Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule nº 24 - Témoignages du 1er février 2018
OTTAWA, le jeudi 1er février 2018
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin), se réunit aujourd’hui, à 8 h 33, en séance publique, pour examiner le projet de loi, puis à huis clos pour examiner un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je m’appelle Fabian Manning, je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et je suis heureux de présider la réunion de ce matin.
Avant de céder la parole aux témoins, j’inviterais les membres du comité à se présenter.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur McInnis : Thomas McInnis, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.
Le président : Merci, chers collègues. Il se pourrait que d’autres sénateurs se joignent à nous sous peu.
Le comité poursuit son étude du projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin).
Aujourd’hui, nous accueillons des fonctionnaires de deux ministères, soit Environnement et Changement climatique Canada et Pêches et Océans Canada. Je vous demanderais de vous présenter, s’il vous plaît, aux fins du compte rendu.
Carolina Caceres, gestionnaire, CITES, Environnement et Changement climatique Canada : Je m’appelle Carolina Caceres, et je suis gestionnaire de CITES à Environnement et Changement climatique Canada.
Sheldon Jordan, directeur général, Direction de l’application de la loi sur la faune, Environnement et Changement climatique Canada : Bonjour. Je m’appelle Sheldon Jordan et je suis directeur général de la Direction de l’application de la loi sur la faune.
[Français]
Nadia Bouffard, directrice générale, Relations externes, Pêches et Océans Canada : Bonjour, monsieur le président, messieurs les sénateurs, mesdames les sénatrices. Je suis Nadia Bouffard, de Pêches et Océans et Garde côtière du Canada.
[Traduction]
Brian Lester, directeur adjoint, Gestion des ressources intégrées, Pêches et Océans Canada : Bonjour. Je m’appelle Brian Lester. Je suis directeur adjoint, Gestion des ressources intégrées, à Pêches et Océans Canada.
Le président : Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être ici aujourd’hui.
Chers collègues, vous vous souviendrez que lorsque les fonctionnaires ont comparu au comité en décembre dernier, nous avions indiqué qu’il était possible que nous les invitions de nouveau après avoir entendu d’autres témoins.
Ce matin, nous allons passer directement aux questions. Le premier intervenant est le vice-président.
Le sénateur Gold : Bonjour et merci d’être ici aujourd’hui. La question est plutôt évidente. La dernière fois, lorsque des représentants ont comparu, on nous a dit que le ministère étudiait toujours le projet de loi et ses répercussions potentielles sur nos diverses relations et sur les instruments dont le Canada est signataire.
Je me demande si vous pourriez nous mettre à jour sur votre réflexion. Êtes-vous en mesure de nous donner votre avis sur le projet de loi, sur ses impacts potentiels et sur toute conséquence possible, intentionnelle ou non?
Mme Bouffard : Je pourrais commencer, puis mes collègues pourraient intervenir.
Merci de nous accueillir encore une fois. Nous espérons pouvoir vous donner des renseignements supplémentaires pour vous aider dans vos délibérations.
La grande priorité de Pêches et Océans Canada est de régler le problème là où il se produit, c’est-à-dire sur l’eau. Nous avons tous vu les vidéos très convaincantes sur l’enjeu dont nous sommes saisis, et nous sommes tout aussi déterminés que le comité à mettre fin aux pratiques non durables en milieu marin et aux impacts qu’elles peuvent avoir.
Le ministère a répondu aux questions soulevées par le comité, mais auxquelles nous n’avions pu répondre lors de la dernière réunion.
Vous trouverez dans nos réponses — que vous avez reçues, je crois — un document de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture faisant non seulement état de la réponse du Canada, mais aussi de celles des autres pays du monde, sur la question de la gestion de la pêche au requin, ce qui englobe les mesures de gestion associées à l’amputation des nageoires de requin.
Vous remarquerez que dans ce rapport, même s’il remonte à 2012, on indique que le Canada a pris des mesures depuis 1994 pour interdire l’enlèvement des nageoires de requins en mer. Je pense que nous sommes probablement parmi l’un des premiers pays à avoir mis en place de telles mesures en raison du problème que cela représente, ce qui démontre que nous partageons vos préoccupations et que nous souscrivons aux objectifs du projet de loi.
Le projet de loi vise à interdire la pratique de l’enlèvement des nageoires de requins en mer ainsi que l’adoption de mesures commerciales associées aux nageoires et aux nageoires attachées à la carcasse.
Nous avons constaté que les mesures commerciales peuvent s’avérer efficaces pour enrayer ce type de pratiques non durables, pourvu qu’elles soient appliquées de façon cohérente, en particulier dans le contexte de nos obligations internationales en vertu d’accords commerciaux. Donc, afin de connaître du succès et d’éviter les litiges, toute mesure que nous adopterons doit être conforme à nos obligations commerciales et doit être appliquée de façon concertée avec d’autres pays.
J’ai noté les observations des témoins qui ont comparu hier concernant certaines des mesures prises par certaines villes du pays, notamment Toronto. On a souligné que lorsqu’une ville prend une mesure quelconque et qu’une autre ne suit pas, on se retrouve simplement à transporter le problème dans cette autre ville.
Il en va de même à l’échelle internationale. Je ne dis pas que le Canada ne devrait rien faire, mais le problème pourrait être réglé de façon beaucoup plus efficace si le Canada travaillait de concert avec d’autres pays du monde.
Cela dit, nous appuyions les objectifs du projet de loi et nous partageons les préoccupations du comité. Nous n’avons pas terminé notre évaluation du projet de loi. Il subsiste des enjeux précis, particulièrement l’atténuation des risques potentiels associés à nos obligations commerciales.
Le sénateur Gold : Merci. Ma question est à deux volets.
Premièrement, pouvez-vous nous donner une idée de la date à laquelle votre évaluation pourrait être terminée afin que nous puissions en tenir compte pour nos délibérations et notre horaire?
Deuxièmement, pouvez-vous nous en dire plus sur les relations commerciales précises qui, par rapport à ce projet de loi, vous portent à réfléchir ou suscitent des préoccupations?
Mme Bouffard : Je vais commencer par la dernière partie de la question, si vous le permettez.
