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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 33 - Témoignages du 14 décembre 2017


OTTAWA, le jeudi 14 décembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur le divorce (plans parentaux), se réunit aujourd’hui à, 10 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, bienvenue ce matin.

[Traduction]

Je souhaite la bienvenue à nos invités et au public qui regarde les délibérations ce matin du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons ce matin notre étude du projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur le divorce (plans parentaux).

[Français]

Nous avons le privilège ce matin d’entendre d’abord le professeur Nicholas Bala.

[Traduction]

Il est professeur de droit à l’Université Queen’s et il témoigne par vidéoconférence.

Bonjour, monsieur.

Nicholas Bala, professeur, faculté de droit, Université Queen’s, à titre personnel : Bonjour.

Le président : Je suis ravi de vous accueillir ce matin au comité. Vous connaissez notre fonctionnement. Nous vous invitons à faire un exposé.

Votre article sur la Loi sur le divorce et l’objet de la réunion de ce matin a été remis aux membres du comité. Nous commencerons par votre exposé, puis il y aura une période de questions et de commentaires sur votre contribution. Vous avez la parole, monsieur Bala.

M. Bala : C’est un plaisir et un honneur de témoigner devant le comité par vidéoconférence. Je suis heureux d’entendre que vous avez certains de mes articles traitant du projet de loi S-202. J’ai réalisé des recherches en collaboration avec des professionnels de la santé mentale, des avocats et des juges sur une vaste gamme d’enjeux ayant trait aux questions à l’étude, et cela inclut des comparaisons interprovinciales entre l’Ontario, le Québec et d’autres provinces. Je vais y revenir, mais l’un des défis et l’un des problèmes sont notamment que la mise en œuvre et l’interprétation de la loi fédérale varient.

J’appuie et je salue les travaux du comité sénatorial en vue de traiter de certains des enjeux relatifs aux responsabilités parentales et en particulier des plans parentaux, mais j’ai de grandes réserves concernant le projet de loi dans sa forme actuelle. Même s’il propose des idées très utiles qui pourraient, à mon avis, être incluses dans une mesure législative plus vaste et plus complète, je ne peux pas cautionner l’adoption du projet de loi dans sa forme actuelle et je ne pense pas que des amendements mineurs peuvent venir sauver la mise.

Il ne fait aucun doute que les enjeux soulevés sont controversés; ils sont importants, mais ils sont aussi complexes. Bon nombre de pays traitent de ces questions dans diverses mesures législatives. La répartition constitutionnelle des pouvoirs vient accroître certains défis que posent les réformes systémiques au Canada.

L’idée de base selon laquelle les dispositions de la Loi sur le divorce de 1986 concernant les responsabilités parentales et les soins des enfants doivent être modifiées et révisées est certainement vraie, et je suis favorable aux efforts en ce sens.

Comme le comité l’a entendu, le comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes a réalisé un important rapport. Robert Galloway, qui a témoigné hier devant le comité, en était coprésident. Ce comité a réalisé un rapport très important, mais il faut souligner que c’était controversé. En fait, à mon avis, la raison pour laquelle le gouvernement n’y a pas donné suite, même s’il y a eu des tentatives pour le modifier et que des projets de loi ont été présentés à la Chambre des communes, c’est que le rapport n’était pas suffisamment équilibré et axé sur les enfants.

Depuis 1998 et en fait depuis 1986, des changements considérables ont été apportés à la façon dont nous traitons des questions financières. Je crois que vous en avez entendu parler hier. Au Canada, dans l’ensemble, je crois que nous avons une bien meilleure façon de traiter des questions financières, des pensions alimentaires pour enfants, des pensions alimentaires pour époux — grâce maintenant aux lignes directrices facultatives en la matière —, et du partage des biens, et ce, principalement en vertu de lois provinciales. Il ne fait aucun doute que d’autres modifications pourraient être apportées, mais le traitement des questions financières est plus uniforme et prévisible et il entraîne moins de procédures justicières. Un plus grand nombre de dossiers sont réglés, et je crois que c’est souhaitable.

En revanche, en ce qui concerne les enjeux ayant trait aux enfants, il n’y a eu aucune réforme en ce sens sur la scène fédérale visant à modifier les dispositions de 1986 de la Loi sur le divorce. Comme d’autres l’ont déjà mentionné au comité, les lois provinciales en Colombie-Britannique, en Alberta et en Nouvelle-Écosse ont considérablement évolué. Le Québec a un régime quelque peu différent.

Dans les faits, nous voyons que le modèle de partage des responsabilités parentales est déjà beaucoup plus populaire au Canada qu’il l’était en 1986 ou même en 1998. L’un des documents que j’ai soumis au comité montre l’augmentation du recours au modèle de partage des responsabilités parentales. Il permet également de constater que la mesure dans laquelle les Canadiens y ont recours varie énormément au pays.

J’utilise l’expression « partage des responsabilités parentales ». C’est un vaste concept. J’aime personnellement l’expression « partage des responsabilités parentales ». Je crois qu’il est utile de bien faire comprendre aux parents qu’ils continueront de jouer un rôle dans les soins à prodiguer à leurs enfants.

Toutefois, cela pose des problèmes de définition. En particulier, l’expression « garde partagée », qui ressemble évidemment un peu à l’expression « partage des responsabilités parentales », est très différente. Selon la définition de la garde partagée qui se trouve à l’article 9 des Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, chaque parent a la garde de l’enfant au moins 40 p. 100 du temps. C’est maintenant ainsi dans 20 p. 100 des cas au Canada. Les deux parents assument une grande partie des responsabilités liées aux soins des enfants; les responsabilités sont partagées moitié-moitié ou dans une proportion de 40 à 60 p. 100 entre les deux parents.

Nous avons également des notions plus vastes concernant le partage des responsabilités parentales. La « garde légale conjointe » et la « coparentalité » sont différentes expressions qui sont utilisées pour dire que les deux parents jouent un rôle important dans la vie de leurs enfants et qu’ils prennent des décisions ensemble.

L’un des défis avec lesquels vous et toute autre personne qui souhaite réformer le droit devez composer, en particulier le droit de la famille, c’est que le droit est un instrument rudimentaire pour orienter les parents. Il est non seulement très difficile de mettre en œuvre la législation sur une base individuelle, mais les juges et les tribunaux ont aussi un contrôle limité sur ce que font réellement les parents. Bref, je crois que la prudence est de mise lorsqu’il est question de réformer le droit de la famille.

En ce qui concerne en particulier le projet de loi S-202, il découle, comme je l’ai mentionné, d’une série d’idées provenant du rapport de 1998, mais il ne traite pas de bon nombre d’enjeux qui figuraient dans ce rapport. Je crois que l’idée des plans parentaux est extrêmement utile et que nous devrions y souscrire. C’est justement ce que fait actuellement le gouvernement fédéral. Sur le site web du ministère de la Justice, nous retrouvons de l’information sur la manière de rédiger et d’utiliser des plans parentaux. Nous pourrions en faire davantage en la matière. Il y a bien d’autres endroits où des gens peuvent se rendre pour rédiger des plans parentaux. Je sais que les médiateurs, les juges, les avocats et les professionnels de la santé mentale encouragent de plus en plus les parents à avoir des plans parentaux et à délaisser la rigidité qui caractérise l’entente selon laquelle un parent a la garde de l’enfant tandis que l’autre a un droit d’accès. Je crois que cette idée de base est très utile.

Mes réserves au sujet du projet de loi dans sa forme actuelle concernent premièrement le nouvel alinéa 11(1)a.1). Je crois que vous avez entendu quelque chose à ce sujet hier. Selon moi, cette disposition imposera d’énormes obligations aux juges et aux parties au procès, et cela comprend tant les parties représentées par des avocats, qui devront débourser plus d’argent, que les parties non représentées, qui devront composer avec une augmentation du fardeau et des délais en vue d’atteindre cet objectif. Nous avons actuellement l’alinéa 11(1)b) qui force les juges à s’assurer de la conclusion d’arrangements raisonnables pour les aliments des enfants. Cela représente déjà un fardeau important, mais les parties peuvent facilement régler la question en présentant les documents requis ayant trait au revenu du payeur et au nombre d’enfants.

Lorsque les juges s’occupent des très nombreux cas de divorces non contestés, soit environ 96 p. 100 des cas, ils prendront peut-être de 5 à 10 minutes pour passer en revue les documents et s’assurer que les pensions alimentaires pour enfants respectent les dispositions des lignes directrices ou qu’une explication est fournie pour expliquer pourquoi ce n’est pas le cas. Autrement, les juges renvoient les documents aux parties et ils leur demandent d’autres renseignements. Cela représente un fardeau important pour les juges et les parties au procès, mais c’est possible d’y arriver.

Pour les juges, ce serait une tâche énorme que d’essayer de déterminer ce que devraient être des dispositions raisonnables pour l’exercice de la responsabilité parentale. Ils diront : « Nous ne pouvons pas faire une telle chose simplement en lisant quelques documents. Il nous faut plus de références, et nous devons rencontrer les gens. » Je crois que ce sera un processus très coûteux. Et je ne vous apprendrai rien si je vous dis que nos cours familiales et nos cours criminelles sont déjà engorgées. Selon moi, l’alinéa 11(1)a.1) est, à certains égards, la disposition la plus lourde.

En ce qui concerne la notion de plans parentaux — une bonne idée, à mon avis —, ce texte de loi ne définit pas clairement la relation qui existe entre le soi-disant plan parental évoqué à l’article 16.1 et ce qui est maintenant l’article 16. L’article 16 n’est pas abrogé. On continuera d’avoir les mots « garde » et « accès », puis, dans une formulation qui n’est pas claire du tout, on trouve cette nouvelle notion de plan parental. Est-il obligatoire? Est-il facultatif? Comment ce plan interagit-il avec les ordonnances de garde et d’accès? À qui demandera-t-on de fournir des preuves en la matière? Je suis heureux de voir que l’on essaie de traiter des plans parentaux, mais je crois que le projet de loi est incomplet à cet égard.

J’aimerais aussi formuler deux observations à propos de certains principes qui sont mis de l’avant. Selon moi, bon nombre de ceux qui sont énoncés à l’article 16.1 sont souhaitables, mais il y a assurément des dispositions qui manquent à l’appel.

Il y en a deux qui me préoccupent un peu. Il y a celui qui se retrouve à l’alinéa 16.14(d), et qui est le droit qu’a l’enfant de connaître ses deux parents. Je tiens simplement à exhorter le comité à la prudence. Que signifie vraiment le droit qu’a l’enfant de connaître ses deux parents? Dans bien des cas que l’on désigne sous le vocable d’aliénation parentale — que je pourrai expliquer plus en détail —, il y a cette situation où l’un des deux parents dit ceci : « J’aimerais voir mon enfant », et l’autre dit : « L’enfant ne veut pas te voir. » Déjà, le parent aliénant dit : « L’enfant a le droit de te voir, mais aussi celui d’arrêter de le faire. Il a 11 ans. Il ne veut pas te voir. Un juge pourrait dire que cela est dans son intérêt. Je pourrais être d’accord avec cela. Mais c’est le droit de l’enfant et je cherche seulement à défendre ce droit. » Le fait d’évoquer le droit qu’a l’enfant de connaître ses deux parents est problématique.

Puis, à l’alinéa 16.1(4)e), le terme « grands-parents » est hautement litigieux puisque, encore une fois, il entre en conflit avec le droit qu’a l’enfant de connaître ses parents. Il ne fait aucun doute que la grande majorité des enfants gagnent à avoir des relations avec leurs grands-parents, mais en ce qui concerne le système judiciaire, quelle incidence cela aura-t-il sur ce droit? L’enfant peut-il dire : « Je veux une demande judiciaire afin que grand-maman puisse venir me voir »? Grand-maman va-t-elle embaucher un avocat pour l’enfant afin de lui permettre d’exercer son droit de la connaître? La question mérite qu’on s’y attarde.

Je me préoccupe aussi de ce qui n’apparaît pas dans cette liste. C’est une tentative très partielle de s’attaquer à un problème très complexe. Comme je l’ai dit, les mots « garde » et « accès » sont toujours présents. Or, il s’agit de termes qui, selon moi, sont archaïques. Ils ont disparu des lois provinciales et des lois de certaines autres administrations. Quel lien y a-t-il entre 16.1 et 16?

Une deuxième chose qui manque, c’est le droit qu’a l’enfant de participer. Même si le projet de loi parle du droit qu’a l’enfant de connaître ses parents, il ne dit rien au sujet de ses opinions, de ses souhaits et des points de vue. Tant du côté législatif que du côté pratique, je pense que ces notions sont extrêmement importantes. Bien souvent, les parents ne savent pas ce que pensent leurs enfants, surtout dans le cas de séparations hautement conflictuelles. Naturellement, un enfant se fera dire une chose par l’un des deux parents et une chose différente par l’autre parent. Il n’y a pas d’information objective au sujet de ce que dit l’enfant.

