Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 8 - Témoignages du 22 juin 2016
OTTAWA, le mercredi 22 juin 2016
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 32, en séance publique, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : les droits de la personne au Vietnam), puis, à huis clos, pour l'étude d'une ébauche de rapport sur les mesures prises pour faciliter l'intégration des réfugiés syriens nouvellement arrivés et les aider à surmonter les difficultés qu'ils vivent, notamment par les divers ordres de gouvernement, les répondants du secteur privé et les organismes non gouvernementaux.
Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.
[N.D.L.R. : Les interventions en vietnamien sont interprétées en anglais.]
[Traduction]
Le président : Chers collègues et cher auditoire, soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Aujourd'hui, nous organisons une séance spéciale d'une journée sur les droits de la personne au Vietnam.
J'invite d'abord mes collègues à se présenter eux-mêmes, en commençant par la vice-présidente du comité.
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de Toronto.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de Colombie-Britannique.
Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l'Ontario.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l'Ontario.
[Français]
La sénatrice Gagné : Sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba.
[Traduction]
La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le président : Chers collègues, je vous remercie. Je suis le sénateur Jim Munson, de l'Ontario.
Nous sommes heureux d'accueillir notre premier groupe de témoins, c'est-à-dire Mme Vu minh Khanh, défenseure des droits de la personne, à titre personnel, et le directeur exécutif de VOICE Canada, M. Hoi Trinh.
Chers collègues, sachez que les interventions en vietnamien seront interprétées en simultané. Donc, bien le bonjour, Vietnam!
Madame Vu, si j'ai bien compris, vous ferez une déclaration, après quoi ce sera la période des questions. Nous sommes vraiment heureux de vous accueillir. Soyez la bienvenue.
Hoi Trinh, directeur exécutif, VOICE Canada : Bonjour, honorables sénateurs et distingués invités. Je me nomme Hoi Trinh et je voudrais laisser la parole d'abord à Mme Vu, pour qu'elle vous livre son témoignage concernant la situation de son mari, M. Nguyen Van Dai, actuellement au Vietnam. Ensuite, je ferai mon exposé.
Merci beaucoup.
[Traduction de l'interprétation]
Vu minh Khanh, défenseure des droits de la personne, à titre personnel : Pour commencer, je tiens à remercier le Parlement du Canada de me permettre de parler de la situation de ma famille.
Je m'appelle Vu minh Khanh. Je suis l'épouse de Nguyen Van Dai. Nous sommes tous les deux protestants. Pour ma part, je sers mon église à Hanoï. Mon mari Dai est un défenseur des droits de la personne. Il est en prison.
Mon mari a été arrêté la première fois en 2007 et condamné à quatre années de prison, plus quatre années de détention à domicile, pour avoir enfreint l'article 88 du Code pénal du Vietnam, c'est-à-dire avoir mené de la propagande contre l'État.
En prison, il a été rayé du barreau, et son cabinet a été fermé. Après sa libération, en 2011, il a été assigné à résidence jusqu'en mars 2015. Pendant ce temps, il n'était pas autorisé à quitter la localité où nous vivons sans l'autorisation de la police, et il lui était aussi interdit de quitter la maison, chaque fois qu'un groupe d'étrangers venaient visiter le Vietnam.
Le 16 décembre 2015, seulement neuf mois après la fin de ses quatre années de détention à domicile, il était encore arrêté et accusé de la même infraction.
Il est en prison depuis six mois maintenant. Je n'ai pas encore reçu de nouvelles à son sujet. Les autorités lui interdisent de rencontrer des membres de sa famille ou son avocat, sous prétexte qu'il fait l'objet d'une enquête pour atteinte à la sécurité nationale.
Les mauvais traitements qu'il subit sont une atteinte flagrante aux nombreux traités internationaux que le Vietnam a ratifiés sur les droits de la personne. Son isolement m'empêche d'être fixée sur son sort. Deux fois par mois on m'autorise à apporter de la nourriture au centre de détention B14, à Hanoï, pour répondre à ses besoins journaliers, mais j'ignore s'il a reçu quelque chose. Franchement, j'ignore s'il est détenu là, parce que, au Vietnam, la sécurité publique fait comme bon lui semble. Elle n'informe pas les familles du transfert de certains prisonniers. C'est arrivé au blogueur Dieu Cay. Par exemple, si mon mari avait été torturé, je n'en saurais rien.
Pendant plus de six mois, la sécurité publique n'a pas accordé de certificat de défense aux trois avocats que notre famille a embauchés. Jusqu'à maintenant, donc, ils ne peuvent pas commencer à travailler au dossier. Mon mari n'a même pas été autorisé à recevoir la bible que lui a donnée l'ambassadeur des États-Unis. Actuellement, il est privé de tout moyen de défense et il est complètement isolé. Je suis donc très inquiète pour sa santé et sa sécurité, sans compter que, 10 jours avant son arrestation, il a été agressé et grièvement blessé. Il donnait, ce jour-là, un cours sur les droits de la personne à une soixantaine de personnes dans la province de Nghe An, à environ 300 kilomètres d'Hanoï. Des agents de la sécurité publique sont arrivés pour le contraindre à mettre fin au cours, mais il a refusé et les a même invités à y assister.
Après l'avoir battu, ils l'ont jeté dans une automobile. Ils ont roulé 30 kilomètres en continuant de le battre, en l'étouffant avec leurs bras, en lui donnant des coups de coude et en le frappant au visage, sur les tempes et dans les yeux.
C'était l'hiver. Ils l'ont quand même dépouillé de son manteau, ils lui ont volé son portefeuille et ils l'ont abandonné sur une plage isolée. Quand mon mari a enfin pu appeler des amis à l'aide, la police est restée à ses trousses, ce qui l'a obligé à s'enfoncer dans la jungle, par de petits passages dans la végétation. Avec l'aide de ses amis, mon mari a pu revenir à Hanoï. Dix jours plus tard, pas encore guéri de ses blessures, il était arrêté. Il est en détention depuis.
Chaque agression qu'il subit, Dai la doit à son travail, que le gouvernement déteste et qu'il lui a demandé de cesser. Mais mon mari croit que ses activités sont légitimes au sens de la constitution vietnamienne et du droit international. Le gouvernement vietnamien connaîtrait ses agresseurs. Mais, quand mon mari a porté plainte, les autorités ont prétendu le contraire.
Mon mari souffre d'hépatite B; sa santé m'inquiète beaucoup.
Mon mari a d'abord connu la démocratie en Allemagne, ayant assisté à la chute du mur de Berlin. Revenu ensuite au Vietnam, il a entrepris des études en droit. En 1997, il s'est présenté aux élections pour l'Assemblée nationale, dans l'espoir de représenter le peuple. En 2000, il a commencé officiellement à militer pour la liberté religieuse. Il était avocat spécialiste des droits de la personne.
Sa première cause dans ce domaine date de 2000, la défense d'une protestante traînée en cour pour avoir entravé l'action de la police venue disperser un service de prière à l'église locale. Ensuite, mon mari a dispensé ses services à des chrétiens persécutés; à des militants pour la démocratie et les droits de la personne harcelés et jetés en prison; à des dépossédés de leurs terres ou de leurs maisons; à des victimes d'agressions physiques ou de détention arbitraire; et, dans son cabinet, il donnait des cours de formation sur les droits de la personne. Il suivait des cours sur les droits de la personne et rédigeait des articles sur la primauté du droit.
Depuis les débuts de son action militante, en 2000, jusqu'à maintenant, si on excepte les quatre années 2007 à 2011 passées en prison, il n'a jamais cessé de se faire entendre et de protéger les droits de la personne, même quand il était en détention à domicile. Il a milité avec ferveur pour la liberté de religion, la liberté d'expression et la liberté de réunion, sans recourir à la violence, par la sensibilisation.
Mon mari a des relations auprès des gouvernements étrangers et il a travaillé avec de nombreuses ambassades au Vietnam.
En 2007, quand mon mari s'est fait arrêter, il donnait un cours sur les droits de la personne dans son cabinet. Le sujet était inspiré d'un livre sur la société civile publié par l'ambassade américaine au Vietnam.
Sa dernière arrestation a eu lieu à son départ de la maison pour rencontrer une délégation européenne venue pour le dialogue annuel entre l'Union européenne et le Vietnam sur les droits de la personne.
On l'accuse d'avoir enfreint l'article 88 du Code pénal. Il est passible de trois à vingt ans de prison.
Mme Le Thu Ha, l'une de ses collègues, a été arrêtée le même jour, pour les mêmes chefs d'accusation, c'est-à-dire propagande contre l'État. Sa famille, cependant, craint les contacts avec d'autres militants; c'est la raison pour laquelle je ne connais pas très bien sa situation actuelle.
Il faut considérer l'arrestation et le maintien en détention de mon mari comme arbitraires au sens des lois internationales sur les droits de la personne, que le Vietnam est d'autant plus tenu de respecter qu'il est membre du Conseil des droits de la personne de l'ONU.
Mon mari a trimé pour protéger les droits de la personne, et c'est impossible d'y voir une activité criminelle. C'est pourquoi j'espère que le Parlement canadien et le gouvernement du Canada réclameront sa libération immédiate et inconditionnelle.
Je vous remercie sincèrement d'avoir pris le temps d'entendre l'histoire de mon mari. Je suis maintenant prête à répondre à vos questions, dans la limite de mes moyens.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. C'est une histoire très frappante.
Monsieur Trinh, avez-vous quelques mots à dire? Pourriez-vous le faire en moins de sept minutes, vu les nombreuses questions que nous vous destinons à vous deux?
M. Trinh : Merci beaucoup, monsieur le président.
Pour faire suite à ce que disait Mme Vu, il n'est qu'un des nombreux prisonniers politiques que compte le Vietnam. Personne n'en connaît vraiment le nombre actuellement derrière les barreaux, parce que le gouvernement du pays tait ces faits. VOICE Cana da a ouvert plus de 200 dossiers. Je tiens à parler des cinq cas les plus connus outre M. Nguyen Van Dai, qui est le fondateur de Fraternité pour la démocratie. Il a été accusé en vertu de l'article 88, en 2007. Il est maintenant passible, comme Mme Vu l'a dit, d'une peine d'emprisonnement de trois à vingt ans.
Un autre prisonnier politique bien connu est Tran Huynh Duy Thuc. Voici une photo de lui avant sa condamnation à seize années de prison en vertu de l'article 79 du code criminel vietnamien pour, paraît-il, des activités visant à renverser l'État. Je tiens à vous montrer des photos, pour que ces noms correspondent à des visages. Voilà de vraies personnes actuellement détenues au Vietnam.
