Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 7 - Témoignages du 8 juin 2016
OTTAWA, le mercredi 8 juin 2016
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 12 h 29, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : Les leviers économiques disponibles pour mieux faire respecter les droits de la personne, incluant la Loi sur les licences d'exportation et d'importation).
Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous nous excusons sincèrement à nos deux témoins. Nous savons bien que votre temps est précieux. Nous participions à une séance de photo sur la Colline parlementaire — supposément pour la postérité — afin que, dans 150 ans, nos arrières-arrières-arrières-petits-enfants puissent voir ce que nous avons fait. Nous devions être présents pour le portrait officiel de la législature, 150 ans après le début de notre confédération. Nous sommes donc désolés de ce contretemps.
Honorables sénateurs et chers spectateurs, bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous poursuivons les témoignages sur les leviers économiques disponibles pour mieux faire respecter les droits de la personne, et plus particulièrement la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. La présente étude fait partie de l'examen du comité des obligations internationales et nationales en matière de droits de la personne. Avant de passer aux témoignages et aux déclarations, je vais demander aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Ataullahjan : Sénatrice Ataullahjan, de l'Ontario.
Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l'Ontario.
La sénatrice Omidvar : Sénatrice Omidvar, de l'Ontario.
La sénatrice Andreychuk : Sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan.
Le président : Je suis le sénateur Munson, de l'Ontario. Nous accueillons aujourd'hui deux groupes de témoins. Nous passerons 45 minutes avec chaque groupe, plutôt que les 60 minutes prévues initialement.
Nous accueillons Wendy Gilmour, directrice générale, Bureau de la Réglementation commerciale, et Dominic Gingras, directeur, Direction de l'accès aux marchés et des recours commerciaux, d'Affaires mondiales Canada.
Madame Gilmour, la parole est à vous.
Wendy Gilmour, directrice générale, Bureau de la Réglementation commerciale, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Nous sommes heureux d'être ici. J'ai été tout particulièrement heureuse d'apprendre que c'est une séance de photo qui vous a retardé et non le cratère au centre-ville d'Ottawa, qui, je l'espère, n'a pas fait de blessé ni de dommages importants.
Nous vous remercions de cette occasion de comparaître devant le comité. Je m'appelle Wendy Gilmour. Je suis la directrice générale du Bureau de la Réglementation commerciale d'Affaires mondiales Canada. Nous sommes responsables du programme sur les contrôles à l'exportation du ministère.
[Français]
Je suis accompagnée aujourd'hui de M. Dominic Gingras, directeur, Direction de l'accès aux marchés et des recours commerciaux, également d'Affaires mondiales Canada.
Je crois comprendre que le processus de contrôle des exportations vous intéresse, plus précisément la manière dont les droits de la personne sont pris en considération dans les décisions liées aux licences d'exportation.
Je vais commencer en vous donnant une courte explication du fonctionnement des contrôles à l'exportation du Canada. Dominic et moi serons à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Traduction]
Pour commencer, je vais m'attarder à la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Notre programme des contrôles à l'exportation est fondé sur cette loi habilitante, qui relève du ministre des Affaires étrangères. Nous appelons cette loi la LLEI.
La LLEI permet au gouvernement de contrôler l'exportation et l'importation de certains produits et de certaines technologies militaires, à double usage et d'importance stratégique. À propos, il importe de mentionner que la loi concerne aussi l'exportation et l'importation de marchandises contrôlées à la suite d'accords commerciaux internationaux ou pour des motifs économiques. Nous nous occupons des produits agricoles assujettis à la gestion de l'offre et de l'acier à des fins de surveillance et à un certain nombre d'autres marchandises. Aux fins de la discussion d'aujourd'hui, je m'attacherai aux contrôles à l'exportation établis pour des raisons stratégiques.
La LLEI prévoit l'établissement d'une liste des marchandises d'exportation contrôlée et d'une liste des marchandises d'importation contrôlée, qui sont mises à jour annuellement ou plus souvent au besoin. La liste des marchandises d'exportation contrôlée contient des marchandises et des technologies qui ont une valeur stratégique pour le Canada. La vaste majorité des produits sont inscrits sur la liste à la suite de négociations avec nos alliés et nos partenaires dans quatre régimes multilatéraux de contrôle des exportations. Certaines marchandises peuvent également être inscrites sur la liste à la suite d'accords bilatéraux. Le maintien de l'uniformité entre la liste des marchandises d'exportation contrôlée du Canada et les listes de nos alliés et de nos partenaires permet aux entreprises canadiennes exportatrices du secteur de la défense et de la sécurité d'être assujetties aux mêmes règles du jeu que leurs concurrentes internationales. Toutefois, la décision de délivrer ou de refuser une licence d'exportation revient à chaque pays.
La LLEI prévoit également l'établissement d'une liste des pays visés, en vertu de laquelle les pays doivent posséder une licence pour l'ensemble des exportations, et non seulement celles qui sont inscrites sur la liste des marchandises d'exportation contrôlée. À l'heure actuelle, seuls la Corée du Nord et le Bélarus figurent sur la liste. Toutefois, le ministre des Affaires étrangères a récemment annoncé qu'il avait amorcé les démarches nécessaires pour retirer le Bélarus de la liste.
La loi prévoit également une liste des pays désignés (armes automatiques), la LPDAA, qui dresse une liste positive des pays autorisés à recevoir des armes à feu prohibées en provenance du Canada, même si toute exportation d'une arme à feu continue d'exiger des licences au cas par cas. Pour que le pays figure sur la LPDAA, le Canada doit avoir une relation de défense officielle avec le pays en question.
[Français]
La gestion efficace des contrôles à l'exportation est importante pour faciliter les échanges commerciaux légitimes du secteur canadien de la défense et de la sécurité, une industrie d'une valeur de 6 milliards de dollars. Plus de la moitié des revenus du secteur proviennent des exportations. Affaires mondiales Canada reçoit en moyenne plus de 7 000 demandes de licences d'exportation par année pour des marchandises militaires à double usage et d'importance stratégique. Les demandes sont reçues et examinées par la Direction des contrôles à l'exportation, qui relève de ma direction générale, et qui s'appuie sur les compétences spécialisées d'une vaste gamme de fonctionnaires au sein d'Affaires mondiales Canada, de la Défense nationale, ainsi que d'autres ministères, au besoin.
Chaque demande de licence est évaluée en fonction de la marchandise ou de la technologie particulière à exporter, de la destination, de l'utilisation finale et de l'utilisateur final de l'exportation envisagée.
[Traduction]
Dans les faits, la vaste majorité des licences sont délivrées par les fonctionnaires au nom du ministre des Affaires étrangères. Lorsque des préoccupations demeurent à la suite de l'évaluation de fonctionnaires, ou que les fonctionnaires recommandent de refuser la licence, la demande peut être acheminée au ministre pour qu'il prenne une décision. Ces cas, qui sont transférés au ministre des Affaires étrangères, sont d'abord acheminés à la ministre du Commerce international pour obtenir ses conseils et ses recommandations.
La LLEI donne au ministre des Affaires étrangères le pouvoir discrétionnaire d'évaluer une vaste gamme de facteurs pour déterminer s'il délivrera une licence. Plus précisément, le ministre peut analyser, entre autres facteurs, la sécurité et les intérêts du Canada et la paix, la sécurité ou la stabilité dans n'importe quelle région du monde ou à l'intérieur de n'importe quel pays. Lorsqu'il rend des décisions sur les licences d'exportation, le ministre tient également compte des motifs pour lesquels les marchandises ou la technologie ont été inscrites sur la liste des marchandises d'exportation contrôlée.
Les lignes directrices déterminées par le Cabinet en 1986 ont établi quatre grandes catégories de pays pour lesquels le Canada surveille étroitement l'exportation de marchandises militaires. Il s'agit de pays qui représentent une menace pour le Canada et ses alliés, qui participent à des conflits ou risquent de le faire de façon imminente, qui sont sous le coup de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies ou qui sont connus pour leurs violations persistantes des droits fondamentaux de leurs citoyens.
Les autres orientations établies par le gouvernement depuis ce temps ont énoncé d'autres grands objectifs stratégiques pour les contrôles à l'exportation, qui entre autres, consistent à s'assurer que les contrôles à l'exportation sont conformes au régime des sanctions du Canada tout en cherchant à s'assurer que les marchandises et les technologies canadiennes ne contribuent pas à la prolifération des armes de destruction massive ou à leurs systèmes de vecteurs ou, point qui intéresse le présent comité, ne sont pas utilisées pour commettre des violations des droits de la personne.
Tous ces éléments, et d'autres au besoin, sont pris en considération dans l'examen de chaque demande présentée. Ils éclairent la nature des consultations entreprises dans le cadre de l'examen et des recommandations ultérieures concernant la licence.
Tout cela m'amène à la question qui m'a été posée par votre comité : comment les facteurs liés aux droits de la personne sont-ils intégrés au processus de contrôles à l'exportation?
Les contrôles à l'exportation ont pour objet de protéger les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale, de politique étrangère et de défense. Ces intérêts englobent les droits de la personne. Comme je l'ai mentionné précédemment, les évaluations préalables à la délivrance d'une licence d'exportation sont faites au cas par cas compte tenu des risques particuliers qui correspondent aux produits ou à la technologie précisés dans la demande ainsi qu'à l'utilisation finale et à l'utilisateur final. Les renseignements qui éclairent ces évaluations sont tirés d'une vaste gamme de sources publiques et classifiées, notamment les missions du Canada à l'étranger et les fonctionnaires d'Affaires mondiales Canada et d'autres ministères pertinents.
Lorsque des inquiétudes demeurent au sujet de la possibilité que l'exportation proposée puisse contribuer à de graves violations des droits de la personne, l'évaluation comprend également un examen des facteurs d'atténuation, notamment les intérêts globaux du Canada en matière de politique étrangère, de défense et de sécurité. Cette évaluation est ensuite présentée au ministre pour qu'il prenne une décision à savoir s'il autorisera ou non une licence d'exportation.
Je tiens à signaler le fait que l'objet de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation est de réglementer le commerce légitime des marchandises et des technologies contrôlées. Les interdictions touchant le commerce et d'autres activités économiques, y compris les embargos sur les armes, sont établies pour donner suite à d'autres lois, notamment la Loi sur les Nations Unies du Canada, qui sert à mettre en œuvre les sanctions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le gouvernement possède d'autres outils s'il souhaite mettre en place une interdiction explicite de certains types d'exportations ou d'activités économiques. Par exemple, le Canada met aussi en œuvre des sanctions autonomes en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, la LMES.