Sur le plan commercial, le principal enjeu est de veiller à l’application de règles du jeu uniformes sur le marché canadien pour les nageoires de requins d’origine étrangère et les nageoires prélevées au Canada. Cela découle des obligations commerciales internationales du Canada quant à l’adoption de règles comparables entre les importations et le commerce intérieur.
Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas réglementer ces importations. Cependant, toute restriction sur les importations devrait être comparable aux restrictions d’accès au marché prévues dans le régime de réglementation du Canada pour les nageoires de requins prélevées au Canada. Donc, nous devons mettre en place un régime comparable et nous ne pouvons exercer aucune discrimination.
Le sénateur Gold : Je comprends cela. Permettez-moi d’aller plus loin. Nous croyons comprendre que l’enlèvement des nageoires de requin est une pratique interdite au Canada. En outre, du point de vue de l’industrie, il n’est vraiment pas rentable de transporter l’animal entier par bateau pour ne vendre que les nageoires à l’arrivée au port, étant donné le prix qu’on peut obtenir.
Je serais donc porté à croire que le marché légal pour les nageoires de requins prélevés au Canada est très petit et que la grande majorité provient en fait de sources étrangères — le pourcentage d’importation est élevé —, dont beaucoup, oserais-je dire, ont une réglementation déficiente. En outre, même si cela reste difficile à confirmer, les études qui ont été faites démontrent que les nageoires sont prélevées de nombreuses espèces en péril.
Aurais-je tort de supposer que si ce projet de loi était adopté, il nous serait très facile de faire valoir que nous ne faisons aucune discrimination contre l’importation de nageoires de requins, étant donné la taille négligeable du marché légal de nageoires de requins récoltées au Canada?
Mme Bouffard : Je vais vous donner une réponse à deux volets, si vous me le permettez.
Lors de notre dernière comparution au comité, nous avons indiqué que nous n’avons pas de données sur le commerce intérieur, pour le moment. Nous surveillons et contrôlons les activités de la mer au port; ce sont les données que nous avons. Pour la plupart des pêches, nous exigeons que les nageoires ne soient pas séparées de la carcasse. Habituellement, après le débarquement, les pêcheurs vendent certains produits de requin en fonction des demandes des divers marchés. Il existe un marché pour la chair et, comme vous le savez, pour les nageoires.
Nous avons indiqué et prouvé que le Canada n’exporte pas de nageoires de requin. Voilà les faits.
La mesure proposée dans le projet de loi consiste à exiger, pour les importations de sources étrangères à des fins commerciales, que les nageoires ne soient pas séparées de la carcasse. Pour pouvoir être vendu au Canada, le poisson entier doit être importé.
Dans le contexte canadien, une mesure comparable serait que pour être vendues et commercialisées au Canada, les nageoires ne devraient pas être séparées du corps du poisson. Donc, ce n’est pas seulement une question d’exportation de produits canadiens; cela porte aussi sur le commerce au Canada.
Puisque nous appuyons les objectifs du projet de loi, nous cherchons toujours des façons d’atténuer cela, mais nous n’avons pas encore tiré de conclusions à ce sujet.
Je tiens à souligner que si nous en arrivons à la conclusion que les risques commerciaux sont élevés, cela pourrait représenter un recul, advenant que l’on conteste notre approche avec succès, en légitimant une pratique que nous essayons d’enrayer avec ce projet de loi. Nous tenons à veiller à l’évaluation exhaustive des risques et des mesures d’atténuation de ces risques.
Le sénateur Gold : Pouvez-vous nous donner une idée de la date à laquelle vous pourriez terminer cette évaluation?
Mme Bouffard : Eh bien, je ne peux vous donner une date précise, mais soyez assuré que nous étudions cela avec diligence.
Nous étudions également les mesures prises par d’autres pays. Cela me ramène aux rapports que nous avons cités dans nos réponses.
Remarquez que le rapport de la FAO et le rapport de 2016 de la Humane Society International présentent de façon détaillée les mesures prises par d’autres pays.
Ce que je trouve intéressant dans ces deux rapports... Vous trouverez les références dans notre réponse; il y a le rapport de 2012 de la FAO et le rapport de 2016 de la Humane Society International. Vous pouvez y voir la progression des mesures adoptées par les pays d’une année à l’autre pour lutter contre la pratique de l’enlèvement des nageoires de requin en mer, de même que les mesures liées au commerce.
Aucun de ces pays n’a imposé une interdiction totale des importations de nageoires de requin. Beaucoup de pays ont mis en place des restrictions commerciales concernant la vente et la commercialisation sur le marché intérieur.
J’aimerais aussi souligner que la FAO revoit périodiquement les pratiques de gestion de la pêche au requin et qu’un examen du rapport de 2012 est prévu en 2018, ce qui permettra de mettre à jour les mesures prises par les divers pays concernant la pêche au requin.
Nous n’avons donc pu vous fournir ces renseignements aujourd’hui, car nous ne les avons pas. La FAO ne les a pas encore publiés, mais je m’attends à ce que cela soit fait à temps pour la réunion du Comité des pêches de FAO, à l’été 2018.
Le sénateur Gold : Merci beaucoup.
Le président : C’est une discussion très intéressante. J’ai l’habitude de laisser libre cours aux discussions, mais ma préoccupation, en tant que président, c’est que nous sommes saisis d’une mesure législative et que les ministères ne nous fournissent aucune date limite pour la présentation de renseignements qui pourraient nous aider dans nos délibérations. Je suis conscient de l’aide que vous nous avez apportée en répondant aux questions que nous avons posées plus tôt, mais je comprends certainement le point de vue du sénateur Gold, et je suis certain que cela fera partie de nos discussions à mesure que nous progresserons.
La sénatrice Poirier : Merci d’être ici. J’ai deux ou trois questions.
Selon vous, y a-t-il une tendance mondiale vers l’interdiction du commerce des nageoires, ou observe-t-on une résistance dans certains pays ou certaines parties du monde?
Mme Bouffard : C’est une bonne question. Les rapports que nous avons fournis démontrent, du moins de notre point de vue, qu’il existe une tendance vers l’accroissement des mesures de gestion visant à empêcher une telle activité en mer. Donc, nous voyons une nette amélioration, comme je l’ai mentionné, entre le rapport de 2012 et celui de 2016.
