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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 38 - Témoignages du 22 mars 2018


OTTAWA, le jeudi 22 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi sur le cannabis, se réunit aujourd’hui, à 10 h 33, pour examiner la teneur des parties 1, 2, 8, 9 et 14 du projet de loi 

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour honorables sénateurs. Je vous souhaite la bienvenue à la deuxième séance de l’étude du projet de loi C-45.

[Français]

Nous allons poursuivre notre étude du projet de loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois. Nous avons ce matin le plaisir d’accueillir les représentants du ministère de la Sécurité publique.

[Traduction]

J’ai le plaisir d’accueillir Trevor Bhupsingh, qui est un habitué de nos travaux. Nous sommes heureux de vous accueillir ce matin, ainsi que Mmes Rachel Huggins et Kimberly Lavoie. Bonjour. Nous recevons également, de la GRC, le surintendant principal Dennis Daley. Bonjour.

[Français]

Nous accueillons également le surintendant Yves Goupil, directeur des opérations criminelles de la police fédérale, Gendarmerie royale du Canada. Merci d’être présents et d’avoir accepté notre invitation à participer à nos travaux.

[Traduction]

J’invite maintenant M. Bhupsingh à faire sa déclaration préliminaire.

Trevor Bhupsingh, directeur général, Application de la loi et stratégies frontalières, Sécurité publique Canada : Bonjour, monsieur le président, et merci de me donner l’occasion de m’adresser aujourd’hui au comité sur cette très importante question. Je suis accompagné de mes collègues, Mmes Kimberly Lavoie et Rachel Huggins, qui travaillent à notre Division de la politique sur les drogues à Sécurité publique Canada. Nous sommes ici aujourd’hui pour répondre aux questions du comité sur le rôle de nos organisations respectives relativement au projet de loi C-45.

L’approche du gouvernement à l’égard de la légalisation et de la réglementation du cannabis vise à faire en sorte que les aspects nécessaires de l’application de la loi et de la sécurité publique soient intégrés dans la loi et à éclairer l’élaboration du régime qui sera mis en place pour réglementer le cannabis.

Le projet de loi C-45 reflète le travail de collaboration accompli par Santé Canada, le ministère de la Justice, Sécurité publique Canada, la Gendarmerie royale du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada, ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux et les intervenants de l’application de la loi.

[Français]

Sécurité publique Canada joue un rôle de chef de file en travaillant avec les autorités d’application de la loi de tout le pays et avec ses partenaires internationaux pour s’assurer que la légalisation et la réglementation du cannabis sont articulées de façon à promouvoir la sécurité publique. Afin d’appuyer le travail du Groupe de travail sur le cannabis, Sécurité publique Canada a organisé une table ronde sur la légalisation du cannabis avec les organismes d’application de la loi et les représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux.

[Traduction]

Les discussions ont permis d’établir une orientation claire quant aux éléments et aux perspectives qui devaient être pris en considération et être incorporés à la Loi sur le cannabis et au régime de légalisation. Ces renseignements ont été fournis au groupe de travail et ont aidé à orienter ses consultations avec les organismes d’application de la loi et d’autres intervenants canadiens.

Les forces de l’ordre et les autorités frontalières reconnaissent qu’un régime de légalisation du cannabis doit protéger la santé et la sécurité du public, et en particulier de nos jeunes. Sécurité publique Canada et ses partenaires, y compris la GRC et l’ASFC, ont mis l’accent sur plusieurs objectifs clés de l’élaboration du projet de loi, à savoir empêcher les criminels et les réseaux du crime organisé d’infiltrer le marché légal du cannabis, renforcer les lois pour réduire le marché noir du cannabis et protéger les jeunes, comme je l’ai mentionné.

[Français]

La légalisation du cannabis est un changement important dans les normes sociales, et nous savons que le cannabis a été un produit très lucratif pour les criminels. Cela doit changer. La Gendarmerie royale du Canada et les forces d’application de la loi de notre pays peuvent témoigner du fait que le crime organisé a été fortement impliqué dans le marché illicite du cannabis, lequel génère des bénéfices importants qui sont utilisés pour financer d’autres activités illégales. On estime que jusqu’à 50 p. 100 des groupes de crime organisé sont impliqués dans le marché illicite du cannabis.

Il est difficile de prévoir comment le crime organisé et le marché illicite réagiront une fois que le régime de légalisation du cannabis entrera en vigueur. L’implication du crime organisé dans n’importe quel produit ou activité peut changer, étant donné que l’offre et la demande se déplacent et que les gains potentiels en sont affectés.

[Traduction]

Il y a toutefois beaucoup de travaux en cours pour empêcher le crime organisé de tirer profit du cannabis. Sécurité publique Canada appuie d’autres ministères fédéraux qui dirigent des discussions sur la taxation et le prix du cannabis. Ce sont là des aspects importants pour veiller à ce que les revenus que l’on prévoit tirer de la production, de la distribution et de la vente ne soient pas versés au crime organisé. À mesure que le nouveau régime sera développé, les exigences de la loi, comme la vérification du casier judiciaire de ceux qui veulent produire du cannabis, aideront à empêcher les criminels qui exploitent actuellement du cannabis illicite d’infiltrer le marché légal.

La GRC, les services de police fédéraux et d’autres organismes d’application de la loi au Canada continueront de travailler à l’échelle nationale et avec des partenaires internationaux pour cibler le crime organisé et les réseaux criminels. Sécurité publique Canada appuiera ces efforts en surveillant les changements sur le marché des drogues illégales.

En ce qui concerne la sécurité frontalière, l’ASFC, l’Agence des services frontaliers du Canada, interdit actuellement le mouvement transfrontalier non autorisé du cannabis aux points d’entrée du Canada, tout en maintenant la libre circulation des voyageurs et des marchandises légitimes. La nouvelle loi maintiendra le cadre transfrontalier existant en ce qui concerne le mouvement illégal du cannabis. En conséquence, l’ASFC continuera de vérifier les voyageurs et les marchandises aux points d’entrée afin d’y déceler du cannabis, conformément à la Loi sur les douanes.

L’agence continuera de travailler en étroite collaboration avec ses partenaires de l’application de la loi, comme la GRC et les services de police municipaux, qui sont chargés de mener des enquêtes en vertu de la nouvelle Loi sur le cannabis. Dans le cadre de la loi, l’agence facilitera le traitement des voyageurs et l’application efficace des lois sur les douanes et l’immigration à la frontière et mettra au point des outils de sensibilisation, y compris des affiches aux points d’entrée, afin d’informer les voyageurs de l’obligation de déclarer le cannabis lorsqu’ils entrent au Canada.

L’ASFC élaborera également un régime de sanctions pour les activités criminelles transfrontalières non autorisées liées au cannabis. Elle investira également dans la capacité de son laboratoire afin de suivre le rythme de l’augmentation des renvois pour l’analyse des substances saisies.

De plus, l’ASFC dirigera une approche de communication à la frontière ciblant les principaux acteurs, comme les voyageurs et les intervenants, afin de les informer des règles frontalières liées au cannabis. Par exemple, la stratégie numérique de l’ASFC englobera la communication de renseignements pertinents aux Canadiens et aux visiteurs sur les médias sociaux et sur les sites web pertinents du gouvernement du Canada. L’on rappellera aux Canadiens que le cannabis et les produits du cannabis sont illégaux en vertu de la loi fédérale aux États-Unis et que les Canadiens qui souhaitent entrer aux États-Unis ou dans tout autre pays doivent respecter toutes les lois locales. Chaque pays a le droit de prendre ses propres décisions sur l’admissibilité.

[Français]

Des mesures de sensibilisation sont essentielles pour informer les voyageurs de l’interdiction de la circulation transfrontalière du cannabis, ce qui permettra d’atténuer le risque de violations des lois liées à la frontière.

Il est important de noter que le projet de loi sur le cannabis ne fait pas obstacle au pouvoir lié à l’application des lois de cibler et de démanteler les opérations illégales liées au cannabis. Le projet de loi envoie un message puissant sur la gravité des crimes impliquant le cannabis. Par exemple, les peines maximales pour des infractions criminelles aux termes de la loi proposée pour la production, la distribution, la vente et l’importation et l’exportation de cannabis peuvent entraîner jusqu’à 14 ans de prison.

[Traduction]

Le fait que Sécurité publique Canada et le milieu de l’application de la loi s’efforceront de mieux protéger les jeunes représente un autre objectif très important pour le gouvernement. Il est proposé dans le projet de loi de restreindre l’accès des jeunes au cannabis et de dissuader ceux qui voudraient mener des activités illégales liées au cannabis au moyen de mesures d’application de la loi et de sanctions qui s’imposent. Les adultes qui utilisent des jeunes pour commettre un crime lié au cannabis seraient passibles de la même peine maximale de 14 ans que ceux qui vendent du cannabis ou en font le trafic illégal.

De plus, les provinces et les territoires ont la capacité d’établir leurs propres dispositions pour interdire la possession de toute quantité de cannabis à ceux qui n’ont pas l’âge minimal. Cela donnerait également à la police le pouvoir de saisir le cannabis des jeunes, sans les assujettir à des poursuites criminelles pour possession et partage de très petites quantités de cannabis.

Dans le cadre de cette initiative, le gouvernement a investi dans une campagne d’éducation et de sensibilisation du public pour informer les Canadiens, en particulier les jeunes, des risques pour la santé et la sécurité liés à la consommation de cannabis, ainsi que pour financer des activités de surveillance.

Dans le cadre de la campagne d’éducation et de sensibilisation du public, Sécurité publique Canada communiquera les nouvelles lois et le cadre d’application de la loi à la police et à tous les Canadiens au moyen d’un vaste éventail d’activités de communication, comme une formation en ligne sur l’application de la loi, et tirera parti des possibilités offertes par les médias et les médias sociaux avec des partenaires pertinents. Le ministère collabore actuellement avec la GRC et avec le ministère de la Justice pour élaborer des trousses d’information et des documents de formation sur la nouvelle loi. Ces documents sont déjà en cours d’élaboration et seront achevés si le projet de loi reçoit la sanction royale.

Le ministère tire parti d’occasions de partenariat avec les provinces et les territoires et avec des organisations non gouvernementales, comme l’Association canadienne des chefs de police, pour établir des réseaux afin de diffuser des détails et d’informer les Canadiens au sujet des lois et des règlements. Sécurité publique Canada mènera également des activités de recherche sur le cannabis afin d’éclairer les efforts opérationnels d’application de la loi. Cela comprend l’élaboration de nouveaux indicateurs et la collecte de données de base sur le crime organisé en collaboration avec Santé Canada et le ministère de la Justice.

En conclusion, monsieur le président, nous nous efforçons d’aider les forces de l’ordre à mettre en œuvre et à appliquer la nouvelle loi. Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui, et nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup de votre déclaration préliminaire, monsieur Bhupsingh. J’ai maintenant le plaisir d’inviter le surintendant principal Dennis Daley. Il est directeur général des opérations criminelles, Services de police contractuels et autochtones.

Surintendant principal Dennis Daley, directeur général des opérations criminelles, Services de police contractuels et autochtones, Gendarmerie royale du Canada : Bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du comité. Je vous remercie de m’avoir invité ici aujourd’hui, aux côtés de mes collègues, pour discuter du rôle de la Gendarmerie royale du Canada dans l’application du projet de loi C-45, la Loi sur le cannabis proposée. Je suis le surintendant principal, responsable des Services de police contractuels et autochtones à la GRC, Section nationale des opérations criminelles. Mon collègue est le surintendant Yves Goupil, directeur des opérations criminelles de la police fédérale à la GRC. J’aimerais également saluer le sergent Ray Moos, coordonnateur national des experts en reconnaissance de drogues à la GRC.

La lutte contre le crime organisé est une priorité de longue date pour la GRC et pour les services de police fédéraux de la GRC en particulier. Le Service canadien de renseignements criminels, qui est géré par la GRC, produit des rapports sur la criminalité au Canada, y compris sur les groupes du crime organisé impliqués dans certains aspects du marché illicite du cannabis. Ces groupes et réseaux criminels sont actifs partout au Canada et participent à tous les aspects de la chaîne de distribution du cannabis, y compris la production, l’exportation et le trafic. Même si la majeure partie du cannabis produit au Canada est destinée à la consommation intérieure, il est aussi exporté illégalement dans le monde entier. Ces activités peuvent produire de gros rendements, et les fonds peuvent servir à financer d’autres activités illicites auxquelles participent des groupes du crime organisé, comme la fraude, le trafic d’armes à feu et d’autres drogues illicites.

La GRC travaille en étroite collaboration avec le milieu canadien de l’application de la loi et ses partenaires gouvernementaux afin d’établir des régimes de réglementation qui aideront à atténuer la participation criminelle au marché légal du cannabis. La collaboration avec les partenaires d’application de la loi de la GRC et d’autres intervenants se poursuivra.

D’un point de vue de première ligne, la GRC fournit des services de police contractuels à toutes les provinces et à tous les territoires du Canada, à l’exception de l’Ontario et du Québec, ainsi qu’à plus de 150 municipalités. La GRC continuera également de travailler avec des partenaires et des intervenants des territoires contractuels pour assurer la sécurité et la sûreté des collectivités une fois le cannabis légalisé, y compris en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

La prévention du crime est un élément fondamental du mandat de la GRC. Dans cette optique, la GRC continue de mener des activités de sensibilisation auprès des Canadiens, y compris auprès des jeunes et des communautés autochtones.

Je vous remercie encore une fois de nous avoir invités, le surintendant Goupil et moi-même, à venir discuter de la Loi sur le cannabis proposée, y compris en ce qui concerne le crime organisé. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, surintendant Daley.

[Français]

Surintendant Goupil, voulez-vous ajouter quelques remarques ou préférez-vous répondre aux questions tout de suite?

