Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 27 - Témoignages du 13 avril 2017
OTTAWA, le jeudi 13 avril 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 33, pour étudier, pour en faire rapport, les rapports du directeur général des élections sur la 42e élection générale du 19 octobre 2015 et les questions connexes relatives à la façon dont Élections Canada a dirigé l'élection.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bonjour et bienvenue aux collègues, aux invités et aux membres du grand public qui regardent aujourd'hui la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
L'automne dernier, le Sénat a autorisé le comité à étudier le rapport du directeur général des élections sur la 42e élection générale du 19 octobre 2015.
Nous tenons aujourd'hui notre deuxième séance sur cette étude. Nous recevons Yves Côté, commissaire aux élections fédérales, ainsi que Marc Chénier, avocat général et directeur principal des Services juridiques, du Bureau du commissaire aux élections fédérales.
Messieurs, merci de vous joindre à nous. Nous vous en sommes très reconnaissants. Monsieur Côté, je présume que vous voudriez faire un exposé.
[Français]
Yves Côté, commissaire aux élections fédérales, Bureau du commissaire aux élections fédérales : Nous sommes très heureux d'être avec vous aujourd'hui pour vous assister dans votre examen des rapports de l'ancien directeur général des élections qui portent sur l'élection générale de 2015, y compris, bien sûr, son rapport sur les modifications législatives qu'il a recommandées. Comme vous l'avez mentionné, monsieur le président, je suis accompagné par notre avocat général, M. Marc Chénier.
Le mandat du commissaire, il est important que je le mentionne, est inscrit dans la loi et se lit à peu près comme ceci : le mandat du commissaire est de veiller à l'observation et au contrôle d'application de la Loi électorale du Canada et de la Loi référendaire.
[Traduction]
Le rapport de recommandations de l'ancien directeur général des élections contient une série d'éléments qui visent expressément à renforcer le régime d'observation et de contrôle d'application institué dans la Loi électorale du Canada. On comprendra qu'ils ont une incidence directe sur le mandat de mon bureau.
J'aimerais en souligner quelques-uns, qui sont particulièrement importants à mes yeux. Premièrement, je tiens à souligner l'importance d'accorder à un tribunal supérieur le pouvoir, dans certaines circonstances et dans des conditions strictes, de délivrer une ordonnance afin de contraindre une personne à témoigner. S'il nous était possible de contraindre des personnes à fournir de l'information dans le cadre de certaines de nos enquêtes, nous pourrions traiter les cas d'infractions graves sans retard indu.
Il importe de souligner que le pouvoir de contraindre une personne à témoigner dans les affaires d'infractions électorales n'est pas sans précédent. Ce pouvoir existe déjà dans d'autres régions du Canada, notamment au Québec.
Par ailleurs, si le Parlement décidait de nous accorder ce pouvoir, je m'attends à ce qu'il soit assorti des protections importantes dont je fais mention dans des rapports précédents, en particulier, le droit d'être représenté par un avocat, la protection contre l'auto-incrimination et la reconnaissance du droit à la vie privée.
[Français]
Il importe de souligner que ces ordonnances seraient délivrées par des juges indépendants, lorsqu'ils auraient la certitude que les conditions législatives relatives à l'émission de ces ordonnances sont remplies. Cet outil, qui serait utilisé avec parcimonie, serait essentiel, en particulier s'il arrivait un incident majeur qui aurait pour effet de miner la crédibilité du système électoral dans son ensemble. Dans de tels cas, il est primordial d'établir les faits rapidement et de traduire en justice les auteurs de ces méfaits sans délai. Autrement, on court le risque très sérieux que les Canadiens ne fassent plus confiance au système électoral, ce qui n'est évidemment pas souhaitable pour la démocratie.
En deuxième lieu, j'appuie sans réserve la recommandation du directeur général des élections d'établir dans la loi des sanctions administratives pécuniaires (SAP) pour les infractions réglementaires. J'ai déjà mentionné par le passé que notre système actuel, qui repose en grande partie sur les poursuites criminelles et les sanctions, ne permet pas d'appliquer efficacement un bon nombre de dispositions réglementaires prévues dans la loi. Les Canadiens s'attendent à juste titre à ce que les violations à notre loi électorale soient traitées promptement, et un régime de SAP serait en ce sens extrêmement utile.
[Traduction]
Enfin, j'appuie fermement la recommandation de 1'ancien directeur général des élections visant à élargir la portée des conditions dont les ententes de conformité peuvent être assorties.
En fait, si l'on accordait à mon bureau la capacité d'imposer des sanctions administratives pécuniaires, ou SAP, le montant de la sanction pourrait être négocié dans le cadre de l'entente de conformité. C'est ce que prévoient plusieurs régimes fédéraux : le haut fonctionnaire responsable de l'observation et de l'application de la loi peut négocier le montant de la SAP qui sera imposée dans le cadre d'une entente de conformité, qui comprend d'autres conditions visant à améliorer la conformité dans 1'avenir.
Le fait de combiner ces deux outils d'observation permettrait de régler efficacement les cas de non-conformité en permettant l'imposition de conséquences concrètes — et j'insiste sur le mot « concrètes » — pour les auteurs.
Je voudrais dire quelques mots sur les tiers.
[Français]
Durant la dernière comparution du directeur général des élections devant ce comité en novembre dernier, certains honorables sénateurs se sont intéressés à la question de la réglementation des activités des tiers en période électorale. Comme on le sait, à l'heure actuelle, la réglementation du financement des activités des tiers vise uniquement le financement de publicité électorale en période électorale, c'est-à-dire les dépenses engagées pour la production et la transmission de messages de publicité électorale. Cela, il est important de le mentionner, n'inclut pas plusieurs autres types de dépenses que peuvent engager des tiers, comme les dépenses engagées pour la recherche et l'élaboration de politiques, à la condition, évidemment, qu'ils s'agissent de dépenses indépendantes qui ne sont pas coordonnées avec un parti ou un candidat.
[Traduction]
Cela signifie, par exemple, qu'il n'est pas illégal pour un tiers d'utiliser des fonds de l'étranger pour financer des activités qui n'incluent pas la diffusion de message de publicité électorale.
Nous avons reçu un nombre considérable de plaintes au sujet de la participation de tiers durant l'élection générale de 2015, bien plus, j'ajouterais, que nous n'en avons reçu à la suite de l'élection précédente de 2011.
Il ressort de ces plaintes que de nombreuses personnes ont eu l'impression que, dans certaines circonscriptions, la participation des tiers au processus électoral a été d'une telle ampleur que les résultats des élections en ont été indûment influencés.
Il me semble que la participation des tiers au processus électoral canadien continuera vraisemblablement de croître. C'est pourquoi il est peut-être temps que le Parlement revoie le régime des tiers instauré il y a 17 ans, dans le but d'assurer que tous puissent continuer à prendre part à la lutte électorale à armes égales.
[Français]
En conclusion, je me permets d'attirer votre attention sur l'article 510.1 de notre loi, qui a récemment été adopté par le Parlement. En vertu de cette disposition, nous sommes tenus de préserver la confidentialité des renseignements obtenus dans le cadre d'une enquête. Ainsi, ce matin, avec vous, nous nous efforcerons de fournir des réponses aussi complètes que possible à vos questions; toutefois, nous ne serons pas en mesure de discuter des détails des plaintes reçues ou d'enquêtes complétées ou qui peuvent être toujours en cours. C'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions maintenant.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Merci, monsieur, de l'exposé que vous avez présenté à notre comité.
Ma question principale porte sur la déclaration que vous avez faite à l'instant : « C'est pourquoi il est peut-être temps que le Parlement revoie le régime des tiers instauré il y a 17 ans, dans le but d'assurer que tous puissent continuer à prendre part à la lutte électorale à armes égales. »
Il s'agit là d'un problème soulevé par la sénatrice Frum au cours de certaines de nos séances antérieures, et j'imagine que nous en entendrons encore parler dans quelques instants. M. Chénier pourrait souhaiter participer aux échanges afin de répondre à ma question.
Est-ce que des restrictions empêchent le Parlement de faire ce que vous proposez? Peut-être que quelque chose devrait être fait à cet égard ou existe dans le droit jurisprudentiel, considérant toute la jurisprudence qui existe, notamment à la Cour suprême, dans des affaires comme celle qui a opposé le premier ministre et le Canada, qui concernait exclusivement cette question.
Pensez-vous que quelque chose empêcherait le Parlement de faire ce que la sénatrice a proposé et que vous-même avez suggéré dans votre exposé aujourd'hui?
M. Côté : Je dirai quelques mots, et si M. Chénier veut ajouter quelque chose, je l'inviterai à le faire.
Comme vous l'avez fait remarquer, sénateur, dans l'affaire Harper, qui remonte à 2004, la Cour suprême a rendu une décision — à six juges contre trois, si je me rappelle bien — sur la question de la constitutionnalité du régime actuel. La majorité des juges se sont, bien entendu, prononcés en faveur du régime, et s'il est une chose qui m'a frappé quand j'ai relu cette décision, c'est l'importance accordée au fait que tous puissent lutter à armes égales. C'était là une question primordiale pour les juges.
Cela ne signifie pas qu'on puisse prendre n'importe quelle mesure à cette fin. En disant cela, je fais évidemment référence à la Charte des droits et libertés qui, à l'alinéa 2b), garantit à tous la liberté d'expression. La Cour suprême a clairement indiqué que dans le domaine politique, c'est probablement à cet égard que les valeurs sous-jacentes à la liberté d'expression sont les plus élevées, et c'est là que les tribunaux feront le plus attention pour que le Parlement, s'il intervient, le fasse dans le respect de ces valeurs fondamentales. Il faut donc s'en référer à l'article 1 de la Charte, et démontrer que l'objectif est important et que les moyens choisis pour l'atteindre sont proportionnels.
Le sénateur Baker : La justification doit se démonter dans une société libre et démocratique.
M. Côté : Vous m'enlevez littéralement les mots de la bouche.
Senator Baker : Oui. Vous avez indiqué que tous doivent pouvoir lutter à armes égales. C'est une des principales conclusions de la Cour suprême du Canada. À titre d'avocat général, cependant, pourriez-vous vous prononcer sur la question qui nous occupe aujourd'hui et les changements proposés, monsieur Chénier?