On constate également que de nombreux citoyens et sociétés tentent d’inciter leur gouvernement respectif à adopter plus de mesures, mais aucun pays n’a interdit complètement le commerce.
J’ai quelques hypothèses pour essayer d’expliquer pourquoi ils ne le font pas, et je me demande si ce ne serait pas lié à des questions de concurrence.
En ce qui concerne le commerce des produits du requin à l’échelle mondiale, il existe des pêcheries de requin légitimes qui produisent des produits tout à fait légitimes. La chair de requin est vendue dans de nombreux marchés. Le Canada importe de tels produits de pays comme l’Espagne et les États-Unis, pays qui ont mis en place les mesures et les procédures nécessaires pour surveiller les activités en mer.
Je sais que Brian pourrait vous donner des exemples des discussions qui ont lieu dans diverses régions à l’échelle internationale pour régler le problème de l’enlèvement des nageoires de requin. On constate parmi les pays une détermination et une volonté croissantes pour enrayer ce problème en mer, mais selon moi, cela ne se traduit pas par l’adoption de mesures commerciales.
M. Lester : J’ajouterais à cela que les organisations régionales de gestion des pêches ont commencé à abandonner les règles visant à interdire l’enlèvement des nageoires en mer ou à limiter la proportion de nageoires à un maximum de 5 p. 100 pour se tourner vers la nouvelle mesure sur les nageoires attachées à la carcasse adoptée par l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest en 2016. Cette mesure a aussi été proposée à la réunion de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique en 2017. Elle n’a pas été adoptée, malheureusement, malgré l’appui de quelque 40 pays.
Nous convenons tous que la meilleure façon d’éviter l’enlèvement des ailerons de requins en mer est de veiller à ce qu’ils soient débarqués intacts, avec leurs ailerons. C’est la mesure proposée par le Canada. Cette mesure sera obligatoire dans toutes nos pêcheries à compter du mois de mars de cette année.
La sénatrice Poirier : Les mesures de lutte contre l’amputation des nageoires ont été introduites graduellement dans diverses administrations au fil des ans, mais la pratique se poursuit dans plusieurs parties du monde. Selon vous, pourquoi l’amputation des nageoires est-elle toujours une pratique répandue malgré les efforts déployés à l’échelle mondiale pour la limiter?
De plus, j’ai lu récemment que la Chine et le Japon s’opposent à la politique exigeant que les requins pêchés soient débarqués intacts, avec leurs ailerons. Selon vous, pourquoi le Japon et la Chine s’opposent-ils à cette politique?
M. Lester : Je ne crois pas que nous sachions pourquoi ils s’y opposent. Vous avez raison sur un point : dans les forums internationaux auxquels ils ont participé avec nous, ce sont les deux pays qui se sont opposés à nos propositions visant à exiger que les requins pêchés soient débarqués intacts, avec leurs ailerons.
La sénatrice Poirier : Ils ne donnent pas d’explications?
M. Lester : Habituellement, non; ils s’y opposent, tout simplement. Malheureusement, il y a eu deux votes contre à la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique. Voilà pourquoi la recommandation n’a pas été acceptée. La CICTA est un organisme qui fonctionne par consensus.
La sénatrice Poirier : Ceci est ma dernière question : est-il probable qu’un autre pays conteste l’interdiction visant l’importation de nageoires de requin par le Canada?
Mme Bouffard : Comme je l’ai mentionné plus tôt, cela dépend de la façon dont la mesure commerciale serait conçue. Comme je l’ai indiqué, nous en sommes maintenant à évaluer les mesures qui pourraient être prises pour atténuer ces risques.
Je ne peux vous répondre sans équivoque par oui ou non. Cela peut varier, particulièrement en fonction de la question de savoir si la mesure est pertinente et comprend des dispositions comparables pour le commerce intérieur. Il s’agit d’un élément très important.
En ce qui a trait à votre question précédente, je vais faire référence au rapport de la FAO de 2012 sur le Japon et la Chine. Le Japon est l’une des principales nations qui offrent des données sur la pêche du requin. Ces lettres que vous voyez dans la colonne des ORGP représentent toutes les organisations régionales de pêche en haute mer. La pêche au requin se pratique en haute mer, mais aussi dans les zones côtières des États.
Pour ce qui est de la pêche en haute mer, bon nombre des organisations ont adopté des mesures de gestion de l’amputation des nageoires de requin, comme celles dont Brian vient de parler, et le Japon en fait partie. Donc, le Japon est tenu de respecter les mesures prises par ces organisations comme l’OPANO pour la pêche en haute mer.
La sénatrice Poirier : Merci.
La sénatrice Ringuette : Nous vous remercions de votre présence ici aujourd’hui. J’écoute attentivement les questions des sénateurs et vos réponses, à vous et aux autres témoins.
Si le projet de loi prévoyait l’interdiction d’importer des ailerons de requin à partir de pays qui n’ont pas de politique les obligeant à garder l’aileron sur la carcasse, est-ce que ce serait acceptable et souhaitable?
Mme Bouffard : Tout d’abord…
La sénatrice Ringuette : Ainsi, il ne serait plus question de commerce, mais bien de réciprocité, et on indiquerait la voie que veut suivre le Canada.
Mme Bouffard : Je dois vous dire pour commencer que je ne suis pas spécialiste du droit commercial. Je ne peux donner de conseils juridiques au comité. Cela étant dit, une partie de cela permettrait d’aborder certains des enjeux dont je viens de parler.
La sénatrice Ringuette : Merci.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Votre présence ici aujourd’hui est très importante.
Pourriez-vous nous donner une idée de l’importance des ventes de la pêche du requin canadienne sur le marché canadien? Si nous procédons à l’interdiction, elle entraînera des conséquences imprévues sur ces activités. Vous avez dit que pour avoir des règlements égaux en ce qui a trait au commerce et à la pêche durable du requin au Canada, il fallait qu’ils soient identiques.
