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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule nº 24 - Témoignages du 30 janvier 2018


OTTAWA, le mardi 30 janvier 2018

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin), se réunit aujourd’hui, à 17 h 9, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir, honorables sénateurs. Je m’appelle Fabian Manning, et je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador. Je suis heureux de présider la réunion de ce soir. Avant de donner la parole à nos témoins, j’inviterais les membres du comité qui sont déjà arrivés à se présenter. Commençons avec la sénatrice à ma droite.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur McInnis : Tom McInnis, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

Le président : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. D’autres sénateurs devraient se joindre à nous sous peu, car c’est la fin de leurs travaux en chambre.

Le comité continue son étude du projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin).

Nous avons deux groupes de témoins aujourd’hui. Le premier est composé de Kristyn Wong-Tam, conseillère municipale, Quartier 27, Toronto Centre-Rosedale, du Conseil municipal de Toronto, et de Joanna Hui, qui participera par vidéoconférence.

Au nom du comité, je vous remercie de participer à la réunion d’aujourd’hui. Je sais que vous avez préparé toutes les deux un mot d’ouverture, alors commençons maintenant avec Mme Wong-Tam. Ensuite, il y aura la période de questions des sénateurs. La parole est à vous.

Kristyn Wong-Tam, conseillère municipale, Quartier 27, Toronto Centre-Rosedale, Conseil municipal de Toronto : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, et merci beaucoup. Je témoigne pour vous parler d’un sujet très important. Je m’appelle Kristyn Wong-Tam, et je suis conseillère municipale à la Ville de Toronto ainsi que présidente du Toronto East York Community Council.

Avant d’être élue au conseil municipal de Toronto, j’ai assumé pendant six ans les fonctions de présidente de la section torontoise du Conseil national des Canadiens chinois, le CCNC. Il s’agit d’un organisme national sans but lucratif comptant 27 sections au Canada qui, au nom des Canadiens chinois, milite en faveur d’une société plus juste, respectueuse et inclusive.

Aujourd’hui, je suis venue de Toronto pour appuyer personnellement le projet de loi S-238, dont le titre abrégé est la Loi interdisant l’importation de nageoires de requin.

Comme vous le savez probablement déjà, le découpage des nageoires de requin est un acte cruel qui consiste à capturer un requin et à lui couper que les nageoires avec une lame avant de le rejeter à l’eau alors qu’il est toujours vivant. Incapable de nager sans ses nageoires, le requin sombre au fond de l’océan, où il mourra après quelques jours, dans d’atroces souffrances, étouffé, noyé ou tué par un autre animal aquatique.

Même si le découpage des nageoires de requin est illégal au Canada depuis 1994, cette pratique cruelle, inutile et non durable est toujours répandue, et l’importation de nageoires de requin obtenues ainsi n’est, étonnamment, pas illégale. Ainsi, nous sommes aux prises avec une énorme échappatoire juridique largement exploitée par ceux qui profitent énormément et en toute légalité de la vente et du commerce des nageoires de requin et de ses produits dérivés, qui proviennent du découpage illégal et non contrôlé des nageoires.

Outre l’utilisation d’ailerons de requin comme ingrédient principal d’une soupe servie dans les restaurants chinois haut de gamme et les banquets officiels dans le but de montrer son respect à l’égard des invités et de permettre à l’hôte de faire miroiter sa richesse personnelle, ce produit n’a aucun usage légitime, qu’il soit médical, scientifique ou éducatif.

En juin 2011, j’ai fièrement déposé une motion avec mon collègue, le conseiller Glenn De Baeremaeker, en vue d’interdire la possession, la vente et la consommation de nageoires de requin et de ses dérivés dans les limites de la ville de Toronto. Nous avons présenté cette motion au Conseil municipal de Toronto avec une pétition signée par 10 000 résidants favorables à cette interdiction municipale.

Puisque que Toronto compte une des plus importantes populations sino-canadiennes au pays, nous croyions qu’en éliminant la demande de soupe d’aileron de requin, l’interdiction contribuerait à éliminer la pratique inhumaine et irresponsable de découpage des nageoires de requin, qui entraîne l’abattage d’environ 100 millions de requins par année.

Le Conseil municipal de Toronto a adopté notre motion à 38 voix contre 4, et le nouveau règlement municipal est entré en vigueur le 1er septembre 2012.

Presque immédiatement après l’adoption de la motion par le conseil municipal, certains opposants à l’interdiction, qui représentaient leurs propres intérêts commerciaux et non l’ensemble de la communauté chinoise, ont déposé une plainte en matière de droits de la personne contre la Ville de Toronto pour avoir instauré un règlement municipal discriminatoire à l’égard de leur ethnie ou de leur race. Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a rapidement rejeté leur plainte, qui tenait davantage à leurs droits de réaliser des profits qu’aux droits de la personne.

En résumé, ils n’avaient aucun motif de déposer une plainte en matière de droits de la personne puisque le règlement municipal ne portait pas préjudice à l’ensemble de la communauté chinoise. En effet, ce ne sont pas tous les Chinois qui mangent de la soupe d’aileron de requin. Ma famille et moi n’en mangeons pas. Nous n’en avons pas servi à l’occasion de mon mariage et de celui des deux autres membres de ma fratrie.

Après le rejet de la plainte en matière de droits de la personne, quatre membres de la communauté sino-canadienne locale ont porté leur cause en appel pour faire annuler l’interdiction; ils prétendaient que ce règlement ne relevait pas de la compétence d’une administration municipale.

En décembre 2012, le juge James Spence, de la Cour supérieure de l’Ontario, a invalidé notre règlement municipal, affirmant que cette mesure très intrusive ne relevait pas des compétences de la Ville et qu’elle empêchait les résidants de la Ville de consommer chez eux des produits alimentaires n’ayant pas été rendus illégaux par une mesure fédérale ou un autre instrument gouvernemental. Essentiellement, ce juge de l’Ontario a laissé entendre que la Ville de Toronto était allée trop loin en rédigeant ce règlement municipal.

Mesdames et messieurs les sénateurs, la relation entre le gouvernement fédéral et les autres administrations, et plus particulièrement les municipalités, fait en sorte que nous devons travailler ensemble. La protection des océans pour préserver l’écosystème marin dans son ensemble est une responsabilité qui nous revient à tous; c’est l’affaire des législateurs, mais aussi de tous les habitants de la planète.

Le projet de loi S-238 est le troisième projet de loi fédéral d’initiative parlementaire visant à interdire les produits dérivés des nageoires de requin au Canada. Il est clair que cette question restera d’actualité, du moins jusqu’à ce qu’une interdiction nationale soit bien mise en place.

En l’absence d’une interdiction nationale, des politiciens provinciaux, dont la députée Sonia Fursteneau, du Parti vert de la Colombie-Britannique, prennent des mesures pour faire adopter un projet de loi visant à interdire la vente, la distribution et la possession de nageoires de requin dans leur province. Ainsi, ils suivent l’exemple de 17 municipalités canadiennes qui ont réussi à interdire la vente de produits dérivés des nageoires de requin sur leur territoire.

Le Conseil municipal de Toronto a adopté une motion en avril 2017 pour demander au gouvernement fédéral d’adopter le projet de loi S-238. La semaine dernière, le Conseil municipal de Montréal a également adopté une motion appuyant le projet de loi S-238 afin qu’Ottawa impose une interdiction visant les nageoires de requins à l’échelle nationale.

Si Ottawa n’adoptait pas le projet de loi S-238, mes collègues du conseil municipal et moi serions prêts à renvoyer le dossier au Conseil municipal de Toronto et à faire tout ce qu’il faut pour déposer une nouvelle motion interdisant les nageoires de requin sur le territoire de la ville. Nous avons reçu les conseils d’un avocat indépendant et nous estimons qu’un nouveau règlement municipal à portée réduite peut être appliqué à Toronto et survivre à toute contestation juridique supplémentaire.

Même si une version modifiée du règlement municipal de Toronto constitue une solution, mes collègues du conseil et moi préférons qu’Ottawa exerce son leadership relativement à cet enjeu important.

Étant donné la multitude d’enjeux auxquels font face les municipalités et l’inefficacité d’une interdiction locale et clairsemée des nageoires de requin, il est grand temps que cette question soit examinée comme elle le mérite et que le gouvernement fédéral impose une interdiction pancanadienne.

Selon un sondage d’Environics, 81 p. 100 des Canadiens se disaient favorables à une interdiction de vendre les produits issus du découpage des nageoires de requin. Les administrations municipales et les Canadiens d’un océan à l’autre se tournent vers le gouvernement fédéral pour qu’il joue un rôle de premier plan dans ce dossier et qu’il impose une bonne fois pour toutes une interdiction nationale de découpage des nageoires de requin. La mise en œuvre d’une telle interdiction à l’échelle nationale n’a aucun désavantage sur le plan politique ou environnemental.

Mesdames et messieurs les sénateurs, il est temps d’agir. Je termine en vous priant de ne pas nous laisser tomber. Merci beaucoup du temps que vous m’avez accordé et de votre réflexion.

Le président : Je vous remercie de votre témoignage, madame Wong-Tam. Écoutons maintenant Mme Hui.

Joanna Hui, défenseure des requins, à titre personnel : Bon après-midi, et merci de votre accueil. Je m’appelle Joanna Hui et je prends la parole aujourd’hui à titre personnel.

Je suis née à Hong Kong, et j’ai mangé de la soupe d’aileron de requin toute mon enfance. Les nageoires de requin n’ont pas de goût; c’est le bouillon de poulet et les autres ingrédients qui donnent toute sa saveur à la soupe.

Lorsque j’ai vu le documentaire Les Seigneurs de la mer, j’ai été stupéfiée d’apprendre que ce petit bol de soupe cause une telle dévastation dans nos océans. J’ai cessé immédiatement de consommer de la soupe d’aileron de requin et je suis devenue une défenseure des requins. J’ai fini par travailler à l’hôtel de ville, où j’ai eu l’occasion de promouvoir le mouvement de défense des requins avec la conseillère Kristyn Wong-Tam.

Pendant la campagne de Toronto, je me suis entretenue avec des milliers de personnes, et particulièrement de la communauté chinoise. L’appui fusait de toutes parts.

Des dizaines de personnes ont parlé pour la cause, et bon nombre d’entre elles étaient d’origine chinoise. L’une d’entre elles venait même de San Francisco. Le jour du vote, la salle du conseil municipal était bondée de personnes appuyant la cause. La salle était pleine à craquer, et le Conseil municipal de Toronto a adopté l’interdiction par un vote de 38 voix contre 4.

Je suis ici pour vous assurer qu’une interdiction fédérale touchant l’importation de nageoires de requin est la meilleure chose que le Canada puisse faire pour ces animaux et que ce n’est absolument pas un affront envers la communauté chinoise.

Je le sais, car des influenceurs chinois de partout dans le monde se portent à la défense des requins.

À titre d’exemple, l’interdiction visant les nageoires de requin d’Hawaï est le fruit d’efforts menés par le sénateur Clayton Hee. L’interdiction similaire en Californie est attribuable au sénateur Paul Fong et, au Canada, l’interdiction de Toronto a été rendue possible grâce à la conseillère Kristyn Wong-Tam. Il y a aussi l’interdiction régionale de Vancouver qui a vu le jour grâce au conseiller Kerry Jang.

Certaines célébrités chinoises sont également de grands défenseurs de la cause. La grande vedette de la NBA Yao Ming a créé un message d’intérêt public au sujet des requins qui a fait beaucoup parler et qui a été diffusé partout en Chine. Dans son message, il repousse un bol de soupe et dit que lorsqu’on cessera d’en acheter, le massacre cessera.

La vedette de Hollywood Jackie Chan et le réalisateur de renom Ang Lee sont également de grands défenseurs de la cause. À la suite de l’interdiction de Toronto, le mouvement de défense des requins s’est rapidement répandu en Asie. En Chine et à Hong Kong, de grands hôtels cinq étoiles dont le Peninsula, le Shangri-La et le Fairmont, ont retiré la soupe d’aileron de requin du menu de leurs restaurants. La principale chaîne de supermarchés de Singapour, Carrefour, a retiré les nageoires de requin de ses tablettes. En outre, le plus grand transporteur de fret aérien au monde, Cathay Pacific, a cessé d’expédier des produits du requin récoltés de manière non durable. Même le gouvernement chinois a annoncé qu’il éliminerait progressivement la soupe d’aileron de requin dans les banquets de l’État.

