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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 8 - Témoignages du 15 juin 2016


OTTAWA, le mercredi 15 juin 2016

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 31, en séance publique, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et à examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : leviers économiques disponibles pour mieux faire respecter les droits de la personne, notamment la Loi sur les licences d'exportation et d'importation); puis, à huis clos, pour l'étude d'une ébauche de rapport sur la situation des droits de l'homme et les défections en Corée du Nord.

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Soyez les bienvenus, encore une fois, au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous avons fait une étude plutôt fascinante et complexe des obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne. Nous sommes ici pour examiner les mécanismes du gouvernement touchant ces obligations du Canada.

Comme le témoin le sait sans doute, le sujet a été les leviers économiques disponibles pour mieux faire respecter les droits de la personne, notamment la Loi sur les licences d'exportation et d'importation.

Le témoin que nous accueillons, Mme Sheryl Saperia, représente la Fondation pour la défense des démocraties, dont elle est la directrice des politiques (Canada). Soyez la bienvenue. Avant que nous ne commencions, les sénateurs se présenteront, en commençant par la vice-présidente du comité.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l'Ontario.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de Colombie-Britannique.

La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Ngo : Je suis le sénateur Ngo, de l'Ontario.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l'Ontario.

Le président : Je suis le sénateur Munson, de l'Ontario.

Je vous remercie d'être ici. Vous avez la parole.

Sheryl Saperia, directrice des politiques (Canada), Fondation pour la défense des démocraties : Je vous remercie, monsieur le président ainsi que vos collègues, de m'avoir invitée.

Je loue le sous-comité de s'intéresser à la promotion des droits de la personne à l'étranger. Le multiculturalisme, qui, d'après de nombreux sondages nationaux d'opinion, est l'un des éléments marquants de la fierté et de l'identité canadiennes, est enraciné dans le respect de chacun, quels que soient ses antécédents. C'est précisément ce qui fait défaut à ceux qui violent les droits de la personne : le respect ou même un début de tolérance pour ceux qui sont différents d'eux. Ahmed Shaheed, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en Iran, recommande à chaque État de continuer à pousser ce pays à prendre des mesures pour renforcer la promotion et la protection des droits de la personne.

En même temps, nous devons être conscients des dangers d'un discours sur les droits de la personne à des États étrangers. Les gouvernements autoritaires n'aiment rien de plus que d'accuser les démocraties libérales de bafouer elles- mêmes les droits de la personne et de les menacer de représailles.

Je récuse énergiquement l'affirmation selon laquelle les violations des droits de la personne des femmes, des enfants et des non-sunnites en Arabie saoudite, par exemple, équivalent au traitement actuel des peuples autochtones par les Canadiens, alors que les gouvernements récents ont déployé des efforts sincères pour corriger les torts du passé. Nous devrions néanmoins aborder la discussion des droits de la personne avec prudence.

L'une des motivations de votre étude peut avoir été la vente, à l'Arabie saoudite, pour 15 milliards de dollars, de véhicules blindés légers. L'exportation d'engins militaires à l'un des pires violateurs des droits de la personne me met mal à l'aise, comme beaucoup de Canadiens, mais je me sens obligée de souligner la complexité de la politique internationale et ses grandes zones grises. Autant l'Arabie saoudite est répréhensible, autant nous ne pouvons pas ignorer son rôle de contrepoids régional d'un État aussi atrocement et même plus violateur, la République islamique d'Iran.

Soyons clairs : je ne prends pas la défense de l'Arabie saoudite. Mais comme l'Iran se renforce économiquement en raison de l'assouplissement des sanctions contre son programme nucléaire, qu'il jette des Canadiens en prison sous de faux prétextes, qu'il teste illégalement des missiles balistiques portant l'inscription « Mort à Israël », qu'il soutient financièrement et militairement le régime Assad de Syrie et qu'il abuse brutalement des droits de diverses minorités, l'Occident ne peut simplement pas abandonner l'Arabie saoudite dans cette région dangereuse.

Si j'ai bien compris, la Loi sur les licences d'exportation et d'importation vous intéresse particulièrement. Même si elle ne dit rien expressément des droits de la personne, il faut les prendre en considération. L'article 7 autorise le ministre, pour décider s'il délivre la licence, à tenir compte, notamment, de la possibilité, pour les marchandises ou les technologies d'être utilisées dans le dessein de nuire à la paix, à la sécurité ou à la stabilité d'une région du monde ou d'un pays.

Il est sûr que les violations graves des droits de la personne pourraient répondre à ce critère. Et le Manuel des contrôles à l'exportation déclare que les exportations canadiennes ne doivent pas servir à violer les droits de la personne. Si le Parlement décidait de mentionner explicitement les droits de la personne dans la loi, j'ai d'avance trouvé quelques endroits où il pourrait le faire.

Un nouvel alinéa dans l'article 3(1), l'alinéa 7(1.01)b), les règlements sous le régime de la loi et un cas très évident, l'article 4, qui porte sur la liste des pays visés. Tous ces passages pourraient être invoqués par suite d'une évaluation des droits de la personne.

Outre la modification de la loi, nous devons aussi nous demander si l'application des restrictions en vigueur des exportations et d'autres sanctions est suffisante. En 2014, j'ai rédigé un article dans lequel je signalais un rapport du physicien David Albright, le fondateur de l'Institute for Science and International Security, l'ISIS, à Washington. Ce rapport, rédigé alors que les sanctions canadiennes et internationales contre l'Iran étaient les plus rigoureuses, notait qu'on soupçonnait généralement que l'Iran exploitait le Canada comme source de marchandises sanctionnées. Albright affirmait de plus que les efforts du Canada pour contrôler ses exportations et que ses lois contre les pays sanctionnés tels que l'Iran n'étaient appliquées, au mieux, que de façon rudimentaire. Le Canada est une belle poire bien mûre pour les réseaux et les agents d'acquisitions illicites qui cherchent à profiter de la désinvolture de l'industrie et de son ignorance de ces règlements.

En avril 2014, Lee Specialties Ltd., en Alberta, s'est reconnu coupable des accusations portées contre lui et a été condamné à 90 000 $ d'amende pour exportation illégale de marchandises à double usage vers l'Iran. Cette poursuite a été l'une des rares qu'a intentées le Canada pour faire respecter les lois en matière d'exportation.

