procédure qui est actuellement suivie par un juge de paix changera-t-elle considérablement après l'adoption de ce projet de loi?

Mme Huntsman : Si je comprends bien, les demandes de mandat ne seront plus présentées à un juge de paix après l'adoption du projet de loi. Je comprends peut-être mal votre question, monsieur le sénateur, mais selon mon interprétation du libellé, tous les mandats visant des journalistes proviendront dorénavant d'une cour supérieure. C'est ce qui est affirmé dans le projet de loi, je crois. Le recours à un processus différent de ceux que nous connaissons représente donc un énorme changement de procédure.

Le sénateur Joyal : À ce sujet, je me permets d'apporter une nuance à votre réponse au sénateur McIntyre. Quand un juge de paix décerne un mandat de perquisition lié aux activités d'un citoyen, la présomption d'innocence du citoyen est en jeu. Quand il s'agit d'un journaliste, il y a un autre facteur, à savoir l'intérêt public que sa profession incarne. C'est essentiellement ce que la Cour suprême a indiqué en 2010 dans l'affaire du Globe and Mail :

La Cour a finalement conclu que chaque revendication du privilège du secret des sources des journalistes [...] est liée aux faits de l'espèce, et que l'intérêt du public à l'égard de la liberté d'expression pèse toujours lourd dans l'exercice de mise en balance du tribunal.

Un autre aspect essentiel doit être pris en considération. Autrement dit, un journaliste a la responsabilité publique d'informer, et en informant les citoyens, nous équilibrons le système démocratique. C'est un pilier de notre démocratie.

Si la police a un mandat de perquisition me concernant, je suis la seule personne impliquée si des biens volés se trouvent dans mon bureau. C'est mon innocence qui est en jeu. Il n'y a pas d'intérêt public, proprement dit, en cause dans la décision que le juge de paix rendra.

C'est la raison pour laquelle je pense que cet aspect doit être pris en considération. C'est l'objectif du projet de loi. C'est la nuance que je fais valoir par rapport à votre réponse.

Un mandat de perquisition est un mandat de perquisition, oui, mais dans ce cas-ci, l'intérêt public doit être protégé. C'est à ce moment-là que vous devez demander ou supposer que la personne chargée de prendre la décision est en mesure de trouver un équilibre entre l'objectif de la police dans le cadre d'une enquête et la décision de protéger l'intérêt public. C'est la raison pour laquelle je pense que le niveau de « capacité professionnelle » de la personne devrait être supérieur lorsque le mandat de perquisition vise un journaliste.

C'est la nuance que je voulais faire ressortir et qui est selon moi essentielle à la question posée par le sénateur McIntyre et à l'objectif du projet de loi, à la façon dont il est formulé. Nous ne sommes peut-être pas d'accord au sujet du projet de loi, mais c'est essentiellement la logique du système qu'il tente de mettre en place.

Mme Huntsman : Merci, monsieur le sénateur.

J'ai écouté vos commentaires, et avec tout le respect, vous semblez présumer que tous les juges de paix ne sont pas suffisamment formés pour décerner des mandats de perquisition, surtout lorsqu'ils visent des journalistes.

Des lignes directrices claires ont toutefois été établies. Vous avez mentionné l'affaire du Globe and Mail, mais il y en a d'autres. Nous avons la décision Lessard. Elle est trop longue pour que je puisse vraiment la citer, mais la Cour suprême du Canada a énoncé neuf facteurs dont les juges de paix doivent tenir compte avant de décerner un mandat de perquisition visant un journaliste. Ces critères sont clairement établis par la Cour suprême du Canada. La nécessité d'assurer un équilibre entre les intérêts divergents fait partie de ces neuf exigences.

Je comprends tout à fait ce que vous dites à propos de l'importance de ces mandats de perquisition, à savoir que nous devons protéger non seulement la présomption d'innocence, mais aussi les sources. Cependant, des lignes directrices claires qui sont déjà en place doivent être suivies avant qu'un juge de paix ou un juge délivre un mandat de perquisition visant un journaliste.

Le sénateur Joyal : La pratique a indiqué, très clairement, qu'un juge de paix donne suite à environ 95 p. 100 des demandes qui lui sont présentées. Autrement dit, c'est plus ou moins semblable à une procédure comme celle qui consiste à s'adresser à un protonotaire pour faire signer un document. On le fait signer et on passe à autre chose.

L'expérience prouve que le système actuel ne fonctionne pas, qu'il n'atteint pas son objectif.

Mme Huntsman : En tout respect, j'ai entendu, la semaine dernière, le témoignage d'un des représentants des médias qui a parlé de cette statistique, et j'ai trouvé cela un peu curieux. Je me suis demandé si ce chiffre tenait compte du fait que l'agent de police se serait peut-être adressé au juge de paix à quatre ou cinq reprises avant de finir par obtenir un mandat de perquisition. Il se peut fort bien que le mandat ait été refusé et que l'agent de police ait dû le retravailler, le tronquer, le corriger ou peu importe avant de le présenter de nouveau au même juge.

Affirmer que les juges de paix approuvent aveuglément 98 ou 99 p. 100 de tous les mandats mérite un peu plus d'attention. Ces demandes sont-elles présentées en première instance, ou ont-elles déjà été soumises à un juge de paix à deux ou trois reprises?

Je sais par expérience, pour avoir fourni des avis juridiques à la police sur des mandats de perquisition, que les agents de police devaient souvent améliorer leur demande de mandat de perquisition en fonction des motifs ou des conditions avant de la présenter de nouveau au juge.

Je ne dirais pas que cette statistique me paraît douteuse, mais je crois qu'elle doit être examinée.

Le sénateur Joyal : Cependant, il y a d'autres faits qui parlent d'eux-mêmes. Je ne veux pas me lancer dans une discussion avec vous parce qu'il y a d'autres sénateurs.

Il est de notoriété publique que certains journalistes ont fait l'objet de mandats de perquisition pendant quatre ans. C'est tout à fait aberrant, compte tenu de la durée de ces mandats de perquisition et de l'objectif poursuivi par la police, soit celui d'obtenir des renseignements.

La police cherchait plutôt à savoir qui était le dénonciateur au sein du service de police, c'est-à-dire celui qui communiquait des renseignements aux journalistes. C'est plus qu'une enquête sous prétexte que le journaliste serait en contact avec une organisation terroriste ou des membres du crime organisé, d'où la nécessité de le garder à l'œil.

Je le répète, le but était surtout d'essayer d'identifier le dénonciateur au sein du corps policier. C'est l'impression qu'avaient les gens.

Il y a quelque chose qui cloche dans le système si les faits révélés montrent que le mandat de perquisition est accordé à tout bout de champ, chaque fois qu'on en fait la demande. Tant qu'une demande est présentée, il n'y a rien de suspect aux yeux du juge de paix lorsque le mandat qui vise un journaliste est en vigueur depuis cinq ans.

Mme Huntsman : Je crois que nous aurons probablement des nouvelles de la commission d'enquête du Québec en ce qui concerne — j'ignore si le dossier est sous révision — les faits entourant ce cas. Je n'ai pas vu le formulaire de dénonciation et je ne suis pas au courant des motifs allégués pour le mandat, alors je ne peux pas me prononcer là- dessus. Toutefois, je dirais qu'on se retrouve dans une situation très grave lorsqu'un agent de police, qui a prêté serment de confidentialité, divulgue à une autre personne des renseignements obtenus lors d'une écoute électronique.

Le sénateur Joyal : Voici pourquoi. Nous donnons tous le bénéfice du doute à la police. C'est comme dans le cas d'un médecin. Nous donnons toujours le bénéfice du doute au professionnel que nous avons devant nous. Je fais confiance à mon médecin autant qu'aux policiers parce que je présume toujours qu'ils vont agir dans les limites du système, tout comme le médecin qui suivra, dans le cadre institutionnel, le principe d'un traitement médical.

Si l'on se fie à la pratique concernant les journalistes, les faits sont si indéniables qu'il y a lieu de douter de l'efficacité du système sur le plan de l'atteinte de son objectif.

Le président : Messieurs Stuart ou Stamatakis, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Stuart : Nous sommes désavantagés lorsqu'on nous demande de nous prononcer sur des cas qui font actuellement l'objet d'un examen, parce que nous ne connaissons pas tous les faits.

Mme Huntsman a soulevé un très bon point : en effet, les juges de paix qui décernent ces mandats rejettent souvent les demandes, et l'agent revient à la charge. Je l'ai fait moi-même à deux, trois ou quatre reprises afin de rectifier des motifs ou même pour corriger des erreurs de grammaire ou d'orthographe. Il n'est pas rare que les mandats soient rejetés en raison du contenu du formulaire de dénonciation.

En ce qui concerne les médias, la demande doit aborder neuf points avant qu'un mandat de perquisition ne soit délivré. Encore une fois, nous ne sommes pas ici pour commenter un cas dont les tribunaux pourraient être saisis ou qui pourrait faire l'objet d'une enquête en cours. Cela nous place donc dans une position désavantageuse.

