Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 4 - Témoignages du 4 mai 2016
OTTAWA, le mercredi 4 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 33, pour étudier l'évolution des diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.
Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Nous accueillons aujourd'hui deux invités spéciaux, un par vidéoconférence depuis Oman, d'après ce que je comprends. Nous reviendrons à vous dans un instant, monsieur.
Avant de commencer, je tiens à souligner qu'il s'agit d'une journée d'audience assez importante en cette Semaine de la responsabilisation de l'Iran. En tant que membres du comité des droits de la personne, nous tenons à souligner pour le compte rendu que, même si beaucoup de nouveaux traités et de nouvelles demandes ont été élaborés et formulés au cours des derniers mois relativement à l'Iran, cela ne signifie pas qu'il faut oublier les problèmes liés aux droits de la personne dans ce pays.
Avant d'être un politicien ou un sénateur, j'ai travaillé comme journaliste en Iran à la fin des années 1980. Vous savez, je ne crois pas — et c'est une opinion personnelle — que la situation des droits de la personne en Iran a beaucoup changé. La situation était difficile à ce moment-là, et je crois qu'elle l'est encore aujourd'hui. Il faut que les partis des deux côtés — et, espérons-le, bientôt, aussi les sénateurs indépendants qui sont ici — définissent leurs propres points de vue indépendants au sein du Sénat du Canada relativement à ces enjeux. Nous voulons nous assurer que ces problèmes sont exprimés aujourd'hui durant cette importante séance.
Je vais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Ataullahjan : Bonjour. Je suis la sénatrice Salma Ataullahjan, de l'Ontario.
La sénatrice Frum : Sénatrice Linda Frum, de l'Ontario.
Le sénateur Ngo : Le sénateur Ngo, de l'Ontario.
La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Martin : Et, de la côte Ouest, Yonah Martin.
Le président : Je m'appelle Jim Munson. Je suis un sénateur de l'Ontario.
[Français]
Aujourd'hui, nous nous penchons plus particulièrement sur les droits de la personne en Iran.
[Traduction]
Notre premier groupe de témoins ce matin est composé de Mark Dubowitz, directeur exécutif de la Fondation pour la défense des démocraties, et, à titre personnel, Houchang Hassan-Yari, professeur au Département de science politique du Collège militaire royal du Canada, qui s'entretiendra avec nous par vidéoconférence. Ne vous méprenez pas; il n'est pas à Kingston, en Ontario, ni ailleurs dans le coin, il est en Oman. J'aimerais que M. Hassan-Yari soit le premier à s'exprimer, au cas où nous perdrions la liaison vidéo.
Monsieur, la parole est à vous. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des droits de la personne à Ottawa.
Houchang Hassan-Yari, professeur, Département de science politique, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Merci beaucoup, honorables sénateurs, et merci aussi à tous les représentants réunis autour de la table.
Je tiens à remercier le greffier du comité de l'invitation. Ma déclaration sera très brève. Espérons que nous pourrons ensuite discuter.
Les cas de violation des droits de la personne sont l'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés en Iran. Si on remonte aux premiers jours de la révolution iranienne et qu'on pense à tout ce qui s'est passé depuis la création de la République islamique, on rencontre constamment les mêmes problèmes. On dirait que, depuis le début, le problème des droits de la personne est l'un des principaux enjeux avec lesquels non seulement la population iranienne, mais la communauté internationale ont dû composer.
Parmi les droits en général, je tiens à mettre l'accent sur les droits des prisonniers. Ce sont habituellement ceux qui meurent en silence. S'ils ne sont pas très connus ou ne sont pas associés à des familles politiques importantes en Iran, habituellement, personne n'entend parler d'eux à part leur famille.
Il y a tellement de cas de prisonniers politiques qui meurent en Iran et d'autres encore qui continuent de souffrir de toutes sortes de maladies. Bon nombre d'entre eux n'avaient pas les genres de maladies qu'on attrape en prison lorsqu'ils étaient en liberté; les problèmes de santé les plus courants auxquels ils sont confrontés sont les maladies du cœur ou les crises cardiaques, les problèmes rénaux, les problèmes de dos et les problèmes de genoux pour ne nommer que ceux-là. L'une des principales explications de ces maux, c'est que, de toute évidence, les prisons sont surpeuplées et que les prisonniers n'ont pas assez d'espace pour que se déplacer.
Le deuxième problème concerne les prisonniers dits « politiques » en Iran. Ils sont maltraités par la République islamique. En fait, ce ne sont pas seulement eux qui sont maltraités, mais aussi leur famille. Dans de nombreux cas, les droits des membres de la famille sont constamment et continuellement violés. Par exemple, les enfants qui fréquentent l'université n'obtiennent pas leur diplôme à la fin de leurs études universitaires. Ils sont plutôt aiguillés vers le ministère du renseignement qui exerce des pressions sur eux pour qu'ils demandent à leurs parents — ou au membre de leur famille qui est en prison — de se repentir et de demander le pardon au leader.
Les autres problèmes en prison sont tous liés au manque de respect, à l'absence totale de tout respect pour la dignité des prisonniers. Et je parle ici autant des prisonniers politiques que des autres. Par exemple, il y a de nombreux décès de prisonniers incarcérés. La plupart du temps, c'est en raison du manque de soin; les corps sont jetés aux poubelles pendant quelques jours, puis on s'en débarrasse.
Il y a beaucoup de renseignements en Iran sur ces genres de problèmes, sur les pressions exercées sur les familles des prisonniers et ce genre de choses.
Je vous demande donc d'écouter très attentivement ce que Ahmed Shaheed va vous dire. Comme vous le savez, il est un rapporteur qui a été nommé par les Nations Unies et que l'Iran refuse de laisser entrer. C'est déjà là une violation des droits des Nations Unies, parce que, lorsqu'un rapporteur est nommé, ce dernier doit avoir accès au pays visé. Il doit pouvoir parler librement aux gens, y compris aux prisonniers, ce qui n'est pas le cas de M. Shaheed.
Je vais m'arrêter ici. Comme je l'ai dit précédemment, j'espère vraiment que nous pourrons discuter, mesdames et messieurs les sénateurs.
Le président : Merci beaucoup, monsieur. Je vous suis reconnaissant. Nous sommes aussi en présence ce matin de la sénatrice Nancy Ruth, de l'Ontario. Elle est un membre estimé de notre comité.
Mark Dubowitz, comme je l'ai déjà mentionné, est le directeur exécutif de la Fondation pour la défense des démocraties. Monsieur Dubowitz, la parole est à vous.
Mark Dubowitz, directeur exécutif, Fondation pour la défense des démocraties : Merci de m'avoir invité à témoigner devant votre comité distingué. Je tiens à vous féliciter et à féliciter vos collègues d'organiser chaque année une Semaine de responsabilisation de l'Iran dans le but de vraiment mettre en lumière les déplorables violations des droits de la personne en Iran.
Je vais rapidement formuler certaines recommandations avant de résumer la situation des droits de la personne. Je sais que vous allez rencontrer M. Shaheed plus tard aujourd'hui, et je crois qu'il est extrêmement bien placé pour vous fournir beaucoup plus de renseignements et de détails sur la situation des droits de la personne en Iran.
Je vais parler de cette situation et en résumer certains des aspects les plus fâcheux, mais je ne vais pas formuler des recommandations stratégiques précises. En effet, nous devons nous poser la question suivante : que pouvons-nous faire concrètement, à part rappeler chaque année la situation des violations des droits de la personne en Iran et mettre en lumière cette situation?
Je soumets au comité que le Canada peut faire deux choses précises.
Premièrement, Ottawa devrait imposer des sanctions liées aux droits de la personne aux entités étatiques responsables des violations institutionnalisées des droits de la personne en Iran ainsi qu'aux personnes qui travaillent pour elles. Ce sont les personnes, les entreprises et les sources de revenus qui facilitent et renforcent le système d'oppression nationale massive en Iran. Le Canada devrait cibler les institutions coupables, comme les prisons ou les bases militaires, où on constate des violations, sous forme de cas de torture et de détention arbitraire. Bon nombre de ces violations ont cours à la tristement célèbre unité 2A pour prisonniers politiques de la prison Evin. Monsieur le sénateur Munson, je crois que vous avez connu la prison Evin et les véritables horreurs qui y sont commises lorsque vous étiez journaliste.
Il faut bien comprendre que la prison est contrôlée par les Gardiens de la révolution, qui sont, en fait, la garde prétorienne du régime. Ces gardiens sont encore actuellement désignés comme organisation terroriste aux titres des lois américaines, européennes et — si je ne m'abuse — canadiennes.
En ce qui a trait aux Gardiens de la révolution, dans le cadre d'un témoignage précédent devant le comité et d'autres comités parlementaires, j'ai recommandé au Canada de modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales, la LMES, en ce qui a trait à l'Iran. La LMES permet au gouvernement canadien d'imposer des sanctions s'il y a une situation qui constitue une menace grave pour la paix et la sécurité internationale. Dans le passé, on s'est concentré sur les efforts de l'Iran liés à la prolifération de ses missiles balistiques et à son programme nucléaire. Dans le sillage de l'accord nucléaire, on a noté une importante érosion de ces sanctions.
Je tiens cependant à vous mettre en garde : les activités de l'Iran liées aux missiles, au parrainage du terrorisme et à son vaste système de répression nationale constituent toutes des menaces à la paix et à la sécurité internationale.
Le Canada était un chef de file de l'utilisation de la LMES dans le passé. Les violations des droits de la personne par le régime iranien satisfont aux critères de base établis au paragraphe 4(1) de la LMES, qu'on utilise déjà pour imposer des sanctions contre les violations des droits de la personne par le régime d'Assad en Syrie, le gouvernement du Zimbabwe et le gouvernement de la Birmanie, pour ne nommer que ceux-là.
En décembre 2012, le gouvernement du Canada a ajouté la Force Qods des Gardiens de la révolution, le bras terroriste à l'étranger du CGRI, à la liste des organisations terroristes qui figurent dans le Code criminel du Canada, mesure très importante dans la reconnaissance de la menace que représente le CGRI.
Comme je l'ai fait dans un témoignage précédent, je demande instamment au gouvernement Canada de franchir la prochaine étape logique et d'inscrire le CGRI en entier dans la LMES en raison de son rôle dans la violation des droits de la personne de la population iranienne et en vertu du Code criminel pour ses activités terroristes. Ce ne serait pas une décision sans précédent, parce que le gouvernement du Canada emboîterait le pas à l'administration Obama, qui a désigné le CGRI en entier en raison de ces violations des droits de la personne au titre du Décret 13553, en juin 2011, et du Décret 13606, en avril 2012.
Par conséquent, comme je l'ai dit, ce serait une façon d'harmoniser le droit canadien avec le droit américain. Le fait de désigner le CGRI en entier en raison de la répression et des violations des droits de la personne dont il est coupable aurait des conséquences pratiques de grande portée sur la capacité du CGRI de mener des activités à l'échelle internationale. Cela enverrait aussi un message puissant au peuple iranien qui souffre depuis des décennies de la brutalité du CGRI.
J'aimerais utiliser les quelques minutes qu'il me reste pour résumer certains des principaux aspects du dossier de l'Iran en matière de violation des droits de la personne.
Depuis les élections du président Hassan Rohani, on a remarqué un optimisme généralisé — mais selon moi non fondé — à l'idée qu'il allait accroître les libertés du peuple iranien. Cependant, au contraire — comme M. Shaheed vous en parlera, j'en suis sûr —, la situation a empiré. Il témoignera, mais je crois savoir qu'il a déjà dit qu'il n'y avait pas eu de changement important sur le terrain, même si le ton et la teneur ont changé.
Parmi les violations des droits de la personne, mentionnons, entre autres, les limites imposées à la liberté d'expression de la presse, les détentions arbitraires et la torture et la discrimination contre les femmes et les minorités ethniques et religieuses. Et le régime utilise ces instruments de répression pour faire régner la terreur.
