Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 48 - Témoignages du 20 septembre 2018
OTTAWA, le jeudi 20 septembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 h 45, pour procéder à l’étude article par article du projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.
Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte.
Hier, en fin d’après-midi, la ministre de la Justice m’a fait parvenir la réponse à une question soulevée lors de sa comparution concernant l’interprétation de la version française d’un article du projet de loi, et c’est très important, car il porte sur la question du consentement. Comme vous le constaterez, la partie de la lettre de la ministre de la Justice la plus importante dit :
Au cours de la séance, une question a été posée quant à savoir si les versions française et anglaise des alinéas 153.1(5)c) (article 10 du projet de loi) et 273.2c) (article 20 du projet de loi) que propose d’ajouter le projet de loi C-51 au Code criminel sont équivalentes. J’ai le plaisir d’aviser le Comité que nos rédacteurs législatifs ont confirmé que les versions française et anglaise de ces alinéas ont le même sens.
La ministre poursuit en expliquant pourquoi, selon le ministère de la Justice, les versions française et anglaise sont similaires, même si, en lisant le libellé textuellement, on pourrait avoir un doute à ce sujet.
La ministre conclut, et je vais vous lire la dernière ligne du dernier paragraphe :
La version française du texte aide à confirmer qu’il n’existe pas de norme différente entre un accord exprimé par des paroles ou un comportement. Ce qu’il faut, c’est une expression positive de l’accord, que ce soit par un comportement ou par des paroles.
Quand j’ai lu la lettre hier soir, je me suis dit qu’il était très important qu’elle soit annexée au procès-verbal de la séance d’aujourd’hui, car un avocat pourrait, lors d’une action en justice dans le cadre de laquelle un doute serait soulevé devant un tribunal, se reporter à notre procès-verbal et faire valoir l’interprétation de la loi du ministère de la Justice.
Je vais demander une motion, et votre approbation, pour que la lettre de la ministre de la Justice datée du 19 septembre et adressée à l’honorable Serge Joyal, C.P., président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, soit annexée au procès-verbal de la séance d’aujourd’hui.
Ai-je une motion?
Des voix : D’accord.
Le président : D’accord. Merci, chers collègues.
Nous allons maintenant passer à notre ordre du jour, soit que le comité procède à l’étude article par article du projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.
Êtes-vous d’accord, chers collègues?
Des voix : D’accord.
Le président : D’accord.
Le titre est-il réservé?
Des voix : D’accord.
Le président : Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs, avec permission, pour que le comité regroupe les articles 1 à 9 et qu’il reporte le vote sur l’article 10, car je crois savoir qu’il y a un amendement à l’article 10, n’est-ce pas? Nous pourrions adopter les articles 1 à 9, qui se trouvent aux pages 1 à 5 du projet de loi, pour que vous sachiez où nous en sommes dans le projet de loi.
Chers collègues, les articles 1 à 9 sont-ils adoptés?
Des voix : D’accord.
Le président : D’accord.
Je crois qu’il y a un amendement à l’article 10 du projet de loi. Puis-je savoir si l’amendement a été distribué aux membres du comité?
La sénatrice Pate : Je crois que c’est le cas.
Le président : Je crois savoir qu’il est proposé par la sénatrice Pate. Sénatrice Pate, je vous écoute au sujet de l’article 10.
La sénatrice Pate : L’amendement concerne la définition dans le projet de loi C-51 de l’incapacité de consentir à une activité sexuelle et concerne l’infraction prévue à l’article 153.1 du Code criminel au sujet de l’exploitation sexuelle d’une personne handicapée. L’amendement supprime la référence à I’inconscience dans la définition, car il est très clair en droit qu’une personne inconsciente ne peut donner son consentement. Le paragraphe proposé dans le projet de loi C-51 pourrait donc faire croire à tort que l’inconscience est le critère de base pour déterminer l’incapacité, une norme qui n’offre aucune protection aux femmes sous l’influence de l’alcool ou de la drogue.
Dans la foulée des décisions comme celle rendue dans l’affaire Al-Rawi, dans laquelle un juge a conclu à tort que la plaignante qui était en état d’ébriété très avancé avait la capacité de donner son consentement simplement du fait qu’elle n’était pas inconsciente, l’amendement proposé permet d’éclairer la notion d’incapacité à donner son consentement en la faisant reposer sur la capacité de la personne à comprendre la nature de l’activité sexuelle, les risques et avantages dans les circonstances concomitantes, et la capacité de dire non et de communiquer son consentement par la parole ou par un comportement.
Après avoir consulté mes collègues, je serais prête à modifier le libellé dans la version anglaise du paragraphe b), qui se lit comme suit : « the complainant is incapable of consenting to the activity in question, in particular because they are, », en remplaçant les mots « in particular because » par les mots « including because ». La version française demeure la même.
Le président : Pourriez-vous répéter à quel endroit vous voulez ajouter ces mots, pour que nous sachions exactement où ils se trouvent?
La sénatrice Pate : Les mots se trouvent dans le paragraphe a) :
a) l’accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d’un tiers;
Dans le paragraphe b), c’est ici que les mots sont ajoutés en anglais, mais la version française ne change pas :
b) il est incapable de le former, pour l’activité en question, notamment pour l’un des motifs suivants :
(i) il n’a pas la capacité de comprendre la nature, les circonstances, les risques et les conséquences de l’activité sexuelle en question,
(ii) il n’a pas la capacité de comprendre qu’il peut choisir de se livrer ou non à l’activité sexuelle en question,
(iii) il n’a pas la capacité de manifester son accord de façon explicite à l’activité sexuelle en question par ses paroles ou son comportement actif;
et :
(3.1) Il est entendu que la capacité de consentir au moment de l’activité sexuelle à l’origine de l’accusation ne peut être déduite d’éléments de preuve portant sur la capacité de consentir lors d’une autre activité sexuelle.
Le président : Je comprends que le but de votre amendement — et je n’attends pas une réponse de votre part — est de donner quelques exemples de circonstances qui pourraient être examinées par le tribunal au sujet du consentement, car le paragraphe b) était très général. On n’y précisait pas de circonstances. On y parlait du fait que le plaignant était incapable de donner son consentement pour tout motif. Vous gardez pour tout motif, mais vous donnez des exemples de circonstances. C’est essentiellement là le but de l’amendement.
La sénatrice Pate : C’est exact.
Le président : Quand j’ai lu l’amendement hier soir, j’avais la même préoccupation que d’autres sénateurs, à savoir que vous restreigniez les circonstances, alors que le projet de loi, en fait, laissait la porte ouverte. Je craignais donc que le libellé de votre amendement n’atteigne pas le but qu’il cherchait à atteindre initialement.
Est-ce une bonne interprétation?
La sénatrice Pate : C’est assurément une des lectures qu’on a portées à mon attention. Mon but était de guider les tribunaux en raison du manque de clarté dont on s’est rendu compte au pays. Nous avons entendu les témoignages d’Elaine Craig et d’autres également sur la façon erronée dont les tribunaux ont interprété cet élément à partir de stéréotypes sur l’agression sexuelle et les plaintes d’agression sexuelle.
Le président : Nous avons les représentants du ministère de la Justice dans la salle, alors si un sénateur veut les consulter au sujet de l’amendement, il a le loisir de le faire. Si c’est le cas, je leur demanderai de prendre place à la table; autrement, ils demeurent bien sûr à notre disposition.
Avez-vous d’autres questions ou remarques au sujet de l’amendement proposé par la sénatrice Pate?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai une question à poser à la sénatrice Pate. Je suis très préoccupé par le cas de Bassam Al-Rawi, en Nouvelle-Écosse, où une jeune fille intoxiquée a dit être inconsciente au moment du consentement. Or, le juge a affirmé ceci : « Vous êtes intoxiquée, mais vous êtes consentante. » Est-ce qu’on traite ces situations où l’on risque encore de voir des cas où une jeune fille intoxiquée ne pourra pas affirmer être inconsciente au moment de donner son consentement?
[Traduction]
La sénatrice Pate : Dans l’affaire Al-Rawi, la femme était apparemment consciente. Elle était ivre, mais ne pouvait pas répondre. Le juge a indiqué qu’elle était consciente et qu’une personne ivre pouvait donner son consentement, mais il y avait beaucoup d’autres preuves qui indiquaient qu’elle pouvait être incapable de le faire pour toutes sortes de raisons. C’est exactement ainsi qu’une partie de l’analyse a été faite. Elle ne se souvenait pas, c’est exact, et ce sont les preuves fournies par les agents de police qui l’ont trouvée et qui ont trouvé le chauffeur de taxi en train de l’agresser qui ont soulevé, en fait, bon nombre de questions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ce que vous proposez comme amendement va-t-il corriger des échappatoires comme celles qu’on a vues dans ce cas?