M. Chénier : Dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, notamment l'affaire Libman, dans les années 1990 et, plus récemment, l'affaire Harper, en 2004, la Cour suprême a souscrit aux principes que la Commission Lortie, c'est-à-dire la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, a considérés comme permettant à tous de lutter à armes égales dans notre système électoral.
Parmi les principes énoncés par la Commission Lortie figure le besoin d'imposer des limites à l'ensemble des dépenses électorales possibles, y compris celles de personnes et de groupes indépendants. À ce jour, le Parlement a choisi de ne réglementer que les dépenses de tiers qui concernent la publicité électorale, mais il serait certainement conforme à la jurisprudence que le Parlement décide qu'il est temps d'élargir la réglementation à d'autres genres d'activités qui pourraient avoir une incidence sur le débat électoral et le résultat des élections.
Bien entendu, il faudrait agir de manière à permettre la participation et le respect de la liberté d'association et d'expression garantie dans la Charte. On pourrait toutefois probablement adopter un régime qui respecterait ces valeurs constitutionnelles.
Le sénateur Baker : Merci.
La sénatrice Frum : Merci, monsieur Côté, de témoigner.
Je vous remercie de nous indiquer qu'il est temps de réexaminer le régime relatif aux tiers dans notre loi électorale, mais ma question porte sur la manière dont votre bureau interprète les lois qui existent déjà.
Vous avez indiqué ici aujourd'hui quelque chose que vous avez affirmé également dans votre rapport annuel : « Par conséquent, un tiers peut utiliser des contributions provenant de l'étranger afin de financer des activités qui n'incluent pas la diffusion de publicité électorale, comme la réalisation de sondages électoraux, la création de sites web liés à l'élection et le recours à des services d'appels pour communiquer avec les électeurs. »
Je ferais toutefois remarquer que l'article 331 de la Loi électorale du Canada stipule ce qui suit : « Il est interdit à quiconque n'est ni un citoyen canadien ni un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et ne réside pas au Canada d'inciter de quelque manière des électeurs, pendant la période électorale, à voter ou à s'abstenir de voter ou à voter ou à s'abstenir de voter pour un candidat donné. »
Avec cet article à l'esprit, comment pouvez-vous affirmer que des entités étrangères peuvent légalement participer à des activités relatives aux élections?
M. Côté : Pour pouvoir jouer un rôle dans une campagne électorale, un tiers doit avoir des liens avec le Canada. S'il s'agit d'une entreprise, par exemple, cette dernière doit être en activité au Canada.
Dans le cas d'une association ou d'un groupe, la personne qui en est responsable doit résider au pays. Cette obligation s'applique également aux citoyens canadiens, aux résidents permanents et à d'autres personnes. Si les tiers ont un lieu d'affaires au Canada et sont Canadiens, alors le rôle qu'ils jouent est tout à fait légitime aux termes de la loi.
La sénatrice Frum : Je suis un tiers enregistré et Canadienne; d'après ce que je vous ai entendu dire, je pourrais accepter un chèque de 10 millions de dollars ou de tout autre montant de l'Arabie saoudite, de l'Iran, de la Chine ou de n'importe quel donateur étranger, tant que je suis Canadienne.
M. Côté : La loi fait actuellement référence à une période allant de six mois précédant la délivrance du bref à la fin de la campagne électorale. C'est la période au cours de laquelle les contributions reçues de la part d'un tiers seront réglementées.
La sénatrice Frum : Il existe cependant une échappatoire criante à cet égard, car si j'accepte les contributions six mois plus un jour avant la délivrance du bref et la conserve jusqu'à ce que le bref soit émis, je dispose de fonds étrangers illimités, puisqu'il n'existe pas de limite aux montants et que je peux utiliser ces fonds pour mes activités électorales.
M. Côté : Si l'argent a été reçu avant la période six mois, alors il s'amalgame aux fonds du tiers et ce dernier est libre de l'utiliser, conformément au régime en place.
La sénatrice Frum : Ne pensez-vous pas que la population canadienne s'alarmerait de ce que vous venez de dire, c'est-à-dire qu'à part certains détails techniques, il faut accepter l'argent six mois avant les élections? Ces dernières ont maintenant lieu à des dates fixes; ce n'est donc pas difficile de voir comment on peut procéder. Tant qu'on reçoit l'argent six mois plus un jour avant les élections, on peut recevoir des montants illimités de fonds étrangers de n'importe quelle source étrangère et les utiliser au cours d'une élection.
M. Côté : Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, des questions importantes ont été soulevées, dont celle dont vous parlez. Je considère que le Parlement devrait prendre le temps d'examiner la situation, de tenter de comprendre ce qu'il s'est passé et qu'il se passera vraisemblablement, et de prendre des mesures, comme nous en avons discuté avec le sénateur Baker, afin d'assurer la conformité à la Charte et à d'autres valeurs. Il faudra ensuite décider ce qu'il convient de faire, en gardant à l'esprit que la Cour suprême du Canada a statué que l'objectif consistant à permettre à tous de lutter à armes égales est très important à ses yeux.
La sénatrice Frum : J'ai bien d'autres questions, mais j'attendrai le deuxième tour.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'ai une question à propos d'un sujet qui me tracasse un peu. Vous nous dites que vous ne pouvez pas nous livrer des informations sur les enquêtes aussi bien en cours que complétées. Je pense que si on veut bien remplir notre rôle de législateur, et produire un rapport étoffé...Je comprends que dans le cas d'une enquête en cours, vous devez conserver une certaine confidentialité, mais je comprends mal que pour une enquête complétée, on ne puisse pas avoir accès à un certain niveau d'information.
M. Côté : Il y a deux choses que je porterais à votre attention. D'une part, c'est la disposition à laquelle j'ai fait référence dans mes remarques, soit l'article 510.1. La loi que nous avons récemment modifiée pour y ajouter cette disposition indique assez clairement que nous avons l'obligation de maintenir confidentiels les renseignements que nous obtenons dans le cadre de nos enquêtes, et on ne fait pas de différence entre les enquêtes fermées et celles qui sont toujours en cours. D'autre part, il y a des valeurs qui sont importantes concernant la protection des renseignements personnels des personnes qui ont pu être impliquées et les techniques d'enquête qui ont pu être appliquées. Généralement parlant, dans le cas des forces policières — et il y a des gens ici qui ont beaucoup d'expérience avec les enquêtes policières —, le besoin des organismes d'enquête de maintenir la confidentialité de leurs données est quelque chose qui est largement reconnu.
Le sénateur Boisvenu : Cependant, lorsqu'on modifie le Code criminel dans le cas de comportements criminogènes, on reçoit ici des policiers qui ont mené des enquêtes et qui nous fournissent la conclusion de leurs enquêtes. Je comprends que l'information nominative doit être respectée, mais comment voulez-vous qu'on fasse un rapport étoffé sur les problèmes que vous soulevez si le comité n'a pas accès à un minimum d'information sur le type de plaintes qui sont déposées, sur le travail que vous avez fait en matière d'enquête et sur vos conclusions qui permettront d'améliorer le processus démocratique au Canada?
M. Côté : Il y a déjà de l'information que nous avons mise sur la place publique concernant, par exemple, les enquêtes qui nous ont permis de faire le dépôt d'accusations; ces choses sont bien connues. Par ailleurs, il y a aussi des transactions, nous en concluons de 15 à 20 par année, qu'on peut consulter pour voir quel genre de comportement illégal ou non légitime a fait l'objet de ces transactions. De plus, dans nos rapports, nous donnons des renseignements à un haut niveau sur le type de plainte que nous recevons, pour quelle raison et de qui. Quant à la question des tiers, je l'avais présentée dans mon rappel annuel l'année dernière. Donc, il y a de l'information, je pense, qui vous permet d'avoir une bonne idée de ce que nous faisons, de ce qui nous préoccupe et nous occupe.
Le sénateur Boisvenu : Mais cette information est partielle.
M. Côté : On peut l'appeler partielle, d'une part, mais d'autre part, il y a aussi l'article 510.1 qui nous encadre d'une façon très claire.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Comme le sénateur Baker l'a souligné plus tôt, vous avez affirmé dans votre exposé qu'« il est peut-être temps que le Parlement revoie le régime des tiers instauré il y a 17 ans ». Or, je ne pense pas que le projet de loi dont la Chambre des communes est actuellement saisie, lequel a été présenté par la ministre Monsef lorsqu'elle était responsable de la question et qui porte sur les questions au sujet desquelles on souhaite apporter des modifications à la Loi électorale à la suite des dernières élections, permette de corriger cette situation alarmante concernant l'intervention des tiers au cours des élections au Canada.
Avez-vous conseillé au gouvernement fédéral d'ajouter des dispositions pour réglementer davantage l'intervention des tiers canadiens au cours des élections dans son nouveau projet de loi? Si c'est le cas, pourquoi n'y figurent-elles pas? Si ce n'est pas le cas, pourquoi ne l'avez-vous pas fait?
M. Côté : Tout d'abord, le projet de loi, comme vous l'avez si bien fait remarquer, ne porte pas que cette question.
Par ailleurs, je voudrais souligner le fait que d'après ce que nous avons pu voir, la nouvelle lettre de mandat adressée à la nouvelle ministre des Institutions démocratiques — que M. Chénier tente actuellement de trouver — comprend un élément qui exhorte la ministre à se pencher sur la question des dépenses de tiers afin de s'assurer que nous disposons de mesures raisonnables. Je pourrai vous lire le passage de la lettre de mandat quand nous l'aurons trouvé.
La sénatrice Batters : Il a fallu des mois pour élaborer le projet de loi actuellement devant le Parlement. Si la question ne figure que dans une lettre de mandat, qui sait si un projet de loi sera déposé ou non? Je vous prierais de répondre à ma question : pourriez-vous me dire si vous avez conseillé au gouvernement fédéral d'adopter de nouvelles dispositions pour réglementer les tiers au cours des élections au Canada?
M. Côté : Dans mon dernier rapport annuel, j'ai soulevé des questions à propos de l'intervention de tiers dans le processus électoral. Il s'agit d'un document public, bien entendu. La question n'a pas été abordée en d'autres occasions.
La sénatrice Batters : Est-ce une question au sujet de laquelle vous tiendriez d'autres rencontres avec la ministre pour lui faire part des points particuliers qui devraient, selon vous, faire partie du projet de loi?
M. Côté : Ce serait certainement une possibilité.
La sénatrice Batters : De telles rencontres ont-elles eu lieu ou non?
