Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule nº 13 - Témoignages du 6 avril 2017
OTTAWA, le jeudi 6 avril 2017
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins), se réunit aujourd'hui à 8 h 35 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour aux sénateurs et à nos invités. Je souhaite la bienvenue à tout le monde. Je m'appelle Fabian Manning et je suis le président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.
Avant de passer la parole à nos témoins, je voudrais inviter les membres du comité ainsi que les remplaçants à se présenter, en commençant à ma droite.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec. Je remplace le sénateur Enverga.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : Sénateur Murray Sinclair, du Manitoba.
Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Forest : Éric Forest, du Québec, région du golfe.
Le sénateur Gold : Sénateur Marc Gold, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur McInnis : Tom McInnis, de la Nouvelle-Écosse.
Le président : Il est possible que d'autres sénateurs nous rejoignent d'ici peu.
Le comité poursuit son étude du projet de loi S-203, la Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins.)
Nous sommes ravis de recevoir les témoins. Je vais leur demander de se présenter avant que nous ne commencions.
Andrew Trites, professeur, Unité de recherche sur les mammifères marins, Institut pour les océans et la pêche, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Je m'appelle Andrew Trites. Je suis professeur à l'Université de la Colombie-Britannique.
David Rosen, associé de recherche, Unité de recherche sur les mammifères marins, Institut pour les océans et la pêche, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Je m'appelle David Rosen. Je suis chercheur à l'Université de la Colombie-Britannique.
Valeria Vergara, associée de recherche, Aquarium de Vancouver : Je m'appelle Valeria Vergara et je suis associée de recherche sur les mammifères marins à l'Aquarium de Vancouver.
Le président : Au nom du comité, je vous remercie d'avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd'hui et de participer à notre étude du projet de loi S-203.
Je crois qu'il y a des remarques liminaires, nous passerons ensuite aux questions des sénateurs. Je crois que M. Trites va commencer.
M. Trites : Je suis professeur à l'Institut pour les océans et la pêche de l'Université de la Colombie-Britannique et je dirige l'Unité de recherche sur les mammifères marins. Cela fait 37 ans que j'étudie les mammifères marins. Mes recherches comprennent des études sur le terrain et en laboratoire ainsi que des études basées sur l'informatique, mais aussi des études sur les animaux maintenus sous les soins de l'homme.
J'ai participé et je participe toujours à un certain nombre de comités consultatifs, notamment le groupe de spécialistes des mammifères marins du COSEPAC, le Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada. À ce titre, j'ai une conscience aiguë des menaces et des défis de conservation auxquels sont confrontés les mammifères marins au Canada, tout autant que des problèmes posés par les mammifères marins aux pêches canadiennes.
J'ai contacté l'Aquarium de Vancouver il y a 25 ans pour nous aider à obtenir les informations dont nous avions besoin pour sauver les lions de mer de Steller, dont la population avait décliné de 70 p. 100 en Alaska. Il fallait des informations cruciales pour résoudre le mystère et elles ne pouvaient pas être obtenues par des études de terrain. La proposition de l'aquarium de collaborer, de dresser et de s'occuper des lions de mer a abouti à plus de 100 publications qui nous ont permis de mieux comprendre les raisons pour lesquelles les lions de mer de Steller sont menacés en Alaska.
Beaucoup de gens vous diront qu'il n'est pas nécessaire d'étudier les mammifères marins en captivité dans des aquariums et qu'on peut tout apprendre d'eux dans la nature. C'est tout simplement faux. En effet, pour une grande part, ce dont nous avons besoin pour conserver et gérer les populations sauvages de mammifères marins peut seulement être obtenu par l'étude d'individus en aquarium. Les études de terrain ne peuvent à elles seules fournir toutes les connaissances nécessaires.
Par exemple, la conservation des animaux dans la nature nécessite de savoir de quelle quantité de nourriture les mammifères marins ont besoin, de savoir s'ils sont capables de s'adapter à la consommation de différentes espèces qui remontent au nord à cause du changement climatique et du réchauffement des océans, de quelle manière les bruits sous-marins émis par les bateaux et le trafic maritime affectent la capacité des mammifères marins à communiquer et à accomplir des fonctions importantes comme la chasse, la reproduction ou l'élevage des jeunes et enfin de savoir si les mammifères marins peuvent s'adapter à une hausse de la température de l'eau ou s'ils vont mourir ou devoir remonter plus au nord.
Pour répondre à ce genre de questions, il faut commencer par faire des tests auditifs, des études du métabolisme, des études de limites thermiques et des études d'efficacité digestive. Ces études et ces tests ne peuvent être effectués que sur des animaux dressés dans des installations de type aquarium qui sont en mesure d'abriter et de soigner correctement des mammifères marins. Les animaux en captivité peuvent être étudiés et suivis 365 jours par an, tandis que les études de terrain sont souvent limitées à l'été et sont généralement de courte durée.
Comme pour beaucoup de questions fondamentales sur la conservation, l'application de nouvelles technologies sur le terrain nécessite également des recherches sur des animaux en captivité afin de calibrer les instruments et les capteurs qui pourront être posés sur les mammifères marins pour mesurer leurs mouvements, pour documenter leur alimentation et d'autres comportements; pour évaluer les effets négatifs de tels instruments sur les besoins en énergie des mammifères marins et pour valider et développer des méthodes afin de déterminer si les animaux sauvages sont stressés à cause de pénuries de nourriture, de modifications des qualités nutritionnelles des proies, des mouvements de bateaux, de la présence d'activités industrielles ou d'autres facteurs.
La possibilité d'étudier des animaux calmes et détendus qui ont été habitués aux soins de l'homme permet aux chercheurs de déterminer des niveaux de stress normaux et leur évolution naturelle en fonction de l'âge et de la saison. En l'absence d'études sur des animaux captifs, nous risquons d'aboutir à des conclusions erronées sur les niveaux de stress mesurés à partir des concentrations d'hormones dans le souffle et les fèces des cétacés et des pinnipèdes, ces erreurs pourraient avoir des conséquences financières pour l'économie des régions côtières du Canada.
Ces exemples illustrent simplement certaines des questions scientifiques que les aquariums peuvent aider à résoudre pour la conservation et la gestion des mammifères marins, mais aussi pour aider à réduire les impacts des activités humaines sur les mammifères sans nuire inutilement à la prospérité des Canadiens.
J'ai consacré une bonne partie de ma vie à me préoccuper des mammifères marins et à obtenir des données scientifiques nécessaires à leur protection. J'ai appris que cela demande à la fois des études de terrain et des études en captivité, auxquelles s'ajoutent des études de modélisation mathématique. Ces trois axes de recherches sont liés et sont indispensables pour fournir les conseils et les connaissances qu'attendent les Canadiens de la part de leur communauté scientifique et que le gouvernement demande pour son approche de la prise de décision basée sur les preuves.
Le Canada a été un chef de file mondial dans la recherche sur les mammifères marins et il est reconnu pour ses contributions à la connaissance scientifique des mammifères marins grâce aux études entreprises dans la nature et en captivité au Canada. Les installations canadiennes qui hébergent des mammifères marins ont également constitué une ressource inestimable pour la communauté scientifique internationale. Pourtant les investissements pour la compréhension et la protection de la vie sauvage et notamment des mammifères marins ont été extrêmement faibles comparés aux investissements et aux avancées pour la santé humaine.
Les résultats des recherches sur les animaux en captivité sont importants non seulement pour la conservation des espèces dans la nature, mais elles ont également des répercussions sur le transport des marchandises et des personnes, la production des produits de la mer, le développement de l'énergie, le tourisme et les loisirs, les peuples autochtones et sur l'économie du Canada et sa capacité à fournir des services sociaux et autres.
Le projet de loi proposé, visant à empêcher que les cétacés soient maintenus sous les soins de l'homme dans des installations canadiennes, se ramène à l'interdiction d'acquérir des connaissances d'importance majeure sur les mammifères marins qui ne peuvent être obtenues d'aucune autre manière. Cela détourne les Canadiens de nos obligations envers les mammifères marins alors qu'il est plus important que jamais de les comprendre et de les protéger.
Il est naïf de croire que toutes les connaissances nécessaires peuvent être obtenues uniquement en étudiant les animaux dans la nature, surtout étant donné les contraintes de financement et celles liées à la géographie qui existent au Canada. Tandis que je comprends la préoccupation d'ordre émotionnel au sujet du bien-être des animaux en captivité, les auteurs du projet de loi n'en ont pas mesuré de manière adéquate les conséquences pour des milliers d'animaux sauvages ni les conséquences économiques et sociales potentielles pour le Canada et les communautés côtières.
En conclusion, je crois que le projet de loi proposé sape les efforts des Canadiens en matière de conservation des populations de mammifères marins menacées ou en voie de disparition. Cela limite concrètement la science dans son acquisition et son analyse des connaissances nécessaires et pourrait à terme l'empêcher, ce qui, à mon avis, est une mascarade injustifiée qui sape nos valeurs fondamentales de Canadiens que sont la compréhension, le respect et la protection de la beauté naturelle et de la vie sauvage de notre pays. Merci.
M. Rosen : Bonjour et merci de m'avoir invité à venir m'exprimer sur ce projet de loi. Je suis ici en tant que chercheur scientifique principal à l'Université de la Colombie-Britannique ayant mené des recherches sur les mammifères marins pendant plus de 30 ans dans les laboratoires, dans la nature et dans les aquariums.
J'ai dirigé des ateliers sur le rôle des mammifères marins en captivité pour la science de conservation et j'ai présidé un rapport commandé par le gouvernement de l'Ontario sur une nouvelle réglementation pour assurer le bien-être des cétacés sous les soins de l'homme.
Je suis également membre du sous-comité d'accréditation des zoos et aquariums du Conseil canadien de protection des animaux. En tant que biologiste et amoureux des animaux, j'apprécie l'intérêt du Sénat à assurer le bien-être des animaux maintenus sous les soins de l'homme.
Il s'agit historiquement d'un problème émotionnel. En tant que scientifique, je suis formé à tempérer mes opinions avec des faits scientifiquement vérifiés.
Je voudrais donc utiliser mon temps pour aborder directement la question du bien-être des cétacés. Plus précisément, je vais soulever trois points sur lesquels je pense que ce projet de loi vacille face aux faits scientifiques.
Le premier point est de savoir s'il existe un fondement scientifique à l'hypothèse que les cétacés englobent un groupe unique particulièrement en difficulté lorsqu'il est maintenu dans des installations adéquates. Ce fut l'une des questions centrales abordées dans le rapport du gouvernement de l'Ontario, pour lequel une équipe considérable de scientifiques des mammifères marins a passé en revue la littérature scientifique actuelle sur le bien-être des cétacés et d'autres mammifères marins en aquarium.
