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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 14 - Témoignages du 1er février 2017


OTTAWA, le mercredi 1er février 2017

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 30, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, je vous souhaite à tous un bon retour. Avant d'inviter les sénateurs — en particulier, les nouveaux membres du comité — à se présenter, j'aimerais vous faire part un peu de mes réflexions sur tout ce que nous avons accompli au cours des derniers mois, dans un esprit de collaboration, comme en témoignent nos rapports sur les réfugiés syriens et les enjeux au Vietnam, en Corée du Nord et en Iran. Nous avons publié des rapports sur un certain nombre de ces sujets, et ils ont été accueillis très favorablement.

Par ailleurs, nous sommes au beau milieu d'une analyse comparative entre les sexes. Nous l'avons presque terminée. Nancy Ruth ne pourra jamais devenir une ex-sénatrice; elle reviendra probablement nous donner un coup de pouce tout au long de nos travaux sur ce rapport et, bien entendu, sur d'autres sujets, comme les importations, les exportations et les relations en Arabie saoudite et au Yémen.

Les 10 derniers mois ont été très chargés, quoique fort intéressants, et c'était merveilleux de travailler avec vous tous.

Nous nous apprêtons à entreprendre un nouveau voyage de découverte dans ce dossier important que nous étudierons au cours des mois à venir. Il s'agit des droits de la personne des prisonniers dans les établissements correctionnels. Nous nous y investirons corps et âme. Nous savons que beaucoup a déjà été fait dans le domaine, mais nous estimons qu'il est grand temps que nous intervenions de nouveau. Nous espérons présenter, au bout du compte, une sorte de bilan d'ici la fin de juin. Ensuite, nous procéderons à la rédaction d'un rapport plus détaillé sur les droits de la personne des prisonniers.

Une fois de plus, je souhaite la bienvenue à tous les nouveaux membres de notre comité.

[Français]

J'aimerais que tous les sénateurs se présentent.

[Traduction]

Je voudrais commencer par notre vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l'Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick, et je remplace Yonah Martin.

La sénatrice Fraser : Joan Fraser, du Québec, et je remplace la sénatrice Senator Hubley.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario. Bienvenue. Je suis ravie de vous voir occuper cette nouvelle fonction.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l'Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Je suis le sénateur Jim Munson et je viens du Nouveau-Brunswick, mais je représente l'Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.

Le président : Nous avons plus de membres que jamais, ce qui nous réjouit au plus haut point. Notre comité est complet. Il y a, parmi nous, de nouvelles sénatrices indépendantes. Soyez les bienvenues à notre comité.

Nous accueillons ce matin des fonctionnaires de Service correctionnel Canada : Anne Kelly, sous-commissaire principale; Kelley Blanchette, sous-commissaire pour les femmes; Larry Motiuk, commissaire adjoint, Politiques; et Jennifer Wheatley, commissaire adjointe, Services de santé.

Madame Kelly, je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire sur cette question que nous nous apprêtons à étudier.

Anne Kelly, sous-commissaire principale, Service correctionnel Canada : Monsieur le président, distingués membres du comité, bonjour. J'aimerais profiter de cette occasion pour vous remercier de m'avoir invitée à prendre la parole au nom du Service correctionnel du Canada, ou SCC, à propos de l'étude du comité sur les droits de la personne des détenus dans le système correctionnel. Nous espérons vous fournir des renseignements susceptibles d'éclairer votre étude. Comme vous le savez, je suis accompagnée aujourd'hui de trois collègues.

Vous êtes peut-être au courant que le SCC est chargé d'administrer les peines d'emprisonnement de deux ans ou plus imposées par les tribunaux. En outre, il est responsable de la gestion des établissements de divers niveaux de sécurité et de la surveillance des délinquants en liberté sous condition dans la collectivité.

D'entrée de jeu, je crois qu'il convient de souligner que la loi qui régit les activités du SCC, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, précise que les délinquants continuent à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine imposée. Le SCC est reconnu comme un chef de file au sein de la communauté internationale des services correctionnels et il cultive une longue tradition de coopération avec les partenaires de la scène nationale et internationale au chapitre de la stabilisation et de la reconstruction des systèmes de justice pénale étrangers.

La mission du SCC, en tant que composante du système de justice pénale et dans la reconnaissance de la primauté du droit, consiste à favoriser et à appuyer la réadaptation des délinquants afin qu'ils deviennent des citoyens respectueux des lois, tout en exerçant sur eux un contrôle raisonnable, sûr, sécuritaire et humain. Au cours de la dernière décennie, le profil de la population de délinquants a changé de manière considérable, exerçant de nouvelles pressions sur notre organisme et ses activités.

Malgré les difficultés découlant de ces pressions, le SCC s'est adapté aux changements rattachés au profil des délinquants en mettant en œuvre des stratégies liées à la santé mentale et à la gestion de la population, en renforçant les systèmes de renseignement et d'information et en examinant et modernisant régulièrement le mode de prestation de ses activités et de ses programmes de réadaptation.

À cette fin, le SCC a élaboré des programmes correctionnels qui constituent des interventions structurées fondées sur des données empiriques, visant à réduire la récidive en ciblant des facteurs connus pour être directement liés au comportement criminel. Le SCC offre une vaste gamme de programmes correctionnels aux délinquants, dans les établissements et la collectivité, en vue d'assurer la continuité des soins et des interventions et d'accroître la sécurité publique.

La continuité de la participation aux programmes offerts en établissement et dans la collectivité se révèle fondamentale au succès de la réinsertion sociale des délinquants. La recherche a montré que celle-ci augmente l'efficacité des programmes offerts en établissement en réduisant le risque de récidive après la mise en liberté.

Outre les programmes correctionnels, la prestation de soins de santé, plus particulièrement la prestation de services de santé mentale, constitue un facteur important au chapitre de la réadaptation des délinquants admis dans le système correctionnel fédéral. Les besoins des délinquants en matière de santé sont souvent complexes et sont caractérisés par une incidence et une prévalence plus élevées que la moyenne de maladies infectieuses et de problèmes de santé mentale. Afin de faire face à ces défis, le SCC s'est doté d'un Cadre national des services de santé essentiels qui promeut la qualité et l'uniformité de la prestation des services de santé partout au pays. Les services de santé fournis au sein des établissements et les services de santé mentale dispensés dans les centres de traitement sont pleinement agréés et offerts par des professionnels de la santé agréés ou autorisés à exercer au Canada, notamment des médecins, des membres du personnel infirmier, des pharmaciens, des psychiatres, des psychologues et des dentistes.

La prestation d'interventions efficaces en santé mentale peut souvent constituer un défi, étant donné que les délinquants aux prises avec des problèmes de santé mentale complexes éprouvent, en règle générale, des besoins multiples qui se recoupent. Par la même occasion, ils peuvent également avoir des troubles de comportement, notamment faire preuve d'agressivité et de violence. Le SCC a élaboré une Stratégie intégrée en matière de santé mentale, ainsi qu'une version mise à jour du modèle de prestation de services en santé mentale, pour veiller à ce que les services essentiels de santé mentale les plus efficaces soient adoptés à ceux dont les besoins sont les plus importants.

Parmi les priorités organisationnelles du SCC, on retrouve la prestation d'interventions efficaces et en temps opportun pour répondre aux besoins en santé mentale des délinquants. Afin de fournir de bons services à ce chapitre, le SCC a consacré près de 77 millions de dollars au cours de l'exercice 2015-2016 aux services en santé mentale, lesquels sont offerts dans des hôpitaux psychiatriques, des centres de traitement, des établissements réguliers et à différents emplacements dans la collectivité.

Depuis 2007, nos principales initiatives englobent la réalisation de notre Stratégie en matière de santé mentale, la prestation d'une formation en santé mentale adaptée à différents groupes d'employés de première ligne, y compris les intervenants de première ligne et les agents correctionnels, et la mise en œuvre de politiques et de mécanismes de surveillance en vue de prévenir le suicide et l'automutilation chez les délinquants. Malgré les défis rattachés à leurs fonctions, nos employés dévoués à l'échelle du pays travaillent fort tous les jours pour gérer en toute sécurité les délinquants sous notre garde et répondre à leurs besoins.

Comme le comité le sait sans doute, le SCC examine de près le recours à l'isolement préventif au sein de ses établissements et les solutions de rechange possibles. Au fil des ans, un certain nombre d'enquêtes et d'examens internes et externes se sont penchés sur la question de l'isolement préventif, et les pratiques du SCC ont évolué en conséquence. Le SCC a consacré beaucoup de temps et d'énergie à la gestion rigoureuse de l'isolement préventif.

La diminution constante de la population placée en isolement au cours des dernières années témoigne de tout le travail accompli à l'échelon local, régional et national en vue de mettre en œuvre les nouvelles pratiques, d'en assurer le suivi et de les renforcer.

La récente diminution en ce qui a trait au recours à l'isolement préventif découle de nombreuses initiatives. En janvier 2015, le SCC a commencé à établir le contact avec des partenaires, des intervenants et des employés clés afin d'élaborer un cadre pour le changement. En octobre 2015, le SCC a mis en application de nouvelles attentes en matière de politiques et des outils sur le recours à l'isolement préventif.

Il existe deux groupes démographiques qui, à mon avis, sont dignes de mention et qui présentent un intérêt particulier pour votre comité : les délinquants autochtones et les délinquantes.

Comme le comité le sait probablement, le SCC continue d'observer une hausse de la population de délinquants autochtones. Près du quart des délinquants incarcérés et du tiers des délinquantes incarcérées sont autochtones. S'attaquer à la surreprésentation des délinquants autochtones constitue un défi qui dépasse le mandat du SCC, mais il s'agit d'un domaine où le SCC peut et doit jouer un rôle.

Une recherche menée dans la collectivité a démontré que le renouvellement des liens avec la culture, la famille et la collectivité constituent des facteurs clés dans la réinsertion en toute sécurité des délinquants autochtones. Grâce à l'adoption d'une approche unique aux services correctionnels pour Autochtones qui est adaptée à la culture et qui fait appel à la participation des collectivités autochtones, nous veillons à produire les résultats correctionnels les plus efficaces et, au bout du compte, à obtenir les meilleurs résultats possible pour assurer la sécurité des collectivités canadiennes.

En ce qui a trait aux délinquantes, ce groupe constitue un petit sous-ensemble particulier de la population totale de délinquants sous responsabilité fédérale. Le SCC reconnaît que les délinquantes ont des besoins différents, ce qui est susceptible d'influer sur la façon dont elles réagissent aux interventions et au moment de la réinsertion sociale. Le SCC a adopté une approche holistique, fondée sur la recherche et axée sur les femmes en ce qui a trait à la gestion de la réadaptation des délinquantes. Le SCC a mis sur pied des interventions et des environnements correctionnels qui sont adaptés au sexe, à la culture et aux traumatismes. Il a mis en œuvre des services et des possibilités de formation conçus plus particulièrement pour les délinquantes, et s'efforce de fournir un milieu sécuritaire qui offre du soutien de même que des possibilités. Notre approche consiste à habiliter les délinquantes afin de leur permettre de vivre dans la dignité et le respect, et de les aider à refaire leur vie en tant que citoyennes respectueuses des lois, tout en créant des collectivités plus sûres pour tous les Canadiens.

Bien qu'il ne s'agisse que d'un aperçu du travail accompli par le personnel professionnel et dévoué du SCC au quotidien partout au pays, j'espère avoir donné au comité une bonne idée de notre rôle qui consiste, en tant que composante du système de justice pénale, à inciter et à aider activement les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, tout en exerçant sur eux un contrôle raisonnable, sûr, sécuritaire et humain.

Le SCC continue de travailler avec diligence afin de garantir que les droits de la personne de tous les délinquants sont respectés. Nous continuerons d'axer nos efforts en vue de répondre aux défis qui se présenteront au sein du système correctionnel au fur et à mesure que nous irons de l'avant. Merci.

Le président : Je vous remercie de votre déclaration préliminaire. J'aimerais rappeler au comité qu'Erin, notre analyste de la Bibliothèque du Parlement, n'est pas ici aujourd'hui, mais elle a préparé pour nous un document d'information très bien étayé, y compris une liste de questions suggérées. Je vous en remercie infiniment. Nous l'avons reçu aujourd'hui, mais normalement, on nous le remet deux ou trois jours à l'avance. Toutefois, en raison de graves empêchements familiaux, nous n'avons reçu le document que ce matin. Fidèle à mes habitudes d'ancien journaliste, j'ai lu le tout rapidement et j'ai bien aimé le contenu. Je crois qu'il vaut la peine d'en faire une lecture exhaustive. C'est extrêmement important.

Comme d'habitude, nous commencerons par la vice-présidente et, par la suite, vous pourrez intervenir en tout temps en levant la main. C'est parti.

La sénatrice Ataullahjan : Je vais lire une déclaration de la présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. La voici :

La Commission canadienne des droits de la personne soutient depuis longtemps que l'isolement cellulaire imposé aux personnes vulnérables les prive de leurs droits fondamentaux et, dans le cas des personnes ayant des troubles de santé mentale, cela risque même de causer des dommages irréparables. Les lois canadiennes sur les droits de la personne et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition confèrent aux personnes ayant des problèmes de santé mentale le droit de recevoir des services correctionnels qui répondent à leurs besoins particuliers. Pourtant, en dépit des dispositions législatives et de toutes les preuves, ceux qui ont les clés des cellules refusent de reconnaître le tort qu'ils font. Le Service correctionnel du Canada continue de nier que ses actions sont susceptibles de causer de graves dommages.

Que répondez-vous à cela?

