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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule nº 25 - Témoignages du 15 février 2018


OTTAWA, le jeudi 15 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 8 h 35, pour mener une étude sur les activités de recherche et sauvetage maritime, y compris les défis et les possibilités qui existent.

Le sénateur Marc Gold (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Je m’appelle Marc Gold. Je suis vice-président du comité et un sénateur du Québec. Je suis très heureux de présider la réunion pour le moment, en attendant l’arrivée du sénateur Manning, qui est retardé de manière imprévue.

Avant de donner la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à se présenter, en commençant par ma droite.

Le sénateur Christmas : Je suis Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le vice-président : Je m’attends à ce que d’autres sénateurs se joignent à nous plus tard. Pour ceux qui nous écoutent de partout au pays, les rues d’Ottawa sont plutôt glacées aujourd’hui.

Le comité poursuit son étude sur les activités de recherche et sauvetage maritime, y compris les défis et les possibilités qui existent.

Ce matin, nous sommes heureux d’accueillir comme témoin, pour discuter des activités de recherche et sauvetage maritime dans l’Arctique canadien, le colonel à la retraite Pierre LeBlanc, président d’Arctic Security Consultants. Un autre témoin se joindra à nous. Je vous le présenterai le moment venu.

Colonel LeBlanc, au nom des membres du comité, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Je crois que vous avez un exposé à nous présenter et ensuite, les membres du comité vous poseront quelques questions. À vous la parole.

Colonel à la retraite Pierre LeBlanc, président, Arctic Security Consultants : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, merci de me donner l’occasion de comparaître comme témoin au sujet de la recherche et du sauvetage dans l’Arctique, là où les défis et les possibilités sont plus grands qu’ailleurs.

Parlons des défis. Vous êtes nombreux déjà à les connaître. La taille de l’Arctique canadien et la distance qui le sépare des ressources de recherche et sauvetage sont immenses, ce que vient encore exacerber le climat. Vous verrez, dans la documentation ci-jointe, une carte illustrant que la superficie de l’Arctique canadien est supérieure à celle de l’Europe continentale en entier.

Dans une autre image, vous constaterez qu’en vertu de l’Accord de coopération en matière de recherche et de sauvetage aéronautiques et maritimes dans l’Arctique, que le Canada a conclu auprès du Conseil de l’Arctique, une partie de nos responsabilités de recherche et de sauvetage comprend le pôle Nord, qui se trouve à 4 463 kilomètres des aéronefs de recherche et de sauvetage stationnés à Winnipeg. C’est comme si les ressources de recherche et de sauvetage de Terre-Neuve se stationnaient à Francfort, en Allemagne. Et pourtant, on ne trouve aucune autre ressource majeure de recherche et de sauvetage dans l’Arctique. Elles se trouvent trop loin au sud, et les acheminer prend trop de temps pour une région où le temps est un facteur crucial.

La hausse de la circulation maritime, résultat de l’accélération de la fonte des glaces de mer en Arctique, s’est traduite, pour la seule année 2017, par plus de 406 visites de 178 navires en Arctique, dont 32 traversées du passage du Nord-Ouest.

J’ai aussi dénoncé à plusieurs occasions le vieillissement de la flotte de brise-glaces de la Garde côtière. En effet, tous nos brise-glaces achèvent leur vie utile et la demande croissante de déglaçage épuise la flotte.

La rapidité d’intervention constitue une autre difficulté, à cause du froid. S’il devait y avoir dans l’Arctique un naufrage comme celui du Costa Concordia, les passagers qui sauteraient sans protection dans les eaux glaciales mourraient en quelques minutes, alors qu’il faudrait des heures pour qu’arrivent les aéronefs de recherche et de sauvetage et sans doute des jours pour les navires de la Garde côtière.

Les gens du Nord-Ouest s’attendent à plus et méritent plus. Ils ne devraient pas être forcés d’accepter des services fédéraux de qualité très moindre.

Les accidents maritimes dans l’Arctique ne surviennent pas qu’en théorie. Deux navires de croisière et un pétrolier se sont déjà échoués. Lisez les statistiques dans la documentation.