Voici Nguyen Van Dai, agressé avant d'être jeté en prison. Comme nous le savons tous, il a été accusé mais n'a pas encore subi de procès.
Voici Nguyen Huu Vinh et de son adjoint, condamné à cinq années de prison; mais, en fait, ils ont passé deux ans en prison avant leur procès. Le problème, au Vietnam, ce n'est pas seulement les prisonniers politiques, mais c'est aussi le traitement qu'on leur inflige.
La quatrième photo est celle de Phan Van Thu, un chef religieux condamné à vie en 2013 en vertu de l'article 79.
La dernière photo est celle de Ngo Hao, un militant de la démocratie condamné à quinze années de prison, également en 2013 en vertu de l'article 79.
Vous pouvez voir que le Vietnam invoque la loi pour emprisonner les dissidents et les activistes politiques.
Nous tenons à signaler l'une des lignes directrices de l'ONU : les règles 59 et 68 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus dit bien que les prisonniers doivent être incarcérés, dans la mesure du possible, dans des établissements situés à proximité de leur foyer ou de leur habitation sociale. Tran Huynh Duy Thuc l'est à plus de 1 000 kilomètres de chez lui, à Saigon. Pour cette raison, il a entrepris une grève de la faim qui a duré 15 jours. Le problème au Vietnam ne se limite pas aux prisonniers politiques, mais il concerne aussi le traitement qu'on inflige par exemple à Nguyen Van Dai et à Tran Huynh Duy Thuc.
La deuxième question que je tiens à soulever aujourd'hui est que le Vietnam ne nous communique pas d'échéancier sur la modification des principales lois qu'il applique contre les opinions dissidentes. Même si le droit de manifester est garanti par l'article 25 de la Constitution du Vietnam, la loi sur les manifestations n'a jamais été adoptée. Il s'ensuit que le Vietnam enfreint sa propre loi constitutionnelle ainsi que la loi sur l'association.
Actuellement, VOICE Vietnam est notre seul affilié à ne pas être inscrit au Vietnam, parce que nous ne sommes pas autorisés à nous inscrire, même si nous sommes seulement une organisation de la société civile. Au Vietnam, même si le droit d'association est garanti par la Constitution, la loi n'existe pas. Les autorités n'ont donc rien fait à ce sujet.
Loi sur les croyances et les religions : je la signale, parce que l'article 24 de la Constitution du Vietnam garantit ce droit, mais, comme la loi n'a pas été mise en œuvre, même la liberté de religion est entravée. Comme je l'ai dit, le principal problème au Vietnam est que le pays invoque le Code criminel pour combattre les opinions dissidentes. Il invoque la sécurité nationale et des lois vagues, par exemple l'article 258, l'article 88 et l'article 79 pour combattre les opinions dissidentes.
Je mentionne ces lois pour attirer votre attention sur les propres recommandations du Canada pour l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, l'EPU, en 2014, qui ont été acceptées par le Vietnam. L'une des cinq recommandations canadiennes faites à Genève et effectivement acceptées par le Vietnam disait :
Modifier les dispositions sur les atteintes à la sécurité nationale qui sont susceptibles d'entraver la liberté d'expression, y compris sur Internet, en particulier les articles 79, 88 et 258 du Code pénal, pour s'assurer qu'elles sont conforme aux obligations internationales du Vietnam, dont le PIRDCP.
Eh bien, c'était il y a deux ans, et le Vietnam n'a rien fait pour corriger la situation. Il a plutôt modifié les lois pour les empirer.
Par exemple, l'article 88 rend passible l'auteur de propagande contre l'État d'une peine de trois à vingt ans de prison. Mais, maintenant, l'article 117, au Vietnam, qu'on a modifié en s'inspirant de l'article 88 et qui entrera en vigueur le 1er juillet rend passible de la prison non seulement l'auteur, mais aussi celui qui se prépare à commettre l'infraction, d'une peine d'un à cinq ans de prison. Non seulement le Vietnam n'a pas mis en œuvre ce qu'il avait accepté, notamment les recommandations du Canada, mais il aggrave la situation. Je pense que c'est l'un des problèmes en croissance au Vietnam.
Notre dernière recommandation est que le Vietnam cesse d'invoquer des mesures administratives et extrajudiciaires pour limiter la place de la société civile.
Actuellement, il interdit à tous les activistes réputés hostiles à l'État de se déplacer. J'ai fait parvenir à votre comité une liste de 73 personnes ainsi visées. Nous savons qu'il y en a beaucoup plus parce que, pour ces 73 personnes nous sommes parvenus à obtenir leur consentement pour précisément vous communiquer leur profil. Si vous voulez un relevé, nous pouvons vous le communiquer.
Sachez aussi que, il y a deux semaines, le Parlement de l'Union européenne a adopté une résolution urgente, énumérant, entre autres choses, 17 exemples évidents d'infractions flagrantes, par le Vietnam, aux droits de la personne, et le Parlement a formulé 19 recommandations. Je veux vous lire l'une d'elles, dans l'espoir d'amener par vos propres pouvoirs et moyens ce pays à se conformer à ses obligations internationales. La recommandation 16 de la résolution du Parlement européen :
demande à la délégation de l'Union d'utiliser tous les outils et instruments appropriés pour accompagner le gouvernement du Viêt Nam dans ces étapes et pour soutenir et protéger les défenseurs des droits de l'homme; souligne l'importance du dialogue sur les droits de l'homme entre l'Union européenne et les autorités vietnamiennes, notamment si ce dialogue est suivi de mesures concrètes; souligne qu'il faut que ce dialogue soit efficace et axé sur les résultats;
La dernière recommandation que j'aimerais vous lire, et non la moindre, c'est que le comité recommande au gouvernement canadien de mettre en œuvre toutes les recommandations de l'EPU, qui ont été acceptées par le Vietnam en 2014. J'ai ici cinq recommandations du Canada acceptées par le Vietnam; ce sont les recommandations du Canada dans le cadre de l'EPU. Je les ai avec moi, au cas où vous auriez des questions.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup.
J'aimerais étudier attentivement les recommandations que vous nous avez envoyées. Pour commencer la discussion, nous allons commencer par la vice-présidente du comité, la sénatrice Ataullahjan. Je vois cela comme une discussion plutôt qu'une série de questions.
La sénatrice Ataullahjan : Merci beaucoup d'être ici.
Madame Vu, je tiens à vous remercier de votre témoignage convaincant. Vous avez passé un certain temps à défendre les droits de votre mari aux États-Unis; comment les législateurs de ce pays ont-ils réagi? Qu'attendez-vous de vos rencontres avec les législateurs canadiens? Comment pouvons-nous vous aider?
[Traduction de l'interprétation]
Mme Vu : Je suis venue ici pour aider le gouvernement du Canada à jouer un rôle utile par rapport à la situation des droits de la personne au Vietnam et aussi, en particulier, par rapport à la situation de mon mari, car c'est un cas typique de ce qui se passe au Vietnam. Mon mari a fait la promotion des droits de la personne pendant 16 ans; il a représenté beaucoup d'autres défenseurs des droits de la personne au Vietnam. Il a été arrêté, ce qui inquiète les autres activistes au pays. Nous espérons que vous pourrez faire quelque chose pour aider mon mari.
[Traduction]
La sénatrice Ataullahjan : Avez-vous des signes selon lesquels la campagne internationale que vous menez pour sauver votre mari a influé ou fait pression sur le gouvernement vietnamien?
[Traduction de l'interprétation]
Mme Vu : J'ai défendu les droits de mon mari aux États-Unis, en Australie et auprès d'autres gouvernements. Lorsque j'étais aux États-Unis, les membres de la Chambre des représentants ont indiqué qu'ils feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir la libération de mon mari.
Je suis allée en Europe. J'ai aussi traité de la situation devant le Parlement de l'Union européenne, qui a adopté une résolution concernant la situation des droits de la personne au Vietnam et indiqué que l'arrestation de mon mari était une violation des traités internationaux sur les droits de la personne. L'Union européenne a aussi envoyé une lettre au ministère des Affaires étrangères du Vietnam pour lui faire part de ses préoccupations.
[Traduction]
Le sénateur Ngo : Merci d'être venue au Canada, madame Vu.
Le 15 décembre, votre mari a été arrêté pour propagande contre l'État de la République socialiste du Vietnam, en vertu de l'article 88 du Code pénal. Six mois plus tard, il n'a pas encore été accusé.
Ma première question est la suivante : quand avez-vous parlé à votre mari pour la dernière fois?
[Traduction de l'interprétation]
Mme Vu : Je ne l'ai pas revu depuis son arrestation. Il a été arrêté le 16 décembre; c'est la dernière fois que je l'ai vu. Je n'ai reçu aucune nouvelle ou information de lui depuis.
[Traduction]
Le sénateur Ngo : Donc, vous n'avez eu aucune communication avec votre mari depuis décembre 2015.
Ma deuxième question est très importante. Vous avez défendu les droits de votre mari partout dans le monde. Vous êtes allée aux États-Unis, en Australie et en Europe, et vous êtes maintenant au Canada pour faire valoir les droits de votre mari. Croyez-vous que votre vie sera en danger si vous retournez au Vietnam?
J'ai aussi une question complémentaire : que craignez-vous qui se reproduise au Vietnam?
[Traduction de l'interprétation]
Mme Vu : J'ai défendu les droits de mon mari, mais je ne connais pas le sort qui m'attend à mon retour au Vietnam. J'y retournerai à la fin juin. Je ne sais pas ce qui m'attend. Je suis toutefois prête à affronter la situation; je n'ai pas d'autre choix.
Mon mari est passible d'une peine d'emprisonnement de 3 à 20 ans.
[Traduction]
Le sénateur Ngo : Vous n'avez pas répondu à ma question. Que craignez-vous qui se reproduise au Vietnam?
[Traduction de l'interprétation]
Mme Vu : Je vais être agressée, comme mon mari l'a été. J'ai été battue et agressée à maintes reprises par de nombreuses personnes armées de bâtons. Je ne sais pas vraiment ce qui va se passer.
[Traduction]
La sénatrice Andreychuk : J'aimerais d'abord vous remercier d'être venue au comité. C'est très courageux.
