Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 26 - Témoignages du 6 avril 2017
OTTAWA, le jeudi 6 avril 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d'autres lois, se réunit aujourd'hui, à 10 h 29 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, aux invités et aux membres du grand public qui suivent les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d'autres lois.
Pendant la première heure, nous accueillons le chef Mario Harel, président de l'Association canadienne des chefs de police — il est également chef à Gatineau — et le surintendant Paul Johnston, coprésident du Comité consultatif sur les drogues.
Du Service de police d'Ottawa, nous accueillons Craig Fairbairn, agent de liaison du tribunal de traitement de la toxicomanie, Direction de la patrouille centrale.
Par vidéoconférence de Vancouver, nous accueillons Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers.
Bienvenue, messieurs.
Monsieur Harel, nous entendrons d'abord votre exposé.
Chef Mario Harel, président, Association canadienne des chefs de police : Merci, monsieur le président. Membres distingués du comité, à titre de président de l'Association canadienne des chefs de police, je suis heureux d'avoir l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. C'est la première fois que je comparais devant le comité à titre de président de cette association, et je suis heureux de voir un si grand nombre de visages familiers.
J'aimerais vous présenter le surintendant Paul Johnston; il est coprésident du Comité consultatif sur les drogues de l'Association canadienne des chefs de police et membre du Service de police d'Ottawa. Il me sert de conseiller technique, car nous espérons répondre à toutes vos questions.
En bref, l'ACCP a le mandat d'assurer la sécurité de tous les Canadiens grâce à un leadership policier innovateur.
Ce mandat est réalisé par les activités et les projets spéciaux de quelque 20 comités de l'ACCP, et par une liaison soutenue avec divers ordres de gouvernements et ministères exerçant des responsabilités législatives et exécutives en matière de droit et de maintien de l'ordre.
Je ne répéterai pas l'évidence, sauf pour préciser que nous faisons face à une crise liée aux opioïdes qui a causé plus de 900 décès par surdose de drogue en Colombie-Britannique en 2016, et qui se propage rapidement vers l'est en faisant des ravages parmi les victimes les plus innocentes. Aujourd'hui, nous avons pu voir dans les journaux de Montréal que c'est également une préoccupation de plus en plus importante au Québec.
Cette crise occupe souvent entièrement le quotidien de nos policiers. Le taux de décès, les propriétés toxicomanogènes et la possibilité de profits dépassent largement ce que nous avons vu auparavant.
L'ACCP a lourdement insisté sur plusieurs éléments qui sont reflétés dans ce projet de loi et elle appuie grandement son adoption. Nous avons tenté de réduire l'offre en nous concentrant sur ceux qui fabriquent et distribuent les opioïdes et d'autres drogues, en transportant de la naloxone et en traitant des surdoses dans les rues, en plus d'assurer la sécurité de nos policiers par l'entremise de formations sur la manipulation sécuritaire de ces substances toxiques. Ces activités doivent être menées tout en se concentrant sur la demande, c'est-à-dire l'élément lié à la santé publique. En effet, les consommateurs ne sont pas des criminels, mais ils représentent la triste réalité de la toxicomanie, de la marginalisation, des problèmes de santé mentale, et cetera. Dans ces cas, il est nécessaire de favoriser la prévention, l'éducation, l'intervention et les traitements. Dans cette optique, nous jugeons qu'il s'agit d'une crise en matière de santé publique.
Le gouvernement doit prendre des mesures qui transcendent les barrières partisanes, comme la mesure législative sur les précurseurs du fentanyl présentée par le sénateur White et rapidement adoptée par Santé Canada.
Les attitudes à l'égard des drogues évoluent dans nos collectivités, par exemple en ce qui concerne les sites de consommation supervisée. L'ACCP juge que ces sites relèvent de décisions communautaires. En effet, ils ne conviennent pas à toutes les collectivités et ils doivent répondre à un besoin démontré. À notre avis, ces sites doivent également aiguiller vers des services concrets en matière de dépendance, des programmes sociaux et d'autres services connexes.
En vue de contribuer à réduire l'offre d'opioïdes et d'autres drogues illicites, plusieurs demandes importantes de l'ACCP ont été incluses dans le projet de loi, et cela aidera à mieux équiper les policiers. Plus précisément, on interdit l'importation de presses à comprimés et d'instruments d'encapsulation non enregistrés ainsi que d'autres dispositifs utilisés dans la production de ces substances et désignés en vertu d'une nouvelle annexe de la LRCDAS. C'est un bon début, mais on pourrait renforcer ces mesures par l'amélioration du triage et de la surveillance, par exemple par des vérifications des antécédents des demandeurs ou des entreprises et par le contrôle des reventes. La mesure législative élimine également l'exception dont font actuellement l'objet les agents frontaliers, qui peuvent seulement ouvrir le courrier de plus de 30 grammes, afin que ces agents puissent ouvrir le courrier international, peu importe le poids, s'ils ont des doutes raisonnables de soupçonner que ces articles pourraient contenir des substances interdites, contrôlées ou réglementées. L'inscription temporaire et accélérée de certaines substances à l'annexe permet de contrôler rapidement ces nouvelles substances dangereuses.
L'Association canadienne des chefs de police reconnaît également les mesures du projet de loi qui visent à réduire le risque de détournement de substances contrôlées. En effet, en 2015, l'ACCP a adopté une résolution selon laquelle il est important que les organismes d'application de la loi et Postes Canada collaborent pour faire cesser le transport de produits de contrebande par l'entremise du système postal. Malgré des renseignements et des informations fiables qui laissent croire que des substances illicites sont transportées par l'entremise du système postal, la police ne peut pas intervenir avant que le colis soit arrivé à destination. L'ACCP continuera de promouvoir la modernisation de la Loi sur la Société canadienne des postes, afin de remédier à cette situation.
L'ACCP soutient depuis longtemps qu'elle croit à l'adoption d'une approche équilibrée en ce qui concerne la consommation et l'abus de substances au Canada par l'entremise de la prévention, de l'éducation, du maintien de l'ordre, du counseling, de traitements, de réhabilitation et, lorsque c'est approprié, de la prise de mesures de rechange et de la déjudiciarisation de délinquants, afin de lutter contre les problèmes de drogues au Canada.
Encore une fois, les consommateurs ne sont pas des criminels. Ils représentent plutôt la triste réalité de la toxicomanie, de la marginalisation, des problèmes de santé mentale, et cetera.
Le président : Monsieur, pourriez-vous conclure, s'il vous plaît?
M. Harel : Nous apprécions l'approche et les mesures prévues dans le projet de loi. Nous nous engageons à collaborer avec vous, avec tous les échelons de gouvernement, avec nos collectivités et avec tous les intervenants qui ont le même objectif, c'est-à-dire résoudre cette crise.
Constable Craig Fairbairn, agent de liaison du tribunal de traitement de la toxicomanie, Direction de la patrouille centrale, Service de police d'Ottawa : Honorables sénateurs et membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je vous remercie de me donner à nouveau l'occasion de vous parler. Je m'appelle Craig Fairbairn et je suis un agent assermenté du Service de police d'Ottawa. En plus d'œuvrer au sein de la Direction des patrouilles de la division centrale, j'occupe également le poste d'agent de liaison avec le tribunal de traitement de la toxicomanie.
Ma présentation d'aujourd'hui sera différente de ma précédente, puisque le projet de loi C-37 n'aborde pas directement la question du traitement de la toxicomanie dans la crise des opioïdes. En fait, le mot « traitement » n'apparaît qu'une seule fois dans tout le document de 64 pages, ce qui constitue une importante lacune du projet de loi C-37.
Le 6 juillet 2016, la ministre fédérale de la Santé a annoncé un plan d'action pour lutter contre le mauvais usage des opioïdes, et ce plan contient cinq catégories. La quatrième catégorie, qui vise à soutenir l'amélioration des traitements proposés aux patients, élabore en sous-texte :
... amélioration et accélération de l'accès à la naloxone, accélération de l'examen des analgésiques non opioïdes, revue des exigences particulières pour la méthadone...
Cet engagement de la part de Santé Canada à miser sur le traitement strictement pharmacologique est alarmant, car la santé mentale, les événements traumatisants, les questions socioéconomiques, ainsi que les questions liées à d'autres déterminants de la santé sont tous de sérieux facteurs contributifs de la toxicomanie.
En conséquence, le traitement des causes profondes de la toxicomanie n'est mentionné nulle part au sein du plan d'action pour lutter contre le mauvais usage des opioïdes.
Les crimes liés à la drogue représentent une importante part des coûts économiques et sociaux de l'usage illicite de drogues, tout en contribuant à une forte proportion de la criminalité en général. Le programme du tribunal de traitement de la toxicomanie, le TTT, est un vif exemple de la façon dont la prévention et le traitement des causes profondes de la criminalité amènent un faible taux de récidivisme chez ses participants, tout en épargnant à l'économie des millions de dollars. Le TTT a eu un effet profondément favorable sur les participants individuels et les collectivités, et ce modèle de réussite devrait être envisagé au sein du projet de loi C-37, tout particulièrement en ce qui concerne la mise en œuvre de centres de consommation supervisée.
Le 12 décembre 2016, la ministre de la Santé a rétabli la réduction des méfaits comme pilier de la politique antidrogue canadienne, rejoignant les piliers existants, soit la prévention, le traitement et l'application de la loi. Au départ, soit en 1996, quand la question a fait l'objet d'une discussion publique, la réduction des méfaits se voulait une mesure temporaire visant à maintenir les gens en vie jusqu'à ce qu'ils puissent recevoir des soins.
Malheureusement, il semble que la réduction des méfaits soit devenue le fondement de la politique antidrogue du Canada, délaissant les piliers fondamentaux que sont la prévention et le traitement. Cette modification fondamentale de politique a fait des SCS un point de mire des efforts pour contrer la crise des opioïdes.
Des recherches souvent citées ont lourdement appuyé les SCS. Toutefois, des revues critiques suggèrent que les données concernant le succès des SCS ne peuvent pas être corroborées. Deux revues distinctes parues en 2007 dans The Journal of Global Drug Policy and Practice ont clairement démontré les limites des données couramment citées. En tant que policier, ce qui me trouble particulièrement, c'est l'affirmation courante selon laquelle les SCS permettraient de réduire la criminalité dans les communautés avoisinantes.
À titre d'exemple, lorsque le programme InSite a fait ses débuts à Vancouver en 2003, le Service de police de Vancouver a affecté au programme, pour une période d'un an, quatre agents en tout temps. De plus, le SPV a affecté 60 autres agents, déployés dans un rayon de cinq pâtés de maisons autour d'InSite. On ne s'étonnera pas du fait que les données sur la criminalité firent état d'une réduction du taux global durant l'année qui suivit la mise sur pied du programme. On serait certes porté à conclure que l'attribution concentrée de ressources policières a été le facteur déterminant dans la réduction statistique de la criminalité, et non pas la mise en œuvre d'InSite.
Les sites de consommation supervisée, tels qu'ils sont présentement au Canada, habilitent les toxicomanes et encouragent le comportement criminel. Même si les SCS permettent à un toxicomane de consommer de la drogue de façon plus sécuritaire, ils ne font rien pour prévenir ou traiter la dépendance et ses facteurs sous-jacents. En effet, les SCS encouragent plutôt une toxicomanie autodestructive et favorisent la criminalité. Bref, l'usager obtient encore le « poison de son choix » par la voie du trafic de drogue ou d'autres moyens criminels. Pour sa part, le crime organisé continue d'en profiter, tandis que la société et les collectivités doivent composer avec les répercussions du crime et de la toxicomanie.
La position renouvelée du Canada à l'égard de la réduction des méfaits doit faire une transition et devenir, d'une question de criminalité, une question de santé publique. Un exemple de réussite est celui de la Suisse et de son programme de prescription médicale d'héroïne. En 2008, la PMH a été juridiquement reconnue à titre d'intervention médicale, déplaçant l'offre et l'utilisation de drogues illicites sur un marché parfaitement légal et rigoureusement réglementé. Dans le cadre d'une revue parue en 2016, la PMH s'est avérée efficace sur le plan des coûts. En effet, les dépenses du programme étaient plus que compensées par de considérables économies pour la société, en tenant compte de tous les paramètres pertinents, y compris le comportement criminel. Le programme de PMH diminue l'approvisionnement illégal de drogues et les énormes coûts associés à son trafic.
Le 29 mars 2017, lors de la première réunion de votre comité sur le projet de loi C-37, la ministre de la Santé a souligné la grande importance de la prévention et du traitement relativement à la crise des opioïdes qui sévit actuellement. Malheureusement, aucune disposition n'a été prévue dans le cadre du projet de loi C-37 pour les centres de désintoxication, même si on considère qu'ils représentent un élément indispensable de la solution. La mise en œuvre de programmes mettant l'accent sur la prévention et les traitements non pharmacologiques sera plutôt la responsabilité des provinces et de leurs municipalités.