Mme Kelly : En ce qui concerne l'isolement préventif, il y a certes eu, au fil des ans, de nombreux examens et enquêtes, et nos pratiques ont évolué en conséquence. Nous avons déployé des efforts concertés, ce qui a exigé temps et énergie.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, en ce qui concerne les mesures que nous avons prises à l'égard de l'isolement préventif, le tout a commencé en janvier 2015, lorsque nous avons fait appel aux partenaires et aux intervenants en vue d'élaborer un cadre pour le changement. Puis, en octobre 2015, nous avons établi de nouvelles attentes à l'égard de la politique, en plus de mettre en œuvre de nouveaux outils. Par exemple, nous avons rehaussé le leadership et la capacité de surveillance, si bien que les réexamens des cas d'isolement sont maintenant présidés par un cadre supérieur. De plus, nous avons fait en sorte que les comités régionaux et nationaux réexaminent les cas plus tôt dans le processus. À cela s'ajoutent les visites quotidiennes du directeur de l'établissement, qui doit vérifier les conditions de détention.

Nous avons également créé un outil, que nous appelons l'outil d'évaluation de l'isolement. Il sert à guider le personnel dans leurs démarches pour tenir compte des exigences législatives obligatoires, ainsi que des risques, avant de placer des délinquants en isolement. En outre, nous avons amélioré nos services d'évaluation et d'intervention en matière de santé mentale, et j'inviterai Mme Wheatley à vous en parler davantage.

N'oublions pas que l'isolement a pour but d'empêcher un détenu d'entretenir des rapports avec les autres détenus. C'est censé durer le moins longtemps possible. Quand nous plaçons un délinquant en isolement, c'est en raison de certaines exigences.

Ayant moi-même travaillé en première ligne, je vais vous donner un exemple qui montre pourquoi l'isolement en établissement s'avère nécessaire. Supposons qu'une bagarre éclate et qu'un délinquant agresse un autre détenu. Il y a des blessures graves. Le personnel n'avait aucune idée de ce qui allait se passer. Nous ne disposions d'aucune information. Il faut donc un endroit où placer ces délinquants et, en vertu de la loi, c'est ce qu'on entend par isolement.

Ainsi, les agents du renseignement ont le temps d'évaluer la situation et de décider si l'assaillant doit être transféré ailleurs et si la victime sera en sécurité à son retour à l'établissement.

Chose certaine, du point de vue de nos efforts, nous mettons l'accent sur des mesures proactives afin d'essayer de régler la situation et de mettre fin à l'isolement du détenu le plus tôt possible. Encore une fois, beaucoup de travail a été fait dans ce domaine.

Avant de céder la parole à Mme Wheatley, j'aimerais signaler que de la mi-mars 2015 à la mi-décembre 2016, le nombre de détenus placés en isolement préventif a diminué de 50 p. 100. Le nombre de cas d'isolement de plus de 60 jours a diminué de 70 p. 100; quant au nombre de cas d'isolement de longue durée, il y a eu une réduction de plus de 80 p. 100. Ce sont là d'excellents résultats, et nous poursuivons nos efforts à cet égard.

Jennifer Wheatley, commissaire adjointe, Services de santé, Service correctionnel Canada : J'aimerais ajouter quelques observations aux propos d'Anne en ce qui a trait à trois domaines. Au cours de la dernière décennie, nous avons examiné des solutions de rechange à l'isolement, surtout en amont. Pour nous, une partie de ce travail consistait à remodeler notre système de soins de santé, lequel a toujours été, du point de vue de la santé mentale, trop axé sur le milieu hospitalier. Les services hospitaliers offerts aux délinquants ne sont pas différents de ceux fournis à tout autre Canadien. Il faut un consentement ou une attestation.

Nous présentions une faille pour les délinquants qui éprouvaient des besoins notables en santé mentale, qui auraient profité d'un milieu plus thérapeutique mais qui, pour diverses raisons, n'étaient pas prêts à entamer un traitement. Conformément aux recommandations de l'Organisation mondiale de la Santé, nous avons réorganisé notre modèle de prestation de services de santé mentale pour que ces services ne soient plus surtout hospitaliers.

Cela nous a permis d'amplifier ce que nous appelons les soins intermédiaires, qu'on peut se représenter comme des soins ambulatoires intensifs. Nous prodiguons désormais plus de soins intermédiaires aux hommes et aux femmes dans tout le pays, ce qui leur assure un milieu plus thérapeutique et nous permet d'intervenir plus souvent en amont, avant que ne survienne un incident.

Ce n'est pas parfait. Des failles subsistent, et certainement pour les hommes ayant besoin de soins intermédiaires en santé mentale à l'extérieur des centres de traitement et pour les femmes détenues en sécurité maximale. Sur ces deux points, nous continuons de chercher à améliorer encore le service. Ç'a été une modification notable de notre modèle de prestation de services, qui, je pense, nous aide à trouver des solutions à l'isolement de certains délinquants.

De plus, l'une des améliorations des cinq à dix dernières années a été la reconnaissance plus rapide des délinquants ayant des besoins en santé mentale, ce qui permet d'intervenir plus rapidement sur leur cas. Nous effectuons désormais un dépistage sur environ 93 p. 100 des délinquants, à leur admission, pour cerner leurs besoins notables en santé mentale, y compris leurs déficiences cognitives, pour intervenir et les évaluer plus tôt au cours de leur peine.

Par suite de ce dépistage, par exemple, 42 p. 100 de tous les délinquants, au cours d'une année donnée, bénéficient de l'intervention spécialisée d'un professionnel de la santé mentale et de plus de soins primaires de première ligne que vous n'en recevriez d'un médecin, d'une infirmière, d'un psychologue, d'un travailleur social clinicien ou d'un psychiatre. Pour nous, une partie importante de l'isolement consiste à reconnaître les besoins du délinquant et à essayer d'intervenir plus tôt.

Enfin, nous avons mis beaucoup d'efforts à renforcer l'intervention médicale. Par exemple, nous avons noué un partenariat avec le Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto pour évaluer notre formation des fournisseurs de soins de santé de première ligne dans les établissements pour femmes, demeurer au courant des résultats de la recherche et des pratiques exemplaires et nous assurer que notre personnel possède les aptitudes et les compétences nécessaires à ces premières interventions.

Larry Motiuk, commissaire adjoint, Politiques, Service correctionnel Canada : J'ajouterai que, dans le cadre de notre politique sur l'isolement préventif, nous avons ajouté, à titre de membres permanents de notre comité de réexamen des cas d'isolement, des professionnels de la santé mentale. Ils accompagnent chaque cas dès le début de l'isolement, pour en suivre les éventuelles répercussions sur l'individu.

Nous veillons aussi à l'accès à autrui ou aux droits de visite pendant l'isolement préventif. Les individus ont le droit d'avoir des contacts avec des groupes de défense (société John Howard, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry ou Commission canadienne des droits de la personne) et obtenir des services de counseling et recevoir des visites autorisées de membres de la famille et d'amis. Ces contacts sont également importants. La vraie conséquence est la privation des rapports avec d'autres détenus. Ils ne partagent pas les mêmes expériences qu'un groupe de détenus à l'intérieur de l'établissement.

Les appels téléphoniques sont aussi autorisés. Dans les cellules d'isolement, ils peuvent disposer de moyens de divertissement et d'appareils de jeux. Ils y ont un accès limité à leurs effets personnels et, après cinq jours, ils peuvent y avoir entièrement accès.

Nous essayons de maintenir les mêmes conditions de détention que celles qui existeraient dans la population carcérale. Nous agissons dans un souci de sécurité quand ils menacent la sécurité de l'établissement, sont susceptibles de nuire à une enquête ou que leur propre sécurité est menacée s'ils sont placés en établissement. Les détenus qui, particulièrement, éprouvent des problèmes de santé mentale ont des relations difficiles avec les autres délinquants. Nous devons en tenir compte. Encore une fois, il ne faut pas le voir comme une mesure punitive. C'est une façon d'assurer la sécurité de l'établissement et le mieux-être du délinquant.

La sénatrice Ataullahjan : Vous dites bien, n'est-ce pas, que l'isolement les coupe du reste des détenus, mais qu'ils ont accès à tout le reste?

M. Motiuk : À peu près. Ceux qui poursuivent leur perfectionnement individuel ont accès à l'éducation et au soutien spirituel. Ils peuvent voir des aînés et des aumôniers. Ce n'est pas un contact restreint. C'est seulement qu'on les tient séparés et isolés de la population générale des détenus quand ils répondent à des critères juridiques. Chaque fois, la décision de placer quelqu'un en isolement préventif relève du directeur de l'établissement.

Mme Kelly : J'ajouterai que, il y a bien des années, j'étais agente de libération conditionnelle et chargée de l'unité d'isolement. L'isolement est l'aboutissement d'un processus capable de résister à un examen critique. Le délinquant est vu par l'équipe de gestion de son cas, dont fait partie l'agent de libération conditionnelle, qui collabore avec lui pour essayer de dénouer la situation. Parfois, il s'agit de résoudre un problème d'incapacité pour retourner le délinquant dans la population. Parfois, il faut travailler avec lui en vue en vue d'un transfèrement vers un autre établissement ou sa réintégration dans une rangée différente.

Comme je l'ai dit, l'isolement est un processus très rigoureux. Des examens réguliers se font sous la présidence du directeur ou du sous-directeur de l'établissement ainsi qu'aux niveaux régional et national.

Le président : Vous avez piqué la curiosité de beaucoup de mes collègues. J'ai déjà les noms de cinq ou six d'entre eux. Ça promet d'être passionnant.

Je tiens seulement à souligner l'arrivée du sénateur Ngo, qui fait partie du comité de direction.

La sénatrice Fraser : Toujours sur la question de l'isolement cellulaire, que pouvez-vous nous dire maintenant des suites des modifications de la politique d'octobre 2015, sur la population, de préférence à l'échelle annuelle ou semi- annuelle si ce n'est pas possible? Combien de détenus du système sont mis en isolement cellulaire au cours d'une année et pendant combien de temps? Combien le sont plus de 15 jours, le maximum autorisé par les règles Mandela? Combien plus de 60 jours et combien plus de 90?

Mme Kelly : J'ai à mes côtés le chef de la résultologie, qui possède toutes ces statistiques.

M. Motiuk : Nous pouvons certainement vous donner des précisions sur les statistiques, mais le nombre de personnes en isolement préventif tourne autour de 350. Il y a trois ou quatre ans, c'était 800. C'est une diminution spectaculaire que je chiffrerais approximativement à 50 p. 100, mais elle se maintient à ce très bas niveau depuis les modifications d'octobre 2015.

Nous mesurons trois paramètres : le nombre d'admissions en isolement; la durée de l'isolement et le nombre de personnes en isolement. Nous venons de parler de ce dernier paramètre. Le nombre d'admissions tourne autour de 8 000 par année. Il a baissé à environ 6 500, l'année dernière. La baisse du nombre de personnes placées en isolement a été spectaculaire.

La sénatrice Fraser : Vous en avez seulement 13 000.

M. Motiuk : Oui, mais il pourrait y avoir des admissions multiples.

La sénatrice Fraser : J'essaie d'avoir une idée du nombre de personnes admises et de la durée de leur isolement.

M. Motiuk : En gros, il y en a 6 500 par année.

La sénatrice Fraser : Oui, mais vous dites que ça comprend les admissions multiples; donc les individus par rapport à ceux qui sont admis plusieurs fois.

M. Motiuk : Je ne pourrai pas vous citer ces chiffres de but en blanc, mais je peux les trouver. Il y en aurait beaucoup moins que 6 500. Il y en aurait en gros, par année, 4 500 détenus placés en isolement.

La sénatrice Fraser : Pendant combien de temps? Quelle est la moyenne? Plus de 15 jours, plus de 60 ou plus de 90?

M. Motiuk : L'année dernière, la moyenne était d'environ 24 jours.

La sénatrice Fraser : Madame Kelly, vous avez parlé d'une baisse de 60 p. 100 du nombre de personnes gardées en isolement plus de 60 jours. À combien est-ce que ça nous amène maintenant?

Mme Kelly : Je n'ai pas le chiffre. Il y a eu diminution de 70 p. 100. Je pourrai le chercher et vous le communiquer.

La sénatrice Fraser : J'ai une petite question sur le sujet légèrement différent de la double occupation des cellules, également contraire aux normes internationales. Sous le gouvernement précédent, c'était devenu accepté dans le système canadien. Quel est notre taux actuel?

M. Motiuk : Il tourne autour de 11 p. 100.

La sénatrice Fraser : Quelle est la politique officielle? Vous avez des énoncés de principes en la matière. Les énoncés officiels ont-ils changé?

Mme Kelly : Le taux de double occupation est légèrement inférieur à 10 p. 100. Encore une fois, beaucoup d'efforts ont été faits. Nous avons deux types de cellules : des cellules simples et des cellules partagées. Les simples sont conçues pour un détenu. Par exemple, à l'établissement Mountain où j'ai travaillé, dans la région du Pacifique, les cellules sont partagées et conçues pour deux détenus.

La sénatrice Pate : Vous ne les comptez pas comme de la double occupation.

Mme Kelly : Non. La double occupation, c'est deux détenus dans une cellule conçue pour un seul. C'est essentiellement deux lits superposés.

La sénatrice Fraser : Combien de détenus seraient dans des cellules partagées?

M. Motiuk : Je l'ignore.

La sénatrice Fraser : Je m'arrête ici, monsieur le président, mais peut-être que les témoins pourraient fournir les renseignements au comité.

Le président : Oui, ce serait utile.