Encore une fois, je pourrais m’étendre sur ces questions qui sont surtout de ressort provincial, mais sachez qu’il y a toute une gamme de moyens pour faire en sorte que les enfants participent de façon significative à la médiation, à la prise des décisions judiciaires ou à la négociation parentale. Les choses doivent se faire avec délicatesse. Les enfants ont le droit de ne pas participer, mais le fait de ne pas tenir compte du tout de leur point de vue et de ne pas mentionner cela dans un texte de loi est hautement problématique.

Je soulignerais aussi les observations formulées hier par Pamela Cross au sujet de la violence familiale et de la violence conjugale, observations auxquelles je souscris. Au Canada, la majorité des administrations provinciales qui traitent avec cette vaste gamme d’enjeux prennent maintenant la peine de signaler explicitement l’importance de tenir compte de ces deux types de violence, qui visent habituellement les femmes, mais pas toujours, loin de là. Il arrive que la violence soit perpétrée par la femme. Dans les relations de gens de même sexe, c’est un problème. Sauf qu’il y a une composante qui est associée au sexe des personnes. Le projet de loi n’en parle pas. La Loi sur le divorce n’en parle pas non plus. Je crois que c’est une grave lacune. Le fait de traiter la chose de façon fragmentaire sans faire mention de la violence familiale pourrait causer d’importants problèmes. Cela risque aussi de relativiser l’attention qui doit être mise sur ce grave problème.

Enfin, le projet de loi ne dit rien sur les questions de culture et de patrimoine, deux aspects qui sont aussi très importants pour les enfants et qui peuvent donner lieu à des contentieux lorsque les parents sont séparés. Je crois que c’est une autre omission à laquelle il faudrait remédier.

En somme, je suis d’avis qu’il faudrait une réforme exhaustive à l’échelon fédéral. Un objectif important serait de refondre les dispositions de la Loi sur le divorce qui concernent les enfants et le parentage. J’espère que le gouvernement fédéral s’y attaquera. Je crois que le Sénat peut avoir un important rôle à jouer à cet égard. Quoi qu’il en soit, je m’inquiète du fait que l’on essaie de réformer cette loi fort complexe en empruntant une démarche parcellaire, limitée et, à certains égards, inadéquate.

Je crois aussi qu’il y a manifestement des problèmes en ce qui concerne les services aux familles. Qu’il s’agisse de médiation, de counselling ou d’accès aux services juridiques, je pense que le gouvernement fédéral a le rôle très clair d’appuyer la prestation de ces services. Il fait certaines choses à cet égard, mais selon moi, il devrait et il pourrait faire bien davantage.

Enfin, il y a des besoins en matière de recherche. La réalité, c’est qu’il y a beaucoup de choses que nous ignorons. Tout d’abord, nous n’avons pas de statistiques nationales. Nous ne savons même plus combien de personnes divorcent au Canada. Nous avons cessé de faire le suivi à l’échelle nationale de l’information la plus élémentaire au sujet des familles séparées. Statistique Canada a bien un peu d’information sur les enfants dont les parents sont séparés ou divorcés, mais sans plus. Nous avons relativisé l’importance de recueillir des renseignements, et encore plus la nécessité de faire de la recherche.

Lorsque nous pensons au partage des responsabilités parentales, la question n’est pas de savoir s’il s’agit d’une bonne idée ou non. La question est la suivante : « Pour quels enfants est-ce une bonne chose, et pour quels enfants cela va-t-il s’avérer problématique? »

À cet égard, il y a aussi lieu de se poser cette question : comment les relations évoluent-elles avec le temps? Je crois que l’une des bonnes choses du projet de loi, c’est qu’il mentionne effectivement le fait qu’il faut prévoir des dispositions pour tenir compte de ces variations. Je crois que l’élément de variation est extrêmement important. Ces relations parents-enfants ne vont pas rester au beau fixe. Elles peuvent changer et elles devraient changer. C’est inévitable. Comment cela va-t-il se faire? Et en ce qui concerne la recherche, savons-nous comment les relations se transforment à l’heure actuelle, comment les choses se passent? La réponse est que nous ne le savons pas, absolument pas.

Merci de l’attention que vous m’avez accordée. Je me ferai une joie de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Bala. Vous avez respecté la limite de 15 minutes que nous avions fixée pour votre exposé, et il ne fait aucun doute que vos observations fort intéressantes seront d’une grande utilité pour tous les sénateurs.

[Français]

J’aimerais d’abord inviter l’honorable Pierre-Hugues Boisvenu, qui est vice-président du comité, à ouvrir notre discussion ce matin.

Le sénateur Boisvenu : Je m’en tiendrai à une seule question afin de permettre à mes collègues d’avoir suffisamment de temps pour poser des questions sur cet important sujet.

Vous traitez d’un sujet qui me touche beaucoup, soit celui de la violence conjugale dans les processus de divorce. Mme Cross, de l’Association nationale de la femme et du droit, affirmait que ce projet de loi contient une présomption en faveur de la garde partagée. Souvent, dans un processus de divorce, on retrouve de la violence conjugale. Je suis justement en train de me pencher sur le cas d’une personne, dont le prénom est Audrey, qui a été victime, ainsi que ses enfants, d’une tentative de meurtre. Or, son ex-conjoint vient d’obtenir la garde partagée – ce qui, à mon avis, est tout à fait inadmissible en ce qui a trait à la protection de cette dame et de ses enfants. Elle affirmait qu’il y avait une présomption en faveur de la garde partagée.

Pour protéger ces femmes et ces enfants, n’aurait-il pas été préférable de modifier l’article 16 de la Loi sur le divorce pour y intégrer des notions de protection dans des situations de violence conjugale?

[Traduction]

M. Bala : Merci. Je crois qu’il s’agit là d’une question très importante. Je pense que cela ne figure pas dans la Loi sur le divorce actuelle. On en parle dans un certain nombre de textes de loi provinciaux, et le Canada traîne effectivement de la patte par rapport au reste du monde pour ce qui est de modifier ses lois en matière de responsabilités parentales. Presque tous les pays du monde ont, au cours des 20 dernières années, ajouté des dispositions de bonne tenue sur certaines des questions évoquées ici, dont celle du plan parental.

En revanche, tous ces textes de loi abordent explicitement la question de la violence familiale et soulignent la nécessité incontournable d’avoir un équilibre. La violence familiale peut être extrêmement grave, et c’est souvent le cas. Or, malgré la violence familiale, il peut parfois y avoir un lien fort entre l’enfant et le parent qui a été violent. Du reste, la manifestation de violence ne s’est peut-être produite qu’une seule fois. Pour peu que ce ne soit pas un incident grave, le fait qu’il n’y ait eu qu’une seule fois de la violence familiale ne devrait pas nécessairement mettre fin à la relation de l’enfant avec le parent qui a été violent.

De plus, il faut aussi tenir compte de la possibilité de se retrouver avec des allégations de violence familiale qui seraient fausses ou exagérées. Je tiens à souligner qu’il y a beaucoup plus d’allégations fondées qui sont injustement réfutées que d’allégations non fondées, mais c’est une réalité qui pose problème. Quelqu’un pourrait simplement dire : « Il y a une allégation, alors mettons un terme définitif à la relation avec cette personne. » Il faut qu’il y ait un processus pour chercher à établir les faits.

Quoi qu’il en soit, le grand défaut de ce projet de loi et de la Loi sur le divorce actuelle, c’est que la violence familiale n’y est même pas mentionnée en tant que facteur.

Fort heureusement, les juges du Canada, qui sont influencés par la jurisprudence, par ce qui se publie dans le domaine des sciences sociales et par les lois de certaines provinces, tiennent compte de ce facteur. Sauf que nous devons faire davantage à cet égard. Bien entendu, bon nombre des personnes qui ont affaire à ces cas n’ont pas d’avocat. Elles se représentent elles-mêmes et se contentent de lire les lois. Or, en lisant ce projet de loi ou la loi actuelle, elles pourraient penser que la violence familiale n’a aucune importance. Je dirais donc, monsieur le sénateur, que vous avez tout à fait raison : la Loi sur le divorce doit aborder la question de la violence familiale.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur Bala, je vous remercie beaucoup d’avoir fait ce survol d’un projet de loi que vous présentez comme un texte de loi partiel, alors qu’il y a un besoin de réforme plus systémique de ce régime.

Dans l’une de vos remarques en particulier, vous avez fait référence au fardeau supplémentaire que le projet de loi apporterait aux tribunaux, en soulignant d’ailleurs que 96 p. 100 des divorces étaient non contestés. Donc, cela ajouterait un fardeau supplémentaire aux tribunaux dans le cadre de l’actuel article 2 et dans l’article 4 du projet de loi S-202. Est-ce que vous pourriez nous donner plus de précisions sur ce fardeau supplémentaire?

[Traduction]

M. Bala : Eh bien, je suis particulièrement soucieux de l’alinéa 11(1)a.1), où il est dit qu’il incombe au tribunal « de s’assurer de la conclusion d’arrangements raisonnables pour la responsabilité parentale des enfants à charge […] ».

Nous appelons cela des affaires non contestées. Parfois, l’un des deux parents se détourne complètement de la situation et l’autre ne fait que suivre la procédure de divorce sans à-coup. Dans de nombreux cas, les parents négocient un règlement de façon non officielle. Parfois, ils voient un médiateur qui les aide à trouver un règlement. Très souvent, les parents font appel à des avocats pour qu’ils négocient un règlement en leur nom. Parfois, ils voient un juge en conférence préparatoire, et ce dernier leur fait des suggestions sur la façon de régler leur cas. Puis, ils demandent à des avocats de rédiger un accord de séparation. Je devrais préciser que les choses varient un peu d’une province à l’autre. Au Québec, le pourcentage est peut-être un peu plus bas, environ 92 p. 100, et dans certaines provinces, il est autour de 98 p. 100, mais il s’agit là d’affaires où la décision définitive n’est pas prise par un juge. Ce sont les parents qui, comme il se doit, prennent la décision et s’en accommodent. Et ce sont eux qui modifient l’arrangement au besoin.

Sauf que maintenant, ces affaires concernant le parentage et les arrangements entre parents sont acceptées. Le juge n’est nullement tenu de se pencher là-dessus. Il ne peut pas dire qu’il va passer le plan en revue afin de s’assurer qu’il tient compte des intérêts supérieurs de l’enfant. Qu’est-ce que cela signifie? Comment est-ce que je sais cela? Dois-je écouter ce que les parents ont à dire?

Dans la Loi sur le divorce, il y a un certain nombre de dispositions que les juges sont tenus de suivre. On demande effectivement aux juges de voir à ce que les pensions alimentaires payées soient fixées à un montant raisonnable, ce qui, habituellement, correspond au montant exigé aux termes des lignes directrices en la matière. Les juges prennent cette responsabilité au sérieux. Qu’ils fassent appel à des avocats ou qu’ils essaient de comprendre d’eux-mêmes de quoi il retourne, il s’agit de quelque chose d’assez lourd pour les parents. Si les parents ne parlent pas l’une des deux langues officielles, les choses sont encore un peu plus compliquées. Ils doivent rassembler certaines preuves concernant la situation économique des enfants et du parent payeur, et présenter par écrit au juge l’arrangement qui aura été conclu quant à la pension alimentaire. Sauf que c’est relativement facile, puisque, dans la plupart des cas, les lignes directrices sur les pensions alimentaires permettent d’établir le montant approprié à partir du revenu du parent payeur et du nombre d’enfants concernés.

Donc, en regardant la déclaration de revenus ou le dernier talon de chèque de paye du parent payeur, un juge est en mesure d’établir si la pension proposée est raisonnable et l’approuver. Or, si un juge est tenu de s’assurer du bien-fondé des arrangements de parentage, cela mettra un fardeau passablement plus lourd sur le dos des parents qui devront produire la preuve demandée, certes, mais aussi sur le dos du tribunal, en raison de la multiplication des interactions qui en découlera.

Bref, pour les parents, c’est un exercice coûteux, chronophage et exigeant sur le plan émotionnel.

Du côté du tribunal, c’est un processus qui demande beaucoup de temps aux juges. Il faut donc poser la question suivante : allons-nous nommer plus de juges pour composer avec cette charge de travail additionnelle? Nous sommes déjà en situation de crise pour ce qui est de permettre l’accès à la justice dans des délais raisonnables. Pour toutes ces raisons, j’estime que l’alinéa 11(1)a.1) est très préoccupant.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, cela clarifie très bien votre position. Quand je vous entendais parler du fardeau supplémentaire pour les tribunaux, cela me faisait aussi penser qu’on créait un nouveau fardeau pour les parents. On parle de la conclusion d’un arrangement raisonnable, sans définir sur quel critère la « raisonnablilité » est fondée. Or, non seulement on oblige la conclusion d’un arrangement raisonnable, mais on dit que, en l’absence d’un tel arrangement, on surseoirait au prononcé du divorce. Est-ce que ce n’est pas, là aussi, un fardeau supplémentaire très lourd pour des parents qui, par ailleurs, pourraient avoir conclu des arrangements qui sont tout à fait dans l’intérêt de l’enfant? On leur imposerait un fardeau supplémentaire, dans ce contexte du projet de loi.