Malheureusement, le déploiement des ressources de recherche et de sauvetage est basé sur des données historiques plutôt que sur l’activité projetée. L’ancien premier ministre Stephen Harper a déclaré, au cours de l’un de ses voyages en Arctique, que le Canada ne pouvait pas offrir le même niveau de recherche et de sauvetage dans le Nord que dans le Sud. C’est vrai, mais je suis d’avis que nous pouvons certainement faire mieux.

Il existe plusieurs possibilités d’améliorer les choses dans l’Arctique. En voici quelques exemples.

Toutes les ressources aériennes de recherche et de sauvetage devraient être équipées de radars thermiques à balayage frontal, comme celui dont sera doté le nouvel aéronef de recherche et de sauvetage à voilure fixe. La détection de survivants et de navires se fera ainsi beaucoup plus facilement et rapidement, un facteur critique étant donné la température de l’eau.

Le Canada a investi dans la Garde côtière auxiliaire, ce qui renforcera nos ressources de recherche et de sauvetage, mais cet investissement doit être à long terme.

Depuis plusieurs années, on recommande — votre comité y compris — de confier un rôle maritime aux Rangers canadiens. Ils pourraient non seulement accroître notre capacité de recherche et de sauvetage, mais aussi agir comme premiers répondants pour signaler la pêche illégale, prendre des mesures en cas de déversement en mer et assurer une présence affirmant notre souveraineté sur l’ensemble du territoire. Qui pourrait en vouloir aux Inuits d’assumer ce rôle? Ils renforceraient notre position de souveraineté sur les eaux intérieures de l’archipel Arctique.

On pourrait favoriser le développement de Resolute Bay comme base pour les opérations d’urgence, afin d’accroître notre capacité d’intervention en cas d’accident majeur, qu’il s’agisse de récupérer et d’extraire des survivants ou de composer avec des impacts environnementaux.

La Garde côtière américaine stationne des hélicoptères en Alaska pendant la saison de navigation. Nous pourrions suivre son exemple. On a recommandé de stationner des ressources aériennes de recherche et de sauvetage à Yellowknife pour réduire la durée du trajet vers l’Arctique. Ces ressources pourraient aussi être déployées au sud si nécessaire.

Les nouveaux navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique viendront bientôt accroître nos capacités de recherche et de sauvetage. Il faudra les déployer là-bas pendant la saison de navigation.

L’une des actions les plus rentables que pourrait poser le Canada serait d’imposer des mesures préventives afin de réduire la probabilité que le rétablissement et l’impact environnemental post-accident soient coûteux, notamment : rendre le signalement à NORDREG obligatoire pour tous les navires de plus de 30 tonnes, tous les navires transportant des passagers et tous les navires transportant des marchandises dangereuses. De même, le Canada exigerait que tous ces navires se dotent de systèmes d’identification automatique, détectables depuis l’espace.

Ces deux mesures viendront enrichir notre connaissance de la situation dans l’Arctique, une priorité du gouvernement fédéral.

D’autres idées : faire respecter le nouveau code polaire et exiger des normes encore plus strictes de l’Organisation maritime internationale; terminer la sélection de corridors maritimes dans l’Arctique et les rendre obligatoires; cartographier ces corridors selon des normes modernes et installer des aides à la navigation; remplacer sans délai le vieux système de gestion des missions de recherche et de sauvetage par un système moderne; envisager l’usage de drones comme option économique pour appuyer les activités de recherche et de sauvetage locales; accroître le financement de l’Association civile de recherche et de sauvetage aériens dans l’Arctique; et envisager de passer des marchés avec l’aviation civile pour offrir des services de recherche et de sauvetage dans l’Arctique semblables à ceux qu’offre Cougar Helicopters à l’industrie pétrolière et gazière.

Toutes ces recommandations sont bien appuyées par des politiques et nombre d’entre elles font écho aux recommandations que le Sénat lui-même a formulées en 2009 et en 2011. Merci.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

Le président : Merci, colonel LeBlanc. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par notre vice-président.