Surintendant Yves Goupil, directeur des opérations criminelles de la police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Non, monsieur le président. Nous sommes prêts à répondre aux questions si vous êtes prêts à les poser.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, chers invités. Vous nous paraissez si loin ce matin. Merci beaucoup de vos présentations très intéressantes. J’avais demandé de l’information au ministre Goodale, lors de sa présence aux audiences sur le projet de loi C-46, pour savoir combien de postes de la GRC possèdent un agent évaluateur 24 heures par jour. Cette information devait nous être envoyée par le ministère, mais nous n’avons rien reçu. Est-ce que quelqu’un du ministère peut s’assurer qu’on reçoive cette information? C’est très important pour nous, car cela nous indique à quel degré la GRC est prête à faire face à la mise en œuvre du projet de loi C-46, entre autres. Je veux m’assurer que cette demande nous parvienne rapidement.

Je ne sais pas si ma première question s’adresse à la GRC ou à Sécurité publique Canada. Dans le discours du représentant de Sécurité publique Canada, à la page 4, il est mentionné ceci :

la nécessité d’empêcher les criminels et le crime organisé de s’infiltrer dans le réseau du marché de cannabis légal;

Ce qu’on apprend par le biais des médias, c’est que 40 p. 100 des investissements dans les firmes de production au Québec proviennent de paradis fiscaux, c’est-à-dire de l’argent illégal qui n’a pas été soumis au régime fiscal canadien. On sait que ces profits vont retourner dans les paradis fiscaux.

Afin d’atteindre l’objectif de s’assurer que le crime organisé n’entre pas par la porte arrière pour infiltrer la production légale, la GRC enquêtera-t-elle pour donner suite à ces informations des médias québécois, selon lesquelles 40 p. 100 des investissements en production au Québec proviennent de paradis fiscaux?

M. Goupil : Merci de votre question. Comme vous, j’ai vu la couverture médiatique sur les compagnies qui auraient investi au Canada ou demandé des permis de culture.

Il y a une nuance à faire. Oui, le crime organisé utilise les paradis fiscaux, mais ce ne sont pas toutes les compagnies ou les personnes qui utilisent les paradis fiscaux qui sont nécessairement criminels. Aux États-Unis, par exemple, certaines personnes vont enregistrer une compagnie dans un paradis fiscal tout simplement pour dissimuler leur identité. Souvent, pour des questions de perception, on va se cacher derrière le secret corporatif afin de pouvoir investir dans d’autres compagnies. Il y a aussi aux États-Unis des syndicats de professeurs qui veulent jouir des bienfaits d’investir dans une compagnie de production de cannabis, tout en se cachant pour des questions de perception.

Cela étant dit, effectivement, il y a des groupes de crime organisé qui vont certainement utiliser les paradis fiscaux ou même ce qu’on appelle le « beneficial ownership », où ils se cachent derrière le secret corporatif pour investir et aller chercher des licences afin de produire le cannabis.

Le sénateur Boisvenu : Surintendant Goupil, il est connu que tous que les paradis fiscaux servent aussi au crime organisé du Québec pour blanchir de l’argent. Ces gens qui vendent de la drogue illégalement vont blanchir cet argent dans les paradis fiscaux. Il est donc possible que cet argent revienne au Québec par le biais de l’industrie de la marijuana légale.

Maintenant que la GRC est au courant de cette hypothèse, entend-elle enquêter auprès de ces entreprises qui ont possiblement reçu un permis d’exploitation à partir d’investissements illégaux? Je ne dis pas que ce sont des criminels, mais c’est de l’argent illégal qui a évité le système fiscal canadien. Avez-vous l’intention d’enquêter auprès de ces entreprises qui entendent commercialiser le cannabis légal avec de l’argent illégal?

M. Goupil : Effectivement, s’il y a criminalité ou un semblant de criminalité, s’il y a de l’information crédible, des enquêtes seront lancées, que ce soit pour le blanchiment d’argent ou une autre forme de criminalité. Nous le faisons présentement, que ce soit pour le trafic de cocaïne ou n’importe quelle autre infraction, y compris le blanchiment d’argent ou les produits de la criminalité. Nous allons entreprendre une enquête en fonction de nos informations.

Le sénateur Boisvenu : Avant de passer à la sénatrice Dupuis, j’ai une question à poser au représentant de Sécurité publique Canada. Vous dites à la page 13 de votre mémoire que le projet de loi propose de limiter l’accès des jeunes au cannabis afin de prévenir des activités illégales. Comment pouvez-vous affirmer cela alors que le projet de loi va permettre aux jeunes de 12 à 17 ans de posséder et de distribuer 5 grammes de marijuana? Comment atteindre l’objectif de protéger les enfants si on leur permet de posséder de la marijuana?

[Traduction]

M. Bhupsingh : Oui, je crois que le projet de loi vise à limiter la possession aux fins de consommation à 5 grammes. Dans les discussions entendues devant le comité…

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Mais nous parlons d’enfants de 12 à 17 ans. Comment pouvez-vous affirmer, dans votre document, vouloir prévenir l’usage de la marijuana chez les jeunes alors que le projet de loi leur permet d’en posséder 5 grammes à 12 ans?

[Traduction]

M. Bhupsingh : Il est proposé dans le projet de loi de permettre aux provinces de ramener ce niveau à zéro. Hier, il a beaucoup été question au comité de l’équilibre fédéral-provincial. J’estime que la meilleure façon de répondre à cette question, c’est que le Code criminel et un projet de loi comme la Loi sur le cannabis proposée nous semblent être un outil très lourd. Nous tentions de permettre aux provinces d’examiner leurs compétences et de contribuer au projet de loi actuel ou au projet de loi proposé pour combler cette lacune.

Le sénateur Sinclair : J’invoque le Règlement. Le témoin n’a jamais répondu à la première question du sénateur. Pourrait-il y répondre?

Le président : Monsieur Bhupsingh, pourriez-vous revenir à la première question du sénateur Boisvenu?

M. Bhupsingh : La première question qu’il a posée, je crois, portait sur l’échange de renseignements. J’ai pris note de la question qui s’adresse au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Par votre entremise, monsieur le président, je veillerai à ce que l’information soit fournie au comité.

La deuxième question portait, je crois, sur les paradis fiscaux. Je n’ai rien à ajouter au sujet des commentaires de mon collègue de la GRC, sauf pour dire qu’il existe déjà un certain nombre d’outils à la disposition des organismes d’application de la loi, y compris l’examen de la sécurité nationale, dans le cadre duquel le gouvernement canadien peut examiner toute organisation qui a un investissement direct au Canada. Je pense que cela permettrait à la GRC de mener des enquêtes.

Il y a quelques autres choses importantes dont le comité n’est peut-être pas au courant. Le Parlement est en train d’examiner, par exemple, certaines des répercussions financières de la propriété effective qui sont mises de l’avant et qui permettraient d’éliminer le flou ou l’opacité et d’accroître le niveau de transparence quant à la propriété réelle de certaines de ces entreprises et à l’origine de ces investissements étrangers. Je sais que l’on en discute à l’heure actuelle. Nous espérons qu’il y aura de meilleurs outils pour accroître la transparence en matière de propriété effective.

Enfin, il y a un aspect important des paradis fiscaux qui est mentionné sous l’angle de la source, et il concerne les progrès accomplis par la communauté internationale, semble-t-il, pour faciliter l’échange de renseignements fiscaux. Je sais que l’Agence du revenu du Canada enquête sur l’observation fiscale des entreprises dans les paradis fiscaux. Des discussions assez détaillées ont actuellement cours. Je ne suis pas fiscaliste, mais je dirais simplement que si vous vouliez obtenir plus d’information, nos collègues de l’Agence du revenu du Canada ou des Finances pourraient vous en parler plus en détail.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse autant au représentant de Sécurité publique Canada qu’au représentant de la GRC. Je vous remercie tous d’être ici aujourd’hui.

Dans vos remarques, monsieur Bhupsingh, vous avez dit que la GRC peut témoigner du fait que le crime organisé a été fortement impliqué dans le marché illicite du cannabis. Dans votre présentation, monsieur Daley, vous dites ce qui suit, et on parle ici de crime organisé :

Ces groupes et réseaux criminels sont en place partout au Canada et participent à tous les aspects de la chaîne de distribution du cannabis, y compris production, l’exportation et le trafic.

Ma question est la suivante. Le Groupe de travail sur la légalisation du cannabis a recommandé au gouvernement de revoir le système des personnes désignées, c’est-à-dire pour éliminer cette catégorie. Il s’agit de personnes qui ont une licence de culture du cannabis pour une personne qui est malade et qui utilise le cannabis à des fins médicales. Selon les informations qui ont été portées à l’attention au groupe de travail, ce système de personnes désignées qui cultivent le cannabis serait à la fois utilisé comme voie d’entrée ou voie de sortie pour le marché illicite. Du point de vue de la sécurité publique, quelle est l’intention du gouvernement quant à l’élimination de cette catégorie? Et du point de vue de la GRC, pouvez-vous nous donner plus de détails sur le fait que le crime organisé participe à tous les aspects de la chaîne? Est-ce que vous parlez de la chaîne illicite et de la chaîne qui est devenue légale dans le cas de la consommation à des fins médicales?

[Traduction]

M. Bhupsingh : Je crois que la question de la sénatrice porte sur le régime médical et la catégorie désignée des producteurs, si je comprends. Je répondrais simplement que dans le cadre de ce projet de loi, de nouveaux pouvoirs sont prévus en matière de divulgation des renseignements relatifs à ces personnes, comme les dossiers financiers des entreprises, et ainsi de suite. Je sais que des discussions se poursuivent au sujet du régime médical et des examens de sécurité qui sont en cours en vue de renforcer les accords de licence. Je ne peux vraiment pas parler des liens entre les titulaires de licence et les détenteurs et des liens avec le crime organisé. Je ne suis tout simplement pas en mesure d’en parler. Je n’ai pas vraiment beaucoup d’information.

[Français]

M. Goupil : Pour répondre au premier volet de la question sur le crime organisé dans le processus de production, de la culture jusqu’à l’importation, il n’y a pas beaucoup d’importation de cannabis au Canada. C’est plutôt l’inverse. Il y a eu beaucoup de cas d’exportation, mais, effectivement, le crime organisé est très présent à toutes les étapes, parce qu’il n’y avait pas de modèle légal pour le faire. Que ce soit au Québec, en Ontario ou au Nouveau-Brunswick, il y a beaucoup de champs de culture de cannabis. La vente vers les États-Unis a beaucoup diminué au cours des dernières années. C’était encore le crime organisé qui était impliqué et, jusqu’à un certain point, il faisait la distribution dans les différentes régions canadiennes. Oui, le crime organisé est impliqué. Environ 40 p. 100 des groupes de crime organisé identifiés au Canada sont impliqués dans le marché du cannabis. Ils participent à toutes les sphères où il y a de l’argent à faire. Ils peuvent vendre du cannabis et des drogues chimiques, et être impliqués dans la prostitution. J’espère que cela répond à la première partie de votre question.

En ce qui a trait au régime médical, vous le comprendrez, je ne pourrai pas vraiment aller dans les détails. Mais, oui, il y a des accusions devant les tribunaux. Il y a l’exemple où une compagnie — ou des individus — aurait obtenu une licence pour produire 900 plants de cannabis. Lorsqu’on a eu l’information, il y a eu des mandats de perquisition qui ont été faits et l’on a découvert que, dans certains cas, il y avait 16 000 plants. Donc, il y a eu une surproduction. Nous émettons des accusations dans ces cas. Souvent, ce sont des personnes associées au crime organisé. Elles ont peut-être obtenu un permis parce qu’il n’y avait pas de dossier criminel ou d’affiliation criminelle connue, mais, quelque part, c’est arrivé. Cela peut également arriver après le fait. Une personne peut recevoir un permis et ensuite être approchée par le crime organisé, qui lui demande de produire 1 000 autres plants. C’est souvent en milieu rural. Il y a des dossiers devant les tribunaux, mais je ne peux pas faire plus de commentaires. Effectivement, cela s’est passé, et nous enquêtons selon notre mandat.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Pour faire suite à la question de mon collègue le sénateur Boisvenu et à celle que j’ai posée hier, s’il n’est pas illégal — et je sais que vous avez dit que les provinces peuvent changer cela — pour un jeune de 17 ou 18 ans de posséder jusqu’à 5 grammes de cannabis, où les achètent-ils?

M. Bhupsingh : Tout le monde sait très bien que les jeunes ont actuellement accès au cannabis par l’entremise d’un marché illégal. Comme la consommation de cannabis chez les jeunes au pays est l’une des plus élevées au monde, personne ne peut nier le fait que les jeunes ont accès au cannabis par l’intermédiaire du marché noir.

Le projet de loi C-45 vise à jeter les bases pour essayer de…

La sénatrice Eaton : Monsieur Bhupsingh, je ne veux pas être impolie, mais j’ai entendu hier M. Costen nous dire que la justice est plutôt clémente avec eux. J’aurais cru que le surintendant Daley et n’importe quel policier utiliseraient, dans le respect de la loi, leur pouvoir discrétionnaire. S’ils entraient dans une école secondaire et qu’ils y trouvaient un jeune qui transporte quatre joints dans ses poches, ils jetteraient simplement les joints à la poubelle et donneraient un avertissement au jeune avant de le laisser aller. Mais n’est-ce pas là une façon d’encourager la consommation? Je ne vais pas poursuivre dans la même veine, mais j’aurais trouvé intéressant de vous entendre dire : « Bien sûr, ils doivent l’acheter illégalement sur le marché noir, à moins qu’ils ne le prennent dans le jardin de leur mère », ce qui relève de la question entièrement différente de la supervision parentale.