Mme Kelly : Nous avons mis beaucoup d'efforts et d'énergie à réduire le taux de double occupation, à cause de la fermeture d'établissements, mais nous avons construit de nouvelles cellules. Ç'a aidé à atténuer le problème. Actuellement, ça fait l'objet d'une surveillance constante. Nous privilégions aussi les transfèrements pour réduire le taux de double occupation. Il a diminué, et ce n'est pas fini.

La sénatrice Pate : J'ai eu la chance et le privilège de travailler avec nos quatre témoins au cours des 25 dernières années, en particulier. Je suis donc heureuse de les revoir.

Je tiens à débuter par une observation, puis je poserai des questions, dont certaines vous obligeront peut-être à vous renseigner.

J'en conviens, le Canada possède l'un des ensembles de lois les plus claires du monde pour la protection des détenus. Nous avons toujours été un chef de file dans ce domaine. Ceux, parmi vous, qui y travaillent font de leur mieux, à l'intérieur de ce cadre, mais je sais aussi que lorsque vous vous présentez ici, vous devez offrir le meilleur point de vue possible de ce qui se passe à l'intérieur de Service correctionnel Canada.

La vice-présidente vous a posé une question. Comme vous le savez, la présidente actuelle de la Commission canadienne des droits de la personne a été la première présidente indépendante à visiter les prisons et à acquérir une connaissance de première main de ce qui s'y passait. Je ne m'attends pas à ce que vous vous dénigriez Service correctionnel Canada ni le travail de vos collègues, mais il serait utile au comité de pouvoir examiner certains éléments, dans deux ou trois domaines.

Pour revenir aux observations de la sénatrice Fraser sur les coûts et les statistiques, si vous les avez ici, tant mieux, mais, sinon, vous pourriez communiquer au comité le nombre d'accords sous le régime de l'article 29 qu'il reste à conclure et leur coût, idem pour ceux qu'il reste à conclure sous le régime des articles 81 et 84 ainsi que les endroits concernés. Ce serait très utile. De même, quelle a été la nature des négociations sur les accords d'échange de services, particulièrement de soins médicaux?

Jennifer Wheatley et moi avons eu des discussions à ce sujet dans le passé, particulièrement en ce qui concerne les femmes. Malgré les obstacles, quels efforts a-t-on déployés pour pouvoir conclure des accords sous le régime de l'article 29 en matière de santé mentale, compte tenu des accords sur l'échange de services fournis selon les modalités actuelles, dans d'autres sortes de situations d'urgence?

Vous pourriez communiquer le nombre de fois qu'il a été fait usage de la force dans le réseau de prisons et le coût de ces recours, ventilés par région si ce n'est pas par établissement; le nombre de jours-lits en isolement et le coût de ces jours-lits, ventilés de préférence par sexe et établissement.

Vous pourriez aussi nous communiquer le nombre des transfèrements ainsi que leur coût et motifs; le nombre de confinements aux cellules ainsi que leur coût et motifs; enfin, la méthode que vous envisagez d'appliquer, compte tenu du nombre de cas survenus dans notre pays, à certains des nouveaux mécanismes ou à la résolution des difficultés d'application des principes découlant de l'arrêt Gladue à l'alinéa 718.2e) du Code criminel ainsi qu'aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation sur votre travail. Je ne m'intéresse pas seulement à vos plans, mais aussi à ce qui se fait déjà sur ces questions.

J'ai des observations sur certains emplois de l'isolement, mais, pour les besoins de notre comité, ce serait certains des renseignements les plus utiles à obtenir immédiatement.

Le président : Il serait aussi utile d'obtenir ceux qui portent sur les articles 29, 81 et 84 dans un précis, s'ils sont accompagnés d'un résumé très succinct de ces articles. C'est susceptible d'intéresser certains de nos téléspectateurs et ce serait utile dans la réponse ou dans la question. C'est facile.

Mme Kelly : Peut-être pourrais-je parler un peu de ce que nous faisons pour les délinquants autochtones. J'en suis enthousiasmée. Je parlerai surtout des délinquants masculins; Kelley pourrait parler des délinquantes; Larry, certainement de la recherche; Jennifer, de la santé mentale.

La surreprésentation des délinquants autochtones est une priorité du gouvernement et du Service correctionnel, où le nombre de délinquants qui nous sont confiés échappe à notre volonté. Cependant, nous devons les préparer à la prochaine date de leur admissibilité à la libération conditionnelle, et leur dossier peut être présenté à la commission des libérations conditionnelles.

En ce qui concerne la surreprésentation, 26 p. 100 de la population carcérale relevant de Service correctionnel est constituée d'autochtones de sexe masculin, 36 p, 100 de sexe féminin.

Les délinquants autochtones constituent environ 24 p. 100 des nouvelles admissions.

Les délinquants autochtones que nous voyons sont plus jeunes que les délinquants non autochtones. M. Motiuk pourrait certainement vous en parler, parce que, chez les moins de 35 ans, la proportion est respectivement de 51 et de 38 p. 100. Ces 51 p. 100 de délinquants autochtones de moins de 35 ans est une preuve de l'augmentation de cette catégorie.

Ils sont aussi plus susceptibles : d'avoir purgé des peines antérieures pour jeunes ou adultes, 33 contre 26 p. 100; d'être incarcérés pour une infraction plus violente, 78 contre 66 p. 100; d'être exposés à de plus grands risques, 58 contre 24 p. 100; d'avoir de plus grands besoins, 59 contre 44 p. 100; d'avoir plus tendance à faire partie d'une bande, 18 contre 8 p. 100; d'être toxicomanes, 76 contre 42 p. 100; d'avoir des problèmes de santé mentale, 83 contre 60 p. 100. Chez les femmes, il faut aussi ajouter des antécédents d'agressions sexuelles, physiques ou les deux.

Notre approche consiste à offrir des programmes et des services adaptés aux réalités culturelles dans les collectivités autochtones. Nous avons ce que nous appelons le programme correctionnel intégré pour Autochtones. Il a été élaboré en consultation avec les aînés. Les aînés participent également à la prestation du programme.

Si nous examinons notre approche envers les services correctionnels pour Autochtones, nous suivons les étapes du continuum de la prise en charge des délinquants autochtones. Le processus commence à l'évaluation initiale. Nous effectuons une évaluation exhaustive des délinquants autochtones. Au lieu d'avoir un plan correctionnel, qui est le plan à suivre pour la durée de la peine, nous avons un plan de guérison. Nous tenons également compte des antécédents sociaux des Autochtones. C'est une approche sur laquelle nous nous concentrons. Nous faisons également participer les agents de développement auprès de la collectivité autochtone si le délinquant souhaite réintégrer sa collectivité pour pouvoir planifier son retour. C'est ce que nous appelons un plan de libération aux termes de l'article 84, dans le cadre duquel nous faisons participer la collectivité autochtone.

Nous offrons des programmes correctionnels qui ciblent des facteurs criminogènes. Ce sont des programmes destinés aux Autochtones. Pour ce qui est des interventions, nous avons les aînés qui offrent des conseils et du counseling. Nous avons des interventions dans le cadre des Sentiers autochtones. Il s'agit essentiellement d'une unité. Ce sont des interventions dirigées par des aînés, des interventions de guérison intensives, destinées aux délinquants qui s'engagent à suivre un cheminement traditionnel.

Nous avons également des pavillons de ressourcement. Ces pavillons sont en grande partie des établissements à sécurité minimale qui favorisent la culture et les enseignements autochtones, et nous travaillons encore là en étroite collaboration avec la collectivité autochtone.

Pouvons-nous faire plus? Oui. Récemment, il y a eu le rapport du BVG sur la préparation des détenus à la mise en liberté qui renferme plusieurs recommandations. Nous avons accepté toutes les recommandations. Nous travaillons de manière proactive à préparer les dossiers des délinquants autochtones pour qu'ils puissent être remis en liberté le plus tôt possible, surtout dans le cas des délinquants à faible risque. Nous augmentons la disponibilité des programmes destinés aux Autochtones et l'accès à ces programmes. Nous validons actuellement nos outils d'évaluation et élaborons de nouveaux outils adaptés à la culture. M. Motiuk peut sûrement vous parler de ces outils.

Nous veillons à ce que le personnel tienne compte de l'incidence des antécédents sociaux des Autochtones. Beaucoup de travail a été fait à cet égard. Nous nous sommes beaucoup améliorés pour documenter les antécédents sociaux des Autochtones. Nous donnons des directives à notre personnel sur la façon de tenir compte des antécédents sociaux des Autochtones et d'examiner les options possibles.

De plus, en ce qui concerne les cheminements, nous déployons de nombreux efforts, car en ce moment, les membres de notre personnel peuvent dire que les délinquants ont participé aux Sentiers autochtones, mais qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie normalement qu'ils travaillent avec un aîné et qu'il y a moins d'incidents liés à la sécurité et de résultats positifs aux analyses d'urine. Nous voulons que le personnel explique davantage ce que la participation aux Sentiers autochtones signifie. Nous continuons de collaborer avec les collectivités autochtones pour appuyer la réinsertion sociale des délinquants.

Je répète que l'on consacre beaucoup d'énergie dans ce secteur.

La sénatrice Pate : L'article 29, pour la gouverne de ceux qui nous écoutent et du comité, permet à Service correctionnel Canada de transférer vers d'autres établissements de santé et d'autres installations des individus sous sa garde. C'est un mécanisme où les gens qui souffrent de graves problèmes de santé mentale, plutôt que d'être placés en isolement ou en prison, pourraient être dans des établissements psychiatriques. Il y a eu des discussions, et Mme Kelly peut nous faire part de son point de vue sur l'efficacité des négociations avec les provinces jusqu'à présent. L'ensemble des provinces et des territoires ont conclu des ententes de service avec Service correctionnel Canada. Par exemple, si une personne a une crise cardiaque ou a besoin de soins médicaux urgents, elle peut y être conduite immédiatement. Des dispositions de la sorte n'ont pas forcément été négociées aussi vigoureusement en ce qui a trait à la santé mentale, à moins qu'une situation survienne.

Les articles 81 et 84 portent sur la capacité des services correctionnels de réintégrer des individus dans leur collectivité. Il est largement reconnu que cela ne s'applique qu'aux détenus autochtones, mais ce n'est pas vrai, car le paragraphe 81(2), par exemple, stipule que cela s'applique aux détenus racialisés et non racialisés. C'est applicable à tout le monde.

L'article 81 permet aux délinquants de purger leur peine ou leur détention dans la collectivité sous le parrainage d'un groupe, et l'article 84 leur permet de passer leur mise en liberté sous condition ou leur libération conditionnelle dans la collectivité.

Allez-vous nous fournir les données sur les coûts plus tard, ou avez-vous ces chiffres?

Mme Kelly : Je vais devoir vous les fournir plus tard.

La sénatrice Pate : Je voulais vous interroger également sur les diverses formes d'isolement. Même quand l'isolement est un état, et non pas seulement un endroit, lorsque vous faites des observations médicales ou offrez des soins psychiatriques intensifs, ce sont là des formes d'isolement en vertu de la loi. Je sais que les services correctionnels ne les considèrent pas toujours comme étant des formes d'isolement, mais nous aimerions connaître ces chiffres et ces coûts également, s'il vous plaît.

Le président : Le temps est toujours notre ennemi. Vous pouvez peut-être répondre à cette question, madame Wheatley. Nous avons 15 minutes. Vous allez revenir témoigner, mais si vous pouviez répondre de façon concise, nous vous en serions reconnaissants.

Mme Wheatley : Pour vous donner un peu de contexte sur les ententes de service avec des hôpitaux au pays, nous avons certainement la capacité en matière de soins physiques et mentaux d'amener les gens à l'hôpital situé le plus près de l'établissement s'ils ont besoin de soins intensifs en cas d'urgence.

Nous avons un lit d'hôpital et un lit pour soins de santé mentale intermédiaires pour une femme sur sept femmes détenues. Pour les hommes, c'est un lit d'hôpital et un lit pour soins de santé mentale intermédiaires pour un homme sur 17 hommes détenus. Cela démontre que la prévalence est plus élevée chez les femmes détenues que chez les femmes dans la communauté et plus élevée que chez les hommes détenus. Cela inclut nos lits et la collectivité.

La sénatrice Pate : Combien y en a-t-il dans la collectivité et combien y en a-t-il dans vos prisons?

Mme Wheatley : Pour les femmes, nous avons un partenariat de longue date avec l'Institut Philippe-Pinel de Montréal. À l'Institut Pinel, nous avons 17 lits d'hôpitaux pour les femmes et 3 pour les hommes. Nous avons également un protocole d'entente avec le groupe de travail voué aux soins de santé de l'Hôpital Royal Ottawa pour deux lits d'hôpitaux pour femmes à l'établissement de Brockville. Nous négocions avec l'East Coast Forensic Hospital pour avoir accès à des lits pour femmes dans les maritimes.

Assurément, le ratio d'un lit en soins de santé mentale pour sept femmes reflète notre capacité et celle de nos partenaires communautaires. C'est beaucoup, mais comme nous le reconnaissons depuis un certain nombre d'années, c'est un obstacle à l'accès à des soins pour les femmes. À l'heure actuelle, la majorité de nos soins sont offerts à Brockville, à Montréal ou au Centre psychiatrique régional dans les Prairies. Nous cherchons notamment à obtenir des soins destinés aux femmes dans les hôpitaux qui sont situés plus près de leur établissement d'attache pour éviter qu'elles soient loin du soutien des membres de leur collectivité et de leur famille.

La sénatrice Pate : À titre de précision, êtes-vous en train de dire que Brockville n'est plus un projet pilote et que le centre a désormais un contrat permanent pour offrir deux lits?