Nous sommes confrontés à une grave crise des opioïdes au Canada. Toutefois, le projet de loi C-37 est une intervention réactive face à un problème qui nécessite une solution proactive. L'heure est venue de s'attaquer aux causes profondes de l'abus de drogue et de freiner la « porte tournante » de la toxicomanie et du crime au Canada.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Monsieur Stamatakis, vous avez la parole.
Tom Stamatakis, président, Association canadienne des policiers : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis heureux de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous parler du projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d'autres lois.
Je comparais aujourd'hui à titre de président de l'Association canadienne des policiers, un organisme qui représente plus de 60 000 membres du personnel policier de première ligne, à la fois civils et assermentés, qui travaillent pour des services de police de partout au Canada. Pour vous mettre en contexte, mon exposé d'aujourd'hui est également éclairé par mes années de travail pour le Service de police de Vancouver et mon expérience concrète dans la ville de Vancouver, le lieu du premier site de consommation de drogues supervisée au Canada.
J'aimerais d'abord préciser que de nombreuses mesures très positives contenues dans le projet de loi C-37 sont appuyées sans réserve par la communauté policière de première ligne du Canada. Même si je serai heureux de répondre à toutes vos questions concernant les parties du projet de loi que nous soutenons, en raison des contraintes de temps et pour permettre la tenue d'une discussion approfondie, mon exposé sera bref et concernera seulement le point de discorde, c'est-à-dire le processus rationalisé pour ouvrir de nouveaux sites de consommation supervisée au Canada.
Il ne fait aucun doute que le Canada fait face à une crise liée aux opioïdes et à titre de policiers professionnels, nous devons reconnaître que les gens qui utilisent ces sites sont malades et qu'ils ont besoin de soins médicaux. Certaines données appuient les défenseurs des sites de consommation supervisée qui affirment qu'on sauve des vies lorsqu'on fournit aux utilisateurs de drogues intraveineuses des soins médicaux immédiats en cas de surdose. Toutefois, ces données ne racontent pas toute l'histoire.
En effet, les utilisateurs de sites de consommation supervisée doivent tout de même obtenir leur drogue de choix avant de se l'injecter, et en raison de la nature des substances qu'ils consomment, ils commettent des actes criminels. C'est là où l'objection des policiers de première ligne entre en jeu. À titre de policier qui a travaillé dans les rues de Vancouver, j'ai vu les effets désastreux qu'entraîne le commerce de drogues illégales sur notre collectivité et sur les toxicomanes, mais également sur les citoyens qui ont été victimes des comportements criminels que les toxicomanes doivent adopter pour obtenir les substances dont ils ont besoin.
Bref, les drogues consommées sur ces sites sont illégales et dangereuses. En effet, on ne peut pas acheter de l'héroïne à la pharmacie du coin. Au bout du compte, il faut avoir recours à des actes criminels et à d'autres comportements dangereux pour créer les moyens de se procurer ces drogues. En raison de la zone grise qui a été créée autour d'InSite dans le centre-est de Vancouver, on demande à nos policiers d'exercer un énorme pouvoir discrétionnaire dans le cadre de leurs efforts pour maintenir l'ordre, mais les trafiquants de drogues sont prêts et particulièrement déterminés à exploiter ce pouvoir discrétionnaire dans toute la mesure du possible.
Même s'il est important de tenir compte des statistiques et des renseignements liés au nombre de vies sauvées en cas de surdose, à mon avis, l'approche actuelle présente de graves lacunes en ce qui concerne le traitement et la déjudiciarisation de l'utilisation de drogues. Aussi longtemps que nous n'observerons pas d'efforts accrus en vue de décourager les toxicomanes d'adopter ces comportements dangereux, je ne suis pas convaincu que la prolifération des sites d'injection supervisée dans d'autres collectivités produira autre chose que des exemples de collectivités potentiellement dynamiques qui deviendront un autre quartier centre-est de Vancouver. Très peu d'observateurs impartiaux accepteraient de marcher dans le quartier centre-est de Vancouver et d'affirmer, en se fondant uniquement sur leurs observations, que ce quartier qui abrite InSite est une réussite extraordinaire.
Je dois souligner que mon opinion a évolué au fil de mes réflexions sur la question. Même si notre organisme n'appuie pas le mouvement actuel décrit dans le projet de loi C-37, nous appuierions un amendement qui obligerait ces installations à fournir une intervention médicale et pharmacologique aux toxicomanes et à leur dépendance. Essentiellement, nous appuyons les sites de consommation supervisée qui remplacent les substances qu'un toxicomane achèterait ou obtiendrait autrement d'un trafiquant de drogues par une substance de remplacement médicalement prescrite. Contrairement au modèle actuel, cela représenterait une intervention médicale en réponse à un problème médical. De plus, un tel modèle devrait continuer de se concentrer sur l'éducation et le traitement, et inclure des mécanismes qui veillent à ce que les toxicomanes ne participent plus à des activités qui leur sont nuisibles ou qui nuisent à l'ensemble de la communauté.
Je crois également que dans le cadre de tout effort en vue d'établir des sites de consommation supervisée additionnels, on devrait reconnaître la nécessité de mettre l'accent sur la sécurité publique et communautaire. Même si je comprends que ces sites existent pour offrir des interventions en matière de soins de santé à la suite d'une consommation d'une substance dangereuse, j'estime qu'il devrait y avoir des règles claires en place pour s'assurer que les utilisateurs de ces sites d'injection supervisée ne commettent pas d'infractions criminelles tels que des crimes contre les biens, le trafic de drogues, et cetera. Si on fait bien les choses, on a une réelle occasion d'offrir aux toxicomanes une intervention médicale appropriée et efficace à un grave problème de santé tout en protégeant également d'autres citoyens et la communauté en général contre les méfaits associés au trafic de drogues dans les communautés au pays.
Prescrire un médicament de rechange approprié contribuerait positivement à résoudre les situations dans lesquelles les toxicomanes se retrouvent pour se procurer leur drogue de prédilection. De plus, cette approche mettrait vraisemblablement davantage l'accent sur le counseling et le traitement, ce qui produirait des résultats plus positifs pour les toxicomanes et les communautés.
Je veux que ma déclaration liminaire soit brève. Le projet de loi C-37 est une mesure législative importante, et je vous suis reconnaissant de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Nous avons tous un but en commun, à savoir la protection et la sécurité de nos communautés. Bien que nous ayons peut-être des idées divergentes sur les pratiques exemplaires et les procédures, il convient de souligner que des mesures sont prévues dans ce projet de loi pour offrir des ressources et des outils additionnels aux policiers pour qu'ils puissent composer avec les effets néfastes et parfois mortels de la consommation et de l'abus de substances. Je ne voudrais pas que mes remarques vous amènent à penser que nous nous opposons à ces efforts. La mise sur pied de nouveaux sites de consommation supervisée peut être un élément du but global visant à s'attaquer à la crise des opioïdes, mais ce doit être fait soigneusement pour veiller à ce que, au final, la sécurité publique ne soit jamais compromise et que la protection des populations les plus vulnérables de nos communautés soit toujours prioritaire.
Le président : Merci. Nous allons commencer la période des questions avec le sénateur McIntyre.
Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos déclarations. Ma première question s'adresse à M. Fairbairn. Comme nous le savons tous, il y a des aspects positifs et négatifs au projet de loi C-37. Les aspects positifs ont été énumérés par le chef Mario Harel. Le côté négatif, ce qui me dérange, et je sais que cela vous préoccupe aussi, c'est que le projet de loi C-37 ne légifère pas sur les centres de traitement de la toxicomanie qui sont considérés comme étant une partie importante de la solution.
Dans votre déclaration, vous avez également parlé des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, s'il vous plaît?
M. Fairbairn : L'an dernier, j'ai comparu devant le Comité et j'ai parlé du Programme judiciaire de traitement de la toxicomanie pour régler les retards judiciaires.
Le Programme judiciaire de traitement de la toxicomanie que nous avons à Ottawa fait exactement ce que son titre dit : il aide les toxicomanes et les sort des procédures judiciaires normales qui consistent à les incarcérer. Nous sommes conscients que la toxicomanie n'est pas un comportement criminel; c'est un problème de santé mentale.
Nous prenons un individu qui a commis un crime et nous déterminons qu'il souffre de dépendance aux drogues dures. Il faut que ce soit une dépendance aux drogues dures. Ces toxicomanes peuvent faire partie du programme si on juge qu'ils y sont admissibles par l'entremise de vérifications des antécédents rigoureuses. Ils sont interrogés par moi, de même que par des agents de probation et des agents des Couronnes fédérale et provinciale. Nous vérifions s'ils ont déjà commis des infractions violentes.
Si la vérification de leurs antécédents ne révèle rien de préoccupant, ces gens participeront au programme pour une durée allant de 9 à 18 mois.
Dans le cadre de ce programme, les participants assisteront à des séances de traitement hebdomadaires et se présenteront en cour chaque semaine devant un juge, avec d'autres participants. Ils reçoivent le traitement dont ils ont besoin. À la fin du traitement, ils sortent du programme. Plutôt que d'être incarcérés, ils ont reçu un traitement. Ils ne sont plus dépendants aux drogues dures et ils réintègrent la société pour y apporter une contribution positive.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Stamatakis, voulez-vous faire une observation?
M. Stamatakis : Je connais les programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie. Ce sont des programmes efficaces. Si j'ai bien compris les remarques que vous avez faites au début de votre déclaration, j'appuierais certainement des mesures législatives plus rigoureuses qui rendraient obligatoire la participation à ces programmes et qui mettraient davantage l'accent sur le traitement.
Le problème auquel nous sommes confrontés, de notre expérience à Vancouver, c'est que souvent, des gens participent à ce type de programme que mon collègue a décrit, mais ils se retrouvent ensuite dans le quartier Downtown Eastside après avoir terminé le programme et sont exposés au même type de culture et aux mêmes types de drogues nocives. Souvent, le problème est qu'ils rechutent et reprennent leurs comportements néfastes, et ce, même s'ils ont même terminé le programme.
Toute mesure législative qui appuie ces programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie est une bonne chose.
La sénatrice Pate : Dans le témoignage que vous avez fait au comité concernant les sites d'injection supervisée, vous avez mentionné, au nom de l'Association canadienne des policiers, que l'une des raisons pour lesquelles vous n'appuyez pas ces sites est à cause de votre expérience dans vos fonctions de maintien de l'ordre dans le quartier Downtown Eastside, où quelques-uns des toxicomanes les plus marginalisés n'utilisaient pas le centre InSite.
Vous avez mentionné que votre compréhension de ces problèmes a évolué. Je me demande si vous êtes toujours de cet avis et, le cas échéant, si vous pouvez nous dire ce qui arrive aux toxicomanes les plus marginalisés. Est-ce qu'ils se font arrêter? Sont-ils criminalisés? Qu'advient-il d'eux?
M. Stamatakis : Je pense que les services de police, de façon générale, ont changé leur façon de penser. Nous traitons les personnes toxicomanes les plus marginalisées avec beaucoup de soins et de compassion, et nous essayons de trouver des solutions de rechange pour éviter de criminaliser leur comportement.
Le problème auquel nous nous heurtons dans les services de police, c'est que nous n'avons pas suffisamment de ressources. Nous n'avons pas suffisamment accès aux établissements de soins. Nous n'avons pas suffisamment accès, lorsque nous sommes en contact avec une personne marginalisée, à des centres où elle pourrait obtenir du soutien, un hébergement convenable et un accès à des solutions de rechange aux substances nocives.
Pour ce qui est de mon opinion sur les sites de consommation supervisée, elle n'a pas changé. Je ne pense pas que la situation à Vancouver ait changé. Je dirais que la situation est probablement la même que dans n'importe quelle autre communauté qui a un site d'injection supervisée en place ou qui envisage d'en avoir un.
Vous allez continuer de voir ces personnes les plus marginalisées être la proie des trafiquants de drogue, et elles continueront d'adopter des comportements néfastes qui nuiront à leur santé et à leur bien-être. C'est pourquoi je pense qu'une solution de rechange est de dire, « Ne plaçons pas ces personnes dans une situation où elles pourront continuer à causer des torts à la communauté en commettant des crimes et à s'infliger elles-mêmes des torts ». Par exemple, nos travailleurs du sexe marginalisés sont exploités par des prédateurs pour gagner un peu d'argent afin de se procurer des drogues illicites.
Trouvons des solutions de rechange. Ce pourrait notamment être de créer un environnement sécuritaire pour ces personnes où nous leur prescrivons un médicament de rechange, en espérant pouvoir intervenir pour leur trouver un endroit plus sûr.
La sénatrice Pate : Le Dr Gabor Maté, qui a fait des recherches sur les centres InSite, les a décrits comme étant presque des centres de triage, et il a dit qu'il faut des services à long terme beaucoup plus efficaces et complets.