[Traduction]

M. Bala : Oui, je crois que c’est un aspect très important. Dans certains cas, le juge pourrait tout simplement dire qu’il n’accorde pas le divorce, sauf que, de façon générale, il dira qu’il lui faut plus de renseignements. Il dira qu’une audience est nécessaire, qu’il ne prendra pas de décision en fonction de simples documents, et qu’il aura besoin, pour ce faire, de les voir et de les entendre.

Je crois que la prémisse fondamentale du système de justice canadien — et peut-être même de la société canadienne —, c’est que les parents sont vraisemblablement les mieux placés pour prendre des décisions au sujet de leurs enfants, et c’est ce qui se produit au sein des familles intactes et dans la plupart des familles où les parents sont séparés. Il y a assurément un rôle à jouer pour les professionnels, c’est-à-dire les juges, les avocats et les médiateurs. Je crois également qu’il est important de ne pas oublier que dans les cas où il y a des abus graves, les agences provinciales de protection de l’enfance peuvent aussi faire partie de la distribution.

Mais en ce qui concerne la Loi sur le divorce proprement dite, qui est le texte de loi que vous avez devant vous, on parle de gens qui sont mariés et qui cherchent à divorcer. Ils veulent divorcer pour être en mesure de tourner la page, de se remarier et de changer leur statut juridique. Ce que nous leur disons maintenant, c’est qu’avant de faire cela, nous devons nous assurer que des arrangements financiers ont été pris pour les enfants, et que ces arrangements sont relativement simples.

Nous disons qu’il faut rencontrer un juge et qu’il doit être satisfait de ce qu’on a fait et de la raison pour laquelle on l’a fait. Dans la vaste majorité des cas, les parents font ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants et savent ce qu’il y a de mieux. Et pour déterminer ce qu’il y a de « mieux », il vaut mieux tenir compte des besoins et des réalités des parents.

On pourrait dire qu’il y a des arrangements optimaux pour les enfants. La réalité, c’est que les parents, tant dans les familles intactes que les familles séparées, font face à des pressions économiques, logistiques et professionnelles, et ils disent que ce sont les meilleurs arrangements qu’ils peuvent prendre pour leurs enfants en tenant compte de toutes les circonstances. Et on leur dit ensuite que c’est peut-être ce qu’ils pensent, mais qu’ils doivent convaincre quelqu’un d’autre. C’est un énorme fardeau que nous n’imposons pas aux familles dans d’autres contextes. C’est un fardeau, et je ne vois pas d’avantage pour la société.

La réalité, c’est que les juges prennent correctement des décisions basées sur le droit. Ils ne sont toutefois pas bien placés pour dire ce qu’il y a de mieux pour un enfant, du moins sans preuves substantielles. Lorsque nous nous attendons à ce que des juges prennent des décisions concernant les enfants, et ils doivent parfois le faire lorsque les parents n’arrivent pas à s’entendre ou lorsque la médiation échoue, les tribunaux sont alors saisis des dossiers, ce qui coûte très cher. Habituellement, des travailleurs sociaux, des psychologues et d’autres personnes témoignent pour dire ce qu’il y a de mieux pour l’enfant. Le juge écoute tous les témoignages et prend une décision, mais c’est une chose difficile à faire en se servant uniquement de la documentation, sans consulter les parents, par exemple.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie, monsieur Bala, tant pour votre exposé oral que pour votre mémoire.

Le comité a entendu hier le représentant de l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille. Il a indiqué clairement aux membres du comité que la législation sur le droit de la famille de l’Alberta et son équivalent en Colombie-Britannique précisent les facteurs qui peuvent aider le tribunal et les parents à déterminer ce qui est dans l’intérêt de l’enfant. Ces facteurs sont centrés sur l’enfant, à l’instar des principes proposés dans le projet de loi S-202.

Je le mentionne étant donné que dans votre mémoire, vous parlez également de la possibilité de suivre l’exemple de provinces comme l’Alberta. Mais vous parlez encore de l’approche adoptée en Australie, qui est tout à fait différente, et j’aimerais que vous en disiez plus long à ce sujet, s’il vous plaît.

M. Bala : Je vais commencer par dire qu’une des difficultés propres au Canada, c’est la compétence partagée entre le fédéral et le provincial en matière d’arrangements parentaux.

En théorie, la Loi sur le divorce s’applique chaque fois que des personnes se divorcent, mais dans les provinces où une loi ne s’applique en théorie qu’aux personnes non mariées — elles ne se sont jamais mariées ou n’ont même pas cohabité —, c’est la loi provinciale qui est utilisée en cas de différend concernant un enfant.

En fait, d’après des travaux de recherche, ce qui se produit, et on peut le comprendre, c’est que les juges dans une province veulent être cohérents et éviter de dire qu’ils ne vont pas examiner le dossier de personnes mariées de la même façon qu’ils ont examiné le dossier de personnes non mariées. La législation provinciale a tendance à influencer l’interprétation de la loi fédérale.

Cela ne devrait pas se produire selon la théorie constitutionnelle, mais c’est ainsi dans la réalité. Je crois que c’est axé sur l’enfant et que cela montre que, dans une certaine mesure, le droit de la famille, malgré la dimension nationale, a également des dimensions provinciale et locale. C’est juste une réalité avec laquelle nous devons composer au pays.

Nous observons le changement d’approches un peu différentes en Alberta, en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse, et la législation provinciale influence l’interprétation de la loi fédérale.

Je pense que c’est la même chose au Québec, en passant, en dépit d’un contexte différent. À titre d’exemple, le Québec n’a presque jamais recours à la garde exclusive, ce qui signifie que les dispositions du Code civil influencent également l’interprétation de la Loi sur le divorce.

Pour ce qui est de la voie à suivre, les deux mémoires que j’ai présentés donnent des idées quant à l’approche que nous devrions adopter. En Australie, l’une des différences est la grande quantité de ressources affectées aux services à l’enfance et, je dois dire, à la recherche en droit de la famille.

L’Australie est un pays qui prend le droit de la famille très au sérieux, et je crois les bons résultats obtenus en sont la preuve. L’Australie a un réseau national de centres de relations familiales où les gens peuvent se rendre pour obtenir des services de counselling, un soutien et de l’aide pour, dans certains cas, réconcilier les gens afin qu’ils restent mariés ou dans une relation, ou, plus communément, afin de les aider à se séparer en mettant l’accent sur l’enfant. Des ressources sont affectées à cela, et je pense que les résultats obtenus sont positifs pour cette raison.

Les Australiens ont changé plusieurs fois d’avis à propos de leur loi. J’aime certaines des mesures prises en Australie, mais si je cherchais un modèle au Canada, je pense que le genre de mesures prises en Alberta, en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse — qui se ressemblent tout en étant un peu différentes — pourraient très bien servir de modèle pour le Parlement et devraient certainement être prises en considération.

La loi australienne est extrêmement complexe et a suscité la controverse dans le pays. À propos de l’Australie, j’ai fait allusion au fait que ce pays met de l’argent dans les services, et je crois que c’est utile, que c’est de l’argent bien dépensé qui a donné de bons résultats. Les Australiens font la meilleure recherche au monde en droit de la famille compte tenu du financement accordé par le gouvernement. Certaines des questions qui ont été posées sont très importantes. Nous n’avons pas la réponse à ces questions au Canada, mais en Australie, on sait au moins ce qui se passe dans le pays.

Le sénateur Gold : Bienvenue, monsieur Bala. Merci beaucoup de votre témoignage.

J’aimerais que vous formuliez des commentaires sur deux observations que des témoins ont présentées au comité. Je vais vous dire de qui il s’agit.

Hier, John-Paul Boyd a qualifié les principes énoncés dans le projet de loi S-202, qui sont censés être pris en considération dans un plan parental, comme des valeurs, des principes idéologiques qui ne sont pas nécessairement adéquats compte tenu de la situation de nombreuses familles.

La deuxième observation provient du témoignage de Mme Kirouack, qui craint que les dispositions du projet de loi et la façon dont elles pourraient interagir avec la Loi sur le divorce et d’autres questions puissent compromettre ou compliquer l’accent qui est mis sur l’intérêt de l’enfant.

Je serais heureux d’entendre vos réflexions sur ces deux observations d’autres témoins.

M. Bala : J’ai eu le privilège de regarder les délibérations d’hier, et j’estime que Mme Kirouack et M. Boyd ont fait de très bonnes observations. Je souscris en grande partie à ce qu’ils ont dit.

La seule chose pour laquelle je pourrais être légèrement en désaccord avec M. Boyd est son commentaire selon lequel la liste est idéologique et axée sur des valeurs. En droit de la famille, on peut inévitablement faire deux genres de déclarations. Il y a d’abord les déclarations axées sur les valeurs. En ce qui concerne les familles, nous avons des valeurs au pays auxquelles nous tenons passionnément, qui touchent profondément tout le monde, car tout le monde a une famille ou connaît des personnes qui en ont une, ce qui influence les gens. Il y a donc des énoncés de valeur ainsi que des énoncés qui se fondent sur la recherche en sciences sociales.

Par exemple, il y a la question de la violence familiale, qui a été, en passant, complètement ignorée en droit de la famille et peut-être, de façon plus générale, dans la société canadienne. L’une des choses que nous avons comprises grâce à la recherche en sciences sociales, ainsi qu’en écoutant les gens parler de ce qu’ils ont vécu, c’est l’énorme coût social et humain de la violence familiale.

Et ce n’est pas seulement pour les victimes — bien que ce soit en grande partie ainsi —, car les enfants sont également touchés. Les enfants dont les parents se disputent à la maison, sans parler de violence, en souffrent. Nous pouvons l’observer dans leur développement cérébral, comportemental et ainsi de suite.

La loi peut donc comprendre des dispositions qui tiennent compte d’une partie des publications en sciences sociales que nous avons, par exemple en ce qui a trait à la violence familiale.

Le contact avec les parents renvoie à un autre ensemble de questions qui est souvent considéré comme étant utile dans la documentation, mais je crois que ce que M. Boyd a souligné est que le contact avec les deux parents n’est pas toujours souhaitable pour l’enfant. Ce n’est pas toujours dans son intérêt, surtout dans les cas de violence.

Certains parents ignorent leur enfant après une séparation. Je dirais que le problème du parent qui disparaît — pas littéralement, mais métaphoriquement lorsqu’un parent séparé ne veut pas vraiment voir l’enfant — est un énorme problème social qui, on le comprend, ne peut pas être réglé par le système judiciaire. La loi tient également compte de ce genre de questions qui se fondent sur la recherche en sciences sociales.

Je ne rejetterais pas d’énoncés parce qu’ils se fondent sur des valeurs et des principes idéologiques contrairement à ceux qui s’appuient sur de bons travaux de recherche en sciences sociales. Je pense qu’il y a une place pour les deux dans notre droit de la famille, et je ne les rejetterais donc pas du revers de la main, mais je veux sans aucun doute bien comprendre sur reposent les énoncés. Disons-nous cela parce que nous croyons que c’est une chose qui devrait être faite, ou le disons-nous parce que nous savons ou que nous croyons que c’est une chose qui favorisera le bien-être de l’enfant?

C’est un des problèmes associés au concept de l’intérêt de l’enfant. C’est un concept formidable que j’appuie, mais je reconnais aussi ses limites. Comment un parent, un juge ou un politicien peut-il déterminer si une chose est dans l’intérêt de l’enfant? Qu’est-ce qu’il y a de mieux pour l’enfant? Est-ce préférable qu’il fréquente une certaine école, comme une école bilingue? De nombreuses personnes au pays seraient d’accord, mais l’autre parent pourrait dire qu’il devrait plutôt fréquenter une école à distance de marche de la maison. Qu’est-ce qui est le mieux pour l’enfant? Qui peut l’établir et comment peut-on se prononcer sur ce genre de chose?

Cela dépend de l’enfant. Il a peut-être de la difficulté avec les langues. Il est peut-être doué. Cela dépend grandement du contexte et, au bout du compte, c’est une tant une question de valeurs qu’une question de données scientifiques.

C’est la nature du droit de la famille. Les valeurs et les sciences sociales sont mélangées et métissées de manière très complexe. Dans la mesure où c’est ce que disait M. Boyd, je suis certainement d’accord avec lui.

Pour ce qui est de l’observation de Mme Kirouack, je crois qu’elle a soulevé à juste titre toute une série de problèmes concernant la façon dont l’article 16.1 proposé, dans sa forme actuelle, s’insère dans le libellé actuel de l’article 16 dans la loi. Les deux dispositions ne s’imbriquent pas bien. Il y a des incohérences et ce n’est pas clair, surtout en ce qui a trait à la façon dont le paragraphe 16(10), la disposition qui prévoit le maximum de communication dans la mesure où c’est dans l’intérêt de l’enfant, cadre avec certains des énoncés et des idées à l’article 16.1 qui est proposé.