[Traduction]
La sénatrice Pate : À ma connaissance, oui, selon ce que m’ont dit des experts qui ont comparu devant nous et qui travaillent dans le domaine, comme Mme Elaine Craig et Mme Sheehy.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’aimerais, dans ce cas, que vous m’expliquiez comment on va réussir à éviter des écueils comme celui-là.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Il faudra établir les circonstances dans lesquelles le consentement a été obtenu. À l’heure actuelle, c’est très vague. Donc, lorsqu’une personne est ivre et ne peut même pas parler, comme Rehtaeh Parsons, ou la plaignante dans l’affaire Al-Rawi, ou les plaignantes dans bien d’autres affaires qui ont été devant les tribunaux, les circonstances dans lesquelles l’accusé dit avoir obtenu le consentement devront être examinées et prouvées.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Mais ce n’est pas une assurance entière. Merci.
La sénatrice Dupuis : J’aimerais avoir la réponse de Me Morency, du ministère de la Justice, au sujet de la version française de la proposition d’amendement, compte tenu de la réponse qui nous a été fournie hier soir et de la clarification donnée par la ministre de la Justice dans sa lettre. Je voudrais savoir s’il n’y a pas lieu d’enlever le terme « actif » à l’énoncé de l’article b)(iii) de l’amendement proposé, pour qu’il se lise comme suit :
(iii) il n’a pas la capacité de manifester son accord de façon explicite à l’activité sexuelle en question par ses paroles ou son comportement;
On enlèverait donc le terme « actif ».
[Traduction]
Le président : Pourrais-je demander à madame Morency de venir prendre place à la table?
Je crois comprendre que vous êtes en compagnie de Mme Nathalie Levman, avocate au ministère, de M. Matthew Taylor, avocat-conseil par intérim, et de M. Ray MacCallum, avocat-conseil.
Madame Morency, nous aimerions vous avoir à la table parce que vous êtes une habituée. Nous ne pouvons pas examiner des modifications au Code criminel sans vous.
Matthew Taylor, avocat-conseil par intérim, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Bonjour, pour tout vous dire, nous aimons bien qu’elle soit à la table avec nous également.
Je peux donc prendre place, et si j’ai bien compris la question, elle concerne la réponse fournie par la ministre de la Justice et la différence entre la version anglaise et la version française. Dans la version anglaise, on utilise les mots : « actively expressed by words or affirmatively expressed by conduct. » Est-ce exact?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ce n’est pas là ma question.
Allez à la page 1 de la lettre de la ministre de la Justice, au dernier paragraphe. Selon la ministre, la Cour suprême a précisé ceci :
[...] ce moyen de défense ne peut être soulevé avec succès s’il n’y a aucune preuve que l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle « a été manifesté de façon explicite par ses paroles ou son comportement. »
Donc, je comprends que c’est la terminologie appropriée. La ministre de la Justice confirme que c’est la formulation qui est retenue et qui équivaut à celle de la version anglaise qui a été choisie : « affirmatively expressed by words » et « actively expressed by conduct ». Maintenant qu’on a cette confirmation, n’y aurait-il pas lieu de corriger le projet d’amendement que nous examinons? Il s’agirait, à l’article a), qui vise à substituer du texte par un nouveau sous-paragraphe b) dans son point (iii), d’enlever le terme « actif » à la fin de telle sorte qu’on reprenne exactement l’expression du projet de loi en français qui correspond à l’expression anglaise.
[Traduction]
M. Taylor : Oui, sénatrice. C’est une excellente suggestion pour assurer la cohérence entre les deux différentes dispositions.
Le président : Compte tenu de la réponse, je reviens à vous, sénatrice Pate, parce que vous êtes la marraine de l’amendement. Vous devez nous dire si vous êtes d’accord avec la réponse qui a été donnée à la sénatrice.
La sénatrice Pate : Oui, je suis d’accord.
Le président : Pourriez-vous en faire la lecture pour le compte rendu? C’est important pour ceux qui devront le consulter. Comme vous le savez, ce sont des questions de connaissance judiciaire. Il est donc important que vous lisiez l’amendement dans la forme que vous proposez.
[Français]
La sénatrice Pate : Merci beaucoup, monsieur le président. Le très gentil sénateur Pratte m’assiste.
Le sénateur Pratte : C’est le point (iii). Si l’on comprend bien le vœu exprimé par la sénatrice Dupuis, il se lirait comme suit :
(iii) il n’a pas la capacité de manifester son accord de façon explicite à l’activité sexuelle en question par ses paroles ou son comportement;
Est-ce bien cela?
La sénatrice Dupuis : Exactement.
Le sénateur Pratte : Alors, on biffe le mot « actif ».
[Traduction]
Le président : Y a-t-il d’autres questions sur l’amendement proposé par la sénatrice Pate et modifié par le comité?
La sénatrice Batters : Oui. Il y a quelques représentants du ministère à la table. Je ne suis pas certaine si ceux qui sont ici peuvent répondre à ma question, mais si ce n’est pas le cas, les autres pourront venir prendre place. J’aperçois d’autres visages familiers à l’arrière de la salle.
Au sujet de la question que le sénateur Boisvenu a posé à la sénatrice Pate un peu plus tôt, à savoir si l’amendement apporterait la clarification souhaitée dans ce genre de situations, j’aimerais avoir l’avis du ministère de la Justice sur la question.
Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Monsieur le président, avec votre permission, je vais demander à ma collègue, Mme Levman de répondre.
Le président : Bien sûr.
Nathalie Levman, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Merci de m’accueillir et de poser la question.
La jurisprudence sur la question de l’incapacité est très complexe et la sénatrice Pate a raison de souligner les difficultés qui y sont associées. Il ne fait aucun doute que de passer d’un critère juridique très large, à un critère plus ouvert et basé sur des facteurs constitue une amélioration.
J’ai des réserves toutefois parce qu’on met l’accent sur trois facteurs précis uniquement, et non pas sur la totalité des circonstances.
J’ai aussi des réserves parce qu’on regarde les facteurs du point de vue du plaignant, qu’il soit ou non en mesure de comprendre certaines choses. On ne demande pas au tribunal d’évaluer objectivement l’ensemble des circonstances, ce qui aurait pu aider dans une affaire comme Al-Rawi, dont la décision a été infirmée, soit dit en passant, par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Batters : Est-ce pour ces raisons que le ministère de la Justice n’a pas inclut une définition de ce genre dans cette partie et qu’il a gardé cela très général?
Mme Levman : Vous soulevez un point intéressant. En fait, les modifications visaient certains principes énoncés en 2011 dans l’affaire J. A. . On sait qu’une personne inconsciente ne peut donner son consentement. Le consentement préalable à une activité sexuelle qui se déroule pendant que la personne est inconsciente n’est pas valide en droit. Dans l’affaire Al-Rawi, on souligne que le principe de l’inconscience est formulé comme un axiome dans l’affaire J. A. .
À la Chambre, un autre amendement a été apporté — un amendement important — qui exige que le consentement soit donné au moment de l’activité sexuelle en cause. Dans l’affaire J. A., on trouve une foule de principes juridiques, que le projet de loi tente de clarifier afin que la loi soit appliquée d’une façon raisonnable.
En laissant le point b) complètement ouvert, c’est-à-dire qu’une personne peut être incapable pour tout autre motif que l’état d’inconscience, a.1, on veut reconnaître la complexité des cas qui concernent l’incapacité et s’assurer qu’en aucune façon le fait de clarifier la règle de l’inconscience aura des effets sur les circonstances dans lesquelles un plaignant pourrait se trouver dans l’incapacité de donner son consentement pour des raisons autres que l’inconscience.
La sénatrice Batters : Merci, madame Levman; vos commentaires sont utiles, comme toujours.
J’ai une question pour la sénatrice Pate. J’aimerais savoir si vous avez consulté la ministre de la Justice ou les gens de son bureau pour savoir si la ministre est susceptible de consentir à cet amendement ou si elle a déjà indiqué qu’elle ne l’approuvait pas.
La sénatrice Pate : Je vous remercie beaucoup de poser la question, sénatrice Batters.
Tout indique que le gouvernement est satisfait de ce qu’il a présenté. Nous avons eu des discussions par la suite. Je pense qu’on est conscient que ce qui est proposé ne règle pas tous les problèmes. Le ministère de la Justice pense notamment qu’en étant plus précis, cela pourrait assujettir les plaignants à plus de contre-interrogatoires. En fait, il n’existe pas de preuves de cela. Chaque fois que la question de l’intoxication est soulevée, les preuves indiquent toujours que les contre-interrogatoires augmentent.