Je demande à tous les témoins — et je les remercie de tout le travail qu'ils font et de leur témoignage aujourd'hui — de se prononcer sur quelques-uns des modèles qui ont été proposés au comité par d'autres témoins, tels que ceux au Portugal et en Suisse, s'ils les connaissent. J'aimerais aussi qu'ils commentent les recherches que le Dr Gabor Maté a présentées sur les liens entre les traumatismes de l'enfance et la toxicomanie, et surtout chez les Autochtones qui aboutissent dans le quartier Downtown Eastside ou dans d'autres secteurs, et qui endorment la douleur en consommant de la drogue en grande partie à cause des mauvais traitements qu'ils ont subis.
Surintendant Paul Johnston, coprésident, Comité consultatif sur les drogues, Association canadienne des chefs de police : Madame la sénatrice, comme vous le savez, dans certains pays, on met l'accent sur le traitement, et certains pays ont une plus grande ouverture d'esprit face à la toxicomanie.
Ce que nous voyons, d'après notre expérience, c'est qu'on n'a jamais misé sur le traitement. Nos agents de première ligne traitent régulièrement avec des personnes malchanceuses, et ce peut être n'importe quelle personne issue de n'importe quel segment de la population qui est aux prises avec des problèmes de dépendance. Il peut s'agir d'athlètes, ou peu importe. Malheureusement, c'est leur priorité.
D'après notre expérience dans le maintien de l'ordre au pays, il n'y a pas de possibilités. Les policiers veulent offrir de l'aide et des traitements aux gens. Certains pays réussissent mieux pour offrir des traitements. Au Canada, ce qui est frustrant, c'est que nous n'avons pas de lien clair, ce qui semble être la lacune.
Vous vous concentrez sur les sites de consommation supervisée. Nous comprenons le modèle de réduction des méfaits et sa nécessité, mais nous ne voyons pas de continuum de soins. Comment pouvons-nous en avoir un? Ces gens qui sont malheureusement toxicomanes et qui veulent obtenir de l'aide ne savent pas comment l'obtenir. Nous ne voulons pas leur offrir de l'aide lorsque nous pouvons le faire; nous devons leur offrir l'aide dont ils ont besoin.
Ce qui est frustrant, c'est qu'il y a des gens qui veulent de l'aide maintenant. Malheureusement, nous les dirigeons vers l'un des services de santé et ils fixent un rendez-vous, qui sera deux semaines plus tard. Ils ne savent même pas quel jour nous sommes et ont du mal à organiser leur horaire. Il faut accorder la priorité au traitement. La réduction des méfaits a un rôle à jouer.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. C'est un excellent témoignage.
Constable Fairbairn, je sais que vous travaillez sur le terrain à mener cette bataille et à essayer d'aider les toxicomanes tous les jours. Je vous en remercie. Vous avez fait valoir des points importants que j'aimerais que vous expliquiez plus en détail, car je sais que tous les témoins disposent de très peu de temps pour faire leur exposé liminaire.
J'ai été frappée lorsque vous avez dit que le mot « traitement » n'est mentionné qu'une seule fois dans le document de 64 pages. C'est une véritable lacune que la réduction des méfaits soit à la base du processus et qu'on laisse tomber la prévention et les traitements. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, ainsi que sur le fait que dans le cadre des traitements, les produits pharmaceutiques, les problèmes de santé mentale, les traumatismes et ce genre de facteurs jouent un rôle important, et vous en êtes témoins tous les jours?
M. Fairbairn : Absolument. J'ai eu la chance de travailler dans le marché, près d'ici depuis les huit dernières années. Chaque jour, je traite avec des gens qui vivent dans des refuges et qui sont très dépendants aux drogues dures : le crack, l'héroïne et maintenant le fentanyl.
Le gros problème que nous avons se rapporte au mot « traitement ». Il n'apparaît qu'une seule fois dans tout le projet de loi et c'est dans le préambule.
Ces gens n'ont pas forcément besoin de mesures de réduction des méfaits. Ils ont besoin de meilleurs traitements pour éviter qu'on n'ait pas à en venir à la réduction des méfaits. À l'heure actuelle, on est aux prises avec le syndrome de la porte tournante, et surtout avec les sites de consommation supervisée. Les toxicomanes se procurent des drogues dans la rue auprès de trafiquants de drogue. Pour ce faire, ils doivent commettre des crimes parce qu'ils n'ont pas d'argent. L'argent qu'ils reçoivent du gouvernement va directement dans les poches des trafiquants de drogue.
Ils se rendent ensuite au site de consommation supervisée. Ils s'injectent puis ils partent. Ils partent très rapidement, parfois après cinq minutes, et ils ne reçoivent pas de traitement. Ce que nous proposons, c'est que le problème de criminalité doit devenir un problème de santé pour que ces gens puissent recevoir des traitements.
Il y a quatre ans, je me suis cassé la jambe et je suis allé voir le médecin. On voulait me prescrire de l'OxyContin. Comment cette situation est-elle différente de celle d'un toxicomane qui souffre d'un problème de santé et qui a besoin qu'on lui prescrive de l'héroïne ou de la méthadone? Il n'y a pas de différence.
La sénatrice Batters : Exactement. Nous avons vu, avec la prescription abusive de ces types de médicaments, que c'est de cette manière que des gens tombent dans ce terrible et triste cycle.
J'ai une question pour un témoin de l'organisation nationale, mais je dois dire que l'épidémie des opioïdes ne touche pas seulement les villes. Nous avons entendu des témoignages de personnes de ces villes, mais il y a de nombreux décès qui surviennent dans les régions rurales. Les sites d'injection sont-ils une solution à l'épidémie que nous constatons dans certaines petites villes et régions rurales canadiennes? Si non, quelles autres mesures aimeriez-vous que l'on utilise dans ces régions rurales pour aider les gens?
M. Stamatakis : Cette question se rapporte à la priorité à accorder au traitement, à l'éducation et à la prévention. Je participe aux discussions sur les drogues depuis 2003, lorsque le centre InSite a été créé. Je suis au courant des recherches du Dr Gabor Maté; je souscris à la majorité de ses conclusions. Je suis d'accord pour dire que nous avons besoin d'une approche plus vaste et plus holistique qui met l'accent sur le traitement, le counseling et l'éducation. Je connais tous les programmes offerts dans tous les autres pays. Ils ont un volet très solide axé sur le traitement et le counseling, même au Portugal, qui est toujours considéré comme étant le modèle où l'on a procédé à la légalisation.
Vous avez raison. Dans les communautés de plus petite taille et les régions rurales, les sites de consommation sécuritaire ne régleront pas ce problème. Les sites de consommation sécuritaire ne règlent même pas le problème dans les grands centres urbains. Nous avons des gens qui meurent d'une surdose qui ne se seraient jamais approchés d'un site de consommation sécuritaire. On considérerait habituellement ces gens comme étant des personnes normales qui ont essayé une substance une fois ou deux ou qui font un usage récréatif et occasionnel de substances.
Ce n'est pas seulement à propos des sites de consommation sécuritaire. Nous avons besoin d'une approche holistique qui met l'accent sur l'éducation, la prévention, le traitement, et nous espérons réussir ce que nous avons fait avec le tabac et l'alcool où moins de personnes utilisent ces substances.
M. Johnston : Je souscris à vos observations. Une éducation appropriée est essentielle. Vous voyez maintenant ce qui se passe avec la crise du fentanyl, où les jeunes consultent Internet pour obtenir leur information. Certains renseignements peuvent être exacts et d'autres, non.
Par exemple, nous voyons avec l'arrivée de la naloxone, qui est peut-être une substance qui peut sauver des vies en permettant à une personne d'obtenir des soins médicaux, que les étudiants et les jeunes parlent d'avoir de la naloxone sur eux et que c'est la solution pour utiliser le fentanyl ou d'autres médicaments. La solution est d'éduquer les gens.
La sénatrice Boniface : Merci à vous tous d'être ici. Je trouve les observations de M. Stamatakis sur l'amendement qu'il a proposé particulièrement intéressantes. J'aimerais savoir comment, d'après vous, ce sera mis en œuvre dans un site d'injection et savoir si vous pensez que les traitements, et je suis totalement d'accord avec vous à cet égard, doivent être offerts parallèlement. Quelle serait l'approche générale à adopter, selon vous? Comme vous le savez, ce serait un concept assez nouveau au Canada.
M. Stamatakis : L'un des problèmes soulevés dans le cadre des discussions que nous avons eues au Canada au sujet des sites de consommation sécuritaire, si l'on compare avec les modèles d'autres pays, c'est que nous avons oublié les lois et les règlements que d'autres pays ont mis en place sur les sites de consommation sécuritaire. Dans certains pays, on confère aux policiers des pouvoirs législatifs plus importants pour obliger les gens à se rendre à des sites de consommation sécuritaire où l'on peut leur prescrire les substances dont ils ont besoin.
J'imagine un système où il y a des règles précises sur la participation. Il doit y avoir des règles pour s'assurer que les gens ne consomment pas de drogues nocives à l'extérieur du site de consommation sécuritaire. Il doit y avoir des règles qui précisent que les gens doivent utiliser exclusivement un site et que les substances dont ils ont besoin sont prescrites d'une manière contrôlée. Nous éliminons le comportement néfaste où les toxicomanes doivent commettre des crimes et causent du tort dans la communauté en général en se livrant à ces activités.
On accorde la priorité aux soins. Si nous pouvons encourager les gens à recourir à ces sites de consommation où nous leur prescrivons des substances de rechange, il y a plus de chances que nous puissions intervenir en leur offrant les services de counseling appropriés et des traitements pour qu'ils puissent réintégrer la société et en devenir des membres productifs. Pour ce faire, il faut prévoir un hébergement et tout un continuum de soins.
J'entends les gens utiliser les termes « légalisation » ou « légal ». Ce ne sont pas les bons termes. Ce n'est pas ce que j'appuie ou ce que je propose. C'est une façon très réglementée et contrôlée de remplacer une substance nocive par quelque chose dont nous savons pouvoir contrôler la qualité et que nous pouvons administrer d'une façon très contrôlée.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue et merci beaucoup pour vos témoignages. Ma préoccupation, c'est de réduire le plus possible les craintes des citoyens lorsqu'ils verront un site d'injection supervisée s'installer dans leur quartier. On a posé la question à d'autres intervenants quant à la criminalité que pourrait entraîner un tel centre. On nous a répondu qu'il n'y avait pas d'augmentation de la criminalité ou que celle-ci diminuait lorsqu'un centre d'injection supervisée ouvre ses portes. On a aussi demandé quelles étaient les sources de cette information, et il semblerait qu'il s'agissait de sources internes aux centres comme tels.
Monsieur Fairbairn, vous travaillez sur le terrain, près des citoyens. Selon votre expérience sur le terrain avec les sites d'injection supervisée, est-ce qu'il y a un lien direct entre la baisse de la criminalité et la présence d'un site d'injection supervisée dans un quartier?
[Traduction]
M. Fairbairn : Selon mon expérience, non. La présence d'un site d'injection supervisée n'entraîne pas de baisse de la criminalité. Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, vous allez souvent voir qu'on cite des sources. Il s'agit habituellement de documents révisés par des pairs qui disent que ces centres entraînent une baisse de la criminalité. Encore une fois, avec Vancouver comme exemple, oui, la criminalité a diminué dans ce secteur, mais vous aviez 64 agents supplémentaires pendant un an. Ce n'est pas dans ce secteur que des crimes seront commis. La criminalité sera repoussée vers les collectivités environnantes.
On parle souvent de « l'effet pot de miel »; les sources citées vont vous dire que cela n'existe pas, mais ce n'est pas ce que je vois en première ligne tous les jours.
Un site de consommation supervisée a l'effet pot de miel de toute façon. Vous voulez que tous les utilisateurs de drogues injectables y aillent. Eh bien, s'ils y vont, les vendeurs de drogue vont les suivre. Sans présence policière à cet endroit ou dans le secteur environnant, les vendeurs de drogue et la criminalité vont suivre. Si vous placez des agents dans un rayon de cinq pâtés de maisons, la criminalité va s'étendre plus loin. Cela ne va pas entraîner une baisse de la criminalité. La seule façon de réussir à sortir le consommateur de drogue de la criminalité, c'est d'en faire un enjeu de santé, de sorte qu'il n'ait plus à se procurer de la drogue dans la rue. Un médecin pourrait lui prescrire le bon produit, quel qu'il soit, pour l'aider à surmonter sa dépendance.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Hier, le sénateur Dagenais a posé la question à savoir si les policiers continuaient à patrouiller autour du centre Insite. On nous a répondu que non, parce que le fait qu'il y ait une présence policière semblait déranger les consommateurs. J'ai été abasourdi de cette réponse. En évitant que des policiers fréquentent ces quartiers, est-ce qu'on ne crée pas une forme de ghetto qui va attirer un certain type de population? Cela ne pourrait-il pas avoir comme conséquence de nuire à la capacité de réhabilitation de ces gens, parce qu'ils restent entre eux et sont isolés?