Combien de gens pêchent le requin? Combien de requins pêchent-ils et comment le requin est-il commercialisé? Connaissez-vous tous les produits du requin? Il y a la viande… Nous savons qu’on consomme les ailerons dans la soupe. Qu’en est-il du cartilage de requin, qu’on peut acheter pour soulager nos genoux usés? Quels sont les autres produits du requin qui ont une valeur commerciale sur le marché intérieur?
M. Lester : Je vais répondre à la première partie de votre question.
Il n’y a pas de pêcherie gérée par le Canada pour le requin. Ce sont des prises accessoires seulement. Au cours des dernières années, on en a pêché entre 80 et 100 tonnes, et le marché canadien vise principalement la consommation de la viande. Le marché des ailerons est très restreint. C’est ce que je comprends d’après mes discussions avec mes clients, les pêcheurs. C’est principalement un marché de viande.
On peut aussi utiliser le cartilage, les huiles et d’autres produits. Nous encourageons toujours l’exploitation maximale de la carcasse du requin. Même pour le requin qui débarque ici, nous encourageons les gens à trouver un marché au Canada pour les nageoires provenant de pêcheries légales.
On peut utiliser les huiles, la peau et bon nombre d’autres produits du requin. Selon ce que je comprends, à l’heure actuelle, le marché principal au Canada, c’est la viande.
La sénatrice Raine : Et elle est vendue au Canada?
M. Lester : Je crois que la majorité est vendue au Canada, oui. Je crois que nous exportons la viande également. Je n’ai pas les chiffres avec moi.
En ce qui a trait à l’exportation de la viande par les pays… Nous sommes loin d’être en tête de liste. Encore une fois, nos volumes sont très faibles : 80 à 100 tonnes. Je ne connais pas le nombre d’exportations nationales. Je crois que la plupart des produits restent dans le pays. Selon ce que je comprends, le marché des ailerons provenant de la pêche canadienne n’est pas très important.
La sénatrice Raine : Ce sont des requins qui passent par les zones de pêche, qui sont pris dans les filets et qui ne peuvent être relâchés. Il ne s’agit pas de prises remises à l’eau. Les requins sont morts lorsqu’ils arrivent sur le bateau de pêche et nous tentons d’utiliser cette pratique.
M. Lester : À l’heure actuelle, la pratique au Canada vise à garder les requins morts. Les pêcheurs le faisaient de façon volontaire depuis quelque temps, mais c’est maintenant obligatoire pour le requin-taupe commun depuis l’année dernière et ce le sera aussi pour le requin-taupe bleu. Tous les requins qui sont vivants lorsqu’ils atteignent la frontière doivent être relâchés de la manière la moins dommageable possible.
Nous conservons uniquement les requins morts; c’est ce qui constitue notre récolte.
La sénatrice Raine : Ceux qui ne sont pas morts sont relâchés.
M. Lester : Oui.
La sénatrice Raine : Je trouve que 80 à 100 tonnes, c’est énorme.
Je crois qu’il est important que les pêcheurs qui attrapent ces poissons morts puissent obtenir de l’argent en retour parce qu’ils doivent assumer les coûts nécessaires à l’entreposage, entre autres, lorsque les requins sont sur leur bateau.
Que pourrions-nous faire d’autre? C’est, bien sûr, la bonne chose à faire, mais il y a des conséquences lorsqu’on attrape un requin. Il est mort, malheureusement. On ne peut pas le relâcher. Il faut s’en occuper, et cela vient avec un coût. Est-ce que la vente des produits du requin permet plus ou moins de contrebalancer les coûts ou est-ce perçu à titre de prise accessoire, comme un coup de chance qui permet de faire de l’argent?
M. Lester : Je crois qu’ils ne garderaient pas les requins s’il n’y avait pas de marché pour cela. Ils les consigneraient et les relâcheraient morts, le cas échéant; ce sont les règles en place. Comme vous l’avez dit, si le résultat économique est négatif et que les pêcheurs consignent les requins afin que nous puissions faire le suivi… nous avons établi des limites pour la pêche au Canada. Nous sommes loin d’atteindre ces limites avec les prises accessoires actuelles. Selon ce que je comprends, il y a un marché pour le requin qui incite les pêcheurs à ramener les poissons morts sur la terre.
La sénatrice Raine : Donc, la politique de conservation des requins morts est volontaire. Les pêcheurs ont le droit de rejeter les requins morts.
M. Lester : Pourvu qu’ils les consignent dans leur journal de bord de sorte que nous puissions faire le suivi des décès.
Mme Bouffard : J’ajouterais qu’à l’échelle internationale, on se préoccupe de plus en plus du gaspillage des fruits de mer. Donc, si l’on jette par-dessus bord une espèce qui est morte au moment de l’embarquer sur le bateau, on considèrerait cela comme du gaspillage alimentaire. Je crois qu’on s’attardera de plus en plus à cette question à l’échelle internationale.
La sénatrice Raine : Ce qu’on tente de faire, c’est d’éviter que le requin ne soit vendu à des fins superficielles, pour le mettre dans une soupe gastronomique qui coûte très cher.
Mme Bouffard : Oui.
M. Lester : C’est exact.
La sénatrice Raine : Merci.
Le sénateur McInnis : Nous vous remercions de votre présence ici aujourd’hui. C’est illégal de rejeter un poisson mort dans l’eau, n’est-ce pas? Je crois que c’est ce qu’énonce la Loi sur les pêches.
M. Lester : Pour certaines espèces, oui. Selon les conditions des permis, on doit garder toutes les espèces. Toutefois, certaines espèces peuvent être relâchées si elles sont consignées dans le livre de bord.
Le sénateur McInnis : J’ai entendu une cause à ce sujet il y a de nombreuses années, mais c’était mon souvenir.
Je n’ai aucune idée du nombre d’espèces de requin, mais j’ai donné ces chiffres l’autre soir dans le cadre d’une réunion : dans l’Atlantique Nord-Ouest, 89 p. 100 des requins-marteaux, 80 p. 100 des renards marins, 79 p. 100 des grands requins blancs et 65 p. 100 des requins-tigres auraient disparu. Savez-vous pourquoi? Est-ce que quelqu’un attrape les poissons pour les exploiter? Quelle est la raison d’un tel déclin chez ces espèces?