Le sénateur Pratte : Monsieur Bala, merci de votre témoignage intéressant. Vous avez dit que les concepts de la garde et de l’accès sont archaïques, et je suppose que la plupart des gens seraient d’accord.

Dans les démarches visant à moderniser ce passage de la Loi sur le divorce et à essayer de préserver des passages du projet de loi S-202, je me demandais si vous pensiez que le concept des plans parentaux devrait être même retenu dans une Loi sur le divorce modernisée.

M. Bala : Je pense que l’idée des plans parentaux est très utile, tout comme l’idée de comparer un plan parental à une ordonnance de garde et d’accès. Vous avez raison; ces mots sont — je pense que vous en conviendrez, monsieur le sénateur — archaïques dans le sens où la garde évoque habituellement l’idée d’une prison.

Lorsqu’on regarde l’histoire des dispositions relatives aux parents, en remontant au XIXe siècle, on constate que les enfants étaient considérés comme une propriété, et le concept d’accès à un enfant renvoie au concept d’accès à un terrain. C’est de là que cela vient. Ces mots doivent manifestement être changés. Au mieux, ils étaient convenables dans la dernière partie du XXe siècle. Nous devons les moderniser.

L’idée des plans parentaux est bonne. Les parents qui se sont séparés et ne sont plus intimes et les professionnels de la santé qui travaillent avec eux savent qu’ils doivent avoir un plan pour l’enfant. Les plans parentaux — et il y en existe différentes sortes — portent sur des questions précises. Quel sera le temps de résidence? Je pense que c’est indiqué. C’est bien. Quel sera l’horaire pour la garde de l’enfant? Quelles sont les décisions prises relativement à son éducation religieuse? On peut être d’accord ou non. Comment peut-on résoudre la question? Comment l’enseignement religieux ou les fêtes religieuses seront-ils répartis entre les parents? Comment les activités parascolaires seront-elles gérées? Comment les décisions relatives à la santé de l’enfant seront-elles prises? C’est précisé dans le plan.

Selon moi, l’une des bonnes choses dans cette mesure législative est qu’elle reconnaît que ces plans doivent varier. L’une des difficultés dans notre système judiciaire, sénateur Pratte, c’est que nous cherchons une solution définitive dans la plupart des situations. Dans une affaire criminelle, quelqu’un est déclaré coupable, et c’est réglé. Il n’y a pas d’appel. Nous ne revenons pas en arrière. Dans une affaire civile, un montant d’argent est établi; il est payé, et c’est réglé.

Mais dans une affaire familiale, surtout en ce qui concerne les responsabilités parentales, nous savons que la situation va changer à mesure que les enfants vieillissent et que les parents entament une nouvelle relation. Nous devons penser à la façon dont les parents vont gérer la situation en mettant l’accent sur l’enfant. Comment pourra-t-on entendre l’enfant? Je répète que le point de vue de l’enfant n’est aucunement pris en considération. En fait, la plupart des parents veulent écouter leur enfant, sans exercer de pressions sur lui, afin qu’il ait son mot à dire dans le processus.

Cet aspect de la question, c’est-à-dire le concept des plans parentaux, du temps parental, de l’horaire de résidence et de l’énumération du genre de problèmes abordés, est très utile, et le règlement ultime en tiendra compte. J’espère que c’est possible. Je ne pense pas qu’il est nécessaire de préserver cela. Je pense plutôt qu’il faut le restructurer, et je ne sais pas si votre comité a le mandat de dire que c’est un petit aspect de la question. Nous avons une pièce; construisons une maison autour. Si vous ne pouvez pas le faire, c’est bien. Mais si vous dites que c’est très problématique parce que nous construisons seulement une salle de jeu et que nous devons d’abord avoir une cuisine et une salle de bain, vous pourriez dire que c’est irrécupérable, mais il y en aura certains éléments dans le plan définitif.

Le sénateur Pratte : Vous m’amenez à ma prochaine question. Comment le Parlement devrait-il agir dans ce dossier? Comme vous l’avez souligné, le comité mixte a présenté une proposition très controversée il y a 20 ans; il s’agit d’une question très difficile, fort complexe et soulevant beaucoup de controverse. Comment le Parlement devrait-il procéder pour s’y attaquer?

M. Bala : Je pense que nous avons vu beaucoup de mouvement. Je suis optimiste. Dans un des documents que j’ai présentés, la position est différente de celle que nous avions en 1988. Je considère notamment qu’au chapitre du service, de la réalité changeante de la famille et des changements qui s’opèrent dans le système de justice, nous pouvons aller de l’avant.

Nous pourrions former de nouveau un comité mixte spécial ou demander au ministère de la Justice d’entamer un processus de consultation. Il est d’ailleurs attesté qu’il l’a fait à diverses reprises. Il est à l’écoute et continue d’effectuer des recherches sur ce que pensent les professionnels de la justice familiale, dont les avocats, mais aussi les médiateurs, les juges, les conseillers et les travailleurs sociaux qui œuvrent dans le domaine. Il fait également appel aux parents et aux groupes de parents pour leur demander ce que l’on peut faire à cet égard.

Je voudrais que le gouvernement fédéral propose un projet de loi qui traite de la question de manière exhaustive. Le Sénat et la Chambre des communes pourraient ensuite tenir des audiences pour déterminer quels changements peuvent être apportés.

Pour ce qui est de la participation des provinces, vous savez qu’il existe un groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la justice familiale. Faites appel à ce genre de groupes, et dites que le gouvernement fédéral les a consultés et que le ministère de la Justice est maintenant prêt à présenter une solution législative exhaustive.

Je pense qu’une bonne partie du travail de fond a été réalisé lors des rencontres avec les groupes fédéraux-provinciaux-territoriaux. Ce dossier doit être une priorité. L’ennui, comme votre comité le sait, c’est que le droit pénal semble primer sur tout. Il est très important, mais quand s’occupera-t-on du droit de la famille?

Le président : Merci, monsieur.

La sénatrice Fraser : Bienvenue, monsieur Bala. C’est extrêmement intéressant.

Vous avez en grande partie répondu à ma première question en répondant au sénateur Gold. J’irai donc directement à ma deuxième question, qui est de moindre envergure. Elle porte sur la disposition qui stipule ce qui suit :

d) l’enfant a le droit de connaître ses deux parents et de recevoir des soins de leur part, ce qui comprend le droit d’avoir une relation personnelle, véritable et suivie avec chacun d’eux…

Le mot qui me frappe le plus est « véritable ». J’ai tenté de l’appliquer à des adolescents que je connais. Savez-vous si ce mot figure dans la jurisprudence ou s’agit-il d’une nouveauté?

M. Bala : Vous avez soulevé la question des adolescents. Bien entendu, jusqu’à l’âge de 16 ou de 18 ans, les enfants sont touchés par ce projet de loi, particulièrement sur le plan de la pension alimentaire pour enfants. Je considère que l’aide financière aux adolescents, même s’ils sont difficiles par moments, est très importante. Nous ne considérons pas que c’est parce qu’ils se montrent difficiles qu’il ne faut pas les aider.

En ce qui concerne la responsabilité parentale, toutefois, comme votre question le laisse entendre et comme d’autres témoins l’ont indiqué, il importe d’admettre que les enfants prendront leurs propres décisions, certaines étant judicieuses, mais d’autres moins. Nous devons tenir compte de leur voix, de leur rôle et de leur position dans tout cela.

Je pense que le mot « véritable » figure dans quelques lois, mais pas exactement de cette manière. Ce mot, comme tout ce qui se trouve ici, doit être pris en contexte. Il prendra un sens différent selon que le père est dans la marine et part en mer pendant trois mois ou demeure littéralement au coin de la rue alors que l’enfant reste avec sa mère.

Je pense que le mot « véritable » est utile. D’autres lois parlent de relation « importante », ce qui montre que nous progressons. En 1986, la plupart des arrangements prévoyaient que les enfants vivent avec leur mère. Cette dernière en avait la garde, et ils voyaient leur père peut-être un week-end sur deux. Maintenant, dans la plupart des cas de séparation au Canada, si les parents sont raisonnablement proches l’un de l’autre, l’enfant voit bien plus souvent l’autre parent, qui est souvent le père, mais de plus en plus la mère. Les enfants ont droit à des visites en milieu de semaine et à plus de temps pendant l’été et au cours des diverses périodes de congé. Selon moi, le mot « véritable » signifie que les rencontres ne sont pas qu’occasionnelles.

D’un autre côté, si on examine les recherches, on constate que dans bien des cas, les enfants ne voient pas leur parent non principal une fois par mois. Plusieurs études révèlent que souvent, ils ne le voient pas. Parfois, c’est parce que le père a disparu, alors que c’est parfois parce que l’enfant en a décidé ainsi ou parce que la mère est déménagée avec les enfants.

Le déménagement est une autre question que nous n’avons pas abordée ici. Un certain nombre de provinces, lorsqu’il est question des intérêts supérieurs de l’enfant, affirment qu’il faut résoudre la question de la décision à prendre si un des parents décide de déménager dans ce genre de projet de loi. C’est notamment le cas de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique. Or, le sujet n’est même pas abordé dans le projet de loi.

Je pense que c’est en quelque sorte implicite dans le mot « véritable », mais la plupart des autorités qui se sont attaquées au problème et ont construit leur maison se sont penchées également sur la question du déménagement. Ce point devrait lui aussi faire partie de toute réforme exhaustive. J’en traite d’ailleurs dans le document que vous avez.

La sénatrice Fraser : Merci.

La sénatrice Pate : Bonjour, monsieur Bala, et merci des décennies de travail que vous avez accordées à cette question et à d’autres domaines connexes.

Vous venez de soulever de nouveau l’exemple de la maison. Je trouve intéressante cette analogie voulant que l’on construise une maison autour d’une salle de jeu. Je veux parler des gens qui n’ont même pas de salle de jeu.

Lors d’une conférence sur le droit de la famille à laquelle j’ai assisté récemment, on a investi un temps et une énergie considérables pour parler du nombre croissant de personnes non représentées qui comparaissent dans des affaires de droit de la famille. J’aimerais que vous traitiez, si vous le pouvez, des répercussions que le projet de loi S-202 aurait sur les Canadiens et Canadiennes non représentés et sur ceux et celles qui n’ont peut-être pas les moyens de s’offrir des services juridiques ou qui choisissent, pour d’autres raisons, de ne pas être représentés.

De plus, quelles ressources sont offertes? Je sais que le ministère de la Justice publie de l’information sur les plans parentaux, mais quels autres renseignements devraient être fournis? De quelles autres implications le comité devrait-il être conscient lors de l’étude de ce projet de loi?

M. Bala : Merci, sénatrice Pate.

La question de l’accès à la justice familiale est très importante. Même si je n’en ai pas parlé beaucoup dans mon exposé, c’est un point dont je suis fortement conscient et auquel je travaille avec divers groupes, particulièrement en Ontario, mais aussi à l’échelle du pays pour régler ces questions, pour lesquelles il n’existe pas de réponse simple et unique. À mon avis, l’aide juridique et le recours accru aux étudiants en droit font manifestement partie de la solution. Il y a un rôle limité pour les parajuristes, comme on l’envisage en Ontario, mais ce rôle doit être surveillé et supervisé étroitement.

Il faut notamment améliorer l’accès à ce que l’on appelle les mandats limités de représentation afin de tenir compte du fait que certaines personnes n’ont pas nécessairement besoin d’une représentation pleine et entière ou n’ont pas les moyens d’être pleinement représentées au cours du processus. Ces personnes doivent avoir accès à des avocats pour une période limitée afin d’obtenir des conseils constructifs; les parents effectueraient ainsi la plus grande partie du travail, tout en pouvant recevoir une certaine aide de la part d’un avocat.

On peut donc faire bien des choses pour ces personnes.

Un des points les plus épineux, c’est le financement auquel on peut s’attendre de la part du gouvernement. Nous sommes encore en période de restrictions budgétaires. Certaines provinces réduisent leurs budgets, alors que d’autres ont gelé leurs dépenses. Certaines, comme l’Ontario, ont augmenté leurs budgets, mais force nous est d’admettre que les gouvernements ne pourront financer ces services juridiques que de manière limitée.

Dans quelle mesure pouvons-nous nous attendre raisonnablement à ce que les parents paient pour ces services? Pouvons-nous rendre la prestation de services plus efficace? L’utilisation d’Internet est très importante. Les gouvernements provinciaux, mais aussi le gouvernement fédéral, peuvent en faire bien plus. Il est crucial, selon moi, de fournir de l’information aux gens.

