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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 46 - Témoignages du 7 juin 2018


OTTAWA, le jeudi 7 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-50, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (financement politique), se réunit aujourd’hui, à 10 h 33, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, bienvenue. Nous reprenons notre débat et notre étude sur le projet de loi C-50, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (financement politique).

Nous avons le plaisir de recevoir ce matin Lori Turnbull, professeure agrégée à l’Université Dalhousie, ainsi que Nelson Wiseman, directeur du Programme d’études canadiennes et professeur au Département de science politique de l’Université de Toronto, qui témoigne par vidéoconférence. Nous sommes enchantés de vous voir, monsieur Wiseman : nous ne vous avions pas vu depuis longtemps. Je pense que nous profiterons de votre présence au cours des jours à venir.

Comme vous le savez, le Parlement est saisi des projets de loi qui concernent le financement politique, matière dans laquelle vous avez acquis de l’expertise. Nous aimerions donc vous entendre.

Madame Turnbull, je vous inviterai à faire votre exposé, après quoi nous entendrons M. Wiseman.

Lori Turnbull, professeure agrégée, Université Dalhousie, à titre personnel : Je remercie le comité de m’avoir invitée à témoigner au sujet du projet de loi C-50.

Ce dernier vise à accroître la transparence quant à l’accès aux dirigeants politiques à l’occasion d’activités de financement. De toute évidence, vous connaissez le projet de loi. Permettez-moi de formuler quelques observations en guise de sommaire.

Le projet de loi établit le concept d’activité de financement réglementée, laquelle s’entend d’une activité organisée afin d’en retirer un gain financier, à laquelle assiste le chef, le chef intérimaire ou tout candidat à la direction du parti pour lequel l’activité est organisée, et/ou un ministre ou un ministre d’État si au moins une personne doit faire une contribution ou des contributions totales de plus de 200 $ pour y participer.

Les congrès ne sont pas inclus, mais les activités de financement tenues lors de congrès le sont. Les activités de reconnaissance des donateurs organisées dans le cadre d’un congrès sont exclues. Le projet de loi impose des exigences aux partis politiques sur le plan des annonces. Les activités de financement réglementées doivent être annoncées à un endroit bien en vue sur le site web du parti politique, cinq jours avant leur tenue et jusqu’à ce qu’elles débutent. L’annonce doit indiquer la date, l’heure et l’emplacement de l’activité, les chefs ou les ministres qui y assisteront, les contributions requises et les coordonnées des organisateurs.

Le parti doit aviser le directeur général des élections cinq jours avant l’activité. Aucune de ces exigences ne s’applique en période électorale.

Après l’activité, l’agent principal du parti doit présenter au directeur général des élections un rapport indiquant l’heure, la date et l’emplacement de l’activité, et énumérant le nom des personnes présentes et des bénéficiaires du financement, en précisant leur municipalité, leur province et leur code postal. Tous ces renseignements doivent être présentés au directeur général des élections dans un délai de 30 jours. Après des élections, un rapport sur toutes les activités ayant eu lieu au cours de la campagne doit être déposé 60 jours après les faits. Voilà qui résume la situation.

Je considère que le projet de loi a des implications considérables. Son objectif consiste à accroître la transparence quant aux activités de financement. Ce ne sont pas les contributions qui sont ciblées, car on assure déjà la transparence à cet égard en exigeant que les contributions de plus de 200 $ soient rendues publiques. C’est au sujet des activités elles-mêmes et des participants qu’on augmente la transparence. Cette exigence vise, je pense, à faire en sorte que la population ait moins l’impression que les nantis peuvent obtenir un accès secret et/ou meilleur aux décideurs en versant des sommes substantielles afin d’assister à des activités exclusives au cours desquelles ils peuvent plaider leurs causes personnelles ou professionnelles auprès des ministres, des chefs ou d’autres personnes.

D’aucuns pourraient faire valoir que l’importance que le projet de loi accorde à la transparence a un prix sur le plan de la protection de la vie privée. Le projet de loi exige en effet la divulgation du nom, de la municipalité et du code postal des participants, même s’ils n’ont pas eux-mêmes versé de contribution. Il ne s’agit pas de préciser l’adresse, mais de donner un aperçu de l’identité et du lieu de résidence des participants.

Ces exigences peuvent fortement décourager la participation de ceux qui ne souhaitent pas être associés à un parti politique. Par exemple, des fonctionnaires pourraient décider de ne pas participer à des activités de financement même s’ils souhaitent ardemment y assister, car le risque d’être considéré comme une personne politique ou partisane ne vaut pas la peine d’être couru. D’autres personnes dont l’allégeance politique fait partie de l’identité publique ne sacrifieront pas la protection de leur vie privée au profit de la transparence.

Le projet de loi définit les activités de financement réglementées comme des activités auxquelles assistent des ministres, des ministres d’État ou tout chef, chef intérimaire ou candidat à la direction d’un parti politique enregistré. Les exigences relatives à l’annonce et aux rapports s’appliquent également et identiquement au parti au pouvoir, si ce dernier organise une activité à laquelle assiste le ministre des Finances, par exemple, ou à un petit parti qui tiendrait une activité de financement en présence d’un candidat à la direction, par exemple.

Ce n’est pas nécessairement mauvais en soi, mais le comité pourrait chercher à voir si ces exigences n’imposent pas un fardeau indu sur les nouveaux partis qui tentent de se tailler une place. Le projet de loi place toutes les personnes énumérées précédemment dans la même catégorie; il faudrait donc réfléchir aux implications. Dans une certaine mesure, on ne connaîtra pas les implications du projet de loi tant qu’il ne sera pas devenu loi. Tout dépend de la manière dont la population réagira au projet de loi. L’annonce des activités de financement modifiera-t-elle ou encouragera-t-elle la participation? Les médias seront-ils enclins à couvrir régulièrement ces activités? Nous verrons — ou pas — si la participation et l’attention augmentent.

Tout dépend aussi de la réaction des partis. Le projet de loi contient une sorte d’échappatoire, puisqu’en l’absence d’une contribution obligatoire, les exigences relatives à l’annonce et aux rapports ne s’appliquent pas. La pression politique inciterait le parti au pouvoir à respecter l’esprit de la loi qu’il propose et ses principaux opposants à faire de même. Cette pression pourrait être moins forte sur les petits partis, ce qui me semble adéquat. Le projet de loi prévoit une sorte de système d’attente interne en vertu duquel un parti peut décider que s’il ne demande pas de contribution obligatoire, le reste des exigences ne s’applique pas. Voilà qui accorde aux partis une certaine souplesse leur permettant de voir comment ils veulent réagir au projet de loi. Je m’en tiendrai là. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, madame Turnbull. Monsieur Wiseman, nous entendrons maintenant votre exposé.

Nelson Wiseman, directeur, Programme d’études canadiennes, professeur, Département de science politique, Université de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie de vos bonnes paroles, monsieur le président. C’est un honneur que d’être nommé au Sénat, et je vous félicite tous. C’est aussi un honneur que d’être invité à témoigner dans le cadre de vos délibérations.

Je m’adresse à vous en qualité de politicologue. Je ne suis ni avocat ni activiste politique. Bien sincèrement, je m’intéresse plus à ce que le gouvernement fait que je ne cherche à changer ce qu’il fait. J’ai depuis longtemps conclu qu’il existe peu de liens entre la réussite des activités de financement et le succès aux élections. L’instauration d’un régime de reddition de comptes plus strict n’y changera rien.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples.

Lors des élections de 1993, le parti au pouvoir a dépensé 25 millions de dollars et a fait élire deux députés, alors qu’un nouveau parti qui n’avait jamais remporté un siège dans le cadre d’élections générales a dépensé un peu plus de 6 millions de dollars et fait élire 52 députés. Il semble que plus le parti au pouvoir dépensait et plus il diffusait ses publicités longtemps, moins il était populaire. Je peux vous donner des exemples plus récents. À l’occasion des dernières élections fédérales, le Parti conservateur a récolté, au cours du troisième trimestre de cette année-là, plus d’argent que tout autre parti au cours de l’histoire du pays, peu importe le trimestre. Le NDP a recueilli plus d’argent qu’il ne l’avait jamais fait au cours de ce trimestre. Les libéraux tiraient de l’arrière par rapport à ces deux partis; pourtant, trois semaines plus tard, ils ont brillamment remporté les élections, passant de 34 à 184 sièges, alors que les conservateurs et les néo-démocrates mordaient la poussière.

Je donne actuellement un cours sur les partis politiques canadiens et je peine à suivre l’évolution constante des régimes de financement, de dépenses et de reddition de comptes. À mon avis, les exigences accrues que prévoit le projet de loi à l’égard de ceux qui aspirent à être nommés à la tête d’une circonscription ne feront qu’augmenter le stress et le fardeau qui pèsent déjà sur les épaules des bénévoles qui constituent les fondations de nos partis, particulièrement à l’échelle des circonscriptions locales.

Alors que l’argent a été décrit comme étant le lait maternel des partis politiques, je le compare plutôt à un lubrifiant : il finira bien par atteindre les boulons, qu’ils soient sécuritaires ou rouillés. De nos jours, avec les médias sociaux, les limites en matière de financement sont moins efficaces. Dans le nouveau monde de la technologie, les rapports de dépenses ne sont d’aucune utilité. Par exemple, dans le cadre des élections qui se déroulent actuellement en Ontario, il existe un troisième parti — qui n’est pas un parti politique — baptisé Ontario for Ontarians, un groupe mystérieux qui cible très précisément les électeurs sur 10 sites Facebook en lançant des attaques publicitaires. Cependant, comme ses dépenses sont inférieures à la limite de 500 $, cela n’a pas compté.

Je crois comprendre que le projet de loi initial mettait l’accent sur les activités de financement et l’annonce des activités de financement auxquelles assistent des ministres, des chefs de parti et des candidats à la direction. Mme Turnbull vous en a présenté un bon résumé. Je n’ai donc pas besoin de vous fournir d’explication.

Je pense que le projet de loi a depuis été élargi afin de donner suite aux préoccupations du directeur général des élections quant aux courses à l’investiture. Il a proposé de définir plus précisément les expressions « dépenses de campagne d’investiture » et « dépenses de course à l’investiture », ainsi que celles de « dépenses de campagne à la direction » et de « dépenses de course à la direction ».