Albright a recommandé que les autorités fassent des exemples de ces entreprises en les condamnant à des amendes supérieures à 90 000 $ et qu'elles prévoient de longues peines d'incarcération dans les lois pertinentes pour sanctionner ces types de crimes. On estime que, en 2014, le revenu annuel de Lee Specialties a été de près de 29 millions de dollars. L'amende relativement légère n'était pas susceptible de dissuader d'autres entreprises de commettre des actes répréhensibles semblables.

D'après l'article 19 de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, quiconque contrevient à la loi encourt sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire une amende maximale de 25 000 $ et un emprisonnement maximal de 12 mois ou l'une de ces peines. La déclaration de culpabilité par mise en accusation encourt une amende dont le montant est fixé par le tribunal et un emprisonnement maximum de 10 ans ou l'une de ces peines.

Il serait utile d'examiner le nombre de poursuites intentées sous le régime de la loi et le montant des amendes prélevées, pour déterminer si l'application de la loi est efficace.

Pour revenir à la loi elle-même, en faisant abstraction des mesures pour la faire respecter, je voudrais attirer votre attention sur la politique américaine relative aux exportations et aux droits de la personne. Dans le contexte des règlements sur l'administration des exportations, promulgués sous le régime de la loi américaine Export Administration Act, une partie porte sur les articles servant à déceler et à combattre la criminalité. Elle commence ainsi :

Conformément à la politique étrangère des États-Unis visant à promouvoir le respect des droits de la personne dans le monde, un permis est exigé pour l'exportation et la réexportation de l'équipement servant à détecter et à combattre la criminalité, des technologies et des logiciels connexes...

Les règlements précisent que l'utilisation judicieuse de mesures de contrôle des exportations vise à décourager les violations constantes des droits de la personne, à distancer les États-Unis de ces violations et à éviter de contribuer aux troubles civils dans un pays ou une région.

Une autre facette du système américain, que le comité voudra bien noter, puisqu'une plus grande transparence et des normes plus claires peuvent être souhaitables dans le processus canadien de prises de décisions, est que le département d'État rédige des rapports annuels sur les pratiques des pays en matière des droits de la personne pour les soumettre à l'examen du Congrès. Les faits exposés dans ces rapports influent notablement sur les recommandations que formule le département d'État sur l'attribution des licences d'exportation.

Je ferai aussi remarquer que l'International Religious Freedom Act de 1998 enjoint au Président de prendre des mesures diplomatiques ou toute autre mesure appropriée contre tout pays qui viole de manière systématique et flagrante la liberté religieuse tout en niant de manière flagrante le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité. Cette loi prévoit que le ministère américain du Commerce doit limiter les exportations, vers ces pays, d'articles servant à détecter et à combattre la criminalité et figurant sur la Commerce Control List et elle exige des permis d'exportation pour les articles utilisés ou destinés à être utilisés pour commettre des violations particulièrement graves de la liberté religieuse.

Outre la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, le Canada dispose et pourrait disposer d'autres mesures pour renforcer le respect des droits de la personne à l'étranger.

Actuellement, il peut imposer des sanctions sous le régime de la Loi sur les mesures économiques spéciales pour deux motifs : mettre en œuvre une résolution internationale de prise de mesures économiques contre un État étranger; réagir à une atteinte grave contre la paix et la sécurité internationales ayant entraîné ou susceptible d'entraîner une grave crise internationale. Le Canada s'est déjà servi de cette loi pour pénaliser les gouvernements de la Syrie, du Zimbabwe et de la Birmanie pour leurs violations des droits de la personne. Il peut néanmoins valoir la peine de modifier la loi pour y inclure les infractions graves contre les droits de la personne comme motifs supplémentaires explicites des sanctions. Je sais que le projet de loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, la loi de Sergueï Magnitski, propose une telle modification de la Loi sur les mesures économiques spéciales.

Comme mon collègue Mark Dubowitz vous l'a proposé, récemment, Ottawa pourrait, sous le régime de cette loi, imposer des sanctions aux organes étatiques responsables d'infractions systématiques aux droits de la personne dans un pays particulier, ainsi qu'à leurs employés. En Iran, il pourrait, par exemple, choisir des établissements comme des prisons ou des bases militaires, où se pratiquent la torture et la détention arbitraire, notamment la prison d'Evin où la Canadienne Zahra Kazemi a été détenue, torturée et finalement assassinée et où la professeure de Concordia Homa Hoodfar est actuellement détenue sans pourvoir consulter un avocat ou les services consulaires.

Le Canada et les États-Unis devraient envisager de promulguer des lois visant la corruption dans tous les États qui commanditent le terrorisme. Le lien entre les fonds produits par la corruption et la commandite du terrorisme par ces régimes est bien établi. La loi Magnitski pourrait servir à cibler la corruption. Ce projet de loi autorise la prise de sanctions non seulement contre les violateurs des droits de la personne, mais aussi contre les fonctionnaires et leurs associés qui sont des agents ou des complices d'actes importants de corruption.

Il est important de se concentrer sur la corruption, parce que les chefs autoritaires font passer les groupes de la société civile pour des agents de l'étranger, ils les visent par des lois tout en se présentant comme les défenseurs des valeurs traditionnelles contre un Occident déviant et décadent. Il leur est cependant plus difficile de justifier leurs déprédations par des arguments idéologiques, culturels ou nationalistes.

Enfin, dans la mesure où la sécurité et la sûreté de la personne sont un droit humain fondamental, menacé par la violence terroriste, il est également utile, pour le gouvernement, de pouvoir désigner des États comme commanditaires de la terreur ou des groupes ou des individus comme entités inscrites. L'État ainsi désigné perd son immunité judiciaire au Canada, et un citoyen peut le faire changer de comportement en intentant contre lui une poursuite civile agissant comme levier économique. Toute opération financière entre l'entité inscrite conformément au Code criminel et un Canadien est interdite.

Merci encore une fois de votre invitation. J'ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie de ce témoignage instructif.

Passons aux questions. D'abord celles de la sénatrice Ataullahjan, vice-présidente du comité.

La sénatrice Ataullahjan : Le 8 juin, un témoin nous a dit que même si les droits de la personne étaient un élément important à prendre en considération dans la mise en œuvre de sanctions, il en est souvent de même pour d'autres facteurs ou intérêts, contraires ou divergents, difficiles à concilier dans le processus de décision. Il est allé jusqu'à dire que les circonstances peuvent parfois nous obliger à faire cause commune avec des États avec lesquels nous pourrions être en froid, particulièrement en raison de leur position sur les droits de la personne.

