LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 5 avril 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d’autres lois, se réunit aujourd’hui à 16 h 15 pour étudier ce projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bonjour et bienvenue, chers collègues, chers invités et chers membres du public qui assistent à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Durant la première heure de la séance, nous recevons Mme Meaghan Thumath, infirmière-conseillère principale en santé publique, ainsi que Mme Lisa Ashley, infirmière-conseillère principale, Politiques, représentation et planification stratégique, toutes deux de l’Association des infirmières et des infirmiers du Canada
Nous accueillons également M. Kerry Jang, conseiller municipal de Vancouver.
De plus, deux représentants de la province de la Colombie-Britannique se joignent à nous par vidéoconférence, à partir de Victoria: Dr Perry Kendall, administrateur des soins de santé, et M. Clayton Pecknold, sous-ministre adjoint et directeur des services policiers.
Merci à toutes et à tous d’être ici aujourd’hui.
Nous allons écouter d’abord les exposés des témoins qui sont ici en personne, en commençant par Mme Ashley. Elle sera suivie par M. Jang, puis par nos témoins de la Colombie-Britannique.
Madame Ashley, la parole est à vous.
Lisa Ashley, infirmière-conseillère principale, Politiques, représentation et planification stratégique, Association des infirmières et des infirmiers du Canada: Bonjour, monsieur le président, bonjour, mesdames et messieurs. Je suis infirmière autorisée et je travaille à l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, le porte-parole national de plus de 139 000 infirmières et infirmiers autorisés et infirmières et infirmiers praticiens de partout au pays.
Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui avec Meaghan Thumath, du Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique. Elle sera en mesure de répondre aux questions d’ordre technique.
Pour commencer, je suis ravie d’indiquer au comité que l’AIIC appuie ce projet de loi important, particulièrement les sections qui portent sur l’élimination de bon nombre des 26 obstacles procéduraux à l’ouverture d’un site de consommation supervisée. Les infirmières autorisées et les infirmières praticiennes connaissent les répercussions de la consommation problématique de substances. Elles les observent dans les collectivités, dans les cliniques et dans les services d’urgence. Les infirmières en santé publique ont joué un rôle de premier plan dans la création des sites de consommation supervisée du Canada. Ces programmes fondés sur des données probantes permettent d’améliorer l’accès aux soins, d’améliorer les résultats en matière de santé et de réduire les décès attribuables à une surdose, tout cela sans accroître les taux de toxicomanie, les troubles communautaires ou les taux de criminalité.
Je vais maintenant présenter les suggestions de l’AIIC, qui comprennent des amendements simples que le comité pourrait apporter au projet de loi. Ces suggestions se trouvent également dans le mémoire que nous avons soumis au comité.
Tout d’abord, il faut éliminer davantage d’obstacles procéduraux à l’ouverture de sites de consommation supervisée. La version actuelle du projet de loi élimine certains obstacles à l’ouverture de tels sites, mais d’autres amendements sont nécessaires afin de permettre une intervention immédiate en cas d’épidémies de surdoses. Nous reconnaissons que la mesure législative proposée diminue le nombre de critères d’exemption, pour les faire passer de 26 à 5, et que cela constitue un changement qui réduit les obstacles à l’obtention d’une exemption pour l’exploitation d’un site de consommation supervisée. Toutefois, le processus de demande d’exemption demandera encore beaucoup de temps et de ressources de la part des médecins-hygiénistes, des fournisseurs de soins de santé, des organisateurs communautaires et des personnes dont le temps et les ressources sont déjà limités. Il serait préférable d’utiliser ce temps et ces ressources pour offrir des services à ceux qui en ont besoin.
En raison de cette étape supplémentaire, les fournisseurs de soins de santé sont confrontés à deux choix déraisonnables: retarder la prestation de services vitaux en attendant la réponse à la demande d’exemption, ou fournir ces services vitaux sans attendre l’exemption et risquer des accusations criminelles.
L’AIIC propose deux recommandations pour surmonter ces obstacles procéduraux.
Recommandation 1: afin de mieux réagir lors de situations en évolution, comme la crise actuelle des opioïdes, l’AIIC recommande que le projet de loi C-37 soit amendé de façon à inclure une disposition autorisant les ministres provinciaux et territoriaux à accorder des exemptions temporaires pour l’ouverture de sites de consommation supervisée.
Recommandation 2: l’AIIC est d’avis que, parmi les cinq exigences proposées, seule l’exigence stipulée à l’alinéa 56.1(2)b) mérite d’être retenue, soit « les conditions locales indiquant qu’un tel site répond à un besoin ». Cette recommandation s’harmonise à l’engagement qu’a pris récemment le gouvernement fédéral de traiter la consommation de drogues comme un problème de santé publique plutôt que comme un problème de justice criminelle. Elle renforce également le rôle de la réduction des méfaits à titre de composante clé de la nouvelle stratégie antidrogue fédérale.
Selon l’AIIC, si l’exigence énoncée à l’alinéa 56.1(2)b) est satisfaite, c’est-à-dire « les conditions locales indiquant qu’un tel site répond à un besoin », le ministre pourraitdéterminer si la structure administrative, l’alinéa 56.1(2)c), et les ressources, l’alinéa 56.1(2)d), nécessaires pour encadrer le site sont en place. Or, l’absence d’une structure administrative et de ressources ne devrait pas entraîner le rejet d’une demande; elle devrait servir uniquement à démontrer que la communauté aurait peut-être besoin d’aide pour satisfaire ces exigences et aider le gouvernement dans sa planification.
De plus, l’AIIC juge que les exigences formulées à l’alinéa 56.1(2)a), « l’incidence d’un tel site sur le taux de criminalité », et à l’alinéa 56.1(2)e), « les expressions d’appui ou d’opposition de la communauté », devraient être retirées. Aucune donnée probante ne vient soutenir ces exigences, ce qui signifie que l’application de ces exigences irait à l’encontre de l’intention du gouvernement fédéral exprimée dans la nouvelle Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances, selon laquelle les décisions stratégiques en matière de drogues doivent s’appuyer sur des données probantes.
L’AIIC recommande d’amender les exigences actuelles relatives aux demandes d’exemption prévues au paragraphe 56.1(2) et propose le libellé suivant:
Toute demande d’exemption présentée en vertu du paragraphe (1) doit démontrer, selon les modalités fixées par le ministre, que les conditions locales indiquent qu’un tel site répond à un besoin.
Avant de terminer, je tiens à souligner que l’AIIC est un ardent défenseur de la réduction des méfaits. De fait, nous considérons que cette approche est un élément essentiel de toute réponse complète en matière de soins de santé parce qu’elle se veut un complément aux stratégies d’abstinence, de prévention et de traitement.
Je remercie le comité d’avoir donné l’occasion à l’Association des infirmières et infirmiers du Canada de venir prendre la parole au nom des infirmières autorisées et des infirmières praticiennes. Nous avons la responsabilité professionnelle de défendre, au nom de tous les Canadiens, l’amélioration de l’accès aux services vitaux qui reposent sur des données et des recherches récentes.
Merci.
Le président: Merci.
La parole est à vous, monsieur Jang.
Kerry Jang, conseiller municipal, Ville de Vancouver: Merci beaucoup. Bonjour, monsieur le président, bonjour, mesdames et messieurs. Je remercie le comité d’avoir invité la Ville de Vancouver a présenté le point de vue du gouvernement municipal par rapport au projet de loi C-37. Je m’appelle Kerry Jang. Je suis conseiller municipal à la Ville de Vancouver et professeur de psychiatrie à l’Université de la Colombie-Britannique.
Franchement, durant toutes mes années de recherche en santé mentale et en toxicomanie et au sein du gouvernement municipal, jamais je n’ai vu une urgence de santé publique de l’ampleur de celle qui frappe actuellement Vancouver. Pour vous donner quelques statistiques, selon les estimations de notre personnel, qui sont fondées sur les données du Service de police de Vancouver et sur les rapports du coroner de la Colombie-Britannique, il y a eu au-delà de 100 décès par surdose à Vancouver depuis le début de 2017. Cela représente une moyenne de plus d’un décès par jour dans notre ville seulement. Si ce rythme se maintient, on comptera plus de 400 décès à Vancouver d’ici la fin de l’année.
Les coûts en ressources financières et humaines associés aux mesures actuelles sont insoutenables. Durant le premier trimestre de 2017, le Service des incendies et de sauvetage de Vancouver a répondu à 1 716 appels concernant des surdoses. En 2016, il a répondu à 4 709 appels de ce type.
Le problème est si immense que nous avons été obligés d’augmenter les impôts fonciers municipaux de 0,5 p. 100 pour financer des ressources supplémentaires, ce qui n’a pas plu à la population.
Toutefois, grâce à nos collègues d’InSite et d’autres sites de prévention des surdoses, nous savons que de tels programmes sont absolument essentiels pour enrayer la crise des surdoses. Sans ces programmes vitaux, la situation serait encore pire. De fait, notre personnel a remarqué une augmentation du nombre de décès qui surviennent à l’extérieur du centre-ville, dans des quartiers où il n’y a pas de sites d’injection supervisée.
Les sites d’injection ou de consommation supervisée permettent d’intervenir rapidement dans les cas de surdose. En outre, des évaluations rigoureuses d’InSite, par exemple, montrent que le centre a réduit considérablement les comportements à risque susceptibles d’exposer leurs auteurs au VIH, comme le partage de seringues. C’est aussi un endroit important de par la possibilité pour les utilisateurs d’être dirigés vers des services de traitement et des soins primaires.
Je suis très heureux que le projet de loi C-37 redéfinisse la consommation de substances pour en faire une question de santé publique. Toutefois, à la Ville de Vancouver, nous sommes d’avis que le projet de loi met toujours trop l’accent sur les activités policières, ce qui a pour résultat que les politiques fédérales et provinciales accordent insuffisamment de ressources et d’attention à la réduction des méfaits, au traitement et à la prévention. De ce fait, la Ville de Vancouver craint que le projet de loi C-37 donne lieu à des inquiétudes injustifiées pour ce qui concerne l’incidence de l’ouverture de nouveaux centres sur les taux de criminalité locale.
Ce n’est tout simplement pas le résultat que les recherches révèlent. En réalité, les sites d’injection supervisée renforcent la sécurité collective. Par exemple, on trouve moins de seringues près d’InSite et d’autres sites de prévention des surdoses. En outre, les données de la police et les recherches empiriques montrent que ces sites n’entraînent pas une hausse de la criminalité, qu’ils réduisent la consommation publique de drogues et qu’ils n’augmentent pas le nombre d’introductions par effraction.
J’aimerais souligner l’importance d’ouvrir ces sites le plus rapidement possible. Avec autant de critères, il faudra du temps. Je dois répéter qu’au rythme où nous allons, il y aura 400 décès cette année, et que plus de 100 personnes sont déjà mortes à Vancouver, ce qui veut dire que pendant que nous passons du temps à débattre un petit détail, il y a probablement eu un autre décès. C’est tout simplement inacceptable, tant du point de vue des soins de santé que de celui de la société civile.
Pour cette raison, nous recommandons de réduire le nombre de critères, comme mes collègues de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada l’ont proposé, et d’exiger seulement de prouver l’existence d’un besoin pour des motifs de santé publique.
Nous sommes aussi préoccupés par le fait que la LRCDAS ne donne pas la latitude nécessaire pour la mise en œuvre rapide de services de consommation supervisée dans des circonstances exceptionnelles. À titre d’exemple, nous avons déposé deux demandes en octobre 2016 pour ouvrir deux nouveaux sites à Vancouver, et ces demandes n’ont toujours pas été approuvées. L’absence de ces services pourrait entraîner 400 décès à Vancouver cette année.
Pardonnez-moi. C’est un dossier qui provoque de grandes émotions chez les gens de Vancouver. Je trouve très difficile d’en parler parce que les décès se suivent les uns après les autres. À l’Université de la Colombie-Britannique, où je travaille, la morgue est pleine. Parfois, il n’y a tout simplement plus de place pour les corps. C’est tout à fait horrible.
La Ville de Vancouver recommande aussi de donner aux ministres provinciaux ou à leurs administrateurs des soins de santé le pouvoir d’accorder des exemptions temporaires. Cette disposition accélérerait l’ouverture de sites, sans miner le processus d’exemption fédérale, qui devrait toujours être suivie pour qu’un service soit offert à long terme ou de façon permanente.
Merci.
Le président: Merci.
La parole est à vous, docteur Kendall et monsieur Pecknold.
Dr Perry Kendall, administrateur des soins de santé, Province de la Colombie-Britannique: Bonjour, et merci. Je suis accompagné par M. Clayton Pecknold, sous-ministre adjoint et directeur des services policiers au ministère de la Sécurité publique et du Solliciteur général de la Colombie-Britannique. Je vous remercie de nous donner l’occasion de présenter nos observations sur le projet de loi C-37.
Ensemble, M. Pecknold et moi avons coprésidé un groupe de travail mixte sur l’intervention relative aux surdoses d’opioïdes en Colombie-Britannique. En avril 2016, après avoir vu le nombre de décès par surdose augmenter année après année à partir de 2010, j’ai déclaré, avec l’appui du ministre, un état d’urgence en matière de santé publique en Colombie-Britannique. La première ministre Christy Clark a mis sur pied le groupe de travail mixte en juillet 2016. Il s’agit d’un partenariat entre les ministères de la Sécurité publique et de la Santé. Le groupe compte aussi des représentants du bureau du coroner, des services de santé régionaux et provinciaux, de la GRC et des services de police municipaux. Notre mandat est simplement de coordonner l’intervention afin d’enrayer la crise des surdoses et de formuler des recommandations quant aux mesures à prendre.