Le directeur général des élections veut que les dépenses effectuées dans le cadre d’une campagne avant la publication du bref d’élection ou le début d’une course à la direction ou à l’investiture locale soient réglementées et fassent l’objet de rapports. Or, il me semble que ces mesures d’ordre administratif — qui figurent maintenant dans le projet de loi, je présume — ne préoccupent pas particulièrement la population. À mon avis, les avocats ou le directeur général des élections ne sont pas experts du financement politique. Le directeur général des élections cherche constamment à élargir sa toile d’infiltration bureaucratique. Les experts, ce sont les politiciens et les partis politiques, comme ceux qui se trouvent à la Chambre.

Quelles sont les préoccupations de la population initialement à l’origine du dépôt de ce projet de loi? Elles concernent la pratique controversée d’accès à l’élite politique gouvernementale en échange de contributions financières dévoilées par le Globe and Mail. Ce dernier a révélé que les activités que les élites organisaient aux fins de financement en présence de ministres du Cabinet, habituellement dans des résidences privées, n’étaient pas annoncées. Le projet de loi proposé exige, comme Mme Turnbull l’a expliqué, que ces activités de financement soient annoncées sur le site web des partis politiques au moins cinq jours avant leur tenue.

À dire vrai, je ne pense pas que cela change grand-chose à propos de l’accès aux élites en échange d’une contribution financière. Même si je ne considère pas qu’une contribution de 1 500 $ mène à la modification de la politique publique, le fait de côtoyer des ministres permet d’exercer une influence, car les gens sont plus susceptibles de se montrer favorables envers les personnes qu’ils connaissent qu’à l’égard de celles qu’elles n’ont pas rencontrées.

Je pense que c’est le genre de projet de loi auquel le Sénat ne devrait pas accorder trop de temps ou d’attention. À mon avis, il mérite d’être approuvé tel quel. Il porte exclusivement sur les activités de ceux qui cherchent à se faire élire. À ce que je sache, il ne s’applique à personne au Sénat pour le moment et il a été adopté par la Chambre élue démocratiquement. Depuis l’adoption de la loi phare sur le financement des élections en 1974, l’État s’est progressivement immiscé dans les activités de financement et de dépenses des partis politiques, des associations de circonscription locales, et des candidats à l’investiture et à la direction.

Dès qu’une loi est adoptée, le directeur général des élections, les médias et souvent les partis de l’opposition déplorent l’existence d’échappatoires qui nuisent à l’atteinte des objectifs stratégiques de la politique publique, comme la transparence, l’ouverture, l’intégrité, l’équité et la reddition de comptes.

Je ne veux pas dépasser mes cinq minutes. J’ai d’autres observations, mais une question m’est venue à l’esprit : pourquoi ce projet de loi ne s’applique-t-il qu’aux partis de la Chambre des communes? Pourquoi ne s’applique-t-il pas à tous les partis? Le pays compte 16 partis enregistrés, il me semble.

Pourquoi ne pas m’arrêter là? Je peux répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Wiseman.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je n’ai pas beaucoup de questions, parce qu’elles s’adressaient particulièrement à la ministre, mais comme elle tarde à venir, je vais m’en tenir à une question.

Monsieur Wiseman, lorsque je vous entends dire que le Sénat ne devrait pas trop s’attarder à étudier ce projet de loi, j’ai l’impression que ce projet de loi vous apparaît relativement futile. Est-ce le cas?

[Traduction]

M. Wiseman : Est-il futile? Eh bien, je considère qu’il faudrait imposer des exigences en matière de reddition de comptes, mais l’argent s’infiltrera inévitablement dans le système et exercera une influence autrement.

Il est bon de faire la lumière sur les activités de financement organisées dans les résidences privées. Ces activités reviennent moins chères que l’embauche de lobbyistes pour les entreprises et les intérêts concernées, pour qui une contribution de 1 500 $ est une broutille. De façon générale, je m’attends à ce qu’après l’an prochain, la nouvelle législature revienne à la table afin d’apporter d’autres modifications à l’insistance du directeur général des élections au sujet des problèmes survenus au cours de la campagne, comme il en arrive toujours, dans le nouveau monde des médias sociaux, par exemple. Vous vous attaquez à un problème insoluble, à mon avis. C’est la conclusion à laquelle je suis arrivé après avoir passé quelques décennies à observer le régime.

Je suis critique à l’égard de l’immense empire créé au sein d’Élections Canada, et je ne pense pas que suffisamment de politiciens le soient à la Chambre et au Sénat. Cet organisme cherche constamment à élargir son champ de surveillance. Souvenons-nous que nos partis sont des organisations bénévoles. Ceux qui travaillent dans les circonscriptions peinent à satisfaire un grand nombre de ces exigences, alors que, de façon générale, ils œuvrent de bonne foi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Élections Canada est devenue une bureaucratie assez lourde. L’autre question que je me pose concerne l’application de cette loi lors d’une campagne à la direction d’un parti, qui se fait toujours en dehors des périodes électorales dans la majorité des cas, sauf rare exception. En quoi le directeur des élections doit-il avoir un rapport sur la campagne à la direction d’un parti?

[Traduction]

M. Wiseman : Je suis heureux que vous souleviez la question des campagnes à la direction. Voyez comme la situation est ridicule à l’heure actuelle. Les partis fixent des limites aux sommes que les candidats peuvent dépenser, qu’elles soient d’un demi-million ou d’un million de dollars. L’aspirant chef lance sa campagne et contracte une panoplie de dettes, mais ne peut effectuer les remboursements exigés par la loi en raison des limites que la loi impose au chapitre des contributions.

Des personnes qui se sont portées candidates pour les trois partis à la Chambre des communes, soit le NPD, les conservateurs et les libéraux — j’ignore ce qu’il en est du Bloc — doivent maintenant rembourser des dettes.

En fait, un des candidats, Kevin O’Leary, qui est membre de votre parti, je pense, envisage de traîner Élections Canada devant les tribunaux, et il n’est pas le seul à se retrouver dans cette situation impossible.

Qu’arrive-t-il alors? Est-ce que des sanctions sont infligées? Non. Jettera-t-on les candidats en prison, alors qu’ils ont participé aux courses à la direction de bonne foi?

Quelle est la réponse? Peut-être que les partis ne devraient pas autoriser les candidats à effectuer des dépenses aussi élevées. Mais comme ces derniers y sont autorisés, ils s’efforcent de réunir les fonds nécessaires, car ils veulent gagner. Or, il faut de l’argent pour parcourir le pays en avion, faire de la publicité et organiser des activités.

Cela met en évidence le fait que nous adoptons des règles que nous ne pouvons appliquer. Si nous les appliquons, nous devons imposer des amendes salées aux candidats. J’ignore s’il existe d’autres sanctions. Le régime ne fonctionne tout simplement pas.

Je ne sais pas quelle est la meilleure solution. J’aime l’idée de limiter les dépenses. J’aime l’idée que les gens ne puissent verser que 1 500 $. Je ne suis pas de ceux qui portent le modèle du Québec aux nues parce que la limite est de 100 $. Nous avons vu ce qui s’est passé dans cette province. Le Québec était un pionnier des lois sur le financement des élections au Canada en 1963. Or, il n’a pas manqué de scandales mettant en jeu l’argent et la politique dans cette province. Nous en avons tiré bien des leçons, comme vous le savez.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai une question qui s’adresse à Mme Turnbull, puis à M. Wiseman.

Madame Turnbull, merci de votre présence parmi nous ce matin. Dans un rapport intitulé Transparent et équitable : moderniser le financement politique au Canada, qui a été publié en mars 2018, vous énoncez la nécessité de préserver un équilibre entre la transparence et la protection de la vie privée. Avez-vous des préoccupations concernant la disposition du projet de loi qui traite de l’obligation de publier les noms et les adresses des personnes au moyen de leur code postal?

[Traduction]

Mme Turnbull : Oui. Rien ne change à propos des contributions elles-mêmes. Il faut déjà divulguer les contributions de plus de 200 $.

Le fait de participer à des activités de financement pourrait rendre certaines personnes mal à l’aise. Honnêtement, je peux imaginer que même un professeur ne veuille pas être vu comme une personne politique ou partisane si l’objectivité est cruciale dans son marché. Certaines personnes doivent préserver leur objectivité; il leur est donc un peu difficile de se sentir aussi libres que les autres d’assister à des activités de financement.

Chacun devra faire un compromis. Certaines personnes, comme un fonctionnaire, ne pourront faire de compromis et ne participeront pas à l’activité, même si elles souhaitent y assister. L’accessibilité ne sera pas la même pour tout le monde.

D’autres personnes affichent fièrement leurs allégeances politiques et nous savons exactement quel parti elles appuient. Il ne leur en coûte donc rien sur le plan de leur identité publique d’y être associées. Je pense que la question touche les gens différemment.

Chacun doit faire un choix personnel et peser le pour et le contre afin de déterminer si leur présence à l’activité compte beaucoup pour eux.

Par exemple, si le parti au pouvoir organise une activité de financement à laquelle un ministre participe, on pourrait penser que les gens se bousculeront pour y assister. L’activité donne accès à un ministre, même si on n’est pas associé au parti politique qui l’organise. On pourrait se dire qu’on n’a pas vraiment d’allégeance politique et qu’on n’est pas libéral, mais qu’on veut assister à l’activité, parce qu’on souhaite ardemment rencontrer Bill Morneau.

Cependant, si un troisième parti — et j’entends par là un parti se classant en troisième place — tient une activité de financement ne permettant pas de rencontrer un ministre, on n’y participerait pas à moins de vouloir être considéré comme partisan.

C’est à chacun de trouver un équilibre entre la transparence et la protection de la vie privée. C’est une question de jugement. Je pense que le coût sera trop élevé pour certains.

[Français]

La sénatrice Dupuis : D’après les recherches que vous avez menées, êtes-vous d’avis que les citoyens ont renoncé à une part importante de leurs droits à la vie privée en raison de leur propre exposition dans les médias sociaux? On s’expose beaucoup par le biais de tout ce qu’on communique sur soi-même dans les réseaux sociaux. Est-ce le cas quand on participe à des activités politiques, par exemple?