Le sénateur Gold : Merci beaucoup et, encore une fois, bienvenue. Mes questions concernent à la fois les défis à court terme auxquels nous faisons face maintenant et le moyen de les relever à long terme.

Des témoins nous ont dit, et nous savions déjà, que le changement climatique entraînera probablement une augmentation de l’écotourisme et un important trafic dans le Nord. Nous savons également que notre processus d’acquisition est lent et que nous manquons dangereusement de ressources partout dans le Nord.

Pourriez-vous nous recommander des mesures que nous pourrions mettre en place immédiatement pour assurer la sécurité dans le Nord à court terme? Quelles que soient les solutions à long terme qui seront choisies, leur réalisation prendra du temps. Ensuite, j’aurai peut-être une question complémentaire sur les perspectives à long terme pour assurer la sécurité dans le Nord.

Col LeBlanc : Il me vient deux choses à l’esprit. Premièrement, il faudrait affecter des ressources de recherche et de sauvetage à Yellowknife ou peut-être à Iqaluit. Ce sont les deux possibilités qui seraient les plus raisonnables du point de vue des coûts.

Si vous déployez un aéronef CC-130 Hercules à Yellowknife, ceux qui sont en attente à Winnipeg ou Trenton ne bougeront pas. L’aéronef doit être ravitaillé en carburant, préparé pour le départ et, dans un délai de deux heures, être route vers le Nord. S’il se trouvait à Yellowknife ou Iqaluit, il pourrait être déployé beaucoup plus rapidement pour des missions de recherche et de sauvetage dans l’Arctique.

En fait, la dimension maritime est partagée entre la Garde côtière et les Forces armées canadiennes. L’équipement de la Garde côtière est très limité. Ce sont ses brise-glace qui seraient déployés dans l’Arctique, mais c’est probablement les Forces armées qui interviendraient en premier avec leur aéronef de recherche et de sauvetage.

Si ces appareils se trouvent dans le Nord, lorsqu’ils sont en attente, on n’en fait rien de toute manière. Si on devait les déployer pour une mission de recherche et de sauvetage à partir de Yellowknife, il arriverait aussi rapidement que s’il partait de Winnipeg.

Deuxièmement, je pense qu’il serait assez rapide et facile de déployer les Rangers dans un rôle maritime et de leur fournir l’équipement et la formation nécessaires. Dans l’un des documents que je vous ai remis, on parle d’une étude menée en 2010 pour déterminer de quelle manière cela pourrait se faire. En très peu de temps, à un coût relativement faible, nous pourrions déployer des ressources de recherche et de sauvetage, ou les Rangers canadiens, surtout le long des principales routes du passage du Nord-Ouest.

Le sénateur Gold : Pour revenir à ce que vous avez dit d’abord au sujet du positionnement de ressources de recherche et de sauvetage dans le Nord, avez-vous une idée de ce que coûterait un tel déploiement?

Col LeBlanc : Je pense que cela ne coûterait pas très cher. Les deux villes que j’ai mentionnées ont déjà des ressources militaires sur le terrain, alors l’aéronef pourrait être stationné à leurs aéroports.

Il faudrait loger l’équipage, probablement dans un hôtel ou, dans le cas d’un plan à long terme, ils pourraient utiliser les casernes des bases d’opérations avancées des CF-18.

Il y a des quartiers disponibles à Yellowknife et à Iqaluit pour loger le personnel militaire.

Le sénateur Gold : J’aurais une dernière question. Des témoins nous ont parlé de l’utilisation d’entreprises privées de recherche et de sauvetage, et vous y avez fait allusion vous aussi dans votre exposé. Hier, des témoins nous ont dit que des aéronefs privés n’auraient peut-être pas la capacité de répondre pleinement aux besoins de personnes en détresse, qu’il s’agisse de leur fournir des soins médicaux ou d’atterrir en toute sécurité sur la glace. Qu’est-ce que vous en pensez? Quelles ressources conviendraient à un déploiement dans le Nord?