Enfin, j'aimerais souligner que le gouvernement s'est engagé à signer le Traité sur le commerce des armes. L'objectif du traité est d'établir des normes communes pour réglementer le commerce international des armes conventionnelles et prévenir leur transfert ou leur détournement à des fins illicites. Un examen des lois, des règlements et des politiques actuels du Canada est en cours pour déterminer le degré de conformité du Canada avec les obligations du traité. Par la suite, le gouvernement signera le traité dans les meilleurs délais.
Cela met fin à la partie structurée de mon exposé. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Nous n'avions pas prévu de déclaration de Dominic, alors je vous cède la parole, monsieur le président.
Le président : Je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Nous sommes reconnaissants. Pendant votre lecture, nous avons constaté qu'il nous manquait une partie de votre déclaration préliminaire. Nous la photocopions en ce moment parce que nous tentions de vous suivre. Nous avions les pages 1, 3 et 5, et il manquait les pages 2...
Mme Gilmour : Nous essayons de sauver des arbres et avons imprimé le document recto verso. Je m'en excuse.
Le président : Peu importe à qui la faute, nous obtiendrons les feuilles manquantes. Je crois qu'on nous les apporte en ce moment. Ce sont les nouvelles? Ce serait utile, parce que votre mémoire contient des renseignements stratégiques pouvant nous aider à répondre à nos questions.
Merci. C'est très important. Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Ataullahjan.
La sénatrice Ataullahjan : Je tiens moi aussi à m'excuser. J'ai seulement pris cette photo pour mes éventuels arrière- petits-enfants.
Nous avons précédemment accueilli des représentants de Project Ploughshares, et Ken Epps, le conseiller en politiques, a dit au comité que les normes associées au rapport au Parlement d'Affaires mondiales Canada — le Rapport annuel sur les exportations canadiennes de matériel militaire — ont diminué depuis son entrée en vigueur en 1991, particulièrement en comparaison de bon nombre des rapports produits par les autres ministères. Êtes-vous d'accord avec cette déclaration? Et pouvez-vous nous fournir des explications à ce sujet?
Mme Gilmour : Merci. Voulez-vous que je réponde aux questions individuelles?
Le président : Oui, s'il vous plaît.
Mme Gilmour : Un certain nombre de rapports différents sont produits en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Il y a aussi des rapports que le gouvernement fournit de façon volontaire au Parlement. La loi en tant que telle est assortie d'une exigence législative de faire un compte rendu des activités réalisées au titre de la loi, sous la forme d'un rapport annuel, lorsque l'information est accessible, qui fournit le nombre de licences octroyées, refusées et ce genre de choses. Le dernier rapport publié du genre l'a été au sujet des données de 2013. Il y a eu des retards l'année dernière, principalement en raison de la longue période électorale, et je crois que les rapports de 2014 et de 2015 devraient être déposés bientôt.
Le gouvernement présente aussi un rapport volontaire sur les exportations militaires, et ce, depuis — si je ne m'abuse — 1991. Je vois que certaines personnes font des signes de tête affirmatifs. Ce rapport vise à prouver la transparence du Canada en matière de communications des renseignements de nature militaire et pour encourager d'autres pays à faire la même chose. Puisqu'il n'y a aucune exigence législative à ce sujet, le rapport est produit par le gouvernement lorsque c'est possible. Parfois, le rapport a été produit annuellement. Parfois, on combine deux années de données dans un seul rapport. Encore une fois, le dernier rapport déposé devant le Parlement était en 2013. Ce rapport contient une liste des pays où nous exportons des marchandises militaires par destination. Les données sont ventilées en fonction de la valeur totale des exportations réelles envoyées à l'étranger.
Encore une fois, on prépare actuellement l'information pour pouvoir déposer le rapport. Je crois que le gouvernement prévoit le faire très bientôt.
La sénatrice Ataullahjan : Une des questions que j'ai posées la semaine dernière — et j'aimerais vous la poser — était liée au fait que, durant la Semaine de responsabilisation de l'Iran, nous avons appris que les sanctions sont parfois inefficaces puisqu'elles touchent les personnes les plus vulnérables plutôt que les dirigeants. De quelle façon peut-on s'assurer que les sanctions ne touchent pas par inadvertance les personnes les plus vulnérables? De plus, une fois les sanctions imposées, quels mécanismes sont en place pour évaluer leur efficacité ou les modifier, au besoin?
Mme Gilmour : Je dois dire d'entrée de jeu que mon portefeuille n'inclut pas le régime de sanctions d'Affaires mondiales Canada. Je peux donc seulement vous fournir une réponse très générale; certains de mes collègues pourraient vous fournir des renseignements plus précis.
Le Canada s'appuie sur deux textes législatifs principaux pour établir un régime de sanctions. La première, c'est la Loi sur les Nations Unies. Cette loi a été adoptée spécialement pour permettre l'application des sanctions qui découlent d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. De façon générale, ces sanctions ont tendance à prendre la forme d'embargos sur les armes ou de mesures plus précises associée à des types précis d'exportation ou d'activités financières ou économiques. Puis, il y a la Loi sur les mesures économiques spéciales. Je crois que l'exigence établie dans cette loi est très lourde. Les sanctions au titre de la LMES sont imposées en cas de violation majeure de la paix et de la sécurité internationales. Des sanctions sont ensuite spécialement établies en fonction des caractéristiques de ce grave manquement à la sécurité internationale.
Dans certains cas, au titre de la LMES, le Canada a imposé des sanctions liées directement aux activités militaires, aux armes, à du matériel ou à des services financiers associés aux activités militaires ou à du matériel lié au secteur de l'armement.
C'est ce qui s'est produit en Birmanie, où les mesures ciblaient très précisément la junte militaire qui ne s'était pas fait reconnaître comme le gouvernement élu en toute légitimité.
Les sanctions sont des instruments dont l'efficacité est maximisée lorsqu'il y a consensus international et lorsqu'elles ciblent les décideurs dont on veut modifier le comportement. Je crois que c'est bel et bien l'intention des régimes de sanctions du Canada.
Le président : Nous avons beaucoup de questions. En passant, monsieur Gingras, n'hésitez pas à intervenir quand vous voulez.
Le sénateur Ngo : La semaine dernière, durant les témoignages, il a été beaucoup question du contrat de vente des VBL. Tous les témoins étaient très préoccupés, et nous le sommes aussi. Cet accord de 15 milliards de dollars est, de loin, le plus important contrat d'exportation militaire dans l'histoire canadienne. Dans le cadre de ce contrat d'exportation, nous fournissons des biens militaires à l'un des pays où les droits de la personne sont les moins respectés. En effet, l'Arabie saoudite bafoue systématiquement les droits de la personne. Votre propre évaluation des droits de la personne en Arabie saoudite de 2015 décrit non seulement la situation pénible en matière de respect des droits de la personne, mais aussi l'aggravation de la situation des droits de la personne quant au nombre d'exécutions et de détentions arbitraires; il en est ainsi pour presque toutes les catégories de violations des droits de la personne.
Quel genre de situation ou quel genre d'antécédents en matière de respect des droits de la personne un pays doit-il afficher ou posséder pour entraîner l'application des mesures de protection des droits de l'homme dans le cadre des contrôles des exportations militaires?
Ma deuxième question est la suivante : si l'Arabie saoudite est considérée comme un acheteur approprié de marchandises militaires fabriquées au Canada, qui ne le serait pas?
Mme Gilmour : Merci beaucoup, monsieur le sénateur.
Je vais commencer ma réponse en vous parlant plus précisément du fonctionnement du régime d'octroi de licence. En effet, dans un premier temps, je crois qu'il est important de comprendre que, dans la Loi en tant que telle — c'est à l'article 7 —, il est mentionné que le ministre doit effectuer une évaluation liée précisément à la marchandise ou à la technologie exportée.
Lorsque nous réalisons une évaluation des risques liés à une exportation précise, nous examinons la technologie, les risques connexes, l'utilisation finale précise et l'utilisateur final du bien ou de la technologie exportée.
Pour ce qui est du fait que l'Arabie saoudite est coupable de violations des droits de la personne contre ses citoyens, notre gouvernement a énoncé très clairement son point de vue sur la situation générale des droits de la personne en Arabie saoudite. Le ministre n'a manqué aucune occasion de soulever les préoccupations du gouvernement canadien auprès de l'Arabie saoudite. Bien sûr, cela ne nous exonère absolument pas d'avoir à réaliser une évaluation du risque précise liée à la marchandise ou à la technologie exportée.
Comme le ministre l'a mentionné dans sa décision relativement à cette exportation précise, une évaluation du risque complète a bel et bien été réalisée. Le Canada a tenu compte du comportement des utilisateurs des véhicules militaires qui ont été exportés depuis le début des années 1990. Nous n'avons aucune information indiquant que ces véhicules ont été utilisés de façon inappropriée pour commettre des violations contre les droits de la personne. Tout compte fait et vu l'environnement stratégique plus général, l'autorisation par le ministre de cette exportation est conforme à la politique étrangère du Canada et aux intérêts du pays en matière de défense et de sécurité, y compris en ce qui concerne les droits de la personne.
Le président : Monsieur le sénateur Ngo, puis-je poser une brève question complémentaire? Ce qui vient d'être dit est étroitement lié à la question supplémentaire que je voulais poser au sujet des VBL utilisés en Arabie saoudite.
Affaires mondiales Canada doit-il déterminer si les marchandises et les technologies militaires canadiennes risquent d'être utilisées à l'extérieur du pays destinataire pour commettre des violations contre les droits de la personne de civils? Des mesures sont-elles prises pour s'assurer que les VBL vendus au royaume d'Arabie saoudite ne sont pas utilisés contre des civils du Yémen? Le Canada a-t-il une obligation à cet égard?
Mme Gilmour : La Loi exige la réalisation d'une évaluation qui permettra au ministre de déterminer si l'exportation est conforme aux objectifs de la loi tout en tenant compte de la question générale de la sécurité. Cette mesure est prise au moment de l'exportation.
Dans le cadre du processus d'octroi de licence d'exportation — et c'est l'une des exigences prévues dans la réglementation —, lorsque nous recevons une demande, l'utilisateur final d'une marchandise ou d'une technologie précise doit fournir une assurance, un certificat ou une déclaration sur l'utilisation finale. Ce sont des documents à l'appui obligatoires dans le cadre de toutes les demandes, et l'utilisateur final doit y décrire de quelle façon il utilisera les marchandises en question et confirmer que les marchandises ne seront pas utilisées à d'autres fins et que les marchandises ne seront pas utilisées à d'autres fins que celles prévues dans la demande. Dans certains cas, lorsqu'il est pertinent de le faire en raison des marchandises en question, nous demandons au pays destinataire de garantir que les marchandises ne seront pas utilisées pour fabriquer des armes de destruction massive et ce genre de choses.