[Traduction]
M. Fairbairn : Vous placeriez de très nombreuses personnes ayant une dépendance grave dans un même endroit. Nous pouvons imaginer ce qui se produira. Nous avons vu les photos d'East Hastings et d'autres sites.
Vous avez parlé de la présence policière qu'il n'y a plus. Il n'y a plus d'agents au site comme tel. D'après ce que je sais de Vancouver, il y a toujours des agents dans le secteur, mais ils ne sont pas nécessairement affectés au site d'InSite.
M. Stamatakis : Je peux vous dire sans équivoque que le secteur entourant le Downtown Eastside où se trouve le site d'injection supervisée draine considérablement les ressources du Service de police de Vancouver. Nous continuons de patrouiller dans ce secteur. Si la police n'était pas activement présente dans ce secteur, comme vous le dites, il se transformerait très facilement en ghetto, ce qui produirait un effet négatif sur les autres gens qui y vivent et qui essaient d'avoir une certaine qualité de vie.
Il est ridicule de croire qu'un site d'injection supervisée va entraîner une baisse de la criminalité dans quelque collectivité que ce soit, et l'expérience le démontre. J'ai travaillé dans ce secteur. J'ai travaillé pendant 15 ans dans le Downtown Eastside; j'étais dans ce secteur tous les jours. Mon collègue a mentionné la recherche. Je l'ai regardée. J'ai analysé les écrits. Toute affirmation selon laquelle un site d'injection supervisée peut à lui seul produire un effet sur la criminalité suscite de nombreuses questions.
N'oublions pas qu'en ce qui concerne les crimes contre les biens et les crimes violents, Vancouver est malheureusement en tête, et ce, à bien des égards, à cause du type d'activité liée à la grave industrie de la drogue qui sévit dans notre ville.
N'oubliez pas que je vis à Vancouver. Je suis aussi le président du syndicat des policiers de Vancouver. Je peux vous donner beaucoup d'information au sujet de notre expérience liée à ce site sur de nombreuses années.
La sénatrice Griffin : Merci à tous de votre présence.
En parcourant le projet de loi — et je l'ai parcouru rapidement —, j'ai été frappée par l'absence apparente d'intentions générales liées à la politique sociale. Je trouve aussi très alarmant qu'on ne trouve qu'une fois dans le projet de loi la disposition relative aux centres de traitement en matière de toxicomanie — dans le préambule en plus. Je trouve cela frappant, compte tenu de ce que nous entendons au sujet de l'efficacité des programmes offerts par les tribunaux pour le traitement de la toxicomanie à Vancouver.
Comment donc instaurer ce genre de traitement global en d'autres endroits et en particulier en des endroits moins populeux? Pour les petites municipalités, c'est difficile, comme on l'a déjà souligné. Comment faire en sorte que cette méthode globale soit appliquée ailleurs?
Je ne sais pas vraiment qui peut répondre à cela.
M. Johnston : En ce qui concerne les centres de consommation supervisée, ce n'est pas pour tous les endroits; c'est en fonction d'un besoin qui a été démontré. Les collectivités doivent en avoir besoin, car nous avons entendu les effets que cela comporte.
Globalement, d'après nous, il faut ce lien. N'importe où au Canada, vous devez avoir ce lien — fournir les services et trouver une stratégie de sortie pour les toxicomanes, peu importe la substance qu'ils ont choisie.
Cela n'existe pas partout, et c'est difficile en divers endroits, mais il faut un lien clair. La réduction des méfaits n'est pas la seule solution à la crise que nous vivons.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma question s'adresse à M. Harel. Vous avez fait l'éloge de certains aspects positifs du projet de loi quant aux nouveaux pouvoirs qui vous permettront de lutter contre le trafic de stupéfiants. En plus d'être le président de l'Association canadienne des chefs de police, vous êtes le directeur de la Police de Gatineau. De ce côté-ci de la rivière, à Ottawa, on sait que des mesures ont été prises et que d'autres mesures suivront dans le cadre de la mise en œuvre de sites d'injection supervisée. De l'autre côté, à Gatineau, il y a sûrement des préparatifs semblables qui sont en cours. Comment préparez-vous l'arrivée de ces sites au sein de la police? La population de Gatineau a-t-elle déjà exprimé des craintes ou des objections à ce sujet?
M. Harel : Du côté de Gatineau, le côté québécois, les discussions en sont à l'étape préliminaire. Il y a un organisme qui a manifesté son appui pour la création d'un site d'injection supervisée. Évidemment, la communauté a des réactions et des inquiétudes quant à la criminalité qui pourrait survenir dans les environs du centre. De notre côté, comme service de police — et comme mes collègues l'ont mentionné —, nous mettons l'accent sur la prévention et les traitements, car c'est ainsi que nous pourrons réduire la consommation, et c'est une question de santé.
L'autre aspect que je pourrais mentionner, sénateur Dagenais, et on l'a mentionné plus tôt, c'est que, souvent, pour les policiers, la seule option qu'ils ont lorsqu'ils sont en contact avec ces personnes-là, c'est la judiciarisation, alors que nous savons tous que ce n'est pas une solution. On n'a pas d'alternative et, à l'instar du programme mis en œuvre à Ottawa, je crois que les communautés devraient toutes disposer de cet outil, de cette alternative à la judiciarisation, pour orienter ces gens dans une voie qui mène à un traitement. Je pense que c'est ce qui manque énormément du côté québécois, d'après mon expérience.
La sénatrice Dupuis : J'ai une question qui s'adresse à M. Harel. Nous avons entendu les infirmières de la région de Vancouver lors d'une séance précédente du comité. Je leur avais demandé si, parmi les utilisateurs de drogues illégales dans la région de Vancouver, elles avaient des données sur la proportion de ces personnes qui viennent du Québec pendant la saison hivernale. Il y a un problème qui est documenté et qui concerne des gens assez jeunes qui vont travailler à la cueillette des fruits en Colombie-Britannique l'été, où ils font un usage récréatif de substances psychoactives illégales. Ces jeunes demeurent sur place et deviennent donc des utilisateurs réguliers et à problème. Est- ce qu'il y a des liens entre les corps policiers québécois et ceux de la Colombie-Britannique, par exemple? Est-ce que vous avez des données à ce sujet?
M. Harel : On sait que c'est une réalité, également, en termes d'itinérance; des personnes se dirigent vers l'Ouest canadien, vers Vancouver, tout d'abord en raison du climat. Il y a d'autres exemples, comme vous l'avez mentionné, et c'est une réalité. Nos bases de données, nos communications ne sont pas parfaites. Nous aurions intérêt à être mieux interconnectés entre services de police pour pouvoir échanger de l'information.
À Gatineau, nous sommes un service privilégié. Nous sommes branchés, et mes policiers peuvent interroger et obtenir des réponses à travers le Canada. Par contre, nous avons beaucoup de travail à faire pour optimiser l'échange d'information de sorte qu'un policier de Vancouver ou de Halifax puisse obtenir rapidement de l'information pour mieux intervenir. Si une personne a tout un historique d'itinérance ou de problèmes de consommation à Montréal ou à Gatineau, et que c'est la première fois à Vancouver que les policiers ont affaire à cette personne, si ces derniers avaient l'information à portée de main, ils pourraient intervenir de façon beaucoup plus appropriée. L'Association canadienne des chefs de police a d'ailleurs une stratégie pour favoriser la communication entre les policiers.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Bienvenue, et merci, monsieur Harel. Je me demande s'il s'agit d'une énigme. Quel est l'objectif d'un site d'injection? C'est pour permettre au toxicomane de se trouver dans un environnement plus sûr et d'éviter la mort. C'est le premier objectif.
Le deuxième objectif est de profiter de ce que cette personne se présente au site pour l'inciter à entreprendre un traitement de sa toxicomanie.
Nous avons entendu hier qu'environ 30 p. 100 des personnes qui utilisaient le site d'injection de Vancouver ont eu la possibilité de participer à un traitement, grâce aux services donnés dans l'édifice et tout cela. Cependant, pour obtenir un meilleur résultat, je me demande si l'approche suisse serait meilleure. En fait, je me demande si la ministre de la Santé n'aurait pas maintenant l'occasion de soutenir une initiative qui servirait de projet pilote et qui se fonderait sur l'approche suisse, de sorte que nous puissions comparer les avantages et les succès des deux solutions.
Monsieur Fairbairn, c'est peut-être pour vous l'occasion de mieux expliquer sur une base comparative ce que vous attendez comme résultats de l'approche suisse, par comparaison avec l'approche fondée sur les sites d'injection. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Fairbairn : Certainement. L'approche suisse a fait l'objet de quelques études. Ils ont constaté une réduction d'environ 80 p. 100 de la criminalité liés au trafic de drogue. L'autre chose qu'ils ont découverte, c'est un rendement correspondant au double des coûts pour la société en économies. Il en coûtait environ 13 500 euros pour l'héroïne prescrite pour un an à une personne et pour les coûts relatifs au site, au personnel ou à la faculté. Ils ont constaté que les économies étaient de 24 000 euros par personne, une fois tenus en compte les divers comportements criminels qui accompagnent la toxicomanie, les victimes des crimes, le système pénal lui-même, les services de police et ainsi de suite.
Le sénateur Joyal : Qu'en est-il de la capacité sur place d'offrir à la personne les médicaments qui l'aideront à passer de drogues comme l'OxyContin et autres drogues dures qui tuent vraiment des gens à des produits de remplacement? Comment pourrait-on mettre cela en pratique? Sous l'effet d'une substance intoxicante, ils ne pensent pas à la justice et à ce genre de choses. Le besoin d'obtenir la drogue est si fort qu'ils sont prêts à faire n'importe quoi et qu'ils oublient tout le reste.
Nous devons ramener ces personnes à la rationalité pour les aider à modifier leur consommation. Cela ne se produit pas d'instinct. C'est un processus. C'est au cours de ce processus qu'on pourrait d'après moi réussir à amener ces gens à se soumettre à un traitement.
J'essaie de comprendre ce que nous devons changer dans notre approche au site d'injection pour obtenir de meilleurs résultats et pour avoir ainsi un exemple de ce qui pourrait être créé et perfectionné grâce à l'expérience acquise.
M. Fairbairn : Une chose est sûre, et c'est qu'il faut cesser de nous concentrer avant tout sur la réduction des méfaits. Il faut plutôt nous concentrer sur le traitement.
Pour ce qui est de déterminer comment amener un toxicomane à se soumettre à un traitement dans un site de consommation supervisée ou dans un centre de traitement où il doit se présenter, cela incombe aux médecins, par exemple. Il y a beaucoup de personnes intelligentes qui peuvent répondre à cela mieux que moi.
C'est ainsi que nous avons du succès avec le programme de tribunal de traitement de la toxicomanie. Ils se soumettent à un programme de traitement obligatoire, et nous avons avec cela beaucoup de succès. Notre taux de réussite est d'environ 35 p. 100, ce qui est nettement supérieur à la moyenne nationale. C'est 35 p. 100 de plus qui se soumettent au programme — des personnes dépendantes de drogues dures qui ne le sont plus à la fin du programme.
Cela étant dit, nous avons besoin d'un meilleur traitement à leur proposer quand ils terminent le programme.
En ce qui concerne votre question sur la façon dont nous pourrions concevoir un système par lequel ces gens ne feraient pas qu'aller au site pour consommer et pour ensuite s'en aller — c'est ce que fait un site de consommation supervisée en ce moment —, cela va incomber aux décideurs et il faudra en discuter. Nous pouvons nous pencher sur les réussites des tribunaux de traitement de la toxicomanie, en prendre des éléments et les appliquer à un centre de désintoxication plutôt qu'à des sites de consommation supervisée.
Le sénateur Joyal : Avez-vous transmis cette option au ministère de la Santé de la province ou aux autres autorités qui pourraient être ouvertes à la mise en œuvre d'une telle initiative?
M. Fairbairn : Encore une fois, je parle à titre d'agent de police sur le terrain et d'agent de liaison du tribunal de traitement de la toxicomanie. Les procureurs de la Couronne fédérale et les juges avec lesquels je travaille au tribunal de traitement de la toxicomanie sont d'accord avec moi. Il faut que le principal facteur soit le traitement et la prévention, pour résoudre la crise des opioïdes.
Le président : Avant que nous passions à un bref deuxième tour, je ne sais pas si cela influencera la décision du comité, au bout du compte, mais j'ai un commentaire que le sénateur Boisvenu m'a mentionné, monsieur Stamatakis. Nous avons reçu hier un autre résidant de Vancouver — un conseiller municipal — qui a dit tout le contraire de ce que vous avez dit aujourd'hui au sujet du déploiement des ressources policières et des taux de criminalité.
Nous allons faire l'étude article par article de ce projet de loi la semaine prochaine. Si vous avez du matériel à l'appui de votre témoignage d'aujourd'hui, vous pouvez le transmettre à notre greffière, car cela pourrait nous être utile pendant nos discussions de la semaine prochaine.