Ce qui nous limite, c’est le fait que les gens qui se séparent ou qui divorcent traversent un processus intrinsèquement très difficile. Les renseignements imprimés ou glanés sur Internet n’ont qu’une utilité limitée. Tout d’abord, bien des gens ne peuvent pas lire les textes en anglais ou en français, ou peinent à simplement comprendre les documents publiés. En outre, les gens ont besoin de conseils et de soutien au cours du processus. Cette aide pourrait venir d’un médiateur. Comme je l’ai fait remarquer, l’Australie a instauré des centres de relations familiales dont les employés, sans être avocats, ont une certaine formation parajuridique. Nous devons adopter une approche globale à cet égard.

Le genre de travail accompli par le dénommé comité Cromwell sur l’accès à la justice familiale et civile est extrêmement important. Sachez en passant que le fait de modifier la documentation aidera les gens, car lorsqu’une personne non représentée réclame la garde, elle n’a aucune idée de ce qu’il faut faire. Maintenant que le couple est séparé, comment les parents élèveront-ils leur enfant et quelles décisions doivent-ils prendre?

Le genre de documents que le ministère de la Justice commence à publier sur son site web constitue un bon point de départ. Souhaiterais-je la publication d’un ensemble de documents plus complets? Oui; j’aimerais notamment qu’il y ait des vidéos. On peut en faire bien plus sur le site web du ministère fédéral de la Justice; voilà qui exigera des ressources, bien entendu, mais je pense que cela sera utile en permettant de fournir de l’information sur les responsabilités parentales.

Ce que nous voulons vraiment, c’est savoir comment nous pouvons aider les parents à restructurer leur relation et à admettre que ce sera un processus permanent. Ils viennent de se séparer : appuyons-les dans l’épreuve. Si la situation change deux ans plus tard parce que quelqu’un déménage, comment pouvons-nous les aider? Comment déterminer ce que les parents et les gouvernements paieront chacun?

À mon avis, les gouvernements doivent admettre qu’ils ont une obligation envers tous les enfants. Il ne suffit pas de dire que les parents n’auront pas à ouvrir leur bourse. Dans certains cas, même s’ils ne paient pas, le gouvernement devrait fournir divers services, pas directement aux parents, pas pour des questions financières, mais pour faire enquête afin de connaître la situation de l’enfant.

En Ontario, nous avons la chance de bénéficier des services du Bureau de l’avocate des enfants, qui mène des enquêtes si les parents ne peuvent ou ne veulent pas payer ce service. Ce genre de service n’existe pas dans d’autres provinces. Quand les gens demandent ce qui est le mieux pour l’enfant, je pense que cela est différent pour chaque cas. Il faut donc que des enquêteurs, souvent des travailleurs sociaux, mais parfois les avocats des enfants, fassent enquête sur la situation et présentent des recommandations aux juges. Je considère donc qu’on peut faire beaucoup à cet égard.

C’est une question dont le projet de loi ne traite pas. En fait, le sujet est abordé, mais il faut procéder par déduction, puisque la mesure législative laisse entendre que ces services peuvent être nécessaires, sans toutefois en parler explicitement.

Le problème que vous soulevez au sujet du manque de ressources est particulièrement prononcé quand des parents se séparent. En cas de séparation, tout le monde est presque toujours confronté à une crise financière majeure. L’un des effets les plus néfastes de la séparation sur les enfants, c’est la baisse de leur niveau de vie. Nous avons partiellement atténué ce problème en augmentant la pension alimentaire pour enfants.

Je considère que le travail que le Parlement a accompli en 1997, en instaurant les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants et, par exemple, en exigeant que les juges soient satisfaits des sommes accordées, est très important. Nous devons maintenant faire le même travail sur le plan des responsabilités parentales. J’encouragerais certainement le ministère de la Justice à s’attaquer à la question, et le Parlement a un rôle crucial à jouer à cet égard.

Le sénateur Sinclair : Bienvenue, monsieur Bala. Je suis enchanté de vous revoir.

Dans le temps qu’il nous reste, je me demande si vous pourriez traiter de manière dont vous considérez qu’il existe — ou non — un conflit entre la question du partage des responsabilités parentales, que le présent projet de loi semble préconiser, et celle de la pension alimentaire pour enfants. Il me semble qu’une décision sur le partage des responsabilités parentales pourrait avoir des répercussions sur la pension alimentaire pour enfants, mais peut-être voyez-vous les choses autrement. Pourriez-vous nous donner votre avis à ce sujet?

M. Bala : Ici encore, il s’agit d’une question qui n’est pas entièrement résolue.

Comme je l’ai souligné, si quelqu’un atteint le seuil de 40 p. 100 quant à ce que les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants appellent le partage des responsabilités parentales, cela aura une incidence notable sur la pension alimentaire des enfants.

Selon moi, l’article 9 des lignes directrices, qui porte sur la garde partagée, est une autre disposition sur laquelle il faut se pencher. J’ai écrit, en diverses occasions, sur le besoin de modifier cet article afin de mettre davantage l’accent sur l’enfant et d’être plus efficace.

Je pense, sénateur Sinclair, que vous avez tout à fait raison de dire que dans bien des cas, ce n’est pas tant l’enfant que des considérations économiques qui sont au cœur des démarches relatives au partage des responsabilités parentales. Or, il faut, selon moi, tenir également compte de cette corrélation. Raison de plus pour adopter une approche à plus long terme, plus approfondie et plus vaste pour aborder ces questions.

Le sénateur Sinclair : Merci.

Monsieur Bala, j’ai lu l’article que vous avez écrit pour le Toronto Star. Je me demande si cette affaire de partage des responsabilités parentales n’est en fait qu’un euphémisme pour « garde commune ». Dans votre esprit, s’agit-il de la même chose?

M. Bala : Je ne suis pas certain que ce soit un euphémisme. C’est un terme différent, plus axé sur l’enfant, mais qui englobe certainement la garde commune.

L’ennui, c’est que le terme « garde commune » est lui-même très vaste. Qu’entend-on par « garde commune »? S’agit-il d’une garde légale commune? D’une garde physique commune? Et maintenant, il y a le concept de garde partagée.

Je ne considère pas que le partage des responsabilités parentales soit la même chose que la garde commune. Il s’agit d’un concept plus vaste, et c’est un message important à transmettre à la plupart des parents. En cas de séparation, il arrive qu’un parent doive être exclu, et il faut en tenir compte. La plupart du temps, toutefois, les gens doivent comprendre qu’ils continueront tous les deux d’être parents de l’enfant, et je pense que le Parlement a un rôle important à jour à ce sujet. En ce sens, même si j’ai de véritables préoccupations quant au projet de loi dans sa forme actuelle, je pense qu’il envoie un message important aux parents : ils ne se débarrasseront pas de l’autre personne. Les deux parents demeureront les parents de leur enfant jusqu’à la fin de sa vie. Ils doivent déterminer comment ils procéderont et établir un plan. Ce message fondamental est ici vraiment important. L’ennui, c’est que le projet de loi est défini de manière si limitée et néglige tant de détails, notamment en ce qui a trait à la pension alimentaire pour enfants, qu’il serait problématique de l’adopter dans sa forme actuelle.

Le président : Monsieur, quel a été l’effet de la Convention relative aux droits de l'enfant sur la définition de l’intérêt supérieur de l’enfant? Serait-il temps de réviser cette convention, qui date des années 1990? La société a évolué, tout comme l’a fait notre perception des droits que pourraient avoir les enfants.

M. Bala : Merci, sénateur. Je conviens entièrement, comme je l’indique dans le document dont j’ai parlé, que la Loi sur le divorce actuelle ne cadre pas avec la Convention relative aux droits de l'enfant. Les juges commencent à s’appuyer sur la convention pour interpréter certaines dispositions, comme celles de la Loi sur le divorce. Chose certaine, la révision de cette loi doit tenir compte de la convention des Nations Unies. Or, à l’heure actuelle, elle ne le fait pas.

Le président : Au nom de mes collègues, je voudrais vous remercier de votre contribution de ce matin. Je suis certain que chacun d’entre nous considère que vous nous avez grandement éclairés en vue de nos réflexions futures sur ce projet de loi.

M. Bala : Merci.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, pour notre deuxième groupe d’invités, il m’est très agréable de vous présenter M. Alain Roy, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal et, au nom du Barreau du Québec, Mme Arianne Leblond, avocate au secrétariat de l’Ordre et Affaires juridiques, ainsi que Jocelyn Verdon, président du Comité en droit de la famille.

Nous vous invitons à faire votre présentation, professeur Roy. S’il vous est possible de la faire en 10 minutes, cela donnera le temps aux sénateurs d’échanger avec vous par la suite.

Alain Roy, professeur titulaire, faculté de droit, Université de Montréal, à titre personnel : Je tiens tout d’abord à remercier le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de m’avoir invité aujourd’hui. C’est un grand privilège pour moi que de pouvoir vous faire part de mes observations sur le projet de loi S-202.

D’entrée de jeu, je tiens à féliciter et à remercier la sénatrice Cools pour ce projet de loi d’intérêt public, un projet de loi qui traduit une conception moderne et pluraliste du droit, de la normativité et de l’engagement contractuel. La sénatrice Cools a une formation en psychologie et en sociologie et non en droit. Ce n’est sûrement pas un hasard. Il faut souvent des non-juristes pour amener les juristes à élargir leur vision du droit, qui est parfois un peu réductrice, cela dit avec égard, bien entendu.

Au début de ma carrière universitaire, j’ai beaucoup travaillé sur l’application de la théorie relationnelle du contrat en matière de relations intimes en m’inspirant des travaux de grands sociologues du droit, comme l’Américain Ian Macneil, de la Northwestern University, et le Canadien Jean-Guy Belley, de l’Université McGill, sous la direction duquel j’ai d’ailleurs fait ma thèse de doctorat.

La théorie relationnelle présente le contrat non pas comme une arme défensive, non pas comme un instrument dont la finalité est de préserver les droits de l’un contre l’autre, comme le veut la représentation mentale qu’on s’en fait traditionnellement, mais comme un instrument de paix, de dialogue et de coopération. Dans la perspective relationnelle, il ne s’agit plus, par le contrat, de négocier contre l’autre, qui occupe le rôle d’adversaire; il s’agit plutôt d’établir des paramètres dont l’objectif est de maintenir une relation entre partenaires, dans un esprit de confiance mutuelle. C’est ce que représente le plan parental qui est prévu dans le projet de loi S-202.

Dans la perspective relationnelle, l’arrangement contractuel fait office d’outil de communication vivant et évolutif. Plutôt que de se retrouver dans le coffret de sûreté, l’engagement ou l’arrangement, ici incarnés par le plan parental, est affiché sur le babillard ou le frigo, à la manière d’un « blueprint », auquel chaque partie pourra se référer pour guider ses actions.

Dans le contexte qui nous intéresse ici, on parle bien sûr d’actions orientées au profit de l’être vulnérable qu’est l’enfant, dont les parents ont la responsabilité conjointe malgré leur rupture, et ce, particulièrement au Québec où la garde de l’enfant ne dépossède pas le parent non gardien de l’autorité parentale.

Oui, le divorce met fin à la relation conjugale, comme on le sait tous, mais il ne met pas fin à la relation parentale qu’on doit s’efforcer de baliser le plus étroitement possible. Le principe déjà prévu au paragraphe 16(10) de la Loi sur le divorce selon lequel l’enfant doit avoir avec chaque époux le plus de contacts compatibles avec son propre intérêt ne suffit pas. Il faut outiller les parents pour leur permettre d’atteindre cet objectif, au profit de l’enfant, et c’est ce que fait le projet de loi S-202.

Les juristes dont la conception du droit est légaliste vous diront que ce n’est pas du droit, mais de la psychologie post-divorce qui n’a pas sa place dans une loi. Les juristes qui entretiennent une conception pluraliste du droit vous diront que le plan parental constitue la base d’une source de normativité relationnelle qui contribuera à consolider le sentiment d’engagement de chacune des parties et à préserver leur relation parentale, au profit de l’enfant.

Parce que c’est bien l’objectif qui est ici visé, le projet de loi S-202 n’est pas un projet de loi en faveur des parents, ou plus spécialement du père, comme certains pourraient le prétendre. C’est un projet de loi en faveur de l’enfant. Ce ne sont pas les parents qui ont le droit de maintenir leur relation avec l’enfant à la suite du divorce, c’est l’enfant qui a le droit de maintenir sa relation avec chacun des parents. Et les parents ont la responsabilité de préserver ce droit de l’enfant.

Je conclurai en signalant ce qui m’apparaît être une lacune du projet de loi. Le droit de l’enfant, c’est aussi de participer activement aux décisions qui le concernent. Il me semble qu’il faudrait réfléchir à l’idée d’intégrer l’enfant au processus que constitue le plan parental, si son âge et son discernement le permettent et que la situation s’y prête. Dans la mesure où l’enfant est un sujet de droit à part entière, et c’est le postulat du projet de loi S-202, il me semble un peu paradoxal de le laisser complètement et systématiquement à l’écart de la démarche. En matière de protection de la jeunesse, d’adoption, de consentement aux soins, l’enfant est vu comme un acteur des décisions qui le concernent et il devrait, à mon humble avis, en être de même en matière de divorce, compte tenu des circonstances.