Comme je l'ai dit tantôt, un des aspects de l'évaluation consiste à déterminer dans quel but la marchandise sera utilisée par l'utilisateur final. Dans ce cas, les marchandises devaient être utilisées à des fins militaires. Nous avons évalué l'utilisateur de cette technologie précise — comme c'est indiqué dans la note de service fournie au ministre — à la lumière du comportement antérieur de l'utilisateur, et, à ce moment-là, nous avons déterminé que la vente était appropriée.
Les garanties de l'utilisateur final sont une des choses dont on tient compte durant l'évaluation pour déterminer s'il est approprié ou non pour le ministre d'autoriser une licence. S'il restait des préoccupations qui ne pouvaient être compensées par les retombées positives d'une exportation précise, alors le ministre aurait très probablement choisi de ne pas permettre l'octroi d'une licence. Les fonctionnaires octroient les licences eux-mêmes.
Pour ce qui est du dossier précis des VBL, les facteurs que le ministre a pris en considération, y compris son évaluation des avantages et des inconvénients, étaient décrits dans la note de service qui lui a été remise.
Le sénateur Ngo : Les violations au sujet desquelles nous avons soulevé des préoccupations ici... Il y a deux ou trois semaines, le Globe and Mail a mentionné que l'Arabie saoudite utilisait des VBL contre ses citoyens et aussi contre des civils du Yémen. Vous savez, Human Rights Watch a témoigné la semaine dernière devant le comité.
À la lumière de ces violations très graves de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, Affaires mondiales Canada ou le ministre pourrait-il annuler le contrat?
Mme Gilmour : Les évaluations qui mènent à la décision d'autoriser ou non les licences et nos évaluations continues des enjeux liés à la sécurité dans les régions où les marchandises canadiennes sont exportées s'appuient sur une grande diversité de renseignements. Nous tenons compte de l'information véhiculée dans les médias, mais nous essayons d'en évaluer la véracité et la mesure dans laquelle elle est pertinente à une demande précise.
La présence d'allégations dans les médias ne signifie pas automatiquement qu'il existe des preuves qu'une violation a été commise ni qu'il y a des motifs suffisants pour recommander au ministre de suspendre, de résilier ou d'annuler une licence. C'est la teneur de la loi. Ce n'est pas ce qui s'est produit relativement aux VBL en Arabie saoudite. Les renseignements auxquels le ministre avait accès lorsqu'il a confirmé sa décision restent valides.
Dominic Gingras, directeur, Direction de l'accès aux marchés et des recours commerciaux, Affaires mondiales Canada : Je tiens seulement à ajouter que l'article 10 de la LLEI accorde au ministre un pouvoir général de suspendre, d'annuler, de modifier ou de rétablir les licences d'exportation lorsqu'il y a de nouveaux renseignements crédibles. Par conséquent, s'il y avait des renseignements crédibles et vérifiables selon lesquels il y a eu une mauvaise utilisation, le ministre a le pouvoir d'annuler ou de suspendre les licences.
La sénatrice Andreychuk : J'aimerais poursuivre sur cette lancée; c'est une chose de pouvoir annuler la licence, ce qui signifie qu'il n'y aura plus de vente à l'avenir.
Le problème, avec ce système, et particulièrement vu les technologies d'aujourd'hui dans ce nouveau monde qu'est le nôtre, c'est que votre évaluation d'aujourd'hui change demain, puis ces armes sont expédiées. Nous devons concevoir un système de vérification qui est cohérent vu les nouvelles technologies et les nouveaux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Vous avez dit avoir mis le régime en place en 1986. Il a fait l'objet de certaines mises à niveau. Est- il possible de faire un suivi de l'équipement, plutôt que de simplement évaluer les antécédents du pays?
Mme Gilmour : Si j'ai bien compris votre question, vous demandez le suivi permanent de toutes les exportations canadiennes à l'étranger?
La sénatrice Andreychuk : Essentiellement, un genre de système du genre. Si vous travailliez, comme je l'ai fait, en Afrique, vous constateriez que des armes apparaissent dans les endroits les plus inusités. Si on creuse un peu, on constate que ces armes ne devaient pas se retrouver là. Elles avaient déjà été transférées un certain nombre de fois. Tandis que nous concluons un accord et envoyons des armes en Arabie saoudite ou peu importe où, et que les gens nous disent que la marchandise doit servir à telle ou telle fin précise, nous ne savons pas si les biens continueront d'être utilisés à cette fin et nous ne savons pas si le destinataire les revendra à quelqu'un d'autre et si ces marchandises ne seront pas déplacées ici et là. Dans le passé, c'était des armes à feu, et on pouvait obtenir les nos de série, ou encore des chars d'assaut.
Du matériel hautement perfectionné transige dans le cadre de ce système d'exportation. Mise-t-on sur un système de vérification ou a-t-on une relation suffisante avec les pays avec lesquels nous faisons des affaires afin qu'ils soient très ouverts et nous permettent de mener des inspections? Vous savez, au sein de l'OTAN, on peut aller d'un pays à l'autre. À l'extérieur de l'OTAN, comment peut-on être sûr que notre système fonctionne?
Mme Gilmour : Voici comment le système est conçu : nous devons réaliser une évaluation des risques liée au détournement possible des marchandises ou des technologies exportées dans le cadre de l'évaluation liée à la licence d'exportation en tant que telle.
L'utilisateur final est l'une des choses dont tient compte la Division des licences d'exportation lorsqu'elle évalue une demande. Quelle est l'utilisation finale des marchandises ou des technologies exportées? Quelle est la probabilité que ces marchandises ou technologies soient détournées et utilisées à une fin non prévue dans le contrat de licence? Selon moi, si on avait d'importantes préoccupations liées au détournement possible d'une marchandise précise à un utilisateur non autorisé, il est très probable que l'octroi d'une licence ne serait pas recommandé.
Le système que nous utilisons actuellement repose en très grande partie sur la crédibilité de l'utilisateur final des marchandises exportées. Il s'agit d'une partie intégrante du processus. Si nous ne pouvons pas être convaincu du comportement raisonnable — j'imagine qu'on pourrait le dire ainsi — du destinataire des marchandises ou encore que notre compréhension de ce qu'il adviendra en cas de revente ou de démilitarisation de fin de vie des marchandises, qui serviront ensuite à autre chose... Nous voulons nous assurer de vendre nos marchandises de façon à être sûrs que tout sera fait conformément à nos intérêts généraux. On en tient donc compte au moment de l'exportation.
Pour ce qui est de notre capacité de vérifier à quoi servent nos produits et notre relation avec les pays destinataires, l'une des choses prévues dans la loi et dont j'ai parlé tantôt est la Liste des pays désignés (armes automatiques). C'est une disposition contenue dans la loi, une liste positive des pays dans lesquels une technologie précise peut être exportée, dans ce cas-ci, les armes prohibées. Au titre de cette disposition, le Canada doit avoir conclu une relation en matière de défense avec le pays où les armes prohibées, les armes automatiques, seront exportées. L'idée, c'est que, si nous avons une relation en matière de défense avec un pays, nous pouvons nous assurer que c'est bel et bien un endroit approprié où exporter des armes prohibées. C'est l'objectif de cette liste positive : dans une telle situation, elle permet de créer une relation avec le pays destinataire.
La sénatrice Andreychuk : Les évaluations des droits de la personne sont très subjectives et visent des situations très fluides. Ma crainte, lorsque vous dites avoir réalisé une évaluation des droits de la personne... Au bout du compte, c'est le ministre qui, à la lumière de ce que les fonctionnaires lui disent, prend la décision. Nous savons que les États-Unis ont un système très transparent. En effet, une fois par année, ils présentent des évaluations des droits de la personne auxquelles nous avons accès. Les ONG et les collectivités peuvent participer au processus et peuvent critiquer les résultats et faire un suivi de ces dossiers; ces évaluations permettent donc un certain niveau d'assurance. En fait, tous les autres pays utilisent leurs lignes directrices. Je ne sais pas exactement quel type de cadre d'évaluation des droits de la personne vous utilisez... Est-ce une question de bonne gouvernance? Un gouvernement peut sembler stable, mais une région peut être problématique. Il se peut que la situation dans un pays devienne fragile; ces choses changent. Nous pouvons bien faire preuve d'optimisme et croire que le gouvernement s'en sortira, mais nous n'avons encore aucune preuve.
J'imagine que le manque de confiance à l'égard du système vient de là : nous ne savons pas exactement quels sont les facteurs utilisés dans le cadre des évaluations des droits de la personne.
Mme Gilmour : Je dois encore vous répéter la même chose : dans le cadre du traitement d'une demande de licence d'exportation — c'est le programme dont je suis responsable —, on met l'accent sur l'évaluation des risques d'éventuelles violations du droit international en matière de droits de la personne et du droit humanitaire international et des risques que les marchandises soient détournées et utilisées à des fins non autorisées. On tient compte de tous ces éléments précis en fonction de la marchandise ou de la technologie exportée. Nous tenons donc compte du destinataire. Qui recevra ces marchandises? Quels renseignements nous donnent à penser que les marchandises seront utilisées de façon appropriée? Y a-t-il des préoccupations concernant de possibles risques liés à une exportation? Quels sont les autres facteurs dont on peut tenir compte pour mener une évaluation qui prend aussi en considération les conséquences négatives et positives possibles de l'exportation d'un bien précis?
C'est une liste exhaustive de facteurs parce que nous nous intéressons à une marchandise ou à une technologie précise. L'évaluation générale des droits de la personne réalisée par Affaires mondiales Canada est un document central d'intérêt non seulement dans le cadre de mon programme, mais dans le cadre de toutes les activités du gouvernement canadien. Cette évaluation est réalisée en fonction de délais différents et à des fins différentes des évaluations concernant seulement une exportation précise.
La sénatrice Andreychuk : Dans ce cas-là, quelles sont vos sources d'information lorsque vous menez une évaluation liée à une exportation précise? Si j'ai bien compris, le ministère prodigue les conseils au ministre. Quelles sont vos sources d'information lorsque vous évaluez une exportation précise?