Le sénateur McIntyre : Ma question porte sur les sites mobiles de consommation de drogue et s'adresse à la GRC. Est-ce que la GRC appuie le recours à des sites mobiles de consommation de drogue? Dans l'affirmative, quelles seraient les incidences, s'il y a lieu, sur les services de police dans ce contexte? Et j'ajouterais une question à cela. Est-ce que le budget vous accorde des fonds suffisants pour améliorer la formation de vos agents et le nombre d'agents affectés à des sites de consommation de drogue?
M. Johnston : En matière de mobilité, nous avons vu des cas où des gens ont envisagé un modèle dispersé, pour un site de consommation supervisée. Cela peut être problématique. Encore là, c'est selon le besoin de la collectivité qu'on va envisager un lieu pour l'installation d'un site de consommation.
S'ils optent pour une solution mobile, il faut avoir fait la preuve du besoin.
En ce qui concerne la formation, nos agents en reçoivent un peu sur le traitement et la dépendance, mais ce n'est certainement pas suffisant.
La sénatrice Griffin : J'ai une question pour notre invité qui participe par vidéoconférence. Cela est lié à une question que j'ai posée précédemment. Comment pouvons-nous miser sur l'expérience de votre ville pour instaurer un système complet de traitement ailleurs au pays?
M. Stamatakis : J'aimerais que nous nous éloignions des sites autonomes d'injection supervisée pour parler de la façon dont nous pouvons utiliser l'infrastructure actuelle de sorte que nos installations de soins de santé existantes, comme on l'a mentionné, puissent envisager cela comme étant un problème de santé et prescrire d'autres substances dont la qualité est contrôlée pour traiter le problème de dépendance, quel qu'il soit.
On a beaucoup fait à propos d'InSite, à Vancouver, mais on ne parle jamais d'une autre installation qui se trouve à l'intérieur d'un de nos hôpitaux locaux, le Dr. Peter Centre, qui est attaché à l'hôpital St. Paul. Je n'en suis pas un expert, et je n'ai peut-être pas la bonne terminologie, mais ce centre est lié à un établissement de soins de santé existant, et il est très efficace. Vous n'avez pas la controverse que suscitent les sites d'injection supervisée. Nous avons des établissements de soins de santé dans toutes les collectivités à l'échelle du pays, qu'elles soient très populeuses ou pas. Si nous passons à un modèle selon lequel nous faisons des prescriptions, je crois que cela aiderait énormément.
L'une des difficultés liées à la consommation de drogue, d'après mon expérience à titre de policier, c'est que les toxicomanes sont à la recherche de l'état d'euphorie. Ils sont désespérés. Ils doivent en faire beaucoup pour voler des biens afin d'obtenir l'argent qu'il leur faut pour s'acheter de la drogue. Quand ils sont rendus à se procurer la drogue auprès du trafiquant, ils sont désespérés. Ils vont s'administrer la drogue là où ils l'obtiennent, dès qu'ils le peuvent, parce qu'ils sont désespérés. Si vous les intégrez dans un modèle contrôlé selon lequel on leur prescrit un produit de rechange, vous enlevez cet élément de désespoir, et le contrôle est meilleur. Il n'y a pas le sentiment d'urgence ou de panique à l'idée de la prochaine dose. Dans ce contexte, il est à espérer que vous auriez plus de succès avec l'intervention auprès des toxicomanes, qui mènerait à leur participation au programme de traitement et à l'abandon de leur dépendance aux drogues.
Le président : Je remercie tous nos invités de leurs témoignages, qui ont été très intéressants et informatifs. Nous vous en savons gré, messieurs.
Au cours de notre deuxième heure, nous recevons Chris Grinham, cofondateur de Safer Ottawa; David Kardish, propriétaire de Rideau Bakery Limited; et le Dr Mark Ujjainwalla, directeur médical à Recovery Ottawa.
Merci, messieurs. Avez-vous tous une déclaration liminaire à présenter? Je crois bien que oui. Nous allons procéder de gauche à droite, à commencer par M. Grinham.
Chris Grinham, cofondateur, Safer Ottawa : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je suis Chris Grinham, cofondateur avec ma femme d'une organisation communautaire sans but lucratif appelée Safer Ottawa. Nous l'avons créée en 2007, en réponse à la situation hors de contrôle et dangereuse des seringues et des pipes à crack, de même que des produits visant à réduire les méfaits qui étaient abandonnés dans les parcs, les cours d'école, les centres communautaires, les entreprises et les résidences privées, de même que sur les trottoirs de la basse-ville, du quartier Côte-de-Sable et du marché By.
Sur trois ans, ma femme et moi avons ramassé près de 7 000 seringues et plus de 27 gallons de produits visant à réduire les méfaits. L'ironie, c'est que les produits qui devaient servir à réduire les méfaits en causaient dans notre collectivité. Nous avons établi des liens avec le service de santé publique d'Ottawa, le Service de police d'Ottawa, la Ville d'Ottawa et les principaux refuges pour les sans-abri afin d'obtenir qu'on modifie la façon de distribuer les seringues, de sorte que les clients soient convenablement éduqués sur les bonnes façons d'en disposer et que des réceptacles soient installés dans les secteurs où il y avait beaucoup de consommation de drogue. Nous avons aussi contribué à créer un programme d'intervention rapide englobant de multiples divisions de la ville, dont les services des règlements, des opérations en surface, des parcs et des routes, le Service de police d'Ottawa et, bien sûr, les Needle Hunters, ou chasseurs de seringues, de manière à veiller à ce que des personnes convenablement formées et équipées interviennent rapidement pour ramasser les seringues trouvées dans des aires publiques, pour les cataloguer et pour en disposer.
En 2010, nous avons conclu que tout ce que nous avions accompli au cours des trois années précédentes, c'était nettoyer les dégâts, les effets secondaires d'un problème beaucoup plus vaste, c'est-à-dire la toxicomanie. Nous avons conclu qu'à moins de vouloir passer le reste de notre vie à ramasser des seringues, nous allions devoir nous attaquer directement au problème, et nous avons donc commencé à chercher et à préconiser un traitement de la toxicomanie efficace, abordable et accessible.
Nous n'avons rien fait pour cacher le fait que nous sommes opposés aux sites d'injection supervisée dans la ville d'Ottawa, pas en soutenant le point de vue qui consiste à dire que les drogues sont mauvaises ou illégales, mais plutôt par pragmatisme. Selon nos travaux de recherche et les preuves que nous avons vues, les sites d'injection supervisée ne semblent pas être un outil efficace pour lutter contre la toxicomanie. À vrai dire, ils peuvent être nuisibles.
Des ressources limitées sont consacrées au traitement de la toxicomanie, surtout aux toxicomanes de la rue. Par conséquent, nous devons nous assurer que les mesures mises en œuvre sont les plus efficaces possible.
L'injection supervisée n'est tout au plus qu'une mesure provisoire temporaire inefficace qui, un peu comme nous l'avons fait en 2007 et en 2010, ne cible que les symptômes de la toxicomanie. Il ne faut pas oublier que Vancouver a un site d'injection supervisée depuis 14 ans et que malgré le montant de près de 360 millions de dollars que nous dépensons chaque année, environ 1 million de dollars par jour pour offrir des services sociaux dans le quartier centre-est de Vancouver, le code postal de ce quartier est probablement le pire en Amérique du Nord, et sans aucun doute au Canada, car on y observe les taux de toxicomanie, de VIH et d'hépatite C les plus élevés au pays.
La toxicomanie est un problème difficile et dynamique qui comporte de multiples facettes et ne se règle pas du jour au lendemain. Il n'y a pas de solution miracle ou de cure universelle, et c'est là que réside le danger que représente l'affaiblissement du projet de loi C-2. Le but des 26 mesures du projet de loi était de faire en sorte que les villes, les autorités sanitaires et tous les ordres de gouvernement collaborent, se penchent sur le problème et mènent des consultations pour que la meilleure solution soit adoptée et que les services les plus efficaces possible soient offerts. Ces mesures garantissent que les gens qui ont besoin des services en bénéficient et que des programmes sont mis en œuvre compte tenu de leur efficacité, pas parce qu'ils font de bonnes manchettes ou qu'ils paraissent bien.
C'est la raison pour laquelle nous avons appuyé le projet de loi C-2, que nous nous opposons à ce qui est proposé et que nous irions même jusqu'à vous mettre sérieusement en garde contre ces amendements. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous tromper. Nous ne pouvons certainement pas rendre superflu ce processus. Nous devons nous assurer de faire preuve de diligence raisonnable et de faire en sorte que, au bout du compte, des vies soient littéralement sauvées.
En vérité, la seule façon de mettre efficacement fin aux méfaits de la consommation de drogues, de réduire la transmission de maladies et les surdoses, c'est de s'attaquer à la toxicomanie proprement dite. Tant qu'une personne consomme, il y a des risques. Il est temps que le gouvernement s'engage à s'attaquer de front à la toxicomanie en déployant suffisamment de ressources et en offrant le soutien nécessaire pour remédier à un problème aussi dévastateur.
Dans les rues d'Ottawa, on dit que les riches ont droit à un traitement et les pauvres, à une réduction des méfaits. Cette inégalité doit cesser. Il est temps de dire à ceux qui vivent dans les refuges, dans la rue, dans les ruelles et dans des immeubles abandonnés que nous leur donnerons un logement abordable. Il est temps de dire à ceux qui consomment une drogue qui crée une dépendance si forte qu'ils doivent quémander, voler et se prostituer pour s'en procurer que nous allons leur offrir un programme de traitement efficace, qu'ils n'auront plus à vivre une existence cauchemardesque ponctuée par la pauvreté, la douleur et le désespoir. Il est temps de dire à nos citoyens les plus vulnérables que nous ne les avons pas oubliés, qu'ils ne sont pas inutiles et que nous nous soucions d'eux en tant que nation.
Dr Mark Ujjainwalla, directeur médical, Recovery Ottawa : Merci de m'avoir invité à cette audience. Je suis un peu différent. Je suis médecin spécialiste en traitement des dépendances. Je suis également membre agréé de l'American Society of Addiction Medicine, et je travaille dans le domaine depuis 30 ans, à Ottawa.
Avant de travailler dans le domaine de la dépendance aux opioïdes, je ne m'occupais que de personnes comme vous — des médecins, des politiciens, des comptables et des dentistes —, et mon travail consistait à évaluer leur état de santé et à les traiter, et j'avais habituellement recours à des ressources américaines. Nous utilisions rarement des ressources canadiennes, car il n'y en avait pas.
Il y a cinq ans, j'ai décidé que j'avais besoin d'un changement, et je me suis rendu à Vanier, près d'ici, où j'ai lancé le programme Recovery Ottawa, qui est inspiré d'un programme du Kentucky appelé Recovery Kentucky. Mon plan était d'aider tous les patients opiomanes et amphétaminomanes et de leur donner un accès immédiat à un traitement, car je sais personnellement, après avoir travaillé 30 ans dans le système, qu'ils ne peuvent pas se faire traiter, avoir accès à un psychiatre ou à un spécialiste en traitement des dépendances, malgré ce que tout le monde dit. Je me suis occupé de ces patients à longueur de journée. Nous sommes passés de zéro à 1 500 patients en moins de trois ans. J'ai maintenant sept médecins qui travaillent pour moi. Nous avons également deux infirmières et cinq employés administratifs, et nous continuons de prendre de l'expansion. Aujourd'hui, j'ai vu 80 personnes avant de venir ici, et elles demandent toutes désespérément un traitement auquel elles n'ont pas accès.
Je tiens à être parfaitement clair. Personne dans la salle n'utiliserait un site d'injection. Aucun ami ni membre de la famille de quiconque dans la salle n'utiliserait un site d'injection supervisé. C'est ainsi. Il n'en demeure pas moins que de 10 à 15 p. 100 des personnes présentes ici auront besoin d'un traitement pour une dépendance ou un trouble mental. Malheureusement, les Canadiens qui n'ont pas les moyens de s'offrir un programme de réhabilitation privé subiront de graves conséquences ou mourront.
Les choses n'ont pas toujours été ainsi. Je fais mon travail depuis 30 ans. Dans les années 1970, 1980 et 1990, à titre de médecin spécialiste en traitement des dépendances, je pouvais aiguiller mes patients toxicomanes vers des programmes de traitement fondés sur des pratiques exemplaires et des données probantes qui sont offerts aux États- Unis, comme celui du centre Betty Ford, qui jouit d'une renommée mondiale. Essentiellement, le gouvernement de l'Ontario achetait des services de traitement de la toxicomanie sans avoir à débourser les milliards de dollars nécessaires pour créer ses propres centres.