Je crois que l'intégrité de l'agent et de l'enquête peut être remise en question devant les tribunaux par la défense. Souvent, la crédibilité des sources confidentielles des agents de police, c'est-à-dire des informateurs, est remise en question, et c'est le système judiciaire qui rend une décision à cet égard.

Le vice-président : Bien entendu, Mme Huntsman n'est pas sans savoir que si un agent de police demande une autorisation et qu'il essuie un refus, mais qu'il s'adresse ensuite à un autre juge de paix, il doit alors indiquer dans le formulaire de dénonciation que sa demande a été refusée, et c'est ainsi que les statistiques sont colligées. Nous n'avons pas de statistiques sur le nombre de demandes de mandat qui sont refusées par les juges des cours provinciales ou des cours supérieures.

Le sénateur Pratte : Par souci de transparence, sachez que je ne suis ni un ancien avocat ni un ancien agent de police, mais bien un ancien journaliste. Alors, cela risque de paraître dans les questions.

Tous les témoins d'aujourd'hui ont exprimé des inquiétudes quant à la définition de « journaliste ». La semaine dernière, nous avons reçu des témoins d'organisations médiatiques qui nous ont proposé de limiter cette définition à ce qu'ils appellent des journalistes de carrière ou des journalistes professionnels. Seraient donc protégés ceux dont l'emploi principal est le journalisme et qui sont rémunérés comme journalistes. La portée serait limitée aux journalistes professionnels. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Stuart : Une telle définition serait fort utile. Ce n'est pas la définition qui est en vigueur au moment où l'on se parle, dans le cadre de notre témoignage sur le projet de loi.

Je vais vous donner un exemple. Dans le Service de police de Calgary, certains agents font partie de la Calgary Police Association. Cette association publie un magazine trimestriel rédigé par des membres, qui sont des policiers. Ils pourraient donc, eux aussi, être considérés comme des journalistes.

À l'ère des blogues et des médias sociaux — Twitter, Facebook —, avant de pouvoir aller de l'avant dans ce dossier, nous devons définir ce qu'est un journaliste et déterminer de quel organe il relève au chapitre du code de déontologie et du système de gouvernance.

Le sénateur Pratte : Je me rends compte que, même si vous n'approuvez pas le projet de loi en général, vous seriez quelque peu rassurés d'avoir une définition qui viserait les journalistes professionnels plutôt que la gamme complète de personnes qui écrivent des articles d'information, et cetera. Est-ce bien le cas?

Mme Huntsman : Nous convenons que la définition permettrait certainement d'améliorer la situation.

Le sénateur Pratte : Si je comprends bien l'intention de l'auteur du projet de loi, une des raisons qui justifient le renversement de la preuve, c'est parce qu'il serait beaucoup plus difficile pour le journaliste ou l'organisation médiatique de démontrer qu'il s'agissait du seul moyen d'obtenir les renseignements ou de faire produire le document en question. L'organisation policière aurait plus de facilité à démontrer cela.

Mme Huntsman : Tout ce que je répondrai à cette observation, sénateur, c'est que la Cour suprême du Canada a établi les quatre critères de Wigmore, qui doivent être remplis en cas de privilège du secret des sources journalistiques. La Cour suprême a indiqué très clairement qu'il appartient à la personne qui demande à se prévaloir du privilège de respecter chacun des quatre critères. Si ce n'était pas le cas, c'est-à-dire si on renversait le fardeau de la preuve, cela signifierait presque qu'on présuppose l'existence du privilège et qu'on crée un privilège générique, alors qu'il n'y avait manifestement aucune intention en ce sens.

La seule remarque que je pourrais ajouter, c'est que la Cour suprême du Canada n'a vu aucun problème à ce que le fardeau soit clairement imposé à la partie qui réclame le privilège. Au moins, dans la décision publiée, les médias ne semblent pas avoir déclaré qu'il leur serait indûment difficile de remplir ces critères.

Le sénateur Pratte : Je m'apprête à aborder un sujet qui est très risqué pour un journaliste, mais pas pour un avocat : si la cour a hésité à accorder ce privilège ou cette protection constitutionnelle, c'est parce que le terme « journaliste » n'était pas vraiment bien défini. N'est-ce pas?

Mme Huntsman : Exactement. C'est une partie du problème : on crée presque un privilège générique pour un groupe qui est complètement impossible à définir, contrairement aux avocats qui sont membres d'un barreau et aux médecins dont la profession est réglementée. Évidemment, nous savons que les journalistes n'appartiennent à aucun ordre professionnel.

Le sénateur Pratte : C'est pourquoi nous devrions définir le terme « journaliste », le mieux possible, dans le projet de loi. Merci.

Le vice-président : Nous allons maintenant entendre deux intervenants qui ont beaucoup d'expérience dans le domaine policier. À cet égard, je dois dire que ce qui m'a paru très important dans l'exposé de l'Association canadienne des chefs de police, c'est que vous estimez que le projet de loi va au-delà de l'intention du législateur et évacue même la notion de situations d'urgence. Vous n'avez pas utilisé l'expression « situations d'urgence », mais c'est ce que vous vouliez dire.

Mme Huntsman : Oui.

Le vice-président : Toujours est-il que cela rejette complètement l'idée des situations d'urgence lorsqu'un agent de police essaie de s'acquitter de ses fonctions au-delà de ce qui était prévu. Sur ce, je vais céder la parole à quelqu'un qui a beaucoup d'expérience. Nous allons donc entendre un ancien membre de la GRC et de la police provinciale, puis un autre de la Sûreté.

Le sénateur White : Merci à tous deux d'être des nôtres.

Surintendant, combien d'années de service comptez-vous?

M. Stuart : Vingt-huit ans ce mois-ci.

Le sénateur White : Le tout à Calgary?

M. Stuart : Oui, le tout auprès du Service de police de Calgary.

Le sénateur White : Pouvez-vous nous parler d'une situation où vous auriez présenté une demande de mandat de perquisition ou d'autorisation d'écoute électronique afin de découvrir le nom d'un informateur auprès d'un organe de presse?

M. Stuart : Cela ne m'est jamais arrivé.

Le sénateur White : Avez-vous déjà approuvé une telle demande au sein du Service de police de Calgary?

M. Stuart : Je ne l'ai jamais fait.

Le sénateur White : Vous n'avez jamais eu affaire à de tels cas?

M. Stuart : Jamais. J'ai passé une bonne partie de ma carrière dans le domaine du crime organisé et des enquêtes criminelles majeures à titre de sergent-détective d'état-major, d'inspecteur et, maintenant, de surintendant, et je n'ai jamais vu cela.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à MM. Stuart et Stamatakis. Il y a 15 jours, des journalistes ont comparu devant notre comité, et M. Brian Myles, le directeur du journal Le Devoir, a fait un commentaire voulant que les policiers aient tendance à « faire les coins ronds » lors de leurs enquêtes. Évidemment, les policiers cherchaient à compléter leurs enquêtes en essayant d'obtenir les sources des journalistes pour avoir des résultats plus rapidement.

À titre de policiers de carrière, avez-vous l'impression que les policiers ont tendance à faire appel aux sources journalistiques pour économiser du temps?

[Traduction]

M. Stuart : Je peux répondre en premier; je vous remercie.

En ma qualité de superviseur, de chef et, maintenant, de surintendant au sein d'une grande organisation policière, il est de mon devoir de m'assurer que les enquêtes sont menées correctement, dans le respect de la loi et des procédures politiques ainsi qu'en conformité avec l'Alberta Police Act, le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada.

Si mon examen des enquêtes révèle le contraire, l'affaire sera réglée immédiatement au moyen du processus disciplinaire en vertu de l'Alberta Police Act et aux termes des politiques et procédures du Service de police de Calgary.

Y a-t-il eu des cas où des policiers ont bâclé leurs enquêtes? Oui, mais il existe de nombreux mécanismes de freins et de contrepoids au sein des organisations policières, notamment la surveillance civile, les commissions de police, entre autres celle de l'Ontario, qui surveillent de telles situations, ainsi que la Criminal Lawyers' Association of Alberta, une association très rigoureuse et très progressiste qui se penche là-dessus lorsque ces affaires sont portées devant les tribunaux.

Je le répète, en ce qui a trait aux enquêtes par écoute électronique, plusieurs paliers de surveillance entrent en jeu. Une des choses les plus envahissantes que font les agents de police ou les équipes d'enquêtes policières, c'est l'écoute et l'interception des conversations. Si nous perdons la confiance des tribunaux et de nos citoyens, alors nous serons incapables de faire notre travail, et ces outils nous seront retirés.

À la suite d'une série d'événements qui sont survenus au fil du temps, toute écoute électronique doit maintenant faire l'objet d'un contrôle et d'une autorisation judiciaires. Il faut l'exécuter à l'intérieur d'un certain nombre de jours, et on doit obtenir une nouvelle approbation si on veut en prolonger le délai.