Comme la professeure Elaine Craig l’a mentionné lors de sa comparution devant nous, les tribunaux ne savent plus où donner de la tête à l’heure actuelle sur ces questions. Selon elle, comme la Cour suprême du Canada n’a pas défini cela encore, ce serait une bonne chose que le Parlement clarifie, dans une loi, ce que la notion de consentement signifie dans ce contexte et les façons de le déterminer.
Comme le ministère de la Justice et les collègues l’ont fait valoir, on pourrait le faire notamment en rendant l’amendement que j’ai proposé moins précis, moins inclusif, sans le limiter essentiellement à ces dispositions, pour aider les tribunaux qui pourraient autrement adopter une attitude ou des idées discriminatoires à l’égard des agressions sexuelles et des plaignants.
La sénatrice Batters : Donc, pour ce qui est de la ministre de la Justice, il semble qu’elle préférerait laisser la disposition en l’état, sans l’amendement, n’est-ce pas?
La sénatrice Pate : C’est ce que je crois, oui.
Le sénateur McIntyre : J’aimerais préciser un point. Tout d’abord, nous avons la version actuelle dans le code, qui est très large, et nous avons maintenant des amendements qui établissent les critères qu’un juge doit prendre en considération.
Ces critères restreignent-ils le pouvoir d’un juge par rapport à la version actuelle, qui est très large? Ces amendements auront-ils pour effet de restreindre le pouvoir du juge?
Mme Levman : C’est vraiment impossible de dire comment un juge interprétera une disposition particulière dans l’abstrait. Ce que je peux dire, c’est qu’un juge a le pouvoir d’interpréter la loi et que la disposition porte l’attention des juges sur ce qui se trouve dans la loi. Il est donc possible que ces trois facteurs soient ceux auxquels on s’arrête et pas certains autres qui seraient utiles dans les affaires plus difficiles.
Mme Morency : J’ajouterais que, compte tenu de la façon dont l’amendement soumis à l’examen du comité est formulé, il est inclusif, si bien qu’il ordonne à un tribunal de tenir compte d’une gamme de facteurs.
Je pense que le commentaire que ma collègue a formulé est que, en pratique, lorsque vous précisez deux ou trois facteurs, il arrive que ce soient ceux auxquels les tribunaux s’attardent plutôt qu’au chapeau, qui invite le tribunal à l’étudier plus en profondeur. Je pense que c’est l’argument que nous essayons de faire valoir.
La sénatrice Pate : Je veux revenir au témoignage d’experts que nous avons entendu selon lequel il serait utile de fournir une norme juridique qui oriente le tribunal dans une certaine direction. Voilà ce que l’amendement tente de faire.
Le sénateur Pratte : La sénatrice Pate a proposé qu’on modifie un amendement, et j’aimerais clarifier si, à votre avis, cela atténue une partie de la préoccupation. L’amendement original disait « il est incapable de le former, pour l’activité en question, notamment pour l’un des motifs suivants : », soit les trois facteurs.
Maintenant, la sénatrice Pate propose que, au lieu de « notamment pour », on écrive « y compris pour » les motifs un, deux, trois. Il y a là une légère distinction. Cela atténuerait-il, en partie, les préoccupations que vous avez soulevées?
Mme Levman : Oui, je pense qu’il existe une distinction importante entre un critère juridique exhaustif et une liste non exhaustive de facteurs. J’ai déjà mentionné qu’elle améliore clairement l’approche. Cependant, je m’inquiète encore qu’on isole trois facteurs qui sont tous du point de vue du plaignant et qu’on n’examine pas plus objectivement les circonstances globales dans lesquelles l’activité sexuelle s’est produite.
Bien entendu, il reste la préoccupation que j’essayais de soulever et que Carole vient de clarifier, celle selon laquelle la mesure législative a force de loi. Elle attire parfois l’attention des juges vers ce qui se trouve réellement dans le code et exclut d’autres facteurs potentiellement pertinents qui pourraient être utiles aux plaignants vulnérables. Nous savons que dans ce contexte, nous avons affaire à une activité sexospécifique et à des victimes vulnérables.
La sénatrice Pate : Madame Levman, je suis intéressée de connaître les autres facteurs qui, selon vous, devraient figurer ici, car en faisant en sorte que la disposition soit plus inclusive tout en orientant les juges pour qu’ils aient une idée des points dont ils devraient tenir compte, quels sont les cas problématiques que l’amendement proposé ne permettrait pas de régler?
Mme Levman : Je ne dis pas qu’un juge serait incapable de les interpréter de façon appropriée dans une affaire donnée. Ce qui me préoccupe, c’est que cette approche en particulier demande au juge d’examiner si le plaignant est capable de comprendre certaines choses. Elle ne demande pas au juge d’examiner la nature et les circonstances globales d’une affaire, la relation, et cetera, dans une perspective qui ne soit pas celle du plaignant.
La sénatrice Pate : Est-ce que l’alinéa (i) le fait?
Mme Levman : Il demande au juge de déterminer si le plaignant n’a pas la capacité de comprendre la nature ou les circonstances, les risques, les conséquences, et cetera; l’accent est donc mis sur le plaignant.
La sénatrice Pate : Et sur sa compréhension.
Mme Levman : D’accord. Dans une cour pénale, on traite toujours des preuves circonstancielles, alors ce n’est pas inhabituel, mais c’est très difficile de lire dans les pensées d’une personne en particulier lorsqu’elle est très vulnérable, qu’elle est peut-être en état d’ébriété ou qu’elle se trouve, en quelque sorte, en péril.
La sénatrice Pate : Vous opposeriez-vous à cette mesure législative si on y apportait l’amendement proposé?
Mme Levman : Je ne sais pas si c’est à moi de...
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’aurais une question qui s’adresse à nos experts du ministère de la Justice. Dans son mémoire, l’Association du Barreau autochtone prend position en affirmant que le mot « inconscient » causerait davantage de préjudices aux victimes. Êtes-vous d’accord avec cette prise de position?
[Traduction]
Mme Levman : Vous avez dit qu’on mentionnait le mot « conscience » et que des préjugés y étaient associés?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Parce que, dans le texte de loi, il y a le mot « inconscient ». Ce que dit l’Association du Barreau autochtone, dans son mémoire, c’est que ce mot porte davantage préjudice aux victimes.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Si vous me le permettez, avec la permission du sénateur Boisvenu, j’aimerais lire ce que dit le document d’information. Il y est écrit ce qui suit :
L’ajout du terme « inconscient » dans le Code criminel, supposément en réponse à l’arrêt R. c. J. A., fera peu pour aider les victimes d’une agression sexuelle qui étaient en état d’ébriété, mais qui n’étaient pas inconscientes; on pourrait même soutenir que cet ajout leur portera préjudice.
Mme Levman : L’amendement à l’alinéa a.1), celui qui porte sur l’inconscience, ne modifie en rien la loi. C’est simplement la codification d’un principe qui a été formulé dans bien des affaires, mais aussi dans l’affaire J. A.
Dans sa forme actuelle, la mesure législative montre clairement que les plaignants qui sont conscients peuvent ne pas être en mesure de donner leur consentement au sens de la loi, ce qui tombe sous le coup de l’alinéa b) modifié dans le projet de loi C-51, qui précise qu’il peut y avoir bien d’autres motifs que l’inconscience dans la loi qui font en sorte qu’un plaignant puisse être incapable de former son consentement. Nous estimons donc que la mesure législative est très claire et qu’elle formule un principe de droit généralement admis.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Si j’ai bien compris, la position du ministère de la Justice est que le projet de loi C-51 permet de codifier l’état du droit, compte tenu de la jurisprudence actuelle. Il ne va pas nécessairement plus loin, mais je crois que ce n’est pas l’objet du projet de loi.
Si on gardait l’alinéa b), qui suit l’alinéa a.1) qui traite de l’inconscience, dans les circonstances où « il est incapable de le former pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a.1) », notamment par (i), (ii) et (iii) de l’amendement... Autrement dit, on conserverait la perspective générale.
Votre préoccupation, et je la comprends, est de ne pas restreindre l’interprétation que l’on pourrait donner en introduisant la possibilité d’être incapable de former le consentement. En ce sens, si on garde la formulation de l’alinéa b), soit quelqu’un qui est incapable de former le consentement pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a.1), donc toute autre chose que l’inconscience, notamment pour l’un des motifs suivants, (i), (ii) et (iii), qui sont les trois sous-alinéas de l’amendement proposé, est-ce que cela ne répond pas à votre préoccupation légitime de ne pas indûment restreindre la portée du projet de loi C-51?
