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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule nº 42 - Témoignages du 9 avril 2019


OTTAWA, le mardi 9 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 17 h 16, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir à tous. Bienvenue.

Avant de commencer, je veux que l’on parle rapidement des cloches qui se font entendre afin de nous convier au Sénat pour un vote qui aura lieu à 18 h 1. J’ai parlé à notre whip. En consultation avec le sénateur Gold, qui en parlera peut-être dans un instant, nous avons reçu la permission de poursuivre notre réunion si trois membres de chaque côté sont prêts à rester. Je suis l’un d’eux. Il y en a trois de l’autre côté qui acceptent de rester. Nous pouvons poursuivre notre réunion sans aller voter. Nous avons des témoins et une soirée chargée qui nous attend. Si nous retournons là-bas pour ensuite revenir ici, nous perdrons encore 20 ou 25 minutes. Ils survivront sans nous, ou enfin c’est ce qu’on dit. Je sais que ce sera difficile, mais je suis sûr qu’ils peuvent le faire. C’est ce que je vous propose. Sommes-nous d’accord de notre côté?

Le sénateur Gold : En tant qu'agent de liaison du Groupe des sénateurs indépendants, je tiens à demander à mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants s’ils acceptent de rester et de ne pas aller voter à la Chambre. En vertu de mon rôle, je dois aller voter ou être vu comme allant voter. Tant qu’on a un équilibre, tout le monde est heureux.

Le président : Essayer de rendre tout le monde heureux ici, c’est un travail à temps plein, alors si on peut le faire ici, au Comité des pêches, ce sera un point de plus pour nous.

Le sénateur Duffy : C’est par respect pour nos témoins, monsieur le président.

Le président : Exactement. Cela ne fonctionne pas souvent, monsieur le sénateur Duffy, mais ça fonctionne ce soir. Je suis heureux, et nous le sommes tous.

Encore une fois, bonsoir à tous. Je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador. Je suis heureux d’être président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Avant de céder la parole à notre premier témoin ce soir, je vais demander aux sénateurs qui sont parmi nous de se présenter.

Le sénateur McInnis : Tom McInnis, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick; bienvenue.

[Traduction]

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec. Bienvenue.

Le président : Le comité poursuit son étude du projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence.

Pour ce qui est de notre premier groupe de témoins ce soir, nous sommes heureux d’accueillir trois témoins : nous accueillons par vidéoconférence Mme Christina Burridge, directrice générale de la BC Seafood Alliance. Chelsey Ellis comparaît à titre personnel; elle est pêcheuse en Colombie-Britannique, et nous recevons également Gerard Chidley, propriétaire, capitaine du FV Atlantic Champion, de G&D Fisheries Ltd. de la merveilleuse province de Terre-Neuve-et-Labrador. Les deux sont présents dans la salle.

Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être là aujourd’hui. Je crois savoir que vous avez tous une déclaration préliminaire à présenter. Je vous rappelle que nous demandons aux témoins d’essayer de s’en tenir à cinq minutes, afin que les sénateurs aient le temps de poser des questions; je suis sûr qu’ils en auront beaucoup pour vous. Cela dit, je vais maintenant permettre à Mme Burridge de présenter en premier sa déclaration préliminaire, puis nous passerons aux autres témoins qui sont parmi nous.

Christina Burridge, directrice générale, BC Seafood Alliance : Merci, monsieur le sénateur Manning.

La BC Seafood Alliance est la plus importante organisation de pêche commerciale sur la côte Ouest. Tous nos membres sont des associations qui représentent des propriétaires et exploitants commerciaux de bateaux titulaires de permis œuvrant dans les principales pêches en Colombie-Britannique. Nous sommes vraiment heureux d’avoir l’occasion de fournir notre point de vue sur un projet de loi qui apporte des changements importants à la Loi sur les pêches. Nous soutenons les dispositions sur l’habitat, puisqu’elles ont fait l’objet d’importantes consultations, mais nous avons de grandes réserves au sujet des dispositions habilitantes concernant les permis et la politique sociale.

Mes commentaires porteront en premier lieu sur un amendement à un article proposé, l’article 2.1; deuxièmement, je veux m’assurer que les changements apportés concernant la participation autochtone et la cogestion respectent le pouvoir du ministre d’être l’unique gestionnaire des pêches visant une ressource de propriété commune; troisièmement, je parlerai des plans de rétablissement; et, enfin, quatrièmement, de la stabilité et de la prévisibilité pour tous les participants, y compris les participants autochtones du milieu des pêches.

Pour commencer, en ce qui concerne l’amendement proposé, le libellé actuel ne précise pas un objectif clair; il fait seulement état des outils. Nous estimons qu’il faut définir l’objet, comme c’est le cas dans la loi sur les pêches de la Nouvelle-Zélande et ailleurs où l’on mise sur des ressources de propriété commune, pour inclure l’utilisation. L’article 2.1 se lirait donc comme suit :

La conservation et l’utilisation durable du poisson et des ressources halieutiques par le contrôle et la gestion appropriées des pêches ainsi que la conservation et la protection de l’habitat du poisson, notamment par la prévention de la pollution.

Pour ce qui est de la participation et de la cogestion des Autochtones, le droit de gérer les pêches appartient au ministre, et il peut être transféré à d’autres seulement de façon très clairement définie. Le Parlement devrait éviter de donner au ministre le pouvoir inconstitutionnel de déléguer la gestion aux organisations autochtones. Un ensemble disparate de pouvoirs de gestion des pêches sur la côte Ouest serait désastreux pour la conservation et l’utilisation de la ressource par tous les Canadiens. Il doit y avoir un seul gestionnaire.

La récente décision Ahousaht et al. sur la côte Ouest confirme que, même si les nations ont des droits de pêcher et de vendre du poisson, cela reste un droit très précis, et la tenue de négociations bilatérales sur ce que ce droit signifie concrètement est inacceptable, parce que le MPO ne peut pas représenter les intérêts des autres secteurs.

Le jugement dit également que la renonciation volontaire aux permis reste le meilleur moyen de parvenir à une réconciliation dans le secteur des pêches, soulignant que les coûts de la réconciliation ne peuvent pas être uniquement assumés par les familles de pêcheurs commerciaux. Les Autochtones sont déjà très actifs dans le secteur des pêches sur la côte Ouest, et nous nous attendons à ce que leur participation continue d’augmenter. Environ un tiers des permis sont détenus par des personnes ou des organisations autochtones, de sorte que tout changement en matière de gestion des pêches et de politiques de délivrance de permis aura un effet sur eux aussi.

Nous recommandons aussi de circonscrire la disposition sur la confidentialité de tout savoir traditionnel. On devrait seulement utiliser les négociations bilatérales confidentielles pour suspendre ou fermer une pêche malgré les données scientifiques évaluées par des pairs, comme cela s’est produit en 2018 pour la pêche au hareng sur la côte centrale.

Pour ce qui est des plans de rétablissement, nous croyons qu’on a raison de conserver dans la version actuelle le pouvoir discrétionnaire du ministre, mais nous craignons que les 107 millions de dollars affectés pour ce travail soient inadéquats, surtout si la somme est répartie également entre les régions, plutôt qu’en fonction des stocks qui se trouvent sur la liste du vérificateur général. Sans ressources adéquates, le ministère se dirige droit vers des échecs embarrassants qui terniront la réputation du Canada.

Pour terminer, en ce qui a trait à la stabilité et à la prévisibilité, le dépôt des dispositions habilitantes concernant la politique de délivrance de permis et la politique sociale a déjà déstabilisé les investisseurs, et des millions de dollars d’investissement sont en attente sur les deux côtes. Sans un accès stable, il n’y a aucun incitatif à investir dans de nouveaux navires, de nouveaux engins écologiques, de nouveaux produits ni de nouveaux marchés. Pire encore, il n’y a aucun incitatif à investir dans la ressource, et bon nombre de nos pêches contribuent, à hauteur de 1 million de dollars ou plus pour chaque pêche, aux activités scientifiques du MPO chaque année.

Contrairement aux dispositions relatives à l’habitat, ces changements à la loi ont été apportés après un minimum de consultation et, à notre avis, cela a été fait à la hâte et avec peu de possibilités d’intervention. La situation a contribué au récent avertissement lancé par le fonds d’investissement dans les fruits de mer de la Norvège quant au « haut risque politique » lié aux investissements au Canada.

Le secteur du poisson et des fruits de mer fournit une alimentation durable aux Canadiens et au monde entier. Nous demandons au gouvernement trois choses : un accès stable aux ressources, un régime réglementaire moderne, stable et réceptif et un accès aux marchés. Les dispositions sur la délivrance de permis et toute réglementation connexe mineront la souplesse et l’innovation tout en allant à l’encontre de la réalité opérationnelle dans le milieu des pêches. Le gouvernement et l’industrie doivent avoir la capacité de réagir au changement.

Merci beaucoup à vous tous.

Chelsey Ellis, à titre personnel : Monsieur le président, merci beaucoup de me donner l’occasion de discuter avec vous ce soir.

Je suis une pêcheuse de troisième génération qui vient d’un petit village de l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai passé mes premières années sur l’eau à pêcher le homard et le pétoncle avec ma famille. En 2009, j’ai obtenu un diplôme en biologie après avoir étudié dans un programme fortement axé sur les sciences maritimes et j’ai accepté un poste d’observatrice des pêches à la National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis. J’ai ensuite occupé un poste de biologiste spécialiste des huîtres pour le gouvernement provincial de l’Île-du-Prince-Édouard, et je travaillais en parallèle à titre de coordonnatrice de la traçabilité des fruits de mer au Canada atlantique. Depuis sept ans, je travaille dans des collectivités côtières de la Colombie-Britannique en tant que coordonnatrice de la traçabilité des fruits de mer, biologiste des pêches, coordonnatrice du programme de contrôle électronique et femme de pont sur un navire de pêche commerciale. J’ai travaillé dans 11 pêcheries différentes sur les deux côtes canadiennes et américaines et je travaille actuellement en vue de l’obtention de ma licence de capitaine de navire de 150 tonnes. En outre, je suis membre du Young Fishermen’s Network de la Colombie-Britannique.

Je suis ici aujourd’hui pour présenter mon point de vue unique sur les changements proposés à la Loi sur les pêches. Je suis favorable à bon nombre des dispositions du projet de loi, mais je veux parler précisément de la référence, dans l’article 2.5 proposé, à la prise en considération des facteurs sociaux, économiques et culturels dans la gestion des pêches, ainsi que de la conservation et de la promotion de l’indépendance des détenteurs de permis au sein des pêches commerciales côtières.

La pêche commerciale est l’épine dorsale de ma collectivité de l’Île-du-Prince-Édouard. Les dispositions en place sur la côte Est protègent les propriétaires exploitants indépendants et en font la promotion. Cette pêche constitue un moyen de subsistance gratifiant et important qui aide les gens à rester là où ils sont.

Comme d’autres témoins l’ont dit, la situation est très différente sur la côte Ouest. En Colombie-Britannique, les politiques sur les propriétaires exploitants et la séparation de la flottille n’ont pas été mises en place, et l’aspect socioéconomique des pêcheries a été nettement négligé. Cette situation a mené à une augmentation constante des permis et des quotas qui échappent aux pêcheurs actifs des collectivités côtières.

Lorsque j’ai travaillé dans l’industrie des pêches commerciales de la Colombie-Britannique, dans de nombreux secteurs et dans différents rôles, j’ai appris à quel point les deux côtes sont différentes en ce qui a trait aux espèces présentes, au type d’équipement, à la côte en tant que telle et à l’histoire. Malgré les différences, préserver et promouvoir l’indépendance des pêcheurs actifs, quelle que soit la côte, donne de nombreux avantages tangibles et intangibles aux collectivités côtières auxquelles ils appartiennent.

Le Canada continue d’être un chef de file en créant certains des outils de gestion des pêches les plus novateurs du monde. Sur la côte Est, ces outils de gestion sont allés de pair avec la prise en considération équilibrée des valeurs socioéconomiques pour créer des pêches dynamiques et florissantes. Nous avons la capacité d’améliorer les pêches sur la côte Ouest en créant des cadres similaires qui sont uniques à la Colombie-Britannique et qui maintiennent l’équilibre socioéconomique crucial à une industrie de la pêche dynamique.

Nous sommes à un tournant sur la côte Ouest. Le transfert du savoir intergénérationnel essentiel à nos collectivités de pêche est gravement compromis. La majeure partie des jeunes des collectivités côtières ne travaillent pas dans le domaine, parce qu’ils ne voient pas en quoi ils ont un avenir dans cette industrie. Pour les rares jeunes pêcheurs qui persévèrent, il est encore plus difficile de gagner sa vie et de trouver un équipage sûr, fiable et professionnel avec qui travailler.

Les pêcheries sur la côte Ouest ont été jugées trop complexes pour qu’il soit possible de renverser la vapeur ou encore on a dit qu’elles étaient confrontées à des défis uniques comparativement à ce qui se passe sur la côte Est. L’honorable ministre des Pêches a même utilisé l’analogie d’une omelette, dont on ne peut pas reconstituer entièrement les œufs après les avoir mélangés. J’espère que l’idée que quelque chose est complexe ou difficile n’est pas ce qui empêche le gouvernement d’apporter des changements positifs qui seraient bénéfiques pour les Canadiens des générations à venir. Ce n’est assurément pas une situation qui s’est produite du jour au lendemain, et on ne peut pas non plus s’attendre à tout régler en claquant des doigts.

Notre gouvernement peut passer à l’action maintenant et prendre des mesures à long terme pour promouvoir et préserver l’indépendance des pêcheurs actifs dans toutes nos pêcheries. On pourrait le faire en mettant en place des mesures concrètes visant, en priorité, à permettre que les permis et les quotas restent entre les mains de ceux qui prennent les risques et qui font le dur et long travail nécessaire pour ramener à quai nos précieux fruits de mer canadiens et pour encourager une telle chose.

Sur la côte Ouest, le fait d’être titulaire d’un permis ne signifie pas nécessairement qu’on pêche activement du poisson, qu’on possède un bateau ou qu’on vit dans une collectivité côtière. Sans mesures en place pour soutenir et promouvoir les propriétaires exploitants, nous avons, au bout du compte, créé un environnement qui entraîne naturellement la prise de possession par des investisseurs et des sociétés plutôt que le maintien des pêcheurs indépendants. Cette situation crée une menace en matière de durabilité et de sécurité à long terme de la flottille de la Colombie-Britannique et favorise un système où il y a de plus en plus de locateurs et de moins en moins de propriétaires sur l’eau, ce qui entraînera une réduction générale de la qualité des produits et du niveau d’intendance environnementale et une augmentation du risque de blessure en mer.

Les connaissances requises pour la pêche commerciale sont extrêmement spécialisées et uniques. Pour tirer la pleine valeur de cette ressource merveilleuse, il faut attirer ceux qui ont les compétences et la passion requises pour créer un environnement de travail sécuritaire, positif et couronné de succès. C’est la raison pour laquelle je suggère d’inclure l’amendement suivant dans le projet de loi C-68 :

Que, au moment de prendre une décision en vertu de la présente loi, le ministre puisse tenir compte, entre autres choses, de la préservation ou de la promotion de l’indépendance des propriétaires exploitants dans toutes les pêches commerciales.

Ce serait une mesure positive permettant de maximiser les retombées sociales, économiques et culturelles pour les pêcheurs, les collectivités côtières et les générations futures de Canadiens qui veulent œuvrer dans le domaine. Pour beaucoup de personnes qui travaillent au sein de l’industrie, la pêche commerciale, ce n’est pas un simple emploi, c’est un mode de vie et, dans bien des cas, c’est une tradition familiale bien établie. C’est aussi une plateforme où se mettre au défi et tester et dépasser ses limites personnelles perçues. C’est un mode de vie qui crée un réel lien entre les gens et leur environnement; ça fait partie de leur identité personnelle.

Je suis optimiste à l’idée que l’adoption du projet de loi C-68 et des recommandations qui découlent de l’examen par la Chambre des communes de la réglementation des pêches sur la côte Ouest créera un avenir encore plus reluisant pour nos pêches, s’assurant ainsi que les Canadiens pourront avoir la même expérience positive que j’ai eue dans le milieu de la pêche commerciale, et ce, pendant des générations à venir.

J’ai remis un document à la greffière du comité. Je travaille sur la côte Ouest depuis sept ans, et j’ai photographié et interviewé ceux qui travaillent dans l’industrie. Je vous laisse un petit échantillon de ce qu’ils ont à dire, quant à la raison pour laquelle ils adorent pêcher et à leurs espoirs futurs. Merci beaucoup.

Gerard Chidley, propriétaire, capitaine FV Atlantic Champion, G&D Fisheries Ltd : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs, membres du personnel de soutien et autres témoins. Merci de me donner l’occasion de comparaître en personne pour formuler des commentaires qui, je l’espère, seront utiles. Je vais aussi vous faire certaines recommandations en cours de route. En tant que témoins, nous avons l’occasion unique, par l’intermédiaire du comité sénatorial, d’avoir une incidence positive sur l’orientation future de nos pêches.

Mon exposé aujourd’hui portera sur la composante opérationnelle du projet de loi C-68, tel que vu du point de vue d’un titulaire de permis indépendant. Je vais mettre l’accent sur les politiques qui ont une incidence sur l’exploitation d’une entreprise familiale à Terre-Neuve-et-Labrador, comme la politique sur le propriétaire exploitant, celle qui concerne les exploitants de remplacement et celle sur la séparation de la flottille. Je veux aussi formuler des commentaires sur la démarche de précaution et la gestion fondée sur l’écosystème, si le temps le permet.

Je suis titulaire d’un permis au sein d’une entreprise familiale où mon fils est capitaine du bâtiment et mon remplaçant désigné sur mon permis en ce qui a trait à l’exploitation. Mon fils, Gerard, s’occupe des activités en mer en vertu des mêmes conditions de permis que si j’étais sur le bâtiment, et je m’occupe de l’exploitation de l’entreprise sur terre. C’est ce que nous faisons ensemble depuis 20 ans, et nous estimons que les discussions sur la politique touchant les propriétaires exploitants et son application feront en sorte que je devrai retourner à bord du bâtiment, ce qui exige le licenciement d’un membre d’équipage. Tout cela, après 40 années investies en mer.

Moi-même, ainsi que d’autres pêcheurs, avons investi dans nos entreprises pour l’avenir et avons permis aux membres de notre famille d’avoir un avenir dans le secteur des pêches sans avoir à tout risquer et à subir les difficultés financières que supposent les coûts associés au démarrage d’une entreprise. Maintenant qu'on en est à un point où notre entreprise peut être exploitée par un membre de notre famille, on devrait ressentir de la fierté, et non pas se sentir menacé par une politique visant à nous protéger.

Nous faisons des sorties en mer de plusieurs jours avec un équipage de six hommes. Nous avons besoin de personnes compétentes pour faire fonctionner non seulement le bâtiment en mer, mais aussi l’entreprise sur la terre ferme. Nos conditions de permis ne tiennent plus en une seule page. Nous partons avec une mallette en mer et il y en a une autre au bureau. Nous sommes en 2019, et nous œuvrons dans un environnement mondial où l’on retrouve de multiples utilisateurs de l’océan.

Afin de définir le plan de relève de mon entreprise, j’ai demandé les conseils à l’ARC sur le transfert de l’entreprise à mon fils sous la forme d’un transfert intergénérationnel. Je vais utiliser cette situation comme exemple. On m’a dit que, si je procédais au transfert en ne demandant pas la valeur marchande actuelle et en vendant à moins que la valeur marchande actuelle, en tant que titulaire du permis, je serais responsable de payer l’impôt sur cette valeur ou une partie de la valeur au moment du transfert ou de la vente. Non seulement je pousserais mon fils à la faillite, mais je devrais moi aussi me résoudre à la faillite, parce que je veux vendre mon bien.

Étant donné le coût actuel d’une entreprise dans notre région et le processus de transition des crustacés au poisson de fond qui semble être en cours, ce n’est pas vraiment le bon moment pour investir. Il y a peu d’options. À l’instar d’autres, qui, comme moi, veulent exploiter nos entreprises familiales, j’ai souscrit des polices d’assurance pour payer le droit de succession associé à nos entreprises qui reviendront aux membres de notre famille à notre décès. Vous comprendrez donc pourquoi les discussions sur la politique du propriétaire exploitant me préoccupent comme elles préoccupent aussi d’autres titulaires de permis indépendants exploitant des entreprises familiales.

Ma recommandation, c’est d’ajouter une disposition à la politique du propriétaire exploitant qui permettra à un titulaire de permis exploitant une entreprise familiale d’avoir le statut de capitaine à terre. On s’assurerait ainsi que les titulaires de permis ne sont pas menacés par une interprétation quelconque de la politique.

Je veux maintenant parler de la politique de l’exploitant de remplacement et de la politique de désignation. C’est important pour les titulaires de permis indépendants qui ont passé une longue carrière en mer et qui se retrouvent maintenant en position de donner à une nouvelle personne l’occasion d’exploiter le bâtiment pendant quelques années et, éventuellement, d’acquérir un peu d’actif et une expérience utile avant d’investir dans une entreprise. C’est assurément de cette façon qu’on encouragera des jeunes à entrer dans le domaine des pêches. C’est quelque chose qu’on devrait promouvoir, pas empêcher. Ma recommandation, c’est qu’un titulaire de permis indépendant qui se retrouve dans une telle position puisse présenter une demande de désignation occasionnelle pour la durée d’une saison.

La politique sur la séparation de la flottille est de loin la meilleure garantie de la survie de nos pêches côtières et de nos collectivités. Je défends une telle notion, et ce, depuis longtemps. Cette politique nous a permis d’obtenir le titre de titulaire de permis indépendant. Cette politique a été grandement menacée au cours des dernières années en raison de la légalisation des accords de contrôle. Ce que j’essaie de dire ici, c’est que cela a été rendu possible parce que les transactions financières ont été exemptées de la définition du contrôle.