Il s'agit d'un enjeu dont le comité a déjà été saisi dans le passé, un enjeu auquel beaucoup de gens s'attaquent, sans doute, notamment les mesures à prendre pour inciter les gouvernements à tenir compte des traités internationaux, ainsi que des obligations et de l'opinion publique à l'échelle internationale.
Quelles autres mesures le Canada pourrait-il prendre pour vous aider dans votre épreuve au Vietnam? Nous avons des relations bilatérales avec le pays. Nous tentons de l'aider sur le plan du développement. Il y a du mouvement dans les institutions. Nous cherchons à investir et à conclure des ententes. Or, le gouvernement vietnamien ne réagit pas en tentant d'adopter les normes internationales, même si cela pourrait lui être utile. Le pays semble être ancré dans ses anciennes habitudes communistes.
J'ai deux questions. Premièrement, outre ce qu'il fait actuellement, que peut faire le gouvernement canadien, ou que peut-il faire différemment?
Deuxièmement, croyez-vous que cet enjeu est le propre d'un groupe de dirigeants précis? Y a-t-il au pays des gens prêts à continuer d'appuyer le gouvernement actuel?
[Traduction de l'interprétation]
Mme Vu : J'espère que le gouvernement du Canada poursuivra les discussions avec le Vietnam sur la question des droits de la personne et qu'il insistera davantage auprès du gouvernement vietnamien. J'espère que le gouvernement du Canada appuiera le mouvement de lutte pour les droits de la personne au Vietnam.
[Traduction]
M. Trinh : Puis-je répondre à la question? J'ai quelques exemples sur les mesures que peuvent prendre le Parlement du Canada et le gouvernement canadien.
Du côté du gouvernement, il y a un accord bilatéral, comme vous l'avez indiqué, et les sommes versées annuellement au Vietnam au titre de l'aide à l'étranger. Je pense que de tels accords bilatéraux devraient être assortis de dispositions sur les droits de la personne. Ainsi, en cas de manquement à la mise en œuvre ou au respect de ces dispositions, le Canada pourrait avoir des discussions sérieuses avec le gouvernement vietnamien.
Ce que je dis, c'est que certaines subventions devraient être conditionnelles. C'est une solution envisagée par les États-Unis.
Deuxièmement, le gouvernement canadien pourrait accorder un appui financier aux groupes de la société civile du Vietnam. Je sais que le gouvernement américain le fait, mais je ne sais pas ce qu'il en est du gouvernement canadien.
La troisième chose que le gouvernement canadien pourrait faire serait, comme Mme Vu l'a indiqué, d'inviter les représentants de l'ambassade du Vietnam au Canada à rencontrer les défenseurs des droits de la personne. Cela leur donnerait une légitimité et contribuerait à leur protection. Voilà ce que le gouvernement peut faire.
Quant au Parlement du Canada, l'une des mesures les plus concrètes que vous pourriez prendre — si vous croyez que ce qu'ils font est juste — serait d'adopter ces cinq prisonniers politiques. Vous pourriez les adopter. Écrivez-leur, écrivez au gouvernement vietnamien pour lui parler de la situation de ces prisonniers. Cela n'entraînera pas nécessairement leur libération, mais cela incitera certainement le gouvernement du pays à réfléchir avant de leur faire subir de mauvais traitements.
J'espère que chacun d'entre vous pourra adopter un prisonnier politique au Vietnam. C'est une des choses que vous pouvez faire.
Vous pourriez également faire un suivi du retour de Mme Vu et d'autres activistes au Vietnam. Lorsqu'ils retournent au Vietnam après leurs études à l'étranger, il arrive souvent qu'ils soient inscrits sur une liste d'interdiction de voyager. Je vous prie de les adopter aussi.
Le gouvernement vietnamien ne maltraite pas seulement les militants. Il s'en prend également aux familles des prisonniers politiques.
Voilà certaines mesures concrètes que vous pouvez prendre. Merci.
Le président : J'aimerais avoir une précision : qu'entendez-vous par « adopter »?
M. Trinh : Lorsqu'on dit « adopter », cela signifie que vous interviendriez directement auprès de la famille du prisonnier politique. VOICE peut vous aider à entrer en communications avec ces gens. Vous pouvez adopter un prisonnier en lui écrivant, même s'il est incarcéré, et en écrivant aux membres de sa famille. Vous pouvez aussi envoyer une lettre au gouvernement vietnamien pour lui demander des explications au sujet des mauvais traitements subis par le prisonnier que vous parrainez.
Le président : Je vous remercie de cette précision. Je trouve que c'est une excellente idée.
La sénatrice Martin : VOICE, votre organisme, a-t-il une filiale canadienne? Combien de pays ont une telle filiale?
M. Trinh : Actuellement, VOICE est une organisation inscrite aux États-Unis. VOICE Canada est une filiale de VOICE inscrite au Canada. Nous avons aussi des filiales aux Philippines, en Australie et en Europe.
Il y a également VOICE Vietnam, qui est la seule organisation qui n'est pas autorisée à s'inscrire. Voici une photo de notre représentant de VOICE Vietnam. Au Vietnam, aucune ONG indépendante ne peut s'inscrire à titre d'organisation indépendante.
Il y a eu une catastrophe environnementale majeure au centre du Vietnam. Cela s'est produit il y a deux mois et personne ne sait ce qui a causé la mort de millions de poissons. VOICE tente d'aider en recueillant des fonds pour aider les pêcheurs. Nous collaborons avec l'ONU en vue d'une déclaration. Le problème, toutefois, c'est que le gouvernement vietnamien ne veut pas que la véritable cause soit révélée. Personne ne peut s'exprimer en toute indépendance; par conséquent, même notre représentant au pays est toujours suivi et surveillé par le gouvernement.
Je vous remercie d'avoir posé la question, car j'aimerais vous parler de la déclaration de l'ONU au sujet de l'incident. Pour la première fois de l'histoire du Vietnam, des milliers de personnes ont manifesté dans les rues pour protester contre le refus du gouvernement de révéler la vérité.
J'aimerais vous montrer des photographies prises au cours des deux derniers mois. On y voit des gens qui ont été battus dans la rue. Des manifestations ont lieu tous les dimanches; la population réclame que le gouvernement rende des comptes et fasse preuve de transparence.
Le message de cette affiche signifie « Les poissons ont besoin d'eau propre et la population a de transparence ». Au Vietnam, si je montrais cette affiche dans la rue, je serais arrêté et battu.
Nous avons donc demandé à l'ONU de faire une déclaration. En fait, je vous ai fait parvenir la déclaration faite par l'ONU le mois dernier, le 13 mai 2016.
Des gens se font arrêter ou battre dans les rues, mais les gens continuent de dénoncer la situation. Cela inclut VOICE Vietnam, l'une des rares organisations indépendantes de la société civile au Vietnam à poursuivre ses activités malgré l'interdiction du gouvernement.
La sénatrice Martin : J'aimerais aussi savoir quelles sont vos sources de financement. Est-ce uniquement la diaspora? Avez-vous d'autres sources de financement?
M. Trinh : Nous recevons du financement de la communauté et des institutions.
La sénatrice Martin : C'est vous qui avez préparé la visite de Mme Vu au Canada et sa visite en Europe?
M. Trinh : Oui, en collaboration avec d'autres organismes. Nous travaillons avec des ONG internationales comme Amnistie Internationale, qui a organisé une campagne d'appui à M. Nguyen Van Dai. Nous avons travaillé avec Human Rights Watch, Front Line Defenders et la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme pour inciter le Parlement européen à adopter une résolution de toute urgence. Nous avons collaboré avec d'autres groupes pour obtenir cette déclaration.
La sénatrice Martin : Maintiendrez-vous votre appui à Mme Vu après son retour au Vietnam, à la fin du mois? Le sénateur Ngo a cherché à savoir ce qui pourrait se passer. De toute évidence, Mme Vu pourrait être emprisonnée. Je tenais à faire un suivi à cet égard.
M. Trinh : Oui.
La sénatrice Martin : Je suis préoccupée par le sort réservé à son mari, mais je me demande aussi quelle aide lui sera apportée à son retour au Vietnam. Vous avez parlé de VOICE Vietnam, mais il ne s'agit pas d'un organisme inscrit.
M. Trinh : Nous continuerons évidemment de collaborer avec d'autres organismes pour effectuer un suivi après son retour au pays. La Commission européenne et les gouvernements de l'Australie et des États-Unis ont indiqué qu'ils feraient un suivi.
Personne ne sait vraiment ce qui pourrait lui arriver au Vietnam. Nous avons déjà aidé des proches de prisonniers politiques à mener le même genre d'action aux États-Unis et en Europe. On parle de parents âgés; à leur retour au pays, ces gens ont fait l'objet de harcèlement, mais n'ont pas été emprisonnés. Nous demeurons optimistes, mais nous devons nous préparer au pire, évidemment.
La sénatrice Martin : Madame Vu, je vous remercie d'être venue. Je vous remercie aussi du travail que vous faites pour poursuivre l'action militante de votre mari et transmettre son message par-delà les murs de la prison, et ce, malgré l'incertitude quant au sort qui vous attend à votre retour au Vietnam. Je tiens simplement à souligner que votre témoignage d'aujourd'hui soulève d'importantes préoccupations. Je partage les préoccupations de mes collègues et je m'interroge sur le rôle possible des parlementaires canadiens. Aujourd'hui, on nous a présenté des demandes précises. Je me demande toutefois si vous avez autre chose à ajouter.
La question que je me pose est la suivante : y a-t-il, au Vietnam, des parlementaires favorables à votre cause? Je sais qu'il s'agit d'un régime à parti unique, mais j'ai lu dans nos documents d'information que le gouvernement envisage la tenue de consultations citoyennes participatives. Je me demande si certains parlementaires et législateurs vietnamiens entrevoient avec espoir ce qui pourrait se passer au pays.
[Traduction de l'interprétation]
Mme Vu : Je vous remercie de la question.
C'est quelque chose qui m'attriste beaucoup, car aucune organisation ne porte intérêt aux enjeux liés aux droits de la personne, en particulier en ce qui concerne mon mari. Lorsqu'il a été arrêté pour la première fois, j'ai communiqué avec tous les organismes du Vietnam — l'agence de la sécurité publique, le tribunal, les organismes d'enquête —, et aucun d'entre eux n'a accepté de me rencontrer. J'ai envoyé des centaines de pétitions à l'ensemble des organismes, aux fonctionnaires de tous les échelons et au ministère des Affaires étrangères. Je ne me suis pas contentée d'écrire seulement une fois : j'ai envoyé de nombreuses lettres concernant le dossier de mon mari. Personne n'a accepté de me rencontrer et personne n'a répondu aux questions que je soulevais dans la pétition. Je l'ai envoyée à divers médias, mais aucun n'a répondu à mes lettres. Ils ont même tenu des propos contraires à la vérité.