[Traduction]
Mme Levman : Merci pour la question. Je remarque que l’interprète a utilisé « notamment » dans sa traduction, mais que c’est vraiment « y compris » qu’il aurait fallu utiliser. Je voulais simplement clarifier pour ceux qui ont recours à l’interprétation que je crois comprendre, en fonction de vos commentaires, que vous proposez toujours une approche non exhaustive. Comme je l’ai dit, pareille approche soulève clairement moins de préoccupations qu’une approche exhaustive.
Même avec votre formulation, je continue de trouver préoccupant qu’on vise trois facteurs du point de vue du plaignant.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je trouve votre intervention et vos préoccupations très intéressantes. L’amendement de la sénatrice Pate fait suite à des témoignages d’experts qui nous ont dit qu’il y a véritablement un problème. Apparemment, au Canada, les juges ont de la difficulté à interpréter la position des victimes, ce qui fait en sorte qu’on se retrouve avec toutes sortes de jugements qui peuvent poser des problèmes importants sur le plan du droit.
J’espère qu’on n’aura pas besoin d’une lettre de la ministre de la Justice pour que nos traducteurs traduisent les mots « including » par « notamment » ou « notamment » par « including ». Cependant, est-ce que cette nomenclature n’a-t-elle pas été insérée uniquement pour aider les juges qui auraient de la difficulté à s’ajuster au contexte particulier des causes de violence sexuelle et des positions défendues dans le cadre des témoignages qu’ils doivent entendre de la part des victimes d’agressions sexuelles?
[Traduction]
Mme Levman : L’interprétation que je fais de l’intention qui sous-tend la proposition est la même que la vôtre. Je suis d’accord avec vous pour dire que la jurisprudence en matière d’agression sexuelle est très complexe, surtout en ce qui touche la question de l’incapacité.
Nous avons examiné la jurisprudence au cours de l’été et conclut, comme les experts, qu’elle contient des lacunes. Cependant, nous en avons retiré que les tribunaux tiennent compte de divers facteurs lorsqu’ils déterminent si un plaignant en particulier est capable ou non de former un consentement au sens de la loi.
Ce qui me préoccupe avec l’idée de ne faire ressortir qu’un certain nombre de ces facteurs est que nous pourrions finir par avoir des conséquences involontaires. Alors, oui, je suis d’accord pour dire que l’intention est d’aider les tribunaux à interpréter la loi de façon appropriée, mais comme nous le savons avec la jurisprudence récente, même dans le cas des décisions qui ont été annulées, il peut être très difficile pour les tribunaux d’interpréter ces dispositions complexes. Pas seulement la disposition portant sur la définition du consentement, article 273.1, dont il est ici question, mais aussi les autres dispositions — la croyance sincère, mais erronée, au consentement, et cetera. Nous devons faire preuve de prudence, je crois, lorsque nous adoptons des lois pour éviter des conséquences non intentionnelles, surtout dans un domaine où les plaignants sont aussi vulnérables.
La sénatrice Pate : Pour enchaîner sur ce thème, une des raisons pour suggérer ces amendements était que non seulement les spécialistes de la loi sur les agressions sexuelles et du droit pénal — Isabel Grant, Elizabeth Sheehy et Elaine Craig — l’ont clairement affirmé, mais les représentants du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes et des centres d’aide aux victimes de viol en ont fait autant. Comme l’ont aussi mentionné les femmes autochtones plus tôt, on se préoccupe aussi du fait qu’en ne s’attachant qu’à l’inconscience, on oriente les juges vers les préjugés qui existent déjà.
Je me demande si vous pouviez expliquer pourquoi la question de l’inconscience était la seule sur laquelle on attirait l’attention des juges alors qu’il semble évident dans la jurisprudence qu’ils comprennent qu’une personne inconsciente ne peut pas donner son consentement. Pourquoi ne pas plutôt donner des consignes supplémentaires aux magistrats qui, dans certains cas — pas tous — ont de la difficulté à gérer cette question?
Mme Morency : En règle générale, pour ce qui concerne la codification d’une décision judiciaire, on se pose souvent la question suivante : devrait-on la codifier ou non? On risque toujours d’être trop inclusif ou de ne pas l’être suffisamment, et est-ce qu’on interprète la question exactement de la même façon?
Avec ce que propose le projet de loi C-51, je pense que le comité comprend que la ministre a expliqué que l’intention ici était de codifier l’affaire J. A. Je pense qu’il est aussi juste de faire remarquer qu’on ne convenait pas à l’unanimité que la codification de J. A. était nécessaire et qu’on est peut-être plus à l’aise de s’en remettre à la décision de la Cour suprême en tant que telle pour définir les paramètres.
En fait, le projet de loi C-51 porte un peu sur tout cela; il vise à clarifier et à accroître la transparence pour que la mesure législative écrite noir sur blanc dans le code soit claire et plus facile à comprendre pour tout le monde et qu’elle aiguille aussi les juges, bien sûr.
Bien que la décision J. A. énonce que les victimes inconscientes ne peuvent pas donner leur consentement, le fait d’ajouter cette disposition au Code criminel, tel qu’on propose de le faire dans le projet de loi C-51, clarifie la chose en la décrivant noir sur blanc dans le Code criminel, ce que l’on visait dès le départ. Le but n’était pas d’empêcher les tribunaux de tenir compte d’autres facteurs dans des affaires comme celles-là.
Cependant, je comprends les préoccupations que certaines personnes ont énoncées, qui font valoir que le fait d’ajouter précisément le terme « inconscient » pourrait faire en sorte qu’un juge ne considère pas le cas d’une personne qui est presque inconsciente. Vous ne perdez pas soudainement tous vos moyens quand vous perdez connaissance; votre capacité de donner votre consentement s’amenuise avant que vous en arriviez là. Voilà pourquoi le projet de loi à l’étude a laissé cette catégorie ouverte : pour clairement tenir compte de toute circonstance menant jusqu’à ce point ainsi que toute autre circonstance susceptible de jouer sur l’incapacité, pas seulement à cause d’un état d’ébriété.
Je le fais pour porter à l’attention du comité les avantages, les risques ainsi que les points forts et les points faibles de la codification. C’est vraiment les questions que le projet de loi C-51 tentait d’aborder.
Peut-être que ma collègue sera en mesure de répondre à votre question précise.
Mme Levman : En plus de ce que Mme Morency a dit, je ferais remarquer que la Cour suprême n’a pas fait de déclaration dans laquelle elle interprétait les questions d’incapacité à former un consentement, si bien qu’on peut faire valoir que la loi n’est pas établie et qu’elle ne peut pas vraiment être codifiée lorsqu’il reste une quelconque incertitude. C’est en partie ce qui me préoccupe pour ce qui concerne la codification de quelque chose sans consignes claires des tribunaux. Nous avons la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire Al-Rawi, qui dit que certains facteurs constituent le critère juridique et d’autres non, mais certaines affaires disent autre chose.
Bien que je sois entièrement d’accord avec les experts qui ont témoigné devant vous et qui ont parlé des problèmes associés à la jurisprudence, la solution n’est pas nécessairement simple et n’entrerait certainement pas dans la catégorie de la codification de la loi existante.
Le président : Sénatrice Pate, je vais me risquer à formuler une opinion après cela.
La sénatrice Pate : En gros, la décision concernant ce que la loi devrait être concerne à la fois les organes législatif et judiciaire, évidemment. Dans ce contexte, il est clair qu’on nous demandait — ainsi qu’à vous, forcément — de composer avec la tendance des juges à faire l’amalgame de la conscience et du consentement, et le besoin d’être plus précis, et c’est ce que ce projet de loi tentait de faire.
Je vous sais gré de votre réponse, cela dit. Elle appuie l’amendement que nous avons apporté, et je suis ouverte à tout autre commentaire.
Le sénateur Pratte : L’argument que vous avez soulevé concernant les trois facteurs que l’amendement cherche à ajouter à la mesure législative est que même si la formulation laisse les choses ouvertes en utilisant des termes comme « y compris pour l’un des motifs suivants », par exemple, simplement parce que les trois facteurs sont là, certains juges pourraient avoir tendance à se concentrer sur eux parce qu’ils sont inscrits dans la loi, codifiés.
Cependant, n’est-il pas vrai que la même chose pourrait se produire avec le présent projet de loi, qui s’attache à l’inconscience? C’est-à-dire, même si l’alinéa b) est complètement ouvert, certains juges pourraient avoir tendance à s’attacher à l’inconscience. C’est précisément le problème que nous cherchons à atténuer en enlevant le concept de l’inconscience et le lien possible entre l’inconscience et l’incapacité. C’est ce que nous essayons d’enlever.