En vertu du programme PIFPCAC, les titulaires de permis indépendants étaient assurés d’avoir accès en premier à toute nouvelle occasion de permis, mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Dans la plupart des cas, la personne ou l’entreprise qui assure le contrôle a les ressources à sa disposition pour être informée en premier des nouvelles pêches ou des pêches émergentes. Nous ne pouvons pas emprunter la voie qu’ont empruntée nos homologues de la Colombie-Britannique, qui doivent payer tellement cher pour avoir accès aux ressources halieutiques que les redevances de location éliminent toute possibilité de viabilité économique. Ce n’est pas la pêche que je veux pour l’avenir. Ma recommandation, c’est qu’il faut commencer à éliminer ces accords de contrôle et veiller à ce que le MPO traite de façon diligente toutes les demandes de transfert de permis afin de s’assurer que le détenteur du permis continue de bénéficier de son utilisation.

Les politiques d’enregistrement des bâtiments varient d’une région à l’autre et, de façon générale, il s’agissait d’un bon outil de gestion au moment de leur mise en place. Cependant, nous nous retrouvons en 2019, et la plupart des espèces, voire toutes, sont visées par des quotas individuels ou des limites de sorties, pour ne nommer que certains des outils de gestion utilisés de nos jours dans le secteur des pêches. Nous nous retrouvons maintenant dans une position où le détenteur de permis devrait pouvoir décider lui-même du type et de la longueur du bâtiment et de la durée de l’enregistrement, tant que ses choix n’enfreignent pas les règles liées à la longueur du bâtiment inscrit sur le permis. Si nous n’influons pas sur les activités des autres pêcheurs et que nous avons nos propres allocations de quotas pour nos espèces, et que, en outre, nous renforçons les occasions économiques et la valeur des pêches, c’est quelque chose qui devrait être encouragé. C’est ce sur quoi on devrait mettre l’accent dans le secteur des pêches à l’avenir.

Je pourrais mentionner des exemples de cas où nous perdons une importante valeur économique au sein de notre industrie en raison de nos politiques archaïques qui doivent être retirées de la nouvelle Loi sur les pêches. Trop souvent, on met l’accent sur la gestion des gens plutôt que sur le mandat qu’on nous donne d’assurer la durabilité à long terme de nos ressources halieutiques et la viabilité à long terme de notre industrie de la pêche. Notre recommandation à cet égard est que le MPO élimine l’exigence d’enregistrement de 12 mois d’un bâtiment à Terre-Neuve-et-Labrador pour la remplacer par une exigence d’enregistrement de 30 jours. Cela permettra aux pêcheurs de créer des occasions économiques dans d’autres pêches où ils détiennent des permis.

L’approche de précaution est un outil de gestion efficace pour certaines espèces, mais ce n’est pas la réponse dans tous les cas. C’est lorsqu’elle est élaborée en partenariat avec les pêcheurs qu’elle est le plus efficace et couronnée de succès. À elles seules, les données scientifiques ne permettront pas de mettre en place une meilleure méthode de gestion des espèces sur cette tribune. Ce processus est très normatif et assorti de limites rigides où des mesures doivent être prises selon la biomasse des espèces. Le problème, c’est que toutes les espèces dépendent de l’interaction avec les autres, qu’il s’agisse de relations entre les prédateurs et les proies ou de considérations liées aux espèces fourragères.

Grâce à l’approche de précaution, on assure encore une gestion en mettant l’accent sur les différentes espèces individuelles alors que les décisions doivent être prises à la lumière de l’écosystème. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que toutes les espèces soient rétablies à 100 p. 100 en même temps. L’approche actuelle ne le permet pas, alors mon conseil, c’est de ne pas se presser à prendre des décisions, ici, qui pourraient avoir un impact grave sur la situation économique de notre industrie. Selon moi, et c’est aussi ce que pensent d’autres détenteurs de permis aux vues similaires, l’approche de précaution est utilisée comme outil en absence de conseils scientifiques quantifiables et défendables. Ce n’est pas ce à quoi nous avions souscrit.

Par exemple, la pêche au crabe est bonne à Terre-Neuve-et-Labrador depuis près de 20 ans. La pêche est gérée conjointement; c’est le fruit des données des scientifiques du MPO, de la participation et des commentaires des pêcheurs et de la direction du MPO. Ce processus devrait être louangé, et non pas remplacé. Nous recommandons que le processus fondé sur l’approche de précaution continue d’être considéré comme un outil de gestion efficace en assurant la participation des pêcheurs, depuis l’établissement des points de référence limites jusqu’au processus d’examen par les pairs. Lorsque des données historiques existent, il faudrait appliquer les modèles de façon à assurer l’applicabilité des résultats à la gestion des espèces en question à l’aide du processus fondé sur l’approche de précaution.

Le président : Merci, monsieur Chidley, et merci à tous nos témoins.

Le sénateur Gold : Merci d’être ici. Je suis sûr que je parle au nom de tous mes collègues lorsque je dis que c’est merveilleux que vous soyez tous là pour nous faire part de vos expériences diverses et approfondies et de ce que vous apportez dans le cadre de notre étude du projet de loi. C’est vraiment utile. Merci de tout ce que vous avez fait et des efforts que vous mettez dans votre travail. Nous avons peu de temps, alors je vais me limiter à poser une question à un témoin. J’en avais plusieurs, mais je suis sûr que mes collègues les poseront.

Ma question vous est destinée, madame Ellis. J’aimerais obtenir une précision au sujet de votre recommandation, puis j’ai une question plus générale. Vous avez recommandé de modifier l’article 2.5 de la loi du projet de loi pour que « la conservation et la promotion » figurent parmi les critères dont le ministre doit tenir compte. Il s’agirait d’assurer « la conservation et la promotion de l’indépendance des titulaires de licences ou de permis dans les pêches côtières commerciales ». Voulez-vous ainsi remplacer le libellé actuel, où il est question des titulaires de permis qui peuvent ou non pêcher et qui s’applique uniquement aux pêches côtières sur la côte Est, ou est-ce que ce que vous proposez viendrait s’y ajouter?

Mme Ellis : Il s’agirait de les inclure, pas comme ajout, mais comme amendement complet. Je pense qu’il serait bénéfique de favoriser ou de promouvoir les entreprises de propriétaires-exploitants dans toutes nos pêches. Je ne veux pas dire qu’on doit le faire, mais il s’agit de les préserver ou de les promouvoir.

Le sénateur Gold : J’aimerais obtenir une précision aux fins du compte rendu. Cela m’amène à la question plus large. Vous avez exprimé votre désaccord par rapport au point de vue du ministre selon lequel, dans la situation sur la côte Ouest, il est peu probable que vous puissiez reconstituer les œufs après avoir fait l’omelette. Ne diriez-vous pas que l’histoire et les traditions des pêches diffèrent sur les deux côtes? Avez-vous une idée de ce qui explique cela? Est-il vrai que les exploitants à grande échelle se font mieux entendre sur la côte Ouest ou sur la côte Est? Comment expliqueriez-vous l’impression de certaines personnes, y compris du ministre, selon laquelle les choses ont évolué de façon aussi différente?

Mme Ellis : On pourrait croire qu’il y a des priorités différentes au chapitre de la gestion. J’ai l’impression que des aspects socioéconomiques des pêches ont été enchâssés dans la gestion sur la côte Est, mais je n’ai pas vu la même chose sur la côte Ouest. C’est juste que ces deux régions différentes ont un mandat différent par rapport à ce qu’elles cherchent à obtenir des pêches. Cela tient aussi beaucoup à l’histoire.

Le sénateur Gold : Madame Burridge, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Burridge : L’histoire est très différente. Par exemple, les transformateurs ont toujours été en mesure de délivrer des permis pour cela depuis que notre accès est limité. Dans l’ensemble, je pense que cela procure une valeur ajoutée aux pêches. Je ne crois pas qu’un exploitant travaillerait dans la pratique en Colombie-Britannique. À quelques exceptions près, les flottilles de propriétaires exploitants que nous possédons en ce moment sont généralement les pires de la Colombie-Britannique sur le plan du rendement, surtout parce qu’elles n’ont pas beaucoup de poissons à pêcher.

Je suis d’accord avec Mme Ellis pour dire qu'il nous faut une conversation sur la façon dont les risques et les avantages sont partagés. Je ne crois pas que cela doive se faire au moyen de la législation.

Mme Ellis : Lorsqu’on a mis en place des mesures et commencé à délivrer des permis de pêche à accès limité, on a plafonné la propriété des permis à 12 p. 100. J’ai l’impression que ce plafond n’a pas nécessairement été maintenu, ou qu’il a peut-être diminué au cours des années suivantes. On a eu des préoccupations par rapport à cela au départ, et je ne crois pas qu’on les ait dissipées.

Le sénateur McInnis : Merci à vous tous d’être ici. Monsieur Chidley, ne partez pas. J’aurai une question pour vous plus tard.

Je voulais poser à Mme Burridge une question liée à ses observations, et particulièrement à la participation des collectivités autochtones à la pêche. Au paragraphe 2, à la page 2, sous la rubrique « Participation et cogestion des Autochtones », vous dites ceci : « Le droit de gérer les pêches appartient au ministre et il peut être transféré à d’autres seulement de façon très clairement définie. Le Parlement devrait éviter de donner au ministre le pouvoir inconstitutionnel de déléguer la gestion aux organisations autochtones. Un ensemble disparate de pouvoirs de gestion des pêches sur la côte Ouest serait désastreux. »

C’est drôle que vous en parliez, parce que j’ai pris quelques notes à ce sujet lorsque j’ai parcouru la loi. L’article 3 du projet de loi proposé renvoie à l’article 2.5, à la page 4. Il décrit ce que le ministre peut prendre en considération dans la prise de décisions en vertu de la loi. Il doit prendre en considération l’approche axée sur la précaution, les connaissances des collectivités et les connaissances traditionnelles des peuples autochtones. Parfois, je pense qu’il ne prend pas en considération le dernier autant qu’il le devrait. Les collectivités autochtones semblent assez renseignées au sujet des pêches. Y a-t-il un conflit pour ce qui est de savoir qui est l’autorité suprême entre les connaissances autochtones, les renseignements scientifiques, les connaissances des collectivités et celles des peuples autochtones?

Plus concrètement, par rapport à vos commentaires, je lis dans le projet de loi l’article 2.3, « Peuples autochtones du Canada ». Permettez-moi, monsieur le président, de le lire. Je crois qu’il est important. Il s’agit des droits des peuples autochtones du Canada, à l’article 2.3 :

Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte à la protection des droits des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Plus loin, sur l’obligation du ministre, l’article 2.4 dit ceci :

Le ministre prend toute décision sous le régime de la présente loi en tenant compte des effets préjudiciables que la décision peut avoir sur les droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Bien évidemment, cela ne donne pas carte blanche aux collectivités autochtones, mais cela leur confère un droit. Voici ce que je veux vous demander : à quoi faisiez-vous allusion lorsque vous en avez parlé? Vous ne dites pas qu’on donne carte blanche ou la gestion totale des pêches aux peuples autochtones, n’est-ce pas?

Mme Burridge : Je crois que ce que je veux dire, monsieur le sénateur, c’est que nous voyons sur la côte Ouest que les publications scientifiques examinées par les pairs sont éclipsées par les connaissances autochtones, et je crois que nous devons trouver un meilleur moyen d’équilibrer ces choses. Dans l’exemple que j’ai donné, nous avons une évaluation des stocks faite par les pairs et une capture ciblée. Les collectivités autochtones ne souhaitaient pas ce type de pêche, et donc, au nom de la réconciliation, on l’a suspendue. La suspension de ce type de pêche coûte 12 millions de dollars aux collectivités côtières. Au total, 40 p. 100 de la flottille de pêche au hareng est autochtone, et cela entraîne donc de profondes répercussions; je crois donc que le comité doit faire preuve de prudence. Manifestement, nous devrons trouver une façon de faire. Je suis tout à fait d’accord pour dire que les peuples autochtones auront une plus grande incidence sur la gestion des pêches dans l’avenir.

Le sénateur McInnis : C’est ce que dit le projet de loi, n’est-ce pas? Toutefois, ces articles que j’ai lus s’aventurent ailleurs. Je comprends ce que vous dites.

Monsieur Chidley, je me sens mal pour vous, parce que vous essayez d’amener les responsables de l’ARC à accepter quelque chose, et c’est un défi en soi. Que Dieu les bénisse, ce sont des gens fantastiques, mais... Cette situation a certainement des relents de bon sens : vous pourriez avoir un capitaine à terre. Je ne comprends pas toutes les ramifications, mais, en fait, ce qui se passe, c’est que votre fils et d’autres membres de la famille, un équipage de six personnes, selon ce que j’ai lu... Vous êtes à terre, et vous faites tous partie de l’entreprise. Donc, aujourd’hui, on a ce qu’on appelle des accords de surveillance, et j’aimerais que vous fassiez la distinction entre l’accord de surveillance et ce que vous proposez. En effet, ce que vous faites manitenant, c’est que vous inscrivez tout cela dans un testament, qui sera homologué, puis on versera les droits successoraux ou quoi que ce soit, et ceux-ci seront transférés au moyen de votre testament. Donc, pourquoi est-ce que Revenu Canada ne vous voit pas comme une partie constituante, et pourquoi est-il nécessaire pour vous d’être à bord du navire?

M. Chidley : Ce n’est pas Revenu Canada qui veut que je sois à bord du navire. C’est le ministère des Pêches et des Océans.

Pour ce qui est de la surveillance et de l’exploitant indépendant, dans le cas du dernier, la valeur utile du permis et les rouages utiles du permis demeurent liés au titulaire du permis. Tout cela est interrelié avec la politique de séparation des flottilles pour les navires de moins de 65 pieds, plutôt que dans les pêches commerciales et industrielles, du genre auquel les Ocean Choice International de ce monde participent. C’est une politique touchant les navires de plus de 65 pieds. Dans nos flottilles et notre région, la politique du propriétaire-exploitant est celle qui s’applique.

En ce moment, le problème avec le libellé actuel du projet de loi, c’est que le titulaire du permis doit être à bord du navire pour être en mesure de l’exploiter. Cela va tout à fait à l’encontre de l’exploitation d’une entreprise. Nous sommes en 2019, et plus dans les années 1970. Lorsque vous avez un équipage d’hommes à bord, vous devez en fait vous occuper de tout ce qui va des problèmes qu’ils vivent dans leur propre famille jusqu’à vos propres problèmes, en plus de traiter avec le MPO et de régler d’autres questions qui surviennent à ce moment-là. Le gars en mer ne peut pas le faire, mais la personne qui est partie prenante dans les accords de surveillance, l’entité de régulation, a toujours quelqu’un à terre qui s’en occupe. Ces personnes possèdent leurs équipes juridiques et ont leurs propres conseillers. Avant que l’encre n’ait séché dans la Loi sur les pêches, il y a quelqu’un du milieu juridique qui est en train de contourner ce que nous sommes sur le point d’examiner, mais je ne peux pas le faire, car je n’en ai ni les moyens ni les ressources, parce que je suis un titulaire de permis individuel à qui on pourrait maintenant demander de remonter à bord d’un navire.

Le sénateur McInnis : Que vous a dit le ministère des Pêches et des Océans à ce propos?

M. Chidley : Il nous limite à une politique de 60 jours ou à un maximum de 120 jours. Ce ne sont que quatre mois. S’il ne me reste plus de jours, je dois obtenir un billet du médecin, et je ne mentirai pas pour qui que ce soit. Je ne suis pas malade. Si je tombe malade, si c’est la volonté de Dieu, ce ne sera pas mon problème, mais je ne vais pas mentir pour rester à terre. J’aimerais mieux me présenter devant un tribunal et contester l’affaire. Le problème, c’est que, après 120 jours, le ministère ne délivrera juste pas à mon fils le permis nécessaire pour qu’il puisse exploiter le navire.

Le sénateur McInnis : Combien y a-t-il de situations comme celle-là?

M. Chidley : Dans notre collectivité, il y en a énormément. Ce sont surtout des questions entre père et fils et père et fille. Nous bâtissons l’entreprise pour l’avenir, et celle-ci ne serait, en fait, pas pour tous. On a déjà utilisé cette façon de faire à un certain moment à Terre-Neuve-et-Labrador, et certains gars s’étaient vu décerner le statut de capitaine à terre. Il n’y a donc rien de nouveau, mais ils n’ont pas réussi à le faire maintenant. Cela se passe à une époque où nous essayons d’encourager les jeunes à jouer un rôle dans l’industrie. Comment peuvent-ils le faire si leur père est obligé de remonter à bord du navire, remplaçant ainsi un membre de l’équipage? Il est inutile d’avoir plus de gens que ce que vous pouvez entièrement employer.

En ce moment, nous serons bien plus rentables si mon fils et l’équipage exploitent ce navire et que j’observe le rivage, parce que 2 ou 3 points le litre d’essence, c’est énorme pour les 10 000 litres le voyage, et 5 cents l’appât, lorsque vous transportez 6 000 ou 7 000 livres par voyage, c’est une énorme différence. Vous devez toujours soupeser ces éléments de négociation. Le coût de la nourriture elle-même. À une époque, l’équivalent de 400 $ de nourriture remplissait l’arrière d’une camionnette. Maintenant, on peut tout transporter dans un petit chariot d’épicerie. Voilà la différence. Nous dirigeons maintenant l’entreprise, et c’est ce pourquoi la personne doit être à terre.

Si l’on respecte la lettre de la loi avec la politique du propriétaire-exploitant, essentiellement, mon fils sera obligé de s’endetter parce que je devrai vendre l’exploitation, car j’aurai 65 ans l’an prochain. Je devrai vendre l’exploitation. Il est aux commandes en mer en ce moment, tout aussi compétent que je l’aie jamais été. Je lui ai servi de mentor pour qu’il se rende là, et c’est ainsi que nous le voulions. On me met donc dans une position où toutes nos économies et tout le reste partiront en fumée, parce que je devrai payer des impôts et qu’il sera obligé de s’endetter, et pourquoi? Nous essayons de gérer des gens, pas les ressources de pêche. C’est ça, le problème.

Le sénateur McInnis : Depuis combien de temps y travaillez-vous?

M. Chidley : J’ai fait mon premier voyage à six ans...

Le sénateur McInnis : Non, non, je ne parle pas de cela. Depuis combien de temps essayez-vous d’obtenir cet amendement?

M. Chidley : Depuis 2004, je dirais. Celui-ci a vu de nombreux changements de gouvernement et de nombreuses discussions différentes dans les bureaux régionaux du MPO. Il n’y a eu aucune politique, et pourquoi? Parce qu’une Loi sur les pêches vieille de 150 ans dit que nous ne pouvons pas le faire. Nous avons ici l’occasion de bien faire les choses. Je ne me presserais pas de le faire approuver et exécuter juste pour dire que nous avons fait adopter le projet de loi C-68.

La sénatrice Poirier : Merci à vous tous d’être ici. J’ai quelques questions, et je suis sûre que le président me le fera savoir quand mon temps de parole sera écoulé.

Ma première question s’adresse à Mme Burridge, de la BC Seafood Alliance. Vous avez parlé de stabilité et de prévisibilité à l’égard de la disposition sur la politique de délivrance des permis. J’avais interrogé le témoin précédent au sujet des modifications proposées, dont le ministre nous a dit qu’elles seraient apportées au moyen des règlements, et le témoin de la semaine dernière semblait satisfait. Pourriez-vous s’il vous plaît expliquer vos préoccupations concernant la modification de la politique de délivrance des permis et nous dire, à votre avis, quelle serait la meilleure approche pour améliorer la délivrance des permis?

Mme Burridge : À mon avis, la politique de délivrance des permis devrait être une politique et ne devrait en aucun cas se retrouver dans la législation. Je crois que les priorités du MPO devraient se résumer à l’évaluation des stocks, à la conservation et à l’application de la loi. La façon dont les gens dirigent leur entreprise n’est pas, je crois, une question de droit, tant et aussi longtemps que c’est légal.

La sénatrice Poirier : Merci.

Madame Ellis, le projet de loi C-68 aidera-t-il les pêches de la côte Ouest à adopter une séparation des flottilles semblable afin de renforcer l’indépendance, et, sinon, comment peut-il être modifié pour atteindre cet objectif?

Mme Ellis : Je crois que l’adoption du projet de loi C-68 sera utile en raison de l’article où il est dit que le ministre peut prendre en considération les facteurs sociaux, économiques et culturels dans la gestion des pêches. J’espère que cela permettra un examen approfondi des pêches de la côte Ouest et des aspects socioéconomiques. Je crois que les amendements qui pourraient aussi donner un coup de pouce à la côte Ouest seraient ceux qui tiendraient compte de la promotion et de la préservation des propriétaires exploitants dans toutes nos pêches, pas juste les pêches commerciales, côtières et atlantiques.

La sénatrice Poirier : La question s’adresse à vous trois. J’aimerais obtenir votre avis sur une partie du projet de loi qui a à peine été effleurée. Elle concerne la délivrance de permis dans le secteur des pêches. Le projet de loi C-68 propose un vaste éventail de modifications du permis, et nous en avons parlé. Lorsqu’on lit l’article concerné, ce n’est pas clair. La semaine dernière, j’ai interrogé le ministre mardi, et ses réponses n’étaient vraiment pas claires non plus. Comme pour la plupart de ses réponses, il dit que ce sera intégré dans le règlement, pour lequel le délai n’est pas clair non plus. Est-ce inquiétant pour vos associations respectives? Avez-vous été consultés par rapport au libellé utilisé pour les articles sur la délivrance de permis dans le projet de loi? J’aimerais vous entendre tous les trois.

Mme Burridge : Cela me préoccupe aussi. Les dispositions sur la délivrance de permis sont des dispositions habilitantes. Le ministre peut déjà faire toutes ces choses étant donné son pouvoir discrétionnaire. Je ne crois pas que cela doive figurer dans la législation. Pour ce qui est de savoir si nous avons été consultés, nous avons proposé des commentaires sur la préservation de l’indépendance des pêcheurs côtiers de la côte Est, donc j’imagine que cela compte pour une consultation. Pour être bien franche, toutes ces parties sociales et celles sur la délivrance de permis ont été jetées dans le projet de loi à la dernière minute, à la suite d’une consultation très étendue relative aux dispositions sur l’habitat; je ne crois pas qu’on l’ait fait de manière appropriée et je ne voudrais pas voir d’autres changements sans qu’il y ait une pleine consultation des gens de la côte Ouest.