M. Côté : Compte tenu de ce qu'il se passe ici aujourd'hui, en ce moment même, nous pourrions avoir d'autres échanges.
La sénatrice Batters : D'accord, mais avez-vous rencontré la ministre pour lui prodiguer des conseils sur l'intervention de tiers ou avez-vous seulement fourni des conseils dans le rapport?
M. Côté : Je n'ai pas rencontré la ministre pour discuter de la question.
La sénatrice Batters : Grâce à l'échappatoire particulièrement criante et choquante dont nous avons appris l'existence aujourd'hui, les fonds peuvent être illimités s'ils sont reçus en dehors de la période de six mois. Il me semble qu'il serait pertinent de modifier le projet de loi pour en éliminer le passage qui porte sur la période de six mois figurant au paragraphe 359(4), lequel stipule actuellement que « le rapport doit aussi mentionner a) le montant, par catégorie de donateurs, des contributions destinées à la publicité électorale ». À mon avis, cet alinéa devrait probablement se terminer là. Il faudrait donc en éliminer le passage indiquant : « reçues dans les six mois précédant la délivrance du bref et pendant la période électorale ».
Est-ce le genre de chose que vous considéreriez comme un bon amendement? Il permettrait, à tout le moins, de rendre ces dons plus transparents.
M. Côté : Je crois que la recommandation C-30 du rapport déposé par M. Mayrand porte précisément là-dessus. Je crois qu'il recommandait que le Parlement retourne en arrière afin de tenir compte de toutes les contributions reçues.
La sénatrice Batters : Merci.
M. Côté : Monsieur le président, pour les besoins du compte-rendu, j'aimerais lire un passage de la lettre de mandat qui a été remise à la ministre Gould. Voici :
Passer en revue les limites des montants que les partis politiques et les tierces parties peuvent dépenser pendant les élections, et proposer des mesures pour assurer que les dépenses encourues entre les élections soient également assujetties à des limites raisonnables.
Le président : Les tierces parties sont enregistrées durant la période électorale. Y a-t-il des contraintes de temps associées à cela? S'agit-il simplement pour elles de s'enregistrer une fois que le bref a été délivré? Comment ce processus fonctionne-t-il?
M. Chénier : Les tierces parties sont tenues de s'enregistrer dès qu'elles ont dépensé 500 $ ou plus en publicité électorale, mais elles ne peuvent le faire avant la délivrance des brefs.
Une fois que l'élection démarre, elles doivent s'enregistrer aussitôt qu'elles ont dépensé 500 $ en publicité électorale.
Le président : Ce sont donc des entités qui ne peuvent être retracées, dans la mesure où elles pourraient être financées par des gouvernements étrangers, par des personnes ou par des sociétés, et qu'on ne saurait jamais de qui il s'agit. Au moment où elles s'enregistrent, rien ne nous permet de savoir d'où provient l'argent. C'est exact?
M. Chénier : Une fois l'élection terminée, ces parties doivent produire un rapport sur leurs dépenses de publicité électorale ainsi que sur les contributions qu'elles ont utilisées pour financer ces dépenses.
Comme le commissaire l'a dit tout à l'heure, c'est la période durant laquelle l'argent qu'elles reçoivent est considéré comme des contributions aux termes de la loi.
Le président : C'est toute la période qui commence à la délivrance du bref, c'est bien cela?
M. Chénier : Non, cela touche toute contribution versée aux fins de publicité électorale et reçue dans les six mois avant la délivrance des brefs.
Le président : Aux fins de publicité électorale.
M. Chénier : C'est cela, oui.
Le président : Pour cet article, vous avez abordé beaucoup d'autres sujets. En ce qui concerne le scrutin, par exemple, vous parlez des problèmes qui n'encouragent pas les électeurs à voter ou qui les empêchent de voter.
M. Chénier : Vous avez raison, monsieur le président. Présentement, la loi ne réglemente que les dépenses de publicité électorale. Elle ne réglemente pas d'autres dépenses. Les tierces parties n'ont pas besoin de s'enregistrer si leurs dépenses concernent autre chose, et elles ne sont pas tenues de faire état des contributions qu'elles utilisent pour financer ces autres activités.
Le président : J'essaie de bien comprendre ce que vous me dites. Ce dont vous parlez est en quelque sorte de l'incitation. Cet aspect a été soulevé par la sénatrice Frum, si je ne m'abuse. Avec mes nombreuses années passées comme titulaire d'une charge élective, j'ai l'impression que ce que vous dites au sujet de ces activités exemptées pourrait donner lieu à certaines tendances de vote.
J'aimerais revenir à votre interprétation. S'il y a une façon de traiter avec ce problème de financement, on dirait que cela se résume à l'interprétation que vous faites de ce qui constitue une influence et de la façon dont ces activités peuvent avoir eu une influence sur les électeurs ou pas.
Du haut de mes 29 ans d'expérience en tant qu'élu, j'aurais tendance à dire que ces activités incitent les électeurs à voter d'une certaine façon. Je remettrais en question votre interprétation.
M. Chénier : Si vous me le permettez, monsieur le président, il s'agit de quelque chose qui est interdit aux termes de la loi ainsi que dans le domaine du droit pénal — car la mise en application de ces dispositions passe par les tribunaux criminels — et qu'il faut rester à l'intérieur de ce que dit la disposition. La mise en application ne saurait aller au-delà de cela.
Je crois que le mot « inciter » est défini comme le geste de tenter activement d'influencer quelqu'un à voter d'une certaine façon. Donner de l'argent à quelqu'un pour qu'il incite quelqu'un d'autre n'est pas la même chose que de tenter de les influencer soi-même.
Permettez-moi de faire cette mise en garde : nous tentons de renforcer la loi dans sa formulation actuelle. Dans cette optique, le fait de fournir des contributions à une tierce partie ne saurait inciter quelqu'un à voter pour un candidat donné ou à s'abstenir de le faire.
Pour appuyer cette position, je ferai remarquer que les régimes des tierces parties ont des dispositions bien précises leur interdisant d'accepter des contributions étrangères.
Si le Parlement percevait comme une incitation le geste de donner une contribution à une tierce partie, ces dispositions de la loi ne seraient pas nécessaires parce que ces questions sont déjà couvertes par l'article 331.
La sénatrice Omidvar : À vous monsieur le commissaire, et à votre collègue, merci d'être ici.
Je voudrais vous poser une question au sujet d'un autre article de ce projet de loi, article qui concerne votre déménagement et le mandat du directeur général des élections. Vous serez nommé par le directeur général des élections pour un mandat non renouvelable de 10 ans. Comme il s'agit de votre poste, pouvez-vous nous dire quelles pourraient être les conséquences souhaitées et les conséquences non intentionnelles de ces dispositions?
M. Côté : Est-ce que vous parlez de ce qui est contenu dans le projet de loi C-33, de cette disposition qui nous ferait quitter les bureaux du directeur des poursuites pénales pour revenir aux locaux d'Élections Canada?
La sénatrice Omidvar : Oui, c'est de cela que je parle.
M. Côté : Tout d'abord, je crois qu'à l'époque où le projet de loi C-23 a été présenté, de nombreuses personnes — dont moi — ont laissé entendre que le fait d'être au même endroit que le directeur des poursuites pénales n'était peut- être pas l'idée du siècle. Normalement, on ne demande pas au procureur en chef de travailler dans la même organisation que les enquêteurs ou les forces de l'ordre.
Deuxièmement — et c'est ce qui est le plus important —, le fait de réintégrer les locaux d'Élections Canada permettrait de régler un problème qui est survenu lorsque nous sommes partis de là, plus précisément en ce qui concerne la façon dont l'information circule entre Élections Canada et nous. Étant donné que nous sommes désormais deux institutions gouvernementales distinctes, la Loi sur la protection des renseignements personnels réglemente de façon très stricte la façon dont l'information peut circuler entre nos deux organismes. Par exemple, cela veut dire que depuis que nous nous sommes éloignés d'Élections Canada, nous n'avons plus accès à la banque de données que l'on appelle « Liste des candidats ».
Si nous avons besoin d'information durant le déroulement d'une élection — par exemple, nous pourrions vouloir contacter l'agent officiel de tel ou tel candidat —, nous ne pouvons pas avoir directement accès à ces données à partir de nos ordinateurs. Nous devons présenter une demande, puis il y a un processus de traitement, et l'information demandée nous est transmise.
C'est un exemple de la façon dont la circulation de l'information est entravée. Je crois qu'Élections Canada et nous avons essayé autant que faire se peut de trouver des solutions pratiques, mais il ne fait aucun doute que notre retour dans les locaux d'Élections Canada permettra de régler tous ces problèmes.
L'autre chose que je pourrais dire au sujet du projet de loi C-33 — et c'était aussi le cas du projet de loi C-23, donc cela concerne à la fois l'ancien projet de loi et le nouveau —, c'est qu'il y avait une disposition qui indiquait clairement que le commissaire doit, dans la poursuite de ses enquêtes — dans mon cas —, agir de façon tout à fait indépendante du directeur des poursuites pénales, du moins maintenant, ou du directeur général des élections si le projet de loi C-33 est adopté dans sa version actuelle.
La sénatrice Omidvar : Je crois comprendre que ce changement vous plaît, est-ce exact?
M. Côté : C'est assurément une bonne chose pour nous, même si ce n'était qu'en raison des problèmes pratiques que ce déménagement permettrait de régler. Alors oui, ce serait vraiment un pas dans la bonne direction.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J'aimerais clarifier, s'il vous plaît, ma compréhension. Merci d'être venus nous rencontrer. Quand vous dites qu'il n'est pas illégal pour un tiers d'utiliser des fonds de l'étranger pour financer des activités qui n'incluent pas la diffusion de messages de publicité électorale, pouvez-vous nous dire ce que ce concept recoupe comme type d'activités, comme dans le cas d'un message de publicité électorale?
M. Côté : C'est une question extrêmement intéressante. D'abord, la disposition à laquelle on fait référence est l'article 319, qui parle de la description, et l'article 349.
Essentiellement, sénatrice Dupuis, pour que l'action ou les gestes posés par un tiers soient réglementés, il faut deux éléments. D'une part, ce doit être un message publicitaire. Deuxièmement, il faut qu'il ait pour effet d'appuyer, ou non, un candidat ou un parti quelconque.