Mme Wheatley : Nous avons signé un protocole d'entente avec Brockville, oui.

La sénatrice Pate : Est-il assorti d'une date limite?

Mme Wheatley : Je crois que c'est un protocole d'entente de cinq ans. Il a été signé il y a environ trois ans.

La sénatrice Bernard : Madame Kelly, je vous remercie de votre témoignage et de vos réponses. Je ne m'attends pas à ce que vous répondiez à ma question aujourd'hui, comme le temps presse, mais j'espère que vous nous fournirez une réponse.

J'ai été ravie de vous entendre parler des deux groupes démographiques auxquels il convient de porter une attention plus précisément, mais j'aimerais vous interroger sur un troisième groupe : les délinquants de race noire.

Nous savons qu'entre 2005 et 2015, la population de délinquants de race noire dans les établissements fédéraux a augmenté de 69 p. 100 et, en 2013, le Bureau de l'enquêteur correctionnel a indiqué que ce groupe représentait 9,3 p. 100 de la population carcérale fédérale, alors qu'il constitue environ 2,9 p. 100 de la population au Canada.

J'aimerais connaître les statistiques les plus récentes. J'aimerais également connaître la position de SCC. On nous a parlé des priorités pour les femmes et les Autochtones, que j'appuie sans réserve. La question n'est pas de savoir si ces groupes devraient être considérés comme prioritaires. La question consiste davantage à connaître la position de SCC relativement aux délinquants canadiens de race noire et aux délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles.

Je ne vous ai pas entendu parler dans vos remarques liminaires du travail que fait le groupe ethnoculturel. Je pense que notre comité devrait en apprendre davantage sur ce travail, mais également sur les statistiques actuelles sur ce groupe et sur les efforts qui sont déployés pour répondre aux droits de la personne de ce groupe.

Mme Kelly : Notre travail consiste certainement à répondre aux besoins des délinquants. Pour ce qui est du nombre de délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles, mon collègue a cette donnée.

Nous avons reçu des représentants du Comité consultatif ethnoculturel dans la région lorsque j'étais la sous- commissaire régionale, et ce comité existe encore. Les sous-commissaires régionaux rencontrent le Comité consultatif ethnoculturel régional régulièrement, qui leur offre des conseils. Ils ont également l'occasion de se rendre dans des établissements et de s'entretenir avec des délinquants appartenant à des minorités visibles. Le Comité consultatif ethnoculturel rencontre aussi régulièrement le commissaire et les cadres supérieurs pour discuter des besoins des délinquants appartenant à des minorités visibles et de la façon dont nous pouvons le mieux y répondre.

La sénatrice Bernard : Comme je l'ai dit, je ne m'attendais pas à obtenir une réponse aujourd'hui, faute de temps. Nous ne disposons pas de suffisamment de temps pour que vous puissiez répondre à cette question de façon détaillée. Je vous invite à nous fournir une réponse plus tard.

Le président : J'assure à la sénatrice Bernard que le comité de direction se réunit demain. Pour ce qui est des délinquants de race noire dans les prisons canadiennes, les témoins qui les représentent aborderont la question. Sachez que nous comptons accorder autant de temps à cette question et entendre le même nombre de témoins. C'est un sujet très important que vous avez soulevé.

La sénatrice Bernard : Je pourrais peut-être ajouter des noms à votre liste de témoins.

Le président : Absolument. Nous sommes tout près et à votre service.

La sénatrice Omidvar : Je vais rapidement poser ma question. Je m'intéresse aux femmes détenues dans les établissements à sécurité minimale. J'aimerais savoir si vous êtes en mesure de mettre en œuvre les recommandations formulées par le Bureau de l'enquêteur correctionnel et d'autres recommandations qui portent sur l'utilisation accrue des permissions de sortir, des placements à l'extérieur, des possibilités d'emploi et des programmes de formation professionnelle pour ce groupe.

Pourriez-vous nous parler des personnes qui font partie de ce groupe? À la lumière des remarques de ma collègue Pate, je sais que les femmes autochtones sont surreprésentées dans ce groupe. J'aimerais comprendre l'autre ventilation également. Je connais la situation des hommes de race noire, mais j'ignore ce qu'il en est pour la représentation des femmes de race noire.

Mme Kelly : Mme Blanchette est la sous-commissaire pour les femmes, alors je vais lui laisser le soin de vous répondre.

Kelley Blanchette, sous-commissaire pour les femmes, Service correctionnel du Canada : Je n'ai pas en tête les pourcentages actuels et passés des placements à l'extérieur et des permissions de sortir. Nous pourrons vous les faire parvenir, à moins que M. Motiuk ait ces chiffres en tête.

Vous vous intéressez aux femmes détenues dans les établissements à sécurité minimale. Nous avons cinq prisons régionales pour femmes et un pavillon de ressourcement, qui appartiennent au SCC et qui sont gérés par lui. Il y a des établissements à niveaux multiples où sont détenues des femmes délinquantes à sécurité minimale, moyenne et maximale.

À quatre établissements, nous avons récemment construit des unités à sécurité minimale à l'extérieur du périmètre clôturé, bien qu'il y ait également des unités à sécurité minimale à l'intérieur du périmètre clôturé. Les femmes délinquantes à sécurité minimale et moyenne vivent dans des unités résidentielles où elles ont leur propre chambre. Elles doivent assumer des responsabilités telles que faire l'épicerie, commander des aliments à partir d'une liste, faire leur lessive, cuisiner leurs propres repas, et cetera. On reproduit l'environnement communautaire afin d'assurer une transition plus harmonieuse lorsqu'elles réintégreront la collectivité. Comme le temps presse, je vais m'arrêter ici, mais je voulais vous fournir à tous un peu de contexte. Nous vous ferons parvenir les données sur les placements à l'extérieur et les permissions de sortir.

Le président : Nous vous réinviterons à témoigner. Cela ne fait aucun doute. Nous aurions pu passer deux heures sur ce sujet. Il y a toujours deux côtés à chaque histoire, alors nos prochains témoins jetteront un nouvel éclairage sur le travail que vous faites.

Je dis toujours, et je le pense sincèrement, que nous sommes reconnaissants du travail que les fonctionnaires font. Il est important de le souligner. Ce n'est pas une interrogation, mais une conversation pour mieux comprendre la situation afin de proposer dans notre rapport des mesures logiques à prendre à l'avenir.

La sénatrice Andreychuk : J'ai de nombreuses questions, mais je vais me concentrer sur un sujet qui m'intéresse. La population carcérale a changé. Lorsque j'ai commencé à travailler dans le système correctionnel, il y avait très peu de femmes. Il y en a maintenant beaucoup plus. Il y a certainement un plus grand nombre de membres issus des collectivités autochtones et d'autres groupes qui sont incarcérés.

Ce qui me préoccupe, c'est souvent les gangs, les chefs de gang plus précisément, qui se retrouvent dans la population carcérale. Ils semblent avoir accès à la collectivité et influencent les jeunes. Quelles sont les règles? Quel genre d'accès les détenus ont au groupe extérieur auquel ils appartenaient? Je crains que cela élargisse le cercle des détenus qui retourneront en prison. Les collectivités commencent à reconnaître cette situation et à travailler avec les jeunes qui sont pris au piège dans ces gangs.

Le problème de la drogue dans les prisons semble s'être aggravé, alors qu'avant, le problème qui se posait, c'était notamment la contrebande de cigarettes et peut-être un peu aussi la fabrication de substances dans la prison. Comment la circulation de drogues dans les prisons est-elle surveillée? Quelles sont les règles à cet égard?

Est-ce deux problèmes qui prennent de l'ampleur, à savoir les drogues et les liens entre les membres de gangs qui sont en prison et ceux qui ne le sont pas?

Mme Kelly : Pour commencer avec la toxicomanie, c'est un défi. Nous reconnaissons la prévalence de la toxicomanie chez les délinquants, mais nous avons une stratégie exhaustive qui comporte des volets de prévention, d'intervention, de traitement et d'exécution de la loi.

Premièrement, nous augmentons la sensibilisation aux conséquences négatives. Certaines de ces conséquences peuvent être fatales. L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés plus précisément à l'heure actuelle est le fentanyl. Ce sera un problème auquel nous serons confrontés à l'avenir. C'est 100 fois plus puissant que la morphine. Nous entendons parler du W-18. C'est semblable. Il y a des décès dans les collectivités. C'est un problème réel pour nous.

Les services de santé ont placé des affiches pour encourager les détenus à ne pas consommer du fentanyl ou n'importe quelle autre substance car ils ne savent pas ce que l'on a ajouté à ces substances. Nous offrons de la méthadone aux délinquants également. Nous fouillons les délinquants, les visiteurs, les édifices et les cellules. Nous avons des détecteurs ioniques. Nous avons des chiens détecteurs de drogue. Nous avons de bonnes capacités en matière de renseignement pour surveiller les activités des détenus et la contrebande possible. Nous faisons appel à la police, au besoin. De toute évidence, nous faisons tout en notre pouvoir pour empêcher l'introduction de drogues dans les prisons. On dirait que chaque fois que l'on réussit à colmater une brèche, une autre s'ouvre ailleurs, mais on prendra certainement des mesures pour s'attaquer à l'un des défis, à savoir les drogues synthétiques.

Pour ce qui est des gangs dans les établissements, nous avons des délinquants qui appartiennent à différents types de gangs et, par conséquent, nous devons les séparer. Certains détenus ne peuvent pas en côtoyer d'autres, alors nous les séparons.

La sénatrice Andreychuk : Dans le cadre de nos discussions futures, nous pourrons parler de la prévalence qui mène à la violence, si vous avez deux gangs rivales qui mènent leurs activités dans un même quartier et qui se retrouvent en prison. Je suis davantage inquiète pour les jeunes qui sont recrutés par les gangs pour toutes sortes de raisons, car il faut empêcher les membres clés de ces gangs qui se sont fait prendre et réduire les contacts qu'ils ont avec les nouveaux membres, qui peuvent leur rendre des services à l'extérieur de la prison.

Comment jonglez-vous avec les deux pour vous assurer de ne pas grossir leurs rangs, tout en aidant ceux qui ont encore bon espoir de réinsertion sociale à se défaire de l'influence exercée par les anciens qui les ont attirés dans ce milieu en premier lieu?

M. Motiuk : Les stratégies de gestion des gangs et les programmes pour influencer la population carcérale à être un peu plus respectueuse des lois sont au cœur de notre mandat. L'examen des nombreux et divers groupes menaçant la sécurité partout au pays est un défi de tout instant pour le SCC du point de vue du renseignement de sécurité en ce qui concerne les activités et la communication à l'intérieur et à l'extérieur des murs et entre les deux.

Notre stratégie est très bien définie à ce sujet. Vous avez raison. Nous nous préoccupons énormément de la susceptibilité que des détenus soient influencés. Nous avons dernièrement réalisé de nombreuses recherches sur la radicalisation. C'est le même type de phénomène. Certains délinquants sont très susceptibles d'être influencés. Nous savons le type de personnes dont il s'agit. Nous les considérons comme vulnérables à bien des égards et facilement influençables. Nous repérons ces personnes et ceux qui sont susceptibles de le faire. Nous gérons efficacement les cas. Notre personnel correctionnel de première ligne est très attentif à ce qui se passe chaque jour sur le terrain, et nous prenons les mesures qui s'imposent.

Nous décrivons en détail les approches que nous prenons pour réduire ces influences négatives. Au moment de l'arrivée de nouveaux détenus, nous voulons influer sur le chemin qu'ils prendront, soit loin d'un gang ou d'une personne appartenant à un gang. Nous évaluons la situation et nous avons des données sur le nombre de personnes appartenant à un gang et l'ampleur de la situation dans nos établissements carcéraux. Nous pouvons vous faire parvenir ces données pour vous aider dans votre étude.

Le président : Sénatrice Omidvar, vous aimeriez avoir une précision. Nous devons poursuivre la réunion, mais allez- y.

La sénatrice Omidvar : Vous ne m'en tiendrez pas rigueur. Mes questions vont dans un autre sens, mais c'est important que les témoins nous fassent parvenir leurs réponses s'ils ne sont pas en mesure d'y répondre.

Le président : Bien entendu.

La sénatrice Omidvar : Nous essayons de dresser un portrait de ce qui se passe dans le système correctionnel. Cependant, j'aimerais aussi avoir une idée de ce qu'il en est au sujet du personnel de SCC. Quel pourcentage les membres de groupes autochtones représentent-ils au sein de votre personnel? Combien y a-t-il de femmes, de Noirs, et cetera?

Je vous regarde tous les quatre, et je présume que vous représentez la direction. Il y a un écart entre l'image que vous présentez et le portrait de la population carcérale. J'aimerais savoir si c'est un problème systémique. Des mesures ont- elles été prises pour corriger la situation? Il y a tout ce côté de la question.

Mme Kelly : Oui. Nous occupons tous des postes de direction. Pour ce qui est de la répartition, les femmes représentent environ 48 p. 100 du personnel de SCC; les Autochtones, 9,5 p. 100; et les handicapés, environ 5 p. 100.

Par exemple, ma directrice générale des Initiatives pour les Autochtones est membre d'une Première Nation. Nous avons récemment élaboré une approche en matière de planification de la relève pour les Autochtones qui souhaitent gravir les échelons pour occuper des postes de direction. Nous offrirons des programmes, du mentorat et de l'encadrement pour que les Autochtones soient représentés au sein de la direction.

Le président : Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants. Vous reviendrez témoigner devant le comité, et ce, évidemment de votre propre chef. Nous n'avons pas un tel pouvoir, mais nous avons le pouvoir de persuasion et de suggestion.

