Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 15 - Témoignages du 1er mars 2017


OTTAWA, le mercredi 1er mars 2017

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 38, pour poursuivre son étude sur les questions concernant les droits de la personne des personnes incarcérées dans le système correctionnel et, à huis clos pour examiner un projet d'ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

Le président : Mesdames et messieurs, je constate que nous avons le quorum ce matin afin de poursuivre notre étude que l'on a décrite comme marquante sur les personnes incarcérées canadiennes dans nos établissements carcéraux, mais nous avons également besoin d'un point de vue international. Nous réalisons notre étude depuis quelques semaines maintenant. Elle durera peut-être deux ans, mais nous espérons produire des rapports provisoires pour les personnes qui nous regardent peut-être parce que nous croyons qu'elle est pertinente et opportune en ce qui concerne les droits des personnes incarcérées dans le système correctionnel canadien.

J'aimerais que nos sénateurs se présentent avant d'entendre le témoignage de nos deux invités. Comme toujours, je vais commencer par notre vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l'Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Sénatrice Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice McPhedran : Sénatrice Marilou McPhedran, du Manitoba.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Et je suis le sénateur Jim Munson. Je représente l'Ontario, mais comme je le dis de temps en temps, mon cœur se trouve au Nouveau-Brunswick.

Nous avons avec nous Anthony Doob, professeur émérite de criminologie, du Centre de criminologie et d'études sociojuridiques de l'Université de Toronto. Nous allons toutefois commencer nos témoignages ce matin par Akwasi Owusu-Bempah, professeur adjoint, du Département de sociologie de l'Université de Toronto, qui nous parle par vidéoconférence de Londres, au Royaume-Uni.

Monsieur, si vous voulez bien commencer, et nous passerons ensuite au témoignage de M. Doob. Allez-y, monsieur, et bienvenue à cette séance de notre comité.

Akwasi Owusu-Bempah, professeur adjoint, Département de sociologie, Université de Toronto, à titre personnel : Merci de l'invitation de vous présenter un exposé aujourd'hui.

Notre objectif global porte sur les liens entre la race et le système de justice pénale. La plupart de mes commentaires porteront donc sur la façon dont la race a des incidences sur le système correctionnel, particulièrement l'apparence des détenus. L'enquêteur correctionnel du Canada a déjà abordé une partie de mon propos, mais comme on me l'a dit plus tôt, je ne peux pas supposer que vous connaissez tous parfaitement le sujet.

Le président : Monsieur, désolé. On ne vous entend pas très bien. Nous allons tenter de régler le problème. Nous n'entendons qu'un mot sur deux de ce que vous dites. C'est malheureux. Ça doit être la pluie. Nous allons tâcher de régler ce problème, et M. Owusu-Bempah sera avec nous pour la poursuite de nos travaux. Veuillez être patient.

On vient de me dire que, si vous parlez un peu plus lentement, nous serons en mesure de vous entendre. Essayons à nouveau.

M. Owusu-Bempah : Je parlais des liens entre la race et le système de justice pénale. Mes commentaires aujourd'hui porteront sur la race et les services correctionnels, particulièrement l'expérience de détenus noirs.

Le président : Malheureusement, nous avons encore de la difficulté à vous entendre. Nous allons tenter de corriger ce problème. Veuillez rester avec nous.

Nous allons commencer par M. Doob.

Anthony Doob, professeur émérite de criminologie, Centre de criminologie et d'études sociojuridiques, Université de Toronto, à titre personnel : Merci de m'avoir invité. Je pensais parler de la mise en liberté sous condition. Je crois qu'il est important de saisir la façon dont on prend les décisions dans les pénitenciers afin de comprendre les problèmes de droits de la personne qui touchent les gens au sein du système.

On peut utiliser les données disponibles pour illustrer les problèmes qui peuvent découler de ce que l'on pourrait appeler l'application équitable du droit. Mon propos va porter principalement, sinon entièrement, sur les problèmes liés aux Autochtones incarcérés.

C'est probablement une simplification à outrance, mais je crois que la disparité des résultats relatifs aux Autochtones est parfois perçue comme l'un ou l'autre de deux extrêmes. Le premier est le résultat d'un traitement préjudiciable; le deuxième tient à l'application du droit qui est discriminatoire ou qui permet ou encourage une discrimination envers les personnes défavorisées.

Comme je l'ai dit, je vais utiliser les Autochtones à titre d'exemple, mais cela ne devrait pas être interprété comme voulant dire que tout ce que je dis n'est pas vrai ou peut être vrai relativement à d'autres groupes défavorisés de notre société.

Je parle des Autochtones en partie parce que leurs données sont plus facilement disponibles au Canada que celles des autres groupes.

Mon point de départ, cependant, remonte plus loin. Je vais parler beaucoup de la mise en liberté sous condition.

Il y a deux ou trois ans, deux de mes collègues, Cheryl Webster — qui est ici aujourd'hui — et Allan Manson, et moi-même avons publié un article sur la libération conditionnelle, dont le titre était « Zombie Parole » que l'on pourrait traduire par « La libération conditionnelle zombie »; le titre peut vous éclairer sur la libération conditionnelle à l'heure actuelle au Canada. Pour comprendre le titre de l'article ainsi que nos conclusions, laissez-moi vous donner un bref aperçu de la mise en liberté sous condition.

Pensez à une peine d'incarcération divisée environ en trois parties. Il s'agit d'une peine à purger dans un établissement carcéral fédéral, alors c'est une peine de plus de deux ans. Le premier tiers est habituellement purgé en établissement carcéral. Au cours du deuxième tiers, la personne est normalement, mais pas toujours, admissible à une libération conditionnelle dans la collectivité. Au cours du dernier tiers de la peine, la personne obtient habituellement, mais pas toujours, sa libération d'office. J'aurais dû dire que je parle des personnes qui purgent une peine à durée déterminée, ce qui exclut celles qui sont condamnées à perpétuité — les meurtriers, par exemple.

Imaginez que la peine est divisée en ces trois parties. Au cours du deuxième tiers, la personne est admissible à la libération conditionnelle; le dernier tiers est normalement la surveillance dans la collectivité.

Nous avons examiné la façon dont fonctionne la libération conditionnelle actuellement au Canada. Nous avons trouvé que très peu de personnes, dans le système fédéral ou provincial, bénéficient d'une libération conditionnelle assez tôt pour que cela en vaille la peine. Si vous pensez à ce point qui se trouve aux deux tiers de la peine, il devient la norme. Des personnes peuvent obtenir une libération conditionnelle, mais elles sont mises en liberté de plus en plus près de ce point qui marque les deux tiers de la peine.

Pour mettre ces chiffres en contexte, nous avons trouvé en général que si le gouvernement du Canada abolissait complètement la libération conditionnelle totale aux échelons fédéral et provincial, cela entraînerait une augmentation de 2,7 p. 100 des populations carcérales fédérale et provinciale. Cela augmenterait le nombre de personnes incarcérées, mais faiblement.

Si on abolissait la semi-liberté — la semi-liberté est habituellement préalable à la libération conditionnelle totale ou à la mise en liberté aux deux tiers de la peine —, cela aurait un effet plus important. Si on abolissait simplement la libération conditionnelle totale demain, cela entraînerait une augmentation relativement faible — je dirais très faible — de la population carcérale. Voilà le contexte.

Ce dont je vais parler, comme je l'ai dit, c'est du traitement réservé aux Autochtones au sein du Service correctionnel, principalement en ce qui concerne la libération conditionnelle et la mise en liberté. Je signale que mon information vient du rapport annuel publié par Sécurité publique Canada intitulé 2015 Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Le titre n'est pas très bon, mais c'est en fait un document très facile à lire qui contient des données faciles d'accès.

Notre attention, concernant les Autochtones, porte habituellement sur leur surreprésentation dans les établissements carcéraux fédéraux. C'est mon point de départ aujourd'hui. Nous savons qu'ils sont surreprésentés dans ces établissements. Les personnes s'y retrouvent en raison de diverses choses qui se produisent, dont la dernière étape, qui est la détermination de la peine. Ce que je vous dirais, c'est que la surreprésentation des Autochtones détenus en milieu fédéral n'est pas liée entièrement aux déterminations de la peine; elle est aussi liée aux décisions de mise en liberté. Je crois donc que vous devez examiner les politiques afin de comprendre pleinement ce qui se passe.

Laissez-moi vous donner quelques chiffres afin d'essayer de mettre ces choses en contexte. L'estimation est que 4,3 p. 100 de la population canadienne est autochtone et que 22 p. 100 des personnes admises dans les pénitenciers sont des Autochtones. Alors on passe de 4,3 p. 100 à 22 p. 100. Un peu plus de 24 p. 100 des hommes et 36 p. 100 des femmes dans les établissements carcéraux fédéraux sont autochtones.

Maintenant, de 4,3 à 36 p. 100, c'est une augmentation considérable. C'est une énorme surreprésentation des femmes, mais aussi des hommes, à 24 p. 100 des gens qui sont sous garde. Nous parlons de grandes différences, d'une énorme surreprésentation. Mais il faut noter que la représentation des détenus sous garde est plus grande que celle des personnes qui entrent au pénitencier. Pourquoi donc? C'est en raison des procédures de mise en liberté.

Encore une fois, en utilisant des documents fédéraux accessibles au public sur le Web et en copie papier, j'ai cherché à voir comment les personnes sortaient de l'établissement carcéral. Ce que j'ai trouvé, c'était que les Autochtones étaient six fois moins susceptibles d'obtenir une libération conditionnelle et environ deux fois moins de bénéficier d'une semi-liberté. Évidemment, lorsqu'ils sortent effectivement, c'est parce qu'ils ont obtenu leur libération d'office, c'est la partie qui est pratiquement automatique, mais comme nous allons le voir dans quelques minutes, ce n'est pas nécessairement automatique pour les Autochtones ou qui que ce soit d'autre. Ils sont donc défavorisés au sein du système.