Il est souvent question de la manière dont les cétacés qui sont maintenus sous les soins de l'homme souffrent psychologiquement en raison de leurs capacités cognitives inhabituelles, comme il a été indiqué dans un précédent témoignage devant ce comité. Toutefois, un examen commandé pour notre rapport a conclu que, tandis que les cétacés peuvent effectuer certaines tâches cognitives qui sont relativement rares chez les autres groupes d'animaux, rien n'établit indéniablement que les cétacés peuvent effectuer des tâches qu'aucun autre groupe d'animaux ne peut effectuer, outre que, dans certains domaines, la performance des cétacés est même inférieure à la capacité démontrée par d'autres groupes d'animaux.
Peut-être plus important encore, le résumé des experts déclare que l'ensemble des preuves scientifiques n'appuie pas la conclusion que les capacités cognitives des cétacés excluent la possibilité de s'occuper correctement de leur bien-être psychologique dans des installations d'exposition.
Mais qu'en est-il de garantir leur bien-être physique dans un environnement d'aquarium? Notre rapport a mis en évidence plusieurs aspects particuliers aux aquariums qui risquent d'occasionner un stress chez les cétacés, bien qu'aucun ne soit propre à ce groupe, et que tous puissent être atténués par un bon élevage et une conception adéquate de l'habitat.
Par exemple, M. Whitehead a décrit les piscines carrées en béton comme des chambres résonantes. Ce dont il ne parle pas, peut-être en raison d'un manque de connaissance réelle des aquariums modernes, c'est que le design acoustique, une complexité de l'habitat et une forme correcte des piscines font maintenant partie de la norme standard de conception en Amérique du Nord.
Alors, s'il n'y a aucune preuve scientifique que les cétacés souffrent inévitablement dans des aquariums bien entretenus, cela signifie-t-il que les institutions canadiennes sont en quelque sorte inférieures dans leurs normes de soins? J'affirmerais l'inverse.
Le Canada a émergé comme un leader mondial dans les normes axées sur la science des soins pour les mammifères marins. Les zoos et aquariums accrédités du Canada ont adopté les Recommandations pour les soins et l'entretien des mammifères marins, produites par le Conseil canadien de protection des animaux, ou CCPA, à la suite de la commande par le ministère des Pêches et des Océans. Celles-ci sont un ensemble de bonnes pratiques élaborées par un organisme indépendant dont la seule mission est d'assurer le bien-être des animaux.
Cela m'amène à un troisième point qu'il me paraît important pour le comité d'examiner. Il a trait à mon observation selon laquelle une grande partie du débat, y compris celui devant ce comité, se concentre sur l'idée dépassée d'une sortie dans la nature pour capturer des cétacés uniquement pour le divertissement et le profit. Je crois qu'il s'agit là d'une préoccupation obsolète pour les institutions canadiennes.
Ce dont nous devrions discuter, c'est de la façon de fournir les meilleurs soins possibles à une population mondiale de cétacés qui existent déjà et dont les soins sont assurés par l'homme, ceux qui peuvent naître dans les aquariums, les baleines sauvages qui sont blessées par suite des activités humaines et ne peuvent pas être relâchées dans la nature et, malheureusement, les membres de ces espèces comme le marsouin de Vaquita, dont l'existence même dépend probablement de la protection que l'on peut lui assurer.
Les sanctuaires en mer ouverte semblent idylliques comme installations alternatives de soins, mais à mon avis, ils ne représentent pas une solution pratique pour un avenir prévisible et sont lourds de problèmes, y compris leurs effets sur le bien-être des cétacés sauvages.
Je demande donc à ce comité d'examiner pourquoi le Canada choisirait maintenant de renoncer à ses responsabilités envers ces animaux. Les règles suivies par les zoos et les aquariums au Canada sont parmi les plus modernes du monde. Le Canada est également un leader dans la coordination des efforts de recherche globale pour améliorer la science du bien-être des cétacés. C'est le moment où les institutions canadiennes devraient jouer un rôle plus important pour assurer le bien-être des animaux dont les soins sont assurés par l'homme, et non pas se désengager de leurs obligations.
Merci.
Le président : Monsieur Rosen, je note avec intérêt que vous avez reçu votre doctorat de l'Université Memorial, dans ma province de Terre-Neuve-et-Labrador.
Mme Vergara : Bonjour et merci beaucoup de m'avoir invitée ici aujourd'hui. Je suis une chercheuse spécialisée dans les mammifères marins et j'ai étudié les bélugas en milieu naturel et en aquarium au cours des 14 dernières années, soit depuis 2002. Aujourd'hui, j'aimerais simplement aborder la trajectoire de mes recherches, et j'espère que cela guidera la décision très difficile et complexe qui vous incombe.
J'aimerais commencer en soulignant l'importance de notre présence dans la capitale du pays pour discuter de ce genre de choses. Nous avons beaucoup évolué comme société. Nous discutons essentiellement du bien-être et des expériences subjectives d'une autre espèce. Cela aurait été impensable il y a quelques décennies. Nous avons beaucoup progressé dans notre capacité à faire preuve de compassion envers les animaux n'appartenant pas au genre humain. J'espère que fondamentalement nous sommes tous d'accord sur le fait que nous partageons cette compassion.
Lorsque j'ai commencé mon travail à l'Aquarium de Vancouver, en 2002, l'un de mes objectifs était de comprendre comment les études en captivité pouvaient éclairer les études en milieu naturel, particulièrement pour des aspects comme les processus de communication. Les cétacés ont tendance à être une espèce très loquace. Les bélugas sont parmi les plus loquaces d'entre tous, presque autant que les êtres humains, et il est extrêmement difficile d'étudier les processus de communication en milieu naturel.
Mon approche générale a été de profiter des processus permettant l'observation et l'enregistrement des animaux dans un aquarium, puis d'utiliser les résultats et les idées générées par cette recherche pour orienter la recherche en milieu naturel.
Durant ces études initiales à l'Aquarium de Vancouver, j'ai pu identifier une des fonctions de l'une des vocalisations de leur répertoire vocal exhaustif, à savoir le cri de contact, qui maintient la cohésion du groupe et aide les mères et leurs veaux à reprendre ou maintenir le contact entre eux.
Les chercheurs qui obtiennent des résultats en aquarium souhaitent toujours aller en milieu naturel. J'ai été en mesure d'identifier les mêmes cris de contact dans trois populations des estuaires du Saint-Laurent et du fleuve Nelson, ainsi qu'à Cunningham Inlet, après avoir passé un certain temps dans ces trois secteurs.
À l'aquarium, j'ai aussi pu suivre de près le développement du répertoire vocal d'un veau, Tuvaq, né en 2002. Tuvaq nous a essentiellement permis de constater que les veaux de béluga ont un processus d'apprentissage qui s'apparente beaucoup à celui des bébés humains. Ils ne connaissent pas ces sons à la naissance. Ils doivent les apprendre du groupe auquel ils appartiennent. Ce cri de contact particulier n'est absolument pas développé lorsqu'ils viennent au monde. Pendant leurs premières semaines de vie, il est difficile à percevoir. Sa fréquence acoustique est plus faible, ce qui le rend beaucoup plus vulnérable aux bruits sous-marins, qui peuvent le masquer.
Cela nous amène au problème du bruit sous-marin, qui comporte un lien étroit avec le problème de communication des cétacés. L'eau transmet le son beaucoup plus efficacement que l'air et sur de bien plus grandes distances. Les niveaux de bruit sous-marin générés par l'homme ont augmenté à un rythme sidérant au fil des décennies, et leurs sources comprennent les sonars militaires, les canons à air sismique pour l'exploration du pétrole et du gaz, le transport maritime, ainsi que le trafic maritime récréatif. Les cétacés, y compris les bélugas, utilisent le son pour à peu près tous les aspects de leur vie. La pollution sonore est donc une menace sérieuse pour eux.
Ce qui complique encore davantage le problème, c'est que, comme nous le savons tous, les glaces de l'Arctique fondent rapidement. Cela augmente l'accès au transport maritime. Nous ne savons pas comment cette augmentation de l'accessibilité de zones en Arctique se répercutera sur les bélugas, en particulier les mères et leurs veaux.
Je souhaitais répondre à cette question en me servant d'une zone vierge. Il en reste très peu, mais Cunningham Inlet en est une. Cette zone est située dans le Haut-Arctique et c'est là que se retrouve pendant l'été la population de bélugas de l'Est du Haut-Arctique et de la baie de Baffin. Elle n'est pas encore affectée par l'augmentation du bruit.
En 2014 et 2015, j'y ai passé quelques semaines pour recueillir des données de base sur les processus de communication, en mettant l'accent sur les cris de contact que nous avions appris à comprendre à l'aquarium, afin de nous aider à interpréter les réponses vocales au bruit dans des aires plus achalandées. Les données nous ont démontré que les cris de contact sous-développés, qui sont plus vulnérables au masquage par le bruit, sont associés à la présence de veaux en milieux naturels, ce qui a permis de valider les précédentes découvertes faites à l'Aquarium de Vancouver.
Nous avons utilisé à la fois les résultats obtenus à l'aquarium et ceux de l'Arctique pour notre étude actuelle dans l'estuaire du Saint-Laurent, avec nos partenaires du GREMM, le Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins. La population du Saint-Laurent est isolée des autres populations de bélugas. Récemment, soit en septembre 2016, elle a été inscrite dans la liste des espèces en voie de disparition, aux termes de la Loi sur les espèces en péril, en raison de son échec à se rétablir.
Depuis 2008, les bélugas du Saint-Laurent meurent. On en a retrouvé échoués sur les rives en nombre record. Nous ne savons essentiellement pas pourquoi. Il semble que divers facteurs jouent un rôle. Il pourrait s'agir d'une prolifération d'algues toxiques. Nous savons que c'est ce qui s'est produit en 2008. Il pourrait s'agir aussi de perturbations de l'écosystème, en raison du changement climatique, de la pollution et des perturbations liées au bruit. C'est sur ce dernier élément que nous allons mettre l'accent.
Le Saint-Laurent est un endroit extrêmement bruyant. Nous vérifions la notion selon laquelle les bruits sous-marins interfèrent avec la communication acoustique entre la mère et le veau, ce qui, au mieux, peut être coûteux énergétiquement pour les animaux ou, au pire, empêcher les paires de se réunir.
Les réponses acoustiques au bruit peuvent être évaluées de manière plus fiable si nous savons ce que nous cherchons et si nous connaissons la fonction du son qui est perturbé. Notre compréhension et notre familiarité avec les cris de contact représentent un élément clé du casse-tête. Nous ne pourrions pas mener ce genre de travaux sans comprendre ces cris. Ce projet est un exemple qui illustre comment la recherche réalisée dans un aquarium peut éclairer la recherche menée en milieu naturel.
Merci.
Le président : Vous nous avez fait part de commentaires très intéressants. J'attends avec impatience les questions de nos sénateurs.
Le sénateur Gold : J'ai passé trois belles années à étudier le droit à l'Université de la Colombie-Britannique. C'est donc avec grand plaisir que je vous souhaite la bienvenue. J'y ai notamment appris des choses concernant les contre- interrogatoires. J'ai un diplôme en droit; on peut donc parler de déformation professionnelle. Je dis cela un peu à la blague, parce que j'ai aussi eu une carrière de chercheur universitaire. Je suis un peu au courant des défis que présente la recherche empirique, particulièrement sur le terrain, ainsi que le financement qu'elle exige. J'ai été administrateur d'université pendant 16 ans à l'Université de Montréal, où j'ai eu aussi l'occasion de composer avec des problèmes de financement. Je vais vous poser des questions de bonne foi, mais dans le contexte de ma déformation professionnelle.