Mme Ellis : Je suis inquiète, juste à voir que les choses sont trop compliquées ou plus compliquées, mais je suis optimiste par rapport aux commentaires du ministre selon lesquels la Chambre des communes se penche là-dessus au moyen d’un examen, et j’espère qu'il en sortira des choses positives.

M. Chidley : La consultation est un vilain mot, dans un sens. La consultation d’une demi-douzaine de personnes ou de deux groupes vous permet-elle de remplir votre engagement? Les consultations... Nous n’avons pas beaucoup entendu parler de changements apportés à des aspects de la délivrance de permis, car, en fait, je dirais probablement que les questions environnementales qu’englobe le projet de loi C-68 sont peut-être une des choses dont on entend le moins parler. C’est probablement la raison pour laquelle peu de pêcheurs indépendants ont comparu devant vous, car les gens ne s’y intéressaient pas, simplement parce que ça existe depuis très longtemps et que ce n’est pas rejeté à la table, mais c’était annulé ou modifié par le gouvernement. Vous espérez que, lorsqu’ils arriveront enfin avec quelque chose, ils ne le feront pas à la hâte.

Ç’aurait été une tâche fantastique pour un groupe comme le défunt Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, qui était autrefois ici pour amener les choses sur le terrain et voir quels changements s’imposaient, au lieu que le Sénat invite des intervenants. À mon avis, nous devons mener d’autres consultations à ce sujet, parce que ce n’est pas la beauté du véhicule qui compte; ce qui importe, c’est le châssis. Je suis d’accord avec les intervenants précédents. Le problème avec les conditions de délivrance de permis, c’est la façon dont on opérationnalise les choses, c’est ce qu’on n’a pas vu. Nous aimerions avoir un aperçu avant de former une conviction ferme à ce sujet.

Le président : J’aimerais rappeler aux sénateurs et à nos témoins que notre temps est compté. Je n’aime pas interrompre une discussion. J’aimerais entendre ce que tout le monde a à dire, mais j’ai le maillet, et si je dois l’utiliser, je le ferai.

La sénatrice Busson : J’ai quelques questions, dont une précisément pour Mme Burridge. J’aimerais connaître votre approche, certes, puisque vous venez de la Colombie-Britannique et étant donné l'énorme industrie qu’est la pêche sur la côte Ouest. J’ai remarqué que l’une de vos recommandations d’amendement portait sur l’objet. Vous avez formulé deux recommandations aux alinéas 2.1a) et b). À l’alinéa 2.1a), il s’agit manifestement de la conservation et de l’utilisation durable des pêches. Je peux voir pourquoi vous voulez inscrire cela dans l’amendement. Je m’intéresse à l’alinéa 2.1b). Il dit ceci :

La conservation et la protection de l’habitat du poisson, notamment la prévention de la pollution.

La loi dit en fait « la protection du poisson et de son habitat ». Avez-vous omis intentionnellement les mots « du poisson et de son habitat »? Pourriez-vous, s’il vous plaît, l'énorme industrie?

Mme Burridge : Ce n’est vraiment pas intentionnel. Je ne voulais pas l’exclure. Je suppose que j’essaie de faire très court. De mon point de vue, ce que l’on doit inclure, c’est l’utilisation durable, parce que c’est la raison pour laquelle nous avons des pêches commerciales.

La sénatrice Busson : Merci. Je me demandais s’il y avait une raison pour laquelle vous aviez omis le mot « poisson » dans le deuxième alinéa. Je vous remercie.

J’ai une question rapide pour nos invités, et je vous remercie d’être venus. Nous avons entendu d’autres témoins et nous vous entendons tous les deux parler aujourd’hui de la différence entre la côte Ouest et la côte Est et de la façon dont vous recommandez, madame Ellis, que notre modèle se compare davantage à celui de la côte Est. En même temps, monsieur Chidley, je vous entends dire que vous êtes obligé de suivre un modèle qui ressemble presque à celui de la côte Ouest. Est-ce que j’ai bien compris ce que vous disiez de votre côté, que vous perdez la capacité de faire les choses qui rendent la pêche de la côte Est plus rentable, plus ouverte et plus conviviale à la pêche générationnelle?

M. Chidley : Au cours des dernières années, c’est arrivé, et tout est question de contournement des règlements, d’accords de surveillance et de définitions. Il y a toujours quelqu’un qui souhaite participer, c’est comme une danse. Il y a toujours quelqu’un qui souhaite le faire. Si vous avez un pêcheur de type 2 qui peut viser une part de 10 p. 100 du marché, c’est mieux que d’obtenir 4 ou 5 p. 100 comme membre d’équipage. L’entreprise dit : « Nous vous donnerons 10 p. 100 de la valeur de toutes vos prises pour mettre ce permis à votre nom et nous financerons le navire pour vous. » Le navire pourrait valoir 1 million de dollars, mais on le financera pour 5 millions de dollars. C’est la différence dans le permis. On finançait non pas le permis, ce que vous n’étiez pas autorisé à faire, mais bien l’infrastructure nécessaire pour pêcher le poisson.

La sénatrice Busson : C’est une solution de contournement.

M. Chidley : C’est une solution de contournement. C’est le problème avec la façon dont on l’a fait. Les accords de surveillance ont été légalisés car les engagements financiers ont été retirés de la définition.

La sénatrice Busson : Sans vouloir vous mettre des mots dans la bouche, je m’inquiète du fait que la viabilité de la pêche sur la côte Est soit peut-être en péril si l’on continue de fonctionner de la sorte, et qu’on vous mette peut-être dans une position où vous examinez des facteurs économiques comme ceux de la côte Ouest qui rendent tout cela impossible.

M. Chidley : C’est ce qui nous préoccupe. Je suis membre de Fish, Food and Allied Workers Union, et je crois que le président a comparu ici il n’y a pas très longtemps. Je crois que Keith a probablement abordé une partie de ces questions ainsi que les préoccupations actuelles.

Nous faisons de notre mieux pour prévenir toute érosion supplémentaire en continuant d’insister pour dire que cela ne devrait pas se produire. Parmi les recommandations que j’ai formulées, le MPO devrait faire preuve de diligence raisonnable. Lorsque quelqu’un vient à la table et dit : « Nous voulons transférer ce permis », si ce permis n’a été transféré que d’un nom à l’autre, vous devriez pouvoir demander : « Qui payait pour cela par le passé? » Vous devriez être en mesure de découvrir les rouages internes afin de savoir qui possédait le permis auparavant, qui le payait et qui le fera maintenant, car c’est la seule façon d’y mettre fin, de prévenir les transferts de ces permis. Vous pouvez transférer la richesse ailleurs. Dans la pêche extracôtière, c’est ainsi qu’on appelle la pêche sur des navires de 40 à 65 pieds dont je fais partie, cela arrive très souvent. Même si on dit : « Non, il n’y a pas d’accords de surveillance », ce n’est pas vrai. Je peux en nommer plusieurs, mais le MPO dit qu’il n’y a pas d’accord de surveillance dans le cadre de la définition.

La sénatrice Busson : Madame Ellis, selon ce que vous dites, je tiens pour acquis que vous avez un point de vue très unique en raison de votre expérience scientifique et en votre qualité de matelot et de pêcheuse. Espérez-vous parfois devenir capitaine de navire? Vous espérez obtenir votre certificat. Est-ce une possibilité dans votre monde, ou l’écartez-vous pour des raisons financières?

Mme Ellis : Je demeure optimiste, bien sûr, que je participe avec ma famille sur la côte Est ou bien d’une quelconque façon sur la côte Ouest. En ce moment, si je voulais continuer d’avancer et évoluer sur la côte Ouest, j’aurais des préoccupations. Je crois que moins de gens seront en mesure de devenir propriétaires exploitants indépendants, ce que j’espère pouvoir faire. L’environnement n’est pas très accueillant pour ceux qui veulent demeurer indépendants et peut-être vendre leurs propres prises à la localité ou à des collectivités, juste posséder ce même type d’expérience. J’hésiterais à investir dans les pêches de la côte Ouest en tant que jeune pêcheuse.

Le sénateur Christmas : La semaine dernière, nous avons reçu un témoin du Conseil canadien des pêcheurs professionnels, qui nous a mentionné que l’une des difficultés dans les pêches est la planification de la relève. Il n’y avait pas de jeunes qui étaient attirés par l’industrie de la pêche. J’ai remarqué que vous avez dit dans vos commentaires, madame Ellis, que la majorité des jeunes membres des collectivités côtières n’entrent pas sur le marché du travail parce qu’ils n’estiment pas qu’il y a un avenir pour eux dans l’industrie. Vous réitérez essentiellement ce que les pêcheurs de poissons indépendants nous disaient la semaine dernière. Pourriez-vous prendre quelques moments pour expliquer pourquoi vous croyez que les jeunes ne sont pas attirés par la pêche commerciale?

Mme Ellis : Je pense que les jeunes ne sont pas attirés par l’industrie, car il est très difficile de passer du pont à la timonerie et de posséder sa propre entreprise. La pêche commerciale a de très graves répercussions sur votre organisme, et j’ai vu beaucoup de gens qui ont voulu rester dans la pêche et qui travaillent encore sur le pont à 40 ans. Même moi, après une saison, je suis exténuée. Je pense qu’une transition plus raisonnable du pont à la timonerie permettrait de garder plus de gens à bord.

Lorsque je pêchais la crevette, je travaillais avec un équipage de quatre pêcheurs professionnels, qui ont tous quitté le secteur depuis dans le but d’occuper d’autres emplois susceptibles de leur apporter davantage de sécurité financière, notamment en obtenant leurs papiers de capitaine de pêche et en travaillant dans des bassins de rétention dans les champs de pétrole. C’est vraiment une très belle vie, et j’espère que les gens pourront en faire l’expérience.

Le sénateur Christmas : Moi de même. J’espère qu’il y a moyen de garder l’industrie prospère et vivante avec les jeunes.

Je sais que mon temps de parole est limité, mais j’essaie de comprendre quelque chose que M. Chidley a mentionné. Si je comprends bien les politiques relatives aux propriétaires exploitants, cette nouvelle loi convertira ces politiques en règlement. Cela les convertira en loi. J’avais supposé, et je me trompe peut-être, que la politique relative aux propriétaires exploitants existante reconnaissait des rôles comme celui de capitaine à terre, mais j’ai l’impression, d’après votre longue lutte à ce sujet, que ce n’est pas le cas. Si je ne m’abuse, vous me dites que, si la politique existante relative aux propriétaires exploitants est simplement convertie en règlement et devient loi, il n’y a pas de place pour les capitaines à terre dans ce nouveau règlement ou cette nouvelle politique?

M. Chidley : Je dirais qu’il y a environ 1 ou 2 p. 100 des capitaines titulaires de permis à Terre-Neuve-et-Labrador qui ont bénéficié, il y a bien des années, de droits acquis, à titre de capitaine à terre, grâce à un fonctionnaire du MPO. Toutefois, c’était tout; clair et net, terminé. Après cela, tout le monde est assujetti à une politique. Nous disposons d’un nombre limité de journées de désignation que nous pouvons utiliser par année, et c’est 120 jours.

En vertu de la nouvelle Loi sur les pêches, si la politique relative aux propriétaires exploitants devient un règlement, les gens qui ont le statut de capitaine à terre ne posent pas problème — vous avez raison de dire ce que vous dites —, mais le reste d’entre nous seront assujettis au nouveau règlement, et nous devrons revenir à bord du navire. Voilà la différence.

Ce que nous constatons, c’est qu’il existe ici une possibilité, pour quiconque dirige une entreprise familiale, et ce, depuis très longtemps, d’obtenir le statut de capitaine à terre en vertu de la nouvelle loi. Les gens qui souhaitent attirer de nouveaux venus dans la pêche et l’exploitant indépendant qui en fait partie, quand ils se trouvent dans la position de pouvoir demander une désignation saisonnière... Ce n’est pas la même chose que le statut de capitaine à terre. Toutefois, cela donne la possibilité que d’autres personnes montent à bord du navire et saisissent l’occasion de le faire fonctionner et de voir si c’est ce qu’ils veulent faire à l’avenir avant d’investir les 3 ou 4 millions de dollars nécessaires.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Chidley. J’aimerais continuer avec vous plus tard et voir comment nous pouvons trouver les mots justes pour refléter cela.

Le président : Madame Ellis, lorsque vous avez parlé de 40 ans, la plupart d’entre nous au Sénat ne croient pas que 40 ans est très âgé. Si vous regardez autour de la table, vous voyez beaucoup de cheveux gris. Dans le cas du sénateur Duffy, peut-être peu de cheveux.

Le sénateur Duffy : Merci, monsieur le président. Je suis jaloux de vous tous, de vos cheveux.

Madame Ellis, je suis sûr que vous êtes au courant. À l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons 1 200 pêcheurs côtiers qui s’occupent de la pêche au homard, et ce sont tous des exploitants individuels. Si nous adoptons le changement proposé, risquons-nous de les voir anéantis et remplacés par des navires de pêche privés?

Mme Ellis : Je ne crois pas, pas avec l’adoption de ce projet de loi. Sans l’adoption du projet de loi, je pense que cela pourrait être une menace. Je pense que le projet de loi contribue à promouvoir les propriétaires exploitants indépendants, si je comprends bien.

Le sénateur Duffy : Monsieur Chidley, les agriculteurs veulent céder leur ferme à leur famille; et ils obtiennent un traitement fiscal particulier de Revenu Canada. Est-ce essentiellement ce que vous recherchez?

M. Chidley : Sauf que cela ne va pas assez loin, car cela signifie un point de vente, et je ne suis pas intéressé à vendre. Je suis intéressé à donner mon entreprise à ma famille, à mon fils, parce que, à force de suer sang et eau, en une vingtaine d’années, nous avons construit un nouveau bateau en 2003. Nous avons commencé à utiliser le bateau pour la pêche avant même d’en être propriétaires, et nous nous retrouvons dans une situation où le moment est idéal pour un tel projet, pour remettre le bateau entre ses mains. C’est mon plan de retraite, mais je ne veux pas que ma retraite lui coûte la vie. En fait, c’est ce que cela finit par faire. Lorsque vous devez 4 ou 5 millions de dollars, vous devez payer un lourd tribut. C’est ce qu’il faut maintenant pour bâtir et exploiter une entreprise comme la nôtre.

Le sénateur Duffy : Si j’ai bien compris, il en coûterait 4 ou 5 millions de dollars à votre fils pour reprendre l’entreprise familiale?

M. Chidley : Oui, selon mon évaluation. La valeur marchande pourrait s’élever à 6 millions de dollars mais, si je la lui vends pour 3 millions de dollars, il se retrouve maintenant avec une dette de 3 millions de dollars, et je suis responsable des impôts sur les 3 millions de dollars restants. Bienvenue dans notre réalité.

Le sénateur Duffy : Alors, comment pouvons-nous vous aider?

M. Chidley : L’une de mes recommandations, c’est que nous le prévoyions, que j’obtienne le statut de capitaine à terre. Ainsi, nous pouvons exploiter le navire comme nous le faisons depuis 20 ans. Ensuite, il n’aura pas à contracter un emprunt. De toute façon, le bateau va finir par lui revenir, avec l’attrition naturelle à la suite de ma disparition, mais je ne vais nulle part pour le moment. Tous les deux, nous dirigeons toujours l’entreprise. Même à 64 ans, je pêche toujours. Je suis toujours en déplacement; je fais toujours quelques sorties à bord du bateau, mais ce sera son gagne-pain. Je n’ai pas acheté l’entreprise pour la vendre. Nous l’avons achetée pour l’exploiter dans l’avenir.

Il y a le travail que notre bateau procure dans la collectivité. Chaque fois que nous arrivons au quai, il y a 60 personnes qui travaillent, et nous ne vendons pas nos produits sur la côte Sud. Nous débarquons tous nos produits sur la côte Sud, mais ils sont transformés à Cape Broyle puis vendus à l’étranger. C’est la différence. Les gens attendent avec impatience le bateau à son arrivée. Si celui-ci est vendu à quelqu’un d’autre, il risque de se retrouver sur la côte Sud, la péninsule nord ou dans le Canada atlantique.

Le sénateur Duffy : Chelsey, vous avez vu les deux côtes et vous comprenez ce que la pêche représente pour nos milliers de petites collectivités et de ports répartis dans l’ensemble du Canada atlantique. Vous avez également vu la côte Ouest. D’après ce que vous avez dit, vous voulez créer ce même genre d’esprit communautaire sur la côte Ouest.

Mme Ellis : C’est vrai. Je pense que, si des pêcheurs actifs détenaient des permis et des quotas, nos collectivités pourraient ainsi en retirer des avantages.

Je demanderais ceci à M. Chidley : un régime fiscal serait-il plus avantageux que la création d’un transfert, afin que vous puissiez transférer ce statut? J’ai le sentiment que le statut de capitaine à terre pourrait donner lieu à une position très vulnérable, car nous sommes sur la côte Ouest. Il serait possible, sur le plan juridique, qu’une personne à terre soit celle qui possède et contrôle les permis et que quelqu’un d’autre pêche pour son compte à elle. Serait-ce une occasion d’avoir un meilleur système de planification de la relève et serait-ce utile?

M. Chidley : Cela serait possible, sauf que ma préoccupation première est l’entreprise familiale. C’est une entreprise familiale depuis le premier jour, et elle doit être désignée spécifiquement dans une catégorie différente, car c’est une catégorie différente. Il y a des gens qui dirigent des entreprises et qui sont à l’affût de possibilités de vendre. Ce n’est pas mon cas. Il y a un certain nombre de personnes sur la côte Sud d’où je viens, qui dirigent une entreprise familiale. Je peux en nommer sept ou huit. Les fils gèrent les bateaux, et ils ont ces entreprises depuis quelque temps. L’idée qui sous-tend tout cela, c’est qu’ils cherchent une façon de pouvoir rester à terre et de laisser leurs fils exploiter l’entreprise; puis, les fils finissent par en hériter après leur décès. Sauf si une politique fiscale a été mise en place pour nous permettre de la céder sans entrave en ce qui concerne les impôts... Actuellement, c’est une entrave.

Le sénateur Duffy : Dans votre mémoire, madame Burridge, vous parlez de stabilité et de prévisibilité. Vous dites que la politique actuelle a déstabilisé le secteur, avec des millions de dollars qui n’ont pas été investis parce que les gens ne savent pas où cela va mener. Comment résumez-vous la situation lorsque vous voyez des gens sur la côte Est qui tentent de maintenir une pêche traditionnelle qui fournit de l’emploi à des personnes, des familles et des ports locaux, par rapport à la grande activité que nous observons sur la côte Ouest? Quel est votre message? Les deux peuvent-ils cohabiter?

Mme Burridge : Je pense que ce qui fonctionne sur la côte Est ne fonctionnera pas en Colombie-Britannique. Le modèle ne peut tout simplement pas être transféré. Je vous transmettrais le message suivant : une des différences fondamentales tient au déclin spectaculaire des récoltes observé en Colombie-Britannique au cours des 25 dernières années. La récolte de mollusques et crustacés est en baisse de 32 p. 100. La récolte de poissons de fond a diminué de 42 p. 100. La récolte de harengs accuse une baisse de 50 p. 100, et la récolte de saumons, de 66 p. 100. C’est là que résident nos problèmes, et je ne crois pas que la situation va changer radicalement. Nous avons une surcapacité. Il n’est pas possible que tous les bateaux partent à la pêche.

Mme Ellis : Il y a une grande richesse à tirer de l’industrie de la pêche commerciale de la Colombie-Britannique, et je pense qu’elle l’est effectivement. Je crois simplement que la possibilité de retirer une partie de cette richesse à nos collectivités a de très graves effets négatifs sur la viabilité de nos flottilles. Les gens n’investissent pas dans de nouveaux bateaux. Ils n’achètent pas de nouveaux bateaux. Les gens n’ont pas l’argent nécessaire pour réinvestir dans leur entreprise et se doter d’un équipage compétent avec lequel travailler.

Je demeure tout de même optimiste. La Colombie-Britannique possède une pêche et des produits extraordinaires qui, à mon avis, pourraient créer une richesse substantielle pour nos collectivités côtières.

Le sénateur McInnis : Monsieur Chidley, quelle est votre description d’emploi?

M. Chidley : En ce qui concerne l’éducation, je suis titulaire d’un brevet de capitaine de pêche, première classe, et d’un certificat de marine marchande. Il s’appelait auparavant ON 1 et s’appelle maintenant capitaine, à proximité du littoral, ce qui me permet de commander tout navire immatriculé au Canada, quel que soit son type. Je suis un pêcheur indépendant, et je suis propriétaire du bateau de pêche.

Le sénateur McInnis : Que faites-vous lorsque vous allez travailler?

M. Chidley : Je m’assure que toutes les activités d’un navire... Actuellement, sur mon téléphone, je surveille le bâtiment constamment; c’est le système de surveillance des navires, le VMS. Nous regardons constamment les bulletins météorologiques. Même si le navire est doté de la capacité de communication par satellite en tout temps, avec la technologie de pointe, nous regardons toujours ces bulletins. Cette période de l’année en particulier, soit les deux premiers et les deux derniers mois de l’année, est la plus difficile. Vous avez affaire à de la glace et à des icebergs, et vous dirigez le navire pour les contourner, car les mises à jour que l’on obtient en mer ne sont pas toujours aussi précises que les renseignements que je peux transmettre depuis la terre. Vous devez probablement contourner un flot de glace, car c’est le chemin le plus rapide.

Le sénateur McInnis : Ainsi, vous l’orientez depuis le rivage.

M. Chidley : Nous l’orientons de cette manière. Toutefois, la conduite du navire en mer lui appartient entièrement, et les mêmes conditions de permis s’appliquent que si c’était moi qui conduisais ou que si j’étais à bord du bateau. Ensuite, nous gérons les activités sur la terre ferme; nous nous occupons des fiches de règlement et des taxes pour l’équipage. Il s’agit de l’intermédiaire entre le navire et l’entreprise qui achète les produits, ainsi que les sociétés de carburant, et tout le reste. Voilà ce que je fais.

Le sénateur McInnis : Toutes les fournitures, tout?