La position qui a été prise par Élections Canada a d'ailleurs été confirmée dans un document formel publié la semaine dernière où l'on parle de cette question. Quand on parle de message publicitaire, il faut retourner aux définitions des dictionnaires qui disent que ces messages doivent ressembler à de la publicité. Par exemple, le fait de faire un sondage pour obtenir de l'information sur les intentions de vote, et le fait de faire des appels téléphoniques individuels qu'une tierce partie pourrait faire pour tenter d'influencer des électeurs dans une circonscription ne constituent pas de la publicité. La publicité, dans le sens courant du terme, est quelque chose qui ne nous est pas imposé, mais qui vient interrompre nos activités. À la télévision, c'est un message au milieu d'une émission. Dans le journal, c'est un message qui apparaît. Ce n'est pas une chose qu'on va chercher, mais que quelqu'un nous force à considérer ou à recevoir. Ce quelqu'un en cause aura habituellement payé des sommes d'argent ou acheté la possibilité ou l'opportunité de faire de la publicité.
Ce sont donc les deux éléments, sénatrice Dupuis, qui sont extrêmement importants, soit faire la promotion ou la non-promotion, d'une part, et d'autre part, il faut que ce soit un message publicitaire, qui correspond à la définition de ce qu'est un message publicitaire.
Le dernier point que je me permets d'ajouter, c'est celui que Marc mentionnait tout à l'heure, soit que, dans ce domaine de la mise en application de la loi, on œuvre dans le domaine du droit criminel. Si on doit déposer des accusations, il faut être sûr, moralement, que la conduite qu'on veut traduire en justice constitue vraiment une violation des dispositions de la loi. De ce point de vue, il faut absolument qu'on arrive à la conclusion que l'activité qui fait l'objet des débats constitue vraiment un message publicitaire, tel qu'il est normalement entendu.
La sénatrice Dupuis : Donc, cela veut dire que, dans le cas de la Loi électorale, il n'y a pas eu de décisions jurisprudentielles qui ont permis de baliser ce qu'on appelle la « publicité électorale », comme on l'a fait dans le cas de la publicité qui s'adressait aux enfants en matière de protection du consommateur. Si je comprends bien, il n'y a pas de jurisprudence qui aurait poussé un peu plus loin la réflexion sur le balisage du concept de message publicitaire à des fins électorales.
M. Côté : Pas directement. Peut-être que Marc voudra ajouter quelque chose à ce sujet, mais je voudrais mentionner, par ailleurs, sénatrice Dupuis, qu'il n'y a pas tellement longtemps — je crois que c'est le mois dernier —, notre Cour suprême s'est prononcée sur un dossier qui émanait de la Colombie-Britannique et qui portait sur la publicité des tiers, mais la question en jeu portait sur l'élément interdit et réglementé — je vais le lire en anglais, parce que la législation britanno-colombienne est écrite en anglais — de sponsor political advertising. La question à poser visait à déterminer s'il y avait un parrain dans ce cas. La cour, à ce moment-là, ne s'est pas nécessairement penchée sur la signification qu'on doit donner à l'expression political advertising. C'est ce que je vous offrirais comme commentaires, madame.
[Traduction]
La sénatrice Frum : J'ai de la difficulté à comprendre votre interprétation de ce qu'est la publicité électorale. Encore une fois, je suis d'accord avec ce que dit la sénatrice Dupuis, c'est-à-dire qu'il devrait y avoir quelque chose dans la loi pour rendre cette définition plus explicite qu'elle ne l'est. En attendant, la loi dit que les dépenses de publicité électorale sont des dépenses qui sont engagées pour « la production de messages de publicité électorale ».
Vous avez ajouté que vous considériez comme de la publicité ces choses que les autres nous forcent à prendre en considération. Si je reçois un appel non sollicité, je décroche et voici ce qu'on dit : « Nous avons dépensé de l'argent pour faire un sondage dans votre circonscription et voici le candidat pour qui vous devriez voter selon nous pour battre les conservateurs de Harper. » Ceci n'est pas un message que j'ai cherché à obtenir, mais c'est de l'information que je reçois. Comment peut-on ne pas considérer cela comme de la publicité?
M. Côté : La position qui a été adoptée, c'est que la communication de personne à personne n'est pas de la publicité au sens normal du terme. Si un magasin téléphonait chez moi pour me demander si je veux acheter un de ses manteaux qui sont en solde, ce ne serait pas considéré comme de la publicité. Ce serait un geste promotionnel ou quelque chose du genre, mais cela ne correspondrait pas, selon moi, à la définition de ce qui constitue une publicité.
La sénatrice Frum : Qu'en est-il des sites web? Nous savons maintenant que le site « Votons ensemble » a reçu 1,15 million de visiteurs. Le site a été créé dans l'unique but de promouvoir des candidats particuliers dans des circonscriptions bien précises où il y avait des députés conservateurs. Un site web comme celui-là est-il considéré comme de la publicité — un site web qui a reçu un million de visiteurs?
M. Côté : Si je décide d'aller voir un site web ou de lire un journal, je ne crois pas que je fais l'objet d'une démarche publicitaire. Si je pose moi-même le geste pour obtenir de l'information ou pour confirmer mes opinions ou pour quoi que ce soit d'autre, mon intention n'en demeure pas moins d'accéder à ce site. Selon moi, la publicité va dans le sens inverse, c'est-à-dire que c'est l'annonceur qui essaie de me vendre quelque chose.
La sénatrice Frum : S'il y a une publicité sur Facebook ou sur Twitter pour amener le lecteur ou la personne à ce site web, c'est ce qu'il en coûtera pour diriger le client vers le site web — je veux dire, il y a un processus de transmission, non? Personne ne tombe sur un site web par hasard. Il faut qu'on vous y emmène ou qu'on vous oriente dans cette direction. Dans cette optique, ne pourrait-on pas considérer que le coût de ces directions à l'intention des visiteurs est le coût de la publicité?
M. Côté : Ce que nous disons, c'est que le coût du placement de la publicité dans la page Facebook ou ailleurs, ça, c'est de la publicité. En revanche, le fait de cliquer sur ce lien et d'aller ailleurs, cela n'est pas, selon nous, de la publicité.
La sénatrice Frum : Cela est contraire au gros bon sens. Vous dirigez quelqu'un vers un site web qui contient un message publicitaire et vous dites que la seule partie de ce processus qui peut être considérée comme une dépense, c'est le message qui amène l'internaute à cette publicité et pas la publicité proprement dite. Le site web est une publicité, mais ce sur quoi nous débattons, c'est la façon qu'on a amené la personne à voir cette publicité.
M. Côté : Vous dites que le site web est une publicité, et je vous dis que je ne suis pas nécessairement d'accord avec vous. Le site web existe et il est là. Personne ne vient essayer de me le vendre sur mon ordinateur, à la télévision ou ailleurs. Lorsque je clique sur la publicité pour aller voir ce site, c'est un geste délibéré que je pose. Et d'une.
L'autre aspect abordé dans les documents d'orientation ou les lignes directrices d'Élections Canada, c'est la réglementation de l'Internet. Je crois que la position que j'exprime et avec laquelle vous n'êtes bien sûr pas d'accord est celle que nous avons décrite, et nous sommes d'accord avec la position prise par Élections Canada à ce sujet.
Marc souligne un point important. Cette ligne directrice publiée par Élections Canada a été élaborée à la suite de consultations exhaustives auprès des partis politiques. À notre connaissance, tous les partis politiques sont d'accord avec la position d'Élections Canada en la matière.
Je crois que c'est un autre élément qui vient ajouter de la complexité à cette question.
La sénatrice Frum : Permettez-moi de vous poser une question légèrement différente.
Leadnow effectue des sondages et les imprime sur des dépliants. Je sais que vous ne considérez pas le coût de ces sondages comme de la publicité, et que vous ne croyez pas que le coût de ces dépliants... Vous croyez que les coûts d'impression sont de la publicité, mais cela mis à part, la production du contenu n'est pas considérée comme une dépense de publicité — du moins, je sais que c'est ce que vous soutenez.
À maintes reprises, le candidat libéral dans Etobicoke—Lakeshore a pris des données de sondages qu'avait produits Leadnow et les a imprimées sur un dépliant avec son propre imprimatur. Pour ce candidat, peut-on considérer cela comme une dépense électorale?
Leadnow a affirmé que ce sondage avait coûté 2 200 $. Le candidat libéral s'est servi de ce sondage sur son propre dépliant. Est-ce que c'est un cadeau — un cadeau illégal, attendu qu'une société ne peut pas faire de cadeau? S'agit-il d'une contribution électorale?
M. Côté : Je vais dire une chose, et je vais demander à Marc de compléter.
La loi renferme des dispositions qui concernent précisément, d'une part, la collusion entre les tierces parties et les candidats, et, d'autre part, la collusion entre les tierces parties et les partis politiques. Ces dispositions visent à empêcher un parti ou un candidat de faire des choses qui leur permettraient de ne pas dépasser leur plafond de dépenses.
Ces dispositions existent et, bien entendu, nous allons les appliquer si les situations visées se présentent.
En ce qui concerne votre question, Marc peut peut-être vous éclairer.
M. Chénier : Encore une fois, nous ne sommes pas ici pour parler de cas particuliers. La réponse que je vais vous donner se fonde donc sur un scénario hypothétique et sur la loi dans son état actuel.
Comme cela a été dit, les tierces parties ne sont réglementées que pour les dépenses de publicité électorale. Le fait qu'une tierce partie réalise un sondage ne serait donc pas quelque chose que la loi actuelle réglemente.
Cela dit, notre loi contient des règles au sujet des contributions. Alors, dans certains cas, il se peut qu'il y ait une coordination entre une tierce partie et un candidat ou un parti politique, et que cette contribution passe pour une contribution non monétaire.
La sénatrice Frum : Je m'excuse, mais c'est un...
Le président : Nous allons vous inscrire sur la prochaine liste.
La sénatrice Pate : Merci d'être ici.
Votre rapport sur la question du vote des détenus m'intéresse. J'ai remarqué qu'ils sont passablement nombreux à aller voter, et cela a piqué mon intérêt.
Étant donné le travail que je faisais avant, je suis au courant de la difficulté qu'ont les détenus d'accéder à un bureau de vote, surtout lorsqu'ils sont gardés sous haute sécurité ou en isolement, et c'est un problème.