Mme Levman : Oui, je comprends cet argument, mais j’estime que le fait d’interpréter l’inconscience comme la règle de la démarcation très nette pour l’incapacité rendrait l’alinéa b) insignifiant. Celui-ci ne servirait plus à rien; par conséquent, les juges doivent supposer que l’alinéa b) signifie quelque chose. L’alinéa b), tel qu’énoncé dans le projet de loi C-51, signifie clairement qu’il englobe les cas d’incapacité résultant de circonstances autres que l’inconscience. Il s’agit donc d’une disposition de nature très vaste et très générale. Nous avons pris bien soin de la rédiger ainsi, sous forme de sous-alinéas distincts, pour que le tribunal comprenne clairement que l’inconscience est l’une des façons dont se manifeste l’incapacité. C’est clair, et il n’y a aucun doute.
D’autre part, lorsque l’inconscience n’est pas en cause, il pourrait y avoir une grande variété de raisons pour lesquelles une personne est incapable, en droit, de consentir, et ce n’est pas seulement pour cause d’intoxication, mais aussi pour d’autres raisons.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je vais faire référence à mes expériences passées, car j’ai interprété des lois pendant 20 ans. Voici ma première réaction. Je trouve que la rédaction proposée par le ministère de la Justice est très large et donne discrétion au juge d’impliquer aux circonstances particulières de chaque affaire la question principale qui est celle que la cour et les tribunaux reconnaissent tout le temps, c’est-à-dire la question du consentement. Or, ce n’est pas le consentent présumé, mais bien le consentement exprès qui est toujours recherché.
Ici, on propose une codification de certains arrêts de jurisprudence, qui a pour effet de présenter une liste — notamment (i), (ii) et (iii) —, de sorte que les juges seront tentés, à la suggestion des avocats, de lire dans la liste afin de voir le principe derrière chacune des causes mentionnées pour trouver un principe directeur qui, lui, pourrait limiter l’interprétation très large qui est voulue par le législateur pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a.1). On cherchera peut-être tous les autres motifs dans la même liste que ceux mentionnés aux sous-alinéas (i), (ii) et (iii).
Ma première réaction est d’y voir un danger de restriction par rapport à ce qui est proposé par le ministère.
[Traduction]
J’ai des réserves à l’égard de cette proposition. Je pense que cela complique le processus, et les gens chercheront le principe directeur derrière ces trois exemptions, ce qui m’inquiète.
Le président : Voici ma préoccupation : à l’alinéa a.1), nous lisons que le plaignant est inconscient. Eh bien, l’inconscience est le plus haut niveau de l’incapacité de consentir. La personne n’est pas du tout là mentalement.
L’autre disposition prévoit que la personne est incapable de consentir. C’est un niveau différent. Si on établit comme premier principe l’idée que la personne est défoncée — l’autre niveau d’inconscience, c’est-à-dire l’autre façon d’être incapable de consentir —, cela signifie que la personne doit être incapable de donner son consentement à partir de ce niveau.
Donc, en laissant cette disposition dépourvue d’exemples, comme la sénatrice Pate l’a proposé, vous pourriez inciter le tribunal à chercher un niveau d’incapacité si élevé qu’il finira, en fait, par passer à côté de l’objectif escompté, soit celui d’accorder une protection au plaignant.
Voilà pourquoi le point soulevé par le sénateur Dalphond est tout à fait juste. Le tribunal voudra déterminer, à la lecture de chacune de ces dispositions, quels sont les critères sous-jacents pour interpréter l’incapacité. D’un autre côté, si nous ne donnons au tribunal aucune indication ou aucune idée de ce que peut être l’incapacité, il pourrait être tenté d’établir comme exigence le niveau d’inconscience. Nous raterons donc l’objectif de protection que nous voulons atteindre aux termes du deuxième alinéa.
Comme je le dis souvent, on s’attirera la critique, quoi qu’on fasse. Alors, dans ce cas, que devrions-nous adopter comme conduite pour déterminer la protection que nous voulons accorder à l’incapacité de consentir? C’est ce que je veux faire valoir après avoir entendu vos réponses aux divers points soulevés par les sénateurs McIntyre, Pate, Dalphond et Dupuis.
La sénatrice Pate : Je vous remercie. C’est utile. Je me demande, compte tenu de tout cela, si une autre possibilité serait de modifier l’alinéa a.1) pour dire que le plaignant est incapable de consentir, puis de continuer avec le reste de l’amendement que je propose et d’enlever complètement la notion d’inconscience, puisqu’il est assez bien établi que l’inconscience empêche le consentement. Les fonctionnaires du ministère seraient-ils plus satisfaits d’une telle proposition?
Mme Morency : Encore une fois, pour revenir à l’objectif du projet de loi C-51 tel qu’il vous a été présenté, il s’agit de codifier l’arrêt J. A. Donc, par souci de clarté, une personne inconsciente ne peut pas consentir. Il n’y a pas de question de capacité là-dedans. C’était important de garder cet élément.
L’amendement que vous avez déposé supprimerait tout cela et comprendrait simplement l’alinéa b). Si vous placez l’alinéa b) dans le contexte actuel du Code criminel, c’est-à-dire, essentiellement, l’idée que le plaignant est incapable de consentir à l’activité, l’arrêt J. A. va dans ce sens. Si une personne est inconsciente, elle ne peut pas consentir, mais l’alinéa b), tel qu’il est formulé dans le projet de loi C-51, propose de dire que c’est pour tout autre motif. Si je comprends bien, votre proposition éliminerait le renvoi à la notion d’inconscience à l’alinéa a.1), en laissant le libellé ouvert. C’est, en quelque sorte, ce qu’on trouve maintenant dans le Code criminel, à savoir l’expression « incapable de le former ». Vous donnez plus de directives en mettant l’accent sur certains exemples, ce qui est plus détaillé que le libellé actuel, en effet. Je suis d’accord là-dessus, mais c’est quand même une approche différente de celle visée par le projet de loi.
Je crois que nous parlons d’atteindre le même objectif, mais peut-être de différentes façons, et je pense que votre préoccupation est d’essayer de donner plus de directives au tribunal afin d’éviter certains des problèmes dont nous avons été témoins jusqu’ici. Quant au risque qui a été cerné, peu importe s’il se concrétise ou non — puisqu’on nous demande si nous pensons qu’il y a un risque —, lorsque nous examinons d’autres articles du Code criminel, nous avons une liste de conditions. Il y a la mise en liberté sous caution, les engagements de ne pas troubler l’ordre public, et cetera. Avec le temps, ces listes continuent de s’allonger, car parfois, les tribunaux n’y prêtent pas tout à fait attention. Songez à la disposition sur la détermination de la peine à l’alinéa 718.2(e), que l’on appelle la disposition Gladue et qui permet d’accorder une attention particulière aux circonstances des Autochtones. C’est là l’objet principal, mais cette disposition s’applique aussi à tout le monde et, bien souvent, l’accent est mis sur cet aspect.
Évidemment, c’est la question dont le comité est saisi, et nous essayons d’aider le comité parce que nous nous demandons s’il y a des risques. À notre avis, ce sont là certains des risques, et vous estimez peut-être qu’il y en a plus encore. C’est tout ce que nous essayons de faire valoir.
M. Taylor : Je tenais à ajouter un point. Je crois que la sénatrice Pate a demandé si l’élimination de la notion d’inconscience permettrait de dissiper les inquiétudes, et nous voulions souligner que, d’après notre interprétation, tel serait l’effet de l’amendement, en tout cas, compte tenu de l’ébauche. D’après ce que nous avons compris, si cet amendement est adopté, la mention d’inconscience serait supprimée.
Le sénateur Sinclair : Vous parlez de l’amendement de la sénatrice Pate?
M. Taylor : Oui. Donc, dans l’ébauche dont nous sommes saisis, il est indiqué que c’est « par substitution aux lignes 20 à 22 ».
La sénatrice Dupuis : C’est plutôt aux lignes 21 à 22.
M. Taylor : Peut-être que nous avons une version différente...
[Français]
En français, ce sont les lignes 20 à 28 et, en anglais, ce sont les lignes 17 à 20.
[Traduction]
Le président : Je ne pense pas que l’intention était de supprimer la mention d’inconscience. Il s’agit des lignes 21 à 22, parce que l’alinéa b) commence à la ligne 21.
La sénatrice Batters : Dans la version actuelle de l’amendement, il est question des lignes 20 à 22. C’est censé être 21 à 22.
Le président : Oui, 21 à 22.
Le président : Pour les besoins de la discussion, dans la version anglaise, ce devrait être par substitution des lignes 18 à 20 et, dans le texte français, c’est :
[Français]
a) par substitution, aux lignes 21 et 22, [...]