[Traduction]

Mme Turnbull : Oui. Au bout du compte, tout dépend de la personne qui prend la décision. Si elle décide d’assister à l’activité, elle en assume les conséquences. Elle a décidé que ce n’était pas une activité privée, mais publique où elle rencontrera peut-être 50 collègues. Un professeur pourrait croiser des étudiants ou leur doyen. Les gens prennent la décision de participer à l’activité, sachant à l’avance ce qui les y attend.

Les médias sociaux ont considérablement transformé tout le concept de vie privée et de politique. Honnêtement, au lieu de s’inquiéter de la protection de leur vie privée, bien des gens se préoccupent plus, du fait qu’ils puissent s’exprimer sans être punis ou jugés.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur Wiseman, vous avez très bien exposé le fait qu’au départ, on voulait apporter une certaine transparence dans le principe que vous appelez «pay to play », soit l’accès à l’élite politique gouvernementale en échange de contributions financières. Alors que, selon vous, le projet de loi C-50 est devenu une façon d’agrandir l’empire bureaucratique d’Élections Canada, y a-t-il, en pratique, des mesures pour assurer une plus grande transparence et pour réglementer cet aspect, ou est-il complètement irréaliste de croire que cela puisse se faire?

[Traduction]

M. Wiseman : Je veux réagir à votre préoccupation au sujet de la protection de la vie privée, et reprendre et étoffer certains propos de Mme Turnbull.

En ce qui concerne votre deuxième question, je considère que le projet de loi est adéquat et que les informations seront divulguées. Je pense simplement que cela ne changera pas grand-chose. Les gens seront plus discrets au sujet du financement de leur parti en exploitant des échappatoires. Ils en trouveront d’autres. C’est la raison pour laquelle ils engagent des avocats et des comptables.

Permettez-moi de traiter de la question de la protection de la vie privée. Sachez que tout le monde n’est pas sur les médias sociaux.

Je veux vous faire part de mon expérience. J’ai déjà versé des contributions à un parti politique. Quand les médias ont commencé à m’appeler, je me suis rendu compte que je ferais mieux de cesser mes contributions, car ces renseignements sont publics. Lorsque je m’exprime à titre d’analyste, comme lorsque je m’adresse à vous, je pense être neutre. Je ne pense pas que mes propos vous permettent de savoir quel parti je soutiens. Or, certains pourraient rejeter mes observations, parce que j’ai fait des contributions à un parti.

Permettez-moi de vous donner un exemple qui m’a complètement outré il y a quelques années ici, au pays. Alors qu’il était interviewé par les médias, le père d’un soldat canadien mort en Afghanistan a indiqué au passage qu’il n’était pas certain que les efforts déployés par le Canada en Afghanistan en valaient la peine, compte tenu de ce qui s’était passé. Un représentant du gouvernent a alors répondu qu’il fallait rejeter cette déclaration du revers de la main, car ce père avait fait des contributions à la caisse du Parti libéral, lequel n’appuyait pas suffisamment les politiques du gouvernement de l’époque en Afghanistan. C’est scandaleux de rejeter les propos d’un père endeuillé, parce qu’il a fait une contribution parfaitement légale, de peut-être 200 $.

En ce qui concerne les médias sociaux, sachez que tout le monde n’y adhère pas. Je ne suis pas sur Facebook ou sur d’autres médias sociaux. Je n’ai même pas de téléphone cellulaire, car je sais que tout ce qui s’y trouve peut être utilisé.

Cela a toutefois un coût. Je ne peux communiquer immédiatement par téléphone : je dois trouver un appareil filaire ou utiliser mon ordinateur. Ce sont des décisions que les gens prennent. Bien des politiciens paient maintenant le prix de leurs écarts de conduite.

Le sénateur Gold : Bienvenue et merci beaucoup à vous deux. Je veux tirer parti de votre expertise générale et vous poser des questions d’ordre général plutôt que de vous interroger sur les détails du projet de loi.

Ma première question s’adresse à vous, madame Turnbull. Le présent projet de loi élimine des échappatoires ou des problèmes au chapitre du financement des partis politiques et des élections. Pourriez-vous nous donner votre avis en faisant appel à votre expérience? De façon générale, quel modèle de financement politique nous encourageriez-vous à adopter — pas dans le cadre du projet de loi, car nous allons être saisis de la question pendant un certain temps — afin de trouver la meilleure manière de financer les activités politiques?

J’aurai ensuite une question à poser à M. Wiseman sur les médias sociaux.

Mme Turnbull : Il importe de maintenir l’équilibre entre les contributions publiques et privées. Tout régime qui fait trop pencher la balance d’un côté crée des risques et des problèmes de toutes parts. Si le régime reçoit trop de fonds publics, les acteurs politiques risquent de ne pas être suffisamment à l’écoute des électeurs, puisqu’ils ne seront pas encouragés à obtenir le soutien des électeurs, des gens, des groupes et des organisations défendant des causes, sachant qu’ils recevront un certain montant d’argent de toute façon.

Par contre, il ne faut pas que le financement politique soit entièrement privé, car il est de l’intérêt de la population et de l’État de s’assurer un débat musclé entre les acteurs. L’argent ne doit donc pas tout contrôler. Certains intérêts extrêmement importants ou certaines idées que l’on veut faire connaître ne peuvent réunir autant d’argent, car ils ne reçoivent pas beaucoup de dons. Cela ne signifie pas nécessairement que la population ne les soutient pas; simplement, ils ne bénéficient pas de la même capacité financière que les autres points de vue.

Il convient donc d’assurer l’équilibre entre les deux formes de financement, particulièrement au Canada.

Cependant, au fil du temps, l’argent est, de moins en moins, au centre des conversations. Le fait est que l’argent est un moyen moins fiable aux fins d’expression politique, comme nous l’avons déjà souligné. Un grand nombre de moyens de communication et d’expression très puissants et efficaces peuvent être utilisés presque sans frais. Or, ils échappent à la portée du projet de loi. D’une certaine manière, ce projet de loi ne concerne pas du tout l’argent. Il régit certains éléments, mais ne cible pas et ne tente pas de cibler les communications numériques, les fausses nouvelles et les pièges à clics, autant de facteurs qui ont beaucoup plus d’influence dans le discours politique, particulièrement auprès des jeunes électeurs. Il est plus difficile de savoir comment les réglementer.

Voilà notre défi.

Le sénateur Gold : Merci. Voilà qui m’amène à ma question. Il s’est écrit bien des choses sur la question. Dans son livre intitulé #Republic, Cass Sunstein traite longuement de l’influence des chambres d’écho et des bulles sur nos perceptions et, donc, sur nos attitudes.

Monsieur Wiseman, quand vous regardez vers l’avenir en pensant à l’incidence réduite de l’argent sur la conception d’opinions politiques et les perceptions de la réalité, avez-vous une idée de la manière dont nous pourrions intervenir à cet égard? Ce ne serait peut-être pas au moyen du présent projet de loi, dont les aspirations sont fort modestes, mais de façon générale afin de préserver, dans une certaine mesure, l’espace démocratique commun où nous pouvons, à titre de citoyens, faire des choix politiques.

M. Wiseman : Je ne suis pas convaincu que les médias sociaux aient toute l’incidence qu’on leur prête. Je vais vous dire quand je pense que les médias sociaux ont une incidence substantielle : c’est quand le débat sort de ces conversations restreintes, de ces bulles pour envahir les médias grand public. C’est alors que la question reçoit de l’attention.

À l’heure actuelle, l’attention de la population est fragmentée dans le domaine de la politique. Les médias comme les journaux, la télévision et la radio sont encore des éléments communs. Ils ne reçoivent pas autant d’attention qu’avant, ayant eux-mêmes été fragmentés. À une époque, il n’y avait que Radio-Canada. Puis, TVA s’est ajouté. De nos jours, on peut ignorer qu’il y a des élections tout au long de la campagne parce qu’on regarde exclusivement un canal spécialisé en golf ou en cuisine. Les médias sont plus fragmentés, alors qu’à une époque, s’il était question d’un sujet aux nouvelles nationales, on n’avait pas le choix d’écouter, car on regardait la télévision et il n’y avait qu’un seul réseau.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Lors des élections de 2008, le Bloc québécois était loin derrière dans les sondages. Voici l’effet qu’ont les médias sociaux quand le sujet passe dans les médias grand public. Si des élections ont eu lieu en 2008, c’est parce que le Parti conservateur avait vu que les sondages indiquaient qu’il pouvait recouvrer la majorité en gagnant des sièges au Québec. Il a donc déclenché les élections, même si la loi prévoyait la tenue d’élections à date fixe. Le premier ministre a fait fi de cette règle.

Que s’est-il passé au cours de la campagne pour que les conservateurs ne remportent pas tous les sièges qu’ils pouvaient gagner, selon les sondages? Il s’avère que deux comédiens populaires au Québec ont diffusé sur les médias sociaux une comédie où ils mettaient les conservateurs à mal, les associant aux Américains et affirmant qu’ils étaient totalement réfractaires à la culture québécoise. Ces deux comédiens personnifiaient des artistes s’adressant à un comité comme le vôtre, lequel insistait pour qu’ils parlent anglais.

Environ 400 000 personnes ont visionné cette vidéo en l’espace d’une ou deux semaines. J’ignorais l’existence de cette vidéo, et je ne pense pas que bien des gens du Canada anglais en avaient entendu parler. Puis, un article est paru dans La Presse, et tout à coup, la population québécoise a vu la vidéo, faisant passer le nombre de visionnements à bien plus de 400 000. Un grand nombre de ces prétendus visionnements sont le fait de la même personne regardant la vidéo à maintes reprises.

Il est également question des médias sociaux dans une recherche réalisée par Tamara Small, qui travaille dans une université de l’Atlantique; Lori Turnbull saurait où elle se trouve. Je pense qu’elle est encore dans le Canada atlantique. Elle a fait remarquer que l’utilisation que font les partis des médias sociaux n’a pas vraiment porté fruit. Je pense qu’ils ne les utilisent pas suffisamment. Il faut reconnaître que c’est de la manipulation. Si le NDP prépare quelque chose pour les médias sociaux, un grand nombre de concepteurs de la vidéo la regarderont et tenteront de la diffuser, mais peu d’autres personnes la regarderont.