Je voudrais savoir si les plaintes au sujet de la conformité et de l'application de la loi ont été aussi nombreuses dans les milieux non carcéraux que dans les milieux carcéraux.
M. Côté : Nous n'avons vraiment pas reçu beaucoup de plaintes des établissements correctionnels. Je crois qu'il n'y en a eu que trois, et des mesures ont été prises pour corriger les problèmes évoqués.
Il est difficile pour moi de répondre à votre question, à savoir si ce nombre de plaintes est proportionnellement équivalent à celui que nous avons dans les milieux non carcéraux. Je n'en suis pas certain. Je crois qu'il y a eu trois plaintes en tout. C'est ce que nous avons.
La sénatrice Pate : Étant donné qu'il y a beaucoup de faits probants dont vous ignorez peut-être l'existence en ce qui concerne la difficulté qu'ont souvent les détenus de se faire entendre au-dehors, y a-t-il un mécanisme de suivi à cet égard? Y a-t-il une façon pour vous d'aller faire des visites aléatoires dans ces établissements — ou quelque chose du genre — afin de voir de quoi il retourne?
M. Côté : Non, nous n'en avons pas.
La sénatrice Batters : J'aimerais revenir brièvement sur le sujet soulevé par la sénatrice Frum, et notamment sur sa dernière question.
Alors, si j'ai bien compris, le coût du sondage dont a parlé la sénatrice serait considéré comme une contribution non monétaire au candidat. Est-ce exact?
M. Chénier : S'il y avait coordination entre un candidat et une tierce partie, ceci serait normalement considéré comme une dépense que le candidat engagerait pour obtenir cette information. En revanche, si le candidat s'arrange pour que le sondage soit fait en son nom par la tierce partie, cela lui évitera cette dépense — en d'autres mots, pour que ce soit une contribution, il faut qu'il y ait une offre et une acceptation. Pour qu'il y ait coordination, il aurait fallu une offre de contribution monétaire et une acceptation de la part de la campagne.
La sénatrice Batters : Cela me renvoie à ma première année en droit contractuel.
Si cela se produit, faudra-t-il l'inscrire en tant que tel dans le rapport d'élection du candidat, c'est-à-dire en tant que contribution non monétaire?
M. Chénier : Oui, c'est exact. Bien entendu, la contribution devra respecter les règles sur la provenance et les limites des contributions.
La sénatrice Batters : Je comprends que vous n'êtes pas autorisé à divulguer des détails concernant des enquêtes en cours, mais pouvez-vous nous donner un peu de renseignements généraux? Avez-vous des enquêtes en cours concernant la conduite de tierces parties durant la 42e élection générale? Dans l'affirmative, combien y en a-t-il?
M. Côté : Nous ne pouvons confirmer ou infirmer que nous enquêtons sur des sujets particuliers.
La sénatrice Batters : Même en termes généraux?
M. Côté : La seule chose que je peux vous dire — et je l'ai mentionné dans ma déclaration liminaire —, c'est que nous avons reçu un certain nombre de plaintes au sujet de ce problème.
La sénatrice Batters : Pouvez-vous me dire si vous menez actuellement quelque enquête que ce soit sur des partis politiques qui auraient agi de connivence avec des tierces parties durant la 42e élection générale?
M. Côté : Non.
La sénatrice Batters : Vous ne pouvez pas me le dire?
M. Côté : Non.
Le sénateur Baker : Allons à l'essentiel des questions qui sont posées ici. Êtes-vous satisfait des normes législatives que vous avez à observer pour commencer une enquête, obtenir une ordonnance de communication de documents, obtenir un mandat de perquisition, avoir le droit de porter des accusations? Aux termes de votre loi, de vos mesures législatives, quels sont les motifs raisonnables qui doivent être évoqués pour établir qu'il y a matière à enquête — que ce soit par soupçon ou par conviction —, et est-ce que ces normes vous conviennent?
M. Côté : Je crois que ce que nous avons présentement me convient. Lorsque nous recevons une information crédible indiquant que des irrégularités se sont produites quelque part, nous...
Le sénateur Baker : Quelle est la norme utilisée pour cautionner le déclenchement d'une enquête, puis pour obtenir une ordonnance de communication de documents, pour obtenir un mandat de perquisition ou pour déposer des accusations?
M. Côté : Cela ressemble à ce que vous trouvez dans...
Le sénateur Baker : Vous parlez de motifs raisonnables de soupçonner?
M. Côté : Dans un cas, et des motifs raisonnables de croire, dans d'autres cas. Pour la poursuite, il s'agit en fin de compte d'avoir des motifs raisonnables de condamner et de respecter le critère de l'intérêt public.
Le sénateur Baker : Ça, c'est le test du procureur public.
Donc, la loi parle vraiment de motifs raisonnables de soupçonner?
M. Côté : Dans le Code criminel, à certaines fins, c'est ce qu'il faut pour obtenir une ordonnance de communication.
M. Chénier : Je ne suis pas tout à fait certain de savoir à quoi vous faites référence.
Le sénateur Baker : Je cherche à savoir quels peuvent être vos motifs. Qu'est-ce qui vous fait soupçonner que des irrégularités se sont produites en violation de la loi?
Dans votre loi, je crois qu'il est question de « motifs raisonnables de soupçonner ». M. Côté a dit que c'était les motifs requis pour demander un mandat.
M. Chénier : En fait, la loi ne dit pas cela textuellement. L'article 510 stipule que le commissaire peut, de sa propre initiative ou en réponse à une plainte, mener une enquête. La loi ne mentionne pas de norme, mais celle qui s'applique ne pose pas de grande difficulté. Il faut simplement avoir une raison de soupçonner.
Le sénateur Baker : Pour demander la communication de documents, quelle est la norme?
M. Chénier : Des motifs raisonnables de croire. Vous devez convaincre un tribunal qu'il y a des motifs raisonnables.
Le sénateur Baker : Il faut des motifs raisonnables de croire pour que vous puissiez déclencher une enquête en vous procurant un mandat. Est-ce bien ce qu'il faut comprendre?
M. Chénier : Oui.
Le sénateur Baker : En cherchant à obtenir des documents, est-ce que vous devez avoir des motifs raisonnables de croire?
M. Chénier : L'enquête est déclenchée en aval, c'est-à-dire avant d'être rendu là. Tout ce qu'il faut, c'est de soupçonner que quelque chose qui contrevient à la loi s'est produit.
Le sénateur Baker : Pour obtenir une ordonnance de communication pour l'obtention de documents, faut-il des motifs raisonnables de soupçonner ou des motifs raisonnables de croire?
M. Chénier : Vous démarrer votre enquête lorsque vous avez quelque raison de croire qu'il s'est produit quelque chose d'irrégulier. Puis vous obtenez certaines preuves qui vous donnent des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise, ce qui vous permettra d'obtenir une ordonnance de communication ou un mandat de perquisition.
Le sénateur Baker : Vous devez donc avoir des motifs raisonnables de croire avant d'obtenir un mandat de perquisition?
M. Chénier : C'est exact.
Le sénateur Baker : Ou une ordonnance de communication? Dans plusieurs autres lois du Parlement que nous avons étudiées avant celle-ci, la norme utilisée reposait sur des motifs raisonnables de soupçonner. C'est le cas, notamment, de la Loi sur les douanes.
Avez-vous des observations à faire sur la question de savoir si on devrait peut-être utiliser la norme des motifs raisonnables de soupçonner en vertu de la Loi électorale du Canada pour solliciter une ordonnance de communication ou un mandat de perquisition en vue de vérifier une plainte ou d'effectuer une enquête plus approfondie?
M. Côté : Sénateur, dès qu'on parle d'ordonnances de communication ou de mandats de perquisition, on entre dans le domaine du Code criminel du Canada. C'est ce qui s'applique dans l'ensemble du pays.
Le sénateur Baker : Si je vous pose la question, c'est parce que cette norme est utilisée dans d'autres lois du Parlement. Par exemple, la Loi sur les douanes prévoit des motifs raisonnables de soupçonner. Les agents ont le droit de fouiller une personne; ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent. Donc, certaines lois du Parlement permettent cela.
Êtes-vous satisfait de l'utilisation de la norme des motifs raisonnables de croire pour obtenir un mandat en vertu de l'article 487 ou 492?
M. Côté : Je dirais que ce n'est pas un gros problème pour nous.
Le sénateur Baker : C'est ce qui déclenche l'enquête ou la production de documents.
M. Côté : Le véritable problème est tout autre. Si je puis me le permettre, il s'agit du manque de souplesse dans l'application de la loi.
J'y ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire. À l'heure actuelle — et cela arrive tout le temps —, si un agent officiel ne dépose pas son rapport à la fin de la période, le seul outil dont nous disposons pour apporter un changement réel, c'est de porter une accusation.
J'ai mentionné au président ce matin que beaucoup d'autres Canadiens subissent l'effet de la décision Jordan. Si nous intentons une poursuite et que nous devons aller en cour pour faire condamner une personne parce qu'elle n'a pas produit un rapport ou ouvert un compte bancaire, ou peu importe, voilà qui finit par nous coûter beaucoup d'argent. Cela crée un énorme problème pour les tribunaux.
Ce que nous disons, c'est que nous devrions avoir les outils dont disposent nos homologues au Québec et ailleurs, c'est-à-dire la capacité d'imposer des sanctions administratives pécuniaires.
Ainsi, si vous ne déposez pas votre rapport à temps, je vous imposerai une amende de 250 $. Si vous voulez contester la décision, vous pouvez me poursuivre en justice. Sinon, vous devez payer. Ensuite, nous publions un avis sur notre site web pour indiquer que l'agent officiel X a omis de déposer son rapport.
Vous obtiendrez ainsi un résultat rapide, clair et transparent. À mon sens, ce serait un élément très important à prendre en considération pour améliorer l'application de la Loi électorale du Canada.
La sénatrice Omidvar : Je suis désolée de devoir changer l'orientation des questions. Je pense que c'est un sujet important.
J'aimerais parler d'un article du projet de loi C-33 qui permettrait à plus de 2,3 millions de Canadiens vivant à l'étranger de se prévaloir de leur droit de vote. C'est plus que la population de certaines de nos provinces.