Col LeBlanc : L’exemple que j’ai mentionné est celui de Cougar Helicopters. Sur la côte Est, cette société fournit des capacités de recherche et de sauvetage aux secteurs pétrolier et gazier. Elle a également travaillé en Alaska, ainsi qu’à Inuvik, toujours dans le secteur pétrolier et gazier. Ses hélicoptères sont équipés pour exécuter un certain niveau de recherche et de sauvetage, y compris pour fournir des premiers soins ainsi que pour stabiliser un patient ou quelqu’un qui a été blessé et de le rapatrier vers le Sud.

Si vous deviez retenir les services de cette entreprise dans le Nord, le gouvernement pourrait fixer les normes à respecter et payer pour les services.

Le sénateur Gold : Merci beaucoup.

Le sénateur Christmas : Je vous remercie pour votre exposé, colonel.

Je m’intéresse toujours à la façon dont la technologie peut nous aider dans des situations difficiles. Vous avez parlé des drones. Vous avez aussi recommandé que toutes les ressources aériennes de recherche et de sauvetage soient équipées de radars thermiques à balayage frontal. Est-il possible d’équiper les drones de tels radars?

Col LeBlanc : Oui, c’est possible.

Le sénateur Christmas : Qui dirigerait les drones? Vous avez parlé des Rangers canadiens. Pensez-vous que ce serait un bon choix et que les Rangers en ont la capacité? Ces drones seraient-ils utiles à leurs opérations?

Col LeBlanc : Il serait possible de former les Rangers pour qu’ils le fassent.

Vous savez probablement que le développement des drones connaît aujourd’hui des avancées spectaculaires. Dans les opérations de recherche et de sauvetage, les 24 premières heures sont critiques. C’est à ce moment que vous devez déterminer où l’incident ou l’accident a lieu afin de pouvoir réagir convenablement. Il est tout à fait évident que la réaction sera différente selon qu’il s’agisse d’une seule personne ou des 400 passagers d’un bateau de croisière qui se sont échoués.

Il est très utile de pouvoir voir la scène de visu afin de pouvoir fournir des renseignements sur la nature ou l’envergure du problème aux commandements qui seront appelés à répondre à la crise.

Certains drones peuvent être équipés de radars thermiques à balayage frontal. Il est de plus en plus facile de faire voler des drones. Le concept que je propose est d’en avoir dans toutes les collectivités du Nord afin qu’ils puissent être lancés très rapidement et suivre un plan de vol préétabli pour les recherches.

Règle générale, les chasseurs et les trappeurs se rendent dans des secteurs précis. Si Joe Inuk manque à l’appel, c’est généralement dans un secteur donné. Vous pouvez alors lancer un drone pour qu’il suive un plan de vol de recherche dans ce secteur. Une fois que vous avez trouvé la personne en question, vous pouvez envoyer les Rangers, qui font habituellement leurs missions de recherche et de sauvetage dans le Nord au moyen de motoneiges, ou vous pouvez déployer des hélicoptères ou faire appel aux Forces armées. Vous utilisez les ressources dont vous avez besoin pour réagir à la situation, mais il est essentiel que, dès le départ, vous sachiez quelle est la situation et son ampleur.

Le sénateur Christmas : Vous avez aussi dit que la Garde côtière américaine stationne des hélicoptères en Alaska pendant la saison de navigation. Y a-t-il d’autres pays ou États dans l’Arctique qui déploient des ressources de recherche et de sauvetage saisonnières sur leur propre territoire?

Col LeBlanc : Le pays dont les ressources déployées sont probablement les plus importantes est la Russie. Elle a cinq centres de recherche et de sauvetage dans l’Arctique. Ces centres peuvent compter sur 280 employés. La Russie est en voie d’en construire quatre autres.

M. Poutine souhaite établir la route maritime du Nord et, pour ce faire, son gouvernement investit pour placer des ressources de recherche et sauvetage le long de cette route. La Norvège a des bases jusque dans la partie nord de son territoire. Ces deux pays sont ceux qui, à mon avis, ont une plus grande capacité que le Canada.