Malheureusement, au milieu des années 1990, le gouvernement de l'Ontario a décidé de mettre fin à la pratique qui consiste à aiguiller des patients à l'étranger. Il soutenait que s'il n'avait plus à effectuer ces paiements à l'étranger, il réaliserait des économies qui lui permettraient de construire et d'exploiter ses propres installations de pointe. Malheureusement, cela ne s'est jamais produit. Comme je l'ai dit, je travaille dans le domaine depuis 30 ans, et je peux vous dire que nos ressources ne se sont améliorées dans aucun cas. C'est pire depuis 1980. Le Canada est un modèle d'excellence dans tous les autres domaines de la médecine, comme la cardiologie, l'ophtalmologie, l'oncologie — peu importe —, mais nous sommes au tout dernier rang pour ce qui est de la toxicomanie et de la santé mentale.
Malheureusement, il ne reste rien pour les patients qui souffrent de la maladie de la toxicomanie. Pour mettre les choses en perspective, par analogie, c'est comme si le gouvernement décidait de fermer toutes ses cliniques de traitement du cancer et qu'il finançait uniquement les centres de soins palliatifs. Fondamentalement, les personnes qui ont le cancer seraient condamnées à mort. Cela reviendrait aussi à fermer tous les centres d'ophtalmologie et à donner des cannes blanches à toutes les personnes qui ont perdu la vue.
Cela serait manifestement ridicule. Néanmoins, les patients qui souffrent de toxicomanie ne reçoivent pas les soins qu'ils méritent. Ces patients sont aux prises avec une maladie qui se traite très bien et qui a un excellent pronostic. En tant que médecin, le serment que j'ai prêté m'oblige à traiter les gens qui peuvent être traités.
Au lieu de créer des centres complets de traitement fondé sur des données probantes qui offrent les meilleurs soins possible, le gouvernement a décidé que le nouveau traitement de la toxicomanie s'appellerait la « réduction des méfaits ». Ainsi, cette maladie ne serait plus considérée comme un problème médical traité par des médecins, mais comme un problème social réglé par des administrateurs et des bureaucrates. Essentiellement, le gouvernement, en raison de son manque de connaissances et de perspective, a condamné ces malheureuses victimes de la toxicomanie à ne pas recevoir les soins appropriés et recouvrer la santé. L'expression « réduction des méfaits » est plutôt devenue la réponse du gouvernement en matière de traitement de la dépendance, plus particulièrement la dépendance aux opiacés. Autrement dit, le gouvernement a jugé que ces pauvres personnes victimisées, désespérées et impossibles à guérir ne méritaient pas les soins appropriés.
Le fait d'appuyer les sites d'injection constitue un grand pas en arrière dans le traitement à la fois de la toxicomanie et des troubles mentaux. Cette solution prive ces personnes malades du traitement approprié et important qu'elles méritent. En permettant aux utilisateurs de drogues injectables déjà malades d'utiliser des opiacés et des amphétamines, nous leur offrons essentiellement des soins palliatifs, et ils sont condamnés à mourir.
À titre de médecin spécialiste en traitement des dépendances depuis 30 ans, j'éprouve une tristesse et une honte profondes en raison du manque de soutien et de traitements offerts à ces pauvres patients victimisés qui ont une maladie qui se traite très bien et qui a un excellent pronostic. J'étais gêné, comme devraient l'être tous les Canadiens, lorsque le premier ministre Trudeau a envoyé la ministre Philpott à l'ONU pour proclamer que le Canada appuie les sites d'injection supervisée.
Le président : Nous devons vous arrêter ici.
Monsieur Kardish, allez-y.
David Kardish, propriétaire, Rideau Bakery Limited : Bonjour. Je m'appelle David Kardish et je tiens à vous remercier de me permettre de témoigner à propos de cette importante question. Je suis propriétaire d'une petite entreprise familiale locale à Ottawa, qui est exploitée depuis maintenant 87 ans. Pendant cette période, elle est restée dans le même quadrilatère de la rue Rideau, à seulement 15 minutes d'ici.
En tant que partie concernée du quartier, j'estime qu'il est vraiment préoccupant qu'un site d'injection supervisée puisse être approuvé dans notre quadrilatère. Mon point de vue est partagé par de nombreuses personnes qui vivent, magasinent, marchent et se déplacent à vélo dans le quartier, ainsi que par un grand nombre de propriétaires d'entreprises et de propriétaires fonciers.
Au fil des ans, nous avons connu un certain nombre de changements considérables qui ont eu des répercussions négatives sur le caractère et la sécurité du quartier. Dans un rayon de quatre rues de mon entreprise, les centres de services sociaux et les organismes médicaux suivants ont ouvert leurs portes : les Shepherds of Good Hope; l'Armée du Salut; la Ottawa Mission; la Capital City Mission; le centre Indian Friendship; la Pharmacie Rideau ainsi qu'une clinique de méthadone qui se trouve juste à côté; et le Centre communautaire Côte-de-Sable au bout du quadrilatère. Ces organismes offrent des services précieux et nécessaires aux membres vulnérables de notre société, mais ils attirent également dans notre quartier un grand nombre de sans-abri, de toxicomanes, d'alcooliques et de personnes atteintes de graves troubles mentaux.
Depuis l'ouverture de ces organismes de services sociaux, nos entreprises et nos employés ont connu leur juste part d'incidents inquiétants. Par exemple, nous trouvons constamment des seringues et des condoms usagés dans notre ruelle; nous voyons tous les jours des transactions de drogue devant notre commerce; nous faisons appel à la police pour sortir de nos toilettes des individus qui se sont évanouis à cause des drogues qu'ils y ont consommées; nos employés se font chasser de notre stationnement par des toxicomanes qui vivent ou qui se cachent dans notre benne à ordures; les véhicules de nos employés se sont fait défoncer à maintes reprises pour obtenir une petite quantité de monnaie; et nous avons été témoins de nombreux affrontements physiques autour de notre commerce.
Les touristes et les visiteurs qui viennent dans la ville disent à quel point ils ne se sentent pas à l'aise ni en sécurité lorsqu'ils sont témoins de transactions de drogue, de disputes et d'affrontements physiques à seulement quelques minutes de la Colline du Parlement.
La plupart des gens craignent d'affronter les toxicomanes, surtout lorsqu'ils semblent drogués ou imprévisibles. Ils ont également peur de contracter des maladies comme le VIH et l'hépatite C, qui sont plus répandus chez les consommateurs de drogues injectables.
En créant des sites d'injection supervisée, vous cautionneriez non seulement la consommation de drogues dures, mais aussi les crimes commis par les toxicomanes pour se procurer ces substances illicites. Au site d'injection sécuritaire, les toxicomanes devront fournir leurs propres drogues illicites. Leurs habitudes de consommation peuvent leur coûter chaque jour entre 50 et 1 000 $. Dans la majorité des cas, la seule source de revenus légale des toxicomanes est l'assurance-invalidité de l'Ontario, qui leur donne entre 700 et 900 $ par mois. Pour obtenir l'argent supplémentaire dont ils ont besoin pour acheter des drogues, ils doivent recourir à des moyens illégaux, comme la prostitution, la vente de drogues, les larcins et les introductions par effraction.
En tant que partie concernée d'une des communautés envisagées pour le site d'injection supervisée, je crains fort que ces autres crimes ne soient perpétrés contre les résidences, les propriétaires fonciers et les entreprises du quartier, ainsi que leurs employés ou leurs clients. De plus, l'ouverture d'un site d'injection supervisée attirera les trafiquants de drogues dans le quartier, car ils sauront exactement où trouver leurs proies faciles. Ces trafiquants sont dépourvus de conscience et ne sont motivés que par l'argent qu'ils reçoivent en vendant leur poison, peu importe si vous êtes un enfant, un adulte, blanc, noir, riche, pauvre, toxicomane ou déficient intellectuel. Ils s'en moquent.
Dans notre quartier, les trafiquants auraient comme source de revenus non seulement les toxicomanes actuels, mais aussi un grand bassin d'éventuels consommateurs. À deux coins de rue du site d'injection supervisée proposée se trouvent deux écoles publiques — c'est-à-dire des enfants de 14 ans et moins — ainsi que deux résidences universitaires. Les résidants, les clients, les touristes, les propriétaires d'entreprise et les propriétaires fonciers du quartier et de la communauté méritent mieux. Beaucoup de résidants et de clients ne se sentent déjà pas en sécurité dans la rue, et la présence d'un site d'injection supervisée ne fera qu'empirer les choses.
Je ne suis pas contre la réduction des méfaits, mais nous avons déjà des programmes d'échange de seringues gratuites et des traitements à la méthadone qui visent à réduire la propagation du VIH et de l'hépatite C attribuable à l'injection intraveineuse de drogues.
À mon avis, l'approche portugaise pour freiner la consommation de drogues illicites et les dangers d'ordre médical qui en découlent représente un bon modèle pour permettre au Canada de s'attaquer aux problèmes actuellement associés aux drogues. En 2001, le Portugal a décriminalisé la possession de petites quantités de drogues. Le gouvernement s'est attaqué au problème de la drogue en échangeant des seringues, en utilisant la méthadone comme substitut aux opioïdes et en offrant des services de counseling et des traitements pour remédier aux problèmes de dépendance et aux troubles mentaux sous-jacents. Le programme d'échange de seringues et les traitements à la méthadone ont tous les deux aidé à réduire la propagation de maladies transmissibles. Au cours des 15 dernières années, le taux de VIH au Portugal a diminué de 90 p. 100, et le taux de décès attribuables aux surdoses ne correspond désormais qu'à 20 p. 100 de la moyenne de l'Union européenne, qui est de 17,3 individus par million de personnes. Le nombre de personnes accusées de trafic de drogues est passé de 44 en 1997 à 21 en 2012. Au Portugal, on n'a aucunement préconisé l'ouverture de sites d'injection supervisée.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D'abord, merci beaucoup pour vos présentations fort éloquentes. Docteur, ma question s'adresse à vous. Permettez-moi de lire la dernière phrase de votre mémoire, que vous n'avez pas eu le temps de prononcer :
[Traduction]
En conclusion, j'estime que l'approbation du projet de loi C-37 sous sa forme actuelle, qui permet d'offrir des sites d'injection supervisée, revient à renoncer à une occasion de créer les traitements appropriés que méritent tous les Canadiens.
[Français]
Pourriez-vous nous expliquer ce passage, s'il vous plaît?
[Traduction]
Dr Ujjainwalla : Ce que je veux dire à propos du problème auquel nous faisons face, c'est que les gens qui souffrent de la maladie de la toxicomanie ne reçoivent pas les traitements qu'ils méritent. En tant que médecin, je sais que c'est différent dans tous les autres domaines de la médecine. Si vous faites une crise cardiaque, on vous conduira à l'institut de cardiologie et on vous installera une endoprothèse. C'est ainsi que nous devrions procéder pour la toxicomanie.
J'ai parcouru le monde. Les pays européens, les États-Unis et beaucoup d'autres pays ont des programmes de traitement adéquats. Dans le dossier que je vous ai remis, je vous ai donné de l'information sur Recovery Kentucky et la façon dont cet organisme a procédé. Il compte maintenant plus de 2 000 lits. Je vous ai également donné de l'information sur le centre Betty Ford.
J'estime, comme les gens du domaine de la toxicomanie, que le gouvernement se sert des sites d'injection comme un écran de fumée pour éviter de devoir verser l'argent dans un traitement adéquat de la toxicomanie étant donné que des milliards de dollars seraient nécessaires, si les ministères fédéral et provinciaux de la Santé procédaient comme il se doit. Ils n'ont pas sérieusement investi là-dedans depuis les années 1980. Voilà où je veux en venir. Si nous nous concentrons sur cette solution, à savoir que les sites d'injection servent à traiter la toxicomanie, nous ne nous pencherons plus jamais sur la question au cours de notre vie, et ce sera fini pour tout le monde.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Hier, les témoins nous ont dit qu'il y a un problème urgent à régler, mais que c'est un problème maintenant endémique qui s'étend de l'Est à l'Ouest.
Il y avait un article dans les médias ce matin, au Québec, dans lequel on disait que le fentanyl arrive au Québec et qu'il commence à y avoir des décès, quoique ce ne soit pas dans la même proportion qu'à Vancouver. Selon vous, est-ce que le projet de loi dont nous sommes saisis est une erreur sur le plan médical?
[Traduction]
Dr Ujjainwalla : Dans le sommaire du projet de loi, je suis d'accord avec tout, sauf avec l'alinéa a) « de simplifier le processus de demande d'exemption pour permettre l'exercice de certaines activités... » Je suis d'accord avec tout le reste, et il faudrait même l'étoffer. Je pense qu'on devrait même ajouter que le gouvernement devrait consacrer autant d'argent que nécessaire pour rendre nos méthodes de traitement des toxicomanies conformes aux normes du reste du monde et qu'il ne devrait pas se fier aveuglément à l'observation d'un bureaucrate selon laquelle ces centres permettent de traiter les toxicomanies.