L'exécution de mineurs est une situation particulièrement grave. L'année dernière, l'Iran a exécuté un nombre record de prisonniers — au moins 966 —, y compris 16 mineurs. Amnistie internationale a déclaré que l'Iran était l'un des derniers pays à l'échelle mondiale qui exécutent des délinquants mineurs. L'organisation a dit que les codes juridiques iraniens permettent de condamner à mort des filles d'à peine neuf ans et des garçons d'à peine 15 ans « ... à l'issue de procès iniques, notamment sur la base d'aveux forcés, arrachés sous la torture et d'autres formes de mauvais traitements. »
En janvier de cette année, 161 délinquants mineurs attendaient dans le couloir de la mort — deux ont été exécutés en octobre dernier — et leurs récits brisent le cœur. Si nous avons le temps, j'aimerais vous raconter certains de ces récits touchant les droits des enfants en Iran. Pas plus tard que le mois dernier, un réfugié afghan âgé de 6 ans a été assassiné brutalement. Cette histoire reflète bien l'expérience des enfants là-bas. Les enfants migrants et réfugiés, les enfants issus de minorités religieuse ou ethnique et les enfants de la communauté LGBT sont particulièrement vulnérables aux cas d'abus, y compris la violence et la discrimination sanctionnée par l'État. Les filles sont particulièrement vulnérables aux agressions sexuelles parce que l'âge légal du mariage pour les filles s'élève à seulement 13 ans et que des filles d'à peine 9 ans peuvent être mariées avec la permission du tribunal et de leur père. Plus tôt cette année, les Nations Unies ont condamné l'Iran en raison de l'augmentation du nombre de mariages forcés qui exposent les jeunes filles à un risque de « violence sexuelle, y compris le viol conjugal ». En outre, le Comité des Nations Unies des droits de l'enfant a déclaré que les dispositions législatives de l'Iran « autorisent ou cautionnent l'exploitation sexuelle des enfants ou la favorisent. »
Pour ce qui est de la liberté de religion, le département d'État des États-Unis condamne année après année l'Iran, qu'il juge à être un pays source de préoccupations particulières et a souligné que les conditions dans ce pays se sont détériorées au cours de la dernière année. Un récent rapport produit par le gouvernement américain précise que la République islamique d'Iran utilise des lois religieuses pour réduire au silence les réformateurs, y compris ceux qui défendent les droits de la personne et les journalistes qui expriment leurs droits ou leur liberté d'expression qui sont garantis aux termes de traités internationaux.
En ce qui a trait à la liberté de presse, on a marqué hier la Journée mondiale de la liberté de la presse et l'Iran a « célébré » cette journée en condamnant quatre journalistes qui travaillaient pour des journaux réformateurs à un total de 27 années d'emprisonnement. Je suis sûr que M. Shaheed vous dira qu'il y avait en janvier au moins 47 journalistes et militants des médias sociaux en prison et que, selon le Comité pour la protection des journalistes, l'Iran est parmi les trois pires pays en ce qui concerne l'emprisonnement des journalistes.
Lorsque nous parlons des violations des droits de la personne en Iran, nous oublions souvent le rôle que joue l'Iran dans le massacre brutal qui se produit en Syrie, où plus de 400 000 Syriens ont trouvé la mort. Il y a 11 millions de réfugiés et de personnes déplacées à l'intérieur du pays. La brutalité là-bas est horrible. Nous pourrions sans problème passer une journée entière à cataloguer le rôle que les Gardiens de la révolution ont joué dans le massacre brutal en cours en Syrie.
Alors, encore une fois, il y a tellement de choses à dire, mais je conclurai ainsi : ce qui me préoccupe beaucoup, c'est que, actuellement, l'Iran tente d'appuyer sa légitimité à l'échelle internationale au moyen de l'accord nucléaire. Je crois que les Iraniens vont adopter à peu près la même stratégie dans le dossier du nucléaire que dans le dossier du financement illicite, c'est-à-dire essayer de convaincre la communauté internationale qu'ils sont légitimes sans admettre leurs pratiques passées de tromperie et sans mettre fin à toutes ces pratiques.
Nous ne devons pas oublier que la stratégie de l'Iran, qui consiste à nier et à tromper les intervenants internationaux dans le dossier des droits de la personne, est bien en place. En fait, lorsque les Nations Unies ont renouvelé le mandat de M. Shaheed en matière d'enquête sur les violations des droits de la personne, les Iraniens ont déclaré que son travail était biaisé, discriminatoire, subjectif et mal équilibré. Comme il l'a souligné, les Iraniens ne lui permettent même pas d'entrer au pays. Il faut tenir l'Iran responsable. On ne peut pas accorder la légitimité avant que des changements importants aient été apportés en ce qui a trait à la liberté et aux droits de la personne du peuple iranien.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant le comité et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Dubowitz. Nous vous sommes reconnaissants. Deux autres sénateurs du comité se sont joints à nous, la sénatrice Raynell Andreychuk et la sénatrice Ratna Omidvar. Bienvenue parmi nous.
La présence d'autant de sénateurs ici ce matin montre bien toute l'empathie que nous éprouvons et notre désir de mieux comprendre les violations qui ont lieu en Iran. L'un des symboles d'espoir au Sénat, qui a refusé de laisser tomber la question iranienne, est la sénatrice Linda Frum, et je vais donc demander à la sénatrice Frum de commencer la période de questions.
La sénatrice Frum : Merci, monsieur le président et merci aussi de ces paroles aimables.
Merci beaucoup à nos deux témoins de la journée et, comme le président l'a dit avec justesse, nous sommes ici en tant que législateurs canadiens et nous nous demandons ce que nous devons faire pour améliorer la situation. Je vous remercie, monsieur Dubowitz, d'avoir formulé à notre intention des recommandations stratégiques précises.
La question que je vous pose à tous les deux concerne davantage des enjeux diplomatiques. Comme vous le savez, le ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion a dit plusieurs fois que le réengagement du Canada avec l'Iran ne doit pas être perçu comme une acceptation par le Canada des antécédents de l'Iran en matière de respect des droits de la personne. Cependant, voici ma question : croyez-vous que ce peut être le cas? Si le Canada rétablit les liens diplomatiques avec l'Iran, cela renforcera-t-il notre capacité d'exercer des pressions sur l'Iran afin que le pays améliore son bilan en matière de droits de la personne, ou le rétablissement de relations diplomatiques sera-t-il plutôt considéré comme un genre d'approbation de la part du Canada, un genre d'acceptation de la situation des droits de la personne là-bas?
M. Dubowitz : Madame la sénatrice Frum, merci de la question. Je crois que cela dépend. Je crains pour ma part que le rétablissement des relations diplomatiques avec l'Iran et la réouverture de l'ambassade canadienne seront en quelque sorte un retour aux affaires normales — et je mets l'accent sur le mot « affaires » — et que l'ambassade sera en fait utilisée pour faciliter les affaires entre le Canada et l'Iran, et qu'elle ne servira pas à souligner de façon continue l'agression régionale de l'Iran, son soutien du terrorisme et ses graves violations des droits de la personne. Je crois qu'on envoie là le mauvais message au peuple iranien si l'ambassade devient un lieu d'affaires plutôt qu'un instrument permettant de continuer de joindre les dissidents iraniens et de condamner des violations des droits de la personne dans ce pays.
Je crois que, si le gouvernement du Canada décidait de rétablir les relations diplomatiques, il devrait assortir ce réengagement d'une mesure politique précise pour rappeler que le Canada reste déterminé à défendre le peuple iranien. Une des façons d'y arriver — encore une fois — serait de rétablir les relations diplomatiques tout en condamnant les Gardiens de la révolution pour leur violation des droits de la personne au titre de la LMES. Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas ici pour recommander au Canada d'ouvrir ou non une ambassade, mais je tiens à souligner que, d'après ce que j'ai vu — particulièrement du côté européen de l'équation —, les ambassades qui sont rouvertes sont utilisées non pas pour améliorer la situation des droits de la personne en Iran ou pour tenir l'Iran responsable, mais pour favoriser les affaires européennes et le retour d'entreprises en Iran, ce qui, selon moi, est une faute morale énorme de la part de nos homologues européens. J'espère que le Canada, qui a fait preuve d'un leadership extraordinaire en matière de droits de la personne, ne fera pas la même erreur.
Le président : Il y a un délai. Attendons donc une seconde, et nous pourrons entendre l'autre témoin. Allez-y, monsieur.
M. Hassan-Yari : Oui, merci. Puis-je répondre à la question en français?
Le président : Oui, absolument.
[Français]
M. Hassan-Yari : Je pense que le Canada devrait s'engager dans la voie diplomatique et rouvrir l'ambassade. Le chef de l'Iran et le Gardien de la révolution aimeraient que l'Iran demeure isolé. Dans l'isolement de l'Iran...
[Traduction]
Désolé.
Le président : Allez-y, monsieur. Nous avons eu un petit problème. Poursuivez, s'il vous plaît.
M. Hassan-Yari : Vous m'entendez?
Le président : Oui, je vous entends. Allez-y.
M. Hassan-Yari : Je disais que, selon moi, la meilleure façon d'avoir un impact en Iran est d'interagir avec les gens là-bas. Le leader iranien aimerait bien que l'Iran soit isolé. Les Gardiens de la révolution ne sont pas en faveur d'un quelconque engagement de l'Iran avec la communauté internationale et, par conséquent, si on est absent, on ne peut rien dire.
Je suggère donc au Canada d'interagir avec l'Iran, mais de faire extrêmement attention. Il faut s'assurer que cet engagement a une portée internationale et qu'il se fait de concert avec les pays européens et les autres pays alliés, comme l'Australie, le Japon, pour ne nommer que ceux-là. Par conséquent, de cette façon, on rappelle aux leaders iraniens qu'ils sont responsables de leurs actes et que, par conséquent, ils doivent réagir aux violations des droits de la personne.
Par conséquent, si le Canada veut interagir avec l'Iran — et je crois que c'est une bonne idée — il y a une façon de le faire, et c'est en collaboration avec les pays occidentaux et, donc, en étant très clair avec les dirigeants iraniens parce que, en Iran, le président n'a pas beaucoup de pouvoir, et les autres, les ministres, en ont encore moins. Le leader doit donc comprendre quelles seront les conséquences des violations des droits de la personne, et, si l'Iran veut vraiment devenir un membre régulier de la communauté internationale, il doit respecter positivement ses obligations.
La sénatrice Frum : Pensez-vous la même chose de l'allégement des sanctions? Croyez-vous que l'élimination des sanctions permettra de promouvoir les droits de la personne en Iran ou ces sanctions constituent-elles un outil que le Canada devrait continuer à utiliser pour essayer d'exercer des pressions sur le régime?
M. Hassan-Yari : Selon moi, si nous examinons la situation iranienne, nous constatons que les personnes qui ont le plus souffert des sanctions sont les gens ordinaires. Lorsqu'on constate le nombre de ports illégaux aménagés dans le golfe Persique qui sont utilisés par les Gardiens de la révolution, on constate l'ampleur de la corruption et tous les avantages que les Gardiens de la révolution et ceux qui sont associés à cette organisation tirent des sanctions.
Par conséquent, les sanctions — malgré le fait que, au cours des dernières années, nous avons entendu des discours de toutes sortes au sujet des sanctions intelligentes et ciblées — ont affaibli davantage le peuple iranien. On pouvait constater la même situation en Irak avant l'invasion américaine quand, après l'invasion irakienne du Koweït, Saddam Hussein a pu se construire encore plus de palais et que le peuple irakien est devenu extrêmement dépendant. De toute évidence, les gens dépendants et affamés ne peuvent pas manifester ni défendre leurs droits.
Selon moi, éliminer les sanctions serait positif pour la population iranienne, mais — encore une fois, comme c'était le cas pour l'engagement diplomatique —, je crois qu'il faut exercer un contrôle sur ce qui se passe, là où l'argent va, et je ne sais quoi d'autre.
Si les fonds vont en Syrie, au Hamas, au Hezbollah et à d'autres groupes, les Iraniens n'obtiendront aucune de ces ressources. Cependant, s'il y a une condition assortie à la distribution des fonds, l'engagement et les échanges commerciaux avec l'Iran, alors, je crois que ce pourrait être positif.
M. Dubowitz : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d'accord avec cette analyse pour la raison suivante : un engagement international avec l'Iran actuellement signifie un engagement avec les Gardiens de la révolution et le leader suprême. Les Gardiens de la révolution contrôlent environ le tiers de l'économie iranienne et, fait important, ils contrôlent tous les secteurs stratégiques de l'économie iranienne qui intéresse les entreprises à l'échelle internationale. Que ce soit le pétrole, le gaz naturel, les produits pétrochimiques, l'exploitation minière, le génie, la construction, les secteurs industriels et de l'automobile, ce sont tous des secteurs clés de l'économie iranienne qui sont contrôlés par les Gardiens de la révolution.
Le leader suprême lui-même contrôle une société de portefeuille appelée The Execution of Imam Khomeini's Order ou EIKO. Il s'agit d'une société de portefeuille de 95 milliards de dollars par l'intermédiaire de laquelle le leader suprême contrôle les parts de la plupart des principales entreprises iraniennes, y compris d'importantes entreprises qui transigent à la Bourse de Téhéran.
Pourquoi est-ce important? C'est important parce que, lorsque les entreprises canadiennes retourneront en Iran pour faire des affaires dans n'importe lequel des principaux secteurs stratégiques de l'économie iranienne, immanquablement, elles feront affaire avec le leader suprême par l'intermédiaire de sa société de portefeuille ou avec les Gardiens de la révolution et leurs sociétés de façade. Non seulement est-ce mauvais pour le peuple iranien, mais ce serait en fait une infraction en vertu du droit américain parce que les États-Unis maintiendront des sanctions secondaires strictes à l'égard des Gardiens de la révolution, de la prolifération des missiles, du terrorisme et des droits de la personne. Ces sanctions viseront tout particulièrement les principales entités du CGRI qui contrôlent l'économie iranienne.