Puis-je vous poser une autre question? Je ne suis pas jardinière, mais on me dit qu’un plant cultivé à l’intérieur peut produire 150 grammes, alors qu’il peut produire jusqu’à 500 grammes de cannabis séché s’il est cultivé à l’extérieur. C’est jusqu’à 1 500 joints pour un seul plant extérieur, et vous avez le droit d’en cultiver jusqu’à quatre. Cela ne risque-t-il pas de vous causer de nouvelles difficultés?

M. Daley : L’application de la Loi sur le cannabis proposée, dans le cas de la culture à domicile, pose en effet certaines difficultés. C’est un aspect de la loi que nous appliquons actuellement, sur le plan des ressources de première ligne.

Bien souvent, nos agents reçoivent des renseignements sur les raisons pour lesquelles une personne cultive un plant à domicile, et c’est fréquemment pour en faire le trafic. En première ligne, nos enquêtes ont donc tendance à porter davantage sur des activités périphériques comme le trafic, et grâce à des techniques policières comme la simple surveillance, à l’information que nous recueillons auprès des voisins et ce genre de renseignements, nous pouvons mener une enquête sur le trafic. C’est donc ce qui se passe actuellement, et cela…

La sénatrice Eaton : Que pensez-vous des provinces qui vont interdire la marijuana cultivée au Canada? Cela vous faciliterait-il la tâche si je n’avais pas le droit de cultiver quatre plants sur ma terrasse au soleil?

M. Daley : Mon rôle d’agent d’application de la loi n’est pas de… Je ne fais pas la loi. Mon rôle est simplement d’appliquer la loi.

La sénatrice Eaton : Je vous demandais simplement si ce serait plus facile pour vous.

M. Daley : Je recommande une limite fixée par la loi parce qu’il est plus facile d’appliquer la loi lorsqu’elle prescrit des lignes directrices claires. Je le répète, mon rôle est d’appliquer la loi et non d’accepter ou de refuser les décisions du gouvernement fédéral ou des gouvernements provinciaux. La GRC sera prête lorsque la loi proposée entrera en vigueur, et c’est là-dessus que nous nous concentrons.

La sénatrice Batters : Je sais que Sécurité publique Canada vient de mener une petite campagne dans les médias sociaux sur la légalisation de la marijuana. J’en ai vu un des éléments le mois dernier. Le fil Twitter de Sécurité publique Canada contenait ce gazouillis que j’ai imprimé le 20 février. On y voit une photo d’un gâteau aux cerises avec l’inscription :

Les roses sont rouges, tout comme la tarte aux cerises. Rappel amical : Ne conduisez pas gelé #Neconduispasgelé #Journéetarteauxcerises #Journéedurime

J’espère bien que votre gouvernement mènera une campagne dans les médias sociaux beaucoup plus efficace que celle-ci. Je ne sais pas qui se laissera influencer par ce gazouillis.

Je me demande vraiment qui a conçu cette campagne. Faites-vous comme certains ministères dont nous avons entendu parler récemment, qui chargent une personne de s’occuper uniquement de leur fil Twitter pour un salaire de 100 000 $ par année? Avez-vous engagé une entreprise privée pour votre campagne dans les médias sociaux? De quelle entreprise s’agit-il? Quels en sont les coûts? Et s’il s’agit d’une entreprise privée, s’agit-il d’un fournisseur unique ou d’un contrat octroyé par appel d’offres?

Le président : Monsieur Bhupsingh, serez-vous en mesure de répondre à toutes ces questions?

M. Bhupsingh : En fait, je vais demander à notre experte en sécurité publique, qui s’est occupée de nos communications et de notre campagne de sensibilisation du public, de répondre aux questions de l’honorable sénatrice sur cette campagne.

Rachel Huggins, gestionnaire, Développement des politiques, Sécurité publique Canada : Le programme de sensibilisation de Sécurité publique Canada axé sur la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et par le cannabis s’est avéré très efficace. Nous avons signé un contrat avec une entreprise de l’extérieur qui nous aide à concevoir cette campagne, notamment l’annonce que le ministre a publiée en novembre. Nous pourrons certainement vous donner le nom de cette entreprise. Il semblerait qu’elle ait consulté Santé Canada et qu’elle se soit inspirée des messages de sensibilisation de ce ministère. Nous menons aussi d’autres activités sur Facebook et sur Twitter. Des fonctionnaires dévoués s’occupent de cette campagne de sensibilisation, et nous pourrons certainement vous fournir tous les détails à ce sujet.

La sénatrice Batters : Alors, en ce moment, vous ne savez pas le nom de cette entreprise?

Mme Huggins : Je suis désolée, non, je ne sais pas son nom.

La sénatrice Batters : Savez-vous à peu près quel budget annuel on lui a confié?

Mme Huggins : Nous avons des renseignements sur le budget, mais rien de précis sur cette entreprise. Nous connaissons les coûts globaux des activités de sensibilisation du public.

La sénatrice Batters : Quel est ce coût global?

Mme Huggins : Sur la conduite avec facultés affaiblies, nous avons affecté environ 360 000 $ cette année.

La sénatrice Batters : Vous avez prévu 360 000 $?

Mme Huggins : Oui, mais cela ne compte pas la campagne même, qui nous coûte environ 2,3 millions de dollars.

La sénatrice Batters : Pourriez-vous, je vous prie, en obtenir tous les détails, dont le nombre d’employés de Sécurité publique affectés à ce travail ainsi que les coûts qui y sont liés? Vous nous avez dit que ce plan s’est avéré très efficace. Est-ce que cela comprend le gazouillis que je viens de vous citer?

Mme Huggins : Le groupe des communications diffuse plusieurs gazouillis à différents moments. Ce groupe a consulté des jeunes partout au pays, il a mené de nombreux sondages d’opinion pour savoir ce qui les intéresse avant de créer ces annonces.

La sénatrice Batters : Très bien, alors je poursuis. À la partie 1 du projet de loi, à l’alinéa 8(1)e), on peut lire ceci :

Il est interdit à tout individu d’avoir en sa possession plus de quatre plants de cannabis qui sont ni en train de bourgeonner ni en train de fleurir;

Est-ce que l’un de vous pourrait m’expliquer si cet alinéa signifie que l’on pourrait posséder plus de quatre plants si elles bourgeonnent ou fleurissent?

M. Bhupsingh : Monsieur le président, je doute qu’une personne assise à cette table soit en mesure de répondre à la question de l’honorable sénatrice.

La sénatrice Batters : Serez-vous en mesure de former des agents? Tous les témoins qui sont ici participeront activement à la formation des agents au Canada, et vous ne pouvez pas répondre à cette question?

M. Bhupsingh : Je préférerais demander à mes collègues du ministère de la Justice de répondre à cette question afin d’obtenir une réponse claire et de vous répondre avec assurance, madame la sénatrice.

La sénatrice Batters : Pourraient-ils me donner cette réponse en ce moment même?

Le président : Nous avons ici des représentants du ministère de la Justice. Je vois M Saint-Denis et Mme Labelle, qui ont témoigné devant nous hier soir.

Paul Saint-Denis, avocat-conseil, ministère de la Justice Canada : Vous voulez connaître le nombre de plants bourgeonnants?

Le président : Je vois aussi Mme Morency, mais elle se cache derrière M. Bhupsingh. Le président ne voit pas bien si elle se trouve dans la salle.

La sénatrice Batters : Selon l’alinéa 8(1)e) de la version actuelle du projet de loi C-45, une personne n’a pas le droit de posséder plus de quatre plants de cannabis qui ne sont pas en bourgeons ou en fleurs. Cela voudrait-il dire que l’on pourrait posséder légalement plus de quatre plants en bourgeons ou en fleurs?

M. Saint-Denis : Non. En fait, c’est le contraire. On peut posséder jusqu’à quatre plants tant qu’ils ne sont pas en bourgeons. Il est interdit de posséder un plant en bourgeons.

La sénatrice Batters : Il est interdit de posséder un plant en bourgeons ou en fleurs? Aucune?

M. Saint-Denis : C’est cela, oui.

La sénatrice Batters : Vraiment?

M. Saint-Denis : Absolument.

La sénatrice Batters : Ce que je viens de dire est correct?

M. Saint-Denis : Oui.

La sénatrice Batters : Trouvez-vous ce libellé judicieux? Je suis avocate de profession, j’ai examiné de multiples documents législatifs, et je ne sais pas si les Canadiens comprendront que votre projet de loi leur interdit de posséder des plants en bourgeons ou en fleurs. Une fois ce projet de loi adopté, il sera illégal de posséder un plant en bourgeons ou en fleurs.

M. Saint-Denis : Je tiens à souligner que cette restriction s’applique à un lieu public. Il faut donc l’interpréter avec les dispositions sur la production de cannabis, qui prévoient que l’on peut cultiver un maximum de quatre plants. On peut cultiver un maximum de quatre plants dans une maison d’habitation. Ce projet de loi interdit seulement la possession de plants en bourgeons ou en fleurs dans un lieu public.

La sénatrice Batters : Cet alinéa ne mentionne pas un lieu public. On trouve cela à l’alinéa 8(1)d), qui autorise une personne à « avoir en sa possession, dans un lieu public, une ou plusieurs plants de cannabis qui sont en train de bourgeonner ou de fleurir ». L’alinéa d) interdit cela, mais l’alinéa e) interdit à une personne de posséder plus de quatre plants de cannabis qui ne sont pas en bourgeons ou en fleurs. Il ne mentionne aucunement un lieu public.

M. Saint-Denis : On peut posséder, en public ou autre, jusqu’à quatre plants.

La sénatrice Batters : Vous nous dites qu’une fois que ce projet de loi sera adopté, les Canadiens n’auront pas le droit de posséder des plants de marijuana en bourgeons ou en fleurs? Ils enfreindront le projet de loi C-45 s’ils en possèdent.

M. Saint-Denis : Dans un lieu public, oui.

La sénatrice Batters : Cet article ne mentionne aucunement un lieu public.

M. Saint-Denis : Il le mentionne à l’alinéa 8(1)d), alors…

La sénatrice Batters : C’est un alinéa différent. Il ne semble pas s’y appliquer. On n’appliquerait normalement pas l’alinéa d) à l’alinéa e) à moins d’y faire référence.

M. Saint-Denis : Mais l’alinéa e) mentionne un plant qui n’est ni en bourgeons ni en fleurs; ce sont donc les plants que l’on peut posséder jusqu’à un maximum de quatre.

La sénatrice Batters : Je le sais. Je vous dis simplement que ce libellé est mal rédigé. Je crois que les Canadiens seront très confus et qu’ils seraient très surpris d’entendre la conversation que nous tenons maintenant.

[Français]

M. Saint-Denis : Mon collègue de Santé Canada, John Clare, pourrait fort probablement vous donner une réponse à cet effet.

[Traduction]

John Clare, directeur, Affaires politiques, législatives et réglementaires, Santé Canada : Permettez-moi de préciser : cette loi interdit à quiconque de produire plus de quatre plants de cannabis par maison d’habitation. La loi limite la possession à quatre plants en bourgeons ou en fleurs. On lit cela à l’alinéa e). L’alinéa d) interdit de posséder un plant en bourgeons ou en fleurs dans un lieu public.

La sénatrice Batters : Votre collègue de Justice Canada vient de me dire qu’il est interdit de posséder même un seul plant en bourgeons ou en fleurs.

M. Clare : Dans un lieu public. De plus, il est interdit d’en posséder plus de quatre ailleurs.

La sénatrice Batters : Votre collègue du ministère de la Justice m’a dit qu’il est interdit de posséder, dans un lieu public ou autre, un seul plant en bourgeons ou en fleurs, aucune. Je lui ai reposé la question pour que ce soit bien clair, et vous m’avez dit que…

M. Saint-Denis : Je suis désolé, je crois que vous m’avez mal compris. La disposition indique clairement qu’il est interdit de posséder un plant en bourgeons dans un lieu public, pas même une seule.

La sénatrice Batters : C’est ce qu’on lit à l’alinéa d), mais l’alinéa e) ne mentionne aucunement un lieu public.

M. Clare : Vous avez raison, et l’alinéa e) interdit de posséder plus de quatre plants en bourgeons ou en fleurs, où que l’on se trouve.

La sénatrice Batters : Non. L’alinéa e) interdit de posséder plus de quatre plants de cannabis qui ne sont pas en bourgeons ou en fleurs. Quoi qu’il en soit, il me semble qu’il sera nécessaire d’éclaircir ce point. Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous d’être venus. J’allais poser une question similaire à celle de la sénatrice Batters. Ma question portait aussi sur les quatre plants dans une maison d’habitation. Elle vise l’application des moyens de défense. Comme vous le savez, l’article 12 limite la possession à quatre plants, et le paragraphe 86(7) exige que les inspecteurs obtiennent un mandat de perquisition pour entrer dans une maison d’habitation. Comment sauront-ils qu’il se trouve plus de quatre plants dans cette maison? Quel sera le fondement du mandat de perquisition pour plus de quatre plants? Quant au bourgeonnement, je suis sûre que vous nous donnerez une explication tout à l’heure, alors je ne l’inclus pas dans cette question. Comment saurez-vous qu’il s’y trouve plus de quatre plants? Comment obtiendrez-vous le mandat?

M. Daley : Pour appliquer les lois sur le cannabis ou sur toute autre drogue, les services policiers suivent divers processus. Je vais vous expliquer cela d’une manière très générale. Parfois, les voisins nous appellent. Nous recevons une plainte du public. Le grand nombre d’autos ou de personnes qui se rendent à cette maison éveille les soupçons. Ces personnes s’y arrêtent pendant quelques minutes, s’en vont, et d’autres arrivent, et cela génère toute une activité. Alors, quelqu’un nous appelle pour se plaindre. Ensuite, les policiers réussissent à parler à des gens qui savent ce qui se passe dans cette maison, et nous pouvons utiliser ces témoignages.