M. Chidley : Tout. Et l’inquiétude.

Le président : Voilà qui met fin à notre conversation avec nos témoins, et je veux les remercier. Il est formidable, tout d’abord, d’accueillir des gens qui gagnent leur vie grâce à l’océan. C’est toujours un plaisir d’entendre votre point de vue. Je veux remercier nos témoins de la Colombie-Britannique, qui se sont joints à nous par vidéoconférence. Ensuite, comme je le dis à tous nos témoins, parfois, après avoir comparu, lors de leur retour vers la maison, certains se disent : « J’aurais voulu dire cela », alors sentez-vous à l’aise, à tout moment — maintenant ou au cours des deux ou trois prochaines semaines — d’envoyer à notre greffière des renseignements supplémentaires dont vous pourriez disposer ou qui vous sont venus à l’esprit, sous la forme d’observations écrites. Nous pourrons les inclure à notre étude.

Pendant que nous nous préparons à accueillir le deuxième groupe de témoins, j’ai deux ou trois remarques à l’intention des sénateurs. Nous espérons que le chef national de la nation dénée se joindra à nous par vidéoconférence. Certains problèmes techniques se posent. Nous avons ici avec nous Mme Cynthia A. Westaway, avocate et directrice du Westaway Law Group, qui représente la nation dénée. Je crois comprendre que Mme Westaway a en sa possession la déclaration préliminaire du chef, qu’elle nous présentera si nous ne pouvons pas entendre son témoignage. Espérons que nous arriverons à joindre le chef. Nous accueillons également M. John Helin, maire de Lax Kw’alaams. Nous allons commencer par la déclaration préliminaire du maire Helin. Espérons que nous aurons ensuite établi une connexion; sinon, nous passerons à Mme Westaway, qui fera la déclaration du chef.

John Helin, maire, Lax Kw’alaams Band : Merci de me permettre de prendre la parole devant vous ce soir.

Ma collectivité est située sur la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique. Nous sommes une collectivité des Premières Nations, et je suis le maire élu. Nous comptons une population de plus de 3 800 membres; il s’agit d’une des plus importantes bandes de la Colombie-Britannique. Nous sommes situés entre les rivières Skeena et Nass, qui sont les deux plus grands cours d’eau producteurs de saumon rouge après le fleuve Fraser, au sud. Depuis des milliers d’années, nous vivons de la pêche de ce poisson. Le saumon rouge est un aliment de base de notre régime alimentaire.

Après des années de réglementation — après le contact avec les colons —, nous avons été plus ou moins éjectés de la flotte de pêche au saumon. Dans ma collectivité, nous avons une flotte de 70 à 80 bateaux de pêche à filets maillants dont l’équipage ne peut plus gagner sa vie en pêchant le saumon de cette manière. Nous avons aussi une usine de transformation du poisson qui, lorsqu’elle fonctionne à plein régime, emploie jusqu’à 100 membres du village. Nous avons beaucoup de difficultés à maintenir cette exploitation. Nous nous diversifions. Nous modernisons l’usine afin de pouvoir y transformer d’autres poissons. C’est toujours un défi. Actuellement, nous produisons ou transformons du poisson de fond. Jusqu’ici, les activités se déroulent assez bien, mais d’autres pêcheries arrivent dans la zone où nous pêchons habituellement et elles réduisent la quantité de poisson que nous avons le droit de récolter; ainsi, nous allons perdre la possibilité de pêcher et de faire travailler nos membres. Cette usine de transformation du poisson a été construite en 1974, dans le village. C’est la seule qui reste sur la côte nord de la Colombie-Britannique.

J’écoutais les témoins précédents parler des propriétaires exploitants et d’autres choses. Je viens à Ottawa depuis mon élection, il y a un peu plus de trois ans, pour rencontrer divers ministres au sujet des pêches, à commencer par les ministres Tootoo et LeBlanc. On dirait que tout ce que nous disons tombe dans l’oreille d’un sourd.

Lors de l’une de mes rencontres avec M. LeBlanc, il a dit quelque chose qui m’a frappé : « Je ne veux pas qu’il se passe sur la côte Est ce qui est en train de se produire sur la côte Ouest en ce qui a trait à la réglementation des pêches. » À mes yeux, le fait qu’il ait formulé ce commentaire est assez révélateur. Nous nous sentons exclus, en Colombie-Britannique, parce que nous n’avons pas l’influence politique qu’ont d’autres régions du Canada. Je fais allusion au Fonds des pêches de l’Atlantique. Nous n’avons pas de fonds des pêches du Pacifique. La façon dont nous sommes traités... Nous entendons des mots comme « consultation » et « réconciliation ».

En ce moment, nous intentons une poursuite directement contre un pêcheur non autochtone qui a la permission de pêcher le hareng juste en face de notre village, alors que chacun de nos pêcheurs a accepté d’arrêter pour cette année en raison du manque de poisson. Nous avons rédigé des lettres avec notre voisin, le peuple des Tsimshian de la côte, afin de demander au MPO de fermer cette pêcherie. Ces demandes tombent dans l’oreille d’un sourd. Pourtant, le ministère permet à cet homme de pêcher juste devant chez nous. Pendant les années 1970 et 1980, on pêchait le hareng à la senne dans notre baie. Ce poisson a été éradiqué et, à ce jour, ces stocks ne sont pas revenus. Le hareng est un aliment de base non seulement pour les gens, mais pour d’autres poissons dans la mer. Il est alarmant de constater que le MPO permet à un homme d’aller pêcher, alors que tous les autres s’entendent pour clore la saison de pêche.

Nous avons beaucoup de problèmes avec le MPO. Il y a quelques années, notre bande a traîné le ministère en cour pour qu’il nous permette de pêcher. Nous avons de la nourriture aux fins de nos droits sociaux et cérémoniels, mais nous n’avons pas le droit de la vendre. Pourtant, certaines bandes autour de nous possèdent des droits commerciaux à l’égard du saumon, des œufs de poisson et du varech. Des bandes intérieures situées aux abords de la rivière ont la permission d’aller pêcher le flétan à des fins commerciales. C’est au titre de l’IPCIP. Ce programme est une solution temporaire dirigée par le gouvernement fédéral, par lequel il tente d’attribuer davantage de prises commerciales de diverses espèces aux bandes de la côte. Les responsables d’Ottawa nous ont dit que nous étions parfaits pour ce programme. Que font-ils? Ils nous retirent une plus grande part du quota et la remettent à d’autres bandes qui n’ont pas assez de pêcheurs pour remplir le quota, alors elles le louent à des pêcheurs non autochtones.

Il y a beaucoup de problèmes, et je sais que je ne dispose que de cinq minutes pour faire ma déclaration préliminaire. Comme je l’ai dit, j’ai comparu devant des comités par le passé. J’espère que vous avez obtenu le mémoire que nous avons présenté auparavant. Il offre des solutions. Je veux travailler avec les personnes — peu importe de qui il s’agit — avec qui nous devons travailler pour améliorer le sort de nos membres. Tout est une question de mesures positives. Nous pensons être en mesure de travailler de concert avec le MPO.

Nous collaborions avec le MPO à l’échelon local afin de conclure un accord de pêche global. Nous n’en avons jamais signé depuis que nous avons perdu la cause de la pêcherie. Après cette défaite, tous nos pêcheurs ont été ciblés sur l’eau. J’appelle cela du profilage racial de nos membres. La situation s’est aggravée au point que l’un des agents d’application de la loi est embarqué dans le bateau de mon fils alors que son enfant de 10 ans se trouvait à bord. L’homme a dégainé son fusil sur le pont du bateau de mon fils sans avoir été provoqué. Cette affaire est allée devant les tribunaux et a été écartée. Voilà qui montre comment nous sommes traités sur nos propres territoires traditionnels. Quand vous parlez de réconciliation et de consultation, pour nous, ce ne sont que des mots vides de sens.

J’espère que le fait de comparaître devant des comités comme je le fais actuellement nous permettra d’apporter les améliorations que nous voulons. Vous parlez de savoir traditionnel et de données scientifiques. Nous sommes là depuis des milliers d’années. Nous avons demandé au MPO de travailler avec nous afin d’arrêter une pêcherie parce que nous avions peur que les stocks ne reviennent pas, puis il permet à un bateau appartenant à une personne qui n’est pas autochtone d’aller pêcher. Quelle impression cela donne-t-il au sujet des consultations? J’espère que le message parviendra jusqu’aux personnes qui ont besoin de l’entendre grâce à ma comparution devant vous aujourd'hui.

Merci.

Le président : Je vous remercie, monsieur le maire. Nous avons certainement hâte de vous poser des questions sous peu.

Madame Westaway, nous n’avons pas réussi à établir une connexion avec le chef. Voudriez-vous présenter sa déclaration préliminaire? S’il peut se joindre à nous plus tard, il le fera.

Cynthia A. Westaway, avocate et directrice du Westaway Law Group, nation dénée : Je vous ferai part de certaines paroles du chef national de la nation dénée, Norman Yakeleya. Il est là pour se prononcer en faveur du projet de loi C-68. Il est ici en esprit, mais pas au téléphone.

Dans les Territoires du Nord-Ouest, on dénombre environ 15 000 Dénés, et ils sont signataires du traité no 8, signé en 1899, ainsi que du traité no 11, signé en 1921. Les années qui se sont écoulées depuis la signature de ces traités ont été dures, souvent cruelles, et la progression de la lutte pour les droits des personnes qui subviennent à leurs besoins grâce aux terres, à l’eau et aux animaux depuis des centaines d’années a été lente. Pourtant, nous avons honoré nos engagements au titre des traités, contrairement à d’autres.

Nous avons signé notre traité il y a 120 ans, et il sera en vigueur aussi longtemps que le soleil brillera, que les rivières couleront et que l’herbe poussera. Ce qui importe, c’est que, étant donné l’esprit et l’intention de cet engagement au titre de traité, il est question d’un air sans pollution, d’une eau propre et abondante pouvant subvenir aux besoins de tout ce qui y vit et de terres saines pouvant subvenir aux besoins de tout ce qui y vit, y compris le peuple déné. C’est ce qui existait quand nos ancêtres ont signé les traités, et c’est ce que nous cherchons à protéger aujourd’hui même. Nous considérons que la modernisation de la Loi sur les pêches par le projet de loi C-68 est très importante en ce qui concerne le respect de ces engagements au titre du traité.

J’ai lu un article récemment paru dans le Hill Times sur le projet de loi C-68. Il contenait une ligne qui a retenu mon attention. Le texte disait : « En bref, les poissons ont besoin d’eau, et une Loi sur les pêches moderne devrait l’affirmer. » Nos droits de chasse, de trappe et, dans ce cas-ci, de pêche seront vides de sens s’il n’y a pas de poisson parce que leur habitat et l’eau qui soutient cet habitat ne sont pas protégés par la loi.

Nous avons appris le pouvoir des lois au cours des 150 dernières années, pour le meilleur et pour le pire. Le projet de loi C-68 peut être une bonne loi. Les Dénés veulent que ce soit le cas. Les prochaines élections fédérales auront lieu dans moins de 200 jours. Les Dénés sont favorables à une bonne loi adoptée durant le règne du gouvernement actuel. Laisser le projet de loi mourir au Feuilleton serait un terrible gaspillage. Nos conseillers juridiques sont là pour nous aider à répondre à toutes les questions juridiques et techniques.

Le chef sera en ligne pour répondre à toutes les questions concernant le leadership ou la politique que les gens pourraient lui poser. Ensuite, il me cédera la parole pour les dernières minutes.

Je m’appelle Cynthia Westaway. Je suis avocate, et je possède une expertise certifiée en droit autochtone du Barreau de l’Ontario. Aujourd’hui, je suis là pour parler au nom des Dénés, mais nous représentons également les Premières Nations de partout au pays et d’autres groupes autochtones.

Nous considérons la modernisation de la Loi sur les pêches comme étant très positive et très nécessaire. Nous avons formulé des observations. Les Dénés participent activement à ce processus. Il est évident qu’ils ne se sont pas croisé les bras.

Les quatre éléments clés que nous voulions soulever dans notre déclaration préliminaire sont également ceux qu’a évoqués le chef national concernant les droits légaux des Autochtones. On ne peut pas respecter un droit en vertu d’un traité sans le poisson et l’habitat nécessaires pour ce faire. Nous voulons également parler de l’article 2.2 proposé, de l’écoulement de l’eau et de l’importance de le protéger ainsi que de l’urgence de la situation actuelle. Les poissons ne peuvent pas attendre, pas plus que les titulaires de droits en vertu de traités. Ce que j’entends déjà mes collègues ici présents aujourd’hui affirmer, c’est que l’expertise locale est vraiment importante. Nous ne pouvons pas accepter que les décisions soient prises ailleurs et qu’elles ne soient pas du tout logiques dans le contexte régional. Voilà les quatre principaux aspects de ma déclaration d’aujourd’hui. Je tenterai d’être brève, afin que vous disposiez de plus de temps pour les questions.

En somme, en ce qui concerne la protection de l’eau, de l’habitat et des poissons, nous ne pouvons faire fi du lien direct qui existe non seulement avec les intérêts des Autochtones, comme le laissaient entendre certaines des questions posées ce matin ou cet après-midi, mais aussi avec les droits historiques et issus de traités modernes qui sont protégés par la Constitution. Il s’agit d’un intérêt public et d’un droit constitutionnel particuliers. On ne peut écarter cela au moment d’examiner l’importance de l’habitat, du débit d’eau et des poissons.

À nos yeux, le projet de loi C-68 constitue une étape très importante pour qu’on puisse se conformer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le Canada a soutenu cette déclaration sans hésitation. Elle doit être vivante, et ce sera le cas, ici, dans la nation dénée, en ce qui concerne sa capacité de gouverner, d’agir comme chef de file et de faire preuve de leadership dans la gestion et la surveillance des pêches. Si ces éléments, en raison de cette loi, se portent bien et sont dynamiques, nous aurons mis en œuvre des parties importantes de cette déclaration, et le moment est venu de le faire. Nous cherchons des façons de réaliser cela.

En ce qui concerne l'article 2.2, bien entendu, nous demandons aux sénateurs de tenir compte des éléments délicats qui doivent être protégés. Nous avons pris connaissance de documents particulièrement axés sur les intérêts économiques d’autres industries qui, en tout respect, nous semblent plutôt ridicules. Nous devons trouver l’équilibre. Les membres de la nation dénée pratiquent des pêches qui revêtent une grande importance sur le plan culturel et de la subsistance, et ils mènent aussi des activités de pêche commerciale. Ils sont d’avis qu’on ne peut écarter la gestion du débit comme élément de l’habitat pour faire en sorte que l’eau est de qualité et que sa quantité et son débit sont appropriés pour la période de l’année. Il s’agit d’un élément essentiel de l’habitat. Si nous n’en tenons pas compte, nous perdrons nos droits conférés par traité. Nous perdrons nos pêches et nos pêcheries commerciales. Tout cela est tissé ensemble, comme une couverture.

Nous sommes d’avis que l’industrie possède déjà les connaissances techniques nécessaires pour mesurer le débit et ne pas le modifier au mauvais moment. Il s’agit simplement de s’assurer que c’est inscrit dans la loi, et pas seulement dans une politique. Nous avons été témoins de l’établissement de nombreuses politiques par le passé, et nous avons vu différents gouvernements les appliquer, ne pas les appliquer ou les rendre inopérantes en ne leur accordant pas de financement. Ce doit être inscrit dans la législation maintenant, et cette loi habilitante nous donnera les outils et la souplesse nécessaires pour créer la réglementation qui permettra de l’appliquer.

À nos yeux, la loi fédérale agit comme un important filet de sécurité en ce qui concerne les protections environnementales. Comme c’est le cas dans la crise que provoquent les changements climatiques de nos jours, il ne peut y avoir de lacunes. La durabilité et la résilience exigent la mise en place de ce cadre législatif fédéral.

Pour terminer en ce qui concerne l'article 2.2, nous affirmons que toutes les exigences fondamentales liées au débit d’eau doivent figurer dans la loi pour protéger le poisson, sa nourriture, ses aires d’alevinage et sa croissance. Je sais que le maire sera en mesure de nous éclairer. Si des poissons fraient à un endroit et grandissent à un autre, vous ne pouvez protéger une seule aire de l’habitat. Les poissons doivent compléter leur cycle de vie dans l’eau, et le débit est très important.

Nous sommes d’avis que la situation est urgente. Nous croyons que ce n’est pas le moment de retarder les choses ni de faire de l’obstruction. Nous devons progresser avec célérité pour faire respecter les droits des Autochtones et établir une relation de nation à nation. À notre avis, le fait de nous consulter après coup n’est utile pour personne. Nous devons participer à ce type de processus concerté, et nous assurer que nous discutons et établissons ces règlements ensemble. Les membres de la nation dénée possèdent beaucoup d’expérience. Nous avons travaillé à l’établissement d’accords sur la gestion des eaux frontalières et à l’ébauche de la loi sur la faune des Territoires du Nord-Ouest. Nous avons participé aux discussions et à l’élaboration des meilleures lois possible.

Mon dernier point porte sur le fait que, quand vous disposez d’une expertise régionale, de connaissances autochtones et de connaissances traditionnelles, vous obtenez de meilleurs résultats et vous êtes en mesure de protéger les pêcheries commerciales et de subsistance ainsi que vos droits. Auparavant, il nous fallait nous déplacer trois provinces plus loin pour trouver un agent des pêches fédéral qui déléguait parfois la tâche à un agent provincial indifférent à la situation. Cela ne peut pas fonctionner. Il faut les connaissances traditionnelles et l’expertise locale.

Nous avons d’excellents chercheurs au sein de la nation dénée, et nous avons aussi d’excellents experts en connaissances traditionnelles. La plupart du temps, ils travaillent vraiment bien ensemble. En cas de conflit, nous n’avons jamais vu autant de documents scientifiques fiables, révisés par les pairs, que ceux que présentent les personnes qui détiennent des connaissances traditionnelles. Ces connaissances sont examinées par les pairs depuis des milliers d’années, dans un contexte culturel. Des chercheurs peuvent mener de petites études dans un secteur, mais ces travaux comportent toujours des faiblesses. Les connaissances autochtones ont une portée globale.

Les Inuits ont affirmé que le climat se réchauffait quand les phoques ont commencé à plonger à un certain angle 35 ans avant que les résultats de travaux scientifiques le confirment. Nous devons écouter les aînés et utiliser les connaissances traditionnelles.

Cela conclut notre exposé, mais nous sommes présents pour écouter vos commentaires et répondre à vos questions à propos de la façon dont les pêches devraient fonctionner, selon la nation dénée, de manière à faire progresser ce pays et notre nation.

Le président : Merci, madame Westaway. Avant de céder la parole au sénateur Gold, je tiens à rappeler à tous que notre temps est limité et que nous devons accueillir un autre groupe de témoins avant la fin de la soirée. Je n’aime pas devoir interrompre des discussions, mais essayons de garder les questions et les réponses le plus brèves possible. Le sénateur Gold, vice-président du comité, commencera la série de questions.

Le sénateur Gold : Bienvenue à vous deux. Je vous remercie de votre témoignage. J’ai deux questions, une pour chacun d’entre vous.

Monsieur le maire, merci d’avoir mis en contexte les répercussions de l’application des lois et des politiques sur votre collectivité. Il nous est utile de comprendre les conséquences concrètes des mesures législatives que nous examinons. Vos commentaires ont semblé porter surtout sur les politiques du ministère des Pêches et des Océans, et sur leur mise en œuvre, ainsi que sur la façon dont les responsables mènent leurs activités. Y a-t-il des aspects du projet de loi C-68, lequel fait l’objet de notre étude, qui vous préoccupent en particulier? Ou souscrivez-vous à ce que d’autres témoins ont dit? Mme Westaway a affirmé qu’il s’agit essentiellement d’un pas dans la bonne direction. Il n’est pas clair, d’après votre témoignage, sur quels aspects du projet de loi C-68 vous portez votre attention.

M. Helin : Dans l’ensemble, de façon générale, ce projet va dans la bonne direction. De façon plus spécifique, quand un projet devient une loi, nous tentons de conclut dans tous les domaines qui nous touchent. Encore une fois, il y a une directrice régionale que j’ai rencontrée trois ou quatre fois, et son supérieur a déclaré qu’elle nous reviendra à propos de questions spécifiques que nous avons posées. Cela n’arrive jamais. Peu importe la situation que nous aurons à traiter, nous voulons de véritables réponses. Nous ne voulons pas de discours politiques; nous ne voulons pas la même ritournelle. Nos citoyens crèvent de faim. De quelle façon pouvons-nous les sortir de la pauvreté? Il s’agit d’une situation réelle. À notre avis, il ne faut pas jouer de jeux politiques. Comme je l’ai dit, le projet de loi serait acceptable de façon générale, à mon avis.

Le sénateur Gold : Merci.

Madame Westaway, je conclus que c’est aussi votre opinion générale, d’après votre déclaration liminaire. J’ai une question précise et technique, parce qu’une préoccupation a été soulevée — et cela reviendra dans de prochains groupes de témoins — concernant la disposition particulière qui a été ajoutée à l’autre endroit, c’est-à-dire la disposition sur l’assimilation-habitat, ce qui constituerait le nouvel article 2.2. Vous avez mentionné au passage quelque chose qui, je crois, serait pertinent à cet égard. Quelle est votre position ou la position de la nation dénée, le cas échéant, sur cette disposition en particulier qui assimilerait, pour l’application de la loi, à l’habitat du poisson la quantité, l’échelonnement dans le temps et la qualité du débit de l’eau qui sont nécessaires à la durabilité des écosystèmes d’eau douce? Appuyez-vous cela, ou croyez-vous que cela pose des défis?

Mme Westaway : Tout à fait. La politique du ministère des Pêches et des Océans considère déjà que le débit et la qualité de l’eau ainsi que l’échelonnement dans le temps des niveaux d’eau font partie de l’habitat. À notre avis, le libellé ajoute de la clarté et fait en sorte que tout le monde comprenne que l’on doit gérer le débit. Nous avons vu les filets de nos pêcheurs se faire briser par des inondations. Le niveau de l’eau et le débit sont essentiels aux bateaux commerciaux, aux personnes qui pêchent leur repas chaque jour, et qui n’ont pas accès à une épicerie, et assurément à la protection des espèces. Pour ce qui est du débit et du niveau de l’eau, vous n’avez qu’à regarder nos rivières ou à passer un peu de temps au Manitoba, et vous comprenez que c’est essentiel à l’existence des pêches et au bien-être de nos pêcheurs.