Nous vous remercions de nous donner l’occasion de vous présenter nos observations sur le projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d’autres lois, et d’appuyer ce projet de loi.
Comme vous le savez, la Colombie-Britannique est aux prises avec une épidémie sans précédent de décès attribuables aux surdoses d’opioïdes illicites. Nous croyons que cette épidémie est causée principalement par les substances synthétiques qui ont inondé le marché des drogues illicites, comme le fentanyl et, plus récemment, le carfentanil.
Nous avons adopté des mesures d’intervention diverses visant à lutter contre la stigmatisation, à prévenir les surdoses, à réagir dans les cas de surdose, à offrir des traitements et à renforcer les efforts d’interdiction. Or, malgré toutes ces mesures, les opioïdes illicites ont causé la mort de 922 personnes en 2016.
Fait important, depuis l’ouverture d’InSite en 2003, des millions d’injections y ont été faites, et il n’y a eu aucune surdose fatale à cet endroit, comme il n’y a eu aucune surdose fatale dans les quelque 20 sites de prévention des décès par surdose qui ont été ouverts au début de décembre en vertu d’une ordonnance d’urgence donnée par notre ministre de la Santé, l’honorable Terry Lake.
Cela me fait de la peine de penser que si les conditions du projet de loi C-37 avaient été en place il y a plusieurs années, la Colombie-Britannique aurait plus de sites de consommation et elle aurait été mieux préparée à réagir à cette crise. Moi qui ai plaidé en faveur de l’abrogation de la Loi sur le respect des collectivités en raison des obstacles inutiles qu’elle impose, je vous demande respectueusement d’adopter le projet de loi.
Les sites de consommation supervisée sauvent des vies, ils préviennent la propagation de maladies transmissibles, ils répriment les troubles à l’ordre public, et, plus important encore, ils introduisent des soins et ils dirigent les personnes atteintes de troubles liés à la toxicomanie et à la santé mentale vers des services de soins de santé communautaires.
En notre qualité de coprésidents du groupe de travail mixte sur les surdoses d’opioïdes, nous reconnaissons le rôle crucial que la sécurité publique et la santé publique doivent remplir ensemble pour prévoir de telles crises et y réagir.
Je cède maintenant la parole à M. Pecknold.
Clayton Pecknold, sous-ministre adjoint et directeur des services policiers, Province de la Colombie-Britannique: Merci, docteur Kendall.
Merci au comité de nous offrir l’occasion de donner notre avis sur le projet de loi. Comme mon collègue et d’autres témoins l’ont dit, le nombre de décès causés, en Colombie-Britannique, par la consommation de drogues illicites, en particulier le fentanyl, le carfentanil et d’autres dérivés, n’a jamais été aussi élevé.
La Colombie-Britannique a adopté des mesures visant à renforcer la réaction des organismes de sécurité publique à cette crise, notamment en faisant en sorte que la population générale et les premiers intervenants dans toute la province, y compris les services de police et les sites de prévention de surdoses, aient rapidement accès à la naloxone.
La Colombie-Britannique reconnaît le travail louable entrepris par l’Agence des services frontaliers du Canada dans notre région, ainsi que sa coopération et son appui des mesures visant à restreindre l’importation du fentanyl et du carfentanil au pays.
Toutefois, bien que les services d’application de la loi aient un rôle à jouer pour juguler la crise en renforçant la réaction des organismes de sécurité publique à la production et au trafic de substances réglementées nouvelles et existantes, la solution, selon moi, requiert un effort national concerté entre les organismes de la santé, des services sociaux et de la sécurité publique.
Le groupe de travail mixte de la Colombie-Britannique a entrepris 41 des 71 mesures prévues dans son plan d’intervention. Elles comprennent une campagne regroupant des organismes multiples et visant à sensibiliser la population aux dangers du fentanyl et aux pièges de la consommation, ainsi qu’à minimiser les décès et les maux causés par la consommation; l’achat d’appareils pour la lutte contre la drogue, comme des détecteurs ioniques; ainsi que de la formation pour l’Équipe de lutte et d’intervention contre les laboratoires clandestins, financée par le gouvernement fédéral, et pour les services municipaux principaux. Nous avons également octroyé des fonds réservés à la Gendarmerie royale canadienne, qui agit à titre de police provinciale et qui gère l’unité du crime organisé en Colombie-Britannique, pour cibler les trafiquants du crime organisé de haut niveau. Je tiens à souligner que ces fonds servent à cibler les trafiquants de haut niveau et du crime organisé.
Cependant, certaines mesures prises sont indépendantes de la volonté de la province.
Le président: Monsieur Pecknold, je vais devoir vous interrompre. Nous devons passer aux questions. Les membres de notre comité sont très désireux de poser des questions. La parole est d’abord au sénateur McIntyre.
Le sénateur McIntyre: Je vous remercie pour vos exposés. Ma première question s’adresse aux représentantes de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada.
J’ai remarqué que, durant votre exposé, vous avez formulé deux recommandations, qui figurent également dans votre mémoire. La première est de donner aux ministres provinciaux et territoriaux le pouvoir d’accorder des exemptions temporaires aux centres de consommation supervisée. Avez-vous eu l’occasion de discuter de cette recommandation directement avec la ministre fédérale de la Santé ou avec ses homologues provinciaux?
Mme Ashley: Non, nous n’en avons pas eu l’occasion. Toutefois, nous collaborons avec les fournisseurs de soins qui travaillent avec les ministres fédéral et provinciaux pour nous assurer que c’est une recommandation qui permettrait de répondre aux crises de santé publique au fur et à mesure qu’elles surviennent.
Meaghan Thumath, infirmière-conseillère principale en santé publique, Association des infirmières et infirmiers du Canada: En tant qu’infirmière autorisée, j’ai travaillé à Insite et à certains des centres de prévention des surdoses qu’a mentionnés le Dr Kendall, et je peux vous dire que certains de ces centres ont été mis sur pied en l’espace de 24 heures. Je travaille en première ligne dans le quartier Downtown Eastside, et je peux vous dire qu’il est essentiel de pouvoir réagir grâce à des centres de consommation supervisée situés dans des endroits critiques, où nous savons qu’il y a eu de nombreux décès. La souplesse dont a fait preuve le ministre provincial de la Santé s’est révélée tout à fait indispensable, car elle a permis de sauver bien des vies.
Le sénateur McIntyre: En juillet dernier, la ministre fédérale de la Santé a signé un arrêté d’urgence autorisant l’utilisation de la naloxone, qui permet de stopper ou de contrecarrer les effets d’une surdose. Je crois savoir qu’elle est maintenant disponible au Canada sous forme de vaporisateur nasal de façon temporaire, et qu’avant cet arrêté d’urgence, on pouvait uniquement l’administrer sous forme d’injection. Est-ce que cette nouvelle mesure s’est révélée efficace pour stopper ou contrecarrer les effets d’une surdose?
Mme Thumath: Tout à fait. La naloxone en vaporisateur nasal est indispensable pour les premiers répondants qui ne sont pas des professionnels de la santé et qui n’ont pas la formation nécessaire pour faire des injections. Elle est extrêmement utile, mais elle coûte encore trop cher pour qu’on puisse la rendre disponible partout. Par conséquent, dans les centres où nous avons des personnes capables de faire des injections, nous continuons d’utiliser la naloxone injectable, mais il est clair que les deux ont permis des sauver des vies.
M. Jang: Oui, on a sauvé des vies. L’un des effets secondaires de la naloxone, c’est qu’elle précipite l’apparition de symptômes de sevrage lorsqu’il s’agit de doses élevées. Ce que nous observons à Vancouver, c’est que, dès que les gens reviennent à la normale, ils retournent dans la rue pour consommer de nouveau. C’est probablement parce qu’il y a un manque de services de soutien en santé mentale destinés à aider les personnes à poursuivre le traitement qu’elles ont entrepris.
La sénatrice Jaffer: Je vous remercie tous pour vos exposés et pour le travail que vous faites. Je viens de la Colombie-Britannique, alors je vois directement le travail que vous effectuez.
Monsieur Jang, c’est toujours un plaisir de vous voir. Je vous souhaite la bienvenue.
Nous enregistrons un décès par jour à Vancouver. Je passe souvent par-là, particulièrement dans le quartier East Hastings, près de chez moi. Nous observons qu’il y a véritablement une crise. Ce que vous avez dit m’a contrarié. Je ne savais pas qu’en 2016 vous aviez présenté une demande pour deux centres et que vous attendiez toujours une réponse. Ai-je bien compris?
M. Jang: C’est exact.
La sénatrice Jaffer: En 2016.
M. Jang: C’est exact. Lors d’une discussion avec la ministre de la Santé, le maire a appris qu’en décembre ces centres d’injection supervisée pourraient ouvrir leurs portes. La Ville de Vancouver a apporté son aide en délivrant les permis rapidement. Nous sommes en avril, et ce n’est toujours pas fait.
La sénatrice Jaffer: Vous respectez en ce moment le règlement de 2016 relatif à la loi?
M. Jang: Oui, c’est exact.
La sénatrice Jaffer: Vous avez dit qu’il ne devrait y avoir qu’un seul critère, afin qu’on puisse ouvrir des centres plus rapidement. Puis-je vous demander à quelle vitesse vous croyez qu’un centre pourrait ouvrir?
Le président va m’interrompre parce que j’ai beaucoup de questions.
Je me rends souvent à InSite, alors je sais ce qu’il offre. Premièrement, il veille à la propreté de notre quartier en s’assurant qu’il n’y ait pas de seringues qui traînent. Ce que mes collègues devraient également savoir, c’est que le centre d’injection supervisée se trouve au rez-de-chaussée, et qu’aux étages supérieurs, on offre toutes sortes de services. Il serait utile de savoir qu’il ne s’agit pas uniquement d’un centre d’injection supervisée et que d’autres services sont offerts.
M. Jang: Oui, c’est vrai. Certains des centres ont pu ouvrir leurs portes en l’espace de 24 heures.
Comme vous l’avez souligné, InSite offre également, aux étages supérieurs, un programme de traitement de la toxicomanie qui pourrait aussi être offert par d’autres centres. Un grand nombre des centres se trouvent dans des immeubles municipaux ou ils sont situés sur des terrains municipaux. Nous pouvons rapidement modifier les permis, car nous savons à quel point ces centres sont importants dans notre ville.
Le président: Je veux donner au Dr Kendall l’occasion de répondre. Il est difficile de prendre la parole parfois lorsqu’on est en vidéoconférence. Je sais que vous vouliez répondre à la question qu’a posée le sénateur McIntyre.
Dr Kendall: Je vous remercie, monsieur le sénateur. Oui, je voulais dire que la naloxone en vaporisateur est très utile pour les agents de la GRC et les policiers municipaux, car ils ne souhaitent pas transporter des seringues. On a su récemment qu’ils l’avaient utilisée à de nombreuses reprises et qu’ils avaient réussi à contrecarrer les effets de surdoses. Ils ont eu très peu de problèmes avec des personnes qui éprouvaient des symptômes de sevrage, et ils se sont dits très satisfaits. Ils ont par le fait même eu davantage de contacts avec les gens dans la rue, auprès desquels ils ne jouent habituellement pas un rôle positif.
[Français]
Le sénateur Boisvenu: Je vous remercie de vos témoignages très instructifs, et je vous félicite pour le travail que vous effectuez. Je conviens qu’il ne s’agit pas de milieux faciles.
La majorité des Canadiens ─ du moins, ceux que je côtoie ─ sont très réfractaires à l'ouverture de tels centres de consommation dans leur quartier. En fait, deux philosophies s'affrontent: la désintoxication et le maintien de la consommation.
Le projet de loi m’apparaît très faible en ce qui a trait à la consultation qui a été effectuée auprès des citoyens. La période de temps accordée à l’étude de ce projet de loi a été très courte, et très peu de gens ont été consultés; par conséquent, je crois que cela aura pour impact d’augmenter la réticence des citoyens envers ces centres.
J'ai longtemps travaillé pour le gouvernement du Québec, dans le domaine environnemental, où nous devions travailler sur des projets très contradictoires, et nous organisions des comités de vigilance afin d’informer, avec une grande transparence, les gens du quartier touché.
Dans ce cas-ci, les gens pourraient être mis au courant du taux de criminalité, par exemple, ainsi que du type de clientèle qui fréquente ces centres, et cela pourrait les rassurer en quelque sorte. Croyez-vous que le projet de loi devrait prévoir une telle formalité?
[Traduction]
M. Jang: À la Ville de Vancouver, c’est ce que nous faisons avec nos logements sociaux. Nous avons des comités communautaires consultatifs, et d’après ce que nous avons observé, si c’est bien géré, le comité ne s’y intéresse plus parce que cela fait désormais partie du voisinage.
Il est vrai que des gens s’inquiètent, mais je dois dire que les centres d’injection supervisée sont au service des gens du quartier. S’il y a des toxicomanes dans un quartier en particulier, ces centres offrent des services à cette clientèle locale. Il y a parfois une certaine résistance, mais en général, à Vancouver, nous avons constaté que les gens comprennent le besoin, alors nous n’avons pas eu trop de difficulté.
[Français]
Le sénateur Boisvenu: Donc, vous seriez favorable à ce que nous nous assurions que ce type de structure officielle de communication entre les citoyens et les gestionnaires du centre soit enchâssé dans le projet de loi.