Nous sommes sur la bonne voie. Je crois que le gouvernement n'a pas assez entendu les explications, les conseils et les renseignements de mes homologues du domaine des toxicomanies qui étaient nécessaires à la prise des bonnes décisions. Nos homologues américains ont pris sur nous une avance de plusieurs années-lumière, mais pas en cardiologie ni en oncologie ni dans aucun autre domaine.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous pour vos exposés. Je suis totalement d'accord : le soutien psychosocial et le traitement sont la clé de la guérison des toxicomanies; je n'en doute absolument pas.
J'ai une question sur le projet de loi. Il vise à la fois les centres de consommation et ceux d'injection. Sous le régime réglementaire actuel visant les centres de consommation, il faut satisfaire à 26 critères. Le projet de loi en ferait passer le nombre à 5. C'est son premier effet.
Ensuite, il transforme la période de consultation publique discrétionnaire de 90 jours en consultation discrétionnaire d'au plus 90 jours. Enfin, et vous en avez aussi parlé, il ne dit rien sur les centres de désintoxication, qu'on considère comme un élément important de la solution.
Puis-je connaître votre opinion, s'il vous plaît, sur ces trois points?
Dr Ujjainwalla : Je suis d'accord avec ce que vous dites. Le projet de loi s'inspire d'une bonne idée. Il montre que le gouvernement s'intéresse à la crise actuelle des opiacés. Mais, pourquoi ne m'a-t-on même pas invité, moi qui suis médecin spécialiste de la toxicomanie, qui, par exemple, suis un expert national, au sommet qui vient d'avoir lieu ici, à Ottawa, sur les opiacés.
Voilà pourquoi je ne suis pas convaincu que le problème soit la confusion qui règne sur le traitement approprié. Le gouvernement pourrait devenir extrêmement connaissant sur le sujet. Il devrait prendre tout le temps dont il a besoin pour bien le faire et se donner un projet de loi sensé qui fera de notre stratégie canadienne une stratégie digne de ce nom, qui s'attaquera à notre problème, par exemple, de carfentanil ou à tous les autres dont mes collègues parlent.
En fin de compte, le projet de loi est nécessaire, mais il doit convenir à la gestion des toxicomanies, ce qu'il ne fait pas vraiment. Il ne dit rien du traitement, et sa première partie, l'affirmation que c'est du traitement n'est, à mon avis, qu'un écran de fumée. Les centres d'injection ou de consommation procurent un traitement, mais, comme M. Carter le dit, il faut suivre les allées et venues des toxicomanes pour voir la vérité. À Ottawa, ils ne seront peut-être fréquentés que par 20 à 50 d'entre eux, les mêmes, qui vivent dans des refuges. Ils peuvent disposer de 500 $ aujourd'hui; ils ont un refuge; ils n'ont pas à se prostituer, ni à voler, ni à commettre de crimes; ils vont s'injecter de la drogue. Et après? Ils sont déjà morts, dans un certain sens, spirituellement. Nous ne sauvons aucune vie en leur permettant de seulement respirer encore parce que, dès leur sortie, ils devront se réapprovisionner, violer la loi et ils vont mourir.
Il faut voir en ces personnes des êtres humains qui souffrent d'une maladie facile à traiter. Si elles vivaient à l'étranger et avaient l'argent nécessaire, je pourrais les traiter et leur faire retrouver une vie normale, celle de citoyens, de contribuables heureux et en bonne santé.
Le sénateur McIntyre : Nous ne les guérissons pas en leur donnant plus de drogues.
Dr Ujjainwalla : Absolument pas. On leur donne le droit de reproduire un comportement mortel pour eux. C'est illogique. Mais c'est logique pour qui ne comprend pas la toxicomanie. Si on la comprend, et j'en suis un spécialiste, mes nombreuses années d'études et les milliers de patients que j'ai soignés en font foi, on sait que le problème n'est pas la drogue. C'est peut-être la tête, le corps, l'esprit. Faute de traitement, cette maladie est mortelle.
Le sénateur McIntyre : Le projet de loi m'inquiète à un autre titre. Nous n'aurons pas seulement cinq centres d'injection. Ils vont se multiplier dans tout le pays. Nous risquons de nous retrouver avec 50, 500 de ces centres. Aurons-nous alors vraiment résolu le problème? Ça m'inquiète.
Dr Ujjainwalla : C'est ce que je voulais dire à la fin de ma réponse à vos collègues. Nous finirons par perdre de vue le problème, et là nous serons dans un gros pétrin. Les centres d'injection que vous projetez contribuent en fait à aggraver le problème de dépendance aux opiacés. Quand on y est dépendant, ça n'a pas d'importance. Après le retrait de l'OxyNEO du marché légal, les toxicomanes sont passés au produit de remplacement suivant. Voilà pourquoi nous sommes aux prises avec le carfentanil. À cause du retrait de l'OxyNEO.
C'est ainsi que ça se passe. Je vous le dis. C'est mon pain quotidien. Depuis trois semaines, 10 de mes patients sont morts, faute de pouvoir être traités. Quand on sauve une vie, il faut comprendre ce qu'une vie représente. Le cancéreux qui meurt en soins palliatifs veut vivre. Mon père est mort en agonie à Bruyère.
Voilà comment ces gens vivent : séropositifs pour le VIH, positifs pour l'hépatite C, édentés, se nourrissant à peine, dormant sous les ponts. Ce n'est pas une vie. Alors quand ils se remettent à respirer, quand ils s'éveillent après l'injection, nous n'avons pas vraiment sauvé une vie. Le médecin en moi ne croit pas que c'est juste. De toute manière, on les rejette. On les sauve tout simplement de la noyade, puis on les abandonne à leur sort dans la rue où ils doivent se prostituer pour obtenir plus de fentanyl. Je ne comprends pas. Ce n'est pas logique.
Le sénateur Joyal : Vous venez de mettre le doigt sur l'énigme que j'ai signalée aux témoins que nous avons eu le privilège d'entendre plus tôt, ce matin, c'est-à-dire que si la seule réponse du gouvernement est, comme vous dites, de multiplier le nombre de centres d'injection, ce n'est pas s'attaquer aux racines des problèmes. Je veux dire les problèmes et les solutions qui se présentent au toxicomane sorti, comme vous dites, de la rue, du ruisseau, peu importe.
Je pense que notre comité devrait se soucier d'alerter le gouvernement. Bien sûr, en temps de crise, les gouvernements veulent agir, sous la pression du public, de l'opinion publique, des morts. Ils le doivent, mais encore le faut-il de façon intelligente.
Autant les centres d'injection peuvent être nécessaires dans certaines circonstances, autant nous ne contribuerons pas beaucoup à la résolution du problème si nous privilégions exclusivement, avec tout notre argent et tous nos efforts avec les provinces, la multiplication de ces centres, en négligeant d'en consacrer au traitement.
Le milieu médical doit participer à fond à la définition de ce qu'est un centre de traitement. Ça ne se fera pas par des fonctionnaires. Ça viendra de praticiens du terrain, comme vous et comme M. Kardish, qui constatent tous les jours à quoi mène l'impossibilité d'être traité. Ça ne contribue qu'à multiplier le problème. Comme vous l'avez dit, ça équivaut à maintenir en vie des zombies, mais sans vraiment s'attaquer au problème.
D'après votre expérience de ce qui se fait aux États-Unis, comment décririez-vous l'initiative que nous devrions adopter pour promouvoir le volet traitement dans la lutte contre la crise des opiacés au Canada?
Dr Ujjainwalla : Je vous remercie de vos observations. Ça me fait beaucoup de bien d'entendre reconnaître mon travail.
J'ai essayé de connaître la pensée de mon ami Jack Kitts, le directeur général de l'Hôpital d'Ottawa, qui m'a répondu que, en sa qualité de dirigeant de l'hôpital, il devait remettre à plus tard ses commentaires. Ça m'attriste de voir des médecins, mes collègues, négliger leur devoir.
Comment changer? D'abord par l'attitude, les idées, les connaissances et la volonté. Si nous pouvions, collectivement, reconnaître la vérité de tout ce que vous venez de dire et nous décider à former un comité de travail pour définir le traitement médical approprié d'un problème médical dont le pronostic est excellent et déterminer comment élaborer un programme fondé scientifiquement sur des pratiques exemplaires comme celui du centre Betty- Ford. Ensuite, nous devrions élaborer ensemble ce type de programme exhaustif, auquel je serais ravi de participer. Et, je le sais, d'autres personnes par ici le seraient aussi.
Je pense que, aux États-Unis, la multiplication des centres de traitement et la création du tribunal de traitement de la toxicomanie s'expliquent par l'épuisement des fonds. J'ai visité plusieurs États, la Géorgie, la Floride et Hawaï et, essentiellement, à force de jeter les toxicomanes en prison, ils se sont trouvés à court d'argent et compris que ce n'est pas par l'incarcération qu'on traite la toxicomanie. On y a donc élaboré des programmes innovants qu'on a intégrés dans les centres de traitement existants.
À un moment donné, j'en ai parlé au Dr Keon, dont je voulais connaître l'opinion. Nous devons faire avec l'institut de toxicomanie ce qu'il a fait à Ottawa avec l'Institut de cardiologie. À mes débuts, dans les années 1970, Ottawa n'avait rien : pas de Centre hospitalier pour enfants pour l'est de l'Ontario, ni Institut de cardiologie, ni Clinique d'oncologie, ni Institut de l'œil. Rien. Elle a maintenant tous ces établissements.
Nous devons y mettre les mêmes efforts, le même enthousiasme, la même intelligence et le même argent pour créer une fondation ou un centre de traitement des toxicomanies qui serait l'équivalent de notre Institut de cardiologie. C'est possible. Il suffit d'avoir des appuis. Notre communauté compte beaucoup de donateurs qui, comme M. Kardish, consacreraient volontiers temps et argent à cette cause. Je le sais.
Pour répondre à votre question, je pense que c'est la volonté du gouvernement d'autoriser des spécialistes du domaine comme nous à avoir voix au chapitre et à faire ce qui s'impose logiquement, puis à commencer à étudier les résultats.
La plupart des programmes des réseaux locaux d'intégration des services de santé n'exigent absolument aucune reddition de comptes sur les résultats. À Ottawa, on consacre 120 millions de dollars par année à la toxicomanie dans le réseau local Champlain, mais 90 p. 100 partent en salaires. Ça n'a pas changé depuis les années 1980.
Je dois obtenir le droit de siéger à la table et il faut reconnaître l'importance des médecins dans la résolution du problème. Le traitement médical du problème médical existe, il est disponible, et nous pouvons l'appliquer. Pourquoi ne le pourrions-nous pas? Nous avons réussi avec l'Institut de cardiologie et la clinique d'oncologie. C'est possible. Ça se fera. Sauf que la volonté politique a été de produire un écran de fumée encore une fois pour faire passer les centres d'injection ou la réduction des méfaits pour une méthode de traitement de la toxicomanie et pour nous en prétendre les chefs de file dans le monde. En fait, nous irons à l'ONU et nous y vanterons l'excellence de nos programmes. Pour moi, qui suis Canadien, c'est gênant. Nous n'irions pas jusque là avec l'Institut de cardiologie, nous ne le dirions pas de l'Institut de l'œil.
Le président : Monsieur Kardish, vous avez parlé de rencontres désagréables pour certains de vos clients et employés. Pourriez-vous nous en dire un peu plus, peut-être par des exemples des incidents les plus inquiétants.
M. Kardish : Beaucoup de toxicomanes vont par les rues qui entourent notre établissement. C'est comme ça. Ce jour-là, vers 6 ou 7 heures, la boulangerie ouvre ses portes. Une employée va ouvrir la benne à ordure. Elle y trouve un homme en train de se piquer. C'était vraiment effrayant. Il avait peur; elle avait peur.
Une autre fois, une fille stationne sa voiture dans l'allée, à 8 heures, et une fille à l'air sauvage, complètement défoncée, sort de la benne et se met à la poursuivre dans la rue.
C'est continuel. Nous sommes rue Rideau. C'est fréquent. À la porte voisine, celle de la clinique de traitement à la méthadone, les rixes sont nombreuses. C'est gênant pour les touristes, les clients de notre établissement. On ne se croirait jamais à 15 minutes du centre-ville, du Parlement et, pourtant, ils voient ces choses. C'est effrayant.
Le président : Docteur, vous avez dit que vous aviez lancé votre propre organisme, Recovery Ottawa, pour administrer des traitements. Vous avez dit, je pense, que la priorité devait être de sauver des vies. Vous avez dit, aussi, que des malades ne pouvaient pas se faire traiter et vous avez précisé que trois de vos patients étaient morts la semaine dernière. Peut-être pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet.
Dr Ujjainwalla : Ils sont morts faute de traitement.
Le président : Mais vous avez dit que c'était vos patients.
Dr Ujjainwalla : Mon traitement à la méthadone s'appelle gestion du sevrage des dépendances aux opiacés. Les personnes en situation de dépendance au fentanyl ne peuvent pas se faire admettre dans un centre de traitement. J'ai d'abord lancé cette entreprise après avoir constaté l'état de délabrement de la rue Rideau. Je me suis dit qu'il fallait réagir. Avec un pharmacien, j'ai créé Recovery Ottawa, à nos propres frais. Médecins sans Frontières sont les seuls à aider ces gens; c'est une catastrophe.