Le sénateur Gold : Vous portez beaucoup d’attention au débit de l’eau et à l’habitat des poissons, plutôt qu’à des préoccupations qui touchent le secteur agricole concernant le fait qu’il suffit de creuser afin d’installer un ponceau dans le but d’évacuer un surplus d’eau pour que, tout à coup, cela devienne un habitat de poisson.

Mme Westaway : Êtes-vous déjà allé en Saskatchewan, où chaque fossé est un habitat de canard et de poisson? Nous devons nous rappeler que, à certains endroits, des gens tirent leur subsistance de ces poissons et de ces canards qui vivent sur des terrains marécageux à côté des fermes. Nous ne pouvons présumer que ces endroits ne devraient pas être protégés. Assurément, il y a de petits endroits que des agriculteurs ici dans le Sud pourraient ne pas considérer comme des habitats. Ces habitats sont au nord et à l’ouest. La décision doit vraiment être prise à l’échelle locale.

Je suis vraiment emballée par la partie portant sur les accords. C’est quelque chose qu’a évoqué le maire dans son témoignage. Au moment où tout le monde retire ses bateaux de l’eau, voici un accord conclu entre la bande Lax Kw’alaams et le ministère des Pêches et des Océans pour faire en sorte qu’ils collaborent et qu’aucun pêcheur ne mène d’activité à l’extérieur de la zone de conservation. Les parties du projet de loi portant sur les accords et le débit d’eau sont essentielles pour la nation dénée.

Le sénateur Gold : Merci beaucoup.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous les deux de votre présence.

J’ai quelques questions qui s’adressent à monsieur le maire. Quand ils sont venus témoigner devant le comité le 2 avril, les représentants du ministère des Pêches et des Océans et de la Garde côtière canadienne ont affirmé que le projet de loi C-68 reposait sur l’intention d’assurer une forte participation des Autochtones. À votre avis, la Loi sur les pêches, telle que modifiée par le projet de loi C-68, garantirait-elle cette participation importante des Autochtones? N’importe lequel d’entre vous peut répondre.

M. Helin : Non.

La sénatrice Poirier : Non?

M. Helin : La réponse est non dans le cas de n’importe laquelle de ces mesures législatives. C’est pourquoi je pose la question : qu’est-ce qu’une consultation?

La sénatrice Poirier : Madame Westaway, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Westaway : Les outils sont là, mais ce que je comprends des propos de monsieur le maire, c’est que cela dépend d’une consultation de bonne foi et sérieuse. Ce ne peut être que de belles paroles. Nous devons conclure des accords qui font en sorte que la collectivité de monsieur le maire est consultée de façon régulière et que les membres de la nation dénée sont consultés chaque année. Nous examinons ce genre de possibilités que permet le projet de loi, mais il faut des ressources, et le ministère des Pêches et des Océans doit agir de bonne foi.

La sénatrice Poirier : Monsieur le maire, dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné les améliorations que vous souhaitez voir apporter. Le projet de loi C-68 contient-il ces améliorations, ou peut-il les permettre?

M. Helin : Pas de façon précise, je dirais. Vous avez mentionné les propriétaires exploitants qui détiennent un quota ou un bateau de pêche. En Colombie-Britannique, il y a Jimmy Pattison, qui possède beaucoup de quotas et de navires, et il déplacera ses activités en Alaska, parce que c’est moins cher de faire des affaires là-bas, ce qui provoquera la fermeture d’une usine de traitement du poisson à Prince Rupert, laquelle offrait des emplois à beaucoup de personnes de la région.

Je vais prendre l’exemple du flétan. Si vous voulez acheter un contingent de une livre de flétan actuellement, cela coûte environ 130 $. Faites le calcul. Nous n’avons pas les moyens d’acheter des quotas de pêche. Comment pouvons-nous avoir accès à des contingents? Il ne s’agit pas seulement du flétan; cela concerne aussi la palourde royale et toutes ces espèces qui valent de l’argent et auxquelles nous n’avons pas accès.

La sénatrice Poirier : D’après vous, quel amendement pourrait amener les améliorations que vous souhaitez voir apporter au projet de loi C-68?

M. Helin : Il faut l’attention du ministre des Pêches, du directeur régional et de l’agent des pêches local à Prince Rupert. Ce n’est pas notre cas. Nous souhaitons collaborer avec les gens pour améliorer cette situation, mais nous n’y arrivons pas.

La sénatrice Poirier : Si je comprends bien, votre groupe n’a pas été consulté au sujet du projet de loi C-68?

M. Helin : Non.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Busson : La sénatrice Poirier a abordé la question que je voulais poser. Je connais toute la région de Lax Kw’alaams et de Metlakatla, et vos collectivités sont bien évidemment construites sur l’eau. Elles sont conçues pour la pêche. C’est pratiquement tragique de vous entendre décrire la façon dont on vous a tenus à l’écart de cette activité durant très longtemps.

On parle de cogestion, de consultation et de participation, et il est évident que cela ne se produit pas, si je me fie à ce que vous avez dit à ma collègue. Il est question du devoir du ministre de tenir compte des droits des peuples autochtones lorsqu’il prend des décisions concernant les pêches. Je serais portée à croire que ce serait, de votre point de vue, de bonnes nouvelles.

M. Helin : Le simple fait qu’on tienne une rencontre serait bien.

La sénatrice Busson : Vous avez dit que votre usine de traitement du poisson avait cessé ses activités en raison du manque de poissons. Cela concerne-t-il les stocks, les quotas de pêche ou les parts du marché?

M. Helin : Tout ce que vous venez de mentionner.

La sénatrice Busson : De toute évidence, vous avez besoin d’établir un partenariat pour la gestion des pêches.

M. Helin : Oui.

La sénatrice Busson : Vous êtes dans l’une des régions les plus sauvages et les plus riches en poissons de votre pays.

M. Helin : L’un des témoins qui m’a précédé a parlé du fait de bien gagner sa vie. Un autre témoin a parlé de l’âge des pêcheurs. Les pêcheurs qui travaillent sur les bateaux à filets maillants dont je parle sont dans la cinquantaine avancée, ou bien ils ont 60 ou 70 ans, et ils tentent de gagner leur vie, mais ils n’arrivent pas à payer le carburant pour leurs bateaux. Voilà à quel point la situation est grave.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

Le sénateur Marc Gold (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Mesdames et messieurs les sénateurs, j’ai le plaisir de vous annoncer que nous avons finalement réussi à établir une connexion vidéo avec Norman Yakeleya, chef national de la nation dénée. Le comité vous souhaite la bienvenue, monsieur. Pouvez-vous m’entendre?

Norman Yakeleya, chef national, nation dénée : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. La technologie moderne, des signaux de fumée aux téléphones cellulaires... Cela fonctionne à l’heure actuelle.

Le vice-président : Nous sommes heureux de vous avoir avec nous. Je dois vous dire, monsieur, que, comme nous n’étions pas en mesure de vous joindre au début de la séance, votre déclaration préliminaire a été présentée par Mme Westaway. Nous sommes au beau milieu de la période consacrée aux questions des sénateurs. Je ne suis pas certain que vous avez été en mesure de suivre la discussion jusqu’à présent. Souhaiteriez-vous ajouter quelque chose avant que nous reprenions la période de questions?

M. Yakeleya : Merci, monsieur le président. Je vais suivre et écouter vos directives et votre processus et, si vous voulez me poser des questions après, je serai heureux d’y répondre. Poursuivons. Je crois comprendre que nos intervenants ont fait un excellent travail; je suis donc ici seulement pour m’émerveiller de cette technologie. Poursuivez, monsieur le président.

Le vice-président : Merci, monsieur. Nous vous sommes reconnaissants de votre indulgence et de votre confiance envers notre technologie.

La prochaine question sera posée par le parrain du projet de loi, le sénateur Christmas.

Le sénateur Christmas : Monsieur le maire Helin, j’ai été quelque peu troublé lorsque vous avez dit que vous avez beaucoup de problèmes avec le ministère des Pêches et des Océans, que vous avez tout à fait l’impression d’avoir été mis à l’écart des activités de pêche en Colombie-Britannique et que vous avez dû poursuivre le MPO en justice. Ai-je tort d’affirmer que la relation entre votre collectivité et le MPO est rompue?

M. Helin : C’est le cas depuis des années. Nous tentons de réparer cette relation, mais lorsqu’une personne vient pêcher tout près de notre village même si nous lui avons demandé de ne pas le faire, car nous sommes préoccupés par la situation des stocks, et que les représentants du ministère affirment souhaiter établir une nouvelle relation, que faut-il en déduire? Ils affirment que les directives proviennent d’Ottawa. La personne qui est venue pêcher s’est déchargée de toute responsabilité, car c’est Prince Rupert qui a décidé de lui permettre de pêcher, et ce, après que nous avons envoyé des lettres aux ministres et aux directeurs régionaux pour les implorer de garder cette zone de pêche fermée, car les stocks sont menacés.

Le sénateur Christmas : Je crois que vous avez rencontré les ministres Tootoo et LeBlanc?

M. Helin : Oui.

Le sénateur Christmas : Et nous avons maintenant un ministre qui vient de la côte de la Colombie-Britannique. Avez-vous rencontré le ministre Wilkinson?

M. Helin : Je ne l’ai jamais rencontré.

Le sénateur Christmas : Je peux tout à fait comprendre votre frustration. Je viens d’une petite collectivité micmaque de la côte Est, et je me souviens très bien encore de cette époque. Vous vivez la même situation que nous vivions. Cela a malheureusement pris quelques poursuites judiciaires, mais nos activités de pêche commerciale sont finalement devenues viables sur la côte Est, et notre relation avec le MPO s’est grandement améliorée. Je ne crois pas avoir de questions à poser, mais je tentais de vous tendre une perche en disant qu’il y a de l’espoir et que les choses peuvent changer.

Il y a quelque chose dont je voulais vous faire part, simplement pour voir votre réaction. Comme vous le savez, les peuples autochtones ont été exclus de la Loi sur les pêches. Il n’a jamais été question des peuples autochtones dans cette loi. Pour la première fois, ce projet de loi particulier vise à inclure certaines dispositions concernant les peuples autochtones. Par exemple, le ministre aurait l’obligation de tenir compte du savoir autochtone lorsqu’il prend des décisions. Si ce projet de loi est adopté, le ministre aura l’obligation, entre autres choses, de prendre en considération le savoir autochtone avant de prendre une décision.

M. Helin : Très bien.

Le sénateur Christmas : Il a les moyens de conclure des ententes — ce que vous voulez obtenir — avec ce qu’il appelle les organismes gouvernementaux autochtones. Je présume que votre collectivité pourrait être considérée comme un tel organisme. Il est également d’avis que ce projet de loi doit prévoir la prise en compte des répercussions négatives pouvant toucher les peuples autochtones, avant qu’elles ne surviennent. Ce ne sont là que quelques-uns des changements importants qui sont apportés par ce projet de loi. Je sais que vous vous trouvez dans une situation difficile, mais si le projet de loi est adopté, la loi fera mention des peuples autochtones, du savoir autochtone et des organismes gouvernementaux autochtones, et le ministère sera tenu par la loi de tenir compte des répercussions qui touchent les peuples autochtones. Le projet de loi C-68 vous donne-t-il l’assurance que les choses s’amélioreront?

M. Helin : Encore une fois, il suffit de tenir des rencontres constructives. Comme je l’ai dit, je me suis rendu à Ottawa à plusieurs reprises pour y rencontrer des ministres, des sous-ministres et de hauts fonctionnaires du MPO, en espérant obtenir une réponse qui ne viendrait jamais. Comme je l’ai mentionné, vous avez beau mettre en place des lois et des politiques, mais comment cela se traduit-il sur le terrain? Donc, oui, il faut avoir confiance.

Selon ce que vous avez dit sur vos débuts il y a des années, je crois comprendre que je pourrais devenir sénateur. N’est-ce pas?

Le vice-président : Monsieur, méfiez-vous de ce que vous souhaitez.

Le sénateur Christmas : Cela doit sembler merveilleux de votre point de vue, mais je peux vous assurer que nous pourrions tous rester ici très tard ce soir.

M. Helin : Cela doit certainement être mieux que d’être maire.

Le sénateur Christmas : Je ne suis pas certain que le chef national ou Mme Westaway souhaitent prendre part à cette discussion, mais je crois comprendre que le ministère des Pêches et des Océans a récemment créé une nouvelle région dans le Nord, une région arctique. Je sais que cela concerne un peu moins le projet de loi, mais considérez-vous que cet événement est positif pour la population dénée?

M. Yakeleya : Merci.

[Notes de la rédaction : M. Yakeleya s’exprime dans une langue autochtone.]

Je vous ai dit merci dans ma langue. Mon peuple est beau, tout comme son territoire. Les gens commencent à préparer leurs filets de pêche. Lorsque les lacs seront ouverts dans le Nord, ils poseront leurs filets de pêche pour attraper différents poissons.

Je tiens à vous remercier, monsieur le sénateur, car, lorsque le ministre des Pêches a ouvert le bureau dans les Territoires du Nord-Ouest, on a oublié d’inclure un joueur très important dans les discussions avec la nation dénée. J’en ai fait mention au ministre. Nous avons deux lacs importants, le Grand lac des Esclaves et le Grand lac de l’Ours, qui sont des sources d’eau douce et qui contiennent les meilleurs poissons que l’on puisse pêcher. Nous avons aussi le fleuve Mackenzie où vivent différents poissons, chose que j’ai fait remarquer au ministre. Vous savez quoi? Je dois souligner que le ministre fédéral a reconnu avoir un rôle de supervision à remplir, et, aussitôt fait, il a demandé à son bureau de commencer à collaborer avec nous aux fins de la réconciliation. Cela exige beaucoup de travail. Je tiens vraiment à remercier le ministre fédéral d’avoir effectué ce travail de supervision et d’avoir immédiatement envoyé un fonctionnaire ici. Nous avons discuté du problème que pose le fait que la nation dénée ne participe pas aux activités du nouveau bureau des Territoires du Nord-Ouest, et nous avons travaillé ensemble à la réconciliation. Nous attendons simplement la rédaction d’un protocole d’entente qui sera approuvé par la nation dénée et le ministre des Pêches et des Océans. Nous allons emprunter une nouvelle voie vers la réconciliation. Il en faut beaucoup pour qu’un ministre reconnaisse qu’il doit remplir un rôle de supervision. Je crois que je l’ai bien réprimandé dans les journaux et dans les médias, mais il a eu la décence de reconnaître ce qu’il devait faire, et nous nous engageons sur une nouvelle voie vers la réconciliation avec le ministère des Pêches et des Océans.

Bien entendu, ce projet de loi soutient la modernisation des pêches, et nous souhaitons travailler avec nos frères et sœurs partout au Canada. Notre peuple adore le poisson. Tout au long de leur vie, les gens de notre peuple se nourrissent de poissons. Il s’agit d’un élément important de notre régime alimentaire. Le poisson est source de vie. L’eau est source de vie. Nous souhaitons protéger le débit des eaux, et la modernisation de la Loi sur les pêches améliorera grandement la situation de la population dénée, étant donné qu’environ 75 p. 100 de son régime alimentaire est à base de poisson. Merci, monsieur.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur le chef national. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il y a de très beaux lacs dans les Territoires du Nord-Ouest, et, bien sûr, le fleuve Mackenzie est magnifique. Je vous remercie de ces commentaires.

Le sénateur McInnis : Merci beaucoup d’être venu.

Je n’ai rien de vraiment profond à dire, je suis seulement déçu de ce que j’ai entendu. Une bonne partie de cela concerne non pas la loi, mais les politiques. Je me rappelle l’époque où j’étais procureur général et où j’ai reçu le rapport de la Commission royale sur l’affaire Donald Marshall fils — et le sénateur Christmas s’en souviendra, même s’il n’était qu’un enfant à l’époque —, et il y avait 82 recommandations, dont bon nombre ont été mises en œuvre. Nous avons très rapidement formé une tribune tripartite où nous étions en constante communication avec la collectivité autochtone et les gouvernements provincial et fédéral. Rien n’égale la tenue de rencontres régulières et la communication continue pour échanger et régler des problèmes. Je vous le recommande fortement. Je ne suis pas sûr de ce qu’il en est aujourd’hui, mais Donald Marshall fils a dû se présenter devant la Cour suprême du Canada en raison d’un litige lié à la pêche aux anguilles. C’était incroyable, mais c’était un événement marquant. Je crois qu’il y a eu une affaire en Colombie-Britannique, ainsi qu’une affaire présentée à la Cour suprême du Canada.

Vous avez établi les assises d’une bonne communication. Vous avez maintenant un ministre sur la côte Ouest. Nous avons toujours convoité ce poste sur la côte Est, et il m’a rappelé que nous avons eu ce poste durant 16 ans, qu’il l’occupera jusqu’à la prochaine élection et que nous le reprendrons ensuite.

Si je comprends bien ce que vous dites à propos de vos difficultés liées au transfert des contingents d’une personne à une autre, c’est qu’il s’agit d’une situation locale, et injuste, qui devrait être corrigée, sans l’ombre d’un doute. De nombreuses solutions ont été mises en œuvre par le passé, mais il y en a une en particulier qui a été utilisée en Nouvelle-Écosse et qui s’est révélée très efficace.

Je voulais formuler un commentaire à propos de l’habitat et de la définition de ce mot donnée dans le projet de loi. Je veux préciser que je ne suis pas en opposition. Cependant, je m’interroge sur un mot en particulier de la définition : « les eaux où vit le poisson et toute aire dont dépend, directement ou indirectement, sa survie... » Le mot « indirectement » a un sens très vaste. Plus loin, il est question d’assimilation. L’objectif de la loi prévoit que, « pour l’application de la présente loi, sont assimilés à l’habitat la quantité, l’échelonnement dans le temps et la qualité [...] » Que veut-on dire par « l’échelonnement dans le temps »? Je n’arrive pas à en saisir le sens. Que veut dire la suite : « du débit d’eau qui est nécessaire à la durabilité des écosystèmes d’eau douce ou estuariens de cet écosystème »?

Mme Westaway : Mon collègue et le chef pourront vous donner des exemples tirés de la vraie vie, mais « l’échelonnement dans le temps » veut dire les saisons et les périodes de frai et d’alevinage. L’échelonnement dans le temps est un facteur extrêmement important. La période où la glace fond dans les eaux, où l’achigan fraye... C’est le genre de choses que nous devons prendre en considération, au même titre que le débit d’eau et les protections en place. L’échelonnement dans le temps est un facteur très important.

Le mot « indirectement » renvoie à la source de nourriture. Évidemment, il y a énormément de poissons qui ne sont pas visés par les pêches. Nous ne les pêchons pas et nous ne les mangeons pas, mais ils représentent une source de nourriture pour d’autres poissons ou d’autres animaux. Ils peuvent aussi être une source de nourriture pour les collectivités locales. Même si ces poissons ne sont pas pêchés à des fins commerciales, ils font tout de même partie de l’écosystème et doivent être protégés. Le message de la nation dénée est que nous devons protéger l’écosystème pour avoir du poisson pour nos pêches commerciales ou pour la pêche vivrière.

Vous savez ce qu’on veut dire par l’échelonnement dans le temps du débit d’eau.

M. Helin : D’après ce que nos aînés nous ont appris, il suffit d’observer la couverture de neige près des rivières et des cours d’eau pour estimer la bonne qualité de l’eau ou du débit d’eau. Vous pouvez déterminer ainsi si beaucoup de poissons vont retourner dans ces cours d’eau. Un autre indice qui a trait aux poissons est le moment où les baies poussent ainsi que la quantité et le type de baies. Toutes ces connaissances traditionnelles s’ajoutent à la science.

Je vais devoir contredire le chef. Nous avons les meilleurs poissons de toute la côte de la Colombie-Britannique. Ces poissons vont jusqu’à l’océan Pacifique, où d’autres nations les attrapent. Ce n’est pas le genre de choses que nous pouvons contrôler. Il y a énormément de facteurs qui influencent le retour des poissons.

Le sénateur McInnis : Merci. Vous m’avez appris quelque chose aujourd’hui. J’ajouterais que le projet de loi prévoit une participation robuste des peuples autochtones. C’est mentionné à deux ou trois endroits. Certains diront peut-être que c’est trop, mais je suis d’avis que l’on devrait écouter davantage les peuples autochtones lorsqu’il est question de poissons. J’ai l’impression qu’ils en savent énormément à ce sujet. En tout cas, merci. Bonne chance pour la suite des choses. Vous vivez dans un endroit merveilleux. Peut-être devriez-vous vous présenter comme député.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

Le président : J’ai été un peu permissif à l’égard du sénateur McInnis, puisque c’est son 74e anniversaire aujourd’hui. Je ne vois pas de meilleur endroit qu’ici, avec nous, où il aurait pu le célébrer.

La sénatrice Petitclerc : Merci de vos exposés et d’être parmi nous. Tout cela nous sera très utile.

Ma question porte sur l’harmonisation des connaissances autochtones et des informations scientifiques. Madame Westaway, vous avez effleuré le sujet. L’article 3 du projet de loi présente une liste des éléments à prendre en considération dans la prise des décisions ministérielles, et certaines personnes ont fait remarquer qu’il est écrit que le ministre peut prendre en considération, entre autres, l’application d’approches axées sur la précaution et sur l’écosystème, les connaissances traditionnelles des peuples autochtones ainsi que les facteurs sociaux, économiques et culturels dans la gestion des pêches. Êtes-vous d’accord avec l’emploi du mot « peut », ou croyez-vous qu’il devrait être remplacé par le mot « doit »?

Ensuite, pouvez-vous nous exposer brièvement votre point de vue sur les connaissances autochtones et l’information scientifique? Les efforts du ministère des Pêches et des Océans à ce chapitre sont-ils suffisants? Croyez-vous que le projet de loi va aider à cet égard?

Mme Westaway : Nous sommes satisfaits de l’utilisation du mot « peut » parce que, selon nous, le projet de loi reflète ce qui a déjà été décidé par la Cour suprême, c’est-à-dire que nous avons toujours le droit de participer et d’être consultés.