Une fois l'enquête terminée, l'équipe informe la personne placée sous surveillance qu'elle faisait l'objet d'un mandat d'écoute électronique ou de localisation. Cela fait partie des renseignements qui lui sont divulgués.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Stamatakis, avez-vous un commentaire à faire?

[Traduction]

M. Stamatakis : Oui. Je rejette d'emblée toute suggestion selon laquelle les policiers prennent régulièrement des raccourcis. Cela ne correspond certainement pas à mon expérience de policier opérationnel au tout début de ma carrière.

Je peux vous donner une autre perspective, qui s'ajoute à celle du surintendant. Je représente activement des policiers depuis presque 20 ans et je peux vous dire que, même dans cette fonction, j'ai rarement dû — peut-être à une ou deux exceptions près — représenter un policier faisant l'objet d'une enquête déontologique pour avoir pris des raccourcis devant le juge de paix ou pour avoir tenté d'obtenir un mandat en vue de faire quelque chose. Je rejette donc carrément cette affirmation.

Les policiers font des erreurs. Nous le savons. En général, ces erreurs sont rapidement traitées par le service concerné.

Nous reconnaissons qu'il faut prévoir des freins et des contrepoids appropriés. L'intrusion dans la vie privée des gens est une question que nous prenons très au sérieux et, dans notre métier, nous faisons très attention — que ce soit du point de vue de l'association ou des chefs de police — de ne pas utiliser de façon irresponsable notre pouvoir lié à l'obtention d'un mandat d'écoute électronique ou de toute autre autorisation judiciaire pour effectuer des perquisitions ou obtenir des renseignements.

Je ne peux tout simplement pas accepter l'affirmation selon laquelle de tels cas se produisent régulièrement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai une question à poser à Mme Huntsman. Vous avez mentionné que, effectivement, il y avait différentes façons de gérer les mandats dans les provinces canadiennes. Les provinces agissent différemment d'un territoire à l'autre. Devant ce constat, ne trouvez-vous pas qu'il y aurait peut-être lieu d'adopter un projet de loi qui puisse normaliser les choses et éviter les interprétations?

[Traduction]

Mme Huntsman : Je crois que l'intention du projet de loi est d'empêcher les juges de paix de délivrer des mandats de perquisition concernant des journalistes. C'est, à mon avis, un des objectifs du projet de loi. Je peux seulement dire que, oui, je conviens que l'uniformité et la conformité sont une bonne chose et que les juges de paix semblent effectivement avoir différents pouvoirs d'une province à l'autre.

Toutefois, je trouve qu'il est erroné de promouvoir ce projet de loi en partant de la prémisse que les juges de paix ne sont pas qualifiés ou qu'ils n'ont pas la formation nécessaire pour délivrer de tels mandats de perquisition.

Le vice-président : Je ne sais pas, madame Huntsman, si vous avez jeté un coup d'œil au projet de loi qui comprend la rubrique « Mandat, autorisation et ordonnance » et qui fait ensuite allusion à un mandat de perquisition, plus précisément à l'article 492.1 ou 492.2. Il y est question de mandats de location et non de perquisition.

À l'article 487.01, un mandat général n'est pas un mandat de perquisition, mais plutôt une technique d'enquête policière. Il s'agirait des mandats qu'on utiliserait pour faire de la localisation dans les circonstances dont nous discutons. Ensuite, l'article énonce que les mandats prévus aux articles 186 et 188 devraient être délivrés par un juge de la cour supérieure. C'est déjà le cas.

Mme Huntsman : C'est exact.

Le vice-président : C'est déjà le cas.

Je veux maintenant céder la parole à l'ancienne présidente de l'Association canadienne des chefs de police, la sénatrice Boniface.

La sénatrice Boniface : En fait, le sénateur Pratte a posé ma question. Je me demandais simplement si nous pouvions obtenir une réponse de l'Association canadienne des policiers quant à la définition de « journaliste », car je ne pense pas que le président ait eu la chance d'y répondre.

M. Stamatakis : J'aimerais simplement revenir sur les commentaires qui ont déjà été formulés par les autres témoins. C'est une préoccupation clé. La définition est trop vaste, et je pense que si le comité pouvait faire quelque chose, il pourrait mieux définir qui serait visé dans cette définition de journaliste. Cela ferait une énorme différence.

Je peux vous dire du point de vue d'un service de police de première ligne que la question pour nous est, premièrement, celle de l'accès. Où allons-nous et pouvons-nous obtenir l'accès lorsque nous essayons de rejoindre ces organismes?

Le second point est que lorsqu'on a affaire à des gens dans la rue, en particulier de nos jours avec la prolifération d'appareils que tout le monde porte sur soi en tout temps, tout est filmé. Nous devons constamment composer avec des situations où les gens prétendent faire un reportage pour quelqu'un, afficher l'information quelque part ou tenir un blogue. Je sais que je suis un peu hors sujet, mais ils sont mieux protégés pour ce qui est de réaliser des vidéos et de faire telle ou telle chose. J'ai déjà témoigné devant des comités et fait des présentations sur des questions concernant le système de justice pénale, les retards et le fardeau administratif qui pèse sur les agents de police alors qu'ils essaient de s'acquitter de leurs tâches dans les collectivités et, sur le plan de l'efficacité, la définition et la mesure dans laquelle elle est générale sont maintenant assez préoccupantes.

Le vice-président : Merci.

Madame Huntsman, vous n'avez pas eu l'occasion de répondre à ma question. Pensez-vous que ce projet de loi doive passer à la prochaine étape sans couvrir l'article 487.01, qui est la disposition sur le mandat général prévue au Code criminel? Il ne s'agit manifestement pas d'un mandat de perquisition, et il existe toute une distinction entre les deux, comme vous le savez. Vous avez été procureure de la Couronne. Vous avez géré bien des affaires. Vous connaissez la jurisprudence. J'y ai jeté un coup d'œil. Pensez-vous que cela doive être corrigé?

Mme Huntsman : Je me demande si c'est par erreur que la disposition sur les mandats généraux n'a pas été incluse. De toute évidence, nous savons que c'est un mandat que la police délivre et utilise, qui peut faire toutes sortes de choses merveilleuses et magiques.

Le vice-président : Oh, mon doux, oui.

Mme Huntsman : Je me demande moi-même pourquoi on ne l'a pas incluse.

De plus, peut-être que le terme « mandat de perquisition » pourrait être remplacé par « autorisation judiciaire ». Peut-être que cela réglerait la question.

Le vice-président : Absolument.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J'aimerais que vous m'aidiez à comprendre la situation dont nous sommes saisis. Je présume que tout le monde ici est de bonne foi, y compris moi-même. Comme avocate, je respecte toutes les exigences que la loi et le Barreau m'imposent. Je vous accorde le même bénéfice du doute. Nous sommes tous, ici, des gens de bonne foi qui respectent la loi.

Toutefois, nous ne sommes pas ici pour rien. Apparemment, il y a des problèmes, et nous devons prendre certaines décisions. Un projet de loi se trouve devant nous. Nous devons choisir entre ce que vous appelez des « intérêts opposés ». Des problèmes de toutes sortes se posent certainement. Nous avons beaucoup entendu le point de vue des journalistes, à savoir pourquoi ils ont un problème. Il a été question de la définition de « journaliste » et de la définition de « média ».

Comme moi, vous devez lire les articles du Globe and Mail sur les plaintes d'agressions sexuelles. Un problème se pose sans aucun doute. À moins que le Globe and Mail ne l'ait inventé de toute pièce et qu'on soit assez crédule pour le croire les yeux fermés, après avoir lu l'article, je crois qu'un problème se pose. Le dossier des femmes autochtones disparues est un autre sujet qui pose problème. Je ne sais de quel ordre il est, mais il y a un problème, qui sera peut-être mieux documenté après la tenue d'une commission d'enquête.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, même les gens du Globe and Mail nous ont confirmé que le problème n'est pas uniquement québécois. Toutefois, ce que le problème québécois a révélé, c'est qu'il est beaucoup plus profond, d'un point de vue systémique, que ce qu'on aurait pu croire au début. On aurait pu dire que ce n'est qu'un inspecteur qui est intervenu auprès du même juge de la paix. Je ne le tiens même pas pour acquis. Je crois que tout le monde a fait son travail. On a travaillé fort. La personne n'a pas réussi à obtenir un premier mandat, on a corrigé le tir, on a redemandé à différents juges. Tout le monde est de bonne foi.

Du moins au Québec, je crois qu'on commence à prendre conscience du fait que le problème est beaucoup plus profond au sein des services policiers. J'aimerais profiter du fait que nous avons devant nous à la fois des représentants des services policiers, et vous, qui avez forcément une autre perspective, puisque vous représentez les chefs de police. C'est précisément ce qui est en jeu, dans les discussions qui se tiennent dans le cadre de la commission d'enquête au Québec.