Dans quelle mesure les droits de la personne devraient-ils être déterminants pour les sanctions canadiennes et où ces droits devraient-ils se situer dans l'échelle des intérêts divergents?

Mme Saperia : C'est une excellente question, mais il est difficile d'y répondre. Ça dépend de la loi qu'on invoque pour une situation donnée. J'ai montré la difficulté et la divergence des intérêts, par exemple, dans le cas de l'Arabie saoudite. Il ne s'agit aucunement, ne serait-ce qu'un instant, de pardonner à ce pays ses violations absolument terribles des droits de la personne, mais de reconnaître qu'il pourrait avoir besoin que nous l'aidions à continuer à jouer son rôle de contrepoids régional d'un violateur aussi coupable que lui, l'Iran.

Encore une fois, différentes lois se prêteront mieux à la situation selon le moment. Les violations flagrantes et systématiques des droits de la personne devraient jouer un rôle plus important dans l'application de sanctions sous le régime de la Loi sur les mesures économiques spéciales à divers pays. Pour l'application de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, le gouvernement, notre gouvernement, devrait avoir une bonne marge de manœuvre, même dans le cas d'un pays qui violerait les droits de la personne, pour déterminer les marchandises qu'il reste convenable d'y exporter et celles pour lesquelles ce ne l'est plus. C'est un peu plus délicat. Mais la Loi sur les mesures économiques spéciales est vraiment utile pour s'attaquer aux violations des droits de la personne.

La Loi de Magnitski a vraiment piqué mon intérêt, et j'ai bien hâte qu'on en étudie le projet à la Chambre et au Sénat. Récemment, je pense que c'est aujourd'hui, j'ai lu que le comité des affaires étrangères est de plus en plus disposé à examiner ce projet de loi. Je suis heureuse de cette nouvelle.

La sénatrice Attaullahjan : Ce que j'ai cru comprendre, relativement au contrat de 15 milliards avec l'Arabie saoudite, qu'après la livraison des armes ou des véhicules, nous n'avons plus rien à dire sur la façon dont ils sont utilisés. Ils peuvent servir contre les habitants du pays ou être employés au Yémen.

Si le contrat est rempli, nous n'avons rien à dire ni contrôle à exercer.

Mme Saperia : On a un certain mot à dire. En fait, des témoignages de fonctionnaires dans l'une de vos séances antérieures m'ont semblé tout à fait instructifs à cet égard, parce que l'utilisation finale et l'utilisateur final sont déterminants dans la prise de décisions. Je pense qu'ils ont montré qu'on pouvait résilier un contrat ou le suspendre en cas de manquement à la parole donnée et qu'il fallait aussi signer certains certificats.

Je ne suis pas en faveur de ce contrat en soi. D'une part, j'estime que je dois me montrer très prudente, en raison de l'inconfort viscéral qu'il me fait ressentir. Mais, encore une fois, qui l'Arabie saoudite combat-elle au Yémen? L'Iran, en grande partie. Tous ces exemples sont différentes manifestations d'un conflit plus général engagé là-bas.

Non, je ne veux pas envoyer d'exportations vers l'Arabie saoudite. Mais, en même temps, l'un de mes collègues vient de découvrir que les contribuables américains, par inadvertance, avaient récemment versé 1,7 milliard de dollars aux militaires de l'Iran. Dans ce cas, comment, alors, l'Occident peut-il laisser l'Arabie saoudite seule dans cette situation, elle qui est plus qu'une alliée?

C'est laid, c'est dangereux. Je ne prends pas parti. Je mets seulement en relief la realpolitik qu'impose l'ensemble des circonstances.

Le sénateur Ngo : Je tiens à suivre le même filon avant de poser mes questions.

Si vous dites vrai, pensez-vous que le processus d'autorisation est suffisamment limité ou transparent pour empêcher une entreprise canadienne de collaborer avec un gouvernement répressif, réputé pour ses violations des droits de la personne?

Mme Saperia : Faites-vous précisément allusion à la Loi sur les licences d'exportation et d'importation?

Le sénateur Ngo : C'est exact.

Mme Saperia : Nous savons vous et moi que la LLEI ne fait pas référence aux violations des droits de la personne. La question qui se pose est donc la suivante : l'encadrement du système est-il suffisant en matière de violations des droits de la personne? Je pense que certains diront que le seul fait que cette transaction ait été conclue avec l'Arabie saoudite prouve qu'il n'y a pas assez de restrictions relativement aux droits de la personne.

J'ai repéré pour vous un certain nombre de dispositions de la loi qui pourraient être modifiées si le Parlement estime qu'il faut y mentionner explicitement les droits de la personne. J'en ai parlé au cours de ma présentation. Je peux les passer en revue avec vous, ou vous pouvez communiquer avec nous n'importe quand pour faire un suivi.

Comme je l'ai déjà dit, je n'ai aucune objection à ce qu'on fasse davantage allusion aux droits de la personne dans la loi, mais je tiens aussi à ce que le processus décisionnel conserve une certaine souplesse. Il faut continuer de prendre les décisions au cas par cas, mais il serait peut-être souhaitable que le respect des droits de la personne soit inscrit plus clairement dans la loi.

J'aime bien les rapports annuels qui sont produits aux États-Unis sur les droits de la personne dans des pays donnés, parce que, selon moi, une partie du problème repose sur le fait que nous ignorons quels renseignements sont transmis au ministre des Affaires étrangères lorsque des décisions sont prises. Quand des rapports auxquels des ONG et des missions diplomatiques contribuent sont rendus publics, tout le monde travaille au moins à partir des mêmes renseignements. Je me demande si des rapports annuels semblables seraient utiles au Canada.

Le sénateur Ngo : Dans ce cas, comment peut-on modifier les lignes directrices établies en 1986 pour surveiller les exportations de façon à mieux évaluer la possibilité que les biens exportés acquis par des régimes autoritaires soient utilisés à mauvais escient? Quelles modifications doit-on apporter aux lignes directrices? Elles ont déjà 30 ans et elles sont désuètes.

Mme Saperia : Exactement. Vous parlez de la politique du Cabinet, n'est-ce pas?

Le sénateur Ngo : Oui.

Mme Saperia : Comme je le disais, je pense qu'au lieu d'intervenir au moyen d'une politique, cela pourrait être prescrit explicitement dans les règlements découlant de la loi, puisque cette dernière prévoit la possibilité de créer des règlements. Je pense que ce serait un moyen plus utile pour moderniser le système de façon publique. Il y a aussi certaines dispositions de la loi qui pourraient être modifiées pour y mentionner explicitement les droits de la personne.