Selon notre interprétation, le mot « peut » veut dire que les connaissances traditionnelles doivent être communiquées de la bonne façon et au bon moment. Si le ministre « doit » exiger que ces connaissances lui soient communiquées, il n’arrivera pas nécessairement à consulter les peuples autochtones de la bonne façon. Il doit y avoir des cérémonies; il y a des façons de procéder. Les peuples autochtones veulent communiquer leurs connaissances de la bonne façon, alors on leur permettra et on leur demandera de le faire. Cela fait partie des exigences. Les connaissances ne seront pas arrachées à la personne qui les détient ni conservées ailleurs. Voilà ce que le « peut » veut dire, et, en fait, c’est quelque chose que nous avons demandé pendant les consultations pancanadiennes.

Pour revenir à la science, les peuples autochtones — et la nation dénée en particulier — réclament un plus grand accès à des experts scientifiques et davantage de financement. En cas de déversement de pétrole, nous voulons pouvoir compter sur les meilleurs scientifiques afin de nous aider à mesurer la quantité de pétrole dans l’eau. La science sera utilisée conjointement et en harmonie avec les connaissances traditionnelles. Je ne crois pas que nous sommes opposés à la science. Peut-être que le chef voudra dire quelque chose à ce sujet, mais je crois que nous utiliserons toujours les deux.

M. Yakeleya : Monsieur Helin, je tenais à vous dire que vous avez effectivement les meilleurs poissons. Je voulais que vous le sachiez.

Je veux aussi dire que les connaissances traditionnelles autochtones sont un élément clé de ce projet de loi sur les pêches, parce qu’il y a des personnes spéciales dans nos collectivités qui possèdent ces connaissances et qui ont des liens particuliers avec les poissons. Quand j’étais jeune, il y a 30 ans, j’ai participé à une étude sur les poissons avec le ministère des Pêches et des Océans. Nous avons attrapé des ciscos arctiques près de ma collectivité, dans le fleuve Mackenzie, qui fait environ deux milles de large à cet endroit. Nous avons vérifié les étiquettes. Un certain nombre de ciscos arctiques ont été envoyés à Vancouver. Nous avons constaté qu’ils venaient de la baie Prudhoe, en Alaska, et qu’ils frayaient un mois plus tôt que d’habitude. Cela montre que les poissons sont en train de changer.

Les aînés, les anciens chefs, disent qu’un jour, nous allons lancer nos filets de poisson à l’eau, et lorsque nous les retirerons, il n’y aura que des déchets dans les filets et aucun poisson, ou alors les poissons que nous attraperons seront pourris. J’avais 17 ans quand j’ai entendu cela. Cela fait environ 40 ans, et je vois à présent la sagesse de leurs paroles.

Les connaissances traditionnelles doivent absolument être intégrées aux activités du ministère des Pêches et au projet de loi. Je crois qu’il serait très sage que le gouvernement — les ministres — consulte les détenteurs des connaissances traditionnelles, surtout en ce qui a trait aux poissons. Comme je l’ai dit plus tôt, le ministre et son ministère vont devoir travailler avec la nation dénée et tirer parti de ses connaissances traditionnelles à propos de nos terres et en particulier de nos eaux. Notre eau est en vie; c’est notre sang, et nous devons veiller à ce que le débit, la qualité et la quantité de l’eau restent intacts, conformément à nos revendications territoriales et à nos traités. Nous soutenons donc le projet de loi.

Nous voulons travailler avec des scientifiques et avec notre peuple. Nous voulons communiquer ce que nous savons, parce qu’il y a une différence marquée entre les deux. Nous détenons des connaissances spéciales qui n’ont encore jamais été révélées. Nous voulons nous assurer que les connaissances spéciales que nous communiquerons seront utilisées correctement. Nous voulons que le projet de loi protège les connaissances spéciales afin que le Canada en entier puisse en tirer parti. Ensuite, je pourrai inviter M. Helin à aller pêcher la meilleure truite grise au monde au Grand lac de l’Ours ou au Grand lac des Esclaves.

Le sénateur Duffy : Merci à tous d’être parmi nous. Encore une fois, merci de votre patience face aux problèmes techniques, chef.

Monsieur le maire, je crois que vous avez très bien expliqué aux gens qui nous regardent à la maison à quel point la bureaucratie gouvernementale peut être frustrante. Je ne parle pas uniquement de Pêches et Océans, mais de tout l’appareil gouvernemental. Vous avez parlé de la pêche au hareng, et du fait que votre bande a volontairement immobilisé ses bateaux afin de préserver les stocks. Je vous demande donc : qui est ce pêcheur qui fait fi de la fragilité du stock? Est-ce un pêcheur commercial ou un pêcheur individuel?

M. Helin : Les deux, je crois.

Le sénateur Duffy : Donc, il y a plus d’un bateau qui pêche?

M. Helin : Il y a seulement un bateau. Pour vous expliquer la pêche... C’est le même bateau. Ce pêcheur attrape des harengs à l’aide d’un grand filet qu’on appelle une senne. Puis, il vide son filet dans un bassin rattaché à la rive et va récolter du varech qu’il verse dans le bassin où les harengs frayent.

Le sénateur Duffy : C’est en quelque sorte une pisciculture.

M. Helin : Plus ou moins. Nous avons essayé de proposer au MPO des solutions pour faire le même genre de choses avec d’autres espèces, mais il fait la sourde oreille.

Le sénateur Duffy : Cette personne qui pêche... Le hareng est-il menacé à cause de ce qu’elle fait?

M. Helin : Vous parlez de connaissances traditionnelles et d’informations scientifiques, et la dame a déjà posé la question... Nous avons une excellente équipe technique pour les pêches, constituée en majorité de membres. Lorsque nous n’avons pas l’expertise suffisante, nous embauchons des gens. Je vais utiliser la pêche d’ormeaux comme exemple. L’ormeau est un mollusque qui s’agrippe aux rochers et se nourrit de varech. Notre peuple s’en est nourri pendant des milliers d’années, comme il s’est nourri de saumon. Au début des années 1980, des pêcheurs non autochtones ont demandé au MPO des permis de pêche commerciale pour l’ormeau. Ils sont allés les pêcher en eau profonde. Nous, nous les pêchions seulement à marée basse, alors les ormeaux n’ont jamais manqué. Depuis que la pêche en plongée a commencé, elle a pratiquement éliminé cette espèce.

Le sénateur Duffy : C’est comme un aspirateur. Avez-vous des palourdes royales dans votre région?

M. Helin : Oui, à deux pas de chez nous.

Le sénateur Duffy : À l’île de Vancouver, les pêcheurs en combinaison de plongée descendent jusqu’au plancher sous-marin pour les récolter.

M. Helin : Même si cette espèce vit à deux pas de chez nous, nous n’avons pas de permis de pêche commerciale pour la pêcher. Dans notre mémoire, nous abordons la question de l’élevage de la palourde royale. Il y a des solutions qui méritent d’être explorées, selon nous.

Le sénateur Duffy : Selon vous, la palourde royale est-elle en danger?

M. Helin : Non, je ne crois pas.

Le sénateur Duffy : Elle se vend à un bon prix.

M. Helin : Un très bon prix.

Le sénateur Duffy : Pour terminer, j’aimerais aborder un sujet dont on parle beaucoup, la réconciliation. Tous ceux parmi nous qui n’ont pas de sang autochtone apprennent énormément de choses sur votre style de vie et sur l’importance que tout cela représente pour votre peuple. Les fonctionnaires de première ligne du MPO et des autres ministères fédéraux ont-ils adopté la nouvelle façon de faire les choses, ou sentez-vous une certaine résistance institutionnelle? Les gens au sommet peuvent bien dire : « Nous devons faire les choses différemment », mais, si les gens en aval de la chaîne alimentaire, au bas de l’échelle, ne comprennent pas le message, c’est un peu une perte de temps.

M. Helin : C’est pour cela que j’aime bien venir à Ottawa, même s’ils n’ont pas compris le message. Le problème, en ce qui concerne les bureaux régionaux et locaux de Prince Rupert, c’est que le fonctionnaire qui y travaille prend sa retraite en mai. À ses yeux, tout cela n’a pas vraiment d’importance, parce qu’il part dans plus ou moins un mois. Les choses qui nous importent et dont nous discutons tombent dans l’oreille d’un sourd.

Le sénateur Duffy : Y a-t-il suffisamment d’Autochtones au ministère des Pêches et des Océans?

M. Helin : Pas à ma connaissance.

Le sénateur Duffy : Nous avons donc encore énormément de chemin à faire.

Mme Westaway : Monsieur le sénateur, il y a des gens qui ont consacré beaucoup d’efforts à l’élaboration de ce projet de loi, qui nous ont consultés et qui veulent que les choses s’améliorent. Ils ont mis sur pied un comité consultatif. C’est pour cette raison que nous croyons que tout cela ne doit plus être la responsabilité du seul gouvernement. Vos fonctionnaires vont bientôt prendre leur retraite. Il va y avoir un roulement de personnel. Cela ne sert à rien de communiquer des connaissances à quelqu’un qui ne sera pas là le lendemain. La surveillance et l’élaboration conjointe de la gestion des pêches doivent être confiées, au niveau régional, à la nation dénée et à la bande des Lax Kw’alaams. Les comités consultatifs prévus dans le projet de loi ne doivent pas être constitués de cinq personnes représentant cinq pêcheries différentes. Les comités consultatifs doivent être composés d’experts locaux. À mon avis, nous ne pouvons pas demander au ministère de s’occuper de cela. Il faut que cela soit confié à des dirigeants régionaux qui ont les connaissances pertinentes.

Le sénateur Duffy : Il faut abattre les murs, les nôtres et les vôtres. Nous sommes tous dans le même bateau.

M. Yakeleya : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Vous soulevez de très bons points. D’après mon expérience auprès du ministère des Pêches et des Océans, dans le cadre des discussions que j’ai eues avec ses représentants il y a plusieurs mois, il semble que le bureau régional est tout à fait disposé à ce que les employés autochtones qualifiés posent leur candidature pour le bureau mis sur pied à Yellowknife. À dire vrai, on a communiqué avec moi après la publication de mon communiqué de presse où je disais que la nation dénée n’était pas prise en considération, et cela a certainement été corrigé, aux fins de la réconciliation.

Vous soulevez un excellent point. Les gens de première ligne sont conscients de tout cela. Malheureusement, la bureaucratie met un certain temps à s’adapter à ce que le ministre ou les comités disent. Je sais cependant que les lois fonctionnent, peu importe qu’elles disent « peut » ou « doit »; la bureaucratie doit se plier à la loi. C’est la raison qui fait que cela fonctionne, selon moi.

Nous pouvons avoir de bonnes discussions, mais, sans dispositions législatives pertinentes, cela ne restera que de bonnes discussions. Nous avons besoin de lois robustes qui soutiennent la réconciliation, les peuples autochtones, les droits commerciaux et les droits de pêche et de récolte issus de traités. Pour reprendre le commentaire que la ministre Bennett a fait devant l’assemblée des chefs, il est temps pour le bateau colonial de revenir au quai et de s’y amarrer, afin qu’un nouveau bateau — nos bateaux autochtones — puisse pêcher. Nous soutenons cela. Évidemment, vous, les sénateurs, le Parlement et le gouvernement, vous avez du travail à faire. D’après mon expérience, la seule façon d’obtenir des résultats est d’adopter des mesures législatives. C’est comme cela que les gens produisent des résultats, parce qu’autrement, tout ce que nous faisons, c’est d’avoir de bonnes discussions, mais le temps n’est plus aux bonnes discussions, sénateur Duffy. Nous aimerions que le projet de loi que vous avez présenté avec vos collègues soit adopté avant le dépôt du bref électoral.

Je suis content de vous revoir, monsieur le sénateur.

Le sénateur Duffy : Moi aussi. Merci de vos sages paroles.

Le sénateur Munson : J’aimerais donner suite à la question du sénateur Duffy. Monsieur le maire, vous avez utilisé l’expression « mots vides » à propos de la réconciliation, et le chef de la nation dénée a aussi parlé de ce problème. Croyez-vous que nous pourrions mettre en place un mécanisme — ou que notre comité pourrait recommander un mécanisme —, au cas où le projet de loi ne donne pas les résultats escomptés? Parfois, j’ai l’impression qu’il existe deux régimes dans un même pays, comme en Chine et à Hong Kong. Le sénateur Christmas a dit que l’industrie de la pêche était prospère, au large du Cap-Breton, même s’il a fallu passer par les tribunaux pour en arriver là. De votre côté, vous dites que les gens de la côte Ouest meurent de faim. Pourtant, c’est le même pays. Donc, notre comité pourrait-il faire quelque chose dans le cadre de ses travaux ou de son étude sur le projet de loi C-68 afin que ce ne soit plus des mots vides?

Le ministre a témoigné devant nous le 2 avril, et il a dit que le projet de loi C-68 assurera une forte participation autochtone. La défense des intérêts, puisque vous en parlez, est d’abord le fait des gens sur le terrain. Cela n’a aucun sens d’avoir un comité consultatif constitué de deux Autochtones, de huit fonctionnaires d’Ottawa et de cinq fonctionnaires locaux. À mon avis, il faut que la majorité des membres soient des gens du terrain. C’est de cette façon que se fait la défense des intérêts, de nos jours, dans bon nombre de causes. J’aimerais que nous discutions de cela rapidement.

M. Helin : J’aimerais dire, pour vous répondre, que lorsque je rencontre quelqu’un, que ce soit dans un contexte professionnel, politique ou peu importe, il faut que j’apprenne à les connaître et vice versa. Il faut établir un lien de confiance et de respect. Nous devons apprendre à nous connaître l’un l’autre afin que les engagements que nous prenons soient réels. Il ne faut pas se contenter de bonnes réunions, comme le chef l’a dit. Il faut que les deux ou les trois parties concernées, peu importe, fassent des efforts pour qu’il y ait des résultats. Je vais le redire : les politiques et les lois ne sont que des mots. Il faut déterminer les mesures concrètes à prendre pour améliorer les moyens de subsistance des gens. Vous avez parlé de la côte Est et de la côte Ouest et, à mon avis, c’est le jour et la nuit, parce que je sais ce qui se passe sur les deux côtes. Par exemple, quand le ministre des Pêches prend la décision d’acheter un contingent d’une grande entreprise de Terre-Neuve pour le donner aux Premières Nations, moi, en tant qu’habitant de la côte Ouest, je ne trouve pas cela anodin du tout, parce qu’on n’en fait pas autant pour la côte Ouest. Donc, ce que nous voulons, c’est des façons d’améliorer les choses.

Le président : Chef, voulez-vous faire un commentaire?

M. Yakeleya : Merci, monsieur le sénateur. Très honnêtement, je soutiens M. Helin. Je crois qu’il s’agit d’un élément très important du projet de loi. Vous qui êtes assis autour de la table, vous êtes les experts et vous savez comment enchâsser la réconciliation dans le projet de loi, ce qui vous permettra enfin de demander l’avis des spécialistes de notre Première Nation à propos de ce qui est efficace. Nous savons qu’il est possible d’encadrer cette activité pour faire en sorte que nos connaissances soient sérieusement prises en considération et qu’on leur accorde de la valeur. Si j’avais un souhait à faire, ce serait que des personnes compétentes se réunissent pour élaborer un mécanisme avec vous, mesdames et messieurs, afin que ce projet de loi soit adopté. Cela peut donner des résultats stratégiques clés, mais, pour la nation dénée, la priorité, c’est nos droits issus de traités, nos droits de chasse, de pêche et de trappe. Si ces droits étaient enchâssés dans une loi, cela renforcerait nos discussions.

J’ai vraiment aimé ce que vous avez dit. Ce sont de bonnes nouvelles pour nous. Je ne comprends pas parfaitement la logistique du projet de loi et les résultats qu’il est censé donner, mais s’il y a une façon de réunir les chefs... De plus, Cynthia, cette jeune femme, pourra aider à mettre au point ce mécanisme. J’appuierais cela. Merci de votre question.

Le président : Merci, chef, et merci à nos autres témoins. J’ai sans doute un parti pris, puisque je viens de Terre-Neuve-et-Labrador, mais je crois que c’est nous qui avons le meilleur poisson. Je veux vous remercier d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui afin de discuter du projet de loi C-68. Vous nous avez présenté des propositions et des conseils de grande qualité. Nous ne manquerons pas de réfléchir à ce que vous avez dit, dans le cadre de nos délibérations. Je veux remercier les témoins et le chef de leur temps. Je m’excuse des problèmes techniques que nous avons eus au début, mais ce genre de choses me dépasse complètement.

Bienvenue à tous. Nous accueillons notre dernier groupe de témoins de la soirée. Nous avons pris un peu de retard, mais ça ne devrait pas poser de problème. Je demanderais aux témoins de se présenter avant que nous passions aux exposés.

Susanna Fuller, gestionnaire principale de projets, Oceans North : Susanna Fuller, Oceans North.

Rupert Kindersley, directeur général, Association de la Baie Georgienne : Rupert Kindersley, Association de la Baie Georgienne.

David Browne, directeur, Science de la Conservation, Fédération canadienne de la faune : David Browne, Fédération canadienne de la faune.

Rick Bates, chef de la direction, Fédération canadienne de la faune : Rick Bates, Fédération canadienne de la faune.

Le président : Je sais que vous avez préparé des exposés. Nous commencerons par Mme Fuller.

Mme Fuller : Merci beaucoup. Je croyais que j’allais passer en dernier, alors j’avais préparé une berceuse ou plutôt une histoire pour vous aider à trouver le sommeil, mais, puisque j’ouvre le bal, je vais pouvoir prononcer mon discours.

Merci de m’avoir invitée aujourd’hui. Je suis très enthousiaste à l’idée que le projet de loi C-68 est sur le point d’être adopté. J’ai déjà vu mourir au Feuilleton d’autres projets de loi visant à moderniser ou à mettre à jour la loi. C’est arrivé deux fois, et ces projets de loi n’étaient pas aussi exhaustifs que celui à l’étude. La Loi sur les pêches est une loi très importante pour les Canadiens. La loi n’a jamais fait l’objet d’une modification si exhaustive depuis son entrée en vigueur en 1868. Les Canadiens se soucient des poissons et de leur habitat, parce qu’ils sont tous deux extrêmement importants pour la biodiversité et les écosystèmes aquatiques. Ensemble, en date de 2017, les pêches commerciales et récréatives injectaient plus de 12 milliards de dollars annuellement dans l’économie canadienne.

Malgré tout, le projet de loi C-68 n’est pas la révision intégrale de la loi réclamée aux fins de la réconciliation et de l’adoption des lois autochtones, comme cela a été dit par le dernier groupe de témoins. Cependant, les modifications législatives proposées sont en grande partie conformes aux recommandations des collectivités autochtones et des Premières Nations qui ont présenté des observations au comité des pêches de la Chambre des communes. Elles représentent également des améliorations majeures de la Loi sur les pêches. La mise en œuvre soulève d’autres questions. Il y a eu de vastes consultations qui ont mené à un consensus sur l’orientation générale du projet de loi. Vous avez le devoir important et historique d’adopter le projet de loi C-68.

Mon point de vue et mes arguments reflètent quatre expériences que j’ai vécues. Premièrement, comme j’ai grandi dans le Canada atlantique, je comprends l’importance de l’industrie des pêches et des pêcheurs pour les collectivités côtières. Deuxièmement, j’ai siégé pendant plus de six ans au Comité national de coordination sur l’habitat des poissons. Troisièmement, j’ai tenté, en grande partie par l’intermédiaire de comités consultatifs sur les pêches commerciales, de mettre en œuvre certains pans du cadre pour la pêche durable élaboré par le MPO dans l’espoir qu’il y ait des pêches durables ayant peu d’incidence sur l’écosystème marin. Quatrièmement, j’ai représenté le Comité consultatif sur les espèces à risque, dont les efforts ont mené, en 2015, à une évaluation de la protection et de la gestion, en vertu de la Loi sur les pêches, des poissons de mer n’étant pas visés par la Loi sur les espèces en péril, ou plutôt du manque de protection et de l’absence de gestion.

À la lumière de cette évaluation, nous avons appris que même si le MPO dispose des outils nécessaires pour rétablir les populations de poisson en déclin, aucune loi ne l’obligeait à utiliser ces outils, du moins jusqu’à l’adoption du projet de loi C-68. Il semble que rien ne se fait s’il n’y a pas d’exigences juridiques. Je crois que l’exemple le plus désolant que je pourrais donner est que, même s’il s’est écoulé 28 ans depuis l’effondrement des stocks de morue du Nord — une catastrophe qui a fait perdre leur emploi à près de 35 000 pêcheurs, travailleurs des usines de transformation du poisson, et cetera —, il n’y a toujours aucun plan de rétablissement pour cette population. Si cette espèce était inscrite sur la liste en vertu de la Loi sur les espèces en péril, le ministère serait tenu d’élaborer un plan de rétablissement et de protéger cette espèce. Il lui faudrait également fermer de nombreuses pêcheries du Canada atlantique. Le projet de loi C-68 servira à effectuer un triage important des espèces surexploitées.

Ces perspectives constituent la base de mes commentaires à l’appui du projet de loi C-68. Vous avez entendu mes collègues donner leur appui, ils vous ont déjà présenté leur exposé sur les dispositions du projet de loi qui tiennent compte des facteurs socioéconomiques, et ils appuient en particulier les dispositions relatives aux propriétaires exploitants des politiques actuelles en vigueur dans le Canada atlantique. Nous avons besoin d’une industrie de la pêche diversifiée qui englobe les petites entreprises gérées par des pêcheurs et leur famille, qui constituent la plus grande partie de la trame de nos collectivités côtières et rurales.

En ce qui concerne les dispositions relatives à la protection de l’habitat, nous serions tous d’accord pour dire que l’un des éléments les plus importants de l’habitat du poisson est l’eau. La définition de l’habitat proposée dans le projet de loi C-68 comprend le débit d’eau — le dernier groupe de témoins a parlé de l’importance de ces débits — et permet davantage la nécessaire collaboration sur le terrain entre les promoteurs et les groupes qui travaillent à l’amélioration de l’habitat des espèces comme le saumon sauvage et les anguilles d’Amérique, et offre aux organismes environnementaux et de conservation la réelle possibilité de travailler avec des associations industrielles sur des règlements et des codes pratiques relatifs au débit.