La détention au-delà des deux tiers de la peine est quelque chose qui peut arriver. Je veux en parler parce que c'est un aperçu du problème auquel nous faisons face.

Aux deux tiers d'une peine de durée déterminée d'une personne sous responsabilité fédérale, le Service correctionnel du Canada peut communiquer avec la Commission des libérations conditionnelles et recommander qu'elle soit détenue au-delà de ce qui serait considéré comme le moment de la libération d'office automatique, les deux tiers de la peine. Le service peut donc faire cela.

En 2014-2015, 42 p. 100 des personnes recommandées par le Service correctionnel du Canada à des fins de détention étaient des Autochtones. Il y a 10 ans, c'était 31 p. 100. La situation s'est considérablement dégradée au cours des 10 dernières années pour ce qui est des recommandations à la Commission des libérations conditionnelles formulées par les établissements carcéraux pour détenir une personne jusqu'à l'expiration du mandat.

Nous devons penser un peu à ce que cela signifie. Le critère est intéressant. Je vais vous lire le critère énoncé dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La loi prévoit ce qui suit :

S'il a des motifs raisonnables de croire qu'un délinquant commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine [...] une infraction...

Pensez à ces mots « avant l'expiration légale de sa peine ». C'est comme si nous ne nous souciions pas de la réinsertion sociale des personnes incarcérées. Nous ne nous soucions pas de ce qu'ils peuvent faire après l'expiration de la peine. Mais l'attention est portée sur la partie de la peine qui peut être purgée sous garde avant que la personne soit complètement libre.

D'un point de vue de sécurité publique, c'est ridicule parce que si une personne m'agresse, ça ne change pas grand- chose dans ma vie si la personne purge la dernière journée de sa peine ou qu'elle a purgé entièrement sa peine et que l'agression se produit une journée plus tard. Ce que nous faisons avec les Autochtones, c'est leur donner automatiquement moins de possibilités de réinsertion sociale.

Il y a environ 15 ans — et Kim Pate s'en souviendra — un des commissaires du Service correctionnel du Canada s'est mis dans l'eau chaude pour avoir laissé entendre que le Service correctionnel du Canada avait peut-être trop de personnes qui purgeaient leur peine sous garde plutôt qu'être surveillées dans la collectivité. Le commissaire a donné à penser que si nous intégrions davantage les personnes dans la collectivité plutôt que de les détenir aussi longtemps que nous le faisons, cela servirait la sécurité publique. On a beaucoup critiqué ses déclarations, mais je crois que nous pouvons nous poser la question suivante : comment traitons-nous les Autochtones et les non-Autochtones à cet égard?

Je vais commencer par les femmes. Si vous regardez les détenus qui relèvent du Service correctionnel du Canada et qui sont sous garde, la proportion de femmes autochtones est de 68 p. 100. Un peu plus des deux tiers des femmes qui sont sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada sont en réalité sous garde aujourd'hui. Pour les non- Autochtones, c'est 52 p. 100 des femmes. C'est beaucoup plus. Encore une fois, 68 p. 100 sont sous garde aujourd'hui pour ce qui est des femmes autochtones; il y a 10 ans, c'était 52 p. 100.

Le problème s'est clairement aggravé au cours des dernières années. On a aussi constaté une augmentation chez les femmes non autochtones, de 40 p. 100 à 52 p. 100.

Pour ce qui est des hommes autochtones, le pourcentage a toujours été élevé, et il continue de l'être; pour ce groupe, il est environ de 10 p. 100 plus élevé que les hommes non autochtones.

Le résultat net de ces augmentations est que nous avons un problème grave de réinsertion sociale.

Vous pouvez comprendre, dans une certaine mesure, le problème de la Commission des libérations conditionnelles dans ces circonstances parce qu'elle fonctionne vraiment à de nombreux égards... j'allais dire que la commission exerce ses activités sous l'autorité de... mais au moins elle est limitée par ce qui se produit dans le système correctionnel proprement dit.

Une des choses qui se produisent, c'est qu'on déplace des gens vers les établissements à sécurité minimale. Si vous regardez aujourd'hui, par exemple, l'endroit où les personnes sont sous garde, les Autochtones sont moins susceptibles de se trouver dans un établissement à sécurité minimale que les non-Autochtones. Nous avons une situation dans laquelle le Service correctionnel du Canada, pour diverses raisons, a de la difficulté à placer des personnes dans un établissement à sécurité minimale. Cela fait en sorte que les intervenants de la Commission des libérations conditionnelles examinent ces personnes et disent : « Elles ne sont pas prêtes pour la mise en liberté parce que, après tout, elles devraient se trouver dans un établissement à sécurité minimale si nous devons les mettre en liberté. »

Je n'entrerai pas dans les détails parce que je sens qu'il ne me reste plus beaucoup plus de temps, mais en 2014, le vérificateur général a pris à partie le Service correctionnel du Canada à propos du problème de places dans les établissements à sécurité minimale et de l'utilisation de la sécurité minimale et a fait une recommandation selon laquelle le Service correctionnel du Canada devrait déterminer la raison pour laquelle les délinquants demeurent plus longtemps sous garde qu'il est nécessaire, soulignant le fait que le Service correctionnel du Canada, dans sa sagesse, n'utilisait pas assez les établissements à sécurité minimale et n'en construisait pas assez.

Si vous examinez, ensuite, la raison pour laquelle les prisonniers autochtones sont défavorisés, il me semble que, de toute évidence, les gens diraient : « Eh bien, quels types de personnes se retrouvent dans le système? » Si vous y pensez de manière logique, vous vous dites que la peine et peut-être le casier judiciaire de la personne la défavorisent lorsqu'elle est incarcérée. Toutefois, nous ne devons pas oublier que la peine et le casier judiciaire sont les déterminants majeurs qui font que la personne se retrouve dans un établissement carcéral au départ et influent sur la durée de la période qu'elle y demeure, alors en réalité elle est punie concrètement par sa peine selon ce qu'elle a fait, et cela s'inscrit dans notre Code criminel.

Nous avons l'habitude de tenir compte du casier judiciaire et d'y accorder beaucoup d'importance, mais ce que nous faisons peut-être également, c'est utiliser les mêmes choses pour pénaliser les personnes au sein du système correctionnel. Comme je l'ai dit, pour les prisonniers qui purgent une peine de durée déterminée, cela signifie qu'ils purgeront une plus longue peine sous garde, passeront une période plus courte sous surveillance et obtiendront moins de soutien au cours de leur réinsertion sociale.

Si vous examinez un autre article de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition — et je la paraphrase —, elle dit que la Commission des libérations conditionnelles « peut » autoriser la libération conditionnelle si elle est d'avis qu'une récidive du délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société. Encore une fois, ce qui nous inquiète, c'est ce qui se produit avant la peine.

Si j'étais à la place de la Commission des libérations conditionnelles ou du Service correctionnel du Canada, je pourrais couvrir mes arrières à cet égard simplement en étant dur et en disant : « Tout le monde purge une période maximale en prison, et je ne mettrai pas en liberté quiconque parce qu'il existe une possibilité qu'une personne commette une infraction avant l'expiration de sa peine. » Mais le jour suivant la fin de la peine, tout le monde s'en fiche.

D'un point de vue de sécurité publique, il y a forcément un problème. Dans le contexte dont je vous parle, en tant que personne intéressée aux droits de la personne, ce type de critères défavorise un groupe particulier, et dans le cas présent, ce sont les Autochtones.

Je suis heureux que vous examiniez ces problèmes. Je crois que la façon dont les personnes écopent d'une peine à purger dans un établissement carcéral fédéral est un enjeu important qui requiert notre attention, mais la façon dont les détenus sont mis en liberté est un enjeu important qui mérite également notre attention dans ce contexte.

Au cours de vos propres délibérations et dans vos propres pensées à cet égard, une mise en liberté anticipée ne menace pas automatiquement la sécurité publique. On pourrait facilement avancer, selon les données probantes, l'argument opposé selon lequel nous devons vraiment comprendre qu'environ 5 000 personnes par année qui se trouvent dans nos établissements carcéraux fédéraux sont mises en liberté dans la collectivité et qu'il est de notre responsabilité de nous assurer qu'elles ont toutes les chances de réussir leur réinsertion sociale.

Vous pouvez voir la mise en liberté sous condition, la libération conditionnelle, et ainsi de suite, comme une possibilité accrue de réinsertion sociale, et les Autochtones semblent se voir refuser de manière disproportionnée cette possibilité.

Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Doob. Nous reviendrons à vous et nous aurons des questions pour vous, mais nous allons essayer à nouveau de parler à M. Bempah.

Vous ne nous verrez peut-être pas en raison de la largeur de bande. Nous vous voyons et espérons cette fois que nous pouvons vous entendre clairement. Monsieur, allez-y.

M. Owusu-Bempah : Nous allons essayer à nouveau. Pouvez-vous m'entendre?

Le président : Oui, je vous entends très bien maintenant.

M. Owusu-Bempah : Merci de m'offrir la possibilité de vous parler aujourd'hui. La plus grande partie de ma recherche porte sur les liens entre la race et le système de justice pénale. Par conséquent, mes observations aujourd'hui porteront sur ce domaine.