Nous avons entendu plus tôt les témoignages de représentants du ministère, et nous avons maintenant le plaisir d'accueillir nos amis du deuxième groupe de témoins. Nous avons des représentants de la Société John Howard du Canada : Catherine Latimer, directrice exécutive, et Lawrence DaSilva, ex-détenu fédéral. Nous avons aussi des représentantes de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Diana Majury, présidente, et Alia Pierini, intervenante régionale.

Nous avons le temps pour des exposés. Nous avons plein de questions à vous poser. Cette étude nous enthousiasme énormément. Nous espérons jouer un rôle dans ce qui se passera dans l'avenir dans les établissements et évidemment ce qui se passera à l'extérieur en ce qui a trait à la réinsertion sociale.

Diana Majury, présidente, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Comme le président l'a mentionné, je suis présidente de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. Nous sommes une association qui regroupe les 24 Sociétés Elizabeth Fry au Canada.

Nous travaillons auprès de femmes et de filles marginalisées, victimisées, criminalisées et institutionnalisées. Nous sommes extrêmement heureuses que vous ayez décidé d'entreprendre cette étude. Nous serons ravies de collaborer avec vous dans le cadre de cette étude. Nous vous sommes reconnaissantes de cette première occasion de discuter avec vous de ces problèmes au moment où vous entamez cette importante étude.

Une partie très importante de notre travail de terrain est notre projet Droits de la personne en action dont s'occupent nos équipes d'intervenantes régionales qui visitent chaque établissement fédéral où des femmes sont détenues pour y examiner les conditions de détention et s'assurer du respect des droits de la personne. Nous visitons tous les recoins des prisons, y compris l'isolement, et nous rencontrons chaque mois les comités de détenus élus et l'administration.

Nous écrivons ensuite aux directeurs des établissements après chaque visite mensuelle pour leur décrire les problèmes qui ont été soulevés par les femmes auxquelles nous avons parlé lors de nos visites et demander à ce que des mesures soient prises pour corriger ces problèmes. Nous envoyons une copie de ces lettres à SCC, à la directrice du Secteur des délinquantes, à la Commission canadienne des droits de la personne et au Bureau de l'enquêteur correctionnel.

Nos intervenantes régionales travaillent en équipe pour effectuer bénévolement ces visites. Ce sont des avocats, du personnel des Sociétés Elizabeth Fry, des membres des conseils d'administration et des femmes qui ont déjà connu le milieu carcéral. Ils ont un accès privilégié à des renseignements que les femmes ont peut-être peur de dire à d'autres ou ils entendent parler de problèmes que les femmes ont peut-être perdu espoir de voir se régler ou d'aspects qui contreviennent aux droits de la personne, alors que les femmes n'en sont peut-être pas conscientes.

Je suis ravie d'être accompagnée aujourd'hui par Alia Pierini, qui est l'une de nos merveilleuses intervenantes régionales. Je lui céderai la parole dans un instant.

J'aimerais parler de trois aspects généraux sur lesquels, selon ce que j'en comprends, nos discussions porteront cet après-midi. Ces points se feront l'écho de problèmes que vous avez déjà soulevés, mais je tiens à les répéter.

Premièrement, les problèmes sont endémiques à l'institution même et aux établissements. Je connaissais déjà cette triste réalité, mais cette réalité s'est récemment gravée dans ma mémoire lorsque j'ai regardé le vieux documentaire The Stanford Prison Experiment. Des étudiants collégiaux se sont transformés en stéréotypes classiques de gardiens et de prisonniers après avoir assumé ces rôles dans un milieu carcéral simulé. Si vous n'avez pas vu ce film, vous devez le voir dans le cadre de votre étude. Le titre est Quiet Rage. Vous verrez que la réforme carcérale n'est pas la réponse. Notre objectif doit être d'éviter que les femmes et les hommes se retrouvent dans ces établissements, qui sont en soi une atteinte aux droits de la personne.

Deuxièmement, nous devons nous concentrer sur les femmes les plus marginalisées qui sont surreprésentées dans la population carcérale. Comme vous l'avez déjà mentionné, nous savons qu'au moins de 30 à 50 p. 100 des détenues ont des problèmes de santé mentale, selon la provenance des statistiques. Je suis persuadée que c'est beaucoup plus que 50 p. 100 des détenues qui ont des problèmes de santé mentale. Il peut s'agir de problèmes de santé mentale qu'elles avaient avant d'arriver en milieu carcéral ou des problèmes qui ont été causés par la détention.

Les femmes autochtones représentent 37 p. 100 des femmes purgeant une peine de ressort fédéral. Elles sont fortement surreprésentées dans la population carcérale et les détenus qui meurent en établissement.

Troisièmement, j'aimerais me faire ici l'écho du point qu'a fait valoir la sénatrice Bernard. Les autres femmes de groupes raciaux, en particulier les Noires, dont nous n'avons pas vraiment parlé dans nos discussions, sont grandement surreprésentées dans nos établissements carcéraux et ont des besoins très différents auxquels les autorités ne répondent pas.

Du point de vue des droits de la personne, ce sont tous des motifs d'inégalité et de discrimination. Les prisons exacerbent et exploitent de manière pernicieuse ces inégalités. Le sexe et le genre sont également des motifs liés aux droits de la personne. Les inégalités et les différences entre les genres et les sexes sont des facteurs qui influent énormément sur la manière dont les femmes sont traitées en milieu carcéral. La grande majorité des femmes en établissement ont été victimes de violence et de mauvais traitements durant leur enfance, leur adolescence, leur vie adulte ou souvent les trois.

Dans le domaine de la santé, nous reconnaissons l'importance de tenir compte des déterminants sociaux de la santé. Nous vous exhortons à adopter un déterminant social de la criminalisation. Voilà ce à quoi cela ressemblerait si vous examiniez ces problèmes en tenant compte des droits de la personne. Il s'agit d'un problème systémique. Ce ne sont pas des atteintes aux droits de la personne de certains ou quelques pratiques problématiques.

Enfin, vous avez déjà consacré passablement de temps au grave problème de l'isolement. C'est une stratégie d'évitement. Cela ne règle pas le problème, et cela l'empire. C'est inévitable. C'est inhumain. L'ACSEF, le jury concernant l'enquête sur le décès d'Ashley Smith, la Commission canadienne des droits de la personne, la Commission ontarienne des droits de la personne, Howard Sapers, la semaine dernière, et Louise Arbour, l'an dernier, ont demandé d'abolir l'isolement, en particulier pour les femmes, mais aussi les hommes. L'ACSEF et la Commission canadienne des droits de la personne ont en fait offert de mener une telle initiative en vue de nous pencher sur l'abolition de l'isolement. Une pétition a été présentée au gouvernement fédéral en vue d'examiner les cas de toutes les détenues qui ont été en isolement dans des établissements fédéraux au cours des cinq dernières années et de prendre des mesures correctives nécessaires.

Je vous exhorte à vous lancer dans ce processus avec un esprit ouvert. Si vous pensez dès le départ que certaines pratiques sont une évidence, que nous n'avons pas le choix ou qu'il n'y a pas d'autres solutions, vous ne rendrez pas justice à votre mandat de défendre les droits de la personne. Il y a d'autres solutions. Nous devons seulement nous montrer suffisamment braves pour les trouver et les examiner.

Le meilleur conseil que j'ai à vous donner, tandis que vous entamez votre étude, c'est d'écouter les femmes et les hommes qui sont au courant de la situation qui prévaut dans nos établissements carcéraux. Écoutez notamment Alia.

Alia Pierini, intervenante régionale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je vais probablement moi aussi aborder beaucoup de sujets dont nous avons déjà discuté. Je vais essayer d'être encore plus brève que je l'avais prévu au départ.

Je témoigne aujourd'hui au nom des femmes dans les établissements carcéraux qui ne peuvent pas le faire. Je suis intervenante régionale pour l'ACSEF et j'ai déjà été détenue dans un établissement correctionnel fédéral. Je suis ici aujourd'hui pour donner mon soutien à la demande visant à abolir l'isolement pour les femmes, soit un endroit où trop de femmes, moi y compris, se retrouvent et souffrent mentalement, parce que leurs problèmes de santé mentale ne sont pas traités. Je vous encourage à vous joindre à nous pour contribuer à abolir l'isolement.

À 20 ans, j'étais une jeune délinquante primaire, et je ne me doutais pas des conséquences psychologiques, économiques et sociales que la détention aurait sur ma vie encore aujourd'hui. À cet âge, j'avais perdu tout espoir. J'avais honte, et je me sentais coupable d'avoir abandonné mon fils, ce qui m'a détruite sur le plan émotionnel. J'étais totalement dépassée. Je me rappelle que je passais des heures chaque nuit à essayer de m'endormir. Lorsque je réussissais finalement à m'endormir, j'étais rapidement réveillée par les pleurs de mon fils. Je me réveillais pour aller le nourrir et le changer, puis je me rendais compte que j'étais assise dans une cellule mal éclairée.

Au cours de cette période, ma culpabilité s'est transformée en haine envers moi-même. J'ai plongé dans une dépression, qui me cause encore aujourd'hui des problèmes. Je suis restée en isolement des mois durant. L'isolement était un endroit sombre pour moi. Personne ne devrait avoir à vivre une telle expérience. C'était le premier endroit et la seule fois de ma vie où j'ai envisagé le suicide. Personne ne devrait avoir le sentiment que la mort est préférable à la vie et, encore moins, rester des semaines dans une cellule à ressasser des idées noires.

J'exhorte le comité à envisager de traiter de la question d'une manière qui servirait d'exemple aux autres à l'échelle internationale. Nous devrions non seulement abolir l'isolement préventif, mais je vous demande également d'examiner des solutions pour accueillir des femmes ailleurs qu'en milieu carcéral. Il doit y avoir d'autres moyens de gérer les délinquantes.

Je recommande fortement que nous nous penchions sur l'objectif général non seulement de réformer nos prisons, mais aussi de trouver des solutions pour réduire le nombre de femmes en milieu carcéral. À l'heure actuelle, près de neuf années après ma libération, je ressens des effets psychologiques extrêmes que je n'avais jamais ressentis avant mon séjour en prison. Il y a des jours où je dois aller à l'épicerie, et mon anxiété est telle que je reste assise dans le stationnement à essayer de me convaincre que je n'ai pas vraiment besoin de ces articles ou que ce serait peut-être plus facile si j'allais à un autre magasin. Il m'arrive trop souvent d'aller à un autre magasin et de rester assise dans le stationnement à essayer de me convaincre que je n'ai pas besoin de ces articles. Je retourne trop souvent bredouille chez moi. C'est à ce moment que la honte m'envahit.

Il m'est impossible d'entretenir de relations solides. J'étais en prison de 20 à 24 ans, et cette expérience ne m'a rien appris, mis à part la manière d'y survivre. Ce sont des années importantes de mon développement que je n'ai pas passées dans la collectivité. La majorité des gens de cet âge développent des relations et des amitiés qui dureront toute une vie et entame leur carrière. Or, je croupissais en isolement, et mon état se détériorait de plus en plus.

J'exhorte le comité à se pencher sur les solutions dont il a été question ici aujourd'hui et à voir cela comme un pas dans la bonne direction. L'article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet le transfèrement d'une personne à un hôpital. Les autorités le font majoritairement dans le cas d'urgences médicales graves. Le transfèrement de détenus pourrait facilement se faire à des femmes et à des hommes qui s'occupent des problèmes de santé mentale. Je n'ai jamais personnellement vu un tel transfèrement.

Les articles 81 et 84 pourraient considérablement réduire le nombre de femmes autochtones en milieu carcéral en leur permettant de purger leur peine dans une collectivité autochtone au lieu de leur accorder une libération d'office sans leur donner une chance. J'espère avoir un jour l'occasion de voir ces solutions être utilisées plus souvent que la détention.

J'aimerais rappeler à tout le monde les articles 76 et 77 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui demandent à SCC d'offrir des programmes qui contribuent précisément au succès de la réintégration sociale des délinquants et de collaborer avec les organisations féminines et masculines compétentes, comme la Société John Howard.

J'ai passé les huit derniers mois de ma peine en isolement, sans avoir l'occasion de me préparer à ma libération. J'ai purgé les deux tiers de ma peine en prison, et j'ai été mise en liberté dans une collectivité qui se trouvait à huit heures de chez moi et où je n'avais ni famille ni soutien. Heureusement, j'ai réussi jour après jour à faire tomber les barrières. Je suis reconnaissante d'être assise ici aujourd'hui plutôt que d'être de retour en prison, comme je devrais l'être, si nous nous fions aux statistiques. Je vous encourage à poser vos questions à quelqu'un qui a vécu cette situation. Merci.

Le président : Merci de votre présence. Vous êtes très courageuse.

Catherine Latimer, directrice exécutive, Société John Howard du Canada : La Société John Howard se réjouit que le comité entame une étude sur les droits des prisonniers. Nous avons grandement besoin d'une étude et de mesures correctives dans ce domaine, parce que de graves violations des droits de la personne se produisent en milieu carcéral.

Cette étude tombe à point, puisque la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition aura 25 ans en 2017. Elle se fondait à la base sur le respect des droits de la personne. Nous avons toutefois l'impression qu'elle ne permet plus d'assurer le respect des droits de la personne. En fait, nous essuyons de plus en plus de critiques des comités de l'ONU quant au fonctionnement du système correctionnel du Canada. Dans son sixième rapport périodique sur la conformité du Canada au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le comité de l'ONU somme le Canada d'améliorer les conditions de vie dans les prisons, notamment de réduire la surpopulation, de limiter le recours à l'isolement, de l'éviter complètement pour les personnes atteintes de maladies mentales graves et d'améliorer le traitement des détenus atteints de problèmes de santé mentale.