Ce n’est pas comme si les gens restaient inactifs. Même un passionné de politique comme moi verra ce que les conservateurs publient aujourd’hui sur les médias sociaux ou ce que les libéraux ont fait. Je vais l’apprendre s’il en est question dans le Globe and Mail. C’est pertinent.

Le sénateur Mercer : Je remercie nos deux témoins. Je suis toujours enchanté d’entendre M. Wiseman et de connaître son avis. Il se trouve que je partage bon nombre de ses opinions sur le sujet. Même si je parraine le projet de loi, je ne sais pas à quel point il est pertinent de modifier la Loi électorale du Canada, élection après élection. Je pense qu’on agit toujours à l’instigation de quelqu’un qui tente de calmer l’opposition, mais que cela ne règle pas vraiment quoi que ce soit.

Je veux discuter d’un point que vous avez soulevé au sujet du projet de loi. Ce dernier continue d’indiquer qu’il s’appliquera aux membres de la Chambre des communes. La véritable question est la suivante : le phénomène du Parti réformiste pourrait-il se reproduire? Si on exclut les partis ne comptant pas de membre à la Chambre des communes, comme c’était initialement le cas du Parti réformiste, jusqu’à ce qu’il fasse élire un député, le phénomène pourrait-il se produire une nouvelle fois si nous continuons d’élaborer des règles qui ne s’appliquent qu’aux parties comptant des députés à la Chambre des communes?

Mme Turnbull : C’est un point qui me préoccupe également. Je crains toujours que nous élaborions des règles qui protègent la situation présente et font en sorte qu’il soit très difficile pour les nouveaux partis de se tailler une place. J’ignore si c’est ce que fait le projet de loi, car il applique les règles aux partis de la Chambre et à aucun autre. Il n’instaure pas de nouvelle étape ou de problème supplémentaire si un parti tente de faire son entrée.

Cependant, puisque nous parlons des politicologues, j’ai lu un formidable article de Heather MacIvor, de l’Université de Windsor, sur la manière dont les partis politiques forment un cartel. L’affaire, qui avait à voir avec le financement politique, était fort complexe.

Ce qui nous intéresse dans le cadre de notre étude, c’est que cet article expliquait que les partis présents à la Chambre, bien qu’ils semblent se détester mutuellement, travaillent ensemble pour garder les autres partis hors de la Chambre.

À mon avis, c’est ce qu’il se passe de bien des manières, mais je ne pense pas que le projet de loi favorise cette pratique.

M. Wiseman : Permettez-moi de donner suite aux propos de Mme Turnbull. Elle a employé le terme « cartel ». Il s’agit d’une théorie datant des années 1990. C’est M. Cates qui a écrit sur le sujet, indiquant que les partis établis concluent des ententes entre eux pour garder les autres partis en dehors de la Chambre. Cela s’est produit au Canada. Au début des années 1990, la Loi sur le financement des élections stipulait qu’un parti ne pouvait s’enregistrer que s’il présentait 50 candidats. La loi comprenait d’autres exigences, mais les partis ne présentant pas 50 candidats devaient déclarer forfait et remettre tous leurs actifs au directeur général des élections. Le président du comité connaît bien la décision Figueroa, dans le cadre de laquelle la Cour suprême du Canada a déclaré inconstitutionnelles les dispositions stipulant qu’un parti devait présenter au moins 50 candidats, soulignant que c’est la règle à la Chambre des communes. Ces dispositions ont été déclarées inconstitutionnelles.

Il semble qu’il puisse exister un parti avec un seul membre. Lors des dernières élections, une personne que je connais s’est portée candidate, formant un parti d’un membre dans une circonscription de Toronto. Elle avait son propre parti.

Le système de cartel fonctionne-t-il? Cela semble en être un exemple, mais je n’en suis pas certain. Permettez-moi de vous donner un exemple tiré des dernières élections. Si la théorie du cartel était à l’œuvre, sachez que la loi prévoit des limites aux dépenses pendant les campagnes électorales. Ces dernières durent 37 jours depuis que la loi prévoit la tenue d’élections à date fixe. Cependant, lors des dernières élections, les conservateurs disposaient de 54 millions de dollars, alors que les règles limitent les dépenses à environ 25 millions de dollars. Les autres partis ont réussi à réunir plus ou moins ce montant, mais les conservateurs avaient des fonds excédentaires qu’ils ne pourraient dépenser au cours de la campagne. Qu’ont-ils fait? Ils ont fait en sorte que le bref d’élection soit délivré 77 jours avant les élections pour pouvoir tout dépenser.

Cela portait atteinte à l’idée selon laquelle les trois partis étaient de connivence relativement aux dépenses électorales. Je prédis que les partis gouvernementaux continueront d’essayer d’utiliser les règles à leur avantage. Quand la Loi sur l’intégrité des élections a été présentée, je n’ai rien lu sur le fait que ce serait une disposition dans la loi. Les gens étaient préoccupés. Les universitaires, les médias et d’autres partis ont dit : « C’est une tentative flagrante d’essayer de réduire le taux de participation aux élections en raison des exigences relatives à l’identification », que le gouvernement est en train d’assouplir à nouveau. C’est un autre problème que je pourrais aborder.

Que s’est-il passé? Le taux de participation aux élections a augmenté, et tous les fonds que les conservateurs ont dépensés ne semblent pas avoir réussi à les maintenir au pouvoir. La théorie du cartel n’a clairement pas fonctionné.

Le système est en constante évolution. Il me plaît. Je veux revenir à ce point. Fixez-vous un plafond des dépenses. Imposez une limite aux fonds que vous pouvez verser, mais ne pensez pas que les questions des finances politiques, de la protection des renseignements personnels ou de l’acheminement de fonds par d’autres filières entreront en ligne de compte.

Je peux donner un autre exemple. À certaines de ces activités privées — les activités de financement donnant un accès privilégié —, il y avait des non-citoyens. Ils savent qu’ils ne pouvaient pas contribuer, pas même un sou, alors encore moins 1 500 $. L’un d’eux a donné 200 000 $ à la Fondation Pierre Elliot-Trudeau. Comment peut-on assurer un contrôle? Qu’arrive-t-il si un ressortissant étranger décide de donner 100 000 $ à l’Institut Fraser car il effectue de nombreuses recherches, à la Fondation Woodsworth-Douglas qui fait des recherches pour le NPD ou au Centre canadien de politiques alternatives? C’est un autre phénomène qui s’est créé au Canada au cours des trois ou quatre dernières décennies. Nous n’avions jamais eu ce genre de groupes de réflexion dans le passé, qui effectuent de nombreux travaux en dehors de la communauté universitaire régulière et qui fournissent une grande partie des connaissances intellectuelles et stratégiques et des infrastructures à nos partis politiques, et c’est bien plus que les fonds de recherche qu’ils reçoivent pour leurs bureaux depuis la fin des années 1960.

La sénatrice Batters : Merci à tous les deux d’être ici, M. Wiseman et Mme Turnbull.

Ma première question s’adresse à vous deux. Étant donné que le projet de loi ne s’applique pas aux activités qui ont lieu durant les campagnes électorales, on pourrait se retrouver avec une situation où des activités auxquelles le premier ministre et ses ministres — qui ont présenté le projet de loi et qui veulent maintenant le faire adopter — assistent durant la prochaine campagne électorale l’an prochain ne seraient pas couvertes comme étant des activités de financement qu’ils organisent. C’est généralement la période où les candidats amassent le plus d’argent, ont besoin de plus d’argent et sont les plus vulnérables face aux gens qui peuvent tenter de les influencer.

Je veux connaître votre avis à tous les deux sur ce scénario. Croyez-vous qu’il est acceptable de maintenir le statu quo, ou croyez-vous que l’exemption visant la période électorale devrait être retirée?

Mme Turnbull : Cela ne me préoccupe pas tellement. Nous avons la transparence entourant les contributions et nous avons un rapport qui sera rendu public par après. Je pense que ce qui fait défaut durant les périodes électorales, c’est la publicité. Nous obtiendrons le rapport à la fin de toute manière. Ce qui fait défaut, lorsque nous ne sommes pas en période électorale, c’est qu’on ne signale pas ce qui se passera cinq jours à l’avance.

Dans la mesure où les gens se soucient de ce qui se passe, ils surveilleront la situation. Ils surveilleront de près la situation. Il y a une plus grande transparence entourant les allées et venues des dirigeants durant les élections. Généralement, vous pouvez trouver l’horaire du dirigeant et connaître l’emplacement des gens.

La sénatrice Batters : [Inaudible] ... le ministre?

Mme Turnbull : Cela ne me préoccupe pas tellement. Je comprends ce que vous dites, mais je pense que c’est correct.

La sénatrice Batters : Monsieur Wiseman, qu’en pensez-vous?

M. Wiseman : Je ne pense pas non plus que c’est un problème de taille. Je pense que Mme Turnbull a formulé sa position. Nous ne connaissons pas l’horaire des dirigeants par après. De plus, je ne crois pas que l’argent fasse une si grande différence. Je pense que la majorité d’entre eux ont de l’argent dans la caisse avant le début de la campagne électorale. Certains n’en ont pas. Certains s’endettent. Cela ne fait aucun doute. Ils sont limités quant aux montants qu’ils peuvent dépenser. Donc, ils amassent plus d’argent durant la période électorale qu’ils ont pu en amasser un mois ou deux auparavant et ils en tirent parti. Je suis intéressé de voir comment les élections se dérouleront. Je suis moins intéressé par l’argent que par la dynamique de la campagne et le candidat qui remportera les élections.

Plus j’examine la situation, plus le facteur de l’argent ne semble pas être aussi important. Chaque parti a besoin d’un certain montant d’argent. Avec les nouvelles technologies, les partis peuvent se débrouiller avec un peu moins. Ce n’est pas un problème important, pas en ce qui me concerne à tout le moins — pas encore.

La sénatrice Batters : Qu’en est-il du scénario où la ministre de la Justice entre en campagne électorale et organise une énorme activité de financement où il faut verser une somme importante pour y participer? Il y a de nombreuses personnes qui sont des avocats et qui sont peut-être intéressées à devenir des juges après la campagne, si la ministre de la Justice est réélue. Que pensez-vous de la possibilité qu’elle soit informée de leurs intentions? Cela change-t-il le scénario pour vous? J’ai été mariée à un député, et je peux vous dire que vous avez souvent une grande partie de l’argent à la banque avant les élections, mais la campagne est le meilleur moment pour amasser des fonds.