[Traduction]
Mme Ashley: L’Association des infirmières et infirmiers du Canada sait que les municipalités ont des règlements qui prévoient des consultations communautaires au sujet de tout nouveau service. Du point de vue de la santé publique, c’est la même chose qu’ouvrir une clinique de traitement du diabète dans une collectivité. La communauté est consultée au sujet des services qu’on souhaite offrir.
M. Jang: Cela fait partie de nos règlements municipaux.
Dr Kendall: En Colombie-Britannique, nous avons déjà présenté, ou nous sommes en train de le faire, six ou sept demandes d’exemption, et chacune a fait l’objet de consultations auprès de la communauté, d’associations commerciales et de conseils des chefs d’entreprise. Nous avons leur soutien. Les gens s’inquiètent, bien entendu, mais les choses progressent et nous avons le soutien des conseils, des services de police locaux, des associations d’amélioration commerciale, et cetera. Nous ne pensons pas que l’ajout d’une exigence de la sorte soit nécessaire, car c’est ce que nous faisons déjà.
La sénatrice Boniface: Je vous remercie beaucoup pour votre présence et je vous félicite pour vos efforts. Je ne peux m’imaginer à quel point votre travail doit être difficile, et je vous suis reconnaissante d’avoir pris le temps de comparaître devant nous.
J’aimerais parler de l’incidence sur le taux de criminalité en tant que critère. Mme Ashley et M. Jang ont dit douter qu’il s’agisse d’un critère valable. Le Dr Kendall a déclaré que le centre a contribué à atténuer le problème du désordre social. J’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet, car, comme vous le comprenez bien, c’est l’un des éléments qui préoccupent le plus les gens.
Mme Ashley: Je vous remercie beaucoup pour votre question, madame la sénatrice.
Oui, il a été démontré — et je serais ravie de transmettre les chiffres au comité — que le taux de criminalité diminue. Les gens commencent à bénéficier des services sociaux et sanitaires dont ils ont besoin. Il existe des preuves qui démontrent que le taux de criminalité n’augmente pas.
M. Jang: C’est ce que révèlent les données du service de police de Vancouver. Nous recueillons des données hebdomadaires et mensuelles, et nous n’avons constaté aucune augmentation. Comme je l’ai fait remarquer, des infractions comme les introductions par effraction ont en fait diminué.
Dr Kendall: J’ajouterais que les données du centre InSite sont assez claires. Les personnes qui fréquentent InSite sont plus susceptibles d’entreprendre un programme de traitement des dépendances que les gens qui ne l’utilisent pas. À long terme, nous prévoyons qu’en réduisant le nombre de personnes qui souffrent de certains problèmes persistants, nous réduirons par le fait même le nombre d’actes criminels, à mesure que les gens suivront un programme de traitement.
La sénatrice Batters: Je vous remercie beaucoup pour votre présence aujourd’hui.
Je vais m’adresser à l’Association des infirmières et infirmiers du Canada. Madame Ashley, j’ai peut-être mal compris ce que vous avez dit, mais je pense que vous avez affirmé qu’à vos yeux un centre d’injection supervisée est la même chose qu’une clinique de traitement du diabète. Je trouve cette comparaison assez troublante. Dans votre mémoire, vous mentionnez que le seul critère à satisfaire en vue de l’approbation d’un centre de consommation supervisée devrait être de démontrer qu’un tel centre répond à un besoin. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous ne pensez pas qu’il soit nécessaire de prendre en compte les répercussions sur la sécurité du public lors de l’examen d’une demande? Qu’en est-il des préoccupations de l’administration municipale, du service de police local et de la communauté?
Mme Ashley: Je vous remercie pour votre question. Il y a deux parties à votre question, alors il y aura deux parties à ma réponse.
Nous savons que le taux de criminalité n’augmente pas, alors la sécurité du public n’est pas vraiment une préoccupation. Le taux de criminalité diminue.
J’ai effectivement fait la comparaison avec une clinique de traitement du diabète, du point de vue de la santé publique. Les gens sont en mesure d’obtenir les services sociaux et sanitaires dont ils ont besoin et de bénéficier de traitements et des services des centres de désintoxication. Ils peuvent cesser de consommer et ils peuvent obtenir un toit. Du point de vue de la santé, ce sont des services comme d’autres qu’on offre dans d’autres cas. Les gens qui fréquentent les centres d’injection supervisée peuvent bénéficier du soutien de fournisseurs de soins de santé qui peuvent contribuer à améliorer leur santé et leur bien-être.
La sénatrice Batters: La deuxième partie de ma question concernait le fait que vous n’estimez pas qu’il soit nécessaire de prendre en compte les préoccupations du service de police, de la population et de l’administration municipale.
Mme Ashley: Non, effectivement. Nous avons dit que les règlements municipaux prévoient déjà des consultations publiques.
La sénatrice Batters: Il peut y avoir des différences d’une ville à l’autre. Certaines villes peuvent avoir des règlements stricts à ce sujet alors que d’autres ont des règlements très peu sévères.
Dans la loi élaborée par l’ancien gouvernement conservateur, il y avait 26 critères différents. Vous proposez essentiellement qu’il n’y en ait qu’un seul. Pensez-vous que les règlements municipaux suffisent pour prendre en compte tous les autres critères?
Mme Ashley: Je vais répondre puis je vais céder la parole à Meaghan, car elle a une expérience pratique.
Nous avons la preuve que ce n’est pas le cas. Nous observons une réduction de la criminalité et nous savons qu’il y a des consultations. Je ne peux pas m’exprimer sur ce que fait chaque municipalité.
Mme Thumath: Je vous remercie pour votre question, madame la sénatrice. En ce qui concerne la précédente Loi sur le respect des collectivités, nous pensons qu’elle était trop restrictive. D’ailleurs, aucun nouveau centre de consommation supervisée n’a été ouvert en vertu de cette loi.
Pour notre programme en particulier, nous avons dû préparer plusieurs cahiers. Je crois que nous avons mis six mois à préparer notre demande, à laquelle ont contribué des décideurs, des infirmières autorisées comme moi, des médecins, des avocats, et cetera. Il a fallu énormément de temps pour préparer notre demande, et pendant tout ce temps, 922 citoyens de la Colombie-Britannique — des amis, des collègues et des patients — ont perdu la vie.
Nous sommes ici devant vous pour vous dire qu’il s’agit d’une crise de santé publique urgente. Nous sommes ici pour appuyer le projet de loi C-37 et dire que nous devons faire confiance aux municipalités et aux gouvernements provinciaux. Nous avons demandé qu’on démontre que les conditions locales indiquent qu’un centre répond à un besoin. Parmi ces conditions, il y a notamment le soutien de la communauté et le besoin manifeste du point de vue de la santé publique. Nous voulons un projet de loi simple qui permet de mettre en place ces mesures de santé publique qui sauvent des vies.
[Français]
La sénatrice Dupuis: Ma première question s’adresse à M. Jang. La question de la crise des opioïdes est une question de santé publique. Pouvez-vous nous définir, de votre point de vue de médecin, ce que vous croyez qui relève de la santé publique dans cette crise? De plus, y a-t-il consensus entre les différentes provinces du Canada sur ce qui constitue un problème de santé publique?
Ce que j’essaie de comprendre ici, c’est l'objet du problème de santé publique. Je précise que je ne suis pas du tout contre cela, je suis d'accord avec le fait qu’il s’agit d’un enjeu de santé publique, mais comment définissez-vous cela comme étant un enjeu de santé publique?
[Traduction]
M. Jang: Je vous remercie beaucoup pour votre question, madame la sénatrice. Lorsque des gens meurent — en l’occurrence des milliers de personnes — il s’agit là d’une crise de santé publique. Lorsque nous savons que le problème est attribuable à la consommation de drogues, aux dépendances et à l’absence d’endroits où les toxicomanes peuvent aller pour obtenir de l’aide, je considère qu’il est question du continuum de soins.
Les centres d’injection et de consommation supervisées sont une partie intégrante du continuum de soins. Comme on l’a dit plus tôt, il y a des gens qui fréquentent ces centres. Le taux de criminalité diminue parce que ces personnes considèrent que ces centres font partie de la communauté et qu’ils leur donnent de l’espoir. Il est essentiel de pouvoir offrir à ces gens les soins de santé dont ils ont besoin.
En Colombie-Britannique, nous avons également recours aux traitements de substitution. Nous n’utilisons pas seulement la méthadone et le suboxone, mais également l’hydromorphone, entre autres, pour mettre fin à l’offre locale de drogues et aider les gens à continuer leur traitement. Cela fait partie du continuum de soins, mais lorsque nous enregistrons plus de 1 000 décès dans une seule province, dont 300 à Vancouver seulement, il s’agit d’une crise de santé publique.
[Français]
La sénatrice Dupuis: J’ai une question complémentaire. J’aimerais vous lire une citation de Patricia Daly, médecin hygiéniste en chef de l’organisme Vancouver Coastal Health. On dit que des responsables de la santé publique en Colombie-Britannique ont demandé la réglementation des substances psychoactives illégales, et je cite:
La plupart des médecins de santé publique considèrent que la meilleure façon de réduire les méfaits associés à toute substance psychoactive, que ce soit une drogue illégale comme l'héroïne, la cocaïne ou la marijuana, que ce soit l'alcool ou le tabac ou encore les médicaments d'ordonnance […]
Le problème de santé publique qui devrait nous préoccuper, c'est tout le continuum, car c’est l'ensemble de la consommation de substances psychoactives qui cause un problème, que ce soit parce que ces substances sont prescrites par un médecin qui « surprescrit », ou parce qu’elles sont importées par le crime organisé et consommées dans ma rue.
[Traduction]
M. Jang: Je vous remercie pour votre question. Vous avez tout à fait raison. La consommation de substances psychoactives constitue un problème de santé publique, que la substance ait été prescrite par un médecin ou qu’elle ait été obtenue dans la rue. Vous avez absolument raison.
La province a veillé non seulement à régler les problèmes dans la rue grâce aux centres d’injection supervisée, mais aussi à mieux former les médecins.
L’une de mes tâches à l’Université de la Colombie-Britannique est de former des étudiants en médecine, et c’est exactement ce que je fais en ce moment, c’est-à-dire leur enseigner comment prescrire ces médicaments, effectuer un suivi, utiliser PharmaNet et faire tout ce qui s’impose pour prendre les meilleures décisions pour leurs patients et faire un suivi pour s’assurer qu’il n’y a pas d’abus.
[Français]
Le sénateur Dagenais: J'aimerais faire une dernière intervention en ce qui concerne les propos de M. Pecknold. Je suis allé à Vancouver il y a quelques années avec M. Stamatakis, un policier de Vancouver que vous connaissez peut-être. J'étais allé visiter le centre Insite. M. Stamatakis m'avait informé que les policiers ne patrouillaient pas près du centre Insite, parce ce qu’il attire beaucoup de consommateurs de drogues et que c’est un lieu dangereux.
Cela étant dit, docteur Kendall — je sais que vous avez plus d’expérience à Vancouver que dans d’autres villes canadiennes —, j'aimerais savoir combien de nouveaux crédits, dans le cadre des soins de santé, ont été consacrés au centre Insite dans votre province. Croyez-vous que l'argent destiné au centre Insite aurait été mieux investi dans l’ensemble du territoire de la Colombie-Britannique? Croyez-vous qu'en l'investissant sur le territoire de la Colombie-Britannique, on aurait pu mieux répartir l’argent pour aider les consommateurs de drogue et ainsi obtenir de meilleurs résultats ou des résultats semblables?
[Traduction]
Dr Kendall: Je vais répondre en premier, si vous le permettez. Nous aurions effectivement voulu voir l’ouverture d’un plus grand nombre de centres de consommation supervisée en Colombie-Britannique, mais jusqu’à récemment il était pratiquement impossible d’en ouvrir en raison des politiques établies par le gouvernement précédent.
Quant aux coûts d’exploitation d’InSite, ils se situent, je crois, entre 1,5 et 2 millions de dollars par année environ. C’est une fraction de la somme que consacre la Vancouver Coastal Health à la prévention et au traitement, et si on avait réparti cet argent dans l’ensemble de la province, il n’aurait pas eu un effet mesurable comme a pu en avoir InSite sur les personnes visées.
M. Pecknold: Pour répondre à votre premier commentaire, monsieur le sénateur, je dirais que les mesures d’intervention ont nécessité un nombre considérable de discussions et une grande collaboration avec les corps de police de la province, la GRC et le chef du service de police de Vancouver. Je peux vous dire qu’il y a un vaste appui en faveur des centres de consommation supervisée et que les administrations municipales ont été consultées en bonne et due forme au sujet de la création de tels centres. Nous collaborons largement avec les autorités sanitaires pour répondre à toutes les préoccupations soulevées dans la communauté. D’après ce que nous a dit le chef du service de police de Vancouver, les policiers appuient le travail qu’effectuent InSite et d’autres centres de consommation supervisée.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Pouvez-vous me confirmer si les policiers patrouillent dans le centre Insite ou s'ils refusent de s’y rendre en raison de la dangerosité des lieux?
[Traduction]
M. Pecknold: Je ne peux pas confirmer ce que font quotidiennement les policiers de Vancouver, monsieur le sénateur, mais je respecte le point de vue de M. Stamatakis, qui a participé à nos discussions.
M. Jang: M. Stamatakis est le dirigeant du syndicat du service de police de Vancouver. Je le connais très bien ainsi que le chef du service de police.
Les policiers du service de police de Vancouver ne se rendent pas à InSite, d’une part, parce qu’ils n’ont pas besoin d’y aller, car il est bien surveillé par les responsables, et d’autre part, parce que la présence de policiers éloigne les toxicomanes qui ont besoin de traitements. C’est pourquoi ils ne s’y rendent pas ou ils adoptent une approche douce, c’est-à-dire pour encourager les gens à entreprendre un traitement.