Mme Gilmour : Tout dépend bien sûr de l'exportation, du lieu et de l'utilisateur final. Je peux vous dire que nous utilisons un large éventail de sources dans le cadre de nos évaluations, y compris des renseignements tirés de sources ouvertes et des éléments de renseignement lorsque c'est nécessaire. Nous utilisons les évaluations réalisées par nos bureaux dans les régions de destination des exportations. Dans certains cas, ces bureaux procèdent à des vérifications positives lorsque le profil de risque exige des évaluations de l'utilisation finale et de l'utilisateur final. On peut ainsi confirmer que les motifs allégués de l'exportation sont bien réels. Dans certains cas, les responsables visitent les entreprises et les utilisateurs finaux. Nous tenons compte des caractéristiques précises de la destination et des marchandises. Je ne veux pas vous parler de cas précis, et les facteurs varient d'une exportation à une autre, mais j'ai pleine confiance en l'information que les intervenants du réseau d'Affaires mondiales nous fournissent et en l'information fournie par nos collègues du ministère de la Défense, lorsqu'il est question de technologies militaires. Lorsqu'il est question de technologie spatiale, nous nous tournons vers le Conseil national de recherches, l'Agence spatiale canadienne ou n'importe quel autre intervenant en mesure de nous fournir des renseignements pertinents liés à une demande précise. S'il y a des préoccupations impossibles à dissiper dans le cadre du processus d'évaluation, c'est à ce moment-là que la demande est transférée au ministre, qui doit prendre une décision en soupesant les facteurs à la lumière — comme je l'ai déjà dit — des intérêts généraux du Canada en matière de politique étrangère, de défense et de sécurité.
La sénatrice Omidvar : J'aimerais bien comprendre la situation de cette industrie au Canada. Vous dites qu'il s'agit d'une industrie canadienne de 6 milliards de dollars qui tire la moitié de ses revenus d'exportations. De combien d'emplois parle-t-on? Où ces emplois sont-ils situés? Les ensembles de compétences exigées par ces emplois sont-ils propres à l'industrie de la défense ou s'agit-il de compétences polyvalentes? Ces employeurs, si ce sont de grosses entreprises — comme, disons, Bombardier —, bénéficient-ils de subventions fiscales pour élaborer ces produits? J'aimerais bien comprendre un peu cet autre aspect de la question.
Mme Gilmour : De façon très générale, je crois que l'industrie de la défense au Canada emploie 60 000 ou 70 000 personnes. Mes collègues me soufflent que c'est 60 000 emplois. L'industrie génère des innovations et investit beaucoup dans la recherche et le développement. Elle est présente partout au Canada. Il y a des regroupements de différents types de capacités à différents endroits : il y a un regroupement aérospatial au Québec, un regroupement de fabrication de pointe dans le Sud de l'Ontario. La fabrication des véhicules blindés et toutes les chaînes d'approvisionnement connexes sont très concentrées dans cette région. Il y a des entreprises aérospatiales et de haute technologie situées partout au Canada : Magellan, à Winnipeg, est une excellente entreprise aérospatiale. Puis il y a MDA, une autre entreprise du secteur de l'aérospatiale sur la côte Ouest, qui œuvre davantage dans le domaine stratégique et pas nécessairement militaire. Un rapport très intéressant a été publié il y a deux ou trois semaines. Je ne l'ai pas en main, mais nous pouvons très certainement vous l'envoyer si vous le désirez. Je crois savoir que le document a été produit conjointement par le nouveau ministère de l'industrie du Canada — Innovation, Sciences et Développement économique Canada — et l'Association des industries canadiennes de défense de sécurité. Le rapport fournit des renseignements plus à jour sur la répartition régionale, sur les emplois et les moteurs économiques de cette industrie. Nous pouvons sans problème le fournir au greffier afin que vous y ayez accès parce qu'il contient des renseignements plus détaillés que ceux que je peux vous fournir ici.
La sénatrice Omidvar : Toutes ces industries laissent à Affaires mondiales Canada la tâche de réaliser les évaluations sur les droits de la personne?
Mme Gilmour : Je n'irais pas jusque-là. En effet, toutes les entreprises d'exportation ont comme première priorité de réaliser leurs propres évaluations; ça, je peux l'affirmer avec un très haut degré de certitude. Dans la majeure partie des cas, les entreprises canadiennes veulent respecter la loi canadienne. Elles font tout en leur pouvoir non seulement pour respecter la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, mais parce que c'est dans leur intérêt commercial de le faire. Elles veulent s'assurer de faire affaire avec des clients crédibles et générer des ventes qui le sont tout autant. Elles font elles-mêmes preuve de diligence raisonnable en évaluant les clients avec lesquels elles font affaire.
Nous travaillons très dur pour informer les entreprises canadiennes de l'ensemble des critères dont nous tenons compte lorsque nous réalisons des évaluations liées aux licences d'exportation et nous travaillons en collaboration avec elles pour leur fournir l'information nécessaire. Il serait très inhabituel qu'une entreprise canadienne tisse une relation d'affaires avec un client qui, de toute évidence, bafoue les droits de la personne. En effet, dans un tel cas, le gouvernement refuserait probablement d'octroyer une licence d'exportation. Ce n'est pas dans son intérêt commercial d'agir de la sorte. Je peux dire avec assurance que, d'après mon expérience auprès de l'industrie canadienne de la défense et de la sécurité, les entreprises connaissent très bien les exigences de la loi et travaillent en collaboration avec le gouvernement du Canada et dans le cadre de leur relation d'affaires, avec leurs clients, pour obtenir l'information nécessaire afin de réaliser les évaluations.
La sénatrice Omidvar : J'en aurais peut-être plus à dire à ce sujet tantôt, mais merci.
Le président : Nous n'aurons peut-être pas le temps de revenir sur cette question. Il ne nous reste que cinq minutes — où à peine plus — parce que nous devons terminer à 14 heures. Nous avons d'autres témoignages après, et je demanderais à la sénatrice Ataullahjan et à la sénatrice Andreychuk d'écrire leurs questions afin que nous puissions obtenir des réponses. Madame la sénatrice Omidvar, vous pouvez vous aussi écrire votre question afin que nous les ayons toutes et que nous puissions obtenir des réponses pour les 10 prochaines minutes.
La sénatrice Ataullahjan : Ma question vise à clarifier un point relativement à l'article 10. L'annulation ou la modification d'une licence entraînent-elles des coûts financiers connexes? Y a-t-il d'autres conséquences?
Mme Gilmour : Ce n'est pas un facteur dont nous tenons nécessairement compte au titre de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Ce peut être un des nombreux facteurs que les entreprises nous demandent d'inclure dans les renseignements contextuels fournis au ministre afin qu'il puisse prendre une décision. C'est à l'entreprise ou à la partie contractante de déterminer les modalités du contrat. L'exigence relative à une licence d'exportation est quant à elle une exigence au titre d'une loi canadienne.
M. Gingras : C'est exact. Les pénalités financières qui peuvent être associées à l'annulation d'un contrat sont un des aspects du contexte dans lequel la décision est prise, mais ce n'est pas un facteur déterminant.
Le sénateur Ngo : J'ai une autre question : dans le rapport Freedom on the Net 2015, on mentionne que la liberté de l'Internet est en déclin dans le monde pour une cinquième année consécutive. Plus de gouvernements utilisent des renseignements d'intérêt public tout en misant davantage sur la surveillance et en s'attaquant aux outils qui renforcent la vie privée. C'est ce qu'on constate en Chine avec le grand pare-feu, et au Vietnam, avec le barrage vert. Ces pays font partie des nombreux États qui transforment l'Internet en une arme de surveillance massive en augmentant la censure sur Internet et en arrêtant des gens, des centaines de blogueurs.
Le Canada vend-il des logiciels ou des technologies à double usage qui pourraient potentiellement être utilisés pour briser une dissension légitime? Les logiciels et les technologies à double usage devraient figurer sur la liste des marchandises stratégiques qu'on ne peut pas exporter du Canada n'importe où sans licence.
Mme Gilmour : Si vous me le permettez, je vais répondre à cette question de deux façons. Pour ce qui est des technologies qui figurent sur la liste des marchandises d'exportation contrôlée, de mémoire, je ne peux pas vous dire exactement quelle est la définition technique, mais il y a des aspects des technologies logicielles qui figurent sur la liste des biens à double usage. Si le produit est conçu spécialement à des fins militaires, il figurera sous le deuxième groupe, soit notre liste de marchandises militaires. Si un tel article contrôlé est exporté du Canada, l'entreprise exportatrice doit présenter une demande pour obtenir une licence d'exportation. Lorsque nous recevons la demande liée à la licence d'exportation, comme on le fait pour toute marchandise et toute technologie, nous réalisons une évaluation des risques liée à l'exportation précise, y compris la question des droits de la personne et l'utilisation qui sera faite de la marchandise.
Dans une telle situation, dans le cas d'un refus, nous formulerions au ministre une recommandation quant à savoir si l'exportation précise est conforme à la politique étrangère du Canada et aux intérêts canadiens en matière de sécurité et de défense. Je ne peux pas, de mémoire, vous parler d'une technologie ou d'une exportation précise. Je ne connais pas le nombre de demandes d'exportations qui entrent dans les catégories que vous avez mentionnées au titre des sous- groupes généraux de la liste des marchandises d'exportation contrôlées, mais je suis convaincue que, si une marchandise contrôlée est exportée, nous allons procéder à une évaluation de cette exportation pour nous assurer qu'elle respecte les intérêts de la politique étrangère du Canada.
Le sénateur Ngo : Pourriez-vous fournir au comité la liste des entreprises qui appartiennent à ces catégories, afin que nous le sachions?
Mme Gilmour : Je crains, monsieur le sénateur, que nous ne puissions pas fournir des renseignements commerciaux confidentiels. Une demande de licence d'exportation d'une entreprise particulière serait considérée comme un renseignement commercial confidentiel. Nous pouvons fournir le nombre de demandes dans des grands groupes, et peut-être dans des sous-groupes, mais nous devrions vérifier cela. Nous allons retourner et vérifier quels renseignements pourraient être accessibles à cet égard. Nous ne pouvons pas fournir de renseignements propres à l'entreprise.
Le sénateur Ngo : Nous savons que General Dynamics en fait partie.
La sénatrice Andreychuk : Je vais revenir sur une chose qu'a dite la sénatrice Ataullahjan et laisser tomber les autres questions. L'annulation d'une licence n'en vaut la peine qu'au début d'un contrat ou durant sa période de validité, essentiellement. Les contrats que nous signons peuvent-ils faire l'objet de prorogation? Autrement dit, nous disons que nous allons acheter X de telles choses ou bien vendre X d'autres choses, mais une disposition a été intégrée relativement aux contrats ultérieurs. Ces contrats sont-ils examinés différemment? Vous avez l'air perplexe.