Merci de votre attention.

Le président : Merci, professeur Roy. Maître Leblond, vous avez la parole.

Arianne Leblond, avocate au secrétariat de l’Ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec : Bonjour à tous. Je suis accompagnée de Jocelyn Verdon, président du Comité en droit de la famille du Barreau du Québec. Il vous présentera la position du barreau sur le projet de loi à l’étude en ce moment.

Jocelyn Verdon, président du Comité en droit de la famille, Barreau du Québec : Merci de votre invitation. C’est toujours un privilège de participer à ce processus de discussion qui, dans certains cas, se conclut par l’adoption d’un projet de loi.

La position du barreau concernant le projet de loi est la suivante. Au Québec, l’exercice conjoint de l’autorité parentale est clairement inscrit dans les gènes de notre Code civil. Culturellement, cette question fait partie du paysage politique depuis plus de 15 ans; c’est un fait intégré. Et dans chaque rupture, qu’importe qui a la garde, les deux parents conservent l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Pour toutes les questions importantes qui touchent au choix de l’école ou au choix des activités sportives, les deux parents doivent se consulter. S’il y a mésentente — et c’est toute la pierre angulaire de notre code —, il est tellement important que les gens puissent s’adresser au tribunal et que cette surveillance de l’exercice conjoint du pouvoir parental soit supervisée par la cour. C’est donc public, et c’est le fondement même.

Cela m’amène à parler du projet de loi. Dans le projet de loi, on pourrait déléguer à l’alinéa 16.1(1)d) de l’article 4 un mécanisme pour régler les différends dans le cadre d’un plan parental. Au Québec, cela pourrait causer un certain problème, parce qu’actuellement, on ne peut pas déléguer à quelqu’un d’autre ce pouvoir. Pour nous, l’exercice conjoint est fondamentalement important et cela doit nécessairement être géré par un juge.

L’autre position du barreau a trait au fait de rendre cela obligatoire, parce qu’un juge pourrait refuser de rendre un jugement s’il n’y avait pas de plan parental. Pour nous, cela pourrait créer des problèmes. Si on parle de l’accessibilité à la justice, souvent, les parents n’ont pas besoin de faire de plan parental, parce que, pour régler les problèmes lors du divorce, ils sont culturellement tous les deux habitués à se consulter pour les activités. Le fait d’exiger au Québec ce type de plan pourrait alors susciter plus de débats qu’en régler. L’exercice conjoint étant déjà prévu, cela obligerait donc chaque fois les gens à penser à des problèmes qui pourraient surgir ou pas. C’est important de garder cela à l’esprit.

Les membres du comité sont également inquiets, parce que cela créerait deux types de personnes. En effet, les gens en union de fait ne seraient pas régis par ce plan parental. On voit donc là un problème puisque, selon nous, toutes les familles devraient être régies de la même façon.

L’idée du projet de loi est bonne, mais il faudrait nous assurer qu’il tient compte de la spécificité de ce qui se fait déjà au Québec.

Le président : Merci. J’ai maintenant le plaisir d’inviter le vice-président du comité à poser la première question à nos invités.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue aux témoins.

La responsabilité relative au divorce relève du gouvernement fédéral par la loi et du gouvernement provincial pour l’exécution devant la cour. Effectivement, cette loi ne touchera qu’environ le tiers des couples au Québec. Nous savons que le Québec connaît, d’année en année, une décroissance de 2 à 3 p. 100 des mariages. On peut donc dire que, d’ici 20 ans, cette loi ne touchera que très peu de couples au Québec.

Un aspect qui me préoccupe beaucoup a été soulevé hier par l’Association nationale de la femme et du droit, qui se préoccupe beaucoup des divorces qui surviennent dans un cadre de violence conjugale. Dans bon nombre de divorces, la cause est effectivement la violence conjugale et, souvent, les enfants sont pris en otage. La violence va même s’exercer pendant la procédure du divorce. L’association dont je parle a témoigné en disant que ce projet de loi risque de créer un préjudice favorable à la garde partagée. Pour beaucoup de femmes qui vivent des drames conjugaux, ce préjudice s’exerce dans beaucoup de cas à valeur égale entre le conjoint ou l’ex-conjoint et la dame qui, elle, se retrouve souvent dans des procédures complexes sans aide juridique. Nous savons que, pour être admissible à l’aide juridique, un critère lié au revenu est appliqué, et qu’il s’agit de coûts de l’ordre de 50 000 $ à 60 000 $ que le couple qui divorce devra débourser; ce sont donc davantage les avocats qui s’enrichissent, alors que le couple s’appauvrit.

Ma question est la suivante : en ce qui concerne ces femmes qui vivent les étapes de cette procédure de divorce, ce projet de loi va-t-il les avantager? Ou est-ce que cette notion de partage de la garde sera encore un fardeau très important à subir durant la procédure de divorce? Pendant leur procédure de divorce, certaines dames sont impliquées dans une affaire au criminel parce qu’elles ont été victimes de violence ou même de tentative de meurtre. Ce projet de loi permettra-t-il de favoriser ces dames ou risque-t-il de les défavoriser?

M. Roy : Merci de votre question. Je ne vois pas de présomption en faveur de la garde partagée dans ce projet de loi. La confusion vient peut-être du fait que la notion de garde, en droit québécois, n’est pas la même qu’en droit des provinces canadiennes-anglaises. Pour nous, la garde est un attribut de l’autorité parentale; ce n’est pas l’autorité parentale en soi. Le parent qui n’a pas la garde au moment de la rupture ou au moment du divorce conserve malgré tout l’autorité parentale. Il ne perd que l’attribut de la présence physique de l’enfant pour les modalités prévues dans le jugement ou dans l’entente. Ce que je vois, c’est un plan de partage des responsabilités parentales qui permettra peut-être de prévenir des conflits qui pourraient arriver plus tard.

Vous soulevez la question de la violence conjugale. Il est clair que le plan parental s’accommode difficilement de situations de violence conjugale où il y a une inégalité structurelle, des menaces, des craintes. Un peu comme pour la médiation, il y a des cas qui sont exclus de ces grands objectifs. Il faut un minimum de communication, des conditions favorables à la communication pour la médiation. Je pense que c’est le même principe qui s’appliquerait ici.

Bien sûr, l’article 2 du projet de loi S-202 laisse croire que le tribunal peut surseoir au prononcé du divorce jusqu’à la conclusion d’arrangements. Cela semble vouloir dire que tant que les parties n’ont pas soumis un plan, il n’y a pas de jugement possible. Peut-être que ces termes mériteraient d’être revus pour qu’on puisse bien comprendre que le tribunal pourrait prononcer le divorce dans des situations où, manifestement, il est impensable ou légitime de s’attendre à ce que les parties produisent un plan de partage des responsabilités parentales.

M. Verdon : Si on regarde ce qui se fait au Québec, il y a des situations de violence et l’article qui prévoit l’exercice conjoint de l’autorité parentale est déjà présent. Il y a 15 ans d’historique sur la façon dont le Québec gère ce genre de situation, par exemple, une femme victime de violence conjugale qui est appelée, au moment de la séparation, à choisir une école ou des activités pour son enfant, et cetera. Souvent, les parents qui ont des problèmes de cette nature-là peuvent s’adresser au tribunal pour demander d’avoir les attributs décisionnels, communément appelés une « déchéance partielle de l’autorité parentale ». On pourrait demander au tribunal de dire que la communication est impossible. À ce moment-là, on peut déléguer.

Le sénateur Boisvenu : Dans les médias au Québec, on voit des cas de violence contre les femmes et les enfants. Malgré tout, la cour autorise la garde partagée. J’essaie de comprendre cela.

M. Verdon : L’incident que vous portez à notre connaissance est inacceptable, dès le départ. Par contre, les tribunaux doivent gérer deux concepts : les pères qui veulent prendre leur place et des cas où, parfois, on évoque de la violence, alors qu’il n’y en a pas eu. Les juges entendent les parties et se fient à ce qu’ils voient devant eux. Au lieu de la reconnaissance, il est sûr qu’ils favorisent les contacts en affirmant que l’enfant a besoin de voir ses deux parents.

Le sénateur Boisvenu : Comme M. Bala l’a mentionné plus tôt, il serait peut-être préférable de revoir la loi dans son ensemble pour la moderniser et prévoir des dispositions pour traiter des cas similaires de violence conjugale qui sont trop souvent présents. N’y aurait-il pas lieu de moderniser l’ensemble de la Loi sur le divorce?

M. Roy : Depuis 1968, la loi n’a plus de perspectives punitives. Depuis 1985, toutes les décisions doivent être prises dans l’intérêt de l’enfant. Évidemment, l’intérêt de l’enfant représente un concept à géométrie variable. Ce sont les tribunaux qui l’interprètent, en dernier ressort. On est toujours très mal à l’aise de voir certains juges appréhender le phénomène de la violence de façon très étanche, comme si, lorsque monsieur est violent avec madame, cela ne pourrait pas éventuellement affecter l’enfant. C’est comme s’il s’agissait de vases clos, alors que les études laissent entendre que lorsqu’on est violent envers une personne, on risque de l’être envers une autre personne à plus forte raison, à l’intérieur de la même sphère familiale. Il y a un dilemme réel.

Par contre, en jurisprudence, je trouve qu’habituellement, sauf dans des décisions peut-être isolées, les juges font preuve d’un grand discernement à partir du moment où il est question de violence conjugale. Ils sont assez clairvoyants. Les prérogatives parentales sont aménagées en conséquence. Comme le disait M. Verdon, le juge a la possibilité de déchoir le parent — la déchéance de l’autorité parentale — ou de retirer des attributs de l’autorité parentale, et cela commence avec la garde.

La sénatrice Dupuis : Maître Verdon, j’aimerais que vous alliez un peu plus loin sur les attributions décisionnelles de l’autorité parentale et les possibilités qui sont ouvertes à cet égard.

M. Verdon : Les possibilités à quel niveau?

La sénatrice Dupuis : Quand vous dites, à partir de la réponse de M. Roy, que les termes de l’article 2 pourraient être revus. C’est la question que je poserais ensuite à M. Roy. Vous avez présenté l’idée selon laquelle les attributions décisionnelles peuvent être déléguées par le tribunal. Pouvez-vous donner des exemples plus concrets à partir de votre pratique?

M. Verdon : La différence majeure, selon ma compréhension, c’est que dans les autres provinces, le parent qui a la garde physique de l’enfant a tous les attributs. Au Québec, si un parent voit ses enfants une fin de semaine sur deux — peu importe le parent —, lorsqu’une personne se pointera à l’hôpital en raison d’un accident, l’établissement demandera le consentement des deux parents. C’est une chose avec laquelle les gens de l’extérieur du Québec ne sont pas familiers. Le parent gardien a nécessairement toute l’autorité qui s’impose pour le choix de l’école et des activités. Chez nous, ce n’est pas le cas. Peu importe le type de garde, même si vous confiez la garde de votre enfant à la belle-mère dans le cas de dossiers complexes, les deux parents conservent conjointement l’autorité parentale. Certains dossiers sont complexes, par exemple, dans les cas où un parent est violent, qu’il ne communique pas et qu’il cherche toujours à causer des conflits. Alors, chaque fois que l’un des deux parents demande un consentement pour inscrire son enfant à une activité de hockey, pour aller en voyage ou pour une sortie scolaire, l’autre parent s’amuse à ne pas collaborer. C’est un exemple où on demande au tribunal de mettre de côté le principe général, qui est le partage égal des responsabilités, pour montrer que ce n’est pas dans l’intérêt de l’enfant de le punir parce qu’un parent ne collabore pas. Le tribunal passera au-delà du principe général de l’exercice conjoint lorsqu’il y a un cas d’exception qui le justifie et autorisera la mère à signer seule le passeport, à décider seule du choix de l’école, et cetera. Ce sont des exemples où l’on désarticule les points en litige.

La sénatrice Dupuis : Monsieur Roy, vous pourriez peut-être nous aider à comprendre la situation particulière du Québec en termes de statistiques. On avait entendu des statistiques selon lesquelles environ 96 p. 100 des divorces seraient non contestés. Je ne sais pas si cela correspond à l’expérience québécoise. En ce sens, je me demandais si l’introduction de l’article 2 du projet de loi ne pose pas problème, car il crée l’obligation de conclure des arrangements raisonnables, ce qui peut être fait dans une proportion importante des cas, mais qui ajoute un fardeau supplémentaire à ces parents, qui sont obligés d’aller devant les tribunaux pour faire accepter le plan. On donne des obligations supplémentaires que le Québec n’a pas à l’heure actuelle. Est-ce que cela pose problème?

M. Roy : Ce n’est pas évident, l’autorité parentale conjointe. C’est un beau principe, mais en pratique, cela crée des tensions et des difficultés. Au cours des années 1990, la juge L’Heureux-Dubé avait tenté d’interpréter les principes québécois à la manière de ce qui se fait dans les provinces qui pratiquent la common law en disant que la garde exclusive de l’enfant devrait venir avec l’autorité parentale, et ce, à des fins de simplification. Pour elle, cela devient un peu lourd, cela devient une gestion presque difficile que d’exiger le consentement de l’autre parent pour les décisions fondamentales.