Selon moi, si vous songez à l'élimination des sanctions canadiennes, vous devez, dans un premier temps, faire très attention le moment venu, de ne pas aider les éléments les plus radicaux des Gardiens de la révolution et du leader suprême. Ensuite, il faut s'assurer de ne pas violer la loi parce que les États-Unis maintiendront d'importantes sanctions secondaires, et, en fait, ces sanctions risquent de s'intensifier sous l'administration Clinton ou Trump. Je tiens donc à sensibiliser les décideurs et les entreprises canadiennes à l'importance de comprendre le fouillis de sanctions et de lois qui resteront en vigueur et limiteront leur marge de manœuvre là-bas.
La sénatrice Ataullahjan : Merci à vous deux de vos exposés ce matin.
On entend constamment parler du fait que le nouveau leadership est modéré. Dans quelle mesure ces leaders sont-ils modérés? Et la situation des femmes, des filles et des minorités s'est-elle améliorée d'une façon ou d'une autre sous le leadership actuel? Est-ce que les choses s'améliorent ou empirent?
M. Dubowitz : Merci de la question. La FDD a réalisé une analyse systématique des écrits, des discours et de l'autobiographie de Hassan Rohani. Je ne vous apprendrai probablement rien, vous et vos collègues savez probablement déjà que M. Rohani est de toute évidence l'un des pères de la révolution. Il fait partie de l'infrastructure liée à la sécurité nationale de la République islamique depuis des décennies. Il est le père fondateur de la théocratie et du programme d'armement nucléaire.
En fait, l'ancienne sous-secrétaire d'État Wendy Sherman — qui était négociatrice américaine en chef de l'accord sur le nucléaire iranien et qui, en fait, a rédigé l'accord — aurait récemment dit : « Il y a des partisans de la ligne dure en Iran, puis il y a les partisans purs et durs. » Il n'y a pas de modéré au sein du régime. « Rohani n'est pas un modéré, c'est un partisan de la ligne dure. »
Je crois qu'on fait une grave erreur lorsqu'on croit que Hassan Rohani a, soit le pouvoir, soit l'intention de réformer la République islamique et le régime révolutionnaire. La presse a raison : M. Rohani, comme les autres présidents avant lui, n'a pas vraiment le pouvoir de changer les choses. Et même s'il avait ce pouvoir, d'après mon analyse, il n'a pas l'intention de procéder à de réels changements, ni de modérer ou de réformer la révolution islamique.
C'est ce qu'on a pu constater depuis la conclusion de l'accord. En fait, on aurait pu s'attendre à ce que le régime adopte une position plus modérée depuis la conclusion de l'accord sur le nucléaire, mais, au cours des mois qui se sont écoulés depuis, la situation des droits de la personne s'est détériorée. L'Iran a pris plus d'otages; les Iraniens ont fait plus d'essais de missiles; il y a eu plus d'expéditions d'armes illégales; l'Iran a fait feu sur un transporteur américain; les Iraniens continuent de fournir un soutien important et accru à Bashar al-Assad dans le cadre de son massacre brutal en Syrie; et ils continuent de fournir un soutien matériel aux rebelles houthis, au Yémen, et à certaines milices chiites, en Irak.
Tout cela depuis la signature de l'accord. Pour l'instant, rien n'indique que le régime est en train de changer d'une façon ou d'une autre, et, selon moi, malgré le possible décès imminent de M. Khamenei, le processus de succession qui aura lieu en Iran se soldera par l'entrée en poste d'une autre personne déterminée à conserver la République islamique et la révolution. Nous ne devons pas céder à la réaction impulsive qui consiste à croire que, d'une façon ou d'une autre, ces hommes sont des modérés. Ils sont peut-être pragmatiques, mais ils sont assurément dévoués à la révolution et à ses idéaux.
M. Hassan-Yari : Merci beaucoup, sénatrice, de la question. Je crois vraiment que nous devons faire attention. La situation en Iran n'est ni noire ni blanche : il y a toute une palette de couleurs entre les deux.
Selon moi, la réaction dure à la signature de l'accord nucléaire est une indication très claire — c'est ce que je pense — que Khamenei, le leader, et sa garde rapprochée n'apprécient pas l'accord. J'en comprends que, même si c'est lui qui, au bout du compte, prend les décisions, il n'est pas le seul décideur. À mon avis, le système iranien est très complexe dans la mesure où le pouvoir est partagé entre un très grand nombre de personnes, ce que nous ne voyons pas de l'extérieur. Lorsque Khamenei dit quelque chose, tout le monde dit oui, mais on ne voit pas les choses bouger dans la direction souhaitée par Khamenei.
J'estime aussi que la participation du régime iranien aux négociations de l'Accord nucléaire a été imposée à Khamenei. Il n'était pas en faveur de ces tractations et, encore une fois, si nous constatons une pression accrue sur le gouvernement Rohani, ses ministres, son vice-président et tellement d'autres intervenants depuis la conclusion de l'accord, c'est justement pour cette raison. Ce que le gouvernement et le peuple iranien ainsi que le monde extérieur doivent comprendre, c'est que l'accord est signé, mais que cela ne signifie pas qu'il pliera.
Selon moi, il s'agit d'une preuve de sa faiblesse et non de sa force. Encore une fois, Khomeini a si souvent été obligé de faire des concessions à tellement de personnes, y compris à Rohani... Mais je dois accorder à M. Dubowitz que Rohani a déjà œuvré dans le domaine de la sécurité.
Cela ne signifie pas que Rohani est une copie conforme de Khamenei, comme Khatami avant lui et même Rafsanjani l'étaient. C'est la raison pour laquelle on constate que l'organe judiciaire en Iran fait en sorte qu'il est impossible pour l'Iran d'interroger Khatami, le président qui a été au pouvoir pendant huit ans. Son passeport a été confisqué. En outre, il y a tellement de cas du genre qui montrent très clairement qu'il y a des dissidents en Iran. Toutes ces personnes croient en la République islamique, mais leur interprétation et leur compréhension varie. Ils ne croient pas aux mêmes choses. Par conséquent, en ce sens, je crois que nous devons faire attention. Encore une fois, et on en revient à la question de l'engagement, j'assortirais toute interaction de conditions. Il faut le faire collectivement en collaboration avec les autres intervenants et il faut être extrêmement vigilant.
Enfin, peu importe ce que dit le leader, cela ne signifie pas que tout le monde suit ses ordres. Ce n'est tout simplement pas le cas.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons d'autres questions. J'ai le nom de quatre sénateurs sur la liste, et il reste 20 minutes pour le groupe.
La sénatrice Ataullahjan : J'aimerais parler des minorités. Nous avons entendu parler de la discrimination qui vise les musulmans sunnites, les soufis et les chiites qui se sont convertis au sunnisme. Mais je crois que la pire discrimination vise les Bahá'is, qui se voient régulièrement privés de leurs droits fondamentaux de la personne. J'ai des amis bahá'is, et ils me disent qu'à leur avis, la discrimination dont ils sont victimes, de la naissance à la mort, est de la plus horrible espèce. Seriez-vous d'accord?
M. Dubowitz : Je crois qu'il est indiscutable que la collectivité bahá'ie de l'Iran fasse l'objet de la répression la plus flagrante qui soit, pire que pour tout autre groupe minoritaire.
Je crois que cela révèle la nature fondamentale de ce régime. On pourrait se demander pourquoi l'État utilise ses instruments de manière si violente et répressive contre une collectivité qui, à tous égards, est pacifique. Elle fait de son mieux depuis des années pour s'intégrer à la société iranienne et rester patriotique, mais elle a des croyances et des pratiques différentes qui lui valent une discrimination et une répression absolument épouvantables.
Cela révèle la nature du régime. M. Hassan-Yari a raison, c'est un régime complexe, comme le sont tous les régimes. Le régime de Staline était complexe, celui d'Hitler également. Il y a toujours des centres du pouvoir qui s'opposent, même dans les États les plus brutaux et les plus totalitaires. Ces régimes ne sont pas unidimensionnels, ils comportent des centres du pouvoir rivaux, car il s'agit dans la plupart des cas d'hommes très ambitieux et arrogants qui cherchent à accumuler de la richesse et du pouvoir aux dépens de leurs rivaux.
Il s'agit d'un système totalitaire complexe. Nous le savons tous. Le problème, c'est que le fait que le régime iranien soit complexe et brutalement autoritaire ne doit pas nous faire perdre de vue que tous ces hommes respectent les mêmes principes fondamentaux. Rohani, Sharif, Rafsanjani, Khatami, Soleimani, Jafari et, à coup sûr, Khamenei — la liste est longue — sont tous fondamentalement différents les uns des autres, en ce qui concerne les tactiques qu'ils utilisent, et ils sont à coup sûr en rivalité les uns avec les autres, mais, fondamentalement, ils croient tous aux préceptes de la révolution islamique, de ce régime, de sa nature révolutionnaire à l'étranger et de sa répression brutale, à l'intérieur.
Je crois que la situation des Bahá'is indique qu'ils craignent le désaccord, ils craignent un point de vue différent sur le monde, ils craignent les pratiques religieuses différentes, parce qu'ils croient que c'est une menace existentielle à la raison d'être même de la République islamique d'Iran. Selon moi, tant que les Bahá'is, les autres minorités religieuses, les femmes et les enfants ne pourront pas vivre dans le respect des droits de la personne et dans la tolérance, comme nous l'attendons dans toutes les nations, nous devrions faire preuve d'une très grande prudence dans nos relations avec ce régime.
Je suis très circonspect par rapport à ces relations, mais je ne veux pas dire par là que nous ne devrions jamais discuter avec de tels régimes, peu importe à quel point ils sont brutaux. Nous devrions veiller à entretenir des relations avec eux, à défaut de quoi nous nous ferions damer le pion par des hommes qui sont non seulement brutaux, mais également très versés dans l'art d'utiliser les instruments du pouvoir, tant chez eux qu'à l'étranger.
Le président : Je vais passer à d'autres questions; vous pourriez peut-être répondre à celle-ci. J'aimerais poursuivre.
La sénatrice Andreychuk : J'aimerais reprendre sur le sujet de notre débat.
Quelqu'un ici a dit que nous devrions travailler ensemble, avec les Européens et les Américains, pour renforcer notre résolution. Mais j'ai aussi entendu un témoin dire que les Européens rétablissent des ponts, il semble que ce soit le cas des ambassades, et c'est très bien, mais cela nous éloigne de tous les enjeux relatifs aux droits de la personne avec lesquels il faut composer lorsque les discussions portent sur le commerce.
En fait, les Européens ne sont pas portés à être prudents lorsqu'ils discutent ou s'engagent avec l'Iran. Par le passé, le Canada usait de son influence auprès des Européens, mais comment allons-nous pouvoir le faire maintenant? Ils semblent moins circonspects que nous le sommes. Comment pouvons-nous, alors, affirmer que nous parlons d'une même voix? Je crois qu'il faudrait insister.
La deuxième partie de ma question est celle-ci : comment pouvons-nous nous engager maintenant? Nous avions un ambassadeur pour les questions religieuses, qui travaillait auprès des Nations Unies et des régimes, lorsque cela était possible. Quelle influence pouvons-nous exercer aujourd'hui? Faut-il utiliser la diplomatie ou y a-t-il une autre solution? Fait plus important encore, comment pouvons-nous intervenir auprès des Européens, et en particulier des Scandinaves, qui ont pris en charge la question des enfants? Comment se fait-il que nous ayons ignoré la situation des enfants en Iran, au point où le rapporteur des Nations Unies a dû attirer notre attention sur cette situation de façon très explicite?
Vous pouvez répondre à l'une ou à l'autre de mes questions. Ce sont des enjeux qui me posent problème, et j'aimerais que le Canada lance des initiatives dans le domaine.
M. Dubowitz : Merci, madame la sénatrice, de poser cette question. Vous avez vraiment mis le doigt sur l'aspect qui, à mon avis, représente vraiment une réelle possibilité, étant donné que, de la même façon que les centres du pouvoir s'opposent, en Iran, il y a aussi des centres du pouvoir qui s'opposent, en Europe, sur ces questions de l'engagement par rapport aux droits de la personne et du commerce par rapport à la responsabilisation de l'Iran.