Avant que nous passions aux questions de fond, parlez-moi un peu de l'Institut pour les océans et la pêche. Comment est-il financé? Par qui? Comment vos recherches personnelles sont-elles financées?
M. Trites : L'Institut pour les océans et la pêche est un groupe assez diversifié de scientifiques, professeurs, associés de recherche, boursiers de recherche postdoctorale et étudiants de deuxième et de troisième cycles. Nous avons divers intérêts et compétences, qui vont des mammifères marins, à l'économie des pêches, l'évaluation des stocks et la modélisation des écosystèmes. Notre financement prend la forme de subventions. Nous sommes financés par le CRSNG. Nous sommes financés par des fondations privées. Il s'agit de la démarche générale suivie par quiconque fait de la recherche universitaire. Nous recevons de l'argent du MPO. Nous recevons aussi de l'argent du gouvernement américain, par l'entremise des National Marine Fisheries Services.
Notre expertise couvre un vaste domaine. Nous comptons parmi nous les plus brillants chercheurs au Canada du domaine des pêches et des océans. Il arrive parfois qu'on sollicite directement notre aide, mais les demandes peuvent provenir d'ONG, de l'industrie de la pêche, des Premières Nations, des organismes gouvernementaux.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Gold : J'hésite à approfondir davantage. Je sais que cela variera d'une année à l'autre et d'un chercheur à l'autre, mais dans quelle mesure, le cas échéant, recevez-vous du financement de zoos, d'aquariums et de l'industrie?
M. Trites : Nous ne recevons pas de financement des zoos et des aquariums. Nous avons obtenu des subventions à l'appui de la recherche que nous avons menée au sujet des phoques et des otaries de Steller. L'aquarium fournit du soutien en nature. Il est évident qu'il assure les soins. Dans certains cas, il nous fournit du personnel payé, mais jamais d'argent.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Gold : Oui, merci. Je peux maintenant passer aux questions de fond.
Même si l'on présume que la recherche sur les cétacés en captivité peut être utile, comme vous l'avez tous souligné, on peut se demander si les torts possibles ou réels subis par les cétacés pourraient dépasser les avantages. Comme vous le savez, nous avons entendu des témoignages à cet effet.
J'ai une observation et deux questions. Si je comprends bien le projet de loi qui est devant nous, les animaux qui sont secourus et qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent pas être relâchés dans la nature ne sont pas visés et peuvent être maintenus en captivité et faire l'objet de recherches. Est-ce que je comprends correctement?
M. Trites : Je crois que oui.
Le sénateur Gold : Il continuera d'y avoir des cétacés disponibles pour la recherche que vous et vos collègues menez. Ceci étant dit, pouvez-vous décrire l'état du consensus scientifique, si consensus il y a, ou les divergences d'opinions au sein de votre collectivité de chercheurs, concernant les torts subis par les cétacés en captivité?
Je pose cette question parce que, même si les cétacés ne sont pas aussi intelligents que nous le disons, cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas affectés de nombreuses façons différentes par leur incapacité à plonger aussi profondément qu'ils le font normalement, à nager aussi librement qu'ils le font habituellement, ou à entendre aussi bien qu'ils entendent dans la nature. Où en est la science?
M. Rosen : La science, comme la majeure partie des opinions scientifiques, n'est pas unanime. En tant que scientifiques, nous essayons d'étudier les ouvrages qui ont fait l'objet d'un examen par les pairs; autrement dit, nous utilisons le consensus généralisé d'autres scientifiques comme base scientifique valable. Et même à l'intérieur de cela, les opinions divergent.
Lorsqu'il est question des cétacés en captivité, on parle souvent des choses particulières qu'ils font dans la nature et qu'ils ne peuvent faire en captivité. L'hypothèse sous-jacente est que cette situation est négative pour eux.
Lorsque nous avons passé en revue les ouvrages publiés sur le bien-être des cétacés, nous avons choisi de nous demander s'il existait des preuves que la prise en charge par des êtres humains avait des répercussions particulières sur les cétacés. Nous sommes partis du principe qu'il n'y avait rien de non éthique à garder les animaux en captivité dans des zoos et des aquariums. Puis, nous nous sommes demandé s'il existait un problème particulier dans le cas des cétacés. Les ouvrages scientifiques étaient unanimes pour dire qu'il n'existait pas de preuves que les cétacés, en tant que groupe, ne pouvaient pas être pris en charge de façon appropriée par des êtres humains.
Les cétacés désignent une catégorie très large d'animaux. Dans toute grande catégorie d'animaux, il y en aura toujours qui seront plus faciles à garder en captivité que d'autres, et pour chaque type d'animal, il y aura toujours des individus plus faciles à prendre en charge par l'homme.
Une part importante de ce que nous entendons concernant des exemples particuliers d'animaux qui réagissent mal en captivité concerne des individus, et non pas des groupes. Évidemment, il y a des animaux qui réagissent bien, et d'autres pas, lorsqu'ils sont gardés en captivité. Toutefois, il n'existe pas de preuves scientifiques que les cétacés en tant que groupe réagissent mal à ce type de régime.
Le sénateur Gold : Alors, comment expliquez-vous les données sur les comportements qu'ils affichent en captivité, qui ne se manifestent apparemment pas dans la nature, par exemple, lorsqu'ils flottent immobiles à la surface de l'eau, si je me rappelle bien, ou les effets sur leurs ailerons, et cetera? Il semble y avoir de nombreux exemples de cétacés qui ne sont pas aussi actifs ou animés, ou qui ne manifestent pas autant d'intérêt à l'égard de ce qui les entoure que dans la nature. N'est-ce pas une forme de tort?
M. Rosen : Tout d'abord, il est erroné de fonder le bien-être d'un animal sur le même ensemble de comportements lorsqu'il est en captivité et en liberté. Je crois que nombre des arguments reposent sur la mauvaise hypothèse, à savoir que si un animal n'affiche pas le même comportement, il est nécessairement mal en point.
Toutefois, il existe des cas d'individus particuliers qui ne vivent pas bien dans des installations. J'aimerais souligner deux points à cet égard. L'un est anecdotique et l'autre concerne des individus. Lorsque l'on consulte les ouvrages scientifiques, on constate qu'une part importante de ces données anecdotiques ont été recueillies très tôt dans notre expérience des cétacés en captivité.
Cette expérience ne remonte pas à très loin par rapport à d'autres animaux, particulièrement dans le cas des gros cétacés. Les responsables des zoos et des aquariums ont dû suivre une courbe d'apprentissage, comme pour tous les animaux gardés en captivité. Nous en apprenons chaque jour davantage au sujet de la nutrition animale. Nous en apprenons chaque jour davantage sur des sujets comme l'enrichissement environnemental pour garder les animaux alertes. L'accent est maintenant mis sur la compréhension du bien-être des individus.
Je ne souhaite pas expliquer chaque cas anecdotique individuellement, mais je peux dire que le nombre de cas mentionnés dans les ouvrages scientifiques a diminué de façon marquée au cours de la dernière décennie.
M. Trites : Si je pouvais ajouter une chose à cela, je mentionnerais que les gens ont tendance à considérer la profondeur maximale enregistrée pour un animal particulier d'une espèce donnée, ou encore la distance la plus longue pouvant être parcourue à la nage comme des conditions qui devraient être assurées en captivité.
Un aspect a été laissé de côté dans cette discussion, à savoir le fait que si les animaux plongent si profondément, c'est qu'ils veulent se nourrir. C'est aussi la raison pour laquelle ils nagent sur d'aussi longues distances, ou encore pour éviter d'être mangés par un prédateur comme l'épaulard.
Si un animal est protégé des prédateurs et qu'il est nourri, il n'a pas besoin de faire ce qu'il fait dans la nature. Il faut comprendre les pressions qui s'exercent au moment où les données sur le terrain sont recueillies.
L'élément de base à prendre en compte lorsqu'il s'agit de déterminer la taille du bassin est le suivant : l'animal est-il en forme? Est-il en forme physiquement? Est-il en forme mentalement? Il revient aux entraîneurs, au personnel soignant, de s'assurer que les animaux sont en forme, de la même façon que nous encourageons nos enfants au Canada à suivre les recommandations de ParticipACTION. L'activité est synonyme de forme physique pour l'animal. Tant et aussi longtemps que les conditions nécessaires sont fournies, les animaux n'ont pas à se déplacer sur de longues distances ou à plonger très profondément.
Le sénateur McInnis : Il est extrêmement intéressant d'entendre votre point de vue ce matin. Monsieur Rosen, vous avez dirigé une équipe de scientifiques qui a mené toute une étude. Je crois que celle-ci a servi de préface ou de point de départ aux dispositions législatives en Ontario, ou encore constitue la genèse de ces dispositions. Est-ce que j'ai raison?
M. Rosen : Oui, il s'agissait d'une étude scientifique visant à éclairer la politique concernant la réglementation pouvant être mise en place pour assurer le bien-être des cétacés en captivité.
Le sénateur McInnis : Oui. Le rapport mentionnait que les normes actuelles de soins s'appliquant aux mammifères marins dans les installations publiques sont insuffisantes. Toutefois, vous partez de l'hypothèse qu'il est généralement acceptable que l'on garde des mammifères en aquarium. Votre rapport prévoyait aussi un certain nombre d'améliorations, y compris la mise en place d'un comité pour le bien-être des animaux, et six ou sept autres changements concernant les normes.
Cela semble aller à l'encontre de ce que vous dites, à moins que vous puissiez m'affirmer ce matin que tous les changements prévus ont été apportés aux normes, qu'il existe un comité pour le bien-être des animaux, et cetera. Est-ce que ces choses ont été mises en œuvre?
M. Rosen : Dans une certaine mesure, oui. Je pourrais peut-être préciser l'énoncé que vous avez cité au départ. La réglementation actuelle en matière de bien-être est insuffisante, et c'était l'une des conclusions du rapport. On parle dans ce cas de la réglementation appliquée actuellement en Ontario, en vertu de la Loi sur la Société de protection des animaux de l'Ontario, qui vise dans une large mesure les chats et les chiens.
Le gouvernement de l'Ontario se posait essentiellement les questions suivantes : « Cette réglementation générale concernant les chats, les chiens et les animaux de ferme est-elle suffisante pour que nos inspecteurs de la Société de protection des animaux de l'Ontario qui se rendent dans une installation puissent juger du bien-être des cétacés », et « Peut-on assurer le bien-être des cétacés vivant en aquarium grâce à la nouvelle réglementation? » Nous avions mentionné que la réglementation était insuffisante parce qu'elle était essentiellement inexistante à ce moment-là.