Ce que vous nous avez dit est déjà plus clair, en ce qui concerne la nécessité, selon vous, dans le but de bien faire votre travail, de mieux définir ce qu'est un journaliste. Y a-t-il une réponse à une question qu'on ne vous a pas posée et qui nous aiderait à mieux comprendre? Je tiens pour acquis que vous faites très bien votre travail, que vos policiers font très bien leur travail, et que rien, ni à Vancouver ni à Calgary, ne pose problème. Cependant, partout ailleurs, il semble y avoir des problèmes.

[Traduction]

Le vice-président : Là est la question. C'est probablement la seule et unique question de la sénatrice, mais c'en est une très importante.

M. Stuart : C'est une question très importante. Je vous remercie de l'avoir posée.

J'en reviens au commentaire original de Mme Huntsman selon lequel les médias sont très importants dans notre démocratie. Vous avez parlé de l'article du Globe and Mail concernant les agressions sexuelles que des agents de police ont jugé être sans fondement, et le surintendant responsable des crimes majeurs et des enquêtes spécialisées du Service de police de Calgary nous a forcés à retourner dans notre organisation pour nous pencher sur la question. C'est un travail très important que le Globe and Mail a accompli.

Je pense que pour être une organisation policière forte et stratégique, il vous faut bénéficier de soutien et de compréhension. Pour ce faire, vous devez pouvoir compter sur la collectivité, la commission ou le conseil de police, le conseil municipal, vos employés, mais aussi sur une relation de travail avec les médias. C'est très important. Je prends la chose au sérieux et je l'ai fait tout au long de ma carrière.

Ce n'est pas du tout une question d'opposer la police aux médias, mais bien d'une collaboration entre les deux. Nous faisons souvent appel aux médias pour nous aider dans nos enquêtes, et il est très important pour nous d'entretenir cette relation et de pouvoir compter sur eux.

Y a-t-il des problèmes au sein des services policiers? On soulève ces questions qui font ensuite l'objet d'enquêtes, comme je crois savoir que c'est le cas, au Québec, en ce qui concerne la commission, et dans d'autres secteurs. Il est important qu'on s'attarde à ces questions et qu'elles soient revues par des civils pour veiller à ce qu'elles soient bien traitées au plan de la gouvernance. Il y a l'Alberta Law Enforcement Review Board qui assure la surveillance civile des enquêtes policières.

Nous ne sommes pas en opposition. Nous travaillons ensemble pour le bien de la démocratie au Canada.

Le vice-président : Merci beaucoup. J'ignore si M. Stamatakis souhaite avoir le mot de la fin.

M. Stamatakis : J'en reviens à ce que Mme Huntsman a dit au départ. J'irais avec sa suggestion que nous attendions de connaître les conclusions de la commission d'enquête au Québec pour mieux comprendre l'ampleur du problème. Cela pourrait nous aider à prendre de meilleures décisions en ce qui concerne une nouvelle mesure législative qui, comme elle l'a fait remarquer, crée cette nouvelle catégorie de privilège, et à déterminer si nous devons aller aussi loin pour régler ce qui semble actuellement un problème, mais qui n'en est peut-être pas un.

Je reviens au commentaire du sénateur White concernant la fréquence à laquelle j'ai traité cette question. J'en suis à ma 28e année de service. Je n'ai jamais traité la question moi-même et j'ignore si elle s'est déjà présentée dans mon service lorsqu'il a fallu obtenir une de ces autorisations.

Alors voilà ce qui nous préoccupe. Est-ce que nous allons trop loin trop vite? Je ne dis pas que nous n'avons pas besoin de faire quelque chose, mais allons-nous trop vite? C'est tout.

Le vice-président : Merci aux témoins.

Monsieur Stamatakis, vous avez fait d'excellentes contributions au comité par le passé, et nous tenons à vous remercier et à vous féliciter pour votre poste de président.

Monsieur Stuart, merci de votre excellent témoignage.

Madame Huntsman, grâce à votre connaissance du droit, vous avez toujours su nous informer, et nous vous en savons gré.

Mme Huntsman : Merci.

Le vice-président : Pendant notre deuxième heure, nous accueillons deux personnes qui ont accepté de témoigner devant nous à très court préavis et nous les en remercions.

Nous accueillons M. Claude Robillard, auteur du livre La liberté de presse, la liberté de tous, et qui était aussi, je pense, président de la Fédération des journalistes du Québec à un moment donné.

Nous accueillons aussi Jamie Cameron, professeure à l'Osgoode Hall Law School, qui nous rejoint par vidéoconférence de Toronto. C'est une experte en matière de liberté de la presse qui a défendu les libertés civiles canadiennes dans l'affaire concernant le Globe and Mail à la Cour suprême du Canada. Je crois que c'est un fait.

Nous allons d'abord demander à M. Robillard de faire sa présentation.

[Français]

Claude Robillard, auteur — La liberté de presse, la liberté de tous, à titre personnel : Je suis heureux d'être parmi vous. J'attends cette occasion depuis 27 ans, car mon premier grand mandat à titre de secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec était de siéger à un comité sur la protection des sources journalistiques avec le Barreau du Québec. On a conclu l'exercice en 1990 par un protocole d'entente selon lequel on demandait au gouvernement une loi pour protéger les sources à l'aide de certains critères.

Vingt-sept ans plus tard, je me retrouve devant vous avec un très bon projet de loi. Il y a peut-être une occasion historique de faire un pas en avant. Je pense que, par rapport à tous ceux qui ont des craintes, il y a une quarantaine d'États américains qui disposent de lois de protection des sources, sans compter la Nouvelle-Zélande, l'Australie, les pays du Commonwealth, la Belgique, la France et l'Union européenne. Il existe des forces policières dans ces pays qui comprennent les craintes qu'on peut avoir et qui fonctionnent malgré les lois. Donc, il faut être assez réaliste quant aux craintes que l'on peut avoir.

Depuis 1990, il n'y a pas eu beaucoup de progrès. Je suis convaincu qu'il faut concevoir les sources confidentielles des journalistes comme une partie intrinsèque de la société démocratique. C'est un rouage essentiel de notre démocratie. Jusqu'à un certain point, c'est la voix de ceux qui n'en ont pas. Durant mes 24 années à la Fédération des journalistes, on s'est beaucoup penché sur les communications gouvernementales, entre autres, et on a élaboré trois dossiers noirs étayés avec des faits. On a examiné les politiques de communication du gouvernement et on s'est aperçu qu'elles se resserrent de plus en plus. Il y a de moins en moins de gens qui ont le droit de parler. Pour demander une information anodine, il faut presque remonter dans une grande chaîne hiérarchique. Trois semaines plus tard, on nous revient sans réponse ou en nous demandant d'écrire par courriel. Dans les sociétés québécoise et canadienne, l'information sur les affaires du gouvernement est de plus en plus surveillée. On dispose de dossiers très étayés là- dessus.

Ce à quoi les citoyens peuvent s'attendre, c'est-à-dire ce qu'ils reçoivent si on n'a pas de source confidentielle ou ce type de coulage, c'est une information officielle, qui nous indique quel organisme public pourra nous répondre. La police peut être un organisme public, un ministère, une agence paramunicipale ou autre.

Si on se retrouve uniquement avec les points de vue officiels sur ce qui se passe dans la société, on a une société dans laquelle on ne veut pas vivre. On ne veut pas être dans une société où il y a seulement le point de vue officiel qui peut circuler, les autres points de vue étant court-circuités.

Je vais vous donner un exemple qui date de samedi dernier. À la première page de La Presse, on voit le titre « Autopsie d'un camouflage ». L'article nous parle du procès d'un entraîneur accusé d'avoir agressé sexuellement 12 jeunes skieuses dans les années 1990. La Presse a appris que la direction de l'équipe nationale de ski alpin a tenté de dissuader les victimes de porter plainte. L'article est très court. On dit que la fédération sportive, appelée Canada Alpin, a fait une enquête. Elle a suspendu l'entraîneur, qui a démissionné quelques jours après, après quoi on nous raconte que c'est alors qu'une vaste entreprise de camouflage a commencé. Aux trois athlètes qui sont au cœur du scandale, on suggère de se taire, en évoquant la possibilité de perdre des commanditaires et l'impact de cette histoire sur leur carrière. On a affirmé à La Presse cinq sources issues du monde du ski et qui ne sont pas autorisées à parler publiquement de cette affaire. On voit ici l'autre côté de la médaille. Il y a une organisation qui a l'air de faire du camouflage, et c'est grâce à des sources internes qu'on peut savoir ces choses.

Ce que je veux vous dire aujourd'hui, c'est que, pour favoriser la démocratie, il faut que, les sources étant protégées, les décideurs sachent qu'elles sont sous surveillance. Il peut y avoir quelqu'un qui, sans droit de représailles, parle aux journalistes et fasse connaître quelque chose qui est d'intérêt public. En protégeant les sources, on limite les dérapages éventuels et on encourage les gens à sentir qu'ils ont une voix; ils ne sont pas des pions impuissants. D'ailleurs, les émissions de consommation comme J.E. et La facture reçoivent des centaines d'appels téléphoniques de citoyens qui sentent qu'ils n'ont pas de voix. En dénonçant une situation à un journaliste, qui fera ensuite enquête, ils ont le sentiment de participer à la société. Par conséquent, il est très bon pour la démocratique que les sources soient protégées.