Puisque d’aussi grands influenceurs dénoncent la situation, il est évident que la communauté chinoise appuie fermement et promeut le mouvement de défense des requins. J’aimerais vous faire part d’une anecdote personnelle en guise de conclusion. Je me suis mariée en 2010. À l’époque, les gens s’attendaient encore à ce que la soupe d’aileron de requin soit servie au banquet. Mon traiteur tenait si fort à ce qu’il en ait au menu qu’il a dit que nous aurions l’air chiche s’il n’y en avait pas. Je suis restée sur mes positions, et, au lieu de désapprouver notre décision, nos invités nous ont félicités.

Sept ans plus tard, au printemps dernier, j’ai assisté au mariage de mon amie. En prenant ma place, j’ai demandé à mes convives chinois si de la soupe d’ailerons de requin serait servie. Ils m’ont regardée comme si c’était la question la plus ridicule qui soit. « Bien sûr que non », m’a répondu l’un. Un autre m’a demandé : « Pourquoi y aurait-il de la soupe d’ailerons de requin? » En sept ans, l’attitude à l’égard de la soupe d’ailerons de requin a beaucoup changé.

Plus personne n’insiste pour dire que c’est une tradition chinoise maintenant. Le gouvernement fédéral doit maintenant faire ce qui s’impose : interdire l’importation des nageoires de requin. Nos océans et notre avenir en dépendent. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci, madame Hui.

Trois autres sénateurs se sont joints à nous depuis le début de la séance. Je vais leur demander de se présenter, aux fins du compte rendu.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci à nos témoins de nous avoir présenté leur exposé. Nous allons passer à la période de questions en commençant par le vice-président, le sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Bienvenue et merci d’être parmi nous aujourd’hui.

Madame Wong-Tam, je crois que vous avez publié sur votre site web un article de presse selon lequel les importations d’ailerons de requin ont augmenté au Canada alors qu’en Chine, parallèlement, le commerce décline et les mœurs culturelles sont en train d’évoluer, comme vous l’avez toutes les deux souligné. Sauriez-vous donc nous dire pourquoi les importations d’ailerons de requin augmentent même si la demande diminue chez la communauté chinoise au Canada?

Mme Wong-Tam : Je vous remercie énormément de cette question, monsieur le sénateur, mais je ne sais pas si je pourrai y répondre hors de tout doute. Tout ce que je sais, c’est que si on se fie aux données publiées par Statistique Canada, les importations de produits tirés d’ailerons de requin ont augmenté. Je ne sais pas si c’est vrai pour l’ensemble de la communauté. Je suis cependant tout à fait d’accord avec ce qu’a dit Joanna. D’après ce que j’ai observé — directement et indirectement —, il semble que la nouvelle génération ait une attitude très différente par rapport à la génération précédente.

Je dirais que les gens prennent consciemment la décision de faire les choses différemment. Je ne sais pas s’il y a eu des changements en ce qui concerne l’endroit où l’on consomme les ailerons de requin ou même s’il est possible que des personnes en fassent une provision. Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que dans la région de Toronto, la plupart des jeunes qui se marient choisissent de ne pas servir d’ailerons de requin.

J’aimerais aussi ajouter que certains membres de ma famille sont assez fortunés, et je me serais attendue à ce qu’ils servent de la soupe d’ailerons de requin pendant un événement mondain. Mais eux aussi — les gens aisés de la vieille génération — choisissent de ne plus en servir, parce qu’ils savent que leurs enfants n’en mangeront pas.

Le sénateur Gold : Merci.

Madame Hui, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Hui : Je crois que l’augmentation des ventes est en grande partie attribuable à l’offre, et non pas à la demande. J’ai l’impression que les restaurants continuent d’essayer d’en vendre à leurs clients, et même s’il y en a beaucoup — comme la conseillère Kristyn Wong-Tam et moi — qui sont très engagés à ce sujet et qui ne voudront au grand jamais en manger, il existe tout de même des tenants beaucoup moins engagés qui accepteraient d’en manger, même s’ils croient que c’est mal, pourvu que le restaurant l’offre dans une assiette combinée à bon prix. D’un autre côté, ces personnes ne s’offusqueront pas non plus si ce genre de mets est retiré du menu.

D’après ce que j’en sais, il y a des consommateurs indifférents, disons, qui continuent de consommer ce genre de produits, et c’est pour cette raison qu’il n’y a pas vraiment eu de diminution de ventes, même si les attitudes à ce sujet ont véritablement changé.

Le sénateur McInnis : Merci énormément des efforts que vous avez déployés dans le passé ainsi que présentement pour lutter contre cette pratique horrible. Nous n’en étions peut-être pas au courant dans le passé, mais nous en apprenons énormément à propos de cette atrocité qui se déroule ici. D’après ce que nous avons entendu, rien que pour les nageoires de requin, je crois avoir lu qu’on massacre 63 millions de requins par année. C’est terrible. J’imagine que, dans un grand nombre de pays, il s’agit d’une industrie qui fait vivre des gens, mais je trouve cela très triste.

D’après ce que vous en savez, y a-t-il eu des initiatives visant à établir une industrie durable; si cela va se faire de toute façon, les pays signataires de la CITES devraient se réunir et instaurer des quotas et veiller à l’adoption de pratiques sans cruauté. Êtes-vous au courant de quelque chose de la sorte?

Mme Wong-Tam : Merci, monsieur le sénateur. Je crois que d’autres témoins après moi pourront vous éclairer davantage, puisqu’il s’agit d’information technique. En général, je crois que le secteur, l’industrie et les groupes de défense s’entendent pour dire qu’environ 100 millions de requins sont massacrés chaque année. À part les nageoires, les requins n’ont pas vraiment d’autre valeur commerciale.

Je dirais qu’il est important de reconnaître les problèmes que cela entraîne lorsqu’on attribue un prix si élevé à seulement une partie d’un animal. Ce n’est pas une pratique viable, peu importe la façon dont on aborde la chose.

Il n’y a pas si longtemps, le marché de l’ivoire avait beaucoup d’importance, et encore aujourd’hui, beaucoup de pays ont interdit l’ivoire et l’importation d’ivoire; ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour éradiquer le braconnage des éléphants à cause de leurs défenses d’ivoire. Malgré tout, le marché persiste. Lorsqu’il y a une demande pour un produit et un profit à réaliser, il y aura toujours un marché. Tout cela pour dire que je doute qu’il soit possible de créer une industrie durable d’élevage de requin, pour être franche, où on pourrait continuer à vendre des ailerons de requins au même prix élevé tout en utilisant d’une façon ou d’une autre le reste du requin.

Je crois que ce serait pratiquement impossible d’en arriver à un consensus international quant à une façon durable d’élever le requin seulement pour les ailerons ou leur chair. C’est pour cette raison que je continue d’évoquer les interdictions visant d’autres biens qui étaient précieux dans le passé, comme les défenses. Le fait est que la réglementation doit être très sévère. Il est impossible de trouver un juste milieu, parce que la valeur de ces produits est absolument absurde et qu’il est très difficile de mesurer le cours des marchés.

Je crois donc qu’il n’y a pas d’autre solution que d’interdire ce produit. Dans le cas contraire, nous nous retrouvons pour ainsi dire pieds et poings liés. Ce serait signer l’arrêt de mort des océans. Étant donné les pratiques de pêche actuelles, il ne restera plus grand-chose pour nous. Si nous perdons les océans, nous perdrons la planète. Voilà ce que nous avons à perdre, selon moi.

Le sénateur McInnis : Aviez-vous des commentaires à faire?

Mme Hui : Comme la conseillère l’a dit, je crois savoir que votre prochain groupe de témoins est constitué en grande partie d’experts, alors ils sauront vous en dire davantage. Mais, d’après ce que j’en sais, ce n’est pas vraiment possible de faire l’élevage des requins comme on le fait, disons, avec le saumon, parce que ces animaux ont besoin de beaucoup d’espace où nager, et ils se développent très lentement. Je crois qu’il leur faut 25 ans pour atteindre la maturité. Donc, ce n’est pas envisageable sur le plan économique de faire l’élevage des requins. Je ne crois pas non plus qu’il existe quelque part dans le monde des pêcheries de requin qui soient durables.

Le sénateur McInnis : C’est quelque chose que j’avais mentionné au sénateur MacDonald, le parrain du projet de loi. Ne vous méprenez pas, j’appuie fortement le projet de loi, mais je me demandais s’il ne conviendrait pas également de suspendre les importations du produit sous toutes ses formes, que ce soient des ailerons congelés — si cela existe — ou de la soupe. Avez-vous réfléchi même un peu à cela?

Mme Wong-Tam : Je crois, monsieur le sénateur, que je pourrais dire, même si je ne suis pas une experte sur le sujet, c’est que l’écart de prix absolument insensé entre la chair et les ailerons entraîne énormément de gaspillage : les requins sont pêchés seulement pour leurs nageoires — les pectorales et la dorsale —, puis, on les remet à l’eau. Je crois que la valeur au détail d’un kilogramme d’ailerons de requin séchés varie environ entre 805 et 1 075 $ canadiens. Il n’y a rien d’autre qui peut être consommé qui se vend un tel prix. Donc, je doute que ce soit une solution envisageable. Oui, vous pouvez interdire la chair, vous pouvez interdire le requin en entier. Vous pouvez interdire tout cela, mais le projet de loi sous sa forme actuelle a seulement pour objectif d’interdire l’importation. Mais je vous suis reconnaissante de votre désir d’aller plus loin.

Je tiens pour acquis que vous avez à votre disposition des experts au sein du ministère des Pêches qui seront en mesure de bien vous conseiller. Pour être parfaitement honnête, je doute que quoi que ce soit que nous ayons dit aujourd’hui soit vraiment réfutable, du moins en ce qui concerne notre discussion sur l’interdiction d’importer des nageoires de requin. Le fait est que c’est le marché qui soutient cette pratique non durable : les gens risquent de perdre leurs bateaux, ils risquent d’être emprisonnés ou de devoir payer des amendes très élevées, mais ils courent le risque parce que c’est un marché extrêmement lucratif.

Le Canada est le plus grand importateur d’ailerons de requin à l’exception de l’Asie du Sud-Est. Cela prouve l’importance de ce que nous faisons ici. Je crois que nous pouvons montrer au reste du monde, en toute franchise, que nous prenons une position de principe. Je crois que cela reflète les valeurs canadiennes, et à mon avis, cela aiderait énormément les municipalités qui essaient de faire ce qui est juste. Cependant, si on essaie de faire les choses au cas par cas… Il y a plus de 400 municipalités dans la province de l’Ontario, et si chacune de ces 400 municipalités devait interdire elle-même les nageoires de requin, il va de soi que cela prendrait du temps. Cela veut aussi dire qu’une personne qui veut consommer de la nageoire de requin pourra simplement contourner l’interdiction en se rendant de l’autre côté de la rue ou dans une autre ville. C’est pourquoi nous avons réellement besoin d’une interdiction à l’échelle nationale. C’est ce que j’espère que vous allez nous aider à accomplir aujourd’hui.

Le sénateur McInnis : Bien sûr, c’est notre objectif, mais la vérité est qu’il faut une interdiction à l’échelle mondiale. Après avoir lu à ce sujet et fait mes propres recherches, je me suis rendu compte à quel point c’est une industrie cruelle et très néfaste. Mais, bon… Merci.

Le sénateur MacDonald : Merci beaucoup, madame la conseillère, d’être avec nous aujourd’hui. J’aimerais dire quelque chose — peut-être formuler un commentaire —, et ensuite, j’aurai une question.

Je veux vous remercier des efforts acharnés que vous avez déployés au fil des années. Vous aussi, madame Hui. Je veux vous remercier énormément du travail que vous avez accompli. Vous m’avez ouvert les yeux. Avec ce genre de travail, l’union fait la force. L’éducation et la sensibilisation ont une très grande importance lorsqu’il s’agit de ce genre de question. Je crois que la situation aujourd’hui est très différente d’il y a sept ou huit ans, et selon moi, le niveau d’éducation et de sensibilisation des gens y est pour quelque chose. Je tiens donc à vous remercier également pour cela.