Le gouvernement de l'Ontario a entrepris la mise en œuvre de la nouvelle réglementation. Ce ne sont pas toutes les recommandations qui ont été mises en œuvre. Parmi nos principales recommandations figurait l'acceptation des normes du Conseil canadien de protection des animaux pour les mammifères marins. Celles-ci n'ont pas été transposées en dispositions législatives, mais Aquariums et zoos accrédités du Canada, ou AZAC, un organisme d'accréditation, a mis en œuvre ces recommandations. Même si la loi ne les oblige pas à les accepter, toutes les institutions canadiennes appliquent maintenant cette réglementation, en acceptant l'accréditation par AZAC.
Le sénateur McInnis : En effet, ces normes existent, mais elles ne sont pas comprises dans des dispositions législatives.
M. Rosen : Elles existent toutefois. Elles ne sont pas appliquées par le gouvernement, mais essentiellement par l'organisme d'accréditation.
Le sénateur McInnis : J'ai une autre question rapide. Madame Vergara, vous avez mentionné directement l'un des résultats d'études menées en captivité en ce qui a trait aux bélugas du Saint-Laurent.
Pouvez-vous donner d'autres exemples de recherches et d'études qui ont été menées sur des animaux en captivité et qui ont aidé aux recherches effectuées sur des animaux en milieu naturel?
Mme Vergara : Absolument. Parmi les recherches fondamentales figurent celles de Christine Erbe. Elle a mené des études en captivité à l'Aquarium de Vancouver, à partir du milieu des années 1990. Elle a été la première personne à vérifier l'interférence du bruit avec les sons de communication réels.
Elle a été en mesure de mener ces travaux uniquement parce qu'elle pouvait compter sur la coopération de la femelle béluga Aurora, qui pouvait répondre par oui ou par non. Elle réagissait à des sons en appuyant sur un levier. Christine s'est servie de ses résultats dans la nature pour procéder à une modélisation complexe. Elle a pu affirmer des choses comme le fait que le rayon de masquage découlant de certains bruits d'hélices peut atteindre 22 kilomètres de la source. Elle a pu déterminer dans quelle mesure le bruit des brise-glace pouvait affecter les bélugas. Ses premiers travaux sont encore largement cités. Ils ont réellement servi de point de départ à une somme importante de recherches sur le masquage.
Je pense à un autre exemple phénoménal. J'aurais souhaité que nous puissions faire d'autres études sur la capacité du faux-orque de se boucher les oreilles sans les mains. Cette étude a été menée par Paul Nachtigall, de l'Université d'Hawaii. Le faux-orque peut réduire sa sensibilité auditive en présence d'un bruit fort. Il s'agit d'une constatation qu'il aurait été impossible de faire dans la nature.
Cela a toutefois permis d'aider des baleines en milieu naturel, parce qu'une fois cette capacité découverte par la chercheuse, on a constaté que si on les avertissait d'un bruit fort en leur faisant entendre un bruit faible neuf secondes avant, les baleines apprenaient à se boucher les oreilles avant que le bruit fort ne se fasse entendre. Cela a de grandes répercussions pour les sons industriels en milieu naturel. Nous savons que les faux-orques sont capables de faire cela, mais nous ne savons pas si les bélugas sont capables aussi. Nous ne savons pas quelle autre espèce de cétacés a cette capacité.
Parmi les autres choses que nous avons découvertes sur les animaux en captivité figure le masquage des sons d'écholocalisation. Cette découverte a été faite il y a des décennies, au moment où l'on croyait que le bruit des navires était le plus intense dans les fréquences faibles et qu'il était moins important dans les hautes fréquences. Toutefois, l'an dernier seulement, de nouvelles études ont été menées, grâce aux nouvelles technologies et aux meilleurs hydrophones dont nous disposons, qui ont démontré qu'à des distances plus courtes d'environ trois kilomètres, le bruit des navires couvre une bande large pouvant aller jusqu'à environ 96 kilohertz.
Il s'agit de fréquences auxquelles de nombreuses baleines urbaines, comme celles du Saint-Laurent, sont exposées. Nous ne savons pas comment l'écholocalisation ou les capacités d'écholocalisation sont affectées par ce genre de bruits. Ce sont là des études que nous pouvons faire en aquarium.
Le sénateur McInnis : Au moment où nous nous parlons, de telles recherches se poursuivent-elles à Marineland et à Vancouver?
Mme Vergara : Je ne suis pas certaine au sujet de Marineland. Malheureusement, à l'Aquarium de Vancouver, nous avons perdu nos bélugas, mais il s'agit de recherches qui pourraient absolument être menées. Des recherches sont en cours avec Chester, le faux-orque. Ses vocalisations et son développement vocal sont surveillés depuis son arrivée, comme nouveau-né, essentiellement. Nous assurons aussi un contrôle du bruit dans les installations d'exposition, afin de comprendre comment les bruits externes se font entendre dans l'habitat et peuvent ou non affecter les animaux, en vue d'élaborer une réglementation et des normes améliorées concernant le bruit dans les aquariums.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de votre présentation très scientifique. Moi aussi, je suis déchiré entre le volet consacré à la protection des animaux et le volet consacré à la recherche scientifique. J'ai travaillé 10 ans au ministère de la Faune du Québec. Je me souviens que, lorsqu'on faisait des inventaires sur les plans d'eau pour en connaître la capacité, il fallait installer des filets et capturer des poissons. Cela choquait un peu les pêcheurs, mais il n'y avait pas d'autres moyens d'en savoir davantage sur les plans d'eau.
Lorsque vous examinez ce projet de loi, qui vise à protéger la santé animale, et que vous constatez de votre côté l'importance scientifique de tenir en captivité ce type de mammifère, croyez-vous qu'il y ait un compromis possible entre les deux? Moi, je pencherais plutôt du côté scientifique que du côté de l'interdiction totale, qui m'apparaît un peu aberrante sur le plan scientifique. Est-ce qu'il y a un compromis possible entre vos objectifs de scientifique et l'objectif du projet de loi en matière de protection animale? Est-ce blanc ou noir ou pourrait-il y avoir une zone grise entre les deux?
[Traduction]
M. Rosen : Je vous remercie de votre question. Je ne crois pas que le projet de loi concerne le bien-être des animaux, parce qu'il n'est pas question d'interdire la garde d'animaux en captivité. Il n'est pas question non plus de capturer des troupeaux d'épaulards. Ce n'est pas la question à laquelle nous devrions répondre. Nous avons ces animaux en captivité. Nous avons une responsabilité. La question est la suivante : comment nous en acquittons-nous?
Je crois fermement que le fait d'interdire leur exposition n'est pas une façon d'assurer leur bien-être. Si l'on est à la recherche d'un compromis, je suggérerais peut-être que la réglementation soit raffermie, afin de veiller à ce que ces animaux dont nous avons la garde soient bien soignés.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'ai compris également qu'il y a dans certains zoos des animaux blessés que vous gardez en captivité, parce que les libérer dans leur environnement naturel, ce serait une perte. Je pense, entre autres, au zoo d'Amos où l'on capture des chevreuils, des orignaux et des ours qui ont peut-être été blessés sur la route. On ne peut les remettre en liberté, car on les condamnerait à la mort. Donc, il y a aussi ce type d'animaux dans vos aquariums, des animaux blessés que vous gardez. Ce projet de loi ferait en sorte que vous ne puissiez plus vous permettre ce type de gardiennage, n'est-ce pas?
[Traduction]
M. Rosen : Je n'ai pas de formation juridique, mais selon mon interprétation du projet de loi, on ne sait pas clairement ce qui arriverait des animaux qui sont actuellement en captivité dans des établissements canadiens. Cela me fait très peur. Cela me fait aussi penser au syndrome pas dans ma cour. Si nous nous préoccupons du bien-être des animaux, les établissements canadiens sont le meilleur endroit pour le faire.
Je m'inquiète pour les trois groupes d'animaux qui sont déjà en captivité, ceux qui se retrouvent en captivité parce qu'ils sont blessés. Il est triste de constater qu'une collectivité de chercheurs et d'autres intervenants doivent sauver des espèces en les plaçant en captivité. J'ai mentionné le marsouin Vaquita, mais il existe aussi d'autres espèces pour lesquelles des plans sont prévus en vue d'utiliser essentiellement les aquariums comme refuges.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Y a-t-il des pays qui ont envisagé ce type de réglementation, mais qui ont reculé après avoir eu la démonstration scientifique qu'un projet de loi nuirait à la science au lieu de l'appuyer? Est-ce qu'il y a des pays qui ont envisagé ce type de réglementation, mais qui, à la suite d'une présentation, comme vous le faites ce matin, ont reculé devant son adoption?
[Traduction]
M. Trites : Je ne suis pas au courant qu'il y ait d'autres pays. Les États-Unis viendraient certainement au premier rang du fait qu'il s'agit du seul pays au monde qui a une loi pour protéger un groupe ou une espèce unique, la Marine Mammal Protection Act. À l'échelle mondiale, les Nord-Américains ont tendance à être plus sensibles aux besoins des mammifères marins que les habitants des autres pays du monde.
M. Rosen : J'aimerais mentionner un autre exemple, à savoir celui du Royaume-Uni, qui n'a pas banni les cétacés des aquariums, mais qui a proposé des changements à la réglementation ayant pour effet de les bannir. Les baleines qui étaient déjà au pays ont dû être transférées dans d'autres aquariums à l'extérieur du pays, dont certains ayant des normes assez douteuses en matière de soins aux animaux. Cela a créé un autre problème et a entraîné un abandon des responsabilités à mon avis.
M. Trites : Vous suggériez que l'on fasse un compromis entre la protection des animaux et la recherche, comme si les deux étaient diamétralement opposées. La réalité est que les chercheurs sont passionnés par les animaux qu'ils étudient. Nous nous conformons aux normes les plus élevées en matière de soins, et notre préoccupation première est le bien-être des animaux. La recherche, la compassion et la protection des animaux sont très étroitement liées.
[Français]
Le sénateur Forest : D'entrée de jeu, d'ailleurs, je suis un peu surpris que des scientifiques de votre calibre n'arrivent pas à interpréter clairement les dispositions. Vous avez lu le projet de loi S-203, où il est dit clairement que l'alinéa ne s'applique pas à la personne qui est propriétaire, qui a la garde ou qui assure la surveillance d'un cétacé qui est en captivité lors de l'entrée en vigueur du présent article, lorsque le cétacé y demeure d'une façon continue par la suite. Donc, il est assez clair que la loi ne s'applique pas à ceux qui ont un cétacé en captivité en ce moment.
Quant à l'alinéa 445.2(3)b), il stipule que la disposition ne s'applique pas à une personne qui :
b) a la garde ou assure la surveillance d'un cétacé en captivité afin de lui fournir des soins ou d'assurer sa réadaptation après qu'il s'est blessé ou trouvé en détresse.
Je pense que le projet de loi est assez clair à ce propos. Je le mentionne à titre de clarification pour la transcription de la rencontre.