Mon deuxième point est le suivant. La loi a fait un grand pas en avant avec ce projet de loi. Toutefois, il faut affirmer clairement que la liberté d'expression et la liberté de presse qui en découle sont du plus grand intérêt public. Dans le projet de loi, on parle de l'intérêt public. À l'alinéa 3(3)b), sous la rubrique « Code criminel », on dit qu'il faut être convaincu « que l'intérêt public à faire des enquêtes et entreprendre des poursuites relatives à des infractions criminelles l'emporte sur le droit du journaliste à la confidentialité ».

On pourrait tourner cet argument de manière plus subtile en disant qu'il y a deux visions de l'intérêt public ou deux aspects de l'intérêt public qui s'affrontent. Ce n'est pas le droit du journaliste contre l'intérêt public de faire une enquête. C'est l'intérêt public de faire une enquête contre l'intérêt public à défendre un droit fondamental, qui est la liberté d'expression et la liberté de presse.

Dans le protocole d'entente avec le Barreau dont je parlais plus tôt, on disait que deux principes fondamentaux s'affrontent. L'intérêt public impose, en effet, que justice soit rendue, que tous les éléments de preuve soient fournis au tribunal. Par contre, une autre dimension tout aussi importante de l'intérêt public, la libre circulation de l'information, exige que la presse puisse avoir recours, au besoin, à des sources confidentielles. On se retrouve donc avec ces deux visions de l'intérêt public. Si on dit que les policiers servent l'intérêt public en faisant une perquisition, la source et la protection des sources servent aussi l'intérêt public. Il y a une pondération à faire, mais je pense qu'il est intéressant de présenter l'argument de cette façon.

Je dirais que, dans le fond, la liberté de presse n'est pas ce qui reste quand toutes les autres libertés ont été satisfaites. La Charte canadienne des droits et libertés contient beaucoup de libertés, et la Cour suprême dit qu'il n'y a pas de hiérarchie. Il reste que, dans la tête des gens, la liberté de presse est parfois reléguée à la banquette arrière. J'en ai pour preuve des gens à qui j'ai parlé, en faisant ma recherche dans le cadre de la rédaction du livre sur la liberté de presse. Même des universitaires trouvaient que la liberté de presse était un concept corporatiste. Or, ce n'est pas un concept corporatiste, mais un droit fondamental inscrit dans les chartes. Il découle de la liberté d'expression. Tous les citoyens ont droit à la liberté d'expression. Lorsqu'on invoque l'argument que l'enquête ira moins bien, on se heurte à des droits fondamentaux, donc il faut y aller avec énormément de précautions.

Pour mon troisième et dernier point, je vais vous donner une petite primeur. J'ai posé un certain nombre de questions à des journalistes. C'est-à-dire que je me suis entendu avec la Fédération des journalistes — étant retraité, je n'y travaille plus — pour qu'ils transmettent les questions du sondage aux membres professionnels. En ce moment, on est en train de recueillir les données. Ce n'est pas un sondage scientifique, mais c'est tout de même assez intéressant.

Je vais vous lire les questions très rapidement. La première se lit comme suit : « Vous arrive-t-il d'utiliser des sources confidentielles dans vos reportages? » Un peu plus d'une centaine de journalistes y ont répondu. Voici les réponses : jamais, 1,9 p. 100; rarement, 57 p. 100; assez souvent, 24 p. 100; souvent, 16 p. 100.

Donc, si on met « assez souvent » et « souvent » ensemble, on conclut que 41 p. 100 des journalistes utilisent des sources confidentielles dans leurs reportages. Ce n'est donc pas une question marginale comme on pourrait le penser.

La deuxième question se lit comme suit : « Lorsque vous avez eu recours à des sources confidentielles, comment qualifieriez-vous, en général, leur rôle dans vos reportages les plus marquants? Quel était le rôle des sources confidentielles dans le reportage? » Voici les réponses : essentiel, 59 p. 100, donc presque les deux tiers; important, 25 p. 100; utile, 15 p. 100; secondaire, 0 p. 100. Personne ne trouve qu'il est plutôt secondaire d'utiliser des sources. Les sources ont donc un rôle fort important dans les reportages en question.

La dernière question se lit comme suit : « Croyez-vous que ces sources vous auraient confié l'information si vous ne leur aviez pas garanti la confidentialité? » Là, il y a le choix entre « oui », « non » et « cela dépend des cas ». Réponses : oui, 1,9 p. 100; non, 87 p. 100; cela dépend des cas, 10 p. 100. Il y a donc grosso modo un journaliste sur 10 qui dit qu'il n'aurait pas obtenu l'information s'il n'avait pas promis la confidentialité.

Je vous épargne l'autre question, mais on leur demandait de donner des exemples d'information qui serait d'intérêt public et qu'ils auraient pu diffuser grâce à des sources confidentielles. On voit toute une série de réponses, comme celle de La Presse dont je vous parlais plus tôt, qui est d'intérêt public.

C'est la petite primeur que je voulais vous donner. Les chiffres ne sont pas définitifs, mais cela vous donne tout de même une idée de la tendance très récente de ce qui en est.

[Traduction]

Le vice-président : Merci, monsieur Robillard.

Nous allons maintenant entendre notre prochain témoin, Jamie Cameron.

Jamie Cameron, professeure, Osgoode Hall Law School, Université York, à titre personnel : Membres du comité, je vous salue depuis Toronto. Merci de m'avoir invitée à participer à votre discussion sur le projet de loi S-231. J'aurais aimé être dans la pièce avec vous, mais ça n'a pas été possible.

J'occupe un poste à plein temps au sein de la faculté de l'Osgoode Hall Law School depuis 1984. Comme le président l'a mentionné, une bonne partie de mon travail au fil des ans a porté sur la liberté d'expression et la liberté de la presse. En fait, j'ai témoigné devant la Cour suprême du Canada dans le cas des deux affaires portant sur les sources journalistiques, l'affaire du National Post et celle du Globe and Mail.

Je n'ai pas vraiment de présentation pour vous. Je m'excuse de ne pas avoir pu vous envoyer d'aperçu de mon intervention. J'arrive un peu à la dernière minute, mais j'accueille favorablement le projet de loi S-231. J'estime depuis de nombreuses années que les sources journalistiques ont besoin d'être protégées par la loi.

Je vais formuler quelques commentaires brefs avant de répondre aux questions, car c'est peut-être la meilleure façon pour moi de me rendre utile au comité.

Premièrement, à mon sens, les événements récents montrent clairement que la loi actuelle ne protège pas adéquatement les journalistes et le processus de collecte des faits.

J'ai deux autres points à soulever à cet égard. Premièrement, nous devrions nous rappeler que la liberté de la presse et les médias jouissent d'une protection constitutionnelle au titre de l'alinéa 2b) de la Charte des droits et libertés. C'est un point très important, selon moi, à prendre en compte dans toute discussion concernant le projet de loi à l'étude.

Le second point qui s'y rapporte est que nous devrions aussi garder à l'esprit — comme mon coprésentateur, M. Robillard, l'a déjà mentionné — que les médias et la presse jouent un rôle essentiel et très distinct dans la gouvernance démocratique. En effet, la collecte de faits, le journalisme d'enquête et la diffusion de nouvelles et de commentaires à grande échelle promeuvent les valeurs démocratiques fondamentales que sont la transparence et la responsabilité.

De mon point de vue, la presse, les médias et les journalistes sont vraiment les agents et les serviteurs de la démocratie. Ils ne peuvent pas réellement jouer ce rôle et s'acquitter de cette responsabilité à moins, d'une part, de mener leurs activités journalistiques indépendamment de la police et de l'État et, d'autre part, de pouvoir procéder à leur collecte de faits et à leur travail journalistique sans l'intervention de la police et de l'État.

Je pensais vraiment que mon rôle principal ici aujourd'hui était de répondre aux questions, alors je terminerai en disant que je suis très favorable au projet de loi S-231. Il contribue à faire en sorte que le Canada rattrape les autres pays et qu'il soit sur un pied d'égalité avec ceux qui ont déjà pris des mesures pour offrir une protection légale aux sources journalistiques confidentielles. De ce point de vue, je le vois vraiment comme un pas en avant.

Cela étant dit, je serai ravie de répondre aux questions que les membres du comité pourraient vouloir m'adresser. Merci beaucoup.

Le vice-président : Merci, madame Cameron. Nous vous savons gré de pouvoir témoigner devant nous à si court préavis.