Comme vous le savez peut-être déjà, la composition raciale, ethnique, religieuse et culturelle des établissements carcéraux fédéraux canadiens a changé rapidement au cours de la dernière décennie. J'aimerais commencer par laisser entendre qu'il y a un besoin urgent de comprendre la raison pour laquelle cela s'est produit et la meilleure façon de réduire les risques et les besoins d'une population carcérale changeante.

Une des premières choses sur lesquelles je veux attirer votre attention ou qui soulèveront des questions tient aux formulations que le Service correctionnel du Canada utilise pour parler des prisonniers qui ne sont pas blancs. Par exemple, le SCC tente de répondre aux besoins des délinquants ethnoculturels et de leur fournir des programmes. Ce faisant, il regroupe ensemble des groupes de personnes très différents ayant des expériences passées et présentes très diversifiées.

Bien que ces groupes soient parfois séparés, nous devons reconnaître la grande hétérogénéité de ces groupes. Parmi les Noirs, par exemple, l'élément central de la plus grande partie de ma recherche, nous parlons de collectivités qui ont vécu pendant des siècles au Canada, de groupes d'immigrants établis provenant des Caraïbes, de même que d'immigrants récents de l'Afrique continentale. Si on pense à ces immigrants de l'Afrique continentale, nous parlons de personnes qui parlent différentes langues, pratiquent différentes religions et ont des expériences passées et présentes très différentes de personnes qui ont immigré de pays relativement prospères et de celles qui fuient les conflits et la violence.

Au moment d'envisager la façon dont se manifestent la diversité et l'hétérogénéité de la population carcérale, la collectivité devrait chercher à comprendre ce phénomène et mieux aider le Service correctionnel du Canada à l'appréhender. Sur le plan pratique, comment quelque chose comme l'isolement cellulaire peut-il toucher différemment une personne qui vient d'un pays déchiré par la guerre et qui a été torturée?

Ensuite, nous devons comprendre la raison pour laquelle nous avons constaté une telle augmentation de la proportion de délinquants noirs et autochtones au cours de la dernière décennie. Encore une fois, ma recherche porte principalement sur les Canadiens noirs. Parmi les Noirs, nous savons, à la suite de ma propre analyse des données, que l'augmentation de la population noire dans les établissements carcéraux fédéraux ne peut pas être expliquée par la croissance démographique des Noirs dans la population canadienne générale.

En 2001, les Noirs comptaient pour 2,1 p. 100 de la population générale. En 2011, le pourcentage avait augmenté à 2,9 p. 100. Comme cela a été mentionné, toutefois, nous avons observé une augmentation de 75 p. 100 de la population correctionnelle noire dans les établissements carcéraux fédéraux entre 2003 et 2013.

Je crois que les Noirs et les Autochtones ont été touchés de manière disproportionnée par l'érosion des programmes de bien-être social, ce qui a fait en sorte que beaucoup plus d'entre eux se sont retrouvés dans des situations marginalisées. Je crois aussi fermement que les Noirs ont été touchés ou ciblés de façon disproportionnée par l'augmentation de mesures punitives que le Canada a prises au cours de la plus grande partie de la dernière décennie. La croissance de la population carcérale noire a en effet coïncidé avec l'augmentation des débats publics et médiatiques sur les armes à feu et les gangs et l'émergence d'initiatives antigangs qui visaient les quartiers ayant un nombre important de résidants noirs. La guerre contre la drogue du Canada a également visé de manière disproportionnée les Noirs et les Autochtones.

Même si nous devrions être préoccupés par les niveaux plus élevés de violence interpersonnelle dans certaines collectivités, nous ne pouvons pas dissocier cette violence de processus sociaux plus importants. Je vois la criminalité et la violence comme un problème social et donc un échec de l'État pour subvenir adéquatement aux besoins des groupes défavorisés. En ce sens, nous devons penser aux droits de la personne et à l'égalité, non pas seulement dans le contexte des établissements carcéraux, mais en tant que vaste phénomène social.

Je vais aborder quelques problèmes précis auxquels les Noirs et les Autochtones font face. Je devrais souligner qu'une grande partie de ce que je vais dire a été couverte par l'examen que l'ancien enquêteur correctionnel a effectué relativement à l'expérience de détenus noirs, mais je désire attirer votre attention sur quelques points précis. Ils portent principalement sur une absence de protection des droits individuels et le droit à l'égalité protégé par la Charte et d'autres lois fédérales.

Nous avons d'abord l'expérience de discrimination raciale manifeste. Cela comprend le fait de se moquer de la façon dont parlent les détenus noirs. Comme l'a remarqué l'ancien enquêteur correctionnel dans son rapport, les détenus noirs ont fourni des exemples de ce que le personnel correctionnel disait pour se moquer de leur accent lorsqu'il essayait de parler avec un Jamaïcain, par exemple. Un des détenus a signalé le fait qu'un agent correctionnel lui a demandé ce qui n'allait pas avec sa langue : « Ne me parle pas comme un truand. » En général, les détenus ont noté qu'il y avait des préoccupations majeures à propos du traitement réservé aux détenus noirs par le personnel du SCC.

Nous avons ensuite le recours disproportionné à l'isolement préventif. Entre le 31 mars 2005 et le 31 mars 2015, période au cours de laquelle la population correctionnelle noire sous garde fédérale a augmenté de 77,5 p. 100, le nombre de détenus noirs envoyés en isolement cellulaire a augmenté de 104 p. 100. L'augmentation du recours à l'isolement préventif dépasse donc la croissance déjà alarmante de la population correctionnelle noire en général. Au cours de la même période de 10 ans, le nombre de détenus blancs a diminué de 12,3 p. 100.

Ce qui est peut-être lié à cette situation, c'est la discrimination ou l'inégalité apparente de l'utilisation de la discipline en établissement. Entre 2007-2008 et 2011-2012, le nombre de détenus noirs qui faisaient face à des accusations d'infraction disciplinaire a augmenté de 59 p. 100, alors que le nombre total de ces accusations portées au cours de la même période a diminué de 7 p. 100. Il ne faut pas oublier que, au cours de cette période, les détenus noirs étaient systématiquement surreprésentés dans les catégories des accusations discrétionnaires — les accusations qui se fondent sur un jugement des agents correctionnels —, alors qu'ils sont systématiquement sous-représentés dans des catégories d'accusations moins axées sur le pouvoir discrétionnaire, comme la possession de biens volés, le vol et les dommages à des biens.

Ce qui est important, c'est que nous avons des problèmes liés à la classification de sécurité. M. Doob a parlé un peu des détenus ayant une cote de sécurité minimale, moyenne ou maximale et de ce que cela signifie pour les décisions de mise en liberté dans leur cas. En plus d'être envoyés dans des établissements à sécurité plus élevée, même s'ils ont une cote de sécurité plus faible, les détenus noirs sont moins susceptibles que leurs homologues de se voir accorder une cote de sécurité plus faible afin qu'ils soient transférés dans un établissement à sécurité moyenne ou minimale. Cela donne à penser qu'à un certain moment entre le classement selon le risque et le placement en établissement, on commence à voir les détenus noirs comme présentant un risque plus élevé ou méritant une cote de sécurité maximale, et on ne renverse à aucun moment ce préjugé.

La plupart des détenus noirs interrogés par l'enquêteur correctionnel ont aussi mentionné être étiquetés comme des instigateurs de gang, des fauteurs de troubles ou des trafiquants de drogue. Surtout, ce stéréotype de membre de gang n'influence pas que les décisions relatives à la cote de sécurité; c'est quelque chose qui doit être abandonné. Les détenus doivent, en somme, admettre avoir fait partie d'un gang avant d'obtenir la libération conditionnelle, parce qu'une telle déclaration est perçue comme une confirmation importante du fait que le détenu se rend responsable de ses gestes. Donc, même dans les cas où le détenu n'était pas membre d'un gang, en raison du quartier d'où il est issu, il est présumé qu'il est lié à des gangs de rue, et il doit abandonner son statut au sein d'un gang afin de pouvoir être mis en liberté, ou du moins être mis en liberté plus rapidement.

De la même façon, cette étiquette de membre de gang empêche bien souvent les détenus noirs d'obtenir un emploi au sein du Service correctionnel du Canada ou un emploi exigeant la confiance dans l'établissement même. En conséquence, ces détenus n'occupent que des emplois ne nécessitant que peu d'expérience et de formation et qui ne contribuent pas vraiment à leur réinsertion sociale. Même si le taux de chômage global dans les pénitenciers pour l'exercice 2011-2012 était de 1,5 p. 100, il s'établissait à 7 p. 100 chez les détenus de race noire, ce qui, encore une fois, a une incidence sur ce que l'on pourrait appeler la réussite de leur expérience correctionnelle.

Pour ce qui est de l'avenir, comme je l'ai mentionné au début de mon témoignage, je crois que nous devons réfléchir sérieusement à la façon dont nous percevons et traitons l'hétérogénéité dans le système correctionnel canadien. Si nous décidons d'offrir des programmes adaptés, ou de prendre en compte de façon adéquate les risques et les besoins que présentent les détenus, nous devons voir ces derniers comme formant des groupes hétérogènes plutôt qu'homogènes.

De plus, et je le répète, je suis d'avis que nous devons comprendre les facteurs de l'augmentation de sous-populations particulières de détenus. Comme l'incarcération constitue, somme toute, la privation de liberté, de la liberté de circulation et d'association et d'autres droits de la personne, nous devrions nous demander si l'accroissement du pourcentage de personnes incarcérées dans certains groupes de la population est en soi une violation des droits de la personne. J'avancerais que ce l'est.