M. Wiseman : Je regarderais les sondages. Si je vois que la ministre de la Justice et son parti vont perdre les élections, je n’ai pas de motivation à participer à son activité de financement, car elle ne sera plus la ministre de la Justice deux semaines plus tard. Pensez aux élections en Ontario à l’heure actuelle. Quelle influence puis-je avoir auprès du ministre des Ressources naturelles? Je ne pense même pas qu’il va regagner son siège.

Mme Turnbull : C’est peut-être une partie de la réponse. Si vous examinez des élections où il est peu probable que le ministre actuel sera le ministre deux semaines plus tard, alors cela a une incidence sur de nombreux facteurs et nous nous en préoccupons moins.

En ce qui concerne ce type de scénario, c’est une question d’accès et non pas de contribution. Le plafond des contributions est fixé, peu importe si vous vous présentez ou non. Allez-vous utiliser les occasions de retracer le ministre de la Justice pour lui demander de vous donner un emploi avant qu’il soit trop tard? Peut-être.

La sénatrice Batters : De plus, ce projet de loi exige que la divulgation soit faite 60 jours après les élections. Quel est le délai actuel?

Je me demande si c’est un délai contraignant. N’est-ce pas aux alentours de six mois après les élections?

Mme Turnbull : Pour que vos dépenses vous soient remboursées? Oui, je pense que c’est le cas.

La sénatrice Batters : Monsieur Turnbull, je vous remercie d’avoir soulevé le scénario dans vos remarques liminaires à propos d’un candidat à la direction d’un parti de très petite taille qui est comparé à la ministre des Finances. C’est un scénario que j’ai décrit dans une réunion du comité précédente dans le cadre de cette étude. Pourriez-vous en dire plus à ce sujet? Je pensais à un candidat à la direction qui travaillait très fort, mais n’a pas obtenu de bons résultats dans une course à la direction d’un petit parti comparativement au premier ministre ou à un ministre des Finances. Ce type de comparaison semble être un peu inapproprié.

Mme Turnbull : On place de nombreuses personnes différentes qui sont dans de nombreuses situations différentes dans la même catégorie. On dit que si vous êtes à une activité où une personne est candidate à la direction du troisième parti, les exigences en matière de reddition de comptes et de publicité et l’exposition aux personnes qui participent à l’activité sont les mêmes que si vous assistez à une activité de financement à laquelle participe le premier ministre, le ministre des Finances ou le ministre de la Santé.

J’ai l’impression que les partis sont libres d’appliquer ou non les dispositions du projet de loi. Si vous décidez de ne pas rendre les contributions obligatoires et que c’est une activité ouverte et que vous pouvez décider de contribuer ou non, alors vous contournez ce que le projet de loi demande aux partis de faire.

Il y aura beaucoup de pressions sur le parti ministériel, si le projet de loi est adopté, pour qu’il s’assure toujours que l’esprit et l’intention du projet de loi sont respectés. Par conséquent, il y aura beaucoup de pressions exercées sur les conservateurs pour qu’ils fassent de même, et probablement sur le NPD aussi. Mais plus le parti est petit, je pense qu’on n’en fera pas tout un plat s’il décide de ne pas rendre les contributions obligatoires et d’appliquer le projet de loi.

C’est correct car je pense que le projet de loi prévoit déjà que vous pouvez, dans certaines situations, faire un calcul politique pour passer votre tour et régler la question plus tard.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

La sénatrice Frum : J’aimerais également poser une question sur un point que le sénateur Carignan a porté à l’attention des fonctionnaires que nous avons reçus hier. Monsieur Wiseman, vous y avez fait allusion.

Est-il possible, à une activité où les billets sont 200 $, qu’une personne achète sept billets et que cette personne soit un citoyen canadien, mais qu’il ou elle invite six personnes qui sont des non-citoyens? La façon dont tout cela est formulé, à la page 5 du projet de loi, sous la rubrique « contenu du rapport », à l’alinéa 384.3(2)d), c’est qu’il faut pour le rapport, pour le directeur général, mentionner la municipalité, la province et le code postal des gens qui assistent à l’activité ou de leurs invités.

Le libellé laisse entendre qu’il faut une adresse canadienne. De toute évidence, si vous êtes américain, vous n’avez pas de province ou de code postal, par exemple. Je ne sais pas s’il y a des codes postaux en Chine ou en Iran.

Devrait-on apporter un amendement? Qu’arrive-t-il si vous avez une adresse à l’étranger?

Mme Turnbull : Oui. Je conviens que cela présuppose que la personne vit ici. Si vous voulez pouvoir identifier toutes les personnes présentes, et je pense que c’est l’objectif, vous voudrez sans doute changer le libellé, de manière à donner du contexte à cette exigence pour une personne qui ne vit pas au Canada.

La sénatrice Frum : Comme M. Wiseman l’a dit, ce n’est pas une idée abstraite ou théorique. C’est déjà arrivé et il n’y a aucune raison de croire que cela ne continuera pas de se produire, n’est-ce pas?

M. Wiseman : Oui. Toute la question d’étrangers participant à notre système politique ne s’arrête pas au financement. Nous avons des Canadiens qui ont participé activement aux élections américaines. Nous sommes incommodés lorsque nous entendons parler que des Américains viennent ici pour prendre part à nos élections, mais nos dirigeants politiques se sont rendus là-bas pour participer à des conventions aux États-Unis et nouer des alliances. Nous sommes maintenant aux prises avec une situation où les fonds qui sont versés à des tierces parties canadiennes le sont de différentes façons.

Votre travail est différent du mien. Vous examinez adéquatement les détails de ce projet de loi. Je n’ai pas les connaissances que vous avez. Je l’admets et je m’en remets à d’autres. Je peux voir comment vous pouvez relever des éléments.

Je prends du recul pour essayer d’avoir une perspective plus globale de la situation. Que cela ait changé ou non, je ne pense pas qu’il y aura une incidence considérable. Je suis d’accord avec Mme Turnbull.

La sénatrice Frum : Vous pourriez amender le projet de loi pour inclure la possibilité d’une adresse à l’étranger. Cela ne se produira pas avec ce projet de loi, mais les gens devraient-ils être autorisés à assister à des activités de financement s’ils ne sont pas citoyens canadiens?

Mme Turnbull : Je pense que ce serait difficile. Je serais satisfait d’avoir les noms. Si nous savons qui assiste à ces activités, je pense que ce serait suffisant.

La sénatrice Frum : Monsieur Wiseman, puisque personne n’a de questions d’ordre général à poser, puis-je en poser une? Nous avons eu une situation où, il y a deux jours hier, le directeur général des élections, Marc Mayrand, a annoncé qu’il démissionnerait six mois plus tard. En juin 2016, il a dit qu’il quitterait ses fonctions en décembre 2016, ce qu’il a fait.

Le gouvernement a alors nommé un directeur général intérimaire, qui a occupé le poste pendant 18 mois jusqu’à ce qu’il soit nommé permanent à ce poste. Il y a eu une période de 18 mois où nous avons eu un directeur intérimaire.

Pour ce qui est de l’incidence sur notre système démocratique et électoral, que pensez-vous d’un processus aussi long, plus particulièrement lorsque la personne qui a été nommée le 1er janvier 2017 est la même personne qui a été nommée en mai 2018? Quelle est votre opinion à ce sujet?

Mme Turnbull : Je pense que, parce que c’était la même personne, la perturbation a dû être moindre.

La sénatrice Frum : Pourriez-vous soutenir, parce que c’était la même personne, que nous avons eu une période de 18 mois où nous avions un directeur général qui a été nommé à titre amovible par le gouvernement, ce qui n’est pas la façon dont le directeur général est censé être traité?

Mme Turnbull : Je ne sais pas pourquoi c’était le cas.

La sénatrice Frum : Cela vous dérange-t-il, en tant qu’expert en systèmes démocratiques?

Mme Turnbull : Cela me gênerait si c’était toujours le cas. Dans ce cas-ci, M. Perrault faisait partie de l’institution depuis longtemps. À mon avis, il était le choix évident pour occuper le rôle à titre intérimaire lorsque le directeur général a démissionné ou pris sa retraite, selon le cas.

Cette situation ne m’a pas beaucoup préoccupée mais si, de façon générale, nous sommes lents pour procéder à ces nominations, alors c’est un problème.

M. Wiseman : Cela m’a fait sourciller. Je me suis dit : « Que se passe-t-il ici? Le gouvernement prend-il au sérieux Élections Canada? ». Marc Mayrand a très clairement fait savoir qu’il allait quitter son poste.

Ce n’est pas seulement avec ce bureau. N’oubliez pas que c’est un agent du Parlement. La même chose s’est produite avec le commissaire aux langues officielles. Les choses ont traîné en longueur. Graham Fraser savait qu’il allait quitter son poste. Pourquoi a-t-il fallu autant de temps? Je pense que le gouvernement, peu importe le parti qui était au pouvoir, devrait être mis sur la sellette à la Chambre des communes.

Je ne m’en suis pas rendu compte, mais j’imagine qu’il est logique que les personnes nommées à titre intérimaire à ces bureaux soient approuvées par consensus. Tous les partis devraient approuver qui sera un agent indépendant qui relève du Parlement du Canada.

Votre sourire me porte à croire qu’il y a eu des abus. Je pense que c’est terriblement regrettable.

Le président : Je vous signale que les autres témoins sont arrivés.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous les deux de vos exposés. Ma question porte sur les sanctions en cas de non-respect des obligations prévues dans le projet de loi C-50.

Autrement dit, ces sanctions sont-elles suffisantes pour décourager les partis politiques et les organisateurs d’activités de contourner la loi? Le projet de loi prévoit une amende de 1 000 $. Aucune infraction dans la Loi électorale du Canada n’est assortie d’une amende aussi peu élevée que 1 000 $. L’amende devrait-elle être augmentée à au moins 5 000 $, ce qui est le même montant imposé pour certaines infractions prévues par la loi?