Évidemment, on comprend que le parent qui a la garde de l’enfant conserve toujours le pouvoir décisionnel unilatéral en ce qui a trait aux décisions quotidiennes. Cependant, à partir du moment où on va au-delà, comme le disait M. Verdon, on a besoin du concours de l’autre, y compris si l’enfant est placé dans une famille d’accueil ou à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Cela va très loin. L’autorité parentale demeure. En ce sens, je vois dans ce projet un outil pour faciliter les choses. Actuellement, le tribunal a le pouvoir de départager les responsabilités parentales. Il ne le fait pas nécessairement très souvent, mais il a ce pouvoir, un peu comme le disait M. Verdon, dans le cadre de certaines décisions où il y aurait peut-être une sphère de conflits potentiels.

Grâce à ce projet de loi, on responsabilise les parents pour leur dire en amont où il pourrait y avoir des sphères de problèmes et comment on pourrait départager les responsabilités parentales, dans le cas d’une garde partagée comme dans le cas d’une garde exclusive, dans la mesure où la situation s’y prête au même titre que la médiation. Autrement dit, on est dans un cadre de médiation en amont, alors qu’il n’y a pas encore de problèmes, et on veut prévenir ces problèmes. Au lieu de placer la dynamique de planification, de communication et de dialogue au moment du conflit, on la place en amont du conflit pour prévenir et consolider le sentiment d’engagement. Il n’y a rien de plus efficace que de consentir à son arrangement plutôt que de se le faire imposer par le tribunal.

La sénatrice Dupuis : Ce sont les nombreux cas qui m’intéressent où il y a une autorité conjointe et, sans parler d’un abandon total, il y a un désengagement qui a longtemps précédé le divorce, un désengagement réel pendant le mariage. C’est pourquoi j’essaie de voir, en pratique, comment on va amener les gens qui sont totalement désengagés ou en conflit depuis longtemps à conclure des arrangements raisonnables. Comment va-t-on espérer atteindre cet objectif?

M. Roy : La question est intéressante. C’est peut-être là que la loi mériterait d’être clarifiée ou améliorée. C’est probablement un cas où, au lieu d’amener les parties à départager les décisions, on devrait plutôt, avec l’aide du tribunal, non pas déchoir — parce que la déchéance est très lourde de conséquences —, mais, compte tenu du passé, si c’est monsieur qui a complètement abandonné l’enfant, lui enlever le pouvoir de prendre des décisions. On irait alors à l’encontre du principe de décision conjointe que l’on retrouve dans le Code civil. Ce principe est aussi bon pour départager, lorsque tout fonctionne bien, que pour exclure un conjoint qui, autrement, resterait dans le décor à moins que le tribunal vienne prononcer un retrait d’attributs ou un retrait de pouvoir décisionnel.

Le président : Si vous me le permettez, l’article 606 du code prévoit la déchéance de l’autorité parentale. Le projet de loi S-202 ne contient aucune soupape pour ajuster les parties dans le contexte où elles ne sont plus à égalité pour faire des choix à l’égard de l’enfant.

M. Roy : Les tribunaux font des pieds et des mains pour éviter les effets très graves qui viennent avec la déchéance. Un parent peut consentir à l’adoption de son enfant sans le concours du parent déchu. Vous imaginez-vous à quoi on s’expose? La déchéance est une mesure très lourde. Il faut des motifs très graves et que ce soit dans l’intérêt de l’enfant.

Un mécanisme comme celui-ci est beaucoup plus souple. Sans déchoir, on pourrait retirer les sphères d’autorité décisionnelle à un parent.

M. Verdon : Pour répondre à votre question, le statu quo serait l’un des éléments que le tribunal pourrait considérer. Votre commentaire à l’effet de prévoir l’équivalent est une très bonne idée. Pour prévoir l’équivalent, c’est-à-dire la déchéance, le statu quo est quelquefois révélateur de ce qui se produit. Cela permettrait à un juge, dans le cas où un parent est absent de la vie de l’enfant depuis deux ans, d’avoir des éléments qui font en sorte que, effectivement, il pourra attribuer les droits à un seul parent pour éviter les conflits inutiles. Ce pourrait être une très bonne idée.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de vos présentations. En vous écoutant, on voit qu’il existe des différences significatives entre le régime québécois et celui des autres provinces et territoires canadiens en matière d’autorité parentale.

Cela étant dit, dans sa lettre adressée au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le Barreau du Québec mentionne que, étant donné cette différence entre le droit civil et la common law à l’extérieur du Québec, le projet de loi aurait pour effet de créer une distinction entre les enfants nés de parents mariés et de parents non mariés en ce qui concerne la garde. À titre d’éclaircissement, pouvez-vous nous en dire davantage sur le peu d’impact que pourrait avoir le projet de loi quant à la garde, en considérant des parents mariés par rapport à des parents non mariés, dans le cadre du régime québécois?

M. Verdon : Au Québec, il n’y aura aucun impact. La mise en garde que l’on faisait s’appliquait aux autres provinces. Au Québec, que vous soyez marié ou non, l’exercice conjoint de l’autorité parentale est sacré. Pour tous les parents qui ont des enfants, l’exercice conjoint est le principe de base. Dans le projet de loi dont on discute aujourd’hui, le fait de prévoir le projet parental, à notre avis, est une forme d’introduction, dans la Loi sur le divorce, de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Nous estimons que le principe devrait s’étendre aux conjoints. Les préoccupations du barreau visent à éviter de créer deux classes de famille : une comportant des protections de plan parental, et l’autre, en union de fait, qui ne serait pas visée. Le comité a toujours eu le souci d’éviter pour les enfants d’avoir deux classes de protection, que les parents soient mariés ou non.

M. Roy : Pour ce qui est de l’union de fait, l’idée d’un plan parental pourrait très bien s’appliquer, comme dans le cas où les conjoints sont en conflit et ont recours à la médiation, même si cette pratique n’est pas institutionnalisée. C’est le cas dans le domaine matrimonial. La distinction entre conjoint marié et conjoint de fait, on l’observe bien à travers la Loi sur le divorce, entre autres, à partir de la notion de conjoint loco parentis. Le nouveau conjoint marié qui n’est pas le parent de l’enfant se voit octroyer des attributs en matière de garde et des responsabilités en matière de pension alimentaire. Je comprends que le projet de loi ne changerait rien à cela.

Il y a des disparités mais, entre vous et moi, il se peut que ce soit les provinces qui se traînent les pieds – je pense au Québec en particulier, qui a décidé de mettre de côté un rapport de 800 pages en matière de droit de la famille. Je suis bien placé pour en parler, car j’ai présidé le comité consultatif. Il ne se passe rien au Québec. Tant mieux si le gouvernement fédéral veut faire avancer les choses pour la moitié des couples, la moitié des personnes qui vivent une conjugalité sous forme de mariage.

Le sénateur Gold : Je vous souhaite la bienvenue à tous.

On a entendu des témoignages, ce matin et hier, voulant que l’impact de ce projet de loi soit, je ne dirais pas néfaste, mais difficile pour les tribunaux qui ont déjà des blocages bien connus, et même pour les parties.

Cela étant dit, un autre témoin a affirmé que l’idée d’un plan parental libérera les ressources judiciaires. J’aimerais bien vous entendre au sujet de l’impact, de façon pratique, sur l’administration de la justice si on adopte le projet de loi.

M. Verdon : C’est une bonne question. J’ai l’impression que la clé, pour répondre à votre question, est de regarder les dossiers que votre comité cible. Je m’explique. Quelquefois, le législateur tente d’adopter des lois pour répondre à des exceptions. Ce faisant, on alourdit les choses pour la majorité.

Voyons ce qui se produit si on applique ce principe au Québec. Au Québec, on a l’autorité parentale et elle fonctionne bien. Si on impose le plan parental, je crois que, dans la pratique de tous les jours, cela va créer des discussions. On va obliger les parents à prendre position sur certaines circonstances qui ne surgiront peut-être pas. On va parler de problèmes qui ne se produiront peut-être pas et qui sont déjà réglés naturellement. C’est ma crainte, par rapport au projet de loi, si on rend la mesure obligatoire. Il faudra que le juge dispose d’une grande latitude pour s’adapter en fonction des circonstances. Je trouve qu’il serait dangereux de rendre cette disposition obligatoire car, pour la majorité des parents, le problème ne se pose pas. Or, on va leur demander de faire un plan parental, par exemple, pour des activités comme le ski et la natation. On s’engage alors dans une série de discussions. Le matin, au palais de justice, les gens se trouvent dans une situation nouvelle. On a une rupture de la famille. On ne sait pas du tout comment fonctionnera cette nouvelle entité familiale. Il y aura de nouveaux conjoints. On parle donc d’un plan parental à travers tout ce brouhaha et, à mon avis, c’est extrêmement exigeant pour les parents qui sont engagés dans le processus.

Cependant, la majorité des gens, parce qu’il s’agit d’un exercice conjoint, croient qu’ils doivent se consulter. Et si un parent va trop loin, à ce moment-là s’appliquera l’exercice conjoint. On pourra s’adresser au tribunal en invoquant un désaccord à propos de certains gestes posés par l’un ou l’autre des parents. On fera appel au tribunal pour les exceptions et, ce faisant, je crains que l’on réveille des choses.

Le président : En fait, est-ce qu’on ne renverse pas le système tel qu’il existe actuellement au Québec, où les parties en arrivent à s’entendre sur un plan parental par la médiation? Le projet de loi renverse complètement la situation en obligeant d’obtenir l’accord du juge, à défaut de quoi le divorce ne sera pas prononcé.

M. Verdon : Exactement.

Le président : Il y a une énorme sanction prévue dans le projet de loi.

M. Verdon : Cette portion du projet de loi nous interpelle et nous pensons que cela peut retarder inutilement le cours des procédures.

Le président : Professeur Roy, vous vouliez ajouter un commentaire?

M. Roy : Le Code civil annoté, à l’article 604, mentionne le pouvoir d’arbitrage du tribunal lorsqu’il y a conflit sur une décision qui n’est pas partagée. Année après année, il y a énormément de décisions rendues en vertu de l’article 604 et on se chicane sur des choses qui ne sont vraiment pas fondamentales.

À partir du moment où l’on excède le cadre de gestion du quotidien, c’est le tribunal qui détient le pouvoir d’arbitrage. Je considère le plan parental comme un outil de prévention des conflits. Il y a peut-être un peu plus d’investissement au moment du divorce, mais c’est dans le but de prévenir ce genre de requête, car ils vont s’opposer de toute manière.

Ce n’est pas parce qu’on met le couvercle sur la marmite au moment même du divorce qu’on est en train de paver la voie à la paix. La pratique le démontre. Lorsque je lis les cas sur l’article 604, on se retrouve devant le tribunal, parce qu’on a besoin de l’arbitre pour décider ce dont on n’a pas discuté au moment de la rupture. Comme on dit, on peut forcer un cheval à se rendre à la fontaine, mais on ne peut pas le forcer à boire. Selon moi, c’est le même principe que la médiation, dont on est en train d’en détailler le mécanisme.

Actuellement, la médiation porte beaucoup sur des enjeux économiques, tels que le partage du patrimoine familial et la pension alimentaire. Par la médiation, on essaie de dire qu’il faut se préoccuper de l’enfant et établir des paramètres éventuellement bénéfiques en termes de lignes directrices, pour tenter de voir si on ne pourrait pas éviter certaines zones de conflit.

Mais si la médiation ne fonctionne pas, le juge récupère son pouvoir d’arbitrage. Selon moi, c’est exactement le même principe. C’est peut-être à l’article 2 qu’on envoie un mauvais signal, en disant que si le plan parental ne fonctionne pas, le divorce ne sera pas prononcé. Cependant, si les parties n’arrivent pas à s’entendre lors de la médiation, le juge se voit dans l’obligation de prendre acte de ce fait et c’est lui qui tranche. Cela va exactement dans le même sens, puisque ce sont pratiquement les mêmes genres de situations qui vont se présenter.

Vous avez un plan parental parce que vous avez été en mesure de discuter et de vous entendre. C’est parfait, ce sera un outil préventif auquel je crois beaucoup. C’est une source de normativité, et des études menées aux États-Unis laissent croire que ce genre d’instrument de négociation consolide le sentiment d’engagement et prévient des différends. Mais si cela ne fonctionne pas, c’est le tribunal qui va trancher au moyen de l’arbitrage.

Le sénateur Pratte : Professeur Roy, l’article 2 du projet de loi, qui modifierait le paragraphe 11(1) de la Loi sur le divorce, traite des « arrangements raisonnables ». Ce matin, un des témoins qui comparaissaient devant le comité s’inquiétait de cette expression et affirmait que cela inviterait le tribunal à examiner tout ce qui lui est présenté par le couple.