L'augmentation du pourcentage d'incarcération parmi les personnes de race noire et les Autochtones est en outre préoccupante en raison des incidences sur les communautés dont ces détenus sont issus. Nous avons maints exemples de ces répercussions défavorables aux États-Unis. Ces exemples vont d'effets négatifs sur la santé et la santé mentale jusqu'à la dégradation des résultats liés aux emplois et à la formation, en passant par une diminution générale de la sécurité dans les collectivités. Cette augmentation des cas d'incarcération touche, bien entendu, les personnes qui sont détenues, mais aussi leurs enfants, leur famille et le milieu social dont elles proviennent.

Comme la plupart des détenus retournent dans leur milieu, il serait peut-être utile de chercher la meilleure façon de réinsérer les détenus noirs dans la collectivité. Pour ce qui est des détenus autochtones, il existe l'article 84 qui permet à une collectivité autochtone de s'unir pour fournir un soutien particulier à l'extérieur de l'environnement correctionnel afin d'assurer la réinsertion d'un détenu autochtone. Peut-être que cette possibilité pourrait être étendue de façon similaire, afin d'inclure les détenus de race noire.

Pour finir, je souligne que, selon moi, la prévention est la meilleure solution et que nous devons examiner les caractéristiques des personnes que nous incarcérons et nous demander si elles doivent vraiment être envoyées dans un établissement carcéral.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Owusu-Bempah. Nous avons beaucoup de questions à vous poser. Nous allons commencer la série de questions en accordant la parole à la vice-présidente de notre comité, la sénatrice Ataullahjan.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie tous les deux de votre témoignage. J'ai une brève question, messieurs.

Vous avez dit que nous avons un problème quant à la réinsertion sociale des personnes. Donc, quelles sont les solutions? Qu'est-ce que nous ne faisons pas correctement? Que peut-on faire, sur tous les plans, pour aider les gens à s'intégrer dans la société? Nous avons entendu de la part d'un détenu qu'aucune aide n'était offerte.

M. Doob : C'est intéressant, parce que, au départ, la semi-liberté se voulait, entre autres, un pas vers la collectivité. L'idée était de donner au détenu une occasion de vivre dans un environnement stable, lui procurant du soutien, et qu'ensuite il soit en mesure de trouver un emploi et de s'intégrer graduellement dans la collectivité.

Pour revenir aux données que j'ai mentionnées — d'après moi, les mêmes données s'appliqueraient aux détenus de race noire —, nous affirmons que, comme nous ne pouvons nous permettre de prendre des risques en ce qui concerne les Autochtones, nous n'allons pas laisser ces détenus s'éloigner ni retourner dans la collectivité.

Je suis d'avis que le problème actuel en ce qui concerne la réinsertion réside dans le fait que nous consacrons la plus grande part des ressources et, en particulier, la plus grande part du temps aux personnes qui en ont le moins besoin.

C'est une tâche ardue. Il n'y a aucun doute que cela sera difficile, mais, actuellement, le processus décisionnel en place rend la tâche très difficile pour les décideurs. Je ne les excuse pas, je tente plutôt de les comprendre. Il est difficile pour les décideurs d'accorder la mise en liberté à des détenus.

Il y a 30 ans, une recommandation a été formulée dans le cadre de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, dont j'étais membre, selon laquelle il était proposé d'éliminer la libération discrétionnaire et la libération conditionnelle. Pourquoi devrions-nous faire cela? Pour nous assurer que les détenus purgent une partie équitable de leur peine et que tous les détenus, en particulier ceux qui en ont le plus besoin, puissent bénéficier de cette expérience de réinsertion.

Rien n'est parfait. Si vous examinez les données concernant la libération d'office ou la libération conditionnelle, il ressort que nous obtenons d'assez bons résultats au Canada en ce qui concerne les détenus mis en liberté, c'est-à-dire qu'il est très improbable qu'ils commettent des infractions avec violence ou des infractions graves. Quand ces personnes retournent dans un établissement pénitencier, c'est pour ne pas avoir respecté leurs conditions. Donc, nous réussissons assez bien.

Mais, d'une certaine façon, nous disons : « Nous réussissons assez bien parce que nous choisissons avec soin les personnes à qui nous accordons la libération conditionnelle », mais nous ne nous en soucions guère. On dirait presque qu'on ne se soucie pas de ce qui arrive à une personne mise en liberté à la date d'expiration de son mandat, parce que les responsables du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada peuvent dire : « Nous ne les avons pas mis en liberté, donc ce n'est pas notre problème. » Je suis désolé, mais c'est leur problème, parce qu'ils ne leur ont pas accordé cette période d'adaptation.

J'ai découvert en consultant le rapport du vérificateur général, entre autres, pendant que je me préparais à témoigner aujourd'hui, que les responsables du Service correctionnel du Canada ont mentionné qu'ils ne disposent pas d'un nombre suffisant de places pour mettre en œuvre les mesures dont je parle, comme la semi-liberté. Qui décide du nombre de places dont ils disposent? Si j'examine ces coûts, l'incarcération d'un détenu s'élève à environ 117 000 $, en moyenne, et celle d'une détenue, à environ le double ou plus. Une place dans une maison de transition, dans le cadre d'une semi-liberté, n'est pas bon marché, mais coûte environ 30 000 $ par année, par personne. C'est beaucoup moins cher.

Pourquoi la mise en liberté des détenus n'est-elle pas planifiée? Il s'agit d'êtres humains qui sont détenus pour avoir commis une faute. Je n'y vois aucun problème pourvu que la peine imposée soit équitable, mais il me semble que nous ne faisons pas un très bon travail à l'égard des détenus, sur le plan de l'équité, et à l'égard du reste de la population, sur le plan de l'équité et de la sécurité publique.

Le président : Monsieur Owusu-Bempah, auriez-vous quelque commentaire à faire?

M. Owusu-Bempah : M. Doob a bien résumé la situation. Il est bien connu que les agents de probation et de libération conditionnelle ont une importante charge de travail et que, souvent, ils n'ont pas les ressources nécessaires pour faire de façon adéquate ce qu'ils devraient pour aider les délinquants à réintégrer la société. Donc, les ressources fournies et la charge de travail des agents de libération conditionnelle constituent des aspects à examiner.

Le président : Je n'interviens pas habituellement à ce moment au cours de la séance, mais M. Doob et moi avons déjà discuté. La semaine dernière, j'écoutais l'émission Here and Now sur les ondes de la radio anglophone de la SRC. Il était question d'un prisonnier qui s'était vu accorder une libération conditionnelle assortie de conditions. Selon ces conditions, on accordait deux semaines au détenu pour trouver un emploi, peu importe le type. Son travail consistait à exterminer des punaises de lit dans des chambres d'hôtel. Il a accepté cet emploi parce qu'il ne voulait pas retourner en milieu carcéral.

Vous m'avez mentionné quelque chose d'intéressant concernant des mesures qui pourraient être mises en place qui permettraient aux détenus d'éviter d'avoir à supplier pour obtenir un emploi afin de ne pas retourner au pénitencier.

M. Doob : C'est ce qui est ironique.

Imaginons que je suis un économiste conservateur qui dit : « Examinons cette situation et utilisons les ressources publiques de façon efficace. » Le coût moyen de l'incarcération, pour les hommes et les femmes, selon les données les plus récentes dont je dispose, est de 115 000 $ par année. Dans le cas d'un délinquant sous surveillance dans la collectivité, dans une maison de transition, le coût est de 34 000 $ par année. À partir de ce constat, examinons la situation d'une personne vivant de façon autonome dans la collectivité et à qui on donne un emploi procurant un revenu de 50 000 $ ou de 30 000 $. Nous sommes gagnants. Si vous ramenez cette personne en milieu carcéral, faites le calcul : nous économiserons 75 000 $ si nous lui trouvons un emploi dont le salaire est de 40 000 $ par année.

Nous affirmons que ces personnes doivent trouver un emploi par elles-mêmes. Comme Akwasi l'a mentionné, c'est facile de dire : « Trouvez un emploi. » Nous savons qu'il est difficile pour les ex-détenus de trouver du travail. Nous savons qu'il est particulièrement difficile pour les ex-détenus de race noire de trouver un emploi. Je soupçonne que si vous vous rendez dans les collectivités d'où sont issus les détenus autochtones, où le taux de chômage est extrêmement élevé, et que vous dites à un ex-détenu : « Vous devriez vous trouver un emploi », vous serez rabroué. Ce sont de belles paroles qui semblent logiques, jusqu'à ce que vous réfléchissiez aux problèmes d'ordre pratique qui se posent pour trouver un emploi.

D'un point de vue correctionnel, vous vous dites : « Eh bien, pourquoi ne pas prendre notre responsabilité quant à la réinsertion de cette personne? Pourquoi ne pas l'aider à se trouver un emploi au lieu de lui placer une épée de Damoclès au-dessus de la tête en lui disant qu'elle doit de se trouver un emploi ou en subir les conséquences? » Aidons cette personne à se trouver du travail et à réintégrer la société.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous les deux de vos témoignages perspicaces et instructifs. J'aime le sens que prend cette discussion.

J'aimerais formuler un commentaire avant de poser ma question. Il est difficile pour les Autochtones et les Noirs partout au pays de trouver un emploi, même s'ils n'ont pas de casier judiciaire; donc les personnes qui en ont un doivent surmonter un fardeau ou un obstacle additionnel.

Monsieur Owusu-Bempah, vous avez conclu en faisant allusion à la prévention. J'aimerais connaître vos réflexions et vos idées concernant des initiatives de prévention que nous pourrions prendre en considération.