En ce qui concerne le troisième point, bien que le ministère des Pêches et des Océans ait adopté de louables politiques sur l’application de l’approche axée sur la précaution, la réduction des captures accessoires, la reconstruction des stocks de poissons et la protection des zones sensibles, il faut que ces politiques soient protégées et appuyées par la loi. Bon nombre des éléments du projet de loi C-68 dont le ministre doit tenir compte aideront à veiller à ce que le processus décisionnel appuie la mise en œuvre de ces politiques.

Enfin, comme cela a déjà été dit, le projet de loi C-68 assure pour la première fois que des plans de rétablissement des populations de poisson épuisées seront exigés, et que le Canada s’aligne enfin sur les autres pays qui ont une industrie halieutique développée. Au Canada atlantique seulement, 40 populations de poisson sont considérées par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada comme étant menacées ou en voie de disparition. Un grand nombre de ces espèces ont déjà été des espèces commerciales précieuses, et certaines d’entre elles continuent à être commercialisées. À ce jour, un seul plan visant à rétablir les stocks est accessible au public.

Pour conclure, le ministère des Pêches et Océans avait une devise qui était : « Pas d’habitat, pas de poisson. » Ce projet de loi permet de reformuler cette devise. La nouvelle devise pourrait être : « Pas d’habitat, pas de poisson; pas de poisson, pas de pêcheur; pas de pêcheur, pas d’assiette fiscale en milieu rural. »

Comme je l’ai mentionné, j’appuie le projet de loi tel qu’il est rédigé. Il n’est pas parfait, mais nous savons tous que le mieux est l’ennemi du bien. Mes propositions d’amélioration seraient de veiller à ce que l’objectif des dispositions sur le rétablissement soit de rétablir les stocks à des niveaux sains, à l’article 6, et exiger qu’un rapport annuel sur l’état des stocks de poisson soit présenté aux Canadiens, en ajoutant quelques mots à l’article 42.1. Voici un exemple d’un rapport que la NOAA a présenté au Congrès américain, un document facile à lire et plein de belles images. Le MPO fournit cette information, mais sur de grandes feuilles de calcul Excel qui ne sont pas accessibles à la plupart des gens.

Pour finir, l’examen quinquennal proposé est extrêmement important, car il fait en sorte qu’on ne laisse pas passer des décennies, voire des siècles, sans apporter des améliorations à la Loi sur les pêches. Ce sera essentiel, étant donné que la mise en œuvre de la loi est évaluée en fonction de la façon dont ses dispositions sont adaptées aux répercussions sans cesse croissantes des changements climatiques sur notre écosystème aquatique.

Sur ce, j’ai fini. Merci.

M. Kindersley : Tout d’abord, je suis d’accord avec tout ce que vient de dire Susanna. Merci beaucoup de m’avoir invité ici aujourd’hui.

Pendant plus de 100 ans, l’Association de la Baie Georgienne a défendu les intérêts des côtes est et nord de la baie Georgienne et le chenal nord du lac Huron. Nous représentons aujourd’hui environ 3 000 familles et touchons au moins 18 000 personnes.

Notre association appuie une industrie de l’aquaculture forte, dynamique et durable au Canada. Nos témoignages prouveront au comité que les opérations d’aquaculture en eau douce en enclos ouverts dans la baie Georgienne et dans le chenal nord du lac Huron, que j’appellerai piscicultures à enclos ouverts, ne sont pas durables et ne devraient pas être autorisées, en particulier dans le contexte de l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs, conclu par le Canada et les États-Unis.

Le projet de loi C-68 représente un progrès important et positif dans la voie du rétablissement des mesures de protection des pêches sauvages, du milieu aquatique et de l’habitat des poissons dans tout le Canada, qui étaient prévues dans la Loi sur les pêches de 2007. Par conséquent, notre association appuie sans réserve le contenu et l’intention du projet de loi.

Le principal objectif de notre présentation, c’est de clairement démontrer au comité en quoi la pisciculture à enclos ouverts nuit à l’environnement.

Notre association soutient que la pisciculture à enclos ouverts pollue et réduit la qualité de l’eau et des sédiments à cause des dépôts des excréments de poissons, du surcroît de nourriture, des produits pharmaceutiques et chimiques utilisés pour nettoyer les filets qui se trouvent dans l’eau et sous les cages. Tout cela s’accumule au fil du temps, et l’eau naturellement riche en oxygène, pauvre en nutriments et oligotrophe devient de l’eau eutrophe et, par conséquent, inhabitable pour les poissons sauvages. Ces opérations doivent donc être déménagées sur la terre ferme, dans des systèmes durables de culture en parcs clos, pour protéger les poissons indigènes et leur habitat dans les zones d’importance écologique de la baie Georgienne et du chenal nord.

Donc, il est évident que les piscicultures à enclos ouverts ne sont pas correctement gérées ni contrôlées. Nous demandons par conséquent au comité de recommander que les ministères des Pêches et des Océans et de l’Environnement reprennent leur rôle principal en matière de gestion de ces opérations qu’ils avaient autrefois.

Je vais vous donner des exemples de dommages causés par les piscicultures à enclos ouverts; à ce jour, deux piscicultures à enclos ouverts, à La Cloche Channel et à Grassy Narrows, près de l’île Manitoulin, ont été fermées mais continuent de nuire à l’écosystème aquatique. Cette image satellite a été fournie par le commissaire à l’environnement de l’Ontario de l’époque, qui montre La Cloche Channel 10 ans après le retrait des cages des piscicultures à enclos ouverts. Le méthane qui se dégage des déjections de poisson mêlées aux sédiments, sous l’emplacement où se trouvaient les cages, reste suffisant pour faire fondre la glace au-dessus de cet ancien emplacement, et le phénomène est visible de l’espace. C’est une image satellite.

Une troisième pisciculture à enclos ouverts située dans le lac Wolsey, une baie du chenal nord, est gérée par Mike Meeker, qui a déjà comparu devant votre comité; cette installation a entraîné une prolifération des algues bleues toxiques chaque année depuis 2015, et elle devrait également être fermée. Nous avons appris que cette exploitation piscicole a tenté de vendre du poisson contaminé élevé sur place, mais qu’elle a dû les jeter à la suite d’un test positif de dépistage de toxines, en raison du risque pour la santé et la sécurité publiques. Voici la photo. L’ensemble de l’industrie de l’aquaculture voudrait voir cette installation fermée également, étant donné qu’elle leur fait une mauvaise réputation, et les problèmes de santé et de sécurité potentiels sont une menace pour leur réputation. Cette photo a été prise par K. Hille en septembre 2006 et elle montre la cage d’aquaculture et la prolifération du phytoplancton dans le lac Wolsey.

Parmi les autres répercussions négatives des piscicultures à enclos ouverts sur l’environnement, mentionnons la libération de grandes quantités d’antibiotiques et d’autres agents chimiothérapeutiques, la croissance d’espèces envahissantes comme la moule zébrée et la moule quagga, qui représentent une menace importante pour les stocks de poissons sauvages et leur habitat dans les Grands Lacs, les évasions nombreuses et répétées des poissons, les filets étant déchirés par des vandales, ainsi que les conditions variables de la glace et les violentes tempêtes dont la fréquence et l’intensité augmentent maintenant annuellement en raison des répercussions des changements climatiques. Ces poissons d’élevage, génétiquement sélectionnés pour être des mangeurs voraces, disputent ensuite aux poissons indigènes la nourriture et l’habitat.

L’État du Michigan a conclu que les piscicultures à enclos ouverts constituent un trop grand risque pour la qualité de l’eau et ne sont pas avantageuses sur le plan financier pour le gouvernement. Par conséquent, aucun État riverain des Grands Lacs n’autorise les piscicultures à enclos ouvert.

Nous saluons le retour du principe de précaution dans le projet de loi C-68, mais il devra être appliqué. Pourquoi prendre le risque de polluer l’eau, alors que cette industrie dispose de solutions de rechange tout à fait durables et qu’il est possible d’élever de truites dans des installations terrestres?

Nous recommandons l’ajout de deux dispositions supplémentaires dans le projet de loi :

Revenir aux éléments déclencheurs de l’évaluation environnementale qui étaient prévus à l’article 36 de la loi avant 2012, et indiquer, à l’article 35, que les sources non ponctuelles de charges en phosphore entraînent la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat.

Il faut ajouter une disposition touchant la protection des Grands Lacs pour assurer l’assainissement continu et la réduction des charges en phosphore. Cette deuxième disposition devrait par conséquent imposer la conformité avec l’Accord canado-américain relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs, la Stratégie ontarienne pour les Grands Lacs, la Loi sur la protection des Grands Lacs, l’Accord Canada-Ontario sur les Grands Lacs et le Plan d’action et d’aménagement panlacustre du lac Huron.

En conclusion, nous espérons que nos témoignages vous amèneront à tenir compte de nos préoccupations, à recommander et à appuyer les mesures proposées une fois que le projet de loi C-68 sera adopté, et à intégrer dans la loi les deux modifications susmentionnées. Merci.

M. Bates : Bonsoir aux sénateurs et aux sénatrices,, au personnel et aux invités. Notre organisme, la Fédération canadienne de la faune, est connu pour sa représentation juste des enjeux relatifs à l’environnement et à la conservation de la faune, et nous sommes respectés pour cela.

Le ministre Wilkinson a indiqué que le gouvernement est ouvert aux modifications, en particulier dans les domaines où elles donnent une plus grande certitude aux promoteurs et assurent une meilleure protection à l’habitat de poisson. Nous recommandons trois modifications étroitement liées qui s’appuient sur les dispositions actuelles du projet de loi. Elles renforcent la certitude pour l’industrie et améliorent l’habitat des poissons dans tout le Canada. Nos modifications portent spécifiquement sur les mécanismes visant à compenser les dommages causés à l’habitat des poissons prévus dans la Loi sur les pêches. Voici les trois modifications en question :

D’abord, nous proposons d’étendre la capacité de créer des banques d’habitat à d’autres intervenants que les seuls promoteurs de projet. En d’autres termes, nous voulons permettre à tout organisme de créer une banque d’habitat et ensuite de vendre les crédits aux promoteurs de projet.

Ensuite, il faudrait compléter cela en permettant les paiements tenant lieu de compensation pour certaines catégories de projets et consacrer tous ces fonds aux travaux de restauration de l’habitat aquatique. Le Fonds pour dommages à l’environnement existe déjà et pourrait être utilisé à cette fin.

Enfin, préciser dans la loi que les promoteurs peuvent, pour compenser la destruction de l’habitat des poissons autorisée en vertu de la Loi sur les pêches, créer eux-mêmes leur mécanisme de compensation, acheter des crédits compensatoires des banques d’habitat, effectuer des paiements compensatoires ou combiner les trois possibilités.

J’aimerais préciser que le projet de loi C-68 comprend de nouvelles dispositions relatives aux banques d’habitat. Toutefois, dans sa forme actuelle, le projet de loi donne la possibilité uniquement aux promoteurs de projet de créer une banque d’habitat. En d’autres termes, si vous planifiez la construction d’une route qui enjambera plusieurs cours d’eau, vous êtes le seul, à titre de promoteur, à pouvoir créer un nouvel habitat en tant que banque pour compenser la destruction de l’habitat que vous pourriez provoquer. Le MPO vous donnera alors pour l’habitat restauré des crédits que vous gardez en banque jusqu’à ce qu’il vous soit possible de les utiliser pour compenser tout dommage causé par la route que vous construisez.

Les principaux problèmes qui se posent, c’est que cela exige que les promoteurs investissent beaucoup d’argent dès le départ pour créer une banque de crédits d’habitat. Ces promoteurs n’œuvrent pas dans le domaine des banques d’habitat et, ils hésiteront à investir dans la restauration de l’habitat. Cela signifie que la mise en œuvre des banques d’habitat sera très limitée. Les compensations doivent s’appliquer très longtemps, pratiquement à perpétuité. Cela signifie que les promoteurs devront contrôler et maintenir les mécanismes de compensation tout au long de leur durée de vie, ce qui détourne leur attention de leurs activités principales.

Ces idées ne sont pas nouvelles. Les banques d’habitat existent aux États-Unis depuis les années 1980, en Allemagne depuis 2002, et en Australie depuis 2008. Les changements que nous proposons auront beaucoup de répercussions positives; en voici une liste partielle :

Pour les promoteurs, il y aurait plus de certitude pour les projets, car ils pourraient acheter un crédit compensatoire qui a déjà été approuvé par le MPO ou payer des frais. Cela évite qu’ils aient à se demander si leurs mesures de compensation respecteront les exigences du MPO. En outre, ils pourraient connaître précisément leurs coûts dès le départ. Cela permettrait également d’approuver plus rapidement les projets parce que les promoteurs ne seraient pas obligés de consacrer du temps et de l’argent en vue de concevoir et d’élaborer un habitat et d’attendre l’approbation du MPO. Ils achèteraient simplement un crédit compensatoire.

Pour les économies locales, cela crée un nouveau secteur : les entreprises d’établissement de réserves d’habitats. Ces entreprises pourraient être exploitées par des sociétés privées, des Autochtones ou des organisations non gouvernementales. Cela permettrait également de limiter la note croissante que les contribuables finiront par devoir payer pour restaurer l’habitat aquatique.

Pour nos lacs, nos cours d’eau et nos côtes, les réserves d’habitats pourraient regrouper des mesures de compensation de nombreux projets afin de permettre une restauration de l’habitat à plus grande échelle et de générer des gains plus importants pour la production piscicole. Les frais payés au lieu de la prise de mesures de compensation seraient consacrés précisément à la restauration de l’habitat.

Selon nous, les nombreux avantages de ces amendements sont faciles à obtenir, car l’incidence administrative sur le MPO est très gérable. Le concept des réserves d’habitats se trouve déjà dans le projet de loi, alors leur mise en œuvre par des tiers s’ajouterait au travail que le MPO doit déjà réaliser. Le MPO doit surveiller actuellement les mesures de compensation créées sous le régime de la loi et appliquer les conditions d’autorisation. Il faudrait peut-être en réalité moins d’employés du MPO pour surveiller quelques grands projets de réserves d’habitats que nombre de mesures de compensation individuelles.

Nous vous avons remis la version initiale des amendements que nous proposons avec nos notes d’information.

Pour terminer, j’aimerais vous remercier du travail que vous faites ici aujourd’hui et de votre étude de cet important projet de loi. Nous avons hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci à nos témoins.

La sénatrice Poirier : J’ai deux ou trois questions. Ma première s’adresse à Mme Fuller. Dans votre exposé, une des améliorations que vous avez proposées, c’est que l’on s’assure que l’objectif soit de rétablir les stocks à des niveaux sains. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette proposition?

Mme Fuller : Certainement. Le Cadre pour la pêche durable du ministère des Pêches et des Océans comprend un document d’orientation sur le rétablissement, qui comporte une politique-cadre de l’approche de précaution. Cette politique-cadre de l’approche de précaution divise les stocks en trois zones : la zone critique, en rouge, ce qui est mauvais; la zone de prudence, en jaune; et, enfin, la zone saine, en vert.

Ce qui nous inquiète actuellement dans l’article 6 proposé, c’est qu’il prévoit un rétablissement à peine au-delà de la zone critique, juste au-dessus, ce qui signifie que nous ne saurons pas si un stock peut continuer en réalité de se rétablir, à moins que l’objectif soit vraiment qu’il recouvre sa santé. Par exemple, la pêche à la morue était ouverte en 1998 à Terre-Neuve et elle a augmenté assez rapidement. Les niveaux de pêche étaient très élevés à la reprise de la pêche après l’effondrement initial, et les stocks ont baissé en peu de temps; nous aimerions donc nous assurer qu’il y ait une vision à plus long terme en matière de rétablissement des stocks. Je suis consciente qu’on ne peut pas rétablir tous les stocks en même temps, mais nous devrions viser la santé de la ressource.

La sénatrice Poirier : Excellent. Merci.

La prochaine question s’adresse à quiconque aimerait y répondre. À sa comparution devant le comité le 2 avril, le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne a expliqué qu’une allocation de 107,4 millions de dollars sur cinq ans avait été annoncée dans l’énoncé économique de l’automne et qu’un montant annuel de 17,6 millions de dollars était ajouté de manière permanente; ces fonds sont affectés à l’application de la Loi sur les pêches. Selon vous, les fonds proposés suffisent-ils pour appliquer la loi?

M. Bates : C’est beaucoup d’argent. Par le passé, en plus du ministère, une partie de cet argent était destinée à des projets importants. Nos recommandations ne coûteront pas grand-chose et auraient une incidence minime sur le budget total. C’est difficile, sans que l’on connaisse bien le budget, de dire si cela suffira, mais je crois que c’est un assez bon point de départ.

M. Kindersley : Je dirais seulement qu’une partie de ces sommes sont allouées aux Grands Lacs. L’argent n’est pas dépensé seulement sur la côte Ouest et la côte Est, où le MPO accomplit la majeure partie de son travail. On doit prêter attention à ce qui se passe aux Grands Lacs afin de les préserver et de les protéger.

Mme Fuller : Il s’agit d’un investissement important. Il y a un réinvestissement dans la gestion et la recherche scientifique du MPO, et beaucoup de travail reste à faire dans la planification des mesures de reconstitution. Je dirai, toutefois, qu’une partie du travail difficile ne coûte rien; c’est le processus décisionnel qui est complexe. Cet argent doit aller de pair avec la difficulté des décisions.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Griffin : Ma question s’adresse à M. Bates. La participation des tiers se fait déjà dans un certain nombre de provinces — et je suis certaine que vous le saviez déjà —, alors il n’y aurait pas de perte nette d’habitat aquatique pour la pêche en eau douce. Par exemple, on a mis en place cette politique éclairée à l’Île-du-Prince-Édouard lorsque j’y étais sous-ministre, et elle n’a entraîné aucune perte nette d’habitat de terres humides, et dans les endroits où on ne pouvait pas du tout éviter de telles pertes et où il y avait des incidences, le promoteur pouvait payer des frais. Toutefois, le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard conclut fréquemment des contrats avec Canards illimités pour réaliser le véritable travail, puisque l’organisme est l’expert en la matière, pas le promoteur. Avez-vous connaissance que cela existe ailleurs au Canada?

M. Bates : Les mesures de compensation pour les habitats de terres humides existent, je crois, dans deux ou trois régions des Prairies. Je ne suis pas au fait d’autres endroits.

M. Browne : On a certainement mis en place différents types de réserves d’habitats pour divers habitats dans le cadre de projets pilotes dans les provinces, et le MPO a créé au fil des ans une liste d’environ 10 zones qui pourraient exiger des réserves d’habitats. C’est quelque chose qui se fait au Canada dans une mesure limitée. Évidemment, nous croyons que c’est bon pour l’environnement, la faune et les poissons, alors nous proposons ici que le projet de loi permette de prendre davantage de ces initiatives.

La sénatrice Griffin : Merci.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup d’être ici. Nous avons entendu beaucoup de témoignages aujourd’hui.

Je vais parler des peuples autochtones dans un instant. Je vais d’abord poser une question précise. Dans un mémoire remis au comité, une société de produits chimiques explique qu’inclure le concept de « débit d’eau » dans la définition du terme « habitat » représente potentiellement l’élargissement le plus important de la définition donnée à « habitat » dans toute l’histoire de la loi. Le mémoire explique aussi que « la modification proposée apportera des avantages correspondants minimes pour l’environnement et n’améliorera pas la protection du poisson et de son habitat autrement qu’en faisant obstacle au développement ». Êtes-vous d’accord?

Mme Fuller : Je sais qu’on s’inquiète de certaines associations et de certains intérêts de l’industrie concernant la disposition sur le débit d’eau parce qu’elle est nouvelle. Je pense que nous pouvons tous convenir que réglementer le débit d’eau et être en mesure d’exercer un certain contrôle à cet égard est extrêmement important afin que l’on puisse réaliser d’autres objectifs de la loi. À mon avis, les organisations environnementales et les associations de l’industrie ont vraiment essayé de s’entendre pour atténuer certaines préoccupations relatives à la réglementation et aux codes de conduite. Toutefois, le débit d’eau est probablement l’élément le plus essentiel de l’habitat dont a besoin le poisson, alors il importe vraiment de préciser dans la définition que le ministère possède ce pouvoir. Il y a un rapport — dont je ne me souviens plus de l’année — dans lequel les propres scientifiques du MPO affirment que le débit d’eau est crucial pour la santé du poisson à divers moments de sa vie. Cela ne signifie pas chaque flaque d’eau.

Le sénateur Munson : Je voulais mieux comprendre.

Aux représentants de la Fédération canadienne de la faune, vous avez recommandé d’élargir le système proposé de réserves d’habitats pour permettre aux tiers d’y participer. Qui sont les tiers? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Bates : Il pourrait s’agir d’une entreprise privée, d’une organisation autochtone ou d’un organisme de conservation.

Le sénateur Munson : Vous avez entendu les témoignages d’Autochtones juste avant vous. Que pensez-vous des divergences des deux côtés du pays? Il semble y avoir eu un sentiment de satisfaction après que le sénateur Christmas a parlé de poursuites en justice graves et d’une détermination d’établir une industrie de la pêche. Je n’arrive pas à croire que j’ai entendu que des « gens meurent de faim », mais il y a des personnes qui n’ont pas une alimentation adéquate et d’autres, le long de la côte Ouest, qui n’obtiennent pas leur juste part de ce qui se retrouve encore en abondance dans la mer. Qu’avez-vous pensé de ce type de témoignage? Il me semble que tout le monde veut cette loi. Quelques-uns sont peut-être contre. C’est un progrès, certes, mais il me semble que, aujourd’hui en 2019, nous avons échoué. Nous avons laissé tomber les Autochtones de la côte Ouest et du Nord.

M. Kindersley : J’avais l’impression que ce n’était non pas la loi, ni même la loi précédente, mais la mise en œuvre et certains enjeux locaux qui étaient au cœur du problème dont on a discuté plus tôt.

Cette loi est excellente parce qu’elle décrit en détail la participation des Premières Nations. C’est certainement la direction que nous avons prise en tant qu’organisation, et c’est très encourageant.