Nous cherchons toujours à confirmer l’information que nous recevons, quelle qu’en soit la source. Nous pouvons aussi tout simplement surveiller une résidence pour savoir ce qui s’y passe ou non. Comme je vous l’ai dit plus tôt, si l’enquête se poursuit assez loin, nous apprenons souvent qu’il s’y trouve bien plus que quatre plants. On nous apprend qu’il s’y trouve une quantité de plants beaucoup plus élevée. Si ce projet de loi est adopté, nous trouverons du cannabis illicite dans cette maison d’habitation.

Nous accumulerions les renseignements nécessaires en suivant une série d’étapes d’enquête policière. Nous pourrions ainsi présenter ces renseignements au juge en lui expliquant exactement ce que nous soupçonnons et pour quelle raison nous avons besoin d’un mandat de perquisition pour cette résidence.

La sénatrice Jaffer : En présentant ces renseignements, indiqueriez-vous que vous pensez qu’il s’y trouve plus de quatre plants? Comment vous y prendriez-vous?

M. Daley : Bien sûr. Pour obtenir un mandat de perquisition, nous sommes tenus de présenter toute l’information franchement et ouvertement, comme on dit. Les policiers sont tenus de présenter au juge tous les soupçons qu’ils ont sur ce qui se passe dans cette maison. Cela comprendra souvent plus que le fait qu’il s’y trouve plus de quatre plants. Il pourrait s’y trouver d’autres types de drogues, et cetera.

[Français]

Le sénateur Pratte : Surintendant Goupil, j’aimerais poursuivre sur la même lancée que le sénateur Boisvenu. Dans les consultations que le gouvernement a faites sur le cadre réglementaire proposé pour le projet de loi C-45, l’une des inquiétudes le plus souvent mentionnées par les Canadiens est la question de l’infiltration du crime organisé dans l’industrie légale. Dans le bilan des consultations, le gouvernement a annoncé — malheureusement, je n’ai que la version anglaise — qu’il envisageait des mesures…

[Traduction]

… « afin de réduire le risque que des organisations criminelles établissent des relations financières avec les producteurs de cannabis autorisés ».

[Français]

Ils envisagent des mesures comme l’examen des états financiers, et cetera. Évidemment, demander à une entreprise dirigée par des criminels de fournir des renseignements sur ses états financiers ne nous donnera pas grand-chose. Vous avez dit que vous alliez faire enquête si vous aviez des informations. Là encore, cela ne me rassure pas beaucoup. Allez-vous être impliqués de façon systématique lorsque Santé Canada fera des vérifications auprès des entreprises qui demandent des permis pour faire de la production de cannabis de façon légale? Y a-t-il une collaboration systématique qui sera établie ou est-ce seulement lorsque quelqu’un fera une plainte ou dira qu’il y a quelque chose de louche? C’est à ce moment-ci que cette industrie de plusieurs milliards de dollars est en train de s’installer. C’est maintenant que cela se joue.

M. Goupil : Je vous remercie de cette question. En ce qui a trait à la délivrance des permis, c’est le ministre de la Santé qui en a l’autorité. Présentement, notre rôle est un rôle de soutien. Santé Canada fera une requête de vérification de demande de permis par une compagnie ou un individu qui a posé sa candidature pour l’obtention d’un permis. Il y a une section spécialisée de la GRC qui fera une recherche dans les dossiers criminels et d’enquêtes et dans l’information d’autres services policiers auxquels nous avons accès jusqu’à un certain point. Une fois cette étape franchie, le rapport sera envoyé à Santé Canada et celui-ci décidera, selon les renseignements obtenus, s’il est bon de délivrer un permis ou pas. À l’étape de la demande, le rôle de la GRC se limite à produire et à vérifier les dossiers afin de déterminer si une personne ou une compagnie est impliquée ou aurait un lien avec le crime organisé.

Le sénateur Pratte : Êtes-vous persuadés d’être réellement en mesure de voir ce qui se cache derrière les données financières de base qui seront fournies et d’être en mesure de retrouver les liens potentiels avec le crime organisé? Parce que les enquêtes sur les crimes financiers sont parmi les enquêtes les plus complexes à mener, d’après ce que j’ai toujours entendu dire, même si je n’y connais rien. Vous n’aurez pas quatre ans devant vous pour trouver le lien. Des permis seront octroyés. C’est une question de mois.

M. Goupil : Effectivement. La section qui effectue ces vérifications a accès à beaucoup de données. Ce n’est pas une section qui travaille sous l’autorité de la section du crime organisé. Je ne sais pas à quel niveau. Je doute qu’il y ait de l’information financière sur ces compagnies, mais je pourrais obtenir une réponse pour vous, le cas échéant. Les recherches sont tout de même assez limitées. Comme vous le dites, si la compagnie qui fait une demande de permis est inscrite dans un paradis fiscal ou qu’il s’agit d’un beneficial ownership, dans ce cas, c’est très difficile d’obtenir les données. Je pourrais obtenir plus d’information sur l’étendue des recherches qui sont faites et vous fournir les réponses.

Le sénateur Pratte : Je vous en serais reconnaissant.

Le sénateur Carignan : Je vous entends dire que vous allez faire votre travail pour vous assurer que la loi sera appliquée et que les objectifs seront atteints. Je crois en votre bonne foi, mais, en réalité, je suis inquiet et je vais vous expliquer pourquoi. Les dispositions qui traitent de la conduite avec les facultés affaiblies par les drogues et les experts en reconnaissance de drogue ont été adoptées, de mémoire, en 2008. Je ne sais pas si nous sommes à la même place, vous et moi, mais il s’agit approximativement de la date de l’adoption de ces dispositions.

Nous avons demandé aux représentants du ministère de la Sécurité publique, à la suite du témoignage du ministre Goodale, de nous expliquer comment se faisait la répartition des experts en reconnaissance de drogues, ainsi que leur nombre.

La réponse qu’on a obtenue, c’est que, en date du 1erfévrier 2018, il y en avait 665, dont 196 dans la GRC. La majorité des experts en reconnaissance de drogue se trouvent dans les corps municipaux. Vous vous occupez de 1 050 municipalités, vous avez 196 experts en reconnaissance de drogue à la GRC. Combien y en a-t-il dans les Territoires du Nord-Ouest, qui est une vaste région? Vous en avez un seul. Au Yukon, vous en avez un seul.

Comment pouvez-vous nous expliquer cela alors qu’une loi qui prévoit des experts en reconnaissance de drogue est en vigueur depuis 2008? La GRC prévoit un seul expert en reconnaissance de drogue au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest. N’y a-t-il pas un problème de drogue dans ces régions?

[Traduction]

M. Daley : La sécurité routière est sans aucun doute une priorité pour nous tous dans cette salle et pour tous les Canadiens. Dans le cadre de mon domaine de compétence dans les Services de la circulation, je peux vous dire que nous avons actuellement, dans tout le Canada, 718 experts en reconnaissance de drogues, dont 202 agents de la GRC. Donc, pour répondre à votre premier point, cette majorité d’experts relève d’autres services de police.

Nous renouvelons continuellement ce programme. Pour 2018-2019, par exemple, nous offrons jusqu’à 22 cours de formation. Nous avons été en mesure de dresser une carte pour nous faire une idée visuelle des endroits où nous avons des experts en reconnaissance de drogues dans chaque province, ce qui permet aux candidats de suivre le cours là où ils seront nécessaires pour appliquer la loi dès qu’elle entrera en vigueur.

Vous avez mentionné les Territoires du Nord-Ouest. Il s’y trouve quatre experts en reconnaissance de drogues dans cette région. La GRC se heurte entre autres au fait que ces experts doivent continuellement se déplacer et que nous devons souvent remplacer nos effectifs dans ces régions-là.

Dans la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies en général, l’expert en reconnaissance de drogues est crucial. Nous nous concentrons également sur la sobriété sur le terrain et sur d’autres moyens de faire respecter la loi non seulement dans le cas de la consommation d’alcool, mais dans le cas la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

À mon avis, nous avons pris les mesures nécessaires pour nous préparer. La GRC dirige le programme pour la communauté policière au Canada, sous l’autorité de l’Association internationale des chefs de police. Ce programme de reconnaissance de drogues est très réglementé.

Nous avons aussi établi des centres de certification au Canada. La majeure partie de la formation pour la certification se fait aux États-Unis. Les cours en classe se donnent au Canada. Nous nous efforçons d’affecter stratégiquement nos ressources là où elles sont nécessaires.

Certains suggéreront qu’il ne sera pas nécessaire d’affecter un expert en reconnaissance de drogues en tout temps dans les localités tant qu’un expert se tient à disposition pour fournir l’ensemble des compétences requises. Toutefois, je peux vous dire en toute connaissance de cause que la GRC prend ces mesures pour que la formation se poursuive et que les ressources soient bien placées dans toutes les régions dont elle est responsable.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma deuxième question concerne le contrôle du service de la poste. Selon le projet de loi, l’achat d’un maximum de 30 grammes par une personne de plus de 18 ans est autorisé. Actuellement, une grande partie du trafic de vente illégale se fait en ligne et la drogue est livrée par la poste. Sur certains sites, on va même jusqu’à rassurer la clientèle en affirmant qu’aucune accusation n’a jamais été portée pour avoir acheté du cannabis par l’entremise de Postes Canada.

Si vous n’arrivez pas à contrôler le trafic par la poste à l’heure actuelle, comment pouvez-vous nous assurer qu’avec la légalisation, vous serez en mesure de le faire? Il faudra surveiller le trafic entre les provinces, car certaines provinces ne le permettront pas. Il faudra surveiller le trafic vers l’extérieur du pays, plus particulièrement vers les États-Unis. Je vous rappelle que, depuis la légalisation au Colorado, l’un des enjeux les plus importants est l’augmentation de la saisie de drogue par la poste.

M. Goupil : Le trafic de stupéfiants par la poste est un problème de plus en plus fréquent. Il y a le cannabis, mais de façon plus importante, le fentanyl est une préoccupation pour nous. Nous travaillons présentement de façon conjointe avec l’Agence des services frontaliers pour ce qui est du volet international. Nous travaillons également avec Postes Canada pour trouver des mécanismes plus efficaces permettant de cibler le commerce de drogue par courrier. Effectivement, c’est un problème qui est de plus en plus difficile à cerner.

Vous comprendrez que la personne qui envoie des colis, habituellement, n’inscrit pas son nom et son adresse réelle sur l’enveloppe. C’est très difficile à identifier. Nous avons eu du succès lors d’une enquête internationale, entre autres, mais c’est un phénomène qu’on étudie.

Un vendeur sur le Web invisible peut vendre toutes les substances possibles, ce sont de vraies pharmacies. Nous nous penchons sur ce dossier, mais c’est un gros défi, je l’admets. Nous sommes là, mais le volume est immense. Nous devons faire des choix quant à nos priorités. Habituellement, nous nous tournons vers les organisations criminelles plus importantes. Je reconnais que c’est un défi. Nous avons fait des démarches et conclu des ententes. Nous travaillons avec des agences fédérales et provinciales, que ce soit la Police provinciale de l’Ontario ou la Sûreté du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Tout d’abord, je tiens à vous remercier d’avoir répondu à la première question de mon collègue sur votre niveau de préparation à la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies. Je suis content que nous parlions de ce problème, parce que nous avons presque terminé notre étude du projet de loi C-46 et que je suis parmi ceux qui pensent que nous devrions adopter ce projet de loi dans les plus brefs délais.

Je voudrais revenir au thème de notre discussion d’aujourd’hui, qui est le projet de loi C-45. En ce qui concerne l’incidence de ce projet de loi sur l’infiltration du crime organisé dans le marché du cannabis, je pense que nous comprenons tous que le crime organisé ne disparaîtra pas de sitôt et qu’il a bien démontré ses capacités d’adaptation. Mais j’aimerais savoir quel impact vous pensez que ce projet de loi aura avec le temps sur les activités du crime organisé. Je ne vous demanderai pas de nous dévoiler si vous appuyez le projet de loi ou non; je comprends les limites du rôle important que vous assumez. Le projet de loi C-45 vous aidera-t-il à lutter contre le crime organisé et à vous efforcer de le maintenir aussi loin que possible du marché du cannabis? J’aimerais vraiment savoir ce que vous en pensez.

M. Goupil : En ce qui concerne le crime organisé, il y a deux façons de voir les choses. Bien entendu, nos unités fédérales partout au Canada ont pour mandat de cibler les plus grandes menaces au sein des collectivités. Il est important de les évaluer. Nous devons examiner le cannabis et d’autres substances qui posent problème.

Par ailleurs, la GRC, la Police provinciale de l’Ontario et la Sûreté du Québec ne ciblent pas le produit comme tel. Nous ciblons les groupes du crime organisé. Dans l’environnement actuel, lequel est le plus menaçant? Nous travaillons avec les provinces ainsi qu’avec les services de police provinciaux et municipaux pour définir les rôles que chacun va assumer.

Donc, quand vous demandez ce que le projet de loi C-45 va changer pour nous, en ce qui concerne le crime organisé de haut niveau, il ne va pas changer grand-chose, pour vous dire la vérité, parce que nous travaillons surtout sur l’importation, l’exportation et la culture aux niveaux les plus élevés. Nous nous occupons des principales menaces.

Cela aidera davantage les agents de première ligne. En effet, cela libérera les agents de première ligne dans les collectivités qui, au départ, n’auront plus à sévir pour des choses comme la possession simple, par exemple. Comme on l’a mentionné hier, cela désengorgera tout le système judiciaire.