Selon moi, il est aussi important que des membres de la communauté sino-canadienne assument un rôle de leadership dans ce dossier. Il y a des gens qui croient, à tort, que nous attaquons leur culture. Les Chinois sont probablement les meilleurs au monde pour ce qui est des arts culinaires, et je suis convaincu que ce genre d’interdiction ne va pas vraiment nuire à leur capacité de servir des mets succulents, comme ils le font depuis des siècles.

La question que je veux aborder est la suivante. Lorsque ce projet de loi a été présenté en 2013, il a été défait à la Chambre. J’étais un peu étonné. J’étais déçu. Il ne s’était pas rendu au Sénat. J’ai dit : « Quand ils auront de nouveau l’occasion, ils feront peut-être quelque chose avec ça. » C’est ce que nous tentons de faire.

Ai-je raison de supposer — et je pense avoir raison, d’après vos remarques — qu’il existe aujourd’hui un consensus beaucoup plus large dans la communauté sino-canadienne qu’il y a peut-être six ou sept ans? Que c’est une idée qu’il est temps de concrétiser?

Mme Wong-Tam : Oui, monsieur le sénateur. Vous avez raison de supposer que les attitudes changent. Je dirais qu’elles changent à certains endroits plus rapidement que d’autres en grande partie à cause de la discussion et en grande partie à cause de l’éducation. Je rencontre rarement de jeunes Canadiens chinois qui pensent que c’est une bonne idée, qui demandent à leurs parents, quand ils sortent au restaurant : « Pouvez-vous vous assurer de commander une soupe aux ailerons de requin? » Cela n’arrive tout simplement pas. Au contraire, ils repoussent les bols. J’ai vu cela à des tables de restaurant, pas à la mienne, mais aux tables juste à côté.

Je pense que cela a beaucoup à voir avec les changements d’attitude. Bien sûr, les parents qui ont grandi avec un type différent de conventions culinaires apprennent également que ce n’est pas une pratique durable. Mon père était un chef. Il ne mange plus d’ailerons de requin. Mon oncle à Hong Kong est l’un des meilleurs chefs de l’île. Il adopte une position de principe, dans un restaurant très haut de gamme, selon laquelle nous vous accordons peut-être un rabais si vous ne commandez pas d’ailerons de requin pour votre mariage ou pour vos banquets. Donc, de toute évidence, l’attitude change radicalement.

Le sénateur MacDonald : Je tiens à ajouter que le plus grand atout que l’on puisse avoir en politique est la persévérance, car il faut parfois revenir sur quelque chose encore et encore. Je suis heureux que vous ayez persévéré. Je suis prêt à persévérer. Je pense qu’il y a un vaste appui à cet égard. Si nous continuons à persévérer, je pense que nous pouvons réussir. Nous n’allons pas résoudre un problème ici; ça ne va pas résoudre tout le problème. Mais c’est un pas dans la bonne direction, et un premier pas très important. Alors, merci à vous deux d’être ici.

Mme Wong-Tam : Merci.

Le sénateur Christmas : En supposant que ce projet de loi soit adopté et promulgué par le Parlement, je crains qu’un marché noir pour la soupe aux ailerons de requin puisse alors émerger. Oui, alors, ce serait illégal. Les gens pourraient être accusés et frappés d’une amende. Je suis sensible à ce que vous avez mentionné, c’est-à-dire que beaucoup de jeunes refusent maintenant la soupe, et il me semble que la solution à long terme est d’aider nos jeunes à reconnaître que manger cette soupe n’est pas bon pour l’espèce, et ce n’est pas bon pour nos océans.

Je trouve cela très curieux que vous ayez dit que ce changement s’est produit en une génération. Il me semble que c’est la solution. Comment pouvons-nous changer l’esprit et le cœur des gens et leurs habitudes alimentaires pour éliminer la consommation de soupe aux ailerons de requin? Quels changements avez-vous observés d’une génération à l’autre? Y a-t-il certains outils pédagogiques?

Je sais que la vidéo a une incidence considérable. Pourquoi les jeunes ont-ils décidé qu’ils ne veulent pas de la soupe aux ailerons de requin au Canada? Pourquoi est-ce arrivé?

Mme Wong-Tam : Merci, monsieur le sénateur. Je ne crois pas que seuls les jeunes Canadiens chinois refusent la soupe aux ailerons de requin. Je pense vraiment que c’est beaucoup plus gros. Il y a une tendance mondiale où de jeunes Chinois de la diaspora prennent les mêmes décisions une fois qu’ils savent comment cette pratique se déroule; ils ne peuvent pas prétendre ne pas savoir.

Évidemment, notre héros canadien emblématique, Rob Stewart, a joué un rôle clé en veillant à ce que cette information soit disponible. Il a lancé un débat mondial de bien des façons, lequel se poursuit ici aujourd’hui, principalement du fait de son travail et de son plaidoyer. Nous aurions vraiment intérêt à l’honorer, surtout depuis son décès, en faisant en sorte d’adopter le projet de loi à la troisième lecture.

Cela a beaucoup à voir avec l’éducation. Je suis d’accord avec vous, et comme le sénateur McInnis y a fait allusion, vous devez faire quelque chose à l’échelle mondiale, et nous devons le faire en tant que communauté mondiale.

Je crois savoir que nous accueillons le Sommet du G8, et l’un des thèmes portera sur les océans. Quelle façon spectaculaire de lancer ce sommet avec notre gouvernement qui annonce que nous allons amener la planète, toutes les communautés mondiales, à faire en sorte que le Canada interdise l’importation d’ailerons de requin et le commerce de produits d’ailerons de requin. Espérons que, à ce moment précis, lorsque le monde entier nous observera, nous ferons passer un bon message et inciterons d’autres pays à faire de même. Ce serait un formidable héritage canadien qui mise sur la contribution des gens qui ont fait le travail.

Je ne me suis pas employée à la tâche comme la famille Stewart ou la Humane Society l’ont fait. Il y a énormément de défenseurs qui font ce travail depuis très longtemps. Je dirais que je suis une retardataire, et ce n’est certainement pas mon expertise, comme vous pouvez le constater par mes petites réponses maladroites. Je crois fermement que c’est la bonne chose à faire, et je crois que cela présente vraiment le meilleur côté du Canada si nous le faisons.

Le sénateur Christmas : Je suggérerais peut-être une approche en deux étapes. Oui, mettons en place une législation. Je suis tout à fait d’accord avec cette idée. Je suis en faveur de la législation. Je suis d’accord avec cela.

La deuxième étape, je pense, doit être l’éducation. Jusqu’à présent, nous avons eu la chance d’avoir des particuliers et des organismes prêts à faire beaucoup d’études sur l’interdiction de la soupe aux ailerons de requin.

Une fois ce projet de loi adopté, le Canada devrait-il mettre en place un programme pour éduquer les Canadiens et peut-être les citoyens du monde entier? Devrait-il y avoir un programme pour aider les autres à comprendre pourquoi cette interdiction est nécessaire?

Mme Wong-Tam : Je présume que la famille Stewart sera en mesure d’y répondre mieux que moi. Oui, il devrait y avoir des programmes d’éducation officiels. Les programmes d’éducation que nous avons dans les universités devraient être renforcés afin que nous puissions nous assurer de mieux favoriser la durabilité écologique marine et la préservation des océans. Je crois que cela devrait se faire dans les écoles.

Fait intéressant, dans ce cas, les citoyens ont ouvert la voie; ce n’était pas le gouvernement. Je travaille également au gouvernement, et, parfois, des citoyens se présentent devant vous et disent : « Hé! C’est une bonne idée », et le gouvernement suit. Dans le présent cas, nous avons eu des citoyens qui ont ouvert la voie, et les gouvernements finissent par suivre, progressivement.

Certaines sections du mouvement qui milite en faveur de la non-utilisation des ailerons et des groupes de préservation des océans du monde entier sont issus de l’initiative torontoise. Un mouvement canadien est à l’origine de ce débat qui traverse l’Asie du Sud-Est, l’Asie de l’Est et la Chine entière. C’est un héritage incroyable pour nous.

Je détesterais que ce projet de loi ne soit pas adopté en troisième lecture. Personnellement, je serais très triste qu’il ne soit pas adopté. À mon avis, cela dénoterait que nous ne sommes pas en mesure d’établir une vision et des valeurs ensemble en vue d’obtenir un résultat que nous recherchons. Le temps est venu.

Le sénateur Gold : Ma question a été posée, en fait, par le sénateur Christmas, et on y a très bien répondu.

J’appuie également le projet de loi. Je pense qu’il est important que nous fassions ce que nous pouvons pour mener une campagne internationale visant à interdire la pratique parce que selon les témoignages que nous avons entendus, si je comprends bien, même si de nombreux pays l’ont interdit dans leurs eaux, comme le Canada l’a fait, il y a toujours une pratique et un commerce assez vigoureux à l’échelle internationale. Il serait utile que le Canada puisse passer de la parole aux actes et mener une campagne internationale dans le but d’interdire cette pratique.

Comme vous l’avez souligné avec le sénateur McInnis, il y a un marché précieux qui persistera. Au bout du compte, c’est un changement culturel qui, espérons-le, va évoluer.

Merci de votre présence.

Le président : Madame Hui, avez-vous des commentaires à faire sur les questions que vous avez entendues?

Mme Hui : Non.

Le président : C’est bien?

Mme Hui : Oui, merci.

La sénatrice Raine : Merci à vous deux d’être ici. J’apprécie vraiment votre explication valable : ce n’est pas une pratique culturelle qui doit être défendue de quelque façon que ce soit.

Je sais que certaines pêches au requin dans le monde sont viables; on utilise tout le requin comme nourriture. Avez-vous pensé aux conséquences involontaires de l’impact négatif sur les collectivités qui dépendent d’une pêche durable au requin pour leur subsistance?

Mme Wong-Tam : Merci, madame la sénatrice. Je pense que c’est la raison pour laquelle le projet de loi est élaboré et structuré de manière à éliminer seulement l’offre et la demande d’ailerons de requin, qui est la pratique non durable de l’enlèvement des nageoires. Si, lorsque vous attrapez l’animal, vous suiviez les connaissances autochtones, alors la totalité de l’animal serait utilisée; il n’y aurait aucun gaspillage.

Or, ce n’est pas ce qui se passe maintenant. Pensons, par exemple, au fond de l’océan, dans les Galápagos, où gisent des centaines sinon des milliers de carcasses de requin. Les pêcheurs ne prélèvent pas la chair ou toute autre partie du requin. La seule chose qui a de la valeur et qui occupe un espace précieux sur les navires, ce sont les nageoires. Voilà la pratique non durable que nous voulons faire cesser.

En ce qui concerne les douanes canadiennes, dans l’état actuel des choses, nous interdisons le prélèvement des nageoires de requin dans nos eaux territoriales, mais les nageoires sont toujours importées. Vous pouvez les mettre sur une remorque et les apporter au pays; aucune question ne sera posée. Vous ne pouvez même pas dire si elles proviennent d’espèces en voie de disparition. C’est l’autre aspect qui est si troublant. Dans une enquête réalisée à l’Université de Guelph, on a analysé 129 échantillons de produits d’ailerons de requin, et 71 p. 100 d’entre eux étaient des spécimens d’espèces menacées d’extinction. Il est impossible que cela puisse être durable. Nous devons éliminer l’importation de nageoires de requin au pays. Nous devons nous assurer qu’avec le but de la loi, soit d’interdire l’enlèvement des nageoires de requin dans les eaux territoriales, nous supprimons cette échappatoire juridique qui persiste depuis trop longtemps.

La sénatrice Raine : Je remarque que l’enlèvement des ailerons de requin n’est pas illégal en Chine et à Hong Kong. Pensez-vous que le fait d’interdire l’importation de nageoires de requin au Canada les incitera peut-être à faire la même chose? Existe-t-il un mouvement similaire en Chine, en Chine continentale et à Hong Kong, chez les jeunes Chinois comme au Canada, qui reconnaît le danger de ce qui se passe, pour aller à l’encontre de la tradition culturelle? Voyez-vous une possibilité d’interdire l’enlèvement de nageoires de requin en Chine et à Hong Kong?

Mme Wong-Tam : Oui, je pense que cette possibilité existe. Comme toute chose, cela prend beaucoup de temps. Il faut promouvoir et défendre la cause et assurer une vaste éducation. Je crois que vous allez entendre un témoin qui vient de la Chine.