M. Lester : Je crois que Carolina pourrait vous dire lesquelles parmi ces espèces font partie de la liste de la CITES. Quelques-unes se trouvent dans les eaux canadiennes; on retrouve peut-être le grand requin blanc à l’occasion. Je ne crois pas qu’on retrouve de requins-marteaux, peut-être un à l’occasion, mais Carolina pourrait vous en dire plus.
Le sénateur McInnis : Si ces espèces font partie de la liste de la CITES… combien y a-t-il de signatures, 180?
Mme Caceres : C’est 184.
Le sénateur McInnis : Si l’espèce fait partie de cette liste, ce n’est peut-être pas illégal, mais cela va à l’encontre des obligations des signataires, n’est-ce pas?
Mme Caceres : Je vais essayer de répondre à cette question. À l’heure actuelle, la liste de l’annexe II de la CITES compte 10 espèces de requin; je reviendrai à ce que cela signifie sur le plan des obligations des parties. Certaines des espèces que vous avez citées s’y trouvent. Les trois requins-marteaux : le grand requin-marteau, le requin-marteau commun et le requin-marteau halicorne. Il y a le requin-baleine, le requin-pèlerin et le requin-taupe commun, qui vit dans les eaux canadiennes, et le requin longimane. Ce sont principalement de très grandes espèces de requin. Je crois que le premier sur la liste est le requin-pèlerin.
Les parties à la CITES, les 183 signataires, se préoccupent de plus en plus de l’état et de la conservation des requins, depuis plusieurs années. Je crois que la première fois que les signataires ont attiré l’attention sur ce sujet, c’était en 1997, lorsqu’ils ont adopté des résolutions qui recommandaient la prise de certaines mesures. La CITES a créé la liste des requins après quelques autres conférences, dès 2002 je crois, en raison des préoccupations croissantes relatives à la conservation du requin. Bien sûr, comme la CITES se veut une convention commerciale, on se préoccupait aussi du commerce ou de la menace qu’il représente pour ces espèces.
La liste de l’annexe II de la CITES oblige les parties à octroyer un permis de commerce. En d’autres termes, pour transférer les spécimens de ces espèces, qu’il s’agisse des ailerons du requin, de la viande ou de tout autre produit, il faut obtenir un permis de la CITES. Ainsi, l’autorité de gestion doit convaincre la partie que ce produit est d’origine légale et surtout, l’autorité scientifique de la partie doit déterminer que le commerce de ce spécimen ou de cet objet n’est pas préjudiciable.
L’expression « non préjudiciable » signifie durable; en d’autres termes, l’autorité scientifique du pays doit veiller à ce que la pêche et la capture de cette espèce pour le commerce ne menacent pas sa conservation à l’état sauvage.
Nous avons dit que plusieurs de ces espèces vivaient en haute mer; il est donc question du pays d’origine. Toutefois, la CITES exige que l’introduction en provenance de la mer — c’est la terminologie qu’utilise la CITES — ou, en d’autres termes, la pêche d’une espèce en haute mer, soit aussi assortie d’un permis de la CITES. Nous avons en place des structures qui aident les pays à confirmer qu’il s’agit d’importations durables.
La liste n’est qu’une seule mesure prise par les parties à la convention pour aborder certaines de leurs préoccupations relatives au requin. Il y a aussi des résolutions robustes. Les résolutions représentent la manière dont les parties à la CITES établissent leurs politiques qui permettent entre autres aux comités scientifiques de la CITES de surveiller attentivement les espèces de requin de manière plus vaste et les enjeux liés au commerce de façon particulière. Dans le cadre des réunions du comité scientifique, qui ont lieu chaque année ou aux deux ans, en fonction de la Conférence des parties, les parties doivent parler de leur mise en œuvre du plan d’action national sur les requins, dont mes collègues pourront vous parler et, de façon générale, faire part de leurs idées et conseils sur les espèces de requin et sur l’incidence du commerce. En retour, le comité scientifique offre ses conseils aux parties.
La liste est une partie très importante de la CITES, mais la convention utilise aussi plusieurs autres outils pour atteindre son objectif final de veiller à ce que le commerce soit durable et ne menace pas les espèces. La dernière chose que je dirais à ce sujet, c’est qu’en plus de la résolution qui porte de façon spécifique sur les requins, la CITES a recours à plusieurs autres outils pour permettre aux pays — les parties — d’évaluer la capacité des autres parties d’émettre les avis de commerce non préjudiciable et d’en discuter. J’irais même jusqu’à dire que les parties à la CITES font preuve d’une grande rigueur à l’égard de cette obligation en particulier. Il s’agit d’une obligation clé pour la CITES. Nous avons élaboré des outils; ainsi, si nous doutons de la capacité d’un signataire de réaliser ces évaluations importantes, nous avons recours à plusieurs mécanismes pour évaluer ses processus et proposer des mesures correctives au besoin.
Le sénateur McInnis : Quel serait votre pouvoir?
Mme Caceres : Nous prenons les décisions par l’entremise de la Conférence des parties, qui a conféré aux parties à la CITES et au comité permanent, par exemple, le pouvoir de procéder à ces évaluations, donc de demander à obtenir des renseignements. En effet, le comité permanent — le comité bureaucratique — a le pouvoir d’imposer ce qu’on appelle des recommandations commerciales.
Lorsqu’on s’inquiète des pratiques commerciales d’une partie, le comité permanent recommande souvent de ne pas accepter les permis. En d’autres termes, il recommande de ne pas accepter les importations provenant de ce pays. Bien sûr, il n’y a aucun pouvoir légal en tant que tel, mais les parties à la CITES prennent cela très au sérieux, et tout est édicté. En gros, la CITES s’est dotée d’outils pour mettre en place des mesures punitives et des mesures de soutien.
Le sénateur McInnis : Quelle est la taille d’une organisation comme la CITES? Quel est le degré de bureaucratie qui y règne?