Avec le projet de loi C-45, le crime organisé perdra certainement une part du gâteau. Beaucoup de consommateurs, s’ils ont le choix — même si c’est plus coûteux —, opteront pour une source licite plutôt que pour le revendeur du coin. Nous verrons donc certains avantages.

En attendant l’adoption du projet de loi C-45, nous suivons une nouvelle stratégie qui consiste à examiner l’environnement, afin d’évaluer vraiment, en particulier pour le cannabis, comment le crime organisé est touché par le projet de loi C-45 et comment il s’adaptera au nouvel environnement. Nous avons aussi le Service canadien de renseignements criminels, qui nous donnera une idée de la situation et nous dira sur quoi nous devrions mettre l’accent. Nous allons réévaluer notre stratégie et peut-être décider de cibler des groupes qui participent à cela.

Toutefois, comme on l’a mentionné plus tôt, environ 40 p. 100 des organisations criminelles au Canada sont impliquées d’une façon ou d’une autre dans le commerce du cannabis, à différentes étapes.

Le sénateur Gold : Nous avons entendu des témoignages sur l’adaptabilité du marché illicite. Un certain nombre de facteurs influeront sur le choix des Canadiens de passer du revendeur du coin aux points de vente légaux prévus dans leur secteur de compétence. Ces facteurs sont l’accessibilité, la diversité des produits et les prix. Il serait donc important que les renseignements que vous recueillez auprès de la division soient communiqués à d’autres. Pouvez-vous décrire un peu le genre de mécanismes de collaboration et de consultation que les différents intervenants, qu’il s’agisse des responsables de l’application de la loi, de la santé publique ou d’autres, mettent en place pour que la rétroaction découlant de cette expérience soit la plus utile possible et que des ajustements puissent être faits aux niveaux fédéral, provincial ou autre, de sorte que lorsque nous examinerons la loi, une fois qu’elle sera adoptée, nous aurons vraiment les meilleurs renseignements possible?

M. Goupil : Je vais essayer de répondre à votre question. Vous me direz si la réponse vous satisfait.

Différents organismes au Canada suivent et évaluent le crime organisé. La Réponse intégrée canadienne au crime organisé en fait partie, et les principaux services de police y sont représentés. Il y a aussi le Service canadien de renseignements criminels, qui est géré par la GRC, dont le mandat est de fournir des renseignements sur ce qui se passe au sein du crime organisé au Canada et qui a un réseau dans les provinces. Dans ce cas-là aussi, tous les grands services sont représentés.

Nous nous réunissons régulièrement. Des réunions régulières se tiennent à différents niveaux, où l’information est partagée et où les objectifs ou les priorités sont définis. C’est là que nous pouvons évaluer davantage ce qui existe et quelles sont les menaces. Ensuite, nous nous entendons sur les mesures à prendre pour nous attaquer aux phénomènes ou les combattre.

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question, mais des communications sont prévues et des rapports sont produits. Quand je parle de l’application de la loi, cela inclut aussi l’Agence des services frontaliers du Canada.

Le sénateur Gold : Merci beaucoup de votre réponse. Elle nous est utile.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous de vos exposés. J’aimerais savoir comment Sécurité publique Canada traitera le transport transfrontalier de marijuana. Nous savons tous que si le projet de loi C-45 est adopté, la possession de moins de 30 grammes de marijuana ne sera plus un crime au Canada, et ce n’est pas un crime non plus dans certains États américains, comme l’Alaska et Washington, qui ont des frontières terrestres avec le Canada. À votre avis, les Américains de ces États seront-ils autorisés à traverser la frontière canadienne avec du cannabis acheté légalement aux États-Unis?

M. Bhupsingh : Non. Toutes les importations et les exportations de cannabis, peu importe leur quantité ou si elles respectent la limite nationale de 30 grammes, seront illégales.

L’Agence des services frontaliers du Canada fait un certain nombre de choses pour se préparer à l’adoption du projet de loi. Par exemple, je sais qu’on est en train d’élaborer une question à l’intention des voyageurs en ce qui concerne le cannabis, semblable à celle déjà posée au sujet du contrôle des marchandises prohibées, comme les armes à feu, les armes, les aliments ou les produits d’origine animale, afin d’encourager les voyageurs à se conformer aux règles relatives à l’importation de cannabis au Canada.

Je sais que beaucoup de temps est également consacré à l’élaboration d’outils de sensibilisation, y compris des affiches destinées aux points d’entrée, ainsi que des campagnes de sensibilisation en ligne pour informer les voyageurs de façon proactive du maintien de l’interdiction des mouvements transfrontaliers entre les deux pays.

Je sais également qu’il y a des discussions et des négociations poussées en cours concernant la mise à jour des ententes avec les principaux partenaires des organismes d’application de la loi, afin de s’assurer qu’il y a une réponse solide des forces de l’ordre pour les activités criminelles liées au cannabis qui se déroulent à la frontière.

Le sénateur McIntyre : Si vous me le permettez, y aura-t-il un problème de précontrôle? Entrevoyez-vous un problème à ce niveau?

M. Bhupsingh : Comme représentant de Sécurité publique, je ne suis pas en mesure de répondre aux questions sur le précontrôle.

Le sénateur McIntyre : J’ai le privilège de siéger au Comité de la sécurité nationale et de la défense. Len Saunders, avocat d’un cabinet d’avocats spécialisé en droit de l’immigration, a témoigné devant le comité, lundi de cette semaine, et l’a informé que non seulement il y aurait un problème de précontrôle, mais que ce problème allait empirer. Il nous a même indiqué que les États-Unis continueront de refuser l’entrée aux Canadiens qui admettent avoir fumé de la marijuana ou en avoir eu en leur possession, même si le cannabis devient légal. M. Saunders a représenté des Canadiens arrêtés ou dont on a refusé l’entrée aux États-Unis pour possession de marijuana ou pour avoir admis avoir consommé de la marijuana. Il était donc bien placé pour répondre à nos questions. Je ne peux pas croire que vous ne puissiez pas répondre à ma question sur le précontrôle. Il a affirmé catégoriquement que les Canadiens se verront refuser l’entrée aux États-Unis s’ils admettent avoir fumé de la marijuana.

M. Bhupsingh : Je vais demander à mes collègues de l’Agence des services frontaliers du Canada de vous fournir une réponse. Ce qu’on me dit, dans mes discussions avec l’Agence des services frontaliers du Canada et le CBP, c’est que le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis ne changera pas de position en ce qui concerne la question sur le cannabis et les questions aux voyageurs en général. Je peux faire un suivi auprès de mon collègue, monsieur le président, afin de fournir une réponse plus complète au sénateur.

Le sénateur McIntyre : Pouvez-vous nous le confirmer par écrit?

M. Bhupsingh : Monsieur le président, j’obtiendrai une réponse de l’Agence des services frontaliers du Canada.

La sénatrice Boniface : Je tiens à vous remercier tous de votre présence et des renseignements que vous nous avez fournis.

J’aimerais revenir à la question du sénateur Gold sur le crime organisé. Comme vous le savez sans doute, au Colorado, la légalisation a réduit d’environ les deux tiers le crime organisé. Un problème reste encore à régler. Lorsque vous parlez de prévoir l’impact, je suppose que la démarche serait très typique et ferait intervenir le Service canadien de renseignements criminels et d’autres experts, chaque année, au moment d’évaluer où se situent les difficultés.

Le deuxième point a trait au fait de cibler un groupe du crime organisé, et non pas nécessairement le produit, tous les groupes étant probablement impliqués dans plus d’un produit et la démarche devant donc se faire à plusieurs niveaux pour ce qui est de la façon dont vous travaillez et de ce que vous examinez. À mesure que vous avancerez en ce qui a trait à vos activités et à votre fonctionnement, le changement aurait en fait trait aux nouveaux renseignements obtenus et à l’adaptation de votre réponse en conséquence, n’est-ce pas?

M. Goupil : Oui, vous avez raison, madame la sénatrice. Bien sûr, nous avons des priorités que nous nous sommes fixées. Encore une fois, nous réexaminons constamment la question, compte tenu des renseignements dont nous disposons sur le plan des mesures d’application de la loi, les décisions à ce chapitre étant évidemment prises par la haute direction.

Notre stratégie consiste à nous occuper des différents groupes criminels qui, comme vous l’avez mentionné à juste titre, sont habituellement impliqués. Pour ce qui est des derniers mois et des groupes dont nous avons perturbé les activités, on parle de cocaïne, de tabac, de marijuana et j’en passe. Ils sont impliqués là où ils peuvent faire de l’argent. Par conséquent, la plupart du temps, lorsque nous perturbons les activités d’une organisation criminelle, nous perturbons aussi une partie du marché du cannabis, du processus.

La sénatrice Boniface : Je crois comprendre que le Service canadien de renseignements criminels diffuse également ses renseignements à des organismes individuels, ainsi qu’à une entité provinciale dans chaque province. C’est donc dire que vous obtiendrez de l’information des municipalités locales, jusqu’au niveau fédéral et international, information qui sera publiée une fois par année.

Je pense au contexte. Vous avez beaucoup d’information à tirer de l’expérience de l’alcool, du tabac, du jeu et de la légalisation du jeu et de certains des changements qui se sont produits sur le plan de l’évolution du crime organisé. Vous avez dit que vous aviez des ressources à consacrer à cette fin, et je présume que vous tentez aussi de déterminer comment d’autres administrations ont été touchées. Ai-je raison?

M. Goupil : Vous avez tout à fait raison. Je rencontre régulièrement mes homologues. À mon niveau, les rencontres se tiennent avec la Police provinciale de l’Ontario, la Sûreté du Québec et d’autres corps policiers. Comme vous l’avez mentionné à juste titre, le Service canadien de renseignements criminels a un bureau dans chaque province, et ces bureaux ont des antennes dans tous les services de police municipaux. Un produit fini est publié une fois par année, mais nous nous réunissons plus d’une fois par année. Nous tenons des réunions tous les trois mois ou parfois plus, au besoin. Il y a donc cet échange d’information.

Avec le projet de loi C-45, nous avons eu des discussions sur la façon dont nous aborderons les différentes enquêtes qui pourraient être menées, surtout avec l’Ontario et le Québec, où il existe un mandat provincial pour déterminer qui, par exemple, va s’occuper de la culture. Ce sont des discussions que nous avons régulièrement.

La sénatrice Boniface : Merci.

Le sénateur Sinclair : J’ai quelques questions. L’une concerne les services de police et l’autre, la campagne médiatique. J’aborderai la question de la police en deuxième lieu, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

J’ai une question au sujet de la campagne de sensibilisation du public que vous prévoyez mener, et j’aimerais savoir plus précisément si vous avez élaboré et envisagé d’élaborer une campagne de sensibilisation dans les médias ciblant les jeunes Autochtones, ou les collectivités autochtones, plus particulièrement, parce qu’ils sont parmi les plus vulnérables en ce qui concerne la sensibilisation à la toxicomanie et les besoins en la matière. En ce qui a trait à la disponibilité du cannabis en particulier, il y aura évidemment une augmentation. Par conséquent, je pense que la nécessité de sensibiliser davantage les gens aux répercussions possibles sur les personnes est plus grande dans ces collectivités, et qu’en raison de leur éloignement, l’accès aux médias y est très limité. Que faites-vous de particulier pour la communauté autochtone en matière de sensibilisation?

M. Bhupsingh : Le sénateur a soulevé un point très important au sujet de la nécessité d’adopter des approches très précises et adaptées aux collectivités autochtones. Je vais encore une fois demander à Mme Huggins, qui s’occupe de nos communications, de vous parler un peu de certaines des choses qui sont faites et prévues. En fait, je vais plutôt passer la parole à Mme Lavoie.

Kimberly Lavoie, directrice, Politiques de la drogue, Sécurité publique Canada : Nous avons pris un certain nombre de mesures en collaboration avec nos collègues de Santé Canada, qui dirigent les efforts de sensibilisation du public au sujet du projet de loi C-45. À cette fin, ils ont rencontré toutes les organisations autochtones nationales, l’Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis, ainsi que l’Inuit Tapiriit Kanatami, afin de s’assurer de bien répondre aux besoins de chaque collectivité. Je crois savoir que des ressources seront disponibles pour des campagnes de sensibilisation précises à l’intention de ces populations, si elles le souhaitent. Certaines sont plus avancées que d’autres dans ce domaine. Nous avons également travaillé avec elles pour fournir de l’information, et des responsables se sont rendus dans toutes les collectivités qui en ont fait la demande, afin de parler des répercussions de la loi et de ce qu’elle signifie, souvent en collaboration avec les autorités provinciales ou territoriales concernées.

En ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, nous avons communiqué directement avec l’Association des chefs de police des Premières Nations pour déterminer quels seront ses besoins, mais nous devons également présenter un exposé à sa conférence générale annuelle, le mois prochain. Nous avons également contacté des Premières Nations membres de l’Association canadienne de gouvernance de police, ainsi que le Comité autochtone de l’Association canadienne des chefs de police.

En plus du travail que nous faisons avec les provinces et les territoires, nous leur avons expressément indiqué qu’ils doivent avoir un plan stratégique qui tient compte des besoins des collectivités rurales, éloignées et autochtones et qu’ils doivent veiller à ce que suffisamment de formation soit prévue pour les agents dans ces régions. Nous nous occupons également de nos services de police auto-administrés pour nous assurer qu’ils ne sont pas laissés pour compte, à mesure que nous progressons, et nous veillons aussi à ce que leurs besoins en matière de formation soient comblés.

Le sénateur Sinclair : Merci.