Cette étude tombe également à point parce qu'en décembre 2015 ont été adoptées les règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, qu'on appelle les Règles Nelson Mandela. Il serait bon d'examiner le respect de ces règles au Canada.

La loi prescrit que les détenus jouissent des droits garantis par la Charte et que la liberté résiduelle ne peut être restreinte qu'en conformité avec les principes fondamentaux de justice. Beaucoup de détenus se sont battus avec acharnement pour préserver leur droit de vote, leur droit à l'application régulière de la loi et d'autres droits de la personne devant les tribunaux, mais ces victoires judiciaires durement gagnées et les droits officiellement protégés par la Charte ne semblent pas suffire pour assurer aux détenus le respect de leurs droits dans les faits. Les droits individuels peuvent être considérés contraires à une gestion efficace et à la sécurité. La culture des prisons n'en est pas une d'affirmation des droits. Sans recours, les droits ne sont pas vraiment des droits.

Les détenus n'ont accès qu'à des recours très limités. Le système des griefs ne fonctionne pas, puisqu'il faut souvent avoir mené un processus de grief du début à la fin pour pouvoir soumettre une question aux tribunaux. Les recommandations de l'enquêteur correctionnel ne sont que consultatives, si bien qu'elles ne constituent pas de mesures directes pour corriger les violations des droits de la personne observées.

Les comités consultatifs de citoyens n'ont qu'un rôle consultatif auprès de SCC, et il est extrêmement difficile pour les détenus d'exercer leurs droits d'habeas corpus de contester toute forme de détention illégale. Ces droits sont d'ailleurs mal compris. L'accès à des conseils juridiques est limité, de même que l'accès aux documents juridiques qui permettraient aux détenus de se représenter seuls.

J'invite d'ailleurs les membres du comité à faire preuve de vigilance à l'égard des histoires de détenus ayant souffert de répercussions négatives pour avoir osé affirmer leurs droits. J'ai entendu dire que ceux qui défendent leurs droits peuvent être vus comme des fauteurs de trouble par la direction et ainsi perdre accès à divers programmes et privilèges.

Les détenus croient que le fait de porter plainte contre Service correctionnel Canada ou de le poursuivre peut mener à des représailles. Quoi qu'il en soit, Shawn Keepness, qui a présenté avec succès une requête d'habeas corpus avec d'autres détenus puis poursuivi l'Établissement d'Edmonton pour dommages, prétend s'être fait délibérément tirer des balles de caoutchouc dans les testicules en conséquence directe de sa poursuite.

La violation des droits protégés par la Charte la plus souvent invoquée par les détenus dans des litiges relève de l'article 7, qui prévoit qu'ils ne peuvent être privés de leur liberté résiduelle qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Malgré les décisions de la Cour suprême réaffirmant ces droits, d'importants abus s'observent dans le système correctionnel, où l'on révoque souvent leur liberté résiduelle aux détenus. Diverses décisions peuvent entraver leur liberté, dont la violation de conditions de libération, les transfèrements non sollicités, les placements en isolement préventif et les placements en unités spéciales de détention.

Dans un jugement récent, qui date du 16 janvier 2017, la Cour fédérale a déterminé, dans l'affaire DeMaria c. Procureur général du Canada, que la Commission des libérations conditionnelles n'a pas respecté son devoir d'équité procédurale. J'espère que nous nous pencherons sur les libérations conditionnelles et le bris des conditions dans le cadre de cette étude.

Le plus souvent, les requêtes d'habeas corpus qui sont accordées relativement à l'isolement préventif se fondent sur le non-respect des principes fondamentaux de justice par les services correctionnels. La perte injuste de liberté va non seulement à l'encontre des droits individuels, mais porte la personne à perdre foi en la primauté du droit et la justice pour tous.

J'ai dressé une liste des dispositions de la Charte et des droits qu'elles protègent, et j'espère que le comité pourra l'examiner en détail, mais pour accélérer les choses, je prendrai directement l'article 12, qui s'applique particulièrement aux détenus. On y trouve le droit garanti par la Charte à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Les tribunaux ont des critères très élevés pour déterminer ce qui constitue de la torture, mais le traitement cruel des détenus n'a pas sa place dans un pays humaniste et progressiste. Dieu merci, on est de plus en plus conscient des torts mentaux et physiques que subissent les personnes en isolement, et il y a de plus en plus de poursuites devant les tribunaux ainsi que d'appels publics afin de limiter cette pratique.

Nous sommes reconnaissants au gouvernement de son engagement à suivre les recommandations du coroner après le décès d'Ashley Smith, et nous avons confiance que les réformes législatives à venir prévoiront un arbitrage indépendant à l'égard des placements en isolement préventif.

Le refus de fournir à une personne des soins de santé mentale ou physique peut constituer de la cruauté. Des maladies chroniques comme le diabète sont souvent gérées d'une façon susceptible d'engendrer des complications plus tard, ce qui va à l'encontre de bonnes pratiques thérapeutiques. Beaucoup de détenus bénéficiant de prescriptions d'anti-inflammatoires se voient privés de médicaments en raison de leur comportement ou des comportements d'autres personnes. Or, le fait d'infliger de la douleur à une personne ne constitue-t-il pas une forme de torture, qu'elle découle de violence active ou d'un refus de traitement contre la douleur?

L'allongement incessant des périodes d'inadmissibilité à la liberté sous condition et le nombre croissant de peines d'une durée indéterminée ne soulèvent-ils pas des inquiétudes quant à la cruauté, comme en témoigne la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Charkaoui. Beaucoup de détenus emprisonnés pour une durée indéterminée ne bénéficient pas des programmes et des évaluations nécessaires pour obtenir une libération.

Les agents de la paix en milieu carcéral peuvent utiliser une force raisonnable dans l'exercice de leurs fonctions, mais il faut accroître la responsabilité à l'égard du recours à une force excessive. Le décès de Matthew Hines, après un recours à la force, s'ajoute aux constats de l'enquêteur correctionnel dans ses rapports sur l'utilisation croissante de vaporisateurs de poivre et les erreurs dans les enregistrements vidéo dans plus des trois quarts des épisodes de recours à la force étudiés, ce qui soulève de graves inquiétudes quant à la surveillance et à la responsabilité associées à l'utilisation de la force.

Des détenus font état de l'emprisonnement conjoint de détenus incompatibles dans des espaces confinés, ce qui laisse croire à une cruauté délibérée et à un risque de blessure. Il vaudrait également la peine d'enquêter sur les allégations de certains détenus en détresse psychiatrique, à qui l'on dirait de se tuer. Les prisons sont des milieux difficiles, mais les détenus vulnérables en raison du déséquilibre des pouvoirs ne devraient pas subir de cruauté.

J'invite les membres du comité à étudier chacune des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, qu'on appelle les Règles Nelson Mandela, pour évaluer à quel point elles sont respectées dans le système correctionnel fédéral. Selon la première de ces règles, tous les détenus devraient être traités avec respect quant à leur dignité inhérente et à leur valeur humaine. Or, beaucoup trop de détenus emprisonnés dans des établissements à sécurité maximale me dépeignent une atmosphère de harcèlement et d'irrespect de la part du personnel.

Il est essentiel de parler avec des détenus et d'ex-détenus pour bien comprendre quels sont les droits respectés ou non derrière les barreaux. Il y a un grand écart entre les droits et les protections qu'on trouve dans les documents sur les droits de la personne ainsi que les lois et règlements en la matière, d'une part, et la triste réalité des sombres recoins de nos prisons, d'autre part.

Je remercie les nombreux détenus et ex-détenus qui prennent le temps de me raconter leurs expériences. Ces histoires sont difficiles à concilier avec notre image du Canada, comme pays empreint de compassion et respectueux des règles.

Je vous souhaite beaucoup de succès dans le cadre de cette étude. Les sénateurs sont toujours les bienvenus derrière les portes des prisons. J'espère que vous saisirez l'occasion, individuellement et collectivement, pour aller rencontrer des détenus et parler avec eux de ce qu'ils vivent là-bas.

C'est Ronald Regan qui disait : « Toute violation des droits de la personne, où qu'elle ait lieu, est l'affaire des gens libres partout. »

Le président : Nous parcourrons le pays dans le cadre de nos délibérations et nous irons visiter les prisons qui nous sont recommandées.

Lawrence DaSilva, ex-détenu fédéral, Société John Howard du Canada : Bonjour à tous. Il nous a fallu beaucoup de temps pour nous rendre ici, mais je suis content d'être là.

Je m'appelle Lawrence DaSilva. J'ai été récemment libéré de prison, il y a 164 jours. Ceux qui ne me connaissent pas sont au courant de certaines choses que j'ai faites. Quand j'étais jeune, j'ai kidnappé un avocat et sa femme et volé leur voiture dans la rue. J'ai finalement été condamné à 19 ans d'emprisonnement, et j'ai purgé chaque jour de ma peine.

À titre de détenu fédéral, je vous dis qu'il y a beaucoup de gens qui viennent vous parler de bonne foi. Ils ont chacun leurs propres intérêts, leur propre interprétation des problèmes à corriger. Que Dieu les bénisse, tout le monde a droit à son opinion. Cela dit, le fait est que les personnes présentes dans cette pièce n'arriveront à rien si nous ne nous écoutons pas les uns les autres, tant sur les questions de sécurité que sur les questions des droits de la personne. Il y a beaucoup de confusion quant aux limites entre les deux.

À l'heure actuelle, les détenus membres de gangs sont placés en isolement et transférés. Ils se font arrêter en vertu de la loi adoptée par le Parlement lui-même, et plus précisément des paragraphes 97(1) et (2). Quand un détenu est placé en isolement ou transféré d'un point A à un point B, il s'agit dans les faits d'une arrestation, mais le Parlement n'a pas tenu compte du fait qu'il n'y avait pas de disposition d'application régulière de la loi, qui pourrait comprendre, par exemple, le recours à un arbitre indépendant pour traiter le cas des hommes et des femmes accusés de ce genre de choses dans les prisons.

Le fait est que la primauté du droit dit une chose quand on se fait arrêter. Chacun a le droit de connaître les renseignements invoqués contre lui. Cette règle nous protège à l'extérieur, dans le monde libre, mais les détenus ne sont pas protégés par cette disposition en prison en raison des renseignements en matière de sécurité qui figurent dans ces documents.

Le fait est que j'ai été accusé d'influence à l'Établissement d'Edmonton. En 2010, j'ai été placé en isolement pour toutes sortes d'accusations de perturbation plutôt vagues, sous prétexte que j'influençais divers détenus. Il n'y avait aucune description des faits.

C'est illégal, parce que j'ai été arrêté, mais que je ne pouvais pas me défendre contre les renseignements qui pesaient contre moi. J'ai été placé dans une position de très grande vulnérabilité. La loi dicte que nous avons le droit d'appeler un avocat, mais l'avocat ne peut intervenir nulle part pendant le processus.

Vous devez comprendre que sans arbitre indépendant, si la loi ne confère pas de pouvoirs d'arbitrage à quelqu'un, comme le recommandait la Cour suprême dans son arrêt de 2005 sur l'affaire May c. Établissement Ferndale, qui expose très clairement que le système des griefs est dysfonctionnel et qu'il n'y a pas de recours, les personnes qui se font prendre n'ont aucun moyen d'obtenir libération après leur arrestation.

J'ai passé moi-même 2 580 jours en isolement à l'issue de cette peine. Cela correspond à environ six ans. Je ne vous raconterai pas d'histoires. Je causais beaucoup de problèmes. Je n'étais pas un ange. J'ai fait autant de mal que j'en ai subi, mais en même temps, j'étais capable d'accepter l'idée de me faire arrêter en toute légalité, de comparaître devant un tribunal et d'être envoyé au pénitencier.

Tous les jours de ma vie, je l'ai accepté, et j'ai accepté toutes les accusations qui ont été portées contre moi. Vous pouvez consulter mon dossier de A à Z. Vous pouvez consulter mon casier judiciaire. Vous pouvez lire tout le bordel qui s'y trouve. Je vous donne accès à toute l'information. Lisez-la. Cela brosse un portrait transparent de la réalité. Il y a d'autres personnes qui viennent comparaître devant vous et qui s'entretiennent avec vous à titre de patrons. Ces patrons ont pris des décisions contre moi, qui ont mené à une arrestation de sept ans parce que quelqu'un aurait dit qu'il y avait un problème de gang.

Puisqu'on parle de radicalisation, je suis également musulman. On m'a accusé d'être le chef d'un gang musulman à l'intérieur de l'unité d'isolement.

Je vous soumets cette réflexion : si une personne comme moi, qui a été emprisonnée pour des choses graves, menaçait des gardiens dans la communauté et si j'étais à la tête d'une organisation criminelle comme celle qui a été décrite un peu plus tôt ici, comment se fait-il qu'aucune accusation n'ait été portée contre moi? On dit que la police a un rôle à jouer là-dedans. Elle n'intervient pourtant que quand un détenu attaque un autre détenu ou que des détenus attaquent des gardiens. Les policiers ne sont pas intervenus dans mon cas, comme dans bien d'autres.

La force a souvent été utilisée contre moi, je compte environ 48 recours à la force contre moi. J'ai été accusé de plus de 250 infractions graves, de nature disciplinaire. Quand on se fait arrêter et placer en isolement, on devrait être informé clairement des raisons qui le justifient et de l'information sur laquelle ces accusations se fondent. Par exemple, si l'on se bat avec un autre détenu, il serait écrit qu'on s'est battu avec tel détenu à telle heure dans tel secteur et que telle personne a rédigé le rapport, et cetera.