Monsieur Rosen, d'une part, vous dites qu'on se rend en mer pour capturer les cétacés, et qu'il s'agit d'un élément important, effectivement. Moi, ce qui me préoccupe beaucoup dans ce projet de loi, c'est plutôt le fait que les cétacés — le projet de loi S-203 touche spécifiquement les cétacés — ont des caractéristiques particulières quant à la sensibilité acoustique et quant à leur mode de vie où, ils plongent profondément et se déplacent d'une façon importante. Je crois que vous disiez d'entrée de jeu qu'ils pouvaient survivre en captivité, mais est-ce que la conception de nouveaux aquariums pourrait permettre de réduire l'impact négatif de la réverbération du son afin de donner ainsi aux cétacés un meilleur mode de vie?
[Traduction]
M. Rosen : Il s'agit là de questions très intéressantes, monsieur le sénateur. L'une d'elles a trait aux impacts des aquariums sur le bien-être, au sujet desquels il n'existe pas de preuves scientifiques. De toute évidence, l'une des principales préoccupations concernant les cétacés en captivité a trait à l'environnement acoustique.
Vous avez entendu le Dr Whitehead vous dire comment les réservoirs carrés peuvent agir comme une chambre d'écho. Il s'agit certainement là d'une préoccupation. Il y a environ 20 ans, les responsables des aquariums n'étaient pas autant préoccupés par l'environnement acoustique dans lequel les baleines étaient gardées. Aujourd'hui, les préoccupations sont grandes à ce chapitre. On procède à une modernisation active des bassins. Les nouveaux aménagements modifient le profil acoustique.
Même parmi les scientifiques qui mènent leurs études dans la nature, on ne s'entend pas sur les problèmes de bruit dans les bassins. Il est évident que les bruits forts posent un problème, mais selon Paul Sponge, un autre scientifique de la Colombie-Britannique, le problème qui touche de nombreux bassins est qu'ils sont trop silencieux. Il faut trouver un juste milieu pour fournir ce qu'il y a de mieux aux animaux.
Lorsqu'il est question de la science du bien-être des animaux, il existe des mesures scientifiques, comme les niveaux d'hormones et des mesures de la santé que les scientifiques utilisent pour évaluer le bien-être des animaux. Nous tentons d'établir une mesure quantitative et de l'utiliser pour évaluer la santé de tous les animaux qui se trouvent dans nos zoos et aquariums.
L'aménagement des bassins a changé de façon marquée par rapport à l'époque où il suffisait de construire une piscine carrée en ciment. Par exemple, les responsables des aquariums savent maintenant qu'une part importante du bruit qui dérange les cétacés vient des machines utilisées pour nettoyer leurs bassins. Dans les aquariums modernes, on déploie beaucoup d'efforts pour isoler les bassins des bruits mécaniques. Des changements importants ont été apportés pour améliorer l'environnement acoustique des baleines, en raison des répercussions qu'il peut avoir sur leur milieu de vie.
[Français]
Le sénateur Forest : Vous siégez au comité de sélection de l'Association des aquariums du Canada en ce qui concerne l'accréditation. Il y a deux endroits au Canada où on maintient actuellement en captivité des cétacés : Marineland et l'Aquarium de Vancouver. Depuis l'amélioration de la conceptualisation des aquariums, a-t-on changé les bassins?
[Traduction]
M. Rosen : Je ne peux pas parler de la situation de Marineland. Je ne sais pas ce qui se passe là-bas. Je sais que les responsables de l'Aquarium de Vancouver ont fait l'impossible pour améliorer le profil acoustique de leurs bassins, non pas seulement directement pour leur entretien, mais aussi lorsqu'il y a de la construction à proximité, par exemple. Même si nous ne percevons pas ces bruits en tant qu'êtres humains, ils peuvent avoir un effet néfaste.
Dans le cadre de mon association avec l'aquarium, je sais qu'ils ont assuré un contrôle pendant ce processus, afin de veiller à ce que la construction dans le parc n'ait pas de répercussions négatives sur les baleines dans les bassins.
[Français]
Le sénateur Forest : J'ai une question à poser à M. Trites. Vous savez que le projet de loi S-203 concerne spécifiquement les cétacés. Est-ce qu'un lion de mer, c'est un cétacé?
[Traduction]
M. Trites : Non, ce n'est pas un cétacé, mais un mammifère marin qui a besoin des mêmes soins dans une large mesure.
[Français]
Le sénateur Forest : Le projet de loi n'interdit pas la captivité des mammifères marins; il concerne les cétacés.
[Traduction]
M. Trites : Je suis conscient de cela. Toutefois, pour déterminer les types de questions de recherche que l'on doit poser concernant les mammifères marins, nous sommes beaucoup plus avancés dans l'étude des phoques et des otaries au Canada, en raison pour une large part de nos problèmes au chapitre des pêches, des activités de chasse que nous avons eues, et des besoins des Autochtones.
Nous pouvons utiliser cela comme modèle pour reconnaître que nous ne sommes pas très avancés dans nos connaissances des cétacés. Nous devrions procéder à une modélisation et utiliser ce que nous avons appris au sujet des pinnipèdes, des phoques et des otaries, et nous poser les mêmes questions pour les cétacés.
Au fur et à mesure que nous recueillerons des données concernant les cétacés dans leur milieu naturel, de plus en plus de ces questions se poseront aux termes de la Loi sur les espèces en péril. Nous examinerons la façon d'évaluer les menaces et d'assurer la survie de ces espèces et populations. Nous aurons besoin d'encore plus de données provenant d'études des cétacés menées en captivité que cela est le cas aujourd'hui.
[Français]
Le sénateur Forest : Dans votre conclusion, vous nous indiquez que le projet de loi S-203 mine les efforts du Canada pour protéger la faune aquatique. En quoi cela peut-il avoir un impact sur les autres espèces que les cétacés?
[Traduction]
M. Trites : Cela commence probablement à créer un précédent à mon avis.
[Français]
Le sénateur Forest : Donc, c'est un postulat pour l'avenir.
[Traduction]
M. Trites : Oui, il faut nous tourner vers l'avenir et constater combien il est important de disposer de 365 jours pour recueillir les données essentielles pour résoudre les problèmes qui touchent les mammifères marins. Dans ce cas, je veux dire les otaries et les phoques, ainsi que les répercussions négatives qu'ont eues les dispositions législatives sur les pêches. Je peux entrevoir la même chose se produire pour les cétacés.
[Français]
Le sénateur Forest : En conclusion, vous disiez plus tôt que, comme on nourrit ces animaux en leur donnant du poisson ou de la nourriture, ils n'ont pas besoin de plonger, de faire des efforts pour se nourrir, et qu'ils sont en sécurité. À titre de rappel, vous connaissez le dicton : lorsqu'on donne du poisson à un homme, il apprend à dépendre des autres, mais quand on lui montre à pêcher, il apprend à s'accomplir.
[Traduction]
Le sénateur Sinclair : J'ai été intrigué, madame Vergara, par une de vos réponses concernant les baleines qui se bouchent les oreilles. Je présume qu'elles sont munies d'un rabat quelconque qui permet d'assourdir le bruit, n'est-ce pas?
Mme Vergara : Non. Pour être bien franche, je ne sais pas comment cela fonctionne, mais elles peuvent diminuer volontairement leur acuité auditive jusqu'à 13 décibels. Les décibels sont calculés sur une échelle logarithmique, ce qui signifie une capacité énorme.
Le sénateur Sinclair : J'aimerais pouvoir faire cela à l'occasion. J'espérais que vos recherches puissent me montrer comment faire.
Sauf erreur, vous travaillez directement avec les bélugas à Vancouver, et je suis curieux de savoir si l'on a déterminé pourquoi les bélugas sont morts en novembre 2016.
Mme Vergara : L'hypothèse la plus parcimonieuse était qu'il s'agissait d'une toxine, mais je suis certaine que le Dr Martin Haulena, le vétérinaire qui sera présent ici dans deux semaines, pourra vous donner plus de détails à ce sujet.
Le sénateur Sinclair : En tant que chercheuse, toutefois, avez-vous examiné cette question?
Mme Vergara : Non, je ne l'ai pas fait. Je suis une écologiste du comportement, et mes domaines d'études sont actuellement axés sur le milieu naturel. Je ne suis pas vétérinaire ni pathologiste. Nous comptons sur une équipe spéciale pour cela.
Le sénateur Sinclair : Est-ce que l'un des deux autres intervenants souhaite répondre à cette question? Cela signifie peut-être que vous ne le savez pas non plus alors.
M. Trites : Les scientifiques dans le monde qui ont des connaissances pertinentes dans ce domaine sont aussi médusés. Le mystère est grand. Cela souligne à quel point nous savons peu de choses concernant les mammifères marins. On a tout tenté pour déterminer ce qui s'était produit. On continue d'ailleurs d'y travailler activement. De nombreuses personnes ont été consultées, dont certains de mes collègues, et nous aimerions tous connaître la réponse.
Mme Vergara : J'aimerais souligner que je me préoccupe beaucoup de la mortalité des baleines dans la nature. Nous ne connaissons pas les réponses là non plus. Nous savons peu de choses au sujet de ces animaux, et il est difficile de savoir pourquoi ils meurent.
Le nombre de veaux qui meurent dans le Saint-Laurent est sans précédent. On trouve des bélugas enceintes échouées et mortes. Nous ne connaissons pas les raisons. Nous en soupçonnons certaines, nous avons des hypothèses, mais ces choses sont difficiles à comprendre.
Le sénateur Sinclair : Est-ce que l'un d'entre vous peut répondre à une question concernant le nombre de cétacés en captivité à l'Aquarium de Vancouver qui sont morts au cours des 20 dernières années? Depuis que l'on a commencé à garder des baleines ou des cétacés en captivité, combien sont morts, pour des raisons autres que naturelles, comme la vieillesse, je présume?
Mme Vergara : Je pourrais commenter au sujet des veaux qui sont morts depuis que je fais cette recherche. Au cours des 20 dernières années, un a vécu jusqu'à l'âge de trois ans. Il est mort très subitement. Il s'agissait d'un animal extrêmement en santé, et nous avons été incroyablement surpris. Il semble avoir eu un problème d'arythmie cardiaque.
Tikva et Nala étaient toutes les deux très en santé. Tikva est morte de pneumonie, ce qui se produit dans la nature aussi. Nala est morte après que des pierres se soient logées dans son soufflet. Qila est aussi née à l'aquarium, dans les années 1990 et, comme vous le savez, elle est morte très récemment.
M. Trites : Votre question comporte un élément que je trouve intéressant. Je pense à l'hypothèse que tous les animaux devraient mourir de vieillesse. Tout au long de l'histoire, lorsque l'on examine le genre humain, on remarque des taux élevés de mortalité chez les enfants. Nous avons tous des amis qui ont perdu des proches beaucoup trop jeunes, des gens qui sont morts de cancer ou de pneumonie. Cela se produit dans le cas des populations animales aussi.
Lorsque l'on examine l'âge auquel les baleines meurent, oui, nous aimerions que tous les animaux vivent le plus longtemps possible. Leurs taux de mortalité semblent être les mêmes que dans la nature. Dans le cas des bélugas qui vivent à l'ouest de la baie d'Hudson, nous savons que l'âge moyen d'un animal est d'environ 15 ans. Parallèlement, nous savons que les animaux les plus âgés sont dans la quarantaine et la cinquantaine.