M. Côté : En effet.
La sénatrice Omidvar : Je me demande si vous pourriez nous dire quelques mots sur votre capacité et vos ressources ainsi que la logistique nécessaire pour être en mesure de gérer cet accroissement du nombre de personnes qui voteront.
M. Côté : Malheureusement, sénatrice, cela ne relève pas de notre compétence. Nous sommes chargés d'appliquer la loi. Les questions que vous soulevez, si je les comprends bien, devraient être posées aux représentants d'Élections Canada, et ils seront plus à même de dire comment ils pourront faire face au travail additionnel.
La sénatrice Omidvar : Je comprends, mais supposons que, parallèlement à l'augmentation du nombre d'électeurs — disons un pourcentage considérable des 2,3 millions de personnes —, il risque d'y avoir aussi une augmentation du nombre de plaintes.
M. Côté : C'est certainement possible.
La sénatrice Omidvar : Êtes-vous en mesure de faire face à une telle éventualité?
M. Côté : Je ne prévois, à ce stade-ci, aucun problème majeur à cet égard.
Le sénateur Sinclair : Parlons un peu de l'historique législatif, si vous voulez bien.
Dans l'arrêt Harper auquel vous avez fait référence — la décision rendue par la Cour suprême en 2004 —, Stephen Harper avait contesté certaines dispositions en affirmant qu'elles portaient atteinte à son droit à la liberté d'expression, et cela comprenait quelques-unes des dispositions dont nous discutons aujourd'hui. Il était question, entre autres, des limites imposées à la publicité électorale par des tiers ou des parties étrangères. M. Harper voulait que ces limites soient déclarées inconstitutionnelles, et j'en déduis que la Cour suprême ne lui a pas donné gain de cause.
Depuis, les lois ont été modifiées, et c'est ainsi que nous avons obtenu la disposition actuelle, laquelle semble restreindre la publicité sans toutefois imposer ou préciser des limites. La mesure législative précédente, pour sa part, prévoyait des montants de dépenses maximales.
M. Côté : Ces limites sont toujours là, sénateur. Ce que M. Harper était en train de contester, c'était essentiellement le régime, dans sa forme actuelle, à l'exception d'une modification qui a été apportée en 2014 par l'entremise du projet de loi C-23, mais qui était de portée limitée. En tout cas, le montant maximal pouvant être dépensé faisait partie des questions traitées dans l'arrêt Harper.
Le sénateur Sinclair : Pendant qu'il était premier ministre, il aurait pu changer ces lois, mais il a apparemment choisi de ne pas le faire, d'après ce que je crois comprendre. Durant son mandat comme premier ministre, ces lois n'ont pas été modifiées; ai-je raison?
M. Côté : L'histoire parle d'elle-même.
Le sénateur Sinclair : On dirait bien que oui.
M. Côté : En effet.
Le sénateur Sinclair : Je suppose que toute contestation de la validité constitutionnelle de la loi actuelle finirait par être traitée de la même manière par la Cour suprême.
M. Côté : Il y a lieu de s'attendre à ce que le stare decisis s'applique et que la conclusion soit la même.
Le sénateur Joyal : Merci, monsieur Côté. J'ai une question qui fait suite à celle posée par mon collègue, le sénateur Baker et, dans votre réponse, vous avez affirmé que vous devriez avoir la capacité de sanctionner ce que j'appelle un accident administratif. Vous avez donné l'exemple d'une personne qui ne dépose pas le rapport à temps ou qui omet de produire le document. Il n'y a aucune mauvaise intention dans ce contexte. Par contre, si vous repérez une pratique frauduleuse ou si vous êtes saisi d'une plainte portant sur une pratique frauduleuse, alors, selon moi, l'approche juridique doit être différente. Ne serait-il pas souhaitable d'établir une distinction par rapport à ce qui devrait être considéré comme un accident administratif, dépourvu de toute mauvaise intention; dès lors, le processus est presque automatique. C'est un peu comme quand on laisse sa voiture stationnée à un endroit et que le temps de stationnement est échu; il n'y a pas de mauvaise intention, et on reçoit ensuite une simple sanction administrative. Par contre, lorsqu'une personne essaie de concocter un stratagème pour fausser les élections, alors nous avons recours à un processus beaucoup plus rigoureux.
Ne serait-ce pas là une façon d'aborder la situation pour déterminer la nature du manquement aux dispositions de la loi par rapport à un non-respect qui est d'une nature différente et qui mérite, bien entendu, des sanctions différentes?
[Français]
M. Côté : Certainement, monsieur le sénateur. Ce qui a été mis de l'avant et ce qui est considéré, ce n'est pas de faire en sorte que les sanctions administratives deviennent la seule façon de répondre à des agissements qui sont illégaux ou contraires à la loi. Il y a toujours un jugement qui va s'exercer. Dans la mesure où, comme vous le mentionnez, on ferait face à une fraude massive ou à une tentative de faire des choses qui vont à l'encontre même du système, on continuerait d'avoir le pouvoir d'aller devant les tribunaux, pour s'assurer que cela se retrouve sur la place publique et que le juge ait la chance de se prononcer sur la façon dont l'accusé, s'il est trouvé coupable, devra être traité et à quoi il devrait être condamné.
Le sénateur Joyal : Dans votre expérience, la quantité d'« offenses » commises à l'égard de la loi électorale n'est-elle pas plutôt de nature administrative que de nature dolosive, pour utiliser une expression bien française?
M. Côté : Tout à fait. La grande majorité des infractions commises sont de nature réglementaire, comme le défaut de respecter une échéance ou de se conformer à une règle qui apparaît peut-être, à certains égards, mineure, mais qui, du point de vue de la transparence du processus, est importante pour informer les gens. Tout à fait.
Le sénateur Joyal : Ce qu'on appelle le vouching, c'est-à-dire le répondant...
M. Côté : Ce qu'on appelait le vouching.
Le sénateur Joyal : Dans votre rapport, je constate qu'il n'y a pas de recommandation particulière sur cette question. Faut-il en conclure que le système tel qu'il a été ajusté correspond aux meilleures pratiques? Est-il satisfaisant par rapport à l'objectif qu'on vise de faciliter l'exercice du vote?
M. Côté : Ce que je vous dirais à ce sujet, monsieur le sénateur, c'est que mon rôle est celui de faire respecter la loi et de la faire observer. De ce point de vue, les règles actuellement en vigueur ne posent pas d'enjeu majeur. Quant à savoir si le système, d'un point de vue de politiques publiques, devrait être différent, je crois que ce n'est pas à moi de le déterminer, étant donné la nature de mon rôle.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Parlons du vote à visage couvert. Vous n'avez pas formulé de conclusions quant aux difficultés que cela pourrait présenter?
[Français]
M. Côté : Ce que nous disons, je crois, dans notre rapport, c'est qu'il y a eu un certain nombre de plaintes — 36 ou 38. On en a examiné un grand nombre et, à ce moment-ci, à la suite des enquêtes que nous avons menées, il n'y a eu aucun cas de double vote ou de vote illégal. Cela dit, on a encore un dossier en cours d'enquête.
[Traduction]
Le deuxième point que j'aimerais signaler à propos du vote à visage couvert et, de façon générale, du nombre de plaintes que nous recevons à ce sujet, c'est que, dans un cas précis, 27 plaintes ont été déposées. Donc, quand vous examinez le bilan ou les statistiques que nous produisons, vous voyez qu'il y a eu 27 plaintes, mais elles sont toutes liées au même incident qui s'est produit au Québec.
De notre point de vue, si nous examinons l'historique de l'application de la loi, je ne peux pas dire que nous avons rencontré d'importants problèmes de contrôle d'application ou de comportements illégaux à cet égard.
La sénatrice Pate : Pour en revenir au rapport du directeur général des élections sur l'élection générale de 2015, j'ai trouvé intéressant le nombre de bulletins de vote rejetés en provenance des prisons. Je suis curieuse de savoir quelles en étaient les raisons et combien d'entre eux étaient attribuables aux exigences d'identification ou d'indication de l'emplacement, car certaines personnes ne savaient peut-être pas dans quelle circonscription elles étaient censées voter. Je veux simplement obtenir des précisions à ce sujet.
M. Côté : Étant donné mon rôle, je vais vous donner une réponse qui risque d'être décevante. Comme il ne s'agit pas d'un problème de contrôle d'application qui a été porté à notre attention, je n'ai pas d'information là-dessus. Une fois de plus, il vaudrait mieux poser cette question aux représentants d'Élections Canada parce qu'ils administrent le régime et ils seraient mieux placés que nous pour vous fournir ce renseignement.
La sénatrice Pate : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je voulais tout simplement m'assurer d'avoir bien compris, monsieur Côté, quant à la question du sénateur Baker. La discrétion dont vous disposez pour amorcer une enquête est-elle bien encadrée par le fait que vous devez d'abord avoir reçu une plainte?
M. Côté : Non. Comme le mentionnait M. Chénier, il y a une disposition de la loi qui prévoit que le commissaire peut, de son propre chef, de sa propre initiative, lancer une enquête — ce que nous faisons occasionnellement, soit dit en passant.
[Traduction]
Le président : Nous avons du temps pour un troisième tour.
En ce qui concerne les préoccupations que vous avez exprimées au début relativement au financement étranger, nous sommes tous conscients de l'enthousiasme apparent du gouvernement russe à intervenir dans un grand nombre d'élections en Occident, et nous soupçonnons d'ailleurs qu'il ait joué un rôle dans les élections américaines. Advenant notre décision de préparer un rapport à la suite de notre étude, je me demande si vous pouvez aider le comité en nous proposant un libellé particulier. Il me semble que nous laissons la porte grande ouverte au financement étranger susceptible d'influencer les élections canadiennes à l'avenir. Nous espérons que vous réfléchirez à cette question et que vous nous donnerez des conseils éclairés.
La sénatrice Frum : Je voudrais revenir à la dernière série de questions et à cette idée d'une contribution non monétaire. Si je vous ai bien compris, lorsqu'un tiers dépense de l'argent pour la tenue d'un sondage et qu'il fait don de l'information recueillie à un candidat, lequel l'utilise ensuite dans une brochure, il s'agit là d'une contribution non monétaire. Est-ce exact?
M. Chénier : Cela pourrait être le cas, selon les faits, sénatrice. Encore une fois, il doit y avoir une coordination suffisante entre le tiers et le candidat pour appuyer la position selon laquelle une contribution non monétaire a été accordée.