Mme Caceres : La CITES compte maintenant 184 parties, je crois. Ce sont les pays signataires. L’organisation fonctionne par l’entremise de l’organe décisionnel, qui est la Conférence des parties. Cette Conférence des parties a créé un comité de direction pour la mise en œuvre bureaucratique, qui est responsable de la conformité, de la gestion et de l’exécution. Il s’agit du comité permanent de la CITES. Le comité permanent est composé de représentants de chacune des régions de la CITES et le Canada représente actuellement l’Amérique du Nord au sein de ce comité. En fait, nous présidons le comité. De plus, la CITES a mis sur pied deux comités scientifiques qui sont chargés de conseiller la Conférence des parties sur la faune, les questions animales et la flore. Ces comités sont aussi composés de représentants des régions. Toutefois, le choix des membres se fait en fonction de l’expertise et non en fonction des parties.
Il y a aussi un secrétariat de la CITES situé à Genève, en Suisse. Je dirais qu’il y a environ 100 personnes qui y travaillent, mais je ne connais pas le chiffre exact. Ce n’est pas un grand secrétariat. Il est géré par le secrétaire général, John Scanlon, et compte plusieurs chefs organisationnels qui étudient les divers volets de la convention, et qui offrent notamment du soutien aux parties en vue de sa mise en œuvre.
Le sénateur McInnis : Pour faire suite à la question de ma collègue la sénatrice Poirier, est-ce que le Japon et la Chine ont signé la convention?
Mme Caceres : Oui, le Japon et la Chine sont des pays signataires de la CITES. Ils ont participé aux débats sur la liste des 10 espèces, par exemple, et font également partie des comités permanents de la CITES sur les animaux et les plantes.
Le sénateur McInnis : Merci.
Le sénateur MacDonald : J’aimerais revenir aux difficultés que semble avoir le MPO avec l’évaluation du projet de loi. Je ne sais pas combien d’entre vous travaillaient au ministère en 2011. Est-ce que vous travailliez tous au MPO en 2011? On avait présenté un projet de loi d’initiative parlementaire. On avait tenu un vote et le projet de loi avait été rejeté de justesse. Je suis curieux. Est-ce qu’on a évalué le projet de loi? Parce qu’on parle de 2011 à 2018 : je crois que sept années suffisent à évaluer un projet de loi.
Mme Bouffard : Oui, le projet de loi a été évalué, et la position a été énoncée par le gouvernement de l’époque.
Le sénateur MacDonald : Attendu que ce projet de loi est quasiment identique à l’autre, quelle différence y a-t-il entre l’évaluation d’alors et l’évaluation de maintenant?
Mme Bouffard : Comme je l’ai dit au début, le ministère des Pêches et des Océans et le gouvernement du Canada appuient les intentions des deux projets de loi. Les deux ont tenté de s’attaquer au même problème, mais selon des points de vue différents. Chaque fois que le point de vue change en ce qui a trait aux modifications législatives proposées, nous devons faire une analyse en fonction de nombreux facteurs, y compris du point de vue de nos obligations commerciales.
Le sénateur MacDonald : Je ne suis pas certain de comprendre en quoi le point de vue est différent. Les deux projets de loi sont pratiquement identiques. Alors, quels sont ces différents points de vue?
Mme Bouffard : Si je me souviens bien, chaque projet de loi propose de modifier une loi différente. Alors, les points de vue différents…
Le sénateur MacDonald : On dirait qu’ils sont tout à fait identiques.
Mme Bouffard : En notre qualité de fonctionnaires, nous allons consulter divers ministères. Nous ne nous limitons pas à la position de Pêches et Océans. Nous allons consulter nos experts en droit commercial et nos juristes et, dans une optique stratégique, nous allons parler à nos collègues d’Environnement Canada afin de jauger les répercussions sur la Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvages menacées d’extinction et d’évaluer non seulement l’objectif du projet de loi, mais aussi les outils proposés. Les outils préconisés ne sont pas les mêmes dans ce projet de loi, alors cela change les aspects qui doivent être pris en considération.
Le sénateur MacDonald : Il s’est écoulé 7 ans et durant ce temps, 600 à 700 millions de requins ont disparu. Si nous devons attendre l’évaluation de Pêches et Océans, il ne restera plus un seul requin.
Le gouvernement instaure un règlement qui entrera en vigueur en mars 2018 et qui exigera qu’au Canada les requins soient débarqués avec les nageoires encore attachées au corps. Il reste donc deux mois, et c’est exactement ce qui est proposé dans le projet de loi S-238. On veillera à ce que les mêmes règles soient appliquées aux produits nationaux et aux produits importés. Je serais curieux de savoir comment vous allez pouvoir faire cette évaluation alors que le règlement est censé entrer en vigueur en mars.
Mme Bouffard : Comme vous l’avez dit, le projet de loi porte sur deux aspects, nommément la question de l’amputation des nageoires en mer et celle du commerce des nageoires. En ce qui concerne l’amputation des nageoires en mer, nous avons dit que nous appuyions l’objectif du projet de loi, soit celui de prohiber cette pratique par l’intermédiaire des mesures dont nous disposons déjà et que nous essayons d’étendre à toutes les espèces. La prohibition de l’amputation des nageoires en mer se fait en exigeant que les nageoires soient attachées aux carcasses des requins retenues à bord des bateaux de pêche canadiens et qu’elles soient débarquées dans cet état. Nous appuyons ce concept. Non seulement nous l’appuyons, mais nous en faisons aussi la promotion à l’international par l’intermédiaire des organisations régionales de gestion des pêches. Nous tentons d’influencer les Canadiens, certes, mais aussi d’inciter les étrangers à adopter le même type de mesure à l’échelle internationale pour la pêche en haute mer. De plus, lors de nos échanges bilatéraux, nous nous efforçons de porter cette question à l’attention de nos interlocuteurs et d’influencer leurs décisions en la matière.
Je tiens à ce que ce soit clair : nous sommes de tout cœur avec vous sur cette question, et nous essayons de promouvoir des mesures qui vont à la source du problème, c’est-à-dire à ce qui se passe en mer.
En ce qui concerne les mesures commerciales, tout dépend de ce qui est proposé. Nous devons évaluer ces propositions en fonction des obligations internationales et des engagements commerciaux de notre pays. Cela comprend les éléments dont j’ai parlé tout à l’heure. Nous devons nous assurer de traiter les importations de produits du requin de la même façon que nous traitons le commerce canadien des produits du requin. Ceci est un aspect très important de nos obligations internationales et de nos engagements commerciaux à l’étranger.