[Traduction]
La sénatrice Hubley : Madame Vu, merci beaucoup d'être ici. Ce que vous faites est très courageux. À mon avis, ce sera certainement utile, à long terme, pour lutter contre le sort malheureux des gens qui sont emprisonnés au Vietnam.
Le Vietnam n'est manifestement pas un pays isolé. En fait, beaucoup de pays ont des relations diplomatiques avec le Vietnam, ce qui est évident lorsqu'on considère le nombre d'ambassades, notamment celles des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de la Suède, de la Suisse, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Pourriez-vous nous parler des solutions que pourraient avoir trouvées certains de ces pays en cherchant à vous défendre? Parmi ces pays, y en a-t-il un qui en fait plus que d'autres pour régler le problème lié aux droits de la personne au Vietnam?
[Traduction de l'interprétation]
Mme Vu : Pendant ma tournée de défense des droits, le pays où cet enjeu a suscité le plus d'intérêt est les États-Unis, à mon avis. Les Américains ont porté une grande attention au dossier de mon mari. Leur réaction a été importante. On m'a dit que mes rapports seraient présentés au président Obama.
[Traduction]
M. Trinh : Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, je précise que les États-Unis, par exemple, ont offert l'asile à Nguyen Van Dai et à elle. Le Vietnam a dit être prêt à laisser partir Dai. Il a accepté de s'exiler, mais parce qu'il a maintenu qu'il n'avait rien fait de mal et qu'il devrait être libéré sans condition, il est toujours emprisonné.
Les États-Unis essaient d'exercer de la pression sur le Vietnam notamment en offrant l'asile. J'espère que le Canada envisagera également d'offrir l'asile ou le statut de réfugié aux prisonniers politiques. Ils n'accepteront peut-être pas l'offre, mais c'est une façon de montrer notre soutien, de même que de faire pression sur le gouvernement.
Le gouvernement américain soutient aussi les mouvements initiés par la société civile au Vietnam. Je ne sais pas si le Canada le fait aussi, mais c'est ce qui se passe aux États-Unis.
Le gouvernement américain a mis l'accent sur toutes les recommandations acceptées par le Vietnam lors de l'Examen périodique universel. Je ne sais pas si les cinq recommandations formulées par le Canada et acceptées par le Vietnam ont jamais été abordées par le gouvernement canadien, ni si quelque chose a été fait à cet égard.
Le président : J'ai une question à vous poser de la part de la sénatrice Omidvar, qui n'est pas ici aujourd'hui. Elle porte sur la pression exercée par la communauté internationale, à savoir si cela fonctionne vraiment. Y a-t-il un précédent au Vietnam, à savoir que la pression de la communauté internationale a mené à des mesures concrètes en vue de relâcher des militants des droits de la personne ou des prisonniers politiques? Est-ce que cela a fonctionné?
M. Trinh : En exil, oui, monsieur, cela a fonctionné. L'an dernier, le Vietnam a libéré au moins deux prisonniers politiques, les blogueurs Dieu Cay et Ta Phong Tan, qui se sont exilés aux États-Unis. Nous avons travaillé avec eux. Cela fonctionne, mais la portée est limitée.
Le président Obama a rencontré des dirigeants de la société civile au Vietnam. Certains ont eu la permission de le rencontrer, d'autres pas. Même si les résultats ne sont pas évidents, je pense que cela donne beaucoup de légitimité aux dirigeants. C'est aussi une façon de valider la société civile. En un sens, c'est également une manière d'éduquer la population vietnamienne, car il n'y a qu'une source de nouvelles au Vietnam.
Que le président Obama n'ait pas pu rencontrer toutes les personnes qu'il souhaitait rencontrer, cela en dit long sur la société du Vietnam.
Le sénateur Ngo : C'est très difficile pour moi de vous poser cette question, car vous n'avez eu aucun contact avec votre époux depuis son incarcération. D'après les informations que nous avons eues, nous savons que des prisonniers ont été torturés ou battus en prison. Est-ce que votre époux a été battu ou torturé? Nous ne le savons pas, parce que vous ne pouvez pas communiquer avec lui. Pensez-vous que cela a pu se produire, sachant qu'il est incarcéré depuis six mois maintenant?
[Interprétation]
Mme Vu : Pour le moment, je ne sais rien de ce qui arrive à mon mari. Je m'inquiète beaucoup pour lui. C'est très injuste et déraisonnable de le garder en isolement carcéral. C'est un homme ordinaire qui n'a rien fait de mal, et maintenant il est en prison, en isolement. Ils ont mobilisé tout le système contre la voix de la conscience de mon mari.
Je ne sais pas ce qui se passe en prison. Il se peut qu'on lui ait menti sur ce qui se passe à l'extérieur de la prison ou qu'on l'ait pressé et forcé de faire quelque chose, et que ses avocats n'en sachent rien. Personne ne peut l'aider. C'est ce qui m'inquiète le plus.
[Traduction]
Le président : Nous vous remercions du plus profond de notre cœur d'avoir été des nôtres aujourd'hui. Votre témoignage a été plus qu'éloquent. Nous espérons pouvoir faire quelque chose pour vous aider. La suggestion d'adopter des prisonniers pour maintenir la communication au fil des mois et des années à venir est intrigante. Merci de votre présence. Vous avez parcouru bien du chemin pour nous raconter votre histoire, madame Vu. Nous espérons que le Canada pourra jouer un plus grand rôle dans la mise en liberté de votre mari et des autres prisonniers au Vietnam. Nous vous remercions.
Monsieur Trinh, merci pour le travail que vous faites. Vous défendez les droits de la personne, et c'est aussi notre mandat.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous sommes ravis d'accueillir, d'Affaires mondiales Canada, Evelyn Puxley, directrice, Relations Asie du Sud-Est et Océanie.
Madame Puxley, la parole est à vous.
[Français]
Evelyn Puxley, directrice, Relations Asie du sud-est et Océanie, Affaires mondiales Canada : Merci, monsieur le président, je suis vraiment ravie d'être ici parmi vous pour discuter des droits de la personne au Vietnam.
[Traduction]
Je présenterai mon exposé en anglais, surtout, mais je serai bien sûr disposée à répondre à vos questions dans l'une ou l'autre des langues officielles.
Je crois que mon mémoire a été distribué aux membres du comité, alors je vais me concentrer sur la question des droits de la personne au Vietnam, car c'est le sujet de votre étude. Et je vais également passer en revue rapidement certains secteurs où nous avons constaté des progrès en ce qui a trait à d'autres droits civils et politiques.
Je pourrais peut-être commencer en donnant un peu de contexte concernant le Vietnam. Je crois que la plupart des sénateurs ici présents sont au courant, mais ce sont des détails qui valent la peine d'être répétés.
Il est juste d'affirmer que le Vietnam est un État autoritaire dirigé par un seul parti, le parti communiste vietnamien. Il existe un contrat social non écrit entre le gouvernement du Vietnam et son peuple : le gouvernement fournit une croissance économique soutenue pour l'accumulation de la richesse, mais en retour, conserve un contrôle politique et social strict dans un système à un seul parti.
Aujourd'hui, afin de respecter son côté du contrat, le gouvernement cherche à s'intégrer à l'économie internationale, en particulier par l'intermédiaire d'accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux, comme le Partenariat transpacifique. Cette intégration, et les exigences d'harmonisation à l'égard des lois, normes et pratiques internationales qui l'accompagnent, donnent des raisons d'être optimiste dans les domaines où le Vietnam accuse un retard, en particulier en ce qui concerne la liberté d'expression et d'association, la liberté de religion et le respect pour les garanties juridiques et l'application régulière de la loi au Vietnam.
La Constitution vietnamienne prévoit des protections limitées en matière de droits de la personne, en particulier en ce qui concerne les droits civils et politiques. Le gouvernement est peu tolérant à l'égard des critiques et utilise les dispositions législatives, dont les dispositions sur la sécurité nationale, pour réprimer la dissidence politique. Toutefois, nous pouvons espérer qu'en fournissant un soutien clé au Vietnam, à son peuple et à son système juridique, nous verrons davantage de progrès dans la protection des droits de la personne.
Je crois qu'il est aussi juste de souligner que ce sera un projet à long terme de faire des progrès dans ce domaine, et que si nous avons aujourd'hui un portrait de la situation actuelle des droits de la personne au Vietnam, il faut garder à l'esprit que les changements vont s'opérer sur de nombreuses années, et pas du jour au lendemain, malheureusement pour ceux qui subissent ces restrictions.
Comme je l'indiquais, vous avez reçu mon mémoire, qui fait le détail des progrès réalisés. Il est important de noter qu'il y a eu des progrès sur le plan des droits civils, politiques, économiques et sociaux, et j'aimerais les résumer rapidement.
Pour ce qui est des droits socio-économiques, en particulier, des progrès remarquables ont été réalisés récemment. C'est d'autant plus frappant quand on pense à la dévastation laissée par des décennies de guerre au Vietnam, et aux développements politiques qui ont suivi après 1975. Le Vietnam demeure une histoire de réussite en matière de développement, ayant réalisé des progrès socio-économiques remarquables depuis les deux dernières décennies. Le Vietnam a un fort taux d'alphabétisation, à savoir 93 p. 100. Cela permet au peuple vietnamien, en principe, de faire des progrès sur le plan socio-économique.
La Constitution vietnamienne interdit la discrimination contre les femmes et le non-respect de leur dignité, et des progrès ont aussi été faits de ce côté. Plus récemment, soit en avril dernier, Mme Nguyen Thi Kim Ngan est devenue la nouvelle présidente de l'Assemblée nationale. C'est la première femme à diriger le Parlement du Vietnam et à occuper l'un des quatre postes aux échelons supérieurs du système politique du Vietnam. C'est donc un jalon digne de mention. Toutefois, la réussite de Mme Ngan n'a pas trouvé écho dans le corps de l'Assemblée nationale, qui n'a pas réussi à atteindre sa cible de représentation féminine.
Les droits des LGBT sont un autre domaine où des progrès ont été réalisés dans les dernières années. Je ne vais pas entrer dans les détails ici. Notre ambassade a travaillé de très près à ce dossier.