Le sénateur Christmas : Le Canada, qui ne déploie de ressources à aucun moment de l’année dans cette région est, je l’imagine, l’exception.

Col LeBlanc : Oui.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Bonjour, colonel Leblanc. Merci d’être ici parmi nous et de nous transmettre vos recommandations, qui me semblent correspondre assez étroitement à celles des autres témoins que nous avons reçus jusqu’à ce jour.

Je suis curieuse, votre entreprise fait-elle des recherches pour le gouvernement fédéral ou les gouvernements territoriaux?

Col LeBlanc : Oui, j’ai fait du travail pour le gouvernement du Canada, Industrie Canada et le Sénat. Alors, oui, j’ai la capacité de faire ces études.

La sénatrice Ringuette : On examine la question de la souveraineté dans l’Arctique, un sujet que les Canadiens ont à cœur, mais en matière de sécurité, est-ce qu’il y a des entreprises privées dans le domaine des croisières ou des pétroliers qui font appel à vos services pour leur fournir des guides sur le plan de la sécurité?

Col LeBlanc : J’ai offert mes services à des multinationales comme la compagnie Raytheon, située aux États-Unis, afin de lui permettre de mieux comprendre les défis qui existent dans l’Arctique. Trop souvent, les gens se déploient dans l’Arctique en pensant qu’on peut y faire la même chose que dans le Sud et, rapidement, ils deviennent une source de problèmes, des gens qu’on doit aller sauver.

Je vais vous donner rapidement un exemple plutôt comique. Il y avait un groupe qu’on appelait des « scientifiques de l’espace » qui voulaient faire le passage du Nord-Ouest sur des sea-doos. Éventuellement, la Garde côtière a été obligée de les secourir parce qu’ils ont été prisonniers des glaces et victimes des ours polaires. Si l’on va dans l’Arctique et qu’on n’est pas conscient de tous les défis, si l’on n’est pas bien préparé, tôt ou tard, il va y avoir des problèmes. Si c’est un déplacement strictement économique, les coûts vont être énormes. Si vous vous déployez pour installer un système quelconque et que vous avez oublié une pièce ou un outil, cela va vous coûter cher, soit des dizaines de milliers de dollars, pour corriger cette faiblesse. Ici, dans le Sud, on achète les pièces chez Canadian Tire ou chez Lowe’s et on continue. Si vous êtes dans le milieu de l’Arctique, cela peut prendre des semaines avant que vous pussiez corriger la situation.

La sénatrice Ringuette : Est-ce que vous avez des contrats avec les forces armées?

Col Leblanc : J’ai eu un contrat avec les Forces canadiennes, oui.

La sénatrice Ringuette : Il y a deux ou trois ans, le gouvernement canadien a finalement tenté de revendiquer, à la dernière heure, sa part de souveraineté sur l’Arctique. Est-ce que vous avez contribué aux recherches liées à l’élaboration de ces documents?

Col LeBlanc : Non, pas directement. La recherche principale visait à établir exactement la position des fonds marins de façon à pouvoir déposer notre soumission, qui était basée sur la science des profondeurs. Je ne suis pas équipé dans ce domaine.

La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Vous avez formulé des recommandations à l’intention du comité pour améliorer les opérations de recherche et de sauvetage dans l’Arctique. Nous avons déjà reçu bon nombre de recommandations et d’autres suivront encore. À votre vis, quelle devrait être la priorité en matière de recherche et de sauvetage dans l’Arctique, peut-être les deux priorités, que nous devrions transmettre au gouvernement pour répondre aux préoccupations concernant les opérations de recherche et de sauvetage dans cette région.

Col LeBlanc : Je vous répondrais que, au départ, il faudrait déployer des ressources aériennes dans l’Arctique afin de soutenir les opérations de recherche et de sauvetage. La deuxième priorité serait de donner aux Rangers un rôle maritime.

Le président : J’aime les réponses franches et les vôtres le sont.