Mme Fuller : Je dirais que nous avons laissé tomber les Autochtones partout au pays de nombreuses façons, et l’accès au poisson, à la nourriture et la pêche à des fins sociales et rituelles sont très importants. Les décisions des tribunaux, tant sur la côte Ouest que sur la côte Est, ont commencé à régler certains des problèmes liés à l’accès. Nous sommes encore bien loin de trouver un juste équilibre à cet égard. La clé, c’est la confiance — nous l’avons entendu plus tôt — et les relations, et il faut les établir à l’échelon local ou à l’échelon des pêches. J’espère que cette loi permettra au ministère de faire cela et qu’elle conférera aux communautés autochtones un certain pouvoir à ce sujet. Nous avons beaucoup de chemin à faire vers la réconciliation, et le projet de loi propose des solutions et légifère sur des aspects qui sont en ce moment pour la plupart de la jurisprudence.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie tous de vos exposés. J’ai une question qui est assez vaste, mais c’est seulement pour m’aider, et d’autres, je l’espère, à mieux comprendre.

Monsieur Bates, lorsque vous avez parlé d’établissement de réserves d’habitats de poissons par des tiers et de paiements compensatoires, vous avez donné des exemples à l’échelle internationale, comme l’Australie et l’Allemagne. J’aimerais en savoir plus sur ce que font ces pays. Est-ce similaire à ce que vous proposez comme amendement et qui pourrait être mis en œuvre dans le cadre du projet de loi? Ces initiatives ont-elles donné de bons résultats? Fonctionnent-elles bien? Pourriez-vous me donner un peu plus d’information là-dessus?

J’ai une question d’ordre plus général pour vous, madame Fuller, parce que vous avez mentionné qu’il est temps que nous améliorions la Loi sur les pêches. J’aimerais avoir une idée de notre situation à l’échelle internationale. Cette loi fait-elle de nous des chefs de file? J’aimerais que vous me donniez un peu de contexte.

M. Bates : J’ai consulté une liste il y a quelques jours, et 158 pays ont des dispositions compensatoires dans leurs lois. Il y en a beaucoup moins qui possèdent des dispositions sur les réserves d’habitats. De ces dispositions compensatoires, certaines sont actives et prévoient des règlements, des programmes et des mesures de soutien, et d’autres ne le sont pas. Certaines connaissent des réussites, d’autres pas. Habituellement, celles qui existent depuis plus longtemps donnent de meilleurs résultats parce qu’elles sont actives. Les gens les modifient et les améliorent constamment. Les dispositions que j’ai données en exemple dans mon exposé sont celles qui prévoient de véritables réserves d’habitats, qui existent depuis un bon moment et qui ont été adoptées par des pays quelque peu comparables au Canada, les États-Unis, l’Allemagne et d’autres, qui possèdent des programmes très efficaces.

Si on ne prend pas de telles mesures, le contribuable finira par payer la note, les mesures et la restauration. Un exemple extrême, c’est la province d’Anhui, en Chine, d’où vient ma fille. Il y a deux ou trois ans, on a investi 100 milliards de dollars sur huit mois dans un cours d’eau pour entamer sa restauration. Ce sont les types de conséquences extrêmes qui peuvent se produire lorsqu’on ne règle pas dès le départ les problèmes de manière proactive.

Mme Fuller : Brièvement, concernant le fait d’amener le Canada à adopter de bonnes lois sur les pêches et des dispositions sur le rétablissement, d’autres pays halieutistes développés avec lesquels nous avons discuté dans le cadre de négociations sur la pêche internationale, soit les États-Unis, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, possèdent tous des dispositions sur le rétablissement. Ce sont de bons exemples à suivre pour le Canada.

Je dirais également que les facteurs qui doivent être examinés — le processus décisionnel fondé sur une assise scientifique, l’approche axée sur les écosystèmes, l’approche préventive, le savoir autochtone, les connaissances locales et les données socioéconomiques — sont tous des éléments qui font partie d’une bonne gestion des pêches à laquelle le Canada a adhéré dans le cadre d’accords conclus avec les Nations Unies ou de lignes directrices de la FAO. Si ces éléments se retrouvent dans notre loi, cela nous rapproche des autres pays. Oui, je dirais qu’ils nous permettraient d’avoir une bonne Loi sur les pêches dont nous pouvons être fiers. On juge l’arbre à ses fruits pour ce qui est de la mise en œuvre, mais c’est un bon départ.

Le sénateur Christmas : J’ai une question qui s’adresse à chacun d’entre vous. Je vais commencer par Mme Fuller.

J’ai été très intrigué par le rapport que vous nous avez montré plus tôt, le rapport sur les stocks de poissons, et cela ne m’avait pas frappé jusqu’à ce que vous le mentionniez. Il n’y a rien dans le projet de loi C-68 qui exige un rapport ou tout autre rapport sur les stocks de poissons. Est-ce exact?

Mme Fuller : L’article 42.1 proposé prévoit le dépôt au Parlement d’un rapport sur l’habitat et l’application de la loi, mais il ne vise pas précisément l’article 6, à savoir dans quelle condition se trouvent des stocks en particulier et lesquels font l’objet d’un rétablissement.

J’ai une copie du rapport d’Oceana. À l’heure actuelle, c’est une ONG qui rend public le meilleur compte rendu sur où en est le Canada. Je dirais que le MPO rend maintenant l’information publique. Je pense qu’un peu de financement pour retenir les services d’un bon concepteur graphique pourrait nous permettre de publier un rapport assez similaire à celui-ci. L’information est là. Cela n’avait pas été fait auparavant, et ce n’est pas obligatoire en réalité.

Compte tenu de l’importance du poisson et de son habitat pour les Canadiens et du fait que le public doit savoir où nous en sommes après la mise en œuvre de la loi, comment pourrons-nous dire dans 20 ans si nous avons réussi? Des 40 stocks en danger et menacés au Canada, en reste-t-il seulement 20? Comment fait-on rapport de la situation aux Canadiens et au Parlement au fil du temps? À mon avis, ce serait un petit amendement qui serait important; le MPO réalise déjà ce travail dans une certaine mesure, mais il faudrait préciser les choses et offrir au public un peu de transparence et de reddition de comptes.

Le sénateur Christmas : Je sais que d’autres dispositions législatives fédérales exigent un certain degré de rapports annuels pour divers secteurs de la compétence fédérale. Il est logique, selon moi, d’avoir un rapport annuel sur l’état des stocks de poissons.

Mme Fuller : À l’heure actuelle, certaines données font partie du rapport sur le développement durable, mais c’est un peu étrange parce que c’est Environnement et Changement climatique Canada qui fait rapport sur le poisson et non pas le MPO. La plupart des collectivités côtières et des pêcheurs n’examineront pas le rapport sur le développement durable pour voir comment se déroulent les choses. Ils veulent voir ce que fait le MPO.

Le sénateur Christmas : Pourrais-je vous demander de l’aide pour essayer de trouver quelque chose qui soit clair et facile à comprendre et qui assurerait la transparence à l’égard des Canadiens concernant l’état de nos stocks de poissons? Pour moi, une des parties les plus intéressantes du projet de loi C-68, c’est le rétablissement des stocks de poissons épuisés. J’aimerais vraiment voir cela.

Mme Fuller : Je suis heureuse de vous aider.

Le sénateur Christmas : Monsieur Kindersley, j’ai aimé votre commentaire sur les élevages à enclos ouverts. Une des critiques que j’ai entendues au fil des ans sur ces élevages, pas sur elles en soi, mais sur la solution de rechange aux systèmes à enclos fermés, c’était le coût. Le coût en capital d’utiliser un système piscicole à enclos fermés est considérablement plus élevé que celui d’un système à enclos ouverts. Est-ce également votre avis, ou avez-vous une autre opinion sur ce sujet?

M. Kindersley : Oui, c’est en grande partie exact. Il s’agit d’une industrie qui a pris de la maturité parce que nombre des nouvelles technologies ont fait leurs preuves sur le plan financier, et c’est peut-être l’élément clé qui manquait depuis les 20 dernières années. Une fois qu’on démontre que les nouvelles technologies peuvent être rentables, celles-ci devraient attirer le capital nécessaire pour élargir ce secteur de l’industrie. Je crois que c’est de là que provient la croissance.

Les élevages à enclos ouverts posent d’autres problèmes parce qu’ils se trouvent habituellement loin des marchés, et on doit transporter le poisson par camion jusqu’au marché et utiliser des carburants fossiles pour faire cela. Ce n’est pas une bonne chose si nous pouvons l’éviter. Le grand avantage des installations terrestres, c’est qu’on peut les construire près d’un marché et éviter les coûts importants de transport.

Également, dans certaines exploitations aquaponiques où on cultive des légumes ou de la marijuana avec l’élevage de poisson, on utilise le phosphore qui provient des excréments de poissons. On recycle sur place ces excréments pour faire pousser des produits destinés à la consommation humaine. C’est vraiment la voie que suit l’industrie. Ces exploitations sont plus rentables parce qu’elles ont deux ou plusieurs sources de revenus.

Le gros problème avec les élevages à enclos ouverts dans la baie Georgienne du chenal du Nord, c’est que ce sont de petites exploitations. Elles n’ont pas du tout accès à du capital. Il s’agit principalement d’entreprises familiales, et elles utilisent essentiellement une technologie dépassée qui n’est pas durable. Il faut injecter plus d’argent dans cette industrie. D’autres personnes doivent intervenir avec de meilleures technologies, de meilleurs ingénieurs et de meilleurs scientifiques. C’est une énorme occasion de croissance. Il est extrêmement important d’avoir une bonne industrie de l’aquaculture. Nous devons cesser autant que possible de pêcher le poisson sauvage à des fins commerciales. Je sais que beaucoup de vies dépendent de cette industrie dans diverses régions, mais elle n’est vraiment pas durable à l’échelle mondiale. Nous allons manquer de poissons.

Le sénateur Christmas : Y a-t-il des exemples ici, dans l’industrie de l’aquaculture canadienne, où on adopte des systèmes terrestres?

M. Kindersley : Oh oui, cela se fait à l’heure actuelle. Je suis désolé, on en retrouve de nombreux exemples et on a mis au point récemment beaucoup de nouvelles technologies. Je crois qu’il faudrait trop de temps pour vous expliquer cela aujourd’hui. Les meilleurs exemples, à mon avis, sont les cultures aquaponiques, où on cultive des plantes sur place. Autrement, il faut éliminer l’eau polluée que produisent ces exploitations de pêche, ce qui semble absurde lorsqu’on peut élargir l’exploitation pour cultiver quelque chose.

Le sénateur Christmas : Monsieur Browne, je vous ai coupé la parole. Vous vouliez répondre à une question que j’ai posée à Mme Fuller.

M. Browne : Je voulais seulement mentionner que cela n’exige pas non plus de rapport sur l’état de l’habitat du poisson. En 2009, le vérificateur général a affirmé, dans le cadre de son examen des dispositions sur l’habitat du poisson, que le MPO ne connaissait pas en réalité l’état de l’habitat du poisson au Canada et ne pouvait donc pas le gérer ou faire rapport sur l’amélioration ou la détérioration de l’habitat du poisson au fil du temps. Ce n’est pas dans la loi.

Le sénateur Christmas : Monsieur Bates, la notion même des réserves d’habitats par des tiers est très intrigante. Je me suis permis de lancer cette idée à d’autres personnes afin de voir ce qu’elles en pensaient. Un des commentaires que j’ai reçus m’a rendu perplexe, mais peut-être qu’il s’agissait d’une blague. Une des choses qu’on m’a dites, c’est que les réserves d’habitats par des tiers relèveraient plus facilement des provinces plutôt que du gouvernement fédéral, parce que la plupart des terres appartiennent aux provinces. Quelle est votre réponse à cela?

M. Bates : L’habitat du poisson relève du MPO. Si on met en œuvre des réserves d’habitats pour des milieux aquatiques, le MPO doit intervenir. Quant aux zones terrestres, il est peut-être plus logique que les provinces s’en occupent.

Le sénateur Christmas : Alors, même si le territoire appartient à la province, je crois comprendre que c’est le gouvernement fédéral qui est responsable de l’habitat du poisson. Cependant, lorsqu’il s’agit de la propriété des terres, cela créerait-il une zone grise entre les compétences fédérale et provinciale?

M. Browne : Le MPO a déjà mis en œuvre des réserves d’habitats sur des terres provinciales. Cela n’a pas créé de flou à l’époque. Peut-être que ce pourrait être le cas aujourd’hui. Chose certaine, les provinces ont compétence sur le fond des lacs et des cours d’eau, mais le gouvernement fédéral, lui, a compétence sur l’habitat du poisson. Je crois que c’est assez clair.

M. Kindersley : Je peux seulement parler des zones humides des Grands Lacs, et particulièrement de celles de la baie Georgienne, qui possède de loin les plus importantes zones humides des Grands Lacs. Tout d’abord, si on prend des mesures de compensation, on doit être très prudent, particulièrement à l’égard des zones humides parce que leur qualité varie énormément. Si on crée une nouvelle zone humide, ce qui est faisable en réalité, la qualité sera assez faible en comparaison d’une zone déjà établie. Je ne peux pas parler d’autres types de réserves de poissons, mais j’imagine que ce pourrait être également le cas avec elles. Je vous prie de faire preuve de prudence avec ce type de politique.

Pour ce qui est des zones humides du bassin hydrographique de la baie Georgienne, par exemple, une partie appartient au gouvernement fédéral parce qu’il possède le sol qui se trouve sous l’eau. Toutefois, lorsqu’il s’agit de terres — et nombre de ces zones humides sont très importantes —, la propriété est très variée. Il y a des offices de protection de la nature, des terres publiques administrées par le gouvernement de l’Ontario, et ainsi de suite. C’est assez complexe.

La sénatrice Busson : Pour poursuivre dans la même veine, j’aimerais en savoir davantage sur les réserves d’habitats. C’est un sujet assez intéressant. Dans les administrations qui en ont mis en place — et vous dites que le Canada a pris quelques mesures en ce sens à l’heure actuelle —, est-ce que cela exige une grande infrastructure administrative pour que l’on s’assure que la réserve est égalisée, c’est-à-dire que l’habitat qui est utilisé et l’habitat qui est rétabli sont de même dimension ou équitables? Qui serait la personne ou le groupe qui veillerait à la prise de la mesure d’assainissement adéquate pour une destruction donnée, si je peux utiliser ce mot, dans le cas d’une réserve d’habitats ou lorsqu’une entreprise achète même un droit?

M. Browne : N’importe quel conseiller environnemental ou organisme de conservation de réserves et d’habitats, aux États-Unis ou en Australie, par exemple, vous dirait que la seule façon d’y arriver est d’avoir un organisme de réglementation fort. Si vous n’avez personne pour réglementer l’habitat et qu’il n’y a aucun cadre de réglementation à cet égard, vous ne pouvez pas avoir de réserve d’habitats. Vous avez tout à fait raison. Il est essentiel d’avoir un organisme de réglementation qui fait ce travail d’arrière-plan et qui met en place le cadre nécessaire pour bien faire les choses. Cependant, le fait de vérifier chaque crédit n’entraîne-t-il pas une énorme bureaucratie? Cela n’a pas été le cas dans certains pays. Il faut des gens pour décider de l’équivalence de crédits, mais vous pouvez vous inspirer de ce qui a été fait dans d’autres pays.

Je voudrais ajouter qu’une partie de l’héritage du Canada, en ce qui a trait à notre façon particulière de protéger l’habitat du poisson, est que nous avons certains des meilleurs spécialistes de l’habitat du poisson au monde. Nous publions la revue principale à l’échelle internationale qui porte sur ce genre de chose, et nous avons l’habitude de trouver des solutions à ce type de problème. Je pense que le Canada est tout à fait à la hauteur de la tâche. Tout le monde se tourne vers nous pour ce genre d’information.

Des ressources sont nécessaires afin de créer un système et un cadre pour mettre en place des dispositions relatives aux réserves d’habitats, mais si vous pensez à l’embauche de nouveaux inspecteurs et de centaines de personnes et d’employés sur le terrain, ce n’est pas la façon dont les autres pays ont procédé. C’est l’organisme de réglementation qui met le cadre en place; puis le secteur privé, les organisations non gouvernementales ou d’autres particuliers, les intervenants, s’intègrent au cadre et accomplissent le travail, si vous voyez ce que je veux dire.

La sénatrice Busson : Oui. Merci.

Le sénateur Duffy : Je remercie nos témoins. Il s’agit de renseignements fascinants qui nous sont très utiles.

Madame Fuller, j’ai une question pour vous. Je lisais votre mémoire, et vous parlez d’espèces en péril. Nous avons reçu une proposition dans le Canada atlantique, à propos du détroit de Northumberland — et vous êtes originaire des Maritimes —, de la part de Northern Pulp, qui souhaite changer sa façon de mener ses opérations, avec l’installation d’une conduite dans ce détroit, une riche zone de pêche, dans le but de pomper environ 80 000 litres par jour de ce qui est à l’heure actuelle un effluent non désigné; en d’autres mots, on ne peut pas nous dire ce qu’il y a dedans.

Voici ma question : le ministre des Pêches était ici, et nous avons soulevé cette question parce que nous craignons — et c’est l’opinion générale dans les trois provinces maritimes, des gens de l’industrie de la pêche — les dommages abominables que cette conduite pourrait causer aux stocks de poisson et au homard en particulier. La réponse du MPO semble être, lorsque vous retirez le verbiage, qu’il ne peut pas se pencher là-dessus tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas eu de dommage causé et que l’affaire est actuellement entre les mains d’Environnement et Changement climatique Canada, qui se penchera sur le dossier et qui y réfléchira. Il n’y a pas d’évaluation environnementale faite par le fédéral, parce que cela relève de la compétence provinciale. Nous espérons qu’il y ait une évaluation environnementale faite par le fédéral. Cependant, même si Environnement et Changement climatique Canada s’en mêlait, le MPO resterait à l’écart parce qu’il n’entrerait en scène qu’après que les dommages ont été causés.

Selon moi, cette façon de penser est rétrograde, et nous fonctionnons à l’envers. Même si nous souhaitons voir ce projet de loi être adopté, parce que, après 100 ans, l’industrie a besoin d’être revitalisée et que vous avez eu toutes ces frustrations par le passé, il me semble que si nous ne trouvons pas une façon de régler ce problème, nous ne terminerons pas le travail que nous devrions faire. Quelqu’un a-t-il un commentaire à ce sujet?

Mme Fuller : Je suis au courant de la conduite de Northern Pulp. J’ai quelques commentaires à ce sujet. Tout d’abord, le projet de loi C-68 contient des dispositions sur les zones écosensibles. Vous vous rappelez peut-être qu’il existe une zone tampon pour la zone de pêche au pétoncle dans la région où Northern Pulp souhaite prolonger sa conduite. Ces zones sont prises en compte dans l’objectif du 10 p. 100 de zones protégées du Canada. Actuellement, la réglementation ne concerne que les activités de pêche. Ce sont des pêcheurs qui les ont proposées. Il n’y a pas de pêche au pétoncle, et le homard et d’autres espèces en péril inscrites ou non inscrites sont protégés.

Il y a certaines choses. Si ces zones sont désignées comme étant des zones écosensibles, le ministre devra alors prendre une décision quant à l’interdiction d’une nouvelle activité qui pourrait causer une détérioration ou une destruction de l’habitat du poisson.

Le sénateur Duffy : Le ministre des Pêches ou la ministre de l’Environnement?

Mme Fuller : Le ministre des Pêches pourrait le faire en vertu du projet de loi C-68, comme je le comprends. Cela n’a pas encore été appliqué, parce que le projet de loi C-68 doit être adopté. Cette question semble passer de main en main. Personne ne veut s’en occuper. C’est un sujet épineux.

Le ministre des Pêches pourrait également dire qu’il considère que cette activité altère l’habitat du poisson. Cela pourrait arriver, mais tant qu’il n’y a pas d’évaluation environnementale faite par le fédéral — et, dans la LCEE de 2012, on a supprimé les déclencheurs prévus dans la Loi sur les pêches, ce qui rend donc les choses plus difficiles... Environnement et Changement climatique Canada pourrait dire que, au titre de l’article 36, l’effluent est une substance nocive et ne pas autoriser le projet. Il y a plusieurs façons de le faire. Il existe également des moyens de centrifuger toutes les matières floculantes et de faire baisser la température de l’eau. Il y a d’autres choses que le secteur privé pourrait faire.

La quantité de matières floculantes qui sera déversée dans le détroit de Northumberland est trop importante, compte tenu des autres problèmes en cours, y compris le fait qu’il s’agit de l’un des plans d’eau qui se réchauffent le plus rapidement au Canada. Il y a de nombreuses espèces en mauvais état dans le sud du golf, dont la morue, la raie épineuse et la plie canadienne. D’habitude, les poissons meurent en raison d’une multitude de causes mineures. Je dirais qu’il s’agit d’une cause potentiellement importante.

Le sénateur Duffy : Une cause importante.

Mme Fuller : Mais tout le monde se renvoie la question.

Le sénateur Duffy : Estimez-vous qu’il y a des dispositions dans ce projet de loi qui permettraient au ministre des Pêches d’agir?

Mme Fuller : Je ne suis pas avocate; je suis scientifique. J’estime que des dispositions sur les zones écosensibles pourraient être utiles.

Le sénateur Duffy : Elles sont actuellement en place afin de protéger les pétoncles?

Mme Fuller : Non. Ce projet de loi devrait être adopté, et après vous pourrez désigner les zones tampons pour les zones de pêche au pétoncle comme des zones écosensibles qui font partie du 10 p. 100. Il faudrait s’assurer que d’autres activités n’ont pas d’incidence sur l’intention prévue de ces zones, ce que la conduite pourrait faire. Poser de nouveau la question au ministre serait une bonne idée.

Le président : La soirée a été longue, mais nous avons certainement eu des discussions et des débats intéressants. Je tiens à remercier nos témoins. Comme je l’ai dit à d’autres témoins, s’il y a quelque chose auquel vous pensez, après votre départ aujourd’hui, et que vous avez peut-être oublié de mentionner, lorsque vous étiez ici, n’hésitez pas à l’envoyer à notre greffière dans le cadre de nos délibérations sur le projet de loi. Encore une fois, merci de nous avoir accordé du temps ce soir et d’avoir présenté vos remarques, vos recommandations et vos modifications possibles à mesure que nous avançons.

(La séance est levée.)

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