Il existe certainement des mouvements à l’échelle internationale, notamment ceux dirigés par les Chinois dans les pays de la diaspora, en Asie, qui préparent le terrain ici. C’est devenu un débat mondial. Quand nous avons commencé à parler de l’élimination de l’ivoire et de l’interdiction de son commerce, c’était un débat qui devait avoir lieu entre les dirigeants du gouvernement et peut-être y avait-il aussi des groupes voués à la conservation. Mais maintenant, nous n’avons pas à attendre. Nous pouvons réellement avoir des échanges tout simplement comme Joanna le fait actuellement. Les jeunes tiennent ces discussions à l’échelle planétaire, et on fait appel à eux grâce à l’externalisation ouverte. Ils arrivent à la conclusion qu’ils veulent que leurs valeurs se reflètent dans l’action du gouvernement. Si le gouvernement ne veut pas diriger… ce ne sont pas nécessairement des endroits démocratiques, nous devons donc le reconnaître. Cependant, quand il s’agit d’endroits démocratiques, comme Taïwan, la discussion est allée beaucoup plus loin.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup à vous deux d’être venues. C’est très intéressant. J’ai regardé le documentaire Les Seigneurs de la mer pendant le congé. Après avoir vu ça, on change d’idée pour toujours, et je suis vraiment contente.

Si j’ai bien compris ce que vous dites, si le Canada prend les choses en main et fait adopter le projet de loi, ce sera très avantageux pour le pays, plutôt que pour une seule municipalité à la fois. Est-ce que c’est bien ce que vous demandez?

Mme Wong-Tam : Oui, madame la sénatrice, c’est exactement cela que je demande. Je vous le dis sans ambages, des dirigeants municipaux ont communiqué avec mon bureau pour la seule raison que j’avais pris auparavant l’initiative de leur demander d’obtenir une copie de la motion de mon député. J’ai constaté qu’ils étaient intéressés. Dans les réunions de la Fédération canadienne des municipalités, des sujets comme celui-là sont abordés. Les leaders veulent tout simplement savoir comment il faut faire et s’ils peuvent le faire.

La mairesse de Mississauga, Mme Cromby, était en fait la dirigeante de la ville alors qu’elle était encore conseillère et que la ville a imposé son interdiction, tout de suite après que Toronto l’a fait. Le débat se poursuit. Ce que nous espérons, bien sûr, si l’interdiction s’applique à l’échelle du pays, c’est qu’elle soit équitable; toutes les municipalités doivent être soumises au même règlement. Cela engloberait les provinces et les territoires.

Mais je crois qu’il faut mettre en relief un point intéressant. Quand je discutais de cette question avec les propriétaires d’entreprises sino-canadiens — et ce ne sont pas tous les propriétaires d’entreprise sino-canadiens qui s’en préoccupent, pour commencer; ce ne sont que ceux qui vendent ce produit à des fins lucratives —, ils m’ont dit entre autres choses, à Toronto : « Nous préférerions que la vente ne soit pas interdite, puisque les gens n’auront qu’à aller à Richmond Hill ou à Markham. » Il s’agit de banlieues de Toronto. « S’il faut absolument interdire la vente, l’interdiction doit être faite à l’échelle nationale; dans ce cas, elle sera équitable. » Et ce sont des opposants à l’interdiction promulguée par Toronto qui me l’ont dit eux-mêmes.

La sénatrice Hartling : Nous ferions davantage de progrès si l’interdiction était nationale. Quand je repense au documentaire Sharkwater et à tout ce qui se passe dans les océans, dans la vie des requins, je me dis que, après avoir vu ça, je crois que nous pourrions être des chefs de file dans le monde, et que nous pourrions peut-être déclencher une réaction en chaîne.

Vouliez-vous ajouter quelque chose, Joanna?

Mme Hui : Absolument. Encore une fois, les prochains témoins le confirmeront; après que Toronto a imposé une interdiction, 13 États en ont imposé une. Il est donc évident que le monde a les yeux tournés vers nous. Nous pouvons être des chefs de file. Toronto en a, de toute évidence, été un, et le Canada peut l’être à son tour.

La sénatrice Hartling : J’apprécie vraiment ce que vous dites; en effet, j’ai chez moi un petit cousin de 12 ans qui soutient cette cause. Il est déjà passionné et veut sauver les requins. Je pense que les jeunes sont nombreux à se joindre à ce mouvement, et nous ne devons pas rester à la traîne. Merci beaucoup de vos commentaires.

La sénatrice Ataullahjan : Je remplace quelqu’un. Je ne fais pas normalement partie de ce comité.

Vous dites que le débat est désormais mondial. À part les gens d’affaires, qui s’oppose à cette interdiction? Il me semble qu’il y a encore beaucoup d’argent en jeu. Nous avons de la difficulté à promulguer cette interdiction, comme nous l’avons vu à Toronto. Je me souviens de ce qui s’est passé et des gens qui s’y opposaient. Qui, à part les gens d’affaires, s’y oppose?

Mme Wong-Tam : Chez nous, à Toronto, je dirais que ce sont seulement les Sino-Canadiens propriétaires de restaurants qui ont mis des nageoires de requin à leur menu. Ce n’est pas le cas de tous les restaurants, parce que c’est un produit qui coûte très cher. La plupart des restaurants chinois du Chinatown n’en proposent pas, et ce sont les propriétaires des restaurants qui en servent qui s’y sont opposés.

Toutefois, comme je l’ai déjà dit, ils ont déclaré que si l’interdiction était nationale, tous les restaurants seraient sur un pied d’égalité. Ce qu’ils ne voulaient pas nous laisser faire, c’est d’imposer cette interdiction ville par ville. En l’absence d’une interdiction nationale, les villes essaient souvent de prendre un règlement pour limiter un usage ou un autre dans les restaurants qui détiennent un permis. C’est ce que je ferais si l’interdiction n’était pas imposée à l’échelle nationale. Je retournerais chez nous, je suivrais le conseil de l’avocat et j’imposerais une interdiction plus restreinte pour que les nageoires de requin ne soient plus servies dans les restaurants.

Le président : Je remercie nos témoins. C’était un plaisir de les entendre aujourd’hui et de discuter avec eux.

Bienvenue aux prochains témoins. Nous accueillons Sandra et Brian Stewart, parents de Rob Stewart, qui a écrit et réalisé le documentaire Les Seigneurs de la mer, que nous avons tous eu l’occasion de voir. Rob est mort tragiquement en janvier 2017 pendant une expédition de plongée près des côtes de la Floride.

Je suis certain de parler au nom de tous les membres du comité au moment de transmettre mes plus sincères condoléances à M. et Mme Stewart ainsi qu’à la famille et aux amis de Rob, et je tiens à lui rendre hommage pour tout ce qu’il a fait pour attirer l’attention sur cette situation. Son documentaire a joué un rôle important dans notre étude.

Nous accueillons également Kim Elmslie, directrice de campagne, Oceana Canada. Nous allons également discuter par vidéoconférence avec Iris Ho, gestionnaire de programme de la faune, de Humane Society International. Bienvenue, Iris.

Mme Stewart va commencer en faisant sa déclaration. Vous avez la parole.

Sandra Stewart, Les Seigneurs de la mer : Merci beaucoup aux membres du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans de nous avoir invités à cette réunion.

Nous appuyons de tout cœur le projet de loi. Je tiens à remercier le sénateur MacDonald, qui a fait un travail important dans ce dossier. C’est la bonne chose à faire. Nos recherches révèlent que 81 p. 100 des Canadiens sont en faveur d’une interdiction des nageoires de requin qui serait imposée par le gouvernement fédéral. Un fait intéressant est à souligner : 81 p. 100 des Américains sont eux aussi en faveur d’une interdiction par le gouvernement fédéral de la vente de nageoires de requin aux États-Unis.

Rob était un biologiste, un écologiste et un cinéaste, et il a aussi signé deux livres. Il a produit les films Les Seigneurs de la mer et Révolution. Il a consacré sa vie à la défense des océans, parce qu’il avait compris le rôle essentiel que jouent les requins dans la santé de nos océans et la santé de notre planète. Il a passé une bonne partie de sa vie à tenter de sauver les requins, en particulier, étant donné le caractère barbare de l’enlèvement des nageoires de requin, la rapidité avec laquelle nous décimons leurs populations et les répercussions de l’élimination d’un des principaux prédateurs des écosystèmes qui couvrent 70 p. 100 de la surface de la planète.

Le documentaire Les Seigneurs de la mer a été projeté en première au Festival international du film de Toronto en 2006 et est arrivé sur les circuits commerciaux en 2007. Il a sensibilisé le monde entier au caractère inutile et inhumain de la pratique d’enlèvement des nageoires de requin, laquelle décime les populations de requin. C’est un problème dont personne n’avait auparavant connaissance. Le documentaire a reçu de nombreux prix, au Canada comme à l’étranger. Un peu partout dans le monde, des pays ont modifié leurs politiques publiques. Des centaines de groupes de protection de l’environnement ont été créés dans le but de sauver le requin, et la perception que les gens avaient des requins a changé. Ils n’étaient plus les monstres effrayants présentés dans le film Les dents de la mer.

C’est un fait largement reconnu aujourd’hui. On voit régulièrement des plongeurs qui nagent avec les requins. Ce sont des créatures majestueuses, essentielles à notre écosystème. Aujourd’hui, tous les groupes écologistes importants, Oceana, WildAid, les sociétés pour la protection des animaux, le Fonds mondial pour la nature, comptent un volet pour la sauvegarde des requins. Les universités proposent aussi des cours sur les requins, aujourd’hui.

Je crois que vous avez probablement tous vu la séquence où Rob étreint un requin. Révolution a été projeté au Festival international du film de Toronto en première en 2012. Les requins étaient de retour, mais le documentaire présentait les choses sous un angle légèrement différent. Tout le monde est au courant des changements climatiques. Tout le monde a vu le documentaire d’Al Gore sur les changements climatiques, mais le milieu scientifique commençait tout juste à se rendre compte du fait que l’acidification des océans allait devenir un problème important. Le phénomène allait tuer les récifs de coraux et pourrait même condamner l’ensemble des océans eux-mêmes.

Les êtres vivants de la planète sont interconnectés, et je crois qu’à ce moment-là, les gens ont réalisé que c’était bien plus important. De 60 à 70 p. 100 de l’oxygène que nous respirons vient de l’océan. L’océan absorbe 90 p. 100 de notre chaleur. Il absorbe aussi 90 p. 100 de nos émissions de carbone. Si les océans tombent malades, ils ne peuvent plus absorber aussi bien tout cela.

Aujourd’hui, tout le monde est au courant du problème de l’acidification des océans et de la disparition des récifs de coraux. C’est encore pire que la situation que Rob avait présentée dans le film Révolution. Nous croyons que d’ici trois à cinq ans, 90 p. 100 peut-être des récifs de coraux auront disparu. La Grande Barrière de corail est en train de disparaître, et on ne croit pas pouvoir la sauver.

Les requins contiennent les populations de poisson, car ils mangent du plancton. Les requins sont les régisseurs de nos océans. Tout ce qui a vu le jour dans l’océan au cours des 400 millions d’années qui viennent de passer a eu le requin comme principal prédateur. Si les requins disparaissent des océans, s’ils n’y sont plus le principal prédateur, les populations de poisson qu’ils maîtrisaient jusqu’ici vont exploser. Tous ces poissons peuvent manger du plancton. Il est important de comprendre également que le monde terrestre survit grâce aux océans grâce à l’oxygène. Nous ne pouvons pas rendre les océans malades sans que notre monde terrestre en soit affecté. Et c’est pourquoi les requins sont si importants. Nous devons veiller à l’équilibre des océans.

Quand Rob nous a annoncé qu’il voulait tourner Les Seigneurs de la mer 2, nous lui avons demandé la raison. Pourquoi ne pas faire tourner la suite de Révolution, le documentaire sur l’acidification des océans? Il a répondu ceci : « Il ne reste pas beaucoup de temps aux requins. Quand nous en aurons pris conscience, ils auront disparu. »

De cette façon, ils existeront toujours quand nous aurons trouvé la solution.

Les Seigneurs de la mer a sauvé la vie de millions de requins dans le monde. Il y a même un organisme de recherche sur les requins qui attribue à Rob le mérite d’avoir sauvé la vie du tiers des requins du monde. Mais nous en tuons quand même plus de 100 millions par année. Donc, depuis la sortie des Seigneurs de la mer, il y a 10 ou 11 ans, nous avons perdu plus d’un milliard de requins.