La sénatrice Frum : J'aimerais remettre en question la notion de contribution non monétaire. D'après mon interprétation de la loi, seuls les particuliers peuvent faire des contributions. Il est interdit à toute entreprise ou entité juridique — notamment un syndicat ou un tiers — de faire des contributions. Les seules contributions légales sont celles effectuées par les particuliers, jusqu'à concurrence de 1 500 $, comme c'était le cas lors des dernières élections. Je ne sais même pas dans quelle catégorie classer le type de contribution auquel vous faites allusion, à savoir la contribution non monétaire.
M. Chénier : Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, sénatrice, il est possible de faire une contribution non monétaire, mais encore faut-il qu'elle soit conforme aux règles pertinentes prévues dans notre loi. À défaut de quoi, il y aurait...
La sénatrice Frum : Je viens de lire les règles sur les contributions. Cela ne comprend pas les contributions non monétaires faites par des entités autres que des particuliers.
M. Chénier : Il y aurait alors une question de contrôle d'application, en effet. Nous aurions donc affaire à une contribution faite par un donateur non admissible.
La sénatrice Frum : Bien, nous faisons des progrès. Donc, nous avons établi que si un candidat utilise des renseignements fournis par un tiers, qui a dépensé de l'argent en vue de les créer et de les transmettre au candidat, alors il s'agit d'une contribution illégale parce qu'elle ne provient pas d'un particulier, mais d'un tiers. Est-ce bien cela?
M. Chénier : Selon les faits en cause, cela pourrait être le cas. Nous aurions à examiner ce qui s'est passé.
La sénatrice Frum : Avez-vous reçu des plaintes de cette nature?
M. Chénier : Nous ne pouvons ni confirmer ni nier une plainte particulière.
La sénatrice Batters : Pourriez-vous nous dire si de telles contributions non monétaires figuraient dans les comptes des dépenses électorales des candidats lors de la 42e élection générale? Si vous n'avez pas cette information sous la main, pourriez-vous vous renseigner et communiquer la réponse à notre comité?
M. Chénier : Notre bureau n'est pas chargé de la vérification des rapports financiers.
La sénatrice Batters : Je le sais.
M. Chénier : Une fois de plus, je crois qu'il vaudrait mieux poser cette question... dans le cadre de la vérification, lorsque les membres du personnel reçoivent les rapports financiers, s'ils relèvent des cas, alors je présume qu'ils nous les renverraient, conformément à leurs procédures administratives.
La sénatrice Batters : Il s'agit de dossiers d'ordre public?
M. Chénier : Oui, vous pouvez consulter les rapports financiers sur le site web d'Élections Canada.
La sénatrice Batters : Donc, vous n'êtes pas en mesure de nous fournir cette information précise, mais je suppose que nous pouvons passer en revue les rapports financiers de centaines de candidats pour voir s'ils ont déclaré ce genre de contributions. D'accord.
Vous pouvez peut-être répondre à la question suivante : l'une ou l'autre des enquêtes que vous avez menées à la suite de la 42e élection générale a-t-elle entraîné des accusations criminelles? Bien entendu, dès qu'il y a accusation criminelle, il s'agit d'une information d'ordre public.
M. Côté : Parlez-vous des élections de 2015?
La sénatrice Batters : Oui.
M. Côté : Je ne pense pas — du moins, pas encore. Une plainte a été déposée en Nouvelle-Écosse il y a quelques semaines, et elle porte sur de multiples contributions excédentaires faites par une personne pendant longtemps, sur une certaine période. Il se peut que des contributions en trop aient été versées au cours des élections de 2015.
C'est la seule affaire qui se trouve devant les tribunaux en ce moment. Il y en a d'autres qui pourraient se présenter à mesure que nous progresserons.
La sénatrice Batters : Donc, vous n'en avez pas connaissance pour l'instant, mais auriez-vous l'obligeance de vérifier de nouveau et de transmettre l'information à notre comité?
M. Côté : Je peux vous dire qu'il y a actuellement un cas mettant en cause des contributions excédentaires. Marc vient de me rappeler un autre cas — j'avais oublié celui-là — au Nouveau-Brunswick où quelqu'un a été accusé devant les tribunaux d'avoir détruit illégalement un bulletin de vote.
La sénatrice Batters : Ce sont les deux seuls cas jusqu'à présent?
M. Côté : Oui, pour le moment.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur la question soulevée par le président en ce qui a trait aux ingérences comme celles qui ont touché l'élection générale de nos voisins, d'après ce que nous avons lu et entendu dans les médias.
La Loi électorale, dans sa forme actuelle, contient-elle suffisamment de dispositions pour vous permettre d'intervenir dans pareille situation? Ou cela dépasse-t-il votre capacité, dans l'état actuel de la loi, surtout en ce qui concerne l'article 331?
M. Côté : Quand vous dites « dans pareille situation », qu'entendez-vous par là?
Le sénateur Joyal : Eh bien, on a allégué que le gouvernement russe avait en fait pu saisir des données sur un ordinateur au sujet de l'un des candidats à l'élection générale et que, muni de cette information, il avait diffusé des commentaires dans les médias, ce qui a déclenché un supplément d'enquête et de recherche policières. Bien entendu, cela a considérablement perturbé le cours des élections, alors qu'en réalité, le tiers n'avait aucune position à proprement parler dans les élections. C'était, manifestement, une ingérence perturbatrice qui, à mon avis, devrait être sanctionnée; par ailleurs, votre bureau devrait avoir la capacité d'intervenir dans un tel cas. Autrement, cela signifie que le processus électoral au Canada est susceptible de toutes sortes d'ingérence étrangère, ce qui pourrait gravement compromettre la poursuite de la démocratie au Canada.
[Français]
M. Côté : Vous avez fait référence, sénateur, à l'article 331 de la loi. Cet article prévoit ce qui suit.
[Traduction]
Quiconque ne réside pas au Canada et n'est ni un citoyen ni un résident permanent commet une infraction lorsqu'il incite des électeurs à voter ou à s'abstenir de voter ou à voter ou à s'abstenir de voter pour un candidat donné.
Le directeur général a recommandé que cet article soit abrogé. Nous sommes d'avis que le Parlement devrait peut- être se pencher sur cette disposition pour voir si elle peut être modernisée et clarifiée. Dans sa forme actuelle, elle est très vague. Par exemple, selon certains, si une personne fait des observations sur les élections canadiennes dans le cadre d'une entrevue pour une émission de fin de soirée aux États-Unis, elle enfreint alors cette disposition, ce qui ne devrait pas être le cas. Pour ma part, je crois que l'article 331 devrait être examiné attentivement afin de déterminer s'il y a lieu de l'améliorer.
Deuxièmement, si l'article 331 devait être modifié ou maintenu dans sa forme actuelle, il faudrait ensuite aborder la question de l'application. Supposons qu'un résident d'un pays en Afrique ou en Asie intervienne dans les élections, de façon illégale ou contraire à notre loi; dès lors, la capacité de mener une enquête et de traduire en justice les responsables peut poser des problèmes considérables, voire même, dans certains cas, insurmontables.
Le sénateur Joyal : Êtes-vous en train de nous dire que notre système est en fait vulnérable à toute ingérence étrangère, sans que nous puissions contester, empêcher ou sanctionner de tels actes?
[Français]
M. Côté : Ce n'est peut-être pas tout à fait cela, sénateur Joyal. Tout d'abord, on aurait avantage à examiner cet article pour voir si on peut l'améliorer. Ensuite, dans toutes les circonstances où les forces policières des gouvernements veulent faire appliquer leurs lois à l'égard de personnes qui vivent à l'extérieur de leur pays, cela pose toujours des questions extrêmement difficiles, surtout si on n'entretient pas de relations cordiales avec ces pays ou à l'égard desquels on n'a pas, par exemple, de traité d'extradition. Par exemple, dans le cas d'une personne qui vient de la Russie, je ne suis pas sûr de la façon dont moi, comme commissaire, ou la GRC ou n'importe quelle autre entité capable de faire une enquête dans ce domaine, nous pourrions arriver à faire appliquer et respecter notre loi, lorsque la personne coupable est hors d'atteinte de notre système de justice. C'est ce que je suis en train de dire, et je ne pense pas que ce soit quelque chose de particulier au droit électoral. Je pense que c'est quelque chose qui s'applique en général, lorsqu'on parle de faire appliquer le droit criminel ou les sanctions pénales.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Je m'interroge au sujet d'autres problèmes d'interprétation relatifs à la loi et, là encore, il faut retourner en arrière. Après les élections de mai 2011, une plainte a été déposée auprès d'Élections Canada concernant un stratégiste républicain qui travaillait pour des députés conservateurs au Canada. C'était un dénommé Matthew Parker, qui avait une entreprise appelée Front Porch Strategies. Selon la plainte qui a été déposée, ce dernier aurait tenté d'influencer les électeurs du Canada en les encourageant à voter pour des candidats donnés, chose qu'il n'avait pas le droit de faire en tant qu'étranger.
Je crois comprendre que la plainte a été rejetée par Élections Canada pour le motif qu'il fallait prouver qu'un électeur avait bel et bien été influencé et qu'il avait voté d'une certaine manière en raison de cette influence. Voilà une norme presque impossible à satisfaire.
Utilise-t-on encore cette norme pour déterminer si une infraction a été commise ou non?
M. Côté : Voici ce que je dirais à ce sujet, sénateur Sinclair : parmi les recommandations qui ont été formulées par Élections Canada et par nous — notamment la recommandation C49 dans le rapport du directeur général —, nous proposons que la loi, dans son libellé actuel, soit en quelque sorte améliorée, et le directeur général est d'accord avec vous, parce qu'il existe une divergence entre les versions anglaise et française; en effet, lorsqu'on examine la version anglaise de la loi, on serait porté à dire que la Couronne doit être en mesure de prouver que l'intervention d'un étranger, en l'espèce, a eu un effet concret sur l'électeur avec qui il est entré en contact.
Nous estimons qu'il s'agit là d'un critère très difficile à remplir et nous proposons que cette norme soit assouplie — et si vous lisez la recommandation C49, vous verrez quel genre de libellé nous proposons au juste — de sorte qu'une simple tentative d'inciter un électeur à voter d'une façon ou d'une autre s'avère suffisante.