La sénatrice Hartling : Bonjour, colonel LeBlanc. Je suis heureuse que vous ayez pu vous joindre à nous aujourd’hui. Je suis nouvelle au sein de ce comité. J’y siège depuis peu. Votre témoignage correspond à ce que nous ont dit d’autres témoins.

Il semble que la situation ne va pas s’améliorer en raison du changement climatique. Il semble aussi que ce soit une question d’équité, puisque les gens qui vivent dans l’Arctique sont oubliés. Je sais qu’un comité spécial du Sénat étudie la question de l’Arctique et j’espère que cela permettra de sensibiliser les gens à la question, mais il semble s’agir d’un enjeu grave qui ne changera pas.

Vous et d’autres avez mené nombre de bonnes études. Quelles sont certaines des raisons qui expliquent cet immobilisme?

Col LeBlanc : C’est un manque de ressources. Au bout du compte, c’est un problème d’argent. Le gouvernement doit commencer à accorder plus d’importance au Nord, car le Nord est en train de s’ouvrir.

Quand j’ai vérifié la couverture de glace hier dans l’Arctique, j’ai constaté qu’elle était à son plus bas niveau depuis que des mesures sont prises. Cette baisse est exponentielle. La perte de glace marine va en s’accélérant, ce qui signifie que vous verrez plus de bateaux de croisière comme le Crystal Serenity passer dans la région.

Un atelier de préparation fut élaboré avant le passage du Crystal Serenity. Il est devenu rapidement évident que ce serait un cauchemar, même si le bateau ne faisait que s’échouer et qu’il fallait faire évacuer tous les passagers pour les transporter vers le Sud en raison des distances, de la taille des aéroports dans la région de l’Arctique, du niveau de carburant disponible et du temps d’équipage pour les pilotes. Lorsque ceux-ci se rendent sur place, ils ne peuvent revenir, car ils ont écoulé toutes leurs heures de vol. Ainsi, seules quelques personnes pourraient être évacuées à la fois. Or, lorsque vous avez 1 600 personnes à évacuer, cela peut prendre un temps considérable.

En même temps, il vous faudrait écouler les réserves en carburant des petites localités, qui ne recevraient pas leur prochain envoi de carburant avant l’année suivante. Il vous faudrait envoyer du carburant par avion dans ces collectivités, ce qui est fort onéreux. Il est évident que nous serons ceux qui paieront une bonne partie de la facture en fin de compte.

Il est important de mettre en œuvre certaines des mesures préventives dont j’ai parlé. Je rajouterais un troisième point à votre liste, monsieur le président. Les corridors ayant déjà été étudiés par la Garde côtière et le Pew Research Center devraient être cartographiés de façon appropriée afin que tous sachent où ils s’en vont. La mesure devrait être obligatoire. Par la suite, certains pourraient se concentrer sur une petite zone à surveiller. Cela faciliterait la vie de tous.

La sénatrice Hartling : Vous soulevez de bons points. Nous ne voulons pas attendre que se produise une catastrophe significative avant de soulever des idées. Nous vous sommes reconnaissants de votre bon travail. Merci.

Col LeBlanc : Malheureusement, comme vous venez de le dire, il faudra probablement une catastrophe significative, une lourde perte humaine et l’échec du Canada décrié par les médias du monde entier pour que le gouvernement se décide à investir davantage dans le Nord.

Les gens ne comprennent pas à quel point la région de l’Arctique est grande lorsqu’ils la regardent sur une feuille de papier en deux dimensions. Or, le Centre du Canada se trouve dans la région de l’Arctique. En effet, il est situé près de Baker Lake au Nunavut. La région est grande, mais peu peuplée, il coûte très cher d’y faire des affaires. Cela fait tout de même partie de notre pays, et c’est le prix à payer pour préserver la région adéquatement.

La sénatrice Hartling : Vous avez tout à fait raison. Merci.