[Français]

Le sénateur Carignan : J'aimerais revenir au témoignage des policiers qui ont comparu plus tôt et qui disaient qu'ils trouvaient qu'on allait trop rapidement. Je comprends que, dans les deux cas, vous trouvez que nous sommes loin d'être allés rapidement. Cela fait plusieurs années que la demande est formulée.

Je voudrais entendre votre opinion au sujet de l'importance que la protection soit statutaire, c'est-à-dire qu'elle soit insérée dans une loi. On a entendu les représentants des corps policiers dire que cela existe déjà, que la jurisprudence existe, que la Cour suprême a rendu une décision. D'après moi, le fait d'avoir une protection statutaire apporte évidemment une clarté quant à la protection des sources. Mais cela a aussi pour effet de communiquer aux sources le fait qu'il existe une protection, que cette protection n'est pas fluide et qu'elle dépend de ce qu'un juge va décider dans cinq ou dix ans. C'est un fait connu, qui est vérifiable par eux, et qui n'aura donc pas l'effet négatif de tarir les sources. À la suite des événements, des journalistes ont témoigné sur le fait que cela avait eu l'effet de tarir les sources, parce qu'elles craignent d'être identifiées.

J'y vois donc un effet de publicité leur faisant savoir qu'il existe une protection, qu'elle est encadrée, qu'elles peuvent la mesurer, en connaître les tenants et les aboutissants. Il y a donc un effet de protection qui leur permettra de parler dans l'intérêt public. Est-ce que vous observez ce même effet? Et est-ce que vous constatez d'autres effets positifs à adopter une protection statutaire?

M. Robillard : Vous m'enlevez les mots de la bouche. J'aurais pu avoir les mêmes propos, pour dire qu'effectivement, cela a un effet pédagogique, un effet de clarté auprès des sources, auprès des journalistes, auprès des juges, aussi.

On a parlé des juges de paix. Je ne suis pas qualifié pour évaluer le travail des juges de paix. Mais il reste que si le juge de paix a à chercher des jurisprudences de centaines de pages et que cela varie, il peut y avoir des problèmes. Une loi indiquera clairement l'état de la situation, les paramètres dont il faut tenir compte, et les protections accordées.

Plus tôt, lors du témoignage des policiers, on avait l'impression qu'ils parlaient de protection des journalistes. On ne protège pas les journalistes, mais on protège leurs sources. Ce n'est pas le journaliste qui est à l'abri d'une arrestation pour conduite avec facultés affaiblies par l'alcool.

Je crois que la question de la législation vient du fait que, s'il y a eu des lois, c'est parce qu'à un moment donné, il y a eu des problèmes considérables qui se sont présentés. En Belgique, il y a eu des problèmes de perquisition policière dans les médias, et cela n'avait aucun sens. C'est remonté jusqu'à la Cour européenne, qui a dit que cela violait les conventions européennes des droits de l'homme. Ils ont dû refaire leur travail. Mais cela est toujours lié au fait qu'il y a des abus et des excès. Pourquoi existe-t-on? Pourquoi votre comité étudie-t-il ce projet de loi? C'est parce qu'il y a eu des excès au Québec, et cela se passe de façon récurrente. Je crois que si la loi est bien faite, elle vient un peu encadrer cela.

[Traduction]

Mme Cameron : J'aurais dit que, même sans les événements récents qui sont survenus au Québec, le projet de loi S- 231 était vraiment nécessaire.

On se sert actuellement du critère de Wigmore pour protéger les sources journalistiques. Le comité le connaît probablement. Il s'agit d'un critère judiciaire qui a d'abord été proposé par un universitaire. Je vais expliquer pourquoi ce n'est pas une forme de protection adéquate des sources journalistiques.

Premièrement, c'est un critère général qui est appliqué à toutes sortes de privilèges. C'est une norme qui ne se rapporte pas précisément à la presse ou au journalisme pour déterminer la question du privilège ou de la protection. En conséquence, il ne tient pas vraiment compte du statut constitutionnel des journalistes et des membres de la presse. Je pense que c'est une limite très importante du critère de Wigmore pour protéger les journalistes au Canada.

L'autre point concernant le critère de Wigmore est le fardeau de la preuve. Au titre du critère de la common law actuel, le critère de Wigmore, il revient à la personne qui demande les protections de prouver ou de justifier le privilège, et non à la partie qui sollicite la divulgation. J'ai toujours pensé que c'était la mauvaise façon de procéder. La protection devrait se rapporter au privilège, et c'est à quiconque cherche à enlever ce privilège et à forcer la divulgation de renseignements concernant une relation confidentielle qu'il devrait incomber d'expliquer pourquoi cela est justifié. C'est une des choses que fait le projet de loi S-231 qui est, selon moi, très positive et qui rectifie la loi en vigueur.

L'autre chose que je dirais est que je suis bien d'avis que les normes positives énoncées dans un projet de loi réglementaire qui est promulgué sont une bien meilleure façon d'offrir la protection voulue aux sources confidentielles et l'assurance à tout le processus de collecte de faits pour qu'il n'y ait pas de gel de l'accès aux sources confidentielles dans le cadre de ce processus.

Je pense donc qu'il y a bien des avantages à offrir une protection légale et que le processus actuel de la common law est limité.

Le sénateur Pratte : J'aimerais adresser mes deux questions à Mme Cameron.

La première, vous y avez fait brièvement allusion. Vous avez mentionné les événements récents au Québec. Quelques-unes des personnes qui ont témoigné devant nous ont mentionné que cela semblait être un problème qui était survenu dans la province de Québec. En fait, un représentant des forces policières de l'extérieur du Québec a dit que le problème n'existe apparemment pas dans les autres provinces et que nous ne devrions donc pas modifier les lois fédérales, le Code criminel ou la Loi sur la preuve au Canada pour un problème qui semble se limiter à une province. Comment réagiriez-vous à cela?

Mme Cameron : Je ne suis pas d'accord avec la proposition. Comme je l'ai dit il y a un instant, même sans les événements récents au Québec, j'aurais appuyé le projet de loi S-231. On a déjà fait remarquer cet après-midi que, à cet égard, le Canada a pris du retard par rapport à de nombreuses démocraties qui ont déjà instauré ce type de protection.

Alors il est très probable que les événements survenus au Québec aient donné l'élan et l'inspiration nécessaires pour rédiger le projet de loi S-231, mais je pense qu'il est justifié en lui-même. Je crois aussi que, comme cela se fait dans le cadre du droit criminel et de la Loi sur la preuve au Canada, ce devrait être la norme à la grandeur du pays.

Alors nous ne faisons pas que nous pencher sur un problème ou une question au Québec. Je pense que c'est une question beaucoup plus vaste que cela, et nous n'avons simplement pas été incités à y donner suite avant aujourd'hui.

Le sénateur Pratte : Un autre argument qui a été soulevé devant le comité a été que ce projet de loi donnerait aux journalistes une protection légale dont un autre groupe de personnes — par exemple, les avocats — ne bénéficie pas. Les avocats jouissent d'une protection au titre de la common law, mais pas de la loi. Alors pourquoi les journalistes bénéficieraient-ils de ce type de protection?

Mme Cameron : Je pense que vous soulevez quelque chose d'important. Lors des discussions que nous avons au sujet de la protection de la presse, des protocoles spéciaux pour les mandats de perquisition et des règles spéciales en matière de preuve relativement aux sources confidentielles, nous entendons souvent des protestations affirmant qu'il s'agit là d'une forme de protection spéciale à l'intention des journalistes.

Ce que je réponds, c'est que cela renvoie à la fonction même du journalisme, de la collecte d'informations et du journalisme d'enquête. Cela renvoie au rôle de la presse en démocratie et aux valeurs fondamentales dont j'ai parlé tout à l'heure, nommément la transparence et la responsabilisation. Je dirais que c'est dans l'intérêt de la gouvernance démocratique que ces protections sont accordées.

Il convient aussi de souligner que l'octroi de ces protections ne se fait pas de manière absolue. Ces protections sont encore accordées au cas par cas et selon les circonstances. En fin de compte, il s'agit d'établir si l'équilibre soutient la divulgation des renseignements confidentiels plutôt que leur protection.

C'est une question qui doit être débattue à l'occasion de toutes les discussions au sujet de la loi, mais je crois que la réponse a quelque chose à voir avec le rôle que la presse joue dans le contexte d'une gouvernance démocratique.

Le vice-président : Bien entendu, il y a l'article 488 du Code criminel.

Sénateur Carignan, je crois que vous avez quelque chose à dire à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Carignan : J'aimerais clarifier une question. On mentionne souvent le droit du journaliste, mais je crois qu'il est important de faire la distinction suivante : ce projet de loi ne crée pas un droit pour le journaliste, mais bien un droit pour la protection de la source. Le journaliste a l'obligation de protéger la source, il doit prendre les mesures nécessaires en sa possession pour protéger la source. J'aimerais vous entendre sur ce point en particulier, madame Cameron.

[Traduction]

Le vice-président : Je vous prierais d'être brève, madame Cameron.