Vous pourriez obtenir 50 trucs de tel ou tel type, mais il est prévu dans le contrat que vous pourrez continuer à travailler et à fournir vos produits. Est-ce que cela mène à une autre licence et à une analyse? Si vous rompiez et retiriez une licence au beau milieu du contrat, quelles seraient les conséquences? L'entreprise serait-elle obligée d'arrêter? La licence déjà accordée serait alors annulée. Dans certaines des déclarations formulées au sujet de la situation relative à l'Arabie saoudite, j'ai entendu dire que nous pourrions toujours mettre fin au contrat. Eh bien, je me demande si c'est le cas.
Mme Gilmour : Le ministre Dion a répondu à cette question lors de sa comparution devant un comité parlementaire. Je n'ai pas sa réponse mot pour mot, mais je vais tenter de l'expliquer. Divers facteurs d'influence sont pertinents dans ce cas particulier. Tout d'abord, le processus de demande de licence d'exportation sert à examiner les demandes d'exportation de marchandises particulières; nous n'étudions pas les contrats dans leur ensemble. Si la demande concerne l'exportation de marchandises, nous examinons le contexte dans lequel ces marchandises seraient exportées. Les licences d'exportation ont une validité dont la durée pourrait aller de deux ou trois ans à trois ou quatre ans, dans certains cas. Comme nous le savons — et ces renseignements sont accessibles au public —, dans le cas de la vente de VBL à l'Arabie saoudite, il s'agit d'un contrat pluriannuel, de 14 ans, je crois. Durant cette période, il y aura plusieurs licences d'exportation, à mesure que des tranches particulières du contrat seront livrées. Toutes les demandes de licence sont évaluées en fonction des faits accessibles au moment où la demande est présentée.
De plus, il s'agit de l'argument qu'a fait valoir le ministre Dion dans son exposé, nous devons comprendre que, lorsqu'un pays achète des capacités militaires du Canada, ou même des pièces et des composantes, le lien entre le fabricant de l'équipement initial et l'utilisateur final de la marchandise ou de la capacité particulière est très important. Dans le cas des VBL, ce lien est accessible au public. Les Saoudiens entretiennent une relation avec le fournisseur de VBL canadien depuis le début des années 1990. Ils ont des parcs de véhicules existants, qui requièrent du soutien en service, des pièces de rechange ainsi que des renseignements et des services techniques; il s'agit donc de relations continues. La valeur tient à la relation entre le fabricant de l'équipement initial et l'utilisateur final, alors il est très important de savoir si une licence pourra être obtenue aux fins d'une vente ultérieure. Si une licence est suspendue ou annulée dans le cadre d'un envoi particulier, aucune autre exportation ne peut avoir lieu. Pour qu'une exportation puisse quitter le pays, une licence valide doit être en place.
Le président : Nous voulons vous remercier sincèrement. Nous avons beaucoup d'autres questions à poser, mais cette étude se poursuivra pendant un moment. Nous allons peut-être vous revenir là-dessus et vous envoyer une ou deux notes dans le but de clarifier certaines questions. Votre présence est très importante pour nous à mesure que nous poursuivons notre étude.
Nous allons accueillir un autre témoin dans un instant. Mais je dois partir pour faire quelque chose. J'ajouterais que, pour le reste de la séance, le comité aura le droit de se réunir dans le but d'entendre des témoignages sans quorum, même si des membres représentant l'opposition et des sénateurs libéraux pourraient être absents. Voilà nos règles. Je suis le sénateur libéral, mais je dois partir. Est-ce que les membres sont d'accord avec cela?
La sénatrice Andreychuk : Il faudra que je parte à 13 h 45.
Le président : Nous allons poursuivre jusqu'à 14 heures. J'ai seulement besoin de savoir si les membres sont d'accord.
Le sénateur Ngo : D'accord.
La sénatrice Andreychuk : Bien sûr.
Le président : C'est très gentil de votre part. Vous voyez le sentiment de collaboration au sein du Sénat du Canada?
La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.
La vice-présidente : Je voudrais profiter de cette occasion pour souhaiter la bienvenue à notre prochain témoin, Milos Barutciski.
Milos Barutciski, coprésident de l'équipe spécialisée en commerce international, Cabinet d'avocats Bennett Jones, à titre personnel : Je suis un associé et le coprésident de la pratique du commerce international dans un cabinet d'avocats national. Toutefois, je me présente en ma qualité d'avocat spécialisé en commerce international qui conseille des entreprises, des gouvernements, des organisations internationales et même des ONG, à l'occasion, depuis 30 ans dans des affaires de réglementation commerciale, y compris les contrôles à l'exportation et les sanctions.
Dans ma déclaration préliminaire, je vais aborder trois enjeux. Premièrement, je voudrais dire quelques mots au sujet du régime actuel de contrôles à l'exportation. Mme Gilmour a très bien abordé ce sujet, alors cela me permettra d'écourter une partie de ce que j'avais prévu dire. Plus particulièrement, je veux aborder les objectifs légaux et stratégiques et les limites du régime ainsi que le rôle important qu'il joue dans l'économie canadienne.
Deuxièmement, je veux formuler certaines observations au sujet du recours à des mesures commerciales pour encourager nos partenaires commerciaux à agir ou, parfois, à ne pas agir dans un vaste éventail de domaines, y compris les droits de la personne.
Troisièmement, je veux commenter la nécessité d'établir un équilibre entre les intérêts concurrents et parfois contradictoires des gouvernements à intervenir dans le cadre de la mise en œuvre de mesures de contrôle et de sanctions commerciales.
Ces trois thèmes ont été soulevés haut et fort, pas seulement aujourd'hui, mais lors de la dernière séance avec les représentants de Project Ploughshares, et je pense qu'il y en avait un autre... j'ai parcouru les transcriptions pour me faire une idée de quels étaient vos intérêts avant de comparaître.
L'autre chose que je dirais, c'est que je ne participe pas à la vente des VBL ou à la vente de quoi que ce soit à l'Arabie saoudite. J'ai participé à des exportations d'armes et principalement à double usage, car il s'agit de la majorité écrasante de licences délivrées au titre de cette loi. Oui, notre industrie de la défense est importante, mais les conséquences et l'application de la loi et la nécessité de délivrer des licences sont majoritairement dans le domaine civil, où les marchandises ou les technologies peuvent faire l'objet d'une utilisation de sécurité, militaire et civile. Ces produits font l'objet d'un contrôle tout aussi rigoureux que les marchandises militaires.
La loi est en vigueur depuis 1947. Elle ne contient pas vraiment de disposition relative aux objectifs, en tant que telle. Toutefois, elle comporte des dispositions qui nous permettent de nous faire une idée des objectifs législatifs qu'elle vise à promouvoir. Par exemple, même si Mme Gilmour a évoqué le fait que la loi exige qu'un importateur obtienne une licence du ministre des Affaires étrangères s'il veut exporter des marchandises qui sont désignées sur la Liste des marchandises d'importation contrôlée — la LMEC — ou vers un pays figurant sur la LPV, la Liste des pays visés... il n'y en a que deux; il en restera bientôt un seul, quand le Belarus aura été retiré.
La clé, pour se faire une idée des objectifs de la loi actuelle, c'est d'étudier la façon dont les marchandises se retrouvent sur la LMEC. À cette fin, la loi prévoit que le gouverneur en conseil — et son cabinet agissant au titre du règlement — peut ajouter des marchandises sur la LMEC pour six raisons. Elle dresse la liste des raisons, et je ne vais pas les exposer en détail — vous les avez probablement déjà étudiées — s'assurer que des armes ne sont pas rendues disponibles à une destination où leur emploi pourrait être préjudiciable à la sécurité du Canada — je ne fais que citer la loi —; favoriser la transformation au Canada d'une ressource naturelle d'origine canadienne, et ainsi de suite. Il y a plusieurs autres raisons.
Aucune d'entre elles ne comprend expressément les droits de la personne; toutefois, cela ne signifie pas que les droits de la personne ou d'autres questions ne sont pas des considérations pertinentes. Aux termes de la loi, le ministre jouit d'un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la délivrance des licences.
De fait, l'article 7 portant sur la délivrance des licences, qui confère au ministre le pouvoir de délivrer des licences, prévoit également la paix, la sécurité ou la stabilité dans n'importe quelle région ou à l'intérieur des frontières de n'importe quel pays. Il va sans dire que les violations des droits de la personne sont une chose qui pourrait facilement nuire à la paix, à la sécurité ou à la stabilité dans un pays ou une région.
Là où je veux en venir, c'est que, même si les droits de la personne ne sont pas prévus expressément en tant que considération pertinente dans la loi, ils en sont une pour le ministre, comme en témoigne la politique de 1986 que vous avez examinée durant votre étude. Toutefois, il ne s'agit pas de « la » considération primordiale. Il importe que vous vous en souveniez dans le cadre de vos délibérations et de vos études. Même si les droits de la personne sont une considération importante, non seulement pour vous, mais pour le ministre, il y aura, à un moment donné, un être humain, un député, un ministre élu et affecté à ce rôle qui aura recours à son jugement pour prendre une décision à l'égard de transactions particulières. Il ou elle devra prendre cette décision en tenant compte des droits de la personne, mais aussi de nombreux autres facteurs, et ils seront conflictuels. C'est aussi certain que le jour suit la nuit. Voilà pourquoi l'un des témoins précédents a affirmé que les politiciens sont grassement payés, du fait qu'ils sont là depuis un moment. Je ne suis pas certain qu'il s'agissait d'une déclaration exacte, mais passons.
Là où je veux en venir, c'est que votre tâche consiste à équilibrer des intérêts difficiles, importants et occasionnellement conflictuels. Le futur ministre qui administrera cette loi ou une version modifiée devra faire précisément cela, alors, les droits de la personne... oui, mais il ne s'agit pas du seul intérêt pertinent, et il est parfois difficile de trouver le juste l'équilibre.
L'autre enjeu que je veux aborder sous cette rubrique, c'est le rôle que joue la Loi sur les licences d'exportation et d'importation dans l'économie du Canada. Nous savons tous que le Canada est un pays commerçant. Plus de la moitié de notre économie dépend du commerce, et c'est le cas depuis de nombreuses années. Comme l'a décrit Mme Gilmour et comme y ont fait allusion plusieurs sénateurs, les exportations d'aujourd'hui intègrent beaucoup de technologies contrôlées.