Lorsque vous discutez avec vos collègues européens, je suis certain que vous constatez que, dans tous les pays d'Europe, il y en a qui sont favorables au commerce, d'autres qui sont favorables aux droits de la personne et d'autres encore qui essaient de trouver un juste équilibre. Je crois que vous trouverez, en Europe, de nombreux législateurs et de nombreux hauts fonctionnaires qui demeurent très préoccupés au sujet des droits de la personne en Iran. Cela s'est reflété dans le nombre de signalements et de sanctions imposées par les Européens touchant les droits de la personne. Les Européens ont en fait été beaucoup plus sévères et solides que les Américains, car ils ont explicitement désigné les représentants officiels iraniens responsables de flagrantes violations des droits de la personne.
Il serait possible de discuter avec vos homologues du Parlement européen, des assemblées législatives nationales et des directions responsables de la question des désignations de violateurs de droits de la personne. Cela devrait répondre à la deuxième partie de votre question, sur ce que le Canada pourrait faire de plus, tout en continuant à soutenir l'extraordinaire travail accompli par M. Shaheed et à mettre en lumière toutes ses réalisations.
Encore une fois, je recommanderais que le Canada augmente le nombre des désignations de violateurs des droits de la personne parmi les fonctionnaires iraniens, en particulier ceux qui ont commis des actes extrêmes contre les enfants, la collectivité bahá'ie et les femmes.
Pour une raison ou pour une autre, les gens pensent qu'il est impossible en réalité de commercer avec un pays que l'on tient responsable de violations des droits de la personne. La Guerre froide est un excellent exemple de la façon dont cela peut se faire. Nous avons négocié des accords sur le contrôle des armements avec l'Union soviétique, malgré l'amendement Jackson-Vanik et les accords d'Helsinki.
M. Cotler m'a raconté une petite anecdote. Lorsque Mikhail Gorbachev venait en Occident, c'était au départ à titre de ministre de l'Agriculture. À chacune de ses visites, il rencontrait soit le ministre de l'Agriculture du Canada, soit le secrétaire de l'Agriculture des États-Unis, et le premier point à l'ordre du jour, ce n'était pas le blé, c'était Natan Sharanksy, le célèbre dissident soviétique. À un moment donné, M. Gorbachev en avait assez d'entendre parler de Sharansky chaque fois qu'il se trouvait en Occident; alors, en retournant à Moscou, il a été chercher le dossier de Sharansky au KGB pour constater que, selon les Soviétiques, c'était un agitateur, sans plus. Les Soviétiques ont finalement libéré Sharansky, car il ressortait très clairement que, dans le contexte d'un engagement direct, les désignations de hauts fonctionnaires soviétiques, d'instruments législatifs adoptés par le Congrès des États-Unis et aussi en raison des accords d'Helsinki, les Soviétiques ne pourraient jamais établir des relations commerciales normales s'ils ne réglaient pas ces problèmes fondamentaux touchant les droits de la personne et les libertés.
Je crois que le Canada devrait s'inspirer des gestes qu'il a lui-même posés avec les Soviétiques, pendant la Guerre froide, pour traiter avec la République islamique d'Iran.
M. Hassan-Yari : Depuis la signature de l'accord nucléaire, on voit de nombreuses délégations européennes qui s'affrontent pour aller à Téhéran. Ce n'est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les Iraniens. Si je dis cela, c'est que les délégations, une fois en Iran, vont parfois soulever la question des droits de la personne, mais, de manière générale, ce sont des contrats qu'elles recherchent.
C'est la raison pour laquelle j'insiste sur l'importance de collaborer avec les Européens; en termes clairs, il faut leur rappeler qu'ils ont des obligations, car les Américains depuis très longtemps ont donné aux Iraniens l'assurance qu'ils n'oublieraient pas la question des droits de la personne s'ils s'engageaient dans des discussions sur la question nucléaire.
Le Canada a de la crédibilité — une crédibilité morale — et il doit en conséquence rappeler constamment à ses alliés européens que, outre le commerce, il y a d'autres dossiers qu'ils doivent prendre en considération. Le commerce est extrêmement important, pour tous les pays y compris le Canada, mais il ne faut pas sacrifier les droits de la personne sur l'autel du commerce. Je crains que les Européens soient justement en train de faire cela. C'est pourquoi le Canada pourrait accorder ses violons avec les Américains et s'adresser avec eux d'une seule voix aux Européens pour qu'ils ne sacrifient pas les droits de la personne en Iran sur l'autel du commerce.
La sénatrice Martin : Merci de vos exposés d'aujourd'hui. Je comprends d'autant mieux l'importance de la Semaine de la responsabilisation de l'Iran et de la nécessité d'en parler, par le truchement de notre comité. Quand nous parlons des sanctions, je ne vois pas en quoi le fait de les lever bénéficierait aux gens qui ont vraiment besoin d'aide; je crois que les infractions aux droits de la personne se poursuivront.
Si nous prenons des sanctions, les gens vont encore une fois souffrir. C'est une situation frustrante, car nous observons que, d'une manière ou d'une autre, la souffrance persiste de même que les infractions contre les droits de la personne.
J'aimerais amener la discussion sur cette question. Vous avez parlé des enfants, du fait qu'une fillette de neuf ans puisse être forcée à se marier, vous avez parlé des prisonniers politiques, qui souffrent.
Dans le mémoire que vous avez présenté — vous n'en avez pas parlé, mais cela figure dans votre document écrit —, vous dites que des mesures visant la corruption seraient un moyen efficace de promouvoir les droits de la personne. J'adorerais en apprendre plus à ce sujet et j'aimerais aussi savoir ce que le Canada pourrait faire — ce que les Canadiens pourraient faire — à ce chapitre, peut-être en faisant la lumière sur l'histoire de certaines personnes, de manière à attirer l'attention du monde entier. Les médias sociaux seraient peut-être un autre aspect.
Ma question, alors, vise à savoir s'il y a une censure totale — une vigoureuse tentative pour censurer tout ce que les gens pourraient entendre —; j'aimerais savoir ce qui se passe, sur le terrain, si les gens entendent eux-mêmes les histoires épouvantables qui se déroulent chez eux, des choses qu'ils devraient savoir.
J'adorerais en apprendre plus sur ces deux sujets; je ne m'adresse pas à un témoin en particulier.
M. Dubowitz : Merci de me rappeler ce dossier de la corruption et de la kleptocratie. Je souligne à l'intention des autres sénateurs que j'ai présenté un document écrit, mais il est malheureusement assez long et je n'ai pas pu aborder tous les sujets dont il traite.
Mais la question de la corruption et de la kleptocratie est vraiment importante. Dans tous les régimes autoritaires, les hommes qui les dirigent sont incroyablement corrompus, et la corruption est à coup sûr un moyen de contrôler le régime et le peuple et d'avoir accès aux fonds qui permettent justement de poser ces actes infâmes.
Comme je l'ai dit, le problème actuel, en ce qui concerne les sanctions et les relations économiques, c'est que l'on fait affaire avec un régime incroyablement corrompu, un régime qui contrôle la richesse de l'Iran grâce aux Gardiens de la révolution, au leader suprême, à sa société de portefeuille, et grâce aux divers instruments utilisés par le régime. En fait, on fait affaire avec des bandits et des voleurs.
Je ne sais pas si M. Hassan-Yari serait d'accord avec moi, mais l'accord nucléaire et les essais de missiles balistiques ne font probablement pas l'unanimité, en Iran; de même, il y a probablement des divergences d'opinions sur la question de savoir si le Hezbollah ou le Hamas sont des organisations terroristes. Je suis certain qu'il y a un grand désaccord sur toutes ces questions, en Iran.
J'irais jusqu'à dire que, en ce qui concerne la corruption, la plupart des Iraniens sont d'accord pour dire que leurs dirigeants sont des bandits et des voleurs et qu'ils volent les richesses de l'Iran depuis des décennies. Je le répète, l'Iran est un pays incroyablement riche. Ses réserves de gaz naturel sont les secondes en importance dans le monde, et ses réserves de pétrole, les quatrièmes en importance. C'est un pays incroyablement riche, et, avant même que des sanctions soient imposées, le régime en place s'enrichissait à ses dépens.
En mettant sous les projecteurs et les bandits et les voleurs de ce régime, et en veillant à ce que les entreprises canadiennes ne fassent pas affaire avec les bandits et les voleurs de ce régime, on pourrait exercer une influence incroyable, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan des droits de la personne, en faisant en sorte que la corruption et la kleptocratie soient liées à la question des droits de la personne, non seulement aux questions économiques.
Le président : J'aimerais que les deux derniers sénateurs de ma liste posent leurs questions.
La sénatrice Omidvar : Cette question me touche personnellement. J'ai obtenu la citoyenneté iranienne par mariage et j'ai vécu en Iran pendant cinq ans. Je me suis enfuie en 1981; j'ai eu de la chance. Chaque fois que j'entends parler de la prison d'Evin — qui est toujours dirigée soit par la garde impériale iranienne, soit par les Gardiens de la révolution —, j'ai la chair de poule.
Il y a aujourd'hui au Canada des dizaines de milliers d'Iraniens qui sont devenus de bons contribuables. Ils sont en bonne partie de foi bahá'íe, mais ils sont plus nombreux encore à être des musulmans qui ont fui le régime.
Quelle est la position ou quel est l'engagement de la diaspora iranienne du Canada? Comment s'engage-t-elle dans ce dossier? Je le demande parce que je sais que les Iraniens peuvent facilement faire des séjours dans leur pays, et je serais curieuse de connaître leur position à ce sujet et de savoir quelle influence ils peuvent exercer.
Le président : Sénateur Ngo, pourriez-vous également poser votre question, s'il vous plaît?
Le sénateur Ngo : Merci à vous deux.
La réponse à ma question a probablement déjà été donnée, mais j'aimerais en parler de nouveau, car vous dites que certains pays continuent à signer des traités commerciaux avec l'Iran. Et nous savons que l'économie de l'Iran est contrôlée par les leaders suprêmes ou par les Gardiens de la révolution. Certains pays d'Europe continuent à signer des accords commerciaux avec l'Iran, malgré que les violations des droits de la personne y soient les pires du monde entier. Pourquoi ces pays continuent-ils à agir ainsi? Ils sont peut-être innocents, ou ils prétendent être innocents.
Le président : Commençons par répondre à la première question; je ne veux pas oublier la question qui concerne les Iraniens qui vivent ici, ni votre question, monsieur Ngo. Donnons d'abord la parole à M. Hassan-Yari.
M. Hassan-Yari : Très brièvement, en ce qui concerne la corruption, il y a quelques jours seulement, le système judiciaire a lui-même annoncé que 175 juges allaient être licenciés pour cause de corruption. Il y a de nombreux autres cas, mais je ne veux pas que vous perdiez votre temps à m'écouter les répéter. Mais cela a trait à la façon dont nous pourrions nous attaquer à la corruption en établissant des relations économiques avec l'Iran.
Pour répondre à la question de la sénatrice Omidvar, je crois que la diaspora iranienne du Canada, en général — et peut-être en particulier — aimerait pouvoir entretenir des relations avec le peuple iranien et, au bout du compte, avec le régime iranien, puisqu'après tout, c'est l'État qui contrôle la situation, non pas nécessairement les habitants, dans les pays démocratiques.
La collectivité iranienne, celle du Canada en particulier, a immensément souffert de la situation dans les ambassades, en ce qui concerne l'administration, les documents et tout ce qui y est relié. C'est pourquoi je crois que cette collectivité ne verrait pas d'un mauvais œil le rétablissement des relations avec l'Iran, mais, encore une fois, à certaines conditions. Ces Iraniens exercent une certaine influence, nous pouvons le voir lorsqu'ils vont en Iran. Par exemple, les universités d'Iran invitent des enseignants du Canada, des États-Unis et d'autres pays, et l'invitation est acceptée. On voit bien que les étudiants ont très soif d'apprendre d'eux. Et cela influence graduellement l'opinion publique en Iran.
Quant à savoir pourquoi les Européens agissent comme ils le font, c'est leur choix. La situation en Europe est malheureusement très mauvaise; aujourd'hui, l'Europe fait face à de nombreux problèmes, notamment les réfugiés, mais également des problèmes financiers, économiques et ainsi de suite. Cela ne veut pas dire que les Européens devraient inconditionnellement s'engager auprès de l'État iranien. Il est possible de le faire. L'Iran est un importateur net. L'Iran dépend des marchés internationaux pour nourrir sa population. Les jours où l'Iran était un grand producteur agricole sont révolus.
Les pays occidentaux et leurs citoyens peuvent aujourd'hui exercer une certaine influence afin d'améliorer la situation au chapitre des droits de la personne.
Le président : Il nous reste trois minutes. Monsieur Dubowitz, vous avez le dernier mot.
