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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 15 - Témoignages du 8 mars 2017


OTTAWA, le mercredi 8 mars 2017

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 31, pour poursuivre son étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel et examiner un projet d'ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, sénateur et sénatrices. Je remarque qu'une de nos témoins participera par vidéoconférence.

Avant de commencer, je demanderais aux membres du comité de se présenter. La vice-présidente du comité n'est pas encore arrivée.

Commençons par vous, sénatrice Martin.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Maltais : Sénateur Maltais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick. Bonne Journée internationale de la femme.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Je suis le sénateur Munson, de l'Ontario, et je suis le président du comité. J'aimerais d'abord souligner que nous célébrons aujourd'hui la Journée internationale de la femme, une journée pour souligner l'influence déterminante des femmes dans tous les aspects de notre vie. Je dis cela en toute sincérité.

Ceci dit, j'aimerais m'adresser à notre témoin de l'Université de London. Comme vous le savez, nous avons amorcé notre étude sur les droits de la personne des prisonniers dans les prisons canadiennes et nous avons besoin d'un point de vue international.

L'une des principales priorités — et c'est à propos, en cette Journée internationale de la femme. Les femmes autochtones dans nos prisons sont très nombreuses proportionnellement à la population canadienne. Nous avons une pensée pour elles en cette Journée internationale de la femme. Nous pensons à elles et à leurs droits fondamentaux en cette journée très spéciale, car nous espérons, grâce à notre étude, être en mesure de changer leur vie et celle de tous les prisonniers.

Nous accueillons, aujourd'hui, Sarah Turnbull, chargée de cours en criminologie, faculté de droit, Université de London, qui participe par vidéoconférence, et Bonnie Brayton, directrice nationale du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada, qui se joindra à nous sous peu.

Nous vous souhaitons à toutes les deux la bienvenue. Nous allons commencer par Mme Turnbull.

Vous avez la parole. Bienvenue au comité et merci beaucoup de vous joindre à nous ce matin.

Sarah Turnbull, chargée de cours en criminologie, faculté de droit, Université de London, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à témoigner devant le comité. Comme certains d'entre vous l'ont souligné, nous célébrons aujourd'hui la Journée internationale de la femme et c'est un privilège particulier pour moi de pouvoir témoigner en cette journée afin de souligner l'importance des droits des femmes en tant que droits de la personne et la pertinence des questions de diversité et d'égalité pour les travaux du comité.

Je sais que le sujet d'aujourd'hui porte sur les prisonnières. Je ferai donc un effort pour m'en tenir à ce sujet, ainsi qu'au croisement du sexe, de la race et de la peine au Canada. Je tenterai surtout d'aborder l'inclusion des préoccupations relatives à la diversité dans les politiques et pratiques correctionnelles et de libérations conditionnelles, notamment les préoccupations relatives aux prisonnières, préoccupations intégrales à cette discussion.

J'aimerais d'abord souligner que, comme dans tous les pays postcoloniaux, le caractère racial, culturel et sexuel des contrevenants dans les prisons canadiennes a changé considérablement au cours des dernières décennies. Par conséquent, et je suis convaincue que vous le savez déjà, le régime correctionnel et le système de mise en liberté sous condition au Canada doivent de plus en plus tenir compte des conséquences de la diversité dans l'élaboration de politiques et de plans opérationnels. Cela varie du traitement des prisonniers aux types de services offerts, en passant par la formation du personnel.

Conséquemment, une approche universelle irait à l'encontre des normes relatives aux droits de la personne et des droits constitutionnels des peuples autochtones et serait contraire à l'idéal multiculturel de la diversité.

Le comité doit surtout reconnaître que les personnes les plus vulnérables sont surreprésentées dans nos prisons. Le mandat du comité d'examiner la situation des groupes de personnes désavantagées, y compris les Autochtones et les peuples et femmes radicalisés, est louable.

J'affirme que la diversité est intégrale à notre compréhension des droits de la personne des prisonniers et à notre réponse face à ces droits. Service correctionnel Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada ont tous les deux tenté d'inclure les questions de diversité dans les politiques et pratiques touchant les détenus sous responsabilité fédérale.

Par exemple, la Commission des libérations offre des audiences avec l'aide d'un aîné et des audiences avec l'aide d'un membre de la collectivité afin de rendre le processus de libération plus équitable et plus pertinent et adapté à la culture des prisonniers autochtones. Pourtant, lorsque l'on parle de façon plus générale de la diversité au sein de la population carcérale fédérale, à qui fait-on référence? Le terme « diversité » fait-il uniquement référence aux prisonniers qui sont différents en raison de leur identité de genre, raciale, ethnique, culturelle, linguistique, autochtone ou sexuelle? Quelle est la différence entre s'attaquer à la diversité et les engagements pris dans le cadre de politiques et de pratiques envers la lutte contre le racisme, le sexisme et le colonialisme?