Mme Cameron : Vous avez raison, bien entendu, et c'est un autre aspect de la question. Toutefois, le privilège est en fait entre les mains du journaliste, car c'est lui qui décide dans quelle mesure les éléments de preuve sont recherchés. Je crois que c'est pour cette raison que l'on perçoit cela comme le droit pour les journalistes plutôt qu'un droit pour la protection de la source. La raison d'être du privilège reste cependant de protéger la source afin de permettre à la collecte d'informations et au journalisme d'enquête de se faire.

Le vice-président : Cela est très instructif.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Robillard, j'aimerais que vous précisiez davantage le point que vous avez soulevé, à savoir que l'information dans les corps publics d'aujourd'hui — les gouvernements, les corps policiers, les municipalités — est de plus en plus centralisée et beaucoup plus difficile d'accès qu'auparavant. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cet aspect de votre présentation?

M. Robillard : Je pourrais, mais votre projet de loi ne porte pas sur cette question.

Le sénateur Joyal : Quand même, cela a un impact.

M. Robillard : Lorsque j'étais à la Fédération des journalistes, on a créé trois dossiers noirs. Entre autres, on a demandé aux gens comment ils s'y prenaient pour obtenir de l'information de la part du gouvernement. Nous avons entendu des histoires d'horreur, sur des délais inacceptables et bien d'autres choses. On pouvait téléphoner à un agent de l'environnement en Outaouais puis recevoir une réponse de Québec. L'information est centralisée à Québec, et personne n'a le droit de parler, et cetera. On a rencontré des communicateurs gouvernementaux pour les informer de la situation. On leur a dit que les journalistes n'étaient pas contents, qu'ils avaient de la difficulté à obtenir des renseignements, alors que tout ce à quoi ils aspirent, c'est de transmettre l'information. Le journaliste ne fait pas ces démarches par intérêt personnel. On nous a répondu qu'on exagérait, que ces situations étaient rares, et ils ont tout repoussé du revers de la main.

En outre, par le truchement de la Loi sur l'accès à l'information, j'ai demandé à 23 organismes publics de me transmettre leurs politiques de communication. En analysant ces politiques, on a constaté que si un journaliste téléphone, des lumières rouges s'allument, et que c'est très délicat. C'est écrit noir sur blanc.

Toute cette procédure finit par stériliser l'information, par la rendre inadéquate parce qu'elle arrive trop tardivement et trop aseptisée. Toute cette centralisation et ce formatage par les services de communications sont un obstacle supplémentaire à la diffusion de l'information, au-delà du discours officiel.

C'est pour ces raisons que les sources confidentielles vont parfois nous informer qu'un nouveau rapport interne est arrivé et qu'il vaudrait la peine d'y jeter un coup d'œil. Elles mettent les journalistes sur des pistes et, ainsi, on peut briser un peu la façade de communication établie. C'était un peu le but de mon propos. À un moment donné, pour l'intérêt de la source d'information et du citoyen, il faut briser la façade, le mur de communication qui a été créé.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Madame Cameron, la partie du projet de loi qui modifie le paragraphe 488.01(3) — c'est à la page 4 du projet de loi — s'intitule « Mandat, autorisation et ordonnance ». D'après ce que je comprends de cet article du projet de loi, c'est que le juge doit être convaincu de deux choses : premièrement, qu'il n'existe aucun autre moyen par lequel les renseignements peuvent raisonnablement être obtenus et, deuxièmement, que l'intérêt public à faire des enquêtes et entreprendre des poursuites relatives à des infractions criminelles l'emporte sur le droit du journaliste à la confidentialité dans le processus de collecte et de diffusion d'informations.

L'impression que cela me donne, c'est que nous mettons le juge ni plus ni moins dans la position d'un enquêteur puisqu'il devra statuer sur le fait qu'il n'existe aucun autre moyen par lequel les renseignements peuvent raisonnablement être obtenus.

Habituellement, le juge doit se prononcer sur deux points de vue contraires. Il y a celui de la partie qui affirme qu'elle doit avoir le feu vert pour terminer son enquête, et l'autre, celui qui dit qu'il n'existe aucun autre moyen par lequel ces renseignements peuvent être obtenus.

Dans le cas où les points de vue divergeraient sur le fait qu'il n'existe aucun autre moyen d'obtenir les renseignements, ne serait-il pas mieux pour le juge d'entendre un avocat spécial qui serait en mesure de contredire les forces policières qui soutiendraient qu'il n'y a qu'une seule façon pour elles d'obtenir ces renseignements?

Cette disposition place en effet le juge dans une position difficile, puisqu'elle l'oblige à aller chercher l'information lui-même, attendu qu'il ne dispose que d'un point de vue, celui de la police. Or, il doit aussi tenir compte du fait qu'il doit se prononcer sur un enjeu d'intérêt public. Ne serait-il pas mieux pour le juge de demander l'aide d'un avocat spécial dans l'éventualité où il aurait besoin d'autres options que celle que lui présente la police?

Pour vous aider, CBC/Radio-Canada a proposé que cette disposition soit ajoutée au projet de loi comme moyen de donner des assises juridiques plus solides aux audiences, ainsi que pour préserver la neutralité et l'indépendance du juge. Ce serait plus ou moins comme ce que nous avons pour un certificat de sécurité. Comme vous le savez, dans la procédure présidant à l'obtention d'un certificat de sécurité, il y a un avocat spécial qui peut contredire les renseignements que les services de sécurité fournissent au juge pour plaider en faveur ou en défaveur de l'octroi dudit certificat.

Mme Cameron : Je ne suis pas certaine de bien comprendre la proposition ni à quel moment cet avocat spécial interviendrait dans le processus. Je présume que ce serait lors de la présentation initiale de la demande de mandat de perquisition — ou d'une autre autorisation ou ordonnance — par la police.

Permettez-moi de réfléchir tout haut. Je dirais deux choses. Tout d'abord, à la lecture du projet de loi, je constate que c'est à la police qu'incombe la responsabilité de persuader le juge qu'il n'existe aucun autre moyen par lequel les renseignements peuvent être obtenus. Pour ce faire, la police doit fournir une preuve par affidavit ou quelque autre forme de preuve. Deuxièmement, la police doit montrer que l'intérêt public à faire des enquêtes et entreprendre des poursuites relatives l'emporte sur le droit du journaliste à la confidentialité, ce qui peut aussi être débattu.

Je ne suis pas certaine que je serais aussi facilement persuadée qu'il soit nécessaire de compliquer la procédure outre mesure en faisant intervenir un avocat spécial. Ce n'est pas ce que nous faisons habituellement lorsque des mandats de perquisition sont demandés.

D'après ce que je comprends du projet de loi, c'est que des mécanismes seront déclenchés pour avertir les membres des médias qui pourraient être touchés par un mandat ou une ordonnance et leur fournir des explications dans l'éventualité où les renseignements feraient effectivement l'objet d'une divulgation.

Cela dit, je n'ai peut-être pas saisi correctement la proposition. Tout ce que je dis, c'est que je suis un peu hésitante à compliquer le processus outre mesure en faisant intervenir un avocat spécial, attendu que les processus qui s'appliquent habituellement aux mandats de perquisition et aux autorisations peuvent être modifiés pour fournir les protections nécessaires.

Le sénateur Joyal : Le Code criminel explique que la différence entre un mandat ordinaire et un mandat demandé dans ce cas particulier où l'intérêt public entre en jeu, c'est qu'ici, quelqu'un doit parler au nom de l'intérêt public. Il faut que quelqu'un le défende. Dans certains cas, c'est le juge qui aura à fournir des explications et à faire valoir les besoins de l'intérêt public.

Le juge sera également tenu d'évaluer s'il y a d'autres façons d'obtenir les informations dont il est question. Bien entendu, la police se présentera devant le juge avec un dossier déjà préparé. Elle aura préparé son argumentaire pour convaincre le juge que les deux conditions sont remplies. Sauf que cela ne suffit pas pour permettre au juge de se prononcer en toute impartialité sur les points de vue de la police. Le juge devra remettre en question les prétentions de la police selon lesquelles il n'y a pas d'autres moyens d'obtenir les renseignements, car il sera là pour parler au nom de l'intérêt public.

Le vice-président : Madame Cameron, comme il y a cinq autres sénateurs qui souhaitent vous poser des questions, je vous prierais de nous donner une réponse courte.

Mme Cameron : Je me contenterai de dire que je peux comprendre que la proposition vise à protéger la presse et l'intérêt public un peu plus. Dans cette optique, je crois que c'est une proposition qui se défend.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci à vous deux pour vos présentations. Monsieur Robillard, tel que vous l'avez mentionné, il est important de protéger les sources journalistiques et qu'il existe un lien de confiance entre le journaliste et ses sources. Autrement dit, il faut que les sources soient à l'aise, sinon la communication ne se fera pas, d'où l'importance du projet de loi. Pensez-vous que les sources seront plus à l'aise de révéler des renseignements si le projet de loi devient loi?