Barbara a envoyé un petit extrait de ce film. Nous avons organisé un visionnement d’un premier montage, mercredi dernier, pour quelques distributeurs de Toronto. Il y a un extrait de deux minutes qui expose de façon vraiment succincte les enjeux que votre comité étudie à l’heure actuelle. Si vous en avez l’occasion, s’il vous plaît, regardez-le. Il ne dure que deux minutes. Sachez toutefois que c’est un enregistrement à basse résolution, que la bande sonore n’est pas définitive et que l’équilibre sonore n’est pas parfait, car il s’agit bel et bien d’un premier montage.

Il y a trois choses distinctes à comprendre. Rob explique comment, après avoir tourné Les Seigneurs de la mer, il avait pensé avoir changé le monde, puisque de nombreux pays avaient interdit l’enlèvement des nageoires de requin. Le problème, c’est que l’importation est toujours légale. On peut toujours prélever autant de nageoires de requin que l’on veut, si le produit importé arrive par bateau de transport plutôt que par bateau de pêche, tout va bien. Il reste une énorme brèche dans les lois.

Il y a aussi une courte séquence où on voit des gens sur un quai, à Cabo Verde, qui examinent des nageoires jetées pêle-mêle à terre. Ils en ramassent. Il s’agit en fait de trois biologistes de la vie aquatique qui accompagnent Rob. Celui qui filme, c’est Chris Harvey-Clark, de Dalhousie, et les deux autres sont des biologistes de la vie aquatique. Ils sont donc trois à examiner les nageoires de requin, et ils n’ont aucune idée de ce dont il s’agit. Quand vous coupez la nageoire d’un requin, vous n’avez aucun moyen de savoir exactement de quelle espèce de requin il s’agit, à quel endroit il vivait ou si c’est une espèce menacée.

Il y a dans ce film une autre séquence qui se déroule à Panama. Le Panama a pris quelques mesures pour interdire le commerce de nageoires des espèces de requin menacées. Mais c’est impossible. Si trois experts qui se trouvent sur un quai de Cabo Verde n’arrivent pas à identifier une nageoire de requin, il sera impossible qu’un agent des douanes ou de l’immigration puisse le faire.

On peut soumettre les nageoires de requin à des tests, mais c’est un processus long et coûteux. Ce n’est tout simplement pas réaliste.

Les ailerons qui sont examinés sur le quai portent tous une étiquette indiquant qu’ils proviennent d’Espagne, mais ils sont à 1 300 milles de ce pays. L’industrie des ailerons de requin qui mène ces activités au milieu de l’océan n’est pas du tout réglementée. Il arrive régulièrement que l’indication sur les étiquettes soit fausse.

Les importations d’ailerons de requin au Canada ont augmenté de 60 p. 100, malheureusement. Je peux vous parler un peu de l’industrie des ailerons de requin. Quatre-vingt-quinze pour cent de nos océans ne sont absolument pas réglementés; ce sont des eaux internationales. La plupart des règlements qui sont en vigueur... Il existe dans le monde des organismes qui réglementent certaines de ces eaux. La CITES est une organisation internationale, mais il s’agit d’un traité. Les pays le ratifient, et le respect de la réglementation est volontaire. La CITES n’a aucun moyen de la faire appliquer.

J’ai également envoyé à tout le monde une liste d’organisations qui gèrent certains de ces traités relatifs à la pêche. La CITES comporte trois annexes différentes. Aucun requin ne figure dans l’annexe I. Il y a le poisson-scie, qui est en fait un type de raie et qui est tout simplement un requin aplati. Les requins ont du cartilage; ils n’ont pas de structure osseuse. Ce qui rend ces deux espèces semblables, c’est qu’elles ont toutes deux du cartilage au lieu d’os.

Alors, il n’y en a qu’un qui figure à l’annexe I de la CITES. À l’annexe II, on en retrouve très peu : 12 des 74 espèces de requin officiellement en voie de disparition y figurent. La CITES est un groupe. Le processus prend beaucoup de temps. Il faut parvenir à un consensus parmi les pays afin qu’ils acceptent d’inscrire une espèce sur une liste d’espèces en voie de disparition. Toutefois, si votre espèce figure à l’annexe II, vous n’êtes vraiment tenu de respecter cette disposition que si le pays où vous pêchez interdit l’exploitation de l’espèce parce qu’il considère également qu’elle est en voie de disparition. En guise d’exemple — peut-être dans le cas de la Floride —, le requin-marteau figure à l’annexe II de la CITES, mais il est légal de pêcher des requins-marteaux aux États-Unis. En fait, cette disposition du traité ne s’applique pas là-bas.

La surveillance des requins est régie par d’autres conventions, comme celles de la CICTA et de la CITT. Toutefois, il s’agit d’organisations liées à la pêche au thon qui surveillent les populations de ce poisson partout dans le monde, alors c’est un sous-ensemble; ce n’est pas l’objectif principal. Ces commissions n’ont pas de groupe de travail distinct chargé de surveiller le nombre de requins.

La NOAA surveille les États-Unis, mais la majorité des ailerons de requin vendus au Canada proviennent de pays où l’application de la loi est plus faible que dans l’Union européenne ou aux États-Unis. Quatre-vingt-dix pour cent des ailerons de requin proviennent de pêcheries de requin dont les populations ne sont pas durables. Cette information figure dans un rapport qui a été corédigé par Oceana, la Humane Society et WildAid.

Vous avez entendu parler de la recherche de M. Steinke qui a révélé qu’une grande proportion des ailerons importés au Canada proviennent d’espèces en voie de disparition ou menacées. Je pense que les témoins de Pêches et Océans ont eux-mêmes fait remarquer qu’il serait impossible d’analyser tous les ailerons qui entrent au pays.

Rob a reçu de nombreux éloges pour ses films. Plus de 130 millions de personnes les ont visionnés. De jeunes cinéastes se sont faits champions de la cause et ont publié des images d’eux-mêmes en train de poursuivre les efforts de conservation.

En Australie, l’Ocean Ark Alliance lancera sous peu une chaîne sud-américaine appelée Sharkwater. En ce moment même, un navire de recherche océanographique d’une valeur de 2,5 millions de dollars patrouille les eaux du Pacifique, effectue des recherches et offre des possibilités de tournage à divers cinéastes. Discovery a été à bord, de même que toutes sortes de groupes de conservation généraux et National Geographic.

Même s’il a sauvé des millions et des millions de requins, Rob savait qu’il fallait en faire plus, et je vais te céder la parole.

M. Stewart : J’ai laissé la patronne présenter tous les détails, et je vais ajouter de l’émotion à cet exposé. Demain, cela fera un an, et l’année a été difficile. Toutefois, nous nous sommes juré que la mission de Rob se poursuivrait, et nous avons passé toute la dernière année — 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans faire de pause — à nous assurer que le film pourrait être terminé et que nous allions mettre sur pied une équipe afin de continuer à réaliser la seule mission que Rob avait dans la vie : sauver les océans.

Il voulait le faire par l’intermédiaire des médias. Il était photographe de la faune. Il voyageait dans le monde pour prendre de belles photographies et les faire publier dans des magazines. Sa carrière se portait à merveille. Il est tombé par hasard plus ou moins sur le volet cinématographique de ce métier et a décidé que la seule façon dont il pourrait entraîner un changement, c’était en créant un film que les gens pourraient voir. C’était une énorme tâche. Il lui a fallu cinq ans de sa vie, et cela l’a presque tué. Il s’est perdu en mer. Il lui est arrivé tout un tas de choses.

Il a persévéré et a tenu bon. Au bout du compte, 120 millions de personnes ont vu Les Seigneurs de la mer. Quand il a commencé à faire le film, 4 pays ont modifié leur politique gouvernementale, puis 14, et enfin, 95. Maintenant, plus de 100 pays ont interdit l’amputation des ailerons de requin.

Toutefois, l’importation existe encore. C’est toujours une faille. Je pense que le sénateur McInnis a laissé entendre qu’il doit y avoir des avantages économiques. Les gens prélèvent encore les ailerons des requins. La réalité, c’est que les pêcheurs pauvres de pays comme les îles Canaries ne peuvent plus pêcher pour obtenir de la nourriture. Tous les requins ont été pêchés, et le vivaneau que nous attrapions n’est plus là parce que lorsque des requins patrouillent autour des îles, cela maintient les poissons plus près du rivage, et les pêcheurs peuvent aller les attraper. Les requins sont partis. Maintenant, les poissons sont allés en mer.

Les petits bateaux de pêche n’ont pas la capacité d’aller en mer pour pêcher, alors, que font les pêcheurs? Ils vendent du sable pour gagner leur vie. Ils sont forcés de le faire en raison de cette exploitation sans précédent des océans qui n’est surveillée par personne. Aujourd’hui, dans le monde, il n’existe aucun organisme dirigeant qui surveille ce qui se passe dans les océans.

Dès que vous sortez des eaux territoriales, c’est le Far West.

Il existe maintenant quelque chose qu’on appelle le transbordement. Les pays ne veulent pas laisser les gens entrer si les ailerons ne sont pas sur les requins. Que font-ils? Ils les déchargent à l’extérieur des eaux territoriales, dans d’énormes unités de réfrigération pour la pêche, lesquelles retournent à Hong Kong ou à Taïwan.

Quand les pêcheurs de requin gagnaient leur vie à pêcher le requin et qu’ils vendaient les ailerons, ils obtenaient 5 $ par aileron, lequel se revend aujourd’hui à 895 $ dans les rues de Hong Kong. Alors, les pêcheurs de requin ne s’enrichissent pas; ce sont les intermédiaires. C’est la personne qui possède le bateau.

C’est la mafia qui dirige l’industrie et qui la maintient en vie. C’est le commerce illégal des ailerons de requin qui tue l’espèce. C’est pour cela que nous devons donner l’exemple.

Si nous voulons arrêter la demande — et nous croyons savoir que les jeunes, les membres de la communauté chinoise, sont en train de l’arrêter —, ce que nous devons faire, c’est donner l’exemple en montrant que cette pratique devrait être proscrite dans le monde entier.

Notre objectif est qu’on n’utilise plus de requin, mais on commence à le faire, et nous allons revenir dans deux ou trois ans pour dire : « Pouvez-vous nous aider à faire ceci parce que du requin s’est retrouvé dans des cosmétiques et dans du fumet de poisson? » On donne maintenant du requin à manger aux saumons de la côte Ouest. En quoi pourrait-il être logique que les requins se fassent manger par les saumons?

Des granules pour poissons sont maintenant faites de requin. Ce poisson se retrouve dans l’alimentation du bétail. Nous avons des porcs qui mangent du requin. Nous devons arrêter cela. Le superprédateur est l’élément le plus important dans les océans, aujourd’hui.

Je ne veux pas vous faire sentir coupables, mais depuis 2012, 500 millions requins de plus ont été tués. À ce moment-là, nous aurions pu donner l’exemple. Alors, veuillez le donner maintenant. Laissez-moi mettre un point final à cette question quand nous réaliserons le film, que nous allons lancer dans le monde entier cet automne. Nous avons vu le premier montage, et il est très percutant. J’adorerais pouvoir dire, à la fin de ce film, que le Sénat canadien a promulgué l’interdiction d’importer des ailerons de requin au Canada, et le dire fièrement.

Rob était fier d’être Canadien. Il s’affichait comme tel, partout dans le monde. Il est mort en faisant ce qu’il voulait faire et ce qu’il pensait devoir faire. Nous voulons simplement poursuivre cette mission. Merci.

Le président : Merci, monsieur Stewart.

Kim Elmslie, directrice de campagne, Oceana Canada : Merci, Brian et Sandra. C’est incroyable.

Bonsoir. Je vous remercie de me donner la possibilité de m’adresser à vous ce soir. Je m’appelle Kim Elmslie, et je suis directrice de campagne pour Oceana Canada.

Établie en 2015, Oceana Canada est une organisation caritative indépendante qui fait partie de la plus grande organisation internationale vouée exclusivement à la conservation des océans. Nous croyons fermement qu’en assurant la reconstitution des océans canadiens, nous pourrons soutenir nos collectivités côtières, bénéficier de meilleures retombées économiques et alimentaires, et assurer le maintien d’une source alimentaire importante à l’avenir.