M. Dubowitz : J'aimerais résumer en disant qu'on parle beaucoup d'engagement, mais l'engagement n'est pas une baguette magique qui permettrait d'effacer les agissements pernicieux de l'Iran. Ce ne serait pas une façon d'aider les jeunes femmes qui sont torturées et violées dans les sous-sols de la prison d'Evin ni les petits enfants qui sont condamnés à mort sous de faux prétextes. Cela n'aidera pas la collectivité bahá'íe, victime d'une discrimination systématique et de répression. L'engagement, cela signifie tout simplement « je discute avec mon adversaire ».
Le régime a choisi, et je crois que c'est très rusé, de recourir au dialogue, en particulier avec les Européens, mais également avec les États-Unis, afin de se donner une certaine légitimité sans demander pardon pour des décennies d'actes criminels, qu'il s'agisse de la dissimulation de son programme nucléaire, de ses activités financières illicites et, puisque cela concerne la présente audience, de ses décennies de crimes contre la personne.
Si nous devons quand même établir des relations, nous devrions penser au thème de la semaine, la responsabilisation, et tenir ce régime responsable de la violation systématique des droits de la personne en nous servant des instruments du pouvoir national, en l'occurrence en prenant des sanctions, en désignant les gens, les institutions et les entités du régime iranien responsables de ce vaste système de répression à l'échelle du pays, en particulier les Gardiens de la révolution; nous devrions nous appuyer sur le droit canadien pour les désigner, car ils sont des menaces à la sécurité internationale, et nous appuyer sur la Loi sur les mesures économiques spéciales pour nous attaquer aux violations des droits de la personne.
Le président : Cela dit, s'il y a un thème qui a constamment été évoqué ce matin, c'est celui de la « prudence ». Je crois que c'est l'idée maîtresse, aujourd'hui.
Je vous remercie tous deux de vous être présentés.
C'est la Semaine de la responsabilisation de l'Iran, et, pendant la première heure de la séance, nous avons reçu M. Houchang Hassan-Yari et M. Marc Dubowitz, qui nous ont renseignés sur certains des grands problèmes qui sévissent toujours dans ce pays. En tant que membres du Comité sénatorial des droits de la personne du Canada, nous avons l'obligation de prendre la parole pour faire connaître certains des très graves cas de violation des droits de la personne qui ont lieu en Iran.
Après ce premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d'accueillir par vidéoconférence, de Genève, M. Ahmed Shaheed, rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme dans la République islamique d'Iran.
Monsieur, vous avez la parole. Comme vous l'avez probablement constaté, nous avons l'intention de vous poser de nombreuses questions. Merci.
Ahmed Shaheed, Ph. D., rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme dans la République islamique d'Iran, Nations Unies : Monsieur le président, madame la vice-présidente, sénatrice Salma Ataullahjan, honorables sénateurs, mesdames et messieurs, merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître par vidéoconférence devant votre distingué comité. Permettez-moi de dire d'abord et avant tout que cela fait très longtemps que je suis un grand admirateur de la contribution du Canada touchant la promotion du droit international en matière de droits de la personne, dans ses nombreuses expressions.
En 2011, lorsque j'ai commencé mon mandat auprès des Nations Unies, le niveau de collaboration de l'Iran à l'égard des mécanismes des droits de la personne des Nations Unies n'avait probablement jamais été aussi bas. L'Iran était encore en train de se remettre des effets de la plus grande crise ayant suivi la révolution, les manifestations qui avaient suivi les élections de 2009, lesquelles avaient entraîné la mort de protestants pacifiques, abattus par les forces de sécurité, des milliers d'arrestations et des condamnations après des procès inéquitables.
Cette expérience semble avoir enhardi les tenants de la ligne dure contre l'engagement ou, comme je le dis, l'ingérence des Nations Unies ou de la collectivité mondiale au nom des « droits de la personne ». Les représentants des procédures spéciales des Nations Unies se voyaient refuser l'accès au pays depuis plus de six ans, à ce moment-là, et l'Iran était réticent à donner suite à son invitation permanente de laisser des représentants des procédures spéciales entrer dans le pays. L'Iran affichait également le plus grand nombre de refus de répondre à des demandes de communication présentées par les représentants des procédures spéciales des Nations Unies.
Malgré que le pays soit partie à cinq traités internationaux sur les droits de la personne, l'Iran n'avait pas fait l'objet d'un examen par des organismes pertinents à ces traités depuis des années. Au début de mon mandat, le gouvernement ne présentait que rarement des informations fondées sur des faits pour répondre aux allégations de mes rapports, choisissant plutôt de rejeter mes rapports en disant qu'il s'agissait « de propagande et de mensonges ».
Aujourd'hui, près de six ans plus tard, nous constatons qu'il y a eu des efforts de collaboration avec les organismes et mécanismes de défense des droits de la personne des Nations Unies, et nous pouvons reconnaître que l'Iran a bel et bien fait certains progrès allant dans le sens d'un engagement en la matière. Il a invité deux responsables d'un mandat thématique à visiter le pays, dans les mois qui viennent, il s'est soumis à un examen par trois organismes parties au traité et s'est dit prêt à se soumettre à un examen par un quatrième organisme, l'an prochain. Son taux de réponse aux communications des Nations Unies a également légèrement augmenté, y compris en ce qui concerne mes demandes.
En fait, depuis cinq ans, la qualité des réponses fournies par le gouvernement à mes rapports s'est nettement améliorée, et on y trouve maintenant de l'information substantielle touchant les allégations spécifiques que j'y soulève. De plus, je rencontre régulièrement à New York ou à Genève des représentants des autorités iraniennes, et il y a de plus nombreuses réunions avec d'autres intervenants clés, notamment des juges, des membres des forces de sécurité et des membres de la société civile, que je rencontre à Genève ou à New York.
Je crois sincèrement que la ligne de conduite que suit actuellement la collectivité internationale a contribué à la réorientation de l'Iran. Cela concerne la résolution sur l'Iran adoptée par les Nations Unies, qui avait d'abord été présentée par le Canada en 2003 après que la photojournaliste Zahra Kazemi, une Irano-Canadienne, a été torturée et assassinée dans une prison iranienne et après le retour de l'Iran au programme de la Commission des droits de la personne en 2011. Ces deux initiatives ont joué un rôle unique et vital, car elles ont encouragé les autorités iraniennes à collaborer davantage avec les mécanismes de défense des droits de la personne des Nations Unies.
Il ne fait aucun doute qu'une partie de ces progrès en matière de collaboration est le résultat des changements de la politique interne survenus au pays, entre autres l'élection du président Hassan Rohani et la mise sur pied d'une administration qui a remis en première place de son ordre du jour la reprise des relations avec le reste du monde.
Mais dans mon esprit, l'attention que le monde entier a portée au dossier de l'Iran en matière de droits de la personne a aussi joué un rôle important pour amener ce changement de comportement au sein du gouvernement. Après tout, l'Iran est un pays qui tient à sa réputation, et je crois que le prix de l'absence de collaboration est devenu trop élevé pour être acceptable aux yeux des représentants qui cherchaient à rétablir des relations avec le monde extérieur.
Plus particulièrement, lorsqu'il est devenu clair pour les représentants que l'absence de collaboration avec mon mandat n'empêcherait ni le secrétaire général des Nations Unies, ni moi-même de publier des rapports détaillés documentant de graves cas de violation des droits dans le pays, je crois que les gens qui avaient gardé la tête froide ont pris le pas et décidé de proposer une politique d'engagement avec les mécanismes des Nations Unies, même s'il s'agissait tout simplement d'intégrer aux rapports leur version de l'histoire.
Et cela, même si, comme d'aucuns le disent, le changement tient au fait que les éléments modérés ont convaincu les partisans de la ligne dure de l'Iran qu'il fallait collaborer dans le cadre de mécanismes pour, au bout du compte, convaincre le monde qu'il n'est plus nécessaire de garder l'œil sur l'Iran. À mon avis, il est indiscutable que les pressions et l'attention sur l'Iran ont entraîné un changement des comportements, et ce changement peut sauver des vies.
L'an dernier, 70 membres du Parlement ont présenté un projet de loi qui, s'il était approuvé par le Parlement et par le Conseil des gardiens, réduirait la peine imposée pour des infractions non violentes liées à la drogue, qui serait non plus la mort, mais l'emprisonnement à vie. Si le projet de loi était adopté, il réduirait de 75 à 80 p. 100 le taux d'exécutions au pays, c'est énorme. Les fonctionnaires, y compris les juges qui condamnaient à mort les personnes coupables d'une infraction non violente liée à la drogue, ont cité le nombre croissant de critiques formulées par les Nations Unies sur l'exécution des auteurs d'infractions liées aux drogues comme raison pour laquelle il serait temps de repenser le recours à la peine de mort en Iran.
Le monde doit continuer à soutenir ces mécanismes, étant donné que nous n'avons pas encore vu d'amélioration prouvée et concrète de la situation des droits de la personne sur le terrain dans le pays. Même si je félicite le gouvernement, qui s'engage davantage à l'égard de mon mandat, je note que Téhéran refuse toujours que j'entre au pays pour y faire mon travail. Fait plus troublant encore, le gouvernement exerce souvent des représailles contre des personnes qui, à son avis, auraient collaboré avec moi. Et, même si les organismes chargés d'effectuer un examen ont demandé à entrer en Iran, leurs demandes répétées restent lettres mortes, et les responsables de divers mécanismes qui essaient d'entrer en Iran depuis 13 ans pour documenter des cas urgents de violation des droits se voient toujours refuser l'accès au pays.
L'Iran a également refusé la grande majorité des recommandations présentées par les États membres dans le cadre des examens périodiques universels portant sur les droits civiques et politiques du pays.
Fait plus important encore, la situation relative aux droits de la personne, sur le terrain, est plutôt grave et exige toujours une attention continue. La dernière fois que je me suis adressé au Conseil des droits de la personne, j'ai mis en relief quelques-uns des très graves problèmes auxquels l'Iran fait face et auxquels nous devons nous attaquer si nous voulons que la situation du pays au regard des droits de la personne s'améliore. Par exemple, mon dernier rapport contenait de l'information mettant en cause toute une brochette de fonctionnaires, par exemple l'augmentation phénoménale du nombre d'exécutions au pays, qui s'est approché de la barre des 1 000 exécutions, l'an dernier, le chiffre le plus haut depuis 20 ans; des pratiques discriminatoires à l'encontre des femmes et des filles; le fait que le gouvernement continue d'exécuter des mineurs; les problèmes persistants touchant l'administration de la justice; la persécution et les poursuites auxquelles font face les minorités, y compris les minorités religieuses et ethniques; et le traitement capricieux auquel le gouvernement soumet les journalistes qui s'intéressent aux violations des droits de la personne.
Bref, il reste encore beaucoup de travail à faire. Je ne crois pas que le temps soit venu de relâcher notre attention à l'égard du dossier de l'Iran relativement aux droits de la personne ni d'abandonner les mécanismes de défense des droits de la personne dans lesquels on a investi et qui ont jusqu'ici donné quelques résultats.
N'oublions pas les péchés qui ont été commis dans le passé. En 2002, le mandat du précédent rapporteur, M. Maurice Copithorne, un Canadien, n'a pas été renouvelé. À ce moment-là, un président réformiste, Mohammad Khatami, venait de commencer son second mandat et avait entamé un dialogue sur la question des droits de la personne; tous espéraient que des changements commencent à se produire dans le pays, mais leur espoir a été déçu.
Les partisans de la ligne dure, en Iran, ont constamment contrecarré les réformes de Khatami, et l'ouverture politique qui avait caractérisé les quatre premières années de son mandat a rapidement disparu. En 2005, le dialogue avec les États-Unis a mis fin aux principales procédures d'accès à l'Iran, et la situation est devenue propice à de graves cas de violation des droits par les forces de sécurité et le système judiciaire.
Aujourd'hui, au moment d'envisager un engagement futur avec l'Iran, nous devons réfléchir au passé. Nous devons encourager la responsabilisation en applaudissant les progrès et en réprimandant le non-respect.
Je crois qu'il est plus que jamais temps que le Canada et le monde entier travaillent main dans la main pour trouver des façons efficaces et créatives d'engager le dialogue avec l'Iran sur les questions des droits de la personne, puisque le pays cherche à élargir ses relations politiques et culturelles avec le monde extérieur. S'engager davantage avec l'Iran et continuer à garder l'œil sur les droits de la personne ne sont pas, à mon avis, des réalités qui s'excluent mutuellement.
Comme je l'ai déjà dit, le fait que l'Iran rétablisse ses relations avec le monde constitue une occasion rêvée non seulement de tendre la main aux dirigeants mondiaux, mais également de veiller à ce que les entreprises qui cherchent à investir en Iran s'acquittent de leur rôle en s'assurant de contribuer elles aussi à l'amélioration des droits de la personne au pays.
Avant de terminer, permettez-moi de remercier votre distingué comité de m'avoir invité. Permettez-moi également de souligner à quel point j'apprécie le soutien que votre gouvernement et d'autres gouvernements m'ont accordé ces cinq dernières années. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Shaheed.