En ce qui concerne la GRC, je m’interroge sur le besoin de ressources supplémentaires pour les services de police dans les collectivités autochtones. La plupart des collectivités autochtones au Canada profitent des services de la GRC, sauf en Ontario et au Québec. Ce qui m’inquiète, c’est qu’avec la disponibilité accrue des produits du cannabis, il y aura probablement une plus grande consommation de ces produits chez les Autochtones et un certain impact sur les collectivités, ce qui devrait entraîner des problèmes de maintien de l’ordre et une augmentation des besoins des services de police. Avez-vous l’intention d’augmenter les ressources pour les collectivités des Premières Nations en particulier, mais aussi pour les collectivités métisses et inuites éloignées, compte tenu du fait qu’à l’heure actuelle, dans bon nombre d’entre elles, les services sont fournis par avion sur demande. Je pense que de nombreuses collectivités autochtones sont préoccupées par les répercussions possibles de ce projet de loi sur elles.

M. Daley : Je peux en parler. Pour revenir à votre première question, j’aimerais ajouter, comme vous le savez sans doute, que les rapports de la GRC avec les collectivités autochtones remontent à loin. Nous offrons des services de police à un grand nombre de collectivités du Canada. Un de nos objectifs stratégiques est de contribuer à la sécurité et à la santé des collectivités autochtones.

À cette fin, pas plus tard qu’hier soir, pour ce qui est de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, nous avons lancé une campagne dans les médias sociaux, une courte capsule décrivant les dangers de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue au moyen d’une animation, qui a beaucoup été vue et qui a suscité beaucoup de commentaires de la part des jeunes Autochtones. Dans le cadre de ce que nous avons appelé la police contractuelle autochtone, nous avons des ressources précises pour élaborer des produits qui seront utilisés dans les collectivités autochtones.

Nous avons la chance de visiter plus de 5 000 écoles au Canada, dont plusieurs dans des régions éloignées. J’ai parlé à mes collègues du Nunavut, pas plus tard que la semaine dernière, au sujet de la participation des jeunes, et cetera, et c’est certainement une priorité que nous prenons très au sérieux.

Nous avons toute une gamme de ressources disponibles, y compris des sites web sur la prévention du crime. Nous avons élaboré des plans de cours qui portent sur la marijuana, les mythes entourant la marijuana et la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Ces plans de cours sont accessibles aux enseignants, par exemple, s’ils veulent faire ce genre de formation en classe. Nous prenons la chose très au sérieux et nous continuerons de le faire une fois qu’il y aura légalisation.

Pour ce qui est de votre deuxième point au sujet des ressources, il faut rappeler qu’il s’agit d’un projet de loi. Lorsque la légalisation sera chose faite, nous reconnaissons qu’elle aura des répercussions sur les ressources, surtout dans nos collectivités autochtones. Il existe maintenant des mécanismes entre le gouvernement territorial et Sécurité publique Canada. Comme dans le cas du crime organisé, il s’agit de réévaluer les ressources et les besoins en fonction de ce qui se passe dans une collectivité donnée.

Je pense que ce qu’il faut essentiellement, c’est un dialogue continu entre les collectivités et les gouvernements, afin d’assurer un soutien et de répondre aux attentes du gouvernement et des collectivités. Les services de police ont parfois tendance à se placer au milieu. Je crois savoir que le comité sénatorial se réunira la semaine prochaine pour discuter des questions autochtones. Nous encourageons certainement un dialogue ouvert, afin de répondre aux besoins des collectivités et du gouvernement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Goupil, vous avez dit plus tôt avoir apporté un soutien au ministère de la Santé dans le cadre de la délivrance des permis de production n’est-ce pas?

M. Goupil : Effectivement, oui.

Le sénateur Boisvenu : Lorsque vous faites l’analyse du curriculum du producteur ou des investisseurs, est-ce que vous avez accès aux données fiscales de l’investisseur et aux données fiscales que possède le ministère du Revenu national?

M. Goupil : Pouvez-vous répéter votre question?

La sénatrice Bovey : Lorsque vous étudiez le profil de l’investisseur, vous dites que vous vérifiez s’il y a des antécédents criminels, et cetera. Lorsque vous faites votre analyse de l’acceptabilité du producteur qui va investir dans la production de la marijuana, sachant que ces producteurs investissent de l’argent qui provient de paradis fiscaux, avez-vous accès, dans votre analyse, aux données fiscales de ces investisseurs qui appartiennent au ministère du Revenu national?

M. Goupil : Merci pour la clarification. Non, lors des vérifications, nous n’avons pas accès aux données de l’Agence du revenu.

Le sénateur Boisvenu : En 2013, vous avez transmis une note à l’Association canadienne des chefs de police. C’est une traduction de l’anglais au français, et vous avez affirmé ce qui suit :

Il ne manque pas de groupes criminels qui ont présenté une demande pour produire de la marijuana médicinale sous le nouveau régime de Santé Canada (MMPR), y compris des membres autoproclamés des Hell Angels et des associés de groupes du crime organisé transnationaux.

Cette information a été divulguée par Radio-Canada en 2017. Est-ce que le comité pourrait avoir accès au document que vous avez produit quant à cette information?

M. Goupil : On pourrait certainement demander s’il y a un peu plus de détails. On peut faire la recherche quant à la provenance de cette information et remettre le document au comité.

Le sénateur Boisvenu : Parfait.

La loi prévoit de suspendre le permis d’un demandeur s’il a enfreint la loi. La période d’exclusion est de 10 ans. J’ai deux questions : sachant que c’est une industrie très à risque, est-ce que cette période ne devrait pas être plutôt de 20 ans? Dans le même article de loi, on indique que le ministre « peut » refuser dans ces cas une demande de permis. Est-ce qu’on ne devrait pas plutôt indiquer « doit » refuser?

M. Goupil : Puisque c’est une question juridique, je crois que mes collègues de Justice Canada ou de Sécurité publique Canada seraient mieux en mesure d’y répondre.

Le sénateur Boisvenu : Je vais répéter ma question. La loi prévoit, dans les cas où un producteur ne la respecte pas, une exclusion de 10 ans. Comme on est devant une industrie à haut risque en termes de pénétration du marché criminel, est-ce que cette exclusion de 10 ans ne devrait pas être plutôt de 20 ans pour éviter de permettre à ce contrevenant de réinvestir? Dans la disposition sur l’exclusion, le ministre peut exclure le contrevenant pour une période de 10 ans, mais est-ce que cela ne devrait pas être « doit l’exclure » pour une période de 10 ans ou de 20 ans?

[Traduction]

M. Clare : Monsieur le président, je peux répondre à la question de monsieur le sénateur.

Il parle des dispositions relatives aux licences et permis de la partie 3 du projet de loi, qui donnent au ministre de la Santé le pouvoir de délivrer des permis pour la production, la transformation, la distribution et la vente commerciales de cannabis. Il parle des motifs du refus d’une demande de permis.

Il s’agit essentiellement des motifs pour lesquels le ministre peut refuser une demande de permis. Il a raison de dire que l’un des motifs de refus énoncés est que le demandeur a contrevenu, au cours des 10 dernières années, à une disposition de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou de la Loi sur les aliments et drogues. Cela peut effectivement constituer un motif de refus.

J’aimerais également souligner que le premier motif de refus, c’est quand le ministre estime que le demandeur poserait un risque pour la santé ou la sécurité publique, y compris le risque que le cannabis soit détourné vers un marché illicite ou serve à une activité illicite. C’est aussi un motif de refus qui est beaucoup plus vaste et qui pourrait comprendre tout type d’antécédents ou d’activités criminels qui, selon le ministre, présentent un risque pour la santé et la sécurité publiques.

Le dernier point que j’aimerais faire valoir, c’est que c’est au niveau de la loi et de la demande de permis en soi. La discussion qui a eu lieu aujourd’hui porte, en partie, sur la démarche entreprise par Santé Canada en vue de fournir ce que la loi appelle une habilitation de sécurité pour les employés clés ou les participants d’organisations autorisées. Comme c’est le cas actuellement avec le Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, le système médical, dans le cadre proposé, les employés clés et les personnes associées à une exploitation autorisée — les membres du conseil d’administration, les dirigeants et les administrateurs de l’entreprise, les personnes responsables au sein de l’organisation — doivent obtenir une habilitation de sécurité du ministre de la Santé.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que vous nous donnez un cours 101, mais ma question n’était pas là. Si l’on est devant une industrie à haut risque, la durée d’exclusion d’un contrevenant prévue par la loi ne devrait-elle pas être de 20 ans au lieu de 10 ans? La réponse est simple : oui ou non.

[Traduction]

M. Clare : La loi, dans sa version actuelle, prévoit un motif de refus s’il y a eu contravention au cours des 10 années précédentes. Comme je l’ai dit, il y a d’autres motifs de refus qui pourraient être invoqués si, de l’avis du ministre, les antécédents de la personne au-delà de ces 10 ans posent un risque pour la santé ou la sécurité du public.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à la GRC et à Sécurité publique Canada. Certains pays sont assez transparents dans la structure de leur marché. Vous dites dans vos présentations que le crime organisé génère des profits importants, mais que nous n’en avons pas une image claire. Avez-vous des données sur la structure, du sommet de la hiérarchie jusqu’aux « petites mains » de la drogue, comme le disent les Français?

Autrement dit, si l’on regarde le commerce dans son ensemble, nous constatons qu’il y a des chiffres astronomiques avec des réseaux un peu flous. Si l’on parle d’adopter un projet de loi comme celui-ci, il y a un élément sur lequel on n’a pas beaucoup de prise. J’aimerais connaître votre opinion sur cette partie de l’information. Comment est-ce que cela part de revenus astronomiques et combien y a-t-il d’étages intermédiaires? Je vous réfère à un article du journal Le Monde du 18 janvier dernier, qui est extrêmement précis sur la structure d’un réseau, des niveaux intermédiaires jusqu’aux jeunes qui font le trafic au coin de la rue.

J’aimerais que vous nous aidiez à comprendre ce dont on parle de façon plus précise lorsqu’on affirme que le crime organisé génère des profits astronomiques. Combien de niveaux y a-t-il jusqu’au jeune du primaire qui vend au coin de la rue chez nous? Quelles sont les données et que pouvez-vous nous en dire? J’ai parlé de l’école primaire, mais j’aurais pu parler du parc du quartier aussi.

M. Goupil : Je vous remercie de cette question. Je vais essayer d’y répondre dans la mesure du possible. Il s’agit davantage d’une étude du phénomène du crime organisé. Si l’on regarde les structures historiquement, chaque fois qu’il y a un mégaprogrès ou des accusations, on voit — autant au Canada qu’à l’étranger — que les structures changent afin de mieux se protéger contre les enquêtes criminelles et les sources d’information.

Pour répondre à votre question, la structure est un peu différente en ce qui concerne le cannabis, parce que le Canada en produit. Il y a donc moins de niveaux comparativement à la cocaïne, où des cartels sud-américains sont impliqués. Puisqu’il y a moins de niveaux au Canada en ce qui concerne le cannabis, il est commun de voir qu’un groupe criminel s’occupe de la production, de la culture et du trafic. Habituellement, dans la rue, ce sera les gangs de rue ou même, jusqu’à un certain niveau, des personnes qui ne sont pas nécessairement impliquées dans un gang, car la vente du cannabis est plus étendue que celle de certaines autres drogues.

Il y a donc moins d’échelons et d’intermédiaires, qui sont souvent contrôlés par une même organisation criminelle. Chaque groupe criminel a ses spécialités. Un certain groupe ne sera pas spécialisé dans le cannabis, mais s’il transige avec un groupe américain qui veut du cannabis, ce groupe ira voir un autre groupe. Il y a une certaine communication ou interaction entre les groupes criminels. Nous le voyons souvent. Il y a donc beaucoup moins d’échelons dans le marché du cannabis que pour les autres drogues.

La sénatrice Dupuis : Est-ce que le trafic humain est davantage lié au cannabis qu’à d’autres types de drogue dans le monde du crime organisé, prostitution et autres?

M. Goupil : Je n’ai pas de données à ce sujet. La traite d’humains au pays est davantage liée aux gangs de rue qu’aux gangs de haut niveau. J’en ai une certaine idée, mais je n’ai pas beaucoup d’expertise à ce sujet.

La sénatrice Dupuis : Est-ce que les représentants de Sécurité publique Canada auraient une réponse à ma question?

[Traduction]

Le président : Monsieur Bhupsingh, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Bhupsingh : Pas sur la première partie de la question, monsieur le président. Je pense que l’expert de la GRC a répondu à la question sur la hiérarchie et les niveaux.

Pour ce qui est du dernier point que vous avez soulevé, madame la sénatrice, au sujet de la traite des personnes et des groupes du crime organisé, je suis d’accord avec mon collègue de la GRC et ses observations. En examinant beaucoup de tendances en la matière, nous avons constaté que, même si le crime organisé est impliqué dans la traite des personnes, ce phénomène a tendance à être beaucoup moins répandu et très localisé.

La sénatrice Eaton : Je suppose que cette question s’adresse aux autorités responsables de la sécurité. En fait, n’importe lequel d’entre vous peut y répondre. Quelle est la teneur des consultations qui ont eu lieu avec les États-Unis? Je pense en particulier à la frontière. Allez-vous partager les données sur les nouvelles infractions passibles de contravention créées dans ce projet de loi? Un garde-frontière américain aurait-il accès à cette information? Même pour quelqu’un qui a un casier judiciaire, pourrait-il y avoir plus de questions, plus de recherches et plus de conséquences à cause de ce projet de loi?

M. Bhupsingh : Il y a beaucoup de consultations en cours. Mes collègues de l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC, ne sont malheureusement pas ici aujourd’hui. Je crois comprendre qu’ils sont en grande conversation avec leurs collègues du CBP.

L’une des choses que nous avons essayé de comprendre, c’est la position des États-Unis concernant l’entrée en vigueur éventuelle du projet de loi C-45. Si j’ai bien compris — et j’obtiendrai une réponse complète, monsieur le président, aux diverses questions des sénateurs au sujet de l’ASFC et de la frontière —, le CBP ne changera pas l’interrogatoire primaire sur la consommation de cannabis. Je vais le confirmer.