Le sénateur MacDonald : Je crois que j’ai posé suffisamment de questions.
Le président : Merci. Je répète que nous accueillons favorablement l’intention du projet de loi. La question est de savoir ce qu’il convient de faire maintenant. Nous espérions pouvoir procéder de façon très succincte à l’adoption article par article du projet de loi, mais j’ai bien l’impression qu’il va falloir prendre un peu de recul et trouver la bonne façon de procéder. Nous pouvons cependant rendre compte du projet de loi dans sa forme actuelle. Je comprends cela. Nous verrons ce qui se produira.
La sénatrice Raine : En fait, mes questions vont dans le même sens que celles du sénateur MacDonald. Je n’arrive pas à voir la différence avec ce qui se fait actuellement, c’est-à-dire que les nageoires doivent être attachées pour être vendues au Canada. Si nous instaurons la même pratique partout, n’éliminons-nous pas les risques de différends commerciaux? Le règlement est le même pour les deux provenances, qu’il s’agisse d’importations ou de produits de pêcheurs canadiens. En quoi cela est-il problématique pour le commerce, pour les lois commerciales ou pour les conventions en matière de commerce?
Mme Bouffard : Comme je l’ai dit, je ne suis pas une experte en droit commercial, mais, d’après ce que je comprends, le fait d’exiger que les requins soient débarqués avec leurs nageoires encore attachées est quelque chose de particulier. Le requin est débarqué en une pièce, mais une fois à terre, comment est-il vendu au Canada? Le projet de loi dont vous êtes saisis s’applique à toutes les importations — il va bien au-delà du site de débarquement. Il s’applique aux importations qui arrivent au Canada; il exige que le poisson soit exporté avec ses nageoires encore attachées. C’est la lecture que nous faisons du projet de loi. Le fait d’exiger cela des autres sans exiger la même chose des Canadiens est problématique.
Nous devons évaluer la situation et tenter de voir comment nous pouvons atténuer ces conséquences du point de vue du droit commercial. Actuellement, nous exigeons que les poissons débarqués dans les ports du Canada aient leurs nageoires encore attachées, mais il n’y a présentement aucune disposition au Canada pour exiger que ce poisson soit vendu avec ses nageoires encore attachées.
La sénatrice Raine : Vous voulez dire, lorsqu’il quitte les quais de la Nouvelle-Écosse pour se retrouver dans un restaurant ou dans des capsules de cartilage de requin…
Mme Bouffard : Exactement.
La sénatrice Raine : Autrement dit, ce projet de loi pourrait éliminer l’utilisation du poisson une fois qu’il a été débarqué.
Mme Bouffard : Potentiellement. Sauf que, ce qui est plus important, c’est que nos exigences à l’endroit des importations seraient différentes de celles que nous exigeons des Canadiens, ce qui pose problème.
La sénatrice Raine : Si un poisson pêché à l’étranger est débarqué au Canada, tous les règlements internes s’appliquent. Que le poisson ait été pêché par des Canadiens dans les eaux canadiennes ou qu’il soit importé d’ailleurs, il sera débarqué alors qu’il est encore entier et revendu de la même façon, alors je ne peux pas voir d’où pourraient venir les différends commerciaux.
Si l’utilisation de produits de nageoires de requin est interdite au Canada sous toutes ses formes — qu’il s’agisse de requin pêché au Canada ou importé —, c’est la même chose.
Mme Bouffard : Comme je l’ai dit, il y a différentes façons d’envisager la question. Chaque fois que nous devons en faire l’évaluation — en fonction du point de vue mis de l’avant, l’objectif restant toujours le même — dans l’optique des obligations commerciales internationales, nous devons veiller à faire en sorte que ce que nous imposons aux importations soit comparable à ce que nous exigeons des Canadiens sur le plan du commerce. Quelle que soit la proposition, c’est cette lentille que nous devons utiliser par défaut.
La sénatrice Raine : Les fonctionnaires de Pêches et Océans ne sont pas des experts dans le domaine du commerce. Je présume que nous devrions solliciter l’avis de fonctionnaires dont c’est la spécialité.
Mme Bouffard : Oui, mais je crois bien qu’ils vous donneront les mêmes réponses que moi.
La sénatrice Raine : Sauf que j’aimerais bien savoir à qui appartient la responsabilité. À qui incombe-t-il de signer ces ententes?
Mme Bouffard : Oui, je vois ce que vous voulez dire.
La sénatrice Raine : D’après ce que je comprends, il faut que quelqu’un passe toutes ces ententes en revue et fasse tous les ajustements nécessaires. C’est bien cela?
Mme Bouffard : Cette règle de base en matière de comparabilité ou de non-discrimination existe dans la majorité des engagements auxquels le Canada souscrit. C’est un principe de base des obligations en matière de commerce.
Je suis certaine qu’ils peuvent l’expliquer avec plus d’éloquence que moi en ce moment, mais c’est essentiellement de quoi il retourne.
Le président : Sénateur, nous devons passer à autre chose.
Le sénateur Gold : Je m’excuse. J’étais sur le point de vous traiter comme si vous étiez une experte en droit commercial. J’essaie d’examiner le projet de loi dans son contexte.
Qu’arriverait-il si nous disions qu’il est interdit d’importer ou d’exporter une nageoire, sauf si elle est attachée à une baleine, assurant ainsi que la même règle s’applique? Nous pourrions même aller plus loin et proscrire l’utilisation ou la consommation de nageoires de baleines n’ayant pas reçu de certification attestant qu’elles ont été débarquées alors qu’elles étaient encore attachées ou quelque chose du genre. J’essaie de ne pas m’enfoncer trop profondément dans les herbages. En créant un régime qui inclurait cette interdiction en matière d’importation et un équivalent pour les exportations canadiennes, et qui nivellerait les règles quant à l’utilisation au Canada des nageoires de toute provenance — aux termes du droit pénal, des lois en matière de santé et sécurité ou de tout autre chef de compétence que vos collègues recommanderont —, ne ferait-on pas un bon bout de chemin pour répondre aux préoccupations concernant le traitement discriminatoire réservé aux fournisseurs étrangers de nageoires de requin?