La sénatrice Dupuis : Je pense que la façon dont vous l’avez formulé, maître Morency... Inutile de préciser que nous apprécions votre collaboration et vos interventions pour nous aider à éclaircir notre proposition, mais aussi pour comprendre comment traduire ce qui a été argumenté avec raison devant nous, selon nous.
Je pense que la question des risques, que ce soit le choix de codifier, comme le ministère l’a indiqué, qui pose un certain nombre de risques, alors que l’amendement, selon vous, pose d’autres types de risque, se réduit, pour nous, aux risques les moins importants dans une situation qui est complexe et délicate actuellement.
[Traduction]
Le sénateur Pratte : J’essaie simplement de voir s’il y a moyen d’alléger encore davantage vos préoccupations, tout en gardant le libellé qui, selon nous, correspond à nos intentions.
Si nous laissions les alinéas a.1) et b) tels qu’ils sont actuellement formulés dans le projet de loi, l’alinéa b) se lirait comme suit :
b) il est incapable de le former pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a.1);
Nous ajouterions ensuite les mots « notamment pour l’un des motifs suivants », suivis des sous-alinéas (i), (ii) et (iii).
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’ai proposé la même chose.
Le sénateur Pratte : D’accord. Je suis honoré d’en arriver au même raisonnement que vous.
[Traduction]
Encore une fois, ne serait-ce pas là une amélioration par rapport à l’amendement original, et est-ce que cela n’atténuerait pas, en partie, vos préoccupations? Ainsi, l’alinéa b) demeurerait intact et indiquerait au juge, dès le départ, que c’est pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a.1).
Mme Levman : Je ne pense pas que mes observations précédentes dépendent d’une éventuelle suppression de l’alinéa a.1). Elles s’appliquent également à ce genre de scénario. Même si vous tracez la ligne de démarcation en fonction de la notion d’inconscience, vous devrez quand même tenir compte des plaignants conscients prévus à l’alinéa b) et nous savons, à la lumière de la jurisprudence, que c’est là que réside la complexité.
Demander au tribunal de mettre l’accent sur ce qu’une plaignante donnée aurait pu comprendre ou était capable de comprendre ou de saisir à un moment donné, alors qu’elle se trouvait dans une situation très vulnérable, voilà qui pourrait entraîner les effets involontaires dont j’ai parlé tout à l’heure.
Le sénateur Sinclair : Je ne sais pas si je vais contribuer à la discussion, mais laissez-moi tenter le coup. Cela ressemble au débat que j’ai souvent à la maison quand vient le temps de peindre les murs. Je dis toujours que la nuance de la couleur ne fait aucune différence pour moi; le résultat me paraît toujours beau.
La réalité, c’est que les modifications proposées dans la version actuelle du projet de loi C-51 permettent d’atteindre un objectif qui en vaut la peine, et l’amendement proposé par la sénatrice Pate en fait tout autant. Il s’agit de savoir si nous voulons être précis dans la définition d’incapacité, sans se limiter à l’incapacité causée ou non par l’inconscience.
D’après ce que j’ai compris, l’amendement proposé par la sénatrice Pate visait à régler une préoccupation, car nous ne voulions pas que les juges se concentrent exclusivement ou principalement sur la question de l’inconscience en tant que seuil d’incapacité. Nous voulions qu’ils considèrent également d’autres facteurs, sans toutefois les orienter ou les influencer involontairement.
Je crois que l’amendement proposé par la sénatrice Pate fait justement cela, mais je pense aussi que si nous laissions le libellé tel quel, nous obtiendrions également le même résultat. Selon moi, il serait utile d’avoir un ensemble de catégories qui délimitent clairement la notion d’incapacité, mais j’estime que le projet de loi comme tel pourrait suffire pour atteindre un bon objectif.
J’encourage donc mes collègues à voter pour ou contre l’amendement en fonction de ce qu’ils jugent approprié. Pour ma part, je vais l’appuyer, mais au bout du compte, peu importe l’option choisie, nous nous retrouverons quand même avec un projet de loi qui permet d’accomplir ce que nous souhaitons tous.
Mme Morency : J’aimerais ajouter une observation à l’amendement de la sénatrice Pate : dans le texte anglais, à la fin de l’alinéa b), tel qu’il est actuellement formulé, il y a le mot « and », et je pense que si l’intention est de l’insérer dans le cadre du code actuel, il s’agit en fait d’un disjonctif. Il y a également la conjonction « or » dans le texte anglais. On aurait donc l’alinéa b), ensuite les alinéas c) et d), ce dernier étant suivi de la conjonction « or », puis l’alinéa e). Alors, je ne pense pas que le mot « or » soit nécessaire ici.
Le président : Merci.
[Français]
Il n’y a pas, d’ailleurs, dans la version française, d’alinéa a).
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : La sénatrice Pate semble être d’accord pour que nous remplacions le mot « and » par « or ».
La sénatrice Pate : Nous n’en avons pas besoin.
Le président : En effet, je ne crois pas que ce soit nécessaire. C’est mon humble avis.
Le sénateur Pratte : Je suis venu ici en pensant que j’allais présenter une idée originale, mais il se trouve que c’était l’idée de la sénatrice Dupuis. Quoi qu’il en soit, je me sens plus à l’aise avec ce libellé, alors je ne sais pas si je devrais... Êtes-vous d’accord, Kim, pour laisser l’alinéa b) tel quel et remplacer votre version de l’alinéa b) par le libellé initial, tel qu’il est formulé dans le projet de loi, puis y ajouter le mot « notamment » ou, en anglais, « including because »?
Le sénateur Sinclair : « Including but not limited to ».
Le sénateur Pratte : Ces mots seraient simplement ajoutés à l’actuel libellé de l’alinéa b) dans le projet de loi.
Le sénateur Sinclair : Sommes-nous d’accord?
Le sénateur Pratte : Viennent ensuite les facteurs.
Le président : Qu’en pensent les représentants du ministère?
Mme Morency : Pour m’assurer d’avoir bien compris, le libellé serait comme celui de l’alinéa b), tel qu’il est formulé actuellement dans le projet de loi, et après le renvoi à l’alinéa a.1), il y aurait le mot « notamment » et cetera? Est-ce exact?
La sénatrice Pate : En anglais, je le répète, ce serait « including but not limited to ».
Le président : « Including but not limited to ». Les mots « not limited to » permettraient de dissiper la préoccupation exprimée ici, à savoir le risque d’une interprétation trop restrictive.
La sénatrice Dupuis : Nous garderons, dans la version française, le terme « notamment », qui signifie « y compris ».
Le sénateur Sinclair : Donc, si je comprends bien, sénatrice, nous ajoutons les mots « including but not limited to » dans le texte anglais.
Le président : Je demanderai à la sénatrice Pate, qui est l’auteure de l’amendement, de relire les modifications, incluant les lignes corrigées, pour que tout le monde ait le même libellé. Veuillez proposer la motion dans sa version modifiée.
La sénatrice Pate : Je propose:
Que le projet de loi C-51 soit modifié, à l’article 10, à la page 5,
b) il est incapable de le former, pour l’activité en question, notamment pour l’un des motifs suivants...
Pardon.
b) il est incapable de le former pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a), notamment :
(i) il n’a pas la capacité de comprendre la nature, les circonstances, les risques et les conséquences de l’activité sexuelle en question,
(ii) il n’a pas la capacité de comprendre qu’il peut choisir de se livrer ou non à l’activité sexuelle en question,
(iii) il n’a pas la capacité de manifester son accord de façon explicite à l’activité sexuelle en question par ses paroles ou son comportement actif;
Et le texte se poursuit.
[Français]
Le président : Et en français? Monsieur le sénateur Pratte.
Le sénateur Pratte : Donc, on remplacerait les lignes 21 et 22 par la formulation suivante :
b) il est incapable de le former pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a.1), notamment... C’est cela?
Le président : Oui.
[Traduction]
Le sénateur Pratte : Le terme « notamment » équivaut à « including but not limited to ».
[Français]
Notamment — suivi des trois facteurs, (i), (ii) et (iii) :
(i) il n’a pas la capacité de comprendre la nature, les circonstances, les risques et les conséquences de l’activité sexuelle en question,
(ii) il n’a pas la capacité de comprendre qu’il peut choisir de se livrer ou non à l’activité sexuelle en question,
(iii) il n’a pas la capacité de manifester son accord de façon explicite à l’activité sexuelle en question par ses paroles ou son comportement. »
[Traduction]
Le président : Y a-t-il d’autres interventions avant le vote?
Mme Morency : Juste pour confirmer, dans le texte anglais, les mots « including but not limited to because they are » précèdent les alinéas a), b) et c)? Il faut donc les mots « because they are ».
Le président : Oui, tout à fait. Cela m’a échappé, à moi aussi. Sinon, le texte ne s’enchaînerait pas.