M. Owusu-Bempah : Je peux apporter quelques précisions, mais nous savons que pour chaque dollar dépensé en mesures préventives précoces, et cela englobe toutes les mesures, y compris l'offre de soins prénataux aux mères vulnérables qui pourraient avoir des enfants dans des circonstances qui les mèneraient vraisemblablement à commettre un crime, nous constatons un rendement de l'investissement de l'ordre de 3 à 7 $ pour chaque dollar dépensé. Je parle ici de toutes les mesures, allant des investissements dans les soins prénataux, le bien-être en bas âge et l'éducation à la petite enfance aux mesures visant à assurer le succès scolaire des personnes issues de nos communautés les plus marginalisées.

Nous devons aussi examiner le fait que si vous réussissez à vous rendre à l'âge adulte, c'est surtout le cas chez les garçons, sans avoir de comportement délinquant et sans être impliqué dans des affaires criminelles, vous faites partie d'une minorité. Il s'agit d'examiner les groupes qui sont visés par les policiers et de réfléchir aux personnes auxquelles nous imposons un dossier criminel ou contre lesquelles nous entamons des poursuites dans le système de justice pénale, même à un jeune âge.

Une quantité importante et croissante d'études montrent que les personnes qui ont des démêlés avec le système de justice officiel et dont le cas est réglé par les tribunaux, même si elles ont droit à une forme de déjudiciarisation, risquent davantage de commettre des infractions plus tard au cours de leur vie. Cela changera un peu maintenant, mais quand nous ciblons des personnes pour la possession de petites quantités de cannabis, une infraction somme toute commise par une grande partie de la population, nous augmentons les risques qu'elles aient d'autres démêlés avec la justice plus tard. Donc, en ce qui a trait à la prévention, je suis d'avis que nous devons sérieusement réfléchir aux caractéristiques des personnes que nous incarcérons et aux raisons pour lesquelles nous le faisons.

Heureusement, je crois que de nombreuses peines minimales obligatoires établies par le dernier gouvernement seront contestées devant les tribunaux, mais en ce qui concerne les auteurs d'une infraction relativement mineure ou les délinquants qui commettent des crimes mineurs à répétition, il faut se demander sérieusement — nous parlons ici du système fédéral; cela concernerait donc des crimes plus graves — si le fait de dépenser 100 000, 150 000 ou 200 000 $ par année pour accueillir chacun de ces détenus constitue la meilleure façon d'utiliser cet argent, ou si une sorte de programme de travail à l'extérieur du système correctionnel serait la meilleure façon de mettre ces personnes sur la bonne voie.

Nous devons tenir compte des caractéristiques des détenus de nos établissements carcéraux. Ce ne sont pas des personnes qui ont nécessairement eu les meilleures chances ou possibilités dans la vie, et lorsqu'elles ont des démêlés avec la justice et qu'elles en ont à répétition, elles finissent par occuper ces places coûteuses en établissement carcéral.

La sénatrice Bernard : Dans la même veine, la participation de la collectivité à la réinsertion représente une autre question sur le sujet. J'aimerais savoir si vous avez des idées de ce qui pourrait faciliter une telle participation.

M. Owusu-Bempah : Commençons avant la réinsertion, et je vais utiliser l'exemple des jeunes. Lorsqu'un jeune se présente au tribunal et qu'il est reconnu coupable d'avoir fait quelque chose de mal, au moment de la détermination de la peine, le juge doit examiner les soutiens dont le jeune peut bénéficier. Si le jeune est issu d'un milieu relativement privilégié, que ses deux parents sont à la maison, qu'il va à une bonne école et qu'il fait partie d'une équipe sportive, tous ces facteurs vont réduire la peine imposée.

De nombreux jeunes Noirs, Bruns et Autochtones qui ont des démêlés avec le système ne bénéficient pas de ces sources de soutien; alors avant même de penser à celles dont les personnes peuvent avoir besoin à la fin du processus, il faut se demander quel genre d'aide nous sommes en mesure d'établir pour qu'elles n'aient pas à être détenues en premier lieu. Les organismes qui peuvent être en mesure d'aider à cet égard, que ce soit sur le plan de la persévérance scolaire, de la formation professionnelle ou même de l'établissement de relations ou de la participation à des activités sociales — entre autres, la Clinique juridique africaine canadienne est un organisme qui offre certains de ces services —, pourraient aussi fournir des services pour les personnes et les jeunes qui ont des démêlés avec la justice avant qu'ils comparaissent officiellement et aussi à la fin du processus. La Clinique juridique africaine canadienne a des programmes en place, par exemple, pour favoriser la réinsertion sociale, et ceux-ci pourraient être élargis.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Andreychuk : Je suis heureuse de vous revoir, monsieur Doob. Je ne vous avais pas vu depuis de nombreuses années. Merci de votre travail acharné dans ce domaine, et particulièrement auprès des jeunes.

Ce que je comprends de vos propos à tous les deux, c'est que, si nous voulons vraiment réussir à garder les personnes hors des établissements carcéraux et éviter qu'elles aient des démêlés avec la justice, nous devons commencer dès l'âge de un an, et peut-être même avant cela, et fournir les ressources dont ces familles et ces enfants ont besoin. Comme je l'ai dit à la Chambre de la jeunesse, pour de nombreux jeunes, il était trop tard pour que je les aide dans un tel contexte, parce que leurs problèmes concernaient la famille, l'école et la collectivité, soit les ressources dont ils avaient besoin.

Je comprends le désavantage lié à votre point de départ dans la vie et à vos limites, tout cela est valide. Nous adoptons une optique plus limitée de la population carcérale, qui n'est pas limitée en soi. C'est un domaine immense. Je n'ai pas entendu le mot « réhabilitation » dans nos centres correctionnels ou dans nos établissements carcéraux depuis longtemps. La réhabilitation faisait partie de ce principe et constituait l'un des piliers de la détermination de la peine, et les juges faisaient même la promotion des services de réhabilitation dont une personne pouvait avoir besoin pour être en mesure de réussir à sortir de prison et d'être plus productive que lorsqu'elle a été incarcérée.

Comme vous le savez, monsieur Doob, il y a eu un grand débat dans les années 1970 concernant l'octroi d'un pouvoir discrétionnaire plus important aux juges pour qu'ils fassent un suivi et qu'ils rendent le système plus responsable. Je n'entends plus parler de cela maintenant et j'entends très peu parler de réhabilitation dans le système.

Dans de nombreux cas, je vois la libération conditionnelle comme étant une mise à l'épreuve. Nous libérons quelqu'un pour voir s'il a besoin de consulter un médecin. Nous les libérons parce que... Dans un cas récent, nous avons libéré une mère pour qu'elle prenne soin de son enfant, et cetera, mais les libérations ne sont pas faites selon un processus de réhabilitation, de réinsertion.

Si nous prenons, par exemple, Chicago, où il y avait énormément de cas d'incarcération, on s'est concentré sur la mise en place d'un processus de réhabilitation qui serait utile au moment de la libération, et des ressources ont été investies dans ce processus. Cela s'est révélé très productif, car les détenus étaient « prêts à être mis en liberté », dans une certaine mesure, et ils faisaient l'objet d'un suivi. Je pense à ce qu'a dit le professeur sur la disponibilité des services de la clinique africaine. N'est-ce pas ce que nous voulons, au lieu de la façon dont nous fonctionnons maintenant avec la libération conditionnelle, la semi-liberté, et cetera? Peut-être que nous devrions revenir au principe de la réhabilitation en vue de la réinsertion?

M. Doob : Il y a certaines choses que je veux dire à ce sujet. D'abord, nos réalisations à divers égards ne s'excluent pas mutuellement, et c'est important de garder cela en tête. Mais si nous revenons sur ce que mon collègue a dit il y a quelques minutes au sujet de ce qui pourrait être fait, les programmes d'intervention précoce ont mauvaise réputation pour deux raisons. Premièrement, les gens disent : « Nous ne pouvons pas attendre aussi longtemps, nous devons faire quelque chose maintenant avec les gens qui se trouvent ici. »

Il y a deux choses importantes à ce sujet... C'est peut-être parce que j'ai 73 ans, mais 15 ans ne me semble pas très long, et si nous étions intervenus il y a 15 ans sur ces aspects, nous aurions moins de problèmes. Les gens disent que nous ne pouvons pas attendre. Peut-être que le mandat des élus ne dure que quatre ou cinq ans, mais du point de vue de la population, il faut intervenir maintenant et améliorer un peu la société pour nos enfants et nos petits-enfants. La deuxième chose importante, c'est que, en tant que criminologue, cela me fâche un peu lorsque les gens démarrent des programmes sociaux dans le seul but de lutter contre la criminalité. Cela peut sembler étrange, mais, par exemple, lorsque vous avez un programme qui est conçu pour certains groupes d'enfants ou de détenus, nous devrions l'examiner et dire : « Est-ce que la société et cette personne en tirent profit? »

On ne me demande pas si le fait de présenter à mes étudiants les statistiques les rend moins susceptibles de commettre un crime. D'une certaine manière, on évalue si je suis bon à leur présenter les statistiques. Je crois que le problème tient au fait que les gens disent que cela ne diminue pas suffisamment la récidive. C'est peut-être une bonne chose dans la société. Nous n'appliquons pas ce critère aux programmes d'éducation en général, mais, tout à coup, nous l'appliquons aux détenus.

Ensuite, lorsque nous enlevons la liberté à une personne, nous avons aussi la responsabilité de nous rappeler qu'il s'agit d'un citoyen et que certaines possibilités devraient lui être offertes, même si cela ne nous rend pas nécessairement, la population, un peu plus en sécurité.