Cet après-midi, le Sénat du Canada discutera davantage de quelques-uns des enjeux spécifiques de l'Iran et de certaines personnes qui ont été injustement emprisonnées. Nous désirons également faire passer ce message.
Notre responsable de cette audience spéciale d'une journée, sur la Semaine de la responsabilisation de l'Iran, est la sénatrice Linda Frum.
La sénatrice Frum : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci beaucoup, monsieur Shaheed, d'avoir bien voulu communiquer avec nous et aussi de l'important travail que vous faites. C'est très inspirant.
Vous avez dit tant de choses, et nous avons tant de sujets à aborder. Vous avez entre autres dit une chose qui a piqué ma curiosité. Vous avez mentionné, je crois, que l'Iran tenait à sa réputation. Nous avons affaire à un État qui parraine le terrorisme, un État qui affiche le plus fort taux d'exécutions par habitant, un pays qui assassine des prisonniers mineurs, et cetera. Comme le président l'a dit, nous allons cet après-midi, au Sénat, mener une enquête sur la situation de certains prisonniers politiques spécifiques. C'est toujours un dilemme, quand on parle de prisonniers, car on ne sait pas si le fait d'en parler leur rendra les choses plus difficiles ou si cela va les aider.
Je suppose qu'une partie de ce calcul est fondée sur le fait que le gouvernement de l'Iran se soucie ou non de ce que les autres pays pensent de lui. Vous avez affirmé qu'il était soucieux de sa réputation. Alors, pouvez-vous m'aider à mieux comprendre quel est le contexte dans lequel il se soucie de sa réputation?
M. Shaheed : Si je puis répondre à la question.
Ce que je voulais dire, c'est que l'Iran aime être perçu comme un chef de file du Mouvement des pays non alignés, un chef de file de l'hémisphère Sud. Il a présenté sa candidature à divers postes de l'ONU, comme au Conseil des droits de l'homme, à deux occasions, et à d'autres bureaux de l'ONU qui exigent qu'il jouisse d'un certain soutien dans les pays du Sud.
Les responsables iraniens sont très préoccupés lorsque des pays qu'ils considèrent comme leurs amis dans l'hémisphère Sud soulèvent des préoccupations au sujet de ce qu'ils font. Ils sont également préoccupés lorsque leur comportement fait l'objet d'une condamnation répandue.
En outre, ils sont préoccupés lorsque leur propre peuple commence à observer un écart entre le portrait que le gouvernement brosse de la situation au pays auprès du reste du monde et ce qu'ils constatent relativement à ce qui se passe.
Je vais vous donner des exemples concrets de cela. Il y a deux ou trois ans, il y a eu une affaire concernant un pasteur chrétien, Youcef Nadarkhani, qui a été accusé d'être dans un faux état et de contrevenir aux lois du pays, et il faisait face à la peine de mort à ce moment-là. Il s'agissait évidemment d'une situation extrême et, comme il se doit, dans le cadre des débats du conseil, à l'époque, beaucoup de pays... de nombreux pays ont manifesté leur colère, leur condamnation et leur malaise — selon le cas — à ce sujet, y compris des pays du Sud également.
Ainsi, dans le cadre du débat, le représentant iranien s'est senti si troublé par cette critique qu'il a déclaré : « Eh bien, vous avez tous tort, nous ne faisons pas cela dans notre pays. » Et, bien entendu, comme il avait nié que c'était le cas, les responsables sont retournés dans leur pays et ont libéré le pasteur.
Alors, il a été sauvé d'une mort imminente, même si c'est à cette occasion que les autorités iraniennes ont détenu son avocat sous de fausses accusations, mais elles l'ont ensuite fait libérer également.
Il y a donc un grand nombre de cas de ce genre, où l'Iran est ciblé par des critiques publiques qu'il ne peut pas rejeter en disant que c'est le genre de critiques habituelles formulées par les mêmes pays. Aux yeux des Iraniens, je pense que l'Union européenne et les États-Unis pourraient sembler être les pays habituels qui le critiquent, mais, lorsque la condamnation émane d'un plus grand nombre de pays, alors ils s'en inquiètent.
Par ailleurs, il y a eu un cas particulier, celui d'une jeune femme appelée Reyhaneh Jabbari qui, à mon avis, a été injustement reconnue coupable et exécutée sans avoir fait l'objet d'un procès approprié. Elle avait été accusée d'avoir tenté de tuer une personne qui était un membre des Gardiens de la révolution. Sa défense était qu'il avait tenté de la violer et qu'il s'agissait de légitime défense.
À mon avis, dans le cadre du procès, on n'avait pas étudié tous les faits pertinents, et une énorme campagne avait été menée — à juste titre — pour exprimer le malaise au sujet de cette affaire et pour demander la réhabilitation de la jeune femme. Mais les autorités iraniennes ont dit : « Eh bien, on l'a tuée parce que nous avions présenté la victime comme un violeur et que, par conséquent, sous le régime de la loi, la famille du défunt ne pouvait pas accorder son pardon à la femme. » Mais je dirais que Reyhaneh Jabbari a refusé de s'excuser pour son geste et qu'elle a ainsi maintenu la validité de la campagne que nous menions et le fait que l'Iran avait du sang sur les mains, personne d'autre.
Là où je veux en venir, madame la sénatrice, c'est que, lorsque le cas d'une personne est documenté, lorsqu'on en parle dans le monde extérieur, cette personne se sent-elle plus en sécurité? On me dit que oui; le cas est documenté, et on en parle.
La sénatrice Frum : Je suis heureuse de l'entendre. Vous avez mentionné que, compte tenu de votre poste de rapporteur spécial sur les droits de la personne en Iran, vous n'avez en fait pas la permission d'entrer en Iran. De plus, les personnes qui vous aident dans le cadre de votre travail ont été ciblées à des fins de représailles. Alors, simplement pour nous aider à mieux comprendre comment vous pouvez faire le travail que vous faites, comment pouvez-vous même y arriver?
M. Shaheed : Eh bien, madame la sénatrice, nous vivions au XXIe siècle, et je dépends beaucoup de la technologie, et je pense que je peux faire mon travail de façon beaucoup plus sécuritaire que si je me rendais dans le pays. Si je devais y aller, bien entendu, des gens pourraient venir me voir et seraient exposés et visibles, comme l'a constaté M. Copithorne la dernière fois qu'il était allé là-bas.
Alors, j'ai utilisé des plateformes sécurisées pour parler à des gens sans être détecté. J'ai mené environ 700 entrevues au cours des cinq dernières années — la majorité par Skype —, dont un tiers auprès de personnes situées dans le pays. Je tiens un dossier très, très sécuritaire de ces entrevues.
En outre, pour ce qui est des personnes soupçonnées par le gouvernement de pouvoir m'avoir parlé, je suis heureux de dire que seulement peut-être une ou deux de celles qui ont enfreint les protocoles ont été découvertes, mais les autres sont en sécurité.
Par ailleurs, l'Iran produit beaucoup d'information à son propre sujet. Un certain nombre d'exécutions publiques sont déclarées. Presque toutes les exécutions le sont d'une manière ou d'une autre. Et veuillez lire mon rapport sur le nombre élevé d'enfants meurtriers tiré de données et de rapports gouvernementaux. Les débats tenus au Parlement sont du domaine public.
Ainsi, il y a beaucoup d'information qui est accessible et que je peux utiliser, quoique je dirais qu'une visite du pays, de la prison, pour rencontrer les gens sur le terrain, c'est une chose qui est nécessaire pour que je sois plus efficace.
La sénatrice Frum : Merci, monsieur.
La sénatrice Ataullahjan : Merci, monsieur Shaheed.
Je viens tout juste de parcourir les déclarations que vous avez faites devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, où vous avez voulu faire ressortir : « La collaboration croissante que le gouvernement iranien m'a offerte dans le cadre de mon mandat en me donnant accès, à Genève, à des acteurs et à des intervenants clés de l'Iran, dont les fonctions ont une incidence directe sur la concrétisation des droits de l'homme sur le terrain. »
J'assiste à beaucoup de conférences où se présentent des délégations de l'Iran, et je sais que, chaque année, en octobre, nous tenons la conférence de l'UIP, où l'Iran envoie habituellement une importante délégation. Vous donne-t- on parfois accès à cette délégation?
De plus, dans votre rapport, où vous affirmez que le gouvernement iranien vous offre sa collaboration, vous abordez également le refus d'administrer un traitement médical adéquat aux prisonniers politiques, vous évoquez les exécutions illégales dans le pays; 966 personnes, dont 73 mineurs, ont été exécutées entre 2005 et 2015, et le même sort en attend 160 autres.
Alors, même si ces personnes sont disposées à vous parler et se montrent disposées à le faire, nous ne voyons aucun changement se produire. Il s'agit là de mon interprétation de votre déclaration. De fait, je dirais même que la situation empire sur le terrain. Voudriez-vous formuler un commentaire à ce sujet?
M. Shaheed : Merci, madame la sénatrice. Je suis d'accord avec votre déclaration finale selon laquelle les choses empirent dans certains domaines, dans des domaines clés, même alors que nous parlons de signes ou de signaux de changements positifs dans d'autres domaines.
Non, je n'ai pas pu rencontrer la délégation de l'Iran à l'UIP, mais j'ai pu rencontrer certains des députés qui sont venus à Genève, dans le contexte de l'UIP ou dans le cadre d'autres visites.
Ce que j'entendais par être en mesure de rencontrer des intervenants, c'était des juges, des avocats, des personnes faisant affaire avec ces forces de sécurité. J'établis rarement des contacts au-delà des diplomates. Ils emploient des termes raffinés qui sont très soignés, mais qui n'entrent pas dans le vif du sujet.
Lorsque je discute avec les juges, les procureurs, les personnes traitant avec les forces de sécurité, je peux tenter de comprendre directement auprès d'eux quelles sont leurs vraies préoccupations et peut-être tenter d'étudier la question. Je ne dis pas que j'ai fait beaucoup de progrès, mais le fait que je suis en mesure de parler directement à ces personnes est une chose à laquelle j'accorde de la valeur.
Si je peux soutenir un dialogue avec ces milieux, il est possible d'accomplir certains progrès que je ne pourrais pas faire simplement en discutant avec des diplomates à Genève ou au bureau des affaires étrangères.
Je suis heureux que vous ayez souligné les problèmes très graves que j'ai soulevés dans mon rapport. Ils requièrent notre attention, car le nombre d'exécutions augmente et, dans mon dernier rapport, il s'agissait du message clé que j'envoyais : que cette situation était vraiment inacceptable, y compris l'explosion du nombre d'exécutions dans l'ensemble du pays. Cependant, j'ai également remarqué qu'à ce moment-là, entre le mois d'octobre de l'an dernier — quand la résolution a été adoptée à l'assemblée iranienne — et la fin du mois de mars de cette année, il y a eu beaucoup de bruit lorsqu'on a eu l'impression que l'Iran songeait très sérieusement à déposer au Parlement le projet de loi au sujet de la modification de la loi sur la peine de mort, lequel pourrait réduire le nombre de ces exécutions.
Je n'en ai pas beaucoup entendu parler au cours des 30 derniers jours, mais j'espère qu'une fois que les nouveaux parlementaires commenceront à se rencontrer, plus tard ce mois-ci... puisque la majorité est maintenant favorable — des modérés, des réformistes ou des indépendants — que le président Rohani a maintenant le nombre de députés dont il aura besoin pour qu'un tel projet de loi soit promulgué.
Le fait est qu'il y a là de très graves problèmes. Je n'ai constaté aucun changement depuis que le président Rohani est arrivé au pouvoir, mais les problèmes gravement préoccupants perdurent.
La sénatrice Andreychuk : Merci beaucoup, monsieur Shaheed, de votre travail. Vos rapports sont lus au Canada, et la partie qui m'a frappée, c'est celle qui concerne les mariages d'enfants. Juste au moment où d'autres pays qui, autrefois, avaient recours aux mêmes excuses pour permettre ces mariages de jeunes fondés sur la culture ou la religion renoncent maintenant à le faire, affirmant que le problème de la disparité entre les sexes est important pour eux, nous voyons l'Iran se diriger dans l'autre sens.
Vous obtenez des réactions de l'Europe, et vous en obtenez du Canada et des États-Unis. Est-ce que le reste du monde se mobilise et se concentre sur l'Iran, ou bien sommes-nous encore les seuls dont vous entendez parler?
M. Shaheed : Merci; il s'agit d'une question très utile, madame la sénatrice.
Le Canada est un chef de file à ce sujet, et je veux vous remercier et le souligner, mais d'autres pays ont également compris que les autres faits nouveaux récents liés à l'Iran, y compris le dossier nucléaire et tout le reste, ne justifient pas que l'on cesse de surveiller le pays.