Il est important de porter un regard critique sur la définition de nos idéaux sur la diversité et la façon d'y adhérer. Cela nous pousse à réfléchir aux origines du système actuel et à la façon dont les normes ont été établies en fonction de la norme souvent tenue pour acquise des prisonniers de race blanche de langue française ou anglaise. Nos régimes correctionnels fondés sur des épistémologies et des coutumes relatives à la race blanche attribuées en grande partie aux prisonniers mâles, lesquels, comme nous le savons, composent la grande majorité des prisonniers fédéraux.

Je sais que cet argument n'a rien de nouveau. Toutefois, dans le contexte des prisonniers vulnérables et désavantagés, je crois qu'il est important de le répéter.

Dans le cadre de notre réflexion sur l'inclusion de la diversité, il est important d'examiner si l'ajout de la diversité aux politiques et structures actuelles permettrait vraiment de tenir compte des réalités et expériences particulières des prisonniers autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou de sexe masculin. Réfléchir à la question de la diversité signifie également réfléchir aux normes souvent tenues pour acquises de masculinité et d'appartenance à la race blanche que l'on retrouve dans les politiques et pratiques relatives à la correction et à la libération conditionnelle.

Dans le cadre de mes recherches, je me suis intéressée particulièrement à l'élaboration de politiques et de pratiques adaptées à la culture et au genre en vigueur dans le système carcéral canadien. L'engagement du Canada envers la Charte, la Loi sur le multiculturalisme et les diverses conventions internationales relatives aux droits de la personne témoignent de l'importance accordée à l'égalité et à la diversité dans le traitement des prisonniers.

Comme je l'ai déjà dit, Service correctionnel et la Commission des libérations ont tous les deux pris des mesures pour satisfaire aux besoins des femmes autochtones et de ceux qui font partie du groupe que l'on appelle « les délinquants ethnoculturels ».

Mes recherches m'ont permis de constater que les approches stratégiques aux questions de diversité tendent à traiter les problèmes liés à la différence de façon séparée. Prenons, par exemple, le site web de SCC. Sur ce site, on identifie trois groupes de prisonniers : les femmes, les Autochtones et les ethnoculturels.

Mes recherches sur la mise en œuvre d'initiatives liées à la diversité à la Commission des libérations conditionnelles m'ont permis de découvrir une approche similaire axée sur ces trois groupes distincts. Pourtant, la notion de recoupement attire l'attention sur la façon dont différentes facettes de l'identité vont de pair et ne peuvent être traitées de façons distinctes. L'identité et les questions relatives au pouvoir, aux privilèges et aux peines sont indissociables.

Concernant les prisonnières, le dernier rapport annuel du Bureau de l'enquêteur correctionnel souligne que le nombre de prisonnières sous responsabilité fédérale au Canada a augmenté de 35 p. 100 depuis 2004-2005, et que le nombre de prisonnières autochtones a augmenté de 57 p. 100 au cours de cette même période. On remarque également une croissance notable du nombre de prisonnières asiatiques et de race noire dans les prisons fédérales.

De plus, selon ce même rapport, les femmes autochtones comptent maintenant pour 36 p. 100 des prisonnières sous responsabilité fédérale et elles sont considérablement surreprésentées dans les pénitenciers à sécurité maximale et en isolement.

Ces statistiques montrent la diversité de l'ensemble des prisonnières. Outre leurs différentes origines raciales et ethniques, les prisonnières sont également très différentes sur le plan de l'âge, de la sexualité, de la classe sociale, des compétences et de l'identité du genre, en ce qui a trait au nombre grandissant de transgenres. La façon de réagir correctement à ces différences au sein de la catégorie des prisonnières et la relation entre ce groupe et les Autochtones et ethnoculturels ne sont qu'une partie du défi.

Par exemple, selon mes recherches, les prisonnières tendent à être traitées comme un groupe homogène, alors que les Autochtones et ethnoculturels sont traités selon une norme masculine. Dans mon livre, Parole in Canada, j'avance que cette approche en vase clos risque de mener par mégarde à l'exclusion des besoins et expériences des prisonnières autochtones et de couleur.

Je suis d'accord avec l'un des témoins précédents, M. Akwasi Owusu-Bempah, sur la nécessité de tenir compte de l'hétérogénéité des prisonniers du groupe ethnoculturel au sein de la population carcérale sous responsabilité fédérale. Cette catégorie tend à regrouper tous les détenus qui ne sont pas autochtones ou de race blanche — une population très diversifiée qui n'a pas nécessairement les mêmes besoins, préoccupations ou expériences. Dans le cadre de mes recherches actuelles, ce groupe compte également les prisonniers étrangers qui sont peut-être en instance d'expulsion en raison de leur condamnation.

Puisque je vis en Europe, je sais que dans de nombreux pays de l'Europe de l'Ouest, le nombre de prisonniers étranger est en hausse. Cependant, au Canada, il est très difficile d'obtenir des statistiques sur le nombre d'étrangers au sein de la population carcérale fédérale. Les recherches effectuées sur les étrangers montrent que ce groupe de détenus est peut-être davantage isolé en raison des obstacles linguistiques et de l'accès à la libération conditionnelle. Ils peuvent aussi avoir des besoins particuliers liés à leurs droits fondamentaux lorsqu'ils font face à une expulsion ou lorsqu'ils sont détenus dans un Centre de surveillance de l'immigration, que l'on connaît également sous le nom de Centre de détention de l'immigration, après avoir purgé leur peine.