Finalement, même si certains programmes se sont montrés efficaces en milieu correctionnel, il y a deux choses que j'aimerais dire à leur sujet. La première, c'est qu'ils ne réussissent pas toujours, et la deuxième, c'est que leurs effets ne sont pas très importants. Cela donne à penser qu'il est de la responsabilité des établissements correctionnels — et dans le cas qui nous concerne, du Service correctionnel du Canada — d'essayer de libérer les personnes dans un état qui n'a pas empiré depuis leur incarcération. La barre peut sembler très basse, mais ce n'est pas le cas. Vous ne voulez pas que leur état empire, et il faut saisir les possibilités d'en faire de meilleures personnes.

Les programmes en milieu carcéral ne sont peut-être pas offerts au meilleur endroit. Si vous vous intéressez à la toxicomanie, par exemple, qui est un problème très grave, vous devez vous souvenir que la majorité des personnes n'ont pas accès aux substances qui vous préoccupent. Elles n'ont pas facilement accès à de l'alcool dans les établissements carcéraux fédéraux. Vous mettez donc en place un programme dans un contexte qui ne permet pas de tester les personnes, de leur faire acquérir de nouvelles aptitudes et de leur enseigner des façons de se tenir loin des activités ou des substances que nous souhaitons qu'elles évitent.

Je me pencherais là-dessus d'une façon holistique en disant : « Essayons de faire notre possible sur tous les plans. » Je ne suis pas en désaccord avec vous, mais si j'avais 1 million de dollars à investir dans des programmes pour les personnes qui ont commis des crimes, qui sont sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada, je dirais : « Qu'est-ce que je peux faire avec eux dans la collectivité? » Car 5 000 personnes qui sortent chaque année représentent un nombre important de personnes. Certaines d'entre elles n'ont pas besoin de notre aide. Mais de nombreuses personnes, voire la plupart, en ont besoin. Agissons, que ce soit pour leur fournir un logement ou les aider à trouver un emploi.

Prenons l'exemple du logement. Imaginons que l'une des choses que nous faisons est d'essayer de trouver aux personnes un logement stable et que quelqu'un évalue cette mesure et dise : « Ah, cela n'a pas fonctionné, nous devons donc éliminer ce programme. » D'un point de vue correctionnel, cela peut sembler valable, mais est-ce que le fait de fournir des logements sociaux ne représente plus une bonne chose pour le Canada? Nous l'offrons à un groupe de personnes qui ne peuvent se prévaloir d'autres types de logements sociaux. Il est très difficile de trouver un logement pour les toxicomanes, par exemple, et de nombreux refuges ne les acceptent pas. Eh bien, il est possible que leur offrir un refuge, même si cela ne diminue pas considérablement leurs taux d'infraction, puisse être judicieux.

Je reviens sur ce qui a été dit précédemment : si on décide d'agir, les interventions les plus efficaces que nous connaissons semblent être celles qui sont bonnes à long terme. L'une d'entre elles a été mentionnée par mon collègue il y a quelques instants et concerne les interventions précoces dans le domaine de la santé auprès des mères à risque, par exemple. Auparavant, lorsqu'une femme découvrait qu'elle était enceinte, et ensuite jusqu'à un an ou deux après que l'enfant est né, ces interventions n'étaient pas conçues pour diminuer les crimes. Elles étaient conçues pour améliorer la santé physique et mentale, mais essentiellement la santé physique, et une infirmière rendait visite à ces familles à risque. Finalement, 15 ans plus tard, quelqu'un a fait un suivi et a dit : « Quelle surprise, cela réduit leur taux d'infraction ». Si vous avez commencé à l'âge de neuf ans, cela ne changeait rien, donc il me semble que l'on devrait aussi se pencher sur d'autres résultats bénéfiques.

La sénatrice Andreychuk : J'aimerais que notre autre témoin émette ses commentaires, parce que je suis un peu confuse, monsieur Doob. Je suis d'accord pour dire que vous commencez en bas âge et que vous ne ciblez pas des personnes qui vont devenir des criminels. Vous aidez les personnes qui en ont besoin, et c'est ce que nous faisons tous à l'occasion. Certains ont davantage de besoins que d'autres, et il y a des prédicteurs, et tout le reste.

Le dilemme tient à l'insuffisance de ces services, donc nous avons recours au système judiciaire. Si ces personnes n'obtiennent pas les services dont elles ont besoin, elles finissent par avoir des démêlés avec la justice, et nous devons nous en occuper à partir de ce moment.

Je suis d'accord : c'est ce qui se produit à long terme; mais la question que nous nous posons, c'est : « Que pouvons- nous faire? » Il y a la question générale, et j'espère que nous pourrons la régler, mais il y a aussi les détails. Pour ceux qui se retrouvent dans le système, que pouvons-nous faire? Pouvons-nous au moins essayer de faire quelque chose pour eux et pour la société? Ce n'est pas une question de statistiques. Je crois que si vous offrez un service préventif, il est impossible de prouver que vous êtes la raison du succès ou de l'échec de la personne. Quels programmes pouvons-nous mettre en place auxquels les personnes pourraient accéder?

M. Doob : Comme je l'ai dit plus tôt, il y a déjà des choses qui sont mises en œuvre. Par exemple, il y a des programmes pour délinquants sexuels dont l'efficacité a été démontrée. Il y a aussi d'autres programmes correctionnels qui sont jugés efficaces. Je crois que ces programmes doivent être accessibles, comprenez-moi bien.

Mais dans le contexte actuel — et je sais que ce n'est pas ce que vous avez dit —, je suis préoccupé par les limites qu'on s'impose en insistant uniquement sur les mesures qui peuvent être prises pendant l'incarcération du détenu. On devrait saisir toutes les occasions qui s'offrent pendant que la personne est en prison afin de corriger la situation et ainsi éviter les problèmes dans l'avenir.

Je vais vous donner un exemple intéressant qu'on oublie souvent : sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents — que vous connaissez très bien —, la durée des peines est en grande partie prédéterminée. En fait, on ne parle même pas de peines d'emprisonnement; il est plutôt question d'ordonnances de placement et de surveillance. La loi indique aussi clairement que le juge qui rend l'ordonnance de placement et de surveillance doit dire que le délinquant va purger les deux tiers de sa peine en détention sous garde et l'autre tiers sous surveillance. Donc, on sait comment les choses se dérouleront dès le départ. Il y a des exceptions, mais c'est essentiellement la façon dont les choses se passent.

La loi exige également que le processus de réinsertion sociale de la personne placée sous garde commence dès le premier jour. Il est écrit non pas « dès le premier jour » dans le libellé, mais plutôt quelque chose comme « au début de la peine ». Cela veut dire qu'il est dans l'intérêt général de commencer le processus de réinsertion sociale dès le début, immédiatement, puisque ces personnes vont être mises en liberté après un certain nombre de semaines, de mois ou peu importe. On adopte ce raisonnement pour les jeunes, et on devrait peut-être songer à en faire autant pour les autres délinquants.

La sénatrice Andreychuk : Monsieur Doob, je ne suis pas née de la dernière pluie, et c'était bien l'idée que je me faisais du processus de réinsertion sociale pour les délinquants adultes. Il y a de nombreuses raisons pourquoi ceux-ci sont incarcérés : parce qu'ils doivent payer leur dette à la société et parce qu'il faut protéger le public contre eux. Malgré tout, le délinquant est accompagné dans ce processus de réinsertion sociale qui va lui permettre de participer efficacement aux activités de sa collectivité et de devenir un citoyen respectueux des lois. On dirait que nous avons perdu cela de vue. Je suis satisfaite de voir que cela existe encore, dans une certaine mesure, dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, mais il faudrait vraiment qu'on se penche sur la question.

Jusqu'à ce que quelqu'un élabore un nouveau modèle — que nous allons étudier —, comment pouvons-nous nous occuper, à court et à long termes, des gens qui sont actuellement piégés par le système et qui vont probablement récidiver si on ne leur propose pas quelque chose d'utile pour les aider, eux autant que la société?

Le président : Voyons voir si M. Owusu-Bempah veut dire quelque chose sur le sujet.

M. Owusu-Bempah : Je suis d'accord avec M. Doob. Encore une fois, en insistant sur ce qu'on peut faire dans les établissements exclusivement, on risque de ne voir que l'arbre qui cache la forêt. C'est quelque chose qu'il faut toujours garder à l'esprit, surtout vu la relation qui existe entre les peines d'emprisonnement à perpétuité et le parcours de vie. Les gens qui passent une bonne partie de leur vie dans un établissement correctionnel ont souvent déjà été surveillés dans le passé, par exemple par les services de protection de l'enfance. Souvent, leurs problèmes ne se résument pas aux quatre ans qu'ils passent derrière les barreaux dans un établissement fédéral. Avant d'entrer dans le système correctionnel pour adultes, ils ont également été pupilles de l'État et placés sous surveillance dans le système de justice pénale pour les adolescents. Il ne faut pas se contenter d'examiner uniquement la période où un délinquant est incarcéré; il faut prendre en considération tout son parcours de vie et sa relation avec l'incarcération.

Pour ce qui est des mesures prises, je crois qu'on devrait discuter des programmes annulés par le gouvernement Harper. Je veux surtout parler des programmes de travail dans les établissements. Pourquoi ne pas essayer de faire d'une pierre deux coups et régler certains problèmes qui sévissent dans d'autres sphères de la société, par exemple la pénurie d'ouvriers qualifiés? Pourquoi ne cherchons-nous pas à former cette sous-population — qui a probablement un niveau d'éducation faible et peu de compétences professionnelles — afin de répondre à la demande dans les domaines où il y a un manque de travailleurs? Pour l'instant, nous devons nous rabattre sur l'immigration pour combler notre manque de travailleurs plus ou moins spécialisés. Pourquoi n'élabore-t-on pas dans les établissements des programmes qui permettront aux détenus de trouver un emploi au moment de leur mise en liberté?