Nous avons discuté de la liberté sur Internet. Le Canada est un grand fournisseur de logiciels de cryptage. Vous trouverez ce cryptage dans vos ordinateurs portatifs, vos iPad et vos téléphones mobiles, dans des dispositifs à distance, dans pratiquement tout ce qui communique par voie électronique sur Internet. La majeure partie de ces communications sont contrôlées. Les logiciels de cryptage se trouvent également dans des capteurs, dans des matériaux composites, dans divers types de métaux, dans les joints toriques à 9 ou à 2 $ couramment utilisés dans les valves et les pompes de l'industrie pétrolière et gazière, lesquelles figuraient également précisément sur la liste des marchandises interdites pour la vente à l'Iran parce qu'elles sont sensibles à la chaleur et utilisées dans des applications nucléaires, et elles figuraient sur la liste des marchandises interdites pour l'Iran. Dans le cadre des dernières sanctions, ils ont été retirés à la suite du processus du P5+1, mais cela vous donne une idée. L'éventail de marchandises à 9 ou à 2 $ — je ne me souviens pas de quoi il s'agissait — les joints toriques Viton sont des marchandises assez banales, mais ils étaient réglementés. Voilà l'idée dont vous devez tenir compte.
Les entreprises et les emplois qu'elles créent et maintiennent ont besoin d'une certaine certitude relativement au régime de licence d'exportation. Elles ont besoin de connaître les critères dont elles doivent tenir compte dans le cadre de leurs processus de diligence raisonnable que Mme Gilmour a évoqués. L'un des aspects au sujet desquels je conseille constamment des clients, ce sont les situations où on effectue une vente, quelqu'un présente un bon de commande. Qui est-ce? Quelle est l'utilisation finale? Quelles limites sont en place ou vont l'être à l'égard de la transmission à venir, c'est-à-dire les nouvelles exportations, les nouvelles destinations et ainsi de suite? Ce sont tous des éléments qui font partie de l'accord commercial. Ensuite, il faut en plus répondre à l'exigence relative à la licence d'exportation, alors ce sont tous des éléments qui sont importants pour les clients lorsqu'il s'agit de comprendre quels critères le ministre et le ministère, essentiellement, prendront en considération... Il faut que ces critères soient formulés et clairs. Ce qui est tout aussi important, c'est une certaine assurance du fait qu'ils ne seront pas détournés — si je puis utiliser ce terme — par le dernier enjeu du jour. Parfois, le dernier enjeu du jour est très important. Peut-être que la transaction concernant les VBL conclue avec l'Arabie saoudite entre dans cette catégorie. Je ne sais pas si c'est le cas; je n'y participe pas, quoique je peux formuler certains commentaires en ce qui a trait du domaine public.
Le deuxième grand sujet, c'est le recours à des mesures commerciales pour influer sur le comportement de gouvernements étrangers. C'est vraiment là-dessus que porte la présente audience. Mais, encore une fois, ça n'est pas particulièrement unique à ce sujet, aux droits de la personne; le recours à des mesures commerciales pour influer sur un comportement à l'étranger englobe un vaste éventail...
Les mêmes considérations s'appliquent aux préoccupations d'ordre environnemental, à la gouvernance et à la réforme démocratique dans les pays étrangers, à la région, à la liberté de religion, à l'égalité entre les sexes, à la diversité des sexes et à de très nombreux autres sujets qui sont importants pour nous, en tant que citoyens, en tant que Canadiens, importants pour vous en tant que gouvernement, et importants pour le monde. Alors, je ne pense pas que les droits de la personne soient uniques dans ce domaine. Pendant que vous étudiez le défi que présente la recherche d'un équilibre entre des intérêts importants relativement à l'application de cette loi et de la Loi sur les mesures économiques spéciales — une autre loi réglementant le commerce, vous devez tenir compte du fait que les propos que vous tenez ici auront des ramifications dans d'autres domaines.
Ainsi, lorsque nous sommes préoccupés par le comportement d'un gouvernement étranger, nous, en tant que pays, pouvons intervenir progressivement. Nous pouvons avoir recours à un menu de mesures graduelles pour intervenir pour tenter d'influer sur le gouvernement étranger. Ce qui peut être l'échelon le plus bas, mais extrêmement important au quotidien, c'est la pression diplomatique distincte. Voilà pourquoi nous avons des ambassadeurs, un ministre des Affaires étrangères. Voilà pourquoi nos ministres rencontrent leurs premiers ministres, et nos ambassadeurs rencontrent leurs représentants. Cette voie de communication est fondamentale à la gestion quotidienne des relations internationales du Canada.
L'échelon suivant de ce menu, ce sont les déclarations publiques de divergence d'opinions. Les gouvernements disent couramment : « Nous ne sommes pas d'accord avec le gouvernement X sur ce sujet », et le niveau ou la température de ces déclarations publiques peut aller de tiède à brûlante. Encore une fois, c'est une mesure qui est utilisée. Elle est importante si nous réfléchissons aux enjeux liés aux droits de la personne au fil des ans. Dans le cas de l'Afrique du Sud et du régime de l'apartheid, le Canada a joué un très grand rôle. Pas seulement à l'égard des sanctions. Nous avons en fait inscrit l'Afrique du Sud sur la Liste des pays visés pendant un moment. Nos sanctions officielles étaient extrêmement limitées. Il s'agissait surtout de sanctions informelles, mais la voix du gouvernement canadien de l'époque sur les tribunes internationales et une partie des sermons qu'a faits le premier ministre à ses bons amis et alliés la première ministre Thatcher et le président Reagan ont vraiment joué un rôle déterminant pour ce qui est d'apporter du changement en Afrique du Sud. Ainsi, la température des déclarations publiques est un outil important.
Les mesures diplomatiques officielles, le rappel d'ambassadeurs, le rappel de missions et ainsi de suite. Il y en a d'autres. Ensuite, on monte à l'échelon d'un domaine plus juridique : celui de l'application du pouvoir discrétionnaire dans le processus décisionnel des ministres et du Cabinet, alors l'octroi de licences et les facteurs que vous prenez en considération, comme les violations des droits de la personne, par exemple, inscrire un pays sur une Liste des pays visés... Le Bélarus a été inscrit sur la Liste des pays visés en 2006, après une élection bâclée, une élection abusive, si je puis m'exprimer ainsi. Voilà pourquoi il figurait sur la liste. Maintenant, les choses ont un peu changé, et l'Union européenne, les États-Unis, le Canada et d'autres pays ont accepté d'adoucir un peu les choses. Encore une fois, cela ne signifie pas que le Bélarus est notre meilleur ami. Il s'agit d'une mesure officielle qui a été prise à l'échelon du Cabinet. Enfin, il y a des mesures juridiques beaucoup plus officielles, comme les règlements édictés par le gouverneur en conseil au titre de la LLEI, de la Loi sur les mesures économiques spéciales ou, enfin, de lois ou de modifications de lois, ce qui est votre prérogative, en tant que législateur.
Ainsi, diverses situations et préoccupations justifieront des mesures différentes. La réaction appropriée sera une question de jugement politique. Comme je l'ai dit, parfois, en Afrique du Sud, par exemple, dans les années 1980 et 1990... dans les années 1990, les choses avaient commencé à changer énormément, mais, dans les années 1980, les diverses mesures qui ont été appliquées à divers moments ont été déterminantes. Le dosage de ces mesures et le moment où elles ont été prises était tout aussi important que les mesures en tant que telles.
À d'autres moments, on aura recours à des mesures plus officielles, comme en Rhodésie, dans les années 1960. Le Canada a mis en œuvre des sanctions contre ce pays après une résolution du Conseil de sécurité, comme nous l'avons fait dans le cas de l'Iran, ainsi que de divers autres pays. Alors, il y a un éventail de mesures qui doivent être prises en considération, et le gouvernement a besoin d'une marge de manœuvre. Je pense qu'il est très important qu'on y réfléchisse. Le gouvernement a besoin d'une marge de manœuvre afin d'agir de manière éclairée, même lorsque les points de vue sont différents et conflictuels dans le domaine public, ou même au sein du Parlement. Nous n'avons pas le luxe d'attendre que chacun des facteurs ait été pleinement approfondi. Les conflits et les genres de problèmes liés à la sécurité ou aux droits de la personne dont il est question et que vous étudiez se produisent rapidement. J'ai entendu l'ancien président Clinton — je suppose qu'on l'appelle encore président. En fait, les deux — le président Clinton et le président Bush — ont pris la parole côte à côte lors d'un événement tenu à Toronto, après que chacun a eu terminé son mandat. La question qui leur a été posée à tous les deux était la suivante : si vous deviez le refaire... Y a-t-il quoi que ce soit que vous regrettez? Les deux ont été extrêmement sincères. Ils étaient ce qu'ils pensaient. Le président Clinton a fait une pause qui a semblé durer longtemps. Elle était probablement de trois ou quatre secondes. Mais, sa réponse a été : le Rwanda. « Nous n'aurions jamais pu arrêter le génocide, mais si nous avions agi un peu plus rapidement, nous aurions pu sauver 250 000 personnes. »
Alors, pour ce qui est de remettre en doute les décisions des gouvernements dans des situations qui touchent des droits de la personne — je ne dis pas ne pas les mettre sur la sellette —, il y aura des points de vue différents, et c'est ainsi que cela devrait être. Les gouvernements vont écouter et doivent le faire. C'est une démocratie. Voilà pourquoi nous tenons des élections. Ils seront jugés en conséquence au moment des prochaines élections. Cependant, l'un des facteurs clés que vous devriez vous rappeler, selon moi, c'est que la maxime pacta sunt servanda est un pilier des relations internationales, des affaires internationales. Je suis désolé pour le latin, mais c'est ainsi qu'on l'utilise couramment dans le milieu du droit international. Ce qu'elle signifie, c'est que les accords doivent être respectés. C'est un pilier du droit international.