Je ressens beaucoup de soutien dans le cadre du travail que je fais. J'appuie le travail d'autres personnes qui surveillent l'Iran également. Cette compréhension est là. Toutefois, l'accent sur l'Iran a tendance à être éclipsé par d'autres problèmes dans la région ou ailleurs. Alors, c'est pourquoi, dans ma déclaration, j'insiste sur le fait que nous ne devrions pas détourner notre attention de ce pays, car la situation n'est toujours pas tout à fait acceptable, là-bas.
En ce qui concerne les mariages d'enfants, madame la sénatrice, en fait, l'Iran ne se compare à aucun autre pays du point de vue de l'ampleur du phénomène ou des âges dont il est question. Dans le rapport que j'ai produit il y a deux ans, je mentionnais des fillettes de moins de 10 ans qui étaient mariées avec le consentement du juge, et je faisais état d'incidents réels — 2 000 en un an, dans certaines localités où ces incidents se sont produits —, et ce sont toutes des données documentées par le gouvernement. En outre, dans la situation actuelle, l'âge de la majorité pour les garçons est 15 ans et, pour les filles, c'est 13 ans, mais, pour le mariage, il peut être aussi bas que 9 ans, avec le consentement du juge.
Ce que j'ai déclaré, c'est que, parmi les mariages qui avaient été documentés, environ 90 p. 100 ont eu leur premier bébé avant que la fille atteigne l'âge de 15 ans. Alors, aucune autre situation n'est vraiment comparable où que ce soit dans le monde.
Le même principe s'applique à la peine de mort. Si vous regardez la pratique ailleurs, les cas sont aussi très graves, mais le nombre de cas en Iran dépasse de loin celui de tous les autres pays. Ainsi, les préoccupations à l'égard de l'Iran demeurent beaucoup plus graves qu'à l'égard de tout autre État où l'âge de la majorité pourrait être fondé sur la charia ou sur quoi que ce soit d'autre qu'ils pourraient invoquer.
La sénatrice Andreychuk : Je fais un suivi rapide sur cette question.
La Convention relative aux droits de l'enfant a été signée par tous les pays, sauf deux, et l'Iran l'a signée et ratifiée.
Cette convention prévoit un mécanisme d'examen. Vos rapports sont-ils utilisés dans le cadre de ce mécanisme, et avez-vous porté cette situation à l'attention des responsables afin de leur faire part de l'urgence de cette affaire pour les jeunes femmes, pour leur santé et pour leur situation?
Une partie de ma question consiste à déterminer s'il y a une différence entre la population urbaine et celle des régions rurales de l'Iran et comment nous pouvons transmettre l'information dans les régions qui ont le plus besoin de comprendre les liens entre le mariage précoce et la santé de la mère et la santé du bébé, et cetera.
M. Shaheed : Merci, madame la sénatrice. La première réponse est oui, j'ai présenté des données probantes aux organismes parties au traité chargés d'examiner la situation en Iran, et j'ai adressé des observations aux responsables de la Convention relative aux droits de l'enfant lorsqu'ils ont examiné le cas de l'Iran.
Ce pays a une réserve, une réserve générale par rapport à la convention, qui prévoit qu'il ne la ferait pas appliquer dans la mesure où elle contrevient à la charia, alors on ne sait pas clairement quelle est leur portée ou leur limite. À mon avis, il s'agit d'une réserve illégale, car elle ne répond pas aux critères établis sous le régime du droit international.
Alors, par conséquent, cela pose problème. Le comité a soulevé cette préoccupation auprès des représentants de l'Iran, mais, comme vous le savez, l'efficacité de ces préoccupations est une chose qui peut être mise en doute.
Oui, il y a une différence entre la population rurale et la population urbaine du point de vue de la situation relative aux droits des gens, y compris la situation des enfants. J'ai été en mesure de trouver certains types de liens entre la hausse du nombre de mariages d'enfants et la situation économique du pays. L'argument, qui est non pas scientifique, mais anecdotique, était fondé sur le fait que le mariage précoce était motivé par le besoin des parents de marier leurs filles à un membre d'une famille riche ou de tenter d'une certaine manière de régler leur situation à ce moment-là.
Il est difficile de faire parvenir l'information jusqu'aux régions rurales. L'équipe de développement de l'ONU présente dans le pays serait un mécanisme possible. Malheureusement, malgré tout le bruit qu'elle fait au sujet de ce qu'elle pourrait accomplir en tant qu'équipe, le dernier cadre de collaboration de l'ONU qui a été signé il y a deux ou trois mois n'inclut pas les droits de l'homme dans le programme.
Il s'agit malheureusement d'occasions manquées, car cette équipe assure une présence sur le terrain, elle travaille auprès d'autres collectivités, et je ne saurais dire pourquoi l'ONU refuse encore de livrer cette bataille pour les droits de la personne et d'autres enjeux légitimes qui existent dans ce pays.
La sénatrice Andreychuk : Merci de mentionner ce dernier argument. Je n'étais certes pas au courant de cette situation, et je pense que notre comité devrait prendre acte, si nous appuyons les initiatives de l'ONU, en particulier celles qui sont liées aux droits de la personne... de leur absence. Merci, monsieur Shaheed, d'avoir porté cette situation à notre attention.
La sénatrice Cordy : Le dialogue que nous avons avec vous ce matin est des plus intéressants.
Y a-t-il des gens, à l'intérieur des institutions du pays, qui tentent de changer les choses, qui tentent d'apporter des changements afin d'améliorer les droits de la personne à l'intérieur du système et de le rendre moins corrompu? Je parle plus particulièrement du système de justice, mais aussi de toutes les institutions. Il serait bien d'obtenir une réponse générale sur ce sujet.
Nous savons que le traitement des prisonniers est épouvantable. Nous savons qu'un grand nombre de prisonniers sont exécutés. Nous savons qu'un grand nombre de prisonniers meurent dans les prisons, parce qu'ils ne reçoivent pas de soins et que les prisons sont surpeuplées. Nous savons qu'il y a un grand nombre de jeunes dans les prisons et que des jeunes se font exécuter.
Pourtant, nous avons entendu un témoin précédent dire que 175 juges avaient été congédiés pour cause de corruption. Si nous entendons dire que 175 juges sont congédiés pour cette raison, cela ne donne-t-il pas à penser qu'il doit y avoir certains juges qui ne sont pas corrompus, qui sont dans le système et qui tentent de bien faire leur travail?
Y a-t-il des modérés au sein du gouvernement en tant que tel? Y a-t-il des membres du gouvernement qui tentent d'apporter un changement de l'intérieur? Parce que, d'après ce que j'ai entendu ce matin, de votre bouche et de celle d'autres témoins, il semble que l'Iranien moyen a en réalité peu d'emprise sur ce qui se passe, alors ceux qui ont le pouvoir... y en a-t-il qui essaient de changer les choses?
M. Shaheed : La constitution de l'Iran est très complexe. Une partie est très démocratique, mais les autocrates répriment tout. Il y a un Parlement pour lequel on tient des élections, et nous avons observé, au fil des décennies, que les conservateurs perdent leur mainmise sur ce Parlement en faveur des modérés et des réformistes.
Toutefois, ce qui se produit, c'est que les lois qu'ils adoptent doivent être approuvées par un conseil de gardiens composé de six juristes et de six avocats nommés par le leader suprême, essentiellement. Dans le passé, ils ont bloqué des lois réformistes qui auraient changé les choses dans la vie des gens ordinaires. Je pense qu'ils vont continuer de le faire. La marge de manœuvre des réformistes élus au Parlement est limitée. Les autres voix du Parlement qui sont modérées et qui comprennent la nécessité d'améliorer l'ordre dans le pays, ce qui contribuerait à l'épanouissement social...
Je peux aussi vous donner des noms de personnes. La vice-présidente des affaires relatives aux femmes et à la famille, Mme Molaverdi, est une des rares voix du pays à s'être prononcée contre divers enjeux qui minent les droits des femmes. Il y a un énorme décalage entre le fait de nier les réalisations des femmes en matière d'éducation et leur rôle dans la société et dans l'économie. Elle a beaucoup influé sur la prise de mesures contre cette pratique.
Il y a deux mois, elle a affirmé que la politique relative à la drogue dans le pays a eu des conséquences tragiques, qu'il y a des villages où tous les hommes adultes ont été exécutés. Elle subit des pressions de la part des partisans de la ligne dure relativement à ses déclarations de ce genre. Elle est étiquetée comme étant un agent du monde extérieur, et ainsi de suite.
Cependant, le problème, c'est que l'Iran est très polycentrique. Les voix sont nombreuses, selon toute définition du terme. Toutefois, comme le cabinet du leader suprême exerce un pouvoir très répandu dans le système et ailleurs, ces voix sont réprimées.
Si la pression exercée sur le pays et l'attention dont il fait l'objet sont soutenues, le discours interne qui pourra alors être tenu rendra ces autres personnes mal à l'aise.
Oui, il y a des juges qui sont perçus comme étant plus ou moins comme ceux d'autres pays, mais il y a ceux des tribunaux laïques, mais il y a également les tribunaux révolutionnaires dans lesquels ont eu lieu un grand nombre de procès dont nous avons entendu parler... nous entendons parler de normes assez peu élevées d'application régulière de la loi qui sont appliquées. Alors, il s'agit d'un mélange.
Le problème tient au contrôle général exercé par le leader suprême et par l'équipe de gens qui relèvent de lui par l'intermédiaire du système... ce système ne peut pas être démocratique s'il y a une interprétation différente des lois et une pratique différente qui permet à ces personnes de s'exprimer.
Les Iraniens, dans l'ensemble, sont hautement scolarisés; ils sont sophistiqués et exigent des droits là où ils le peuvent et quand ils le peuvent. S'ils peuvent vraiment se faire entendre, l'Iran sera un pays très différent, quand ils pourront mieux défendre leurs intérêts.
À tout moment, environ 40 journalistes sont emprisonnés en Iran. Il s'agit d'un groupe changeant, mais ce nombre approximatif est en prison. L'Iran vient au septième rang des pires pays du monde en ce qui concerne les indices de la liberté de presse; par conséquent, compte tenu de la loi draconienne sur la presse selon laquelle le contenu, y compris le matériel offensant pour le leader suprême... il n'y a pas de place dans le pays pour que les gens puissent exprimer des points de vue critiques du gouvernement.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de votre réponse détaillée.
Nous entendons de l'information contradictoire au sujet du fait que nous devrions ou non nous engager politiquement auprès de l'Iran en tant que pays. Les personnes qui affirment que nous devrions le faire disent que nous n'irons de l'avant que si nous parlons aux autorités du pays, que nous y établissons une ambassade et que nous nous mobilisons. D'autres personnes affirment que la mobilisation ne fait encore pas grand-chose pour les personnes qui sont le plus dans le besoin et qui sont victimes d'abus à l'intérieur du pays.
Vous avez parlé de braquer les projecteurs sur l'Iran et sur ce qui s'y passe et affirmez que cette mise en lumière donnera lieu à des changements, ou peut-être permettra à des changements d'être apportés.
Pouvons-nous braquer les projecteurs sur l'Iran et sur les choses horribles qui s'y passent en nouant le dialogue avec le gouvernement ou en ne nous mobilisant pas et en le faisant de l'extérieur?
M. Shaheed : On m'a posé cette question plusieurs fois, et, de mon point de vue, cela dépend de la façon dont on noue le dialogue avec le pays. Le dialogue présente certains avantages, car il permet d'obtenir plus d'information, une plus grande transparence, un meilleur accès et de meilleures occasions de peut-être faire connaître son propre point de vue. Toutefois, s'il s'établit au détriment de certaines situations relatives aux droits de base, alors il pose problème.
S'il y avait un compromis entre — disons — un dialogue tranquille et la contestation d'une mauvaise situation, je pense que cette tactique ne fonctionne pas. Toutefois, si le dialogue est une voie supplémentaire qui peut nous permettre de promouvoir les droits de la personne, alors il comporte une certaine valeur.
Ce qui m'inquiéterait, ce serait si la critique publique n'avait plus sa place parce qu'un dialogue tranquille serait en cours, dont personne ne serait au courant. Les dialogues tranquilles ne se sont pas révélés très efficaces dans la plupart des contextes. Je ne pense pas qu'il y aurait de différences en Iran non plus. Ce genre de dialogue ne fait que démoraliser les défenseurs des droits de la personne, car plus personne ne parle d'eux, ils ne savent même pas ce qui se passe. Entre temps, le gouvernement sera très heureux de se retrouver sous les feux de la rampe.
Alors, la question consiste à déterminer comment on doit se mobiliser. Si on peut évaluer et cerner les problèmes de base à régler et procéder de cette manière, il serait avantageux d'avoir davantage de possibilités de communication. Pourvu que le dialogue se fasse au prix d'autres mesures qui sont prises dans le but de régler les problèmes.