Comme M. Doob l'a mentionné, certains modèles de programme correctionnel montrent de bons résultats, mais il y a une limite à l'utilité des programmes de traitement de l'alcoolisme et des autres toxicomanies à l'intention des délinquants. Il en va de même pour les programmes de maîtrise de la colère dans les établissements où la violence est très présente; l'efficacité est peut-être limitée. La réinsertion sociale des délinquants doit comprendre non seulement le traitement de ce genre de problèmes, mais également la possibilité d'acquérir des compétences nécessaires qui leur permettront de devenir des membres productifs de la société. Voilà d'autres solutions qu'on pourrait étudier à cette fin.

Le président : Merci. Continuons. Nous accueillons beaucoup de professeurs aujourd'hui; c'est fascinant d'entendre des experts témoigner.

La sénatrice Pate : Je dois vous demander quelque chose, monsieur le président. J'ai deux ou trois questions que j'aimerais poser. Voulez-vous que j'attende la deuxième série de questions?

Le président : Non, allez-y.

Il nous reste environ 30 minutes. Nous avons la chance rare de n'accueillir que deux témoins. Habituellement, nous en accueillons quatre, et nous devons tout précipiter en une heure. J'adore quand nous avons une conversation ininterrompue, je crois que c'est très important. Nous avons du temps, alors aussi bien l'utiliser.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux, messieurs. Mes collègues et moi sommes heureux de pouvoir discuter avec des experts.

J'aimerais avoir votre opinion sur deux ou trois des sujets qui ont été abordés. D'abord, on a discuté de ce que j'appelle l'opposition entre l'application de la loi et l'application des politiques. Par exemple, monsieur Owusu- Bempah, vous avez dit que les articles 81 et 84 ne s'appliquent pas aux Noirs ni aux autres groupes racialisés. Dans les faits, le libellé de la loi s'applique à tous. Les détenus autochtones sont mentionnés spécifiquement, mais la loi s'applique bien à l'ensemble des détenus; ce n'est qu'une mention spéciale. Cependant, le Service correctionnel du Canada a adopté une politique qui restreint l'application de la loi. On croit souvent, à tort, qu'une politique l'emporte sur l'application de la loi, alors que ce n'est pas le cas sur le plan juridique.

Il y a deux ou trois autres choses que je veux ajouter, mais je tiens à savoir quel dénouement vous prévoyez à cette situation, à la lumière de ce que vous avez tous deux dit jusqu'ici.

Ensuite, je veux aborder la façon dont le processus d'évaluation est interprété. Je veux connaître l'opinion de M. Doob en particulier à ce sujet. Au fil des ans, surtout depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la LSCMLC, en 1992, un grand nombre de personnes ont recommandé de délaisser le processus de classement qui insiste sur les problèmes — c'est-à-dire, qui est axé sur les déficits du délinquant — au profit d'un processus qui prend en considération les besoins, ce que le Service correctionnel du Canada interprète essentiellement comme étant des facteurs de risque. Dans ce contexte, il faudrait que les ressources soient évaluées en fonction des besoins. Ensuite, on pourrait déterminer les risques en fonction des besoins, selon cette logique. Donc, ce qu'on recommande, c'est de distribuer les ressources non pas afin de mettre en place des mesures de sécurité envahissantes, mais plutôt afin d'adopter des approches progressistes comme celles mentionnées par la sénatrice Andreychuk, où l'accent est mis sur la réinsertion sociale. Par exemple, il pourrait s'agir de ressources pour le logement — s'il s'agit d'un problème important, comme c'est le cas dans un grand nombre de collectivités — ou pour la formation professionnelle, comme M. Owusu- Bempah l'a dit. On nous recommande de mettre en place ce genre de mécanisme au lieu de songer à modifier la loi. Il faut interpréter la loi selon l'intention de la personne qui l'a rédigée et présentée aux deux chambres. Donc, je veux savoir ce que vous pensez de tout cela.

Une autre chose : vous avez mentionné la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. L'une de ces dispositions — et, à nouveau, la sénatrice Andreychuk l'a souligné — prévoit que tous les autres mécanismes doivent être étudiés et examinés avant que l'on recoure à l'incarcération; le juge doit aussi démontrer qu'il a bien suivi cette démarche. Si nous avions l'intention de modifier, disons, l'article 4 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en plus de chercher à mettre en place des mesures moins restrictives à nouveau, devrions-nous songer à instaurer un mécanisme similaire à celui que prévoit la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents?

En passant, pour le compte rendu, selon les statistiques du SCC, les délinquants et délinquantes sous responsabilité fédérale coûtent respectivement 115 000 $ et 217 000 $. Le directeur parlementaire du budget en 2010 a étudié ces chiffres, et selon lui, le coût réel est de 348 000 $ pour les délinquantes sous responsabilité fédérale. Il n'a pas évalué le coût pour les délinquants masculins. Vu ces chiffres et les ressources potentiellement à notre disposition, l'application des articles 81 et 84 pourrait faire une grande différence, pas seulement pour les détenus, mais également pour les collectivités auxquelles ils appartiennent.

Je vous invite tous deux à vous exprimer sur le sujet.

M. Owusu-Bempah : Je tiens à vous remercier d'avoir mis en relief la différence entre les lois et les politiques. Cela me fait penser à l'alinéa 718.2e) du Code criminel qui s'applique aux délinquants autochtones, mais que les juges peuvent appliquer à d'autres délinquants. Vous avez peut-être répondu à votre propre question, ou trouvé une solution au problème.

À mon avis, on pourrait étendre cette politique. J'ai déjà donné des arguments appuyant ma recommandation d'élargir l'alinéa 718.2e) du Code criminel afin de l'appliquer aux Afro-Canadiens. Cette question a également été débattue devant les tribunaux, par exemple dans l'affaire R. c. Hamilton. Ce que je recommande, c'est de modifier la politique afin de prendre en considération la situation ou les facteurs propres aux Afro-Canadiens.

M. Doob : Je vais parler un peu du processus d'évaluation. Je nourris de très grandes préoccupations à propos de la façon dont les évaluations sont menées par le Service correctionnel du Canada, autant pour la population carcérale en général que pour les délinquantes, autochtones ou non. Avant tout, je dois préciser que je n'ai pas étudié le sujet de façon approfondie. Récemment, j'ai regardé les données et les rapports sur les délinquantes autochtones, et je ne pouvais pas vraiment dire que les délinquantes autochtones sont désavantagées par rapport aux délinquantes non autochtones, puisque c'est l'ensemble des délinquantes qui sont évaluées, selon moi, de façon inappropriée. Il faudrait donc revoir le processus de classification au grand complet.

C'est quelque chose que la sénatrice Pate a effleuré lorsqu'elle a posé sa question. Lorsqu'il est question des besoins et des risques, on finit toujours automatiquement par insister sur les risques. On insiste sur la peine à purger, sur les antécédents de violence ou sur l'importance du casier judiciaire. Le Service correctionnel du Canada ne peut rien changer à ce genre de choses, et il y a très peu de choses qu'il peut faire à ce chapitre.

Il me semble qu'il faudrait poser un tout autre type de questions si l'on veut qu'une personne puisse tirer tout ce qu'elle peut du système, ou être le moins désavantagée possible. Il faut se pencher sur la meilleure façon possible de favoriser la réinsertion sociale du délinquant dans la collectivité. Comme je l'ai déjà dit de nombreuses fois, les délinquants vont finir par retourner dans leur collectivité de toute façon; il faut donc aborder le problème et distribuer les ressources d'une façon très différente.

Prenons les chiffres que la sénatrice Pate vient de nous donner à propos du coût de l'incarcération des délinquantes. La gestion des délinquantes — même si je n'aime pas utiliser le mot « gestion » — et le processus de réinsertion sociale sont-ils plus efficaces en prison, ou existe-t-il une façon plus paisible — une façon différente — de favoriser la réinsertion sociale des délinquantes? Si, avec un budget de 300 000 $ par personne par année, on n'arrive pas à faire mieux que de prévoir une prison et son enceinte, alors il me semble que l'organisation manque gravement de créativité.

Je pars du principe suivant : avec les sommes que nous dépensons actuellement — et nous dépensons effectivement beaucoup —, pourquoi n'essayons-nous pas de trouver une façon d'optimiser les ressources? Il faudrait les utiliser pour le logement, la formation et tout le reste, ce genre de choses.

Il y a une autre chose qu'il faut garder à l'esprit. Actuellement, vu la sélectivité dont fait preuve le Service correctionnel du Canada, il n'y a aucun problème de récidive chez les délinquants qui obtiennent leur libération conditionnelle.

Faisons un petit exercice logique. Je vous donne le contexte : il y a environ 145 000 adultes accusés annuellement d'une infraction avec violence. D'après vous, au cours de l'année la plus récente pour laquelle nous avons des données, combien de fois la liberté conditionnelle d'un délinquant a-t-elle été révoquée à cause d'une infraction avec violence? Au cas où il s'agirait d'une année aberrante, prenons les quatre ou cinq dernières années ensemble. Combien de personnes ont vu leur liberté conditionnelle révoquée, sur les 140 000 ou 150 000 adultes accusés d'une infraction avec violence? Selon vous, combien y a-t-il eu de révocations de la libération conditionnelle pour une infraction avec violence?

La réponse : moins de 10. L'année dernière, il n'y en a eu aucune. L'année avant, il y en a eu cinq, et l'année précédente, sept. C'est le nombre de détenus sous responsabilité fédérale qui ont vu leur libération conditionnelle révoquée pour avoir commis une infraction avec violence. Il y en a moins de 10 annuellement. Vous voyez que nous avons une aversion démesurée au risque.