Mme Turnbull : Dans ces cas-là, je ne sais pas si le fait de faire passer l’amende de 1 000 $ à 5 000 $ changerait les choses. Il y a eu des cas où des gens semblaient contrevenir à ces types de lois, une amende était imposée, ils la payaient, et l’affaire était réglée.

Je pense que s’il y a un prix à payer, ce sera sur le plan politique. Il appartient aux électeurs et aux gens pour qui cette question est importante d’exercer des pressions sur les partis politiques pour qu’ils respectent l’esprit de la loi, si c’est ce qu’ils veulent. Je ne pense pas que des sanctions pécuniaires auront vraiment une incidence dans ce cas-ci.

Le président : Monsieur Wiseman, qu’en pensez-vous?

M. Wiseman : Je serai bref. Vos autres invités sont ici.

Je suis d’accord avec M. Turnbull. Je ne pense pas qu’il y ait une grande différence entre une amende de 1 000 $ et une amende de 5 000 $, surtout si c’est pour une violation de l’ordre de 100 000 $, par exemple. J’ai remarqué qu’Élections Canada ne fait rien dans bon nombre de ces cas. Pourquoi on n’intente pas des poursuites — je ne dis pas qu’on devrait le faire — contre les candidats à la direction de tous ces partis?

Dans la plupart des cas, Élections Canada ne cherche pas à intenter des poursuites. Il veut s’assurer que les gens ne se comportent pas de cette façon dans le futur. Cela n’empêche personne d’agir de la sorte dans le futur, il me semble.

Des lois existent, mais elles ne sont pas appliquées, en réalité. Elles le sont dans très peu de cas. Il y a l’affaire Del Mastro, le scandale de transferts de fonds. Dans la plupart des cas, les gens sont très heureux de recevoir une lettre de Shelly Glover, à l’époque où elle était ministre, leur disant qu’elle respecte la loi, et cetera.

Le président : Madame Turnbull, je vous remercie d’avoir été présente. Nous vous remercions beaucoup de votre participation.

Monsieur Wiseman, comme vous le savez, je trouve vos articles, vos observations ou vos déclarations dans le débat public très stimulants, parfois provocants. Cela nous pousse à réfléchir à l’état de la démocratie au Canada. Merci beaucoup de votre participation.

[Français]

J’ai l’honneur de vous présenter M. Mario Dion, commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique de la Chambre des communes. Il est accompagné de Mme Martine Richard, avocate générale principale. Merci d’avoir accepté notre invitation à poursuivre avec nous nos réflexions sur le projet de loi C-50, qui modifie la Loi électorale du Canada dans ses dispositions relatives au financement. Nous vous écoutons d’abord, monsieur Dion.

Mario Dion, commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique : Merci de m’avoir invité à comparaître devant votre comité aujourd’hui pour contribuer à votre étude du projet de loi C-50 en ce qui concerne le financement politique.

Je suis accompagné de Martine Richard, notre avocate générale principale. Elle est également responsable de l’équipe des enquêtes. Comme j’ai été nommé il y a à peine cinq mois, il se peut que je fasse appel à Mme Richard pour répondre à certaines questions bien précises quant à l’application de la loi et du code.

[Traduction]

Comme vous le savez, le projet de loi C-50 exige que le parti politique enregistré annonce publiquement toute activité de financement politique à laquelle assisteront un ministre, le chef du parti ou le candidat à la direction, si le prix d’entrée est supérieur à 200 $. L’obligation serait pour le parti d’annoncer toute activité de financement réglementée à l’avance, en diffusant les renseignements exigés à un endroit bien en vue sur son site web au moins cinq jours avant la tenue de l’activité.

Le projet de loi institue également un régime de production de rapports. Le parti politique enregistré serait tenu de présenter un rapport sur toute activité de financement réglementée — dans les 30 jours suivant la tenue de l’activité — au directeur général des élections, qui le publierait ensuite. Le rapport identifierait le chef, le chef intérimaire, tout candidat à la direction ou tout ministre ayant assisté à l’activité, ainsi que d’autres personnes présentes, et chaque personne ou entité ayant organisé l’activité.

[Français]

Le projet de loi C-50 n’a pas d’impact direct sur les deux régimes que notre bureau administre, c’est-à-dire, d’une part, celui de la Loi sur les conflits d’intérêts, qui vise les titulaires de charge publique, y compris les ministres, les secrétaires parlementaires, le personnel ministériel, ainsi que la plupart des personnes qui sont nommées par décret du gouverneur en conseil et, d’autre part, celui du Code régissant les conflits d’intérêts des députés. Donc, il n’y a pas d’impact direct à ce chapitre.

Cependant, la législation proposée s’appliquerait à certaines personnes couvertes par l’un ou l’autre des régimes. Il y a convergence en ce qui concerne les personnes qui pourraient être régies par le projet de loi C-50 et par le code ou la loi. Les ministres sont assujettis à la Loi sur les conflits d’intérêts, y compris le Code régissant les conflits d’intérêts des députés. Donc, les deux dispositifs s’appliquent aux ministres, aux secrétaires parlementaires ainsi qu’aux ministres d’État. Il n’y a pas de ministre d’État à l’heure actuelle, mais ce pourrait être le cas un jour.

[Traduction]

Tous les candidats à la direction, les chefs de parti et les chefs intérimaires qui sont députés sont aussi visés par le code. Il y a un chevauchement concernant certaines personnes par rapport au projet de loi et aux deux textes que le commissariat applique.

[Français]

En faisant quelques recherches, j’ai constaté que ma prédécesseure avait témoigné devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes dans le cadre de l’étude de ce projet de loi en octobre dernier. Elle avait exprimé son appui à ce projet de loi, puisqu’il permettra d’accroître la transparence des activités de financement politique. Je suis sensiblement du même avis qu’elle au sujet de la version modifiée du projet de loi dont est saisi votre comité.

La transparence est essentielle au maintien de la confiance des Canadiennes et des Canadiens envers la conduite des responsables élus et nommés. L’importance de la transparence est reconnue comme l’un des principes du Code régissant les conflits d’intérêts des députés. Dans le code, on peut lire ce qui suit, et je cite :

[…] les députés exercent leurs fonctions officielles et organisent leurs affaires personnelles d’une manière qui résistera à l’examen public le plus minutieux […]

Pour qu’il y ait examen public, il doit y avoir un accès à des renseignements concernant les activités, les avoirs, les dettes, et cetera. En exigeant des chefs de parti, des chefs intérimaires, des candidats à la direction d’un parti et des ministres qu’ils annoncent leur présence à des activités de financement réglementées et qu’ils en fassent rapport améliorera la transparence et la confiance.

[Traduction]

Le projet de loi C-50 tombe à point puisque la confiance du public semble avoir été érodée par plusieurs activités de financement politique ayant beaucoup attiré l’attention médiatique ces dernières années. On parle ici d’activités de financement où les participants payent pour avoir l’occasion de rencontrer des ministres ou le chef du parti.

Le commissariat a reçu de nombreuses plaintes de Canadiens à propos de certaines de ces activités de financement. Il a reçu plusieurs demandes d’enquête également. Nous n’avions toutefois pas grande latitude pour agir.

Le Code régissant les conflits d’intérêts des députés est absolument muet sur la question du financement; il ne l’interdit pas.

Dans la Loi sur les conflits d’intérêts, une seule disposition traite directement de la participation des titulaires de charge publique à des activités de financement, mais sans faire de distinction entre le financement à des fins caritatives et le financement politique.

Comme l’expliquait celle qui m’a précédé, Mary Dawson, au comité de l’autre endroit, en octobre dernier, voici ce que stipule l’article 16 de la loi :

Il est interdit à tout titulaire de charge publique de solliciter personnellement des fonds d’une personne ou d’un organisme si l’exercice d’une telle activité plaçait le titulaire en situation de conflit d’intérêts.

Pour qu’il y ait contravention à l’article 16, on doit être en présence de deux éléments. Premièrement, le titulaire de charge publique, le ministre, par exemple, doit avoir sollicité personnellement des fonds ou avoir demandé à quelqu’un d’autre de le faire en son nom. C’est le premier élément de l’article 16. La personne doit avoir participé à la sollicitation de fonds, par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre ou directement.

Deuxièmement, il doit être établi que cette sollicitation plaçait le titulaire de charge publique en conflit d’intérêts, terme qui est défini à l’article 4 de la Loi sur les conflits d’intérêts.

Je dois mentionner également qu’une autre disposition de la Loi sur les conflits d’intérêts est liée au financement politique. Il s’agit de l’alinéa 11(2)a), qui prévoit une exception à la règle visant les cadeaux en ce qui concerne ceux que permet la Loi électorale du Canada. La règle visant les cadeaux interdit à tout titulaire de charge publique et à tout membre de sa famille d’accepter un cadeau ou un autre avantage qui pourrait raisonnablement donner à penser qu’il a été donné pour influencer le titulaire de charge publique dans l’exercice de ses fonctions officielles.

[Français]

Les contraventions en vertu des articles 11 et 16 et d’autres dispositions de la Loi sur les conflits d’intérêts, qui ne portent pas spécifiquement sur les activités de financement, pourraient survenir, mais seulement ultérieurement. Lorsqu’une personne qui a fait une contribution financière cherche à faire pencher en sa faveur un ministre, un secrétaire parlementaire ou un membre de leur personnel, ces dispositions n’auraient aucune application durant le déroulement de l’activité comme telle ou au moment où est versée la contribution demandée, mais elles pourraient entrer en jeu subséquemment. Par exemple, l’article 6 interdit à tout titulaire de charge publique, donc à un ministre, à un secrétaire parlementaire ou à une autre titulaire de charge publique, de prendre une décision officielle ou de participer à la prise d’une telle décision s’il sait ou devait raisonnablement savoir qu’en prenant cette décision, il se trouverait en situation de conflit d’intérêts.

Aux termes de l’article 7 de la Loi sur les conflits d’intérêts, qui porte sur les traitements de faveur, il ne s’agit pas de savoir avec qui le titulaire de charge publique peut discuter lors d’une activité de financement, mais de déterminer si cette personne a reçu par la suite un traitement de faveur. L’article 7 est cependant d’une portée très limitée. Il n’interdit pas toutes les formes de traitements de faveur, mais uniquement ceux qui sont accordés en fonction de l’identité de la personne qui intervient.