Je veux tout d’abord discuter de nos océans. Ma citation préférée d’Arthur C. Clarke, un explorateur et auteur de science-fiction britannique, est la suivante : « Il est bien inapproprié d’appeler cette planète Terre, puisqu’elle est clairement Océan. »

Les océans occupent approximativement 70 p. 100 de la surface de la planète et contiennent une abondance extraordinaire de ressources dont la majorité est encore un mystère pour nous. Actuellement, nous n’avons exploré qu’à peine 5 p. 100 des océans du monde. Ce chiffre passe à 0,5 p. 100 dans le domaine de la cartographie haute résolution.

Nos cartes de la surface de la Lune sont plus détaillées que celles du fond océanique. À ce jour, 12 personnes ont marché sur la Lune, mais seulement 3 personnes sont descendues dans la partie la plus profonde de l’océan : la fosse des Mariannes, à 11 kilomètres sous la surface de l’océan. Si on y insérait le mont Everest, dont la hauteur est de neuf kilomètres, il resterait encore deux kilomètres d’océan. Je pense que l’une de ces personnes est le cinéaste James Cameron. Les gens le savent probablement.

Les océans sont la source de toute vie sur Terre, et ils subissent une pression exceptionnelle, notamment par les impacts des changements climatiques, de la pollution et des pratiques de pêche non durables. À l’échelle planétaire, les taux de pêche actuels sont insoutenables au point qu’il est estimé que 85 p. 100 de nos pêches sont épuisées ou en rétablissement à la suite de leur épuisement. Si la pêche se poursuit à cette cadence, nous pourrions ne plus avoir aucun poisson pour nous nourrir dès 2048.

Au Canada, la plupart de nos stocks commerciaux sont épuisés. On estime que, depuis 1970, 52 p. 100 de leur biomasse a disparu, alors certaines personnes ont pu voir, de leur vivant, la moitié de cette ressource extraordinaire, qui nourrit tant de gens depuis si longtemps, être épuisée. J’aurais tendance à penser que les sénateurs de la côte Est sont certainement au courant de cette situation et qu’ils ont probablement vécu le déclin de la morue, l’une des plus grandes tragédies de toute l’histoire de la pêche. Alors, nous savons ce que cela veut dire.

Il ne doit pas nécessairement en être ainsi. On peut reconstituer les stocks et rétablir leur abondance. Voilà qui m’amène à parler des requins. Les requins à eux seuls ne peuvent s’en charger. C’est ce que nous pouvons faire grâce à la gestion. Toutefois, les requins sont essentiels au maintien de la santé des écosystèmes.

Les requins sont des créatures dynamiques. Les plus gros sont les célèbres et charismatiques requins-baleines, qui peuvent atteindre une longueur de plus de 15 mètres. C’est incroyable. Allez voir sur Google. Ils sont formidables. Regardez des vidéos. Les plus petits requins-nains mesurent six pouces. Ce sont tous des requins.

Nous apprenons encore des choses au sujet des requins qui peuplent nos océans. L’an dernier, une nouvelle espèce de requin-lanterne a été découverte dans les eaux d’Hawaï. Nous apprenons tout le temps de nouvelles choses. Cet été, notre équipe était en expédition dans le golfe du Saint-Laurent, et, en fait, le sénateur s’est joint à nous pour un petit moment, et nous avons été en mesure de tourner certaines des premières images sous-marines d’un requin-taupe commun, avec Boris Worm, qui était à bord avec nous et qui a témoigné la semaine dernière. Il y a tant de choses que nous ne savons même pas encore.

Comme il a été mentionné précédemment, plusieurs espèces de grands requins sont des prédateurs dominants et ont une incidence importante sur les écosystèmes marins. En effet, ces grands requins chassent les individus faibles ou malades, les éliminant ainsi de l’écosystème. Mais avant tout, en chassant certaines espèces comme les raies, les mammifères marins ou même de plus petites espèces de requins, les grands requins exercent un contrôle sur les populations en s’attaquant aux espèces à valeur commerciale telles que les poissons, les mollusques et les crustacés, ainsi qu’aux espèces essentielles à un écosystème dynamique.

Des chercheurs ont découvert que certaines espèces de requins contribuent à la santé des récifs coralliens en chassant les espèces envahissantes et en fournissant des nutriments par leurs excréments.

Certains scientifiques croient que le déclin rapide des populations de requins, dont nous sommes témoins en ce moment, pourrait entraîner une transformation complète des écosystèmes marins.

Les requins vivent dans les océans, en équilibre et en harmonie, depuis 420 millions d’années, soit 200 millions d’années avant l’arrivée des dinosaures. Ils ont survécu aux cinq premières extinctions, mais ils ne sont pas de taille à nous résister, les humains. Les requins demeurent l’une des espèces les plus exploitées de la Terre; en effet, 100 millions de requins sont tués chaque année. Cela représente environ 11 000 requins par heure. C’est un chiffre stupéfiant.

L’amputation des nageoires à des fins commerciales est l’une des plus grandes menaces pour les requins. Il s’agit d’une pratique brutale, qui consiste à capturer les requins afin de leur couper les nageoires, pour ensuite rejeter les carcasses mutilées à la mer où l’animal est voué à une mort par noyade. Jusqu’à 73 millions de requins sont tués pour leurs nageoires, et rien d’autre. Ce n’est pas à des fins alimentaires.

De 2000 à 2011, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a noté qu’en moyenne 16 850 tonnes métriques de nageoires de requins ont été vendues à l’échelle mondiale. Même s’il est illégal de prélever des nageoires de requins dans les eaux canadiennes, de tels produits sont encore importés au pays. En fait, le Canada est le plus grand importateur de nageoires de requins à l’extérieur de l’Asie. Comme nous l’avons entendu précédemment, le volume de nageoires importées continue d’augmenter.

En effet, selon Statistique Canada, plus de 170 000 kilogrammes de nageoires de requin ont été importés au Canada l’an passé seulement. Cela représente une hausse de plus de 60 p. 100 au cours des 5 dernières années.

Comme il vous a déjà été mentionné, CTV et l’Université de Guelph ont effectué des tests d’ADN sur des ailerons de requins vendus à Vancouver, afin d’en déterminer l’espèce. Cette enquête a permis d’identifier des nageoires provenant de requins-marteaux halicornes et de requins-marteaux, des espèces menacées; de petits requins-taupes et de requins-taupes bleus, des espèces vulnérables; ainsi que de requins bleus et de renards marins entre autres. Parmi les 59 échantillons de nageoires examinés, 76 p. 100 provenaient d’espèces de requins faisant partie de la liste de l’Union internationale pour la conservation de la nature, ou UICN.

Il importe de souligner qu’une espèce figurant sur la liste d’espèces vulnérables de l’UICN risque d’être classée comme menacée si on ne lutte pas contre les menaces à son endroit. C’est le but de notre présence ici, lutter contre les menaces qui pèsent sur ces requins.

J’aimerais conclure en offrant deux recommandations au comité. Le projet de loi S-238 a pour objectif d’interdire l’importation de nageoires de requin séparées de leur carcasse. Ma première recommandation consiste à renforcer ce projet de loi en y apportant un amendement afin d’ajouter l’interdiction d’importer des nageoires de requin transformées, qui sont des produits dérivés des nageoires, pour faire en sorte qu’aucun de ces produits ne soit importé et qu’il ne soit pas possible de contourner la loi.

Ma seconde recommandation tient à l’adoption du projet de loi S-238. Pêches et Océans Canada interdit l’amputation des nageoires de requins en eaux canadiennes depuis 1994 en imposant des conditions de permis et en appliquant le Règlement de pêche (dispositions générales). En mars 2018, le Canada mettra en œuvre une mesure de gestion obligatoire visant les requins, lesquels devront être débarqués avec leurs ailerons encore fixés au corps. L’adoption du projet de loi S-238 procurera un soutien législatif aux mesures spéciales et à la réglementation existantes. Cela permettra d’empêcher que des nageoires provenant d’espèces vulnérables se retrouvent dans le marché canadien, en plus d’assurer la participation du Canada à la protection des requins à l’échelle mondiale, au lieu qu’il contribue au commerce international de leurs nageoires.

Iris Ho, gestionnaire de programme de la faune, Humane Society International : Bonjour. C’est de Pékin que je m’adresse à vous. Je m’appelle Iris Ho. Je suis la gestionnaire du programme de la faune à la Humane Society International, l’un des plus grands organismes mondiaux de protection des animaux, qui œuvre dans l’intérêt de tous les animaux.

Je suis responsable de la gestion de nos activités internationales en matière de politique sur la faune, et je supervise plusieurs programmes sur le terrain en Afrique et en Asie. J’imagine que je suis peut-être la seule personne à m’adresser au comité aujourd’hui à avoir vu et visité une installation de transformation de nageoires de requin dans le Sud de la Chine. Je peux vous dire que c’est une expérience bouleversante. Les lieux étaient d’une saleté dégoûtante et il s’en dégageait une odeur nauséabonde. Les travailleurs s’affairaient à détacher les nageoires des requins. J’y ai vu une très petite nageoire qui faisait environ un cinquième de la paume de ma main.

La vue de cette petite nageoire m’a ébranlée; je savais qu’elle avait appartenu à un petit bébé requin. J’ai rencontré des négociants de nageoires de requin dans le monde entier. Un en particulier, à Pointe-Noire, une ville côtière de la République du Congo, en Afrique centrale, était très fier de me dire qu’il expédiait de façon régulière, un mois à peine avant notre rencontre, une ou deux tonnes de nageoires de requin à Hong Kong. Pendant notre conversation, il m’a montré la carte de visite d’un de ses « bons amis », en l’occurrence le négociant de produits de la mer le plus connu de Hong Kong.

En Chine et à Hong Kong, on recueille des nageoires de requin provenant de plus de 80 pays, pour ensuite les exporter dans le monde entier, y compris au Canada, qui est le plus grand importateur de nageoires de requin à l’extérieur de l’Asie. Le Canada a l’occasion, certains diraient même une grande responsabilité, d’aider à sauver les requins en cessant de participer au commerce international de nageoires de requin.

La HSI est au premier plan de la lutte pour sauver les requins de cette pratique cruelle et pour faire diminuer la demande mondiale de nageoires de requin. Aux États-Unis, nous avons aidé les dirigeants de 12 États et de 3 territoires du Pacifique à adopter des mesures pour en interdire la vente.

Ce qui m’a le plus encouragée, comme Américaine d’origine asiatique, c’est que ces mesures d’interdiction visant les nageoires de requins ont été parrainées par des élus américains d’origine asiatique. À Hawaï, il y a eu Clayton Hee, qui était alors sénateur; en Californie, il y avait Paul Fong, qui a été membre de l’assemblée législative de cet État; à New York, on a pu compter sur l’appui de Grace Meng, membre de l’assemblée législative de cet État à l’époque et actuellement membre du Congrès américain.

Dans leurs États respectifs, les mesures qu’ils ont proposées ont reçu un appui massif de la part de fonctionnaires d’origine asiatique. Je les ai accompagnés dans leurs démarches et j’ai mobilisé des défenseurs de la conservation et du bien-être des animaux parce que nous savions que nous avions le pouvoir et la capacité de sauver les requins. Nous devons contrer la plus grande menace qui mène au massacre d’environ 100 millions de requins par année, c’est-à-dire la demande mondiale de nageoires de requin.

Aux États-Unis, des lois fédérales bipartisanes sont à l’étude dans les deux chambres afin d’interdire l’importation, l’exportation, le commerce et la vente de nageoires de requin.

Ce mouvement est dirigé par des groupes asiatiques de protection des animaux. De l’autre côté de l’océan Pacifique, en Asie, des défenseurs des droits des animaux ont critiqué ouvertement la consommation et le commerce de nageoires de requin. Des membres du Congrès national du peuple chinois ont présenté des motions visant à en interdire le commerce. En 2012, le gouvernement chinois a annoncé que les plats à base de nageoires de requin ne seraient plus servis lors des réceptions officielles. Les autorités de Hong Kong lui ont rapidement emboîté le pas.

L’année dernière, Air China, le transporteur aérien national chinois, a annoncé son refus de transporter des cargaisons de nageoires de requin, adoptant ainsi une position ferme afin de protéger ces animaux, comme l’ont fait avant lui plusieurs dizaines de lignes aériennes et de transporteurs maritimes, dont Air Canada.

La protection des océans, ou des requins dans le cas présent, transcende les cultures, les ethnies et les nationalités. L’amputation des nageoires de requin est une pratique affreusement horrible et cruelle qui met aussi en danger l’équilibre des écosystèmes océaniques. La collaboration de la communauté internationale est nécessaire pour régler ce problème écologique urgent.