J'aurais tendance à agir davantage dans le domaine public qu'au moyen d'une politique du Cabinet afin que tout le monde soit sur la même longueur d'onde.

La sénatrice Omidvar : Je trouve votre rapport fascinant. J'aimerais attirer votre attention sur la section portant sur les règlements et les processus en vigueur aux États-Unis. Comme vous vous en doutez, au Canada, nous avons de nous-mêmes l'image — qui est peut-être désuète — de joueurs de premier plan en matière de protection. Nous sommes un peu prétentieux quand on nous compare à d'autres pays, surtout aux États-Unis.

Je sais que vous suggérez que nous reprenions certains éléments rigoureux qui font partie intégrante des règlements américains. Je veux vous demander si, compte tenu de ces règlements, la vente de VBL que nous avons conclue avec l'Arabie saoudite aurait été autorisée aux États-Unis.

Mme Saperia : C'est une question très intéressante, mais à laquelle je ne peux pas répondre. Le fait que l'Arabie saoudite ait figuré dans la liste des principaux pays qui ne respectent pas les droits de la personne aurait certainement influencé la prise de décisions, mais je suis certaine que cela a aussi exercé une influence au Canada.

Le gouvernement n'a jamais nié le fait que le respect des droits de la personne est problématique en Arabie saoudite. Il a toutefois décidé de poursuivre la transaction malgré tout. La question qui se pose est donc la suivante : quels facteurs ont été pris en considération dans cette décision?

Je suis Canadienne et mon travail porte sur la politique publique canadienne. Je ne sais pas ce que les États-Unis auraient décidé. Là encore, compte tenu des considérations politiques, dans ce qu'elles ont d'odieux, je me demande si la décision n'aurait pas été la même.

La sénatrice Omidvar : Il est vrai que les États-Unis exportent des armes vers l'Arabie saoudite, malgré le...

Mme Saperia : Exactement. En outre, ils sont des alliés plus officiels que nous. À la suite de l'accord sur le programme nucléaire en Iran, les États-Unis ont maintes fois assuré à l'Arabie saoudite qu'ils n'allaient pas l'abandonner. Il est probable que cette transaction aurait eu lieu, mais je ne peux évidemment pas parler au nom du gouvernement américain. Je pense que ce cas met en lumière les difficultés bien réelles que comportent ces décisions.

La sénatrice Omidvar : Il y a donc des limites à ce que peuvent faire des règles et des règlements.

Mme Saperia : Ils comportent effectivement des limites, mais ils compteraient pour beaucoup dans le processus décisionnel. Il faut aussi tenir compte de certains éléments, notamment en ce qui concerne la détection des crimes et la lutte contre ceux-ci, comme je l'ai spécialement souligné. Il s'agit en fait d'établir les mesures qu'un gouvernement emploie contre sa propre population, la façon dont ce gouvernement traite ses criminels, et si ces derniers sont de véritables criminels ou s'ils le sont en fonction d'une norme très différente de la nôtre.

Je pense donc que l'exportation par les États-Unis de biens qui ne servent à rien d'autre qu'à réprimer la population ferait certainement l'objet de restrictions beaucoup plus sévères pour ce qui est des produits envoyés, mais quand on parle de conflits régionaux, les choses sont peut-être un peu plus compliquées.

La sénatrice Martin : Je vous remercie pour votre exposé.

Au cours de votre présentation, vous avez dit que la valeur de l'accord commercial avec l'Arabie saoudite était de 15 milliards de dollars. Vous avez aussi indiqué que l'amende imposée en avril 2014 à Lee Specialties Ltd s'élevait à 90 000 $, alors que le revenu annuel de l'entreprise était de 29 millions de dollars. C'est toute une différence.

Mme Saperia : C'est exact.

La sénatrice Martin : Vous abordez le sujet des amendes, mais quand on parle d'un accord de l'ordre de 15 milliards de dollars, peu importe le montant des amendes, à moins qu'elles ne soient vraiment imposantes, auquel cas elles risquent de ratisser trop large, il est très difficile de trouver un juste équilibre entre les sanctions et la souplesse. Pourriez-vous fournir un peu plus de détails à ce sujet?

Mme Saperia : Certainement, avec plaisir.

Je tiens à préciser que la société Lee Specialties a été poursuivie en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, et non en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. L'affaire portait néanmoins sur la conformité en matière d'exportation, raison pour laquelle j'ai estimé qu'elle était tout à fait pertinente dans le présent contexte. Surtout parce qu'il y a encore bien peu de causes de ce genre relatives à la conformité en matière d'exportation.

En effet, la sanction était minime par rapport au revenu de l'entreprise. Dans un cas pareil, l'amende n'est rien de plus qu'un coût d'exploitation et il est plus rentable d'enfreindre la loi canadienne que d'annuler une transaction commerciale.

Quand le coût des sanctions est calculé de cette façon, il faut veiller à ce que les entreprises et les citoyens canadiens adhèrent au système.

J'ignore quelles sont les statistiques pour ce qui est de la LLEI, mais c'est peut-être une question sur laquelle la Bibliothèque du Parlement pourrait se pencher. À mon avis, cet exercice serait très utile, car s'il n'y a qu'une minorité de causes, cela signifie que ce n'est pas la loi qui pose problème, mais bien la façon dont elle est appliquée.

Je pense que le gouvernement a réservé plus d'argent au contrôle des importations et des exportations dans le dernier budget. Selon moi, c'est très important. Reste à voir si cela sera suffisant pour accomplir le travail nécessaire, mais j'estime que c'est enjeu crucial.

Pour ce qui est des 15 milliards de dollars, encore là, l'argent est roi. Je suis inquiète, parce que j'ai l'impression de défendre cet accord et je ne veux pas du tout être dans cette position. Cependant, l'économie demeure la priorité absolue pour de nombreux Canadiens. C'est peut-être l'un des facteurs qui ont été pris en considération par le gouvernement, à tort ou à raison, lorsqu'il a pris sa décision.

La sénatrice Martin : Servir au mieux les intérêts du Canada tout en maintenant nos principes et en tenant aux droits de la personne est un grand défi, mais j'ai remarqué la même chose, car la Liste des pays visés ne compte plus qu'un seul pays.

Mme Saperia : Exactement, et ce, depuis que le gouvernement a retiré le Bélarus de la liste.