Des changements apportés au Code civil et au Code pénal en novembre 2015 nous semblent prometteurs. On espère par ailleurs que la loi sur les référendums, adoptée en novembre 2015 et qui entrera en vigueur en juillet 2016, permettra d'autres améliorations.
Comme vous le savez sans doute, le Vietnam, à l'instar du Canada, est une des parties prenantes dans le Partenariat transpacifique. Évidemment, bien que l'accord ait été signé, ni le Canada ni le Vietnam ne l'ont encore ratifié, mais on espère qu'il aboutira à un plus grand respect des droits des travailleurs en matière de syndicalisation indépendante.
J'aimerais maintenant mettre l'accent sur certaines préoccupations, étant donné que c'est le sujet de l'étude d'aujourd'hui, notamment en ce qui concerne les droits de la personne. Le ministère des Affaires mondiales du gouvernement du Canada est très préoccupé par la situation des droits de la personne, surtout en ce qui a trait aux restrictions imposées aux citoyens par rapport aux droits politiques, particulièrement au droit de changer leur gouvernement au moyen d'élections libres et justes, aux restrictions imposées aux droits civils des citoyens, notamment à la liberté de réunion, d'association et d'expression et la protection inadéquate des droits des citoyens à l'application régulière de la loi, notamment à la protection contre la détention arbitraire. Les militants pour les droits de la personne, y compris ceux qui sont en contact avec l'ambassade, font régulièrement l'objet de harcèlement.
Des rapports d'organisations telles que Human Rights Watch indiquent qu'au cours de l'année 2015 et de la première moitié de l'année 2016, des centaines d'activistes sociaux et politiques ont été attaqués, pour la plupart, avant ou après avoir visité des prisonniers libérés et des victimes de violations des droits de la personne, ou lorsqu'ils participaient à des activités ou des rencontres.
Plus récemment, le Canada a été grandement préoccupé, et est intervenu, en ce qui a trait au cas de l'éminent avocat en droit de la personne et ancien prisonnier d'opinion, M. Nguyen Van Dai — dont l'épouse est ici avec nous aujourd'hui — et son collègue, M. Le Thu Ha, qui ont été arrêtés en décembre 2015, accusés d'avoir fait de la propagande contre l'État. L'arrestation a eu lieu plusieurs jours après que M. Dai et trois collègues aient été agressés par 20 hommes habillés en civil, peu de temps après avoir donné une formation en matière de droits de la personne.
Cette affaire a vivement suscité l'intérêt de l'ambassade canadienne au Vietnam, qui l'a traitée conformément à nos pratiques régulières dans de telles circonstances. L'ambassade continue de surveiller de très près cette affaire et d'autres affaires similaires, et nous allons aussi suivre ce qui pourrait arriver à l'épouse de M. Dai, qui a témoigné plus tôt devant vous aujourd'hui, si elle doit retourner au Vietnam.
Conformément à la pratique courante, l'ambassadeur canadien a soulevé cette affaire auprès des représentants du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Sécurité publique au Vietnam, lesquels ont des missions bilatérales et conjointes aux vues similaires, à Hanoï.
Au nom des ambassadeurs du Groupe des quatre — quatre ambassades, soit le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et la Suisse, qui collaborent pour défendre la question des droits de la personne —, l'ambassadeur a fait parvenir une lettre au vice-premier ministre, au ministre des Affaires étrangères et au ministre de la Sécurité publique, pour exprimer les vives objections du Canada face à ces développements, et pour demander la libération immédiate de M. Dai. Cette lettre a été envoyée peu de temps après l'arrestation de M. Dai. Une note diplomatique a également été envoyée au nom de l'Australie, du Canada, du Danemark, de l'Union européenne, de l'Allemagne, de la Norvège, de la Suède, de la Suisse, du Royaume-Uni et des États-Unis demandant, entre autres, de plus amples renseignements sur le cas de M. Dai.
Outre ces interventions, un certain nombre d'ambassadeurs clés, notamment ceux du Canada, de l'Australie, de l'Union européenne et des États-Unis, ont tenu une réunion conjointe directement avec le ministre de la Sécurité publique du Vietnam sur cette question.
Je suis sûre que vous aurez des questions à poser concernant les interventions éventuelles du Canada dans l'affaire de M. Dai.
Le contrôle du parti et de l'État sur la religion est un autre domaine qui préoccupe le gouvernement du Canada. Le gouvernement du Vietnam est connu pour limiter la pratique religieuse par l'entremise de mesures législatives, d'exigences liées à l'inscription, de harcèlement et de surveillance. Les Vietnamiens pratiquent une grande variété de religions, mais les groupes religieux sont tenus d'obtenir l'autorisation du gouvernement et de s'inscrire auprès de celui- ci.
Puisque le temps nous presse, monsieur le président, je vais tout de suite passer aux points précis qui nous inquiètent en ce qui a trait au contrôle de la religion par l'État. Je vous renvoie aux rapports publiés par Freedom House, selon lesquels la liberté de religion au Vietnam est restreinte. L'an dernier, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction, Heiner Bielefeldt, a publié un rapport identifiant des « problèmes graves » dans l'approche du Vietnam à l'égard de la religion.
Le troisième aspect préoccupant est l'absence de droits légaux et d'application régulière de la loi au Vietnam. Il n'y a pas de séparation des pouvoirs au Vietnam : le Parti communiste exerce un contrôle direct sur les trois organes du gouvernement. Le système judiciaire est considéré comme opaque, et des influences politiques et économiques ont régulièrement une incidence sur les décisions judiciaires. La loi prévoit l'indépendance des juges, mais en pratique, le gouvernement contrôle les tribunaux en nommant les membres du parti. Plus de détails sont donnés dans le mémoire qui vous a été distribué.
En plus des défis relatifs au système judiciaire, le professionnalisme des services de police et la surveillance de ceux-ci demeurent faibles. On rapporte que des policiers ont intimidé et détenu des parents, des amis et des sympathisants qui voulaient assister à des procès ou être présents pour exprimer leur solidarité.
Finalement, la peine de mort est toujours imposée au Vietnam. Cependant, l'Assemblée nationale a récemment aboli la peine de mort pour sept crimes. Cependant, les auteurs de crimes relatifs à la sécurité nationale, comme l'espionnage et la subversion, sont toujours passibles de la peine de mort.
Je vais maintenant vous parler de ce que fait le Canada, ce qui est probablement le point de mire de votre étude aujourd'hui. Vous aurez compris, j'espère, que l'ambassade du Canada au Vietnam prend une part active sur ces enjeux avec le gouvernement et la société civile. Le Canada travaille avec la communauté internationale afin d'encourager les autorités vietnamiennes à respecter leur engagement concernant les droits internationaux de la personne et la liberté d'expression conformément à leurs obligations internationales.
Les représentants du Canada expriment fréquemment aux représentants vietnamiens leurs préoccupations en ce qui concerne les droits de la personne, et travaillent en étroite collaboration avec des ambassades aux vues similaires afin de promouvoir un plus grand respect des droits de la personne au Vietnam. C'est particulièrement le cas aux diverses agences des Nations Unies et à l'ancien Comités des droits de l'homme, maintenant le Conseil des droits de l'homme.
Le Canada a participé de près à l'examen périodique universel du Vietnam. J'ai d'ailleurs cru comprendre qu'on a demandé plus tôt aujourd'hui que le Canada continue à faire pression sur le Vietnam pour qu'il applique les recommandations que nous avons formulées en février 2014, dans le cadre du deuxième examen périodique universel du Vietnam du Conseil des droits de l'homme. Les recommandations portaient principalement sur la liberté de religion, la liberté d'expression et d'association, le respect des droits légaux et de l'application régulière de la loi, et les droits de la femme.
Sur le plan bilatéral, le Canada et le Vietnam ont signé une lettre de préavis en septembre 2014 afin d'accroître la collaboration et le dialogue dans de nombreux secteurs, notamment sur les droits de la personne. Depuis 2013, le Canada et le Vietnam tiennent des consultations bilatérales annuelles, la dernière ayant eu lieu en juillet 2015. Cela inclut des discussions sur les droits de la personne. Nous profitons de ces consultations pour remettre à l'ambassade canadienne une liste de personnes d'intérêt en matière de droits de la personne.
Le programme de développement international du Canada et le Fonds canadien d'initiatives locales jouent un rôle important pour favoriser la bonne gouvernance et les droits de la personne au Vietnam. Par exemple, ces programmes appuient la diffusion de produits sur le droit à l'information; ils appuient les ateliers sur les droits de la personne, y compris les droits des LGBT et la compréhension de la primauté du droit.
Grâce aux engagements de haut niveau récemment pris entre le Canada et le Vietnam, le Canada a communiqué au Vietnam l'importance continue qu'il accorde aux droits de la personne. Au cours de la visite de la ministre Bibeau au Vietnam en décembre 2015, sa première visite internationale en tant que ministre du Développement international et de la Francophonie, elle a reconfirmé l'intérêt du Canada à maintenir une relation bilatérale solide avec le Vietnam, et elle a profité de cette occasion pour soulever le rôle important que les droits de la personne jouent dans l'établissement d'une économie durable et prospère.
Je vais conclure là-dessus, monsieur le président, et je serai heureuse de répondre aux questions que le comité pourrait avoir. Merci.
Le président : Merci, madame Puxley. Nous avons beaucoup de questions. Je donne d'abord la parole à la vice- présidente.
La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de votre présentation. Vous nous avez donné les bonnes nouvelles, la première demi-page de votre discours, avant d'aborder le vif du sujet.
Je sais que des engagements ont été conclus entre le Canada et le Vietnam. Le rapport d'Amnistie indique qu'il y a encore 45 prisonniers d'opinion au Vietnam. La majorité d'entre eux ont été condamnés aux termes de dispositions très vagues du code pénal qui portent sur la sécurité nationale, l'article 79, activités visant à renverser l'État, ou l'article 88, diffusion de propagande. Cependant, nous venons d'apprendre des témoins précédents qu'un nouvel article 117 permettra l'arrestation de quiconque non seulement diffuse de la propagande, mais songerait à le faire.
Le gouvernement du Canada s'inquiète-t-il de la situation? Je sais que vous avez dit qu'il en a déjà été question, mais nous signons pourtant des accords commerciaux. Quelle importance revêtent les violations des droits de la personne quand on signe des accords commerciaux? Est-ce qu'on en tient même compte?