Les requins sont des prédateurs dominants essentiels à la santé des océans et à l’avenir de la planète. Il faut dire que les océans produisent plus de 70 p. 100 de notre oxygène. Il est primordial d’établir des liens harmonieux avec les océans et la faune marine pour assurer notre survie à long terme.

Si les requins disparaissent, nous disparaîtrons tous. Pourtant, dans le monde entier, les requins sont toujours traités comme un produit dont on peut disposer librement à des fins lucratives en tant que denrée de luxe.

Cette pratique n’est pas seulement cruelle, elle est aussi dévastatrice sur le plan écologique. Dans le monde, le tiers des nageoires de requin proviennent d’espèces menacées d’extinction. Au Canada, comme le témoin précédent l’a mentionné, les tests d’ADN menés récemment par le M. Dirk Steinke, qui a déjà comparu devant ce comité, ont révélé que 76 p. 100 des nageoires provenaient d’espèces menacées, selon la classification de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Par ailleurs, en 2017, Environnement et Changement climatique Canada et Pêches et Océans Canada ont examiné des nageoires de requin à Calgary, à Vancouver et à Toronto. D’après leurs constatations, entre le quart et le tiers des échantillons prélevés appartenaient à des espèces de requin protégées par la CITES. Plus tôt, Sandra Stewart a mentionné que seulement 12 espèces de requins sont visées par la CITES. Nous savons qu’on trouve des nageoires provenant de plus de 60 espèces de requins dans le marché international de ces produits. En fait, seul un très petit pourcentage de requins est protégé à l’échelle internationale.

En 2017 seulement, le Canada a importé plus de 170 000 kg de nageoires de requin, ce qui représente une augmentation de plus de 65 000 kg par année depuis 2012. Pendant la même période, selon les rapports du gouvernement chinois, l’importation de nageoires de requin en Chine aurait diminué de 82 p. 100. Comme je l’ai indiqué précédemment, le Canada est le plus grand importateur de nageoires de requin à l’extérieur de l’Asie, mais ce n’est pas ce que veulent les Canadiens. Un sondage effectué en 2013 a révélé que 81 p. 100 des Canadiens sont favorables à l’interdiction du commerce de ces produits.

Le Canada a la possibilité de devenir le premier grand pays industrialisé à interdire l’importation de nageoires de requin; il respecterait ainsi son engagement à préserver nos océans.

La situation est urgente. Les scientifiques s’entendent pour dire que les requins font partie des animaux les plus menacés au monde et que les populations déclinent rapidement.

Nous appuyons la proposition des sénatrices Raine et Ringuette, qui consiste à amender le projet de loi afin d’y inclure tous les produits contenant des nageoires de requin transformées. Cet amendement important permettra d’éliminer toutes les échappatoires.

Mesdames et messieurs les membres du comité, j’ai été très encouragée par l’élan pour sauver les requins que j’ai constaté au Pacifique Sud, en Chine et aux États-Unis, mon pays d’adoption.

Quand j’étais petite, à Taïwan, j’ignorais que la soupe aux ailerons de requin venait des requins, parce qu’on l’appelait de la « soupe aux ailerons de poisson » en chinois. Toutefois, il y a eu beaucoup d’éducation et de sensibilisation au cours des 10 dernières années.

Je reçois maintenant de nombreuses demandes de citoyens chinois qui souhaitent se procurer des documents d’information gratuits sur les nageoires de requin.

Ce projet de loi est important, non seulement pour ceux qui l’appuient au Canada, mais aussi pour les nombreux défenseurs de cette cause en Asie, loin d’ici, avec lesquels je collabore et qui font tout en leur pouvoir pour susciter des changements positifs dans les collectivités, dans l’intérêt des requins et des océans. Ils comptent sur votre appui, et moi aussi. Merci.

Le président : Merci.

Nous allons passer la parole au vice-président, le sénateur Gold, pour la première question.

Le sénateur Gold : Merci.

Je suis vraiment touché par vos efforts et votre engagement, et je vous en félicite.

Sandra et Brian, permettez-moi d’abord d’exprimer notre soutien à l’égard de vos efforts pour faire en sorte que le travail de Rob lui survive et pour poursuivre son œuvre.

D’une certaine façon, l’éducation était au cœur de ses activités, et cela m’amène à ma question. De toute évidence, il s’agit d’un problème à l’échelle internationale. C’est le cas parce que, en dépit des interdictions visant l’amputation des nageoires de requin en vigueur dans de nombreux pays, c’est le Far West dans les eaux internationales. Je crois que c’est l’expression que vous avez utilisée, avec justesse d’ailleurs. Même dans les endroits où cette pratique est interdite, les règlements et les lois ne sont pas toujours appliqués, car certaines personnes en tirent des avantages de nature économique, ce qui explique cet état de fait.

Si nous adoptons ce projet de loi, ce que nous ferons, je l’espère, et qu’il confère au Canada l’autorité morale d’entrer en jeu et d’encourager les autres, j’ai du mal à comprendre pourquoi nous serons le premier pays à l’interdire, puisque le problème est maintenant compris. Des pays ont banni la pratique. Pourquoi est-ce que les autres pays ne prennent pas les mesures que nous envisageons de prendre pour interdire l’importation? Que manque-t-il au chapitre de l’éducation et des efforts de sensibilisation?

Je vais conclure avec un cliché, il ne faut pas laisser le mieux être l’ennemi du bien. Je ne dis pas que nous ne devrions pas le faire au contraire. Je ne comprends pas pourquoi nous serions les premiers à le faire alors que la sensibilisation à propos de cette pratique connaît une telle augmentation.

Mme Stewart : Beaucoup de pays ont banni cette pratique, peut-être 13 ou 17.

M. Stewart : Aucun autre pays de l’envergure du Canada ne l’a encore bannie. Des endroits comme les Bahamas ont pris une industrie qui générait de 3 à 4 millions de dollars pour la pêche aux requins et ont transformé le tourisme lié aux requins en un marché de 210 millions de dollars. C’est exactement le contraire de ce dont nous parlons ici. C’est sur cette question que nous devons nous pencher. La question est celle dont j’ai parlé. Il a fallu tout ce temps, depuis 2012, pour en arriver où nous sommes maintenant.

Chaque pays comporte son lot de problèmes. D’autres doivent composer avec des problèmes par rapport auxquels l’amputation des nageoires de requins ne revêt pas une importance considérable, et il n’y a rien comme la Humane Society International et des groupes de conservation pour s’en occuper. Rob a lancé la section Fin Free à Toronto; il y a aujourd’hui 100 sections dans le monde. Les gens comprennent que tout est une question de sensibilisation. C’est la raison pour laquelle nous voulons poursuivre le film et la mission de Rob. Tous les jours, des jeunes nous envoient des courriels pour nous dire qu’il a changé leur vie. Des gens des quatre coins du monde et de chaque pays se sont manifestés et ont dit : « Nous voulons aider Rob à poursuivre sa mission. » C’est la raison pour laquelle nous continuons de le faire. Les gens ont besoin de sensibilisation.

Une partie de la réalisation du film consiste à accroître cette sensibilisation et à expliquer aux gens que ce n’est pas seulement une question d’amputation illégale des nageoires. C’est plus que ça aujourd’hui. Nous tuons les requis pas seulement pour leurs nageoires, mais aussi pour leur foie. On en retrouve dans les produits cosmétiques. Les gens s’enduisent le visage d’huile de foie de requin avec des produits provenant de grandes bannières de cosmétiques. Tout est une question de sensibilisation. Les gens ne savent pas ce qu’ils ignorent.

Les Chinois ne savaient pas que la soupe aux nageoires de requins était faite de nageoires de requins. Il y a une énorme désinformation à cet égard dans le monde d’aujourd’hui. Vous ne savez pas que vous consommez des nageoires de requins. L’étiquette porte la mention « bocaccio ». On l’appelle poisson blanc océanique au restaurant; c’est du requin. Dans la plupart des restaurants de poisson-frites en Europe à l’heure actuelle, le poisson que vous mangez est du requin. Si vous commandez un taco au poisson sur les plages du Mexique, vous mangez du requin. On ne le vous dit pas. Vous ne le savez pas. La seule solution est la sensibilisation. Il faut poser des questions intelligentes.

On dit que, lorsque vous allez au restaurant, que vous commandez le plat du jour et qu’il s’agit de poisson, une fois sur deux, ce n’est pas le même poisson. C’est un problème d’étiquetage trompeur. Cette information est primordiale pour moi et pour vous, en tant que consommateurs. Vous devez poser des questions intelligentes. À quel endroit le poisson a-t-il été pêché? Quel est le poisson? Quelqu’un vous dit que c’est du requin aux yeux noirs? Cela n’existe pas. Mais nous avons obtenu ces renseignements lorsque nous tournions le film; on se cache derrière le fait que du requin, c’est du requin. Ce n’est pas le cas. Nous avons des preuves montrant qu’on vend du flétan en Californie, l’étiquette porte la mention flétan, mais c’est du requin. Comment est-ce possible?

Mme Stewart : Il y a un nombre considérable d’États aux États-Unis qui ont banni le commerce, la vente et l’importation de nageoires de requins, y compris la Californie. De nombreux appels ont été interjetés devant les tribunaux contre l’interdiction, mais elle est maintenue.

M. Stewart : La majeure partie de la côte Ouest des États-Unis a interdit l’importation de nageoires de requins. Mais le plus gros problème, c’est la sensibilisation. Les gens ne sont pas au courant.

La sénatrice Ataullahjan : Merci. Je dois vous dire, ma fille nous a présenté le film Les Seigneurs de la mer. Elle était une grande admiratrice de Rob. Je suis heureuse que son héritage se perpétue. Je me pose la question suivante : d’ici le moment où la Chine et Hong Kong vont interdire l’amputation illégale des nageoires, à quel point cela sera-t-il efficace dans les autres pays alors que cela semble représenter un immense marché?

M. Stewart : Certainement.

Sénatrice Ataullahjan : Des consommateurs sensibilisés. La demande est là. C’est pourquoi les gens l’alimentent.

M. Stewart : À cela je répondrai qu’il faut commencer quelque part, c’est ce qu’aurait dit Rob. C’est un pas dans la bonne direction. C’est très facile de dire non. Tout au long de ma carrière en ventes, mes vendeurs disaient que la réponse la plus facile était non, car elle n’exprime pas d’engagement. Si vous dites non, vous n’avez pas à prendre quelque mesure que ce soit. Si vous dites oui, vous devez agir. C’est ce que nous devons faire ici. Nous savons que le problème se situe en Asie du Sud-Est. Nous connaissons les problèmes avec les autorités, avec la mafia taïwanaise et toutes ces choses que nous avons découvertes pendant que nous réalisions ces films.

Le fait est que nous avons une chance. En tant que deuxième importateur de nageoires de requins en importance dans le monde, nous avons le pouvoir de faire une déclaration sur la scène mondiale et de dire que c’est mal. Même s’il n’y a que 2 p. 100 de ce que nous faisons qui est mal, nous sommes tout de même dans le tort. C’est ce sur quoi nous devons agir. Nous devons dire aux gens que c’est mal. C’est moralement mal d’éliminer une espèce.

Si le dernier panda meurt, éliminant l’espèce, l’homme ne cessera pas d’exister. Si le dernier éléphant meurt, l’homme ne s’éteindra pas avec lui. Si le dernier requin meurt, l’équilibre de l’océan est perturbé et nous sommes menacés. Et vos petits-enfants et leurs enfants n’auront pas la vie que vous avez connue. C’est la chose la plus importante.

Il ne s’agit pas de nous, c’est notre génération qui a tout gâché. Nous ne l’avons pas remarqué. Nous étions trop occupés à consommer des biens. Nous étions trop préoccupés par nos vies. Maintenant, cela a été porté à notre attention. Nous avons maintenant l’obligation de faire quelque chose au nom des enfants des prochaines générations. Ils ne verront jamais l’océan comme je l’ai vu. Ils ne plongeront jamais dans un récif comme je l’ai fait. Est-ce juste? Non, ce ne l’est pas. Ils devraient avoir la même chance que j’ai eue et que vous avez eue d’apprécier la nature, mais maintenant, ils ne pourront pas. Si nous laissons mourir les requins, l’homme sera menacé.