Bien que nous sachions que l'être humain le plus âgé a 110 ans, rien ne nous assure que nous atteindrons tous cet âge. Nous savons qu'en réalité, nous allons tous mourir bien avant d'en arriver là. Heureusement, nous avons accès à des médicaments, ainsi qu'à des docteurs qui sont en mesure d'effectuer des chirurgies pour prolonger notre vie. Mais les animaux n'ont pas cette chance.
En fait, le projet de loi devrait tenir compte de l'espérance de vie normale, considérant la panoplie de maladies naturelles dont peuvent souffrir tous les mammifères marins.
M. Rosen : Si possible, j'aimerais parler spécifiquement des cétacés en captivité et non pas que de l'Aquarium de Vancouver. L'une des questions les plus importantes est la suivante : ces animaux vivent-ils aussi longtemps qu'ils devraient? On lance beaucoup de chiffres qui portent à confusion. Même si les scientifiques travaillent avec les mêmes chiffres, tout repose dans leur façon d'interpréter ces chiffres.
Vous entendrez parler, entre autres, de l'âge médian des animaux. Bien souvent, chez les populations de cétacés sous les soins de l'homme, ce chiffre est plus bas que chez la population sauvage, surtout s'il y a un nombre élevé d'animaux sous les soins de l'homme. Il s'agit là d'une question mathématique, en fait.
Nous pouvons regarder des animaux dans leur milieu naturel et dire : à quel moment est-ce que ces animaux sont morts? Quel âge avaient-ils? Quel était l'âge moyen? Du point de vue mathématique, nous avons un problème avec les animaux en captivité, puisque plusieurs d'entre eux sont toujours vivants. Ils ne figurent pas dans le calcul de l'âge moyen.
Par exemple, prenons trois baleines : une qui meurt à un an, une autre qui meurt à cinq ans et une qui est toujours vivante. L'âge moyen au décès que vous obtiendrez sera de trois ans, puisque vous ne comptez que celles qui sont mortes. Les baleines vivantes ne font pas partie du calcul.
Les scientifiques utilisent d'autres mesures pour ces populations, comme le taux de survie annuel. Quelles sont les chances qu'une baleine vivante en début d'année le soit toujours en fin d'année? Pour la plupart des mammifères marins qui sont communément gardés dans des aquariums, comme les épaulards, les dauphins et les bélugas, ces chiffres sont très proches. Selon votre façon d'interpréter les chiffres, ils sont plus élevés pour les animaux en captivité.
Certains des chiffres plus bas que nous avons vus auparavant étaient aussi tirés du début des années 1970, alors que les scientifiques et les vétérinaires n'avaient pas les connaissances nécessaires pour soigner les animaux, ce qui a fait baisser les chiffres. Aujourd'hui, s'il faut se fier aux examens scientifiques, ils sont égaux. Les différences entre ces deux populations sont minimes.
Le sénateur Sinclair : Tout en gardant en tête les propos du sénateur Forest concernant les exemptions contenues dans le projet de loi, pouvez-vous me dire si vos recherches concernant les cétacés auraient pu tout aussi bien être menées, ou si elles ont bel et bien été menées, sur des baleines qui étaient maintenues en captivité parce qu'elles avaient été secourues?
M. Trites : En 2013, lorsque monsieur Rosen et moi avons travaillé avec des étudiants, nous avons publié quatre articles scientifiques sur les cétacés de l'Aquarium de Vancouver. Certains de ces articles concernaient des dauphins à flancs blancs du Pacifique en provenance du Japon qui avaient été pris dans des filets de pêche et n'avaient pas pu être remis en liberté. C'étaient des candidats parfaits pour nous permettre de mesurer leur métabolisme, à partir duquel nous pouvions déterminer la quantité de nourriture dont avaient besoin les dauphins à flancs blancs. Nous avons aussi appris qu'il y avait une population de dauphins à flancs blancs du Pacifique vivant dans la mer des Salish, où ils n'avaient pas été aperçus en 100 ans.
Nous savons maintenant que ces animaux sont essentiellement les Ferrari de l'océan. Ils doivent se nourrir de carburant puissant, ce qui nous force à réfléchir. Nous devons penser à nos pêches de hareng. Est-ce que nous en gardons assez pour eux? Ces animaux ne peuvent pas vivre que de poissons à chair blanche. Ils ont besoin de poissons riches en lipides, comme le hareng et le lançon. C'est l'une des découvertes que nous avons faites durant la courte période où nous avons mené des études sur un animal blessé.
M. Rosen : Je voudrais ajouter une mise en garde. Il y a des études spécifiques que vous pouvez mener sur des animaux réhabilités, selon la raison pour laquelle ils ne peuvent pas être remis en liberté. Par exemple, les animaux dont nous nous sommes servis pour étudier le taux métabolique de base ne peuvent pas être utilisés pour étudier le métabolisme à la nage, puisqu'ils sont blessés.
Si les animaux subissent une agression alimentaire à un jeune âge, nous ne savons pas comment cela affectera leurs capacités cognitives. Nous pouvons les utiliser comme point de comparaison. Ils sont utiles pour cela. Par contre, en tant que scientifique, vous devez toujours être vigilant si vous ne savez pas comment les animaux ont été affectés, ce qui pourrait aussi faire en sorte qu'ils ne soient pas de fidèles représentants de leur espèce.
Mme Vergara : Bien que j'apprécie que le projet de loi prévoie des dispositions pour le sauvetage et la recherche, je crains que cela affecte, bien qu'involontairement, notre capacité à mener des opérations de sauvetage et des recherches. La plupart des revenus que nous utilisons pour le sauvetage et la recherche, la majorité des formations qui sont en place et une grande partie du renforcement des capacités que nous avons mis en œuvre pour être en mesure de sauver ces animaux sont possibles grâce aux revenus aux guichets.
Si le projet de loi nous condamne au sauvetage et à la recherche, et que nous délaissons l'exposition, quel modèle économique suivrions-nous? Qui le financerait? Le gouvernement? En ce moment, nous nous fions beaucoup aux fonds publics. J'ai bien peur que les dérogations proposées fassent en sorte que notre capacité à financer nos équipes de vétérinaires et de biologistes spécialisés en conservation, de même que la formation de nos stagiaires, soit grandement réduite.
M. Trites : En conclusion, je tiens à dire que les scientifiques sont tout à fait conscients de la taille des échantillons. Un échantillon d'un seul animal ne serait pas valide sur le plan statistique. Au niveau de la recherche, cela implique que nous devons maintenir des petites populations d'animaux que nous pouvons utiliser pour mener des recherches, question d'être en mesure de reproduire et de contrôler nos études.
Si je comprends bien, sous ce projet de loi, l'élevage d'animaux serait interdit, ce qui veut dire que la seule façon d'acquérir des animaux pour la recherche serait d'attendre qu'un animal s'échoue. Au final, ce ne serait pas possible si nous ne portons pas attention au soin ou à la gestion d'une population qui peut être utilisée pour la recherche. Nous avons plusieurs questions sur l'élevage, les périodes de gestation, le développement des veaux et la lactation. En gros, vous dites que nous ne serons pas en mesure de mener aucune recherche du genre. Ce ne sera plus possible.
En fin de compte, je ne crois pas que ce soit faisable pour nous de nous fier que sur les animaux qui pourraient être blessés comme source. Pour chaque animal qui s'ajouterait, il faudrait prévoir une période de temps durant laquelle nous tenterions de le garder à l'état sauvage dans l'espoir qu'il puisse être remis en liberté. Au moment où le MPO décide qu'il ne peut être remis en liberté, l'animal ne pourra probablement pas nous être utile, même s'il y a une volonté de poursuivre la recherche. Je ne crois pas que nous obtiendrions des résultats de recherche significatifs ou utiles si c'était la seule façon de faire.
Le sénateur Sinclair : L'autre jour, nous avons entendu le témoignage d'un individu qui affirmait que le nombre actuel de cétacés en captivité qui sont exemptés du projet de loi serait suffisant pour fournir de l'information pour une certaine période de temps.
Avez-vous quelque chose à dire quant au nombre de cétacés en captivité à l'Aquarium de Vancouver, puisque ce sont vos sujets qui resteront en captivité et qui seront disponibles pour la recherche?
Mme Vergara : À ce stade, ce serait minime si le projet de loi est adopté tel quel. Nous avons un marsouin commun, une fausse orque et un dauphin à flancs blancs. Plusieurs d'entre eux sont des animaux secourus. Nous avons mené, et continuons à mener, des recherches sur eux. Mais comme je l'ai dit, mon inquiétude est la suivante : comment allons- nous continuer à financer la structure dont nous avons besoin pour poursuivre ces recherches et pour effectuer les sauvetages?
Si nous avons seulement trois animaux à notre charge et qu'une espèce aussi rare qu'une fausse orque s'échoue dans quatre ans, aurons-nous l'équipe et les ressources nécessaires pour aider cet animal? Aurons-nous l'équipe en place pour mener des recherches sur cet animal?
Nous sommes une structure. Si vous endommagez une partie de cette structure, je ne suis pas tout à fait certaine que le reste de la structure fonctionnera.
Le président : Je tiens à vous rappeler que j'aime bien que la conversation demeure fluide. C'était très intéressant. Jusqu'à maintenant, nous respectons notre horaire.
La sénatrice Raine : J'apprécie beaucoup le travail que vous avez accompli. Des intervenants ont dit au comité qu'il y a très peu d'études réalisées sur des cétacés en captivité qui ont apporté quoi que ce soit à la littérature scientifique. Est-ce vrai?
M. Trites : Nous avons aussi eu vent de ces critiques. Nous en sommes étonnés. Cela semble découler d'un rapport publié par Naomi Rose et ses collègues en 2009 pour le compte de la Humane Society of the United States et de la World Society for the Protection of Animals. Elle en est venue à la conclusion que seulement 5 p. 100 des recherches sur les mammifères marins avaient été menées sur des mammifères marins maintenus en captivité.
C'est ce qui a poussé d'autres collègues à regarder le rapport qu'elle avait déposé de plus près. Un article a été écrit et publié en 2010 par Hill et Lackups parce que le rapport ne convenait pas à leur perception de la vérité. Elles ont regroupé toute la littérature qu'elles ont pu trouver entre 1950 et 2009. Elles cherchaient des dossiers concernant des espèces maintenues en captivité qui existent aussi dans la nature et elles les ont comparées. Il y avait 16 espèces de mammifères marins ou de cétacés qui correspondaient à ces critères. Elle a déniché 1 628 articles, publiés dans 290 revues. Elle a découvert que 29 p. 100 concernaient des études faites sur des animaux en captivité, et non pas 5 p. 100, comme on l'avait proclamé. En fait, ces 5 p. 100 étaient basés sur les délibérations de la conférence de l'Afrique du Sud. Cela ne reflétait pas l'état actuel des connaissances.
En vérité, environ un tiers des articles scientifiques publiés dans la littérature concernant les mammifères marins touche des animaux maintenus en captivité. Le reste provient d'études en mer. Il est vrai que les études menées sur les animaux en captivité ont joué un rôle important dans la conservation, la gestion et la connaissance des cétacés.