Mme Puxley : Je pourrais parler de manière plus détaillée du Partenariat transpacifique. Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a signé l'accord du PTP, mais ne l'a pas encore ratifié. Sa ratification fait toujours l'objet de consultations au Parlement et auprès des intervenants au Canada.
L'accord prévoit que le Vietnam devra respecter davantage les droits des travailleurs, mais pas les droits de la personne de manière plus générale.
Comme je crois l'avoir mentionné dans mes déclarations liminaires, nous avons tenu des consultations bilatérales en bonne et due forme avec le Vietnam lors desquelles nous avons abordé diverses questions, y compris celle des droits de la personne, depuis janvier 2013. Pour avoir participé à ces consultations, je puis vous assurer que les droits de personne occupent une grande place dans l'ordre du jour de ces réunions et que nous remettons régulièrement lors de celles-ci une liste des personnes dont la situation est préoccupante.
Quant au nouvel article 117, je n'en ai jamais entendu parler au ministère des Affaires mondiales. Nous allons certainement approfondir la question. D'après la description que vous en faites, une disposition de cette nature serait source de graves inquiétudes pour le Canada si elle devait être adoptée par le Vietnam. Ce serait une atteinte évidente à la liberté d'expression et à la liberté d'association, qui sont des droits fondamentaux de la personne.
Je vous remercie de nous en avoir parlé aujourd'hui. Nous allons approfondir la question et, s'il y a lieu, nous allons la soulever auprès des représentants vietnamiens ici au Canada et lors des prochaines consultations bilatérales à l'occasion des visites de haut niveau. Notre ambassade au Vietnam abordera également la question avec nos quatre principaux partenaires, alors je vous remercie.
Le sénateur Ngo : Merci, madame Puxley. Vous avez dit que le gouvernement du Canada ou l'ambassade du Canada au Vietnam avait soulevé le cas de M. Dai et essayé de conclure un arrangement avec le gouvernement vietnamien. Vous avez dit que des démarches ont été faites, mais que vous entendez poursuivre vos efforts. Pourriez-vous nous dire ce que vous comptez faire maintenant pour obtenir la libération de M. Dai?
Mme Puxley : Peu après l'arrestation de M. Dai, l'ambassadeur du Canada envoyé une lettre au nom du Groupe des quatre — comme nous le faisons habituellement dans de tels cas —, qui a été suivie d'une note diplomatique faisant état des inquiétudes du Canada et d'autres ambassades qui partagent des opinions semblables à l'égard de la situation des droits de la personne au Vietnam.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, le Canada suit certaines personnes dont la situation est préoccupante, y compris celles qui sont emprisonnées par suite de diverses accusations et qui attendent leur procès et celles qui, sans être emprisonnées, pourraient être harcelées ou attaquées en raison de leurs activités.
Dans le cas de M. Dai, nous allons certes continuer de surveiller ces questions et de les porter à l'attention des ministères des affaires étrangères et de la sécurité publique du Vietnam.
Je signale que M. Dai devait être libéré il y a longtemps; il a été arrêté en décembre, alors il aurait dû être libéré il y a plusieurs semaines. Nous nous inquiétons qu'il soit toujours en prison, alors qu'aucune accusation officielle n'a encore été portée contre lui et que nous n'avons aucune indication de l'endroit où il est détenu. Comme je l'ai déjà dit, nous allons continuer d'aborder ces questions avec les autorités vietnamiennes.
Bien entendu, je ne peux garantir ni à vous ni à sa famille, en particulier à son épouse, qui a témoigné plus tôt aujourd'hui, que ces démarches auront un résultat positif. Parfois, l'incertitude persiste malgré l'action.
Bien sûr, nous ignorons les raisons précises pour lesquelles M. Dai et ses associés auraient été ciblés. Nous avons l'impression qu'il pourrait y avoir un lien avec le congrès du parti, qui a eu lieu en janvier et qui était un événement très important dans l'histoire politique du Vietnam, mais personne ne peut l'affirmer avec certitude. En somme, il est détenu sans accusation dans un endroit inconnu depuis beaucoup plus longtemps qu'il ne devait l'être.
Il ne fait aucun doute que nous allons continuer de suivre l'évolution de sa situation. Si son épouse retourne au Vietnam, nous allons rester en communication avec elle et, aux côtés des autres ambassades aux vues similaires qui suivent également ces dossiers, nous ferons de notre mieux pour empêcher qu'elle soit victime d'intimidation ou de harcèlement physique.
Le sénateur Ngo : Merci, madame Puxley, de nous avoir rassurés quant aux mesures que vous entendez prendre lors du retour de l'épouse de M. Dai.
Le Canada a ajouté le Vietnam à la liste des pays ciblés pour l'aide publique au développement. Par quels moyens le gouvernement compte-t-il ajouter les droits de la personne et la démocratisation au nombre des objectifs que pourrait se fixer le gouvernement du Vietnam? Pourriez-vous nous expliquer comment vous mesurez les progrès que le Vietnam dit avoir accomplis?
Mme Puxley : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.
Comme vous le savez sans doute, le gouvernement précédent a décidé que le Canada allait cibler 25 pays pour l'aide bilatérale au développement. Le Vietnam, qui est l'un de nos partenaires en matière d'aide bilatérale au développement depuis 1990, a été retenu parmi ces pays. Cette décision a été prise en 2014, je crois, par l'ancien gouvernement.
Nos programmes d'aide au développement au Vietnam, contrairement aux autres moyens dont dispose le Canada pour promouvoir les droits de la personne et la démocratie, ont toujours comporté des projets axés sur la responsabilisation et la prestation aux autorités vietnamiennes d'un soutien à long terme en vue d'une transition vers un mode de gouvernement que nous considérions comme plus responsable envers la population.
Par exemple, un projet mené par l'Association du Barreau canadien aide l'assemblée nationale du Vietnam à mettre en place un mécanisme de consultation publique semblable à celui du Parlement canadien. Comme je l'ai indiqué dans mes déclarations liminaires, nous ne nous attendons pas à ce que ces projets aient un impact immédiat, et l'on peut même se demander quels résultats nous avons obtenus depuis 1990.
Je suis passée rapidement, comme l'un de vos collègues l'a dit, je crois, sur certains des indicateurs de ce que nous considérons comme des améliorations. Je pense qu'on peut affirmer sans se tromper que certains des changements à l'égard de la peine de mort, du droit et du référendum sont les signes d'une amélioration, aussi mince soit-elle. Certes, nous sommes encore loin de ce qui serait pour nous un gouvernement responsable qui rend des comptes, surtout en ce qui concerne la manière d'élire l'assemblée nationale. Mais il y a eu certains changements et, comme je l'ai dit, c'est un objectif à long terme. Je pense que les gouvernements qui se sont succédé à la tête du Canada ont toujours trouvé important d'entretenir la relation de longue date d'aide bilatérale au développement, de maintenir des rapports avec le gouvernement du Vietnam et de continuer de veiller à ce que l'aide au développement soit en grande partie axée sur la responsabilisation et la gouvernance.
Comme vous le savez, le nouveau gouvernement élu en octobre dernier a annoncé l'examen de nos programmes d'aide au développement, qui n'est pas terminé, je crois. Le Parlement du Canada prendra part à cet examen, qui comprend notamment la liste des 25 pays ciblés pour l'aide au développement. Nous avons hâte de connaître les opinions de votre comité et du comité de l'autre endroit à l'égard de cet examen, et je suis sûre que cette question en fera partie et qu'elle sera abordée dans le cadre des délibérations du gouvernement au sujet de l'aide au développement dans le monde entier et pas seulement au Vietnam.
La sénatrice Nancy Ruth : Outre le Vietnam, le Canada entretient des rapports avec de nombreux pays qui ne sont pas des démocraties. Avons-nous un cadre stratégique pour régir nos rapports avec les pays non démocratiques? Vous avez mentionné certains facteurs liés notamment aux droits de la personne, mais qu'est-ce qui guide nos choix en ce qui concerne ces pays? Quel rôle jouent la conjoncture, le commerce et la politique?
Mme Puxley : C'est une excellente question. Je pense que les divers gouvernements qui se sont succédé ont eu des points de vue différents à ce sujet.
Le gouvernement actuel, par l'intermédiaire de notre ministre des Affaires étrangères, le ministre principal du ministère des Affaires mondiales, qui réunit le commerce, le développement et les relations étrangères, a parlé de manière éloquente de ce défi lors d'un discours sur ce qu'on appelle communément la conviction responsable prononcé à l'Université d'Ottawa. Son opinion et celle du gouvernement canadien consistent à dire que pour faire avancer les dossiers et les valeurs qui tiennent à cœur à la population du Canada — les droits de la personne, la gouvernance démocratique, la reddition de comptes, la diversité et le pluralisme — il faut entretenir des rapports avec des gouvernements qui sont très différents des nôtres.
Cela ne signifie pas que nous souscrivons à ce qu'ils font. Au contraire, cela signifie que nous trouvons des moyens d'influencer leurs choix en matière de gouvernance. En conséquence, dans le cas de l'Iran et même de la Russie, il est juste d'affirmer que notre nouveau gouvernement a opté pour une approche différente, axée sur l'ouverture, ce qui ne veut pas dire que nous évitons les questions de la gouvernance et des droits de la personne — comme pour le Vietnam, ce que j'ai tenté de décrire. Il y a d'autres gouvernements avec lesquels nous n'avons pas les mêmes liens et je pense évidemment à la Corée du Nord, où l'on estime qu'à l'heure actuelle, l'impact de tels rapports serait absolument nul.
Le ministre Dion, au nom du ministère et du gouvernement, affirme que l'approche actuelle consistant à entretenir des rapports tout en énonçant clairement ce que sont les attentes du Canada et comment nous pouvons, dans certains cas, faire progresser les questions liées à la gouvernance et aux droits de la personne, est l'approche qui convient. Il veut obtenir des résultats, pas seulement énoncer clairement la position du Canada.
Il est probablement trop tôt, seulement sept mois après l'arrivée du nouveau gouvernement, pour tenter de dégager les résultats de cette nouvelle approche. Certes, elle intègre tous les aspects des affaires mondiales, du commerce, du développement et des affaires étrangères. Bien entendu, c'était la décision de l'ancien gouvernement de les regrouper de la sorte, mais je pense qu'il sera ainsi plus facile de réaliser la promesse du ministre de nouer des relations qui produiront véritablement des résultats dans les pays en question.
La sénatrice Nancy Ruth : On ne parle pas seulement des 25 pays inscrits sur la liste.