Évidemment, cela alourdit la responsabilité du tribunal dans son jugement de ce qui constitue un arrangement raisonnable. Il devra, en plus d’entendre le témoignage du couple, examiner toute la documentation afin de déterminer s’il s’agit d’un arrangement raisonnable. Forcément, cela va entraîner un travail considérable pour le tribunal.

M. Roy : On doit comparer ce travail aux conflits que l’on pourrait peut-être éviter, parce que le tribunal est très occupé en vertu de l’article 604. C’est l’article du Code civil annoté qui exige le plus de travail.

Le sénateur Pratte : Est-ce que cette situation concerne les 90 p. 100 des couples qui, au départ, s’entendent correctement? Ce n’est tout de même pas 90 p. 100 des couples qui retournent devant le tribunal en vertu de l’article 604.

M. Roy : On s’entend qu’il n’est pas question d’établir toutes les normes du quotidien dans sa plus fine expression. On parle bien souvent de grandes orientations, de principes et de sphères décisionnelles potentiellement problématiques.

Justement, on discutait ce matin d’un parent qui est témoin de Jéhovah, sachant d’avance que si l’enfant a un problème de santé, cette croyance religieuse risque d’entraîner un problème. Alors, au lieu de faire le pari que l’enfant n’aura pas de problèmes de santé, n’aura pas besoin d’une transfusion sanguine et qu’on n’aura pas besoin de se retrouver devant le tribunal pour trancher le différend, on règle tout de suite l’affaire. On s’entend pour dire qu’en ce qui concerne les consentements aux soins, cet enfant sera soumis au pouvoir décisionnel de sa mère, si elle n’est pas témoin de Jéhovah.

Il y a des éléments de conflit qu’on peut facilement voir venir en amont, et c’est surtout pour cet aspect que le plan parental peut avoir une utilité. Je ne pense pas qu’on peut planifier les 18 prochaines années de vie de nos enfants en essayant d’anticiper tout ce qui pourrait se produire.

Le sénateur Pratte : Monsieur Verdon, est-ce une bonne chose de pousser les parents à s’asseoir et à penser à ces choses, en fonction du plan parental ou autrement? N’y a-t-il pas du bon à penser aux grandes décisions qui se présenteront à l’avenir, notamment à ce qui pourrait arriver s’il n’y a pas d’entente? Qui va trancher? Comment cela va-t-il se faire?

M. Verdon : Il est clair que le concept est très bon. On applique déjà le concept, et il a fait ses preuves. Les résultats sont exceptionnels. Là où M. Roy et moi divergeons d’opinions, c’est que, selon lui, beaucoup de décisions sont rendues en vertu de l’article 604. Or, je m’inscris en faux contre cette affirmation, parce que si on regarde la quantité de dossiers qui sont traités comparativement au nombre de décisions qui ont été rendues, c’est très peu. On parle de moins de 1 p. 100. Il faut garder à l’esprit le fait que oui, effectivement, certaines personnes se sont adressées au tribunal pour trancher les modalités d’un bal de graduation.

On vous lancera toujours des exceptions qui, selon moi, viennent ombrager le ciel ensoleillé. Ce sont des cas d’exception que le plan parental n’aurait pas pu régler. Et personne n’aurait pu prévoir, lors d’une procédure de divorce, ce qui allait se passer avec le bal de fin d’année.

Je suis préoccupé par le fait de le rendre obligatoire. Vouloir l’intégrer et dire qu’il est important que les parents y pensent, c’est un bon concept. Mais le rendre obligatoire, retarder un jugement et demander au tribunal d’analyser tout le contenu de l’entente, à mon avis, cela va créer beaucoup plus de problèmes.

Le cas du témoin de Jéhovah, c’est un problème majeur. Mon confrère dit qu’on devrait soumettre le cas au tribunal et en faire un litige. Mais si l’enfant n’a jamais d’accident ou ne va jamais à l’hôpital, il n’y aura jamais de questions.

Ce qui va se produire, c’est que, dans tous ces dossiers, on va se présenter devant le juge pour demander une ordonnance spécifique. Je comprends la préoccupation de M. Roy, mais pour les praticiens de tous les jours, je crois que cela risque d’entraîner une série de problèmes pour rien. Si jamais survient un problème de santé, on s’adressera au juge à ce moment-là, mais si un seul témoin de Jéhovah sur 100 a un accident, on aura fait 100 procès pour un seul cas.

Le sénateur Pratte : Quand vous dites que cela se produit dans 1 p. 100 des cas, est-ce que c’est une statistique exacte?

M. Verdon : Dans 97 p. 100 des cas, le dossier se règle. Le taux de règlement est énorme. Aujourd’hui, contrairement à l’époque où j’ai commencé ma pratique, nous avons des lois très claires, des lignes directrices facultatives, des lignes directrices concernant les enfants, et le patrimoine familial. Ce sont des outils qui n’existaient pas il y a 30 ans et qui font en sorte que les règlements sont plus faciles.

Le président : Maître Roy, vous vouliez ajouter un commentaire?

M. Roy : J’aimerais simplement dire que ce n’est pas parce qu’on ne se rend pas devant le tribunal et qu’on n’a pas reçu d’ordonnance en vertu de l’article 604 qu’il n’y a pas eu de dispute entre les avocats au préalable. Ce serait bien d’avoir la possibilité, entre parents, à tout le moins, de prévenir la dispute en favorisant la communication. Je vous disais que je m’étais intéressé à la théorie relationnelle du contrat dans la thèse de doctorat que j’ai fait sur le couple. Ce n’était pas une question de « parentabilité » ou de parenté, mais de conjugalité. On est dans une société multiculturelle où il n’y a pas qu’un seul cadre de référence, mais plusieurs. Les valeurs divergent d’une personne à l’autre en fonction des religions et des cultures différentes. La façon dont on conçoit l’éducation peut aussi varier de façon profonde. C’est vrai en matière conjugale et parentale. Si, autrefois, il y avait un cadre normatif uniforme et prévisible en raison de la religion ou de la culture dominante, on ne peut plus dire cela aujourd’hui. Il faut se donner des occasions de clarifier en amont à des fins préventives et de planifier pour éviter justement des conflits qui peuvent être très néfastes pour l’enfant. Ici, au-delà de ce que j’ai pu faire en matière conjugale, il y a un acteur vulnérable qui pourrait faire les frais de ces litiges.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : Monsieur Roy, votre observation sur le fait qu’un certain nombre d’études américaines prouvent les bienfaits à long terme du partage des responsabilités parentales et de la garde commune m’ont intrigué. Je pense que vous avez indiqué qu’il s’agissait d’études américaines, mais je vous ai peut-être mal compris. Je me demande si vous pouvez me dire si ces études font état de répercussions néfastes sur les enfants faisant l’objet d’une garde partagée dans des affaires de violence familiale ou de violence émotionnelle entre les parents.

[Français]

M. Roy : Les statistiques auxquelles je me réfère ne sont pas juridiques et ne concernent pas précisément la garde partagée ou la responsabilité parentale. Les statistiques auxquelles je me réfère concernent plutôt les vertus de ce genre d’outil de communication, que ce soit en matière commerciale, familiale ou intime. Des statistiques sur la garde partagée, on en a au Québec — ce n’était pas à celles-là que je me référais —, pour les avantages comme pour les impacts négatifs, et je pourrais probablement vous les faire parvenir si vous le souhaitez.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : Je vous en serais reconnaissant. Cela nous serait utile. Merci, monsieur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à nos invités. Les renseignements que vous nous transmettez et vos témoignages nous seront très utiles.

Ma question concerne le Québec. Les retards judiciaires liés aux cas de divorce sont énormes, et l’on sait qu’ils ont davantage augmenté récemment, parce que le ministre a décidé d’accorder la priorité aux dossiers criminels. On a donc déplacé les avocats vers les cas criminels et les retards en ce qui a trait aux divorces ont explosé. Il faut prévoir des mois, sinon des années.

Ce projet de loi qui obligerait les juges à examiner les plans parentaux, premièrement, aurait-il un impact sur les délais? Deuxièmement, aurait-il un impact financier sur les parents qui paient les avocats qui, eux, sont payés en fonction des délais? Si l’on adopte ce projet de loi demain, est-ce que les parents du Québec seront pénalisés par les délais plus longs et les coûts plus importants qui en découleront? C’est ma préoccupation.

M. Verdon : J’aimerais répondre à votre préoccupation. Comme je viens de Québec, c’est plus fort que moi, mais je dois vous répondre que les délais dont on parle ne sont pas les délais de Québec.

Le sénateur Boisvenu : Il y a toujours une dispute entre Québec et Montréal. Il y a toujours une fierté à Québec.

M. Verdon : Les délais sont très courts dans le district de Québec, on parle de deux à trois mois pour avoir une audition, et s’il y a une urgence dans le cas de l’autorité parentale, on parle de 24 heures.

Le sénateur Boisvenu : Donc, si l’on veut divorcer, il faut aller à Québec et non à Montréal.

M. Verdon : Il faudrait en parler au juge en chef. Il faut saluer l’idée derrière le projet de loi. Il est clairement important de sensibiliser les gens à l’importance d’avoir ces discussions. Ma préoccupation, c’est de rendre la mesure obligatoire et de faire en sorte qu’un juge ne puisse pas rendre de jugement s’il n’y a pas de plan global, et de l’obliger à analyser ce plan au complet. J’ai des réticences quant à cette démarche, parce que cela alourdit le système, et ce dernier doit se consacrer aux cas à problèmes. Les cas qui fonctionnent, le juge doit les laisser aller. S’il n’y a pas de problème, il n’y a pas de problème. Dans cette approche, il y a peut-être des erreurs qui vont se glisser, mais sur la globalité, nous aurons atteint nos objectifs. Dire aux gens qu’il serait bon de faire un projet parental, oui, mais le juge devrait avoir le droit de rendre un jugement de divorce sans avoir à consulter tout ce plan, sinon — et cela rejoint votre préoccupation —, on risque d’alourdir le système, et les juges sont déjà surchargés.

Le sénateur Boisvenu : Pour le district de Montréal, maître Roy?

M. Roy : Je ne suis pas en pratique privée. Je trouve votre question intéressante, sénateur, parce que lorsqu’il s’agit de questions économiques, on ne se préoccupe pas du fait que le système s’engorge. On considère qu’il est fondamental de régler les questions économiques, et il y a beaucoup de formulaires à remplir pour le partage du patrimoine familial et les pensions alimentaires. On ne s’inquiète pas du fait que les tribunaux devront consacrer du temps à ces éléments. On parle de l’enfant. On parle des responsabilités parentales, c’est ce qu’il y a de plus fondamental, de plus important dans le contexte d’une rupture. Si l’on croit à l’utilité de cet outil, on ne devrait pas craindre le fait qu’il y aura peut-être une charge supplémentaire que le tribunal devra traiter. C’est la charge la plus fondamentale dans le contexte d’une rupture qui devrait solliciter plus d’énergie que les questions économiques.

Le sénateur Boisvenu : Partagez-vous l’opinion de votre collègue, maître Verdon, en disant que ce plan ne devrait pas être obligatoire, mais optionnel?

M. Roy : Oui, je pense que l’on ne devrait pas le rendre obligatoire.

Le président : Je vous remercie de votre participation, maître Verdon, professeur Roy et maître Leblond. Ce matin, nous avons eu aussi l’occasion d’entendre le professeur Bala, et cela nous donne un tour d’horizon particulièrement aigu des implications du projet de loi pour la suite de nos travaux. Je vous en suis très reconnaissant. Je vous remercie encore une fois de votre être déplacés ce matin pour participer à nos travaux.

M. Verdon : Les membres du comité étaient très heureux de voir que le gouvernement s’intéressait au droit de la famille et voulait émettre des réflexions pour l’améliorer. Vos travaux ont suscité une réponse très positive de la part des membres du comité. On parle enfin du droit de la famille et c’est important, car c’est le poumon, la porte d’entrée. Je tiens à vous féliciter d’avoir lancé le débat.

Le président : Nous sommes très reconnaissants au Barreau du Québec, à l'Association du Barreau canadien et aux professeurs qui se succèdent devant nous régulièrement pour nous aider à comprendre les conséquences des projets de loi. Nous vous en sommes très reconnaissants. Sans vous, l’étude de la législation n’aurait pas la même profondeur. C’est utile pour son interprétation éventuellement, puisque, comme vous le savez, les tribunaux ont recours régulièrement aux réflexions de ce comité et à la participation des témoins qui y défilent. Vous nous aidez à approfondir les enjeux liés aux projets de loi et vous aidez les tribunaux à comprendre les intentions du législateur, ce qui est toujours la première question que les tribunaux se posent. Cette intention du législateur, elle est définie à la fois par nous tous autour de la table, et également par les témoins qui comparaissent devant nous. Je voudrais vous demander de remercier le barreau, de même que vos collègues, pour leur contribution à nos travaux. Merci.

(La séance est levée.)

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