Le sénateur Joyal: Docteur Kendall, vous avez mentionné tout à l’heure, en réponse à une question, qu’une personne qui souffre d’une dépendance aux drogues et qui est un « client » d’InSite — si on peut utiliser ce mot dans ce contexte — serait plus susceptible d’accepter de suivre un traitement. Cela vient, autrement dit, contredire un peu les propos de mon collègue, le sénateur Boisvenu, qui a affirmé qu’InSite ne s’occupe pas de la réhabilitation; il ne fait qu’entretenir la consommation de drogues.
Vous avez mentionné que ce sont des études qui vous ont amené à tirer cette conclusion. Pouvez-vous en dire un peu plus long à ce sujet? Est-ce que les résultats de ces études ont été vérifiés et acceptés d’un point de vue scientifique? S’agissait-il plutôt d’évaluations préliminaires, et non pas vraiment de conclusions qui résisteraient à un examen scientifique?
Dr Kendall: L’étude dont je parlais a été réalisée par le Centre d’excellence sur le VIH-sida de la Colombie-Britannique et l’Initiative de recherche sur la toxicomanie et la santé urbaine. On a comparé un groupe de gens qui fréquentaient InSite régulièrement à un groupe équivalent de toxicomanes qui ne fréquentaient pas ce centre. On a calculé pendant une certaine période le nombre d’entre eux qui ont été aiguillés vers un programme de traitement des dépendances et qui ont commencé à participer à un tel programme.
Comme vous le savez peut-être, InSite exploite également un centre qui s’appelle OnSite, où les toxicomanes peuvent aller pour gérer leurs symptômes de sevrage, amorcer un traitement puis être aiguillés vers des programmes de traitement.
Les données démontrent que les personnes qui fréquentaient InSite étaient 30 p. 100 plus susceptibles d’entreprendre un programme de traitement que celles qui ne fréquentaient pas InSite, en majeure partie, je crois, parce qu’elles font partie de groupes marginalisés qui n’obtiennent pas les soins dont ils ont besoin. Une fois que ces gens obtiennent les soins et qu’ils peuvent remettre de l’ordre dans leur vie, ils sont plus susceptibles d’accepter de participer à un programme de traitement pour mettre fin à leur dépendance ou de suivre des traitements de substitution par le suboxone ou la méthadone.
Cette étude a été publiée dans l’une des principales revues, mais je ne me rappelle pas s’il s’agissait du Canadian Medical Association Journal, du Journal of the American Medical Association ou du Lancet. C’était l’une des 30 ou 40 études qui ont été évaluées par les pairs et publiées dans les principales revues du monde.
Le sénateur Joyal: Madame Ashley, vouliez-vous ajouter quelque chose?
Mme Ashley: Certainement.
Oui, il y a eu une recension systématique des écrits évalués par les pairs, ce qui a permis de recueillir des renseignements à l’échelle mondiale. La revue The Lancet a également publié une recherche. Pour InSite plus particulièrement, cette étude a révélé une augmentation des visites cliniques, des interventions en cas de surdose, des aiguillages vers des organismes de services sociaux et médicaux et, dans la vaste majorité des cas, c’était pour la désintoxication et le traitement des dépendances. Selon les données les plus récentes dont j’ai connaissance, le taux d’achèvement à OnSite était de 54 p. 100, si je ne me trompe pas; c’est donc assez élevé.
Mme Thumath: J’ai l’article du Dr Wood et de plusieurs collègues; nous ferons un suivi et nous ne manquerons pas de transmettre l’information au comité.
Je peux dire qu’en ma qualité d’infirmière autorisée ayant travaillé à InSite, les gens ont la fausse impression qu’à la suite d’une surdose, la personne est laissée pour compte et renvoyée dans la rue, mais je peux vous assurer que nous faisons un suivi. Nous avons une salle clinique où nous offrons des soins primaires complets. Nous avons des tests de dépistage du VIH, et nous faisons des efforts énormes pour relier la personne à des soins et à des services de traitement. Mon rôle consiste, en bonne partie, à les accompagner à des installations de désintoxication et même à les diriger vers des traitements à long terme. Nous avons un personnel dédié à l’aiguillage continu vers des programmes de traitement. C’est un aspect certes important de notre rôle et du continuum des services offerts par les infirmières autorisées.
Le sénateur Joyal: Quel est le pourcentage d’Autochtones qui pourraient avoir recours à vos services?
Mme Thumath: C’est très élevé; ils sont manifestement surreprésentés par rapport à la population générale de la Colombie-Britannique. Je crois que c’est de l’ordre de 60 à 70 p. 100. Je ne sais pas si quelqu’un veut me corriger. Nous pouvons vérifier l’information.
Le sénateur White: Merci à tous de votre présence. Je vous prie d’excuser mon retard. Ma question porte sur l’illégalité de la drogue qui est utilisée.
À l’heure actuelle, le crime organisé participe à la production ou la distribution. Les trafiquants de drogues vendent le produit aux toxicomanes dans la rue, près d’un site de consommation supervisée. J’ai visité l’installation pendant quelques jours, il y a deux ou trois semaines. Le problème, bien entendu, c’est que nous avons ensuite affaire à des gens qui ont besoin de soins médicaux lorsqu’ils utilisent un produit non pharmaceutique dans une installation.
Je sais que vous avez parlé d’examiner cette situation. De nos jours, les médecins de chaque centre de santé en Colombie-Britannique pourraient offrir des opioïdes, si tel était leur choix, et — je m’adresse au sous-ministre adjoint — je pense qu’ils le devraient. En fait, j’estime qu’ils devraient également fournir des stimulants. Nous n’avons pas besoin d’une consommation supervisée à cette fin. Il y a maintenant six sites de consommation supervisée dans la ville d’Ottawa pour des opioïdes, appelés des cliniques de méthadone. Si les médecins choisissaient de le faire, ils pourraient offrir tout ce qu’ils veulent dans le continuum des soins.
Pourquoi ne fait-on rien en ce sens et pourquoi préfère-t-on propager les activités illégales? Je parle de trafiquants et de fabricants de drogues, parce que c’est là où le bât blesse dans cette discussion, à mon avis.
M. Jang: Merci de la question. De mon point de vue, à titre de professeur à l’école médicale de l’Université de la Colombie-Britannique, je trouve que c’est lié à la formation des médecins.
Je sais que le Dr Kendall a récemment publié un rapport sur le nombre de médecins qui ont adopté ou qui suivent la formation nécessaire pour faire exactement ce que vous préconisez, et leur nombre augmente de façon modeste. C’est vraiment , à certains égards, une question de formation.
Pour nous, les efforts sont plus centrés sur le patient. N’oublions pas que le patient est en sevrage, ce qui est pénible; alors, il fera tout ce qu’il peut et consommera tout ce qui lui passe sous la main, qu’il s’agisse d’une substance légale ou illégale, pour atténuer les douleurs. Voilà l’autre question dont on ne parle pas ici. C’est légal ou illégal. Tout ce que le patient veut, c’est se sentir mieux à tout prix.
Le sénateur White: Je pourrais demander l’avis de tout le monde, et je suis sûr que la réponse ne sera guère différente.
Aujourd’hui, on dépense 4,7 millions de dollars par mois pour l’aide sociale à East Hastings, et probablement la moitié de ce montant va aux trafiquants de drogues. J’ai vu des photos de gens qui attendent leur tour devant un guichet automatique pour retirer de l’argent et le remettre à des trafiquants de drogues; ainsi, lorsqu’on s’engage sur cette voie, on doit déjà de l’argent pour le mois prochain.
Si la formation est une question de financement, alors nous gaspillons déjà de l’argent. Nous devrions nous efforcer de reproduire le modèle suisse pour aller au-delà des opioïdes, car ce n’est là que la pointe de l’iceberg. Nous savons que les stimulants jouent également un rôle. La plupart des gens ici ne seront pas de mon avis. Au point où j’en suis, honnêtement, il me semble que nous ne faisons que perpétuer les activités illégales, le crime organisé, le trafic de drogues, et nous espérons garder les gens en vie une journée à la fois.
Nous avons une solution à ce problème. Le modèle suisse existe depuis deux décennies et, pourtant, personne ne dit: « Faisons la même chose. » Nul besoin d’un site de consommation supervisée pour résoudre le problème, docteur.
À mon sens, nous devons cesser de chercher une solution facile et commencer à emprunter un chemin difficile. C’est ce que vous devriez nous encourager à faire.
C’est comme le jeu Jeopardy, alors je me dois de poser une question: n’êtes-vous pas d’accord?
M. Jang: Je suis absolument d’accord avec vous. En fait, un des maires de Vancouver demande sans cesse un traitement de substitution comme le modèle suisse ou portugais. Vous étiez à la même conférence que moi, et nous avons entendu un message très clair: légalisez le tout, et gérez bien le dossier. C’est ce que nous faisons dans le cas du cannabis. Je suis tout à fait d’accord avec vous. C’est le modèle dont nous avons besoin.
Malheureusement, le ministère de la Santé en Colombie-Britannique adopte parfois une approche prudente pour une raison quelconque. Je ne vais pas le critiquer. Nous avons appliqué des traitements à la méthadone et au suboxone. Qu’en est-il de l’hydromorphone et des autres substances? C’est exactement ce que nous réclamons.
Le sénateur White: Il y aura donc un amendement. Je vous en suis reconnaissant, monsieur.
La sénatrice Pate: Je vais changer un peu de sujet, car j’aimerais revenir sur certains des arguments en faveur d’une approche plus globale. Avez-vous tenu compte de certaines des approches, étant donné que vous avez déjà lié cela à des taux de criminalité? Je comprends la réponse que vous avez donnée à mes collègues.
Avez-vous également examiné le coût humain, social ou financier à long terme des approches qui sont actuellement adoptées, notamment le nombre de vies humaines qui pourraient être sauvées ou les coûts sociaux et financiers qui pourraient être économisés si vous adoptiez une approche plus radicale et plus progressive?
M. Jang: De mon point de vue, oui, certainement. Nous commençons à recueillir ce genre de données.
Pour le moment, il y a le Rapport européen sur les drogues, qui a été publié en 2016. Nous avons vu des pays comme l’Estonie, où il n’y avait aucun traitement ou aucun programme. Les taux sont élevés à Vancouver, contrairement à la Suisse et à l’Allemagne, qui ont instauré un système global. Certains de mes collègues en Suisse affirment que jusqu’à 80 p. 100 des gens poursuivent leur traitement, parce qu’ils ont accès à de bons services intégrés. Voilà ce que nous devons faire. Vous avez tout à fait raison.
L’échange de données est un problème. Je crois qu’il n’y a pas d’égal ailleurs au pays lorsqu’on voit l’échange de données entre la Ville de Vancouver, le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique et BC Housing, qui s’efforcent tous de répondre à cette question. Toutefois, nous n’avons pas au Canada un système d’avertissement rapide qui permet de vérifier régulièrement les données que nous compilons. Par exemple, lorsqu’une personne perd la vie, nous avons besoin d’un rapport sur la raison du décès au lieu d’un simple rapport de toxicologie; nous devons savoir si la personne a déjà reçu un traitement. Quels autres traitements a-t-elle suivis auparavant? Nous devons déterminer à quelle étape du système les gens finissent par décrocher. Nous n’avons pas encore ces renseignements. En tout cas, je suis tout à fait d’accord avec vous.
Mme Thumath: Merci de la question. Nous avons parlé de la consommation supervisée et de son rôle dans la prévention des surdoses, mais il y a un autre aspect: l’hépatite C et le VIH. Nous savons que chaque infection par le VIH coûte entre 200 000 $ et 300 000 $ tout au long de la vie d’une personne. En tout cas, les données probantes d’InSite montrent que nous avons pu prévenir les infections par le VIH et le virus de l’hépatite C.
Je vous invite d’ailleurs à examiner les données probantes concernant la clinique Crosstown, et nous serons heureux de vous faire parvenir l’information. Cela s’appelait auparavant l’essai NAOMI et SALOME. Voilà donc une piste de réponse possible à l’observation faite par le sénateur concernant l’héroïne d’ordonnance.
La sénatrice Omidvar: Merci à vous tous d’être des nôtres.
J’aimerais poser à M. Kerry Jang une question sur la coopération et la collaboration, à l’échelle du pays, avec les ministères locaux de la Santé dans ce dossier. Nous vous avons beaucoup entendu parler des gouvernements fédéral et provinciaux, mais je sais que ces services sont administrés au niveau local et qu’il existe des variantes d’une localité à l’autre.
Pouvez-vous décrire comment vous collaborez avec la Ville de Toronto, la Ville d’Ottawa et d’autres administrations pour vous tenir mutuellement au courant de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas?
M. Jang: Merci beaucoup de me poser la question. Les membres de notre personnel communiquent fréquemment avec leurs collègues de tout le pays. Notre principal point de contact constitue la régie de santé Vancouver Coastal Health, dont les employés communiquent également avec d’autres administrations. Nous recevons régulièrement des appels de la part de conseillers municipaux, de maires, d’agents de santé provinciaux et d’autres intervenants d’un bout à l’autre du pays, qui veulent savoir ce qui se passe. Par ailleurs, des représentants de la Ville de New York se sont récemment mis en rapport avec nous parce qu’ils font face à un problème de fentanyl. Certains des plans qu’ils ont adoptés s’inspirent directement de l’expérience de Vancouver.