Mes amis des Affaires étrangères diront que nous avons besoin de séparer la question des accords entre gouvernements et le contrat, dans le cas du contrat des VBL. C'est vrai. Toutefois, il s'agit d'un gouvernement assez unique. Il s'agit d'un contrat assez unique, du fait qu'il a été passé entre une entité gouvernementale, la Corporation commerciale canadienne, qu'il a été approuvé par le même bureau, c'est-à-dire le ministère des Affaires étrangères — la CCC relève du ministre —, qui est alors tenu d'octroyer les licences. Oui, deux affaires distinctes au titre de la loi. Le fait qu'un contrat est signé ne signifie pas qu'une licence doit être délivrée. Ainsi, lorsque je représente une entreprise qui négocie un contrat pour l'exportation de marchandises réglementées, une chose que je dis toujours c'est : « Les gars, les marchandises sont réglementées. Quand vous devrez les expédier à l'étranger, vous ferez bien de vous assurer d'avoir pu obtenir une licence relativement à ces marchandises. »
Alors, qu'est-ce que vous voulez? Ajoutons une clause « conditionnelle à l'obtention des licences ». Autrement dit, si vous n'obtenez pas les licences, le contrat n'est pas valide, d'un point de vue juridique. Il peut arriver que des acheteurs n'acceptent pas cette disposition, et cela devient une négociation commerciale. C'est là que les sanctions entrent en jeu, en supposant qu'il y en ait. Donc, il y a beaucoup de considérations. Je ne l'ai pas étudié; comme je l'ai dit, je ne participe pas au contrat des VBL. Je n'ai aucune idée de quelles sont les dispositions relatives aux sanctions.
Oui, c'est distinct. La question juridique de l'octroi des licences, la question des sanctions et la question juridique liée au fait de ne pas respecter un contrat contraignant sont des questions de droit distinctes, mais, en ce qui concerne les relations entre les États, elles ne sont pas distinctes. Alors, il s'agit d'une chose que vous devez, selon moi, garder à l'esprit lorsque vous étudiez comment cette loi ou d'autres mesures — qu'il s'agisse de sanctions ou d'autres règlements économiques visant à influencer un gouvernement en ce qui a trait aux violations des droits de la personne — pourraient s'appliquer. Le gouvernement précédent a tenu compte de diverses répercussions stratégiques et a accepté d'approuver le contrat. En principe, le gouvernement qui lui succède devrait répugner à remettre en cause un accord ou à revoir des engagements entre gouvernements. En tant que question de droit, il pourrait ne pas invoquer le principe de pacta sunt servanda. C'est peut-être la position du témoin précédent de la Direction générale de la réglementation commerciale d'Affaires étrangères, qui pouvait dire : « Si nous devons plaider cette cause devant un tribunal international, voilà l'argument que nous allons faire valoir. » Mais, je ne suis pas certain que le gouvernement saoudien ou qu'un tribunal international verrait les choses du même œil. Il s'agissait d'un accord entre un instrument d'État souverain et un autre État souverain. Pacta sunt servanda commence à revenir nous hanter.
Le troisième et dernier élément, c'est l'établissement d'un équilibre entre des intérêts concurrents. La partie difficile dans le domaine des contrôles à l'exportation et dans celui des sanctions, c'est qu'on ne choisit pas toujours ses alliés, pas plus qu'on ne choisit ses amis, ou bien ceux de ses enfants. J'ai trois garçons adolescents. Même si j'adorerais pouvoir choisir leurs amis, c'est une cause perdue. Je dois m'entendre avec eux, pour la simple raison qu'ils sont les amis de mes fils et qu'ils ont autant, si ce n'est plus, d'influence sur eux que je n'en ai aujourd'hui. Ce n'était peut-être pas ainsi quand ils avaient 7, 9 ou 10 ans. Aujourd'hui, c'est la vie, et je dois m'y faire. En affaires internationales, il s'agit également d'une considération importante.
En tant que citoyens et que législateurs, nous devons nous y faire, et nous y sommes habitués. Nous avons des intérêts communs et devons collaborer avec des pays avec lesquels nous sommes intensément en désaccord au sujet d'autres questions. J'ai mentionné certaines de celles qui me viennent à l'esprit, comme les droits de la personne, les questions liées au genre, la liberté de religion, les questions d'ordre environnemental, les normes fondamentales de la gouvernance et de la démocratie, la façon dont ils dirigent leur pays et la mesure dans laquelle ils respectent leurs citoyens et le fait qu'ils permettent ou non à leurs citoyens de s'exprimer.
À l'occasion, les circonstances pourraient nous forcer à faire cause commune avec des gouvernements que nous trouvons répugnants à des égards importants. En tant que législateurs et gouvernement, vous avez le besoin et l'obligation de trouver le juste équilibre entre des intérêts importants, mais concurrents, et il s'agit malheureusement de la réalité des relations internationales, tout comme c'est la réalité des politiques intérieures. Les législateurs sont investis d'une tâche consistant à établir l'équilibre entre beaucoup d'intervenants canadiens. Je suis un Québécois, et j'ai commencé à pratiquer au Québec. Je suis francophone. Je parle anglais parce que je ne pense pas qu'il y ait de francophones au sein de votre groupe. Mon côté québécois — même si mon cabinet est albertain et ontarien — entre parfois en conflit avec ce que j'entends de la part de certains de mes amis de l'Ouest ou de mes amis de l'Ontario. C'est la vie.
Même la politique de 1986 relative aux contrôles à l'exportation a été étayée par celle qui aborde le risque de violations des droits de la personne. Même cette politique a été étayée par une mesure de flexibilité et de pouvoir discrétionnaire, ce qui veut dire l'établissement d'un équilibre entre les considérations.
Je veux seulement terminer par une brève citation tirée de la politique qui s'y rattachait à l'époque. En 1986, nous tenions une liste de pays qui, le croyait-on, commettaient des violations des droits de la personne. Bien entendu, il ne s'agissait pas d'une liste publique, pour des raisons évidentes. Cette pratique n'a plus cours. Nous ne tenons plus la liste. Je crois savoir que ces décisions sont prises au cas par cas, à la lumière d'un risque raisonnable que les marchandises soient utilisées pour commettre des violations des droits de la personne. L'extrait que je veux citer de cette politique est important. Le voici : l'identité de certains pays qui commettent des violations des droits de la personne est évidente. Celle d'autres pays est plus délicate. La liste [...], qui n'existe plus, « [...] sera examinée régulièrement. Il n'est pas souhaitable que la présence ou l'absence de tout pays sur une liste comme celle-ci fasse l'objet d'une controverse publique. Le Canada est un pays commerçant, et le gouvernement encourage le commerce des marchandises pacifiques avec tous les pays. Nous répugnerions à voir les exportateurs canadiens exclure certains marchés pour des marchandises non militaires en conséquence de notre décision au sujet du bilan d'un pays en matière de droits de la personne. »
Cette déclaration n'est pas moins vraie aujourd'hui qu'elle l'était en 1986. Cela ne veut pas dire que le bilan d'un pays en matière de droits de la personne n'est pas une considération pertinente; en d'autres termes, comme l'a affirmé un des témoins précédents, le fait qu'il pourrait l'acheter de quelqu'un d'autre n'a aucune légitimité en tant qu'argument. Non, il ne s'agit pas d'un argument particulièrement solide, mais il s'agit certes d'une considération pertinente.
Ce qui est difficile, c'est la situation de l'Arabie saoudite. Nous ne sommes peut-être pas d'accord avec un grand nombre de ses pratiques, avec ses méthodes de gouvernement, son bilan en matière de droits de la personne et avec l'inégalité entre les sexes, et ainsi de suite, mais il s'agit d'un allié qui fait face à des problèmes de sécurité réels. Les VBL sont un atout et un élément important de sa capacité de faire face à ces problèmes que nous partageons; alors, il faut établir l'équilibre.
La question finale à laquelle cette situation faisait allusion, c'est-à-dire les conséquences sur l'économie et sur nos intérêts commerciaux, est une considération pertinente. Non, il ne s'agit pas d'un bouclier moral; au contraire, comme l'a dit le témoin précédent. Toutefois, laisser entendre qu'elle n'est pas pertinente, c'est vivre dans un autre monde que celui dans lequel nous vivons.
La vice-présidente : Merci de cet excellent exposé.
La sénatrice Andreychuk : Nous utilisons le terme « droits de la personne ». Notre problème tient en partie à ces termes. Nous ne définissons pas ce que nous voulons dire par ce terme pour tout cas particulier. Nous y arrivons par nos traités, nos conventions et nos pratiques. Malheureusement, dans un environnement politique, j'entends des déclarations comme : « ne faites pas d'échanges commerciaux avec tel pays en raison de son bilan en matière de droits de la personne ». Toutefois, quand on est le gouvernement, on fait face à un dilemme : le faisons-nous ou pas? Il serait utile que nous tenions la discussion sur les droits de la personne avant de procéder à la recherche du juste équilibre. Au chapitre du commerce, vous pouvez dire que tel nombre d'emplois sont en jeu.
Vous avez soulevé le Rwanda. C'est un élément subtil, mais il est très important que l'on réfléchisse à l'avance pour voir à qui on a affaire. Nous commerçons avec certains pays avec lesquels nos alliés refusent de commercer dans certaines circonstances, et vice-versa. Nous souhaitons accroître la transparence et la responsabilisation afin que nous puissions mieux comprendre la situation. Autrement, nous nous adressons à des sources externes. Ce n'est pas qu'une question de vendre les VBL et de créer des emplois; il est aussi question d'avoir une certaine assurance du fait qu'un ministre a pondéré les facteurs relatifs aux droits de la personne. Voilà le genre de transparence que je souhaite... une compréhension de la façon dont les droits de la personne sont appliqués.
M. Barutciski : Vous m'enlevez les mots de la bouche, car c'est exactement le défi. J'ai lu la note de service, du moins la version caviardée destinée au domaine public, qui a été envoyée au ministre Dion. À mes yeux, il est clair que la question a été prise en compte. Autrement dit, elle lui a été carrément soumise. La question concerne l'utilisation des marchandises et est visée par la norme stratégique selon laquelle il ne doit y avoir « aucun risque raisonnable que les marchandises soient utilisées afin de violer les droits de la personne ».
Selon le témoignage et les propos du ministre, ainsi que de témoins qui ont comparu ici à diverses occasions, aucune donnée probante ne donne à penser que ces VBL seront utilisés contre des citoyens saoudiens, mais aucune donnée probante n'indique qu'ils ne le seront pas. Le fait est que les Saoudiens disposent déjà de plus de 1 000 VBL... probablement plusieurs milliers. Le fait de laisser entendre, d'une manière ou d'une autre, qu'une telle considération devient primordiale, ça revient à une chose qui devrait être pondérée. Peut-être qu'une analyse meilleure ou plus étayée permettrait de tenir compte du fait que le pays a des raisons ou non d'utiliser ces marchandises pour les fins interdites ou les fins que nous voulons supprimer. Il y aura des cas où ça pourrait être plus précis.