[Français]
Je ne vois pas d’autre intervention... Oui, madame Morency?
[Traduction]
Mme Morency : À titre de rappel pour les membres du comité, dans la version française, nous avons tenu compte du libellé énoncé dans la lettre de la ministre. Le libellé qui a été lu comprenait le mot « actif », mais je crois que...
Le président : Nous l’avons supprimé. Le sénateur Pratte ne l’a pas lu; ce mot ne fait donc pas partie du libellé, pour autant que je sache. J’y ai prêté bien attention, moi aussi, maître Morency. Merci de cette précision.
D’autres observations?
[Français]
On me dit qu’en français, ce serait essentiellement « notamment pour l’un des motifs suivants », sans autre précision requise.
Le sénateur Boisvenu : J’aimerais poser une question à nos deux juges. J’écoutais tantôt le juge Sinclair expliquer que si l’on adoptait la loi telle quelle, cela ne changerait pas grand-chose, et que si l’on adoptait la modification, cela ne changerait pas grand-chose non plus. Pour moi, un amendement retarde le processus, car il faut retourner à la Chambre des communes et reprendre le tout, alors que nous devons adopter ce projet de loi avec urgence. J’aimerais avoir les commentaires de monsieur le juge sur cet amendement. Si la magistrature aime la loi telle qu’elle est rédigée, je pense qu’il serait inutile d’amender l’amendement.
Le sénateur Dalphond : Est-ce que je peux répondre à la question?
Le président : Oui, certainement.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Je suis loin de représenter aujourd’hui la magistrature canadienne, alors je m’abstiendrai de prétendre le contraire. Selon ce que je comprends du droit, la notion de consentement a évolué considérablement : avant, le consentement devait être implicite ou tacite et, aujourd’hui, il doit être donné de façon explicite. Il est juste de dire que tel est l’état du droit à l’heure actuelle. Certains juges pourraient avoir du mal à le comprendre, mais c’est là une autre question. Voilà donc l’état du droit actuel.
Les modifications antérieures instaurent une question de droit, celle de savoir comment interpréter la notion de consentement, ce qui signifie que la Cour d’appel interviendra plus facilement pour donner la bonne interprétation de ces dispositions. Cela dit, il s’agira d’une amélioration, car l’établissement de cette question de droit élargit la compétence de la Cour d’appel, ce qui permet, à tout le moins, de clarifier la situation.
En fin de compte, j’aime beaucoup mon collègue, et je lui ai même demandé de me présenter au Sénat, ce qui montre tout le respect que j’ai pour lui. J’aurais tendance à être d’accord avec lui : d’une façon ou d’une autre, les résultats ne seront pas radicalement différents. Je crois toujours que certains avocats vont voir dans la liste qu’il y a une intention de la part du Parlement de donner certaines indications concernant les situations qui sont couvertes. Comme ils sont très efficaces et très créatifs, les avocats vont essayer de trouver l’esprit commun entre (i), (ii) et (iii), et d’établir si des situations similaires devraient se retrouver sur une liste exhaustive, ou s’il y aurait lieu d’ajouter des situations, des choses qui ne sont pas nécessairement limitées à ces principes ou qui n’en émanent pas, mais qui devraient quand même être couvertes. Je crois qu’il y a de la place pour un débat.
Je suis d’avis que la formulation proposée par le ministère de la Justice offre la latitude voulue pour éviter ces embûches. De toute manière, je présume qu’au final la Cour d’appel va arriver au bon résultat.
Le président : Avant de passer à la mise aux voix, y a-t-il d’autres interventions?
La sénatrice Pate : Pour répondre à cela, je ressens le besoin de dire que, bien que je ne sois pas en désaccord avec vos collègues qui sont d’anciens membres du pouvoir judiciaire, le fait qu’il existe un besoin patent à cet égard — et les témoignages que nous avons entendus vont en ce sens — devrait nous mettre la puce à l’oreille : les juges en panne d’interprétation et les avocats qui se sont montrés inaptes à respecter les plaignants doivent être mieux aiguillés.
Le président : Je vais demander à la greffière de procéder à la mise aux voix.
[Français]
Keli Hogan, greffière du comité : L’honorable sénateur Joyal, C.P.?
Le sénateur Joyal : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Carignan, C.P.?
Le sénateur Carignan : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Eaton?
La sénatrice Eaton : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Jaffer?
La sénatrice Jaffer : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Pate?
La sénatrice Pate : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Pratte.
Le sénateur Pratte : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Sinclair?
Le sénateur Sinclair : Oui.
[Traduction]
Mme Hogan : Oui : 6; non : 6; abstention : aucune.
Le président : L’amendement est rejeté. Nous revenons à l’article 10 du projet de loi, sans amendement. L’article 10 est-il adopté?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Les articles 11 à 19? Avec dissidence?
La sénatrice Pate : Mon amendement porte sur l’article 19 du projet de loi. Il vaudrait la peine de faire un deuxième essai. C’est le même amendement de base, alors je vais laisser tomber.
Le président : L’amendement est retiré. Je demande la mise aux voix de l’article 19. L’article 6 est-il adopté?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Les articles 20 à 30 sont-ils adoptés?
La sénatrice Jaffer : Monsieur le président, pour les modifications de l’article 278 proposées aux termes de l’article 25 du projet de loi, j’aimerais que ce soit « avec dissidence ».
Le président : Je vais faire la mise aux voix des articles 20 à 24. Les articles 20 à 24 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : L’article 25 est-il adopté?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Les articles 26 à 30 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Les articles 31 à 40 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Les articles 41 à 50 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Les articles 51 à 60 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Les articles 61 à 70 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Les articles 71 à 80 sont-ils adoptés?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Le titre est-il adopté?
Des voix : D’accord.
Le président : Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : D’accord.
Le président : Le comité souhaite-t-il examiner la possibilité d’annexer des observations au rapport? Si nous avons l’intention de parler de cette possibilité, ne devrions-nous pas passer à huis clos, comme le veut la tradition?
La sénatrice Batters : Je ne crois pas que nous ayons besoin de passer à huis clos. Je préférerais que cela se fasse en public.
Le président : Si personne ne propose de motion à cet effet, nos délibérations vont rester publiques.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je propose qu’on passe à huis clos. C’est ce que nous faisons habituellement.
[Traduction]
Le président : La sénatrice Dupuis propose de poursuivre nos délibérations à huis clos. Plaît-il aux honorables sénateurs de poursuivre la séance à huis clos?
Des voix : Oui.
Des voix : Non.
Le président : Il me faut une réponse claire. Malheureusement, la présidence estime que cette réponse n’est pas suffisamment claire, alors je vais demander que la proposition soit mise au voix.
[Français]
Mme Hogan : L’honorable sénateur Joyal, C.P.?
Le sénateur Joyal : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Carignan, C.P.?
Le sénateur Carignan : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Abstention.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Dupuis?
La sénatrice Dupuis : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Eaton?
La sénatrice Eaton : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Jaffer
La sénatrice Jaffer : Oui.
Mme Hogan : L’honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Abstention.
Mme Hogan : L’honorable sénatrice Pate?
La sénatrice Pate : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Pratte?
Le sénateur Pratte : Non.
Mme Hogan : L’honorable sénateur Sinclair?
Le sénateur Sinclair : Non.
Mme Hogan : Pour, 3; contre, 7; abstentions, 2.
[Traduction]
Le président : Nos délibérations resteront donc publiques.
Sénatrice Pate, je pense que vous aviez certaines observations à proposer.
La sénatrice Pate : Oui, si vous me le permettez. Merci. Voici en quoi consistent ces observations provisoires:
La suppression des dispositions désuètes ou ayant été déclarées inconstitutionnelles est un bon point de départ pour la révision et la modernisation du Code criminel, quoiqu’il faudrait en faire bien davantage pour rendre cette loi claire, cohérente et exhaustive. Le gouvernement du Canada doit procéder à une réforme et à une modernisation plus approfondies du Code criminel. Le comité pense qu’une Commission du droit peut apporter une importante contribution à cette fin.
Par conséquent, voici ce que je propose :
Le comité pense aussi que, grâce à sa démarche indépendante, multidisciplinaire et fondée sur des données probantes, une Commission du droit pourrait aider les représentants élus à élaborer des mesures de droit pénal justes et équitables.
Voulez-vous que je lise tout ce que je recommande?
Le président : Eh bien, je crois que les membres du comité veulent se prononcer sur le texte, étant donné qu’il sera annexé au rapport. Ce serait mieux que vous le lisiez au complet.
La sénatrice Pate : Entendu.