Les maires des grandes villes ont également créé un caucus au sein de la Fédération canadienne des municipalités, et ils réclament exactement le genre de mesures dont le sénateur White a parlé.
Vous entendrez donc une voix unifiée dans l’ensemble du pays, je crois, d’ici un mois. Je sais qu’ils y travaillent en ce moment.
La sénatrice Jaffer: Docteur Kendall, ce projet de loi exige des consultations, et je me demande dans quelle mesure le gouvernement fédéral vous a consultés pour produire le projet de loi. En quoi consistent vos consultations régulières avec le gouvernement fédéral sur cette question très difficile?
Dr Kendall: Le ministre de la Santé et moi-même avons écrit séparément, à l’instar de plusieurs autres personnes, à l’honorable Jane Philpott, pour demander que le projet de loi C-2 soit abrogé ou considérablement modifié afin de faciliter le processus de demande d’exemption aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Il y a eu pas mal de consultations à ce sujet.
En Colombie-Britannique, cela dépend de la région. C’était très simple. On n’a pas dû tenir beaucoup de consultations pour obtenir d’autres exemptions dans la ville de Vancouver, parce que les gens y sont habitués. À Victoria, on avait parlé de cette question pendant des années; par conséquent, les consultations requises là-bas se déroulaient déjà depuis cinq ans. Dans d’autres régions de la Colombie-Britannique, où les habitants n’étaient pas trop sensibilisés à l’idée, les consultations ont été plus longues et plus complexes. Cela varie vraiment de la nature de la collectivité où l’on travaille.
La sénatrice Boniface: Ma question s’adresse au Dr Kendall.
Le parrain de notre projet de loi, le sénateur Campbell, a fait part, plus tôt cette semaine, d’une préoccupation au sujet des petites collectivités et des petites villes. Nous avons beaucoup entendu parler de Vancouver, et je pense que bon nombre d’entre nous connaissent bien cet exemple, mais j’aimerais savoir ce que vous observez dans d’autres régions de la Colombie-Britannique en ce qui concerne l’ampleur du problème et la façon dont, selon vous, le projet de loi contribuera à la solution.
Dr Kendall: Si on compare le nombre de décès attribuables à une surdose, les résultats sont essentiellement les mêmes, et les chiffres sont élevés dans chaque région de la Colombie-Britannique. Aucune région de la Colombie-Britannique n’est épargnée de ce fléau.
Nous avons tendance à nous concentrer sur les régions qui affichent des chiffres suffisamment élevés pour qu’il y ait une clientèle. La plupart des sites qui sont proposés seront situés dans des cliniques qui offrent déjà des services à des gens aux prises avec ces problèmes, que ce soit le VIH, l’hépatite C, l’itinérance ou les activités de rue.
Notre centre est l’un des deux seuls endroits au Canada qui proposent également un site de consommation supervisée mobile, lequel peut se déplacer vers les collectivités plus éloignées et servir les gens là où ils se trouvent.
[Français]
Le sénateur Boisvenu: Vous avez parlé de programmes d'évaluation. Est-ce qu'ils sont menés à l'interne ou par une entreprise ou une organisation externe au projet?
[Traduction]
Mme Thumath: Ce sont les universitaires externes qui font l’objet d’un examen déontologique. Ils publient des articles dans des revues scientifiques avec comité de lecture, qui sont évaluées par des pairs externes d’autres pays.
[Français]
Le sénateur Boisvenu: Donc, ce n'est pas une organisation externe. Ce sont des étudiants ou des gens...
[Traduction]
Mme Thumath: Ce n’est pas interne; c’est externe. Plusieurs collègues du monde entier ont participé à la recherche. C’est donc externe. Je me ferai un plaisir de vous remettre le sommaire de la recherche.
Le sénateur White: Monsieur Jang, nous recommanderiez-vous de présenter un amendement de sorte que les clients de sites de consommation supervisée se voient offrir, d’abord et avant tout, des médicaments de remplacement?
M. Jang: Offrir, oui.
[Français]
La sénatrice Dupuis: Dans le cadre des consultations que vous avez tenues avec d'autres villes canadiennes ou d'autres ministères provinciaux, avez-vous l'impression que les gens sont d'accord avec la façon dont vous évaluez le problème sur un continuum? Autrement dit, est-ce que Vancouver, ou la Colombie-Britannique, se situent à l'avant-garde d'une réponse à cette crise de santé publique? Ou encore, avez-vous l'impression que vos préoccupations sont partagées par les gens des autres provinces et des autres villes canadiennes?
[Traduction]
M. Jang: Je ne considère pas que l’approche de Vancouver se situe à l’avant-garde. C’est tout simplement une bonne mesure de santé publique. Mes collègues à Calgary ont enregistré plus de 100 décès l’année dernière, et la Ville de New York en est à reproduire notre modèle. C’est une bonne politique de santé publique, point à la ligne.
Le président: Merci, chers témoins, d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Vos témoignages sont très utiles pour le comité dans le cadre de ses délibérations.
Pour la deuxième heure, nous recevons Donald MacPherson, directeur général de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues, et Kenneth Tupper, directeur de l’implantation et des partenariats au sein du British Columbia Centre on Substance Use, qui se joint à nous par vidéoconférence depuis Vancouver.
Comme vous pouvez le remarquer d’après l’avis de convocation, un de nos témoins n’est pas encore arrivé. S’il se présente durant nos discussions, je vous le présenterai à ce moment-là.
Merci de votre présence parmi nous. Monsieur MacPherson, je vais peut-être vous demander de commencer à nous faire votre exposé.
Donald MacPherson, directeur général, Coalition canadienne des politiques sur les drogues: Je vous en suis reconnaissant. Vous avez mon mémoire, et j’ai préparé une courte déclaration préliminaire.
En plein cœur de la pire crise de surdoses de drogues de toute l’histoire canadienne, la Coalition canadienne des politiques sur les drogues, qui représente 70 organismes faisant valoir la nécessité de politiques sur les drogues qui soient fondées sur des données probantes, se réjouit du dépôt du projet de loi C-37. Nous appuyons entièrement les mémoires et recommandations qu’ont présentés nos collègues du Réseau juridique canadien VIH-sida, de la Pivot Legal Aid Society ainsi que de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, qui demandent des modifications au projet de loi afin de faire en sorte que les agents de santé provinciaux puissent agir rapidement et accorder des exemptions en vertu de la loi et afin de réduire davantage les critères imposés pour la demande d’exemption.
La consommation de drogues et les dépendances aux drogues sont toutes deux des préoccupations de santé publique, d’abord et avant tout. À l’échelle mondiale, en dépit d’un effort monumental, à coup d’environ 100 milliards de dollars par année pour la lutte contre la consommation de drogues, le nombre d’adultes consommant des drogues a augmenté de près de 20 p. 100 entre 2006 et 2013, ce qui représente approximativement 246 millions de dollars. De toute évidence, des lois criminelles prohibitives ne sont pas un moyen efficace de dissuasion contre la consommation de drogues.
La Coalition canadienne des politiques sur les drogues est en faveur de politiques fondées sur des données probantes. Nous savons avec certitude que la crise actuelle des surdoses résulte principalement de la consommation de drogues de la rue qui sont adultérées et de qualité et concentration inconnues. L’augmentation de la présence de fentanyl et de carfentanil dans les échantillons d’héroïne achetés dans la rue a été une peine de mort pour des centaines de personnes au cours de la dernière année, au Canada.
Des arguments solides et convaincants appuient la réglementation légale de toutes les drogues. Le Canada est déjà un pionnier mondial par son engagement à réglementer le cannabis d’ici l’été 2018. Cet important changement d’orientation est bien appuyé par les preuves.
Toutefois, la relative innocuité du cannabis par rapport à celle d’autres drogues n’indique pas que l’on devrait en faire une exception; elle signale plutôt la nécessité de placer des substances plus néfastes sous contrôle gouvernemental.
Comme dans la situation actuelle pour le cannabis, il existe depuis plusieurs années des marchés d’autres drogues illégales, et ils continueront d’exister s’il n’y a pas de supervision réglementaire stricte et de gestion du marché.
Notre but devrait être de faire en sorte que les drogues que les personnes choisissent de consommer soient produites, distribuées et consommées des manières les plus sécuritaires possible sous le contrôle du gouvernement plutôt que sous le contrôle des groupes du crime organisé. Nous pourrions alors concentrer pleinement nos efforts et ressources sur les services de santé, y compris les traitements et les mesures de rétablissement destinés aux personnes qui se retrouvent avec des troubles liés à l’utilisation de substances.
Des décennies de preuves, y compris deux essais contrôlés au Canada, ont exposé les arguments les plus solides à l’appui de l’accès légal, à la grandeur du pays, à de l’héroïne sur ordonnance et à d’autres opioïdes dans un cadre supervisé, favorable et contrôlé. Le traitement à l’héroïne ou aux opioïdes a été démontré comme étant non seulement efficace, mais également rentable, réduisant les coûts de santé et la perte de productivité. Nous demandons aux gouvernements fédéral et provinciaux de s’engager à faire une mise à l’échelle considérable de ce traitement salvateur partout au pays.
Si vous croyez que ces appels au changement sont nouveaux, permettez-moi de rappeler au comité qu’en 1994, le coroner en chef de la Colombie-Britannique, Vince Cain, avait recommandé dans son Rapport sur le Groupe de travail concernant les décès par surdose de stupéfiants illicites en Colombie-Britannique — oui, nous avons déjà été dans la même situation — qu’une commission soit créée afin d’envisager des options pour la légalisation des drogues au Canada; M. Cain préconisait la décriminalisation de la possession et de l’utilisation de toutes les drogues à des fins personnelles.
En 2011, dans son document de politiques « Public Health Perspectives for Regulating Psychoactive Substances », le Conseil des médecins hygiénistes de la Colombie-Britannique a indiqué que des règlements axés sur la santé publique étaient fort susceptibles de réduire les méfaits de santé, sociaux et fiscaux associés à toutes les substances psychoactives.
En 2015, dans son document de politiques publiques intitulé « Nouvelle démarche de gestion des substances psychotropes illégales au Canada », l’Association canadienne de santé publique a prôné « l’élaboration de démarches de santé publique pour le traitement des besoins des personnes qui consomment des substances psychotropes illégales tout en reconnaissant qu’il est nécessaire d’avoir un cadre réglementaire orienté sur la santé publique pour la production, la fabrication, la distribution et la vente de ces produits ».
Plus récemment, des responsables de la santé publique de la Colombie-Britannique, dont Patricia Daly, médecin hygiéniste en chef, Vancouver Coastal Health, ont demandé la réglementation des substances psychoactives illégales:
La plupart des médecins de santé publique considèrent que la meilleure façon de réduire les méfaits associés à toute substance psychoactive — que ce soit une drogue illégale comme l’héroïne, la cocaïne ou la marijuana; l’alcool ou le tabac; ou encore les médicaments d’ordonnance — serait de les légaliser toutes, mais en les réglementant de manière très stricte.
En terminant, faciliter l’ouverture de services de consommation supervisée à travers le Canada est un premier pas longuement attendu et primordial en réponse à la crise de surdoses. Mais il ne répond qu’à une mince part des problèmes que soulève le marché florissant et incontrôlé des drogues illicites. Un solide consensus se développe: le temps est venu d’adopter une approche de santé publique en matière de drogues. Pour ce faire, nous recommandons au gouvernement fédéral d’amorcer une conversation sérieuse sur la réglementation légale des drogues au Canada.
Le président: Merci.
Monsieur Tupper, la parole est à vous.
Kenneth Tupper, directeur de l’implantation et des partenariats, British Columbia Centre on Substance Use: Merci de me donner l’occasion de m’adresser au comité. Je vous parle en ma qualité de directeur de l’implantation et des partenariats au British Columbia Centre on Substance Use. Cependant, j’ai acquis mes connaissances à ce sujet lorsque j’étais directeur de la prévention de la consommation problématique de substances, au sein de la Division de la santé de la population et de la santé publique du ministère de la Santé de la Colombie-Britannique, poste que j’ai occupé d’avril 2003 à février 2017. Pendant mes 14 années au ministère, j’ai été responsable de l’élaboration des politiques de réduction des méfaits, qui ont bénéficié du soutien politique du gouvernement provincial de la Colombie-Britannique.
Le président: Pourriez-vous ralentir pour les interprètes, monsieur Tupper? Je vais quand même vous donner cinq minutes.
M. Tupper: Le projet de loi C-37 du gouvernement fédéral, présenté dans le cadre de la nouvelle stratégie canadienne sur les drogues et autres substances, est une réorientation positive vers une approche axée sur la santé publique à l’égard des questions de consommation et de dépendance au Canada. J’aimerais m’arrêter à deux interventions importantes en matière de santé publique que l’adoption de ce projet de loi pourrait favoriser, interventions susceptibles d’avoir des répercussions importantes sur la réduction des décès par surdose de drogue, lesquels ont été une urgence au plan de la santé publique en Colombie-Britannique au cours de la dernière année.
J’aimerais notamment parler des modifications à l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui habilite le ministre fédéral de la Santé à autoriser des exemptions dans le cas d’activités relatives aux substances obtenues à l’extérieur de la chaîne d’approvisionnement légale en produits pharmaceutiques, c’est-à-dire les substances obtenues d’une façon qui ne soit pas autorisée par cette loi.
Un de mes dossiers au ministère de la Santé était celui de l’élaboration de politiques en matière de services de consommation supervisés qui ont été offerts, au cours des 14 dernières années, au centre d’injection InSite et au Dr. Peter Centre, deux services du genre à Vancouver.