C’est pourquoi vous pouvez aimer les pandas — ils sont adorables — et sauver les éléphants, les tigres et les lions, mais s’ils disparaissent, cela ne change pas notre monde. Ça, oui.

Mme Stewart : Je pense que vous avez entendu divers témoins dire pendant la séance et lors des séances passées que, en Chine et en Asie, les mentalités changent au sein de la communauté chinoise elle-même. Le film Les Seigneurs de la mer, lorsqu’il a été présenté en 2006-2007, a permis de faire connaître le problème. On peut voir que le gouvernement chinois a pris des mesures pour interdire la soupe aux nageoires de requins dans leurs banquets. Nous espérons que cela prendra de l’ampleur rapidement et que les Asiatiques adopteront ce mode de pensée rapidement.

Même si nous représentons un faible pourcentage du marché, on parle de 100 millions de dollars par année, donc 1 ou 2 p. 100, cela reste tout de même un nombre considérable de requins. En commençant ici et en faisant une autre déclaration, et c’est de là que vient le film original Les Seigneurs de la mer, qui a favorisé la sensibilisation, nous pouvons, je crois, avoir une incidence considérable sur le monde.

M. Stewart : Et à mesure que nous parcourrons le monde, ce qui commencera en octobre, nous irons dans des pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande et partout dans le monde pour présenter le film. Ce faisant, qui serait plus fier encore qu’un Canadien disant que son gouvernement était l’un des premiers à faire un pas en avant et à commencer ce travail? Si le dernier film a eu une incidence sur 100 millions, ce film pourrait bien atteindre les 200 millions.

Nous le donnerons gratuitement au monde entier à un certain moment. Nous avons un travail à faire et, si je vis assez longtemps, j’espère pouvoir le faire. Je pense que la clé réside dans la prise de mesures, un pas à la fois. Cette année, nous faisons cela et nous reviendrons vous voir dans un an ou deux pour dire pourquoi il faut aller plus loin et mettre fin à l’importation de tout produit provenant du requin. Les preuves s’accumulent. Nous avons la preuve venant d’entreprises, il y en a dans la nourriture de vos animaux de compagnie. Si vous avez un chat, vous lui donnez probablement du requin à manger. Comment cela peut-il avoir du sens?

Le président : Je crois que Mme Ho aimerait formuler un commentaire.

Mme Ho : Oui.

Merci à vous, monsieur et madame Stewart, de mentionner les changements que nous observons en Asie.

J’aimerais simplement ajouter que des législateurs de Hong Kong sont en cours de discussion pour aborder la question des limites en matière de commerce de nageoires de requin à Hong Kong. La sensibilisation est réellement la première étape, mais les législateurs à Hong Kong et en Asie rattrapent leur retard et étudient ce qu’ils peuvent faire du point de vue politique. En fait, nous ne pouvons pas parler de sauver les requins et dire à Hong Kong et à la Chine de faire leur part si nous importons toujours, dans le cas du Canada, autant de nageoires de requins de ces pays. Cela mine notre crédibilité.

Le président : Merci, madame Ho.

Le sénateur McInnis : Merci beaucoup.

Le projet de loi C-380 a été rejeté à l’étape de la deuxième lecture, puis il y a eu le projet de loi C-246, que je n’ai pas lu, qui visait à moderniser les droits des animaux. Je ne sais pas ce qu’il comportait, mais il a été rejeté à l’étape de la deuxième lecture.

Je vais vous faire une mise en garde, parce que vous ne voulez pas être déçus. À partir de demain, nous serons au Sénat et à la Chambre des communes pendant environ 40 jours. Arriver à faire adopter ce projet de loi à temps sera un défi. Je vous dis ça, car vous devez toujours craindre la prorogation. Nombre de gens s’attendaient à ce que cela se fasse en janvier. C’est à ce moment-là que le gouvernement arrête tout et prononce un discours du Trône et tout cela.

Il y a des moyens possibles, il y a les motions, entre autres, pour inscrire de nouveau la question au Feuilleton, mais c’est un défi. Je veux seulement vous aviser qu’il y a beaucoup de travail à faire et que, si nous sommes tous favorables au projet, nous devrions l’examiner le plus rapidement possible au Sénat. C’est le premier commentaire que je voulais faire pour ne pas que vous soyez déçus, et j’ai peur que vous le soyez.

Maintenant, il y a de nombreuses espèces de requins — et, pardonnez-moi, je ne les connais pas beaucoup — figurant sur la liste des espèces en voie de disparition, que j’ai vue ici dans mes notes. Au cours des 50 dernières années, 89 p. 100 des requins-marteaux ont disparu, en plus de 80 p. 100 des renards marins, 70 p. 100 des grands requins blancs, 65 p. 100 des requins-tigres et plus encore.

Madame Stewart, vous avez dit quelque chose à propos de la CITES et du fait que le traité ne s’applique pas aux espèces en voie de disparition aux États-Unis. Ne pourraient-ils pas être signataires de la CITES?

Mme Stewart : Je suis désolée, je ne me suis pas exprimée clairement. En ce qui concerne tous les signataires des traités de la CITES, on voit que c’est un traité international, il n’est donc pas question du commerce international. Mais si on prend chacun des pays individuellement, s’il est légal de pêcher une espèce dans votre pays, vous avez tout de même le droit de le faire. Cela s’applique uniquement au commerce international de ces espèces, donc il s’appliquerait au Canada. Je crois que le requin-taupe commun figure également sur cette liste. Donc si l’espèce figure sur la liste et que vous êtes un Canadien qui pêche dans les eaux canadiennes et qu’il est légal de pêcher le requin-taupe commun, c’est bien. Il ne s’applique qu’à la portion de commerce international pour les groupes visés à l’annexe II de la CITES.

Le sénateur McInnis : Merci.

Le sénateur MacDonald : Merci. J’ai d’abord une déclaration à l’intention des témoins. Vous avez tous mentionné l’importance ou peut-être la nécessité de peaufiner ce projet de loi au moyen de certains amendements. Je voulais vous dire que nous travaillons là-dessus avec notre service juridique, et je suppose que nous obtiendrons quelque chose avant la fin des travaux du comité.

Comme nous disposons de peu de temps et que j’aurai l’occasion de parler à nos témoins plus tard, je crois que je vais poser ma question à Mme Ho. J’aimerais vous remercier d’être avec nous. Je sais qu’il est très tôt à Pékin et j’aimerais vous remercier de votre patience et de votre contribution ici ce matin.

Le Canada serait, pour autant que je puisse le constater, le premier pays à mettre en œuvre une telle interdiction. J’espère que, en voyant le Canada prendre position relativement à cette question, les autres pays emboîteront le pas. Je crois que nous avons une assez bonne réputation dans le monde concernant ces types de questions.

Je suis curieux de savoir ce que vous, à Pékin, pensez de la situation et ce que serait, selon vous, la réponse des pays asiatiques et d’autres avec lesquels vous avez travaillé au fil des ans à l’égard de cette question.

Mme Ho : Merci, monsieur le sénateur. Je suis pleinement d’accord avec votre évaluation selon laquelle l’interdiction aurait une incidence énorme sur les législateurs et les défenseurs en Asie. Au fil des ans, j’ai prononcé nombre de discours ici, en Chine, sur la conservation des requins. Je dois dire que, à ce moment-là, 12 États et territoires du Pacifique des États-Unis envisageaient d’interdire les nageoires de requin, et cette mesure a encouragé nombre de défenseurs chinois à qui j’ai parlé. Ils me posaient la question suivante : si les législateurs à l’échelon des États américains peuvent imposer une telle interdiction, pourquoi notre gouvernement ne peut-il pas lui aussi faire de même?

Le fait que votre assemblée législative envisage d’interdire l’importation de nageoires de requin va encourager les législateurs de Hong Kong, des Philippines et d’ailleurs qui cherchent un modèle pour prendre leur propre mesure de protection des requins. Cela leur donnerait un énorme coup de pouce pour examiner ce que les défenseurs et les législateurs peuvent faire dans leur pays. C’est quelque chose que j’ai appris au fil de mes années d’expérience de travail en Asie. Les gens ont besoin de savoir qu’ils ne sont pas seuls et que, de l’autre côté du Pacifique, au Canada et ailleurs, il y a des législateurs et des défenseurs qui sont également de leur côté.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui et de témoigner. C’est très émouvant et extrêmement important. Je suis désolé, j’ai du mal avec ma voix aujourd’hui.

Vous avez parlé de la Chine qui a cessé de servir de la soupe de nageoires de requin au cours de banquets. Je crois qu’elle devrait cesser de servir toutes les soupes de nageoires de requin dans tous les banquets sur son territoire. Elle a certainement le pouvoir de les interdire, et le Canada peut en faire davantage.

Je m’intéresse à l’illégalité dans les eaux internationales. Quelqu’un touche des pots-de-vin. Mais qui? Les législateurs, en collaboration avec ces intermédiaires qui peuvent faire non pas quelques dollars, mais des millions de dollars de manière stable? Pourquoi n’y a-t-il pas en place une sorte de mécanisme international de réglementation pour interdire ce type de chose? Ce soir, des gens s’en tirent très bien avec ce commerce, peu importe dans quelle mesure nous en parlons.

M. Stewart : Dans tous les pays où est allé Rob, il y avait toujours un marché clandestin, un marché noir habituellement sous l’emprise de bateaux taïwanais et ce qu’on appelle la mafia taïwanaise. Des pays comme le Costa Rica donnent l’impression qu’ils sont écologiques et ont à cœur la conservation et l’environnement. Des élections se tiendront cette semaine au Costa Rica. Au cours des deux ou trois dernières semaines, on y a arrêté quatre ou cinq personnes pour conspiration et fraude relativement à des choses qui se déroulent en coulisse.

Les quais taïwanais au Costa Rica ne sont pas censés exister. Pourtant, des quais privés reçoivent cinq tonnes de nageoires de requin toutes les fins de semaine lorsque les inspecteurs sont en congé, car ces derniers ne travaillent que du lundi au vendredi.

Aujourd’hui, dans le monde, un réseau illégal géré comme une industrie de milliards de dollars est en place. Ce réseau fourmille de très mauvaises personnes qui se moquent de l’avenir. Elles sont assoiffées d’argent. S’il s’agissait du pêcheur sur son bateau qui récoltait l’argent, ce serait une chose, mais ce n’est pas le cas. Il y a des multimillionnaires dans tous ces pays où l’amputation des nageoires de requin se pratique, et ils contrôlent l’industrie des nageoires de requin. On les a identifiés. L’opération d’infiltration de Rob est une partie de ce que nous faisons. Nous avons dû embaucher des agents de sécurité pour Rob parce que, pour 50 $, vous pouvez faire assassiner quelqu’un au Costa Rica. C’est chose courante là-bas.

Mme Elmslie : Une des principales raisons pour lesquelles on a mis en place les lois et les règlements en matière de pêches, c’est que beaucoup de poissons se trouvent le long de la zone économique exclusive. Normalement, les lois en matière de pêches relèvent de la compétence du pays parce qu’on peut aller pêcher dans sa zone économique exclusive. La plupart du temps, on peut avoir une incidence sur l’abondance de poissons et les prises. Cela fonctionne assez bien.

Des accords internationaux portent sur la gestion de ces zones. Mais nous ne savons pas ce qui se passe dans les eaux profondes et en haute mer. On a tenu des discussions et des pourparlers, et il y a une sensibilisation croissante concernant ce qui se passe en haute mer. J’espère que c’est quelque chose nous pourrons examiner et que nous pourrons régler. Certainement, les océans feront partie du prochain sommet du G7. C’est assurément quelque chose sur lequel, à mon avis, en tant que sénateurs, vous pourriez insister. Que pouvons-nous faire de plus, au moyen des organes que nous avons, pour contrôler la pêche en haute mer parce qu’elle nous touche tous?

Le président : J’aimerais remercier nos témoins de leurs exposés ce soir. Nous avons certainement assisté à un débat très intéressant.

Avant que nous levions la séance, j’aimerais informer mes collègues que la prochaine séance se tiendra jeudi à 8 h 30, et nous recevrons des gens du ministère des Pêches et des Océans et d’Environnement Canada pour répondre à certaines questions que nous leur avons proposées relativement à votre projet de loi. Nous espérons donc obtenir les réponses à ces questions. Nous travaillons dans ce sens. Encore une fois, merci beaucoup, et bonne soirée.

(La séance est levée.)

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