Mme Puxley : C'est exact. Les 25 pays sont ceux où nous menons des programmes d'aide bilatérale au développement. Il y a des programmes d'aide au développement menés dans beaucoup d'autres pays par des organisations internationales comme l'UNICEF et la Banque mondiale.
La région à laquelle je m'intéresse, l'Asie du Sud-Est, comprend des pays extrêmement pauvres comme le Laos et le Cambodge, où nous n'avons aucun programme d'aide bilatérale au développement, mais que nous aidons par l'intermédiaire d'organisations internationales et d'un programme régional auquel ils peuvent demander de participer.
Comme je l'ai dit, la liste des 25 pays ciblés établie par l'ancien gouvernement fait actuellement l'objet d'un examen. Nous ne savons pas encore si le gouvernement continuera de cibler 25 pays ou s'il divisera autrement les fonds dont il dispose pour l'aide au développement international.
Je devrais aussi signaler que l'examen de l'aide internationale ne vise pas seulement ce qu'on appelle l'aide publique au développement, mais aussi le soutien offert aux États fragiles comme la Syrie, l'Irak, le Yémen, la Libye et plusieurs autres. Plusieurs facteurs sont pris en compte, ce ne sont pas seulement les pays les plus pauvres ou les plus vulnérables. Toutefois, le mandat ministériel indique que l'aide publique au développement doit en principe cibler les plus pauvres et les plus vulnérables.
La sénatrice Andreychuk : Vous avez couvert beaucoup de matière, madame Puxley, comme d'habitude. J'ai seulement une question.
Il y a des signes que le Vietnam souhaite diminuer sa dépendance sur la Chine — la sphère d'influence exercée par la Chine depuis plusieurs décennies. Nous constatons cette différence dans le domaine économique avec le Partenariat transpacifique, par exemple. Avez-vous observé des signes qui pourraient indiquer que le Vietnam songerait à se distancer de la mentalité qu'il a toujours partagée avec la Chine en ce qui concerne les questions liées aux droits de la personne, au développement, aux femmes, et ainsi de suite? Constatez-vous des différences ou sont-ils toujours dans le même camp au chapitre des questions sociales?
Mme Puxley : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.
Je dirais qu'il y a des relations fraternelles entre le parti communiste au Vietnam et le parti communiste en Chine. Comme vous le savez, les deux pays entretiennent depuis longtemps des rapports très difficiles. Je pense qu'il serait juste de dire que ces rapports se poursuivent, mais sous des apparences de modernité.
Je ne suis pas une experte de la Chine et je ne suis pas responsable de ce pays au ministère. Cependant, les interactions que j'ai eues avec le Vietnam depuis 2013 et même avant m'ont permis de constater que ce pays est beaucoup plus disposé à discuter de ce que nous considérons comme des valeurs fondamentales au Canada — les droits de la personne, la gouvernance et la reddition de comptes — que ne l'est son voisin au nord. L'une des indications est la nature de l'aide au développement et des autres programmes que l'ambassade du Canada parvient à mener au Vietnam.
Je le répète, la transition vers ce qui serait pour nous un gouvernement responsable est très lente. Dans mes déclarations liminaires, j'ai indiqué que nous avons constaté une réelle transformation en ce sens que l'assemblée nationale peut désormais tenir des consultations publiques sur les questions relatives aux LGBT. À ce chapitre, ils devancent largement les autres pays de l'Asie du Sud-Est. Les droits de ces personnes ne sont pas reconnus dans la plupart des autres pays, en particulier en Chine.
La visite récente du président Obama au Vietnam nous indique que le Vietnam entend entrer en rapport avec des partenaires non traditionnels, en l'occurrence un pays avec lequel il s'est livré à une guerre très amère et très coûteuse. Des millions de Vietnamiens et des milliers d'Américains sont morts à cette guerre. Je pense que c'est la manifestation d'une volonté d'entrer en contact avec les dirigeants du monde démocratique et de modifier graduellement certaines pratiques de gouvernance interne pour que la population soit davantage prise en considération.
Les progrès sont extrêmement lents. Mais, comme je l'ai souligné, l'intérêt que manifeste le Vietnam à adhérer au Partenariat Trans-Pacifique démontre que le pays souhaite diversifier ses relations sachant qu'il devra, à long terme et selon les dispositions du PTP, respecter les droits des travailleurs à former des syndicats libres et à se syndiquer, et que le PTP mènera aussi, en général, à une plus grande ouverture.
Au cours de la dernière année, je dirais, il a été difficile de noter une amélioration. Le traitement réservé à M. Dai et à de nombreux autres blogueurs montre que le Vietnam a adopté des mesures rigoureuses contre la liberté d'expression.
Il s'agit d'un processus de longue haleine. La réponse courte à votre question, c'est qu'il y a eu certains progrès, mais que la situation demeure très préoccupante aux yeux du Canada.
Le président : Sénatrice Ataullahjan, vous désirez poser une question au nom de la sénatrice Martin, qui a dû quitter plus tôt?
La sénatrice Ataullahjan : La sénatrice Martin devait participer à une autre réunion. Sa question est la suivante : les Canadiens d'origine vietnamienne sont des citoyens productifs qui contribuent à la société canadienne. Ces citoyens ont soulevé certaines inquiétudes quant au bilan du gouvernement du Vietnam en ce qui concerne les droits de la personne. Le gouvernement du Canada — vous ou votre ministère — consulte-t-il les dirigeants communautaires sur son engagement avec le Vietnam afin de s'assurer d'adopter une approche équilibrée et d'écouter l'opinion des Canadiens et de s'assurer que les droits de la personne et les valeurs canadiennes sont respectés?
Mme Puxley : Merci à la sénatrice absente pour cette question et à vous de me l'avoir posée.
Le Canada est chanceux de pouvoir compter sur plus de 220 000 Canadiens d'origine vietnamienne, dont bon nombre sont venus ici dans des circonstances très difficiles. Comme vous l'avez souligné dès le début de votre intervention, ces citoyens sont devenus des membres très productifs de la société canadienne et font partie intégrante du tissu social du Canada.
Sous la direction du gouvernement précédent, et j'imagine que ce sera la même chose sous le nouveau gouvernement, il y a eu un effort concerté pour solliciter la participation des diverses communautés canadiennes, y compris la communauté vietnamienne, notamment sur l'aide au développement et les programmes qu'offre le Canada à l'étranger, y compris au Vietnam. Cette approche s'est amorcée en 2014 et je suis convaincue qu'elle sera maintenue dans le cadre de l'examen de l'aide canadienne au développement international.
Il est juste, également, de souligner que la communauté vietnamienne au Canada n'est pas monolithique. Les opinions sont divergentes concernant la meilleure façon de nouer le discours avec le Vietnam et d'améliorer la situation des droits de la personne. Je crois qu'en consultant les communautés vietnamiennes au Canada, le gouvernement, et surtout Affaires mondiales Canada, tente de tenir compte des opinions divergentes au sein de ces communautés et je suis convaincue que ces opinions se retrouveront dans le rapport d'examen sur l'aide internationale que nous offrons, y compris au Vietnam.
La sénatrice Hubley : Merci d'avoir accepté notre invitation.
J'aurais une brève question à vous poser au sujet de l'éducation. J'ai été très impressionnée par le taux de littératie de 90 p. 100. Je présume que le programme éducatif au Vietnam est dicté par le gouvernement, dans une certaine mesure, mais je remarque également que ceux qui terminent leurs études secondaires et qui souhaitent poursuivre des études supérieures peuvent étudier à l'étranger. Ces gens sont-ils limités quant aux pays où ils peuvent poursuivre leurs études? Sinon, on peut espérer qu'ils puissent se rendre dans des pays démocratiques et découvrir de nouvelles façons de gouverner. Est-ce un des moyens envisagés pour amorcer un virage dans ce pays?
Mme Puxley : Merci pour cette question.
Nous avons parlé plus tôt des pays où nous concentrons nos efforts en matière d'aide au développement. Le gouvernement précédent a créé la Stratégie du Canada en matière d'éducation internationale qui ciblait plusieurs pays. Le Vietnam, lui, était ciblé pour l'aide au développement, l'éducation internationale, par l'entremise de la Stratégie, et il y avait une troisième catégorie.
Il est juste de dire que le Canada accueille plus d'étudiants provenant du Vietnam que de tout autre pays de l'Asie du Sud-Est. Il existe déjà des liens très solides entre les deux populations et nous souhaitons développer davantage ces liens, non seulement au bénéfice de nos établissements d'enseignement, mais aussi pour les raisons auxquelles vous faites allusion. Cette possibilité d'étudier à l'étranger permet aux Vietnamiens, notamment les jeunes, de voir comment sont dirigés les pays très diversifiés, comme le Canada, et comment sont intégrées les diverses communautés ethniques au pays, comme les communautés vietnamiennes établies après 1975. Donc, la réponse brève à votre question est oui, nous aimerions beaucoup accueillir plus d'étudiants vietnamiens au Canada.
J'ignore s'il y a des restrictions quant aux pays où les étudiants peuvent poursuivre leurs études. Pour les Vietnamiens, c'est davantage une question d'argent en raison du coût élevé de l'éducation supérieure au Canada, comparativement au Vietnam.
Comme tous les autres pays de l'Asie du Sud-Est avec lequel nous entretenons des relations, le Vietnam répète qu'il souhaite que ces citoyens aient un meilleur accès au système d'éducation canadien par l'entremise de bourses d'études et de programmes de formation professionnelle. Je crois que c'est un aspect auquel travaille le gouvernement actuel et j'espère que nous pourrons bientôt exaucer ce souhait.
Il est juste de dire que le Canada est une destination de choix pour les Vietnamiens, car nos études postsecondaires sont offertes dans les deux langues officielles du Canada. Les étudiants vietnamiens sont déjà admissibles au Programme canadien de bourses de la Francophonie; ils sont donc nombreux à avoir étudié dans les meilleures universités du Québec, comme l'Université Laval et l'Université de Montréal.
Il n'existe aucun programme semblable du côté anglophone. Mais, comme je l'ai dit, nous espérons pouvoir répondre à la demande et offrir plus de programmes de formation professionnelle et plus de bourses d'études à l'intention des étudiants des pays de l'Asie du Sud-Est, en général, et du Vietnam, en particulier.