Lorsque le centre d’injection InSite a ouvert ses portes en 2003, ses mérites ont fait l’objet d’un débat important dans la collectivité. Cependant, les évaluations scientifiques qui ont été menées au cours des années qui ont suivi ont corroboré les observations d’une gamme de pays européens selon lesquelles les services de consommation supervisée réduisent le nombre de décès par surdose de drogue, les comportements risqués à l’origine de la transmission de pathogènes à diffusion hématogène, le désordre public et les déchets liés aux injections jetés de manière inadéquate. Parallèlement, ils font office de carrefour pour les services de soins de santé primaires et les services de santé mentale et de toxicomanie, et ils n’augmentent pas le taux de criminalité et n’ont aucune autre incidence négative sur la collectivité. Au plan économique, ce sont des interventions de santé publique ayant un bon rapport coût-efficacité qui permettent d’économiser de l’argent et de sauver des vies. En conséquence, nombre des opposants locaux au centre d’injection InSite sont devenus ses plus grands partisans après son entrée en opération.
Comme vous le savez, le gouvernement fédéral précédent n’était pas aussi ouvert aux preuves scientifiques sur la réduction des méfaits que le gouvernement actuel et, après que la Cour suprême du Canada a reconnu les bienfaits sur la santé des services de consommation supervisée, il a adopté une mesure législative qui se conformait de façon superficielle à la décision, mais qui, en pratique, faisait en sorte qu’il soit extrêmement difficile pour les provinces et les territoires d’élargir ces services.
Le projet de loi C-37 représente un changement positif qui permettra aux administrations sanitaires de plus facilement demander des exemptions pour les services de consommation supervisée. Cependant, il pourrait aller encore plus loin. Idéalement, il laisserait aux provinces et aux territoires la responsabilité de déterminer s’ils souhaitent mettre en place des services de consommation supervisée dans le contexte d’une urgence de santé publique et à quel endroit. En général, je crois que l’établissement de pareils services de santé devrait être une question de santé et de sécurité publique provinciale, et que le gouvernement fédéral ne devrait pas plus participer aux décisions qui s’y rapportent qu’il participe aux décisions pour déterminer l’emplacement des cliniques de vaccination pendant l’éclosion d’une maladie transmissible.
L’autre intervention qui pourrait contribuer à résoudre la crise de surdoses d’opioïdes en Colombie-Britannique et d’autres parties du Canada est quelque chose que les exemptions prévues à l’article 56 pourraient permettre: l’analyse des drogues clandestines ou le contrôle des drogues. Cependant, ce ne serait pas un service qui serait nécessairement, ou même idéalement, offert dans un centre de consommation supervisée tel qu’il est précisé dans la modification à l’article 56. Le contrôle des drogues renvoie à un service de réduction des méfaits qui permet aux gens de soumettre des échantillons de drogues clandestines pour que leur composition chimique soit analysée et de connaître les résultats des analyses. Le contrôle des drogues offre un avantage tant pour ce qui est de la réduction des méfaits, dans la mesure où il permet aux gens de prendre des décisions plus éclairées, qu’au plan de la santé publique, car il donne aux autorités la possibilité d’assurer une surveillance du marché des drogues illicites.
Les services de contrôle des drogues ont d’abord vu le jour dans la communauté des noctambules et des festivals de danse par suite des décès attribuables à de l’ecstasy contaminée et ils sont maintenant offerts comme service de santé publique dans un certain nombre de pays européens. Comme vous pouvez l’imaginer, dans le contexte de la falsification du fentanyl et du marché des opioïdes illégaux, il est possible de sauver des vies si les gens ont la possibilité de faire vérifier leurs drogues pour déterminer ce qu’elles contiennent. Cependant, ces services ne devraient pas être offerts qu’aux clients des services de consommation supervisée, mais être plus généralement accessibles aux consommateurs qui pourraient chercher à présenter des échantillons par la poste ou de façon anonyme à des points de dépôts communautaires.
Au Canada, les interventions de contrôle des drogues sont actuellement limitées par l’application potentielle de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui empêche les laboratoires provinciaux ou les cliniques de santé publique d’accepter des échantillons de substances contrôlées aux fins de contrôle.
Je vous conseille vivement de vérifier si la modification que l’on propose d’apporter à l’article 56 convient pour permettre aux provinces et aux territoires d’offrir des contrôles de drogues comme service de santé publique. Cette démarche peut être importante dans le continuum des interventions en matière de réduction des méfaits causés par les drogues illicites, surtout dans le contexte de la crise actuelle de surdoses d’opioïdes.
Le président: Nous allons devoir nous arrêter ici, monsieur Tupper.
Le sénateur White sera le premier à poser des questions.
Le sénateur White: Monsieur MacPherson, en ce qui concerne votre commentaire concernant la pharmacothérapie de substitution, j’ai pris les modèles suisse et néerlandais. Je me demande pourquoi vous ne suggérez pas que nous rédigions un amendement prévoyant que lorsqu’une personne entre dans un site de consommation supervisée avec des drogues, celles-ci soient remplacées par des médicaments de qualité pharmaceutique afin de nous orienter vers le modèle suisse, dans lequel les gens se présentent sans drogue. En conséquence, dans ce pays, les démarches ne se font pas dans l’illégalité avec le crime organisé en arrière-plan comme au Canada.
M. MacPherson: Ce serait un excellent amendement et un pas en avant pour faire en sorte que les gens aient accès à un approvisionnement en drogues qui soit plus sain.
Le sénateur Joyal: Ma question pourrait sembler mettre la charrue avant les bœufs. Pensez-vous que la légalisation du cannabis aurait une incidence sur les toxicomanes et qu’ils la verraient comme une confirmation que la consommation de drogues est acceptable?
M. MacPherson: La légalisation accroîtra-t-elle la consommation? Il est difficile de faire valoir que la légalisation du cannabis pourrait accroître la consommation, car nous avons un des taux de prévalence les plus élevés au monde. Je pense que l’argument en faveur de la légalisation du cannabis est que nous n’avons pas su contrôler la situation, le marché, alors essayons de le faire au moyen de leviers réglementaires en matière de santé publique, de voir où ils nous mènent et de les évaluer. À l’heure actuelle, je pense qu’on a l’impression que la situation n’est pas du tout contrôlée.
L’expérience que nous voulons mener est celle de la réglementation. Nous entrons dans cette zone afin de savoir quels types de leviers réglementaires sont les plus efficaces pour réduire la consommation de cannabis et les méfaits en découlant, et nous devons faire la distinction entre la consommation de cannabis et les méfaits qui s’y rapportent. Je pense que nous serons bien mieux placés pour ce faire après avoir mis en place un cadre réglementaire.
M. Tupper: Je ferais remarquer que la lutte contre le tabagisme est une des meilleures réussites des 40 dernières années en matière de santé publique. Nous avons trouvé le moyen de réduire à la fois la consommation et les méfaits sans criminaliser les consommateurs ou les fabricants et distributeurs. Il existe, dans le secteur de la santé publique, d’excellents exemples de façons d’utiliser les leviers réglementaires dont il a été question et de les appliquer à d’autres drogues.
Le sénateur Joyal: Votre approche vise essentiellement à fixer des paramètres pour vous assurer que nous sommes en contrôle de la situation. J’ai presque employé le mot phénomène. Nous devons être en contrôle de la situation qui existe. Nous avons essayé de la contrer et nous devons continuer de lutter contre les membres du crime organisé qui vendent de la drogue, c’est indiscutable. Cependant, comment pouvons-nous gérer nos services sociaux et nos services de santé pour nous assurer que si nous optons pour une approche exhaustive, nous visons juste?
J’estime que ce projet de loi jouerait un rôle important pour alléger les problèmes sociaux, si sa philosophie — à savoir, ses cinq principes — était bien comprise et appliquée. Il me semble que pour arriver à la mettre en œuvre, quelqu’un devra en assumer la supervision globale. Nous ne pouvons pas simplement laisser aller les choses car, comme les témoins précédents nous l’ont dit, il faut un suivi et une évaluation scientifique. Quelqu’un doit être là avec des données véritables, avec des évaluations par les pairs et cetera. Je me demande si notre approche englobe toutes les questions dont nous devrions tenir compte pour faire en sorte que nos politiques soient efficaces.
M. MacPherson: Les services de consommation supervisée sont probablement un des services de santé les plus contrôlés.
Le centre d’injection InSite a ouvert ses portes en 2003. Il existe un ensemble de preuves extraordinaire tirées de l’expérience mondiale et canadienne. Le niveau de supervision a été considérable, car nous avons été en mode apprentissage. Nous en savons tellement plus qu’avant en ce qui concerne les services de consommation supervisée, les services de soutien nécessaires, la gamme de services que Vancouver Coastal Health associe au site d’injection InSite, et c’est un très bon début. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de ces sites partout au pays, mais le problème de l’approvisionnement en drogues non réglementées persiste.
Les services de consommation supervisée sont excellents pour leurs utilisateurs, et nous devons en accroître la portée. Comme dans le cas des programmes de traitements de la toxicomanie, la plupart des gens qui consomment des drogues ne participeront pas à un programme de traitement, par définition, et ce, pour une foule de raisons. Nous devons trouver des façons de les aider à rester en vie jusqu’à ce qu’ils décident de participer à un programme de traitement.
Le sénateur Joyal: Monsieur Tupper, à titre de directeur du British Columbia Centre on Substance Abuse, estimez-vous qu’il y ait quelque chose que nous devrions savoir concernant les Autochtones concernés par les services que vous visez à mettre en œuvre et à offrir à cette communauté en particulier, ou devrions-nous simplement opter avec elle pour la même approche qu’avec les autres communautés?
M. Tupper: Premièrement, j’aimerais préciser que le nom de notre organisme est le « British Columbia Centre on Substance Use », et non « Abuse ». Il y a là une distinction cruciale.
Le sénateur Joyal: Désolé, j’ai commis un lapsus. Peut-être que cela vous dit ce que je pense des drogues.
M. Tupper: Je pourrais parler longtemps de la distinction entre « use » et « abuse » en anglais, mais je vais attendre.
J’aimerais faire remarquer que la responsabilité des services de santé offerts aux Autochtones de la Colombie-Britannique a été transférée dans le cadre d’un accord tripartite dans lequel les gouvernements des Premières Nations, de concert avec l’Association des centres d’amitié autochtone de la Colombie-Britannique et la Nation métisse de la Colombie-Britannique, ont collaboré avec les gouvernements fédéral et provinciaux à mettre en place un service qui ne soit pas géré à partir d’Ottawa, mais bien à partir des structures de gouvernance provinciale des Premières Nations établies dans le contexte de la relation tripartite. Je m’adresserais donc directement aux communautés autochtones pour savoir ce dont elles ont besoin. C’est ce que nous commençons à faire.
Le British Columbia Centre on Substance Use a été fondé en février 2017, si bien que nous n’avons pas encore terminé de mettre en place les structures de gouvernance, mais elles prévoient un partenariat solide avec les Autochtones. Nous continuerons à travailler avec ces partenaires afin de ne pas prescrire ce dont, selon nous, ils ont besoin, mais pour savoir comment ils estiment que nos systèmes pourraient leur être profitables.
[Français]
La sénatrice Dupuis: Ma question s'adresse à M. Tupper. Avez-vous des données sur l'importation et la distribution de substances illégales au sein des populations autochtones dans les villes par opposition à celles qui habitent dans les réserves en Colombie-Britannique?
[Traduction]
M. Tupper: Pour tout dire, je ne dispose pas de ces données. Je pense qu’il faudrait vous adresser aux responsables de la sécurité publique et de l’application de la loi. Je me suis concentré sur l’intervention dans le domaine de la santé. Je crois qu’on peut généralement se procurer des drogues tant en contexte urbain que rural. Les trafiquants de drogue n’ont pas coutume d’avoir de frontières.
[Français]
La sénatrice Dupuis: Si je comprends bien, l’un des problèmes liés aux substances psychoactives illégales, si on les compare à d'autres substances qui sont considérées comme légales, comme le tabac ou l'alcool ou d'autres produits prescrits par les médecins, c'est le fait qu'on a affaire à un marché qui n'est pas réglementé.
J'adresse ma question aussi bien à M. MacPherson qu'à M. Tupper.
[Traduction]
M. MacPherson: Oui, c’est exactement ce que nous disons.
M. Tupper: En rétrospective, une des interventions les plus réussies de l’histoire en matière de santé publique, après la vaccination et l’eau potable, a été l’adoption des Pure Food and Drugs Acts au début du XXe siècle, dans le cadre desquelles nous avons instauré une réglementation pour contrôler la production et la distribution des aliments, des boissons et des médicaments. Elle s’étend maintenant, entre autres, aux jouets pour enfants, aux automobiles et à l’équipement de parapente.
Là où notre approche fait défaut en ce qui concerne les drogues illicites qui sont des psychotropes et qui sont souvent utilisées à des fins actives autres que médicales est le fait de croire que l’imposition de pénalités aux termes du Code criminel pourrait réduire ou restreindre l’utilisation de ces drogues. Je crois que les 100 dernières années — ou, à tout le moins, l’intensification de la guerre à la drogue des 20, 30 ou 40 dernières années — nous ont fourni assez de preuves que notre méthode n’a eu que des effets contraires. Aucun des indicateurs de réussite clés ne s’est concrétisé. Les drogues sont plus abordables qu’avant, il y en a plus en circulation et elles sont plus accessibles qu’elles ne l’ont jamais été. Je crois que Donald sera d’accord avec moi pour dire qu’il nous faut envisager d’autres approches.