Dans l’ensemble, c’est un peu complexe. J’essaie de simplifier le plus possible, en quelques minutes, la Loi sur les conflits d’intérêts. Nous aurons l’occasion de répondre à vos questions par la suite.

Je suis d’avis que le projet de loi C-50 ne peut qu’avoir une incidence positive en améliorant la transparence en ce qui concerne les activités de financement, ce qui est sans doute toujours une bonne chose pour prévenir les accrocs à l’éthique. Il pourrait aussi aider le commissariat — c’est à cette étape que le travail de Mme Richard intervient — à appliquer la Loi sur les conflits d’intérêts dans les cas où des allégations portent sur le fait qu’un intervenant ayant assisté à une activité de financement réglementée aurait reçu un avantage de la part d’un ministre qui était présent à l’activité. En fait, l’adoption de ce projet de loi nous fournirait une autre source d’information fiable quant aux accointances qui auraient pu exister entre un titulaire de charge publique et une personne ou une entité.

Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Dion.

[Traduction]

La sénatrice Frum : J’aimerais seulement comprendre comment les choses se déroulent. Si un chef de parti, un premier ministre ou un ministre étaient reconnus coupables au titre du projet de loi C-50 et avaient payé l’amende de 1 000 $, à ce moment-là, alors, est-ce que votre commissariat interviendrait après, ou peut-être en même temps? Ou encore, interviendrait-il d’abord? Quelle serait la chronologie des événements?

M. Dion : Coupable de ne pas avoir fait une déclaration ou de ne pas avoir fait d’annonce à l’avance ou de l’avoir fait après coup?

La sénatrice Frum : C’est cela.

M. Dion : Cela ne déclencherait rien de notre côté concernant une violation. Cela concerne entièrement le projet de loi C-50, je crois, selon ce que pourrait ajouter Mme Richard ici.

Martine Richard, avocate générale principale, Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique : C’est exact. Nous déterminerions s’il y a eu une infraction à l’article 16 de la Loi sur les conflits d’intérêts. Il faudrait alors que le titulaire de la charge publique, le ministre ou le secrétaire parlementaire aient sollicité personnellement des fonds. On parle ici d’un ensemble très particulier de faits.

La sénatrice Frum : Si jamais une personne était reconnue coupable sous le régime du projet de loi C-50, selon cette disposition, vous dites que votre commissariat n’interviendrait pas parce que…

M. Dion : À moins qu’une plainte ait été soumise ou à moins que des renseignements publics montrent que le ministre — supposons qu’il s’agit d’un ministre — a lui-même organisé l’activité ou a fait en sorte que l’activité soit organisée. Dans ce cas, cela pourrait constituer une violation de la loi que nous appliquons, de l’article 16.

La sénatrice Frum : Oui, mais cela se produirait après. Ou, cela pourrait-il se passer simultanément?

M. Dion : Cela pourrait arriver. Dès qu’une personne organise personnellement une activité, cela concerne l’article 16. Il faut prouver qu’il y a eu participation personnelle. Il faut qu’il y ait des preuves de participation personnelle et d’activité causant un conflit d’intérêts, c’est-à-dire que quelque chose s’est passé par la suite et a placé une personne qui a participé à l’activité dans une meilleure position que si elle n’avait pas participé à l’activité, grosso modo.

La sénatrice Frum : D’accord. Sur son site web, le premier ministre a fait connaître ses propres normes relatives aux conflits d’intérêts selon lesquelles les ministres et les secrétaires parlementaires doivent éviter tout conflit d’intérêts, toute apparence de conflit d’intérêts et toute situation pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts. S’agit-il des mêmes règles que celles qui sont prévues dans la Loi sur les conflits d’intérêts? Si ce n’est pas le cas, recommandez-vous qu’elles soient ajoutées à la Loi sur les conflits d’intérêts chez les parlementaires?

M. Dion : Ce ne sont pas les mêmes règles. Il s’agit d’un instrument politique. Il n’a pas force de loi. Bien entendu, en tant que commissaire à l’éthique, j’encouragerai toujours la portée la plus grande possible. Par conséquent, dans le cadre d’un examen, il vaudrait la peine de déterminer si, dans cet instrument de 2015, il y a des aspects supplémentaires ou différents. Parfois, l’angle est différent. Il vaudrait la peine de se pencher là-dessus, car à mon avis, la meilleure version de la Loi sur les conflits d’intérêts, ce serait celle qui est la plus complète.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Bienvenue, monsieur le commissaire. À votre connaissance, pourquoi le code des députés ne comporte-t-il pas de mention relative aux activités de financement?

M. Dion : Malheureusement, je ne peux vous répondre, car je n’en sais rien. Il a été adopté en 2004 et a été modifié à quelques reprises depuis. Je ne sais pas si Mme Richard connaît la genèse de l’absence de mention sur les activités politiques. Je ne connais pas la genèse de cela du tout.

La sénatrice Dupuis : Le fait que le projet de loi C-50 prévoit l’établissement de rapports très précis concernant les participants aux activités politiques, y compris leur adresse, est-il susceptible de vous aider dans l’application du code sur les conflits d’intérêts?

M. Dion : Je pense que ce serait une mine de renseignements potentiellement très intéressante, surtout pour faire de la vérification croisée — je crois que c’est le bon mot — dans le cadre d’une enquête ou d’une décision. J’ai le pouvoir de lancer une enquête de mon propre chef lorsque j’ai des motifs raisonnables et probables de croire qu’une contravention à la loi ou au code a été commise; il serait donc fort intéressant de savoir qui a parlé à qui, quand et comment. Cela serait merveilleux.

Le sénateur Gold : Bienvenue, monsieur le commissaire.

[Traduction]

Monsieur Dion, vers la fin de votre déclaration préliminaire, vous avez dit que vous étiez d’avis que le projet de loi pourrait avoir une incidence positive et pourrait contribuer à éviter les accrocs à l’éthique. Pourriez-vous nous en dire plus sur les répercussions sur le plan éthique de ces activités de financement auxquelles participent des membres du Cabinet et des chefs de parti?

M. Dion : Il s’agit de créer une opinion favorable, de favoriser la prise d’une décision de la part d’un décideur ou sa participation à une décision au moyen d’un traitement antérieur qu’il a reçu — par exemple un cadeau, une participation, la tenue d’activités, et cetera. Cela prédispose favorablement le politicien ou le ministre, lorsqu’ils doivent prendre une décision dans l’exercice de leurs fonctions. C’est ce qui constitue un conflit d’intérêts; on essaie de favoriser indûment une autre personne en raison d’une relation ou d’une prédisposition.

[Français]

Le sénateur Gold : Peut-être que je me suis mal exprimé, alors je vais me reprendre dans la langue de Molière.

M. Dion : Je crois que votre question était claire.

Le sénateur Gold : J’aimerais comprendre la distinction. J’ai assisté à des événements où était présent un ministre ou un premier ministre. Je me souviens d’une fois où des hommes et des femmes d’affaires s’entendaient parfaitement pour dire que telle ou telle loi devait être modifiée, non pas pour avantager une compagnie ou même un secteur, mais dans un sens général. Comprenez-vous la distinction que j’essaie de vous démontrer? Il s’agissait d’une discussion ouverte avec un décideur, dans une maison privée, certes, sur un enjeu politique d’application générale. S’agirait-il d’une situation de conflit d’intérêts dans ce cas? Je ne crois pas.

M. Dion : C’est cela.

Le sénateur Gold : Ainsi, je ne comprends pas comment cela peut se transformer en une situation de conflit d’intérêts par la suite. Où est l’implication éthique?

M. Dion : C’est ce qui se passe après qui compte, ce n’est pas le fait d’assister à l’événement. C’est ce qui passe à la suite de cet événement avec le ministre qui pourrait avoir un lien, selon une décision prise ultérieurement.

La définition de « conflit d’intérêts » dans une loi d’application générale exclut expressément deux choses : une décision de portée générale ou encore une décision qui touche une vaste catégorie de personnes. Cela peut concerner l’ensemble des Canadiens ou une vaste catégorie de personnes. À titre d’exemple, les avocats, les personnes âgées ou les enfants constituent des catégories de personnes qui sont exclues de la définition de « conflit d’intérêts ». Il ne s’agit pas d’un intérêt privé.

Le sénateur Gold : Est-ce que la grande majorité des cas implique explicitement la grande majorité des activités?

M. Dion : Il n’y a pas de problème.

Le sénateur Gold : Pas de problème, merci.

M. Dion : Notre travail, c’est d’examiner les faits au cas par cas afin de déterminer s’il y a un problème ou pas.

Le sénateur Gold : Tant mieux.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux. Le projet de loi assujettit tous les chefs de parti et candidats à la direction — et pas seulement les ministres — au nouveau régime concernant la publicité et la production de rapports. Les secrétaires parlementaires ne sont pas visés par le projet de loi, comme vous l’avez dit dans votre déclaration préliminaire, monsieur Dion. Or, les secrétaires parlementaires sont visés par la Loi sur les conflits d’intérêts à titre de titulaires de charge publique, tout comme le premier ministre et les ministres. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi les secrétaires parlementaires ne sont pas visés par le projet de loi C-50?

M. Dion : Non. Premièrement, je n’ai pas participé à l’élaboration du projet de loi C-50. Deuxièmement, j’imagine que c’est une décision politique que la ministre et le Cabinet ont prise lorsqu’ils ont approuvé le dépôt du projet de loi C-50. Ils ont décidé de ne pas les inclure. J’ignore pourquoi ils ont pris une telle décision.

Le sénateur McIntyre : Si je pose la question, c’est qu’il pourrait y avoir des situations où des secrétaires parlementaires qui savaient ou qui auraient dû savoir que des fonds étaient sollicités par leur personnel dans des circonstances qui les placeraient assurément dans une situation de conflit; cela m’inquiète en quelque sorte.

Madame Richard, voudriez-vous dire quelque chose à cet égard?

M. Dion : Il y a une incohérence entre le projet de loi C-50 dans sa forme actuelle et la Loi sur les conflits d’intérêts, car les secrétaires parlementaires et les ministres d’État sont visés par la loi que j’applique, mais pas par le projet de loi. C’est une incohérence. Quant à la question de savoir si c’est intentionnel, honnêtement, je ne le sais pas.