Si la liberté conditionnelle est accordée à davantage de personnes, et si on insistait non pas seulement sur ce qu'ils font pendant leur libération conditionnelle, mais aussi en général, on pourrait utiliser nos ressources différemment, et la société n'en serait probablement que plus sécuritaire.

La sénatrice Pate : D'autres personnes sont venues témoigner devant nous, par exemple le Service correctionnel du Canada, la Société John Howard, d'anciens détenus, le Syndicat des agents correctionnels du Canada et l'enquêteur correctionnel du Canada, et nous avons entendu des témoignages diamétralement opposés pendant ces deux jours. J'ai formé ma propre opinion à ce sujet, mais je voulais connaître votre point de vue sur les raisons qui expliquent cela et sur ce que notre comité pourrait en tirer.

M. Doob : Laissez-moi vous donner un exemple où le nombre de personnes n'était pas nul.

En 2013-2014, 970 personnes ont mené à bien leur libération conditionnelle. Parmi ceux-ci, cinq d'entre eux ont vu leur libération conditionnelle révoquée. Si vous travaillez au Service correctionnel du Canada et que vous avez recommandé la mise en liberté de cette personne, ou si vous faites partie de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et que vous avez recommandé la libération conditionnelle d'une de ces personnes, alors ces cinq personnes occupent toute la place dans votre esprit. Vous ne pouvez pas les oublier. Vous n'allez pas penser aux 965 personnes qui n'ont pas eu de problème pendant leur libération conditionnelle, ni aux 107 personnes qui ont vu leur libération conditionnelle révoquée pour avoir manqué à une autre condition. Ce n'est certainement pas les 824 personnes qui ont terminé leur libération conditionnelle sans aucun incident qui vous hantent. Ce qui vous occupe l'esprit, ce sont les autres, ceux qui ont fait du mal.

La vie n'est pas parfaite. Quelque part au Canada, aujourd'hui, une infraction sera commise par quelqu'un qui n'a jamais eu de démêlés avec le système de justice pénale et qui n'a jamais eu de problème avant. Ce n'est pas quelque chose qui nous plaît, cela n'a pas à nous plaire et cela ne devrait pas être le cas, mais ça va arriver. Ce n'est pas le genre de choses qu'on peut empêcher.

Ce qui me préoccupe, c'est lorsqu'on croit qu'on aurait pu prévenir ces cinq cas. On oublie que 824 autres personnes n'ont commis aucune infraction parce qu'elles ont participé au processus de réinsertion sociale avant d'obtenir leur libération conditionnelle. On ne les voit plus, on ne les entend plus, et c'est tant mieux pour elles. Ce qui attire l'attention — je n'aime même pas utiliser le mot « échec » non plus —, ce sont ceux qui ont apparemment fait quelque chose de mal pendant leur libération conditionnelle. Voilà comment les choses se passent.

Aurait-on pu faire quelque chose pour empêcher ces cinq personnes de commettre une infraction avec violence? La solution facile est de ne simplement pas les mettre en liberté. Cela fonctionne jusqu'à ce que l'expiration du mandat entre en ligne de compte.

Le président : Monsieur Owusu-Bempah, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Owusu-Bempah : Je crois que M. Doob a tout dit.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup messieurs. Grâce à vous, nous avons pu avoir une conversation intéressante. Je suis satisfaite de voir que vous insistez surtout sur la prévention, le logement et les programmes qui sont nécessaires. J'ai fait beaucoup de travail communautaire dans le passé, et j'ai réalisé qu'un grand nombre de programmes communautaires avaient été coupés. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'une quinzaine d'années, ça passe rapidement, et qu'il faut investir de l'argent même si la prévention n'est ni un résultat toujours mesuré ni un sujet très passionnant.

Monsieur Owusu-Bempah, je dois avouer que je suis troublée par les problèmes entourant les droits de la personne et le racisme exprimé ouvertement. Avez-vous une opinion ou des idées relativement aux méthodes d'embauche? Y a-t- il une grande diversité chez les personnes qui sont engagées? Offre-t-on des formations sur la diversité ou quelque façon que ce soit pour aider les gens qui ont ce genre de comportement à le corriger? Je crois qu'il serait utile que différents types de personnes ayant des compétences variées — ou même une culture différente — travaillent là-dessus, mais je n'en suis pas sûre.

Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Owusu-Bempah : C'est une excellente question, mais c'est difficile de l'approfondir, vu l'accès limité que nous avons aux établissements carcéraux.

Avant tout, il faut prendre en considération le contexte entourant la question. Les établissements sont isolés de la société; il se passe des choses derrière les murs d'une prison qui, pour la plupart des gens, ne seraient sans doute pas acceptables dans la société en général. Le grand public, les politiciens et un grand nombre d'universitaires semblent croire que ces genres de comportements peuvent ou même devraient se produire derrière les barreaux. On préfère ne pas réfléchir à ce qui se passe en prison.

Il y a probablement de nombreuses raisons qui expliquent cela. Les établissements carcéraux ont leur culture propre, tout comme le milieu policier, par exemple. Nous devons aussi réfléchir au genre de personnes, comme vous l'avez mentionné, qui sont employées dans les établissements.

Prenons la police, par exemple. Les agents de police ne règlent pas les problèmes de discrimination et d'injustice au sein des services policiers. Il faut qu'il y ait de véritables recours à la disposition des gens qui sont victimes de ce genre de comportements, mais on sait, dans le domaine policier, que souvent les gens ne portent pas plainte à la suite de mauvais traitements infligés par des policiers par crainte de représailles. C'est un problème dans la société en général.

Si on applique ce contexte à l'intérieur des murs d'un établissement carcéral, on s'aperçoit, selon moi, qu'il serait très difficile pour un détenu de porter plainte parce qu'il a été maltraité par les gens qui ont tous les pouvoirs et une autorité absolue sur sa vie de tous les jours. Par exemple, j'ai déjà entendu parler, de façon anecdotique, de cas d'isolement préventif. Je sais qu'il n'est pas simple de mettre quelqu'un en isolement cellulaire, mais c'est un moyen que le personnel utilise pour discipliner les délinquants qui ont manqué de respect au personnel de l'établissement ou qui ont maltraité un employé.

Je ne vous ai toujours pas dit comment on pouvait régler ce problème. Il faut mettre en place des mécanismes permettant aux employés qui ont conscience ou sont témoins de ce genre de comportements chez un ou des collègues de les signaler à leurs supérieurs. Toutefois, c'est le contexte où se produisent les comportements qui posent la plus grande difficulté. Dans un établissement carcéral, les délinquants sont très isolés de la société en général, et ils ne peuvent rien faire contre ceux qui ont tant d'autorité et de pouvoir sur leur quotidien; ils sont à la merci des gens qui les surveillent.

La sénatrice Hartling : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Doob?

M. Doob : Non.

Le président : Avant de terminer, il y a un terme utilisé dans le système carcéral : « criminel endurci ». Eh bien, après une vingtaine d'années, il se pourrait très bien que nous ayons affaire à des « surveillants endurcis » même si ce n'est pas un terme qu'on utilise.

Ce n'est peut-être pas une bonne question à vous poser, mais vous connaissez probablement la réponse. Au Service correctionnel du Canada, y a-t-il des programmes en place qui peuvent aider les surveillants? Avez-vous lu ou entendu quelque chose à ce sujet? Même à l'établissement local ici à Ottawa, il semble qu'il y ait chaque semaine un nouveau cas d'agression alléguée commise par un surveillant. Il y a des programmes offerts dans la fonction publique qui offrent des formations ou des mises au point offertes par des professionnels. Est-ce qu'on fait les choses correctement dans le système correctionnel?

M. Owusu-Bempah : Je ne peux pas vous répondre. Je n'en suis pas sûr.

M. Doob : Moi non plus, j'en ai bien peur.

Le président : Il semble que la sénatrice Pate soit au courant. Nous allons donc terminer après l'intervention de la sénatrice Pate. Vous avez levé la main.

La sénatrice Pate : Je peux parler?

Le président : Oui.

La sénatrice Pate : Quand nous avons accueilli M. Ivan Zinger, il a mentionné les études sur ce genre de culture. Le Service correctionnel du Canada a mené un certain nombre d'examens sur le processus de dotation. J'avais posé la question en partie afin d'approfondir des questions liées à des choses comme les documentaires Quiet Rage et 13th. Il semble qu'il soit extrêmement difficile de tenter de modifier cette culture.

En outre, j'ai reçu la fin de semaine dernière des messages de la Commission canadienne des droits de la personne, entre autres, dans lesquels on exprimait des préoccupations à propos de la dotation. Il y a d'énormes problèmes à ce chapitre. Les programmes d'aide aux employés peuvent certainement apporter de l'aide.

Le président : Je crois que les syndicats jouent également un rôle.

La sénatrice Pate : C'est vrai, le Syndicat des agents correctionnels du Canada est aussi venu témoigner, et si cela vous intéresse, il y a d'autres études sur le sujet que vous pouvez consulter.

Le président : C'est quelque chose qu'on devrait approfondir. Je crois que c'est important. Nous avons eu une discussion importante et fascinante depuis la dernière heure et demie. Habituellement, nous n'avons pas cette chance. C'est quelque chose qu'on devrait faire plus souvent, parce que cela nous permet de tirer parti de tout le temps que nous avons avec vous afin de rédiger notre rapport.

Nous allons maintenant poursuivre les travaux à huis clos. Merci beaucoup, messieurs.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page