M. MacPherson: La présente discussion a été suscitée par la crise du fentanyl. Des gens qui travaillent au niveau de la rue, des professionnels de la santé et un ministre de la Santé affirment que nous devons examiner toutes les options, et ils ont raison. Nous devons examiner toutes les options, et cela pourrait signifier que nous allons devoir changer de mentalité.
Nous avons les données. J’ai travaillé pendant 25 ans dans l’est du centre-ville de Vancouver. L’application de la loi n’a pas de résultats probants. Nous étions là dans les années 1990, alors qu’il y avait une crise de surdoses. Je croyais que nous avions fait des progrès, mais le marché clandestin a généré ce phénomène du fentanyl et du carfentanil; ce qui se passe dans le pays dépasse l’entendement. Tout d’un coup, les gens se sont mis à parler de la réglementation en matière de drogues.
Lors d’une conversation que nous avions avec lui, le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, Terry Lake, a dit: « Nous devons nous pencher là-dessus. » Puis il a dit: « Donald, la politique, c’est l’art du possible. Vous devez être en mesure d’aller de A à B. » J’ai répondu: « Oui, mais vous devez d’abord parler de B pour savoir de quoi il s’agit et vers où vous vous en allez. »
J’ai remarqué cela à Vancouver, alors qu’on commençait tout juste à parler des sites d’injection. Le réseau des toxicomanes de Vancouver a apporté un cercueil au conseil municipal. Ils sont entrés dans la salle du conseil et ils ont déposé le cercueil par terre. Les membres du conseil étaient abasourdis. De 1995 à 1997 inclusivement, Vancouver à lui seul recensait 200 décès par année. Ils ont parlé pendant cinq minutes, puis ils ont repris le cercueil et ils sont sortis.
J’étais là, comme membre du personnel — et j’ai des antécédents en alphabétisation. Les conseillers se sont levés un par un et ils ont essayé de parler de ce qui venait de se produire: « Ces toxicomanes, ils voulaient ces... ces c... s... s... », mais ils n’arrivaient pas à prononcer les mots « centres d’injection supervisés et sécuritaires », car ils n’avaient pas le cadre conceptuel qu’il aurait fallu. Comme je le disais, c’est un problème d’alphabétisation. Nous devons nous familiariser avec toutes les options avant de pouvoir les envisager, et si nous ne pouvons même pas les mentionner ou en parler, c’est peine perdue. Pendant des années, la réglementation sur les drogues a été ni plus ni moins qu’un territoire d’interdictions.
Nous devons profiter de cette crise pour avancer, et je crois que nos services de santé en ressortiront améliorés. Je crois que nous allons bonifier notre offre de traitement fondé sur l’héroïne d’ordonnance. Si l’amendement du sénateur White est adopté, les gens seront en mesure de tronquer leurs drogues de rue pour de bonnes drogues.
L’autre soir, lors d’un événement public, Scott MacDonald, celui qui dirige la clinique de traitement assisté à l’héroïne, à Vancouver, m’a dit que malgré son seuil élevé d’arrivants, la clinique pourrait secourir 500 personnes des rues du Downtown Eastside demain matin si elle en avait les ressources. Cela ferait 500 personnes de moins à se rendre chez leur revendeur, 500 personnes qui ne risqueraient pas de mourir d’une surdose de fentanyl.
La sénatrice Omidvar: Merci à vous deux. Ma question s’adresse à l’un ou l’autre.
Nous avons affaire à un problème très complexe. Tous les enjeux qui tournent autour des soins de santé sont complexes, et à plus forte raison lorsqu’il y a une crise. En revanche, j’ai remarqué qu’avec les crises d’une certaine ampleur, il y a de l’inventivité et de la créativité dans la recherche de solutions, et vous avez fait allusion à cela.
Permettez-moi de revenir à la complexité occasionnée par la présence de trois paliers de gouvernement et des institutions locales. Il y a le gouvernement fédéral qui met au point des critères pour l’ouverture de sites d’injection sécuritaires; il y a ensuite les gouvernements provinciaux et régionaux, les ministères de la Santé, les policiers et les collectivités locales. Dans ce contexte, avez-vous une perspective stratégique sur la façon de fonctionner de cette dynamique et sur ce qui pourrait fonctionner mieux entre les trois paliers de gouvernement?
M. MacPherson: Oui, j’en ai une, et je l’avais déjà dans les années 1990.
Tout commence à l’échelon municipal. Lorsque les revendeurs apparaissent au coin de la rue, lorsque les gens commencent à mourir, les gens se mettent à appeler leur conseiller municipal. La ministre de la Justice est loin là-bas, à Ottawa, ou, dans le cas de Vancouver, elle est loin là-bas, à Victoria.
Je crois que les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral doivent être beaucoup plus sensibles aux appels à l’aide des villes. C’est de cela que parlait le projet à quatre piliers. On y entendait le maire Owen dire: « Aidez-nous, nous avons un sérieux problème. » Il a fallu beaucoup de temps pour rassembler ces forces et pour coordonner le travail. À l’époque, nous avions l’accord de Vancouver, et cela nous a aidés.
Dans une situation comme celle-là, la réponse est absolument cruciale. Avec le temps, nous pourrons ériger un système pour combattre la toxicomanie; Ken travaille pour un organisme de la Colombie-Britannique qui s’emploie à cela.
Le projet de loi C-37 est essentiellement une réponse rapide. On veut aider les collectivités à mettre des choses en place rapidement et en temps opportun pour éviter de laisser les gens à leur sort, et pour les prémunir du risque élevé d’une mort associée à la consommation de drogues illégales.
Mon expérience a été acquise dans une perspective municipale, où les réponses provinciale et fédérale mettaient beaucoup de temps à arriver. En effet, très tôt dans l’épidémie qui s’annonçait au début des années 1990, nous avions déjà cerné le problème de l’emplacement des sites.
Le président: Plusieurs témoins ont parlé de la possibilité de donner le pouvoir aux ministres provinciaux de la Santé d’accorder des exemptions temporaires. Je présume que vous êtes tous les deux d’accord avec cette approche, ou est-ce que je me trompe?
M. MacPherson: Oui, tout à fait. Dans le cas d’une urgence, qu’allez-vous faire? Vous allez faire les choses différemment par rapport à vos habitudes. Si tout va bien, il y a un processus à suivre. S’il y a un état d’urgence — et c’est ce que nous avons en Colombie-Britannique —, vous devez faire les choses différemment, et c’est ce qui a fini par arriver avec l’ouverture des sites de prévention des surdoses en Colombie-Britannique.
Les personnes meurent à un tel rythme que c’est tragique de penser qu’il a fallu six ans pour concrétiser InSite — de 1997 à 2003. Beaucoup de gens sont morts dans l’intervalle. Le temps de réponse est absolument crucial. Je sais que les gouvernements ne sont pas en mesure de bouger rapidement, mais il doit y avoir des mécanismes pour répondre aux situations de crise.
M. Tupper: Je suis tout à fait d’accord avec cela. Les systèmes de santé provinciaux doivent pouvoir compter sur des réglementations fédérales qui leur permettront de répondre à une urgence de santé publique comme celle que nous connaissons. Nous avons vu qu’un bon travail de coopération s’est fait au cours de la dernière année, mais je crois que cela pourrait aller plus loin.
Je crois qu’il y aurait lieu d’examiner ce qui se fait au Portugal. Voilà un exemple de pays qui a décriminalisé toutes les drogues. À cause de cela, les ressources qui étaient consacrées à l’application des lois dans l’optique de la justice pénale — une approche qui, comme je l’ai dit, a manifestement ses limites — ont été réaffectées à la santé publique.
En plus des centres d’injection supervisée, j’aimerais revenir sur la partie de mon exposé que je n’ai pas vraiment eu l’occasion de terminer. Les services de contrôle des drogues sont un élément essentiel des interventions qui contribuent à changer la donne dans le marché des drogues illicites. Le contrôle des drogues permettra une certaine reddition de comptes entre les consommateurs et les distributeurs qui n’est actuellement pas possible dans le marché non réglementé. Les consommateurs pourront fournir des échantillons pour les faire analyser et obtenir les résultats de ces analyses, et l’objectif est de réussir à insuffler un vent de changement dans le marché des drogues; les consommateurs ne feront plus affaire avec les revendeurs qui offrent un produit contaminé, frelaté ou de mauvaise qualité, mais nous avons besoin de données empiriques pour confirmer cette hypothèse. Les utilisateurs pourront connaître ce qu’ils ont acheté, faire d’autre choix en ce qui concerne l’endroit où en consommer, la manière de le faire et la personne avec laquelle le faire et décider de continuer de faire affaire ou non avec le même revendeur.
La sénatrice Omidvar: Nous avons parlé la semaine dernière à la ministre de la Santé de la notion d’accorder des pouvoirs aux gouvernements provinciaux et un plus grand rôle aux exemptions temporaires; elle a répondu, si ma mémoire m’est fidèle, qu’elle s’inquiétait que les interventions et les services varient d’un endroit à l’autre au pays. Elle voulait s’assurer de l’éviter. Que répondez-vous à cela?
M. MacPherson: Je peux comprendre que cela la préoccupe, mais je comprends aussi qu’il ne serait pas très difficile d’y trouver une solution. Le gouvernement a tout le temps recours à des processus FPT pour trouver des solutions. Du point de vue des municipalités, il faut accélérer les choses.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Monsieur MacPherson, vous avez sûrement entendu parler des sites mobiles pour injection supervisée qui semblent susciter l'enthousiasme de la ministre de la Santé. Ça ressemble un peu à un camion-restaurant, où on rapproche le hot dog du consommateur.
Croyez-vous que ce projet est une bonne idée ou qu’il manque de discrétion, malgré l’ouverture d'esprit qu’il illustre? Selon vous, s'il s'avérait que le projet fonctionne, quels seraient les avantages des services de santé qui pourraient être offerts dans ces sites mobiles pour injection supervisée?
[Traduction]
M. MacPherson: Je suis favorable aux centres mobiles d’injection supervisée. Je crois que c’est la fusion entre un service de consommation supervisée et une stratégie de sensibilisation qui permet de couvrir un plus vaste territoire. Cela tient compte des réserves de certaines collectivités, étant donné que ce n’est pas un centre fixe. Je verrai cela comme un complément aux services fixes de consommation supervisée qui sont offerts ailleurs.
Si nous avons seulement un centre mobile, je crois que ce sera peut-être un problème. À mon avis, c’est probablement un bon complément à inclure dans un plan plus vaste, parce que les centres fixes ont également des avantages et des inconvénients, étant donné que les toxicomanes sont répartis un peu partout dans la collectivité.
M. Tupper: Les centres mobiles sont une innovation. Je ne crois pas que des recherches solides ont été réalisées à ce sujet. Je ne suis pas certain que nous avons des données en provenance de l’Europe, mais nous n’avons certainement pas encore vu de tels services être offerts au Canada, même si certaines propositions ont été faites à cet égard dans quelques municipalités ou régions sanitaires en Colombie-Britannique. Selon moi, nous devrions certainement accueillir favorablement une variation dans les interventions par rapport à ces problèmes.
Avec tout le respect que je dois à la ministre Philpott et à son désir d’uniformité, c’est un problème complexe, et cette complexité nécessite un ensemble d’interventions de différente nature qu’il faut mettre à l’essai sous forme de projets pilotes pour déterminer ce qui fonctionne. Il est possible qu’une nouvelle approche soit mise au point à Edmonton, à Winnipeg ou à Halifax. Lorsque diverses approches sont essayées à divers endroits, nous pouvons examiner les données que nous récoltons de leur évaluation et réussir avec un peu de chance à en améliorer les résultats plus uniformément grâce à la recherche scientifique.
Le sénateur McIntyre: Messieurs, merci de vos exposés.
Il y a un problème qui me préoccupe énormément, et c’est le nombre excessif de prescriptions. J’aimerais vous entendre à ce sujet. Permettez-moi de m’expliquer.
D’un côté, nous avons une crise nationale en ce qui concerne la dépendance aux opioïdes et les surdoses. De l’autre, les prescriptions d’analgésiques et les traitements de la dépendance ont augmenté. De nouvelles données montrent que le nombre excessif de prescriptions est derrière l’épidémie qui s’est intensifiée au cours des dernières années avec l’arrivée du fentanyl illicite, ce qui a entraîné une hausse des décès par surdose. À vrai dire, le Canada est le deuxième consommateur d’opioïdes pharmaceutiques en importance dans le monde. C’est tout simplement incroyable.
Cela vous inquiète-t-il que le projet de loi n’inclut aucune mesure précise pour lutter contre le nombre excessif de prescriptions et le détournement de médicaments d’ordonnance vers le marché noir?
M. MacPherson: Ce n’est pas vraiment mon champ d’expertise.
Le sénateur McIntyre: J’aimerais tout de même entendre vos commentaires à ce sujet.
M. MacPherson: Après avoir récemment passé un certain temps au Portugal et en Europe à l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, il ne fait aucun doute que le nombre de prescriptions est plus élevé en Amérique du Nord. Les États-Unis et le Canada occupent les deux premiers rangs, et c’est un problème. À mon avis, nous ne nous y attaquons pas par l’entremise du projet de loi, mais nous le faisons par d’autres processus fédéraux en la matière, parce que la ministre a notamment parlé de programmes de surveillance des médicaments d’ordonnance.
Ce qui nous inquiète par rapport à cette analyse, c’est que nous avons créé un milieu où nous avons une offre et une demande, et cela préoccupe aussi maintenant l’organisme de Ken. Si nous parlons de réduire ou d’éliminer les médicaments d’ordonnance, plus de gens risquent de faire des surdoses.