M. Robillard : Oui, parce qu'on pourrait leur expliquer ou leur vulgariser le contenu du projet de loi. On ajouterait un degré de confiance sans que ce soit une protection absolue. En ce moment, on dit aux journalistes qu'on ne peut rien leur garantir. Dans ce cas-ci, on pourrait dire que l'on garantit quelque chose dans un cadre donné. Donc, oui, cela donnerait une protection supplémentaire.

Le sénateur McIntyre : Si ce projet de loi devient loi, on devra nécessairement mener une campagne de sensibilisation auprès du public afin qu'il en prenne connaissance. Maintenant, il est sûr que l'affaire Lagacé a eu des conséquences au Québec et que les sources sont devenues craintives, comme s'il y avait un renard dans le poulailler. Est-ce que les sources craignent encore aujourd'hui de parler aux journalistes?

M. Robillard : Les chiffres que je vous ai donnés tantôt, ceux du sondage, datent d'hier soir. Quand on leur demande si elles auraient confié de l'information sans garantie de confidentialité, 87,38 p. 100 des sources disent que non, mais elles ne savent pas que la confidentialité n'est pas aussi garantie que cela. En d'autres mots, c'est une condition pour parler.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : Dans les textes et les articles que vous avez tous les deux écrits et publiés en tant que chercheurs, universitaires et auteurs, vous considérez-vous comme des journalistes qui seraient protégés par ces dispositions législatives, et croyez-vous que vos sources le seraient elles aussi?

[Français]

M. Robillard : Je ne suis pas journaliste. J'ai été secrétaire général de la fédération pendant 24 ans, et je n'ai jamais possédé la carte de presse de la fédération, que j'émettais.

[Traduction]

Mme Cameron : Présentement, je ne suis pas une journaliste. Je ne serais pas protégée par ce projet de loi.

Le sénateur Sinclair : Merci. Même en votre qualité de membre de l'équipe éditoriale de l'Osgoode Hall Law School?

Mme Cameron : Non, pas vraiment.

Le sénateur Sinclair : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Robillard, comme vous devez sûrement le savoir, j'ai été policier. Donc, j'ai connu beaucoup de journalistes. Sans vouloir être prétentieux, je peux vous dire que je pouvais quelques fois identifier les sources des journalistes. Je crois que c'est un bon projet de loi et qu'il faut protéger les sources. Je crois que chaque personne qui fournit une information à un journaliste le fait souvent par intérêt personnel ou par vengeance. Je ne veux pas commenter ce qui se passe au Service de police de Montréal, car cela fait l'objet d'une enquête, alors nous allons attendre la suite des événements. La Sûreté du Québec va enquêter, mais nous avons l'habitude de finir leur travail, vous savez.

Ceci étant dit, après coup, quand on s'aperçoit que ce qui a été publié n'était pas d'intérêt public, les journalistes ou les entreprises de presse n'ont pas de gomme à effacer magique au bout de leur crayon pour réparer les dommages qui ont été causés. Même si vous n'êtes pas journaliste, vous lisez sûrement les journaux. Vous êtes donc à même de constater qu'il arrive souvent que l'on retrouve la correction au bas d'une page très loin de la une du journal, ce qui n'aide pas à redonner sa réputation à un homme ou à une entreprise. Pourtant, le journaliste a fait son travail en écoutant sa source, alors que cette dernière a agi par vengeance.

Comment pourrait-on encadrer les attaques qui ne sont pas nécessairement d'intérêt public?

M. Robillard : On s'aventurerait sur un terrain très dangereux si on envisageait un encadrement. Les sources qui parlent par vengeance, honnêtement, je m'en fous. Est-ce vrai? Est-ce d'intérêt public? Prenons l'exemple des sources dans l'affaire de Canada Alpin. Voulaient-elles se venger de quelqu'un? Je ne le sais pas. Plusieurs disent qu'il y a du camouflage. C'est d'intérêt public lorsqu'on parle d'agression sexuelle. La motivation de la personne importe peu si l'information est vraie. Les journalistes qui reçoivent une information d'une source confidentielle font des vérifications, et il y a des procédures à suivre. Bien sûr, certains journalistes peuvent être moins bons que d'autres. Alors, s'il fallait essayer d'encadrer la réaction du journaliste à la suite de la communication de l'information, on serait dans un régime presque totalitaire, parce que le propre du journaliste est justement d'être l'émanation de la liberté d'expression.

Donc, tout le monde ici présent pourrait, à un moment donné, se lancer en journalisme, et ce serait parfait. Il y en aurait de bons et de moins bons. Certains arrêteraient après un an, alors que d'autres continueraient. On ne peut pas mettre le journalisme dans une petite boîte et penser que tout le monde travaillera de la même façon. À l'occasion, on les compare aux avocats et aux médecins. Il n'y a pas de droit constitutionnel à être avocat ou à être médecin, mais il y a un droit constitutionnel à s'exprimer, à avoir la liberté d'expression. Avec la liberté d'expression, il faut accepter qu'il y ait occasionnellement des âneries, et cetera. Si la personne a fini par nuire à quelqu'un, il existe des recours en diffamation. Si vraiment on peut prouver un dommage, de cause à effet, il y a un processus, et le journaliste n'est pas à l'abri. Si quelqu'un a été handicapé par un reportage et que cela se mesure en termes de pertes d'argent, il existe des recours. Cela n'a pas de rapport direct avec la protection des sources.

La sénatrice Dupuis : À partir des données que vous nous avez transmises, dans le sondage que vous êtes en train de faire, et puisque vous avez été journaliste pendant plusieurs années, voyez-vous un lien? Je vous pose la question, parce que vous avez fait un lien très intéressant entre le fait que l'information gouvernementale ou issue d'organisations est de plus en plus contrôlée, au Conseil exécutif comme au Conseil privé.

Avez-vous pu mesurer si, au fur et à mesure que l'information devenait de plus en plus contrôlée, les sources ont eu tendance à entrer davantage en communication avec les journalistes, parce qu'ils étaient bâillonnés dans leur travail, peu importe l'origine du travail? Il y a un lien ici qu'on n'avait pas nécessairement fait alors que les gouvernements sont de plus en plus diserts sur le fait qu'ils veulent être ouverts et transparents. C'est très frappant. On a l'impression qu'il y a un mouvement inverse. L'avez-vous mesuré dans le sondage?

M. Robillard : On ne peut pas mesurer le lien direct entre l'existence des sources et le resserrement des communications publiques. Cependant, vous vous rappellerez peut-être qu'il y a quelques années, étant donné que les scientifiques du gouvernement fédéral ne pouvaient pas parler, à un moment donné, ils ont manifesté dans la rue à Ottawa. Les scientifiques ne font jamais de manifestation. Si cela bloque d'un côté, il faut que cela ouvre de l'autre. Si on bâtit un barrage dans une rivière, l'eau passera à côté. En même temps, s'il y a beaucoup de répression qui se fait sur les dénonciateurs ou les sources confidentielles, à un moment donné, il faut être courageux.

Je ne sais pas si vous avez eu vent du cas de Sylvie Therrien, une fonctionnaire de Service Canada qui a été mise à pied parce qu'elle a révélé qu'il y avait des quotas de compression de l'ordre de 485 000 $ pour chaque fonctionnaire qui travaillait à l'assurance-emploi. Il y a une pénalité énorme pour celui qui ose poser un tel geste. Si la communication se ferme, oui, certaines sources voudront parler, mais s'il y a en plus la répression des sources, cela contredit leur volonté de parler. On entre alors dans un jeu extrêmement complexe, mais je n'ai pas de chiffres. Je ne peux pas mesurer cela.

[Traduction]

Le vice-président : Merci.

Nous remercions les témoins qui ont comparu devant nous aujourd'hui. Les témoignages que nous avons entendus étaient excellents. Nous les remercions également d'avoir pu se libérer malgré un préavis si court.

Sénateur White, je crois que vous voulez invoquer le Règlement ou soulever quelque chose d'autre avant que nous levions la séance. De quoi s'agit-il?

Le sénateur White : Merci, monsieur le président.

Je me demandais si nous pourrions prendre deux ou trois minutes pour discuter d'un document de recherche sur lequel nous pourrions travailler au cours des deux prochains mois, soit d'ici la fin de nos travaux. J'ai eu certaines discussions — et j'espère que le sénateur Boniface ne voit pas d'objection à ce que j'en parle ici — au sujet du financement des services de police des Premières Nations. Ce financement a connu de sérieux problèmes au cours des dernières années, mais ce serait peut-être une bonne occasion pour nous de faire un peu de recherche à ce sujet, recherches que nous pourrions terminer avant la fin de l'année. Je ne voulais pas attendre à une prochaine séance pour en parler. Je sais que nous avons beaucoup à faire.

Le vice-président : Plaît-il au comité que le comité directeur examine la possibilité d'inclure cela aux travaux futurs du comité?

Des voix : D'accord.

(La séance est levée.)

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