La sénatrice Raine : Merci pour ces précisions. J'aime bien l'analogie que vous avez utilisée pour parler de la nécessité d'effectuer à la fois des études sur des espèces en captivité et sur les espèces en liberté.
Si vous modifiez cette équation, comment pouvez-vous concevoir des études sur des espèces en liberté qui seront pertinentes à la survie durable de ces espèces? Je crains vraiment que ce projet de loi nuise à votre capacité de poursuivre les études dans les aquariums.
Je suis curieuse, par contre. Pour les besoins des recherches que nous pourrions effectuer au Canada, serait-ce possible pour nos aquariums de premier plan et pour les scientifiques qui y travaillent d'acquérir des baleines gardées dans des installations de moindre qualité?
Pour l'Aquarium de Vancouver, la perte des bélugas serait tragique pour les baleines, mais aussi pour l'ensemble du programme de recherche. Comment pouvons-nous le corriger? Je sais que Marineland a plusieurs bélugas. Je ne comprends pas pourquoi ils en ont autant, alors que Vancouver n'en a aucun. Est-il possible de poursuivre le programme scientifique de l'Aquarium de Vancouver sans acquérir plus d'animaux sauvages?
Mme Vergara : Non, c'est impossible. Au cours des années 1990, l'Aquarium de Vancouver s'est engagé à ne jamais acquérir d'animaux sauvages. Ce n'est pas l'objet de la discussion.
En fait, la seule façon d'aller de l'avant avec des études sur les bélugas serait de les rapatrier des autres établissements.
La sénatrice Raine : Cela peut-il se produire même si le projet de loi est adopté?
M. Rosen : C'est un argument juridique dont je ne peux pas discuter, mais je peux vous dire que les déplacements des cétacés entre les installations font partie de ce que les aquariums considèrent comme la gestion correcte des espèces. Il faut faire attention aux considérations génétiques, aux installations et aux groupes sociaux appropriés. Si des installations rencontrent des difficultés, un des outils possibles est évidemment le transfert vers d'autres installations où le bien-être des animaux sera mieux assuré. De ce que j'ai compris, ceci est une pratique courante dans le secteur des zoos et des aquariums. Le fait que ce projet de loi l'autorise ou pas est un débat d'ordre juridique.
M. Trites : Votre question portait sur la valeur de la recherche concernant des animaux en captivité. J'ai compris que le comité a entendu les témoignages d'autres docteurs en science des mammifères marins et que vous avez reçu des informations contradictoires entre ceux qui disent que c'est absolument nécessaire et ceux qui disent que nous n'en avons pas besoin.
Il est important pour les membres du comité de comprendre que tous les doctorats ne sont pas les mêmes. Comme les médecins, nous avons tous commencé par un baccalauréat en science, mais la réalité est que nous avons tous été formés et nous sommes spécialisés dans des domaines différents.
Si l'on pense à la recherche comme à un corps humain, les biologistes de terrain sont, en quelque sorte, les jambes et les pieds de la science des mammifères marins et les modélisateurs se définissent comme la partie cervicale, le centre de la pensée qui réalise les connexions nécessaires avec les premiers et grâce à qui le tout peut fonctionner.
Chaque spécialiste voit l'importance de son domaine de compétence. Il a tendance à concevoir les choses selon la valeur des études en captivité pour lui et il pense : « Je n'en ai pas besoin, ce n'est donc pas nécessaire. »
C'est comme se demander quel médecin aller voir pour un problème de santé général : vous adresseriez-vous à un podiatre ou à un chirurgien? Ni à l'un, ni à l'autre, vous iriez chez votre médecin généraliste pour comprendre comment toutes les parties du corps fonctionnent ensemble.
La sénatrice Raine : C'est une bonne analogie. Monsieur Rosen, des intervenants nous ont dit que les universités et les installations conçues spécifiquement pour la recherche sont des environnements plus appropriés pour la recherche que les aquariums où les animaux sont dressés. Pouvez-vous nous donner votre opinion sur le sujet?
M. Rosen : Je suis la personne parfaite pour répondre à cette question parce que j'ai travaillé dans ces deux milieux. J'ai fait mon diplôme d'études supérieures dans un laboratoire universitaire au contact de ce que nous pensions être des animaux dressés. Beaucoup de nos études sont maintenant effectuées à l'Aquarium de Vancouver où nous avons réalisé que nous avons des animaux vraiment dressés.
D'un point de vue scientifique, avoir des dresseurs qui appliquent des techniques correctes est ce qu'il y a de mieux pour le bien-être des animaux. Mon problème avec le travail effectué en laboratoire de recherche, c'est que les scientifiques ont trop de pouvoir de décision sur le bien-être des animaux. Quand je travaille au sein de l'Aquarium de Vancouver, je ne travaille pas en collaboration avec le service vétérinaire ni avec les dresseurs professionnels. D'une certaine façon, nous sommes en opposition.
Nous voulons tous des recherches de grande qualité sur les animaux, mais la préoccupation principale des employés de l'aquarium est le bien-être des pensionnaires. Ma préoccupation à moi, c'est la science. Évidemment, les deux aspects nous intéressent, mais je dis toujours que la meilleure relation est celle où il y a un peu d'opposition. C'est là que nous nous rendons compte que les animaux sont le plus utiles d'un point de vue scientifique, mais que leur bien- être est également pris en compte.
Il y a aussi les considérations financières. J'aimerais dire, et il ne s'agit pas là d'un point de vue personnel, que tous les laboratoires universitaires dans lesquels j'ai travaillé et où ont vécu des mammifères marins sont maintenant fermés, car au Canada, ils n'ont pas le soutien financier nécessaire pour continuer à maintenir des programmes très onéreux.
La sénatrice Raine : J'aimerais apporter une clarification. Quand la plupart des gens entendent les mots « dresseurs d'animaux », ils pensent au dressage pour effectuer des spectacles, mais j'ai moi-même vu comment ils étaient dressés.
Mme Vergara : Les animaux sont dressés pour adopter des comportements qui facilitent le travail des équipes vétérinaires et de soins. Il faut aussi dire que les cétacés sont des animaux incroyablement sociaux. Ils sont très similaires aux humains sur ce point et ils sont intelligents. En aquarium, ils établissent des liens avec les humains. En quelque sorte, les humains deviennent des membres de leur groupe. Ils établissent des liens très forts avec leurs dresseurs, qui sont amis avec les cétacés de l'aquarium.
M. Rosen a mentionné la recherche en milieu universitaire. Une autre chose qui me préoccupe dans ce projet de loi est le fait qu'il permettrait la recherche et la conservation des espèces, mais interdirait de les montrer au public. Si votre centre était exclusivement dédié à la recherche, il manquerait l'interaction. Les animaux seraient privés des interactions journalières avec les humains dont ils bénéficient aujourd'hui. J'ai observé ces interactions à l'aquarium et je suis d'avis que les baleines et les dauphins en aquarium s'amusent lors de ces interactions, qui, je le rappelle encore une fois, ne sont pas des entraînements pour des spectacles. Cette notion que les animaux ne les aiment pas est très dépassée.
Le sénateur Christmas : J'ai deux questions fondamentales à poser, mais il y a aussi deux questions que je vais vous poser aux fins de clarification.
Monsieur Rosen, vous avez mentionné que certains cétacés vivent mieux que d'autres sous les soins de l'homme? Desquels s'agit-il?
M. Rosen : Les aquariums procèdent eux-mêmes par élimination; ils n'ont donc pas de baleines à fanons parce que leurs besoins nutritionnels sont impossibles à satisfaire. Quel que soit le type d'animal, plus la bête est grande et plus ses besoins sont importants.
Des études menées sur des mammifères de tous types indiquent que certaines caractéristiques pourraient indiquer que les animaux vivent mieux sous les soins de l'homme. Nous pensions que de nombreuses espèces ne vivraient pas bien en captivité, étant donné leur comportement en liberté, mais il s'est trouvé que ce n'était pas le cas.
Une des hypothèses était que les animaux qui ont de très grands territoires ne vivraient pas bien dans le milieu confiné d'un aquarium, mais il se trouve que ce n'est pas le cas pour certaines de ces espèces. Quand nous parlons de notre expérience avec les espèces de cétacés, il s'agit principalement de trois espèces.
Le sénateur Christmas : Lesquelles?
M. Rosen : L'orque, le grand dauphin et le béluga. Ils représentent la grande majorité des cétacés placés sous les soins de l'homme.
Le sénateur Christmas : Monsieur Trites, je ne suis pas sûr de vous avoir bien entendu, mais vous avez mentionné que ce projet de loi pourrait avoir des conséquences économiques pour un certain nombre de groupes. Vous avez aussi mentionné des Premières Nations. Pouvez-vous nous donner plus de détails?
M. Trites : Prenons le lion de mer de Steller, qui est en déclin et classé comme espèce en voie de disparition. Les scientifiques pensaient que cela était dû à la pêche et qu'il fallait donc arrêter. La plus grande population de goberge de l'Alaska, la plus importante au monde, est l'équivalent du secteur de la morue de la côte Est.
Par notre recherche, nous avons découvert que le problème n'était pas un manque de poisson, mais une surabondance de cette ressource. Les croyances scientifiques de l'époque étaient complètement fausses. Nous nous en sommes rendu compte en effectuant des études d'alimentation dans lesquelles nous avons donné à des cétacés de la goberge de l'Alaska, de la morue, du hareng et des poissons riches en gras.
Nous avons constaté que l'estomac des jeunes animaux ne leur donne pas la capacité de manger tout ce dont ils ont besoin dans la journée. Nous savons maintenant que nous ne pouvons rien y faire, nous les humains. Nous ne pouvons pas ensemencer les océans en poissons riches en gras ni limiter le nombre des autres poissons. Cet exemple, parmi d'autres, montre bien que nous avons découvert quelque chose que nous n'aurions pas pu découvrir autrement.
Un cas similaire existe avec notre population d'épaulards résidents du Sud, qui est affectée par le bruit. Faut-il limiter le bruit, ce qui signifierait limiter le service de traversier entre le continent et l'île de Vancouver? Peut-être faudrait-il limiter le nombre de bateaux de croisière. Beaucoup d'options différentes peuvent faire partie de la solution.
Sans la capacité à tester des mécanismes comme l'ouïe et la digestion et sans études contrôlées, nous pourrions prendre beaucoup de décisions incorrectes fondées sur des connaissances imparfaites et, en l'absence de certitudes, nous opterions pour un principe de précaution erroné.
Le sénateur Christmas : Quel est le rapport avec les peuples autochtones?
M. Trites : C'est quelque chose qui se produit particulièrement dans le Nord, là où certaines populations de bélugas sont en danger. Nous devons voir si cela est dû à l'activité humaine ou à d'autres facteurs.