Les rapports de la Commission de réforme du droit et de la Commission du droit du Canada contiennent d’importantes recommandations pour l’élaboration et la réforme des lois, particulièrement en droit pénal. Une telle commission pourrait également formuler des analyses et des conseils précieux sur les nouveautés et les enjeux naissants en matière de justice.
Le Canada a besoin des études systématiques que pourrait faire une Commission du droit pour garantir que son système de justice pénale réponde adéquatement aux préjugés systémiques et respecte les droits des victimes, des accusés et de la population canadienne dans son ensemble.
Pour ces raisons, le comité est d’avis que le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires, y compris en matière de financement, pour assurer l’existence d’une Commission du droit du Canada capable d’assumer les objectifs, les pouvoirs et les devoirs énoncés actuellement dans la Loi sur la Commission du droit du Canada.
[Français]
Devrais-je lire le texte en français également?
Le président : Non, je pense qu’on pourra y revenir; il ne s’agit pas d’un texte de loi, comme vous le savez.
Le sénateur Carignan : Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que le Code criminel a besoin d’une grande réforme, un peu comme ce qu’on a fait pour le Code civil du Québec il y a quelques années en matière de droit civil. Je pense que le Code criminel a besoin d’être « revampé ». C’est pour cela que je suis plutôt en faveur de l’esprit de l’observation.
En revanche, j’ai mes réserves quant aux moyens d’obtenir cette réforme. Est-ce qu’on recréerait la Commission de réforme du droit? Est-ce que ce serait par la formation d’un autre groupe de travail? Quant à moi, je garderais la première partie de l’observation portant sur la nécessité de revoir ou de faire une refonte du Code criminel, mais je laisserais au gouvernement le soin de choisir le moyen d’atteindre cet objectif, sans nécessairement l’orienter vers la Commission de réforme du droit, pour laquelle j’ai beaucoup respect, d’ailleurs. Je laisserais le soin au gouvernement de choisir le moyen.
[Traduction]
Le président : Si je vous comprends bien, vous garderiez les quatre premières lignes et des poussières du premier paragraphe et effaceriez à partir de « Le comité pense qu’une Commission du droit peut apporter une importante contribution à cette fin ». C’est ce que je comprends de votre proposition.
Le sénateur Carignan : Exactement.
Le président : Est-ce que tout le monde comprend ce que le sénateur Carignan propose? Y a-t-il d’autres interventions?
Le sénateur Sinclair : L’un des faits historiques qui ont marqué le développement du droit au Canada a été de reconnaître que nos lois, et le Code criminel en particulier, sont continuellement en train de changer. J’étais de ceux qui ne voyaient pas d’un très bon œil la décision du gouvernement précédent d’éliminer la Commission du droit du Canada. Je crois que la commission faisait œuvre utile auprès de tous les Canadiens — notamment auprès des acteurs de la communauté juridique — lorsqu’il s’agissait d’étudier et de comprendre les tenants et aboutissants des lois avec lesquelles nous devions travailler ainsi que le besoin d’en changer.
Par conséquent, je serais favorable à une observation comme celle-là, car je crois que la création d’une commission — anciennement la Commission de réforme du droit — qui s’intéresserait à la façon dont le droit évolue et a besoin d’évoluer est une bonne chose. Dans cette optique, les consultations auprès des membres du public seraient les bienvenues, et elles seraient un atout important pour le rôle qu’une telle commission serait appelée à jouer.
Bien entendu, la décision définitive au sujet des suites à donner aux recommandations ou aux rapports de la Commission du droit du Canada appartiendra toujours au gouvernement. C’est lui qui aura toujours le dernier mot. Il ne s’agit pas de donner des compétences particulières à quelque entité que ce soit. La commission ne prendra pas de décisions et ne sera pas habilitée à définir de quoi la loi sera faite. Il s’agit plutôt d’un mécanisme pour permettre l’étude en continu et d’un récipient pour recueillir les observations des Canadiens. On verra ainsi à éviter que le droit ne subisse continuellement l’influence de ceux qui ont de l’ascendant sur les décideurs, tant dans les sphères politiques qu’administratives.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je partage l’opinion de mon collègue, le sénateur Carignan, selon laquelle le Canada a besoin de faire un grand ménage dans le Code criminel, qui est devenu une espèce de courtepointe dans laquelle on a de la difficulté à s’y retrouver.
À mon avis, toute forme d’observation doit être liée au projet de loi. Qu’on fasse une observation pour moderniser le Code criminel au chapitre des crimes à caractère sexuel, je suis d’accord. Cependant, s’il s’agit d’apporter une observation sur un autre objet, qui est tout à fait extérieur, soit celui de créer une commission, je trouve que cette initiative n’a pas de lien au projet de loi que nous étudions. Donc, je suis mal à l’aise avec une observation qui déborde du sujet du projet de loi que nous étudions.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Je suis d’avis que nous devrions appuyer la proposition du sénateur Carignan. À plusieurs occasions au cours des trois dernières années, la ministre de la Justice a eu tendance à se traîner les pieds. En fait, la sénatrice Pate sait de quoi je parle puisqu’elle a présenté un projet de loi d’intérêt public émanant du Sénat au sujet des peines minimales obligatoires. Elle l’a fait lorsqu’elle s’est aperçue que le gouvernement ne se pressait pas pour en présenter un, contrairement à ce qu’il avait annoncé dans sa plateforme électorale et dans sa lettre de mandat à la ministre. Par conséquent, je ne voudrais pas donner une autre occasion à la ministre de retarder les choses plutôt que d’agir. Je crois même qu’avec seulement la première partie de cette observation provisoire, ce que nous avons l’intention de proposer est clair, comme l’est aussi le message que nous n’allons pas donner la chance à la ministre d’en confier l’étude à une autre entité.
Le président : Y a-t-il d’autres observations?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je ne sais pas si vous vous rappelez, pour ceux qui siégeaient au comité, que, lorsque nous avons reçu la ministre de la Justice pour discuter du rapport sur les délais en matière de justice criminelle, nous avions parlé de la nécessité de revoir en profondeur la justice criminelle. Dans ce sens, je préférerais, si nous devons faire ce genre d’observation, qu’on l’inscrive dans une formule qui rappelle au gouvernement que nous avons déjà fait des recommandations à ce chapitre et que, encore une fois, nous constatons qu’il s’agit d’une modification très pointue qui ne fait que codifier tel jugement dans telle cause, et que cela ne nous apparaît pas être ce dont on a besoin, soit une révision en profondeur, comme nous avons eu l’occasion de le dire souvent.
Maintenant, ma préoccupation quant au fait d’insister sur une commission de réforme du droit, ici, c’est que nous avons l’air de lier la réforme en profondeur à un seul moyen. Cela me pose problème, parce que c’est beaucoup plus large. On n’a pas eu l’occasion de débattre entre nous de ce qu’on entend vraiment par « révision de la justice criminelle ». Je préférerais que le premier paragraphe soit conservé, sauf la dernière phrase, mais qu’on l’inscrive dans la continuité des travaux de notre comité. Ce n’est pas la première fois qu’on le dit; nous le réitérons dans notre examen du projet de loi C-51. Je n’irai pas plus loin à ce moment-ci.
Le président : Merci, sénatrice. Y a-t-il d’autres observations quant à la suggestion du sénateur Carignan de conserver les trois premières lignes et demie du premier paragraphe et de retirer les autres parties du texte qui se rapportent à la Commission de réforme du droit?
[Traduction]
S’il n’y a pas d’autres observations, je vais mettre la motion aux voix.
La motion du sénateur Carignan est que le texte se lise comme suit : « La suppression des dispositions désuètes ou ayant été déclarées inconstitutionnelles est un bon point de départ pour la révision et la modernisation du Code criminel, quoiqu’il faudrait en faire bien davantage pour rendre cette loi claire, cohérente et exhaustive. Le gouvernement du Canada ». Ou nous pourrions avoir : « Comme il l’a déjà fait, le comité signale au gouvernement du Canada qu’il devrait entreprendre une réforme et une modernisation plus approfondies du Code criminel. » Cela aurait l’avantage de tenir compte de la proposition de la sénatrice Dupuis.
Que tous ceux qui sont en faveur de la motion du sénateur Carignan veuillent bien dire « oui ».
Des voix : Oui.
Le président : Que tous ceux qui sont contre veuillent bien dire « non ».
Des voix : Non.
Le président : La motion est adoptée.
[Français]
Est-ce qu’il y a d’autres observations à ajouter au rapport que je ferai à la Chambre au sujet du projet de loi?
[Traduction]
Comme il n’y a pas d’autres observations, plaît-il au comité que je fasse rapport du projet de loi et des observations annexées au Sénat?
Des voix : D’accord.
Le président : Merci, distingués collègues, de votre participation aux échanges de ce matin.
(La séance est levée.)