Le sénateur Ngo : Depuis la fin des années 1990 jusqu'à 2012, le Canada a consacré officiellement 800 millions de dollars à l'aide au développement pour soutenir l'économie et les efforts de réforme du Vietnam et réduire la pauvreté au pays. Sur quelles données vous appuyez-vous pour évaluer la situation des droits de la personne au Vietnam?
Mme Puxley : Comme je l'ai dit, le Canada est un membre très actif et très impliqué du Groupe des Quatre, et ce, depuis de nombreuses années. Ce groupe assure une surveillance quotidienne, hebdomadaire, mensuelle et annuelle de la situation des droits de la personne au Vietnam. Il participe aux procès lorsque cela est possible et rend visite aux prisonniers de conscience. De plus, comme je l'ai dit dans le cas de M. Dai, il multiplie les efforts diplomatiques, comme rencontrer des hauts représentants du gouvernement vietnamien ou envoyer des lettres officielles, et fournit des listes de personnes d'intérêt pour le gouvernement canadien, tant à Hanoï qu'au Canada, dans le cadre de consultations bilatérales. Je le répète, nous surveillons très étroitement la situation des droits de la personne.
Si vous souhaitez savoir si l'aide au développement consentie depuis 1990, une aide considérable offerte par plusieurs gouvernements successifs, a eu un impact positif sur la situation des droits de la personne au Vietnam, je vous dirais que les résultats sont mitigés. Il y a eu certaines améliorations, notamment en matière de droits sociaux et économiques, mais peu de progrès sur la question des droits de la personne. Toutefois, le Vietnam semble vouloir faire preuve de plus d'ouverture à certains égards, notamment en ce qui a trait aux droits de la personne pour les membres de la communauté LGBT, et en ce qui concerne la gouvernance du pays et le fonctionnement de l'assemblée nationale du Vietnam.
Vous savez certainement que l'aide au développement offerte par le Canada est étroitement surveillée afin de s'assurer que ce sont effectivement les bénéficiaires ciblés qui reçoivent les fonds et que ceux-ci sont déboursés comme prévu. Les résultats de ces projets figurent sur le site web d'Affaires mondiales Canada où vous trouverez aussi la liste complète des projets en question. Si cela peut être utile au comité, monsieur le président, je pourrais vous faire parvenir le lien vers ces documents.
Cela dit, j'ai passé outre les aspects positifs du développement au Vietnam, car je croyais que le comité s'intéressait davantage à la question des droits de la personne. Je le répète, la question des droits de la personne au Vietnam demeure une grande source d'inquiétude pour le gouvernement du Canada.
Le sénateur Ngo : Concernant le financement accordé au Vietnam, est-ce possible de partager ces fonds avec la société civile indépendante du Vietnam plutôt qu'avec le gouvernement?
Mme Puxley : Par votre entremise, monsieur le président, les fonds de certains programmes gouvernementaux canadiens sont remis directement à des ONG, des organisations de la société civile. Comme en témoigne la liste des projets publiée sur le site web d'Affaires mondiales Canada, certains fonds sont destinés au gouvernement dans l'optique d'accroître la participation des citoyens et l'engagement des intervenants de la société civile. À mon avis, c'est ce principe qui a guidé l'attribution de l'aide canadienne au développement au Vietnam et dans d'autres pays où la gouvernance et les droits de la personne constituent des problèmes.
Comme je l'ai dit, cette information est accessible au grand public sur le site web d'Affaires mondiales Canada. Je serai heureuse de faire parvenir les liens correspondants au comité, par votre entremise, monsieur le président.
Le sénateur Ngo : Au cours des prochaines années, selon vous, pourrez-vous financer des groupes de la société civile?
Mme Puxley : Je crois, sénateur, qu'il s'agit d'une caractéristique de l'aide au développement, que celle-ci soit officielle ou qu'elle soit offerte par l'entremise du Fonds canadien d'initiatives locales. Par exemple, nous avons apporté notre soutien à des groupes LGBT en appui à la reconnaissance et au respect de leurs droits de la personne. J'ai déjà mentionné nos efforts quant à l'accès à l'information. Beaucoup de programmes ciblent déjà la société civile au Vietnam et l'on peut noter l'impact de ces programmes au Vietnam comparativement aux autres pays dirigés par des gouvernements autoritaires dans le cadre d'un système à parti unique. Pour répondre à votre question, oui, nous avons soutenu des groupes de la société civile et je suis convaincue que nous poursuivrons en ce sens.
La sénatrice Nancy Ruth : Je présume que ces fonds proviennent de Fonds Canada ou d'une autre source? Combien d'argent y a-t-il dans ce Fonds Canada pour soutenir des initiatives mondiales?
Mme Puxley : Une partie des fonds qui cible directement la reddition de compte et la gouvernance est ce que nous appelons l'aide officielle au développement. Cette aide provient des grandes enveloppes. Le sénateur Ngo a fait référence aux millions que nous avons déjà déboursés au Vietnam depuis 1990.
Le Fonds canadien d'initiatives locales, le FCIL, est beaucoup moins important. D'ailleurs, il a été réduit sous le gouvernement précédent. Je crois que le gouvernement actuel est en train de renverser la vapeur à ce chapitre, y compris pour des pays comme le Vietnam. Comme le dit son nom, ce fonds est censé servir au financement d'initiatives locales, celles mises de l'avant par des groupes de la société civile dans des pays où nous avons une représentation diplomatique. Au Vietnam, ces fonds serviraient à financer des initiatives relatives au respect des droits de la personne ou à la défense des intérêts, par exemple.
Je n'ai pas avec moi le montant exact en ce qui concerne le Vietnam.
La sénatrice Nancy Ruth : Pourriez-vous nous donner une idée du montant? Est-ce que l'on parle de 5 millions de dollars ou de 50 millions de dollars?
Mme Puxley : La partie du FCIL pour le Vietnam est beaucoup moins élevée que cela. Comme je l'ai souligné, le Fonds a été réduit sous le gouvernement précédent. Nous pourrions certainement vous faire parvenir le montant exact, mais je crois que l'on parle d'un demi-million. Ce montant a changé au fil des ans et il est maintenant à la hausse.
La sénatrice Nancy Ruth : L'autre volet que j'aimerais aborder concerne les groupes de la société civile qui travaillent au Vietnam et qui pourrait y avoir des allégeances. Vous avez parlé du manque d'accord au sein des groupes vietnamiens au Canada. Nous avons accueilli les représentants de VOICE. Y a-t-il des fonds au gouvernement — pas seulement au sein de votre ministère, mais aussi ailleurs — qui pourraient être utilisés pour soutenir les groupes de la société civile canadiens qui travaillent à la question des droits de la personne, comme VOICE?
Mme Puxley : Non, pas à Affaires mondiales Canada.
Je suis heureuse que vous ayez mentionné VOICE, car j'ai oublié d'y faire référence. Le ministère — pas moi, personnellement, car j'étais à l'extérieur de la ville la dernière fois que les représentants du groupe étaient ici — rencontre régulièrement les représentantes de VOICE et les deux parties restent en communication par voie de courriels. Comme je l'ai souligné, c'est un autre aspect de notre travail.
Toutefois, le soutien des groupes au Canada ne fait pas partie du mandat d'Affaires mondiales Canada.
Je veux juste m'assurer d'avoir été bien comprise. J'ai parlé de la diversité des opinions au sein de la communauté vietnamienne au Canada. Oui, il y a des opinions différentes au sein de cette communauté — pas un manque d'accord — relativement à l'engagement avec le Vietnam. Comme je l'ai dit, ces opinions se retrouveront dans le rapport d'examen sur l'aide international.
La sénatrice Nancy Ruth : Est-il possible que le gouvernement choisisse de soutenir des groupes de la société civile partout au Canada sur différentes questions, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale? Avez-vous entendu des « potins » à ce sujet, si je puis m'exprimer ainsi? Dites-le-moi si vous ne pouvez pas me répondre en public; je ne voudrais pas vous mettre dans l'eau chaude.
Mme Puxley : Le ministre Dion a déjà parlé de notre engagement à l'échelle nationale et internationale, et puisque je représente le ministre et le ministère, je ne peux parler que de ce qu'Affaires mondiales Canada peut accomplir à l'étranger, y compris au Vietnam; nous soutenons de nombreuses organisations de la société civile dans des pays où il y a des situations inquiétantes.
La sénatrice Nancy Ruth : J'aimerais que vous posiez la question au ministre, notamment. La raison pour laquelle je pose cette question, c'est que dans le dernier budget, le gouvernement propose d'augmenter le budget de Condition féminine pour divers projets, y compris l'ouverture de nouveaux bureaux. Par contre, il ne propose rien — pas un cent — pour la défense des intérêts ou pour le financement de base de groupes de défense des femmes. Il est malheureux que le gouvernement ait décidé de ne pas soutenir la société civile à cet égard. C'est une chose que j'aimerais voir le gouvernement faire, dans tous les domaines, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale.
Merci.
Le président : Nous tenons à vous remercier, madame Puxley. En terminant, je m'interroge sur une chose.
Bien entendu, vous n'êtes pas obligée de me répondre, mais pourquoi ces grands états gouvernés par un parti unique craignent-ils la voix d'une faible minorité dans leur pays? Selon mon expérience dans cette région du globe, à l'époque où j'étais journaliste, on utilisait toujours une massue pour faire taire les membres de la société civile qui voulaient s'exprimer.
Si vous voulez répondre, je vous en remercie. Sinon, je comprendrai tout à fait.
Mme Puxley : Je crois que les progrès sont inégaux sur les questions importantes pour les Canadiens — les droits de la personne et la gouvernance, notamment —, y compris au Vietnam. Il y a certains signes de progrès au Vietnam, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. C'est une question d'histoire, la capacité d'autres pays aux vues similaires qui ont à cœur ces questions d'influencer les gouvernements nationaux. Il y a aussi l'héritage de la guerre et des conflits qui fait que certains gouvernements ont de la difficulté à comprendre que le respect des droits de la personne serait avantageux pour leur peuple, non seulement sur le plan économique, mais aussi en matière de dignité humaine, et que cela ouvrirait la porte à des possibilités de dialogue à l'échelle du globe.
Le président : Madame Puxley, merci. Nous sommes heureux de vous avoir accueillie, au même titre que les autres témoins que nous avons entendus aujourd'hui. Nous avons vécu deux heures incroyables qui nous aideront à mieux comprendre ce qui se passe au Vietnam. J'espère que nous pourrons tous faire le maximum pour attirer l'attention sur ces questions et obtenir la libération de M. Dai.
(La séance se poursuit à huis clos.)