Mme Bouffard : Sénateur Gold, je pense que vous posez les bonnes questions, car ce sont là les genres d’évaluations qu’il faudrait envisager. N’étant vraiment pas spécialiste du droit commercial, je vous donne les principes généraux que m’ont inculqués des experts en la matière, et c’est le genre de questions que nous devons examiner quand on étudie les risques afférents à la législation, le tout dans le respect de nos obligations commerciales. Qu’imposons-nous aux Canadiens? Ces mesures sont-elles comparables à celles que nous chercherions à imposer aux importations en ce qui concerne non seulement la méthode de pêche, mais également la mise en marché.
Le sénateur Gold : Je comprends, et si nous ne pouvons attendre de réponse en l’espace de quelques jours, et encore moins en quelques semaines, pourrions-nous considérer que si nous déterminions de manière indépendante qu’un projet de loi adéquatement amendé n’est en rien discriminatoire à l’égard des requins étrangers, nous aurions au moins devancé l’objection fondée sur des principes que vos collègues pourraient soulever en analysant la mesure dans sa forme actuelle?
Mme Bouffard : Je pense que oui.
La sénatrice Ringuette : Je voudrais poser une brève question d’ordre technique pour bien comprendre le processus. Je pense que vous avez indiqué que quand un pêcheur canadien débarque un requin, il doit remplir un registre; existe-t-il toutefois une sorte d’enregistrement ou une base de données? C’est un point que je dois comprendre.
M. Lester : Je me ferai un plaisir de tenter de vous expliquer la question un peu plus en détail. Quand un pêcheur prend la mer, il doit respecter les conditions de son permis, lesquelles exigent notamment qu’il consigne toutes ses prises, qu’il les ait conservées ou non. Comme le sénateur McInnis l’a fait remarquer, il est obligatoire de conserver certaines espèces. Il est toutefois possible de relâcher des requins, même s’ils sont morts, si on consigne la prise.
Les requins conservés sont ramenés au port, où nous assurons la surveillance par l’entremise d’un tiers, une entreprise indépendante qui examine tous les débarquements. Auparavant, la règle voulait que le poids des ailerons équivaille à 5 p. 100 de celui des carcasses. L’entreprise comparait le nombre de carcasses et d’ailerons, mais elle ne le faisait plus que pour une dernière flotte qui commencera à respecter l’obligation de laisser les ailerons sur les carcasses. Maintenant, quand elles arrivent au port, les carcasses auront toujours leurs ailerons, et le tiers qui surveille les débarquements et leur poids transmettra ces renseignements au ministère.
On surveille donc la situation à quai, où un tiers vérifie tous les débarquements de requins. Désormais, au lieu d’appliquer ce qui était la règle de 5 p. 100, on vérifiera que les carcasses ont encore leurs ailerons. Les produits peuvent ensuite être acheminés vers divers marchés; nous devons toutefois veiller à ne pas expédier les diverses parties de requins aux mêmes marchés. Les ailerons peuvent aller à un marché, la peau, à un autre, et les cartilages, à un autre encore. Voilà ce qu’il se passe une fois les prises arrivées au quai, où nous nous assurons que les ailerons n’ont pas été amputés.
La sénatrice Ringuette : Ma question portait précisément sur la participation du tiers dans ce processus. Maintenant que les ailerons sont laissés sur les carcasses, il y aura une sorte de certification, n’est-ce pas?
M. Lester : Il y en a toujours eu une, mais l’ancienne règle concernait le poids et exigeait que les ailerons ne pèsent pas plus que 5 p. 100 du poids total de requins à bord. On les pesait séparément et finissait par compter le nombre d’ailerons pour le comparer au nombre de carcasses afin de s’assurer que les chiffres concordent.
La sénatrice Ringuette : Monsieur le président, j’ai une autre question qui me semble très importante. En ce qui concerne le processus de certification canadien, avons-nous raison de présumer que dans un pays doté de la même politique en matière de débarquement, le processus inclut également un certificat?
M. Lester : Je n’avais pas terminé de répondre, mais oui, il existe une base de données où le ministère peut trouver tous les renseignements des tiers. Je ne peux toutefois pas affirmer que tous les pays du monde qui exigent que les ailerons soient laissés sur les carcasses assurent une surveillance de 100 p. 100 à quai, car je ne connais pas la réponse.
Il faudrait vérifier comment leurs lois sont formulées et comment ils les appliquent. D’après mes échanges avec la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique, je soupçonne que certaines parties utilisent une approche fondée sur le risque en vertu de laquelle elles ne vérifient les débarquements que la moitié du temps. Les pêcheurs ignorent toutefois quand ces vérifications ont lieu. Je doute que tout le monde vérifie tous les débarquements, car c’est coûteux. Nos pêcheurs paient la facture parce que nous jugeons que c’est important.
M. Jordan : Comme nous l’avons indiqué lors de notre dernière comparution devant le comité, si quelque chose est pris ou transporté illégalement dans un autre pays, son importation au Canada est déjà illégale en vertu de la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.
Mme Bouffard : Dans le rapport de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture que j’ai évoqué et qui fait un résumé des mesures instaurées par les pays, les auteurs soulignent deux problèmes clés associés à la pêche au requin et à l’amputation des ailerons. Le premier, c’est que bien des pays ne déclarent pas leurs prises et n’ont donc pas de certification ou de registre. En outre, de nombreux pays ne surveillent pas adéquatement les activités de pêche illicites, non réglementées et non déclarées.
C’est un problème d’envergure internationale. Est-ce un problème dans les pays qui ont adopté des mesures concernant l’amputation des ailerons de requin? Nous l’ignorons. Les données que l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture a publiées n’entrent pas suffisamment dans les détails pour que nous le sachions.
La sénatrice Raine : Cependant…
Le président : Je suis désolé, mais c’est tout le temps dont nous disposions. Je déteste vous interrompre, sénatrice Raine. Nous devons toutefois suspendre la séance quelques instants pendant que les témoins quittent la pièce, après quoi nous examinerons les travaux futurs.
(La séance se poursuit à huis clos.)