La sénatrice Martin : C'est intéressant parce que nous allons examiner un rapport que nous avons produit récemment sur la situation des droits de la personne et des transfuges en Corée du Nord, mais je me posais simplement la question. Je connais plusieurs régions et pays où sont portées des atteintes très claires aux droits de la personne et je sais qu'une fois qu'un pays figure sur la Liste des pays visés, on ne peut rien faire.

Mme Saperia : C'est exact.

La sénatrice Martin : Cependant, comme la barre semble placée très haut pour qu'un pays soit placé sur la liste, je me questionne sur la tolérance du monde et du Canada envers les violations des droits de la personne qui se produisent dans le monde.

Il y a certaines mesures qui peuvent être prises, mais les infractions se poursuivent. Je me demande donc ce que doit faire le Canada et ce que doit faire le reste du monde. Le Canada ne peut pas être marginal et être le seul pays à imposer des sanctions plus sévères.

Selon moi, c'est un très gros problème qui prend de l'ampleur. Ce n'est pas vraiment une question, mais vous pourriez peut-être dire ce que vous en pensez.

Mme Saperia : Vous avez raison. C'est une situation très délicate parce que, d'une part, nous voulons être fidèles à nos valeurs, mais, d'autre part, nous voulons avoir notre place dans le monde. Nous ne pouvons pas nous retrouver complètement isolés.

La Liste des pays visés est un outil très intéressant, qui doit être réservé aux cas les plus flagrants, car, dans une certaine mesure, nous en subissons les contrecoups nous aussi. L'économie canadienne dépend tellement de l'exportation que le fait de ne rien pouvoir exporter dans un certain pays a aussi des conséquences sur le Canada. Nous devons donc veiller à ce que cette liste soit réservée aux pires pays. Je crois d'ailleurs que la Corée du Nord y mérite sa place.

La Liste des pays visés est un instrument très radical. Elle ne nous permet de prendre aucune décision ni de faire des choix stratégiques. On ne peut pas choisir d'exporter certains articles qui pourraient contribuer à servir nos intérêts, ni de ne pas en exporter d'autres qui seraient utilisés à des fins abusives. La Liste des pays visés pourrait servir de mécanisme robuste.

Je reviens encore à la LMES parce qu'elle prévoit les sanctions les plus précises. Les sanctions seront différentes dans chaque cas parce que le gouverneur en conseil peut choisir quelle sera leur nature, et la liste des particuliers ou des entités qui seront visés est adaptée au cas par cas. Cette loi est probablement la plus utile que nous ayons actuellement pour lutter contre les violations des droits de la personne dans un pays donné.

De façon générale, je suis d'accord pour que la LMES établisse plus clairement que les violations flagrantes et systématiques des droits de la personne pourraient constituer des motifs valables. Pour le moment, la loi parle en termes très forts de la rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationale, ce qui peut inclure les droits de la personne, mais cela n'est qu'une interprétation du texte. La LMES est probablement le meilleur outil dont nous disposons, et je pense qu'il pourrait être intéressant d'y ajouter la loi de Magnitski.

La sénatrice Ataullahjan : Savez-vous si le fait que le Bélarus ait figuré sur la Liste des pays visés a eu un rôle quelconque à jouer sur les progrès de ce pays en matière de droits de la personne et croyez-vous qu'il faudrait ajouter des pays à cette liste? Quelles répercussions négatives pour le Canada risquent de découler de l'ajout d'un pays à la liste?

Mme Saperia : J'ignore si le fait que le Bélarus ait figuré sur cette liste a eu une incidence. Je pense que plusieurs autres pays lui ont imposé des sanctions simultanément en raison des irrégularités qui ont entouré les élections. Je suppose que la pression internationale a contribué à cette amélioration, mais je ne peux pas dire si le Canada à lui seul a eu une influence.

Ce qui me plaît de la LMES, c'est que le Canada peut imposer des sanctions de manière autonome. Il n'est pas nécessaire de s'en remettre à qui que ce soit d'autre, mais le Canada aime collaborer avec ses alliés dans la mesure du possible. Par ailleurs, la Loi sur les Nations Unies permet au Canada d'imposer des sanctions en fonction de recommandations ou d'instructions provenant de l'ONU. Je pense que le Bélarus a été pénalisé par plusieurs pays.

Il y a le cas de la Libye, que je trouve particulièrement fascinant. Il y a de nombreuses années, la Libye a été reconnue responsable d'un grave attentat terroriste et tout le monde l'a sanctionnée, surtout les États-Unis et l'ONU. Les sanctions imposées ont été particulièrement sévères et douloureuses.

Sa survie économique étant en jeu, la Libye a éventuellement demandé la levée des sanctions moyennant le versement des dommages-intérêts découlant de l'action civile entreprise par les victimes de l'attentat. Les sommes ont été versées et les sanctions ont été levées. Je pense que la Libye a dû débourser des milliards de dollars.

C'est un exemple intéressant, qui prouve que les actions civiles sont un autre genre de sanction, et qu'elles sont aussi un levier économique. La Libye a payé les sommes demandées par la poursuite pour se débarrasser des sanctions. Là aussi, les pressions internationales ont une influence.

Pour ce qui est de déterminer quels autres pays devraient figurer sur la Liste des pays visés, il faudrait étudier la question très attentivement, parce qu'il s'agit d'un mécanisme radical. Je ne veux pas me répéter, mais j'imposerais des sanctions personnalisées aux termes de la LMES pour lutter contre les violations des droits de la personne dans un pays donné plutôt que de placer ce pays sur la Liste des pays visés, ce qui interdirait toute exportation vers ce pays, mais n'enverrait peut-être pas un message aussi clair. Je ne suis pas certaine.

Il pourrait être plus utile d'avoir recours à la LMES pour cibler le gouvernement X ou les organisations gouvernementales X, Y et Z parce que leurs activités ont vraiment heurté la sensibilité des Canadiens.

La sénatrice Hubley : Je vous remercie de l'excellent exposé que vous avez présenté ce matin.

J'ai remarqué que la LMES a déjà servi à pénaliser les gouvernements de la Syrie, du Zimbabwe et de la Birmanie en raison de leurs atteintes aux droits de la personne, mais vous estimez qu'il serait utile d'envisager de modifier la loi pour y inclure les violations flagrantes des droits de la personne.

J'ai déjà posé les questions qui suivent. À votre avis, les sanctions sont-elles un moyen efficace de favoriser des changements de comportement ou de politiques dans le but de lutter contre les violations des droits de la personne? Existe-t-il des systèmes permettant de vérifier et d'évaluer l'efficacité des sanctions canadiennes sur les importations et les exportations? Connaissez-vous des pays auxquels des sanctions ont été imposées, puis levées par la suite?