Le sénateur McIntyre : C’est une situation qui devrait être corrigée, à mon avis.

La sénatrice Batters : Je vous remercie de votre présence, monsieur Dion. Au dernier paragraphe de votre déclaration écrite — je crois que vous l’avez répété ici aujourd’hui —, vous dites que le projet de loi pourrait aussi aider le commissariat à appliquer la Loi sur les conflits d’intérêts dans les cas où des allégations portent sur le fait qu’un intervenant ayant assisté à une activité de financement réglementée aurait reçu un avantage de la part d’un ministre présent à l’activité.

Compte tenu de ce paragraphe en particulier, croyez-vous qu’il est problématique que le projet de loi C-50 ne vise pas les activités de financement tenues durant les campagnes électorales?

M. Dion : J’ai remarqué que ces activités n’étaient pas incluses. Pendant une campagne électorale, les ministres ont toujours les mêmes obligations relativement à la Loi sur les conflits d’intérêts. Cela reste valable jusqu’à ce que la personne cesse d’être ministre. Je ne suis pas préoccupé par le fait qu’au cours d’une campagne électorale, le projet de loi C-50 ne s’appliquerait pas, l’obligation d’annoncer l’activité, l’obligation de produire des rapports sur l’activité. Bien entendu, nous serions privés d’une source d’information dont je parlais, mais à part cela, cela ne me préoccupe pas.

La sénatrice Batters : Il pourrait s’agir d’une source importante.

L’exemple de situation que j’ai utilisé avec les témoins précédents, c’est une situation où, pendant une campagne électorale, le ou la ministre de la Justice tient une activité de financement pour son association de circonscription afin de recueillir des fonds pour la campagne de réélection. Par exemple, un grand nombre d’avocats participent à l’activité. Ce pourraient être un autre ministre ou des gens ayant participé à ces activités de financement qui pourraient entretenir des relations avec le gouvernement du Canada après l’élection.

Cela pourrait-il être une source d’information importante?

M. Dion : Oui. Nous pouvons toujours savoir ce qu’il en est. Malgré le fait que le projet de loi C-50 ne s’applique pas durant une campagne, nous pouvons le déterminer. Le projet de loi C-50 n’est pas en vigueur et nous avons découvert certaines de ces situations dans le passé. C’est seulement que nous sommes privés d’une source potentielle d’information qui, si le projet de loi C-50 est adopté, serait utile. Il serait préférable que cela s’applique en tout temps, mais c’est bien mieux que de ne disposer de rien, comme c’est le cas présentement. Nous nous en remettons aux médias, essentiellement, ou…

La sénatrice Batters : C’est ce dont, je crois, vous parlez, soit d’une situation où les médias apprennent l’existence d’une activité. Parfois, ils l’apprennent, mais il est probable que, bien des fois, ce ne soit pas le cas.

M. Dion : Parfois, ils ne l’apprennent pas. Nous recevons également de la correspondance, des appels téléphoniques et des courriels. La plupart du temps, les gens qui communiquent avec nous révèlent leur identité, mais parfois, ils le font de façon anonyme. Nous avons diverses sources d’information.

La sénatrice Batters : Monsieur Dion, lorsque vous parliez de participation personnelle un peu plus tôt. Pour que vous interveniez, il faut qu’il y ait eu participation personnelle de la part du ministre. Cela inclut également le type de situation dont je parle où un ministre, qui est également un député, et son association de circonscription tiennent une activité de financement afin de recueillir des fonds pour la campagne de réélection de ce ministre. Cela est inclus lorsqu’on parle de participation personnelle, n’est-ce pas?

M. Dion : Il s’agirait de participation personnelle. Il y a un rapport là-dessus, je crois.

Mme Richard : Il faudrait que le ministre ait participé à l’organisation de l’activité. Par exemple, il y a eu le rapport Glover, que Mme Dawson a publié en 2014. On avait allégué que la ministre avait organisé une activité de financement. Dans les faits, l’activité de financement avait été organisée par l’association de circonscription. La ministre n’avait pas participé à la compilation de la liste des invités. Compte tenu du libellé de l’article 16, qui interdit à un ministre de solliciter personnellement des fonds, Mme Dawson a conclu que la ministre n’avait pas contrevenu à l’article 16 de la loi.

La sénatrice Batters : Dans ce cas, était-ce l’association de sa propre circonscription, mais c’est que la ministre n’a pas participé personnellement?

Mme Richard : Elle n’a pas participé. Oui, c’était l’association de sa circonscription.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

[Français]

Le président : Monsieur Dion, est-ce que la notion d’apparence de conflit d’intérêts n’est pas aussi importante pour maintenir la confiance du public dans l’équité qui devrait être normalement le principe directeur de la conduite ministérielle? Est-ce que le fait de se placer dans une situation où l’apparence n’est créée qu’en pratique ne vous permettrait pas de couvrir les ministres d’État et les secrétaires parlementaires? Dans le code du Sénat, le principe est non seulement le conflit d’intérêts, mais l’apparence de conflit d’intérêts. Souvent, l’apparence est plus courante que le conflit d’intérêts lui-même. On veut maintenir le principe de la transparence, soit que tout le monde ait une chance égale de participer à la démocratie et que ce ne soit pas l’argent qui détermine la capacité d’influencer le pouvoir. C’est l’élément qui est fondamentalement en cause. Quelle importance a l’apparence de conflit d’intérêts dans l’application que vous pourriez faire du code de la Chambre des communes par rapport au projet de loi C-50?

M. Dion : Je suis heureux que vous posiez la question. Le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique a comme mission d’appliquer la loi et le code. À moins qu’une contravention respecte les critères de ce qui est prohibé, dans le code comme dans la loi, mon rôle est de constater s’il y a eu ou non une violation à la suite d’une enquête. La notion d’apparence n’entre pas en jeu ni dans le code ni dans la loi. Cela rend mon rôle plus étroit et plus difficile. Ce sont les outils avec lesquels je dois travailler. Je n’ai aucune autorité, sauf celle qui m’est conférée soit par le code ou par la loi. C’est un peu comme en matière pénale : à moins qu’on remplisse toutes les conditions de la contravention, il n’y a pas de contravention.

Le président : Au Sénat, nous sommes assujettis à une norme qui est probablement celle qui couvre le plus de situations. Par exemple, l’article 42 du code permet aux sénateurs de demander au conseiller à l’éthique — l’équivalent de votre poste —, s’ils participent à une activité organisée par un organisme sans but lucratif, si cela risque de créer l’apparence que cet organisme est favorisé. Le conseiller à l’éthique recommande aux sénateurs d’éviter de se placer dans une position qui puisse créer l’apparence qu’il pourrait y avoir un conflit d’intérêts. Donc, la norme est beaucoup plus élevée que celle de la Chambre des communes.

M. Dion : C’est merveilleux. J’ai expliqué à un groupe interne de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique ce matin qu’une partie très importante de notre rôle est de donner des conseils. On reçoit souvent des appels de ministres ou du personnel des bureaux de ministres qui nous demandent des conseils. C’est exactement la situation que vous avez soulevée. Souvent, on leur déconseille de prendre telle action, mais ce n’est pas sur le plan de l’apparence que cela crée un conflit. Le conseil est plutôt lié à des décisions subséquentes auxquelles les personnes pourraient être appelées à participer, si elles veulent préserver toute objectivité et toute apparence en ce qui concerne des décisions éventuelles, qu’il s’agisse d’assister, d’être vu ou d’être associé à cette activité. Un conseil, c’est un avis qu’on donne et que la personne n’est pas tenue de suivre. Cependant, si elle décide de ne pas le suivre, elle s’expose à des problèmes si une plainte est déposée ou s’il y a des faits qui nous indiquent qu’une enquête est de mise. On donne souvent le conseil de ne pas prendre telle action, même si la loi et le code ne parlent pas d’apparence de conflit d’intérêts comme telle. Voulez-vous ajouter un commentaire, madame Richard?

Mme Richard : Dans le code et non dans la loi...

M. Dion : Pour les députés.

Mme Richard : Il y a des principes qui s’appliquent, entre autres, selon lesquels les députés doivent prendre les mesures voulues pour traiter leurs affaires personnelles afin d’éviter des conflits d’intérêts réels ou qui sont prévisibles.

M. Dion : C’est dans le préambule.

Mme Richard : C’est énoncé dans les principes du code régissant les députés, alors que ce même libellé n’apparaît pas dans la loi.

Le président : Dans les dispositions substantives du code.

Mme Richard : Oui, c’est exact.

M. Dion : J’espère, monsieur le président, que cela répond à vos questions. Il n’y a jamais de réponse complète ni directe.

Le président : J’essayais de cerner les lacunes du projet de loi C-50 à l’égard des ministres d’État et des secrétaires parlementaires qui ne seraient pas couverts par des dispositions spécifiques du code. On obligerait un secrétaire parlementaire ou un ministre d’État à éviter de se placer dans une situation où il pourrait donner l’impression qu’il est en conflit d’intérêts.

M. Dion : Il ne faut pas oublier qu’un secrétaire parlementaire n’a pas de pouvoir décisionnel. C’est le ministre et le Cabinet qui l’exercent.

Le président : Bien sûr, mais les secrétaires parlementaires sont tellement près de la fonction ministérielle. Je pourrais vous donner des exemples pour l’avoir été moi-même. Il reste que l’apparence est créée, soit qu’il participe à l’exercice du pouvoir. Il ne signe pas le document au nom du ministre, sauf qu’il est associé intimement dans l’exercice des fonctions ministérielles.

M. Dion : On dispose de 18 conseillers au bureau. Je ne participe pas à tous les avis qui peuvent être donnés. Lorsque je suis impliqué, j’adopte une approche plutôt orthodoxe et restrictive. Je suis très prudent. Lorsqu’il s’agit de décider oui ou non, en général, je conseille de ne pas prendre une telle action.

Le président : Vous appliquez le principe théologique « dans le doute, on s’abstient ».

M. Dion : Oui, parce qu’on ne gagne rien.

Le président : Madame Richard et monsieur Dion, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour contribuer à nos réflexions et répondre à nos préoccupations à l’égard du projet de loi C-50. À bientôt, je l’espère.

(La séance est levée.)

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