Je me rends là et je les reçois, sans carte d'assurance-santé de l'Ontario, le même jour, et je leur prescris de la méthadone, une drogue de substitution. Nous les accompagnons jusqu'à la fin du sevrage. C'est tout ce que nous faisons. Ils ont maintenant besoin de traitement. Ils doivent s'occuper de tous leurs autres problèmes psychiatriques, problèmes de la vie et problèmes liés à la carrière. C'est le but du traitement. Ce que vous dites est important. Ces gens ne savent même pas ce que signifie un traitement. Ils pensent que c'est la méthadone. C'est faux. C'est la gestion du sevrage des dépendances aux opiacés pour que, au moins, ils n'aient pas à se prostituer, à voler et à vandaliser. À ma clinique, vous verriez que c'est le contraire. Tout le monde est poli, amical et vaque à ses affaires, parce que je l'exige. Le problème est que je dois les regarder mourir parce qu'ils n'obtiennent pas plus d'aide pour leurs graves problèmes psychiatriques et problèmes de la vie.
Recovery Kentucky, que j'ai visité, veut s'établir ici et entreprendre son programme. Dans le Kentucky, 2 000 lits sont offerts aux sans-abri. Ne serait-il pas génial si nous pouvions faire de même ici, dans le quartier du marché? Pas de drogues, des gens polis et amicaux. C'est ma vision et je sais qu'elle est réalisable. Il suffit d'un peu de volonté pour l'essayer.
Le président : Comment êtes-vous financés?
Dr Ujjainwalla : Nous ne sommes absolument pas financés. Nous payons tout nous-mêmes. Je paie comme tout autre médecin. Mon salaire est financé par l'Assurance-santé de l'Ontario; c'est tout. Nous n'obtenons aucun autre financement.
Le président : Est-ce un concept comme l'équipe de santé familiale?
Dr Ujjainwalla : Oui, sauf que je paie tout moi-même, comme les pharmaciens — le loyer, le téléphone, tout.
Le président : Connaissez-vous le modèle suisse qu'ont évoqué plusieurs témoins?
Dr Ujjainwalla : Le modèle suisse?
Le président : Oui.
Dr Ujjainwalla : Il y a des gens de la Suède qui sont venus nous rendre visite et qui souhaitaient mettre sur pied un programme. Mais je ne connais pas le modèle suisse.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma question s'adresse à M. Grinham. Tout d'abord, félicitations pour le travail que vous avez fait avec votre conjointe, c'est admirable. Vous n'avez pas du tout parlé du projet de loi C-37 dans votre mémoire; quelle est votre position par rapport à ce projet de loi?
[Traduction]
M. Grinham : Je suis du même avis que la plupart des gens qui ont pris la parole aujourd'hui. Le plus clair du projet de loi est bon. C'est l'affaiblissement des critères pour les sites d'injection ou de consommation supervisés qui pose problème. Il y a aussi le fait qu'on exige de l'information plutôt que des preuves. L'information n'est pas une preuve et ne garantit pas l'efficacité de la solution qui a été mise en œuvre. Il y a littéralement des gens qui se meurent en attendant qu'on trouve la bonne solution.
Ma femme et moi y travaillons depuis 10 ans, et en 10 ans, rien n'a changé. En fait, la situation a empiré. Quiconque suit l'actualité sait qu'une personne s'est fait poignarder l'autre nuit au McDonald de la rue Rideau. Cette agression était liée à la drogue. Il y a des fusillades qui surviennent partout à Ottawa, à quelques pas du Parlement. En général, cela découle d'un problème de drogue.
Si nous facilitons la mise en place de sites d'injection ou de consommation supervisée, comme le Dr Ujjainwalla a dit, nous allons perdre de vue le traitement de la toxicomanie. Nous demandons haut et fort des programmes de traitement de la toxicomanie depuis 10 ans.
J'invite les gens à examiner le modèle d'un centre de traitement de la toxicomanie en Italie appelé San Patrignano. Si vous avez un moment, allez voir de quoi cela a l'air. Dans notre tribunal de traitement de la toxicomanie, il y a environ 30 p. 100 des cas qui sont une réussite. À ce centre, le taux de réussite s'élève à 71 p. 100 depuis cinq ans. Ils ont compris que le traitement ne consiste pas seulement à mettre fin à la consommation de drogues d'une personne; il faut traiter tout ce qui a amené la personne à consommer de la drogue au départ. Le traitement est quelque chose de très personnel qui doit être adapté à chaque toxicomane. Si nous faisons bien les choses, si nous réussissons à sortir des rues d'Ottawa 71 p. 100 des toxicomanes — soit dit en passant, le centre San Patrignano mène ses activités sans qu'il en coûte un sou au gouvernement ni aux contribuables italiens.
Cinquante pour cent du financement provient de dons, et l'autre moitié provient des biens et des services produits au centre, car le traitement vise en partie à former les gens afin qu'ils puissent occuper un nouvel emploi. Et à mesure que les gens sont formés et travaillent, tout en recevant des soins au centre, l'argent qu'ils reçoivent sert à payer leur traitement. Ce n'est donc pas un fardeau pour la société. C'est un modèle exceptionnel.
Encore une fois, ils nous ont indiqué à plus d'une reprise qu'ils seraient disposés à venir ici à Ottawa pour vous expliquer leur démarche. Il suffit d'avoir de la volonté politique.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ce que je comprends, c'est que vous comparez le projet de loi C-37 à un mouroir; les gens vont mourir à petit feu en s'injectant. Est-ce que vous recommandez de scinder le projet de loi en deux, afin de gérer le traitement d'une part, et de traiter des sites d'injection supervisée d'autre part, pour ne pas perdre de vue la priorité, qui est la réhabilitation, et de ne pas mettre l'accent sur le maintien de la consommation?
[Traduction]
Dr Ujjainwalla : Je pense que ce serait une excellente idée. Cela laisserait entendre à la population que l'on comprend le problème, et cela pourrait devenir une véritable solution.
J'ai vécu la même expérience que Chris a décrite. Un groupe de la Suède est venu me voir et m'a parlé de ce même programme. Ils souhaitaient venir ici et le mettre en œuvre. Je vous ai dit que le groupe Recovery Kentucky était venu à Ottawa. Je suis allé rencontrer les responsables. Ils seraient heureux de venir ici et de mettre leur programme sur pied gratuitement. Je connais des gens qui seraient prêts à investir de l'argent personnel ici à Ottawa pour créer ces types de ressources.
Comme Chris l'a dit, il faut une volonté politique. Nous devons prendre ce problème au sérieux et reconnaître que nous avons besoin de services de traitement de la toxicomanie. Il faut miser là-dessus. Cela n'a rien à voir avec les sites d'injection. Rien ne me rendrait plus heureux que d'abandonner ce projet et d'avoir une nouvelle mesure législative qui stipule qu'il faut accorder la priorité au traitement de la toxicomanie pour régler le problème.
Le sénateur Joyal : J'essaie d'imaginer en quoi votre initiative pourrait se rapporter aux activités des organismes sociaux et du tribunal de traitement de la toxicomanie. Chose certaine, cela semble être un joueur important dans le cadre d'une approche plus exhaustive qui ne cible pas uniquement les sites d'injection.
Quelle est votre expérience? J'ai du mal à comprendre que le travail que vous faites n'est pas reconnu par les organismes sociaux à Ottawa, que vous n'entretenez pas de liens avec eux et que vous n'essayez pas de collaborer en vue d'obtenir de meilleurs résultats.
Dr Ujjainwalla : Si vous me permettez, je pense que c'est ce qui pose problème. C'est comme essayer de mélanger de l'huile et de l'eau. Si nous œuvrons en médecine, ils n'œuvrent pas au sein de la bureaucratie ni de l'administration. Je ne peux pas vous dire à quel point c'est dysfonctionnel.
Le problème, c'est que les gens qui ont besoin de ces services ne les obtiennent pas. Nous avons une réunion tout de suite après avec le RLISS. Je ne vais pas disparaître. C'est ma mission de vie.
Dans la trousse que je vous ai transmise, il y a un exposé que j'ai présenté aux chefs de police du Canada, ainsi qu'un exposé sur la forme que pourrait prendre un programme global axé sur la collaboration et toutes les différentes ressources concertées. Encore une fois, je suis allé dans d'autres régions du monde, aux États-Unis, en Suède, et il semble qu'en Italie, on ait déjà adopté cette approche. Nous travaillons tous en collaboration, exactement comme un hôpital devrait fonctionner. Toutefois, pour une raison étrange, nous n'en faisons pas partie.
Lorsque je vais à une fête, je dois passer 10 minutes à expliquer ce que fait un médecin spécialisé en toxicomanie, alors que j'ai un diplôme dans ce domaine. Le cardiologue n'a pas à faire ça.
C'est un problème auquel notre société est confrontée. La toxicomanie et les problèmes de santé mentale sont secondaires, et pourtant, 50 p. 100 de la population en est touchée. Et des bons citoyens, qui paient beaucoup d'impôts, retrouvent des gens dans leur conteneur à ordures le matin. C'est ridicule.
Le sénateur Joyal : Comment le tribunal de traitement de la toxicomanie peut-il aiguiller ces personnes vers le traitement le plus approprié, s'il n'y a aucune infrastructure pour les accueillir? Si le juge décide qu'une personne doit suivre un traitement, qui va s'en occuper une fois qu'elle quittera le tribunal? Où se trouve l'infrastructure sociale?
Dr Ujjainwalla : Absolument. Tout cela se trouve dans mon exposé.
Le tribunal de traitement de la toxicomanie fait partie intégrante de notre travail. Les gens devraient être aiguillés vers un programme de traitement de la toxicomanie, mais en même temps, ils devraient pouvoir passer la nuit dans un centre pour éviter une rechute. Ils ont besoin d'un traitement d'une durée d'un mois, de trois mois ou d'un an, puis d'un suivi pendant trois ans. Il s'agit d'un ensemble de soins.
Le tribunal de traitement de la toxicomanie prend en charge 36 personnes par année. Selon moi, il faudrait que ce soit 3 000 par année.
Le sénateur Joyal : Absolument.
Dr Ujjainwalla : C'est très coûteux d'envoyer des gens en prison. Il y a un homme qui a écopé d'une peine d'emprisonnement de 10 ans pour avoir volé ou commis une infraction du genre. Cela coûte 150 000 $ par année pour le garder en prison.
Nous pourrions prendre cet argent et l'investir dans un tribunal de traitement de la toxicomanie, qui est intégré à un ensemble de soins, c'est-à-dire le traitement, la gestion et le suivi et, comme Chris disait, la formation à l'emploi.
En Suède, les entreprises appartiennent à l'État. Il y a notamment une entreprise de couverture. Par conséquent, les gens travaillent pour l'État, et tout l'argent lui revient. Les travailleurs deviennent en quelque sorte des copropriétaires. C'est efficace. Les gens sont heureux. On constate une baisse de la criminalité, et les prisons ferment leurs portes parce qu'il n'y a plus assez de détenus. Quatre-vingts pour cent des détenus ne devraient pas être en prison.
J'encouragerais chacun d'entre vous à vous rendre au tribunal de traitement de la toxicomanie, les mardis, à 14 heures. Vous serez profondément bouleversés. C'est le seul tribunal où les gens sont heureux. Les juges et les policiers prennent les patients dans leurs bras. Si vous voulez vous remonter le moral par une journée pluvieuse comme aujourd'hui, allez-y et vous verrez à quel point c'est exceptionnel. Vous vous demanderez pourquoi on n'en a pas davantage. C'est ainsi que cela devrait fonctionner.
Un homme a été accusé de possession de deux grammes de cocaïne, et il sera détenu pendant trois mois au Centre de détention d'Ottawa-Carleton. Cela n'est pas logique. Il faut plutôt le placer dans un centre de traitement. Il faut le sensibiliser, l'éduquer, traiter ses problèmes de santé, lui donner un emploi, l'encourager, et le traiter comme un être humain, et au bout du compte, c'est nous qui en bénéficierons. Le Canada pourrait être un chef de file dans le domaine. Cela ne devrait pas être trop difficile à accomplir.
Le président : Je vous remercie d'être aussi passionné et de vous préoccuper autant de la collectivité. Le comité vous en est reconnaissant. Nous vous remercions pour vos témoignages. Ils étaient très pertinents.
Monsieur Kardish, j'ai reçu un courriel durant votre témoignage. Je suppose que c'est quelqu'un qui suivait les délibérations du comité sur la chaîne CPAC. Il semblerait que vous faites le meilleur pain de seigle au monde.
M. Kardish : Merci.
Le président : Cela figure officiellement au compte rendu. Merci encore, messieurs.
(La séance est levée.)