La sénatrice Eaton : Si une contravention pour possession de cannabis m’est remise ou alors ou si je suis un enfant, pourriez-vous aussi confirmer si cette information sera transmise aux autorités américaines?

M. Bhupsingh : Je ne peux répondre à cette question, madame la sénatrice, mais je vais me renseigner et obtenir une réponse que je vous transmettrai par l’entremise du président.

La sénatrice Eaton : Merci. C’est très important.

Un organisme clé a été chargé d’aider le gouvernement fédéral à décider s’il fallait imposer des tests de dépistage de la marijuana aux travailleurs ou de la façon de le faire. Le comité, qui s’occupait des employeurs sous réglementation fédérale, des syndicats et des fonctionnaires fédéraux, était divisé sur la question des tests de dépistage de drogues dans le cas des emplois où l’affaiblissement des facultés pourrait représenter une menace pour la sécurité publique, c’est-à-dire les emplois névralgiques comme les conducteurs de véhicules de transport en commun et les mécaniciens de train. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet? Envisage-t-on de permettre aux employeurs sous réglementation fédérale d’obliger les titulaires de postes susceptibles d’avoir des répercussions sur le reste d’entre nous en cas de facultés affaiblies par la drogue à se soumettre à un test?

M. Bhupsingh : Je pourrais peut-être poser cette question à mes collègues de Santé Canada qui se sont entretenus avec les intervenants des ministères fédéraux et des provinces et territoires à propos des questions de travail et de la législation du travail.

Eric Costen, directeur général, Secrétariat de la légalisation et de la réglementation du cannabis, Santé Canada : Je peux essayer de répondre en partie à la question. Mes connaissances techniques sur le comité dont vous parlez sont limitées. Je n’ai pas d’expérience directe de ce domaine en particulier.

Ce à quoi mon collègue fait allusion, c’est que la reconnaissance des questions de sécurité en milieu de travail et, franchement, simplement les questions d’adaptation des diverses politiques du travail qui sont actuellement en place dans toute une série de groupes de travail et de secteurs de la population active ont fait l’objet d’une attention considérable de la part des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux du Travail. En fait, ils ont mis sur pied un groupe de travail chargé directement d’examiner la question.

Il s’agit donc d’un problème, un autre. J’ai mentionné quelques leçons apprises importantes que nos collègues des États-Unis ont partagées avec nous au fil des années. Nous avons été très attentifs à la nécessité de faire preuve de vigilance et nous avons pris des mesures proactives pour veiller à ce que non seulement les employés, mais également les employeurs soient au courant des changements apportés à la loi afin qu’ils puissent modifier en conséquence leurs propres lois.

La sénatrice Eaton : Le président ne me permettra pas de continuer. Je me demande si vous allez réglementer d’une façon ou d’une autre les tests ou si vous allez permettre aux syndicats assujettis à la réglementation fédérale d’instaurer un test pour les personnes qui utilisent de l’équipement dangereux ou pour les pilotes et les mécaniciens de train. Monsieur le président, j’y reviendrai une autre fois.

Le président : Je suis persuadé que vous aurez d’autres occasions de soulever cette question importante.

La sénatrice Jaffer : J’ai deux questions à vous poser, monsieur Bhupsingh, à propos de ce que vous avez dit dans votre exposé. Comme vous le savez, je viens de la Colombie-Britannique et une fois ce projet de loi adopté, ce sera légal en Colombie-Britannique. Ça l’est dans l’État de Washington. Pouvez-vous jeter un coup d’œil à la page 9 où vous dites que les Canadiens se feront rappeler que le cannabis et les projets de culture de cannabis sont illégaux en vertu de la loi fédérale aux États-Unis?

Je siège également au Comité de la sécurité nationale et de la défense. Les réponses que nous avons obtenues cette semaine sur la façon dont nous allons sensibiliser les Canadiens à propos de leurs droits ne m’ont vraiment pas plu. Je ne m’inquiète pas si quelqu’un transporte de la marijuana ou du cannabis à Washington D.C. Cette personne devrait connaître les lois. Si quelqu’un a un soupçon, il ne devrait pas aller aux États-Unis. Or, quelqu’un qui a fumé du cannabis il y a 5 ou 10 ans pourrait aussi être arrêté, d’après ce que j’ai compris des avocats qui ont comparu devant nous.

Vous n’êtes peut-être pas en mesure de me donner une réponse maintenant, mais en quoi consistera précisément une campagne qui sera menée pour sensibiliser les Canadiens à leurs droits — sans passer par votre site web. On nous a dit que ce sera sur votre site web. Combien de Canadiens consultent votre site web? Quel genre de sensibilisation allez-vous faire? C’est une question vraiment importante. Cela pourrait nuire aux Canadiens et je veux savoir ce que vous allez faire à ce sujet.

M. Bhupsingh : Bien, premièrement, il y a évidemment des discussions en cours avec nos collègues américains pour déterminer exactement la position qu’ils adopteront au sujet des questions qui pourraient être posées aux Canadiens aux points d’entrée. Nous avons compris que, jusqu’à maintenant à tout le moins, les États-Unis ne vont pas modifier les questions à l’intention des Canadiens.

Pour ce qui est de la question que vous avez posée au sujet des mesures que le gouvernement fédéral prendra pour s’assurer que les Canadiens sont au courant du nouveau régime et des conséquences possibles pour eux, j’ai mentionné deux ou trois choses dans mes remarques liminaires. Je sais que l’ASFC prépare actuellement une campagne de sensibilisation du public s’adressant aux Canadiens en général qui pourrait prendre plusieurs formes différentes. J’en conviens avec vous, les médias sociaux ne sont probablement pas le seul moyen d’obtenir l’information.

La sénatrice Jaffer : Sur votre site web. Les médias sociaux, c’est bien. On nous a dit que ce serait sur votre site web.

M. Bhupsingh : L’ASFC envisage aussi la signalisation aux points d’entrée afin que les gens qui entrent au Canada sachent où en sont les choses et les changements qui pourraient être apportés à l’entrée en vigueur du projet de loi C-45.

Je dirais simplement qu’il y a plusieurs aspects. Nous comprenons qu’il s’agit d’un grand changement et que la sensibilisation du public et l’éducation des Canadiens seront très importantes dans l’avenir.

La sénatrice Jaffer : J’ai une autre question. Je suis un peu confuse. Corrigez-moi si j’ai tort, mais les jeunes recevront une contravention, n’est-ce pas? Pour quelle raison n’a-t-on pas recours à la déjudiciarisation? C’est une méthode utilisée depuis des années. C’est peut-être au ministère de la Justice qu’il revient de répondre à cette question. Nous avons recours à la déjudiciarisation surtout avec les jeunes. Pourquoi donner des contraventions? Quel est le raisonnement qui sous-tend cette décision?

M. Saint-Denis : Pour répondre à votre question, le régime des contraventions n’est pas censé s’appliquer aux jeunes contrevenants. Comme Mme Morency l’a indiqué hier dans sa réponse, la Loi sur la justice pénale pour les adolescents s’appliquera, de sorte que la déjudiciarisation dont vous parlez continuera de s’appliquer dans les cas d’infractions aux termes de cette nouvelle mesure législative.

Le sénateur Pratte : Ma question s’adresse aux représentants de la GRC. Le recours à une contravention sera laissé à la discrétion de l’agent de police. Dans la formation que vous allez donner, comment expliquerez-vous aux agents quand administrer une contravention au lieu d’avoir recours à la méthode traditionnelle?

Cette question comporte aussi un aspect technique. Je suppose qu’il faudra notamment déterminer s’il s’agit d’une première infraction. Je ne suis pas certain si vous saurez que la première infraction était une infraction passible d’une contravention. Je ne suis pas certain que vous le verriez ou que vous en seriez au courant. Étant donné qu’il s’agit d’une infraction passible d’une contravention, je ne suis absolument pas convaincu que cette information sera consignée dans vos dossiers.

M. Daley : Je vous remercie d’avoir soulevé cette question, monsieur le sénateur, car j’aurai ainsi l’occasion de parler de la formation. La GRC a assumé la responsabilité pour la collectivité des autorités chargées d’appliquer la loi au Canada de diriger la formation de concert avec le ministère de la Justice et celui de la Sécurité publique.

Pas plus tard que la semaine dernière ou la semaine précédente, je pense, un groupe de travail composé de représentants des autorités d’application de la loi d’un bout à l’autre du pays s’est réuni à Ottawa. Le défi pour l’application de la loi, ce sont les différents mécanismes qui seront adoptés dans chaque province. À ce jour, il n’y a rien de définitif à ce chapitre.

Dans le cadre de notre formation, nous visons à offrir une plateforme en ligne à laquelle pourront accéder tous les organismes d’application de la loi et dans laquelle il y aura une formation générale à propos de la Loi sur le cannabis en soi; en outre, si vous êtes à Terre-Neuve, il vous suffira de cliquer sur la province et le régime qui y est en vigueur s’affichera. Voici donc un aspect de la formation prévue et le groupe de travail en question l’appuie et y participe activement.

Lorsque vous parlez du pouvoir discrétionnaire des agents, bien sûr, à mon avis, c’est un élément clé du système de justice pénale. Pour répondre à la question de la sénatrice Jaffer, cela nous donne la marge de manœuvre nécessaire pour régler le mieux possible un certain problème. Je crois que le ministère de la Justice nous a dit hier que, bien souvent, le système de justice pénale n’est peut-être pas la meilleure façon de régler un problème en particulier. La Loi sur la justice pénale pour les adolescents donne aux forces de maintien de l’ordre cette marge de manœuvre.

Je suis récemment revenu de la Nouvelle-Écosse où j’ai collaboré à l’intégration avec la police régionale d’Halifax au sein de la ville. Nous avons eu beaucoup de succès avec le « carrefour », appelons-le ainsi, où des intervenants communautaires, gouvernementaux et autres s’efforçaient ensemble d’offrir aux jeunes les meilleurs services d’aide. Assez souvent, si un jeune est arrêté en possession de marijuana, on peut relever des indices que quelque chose d’autre se passe dans la vie de cette personne qui permet d’intervenir, pas nécessairement en passant par le système de justice pénale, mais de concert avec la police. Ce pouvoir discrétionnaire est donc, à mon avis, essentiel dans le cas des jeunes.

Le sénateur Pratte : L’amende pour une infraction passible d’une contravention sera de 200 $ plus 30 p. 100. Cela s’applique à une personne, par exemple, en possession de 30 à 50 grammes ou qui cultive 5 ou 6 plants à la maison. Selon vous, le montant de cette amende est-il suffisant comme moyen de dissuasion?

M. Daley : Je l’ai dit au début et je le répète, mon rôle dans l’application de la loi n’est pas de dire si c’est un moyen de dissuasion suffisant ou non. Quand la loi sera adoptée et en vigueur, il m’incombera alors de voir à ce que la formation soit à la hauteur et à ce que les agents partout au pays disposent de tous les outils nécessaires pour régler ces problèmes particulier.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai de la difficulté à voir comment vous allez être en mesure de faire votre travail pour contrer le marché noir ou le marché gris. Je lis un reportage ici d’une dénommée Mélanie, qui est active depuis 30 ans au centre-ville de Montréal. Elle explique comment elle va s’adapter à la légalisation du cannabis, et je cite :

« T’as 30 g, tu ne vas pas en dedans. Quand je vais avoir fini ceux-là, je vais aller dans ma cache, je vais aller en chercher 30 autres. Je vais continuer à vendre de même ».

Il y a également une de mes sources — parce qu’on a des sources, aussi, pas juste les journalistes — qui affirmait qu’il s’était procuré du cannabis au cours des derniers jours en deçà du prix moyen. Selon Statistique Canada, le prix moyen cette semaine est de 5,89 $ le gramme. Au Québec, on veut le vendre plus cher. Le crime organisé se spécialise et offre différents types de produits en donnant le taux de THC et de cannabidiol. Donc, il s’agit de produits beaucoup plus « sophistiqués » en vue de faire face à la concurrence.

Comment allez-vous intercepter ces gens et déterminer si ce sont des drogues légales, compte tenu de la possibilité d’en faire la culture à domicile? Le gouvernement a proposé un système de suivi du cannabis. On y aborde l’emballage, les timbres, et cetera. Par contre, pour ce qui est du cannabis produit à domicile, vous ne serez pas en mesure de savoir s’il a été acheté localement, s’il a été produit à domicile ou en serre. Comment allez-vous faire votre travail?

M. Goupil : Je vais commencer par aborder une partie de la question. Ensuite, je demanderai à mon collègue de répondre à la deuxième partie.

En tant que service de police, on a un nombre limité de ressources. En ce qui concerne les sections de crime organisé à travers le pays, on s’attarde aux plus hauts niveaux. Au lieu de s’attarder aux 30 grammes, on se préoccupera des kilogrammes...

Le sénateur Carignan : Mélanie a raison. Elle continuera comme elle le faisait.

M. Goupil : Ce n’est pas ce que je voulais dire. J’aimerais apporter une nuance. En ce qui concerne certains groupes de criminalité, on s’attaquera aux plus grandes menaces. Dans un cas comme celui de Mélanie, à Montréal, on aura davantage recours à la police de Montréal. On a recours à des méthodes d’enquête et à des sources d’information pour nous aider. Mélanie pourrait avoir une réserve quelque part, mais on sera en mesure de la trouver grâce à des mesures de surveillance.