Le sénateur Ngo a soulevé la question de la liberté sur Internet. Il s'agit de l'exemple parfait d'une situation où certaines technologies permettent d'entraver, de filtrer et de décoder le cryptage grâce à des moyens électroniques sans fil. Avant, nous permettions l'exportation de ce genre de technologie vers des pays qui espionnent couramment leurs citoyens de manières auxquelles nous nous opposons et qui requièrent des mandats dans notre pays. Oui, il pourrait s'agir d'une considération primordiale, dans ce cas-là, car à quelle autre fin les gens l'utiliseraient-ils?
Par contre, il est clair que l'Arabie saoudite fait face à des menaces pour sa sécurité, et ce pays est un allié. Il fait face à de graves menaces pour sa sécurité sur plusieurs fronts. Prend-il les bonnes mesures, ou bien mène-t-il des interventions bâclées la moitié du temps? J'ai mon propre point de vue, et je soupçonne que tout le monde ici présent a son propre point de vue au sujet de la façon dont il fait face à ses situations de sécurité. Les menaces pour la sécurité sont-elles réelles et sont-elles présentes? Absolument, je pense que personne ne mettra cela en question.
Les VBL ou un équipement semblable sont-ils pertinents et nécessaires aux Saoudiens afin qu'ils puissent faire face à ces menaces pour leur sécurité? Je pense que cela ne fait aucun doute. Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit, et j'en rajouterais même, c'est-à-dire que la recherche du juste équilibre est plus complexe. Le problème devient alors une question que vous avez posée — je pense — au témoin précédent : disposons-nous de mesures qui nous permettent de faire le suivi de ces véhicules jusqu'à leur destination? Peut-être que ce suivi devrait figurer dans les contrats. Peut-être qu'il devrait s'agir d'une condition imposée dans le cadre de l'octroi des licences. Elles peuvent être octroyées sous conditions. Peut-être que ce devrait être les conditions en question. L'utilisation finale ne comprendra pas quoi que ce soit, puis cela devient le problème du pays exportateur ou importateur, qui doit s'assurer de gérer le contrat. S'il ne le gère pas, alors cela devient un facteur important. Si les données probantes montrent qu'un VBL, qui vient non pas d'ailleurs, mais bien du Canada, a été utilisé contre des citoyens saoudiens ou contre des civils du Yémen, alors cela devient un facteur à prendre en considération relativement à l'octroi d'une licence d'exportation ultérieure ou à d'autres relations diplomatiques entre le pays importateur en question et nous.
La sénatrice Omidvar : J'apprécie vraiment votre témoignage, car il nous montre que le monde n'est pas tout noir ou tout blanc; il est fait de nuances de gris. La politique d'intervention de notre gouvernement actuel auprès de pays connus pour leurs violations des droits de la personne — l'Arabie saoudite et l'Iran — met les droits de la personne à risque aux deux endroits.
Vous avez parlé de l'ancien premier ministre Mulroney et des grands principes moraux qu'il a défendus, ce qui était fantastique du point de vue des relations avec l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid. Ma question concerne votre évaluation de l'intervention par rapport à l'exclusion, qu'il s'agisse de l'exclusion dans le domaine commercial ou dans un autre domaine.
M. Barutciski : Commençons par un principe de base : tant que toutes les relations n'ont pas été rompues et qu'on n'est pas en état de guerre, l'intervention est essentielle. Je commence par cela. L'intervention est plus qu'essentielle parce que, sans intervention, c'est de la rhétorique pure et simple.
Il existe plus de 200 pays dans le monde, et nous intervenons auprès de la plupart d'entre eux d'une manière ou d'une autre. Nous sommes fondamentalement en désaccord au sujet de nombreuses choses différentes avec un grand nombre d'entre eux. Cela ne veut pas dire que nous ne leur parlons pas. Nous intervenons dans le cadre de nos efforts diplomatiques et des efforts déployés non seulement par Affaires étrangères — ou Affaires mondiales, maintenant —, mais aussi par de nombreux autres ministères et dans le cadre de relations bilatérales. Nous tentons de faire la promotion des enjeux qui nous tiennent à cœur, qu'il s'agisse des droits de la personne, des questions liées aux genres ou de réforme démocratique. Nous faisons beaucoup de travail auprès de la Banque mondiale afin de promouvoir ces enjeux touchant la société civile.
Vous avez raison. L'intervention est essentielle, et c'est pourquoi j'ai décrit les divers échelons de mesures que les gouvernements peuvent prendre pour mieux façonner ou influencer le comportement à l'étranger. Il s'agit essentiellement d'une question d'intervention. Si on se retire, par exemple en fermant une ambassade et en retirant une personne, très souvent, on se retire de la formule. On n'est plus un joueur. À ce stade, on a cédé sa responsabilité à d'autres. D'autres parleront, mais on ne fera pas partie de la conversation. L'intervention est toujours essentielle.
Cela dit, vous savez quoi? Il pourrait y avoir un problème. Il y a eu des problèmes. Nous sommes entrés en guerre dans le passé. Nous pourrions le faire à nouveau, mais je ne l'espère certainement pas. Si cela arrive, ou si nous nous retrouvons dans des circonstances du genre de celles auxquelles nous avons fait face dans le passé et que nous devons prendre ce genre de décision, nous pourrions très bien nous rendre jusque-là. Il s'agit non pas d'intervention, mais d'une relation très différente. Le ciel nous préserve d'avoir encore à nous rendre jusque-là.
La vice-présidente : Nous avons cinq minutes, et nous n'avons pas la permission de siéger au-delà de 14 heures, car le Sénat tiendra une séance. Monsieur le sénateur Ngo, posez vos questions, et, si M. Barutciski ne peut pas y répondre à toutes, il pourra nous envoyer un mémoire écrit.
Le sénateur Ngo : Premièrement, de quel genre de mécanisme disposons-nous, dans la LLIE afin d'évaluer la situation du point de vue des droits de la personne dans les pays où nous menons des activités commerciales? Deuxièmement, quel genre de mesure de protection devrait être utilisé dans le cadre du processus d'autorisation des exportations afin que l'on puisse s'assurer que les régimes autoritaires connus pour leurs violations des droits de la personne et ainsi de suite ne reçoivent pas les outils dont ils ont besoin pour perpétuer la corruption ou les violations des droits de la personne?
M. Barutciski : Vous semblez être un homme peu volubile, mais il s'agit là des deux questions les plus importantes et de questions fondamentales. Au départ — la politique de 1986 dont nous avons discuté plus tôt —, il y a la diligence raisonnable à l'égard des clients commerciaux. Autrement dit, ces mécanismes sont-ils visés par la LLIE? Non, la loi n'exige ni mandat ni diligence raisonnable. Avant que vous exerciez votre pouvoir discrétionnaire en tant que ministre afin d'octroyer une licence, vous avez besoin des renseignements pertinents. Le mécanisme initial, c'est que le ministère a besoin de recevoir des consignes claires — et la politique n'est pas mauvaise à cet égard —, de recueillir les renseignements qu'il peut recueillir par l'intermédiaire du poste diplomatique, des tiers et d'ONG et en communiquant directement avec le gouvernement étranger afin de recueillir les renseignements pertinents au sujet de la situation du point de vue des droits de la personne, y compris les violations possibles. Voilà la première chose. Le mécanisme, ce sont les responsables du processus interne avec lesquels Affaires étrangères et d'autres ministères et le ministre pourraient discuter — par exemple, la Défense —, et d'autres ministères pourraient participer. Voilà le mécanisme initial.
Le mécanisme final, c'est une fois que la licence est octroyée; elle peut être conditionnelle. Le ministre peut — et il le fait couramment — assortir de conditions les licences octroyées à des exportateurs privés. Voilà quelque chose sur quoi vous pourriez vouloir diriger votre attention, en tant que comité, et déterminer si le Canada pourrait envisager d'imposer certains types de conditions aux licences relativement à l'utilisation des marchandises. Qu'est-ce que cela signifie? Une fois qu'elles sortent du pays et qu'elles quittent nos frontières, nous avons perdu notre emprise sur elles.
Par exemple, la plupart des technologies — plus particulièrement celles qui sont liées à la défense — et la plupart des biens d'équipement — qu'il s'agisse d'aéronefs ou de grosses marchandises qui coûtent cher, qui sortent du pays dans un conteneur à bord d'un navire ou d'un aéronef... ce n'est que le début. La majeure partie de l'argent est obtenue durant les 20 années de service qui suivent l'exportation des marchandises... sous la forme de pièces de rechange, de services de remise en état, d'ingénierie et de mise à niveau de logiciels pour faire fonctionner la machine, et ainsi de suite. Un exportateur dira : « Je veux une licence afin d'expédier ces cinq articles, mais j'aurai besoin d'une licence pour offrir 20 années de service par la suite. » Peut-être pourriez-vous assortir cette première licence d'une condition, et, si on découvre des données probantes selon lesquelles la condition n'a pas été respectée par l'acheteur, dans un sens, cela pourrait être une chose.
Bien entendu, il faut également songer au fardeau qu'on impose à l'exportateur. Si je suis un exportateur canadien, suis-je en position de surveiller chacune des activités d'un gouvernement étranger? Est-ce un fardeau réaliste? Il est possible de faire certaines choses, et des mécanismes peuvent être utilisés. Il faut simplement faire attention à ce qu'on inscrit dans le menu ou aux outils qu'on met à la disposition des intéressés, car les gens ont tendance à utiliser les outils, qu'ils soient nécessaires ou non. S'ils sont à notre disposition, nous les utilisons, mais ça n'est pas toujours la bonne chose à faire. Parfois, il faudrait peut-être mieux faire un usage parcimonieux des instruments réglementaires.
Il y a des mécanismes, mais ils appartiennent aux catégories suivantes : le mécanisme initial assorti d'une diligence raisonnable, que le ministère peut exercer; et le mécanisme final assorti de conditions, pas seulement dans la licence précise, mais à tout stade et à tout moment en tant que considération de l'octroi ultérieur de licences aux fins du service, des pièces, et cetera.
Le sénateur Ngo : Comme le temps est limité, je demande à la vice-présidente de me permettre d'envoyer à M. Barutciski mes questions écrites afin qu'il puisse y répondre et envoyer les réponses au greffier. Nous pouvons ensuite les ajouter au compte rendu.
La vice-présidente : Certainement. J'ai bien aimé votre témoignage. Vous avez clarifié un très grand nombre d'éléments. J'avais tellement de questions à poser. Peut-être que nous pourrons nous organiser pour que vous reveniez à une autre occasion, car de nombreux autres sénateurs ont besoin d'entendre ce que vous avez à dire.
Malheureusement, je dois respecter les règles et lever la séance. Merci beaucoup. La séance est levée.
(La séance est levée.)