Mme Saperia : Tout d'abord, le Canada et d'autres pays ont effectivement déjà imposé, puis levé, des sanctions à certains pays. Par exemple, bon nombre des sanctions que nous avions imposées à l'Iran ont été levées à la suite de l'accord nucléaire qui a été conclu. L'Europe et les États-Unis sont en train d'alléger considérablement les sanctions appliquées à l'Iran dans la foulée de cette entente sur les droits nucléaires.

En ce qui a trait à l'efficacité des sanctions, je pense que celles-ci peuvent être extrêmement efficaces. Cependant, je ne pense pas qu'elles soient une solution miracle ni qu'elles règlent tous les problèmes. Malheureusement, la plupart des problèmes contemporains ne peuvent pas être réglés par une seule loi ou un seul règlement.

Dans le cadre de mon travail, j'essaie de mettre en place différentes réponses législatives qui rendent les choses plus difficiles pour les acteurs mal intentionnés, mais aucune mesure ne sera jamais suffisante à elle seule.

Il faut aussi déterminer si les sanctions nuiront aux gens vulnérables plutôt qu'au gouvernement visé. Il est utile de se poser la question. Tout d'abord, je pense que l'Occident impose désormais des sanctions plus intelligentes. Nous avons appris appliquer des sanctions plus spécifiques et plus ciblées qui nuisent davantage aux gens visés. Malgré tout, il est relativement inévitable que les gens les plus vulnérables en souffrent.

Je signale que la plupart des activistes antiapartheid en Afrique du Sud admettaient que même si l'Afrique du Sud noire a été la plus durement touchée par les sanctions, ils étaient pour ces sanctions, car elles devaient précipiter la chute de l'apartheid et encourager un changement pacifique au pays. Encore une fois, les sanctions sont-elles un instrument parfait? Non, mais elles sont néanmoins extrêmement utiles et importantes.

Le président : Merci beaucoup.

Avant que nous passions à la deuxième ronde, j'ai deux questions. D'abord, pour clarifier, lorsqu'un pays est ajouté à la Liste des pays visés, est-ce que toutes les exportations sont interdites, ou est-ce seulement qu'elles requièrent une licence?

Mme Saperia : Je crois que toutes les exportations sont automatiquement interdites.

Le président : Ma prochaine question se rapporte à notre étude, mais également à ce que vous avez déclaré. Je regardais votre impressionnante biographie ici, et vos travaux sur les victimes du terrorisme, qui, je pense, ont mené à la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme en 2012. Vous avez accompli un travail considérable et avez écrit The real roadblock to better relations is Tehran et Canada must not cave to Iranian demands.

Tandis que nous étudions la question des leviers économiques possibles pour mieux faire respecter les droits de la personne, nous venons d'être rappelés à la réalité. Ce rappel à la réalité, c'est ce que vous avez dit plus tôt au sujet de la professeure de Concordia. Aujourd'hui, elle est dans la prison d'Evin. Je suis allé à la prison d'Evin. Je n'y suis pas resté longtemps.

Mme Saperia : Vous avez bien de la chance.

Le président : Je n'y suis pas vraiment entré. C'était l'horreur, mais rien n'a changé. Bien sûr, Zahra Kazemi y a elle aussi été détenue et torturée.

Vous dites que Homa Hoodfar est actuellement détenue dans cette prison sans accès à son avocat ou aux affaires consulaires. Le gouvernement actuel envoie le message qu'il souhaite renouer avec l'Iran. Son prédécesseur refusait toute relation avec ce pays. Comment faire respecter ses droits et la faire relâcher? Les leviers économiques pourraient- ils être utiles dans ce cas? L'Iran recommence à jouer dur et prétend que quelqu'un à Toronto a quitté le pays avec une énorme somme d'argent, et d'autres choses de ce genre. Les mêmes questions resurgissent. Comment régler cette situation de manière responsable? La vie d'une femme est en jeu.

Mme Saperia : Quand j'ai appris qu'elle était incarcérée à la prison d'Evin, mon cœur s'est serré, car nous savons ce qui l'attend. Espérons qu'elle connaisse un sort différent de celui de Zahra Kazemi.

C'est seulement mon opinion, mais je ne comprends pas la psychologie de l'Iran; on lui tend la main et elle répond en brandissant le poing. Nous pensions qu'après l'accord sur le nucléaire, le climat serait plus détendu, mais l'Iran continue d'être délibérément provocateur. Le test de tir de missile balistique devrait inquiéter grandement le Canada et le reste du monde.

J'ai aussi remarqué — et plusieurs articles ont été publiés à ce sujet au cours des derniers jours — que l'Iran évoque son inscription dans la liste canadienne des États qui soutiennent le terrorisme comme obstacle au renouvellement des liens diplomatiques. Je pense qu'il est absolument essentiel que le Canada ne retire pas l'Iran de la liste. Nous devons rester forts et fidèles à nos principes. L'Iran pourra être retiré de la liste des États qui soutiennent le terrorisme dès qu'il cessera de soutenir le terrorisme.

Je constate avec intérêt que le projet de loi du sénateur Tkachuk, le S-219, déposé au Sénat, empêcherait la levée des sanctions nucléaires actuellement imposées à l'Iran. Ces sanctions demeureraient en place tant que l'Iran n'aurait pas démontré d'amélioration en ce qui concerne les violations des droits de la personne, l'incitation à la haine et le soutien au terrorisme.

Vous me demandiez aussi comment faire libérer Mme Hoodfar. Malheureusement, je ne connais pas la réponse. Cette situation m'inquiète beaucoup. Peut-être qu'en accédant à toutes les demandes de l'Iran, nous obtiendrions sa libération, mais à quel prix? Je crois que le Canada ne doit pas déroger à ses principes.

Pour pouvoir vous donner une réponse, il faudrait que j'y réfléchisse davantage.

Le président : Merci. J'ai pensé que puisque vous êtes ici, nous pourrions aborder un peu le sujet.

Mme Saperia : Si vous lisez ma biographie, vous verrez que beaucoup de mes travaux de recherche ont été consacrés à l'Iran.

La sénatrice Martin : Je m'en voudrais de ne pas parler du révérend Lim, un Canadien en Corée du Nord. L'Iran et l'Arabie saoudite sont tous deux coupables de violations flagrantes des droits de la personne. Elles tirent des avantages de leur relation avec le Canada, mais dans le cas de la Corée du Nord, il n'existe aucun levier économique.