Le sénateur Gold : Nous espérons tous bien sûr qu’il n’y ait pas de catastrophe de grande ampleur. Cela étant dit, je crois qu’il est également important de mentionner que les chasseurs, les trappeurs et les pêcheurs mettent leur vie en péril quotidiennement. Certains disent que sauver une vie équivaut à sauver le monde entier.

Pourriez-vous nous donner une idée de l’ampleur du problème? Existe-t-il des statistiques quant au nombre d’incidents sur terre ou en mer dans le Nord? En existe-t-il quant à notre performance pour fournir des services de sauvetage à ceux qui se retrouvent en difficulté? Quelle est l’ampleur du problème? Quelle est notre performance lorsque vient le temps d’intervenir?

Col LeBlanc : Le problème est assez grave. Dans vos documents, les statistiques montrent qu’en moyenne 4,3 accidents se produisent par année en mer. Ces accidents continuent d’arriver. J’ai évidemment parlé des navires de croisière et des navires-citernes, car ceux-ci peuvent mener à une lourde perte humaine ou à une catastrophe environnementale. S’il fallait qu’une catastrophe comme celle de l’Exxon Valdez en Alaska se produise dans la région de l’Arctique, les coûts associés au nettoyage seraient faramineux, car l’infrastructure n’est pas présente dans la région. Il faudrait la faire venir par avion pour régler le problème. Comme je l’ai dit, en mer, les accidents sont constants.

Les personnes disparues relèvent davantage des territoires et, généralement, de la GRC. D’habitude, les Forces canadiennes offrent leur aide pour la recherche et le sauvetage des personnes. Cela se produit régulièrement. Ce sont généralement les Rangers qui composent le noyau du groupe de recherche et de sauvetage qui sera chargé de retrouver ces personnes.

Les Forces canadiennes aident en fournissant habituellement un avion C-130. L’avion C-130 ne détient pas de radar infrarouge dernier cri. Des observateurs se retrouvent donc à bord de l’avion, qui vole à une altitude relativement basse. Ces observateurs se servent de leurs yeux pour tenter de repérer des personnes en détresse. Le nouvel avion que nous recevrons sera bien mieux équipé. Si le nouvel avion était envoyé dans la région de l’Arctique, il faudrait que ce genre de système soit inclus.

Pour ce qui est des accidents aériens, je n’ai pas les statistiques en ma possession, mais elles sont aussi disponibles. Je me souviens d’une année où les décès dans la région de l’Arctique représentaient 25 p. 100 des décès lors d’accidents aériens au Canada. Je crois que 5 à 7 p. 100 des accidents aériens au pays se produisent dans la région de l’Arctique. Or, c’est souvent dans cette région que les personnes meurent pour des questions de temps.

Je me souviens d’un accident qui s’est produit alors que j’étais commandant des Forces canadiennes dans la région de l’Arctique. Le pilote et le passager d’un petit avion ont survécu à l’écrasement, mais sont morts de froid avant que l’équipe de recherche et de sauvetage n’arrive jusqu’à eux. Lorsque vous êtes blessés, que vous saignez et qu’il fait moins 40 degrés, il n’en demeure pas moins que vous êtes en état de choc en raison de la force d’impact à l’atterrissage. À moins que l’équipe de recherche et de sauvetage ne se rende sur place très rapidement, les personnes ne survivront pas.

Le président : J’aimerais me pencher sur l’octroi de contrats, car d’autres témoins en ont parlé à d’autres reprises. Rien ne se fait actuellement.

Considérez-vous que nous devrions envisager un projet pilote ou que nous devrions tout simplement aller de l’avant? Croyez-vous que nous devrions recommander qu’une portion de nos opérations de recherche et de sauvetage, surtout dans le Nord, soit sous-traitée?

Col LeBlanc : Je crois que l’idée d’un projet pilote est bonne. Si vous demandiez de le faire, je m’assoirais avec les représentants de Cougar Helicopters et j’examinerais leur expérience. Y a-t-il eu des problèmes? Qu’est-ce qui fonctionne et ne fonctionne pas? Quelle est la meilleure façon de faire les choses?