Certaines provinces n’imposent pas de limite quant au nombre de plants de cannabis qui peuvent être cultivés à l’intérieur d’une résidence. Toutefois, si quelqu’un a 10 kilos de cannabis, c’est dans le but d’en faire le trafic. Des accusations seront alors portées. Pour ce qui est du trafic dans la rue, c’est toujours un plus grand défi. Est-ce qu’on déploie des ressources? On prend des mesures selon les ressources dont on dispose. Mon collègue apportera des précisions quant aux ressources de première ligne, comme dans le cas de Mélanie.

[Traduction]

M. Daley : Donc, ce que j’ai retenu de votre question concernait les 30 grammes et les 30 grammes, puis la vente. L’infraction de trafic sera maintenue si le projet de loi entre en vigueur. Tout comme j’ai répondu à l’une des premières questions, en général, ce genre d’activité se manifeste d’autres façons. Nous recevons des plaintes des voisins. Comme vous l’avez mentionné, des sources nous avisent que telle ou telle chose se passe dans telle ou telle maison. Le cannabis illicite, une fois la loi en vigueur, sera complètement illégal.

Le défi, bien sûr, consistera à déterminer ce qui est de la possession légale de marijuana, achetée par les moyens réglementés appropriés, par opposition à un produit illicite. Si j’entre dans une maison et que je vois du cannabis, est-ce que je serai en mesure de dire s’il s’agit de cannabis illicite ou cannabis légal? Ce sera peut-être un défi, mais je vais revenir aux premiers commentaires que j’ai faits, c’est-à-dire que, de façon générale, quand nous amorçons une enquête du genre, il y a d’autres indices de comportement criminel qui nous portent à croire qu’il s’agit de cannabis illicite ou qu’une autre activité, le trafic par exemple, se déroule à l’intérieur de cette résidence; alors, nous…

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vous rappelle qu’il ne s’agit pas simplement de mener une enquête. Il faut faire condamner le contrevenant hors de tout doute raisonnable. Vous allez devoir prouver que ce n’est pas quelqu’un qui reçoit des amis chez lui et qui décide de dire, comme moyen de défense, qu’il a le droit de donner du pot à son « chum ».

[Traduction]

M. Daley : Non, absolument pas. Soyons clairs. Quand nous enquêtons, nous devons avoir des motifs raisonnables et probables pour porter des accusations. Notre enquête serait terminée quand nous en serions persuadés et que nous pourrions fournir l’information pertinente, si c’est le cas. Parfois, lorsque nous entrons dans une maison, nous ne portons aucune accusation. Il y a une distinction claire entre l’enquête et l’inculpation.

Le sénateur McIntyre : J’ai deux petites questions. J’aimerais revenir au temps d’attente à la frontière. Dernièrement, le maire de Windsor a dit craindre que les procédures de contrôle américaines puissent se resserrer une fois le projet de loi C-45 adopté. Ma question est donc la suivante : quelles répercussions le projet de loi C-45 pourrait-il avoir sur le temps d’attente à la frontière, particulièrement aux postes frontaliers comme celui de Detroit-Windsor, fort achalandés?

M. Bhupsingh : Je n’ai pas la vérité absolue et je ne peux prédire ce qui se passera au niveau de la congestion à la frontière ou ce que sera la position de nos collègues américains face au cannabis.

Je dirais qu’il importe de ne pas oublier que les Canadiens ont effectué, je crois, près de 40 millions de voyages aux États-Unis en 2016 par voie terrestre et aérienne et qu’il y a donc beaucoup de trafic — sans compter le trafic commercial — entre les deux frontières.

De façon générale, je dirais que sur la question de la légalisation et de la réglementation du cannabis, nos collègues américains suivent à peu près le même parcours. Je sais que 29 États, au total, ont légalisé le cannabis thérapeutique, par exemple, et je sais aussi que 9 États envisagent la possibilité de le légaliser ou l’ont déjà légalisé.

À mon avis, il importe de se rappeler que ce genre de tendance de l’autre côté de la frontière n’est pas à sens unique; elle est bilatérale. Dans le cadre des négociations avec nos collègues américains, il sera important, je crois, de discuter de la nécessité de maintenir la fluidité de la frontière pour l’activité économique, monsieur le sénateur.

Le sénateur McIntyre : Merci. Pour le moment, les autorités américaines et canadiennes collaborent de près dans le domaine de l’application transfrontalière de la loi, y compris le trafic de drogues. Messieurs, comment la légalisation de la marijuana — en supposant que la possession de 30 grammes de marijuana devient légale au Canada — influera-t-elle sur cette collaboration?

M. Goupil : Nous nous sommes déjà rencontrés à quelques reprises. Nous avons périodiquement des réunions avec des organismes américains, qu’il s’agisse de l’organisme d’application de la loi sur les drogues ou d’autres organismes. Nous nous rencontrons régulièrement et nous en avons discuté, mais à nouveau, la portée de nos enquêtes est d’habitude beaucoup plus large que la possession de 30 grammes. Dans toutes nos discussions, je ne me souviens pas que la question de la possession de 30 grammes ou même la légalisation du cannabis ait été soulevée, en ne perdant pas de vue, par exemple, qu’au Colorado, entre autres, la DEA est toujours présente et qu’ils doivent faire face à la légalisation du cannabis. Donc, pour ce qui est de la coopération internationale ou des relations avec les États-Unis, on en a discuté, mais les principaux organismes d’application de la loi ou nos partenaires dans la lutte contre le crime organisé ne l’ont pas signalé comme un problème.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Plusieurs provinces ont décidé elles-mêmes de vendre la marijuana, notamment l’Ontario et le Québec. On sait qu’en juillet prochain, le Québec aura 15 points de vente, et l’Ontario, par l’intermédiaire de la LCBO, en aura 14. Les deux provinces comptent 20 millions de personnes. Il va y avoir près de 30 points de vente en tout. On ne pense pas que ces provinces aient un réseau de distribution avant 2020. Il y a donc une période de deux ou trois ans où le crime organisé aura le champ libre pour exploiter son marché, étant donné que les provinces auront si peu de points de vente pour desservir les millions de gens qui consomment de la marijuana.

[Traduction]

M. Bhupsingh : Sénateur, je vous dirais que nous sommes en train de mettre en place une nouvelle industrie. Je ne suis pas au courant des points de vente dont vous avez parlé, ces nombres de 15 et de 14 en Ontario et au Québec. Je dirais simplement qu’à mesure que l’industrie prendra de l’expansion, je présume que la distribution et la vente du cannabis s’adapteront également. Dans le projet de loi, nous avons prévu une certaine souplesse permettant aux provinces et aux territoires de modifier leur modèle de vente et de distribution.

Par ailleurs, nous avons également pris en considération les ventes en ligne, et cela implique de veiller à ce que l’accès au cannabis soit approprié. En ce qui a trait à l’élimination du marché noir, c’est un point clair et important que les consommateurs auront accès à un approvisionnement licite et sécuritaire en cannabis.

Le président : Avant d’avoir le privilège de vous remercier de votre comparution, j’aimerais revenir rapidement sur les renseignements fournis par les demandeurs pour obtenir une licence ou un permis de production de cannabis. Dans le rapport que la ministre de la Santé a publié plus tôt cette semaine — je crois que c’était lundi —, on concluait que :

[…] Les demandeurs de licence pourraient par exemple être tenus de fournir certains renseignements financiers (notamment au sujet des investisseurs) dans le cadre du processus de demande de licence. […] Les règlements pourraient aussi exiger que les titulaires de licence fournissent certains renseignements financiers de façon régulière et en continu, ce qui permettrait de repérer les relations ou les arrangements financiers suspects […].

Monsieur Goupil, pour vous acquitter de votre responsabilité de chasser le crime organisé du marché, de quel genre de renseignements auriez-vous besoin pour accroître votre efficacité à repérer le crime organisé dans le marché?

M. Goupil : L’information de base est, évidemment, savoir qui est le demandeur, le nom des personnes. Et, bien sûr, qui sont les associés d’affaires et, jusqu’à un certain point, les membres de la famille, parce que nous savons tous que, dans certains cas, ils demanderont à un membre de la famille de présenter une demande, et que ce membre de la famille n’a peut-être pas de casier judiciaire ni de problèmes ou de démêlées avec la police. Par conséquent, les résultats de nos rapports seront négatifs. Mais, encore une fois, je tiens à souligner que la décision finale revient à Santé Canada parce qu’il a toute l’information à sa disposition.

Bien sûr, en ce qui nous concerne, nous devons savoir qui sont les personnes : non seulement le demandeur, mais aussi les personnes qui peuvent être impliquées dans l’entreprise ou, dans une certaine mesure, les membres de la famille. La question qui se pose alors est : jusqu’où allons-nous? Voilà la question. Je suppose que c’est davantage une question de politique.

Le président : Oui, mais c’est une question de politique qui vous touche directement. Dans le rapport qui a été publié lundi, les participants à la consultation ont proposé que la réglementation impose l’obtention d’une habilitation de sécurité à tout actionnaire qui détient plus de 25 p. 100 d’une entreprise autorisée ou plus de 25 p. 100 d’une société mère privée.

Comme vous le savez — vous le savez mieux que moi —, c’est le principe de la poupée russe. Vous avez le premier, puis le deuxième, le troisième, le quatrième et enfin le noyau de l’identité. L’objectif est d’atteindre le noyau de l’identité.

Je vous demande donc encore une fois qu’est-ce que Santé Canada devrait avoir sur son formulaire — j’ai le formulaire ici —, ça ressemble à un formulaire que n’importe qui pourrait remplir pour obtenir un permis quelconque auprès d’une municipalité ou d’un gouvernement.

Il me semble que si nous voulons vraiment chasser le crime organisé, nous devons disposer de toute l’information possible et pas seulement de celle concernant la « personne-écran », comme « Donnez-moi votre nom, votre numéro de passeport » et ainsi de suite. Nous savons que le crime organisé n’a pas pignon sur rue avec une enseigne commerciale, il travaille en coulisses.

Alors, comment pouvons-nous mettre la main sur les renseignements dont vous auriez besoin, que Santé Canada devrait recueillir avant d’accorder un permis, pour nous assurer que nous n’aidons pas en réalité le crime organisé à faire des affaires?

M. Goupil : Encore une fois, ce n’est pas du tout mon domaine. Je pourrais probablement vous fournir des réponses plus détaillées sur ce qui serait nécessaire, mais à première vue, encore une fois, ce sont les gens qui sont à l’origine de la demande. Je comprends très bien que la personne qui présente la demande n’est peut-être qu’un écran de fumée, mais nous avons besoin de savoir qui se cache derrière la demande. Alors, jusqu’où allons-nous dans notre recherche d’indices d’actes criminels ou de participation au crime organisé, tout en étant conscients du fait qu’une personne, si elle n’a pas été reconnue coupable d’un crime, pourrait revenir et dire : « Pourquoi a-t-on refusé de me donner un permis alors que je n’ai jamais été reconnue coupable d’un crime? » C’est maintenant davantage les soupçons de la police. Je pourrais m’informer sur les endroits où on effectue les recherches, comme les bases de données, le type de bases de données utilisées pour fournir un rapport final à Santé Canada.

En 2017, par exemple, dans les renseignements que nous avons reçus relativement au Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, on apprend que 11 p. 100 des demandeurs ont été identifiés par la GRC comme ayant eux-mêmes des activités criminelles pertinentes, donc c’est 11 p. 100 en 2017. Je pense qu’il est juste de dire que si nous élargissions nos recherches, nous aurions probablement plus de 11 p. 100.

Le président : Ce qui me préoccupe, c’est que le gouvernement du Québec a déposé des amendements la semaine dernière — je ne sais pas si vous êtes au courant — à son projet de loi sur l’encadrement du cannabis. Les amendements ont été déposés par la ministre Charlebois, responsable du projet de loi sur le cannabis à l’Assemblée nationale du Québec. Ils ont proposé une modification à l’article 20 de leur projet de loi selon laquelle l’Autorité des marchés financiers devra, et je cite :

[Français]

[...] l’Autorité des marchés doit en outre considérer les sources de financement du producteur [...].

[Traduction]

Autrement dit, les sources de financement, pour tenter de chasser les gens qui se cachent derrière la personne présentant la demande de permis. Il me semble que vous n’avez même pas accès aux renseignements de Revenu Canada, où plus ou moins les mêmes renseignements sur une source de financement pourraient être conservés. Je crois que le gouvernement fédéral doit aller plus loin en ce qui a trait à la demande de renseignements et à la vérification de ceux-ci pour vous permettre d’établir un tableau complet de qui se cache derrière l’identité. Si cet argent est légitime, et devrions-nous permettre que les profits soient exportés dans des paradis fiscaux? Nous ne devons pas traiter cette question de façon naïve, comme c’est le cas dans ce formulaire de Santé Canada. Je ne suis pas enquêteur de la police, mais cela semble très superficiel en ce qui concerne les renseignements demandés.

M. Goupil : Il est vrai que plus nous avons de renseignements, plus nous avons accès à de l’information, plus nous avons une meilleure idée de qui se cache derrière une demande. Encore une fois, je peux m’engager à vous fournir de plus amples renseignements sur l’accès que nous avons à l’heure actuelle lorsque nous effectuons ces vérifications pour Santé Canada en vue d’étayer sa décision d’accorder ou non un permis.

Le président : Pourriez-vous nous fournir ces renseignements au cours des deux prochaines semaines? Comme vous le savez, nous avons une échéance à respecter. Nous devons produire un rapport d’ici le 1er mai. S’il est possible d’obtenir cette information d’ici deux semaines, nous vous en serions reconnaissants.

M. Goupil : Je peux certainement le faire, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Goupil, monsieur Bhupsingh, madame Lavoie, madame Huggins et monsieur Daley. Je sais que nous avons largement dépassé notre temps. Comme vous le savez, l’intérêt est là, et nous voulons avoir le plus d’information et de réponses possibles à nos questions.

(La séance est levée.)

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