Ce sont de très sérieuses questions. Nous ne nous attendons pas à ce que vous puissiez nous dire comment faire sortir et rapatrier ces Canadiens de manière sûre, ce sont de graves inquiétudes, monsieur le président. Sans levier économique, que nous reste-t-il? C'est un instrument un peu grossier. En même temps, il faudrait ajouter d'autres pays à cette liste. Or dès qu'ils y figurent, il n'y a plus de levier possible.

Je ne fais qu'exprimer la frustration que je ressens à écouter mes collègues et votre réponse, car des vies humaines sont en grave danger.

Mme Saperia : Vous avez tout à fait raison, et je pense que la Corée du Nord présente un unique problème à cause de son isolation du reste du monde — elle est beaucoup plus isolée que l'Iran ou l'Arabie saoudite. La Corée du Nord a très peu d'interaction avec le reste du monde et c'est l'une des raisons pour lesquelles le Canada a pu l'inscrire sur la Liste des pays visés. Je ne veux pas paraître trop désinvolte, mais quelle différence cela fait-il? Elle n'a pratiquement aucun lien avec le Canada pour commencer, alors interdire les exportations vers ce pays n'est qu'une façon de le réprimander publiquement à peu de frais.

Comme la Corée du Nord n'attend rien du reste du monde, il est très difficile de faire pression sur elle. Cependant, lorsqu'il s'agit de négocier des accords nucléaires, je pense que l'Iran a beaucoup appris de l'interaction entre les États- Unis et la Corée du Nord dans le dossier des armes nucléaires. Je pense qu'on a commis des erreurs et que d'autres joueurs malveillants observent attentivement.

Le sénateur Ngo : J'aimerais revenir sur les VBL. Le Canada devrait-il assortir les licences d'exportation de conditions prévoyant que l'utilisation des marchandises doit être compatible avec le respect des droits de la personne? Une fois qu'elles ont quitté notre pays et nos frontières, nous n'avons plus aucun contrôle. Devrait-il y avoir un quelconque mécanisme pour y rattacher des conditions liées aux droits de la personne?

Mme Saperia : Pourriez-vous répéter votre question?

Le sénateur Ngo : Le Canada devrait-il songer à assortir les licences d'exportation de conditions prévoyant que l'utilisation des marchandises exportées doit être compatible avec le respect des droits de la personne? Dès que les marchandises sortent du pays, nous n'avons plus aucun contrôle. Nous avons entendu des témoignages de représentants de Human Rights Watch qui nous ont dit que les VBL sont utilisés au Yémen. Nous n'avons aucun contrôle sur leur utilisation. Que pouvons-nous y faire?

Mme Saperia : C'est un véritable problème, et je vois, monsieur le sénateur, qu'il vous préoccupe beaucoup dans ce dossier.

Comment intégrer des considérations relatives aux droits de la personne à la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, et comment empêcher l'accord avec l'Arabie saoudite? Si nous acceptons de lui vendre, nous mettons la barre très bas en ce qui concerne les droits de la personne. Je pense que c'est là où vous voulez en venir.

Quand j'ai lu le témoignage des représentants du ministère, j'ai cru comprendre que des facteurs liés aux droits de la personne avaient joué un rôle dans la décision et que des certificats d'utilisation finale devaient être signés à titre d'engagement à ne pas utiliser les VBL pour commettre des violations des droits de la personne. Il est difficile d'imaginer que ce n'est pas ce à quoi ils serviront quand on sait ce que l'Arabie saoudite est en train de faire au Yémen et ailleurs.

Nous savons que le gouvernement peut annuler ou suspendre des accords et des exportations. Il devrait peut-être y avoir un mécanisme plus puissant pour que le public puisse faire pression sur le gouvernement ou pour qu'il y ait une plus grande rétroaction sur la mauvaise utilisation possible des exportations canadiennes et l'opportunité d'annuler un contrat. Comme je l'ai déjà indiqué, la loi elle-même pourrait prévoir de manière beaucoup plus explicite que les facteurs liés aux droits de la personne doivent être pris en considération, et cela aurait suffi à empêcher l'accord avec l'Arabie saoudite.

J'ignore ce que je pourrais en dire de plus. Je crois que la loi pourrait être modifiée et que la réglementation pourrait être élargie pour traiter de cette question. J'ai attiré l'attention sur les mesures prises par les États-Unis, car j'estime que le problème est en partie attribuable au manque de transparence et d'objectivité quand on décide de conclure ou non un accord avec un pays qui porte atteinte aux droits de la personne.

Il devrait peut-être y avoir une règle plus claire prévoyant que si vous êtes désignés au Canada — une telle désignation n'existe pas à l'heure actuelle — comme un pays qui porte atteinte aux droits de la personne, cela entraîne automatiquement certaines conséquences, qu'il incomberait au Parlement de déterminer. Ce pourrait être toutes les exportations, ou comme c'est le cas aux États-Unis, ce pourrait être uniquement les articles désignés par une agence de contrôle de la criminalité comme pouvant être utilisés par un État pour commettre des crimes contre son propre peuple ou contre un autre pays.

Il y a plusieurs options. Sans apporter quelque changement que ce soit à la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, vous pourriez dès maintenant utiliser la Loi sur les mesures économiques spéciales pour imposer des sanctions à l'Arabie saoudite pour atteintes aux droits de la personne. Politiquement, est-ce que vous voulez le faire? Je ne sais pas, mais cet outil existe en ce moment.

Le président : Merci.

La sénatrice Omidvar : J'aimerais revenir un peu sur l'Iran. Je connais très bien Téhéran — j'y ai vécu pendant cinq ans — et je connais très bien la prison d'Evin, et je tiens à souligner que dans l'Iran impérial comme dans l'Iran fondamentaliste, cette prison a été un lieu d'oppression et de brutalité. Cela a toujours été. Je frémissais quand je passais devant.

Maintenant, malheureusement, Mme Homa Hoodfar y est enfermée. J'ai entendu notre ministre des Affaires mondiales dire, au sujet de notre relation avec l'Iran, que l'ouverture était préférable à l'isolement. Ensuite, vous nous dites que tant que l'Iran soutiendra le terrorisme, il devrait demeurer sur la liste.

Est-ce que cela n'est pas un obstacle? Je me demande s'il est préférable d'entretenir le dialogue ou de fermer la porte. Y a-t-il un compromis possible? Pourrions-nous faire un peu des deux en adoptant l'approche de la carotte et du bâton?