Nous devons être conscients que, si nous éliminons l’offre d’opioïdes d’ordonnance, nous devons en même temps accroître les services de consommation supervisée et la distribution de naloxone, parce que l’expérience aux États-Unis, où les autorités ont réussi à certains égards à diminuer la demande, nous permet de constater que le fentanyl et l’héroïne causent maintenant plus de décès par surdose que les médicaments d’ordonnance.
Nous avons créé une situation. Divers facteurs entraînent cette situation, et nous devons être très prudents lorsque nous commençons à réduire l’offre. Nous devons planifier cette réduction et prévoir très attentivement l’ordre dans lequel nous la faisons.
M. Tupper: Le problème lié au nombre excessif de prescriptions est aussi complexe. Il se dessine depuis 15 ou 20 ans en raison de la vive promotion de nouveaux types de médicaments par l’industrie pharmaceutique, comme l’OxyContin, et des pressions des médecins en vue de prescrire abondamment ces nouveaux médicaments qui étaient présentés comme plus sécuritaires, mais nous savons maintenant que ce n’est pas nécessairement le cas.
Je ne crois pas que le projet de loi C-37 ou la Loi réglementant certaines drogues et autres substances soit le mécanisme adéquat pour nous y attaquer. Nous devons y sensibiliser les professionnels de la santé, comme les médecins et les infirmières praticiennes, et collaborer avec les collèges des médecins et des chirurgiens, les ordres des infirmières et des infirmiers et les ministères provinciaux de la Santé pour lutter contre le problème lié aux prescriptions.
Cependant, Donald a raison de dire qu’il faut nous assurer que les médecins qui prescrivent des médicaments à des patients qui sont inconscients des risques que présentent les opioïdes et qui ont de la douleur sont sensibilisés à la manière d’éviter d’augmenter la dose prescrite et de prescrire des doses très élevées et un schéma posologique de longue durée. Toutefois, pour ce qui est des patients dont c’est déjà le schéma posologique — ils sont peut-être stables ou ils consomment des doses relativement élevées depuis des années —, si nous décidons tout d’un coup de réduire leurs prescriptions et les poussons à se tourner vers le marché noir, je peux vous dire avoir eu vent de quelques patients qui se sont suicidés, parce que leur médication avait été réduite et qu’ils ont conclu qu’ils ne pourraient pas survivre sans cela.
Il y a certainement des facteurs importants à considérer en ce qui a trait à la manière de gérer la situation iatrogène qui a été créée depuis 20 ans. Les systèmes de santé, les collèges et les ordres provinciaux doivent collaborer en ce qui concerne la sensibilisation des professionnels de la santé.
Le sénateur McIntyre: Selon mes lectures, la sensibilisation des médecins a eu peu d’effets sur la question des prescriptions, et cela m’inquiète énormément.
[Français]
Le sénateur Boisvenu: Je comprends qu’il s’agit d’un projet de loi humanitaire. On veut sauver des vies. C'est un projet de loi de bonne conscience, et on invoque l'urgence de l'action, mais lorsque l'urgence devient un mode de comportement social, jusqu'où va notre tolérance, en tant que société, lorsqu’il s’agit de laisser les gens se droguer et de les droguer pour éviter des décès? On drogue les gens pour éviter qu'ils meurent, et on leur permet de se droguer. Pour moi, ce n'est pas une vie, mais c'est votre avis et celle du gouvernement fédéral.
Normalement, une société gère les situations urgentes, elle y met un terme et elles passent, mais si ces situations deviennent permanentes, quelle limite nous donnons-nous comme société pour droguer des gens afin qu'ils ne meurent pas?
Il est là le problème, alors qu'on devrait plutôt investir dans la désintoxication afin de rendre ces gens autonomes et de leur permettre de continuer à vivre leur vie. Selon vous ne s’agit-il pas d’un projet de loi de bonne conscience plutôt que d’un projet médical visant à sortir les gens de la dépendance?
[Traduction]
M. MacPherson: Non. Le projet de loi traite d’une situation difficile. Je comprends ce que vous dites lorsque vous demandez ce qui cloche dans notre société pour qu’autant de personnes consomment des drogues et sombrent dans la toxicomanie. C’est un problème très complexe, et de nombreux facteurs peuvent être à l’origine des troubles liés à l’utilisation d’une substance. Il y a les traumatismes, la pauvreté et les mauvais traitements. Une telle situation est le reflet de la société. C’est nous. C’est notre collectivité; c’est ce qui se passe. Nous voulons évidemment garder les gens en vie, mais il faut trouver les autres mesures que nous devons prendre.
[Français]
Le sénateur Boisvenu: Dans le fond, dans ce projet de loi, nous travaillons sur les conséquences du problème sans en régler les causes. Ce projet de loi aurait dû comprendre des mesures fondamentales s’attaquant aux causes afin d'éviter qu'on ait continuellement besoin d'en gérer les conséquences. Il s'agit d'un problème qui serait solvable sans que nous n'ayons à investir dans les conséquences.
[Traduction]
M. MacPherson: Je suis d’accord avec vous. Nous devons nous attaquer très sérieusement aux troubles liés à l’utilisation d’une substance, et j’aimerais également parler des provinces qui n’ont traditionnellement pas bien réussi à mettre en place des systèmes cohérents pour lutter contre les troubles liés à l’utilisation d’une substance. Ailleurs dans le monde, il y a une bien meilleure coordination entre les gouvernements nationaux et étatiques.
Si nous considérons que nous en sommes encore là en 2017, alors que nous étions déjà en 1993 dans une situation très similaire, cela témoigne de notre incapacité à mettre sur pied un système de santé efficace et cohérent.
Je vois ce projet de loi comme faisant partie d’un plan plus vaste, mais ce n’est pas en soi une réponse globale. Nous avons besoin d’un train de mesures plus vastes, et le gouvernement fédéral doit collaborer étroitement avec les provinces.
Par exemple, si vous êtes un patient et que vous prenez de la méthadone, essayez de vous rendre ailleurs au pays. Vous avez 10 systèmes différents de traitement à la méthadone. C’est le vieux problème de la fédération qui essaie d’offrir aux toxicomanes des services de santé uniformes et un accès universel à ces services partout au pays.
Je comprends ce que vous dites, et je ne suis pas en désaccord, mais je crois que les services dont il est question dans ce projet de loi sont un élément important d’une approche plus vaste.
[Français]
La sénatrice Dupuis: Vous avez mentionné de nouveau la date de 1993. Ce qui me frappe c'est que, jusqu'ici, j'avais l'impression qu'on nous parlait d'une crise survenue en 2017, mais en fait, c'est une situation qui pose beaucoup de problèmes depuis 24 ou 25 ans. Vous l'avez souligné, il y a des choses qui auraient pu être faites avant. Puisqu'on parle beaucoup des produits consommés, avez-vous des données, dans le cadre de votre travail, sur les catégories d’utilisateurs de ces substances?
Un témoin nous a dit plus tôt aujourd'hui qu'environ 60 p. 100 de la clientèle du centre Insite serait d'origine autochtone. Avez-vous des données précises sur ces groupes ou catégories de citoyens utilisateurs de drogues?
[Traduction]
M. MacPherson: Je laisse Ken répondre à cette question.
M. Tupper: Je dirais que les troubles liés à l’utilisation d’une substance sont répandus dans les diverses couches de la société et les divers types de collectivités. Il ne fait aucun doute que les conséquences du colonialisme laissent les collectivités autochtones beaucoup plus vulnérables à une vaste gamme de problèmes de santé, y compris les dépendances.
La clientèle de base d’Insite reflète peut-être davantage la communauté où le centre est situé, soit le quartier Downtown Eastside de Vancouver, qui est l’un des codes postaux les plus pauvres au Canada, voire le plus pauvre. Par ailleurs, les membres des Premières Nations de cette région de la province y sont attirés lorsqu’ils sont au plus bas, qu’ils cherchent à vivre dans la rue et qu’ils sont dissociés de leur collectivité traditionnelle.
J’aimerais revenir sur la précédente question au sujet des causes très complexes des dépendances. Il y a des facteurs génétiques, sociaux et économiques qui peuvent toucher chaque collectivité. Des collectivités très bien nanties et des collectivités très pauvres vivent des problèmes de dépendance.
Le sénateur White: Monsieur Tupper, à moins que je me trompe, dans la majorité des provinces canadiennes, il y a actuellement un temps d’attente d’environ six mois pour avoir accès à un programme de traitement de la toxicomanie en établissement. Lorsque nous disons qu’un toxicomane peut visiter un centre et être informé qu’il peut obtenir de l’aide, nous ne sommes pas vraiment réalistes. Il faut attendre une demi-année. En Ontario, cela prend de six à huit mois pour avoir accès à un programme de traitement de la toxicomanie en établissement. La situation est-elle différente en Colombie-Britannique? L’accès y est-il plus rapide?
M. Tupper: Dans le cas du traitement de la dépendance aux opioïdes, je ne pense pas que les données nous indiquent très clairement que le traitement en établissement est nécessairement la meilleure option. L’Organisation mondiale de la santé préconise la méthadone et le Suboxone comme médicaments essentiels pour le traitement de la dépendance aux opioïdes. C’est certainement une pratique dont nous essayons d’accroître l’utilisation en Colombie-Britannique. En ce qui a trait au temps d’attente pour un traitement à la méthadone, grâce en particulier aux mécanismes comme les centres d’injection supervisée ou les centres de prévention de surdoses, c’est beaucoup plus facilement accessible qu’auparavant.
Le sénateur White: Je ne parle pas des centres de consommation. Je déplore que les toxicomanes ne puissent pas avoir accès à des traitements en établissement. Voilà ce qui m’inquiète. En Ontario, cela prend de six à huit mois, indépendamment de la dépendance.
En Colombie-Britannique, les toxicomanes y ont-ils accès en tout temps ou cela prend-il de six à huit mois comme ailleurs au Canada? La question ne vise pas à savoir s’ils peuvent avoir de la méthadone ou du Suboxone. Je veux savoir si les toxicomanes qui demandent un traitement en établissement y ont plus facilement accès en Colombie-Britannique.
M. Tupper: Je ne peux pas comparer la situation en Colombie-Britannique à celle en Ontario.
Le sénateur White: Je veux seulement connaître la situation qui prévaut en Colombie-Britannique. Je ne vous demande pas de la comparer. Est-il plus facile d’avoir accès à un programme de traitement de la toxicomanie en établissement en Colombie-Britannique? Quel est le temps d’attente?
M. Tupper: Cela dépend de la régie de la santé. Certaines régies ont de longues listes. Je crois que cela varie d’aussi peu que quelques jours à quelques semaines. Je crois que c’est beaucoup moins que six mois.
Le sénateur White: Si je me présentais aujourd’hui au centre Insite pour obtenir un programme de traitement de la toxicomanie en établissement, serais-je en établissement quelques jours plus tard? Je ne parle pas ici d’un centre de désintoxication, mais bien d’un programme de traitement de la toxicomanie en établissement.
M. Tupper: Vous seriez invité à vous rendre à Onsite, qui est le centre de stabilisation à court terme juste au-dessus d’Insite, et le personnel s’affairerait à vous trouver très rapidement un centre qui offre un programme de traitement en établissement.
Le sénateur Joyal: J’aimerais vous entendre sur l’initiative que prennent les provinces. Une fédération peut intervenir positivement en vue de permettre ce que j’appelle la créativité régionale. Le centre Insite était une initiative de la Colombie-Britannique. L’ajout du fentanyl comme médicament d’ordonnance était l’initiative du sénateur White. Si vous pensez uniformiser tout d’un océan à l’autre, je crois que vous passerez à côté de ce que la créativité peut nous donner. Je pense à des initiatives que peuvent prendre des groupes qui sont sensibilisés à ce problème, et cela peut contribuer à créer un mouvement. Si la ministre canadienne de la Santé attend que tous les intervenants accordent leurs flûtes avant d’adopter des mesures nationales, je crois que nous attendrons très longtemps et que l’ampleur de cette crise sera sans précédent. Quelle est votre expérience à ce sujet?
M. MacPherson: Il s’agit évidemment de trouver un juste équilibre. Nous voulons permettre l’innovation au sein d’un certain cadre. Toutefois, vous avez raison; il y a diverses forces en présence. La volonté politique varie dans les administrations municipales et provinciales. Les collectivités n’ont pas toutes les mêmes moyens pour s’attaquer à ces problèmes. L’objectif est de trouver la bonne combinaison et de stimuler l’innovation.
Toutes les mesures qui ont été prises en Europe et dont nous parlons — le traitement assisté à l’héroïne, les centres de consommation supervisée et les échanges de seringues — sont toutes des innovations qui ont découlé des crises. Nous sommes actuellement mûrs pour d’autres innovations et nous espérons pouvoir en stimuler certaines qui commenceront à freiner l’hécatombe.
Je suis d’accord avec vous; une telle tension est présente. Le gouvernement fédéral doit collaborer au sein d’un cadre avec les provinces et les municipalités et autoriser certaines expériences, ce qui permettra à des innovations de voir le jour.
Le président: Messieurs, merci d’avoir pris le temps de venir aujourd’hui au comité pour participer à nos délibérations, d’autant plus que je suis certain que vous avez des horaires bien chargés. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Chers collègues, nous entendrons demain les témoignages de représentants des forces de l’ordre et de représentants communautaires. Mark Ujjainwalla, soit le témoin qui était prévu à l’ordre du jour aujourd’hui, sera également en mesure de se joindre à nous demain. Nous aurons donc l’occasion d’entendre son témoignage.