Bref, la situation actuelle n'est pas claire. Il y a des incompatibilités entre les deux versions. De toute façon, il faut réexaminer la loi dans l'optique de clarifier les règles. Et si le Parlement tient à empêcher les étrangers de jouer un tel rôle, alors le libellé devra aborder la situation en toute clarté.
Le sénateur Sinclair : Pour le moment, tant que cette recommandation n'est pas acceptée et mise en œuvre, est-ce toujours ainsi que vous interprétez la loi?
M. Côté : Oui.
Le sénateur Sinclair : Merci.
La sénatrice Frum : J'aimerais vous interroger sur la question de savoir ce qui constitue une publicité électorale. Si un tiers devait organiser un grand rassemblement, en faire la promotion et y inclure des performances musicales qui coûteraient normalement des centaines de milliers de dollars, l'objectif étant de promouvoir ou de dénoncer un candidat donné, s'agirait-il là d'une publicité?
M. Côté : Je dirais que non, et ce, pour les raisons que nous avons déjà invoquées. Je ne pense pas qu'un rassemblement corresponde à l'interprétation normale des mots « message publicitaire » ou, en anglais, « advertising message » dans l'esprit des gens. Bien entendu, on fait la promotion de quelque chose; la définition comporte donc deux éléments. Il faut une promotion ou une opposition, mais on doit, avant tout, être en présence d'un message publicitaire.
À mon avis, si on demandait aux Canadiens ordinaires ayant assisté à un tel rassemblement de nous indiquer s'ils ont participé la veille à un événement publicitaire, ils nous diraient : « Non, j'ai participé à un rassemblement parce que j'ai jugé que c'était une bonne cause. » Cela montre bien que la loi risque de ne pas aborder toutes les situations, et le Parlement a peut-être l'occasion d'essayer d'y remédier.
La sénatrice Frum : Est-ce que cela comprend même le matériel promotionnel destiné à encourager les gens à participer au rassemblement? Ce n'est pas de la publicité, là non plus?
M. Côté : C'est ce que je dirais.
La sénatrice Frum : Alors, rien? Aucun de ces éléments? Même les t-shirts que portent les organisateurs ne sont pas considérés comme de la publicité?
M. Côté : Les t-shirts, selon le message qu'ils affichent, pourraient être de la publicité, mais c'est le fait de les avoir produits et distribués qui serait pris en considération.
La sénatrice Frum : Je ne comprends pas. Alors, le portier vêtu d'un t-shirt sur lequel est inscrit le message « votez contre un tel ou tel » fait de la publicité, mais pas le chanteur vedette sur la scène qui tient le même propos?
M. Côté : Non, je parle plutôt du rassemblement en tant que tel, et je crois que vous avez soulevé une question au sujet du coût du rassemblement; si on parle de centaines de milliers de dollars, ce qui est assez réaliste, l'événement n'est pas, en soi, un message publicitaire. Voilà ce que je veux dire.
Oui, il y a des activités promotionnelles, entre autres des discours, selon toute vraisemblance. Donc, ces choses seraient de nature promotionnelle, mais ce ne serait pas parce qu'on organise un rassemblement et que je décide d'y assister — pour revenir à ce que j'ai dit tout à l'heure sur la publicité —, du fait que je prends l'initiative d'y participer. Il en serait de même si j'allais consulter le site web d'un tiers; c'est moi qui prends l'initiative de me renseigner, si vous voulez.
C'est ainsi que nous voyons les choses, et je pense que c'est amplement appuyé par les dispositions législatives actuelles.
La sénatrice Frum : Là encore, je ne souscris pas à votre interprétation, mais qu'en est-il de la collusion entre les tiers? Au cours des dernières élections, il y a eu un certain nombre de rassemblements de ce genre qui ont coûté un tel montant, mais ils étaient financés par des tiers qui s'étaient fragmentés et qui avaient créé ensemble d'autres tierces parties qu'ils finançaient mutuellement. N'est-ce pas là une contravention à la loi?
M. Côté : Il y a deux choses qui sont en contravention de la loi. La première est la collusion ou la collaboration très étroite entre un candidat ou un parti et un tiers. Par exemple, le candidat pourrait dire : « Eh bien, si vous pouviez faire telle ou telle chose pour moi, je vous en saurais gré. J'ai presque atteint le plafond autorisé et je ne peux pas me permettre de... » Il y aurait là un problème, et vous en avez discuté tout à l'heure avec Marc. Ce serait certainement un problème, mais je viens d'oublier mon autre argument.
La sénatrice Frum : La collusion entre les tiers est aussi un problème.
M. Côté : Oui. Et j'ai vraiment perdu le fil de mes idées. Il y avait un autre point.
M. Chénier : Le problème de la collusion entre les tiers tient au fait qu'ensemble, ils peuvent dépenser plus que le montant auquel ils auraient droit s'ils agissaient seuls. Nous aurions alors à prouver que tel était l'objectif. J'ai récemment vérifié les chiffres, et aucun des tiers enregistrés aux dernières élections n'était près d'atteindre la limite de dépenses en matière de publicité électorale.
La sénatrice Frum : À ce sujet, du point de vue de la conformité, c'est bien ce que j'ai remarqué, moi aussi. J'ai vérifié leurs déclarations. Oui, leurs dépenses sont vraiment peu élevées, ce qui est étonnant. Que faites-vous sur le plan de la conformité? Quelles mesures prenez-vous pour encadrer cet aspect et vérifier l'exactitude et l'authenticité des rapports que vous recevez?
M. Chénier : Je le répète, nous n'exécutons pas la fonction de vérification. Ce rôle est assumé par Élections Canada dans le contexte de ses vérifications. Si ses employés relèvent des cas de non-conformité, ils nous les renvoient.
La sénatrice Frum : Je me rappelle avoir posé la question au directeur général, et il m'a répondu qu'il ne s'en occupe que si une plainte est déposée. Est-ce que cela vous semble exact?
M. Chénier : En fait, oui, parce qu'Élections Canada ne s'occupe pas des affaires liées aux circonscriptions et ne saurait pas quelles publicités ont été menées.
La sénatrice Frum : Qui le saurait? Comment une vérification pourrait-elle avoir lieu si quelqu'un doit d'abord déposer une plainte, puisque vous n'effectuez pas de vérifications de façon spontanée? Le directeur général ne s'y intéresse que si quelqu'un porte plainte. Comment peut-on se plaindre? Tout ce qu'on a, c'est la déclaration, et les dépenses qui y figurent sont toujours incroyablement modestes.
M. Chénier : La plupart du temps, ce qui déclenche la tenue d'une vérification, c'est lorsqu'un des candidats est ciblé par la publicité; ainsi, il saura exactement quels moyens publicitaires ont été utilisés contre lui.
La sénatrice Frum : Ce n'est jamais considéré comme de la publicité, n'est-ce pas?
M. Chénier : À l'heure actuelle, cet aspect n'est pas réglementé, ce qui est bien malheureux pour le candidat.
La sénatrice Frum : Merci.
Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir sur la question de l'intervention des pays étrangers. À mon avis, il y a moyen, premièrement, de confirmer dans la loi qu'un pays étranger qui intervient dans le processus électoral commet un crime.
Lorsque nous avons étudié la question de l'indemnisation des victimes du terrorisme — et je me tourne vers mes collègues autour de la table parce qu'ils se souviendront que nous avons adopté le projet de loi parrainé par le sénateur Tkachuk —, nous avons permis la saisie des avoirs au Canada d'un pays étranger qui soutient le terrorisme.
Autrement dit, la loi envoie au moins le signal que ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire en toute impunité — sans aucune conséquence.
Il me semble que nous vivons à une époque où il est tellement facile d'aller sur Internet, et tout le reste, pour déstabiliser le processus électoral. Voilà pourquoi la loi doit être modifiée afin de reconnaître cette réalité. Il devrait y avoir des sanctions pour qu'on puisse au moins dissuader ceux qui s'ingèrent dans le système électoral canadien et qui en font ce qu'ils veulent pour le perturber, sans subir de véritables conséquences.
Il existe un précédent que nous avons appuyé ici même en ce qui concerne les victimes d'actes de terrorisme parrainés par des pays étrangers. Je crois que nous devrions en faire de même dans notre système électoral.
[Français]
M. Côté : Je ne peux être en désaccord avec vous, sénateur. Si le Parlement devait adopter cette approche et créer ce genre d'infraction, j'espère qu'en même temps, le Parlement veillera à nous donner les outils nécessaires pour en assurer la mise en application.
J'aimerais mentionner autre chose.
[Traduction]
J'ai lu ce matin dans le journal que les ministres des Affaires étrangères des pays du G7, qui se sont réunis en Italie au début de la semaine, ont publié un communiqué sur les cyberattaques. Ils se disent extrêmement préoccupés par ce sujet précis, à savoir les États qui interviennent illégalement dans le processus électoral d'autres pays. Selon toute vraisemblance, lorsque les dirigeants du G7 se rencontrent, il se peut que leurs discussions mettent en évidence d'autres enjeux, ce qui pourrait amener le Canada à agir d'une certaine façon.
Le président : Je voudrais faire une remarque. Vous parlez d'intervention illégale. Si on examine les conclusions que vous avez formulées dans votre rapport annuel au sujet de l'intervention étrangère, vous dites que « l'interdiction prévue à l'article 331 ne visait pas la prestation de conseils à un parti enregistré ni la possibilité d'influencer la façon dont un parti enregistré réalise ses activités d'incitation. »
Vous ajoutez qu'un tiers peut utiliser des contributions provenant de l'étranger afin de financer des activités, pourvu qu'elles n'incluent pas la diffusion de publicité électorale.
Vous dressez toute une longue liste d'activités qui peuvent être financées par des fonds étrangers. Voilà qui devrait préoccuper au plus haut point tous les Canadiens.
M. Côté : Je crois que c'est une observation très juste, monsieur le président.
Le président : Merci beaucoup, messieurs. C'est très utile pour nos délibérations dans le cadre de cette étude.
Chers collègues, avant de lever la séance, je suppose que nous tenons à produire un rapport sur cette étude. J'aimerais prendre quelques minutes pour en parler. Nous allons donc poursuivre la séance à huis clos. Nous pourrons peut-être en discuter brièvement et fournir quelques conseils à nos analystes, qui pourront alors commencer à préparer un projet de rapport en vue de le présenter au comité à un moment donné dans un avenir assez rapproché.
(La séance se poursuit à huis clos.)