Dans les cas d'isolement préventif, la durée de l'isolement est indéterminée. J'ai été immédiatement transféré de l'Établissement d'Edmonton, ballotté d'une prison à l'autre, entre trois établissements de diverses provinces, depuis le pénitencier de la Saskatchewan, jusqu'au dernier, qui se trouvait au Québec, pendant plus de sept ans, sur la base d'accusations sans fondement.

Je vous regarde, et voici ce que je crains : si vous continuez de négliger ces hommes et ces femmes comme cela, ils risquent fort, à leur sortie de prison, de ne pas faire comme moi, de ne pas vouloir essayer de changer les choses, de s'améliorer et de corriger ce qui cloche. À leur prochaine récidive, ce pourrait être si grave qu'ils ne voudront pas retourner là où ils étaient, là où ils ont été terrorisés. On les voit comme des prédateurs, mais une fois au pénitencier, ils se font constamment blesser et victimiser, chaque jour.

Le fait est que si vous renvoyez ces hommes et ces femmes à la rue, vous mettez tout le monde en danger, même ceux qui veulent les aider. Pourtant, ils veulent de l'aide, vraiment. J'ai déjà été cet homme. Je voulais de l'aide et j'avais besoin d'aide. J'ai toujours su que quand j'allais rencontrer la directrice, ce n'était qu'une inspection, ce n'était pas une rencontre entre elle et moi. Il n'y a pas de véritable relation avec le détenu qui permettrait d'établir un lien de confiance, de vraiment commencer à communiquer. Si la primauté du droit ne vaut que dans un sens et qu'elle n'a qu'une couleur, elle ne sera que de cette couleur.

SCC représente l'État. Il est admis que ses agents peuvent avoir recours à une force létale sur des gens comme Matthew Hines, Ashley Smith et Eddie Snowshoe. Combien d'autres? Toutes ces personnes ont des familles. On les transfère alors qu'elles ne sont pas dans un état mental stable. On les transfère d'une cellule où elles ont la télévision, la radio et des vêtements, vers un autre établissement où elles n'ont rien du tout : pas d'articles de toilette, pas de vêtements, rien du tout. La personne est un problème parce qu'elle est en isolement, et c'est de cette façon qu'elle se fait traiter.

En tant que détenu fédéral, je tiens à vous dire ceci. Je n'ai jamais considéré qu'il y avait deux camps : celui des gardiens et celui des détenus. Les gardiens ont un travail à faire. Ils ont choisi cette carrière. Tout ce que je leur demande, c'est d'agir en toute légalité. S'ils arrivent à faire leur travail légalement, je vais les respecter et je pourrai les apprécier comme ils le souhaiteraient dans ce contexte, mais quand on regarde ce qui s'est passé dans le pénitencier de la Saskatchewan, c'est le résultat des décisions du gouvernement de couper dans la nourriture et de négliger les droits des détenus. Les choses ne font que continuer d'empirer jusqu'à exploser.

J'ai peur parce qu'en ce moment même, je sais qu'il y a des hommes qui m'appellent tous les jours parce qu'ils sont détenus illégalement en isolement, sans recours, à moins de pouvoir être entendus par les tribunaux. J'ai présenté une requête d'habeas corpus en Saskatchewan, pour essayer de retourner à Edmonton, puis au Québec. J'ai finalement été entendu après sept ans, dans le cadre de ma requête d'habeas corpus présentée au Québec. Je suis arrivé devant le juge. J'ai invoqué mon droit, mon droit de présenter une requête d'habeas corpus, et le juge a refusé de me laisser parler contre les gens qui me détenaient, des gens qui sont présents dans cette pièce pour parler de vous et de moi, d'eux et de nous.

Je ne veux pointer personne du droit, parce qu'il y en a trois qui sont là pour me pointer du doigt en retour. Je veux vous tendre la main. Voici mon dossier. Je suis prêt à revenir n'importe quand. Je serai là, prêt à répondre à toutes vos questions de mon mieux.

Le président : Merci beaucoup, Lawrence. C'était un témoignage très convaincant.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de nous faire part de votre histoire. Avez-vous entendu les témoignages précédents, quand j'ai posé ma question?

M. DaSilva : J'ai entendu une partie du témoignage de Mme Kelly et les questions que le comité lui a posées.

La sénatrice Ataullahjan : Quand j'ai soulevé la question du placement de personnes vulnérables en isolement cellulaire, on m'a dit que même en isolement, elles ont tout de même accès à des choses. Elles ne peuvent pas se mêler aux autres détenus, mais elles ont accès à toutes leurs choses. Elles ont accès à des leaders religieux si elles le souhaitent. Elles n'ont tout simplement pas la permission de se mêler aux autres détenus. Est-ce que c'était vrai dans votre cas?

M. DaSilva : Non, pas du tout. C'est vrai en ce sens qu'il y a application de la formule. Par exemple, quand une personne est placée en isolement, un médecin viendra la voir. Il posera toujours les mêmes questions de base : Est-ce que ça va? Avez-vous des pensées suicidaires? Avez-vous des problèmes? C'est bref, et tout se passe derrière la porte. C'est totalement déshumanisé. Si je me sentais sur le point de m'infliger des blessures et que vous étiez là, de l'autre côté de la porte, pensez-vous que je pourrais vraiment vous parler de mes plus grandes vulnérabilités?

Mme Pierini : Selon mon expérience personnelle, ils semblent faire leur ronde, simplement parce qu'ils doivent la faire. Oui, il y a du personnel soignant qui vient les voir. Oui, si vous voulez voir un aîné, il viendra vous voir. Cependant, toutes les interactions se passent par la fente de la porte par laquelle on passe les repas. On est assis devant une porte de métal, à regarder quelqu'un par une fente dans la porte, pour essayer d'établir un lien avec le psychologue ou le médecin.

Il n'y a pas de véritable connexion. On reste assis tout seul entre quatre murs. Ce n'est pas parce que le personnel soignant est passé quand on a été mis en isolement, pour pouvoir cocher oui dans ses formulaires et dire que le détenu a rencontré un professionnel de la santé, qu'on peut dire que le détenu a droit à des soins de santé ou à un suivi psychologique adéquats. Comme il l'a dit, il y a une porte entre les deux personnes, et le détenu est déjà dans la cellule.

Pour ma part, j'étais totalement prise dans ma tête, en proie à la dépression, et la dernière chose que je voulais, c'était de parler avec le personnel des services correctionnels, qui allait écrire tout ce que j'allais dire dans mes moments les plus sombres pour qu'on puisse me le rebalancer à la figure devant la Commission des libérations conditionnelles : tel jour, vous avez dit ceci ou cela.

Après que ce soit arrivé une fois, on ne dit plus rien au personnel. Ce n'est pas un endroit adéquat pour faciliter un traitement en bonne et due forme, que ce soit selon une démarche religieuse ou médicale, peu importe. Il n'y a pas d'accès adéquat aux ressources.

M. DaSilva : Ce sont des illusions.

Mme Pierini : C'est déjà assez difficile pour la population carcérale d'obtenir des soins de santé appropriés. Il y a eu des mois où j'avais des pierres aux reins et j'urinais du sang. Il a fallu tout ce temps avant que je puisse voir un professionnel de la santé qui pouvait m'aider concrètement.

Lorsque j'étais en isolement, il pouvait se passer des jours avant que je puisse faire une demande. Une fois qu'ils viennent finalement vous voir — quand cela leur convient —, si vous avez des inquiétudes au sujet de votre santé, vous devez présenter une demande. Cette demande est acheminée à cette personne-ci et à cette personne-là, mais selon mon expérience, ces demandes finissent par se perdre, alors il faut refaire la démarche encore et encore.

M. DaSilva : Revenons brièvement sur ce que vous avez dit au sujet des soins de santé appropriés. Ce que vous devez comprendre, c'est que Service correctionnel Canada n'est pas séparé de Santé Canada. Il n'y a pas de fossé entre les deux. Les services de santé travaillent en collaboration avec Service correctionnel Canada. Ils sont employés par Service correctionnel Canada et ils travaillent avec lui, alors la négligence est commune aux deux. C'est tout cet aspect du ministère dont il est question, et cela rejoint ce qu'elle disait sur les rapports avec le médecin. Service correctionnel Canada ne veut pas que vous preniez de médicaments, car il y a un problème de drogue dans ce milieu.

Si vous avez des maux de dos ou si vous avez des pierres aux reins, allez-vous consulter un médecin et cherchez-vous à vous procurer les médicaments dont vous avez besoin? Si c'est le cas, j'aimerais, moi aussi, aller voir votre médecin, mais je ne peux le faire, car j'ai perdu ma liberté. Au regard de la loi, j'ai toujours mes droits comme le reste des membres de la société. Cela signifie que j'ai droit à des soins de santé adéquats.

Lorsque vous pensez aux personnes qui sont touchées par ces choses, vous devez garder à l'esprit que ce n'est pas qu'un long défilement de dames et de messieurs qui se tiennent tranquilles. Ce sont des gens qui sont en colère à l'égard de ce qui continue de se passer. Lorsque vous vous retrouvez dans une telle situation de vulnérabilité — comme cette femme ici présente, ou comme moi — et que vous vous voyez tomber dans ce trou noir, il est hautement improbable que vous soyez en mesure de parler posément avec qui que ce soit de l'autre côté de cette porte. L'excuse est toujours la même : « Nous manquons de personnel. Il n'y a personne présentement pour vous escorter jusqu'à l'isoloir pour que vous puissiez leur parler. Il y en a d'autres qui attendent. Il y a eu un incident. »

Ce que vous devez comprendre, c'est que lorsqu'il y a un incident, on ferme tout. La santé mentale de cette personne qui est déjà en isolement est mise en attente. Ma santé mentale est mise en attente, comme c'est le cas pour mon bien- être physique, pour mon accès à la cour et à la cantine, pour mes visites et pour mon courriel.

Lorsque cela ne se passe pas de manière appropriée, tous les autres aspects de ma maladie s'aggravent. Le mal se creuse et c'est ce qui finit par me détruire en tant qu'être humain. C'est ce que nous avons vu avec les hommes et les femmes qui ont mis fin à leurs jours dans ces cellules et avec les autres détenus qui, dans cette société sans loi, ont été tués par des gardes.

Nous ne disons rien de nouveau. Le rapport de la juge Arbour a montré qu'il y avait une sous-culture de corruption à Service correctionnel Canada. C'est ce qu'elle a dit. Moi, j'appelle cela la « cosa nostra correctionnelle ». C'est quelque chose qui grandit depuis un bon moment et à l'insu de tous, sauf quand des gens comme vous s'y intéressent à cause d'incidents particuliers, comme ce qui est arrivé à Ashley Smith, à Eddy Snowshoe ou à d'autres, des incidents qui prennent une telle ampleur que vous finissez par en entendre parler.

Qu'en est-il de toute la jurisprudence qui s'écrit lorsque ces personnes remportent leurs causes devant les tribunaux? Loin de nous l'idée de retenir cela pour l'instant.

Chaque fois que Service correctionnel Canada se voit donner la chance de mettre de l'ordre dans sa propre maison, il fait toujours la même chose. Il brûle ses ponts et nous restons là à le soutenir. La vérité, c'est que certains des membres de notre famille sont des citoyens comme vous. Ce ne sont pas des criminels. Ils vont travailler et nous sommes le mouton noir, mais ils font quand même partie de notre famille. Ce sont quand même des personnes qui votent. Je vote et nous votons. Nous faisons confiance à ces gens. Nous avons toujours l'impression d'être à ce bout-ci de la table et d'avoir besoin de votre aide.

La sénatrice Ataullahjan : D'après ce que j'ai compris, c'est que vous avez accès aux membres de votre famille lorsque vous êtes en isolement.

M. DaSilva : Non. Dans la majorité des établissements, lorsque vous êtes en isolement, on vous impose la plupart du temps des visites avec séparation. Allez parler à ces hommes qui sont en isolement. Je vous recommande de m'amener avec vous, car ces hommes vous diront la vérité si je suis là. Si vous êtes en isolement, on vous coupera vos visites, précisément parce que vous êtes en isolement.

Mme Pierini : Je ne peux parler qu'au nom des femmes, car, de toute évidence, je ne suis allée que dans un établissement pour femmes. Or, il n'y a qu'un établissement par province et encore, pas dans toutes les provinces. Dans mon cas, ma famille était à huit ou neuf heures de route de l'endroit où j'étais. Si j'avais été placée en isolement et que ma famille avait déjà prévu de venir me voir, on ne me laissait évidemment pas les voir. Une fois, on a même refusé l'accès à mon fils de trois ans à cause de moi. Il a couru jusqu'à la clôture et il a crié : « Cela ne fait rien, maman, je te verrai quand tu sortiras. » La famille ne peut pas vous rendre visite. J'ai dû avoir des visites familiales privées à cause de la longueur. Ces visites sont révoquées dès que vous commettez une faute, et vous devez présenter une nouvelle demande pour qu'elles reprennent. C'est épuisant.

En fin de compte, parce que mes visites avaient été supprimées, je n'ai pas vu mon fils durant la dernière année de mon incarcération. Le fait de voir mon fils était un élément essentiel de ma réintégration. Je misais énormément sur le fait de sortir et d'être un parent. Je considère que l'on ne m'a pas laissé passer assez de temps avec mon fils, que ses visites n'ont pas été assez nombreuses. Tout particulièrement lorsque j'étais en isolement, je n'ai pas eu une seule visite. Il y a eu des jours où l'on ne m'a pas permis de téléphoner chez moi pour parler à mon fils.