Je l’essaierais probablement à Cambridge Bay. Cambridge Bay a un aéroport d’une bonne taille qui peut recevoir un Boeing 737. La Station de recherche du Canada dans l’Extrême-Arctique s’y trouve. Cambridge Bay est une station qui commence à croître.

Un site de soutien logistique pour le Système d’alerte du Nord se trouve également à Cambridge Bay. On commence donc à augmenter nos actifs qui s’y trouvent. Cambridge Bay se trouve près du passage du Nord-Ouest — pas la route classique, mais celle qui est la plus utilisée — ce qui la place très près de l’action. C’est un endroit relativement central en Arctique. On pourrait voir comment cela fonctionne et ensuite faire quelque chose de similaire à Iqaluit pour s’occuper de l’Est de l’Arctique.

Cambridge Bay pourrait s’occuper du Centre et de l’Ouest de l’Arctique. Si on incluait aussi Resolute Bay — l’article que j’ai joint à votre documentation parle plus en détail d’ouvrir la voie à Resolute Bay pour augmenter les actifs là-bas. Nous n’avons même pas de couverture radar au nord du Système d’alerte du Nord. Pour tout ce qui se trouve au Nord de Cambridge Bay, à la pointe de l’archipel, il n’y a aucune couverture radar; on pourrait donc développer tous ces actifs.

Pour revenir à votre suggestion, on pourrait faire un projet pilote possiblement à Cambridge Bay ou à Iqaluit.

Le sénateur Christmas : Colonel, une de vos recommandations est de nous assurer que le système de gestion de recherche et de sauvetage qui est désuet soit remplacé par un système moderne dans un délai raisonnable. Pouvez-vous nous expliquer la raison pour laquelle le système actuel est obsolète?

Col LeBlanc : C’est une très vieille technologie qui ne s’est pas développée avec le temps. Le vérificateur général a dit que ce système était très près de s’effondrer. Si je me souviens bien, le rapport du vérificateur général date de 2011. Je pourrais me tromper sur la date, mais je suis certain que le vérificateur général a étudié le système et sa capacité à gérer la quantité d’information que nous pouvons générer aujourd’hui avec l’Internet, les caméras et les téléphones cellulaires. Un programme est en place pour remplacer le système par un système plus moderne. Cependant, pour revenir à un commentaire qui a été formulé plus tôt, notre système d’acquisition est très lent. C’est un système politisé. Cela prend du temps.

Prenez, par exemple, le remplacement des aéronefs de recherche et de sauvetage. Il a fallu près de 15 ans. Et on parle ici de sauver des gens plutôt que de construire un parc qui n’a aucune incidence sur la vie humaine.

Le sénateur Christmas : Vous avez parlé d’un système plus moderne et à jour. Y a-t-il des États ou des pays qui utilisent des systèmes plus modernes et à jour que ce que nous utilisons au Canada?

Col LeBlanc : Oui, monsieur.

Le sénateur Christmas : Selon vous, quelles sont certaines des caractéristiques principales de ces systèmes modernes par rapport au système que nous avons?

Col LeBlanc : Ce serait leur capacité à gérer un très grand nombre de sources d’information, qu’elles soient spatiales ou géodésiques ou qu’elles portent sur les données. De plus, il faudrait pouvoir enregistrer toutes les conversations et les actions qui se sont déroulées pour qu’elles puissent être utilisées dans un tribunal, si besoin est.

Le président : Chers collègues, notre deuxième témoin est en retard à cause d’un accident sur le Queensway, alors nous allons remettre son témoignage à une date ultérieure.

Merci pour votre présentation de ce matin. Vous nous avez fourni des renseignements très intéressants. Merci pour le complément d’information que vous nous avez donné. Nous allons certainement le prendre en considération.

Le Nord constitue une partie importante de notre étude. Des nombreux témoins nous ont dit que cette région était reléguée à l’arrière-plan. Nous espérons nous attaquer à ce problème pendant notre étude, et votre présentation de ce matin va grandement nous aider.

(La séance est levée.)

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