Nous savons que certaines espèces de poissons se déplacent vers le nord; l'équilibre change. Nous savons que les orques peuvent maintenant s'en nourrir. Le phoque annelé est très important pour la sécurité alimentaire des peuples autochtones. Nous pouvons faire des études sur les phoques annelés et les bélugas afin de formuler les hypothèses de base nécessaires pour déterminer si leurs besoins alimentaires sont satisfaits et si nous pouvons évaluer les niveaux de stress pour nous assurer que le nombre de poissons composant l'alimentation sera suffisant et s'ils seront en bonne santé.
Le sénateur Christmas : Monsieur Trites, je suis d'accord avec le sénateur Forest sur la portée de ce projet de loi. Certains de vos commentaires me préoccupent. Le premier est que vous avez affirmé que, dans les faits, les études scientifiques seraient interdites ou que cela marquerait la fin de la recherche scientifique. Ce projet de loi, tel que je le comprends, ne porte pas sur la science, mais sur la capture d'animaux en liberté pour les mettre en captivité.
Est-ce que quelque chose m'échappe? Pour moi, ce projet de loi n'interdit pas les recherches scientifiques.
M. Trites : Je suis d'accord sur le fait que ce projet de loi n'a pas pour objet d'interdire la recherche, mais cela se produira dans les faits.
Mme Vergara : C'est une conséquence involontaire.
M. Trites : Si nous ne pouvons pas faire se reproduire les animaux, ce qui est prescrit par le projet de loi, nous ne pourrons probablement pas trouver la réponse à de nombreuses questions sur la survie des animaux en liberté en rapport avec les premières étapes de leur développement. Ces questions sont les plus importantes.
Nous ne pourrons pas maintenir la taille de l'échantillon. Essentiellement, les chercheurs feront ce que j'appelle de la recherche au petit bonheur la chance. Si vous avez de la chance, vous aurez un animal à étudier, mais vous n'en aurez peut-être aucun. Nous ne serons plus en mesure de former d'étudiants de deuxième cycle qui occuperont des postes tournés vers la science des mammifères marins au ministère des Pêches et des Océans et dans les organisations non gouvernementales. Ce projet de loi aurait ces conséquences fortuites.
Ces commentaires que je viens de faire visent à aider les gens à réaliser certaines choses auxquelles ils n'avaient pas encore bien réfléchi. À mon avis, ce qui se produira en fin de compte, c'est que nous n'apprendrons plus grand-chose des cétacés captifs, et je pense que c'est une tragédie.
Le sénateur Christmas : Je ne pense pas que les conséquences ou l'objet de ce projet de loi soient d'arrêter la recherche scientifique en milieu naturel. La science continuera à avancer, n'est-ce pas?
M. Trites : La science continuera à avancer en milieu naturel, mais j'essaie de faire comprendre qu'en ne procédant qu'à la recherche en milieu naturel, on n'a qu'une pièce du casse-tête, alors qu'il y a deux autres pièces importantes.
Les modèles constituent la première. Nous nous fions à des modèles pour tout, qu'il s'agisse de savoir quel temps il fera demain ou la façon dont un avion à réaction vole. Nous utilisons aussi des modèles en biologie. Pour les modèles, il faut des données, et ces données proviennent d'études sur le terrain et en captivité. Sans elles, on peut deviner des chiffres en fonction de suppositions, mais nous connaissons tous les dangers des suppositions. Les données sont un élément essentiel pour les modèles. Elles sont essentielles pour tester des hypothèses et elles le sont encore pour tester des mécanismes qui influencent des décisions liées aux politiques de gestion et aux espèces en péril.
Le sénateur Christmas : Une des observations intéressantes que j'ai à faire à propos de ce processus, c'est l'hypothèse qu'il s'agit d'un choix entre deux solutions. C'est, soit la science sur les animaux sous les soins de l'homme, soit la science dans leur milieu naturel. Ce que j'ai entendu de tous les témoins, c'est que nous en savons peu sur ces cétacés. Je crois que vous avez mentionné que nous n'avons découvert qu'une partie infime du corpus des connaissances à leur sujet.
Il y a une pénurie de connaissances scientifiques sur ces cétacés. J'espère et je pense que tous les scientifiques collaborent, qu'ils effectuent leur travail en milieu naturel ou sur des animaux sous les soins des humains. J'espère qu'ils travaillent de concert et qu'on ne s'appuie pas sur un type de recherche seulement. Toutes les approches scientifiques sont bénéfiques pour ces animaux.
M. Trites : C'est un effort commun. Tout le monde apprécie cette façon de faire, en particulier quand quelqu'un demande la quantité de nourriture dont a besoin un mammifère marin ou si cet animal fait concurrence à l'industrie de la pêche. Quand on pose ce type de questions, les gens réfléchissent à la façon d'y répondre. Ils s'aperçoivent qu'ils ont besoin d'une mesure provenant d'un dauphin ou d'un béluga en captivité. Il n'y a que de cette façon qu'on peut répondre à la question.
Le sénateur Christmas : Je suis content de vous entendre dire qu'il n'y a pas qu'une façon de faire vos recherches. Toutes les approches de recherche sont nécessaires pour le bien de ces espèces.
Mme Vergara : C'est un jumelage des deux types de recherche.
Le sénateur Christmas : Dans les cultures aborigènes, la conception holistique du monde comprend toutes les espèces. La meilleure image pour l'expliquer est la roue médicinale formée de quatre quadrants représentant les quatre aspects de la santé : le mental, le physique, l'émotionnel et le spirituel. De nombreux Autochtones et non-Autochtones reconnaissent depuis maintenant des années que la science fonctionne bien pour ce qui est de la santé mentale, psychologique et physique. Nous sommes très bons pour cela. Le savoir traditionnel est bon pour les aspects spirituel et émotionnel.
Quand je vous ai entendu dire qu'il n'y a pas de preuve claire que ces cétacés ne souffrent pas en captivité, j'y ai pensé en tant que question spirituelle et émotionnelle. Comme vous l'avez mentionné, les cétacés sont des animaux très sociables. Ils ont en eux une dimension émotionnelle et spirituelle importante. Pour moi, cela représente une certaine limitation de la science occidentale, parce qu'elle ne peut pas acquérir toutes les connaissances nécessaires pour vraiment comprendre les cétacés, du moins d'un point de vue autochtone.
Je ne suis pas certain que nous ayons fini de rassembler toutes les connaissances dont nous avons besoin pour comprendre ces animaux. Si, aujourd'hui, nous rassemblions assez de connaissances, je ne suis pas certain qu'on pourrait conclure qu'ils ne souffrent pas en captivité. Dans la conception aborigène du monde, le bien-être des espèces dépend de leur liberté et de leur capacité à entretenir des liens sociaux. Si on retire un être vivant de sa famille ou de son groupe, il souffre. S'il ne peut plus établir de liens avec son créateur, il souffre.
Seriez-vous d'accord pour dire qu'il faut plus de recherche scientifique pour déterminer correctement si les cétacés souffrent en captivité?
Mme Vergara : Je suis tout à fait d'accord. J'apprécie vraiment cette question, car notre société a atteint le point auquel il est nécessaire de discuter de ces choses. Nous devons poser cette question haut et fort. Je suis vraiment contente que nous discutions et considérions ces choses. Comme je l'ai précédemment mentionné, nous ne nous serions pas posé ce type de questions il y a un siècle. Du moins, les non-Autochtones ne se les seraient pas posées.
Est-ce que je pense que le moment est venu de prendre des décisions radicales parce que le monde court à sa perte? Non, pas encore. Devons-nous étudier leur bien-être, leur souffrance et leur expérience intérieure, ce qui est probablement la recherche la plus difficile que nous puissions effectuer? J'aimerais pouvoir leur poser ces questions, mais c'est impossible. Nous avons besoin de ces études.
J'hésite aussi à utiliser le mot « souffrance », car il est émotionnellement très fort. Je demanderais plutôt si les animaux sont plus épanouis dans leur milieu naturel qu'en captivité. Beaucoup d'entre nous diraient probablement que oui. Il serait formidable de vivre dans un monde où les animaux ne seraient pas dans les zoos et les aquariums, mais je ne pense pas que nous ayons atteint ce point dans notre développement.
Le président : Je vous demanderai de donner des réponses concises, dans la mesure où il ne reste plus beaucoup de temps.
[Français]
Le sénateur Forest : Je n'ai pas de question, mais plutôt un commentaire. Le projet de loi S-203 concerne les cétacés. On s'attend de vous, les experts et les scientifiques, que vous puissiez affirmer des choses avec énormément de rigueur. Lorsque vous concluez que ce projet de loi met en péril l'ensemble de la recherche sur les animaux, je trouve qu'il s'agit d'hypothèses et de postulats non vérifiés et, personnellement, je trouve que cela est déstabilisant quant aux arguments que vous nous avez apportés.
C'était simplement le commentaire que je voulais faire en terminant.
[Traduction]
La sénatrice Raine : Les témoins, qui sont tous des scientifiques, nous présentent deux points de vue. J'essaie de les concilier avec ma propre analyse.
Il m'apparaît évident que mon idée du cadre pour la protection des cétacés en captivité au Canada a changé du tout au tout au cours des 10 ou 20 dernières années. En l'absence d'une législation dans ce domaine, quelles garanties avons- nous que le bien-être des cétacés au Canada sera protégé par l'AZAC et d'autres organismes?
Je suis arrivée à la conclusion que nous avons des scientifiques parmi les meilleurs au monde qui ont besoin d'un travail. Quelles garanties avons-nous que l'autoréglementation des zoos et des aquariums suivra les normes les plus élevées du monde?
M. Rosen : Aujourd'hui, le milieu s'autoréglemente par l'entremise de l'AZAC et d'autres accréditations, comme l'Alliance of Marine Mammal Parks et Aquariums. Ces organismes améliorent constamment leurs normes de traitement des animaux.
Je sais que l'AZAC a d'excellents règlements et des panels d'experts remarquables pour les recommandations sur des aspects spécifiques telles la taille des aquariums, la nutrition et l'acoustique. Comment l'AZAC peut-elle constamment améliorer ces règlements? Pour l'instant, je ne vois pas la nécessité d'une législation fédérale obligatoire contraignant les aquariums à faire partie de ces organismes, car pour l'instant, ils établissent leurs propres critères de manière remarquable.
Je tiens également à vous indiquer qu'il existe aussi des procédures de vérification indépendantes dans le monde des aquariums. Par exemple, l'American Humane Association a démarré un processus de certification indépendante appelé « Humane Conservation ». C'est elle qui déclare qu'aucun animal n'a souffert pendant le tournage de tel ou tel film. C'est un organisme international qui a ses propres inspecteurs. L'Aquarium de Vancouver est une des neuf institutions au monde ayant obtenu sa certification. À l'interne comme à l'externe, la priorité de l'American Humane Association est de s'assurer que ces institutions satisfont aux normes les plus élevées.
Le président : Je remercie nos invités de nous avoir donné de leur temps ce matin. C'était une conversation animée. Quand nous avons commencé l'examen du projet de loi S-203, je pense que nous ne savions pas où cela allait conduire le comité.
Nous avons eu des discussions intéressantes et nous en aurons d'autres. Encore une fois, merci de nous avoir donné de votre temps.
(La séance est levée.)