Non, il n'y a pas de visites familiales lorsque vous êtes en isolement.

La sénatrice Ataullahjan : Ils ont pourtant reconnu que les délinquantes avaient des besoins différents. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

Mme Pierini : À vrai dire, je ne suis pas d'accord avec cela. Pour tout le temps que j'ai passé là-bas, je n'ai jamais eu l'impression que les femmes recevaient un traitement particulier. On se servait encore de programmes conçus par des hommes. On faisait appel à des escouades d'hommes pour mater les femmes. Personnellement, et même en tant qu'intervenante régionale, je ne vois aucun programme dans les établissements pour femmes qui serait spécialement axé sur les femmes.

Le président : Il nous reste environ 15 minutes. Encore une fois, nous ne faisons qu'effleurer le sujet et il vous faudra revenir, car, au Sénat du moins, nous avons le temps de vraiment approfondir ces questions.

La sénatrice Andreychuk : Merci de vos mémoires. Je vais me limiter à une question afin que tout le monde ait une chance d'intervenir, et ma question s'adresse à Mme Majury.

Au sujet de l'isolement et du besoin de changer les choses, vous disiez qu'il y a un projet pilote que vous souhaitez appuyer. En avez-vous une description par écrit? Si vous n'en avez pas, pouvez-vous nous en faire parvenir une ou pouvez-vous tout simplement nous expliquer ce que vous feriez et ce qui serait différent, et nous décrire en détail comment ce projet pourrait être mis en œuvre? C'est une grosse question.

Mme Majury : Nous en avons une description par écrit, alors la façon la plus simple serait probablement de vous en remettre une copie. Il s'agit d'un projet pilote qui a pour fonction de montrer que l'isolement pourrait être éliminé complètement.

La sénatrice Pate : J'allais en fait demander que vous nous donniez des exemples en ce sens, mais je sais que d'autres membres du Comité ont des questions. Cependant, si on a prévu de faire revenir ces témoins, je peux attendre que les autres aient posé leurs questions.

La sénatrice Fraser : Je remercie tout particulièrement Mme Pierini et M. DaSilva de leurs témoignages. Rien ne peut remplacer le témoignage de quelqu'un qui est passé par là.

Mes questions s'adressent à Mme Latimer et à Mme Majury. Les représentants de Service correctionnel Canada qui étaient ici nous ont dit qu'ils ont élaboré des programmes formidables. Ils ont des services de santé mentale. Ils ont des plans et des stratégies. Tout est formidable.

Je ne crois pas avoir vu son dernier rapport, mais depuis des années, l'enquêteur correctionnel dit qu'il y a de moins en moins de programmes. Le caractère inadéquat des services de santé mentale se perpétue. Nous avons entendu deux personnes dire qu'elles demandaient de l'aide, qu'elles avaient besoin d'aide, mais qu'elles n'en avaient pas reçu.

Dans une optique institutionnelle, comment percevez-vous la situation des programmes, des services de santé mentale et de toutes ces autres choses?

Mme Latimer : Service correctionnel Canada ne réalise probablement pas à quel point les détenus des établissements fédéraux sont « entreposés ». Service correctionnel Canada se sert d'un certain modèle pour ses programmes, mais ce modèle ne répond pas nécessairement aux besoins individuels des gens qui sont dans ces établissements et qui cherchent effectivement à s'en sortir, à progresser et à reprendre leur vie en main.

On sent de plus en plus la formule, et une variété de programmes que le service avait ont été comprimés en un seul. Il y a lieu de se demander sérieusement si cela est vraiment adéquat. Il est renversant de voir à quel point les détenus n'ont pas grand-chose à faire. Il faut des programmes et ce serait vraiment un plus s'ils n'étaient pas tous nécessairement administrés par Service correctionnel Canada. Il n'est pas rare que les détenus ne fassent pas confiance à Service correctionnel Canada et vice-versa. Il n'y a aucune raison de ne pas apporter des améliorations à la programmation éducationnelle et à l'acquisition de compétences particulières.

Les hommes en particulier ont tendance à opter pour des formations qui débouchent sur un titre de compétence, car cela leur permettra de pratiquer un métier ou de se faire une situation une fois dehors. Il y a très peu de programmes de la sorte.

Mme Majury : Je peux dire la même chose pour les femmes. Il y a très peu de programmes et ceux qui existent ne sont pas axés sur les besoins des femmes. Je souligne à nouveau le fait que beaucoup de ces programmes sont des programmes maison. Il est essentiel que ces programmes soient offerts par la collectivité et qu'ils s'inscrivent dans un effort pour intégrer ces femmes à la collectivité et leur permettre d'y travailler. On veillera en cela à instaurer un certain degré de confiance.

Lorsque nous posons des questions sur les programmes et les ressources, voici ce que l'on nous dit souvent : nous aimerions bien faire ce que vous dites, mais il y a toutes ces autres choses dont nous devons nous occuper. Les programmes sont toujours au bas de la liste.

Le sénateur Omidvar : Mme Majury, avez-vous dit que vous aviez cerné les déterminants sociaux de la criminalisation ou que vous étiez en train de le faire?

Mme Majury : Non. C'est une chose que je recommande. Je travaille également dans le domaine de la santé. C'est très utile de tenir compte des enjeux systémiques des droits de la personne qui mènent à la criminalisation et qui en font partie. Je recommandais cela comme moyen de progresser. Pour autant que je sache, cela ne s'est jamais fait, mais je peux me tromper.

La sénatrice Pate : Il y a un bon moment que je n'ai pas travaillé avec des hommes de la Société John Howard du Canada, des années en fait. Ce que je retiens de mon expérience à travailler avec les femmes, c'est que le niveau de violence dans les établissements pour femmes est très différent de celui que l'on retrouve dans les établissements pour hommes. Vous avez parlé de nombreuses choses qui contribuent à cela, et les attitudes sexistes, misogynes et racistes qui sont renforcées et implicitement encouragées dans le milieu carcéral y sont pour beaucoup.

Le groupe d'experts de Service correctionnel Canada qui témoignait avant vous a parlé de changer les populations. Selon mon expérience, il ne s'agit pas tant de changer les populations que de changer les pratiques. Étiez-vous au Pénitencier de la Saskatchewan lorsque les femmes y étaient?

Lorsque les femmes étaient dans ce pénitencier, j'y suis allée faire des visites. Un exemple m'est revenu. J'avais encouragé les femmes à présenter un grief collectif. Elles ont demandé qu'on leur donne le formulaire et ont redemandé qu'on leur donne le formulaire. Elles ont réclamé à hauts cris qu'on leur donne le formulaire. Elles ont vociféré et fait des menaces pour qu'on leur donne le formulaire. Lorsque le changement de quart de travail est arrivé, elles criaient, elles hurlaient et elles tapaient sur leurs barreaux.

J'avais ma fille Madison avec moi. Elle a maintenant 18 ans, mais à l'époque, c'était un bébé. Quoi qu'il en soit, lorsque je me suis retrouvée dans le bureau du directeur de la prison ou de l'unité, le chef de la sécurité est venu demander la permission de faire venir l'équipe d'intervention d'urgence. J'ai demandé pourquoi. J'avais parlé avec ces femmes quelques heures plus tôt et elles n'étaient pas en train de mettre la place sens dessus dessous. En fait, elles avaient des griefs.

J'ai proposé d'aller leur parler. À ce moment-là, c'est une option qui était encore possible. Je pouvais encore aller leur parler. Lorsqu'Alia était là, je pouvais aller lui parler pendant qu'elle était en isolement. Ce qui m'a vraiment surprise, c'est ce que le chef de la sécurité m'a dit : « Pourquoi ne prenez-vous pas votre bébé avec vous? J'ai entendu dire qu'elles aiment les bébés. »

J'ai été bouleversée à bien des égards. Tout d'abord, ils ne me laissaient pas entrer avec le bébé dans les établissements pour hommes. Je ne suis pas convaincue que le bébé aurait été en danger, mais c'est une tout autre histoire. Dans l'établissement pour femmes, même le personnel reconnaissait qu'il était possible de calmer le jeu en faisant entrer un bébé dans l'équation. Autrement, il fallait appeler l'équipe d'intervention d'urgence.

Ce qui a changé, c'est la possibilité de faire entrer d'autres personnes. Parfois, je faisais entrer Alia pour qu'elle parle avec certaines de ces femmes, notamment celles de la sororité, parce qu'elle les connaissait et qu'elles avaient confiance en elle. En effet, dans ces situations, je ne pouvais pas présumer qu'elles allaient me faire confiance. On nous permettait d'amener un autre détenu avec nous pour favoriser la discussion et ventiler les problèmes, ou on nous permettait de faire venir quelqu'un d'autre sur les lieux. C'est quelque chose que je n'ai pas vu depuis près de 20 ans.

Est-ce que j'ai tort? Est-ce que quelque chose m'a échappé? Je ne crois pas que cela m'ait échappé dans les établissements pour femmes, mais il se peut que cela ait été le cas dans les établissements pour hommes. Ma dernière visite à l'unité spéciale de détention remonte à environ deux ans.

Mme Pierini : Je sais pertinemment que ce que vous dites est vrai. Que ce soit comme détenue ou comme intervenante, j'ai vu d'innombrables situations où ils ont choisi d'utiliser la force ou de faire entrer l'escouade des gros bras, comme je l'appelle — je n'arrive pas à me souvenir du bon terme — plutôt que d'essayer de désamorcer la situation.

Une fois, j'étais en train de jouer aux cartes sur la surface d'une autre détenue. Il y a un règlement qui dit que vous ne devez pas vous trouver sur la surface de quelqu'un d'autre. Oui, j'étais en train d'enfreindre le règlement. Or, j'ai été approchée par neuf à douze membres de personnel, si ce n'est pas plus, et leurs interventions étaient pétries d'agressivité. À ce moment-là, je sortais de quatre mois d'isolement. Dans ce contexte, le fait de voir ces employés s'en prendre à moi m'a fait réagir autrement que je l'aurais fait en temps normal. Je me suis effectivement battue cette fois- là.

En y repensant, je travaillais aux terrains et à l'entretien à l'époque. Je faisais vraiment confiance à ceux avec qui je travaillais. En fait, j'ai rencontré l'un d'eux après ma sortie, et il m'a dit qu'il était allé voir le directeur ce jour-là pour lui demander s'il pouvait venir me parler. Il savait que je n'allais pas perdre le contrôle avec lui et m'en prendre physiquement à sa personne. Il savait que j'allais me contenter d'écouter, rien de plus. S'ils lui avaient permis de m'approcher, je l'aurais laissé m'emmener en isolement et je ne me serais pas battue.

Au lieu de cela, ils ont envoyé de neuf à douze gardiens pour s'en prendre à moi de façon agressive. J'ai donc passé les huit derniers mois de mon incarcération en isolement pour avoir joué aux cartes avec une autre détenue.

Je tiens à souligner que le fait de nouer des relations normales comme vous le faites en société n'est pas une chose faisable en milieu carcéral. Vous vous attirez des ennuis si vous vous rapprochez trop des autres détenus. Ils essaient de séparer les détenus. Si j'avais été en mesure de vivre en société, cela m'aurait aidée à composer avec l'anxiété. Je ne m'accorde pas particulièrement bien avec mes pairs à cause du temps que j'ai passé en prison. Si l'on nous permettait de forger des relations en milieu carcéral, je crois que cela aurait une énorme incidence sur le taux de succès des gens qui sortent.

M. DaSilva : Je suis d'accord avec cela. Le poste de négociateur du directeur a été supprimé en 2005. C'est comme cela qu'on l'appelait au début. Il faisait partie de l'équipe d'intervention d'urgence. Le négociateur du directeur avait l'habitude d'intervenir avant que des incidents potentiels ne commencent à prendre forme. Ce mécanisme a été éliminé. C'est ce qui explique pourquoi le recours à la force a tellement augmenté.

Maintenant, les gardiens n'essaient plus de négocier. La négociation se limite à ceci : premier ordre, deuxième ordre, troisième ordre. Ensuite, c'est le recours à la force, comme c'est arrivé avec Matthew Hines, en 30 secondes. Le reste sera pour une prochaine fois, mesdames et messieurs, car je crois que nous vous avons retenus assez longtemps déjà.

Le président : Non, ce n'est pas le cas. C'est une question très importante. Parfois, il faut un an et demi au Sénat pour qu'il termine un rapport. Parfois, cela prend un an. Parfois, les rapports provisoires nous demandent six mois. Après les deux heures que nous venons de passer, je crois que nous devrions sortir un rapport par semaine. Nous devrions éperonner sérieusement nos propres communications, senCA PLUS+, car ce témoignage est en ligne et à la télévision.

Mesdames et messieurs, vous pouvez d'ores et déjà prendre des parties de ce témoignage à partir de ParlVU et amorcer cette discussion à l'échelle du pays. Je crois que c'est extrêmement important parce que le temps presse et que chaque jour compte pour ces personnes que vous représentez et qui sont présentement dans nos établissements carcéraux. Ils méritent que vous leur prêtiez vos voix et que nous leur prêtions nos voix afin de veiller à ce que Service correctionnel Canada et d'autres tiennent compte des questions sur lesquelles nous nous penchons.

Nous tenons à vous remercier sincèrement. Nous amorçons ici notre voyage exploratoire, comme je me plais à le désigner. Nous espérons être en mesure d'améliorer les choses, et ce, de toutes les façons possibles.

(La séance est levée.)

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