La sénatrice Martin : Je vous remercie, monsieur Shaheed. Cette séance est assurément des plus instructive et intrigante, et j'ai tant de questions à poser.
Ma première question concerne les intervenants que vous avez eu la possibilité de rencontrer depuis que vous avez été nommé rapporteur spécial. Vous avez mentionné des juges et d'autres groupes professionnels. Vous avez mentionné une femme... une militante qui œuvre pour les droits des femmes. Je me pose des questions au sujet des travailleurs humanitaires. Même s'il s'agit d'un pays très riche, il pourrait tout de même falloir que des groupes travaillent sur le terrain... peut-être la Croix-Rouge internationale.
Dans le cadre de votre processus d'extraction de faits et de renseignements aux fins de vos rapports, vérifiez-vous vraiment l'authenticité de ces renseignements, lorsque vous parlez à des personnes qui ont été envoyées et qui disposent de l'approbation du gouvernement ou lorsque le régime sait que ces personnes vous parlent?
Je ne sais pas si vous pouvez discuter du processus et de la façon dont ces entrevues ou séances pourraient avoir lieu. Je suis très curieuse à ce sujet.
J'aurais pensé qu'il serait important pour vous, du fait que vous êtes rapporteur spécial, et étant donné que nous étudions, en tant que Canadiens, une approche internationale, d'avoir un accès complet dans le cadre du travail que vous faites. Cela nous rassurerait tous de savoir que les changements qui se produisent ont bel et bien lieu. Voudriez- vous nous expliquer le processus et comment vous authentifiez les renseignements et les divers types de groupes auxquels vous avez eu la possibilité de parler?
M. Shaheed : Je souscris à votre opinion, madame la sénatrice, selon laquelle une visite de ma part dans le pays me permettrait d'en faire beaucoup plus que j'en fais maintenant. Ces visites me permettraient non seulement d'inspecter les choses sur le terrain et d'en être le témoin direct, mais aussi de nouer des relations avec divers intervenants qui pourraient être des partenaires importants dans l'avenir.
Actuellement, si je ne fais que rencontrer les gens que le gouvernement iranien m'envoie, je n'ai pas l'occasion d'en rencontrer d'autres pour nouer des relations, qui sont essentielles à la mobilisation à long terme dans tout pays.
Quant au processus, je ne me fie pas à une source unique. L'information gouvernementale me parvient sous diverses formes. Je vérifie toujours leur constance par rapport à d'autres faits connus.
Par exemple, lorsque je fais publier un rapport, je dois soumettre l'ébauche à une vérification des faits, car il pourrait y avoir des renseignements dont je ne disposais pas, lesquels pourraient, dans mon cas, être inexacts. On rédige habituellement un nouveau rapport à mon intention. Mon rapport compte 10 000 mots. Cela ne signifie pas que les vérificateurs produisent leur propre rapport de 15 000 mots concernant chacun de mes paragraphes, paragraphe par paragraphe, pour ainsi dire.
J'ai ainsi l'occasion de voir si mes faits sont erronés; c'est rarement le cas. Il s'agit d'une occasion de soumettre les données à l'épreuve des faits, et je dois les contre-vérifier par rapport à des renseignements que j'ai obtenus d'autres sources. Toutefois, s'il y a un désaccord quant au sens des propos tenus, alors, évidemment, je dois déterminer la vérité de mon point de vue. Je n'ai pas besoin de renseignements qui soient véridiques hors de toute raisonnable. Il s'agirait là d'une norme trop élevée. La norme consiste à déterminer, selon la prépondérance des faits, s'ils semblent probables. Alors, si c'est le cas, je suis heureux d'utiliser ces renseignements.
L'Iran possède depuis longtemps une diaspora très active, et on surveille ce qui se passe dans le pays. Par exemple, concernant la peine de mort, des groupes iraniens situés à l'extérieur du pays surveillent ce qui se passe dans la presse. Ils observent les articles de presse locaux; ils observent d'autres avis locaux, recueillent les renseignements et dressent un bilan des événements qui sont survenus et de l'endroit où ils ont eu lieu.
Et j'utilise ce bilan lorsqu'il peut être corroboré par d'autres sources. Je ne me fie jamais à une seule source. J'ai besoin qu'elle soit efficacement corroborée pour m'assurer de ne pas me prendre les pieds dans la mésinformation du gouvernement — si on veut — surtout l'ancien. Par exemple, j'ai recueilli des renseignements selon lesquels une femme avait été lapidée dans un village de l'Iran un an auparavant. Si j'avais pris cela pour de l'argent comptant et que j'en avais fait un enjeu, le gouvernement aurait dit : « Non, ça n'est jamais arrivé », et j'aurais été dénoncé pour ne pas avoir vérifié mes sources.
Cependant, comme j'avais effectué une vérification des faits auprès de nombreuses sources... je peux filtrer l'information et retirer les renseignements qui ne semblent pas valides. Ainsi, sur environ dix rapports, maintenant, j'ai pu m'assurer que mes renseignements sont exacts en examinant ce nombre de sources, et je m'assure aussi de consulter les sources fiables. J'écarte toute source qui pourrait avoir des visées publiques ou politiques, alors, s'il s'agit d'un groupe motivé politiquement, je prends l'information avec un grain de sel. Je dois donc faire attention pour m'assurer que les renseignements dont je dispose sont valides.
Une fois qu'on a parlé avec environ 700 personnes dans le pays, on a une bonne idée de la situation. Je pense qu'on réussit à élaborer le rapport grâce au travail effectué dans le pays au fil du temps afin d'apprendre à connaître les sources et d'en trouver des fiables.
Je pense que j'ai répondu aux questions que vous avez posées, à moins que j'aie oublié quelque chose.
La sénatrice Martin : Je regarde l'heure... les réponses que vous avez fournies me vont.
L'autre question portait sur les autres groupes d'intervenants, au-delà des juges et des groupes professionnels, mais j'examinerai certains des rapports que vous avez rédigés pour obtenir cette réponse moi-même.
La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup de ce rapport très éclairant. Vous avez mentionné que les Iraniens sont hautement scolarisés, et c'est vrai, surtout dans les régions urbaines de l'Iran. Les hommes et les femmes vont à l'université, en partie parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire. Ils n'ont pas d'emplois.
Mais cette situation a également donné lieu à une renaissance de voix et d'expressions, et il arrive souvent dans le monde — dans notre histoire du monde — que des régimes répressifs et autoritaires soient renversés par un mélange de pouvoirs fermes et de pouvoirs souples. En outre, je songe à l'expression artistique et intellectuelle qui ressort de l'Iran — la musique, la littérature, la poésie —, qui parvient à être diffusée dans le monde et à être reconnue.
Considérez-vous cela comme un instrument complémentaire du travail que vous faites? Est-il déployé, peut-être pas dans votre service, mais dans d'autres institutions de l'ONU afin d'aider les Iraniens à trouver une voix et à exprimer leur propre forme de liberté?
M. Shaheed : La réponse courte est non. L'ONU ne dispose pas des ressources nécessaires pour traiter de cet enjeu. Cependant, je reconnais la valeur et l'importance de ce phénomène.
Il y a une différence marquée entre la société de l'Iran et celle d'un grand nombre de ses voisins en raison de la possibilité qu'ont ses hommes et ses femmes de s'exprimer artistiquement et autrement.
De fait, l'une des raisons pour lesquelles j'ai accepté le mandat, en tant que Maldivien, c'était que l'Iran a le potentiel de produire ce discours à l'intérieur même de l'islam et d'obtenir un point de vue plus modéré et favorable aux droits de la personne. La plupart des intellectuels iraniens tiennent un discours qui pourrait en fait apporter à l'islam un point de vue humaniste plus raffiné.
Il y a aussi en Iran des personnes qui utilisent l'expression intellectuelle et artistique pour créer ce discours social qui peut produire un point de vue plus libérateur pour tout le monde.
Il s'agit donc d'un élément très important, mais d'un outil sous-utilisé. Je pense qu'il serait très bien que l'on se concentre là-dessus comme une voie à suivre afin de créer une plus grande marge de manœuvre qui permettrait aux gens d'être libres.
La sénatrice Omidvar : J'ai lu quelque part que, proportionnellement, aucune autre communauté au monde, à part celle des jeunes Iraniens, n'a adopté avec autant de ferveur les médias sociaux et Twitter comme forme d'expression, et ce sujet a été exclu de ces discussions. C'est peut-être pour un autre jour.
Le sénateur Ngo : Merci, monsieur Shaheed. La liberté d'expression et la liberté de religion font l'objet d'une répression de plus en plus vaste. Selon votre rapport, en Iran, le recours à la peine de mort, y compris pour des mineurs, a augmenté de façon radicale en 2015, puisque le nombre d'exécutions a été beaucoup plus important que durant les années précédentes.
Comment décririez-vous la meilleure façon dont le Canada pourrait intervenir à l'égard de ce genre d'acte et dont le Canada pourrait promouvoir les droits de la personne auprès de pays ayant un lourd bilan de violation des droits de la personne, comme l'Iran?
M. Shaheed : Je pense que la résolution adoptée à New York demeure l'élément le plus important de la mobilisation internationale à l'égard de l'Iran, puisqu'elle souligne les préoccupations du monde concernant les enjeux de base clés. Aucune autre plateforme ne permet de le faire. Le Conseil des droits de l'homme ne peut pas le faire parce que les chiffres sont si peu élevés qu'aucune résolution ne sera approuvée. Cela demeure un outil essentiel grâce auquel on peut faire ressortir des préoccupations fondamentales au sujet d'enjeux de base comme celui-ci.
J'aurais tendance à penser qu'il est très important pour l'Iran que ces types de comportements ne puissent pas être acceptés. Il y a certains enjeux à l'égard desquels les responsables doivent agir très rapidement, et cela comprend le respect du droit à la vie, qui est tenu en très basse estime dans le pays actuellement.
La sénatrice Ataullahjan : J'avais une question en deux volets. Le premier était la question qu'a posée la sénatrice Omidvar, c'est-à-dire : quel rôle les médias sociaux jouent-ils en Iran, le cas échéant, comme ce que nous avons observé au Moyen-Orient? L'autre était la question suivante : quels sont certains des crimes pour lesquels des enfants âgés de moins de 18 ans sont exécutés?
M. Shaheed : Voici la réponse courte à la dernière question : il s'agit surtout d'homicides, au moyen de missiles, quoique, occasionnellement, ils peuvent avoir utilisé une arme dans le cadre d'un cambriolage. Voilà donc les principales infractions pour lesquelles des mineurs sont exécutés.
En ce qui concerne les médias sociaux, il s'agit d'un outil très crucial. Comme l'a signalé la sénatrice, l'Iran affiche un taux élevé de pénétration d'Internet et d'utilisation des médias sociaux.
Lorsque je présente mes rapports à l'ONU, mes supérieurs effectuent souvent une traduction en persan retransmise en direct. L'une des raisons pour lesquelles le gouvernement réagit si fortement à mes rapports, c'est que la discussion se répand dans la société et dans les rues par divers moyens, qu'un discours est véhiculé dans le pays et que des gens sont organisés. Il y a beaucoup de possibilités d'utiliser les médias sociaux afin de dynamiser la collectivité, de soutenir cette cause, d'habiliter les gens, de les relier par un réseau et de devenir une ressource.
Je devrais dire qu'annuellement, si on regarde les divers congrès de TI, il y a toujours une grande plateforme ou une section importante sur l'Iran parce que les Iraniens dirigent souvent cette organisation ou qu'une énorme population va l'utiliser.
Il s'agit donc d'un aspect important sur lequel se concentrer, qui a le potentiel d'offrir de multiples avantages pour les gens de l'Iran.
La sénatrice Ataullahjan : Merci.
Le président : Monsieur Shaheed, nous voulons vous remercier sincèrement. Vous avez certainement été un ajout précieux à notre audience spéciale d'une journée sur la Semaine de responsabilisation de l'Iran. Il s'agit d'un dialogue proprement bilatéral. Nous publierons un communiqué de presse dans les 24 prochaines heures parce que le comité aime bien travailler en temps réel et que nous espérons sincèrement qu'une fois que vous allez voir notre publication et votre témoignage, ainsi que le témoignage qui a été présenté plus tôt aujourd'hui, cela pourrait ajouter à la conversation et à votre travail de rapporteur spécial à Genève et ailleurs. En outre, nous espérons qu'un jour — bientôt, vous pourrez entrer en Iran et vous rendre sur le terrain. Je veux dire que c'est évidemment là que l'histoire se déroule.
Merci beaucoup, et nous reparlerons bientôt.
M. Shaheed : Tout le plaisir était pour moi. Merci beaucoup.
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons lever la séance, et le comité directeur va rester ici. Merci.
(La séance est levée.)