Mme Saperia : Je pense que les deux sont importants. Je ne crois pas que l'ancien gouvernement ait eu tort de couper les liens diplomatiques avec l'Iran. Il avait de bonnes raisons de le faire à l'époque. Le gouvernement actuel a indiqué clairement que renouer le contact de manière générale était une priorité, ce que je respecte également.

Que l'Iran demeure inscrit sur la liste des États qui soutiennent le terrorisme ne devrait pas empêcher le renouement des liens, sauf si l'Iran décide le contraire. Mais cela ne signifie pas en soi qu'aucune autre forme de rapport n'est possible, et c'est la même chose aux États-Unis. Le président Obama est incontestablement le chef d'État le plus déterminé pour avoir conclu un accord nucléaire avec l'Iran. L'allégement des sanctions permettra à l'Iran de récupérer des milliards de dollars, mais il demeure néanmoins en droit américain un État qui soutient le terrorisme.

Nous savons que les deux ne sont pas mutuellement exclusifs et le Canada a divers instruments à sa disposition. Rien n'empêche le Canada, s'il le juge sécuritaire, d'ouvrir une ambassade à Téhéran. Mais quel usage en ferait-il? Il ne faudrait pas qu'il consiste uniquement à favoriser la conclusion d'autres accords commerciaux avec l'Iran. L'ambassade devrait servir, en grande partie, à maintenir auprès de l'Iran que nous voulons qu'il change son comportement en ce qui concerne les droits de la personne. La position adoptée par le gouvernement consiste à dire que nous allons exprimer notre préoccupation au lieu de nous taire. Si c'est ce que nous voulons faire, je n'y vois aucun problème, mais c'est ce à quoi devrait servir l'ambassade.

Et lorsque des Canadiens sont emprisonnés en Iran, les représentants canadiens devraient pouvoir compter sur l'ambassade pour demander l'accès aux prisonniers.

Je crois fermement que les deux sont possibles. Si l'Iran tient parole dans le dossier du nucléaire, nous pouvons alléger certaines des sanctions dans ce domaine. Cela n'a rien à voir avec le soutien que voue l'Iran au terrorisme, ce qui n'a aucunement changé, et il ne faut absolument pas le retirer de la liste des États qui soutiennent le terrorisme jusqu'à ce qu'il cesse de le soutenir. Nous pouvons quand même entretenir une relation avec l'Iran, mais sans déroger à nos principes.

La sénatrice Ataullahjan : L'Iran ne fait pas que soutenir le terrorisme; depuis quelque temps, il s'ingère dans les affaires de ses voisins, le Pakistan — en particulier la province du Baloutchistan — et l'Afghanistan, où il a dressé les communautés de langue perse contre les Pachtounes. Et il ne faut pas oublier son histoire avec l'Irak. Quand cela va-t- il finir? L'Iran ne semble pas s'améliorer.

Mme Saperia : Oui, et comme je le disais, l'inquiétude soulevée par de nombreux opposants à l'accord sur le nucléaire conclu avec l'Iran est que l'allégement des sanctions relatives au nucléaire n'est pas conditionnel à l'amélioration d'autres éléments. Quand le monde négociait avec l'U.R.S.S., tous les facteurs dépendaient les uns des autres, y compris ceux liés aux droits de la personne et à l'économie. Cela aurait été une meilleure façon de négocier avec l'Iran au sujet de son programme nucléaire. Au lieu de négocier cette question en vase clos, il aurait fallu y rattacher un certain nombre d'autres éléments problématiques et dire : « Voici le minimum que nous attendons de vous, et voici le montant que nous allons vous donner au titre de l'allégement des sanctions. Si vous faites ceci ou cela de plus, vous obtiendrez tel montant additionnel. » Il aurait fallu prendre en compte son ingérence dans les affaires de ses voisins, son soutien au terrorisme, ses atteintes aux droits de la personne et son incitation à la haine et au génocide contre Israël.

Le sénateur Ngo : J'aimerais revenir sur les questions auxquelles vous avez répondu tout à l'heure. Comment pourrait-on, dans notre régime d'exportation, surveiller l'utilisation finale et l'utilisateur final des marchandises ou des technologies exportées? Le logiciel en fait-il partie?

Mme Saperia : Oui, je suis presque certaine que le logiciel figure sur la liste des produits à double usage établie sous le régime de la loi canadienne sur l'exportation.

J'ai aussi songé à la question de la surveillance. Dans quelle mesure surveillons-nous ce qui se passe après le fait? Une fois que la transaction est terminée, dans quelle mesure le gouvernement s'intéresse-t-il à l'utilisation qui est faite des marchandises? C'est véritablement une question très utile. Cela nous ramène en partie à ce que je disais plus tôt : l'application des règles existantes mérite qu'on s'y attarde longuement, car s'il y a si peu de poursuites, c'est que les règles ne doivent pas être convenablement appliquées. Inévitablement, dans chaque pays, des gens essaient d'enfreindre les règles, alors s'il n'y a que trois cas de poursuite, je pense qu'il faut s'intéresser davantage à l'application des règles. Il devrait y avoir une surveillance suffisante de l'utilisation des exportations canadiennes après le fait, une sorte de suivi, et les résultats de ce suivi doivent jouer un rôle décisif dans les décisions relatives aux exportations futures dans un pays donné.

J'essaie de songer au mécanisme que nous pourrions créer. Je ne suis pas certaine qu'il serait législatif. Les règlements pourraient peut-être prévoir un suivi de l'utilisation finale, non seulement dans l'immédiat, mais sur plusieurs années, par exemple pour voir si nos VBL ne finissent pas ailleurs. Nous les avons envoyés en Arabie saoudite, mais ils sont au Yémen. Pourquoi? Si l'Arabie saoudite dit ensuite : « Nous voulons vous acheter telle ou telle chose », nous pourrions répondre : « Nous savons ce qui est arrivé à nos VBL et nous ne pouvons pas, en toute conscience, vous vendre ce que vous demandez ».

Ce pourrait être une façon très intéressante de responsabiliser les utilisateurs finaux.

Le président : Vous terminez sur une très bonne note. Vous nous avez donné de quoi réfléchir. Nous allons donner suite à certaines de vos idées et vous nous avez beaucoup éclairés. La situation nécessite un examen approfondi. Merci beaucoup d'être venue, madame Saperia.

Mme Saperia : Merci.

Le président : Chers collègues, nous allons suspendre la réunion pour quelques minutes, puis nous continuerons à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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