Je soutiens que les prisonniers étrangers, une catégorie diversifiée sur le plan du genre, de la race et de l'ethnicité, peuvent être plus vulnérables et désavantagés en prison et qu'il s'agit d'une question à laquelle le comité pourrait s'intéresser.

En terminant, j'aimerais souligner qu'il serait nécessaire de mener des recherches universitaires indépendantes sur les expériences vécues par les prisonniers sous responsabilité fédérale pendant leur incarcération et leur libération conditionnelle. Il est pratiquement impossible pour les chercheurs universitaires d'avoir accès aux prisons canadiennes ou au système de libération conditionnelle. De nombreux universitaires doivent avoir recours à la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir des renseignements ou tenter de joindre d'anciens détenus qui ne font plus l'objet d'une supervision. Il est également difficile de s'entretenir avec des décideurs ou des membres du personnel carcéral chargés d'assurer le déroulement des activités quotidiennes des établissements carcéraux et du système de libération conditionnelle.

Je soutiens que les obstacles à la recherche universitaire indépendante nuisent à la transparence des questions relatives aux droits de la personne des prisonniers en particulier et du système carcéral fédéral en général et à leur compréhension. Dans d'autres pays, comme au Royaume-Uni, où je travaille, les chercheurs ne sont pas habituellement assujettis à des restrictions aussi sévères. On leur accorde souvent la permission de visiter les prisons et autres centres de détention pour mener des recherches sur les détenus et le personnel carcéral. Selon moi, afin d'être mieux informés sur les questions relatives aux droits de la personne en ce qui a trait aux établissements carcéraux et aux libérations conditionnelles, il est important d'accroître l'accès à ces sites et aux conditions de détention des divers prisonniers.

Je vous remercie beaucoup de votre temps et de votre intérêt.

Le président : Merci beaucoup. Pendant que les sénateurs ajoutent leur nom à la liste d'intervenants, je vais en profiter pour vous présenter la vice-présidente du comité, la sénatrice Salma Ataullahjan. Elle participera brièvement à cette séance. C'est un sujet qui vous intéresse beaucoup. En cette Journée internationale de la femme, nous discutons des prisonnières.

La sénatrice Ataullahjan : Vous me pardonnerez mon retard. Je préparais mes notes d'allocution sur ce sujet en vue d'un autre événement.

Le président : Sénateur et sénatrices, si vous souhaitez ajouter votre nom à la liste d'intervenants, c'est le moment. Je vais poser quelques questions. J'attends habituellement à la fin de la séance pour poser mes questions, après tous les autres intervenants, mais puisque nous attendons, je vais le faire maintenant.

Certaines contrevenantes au pays participent à un programme mère-enfant en établissement qui permet aux enfants de vivre avec leurs mères pendant l'incarcération de celles-ci. Selon vous, serait-il souhaitable d'accroître le nombre de participantes? Aussi, vos études vous ont-elles permis de dégager des façons d'y arriver?

Je m'adresse à Mme Turnbull en l'attente de Mme Brayton qui vient tout juste d'arriver. Quelle est votre opinion sur la question?

Mme Turnbull : Je crois qu'il faudrait d'abord se demander si les femmes doivent être incarcérées. Malheureusement, je ne suis pas vraiment une spécialiste des programmes mères-enfants. L'unité familiale est importante, mais, bien entendu, l'éducation des enfants dans le milieu carcéral soulève plusieurs questions. Peut-être y a-t-il une autre option pour ces femmes.

Le président : Dans le cadre de vos études, avez-vous examiné le problème de la double occupation? Si j'ai bien compris, ce phénomène est en hausse. Selon vous, la double occupation entraîne-t-elle la violence et d'autres problèmes de comportement chez les prisonnières? Savez-vous si Service correctionnel Canada travaille à une solution pour résoudre le problème de la double occupation, un problème qui touche à la fois les hommes que les femmes?

Mme Turnbull : Encore une fois, ce n'est pas vraiment mon domaine de compétence. Si je ne m'abuse, en 2014, différents investissements dans le système carcéral fédéral ont été renouvelés, notamment pour agrandir certaines installations au pays dans le but d'ajouter des lits et de peut-être éviter le problème de la double occupation. J'encourage de nouveau le comité à songer à des pratiques plus larges en matière de désincarcération pour réduire le nombre de prisonniers et ainsi éviter les problèmes de surpopulation et de double occupation.

Le président : Merci pour cette réponse. Nous aurons beaucoup de questions à vous poser.

Bonnie Brayton s'est jointe à nous.

Bonnie Brayton, directrice nationale, Réseau d'action des femmes handicapées du Canada : J'attends seulement mes notes d'allocution.

Le président : Pendant que vous vous préparez, je vais laisser la parole à la sénatrice Martin.

La sénatrice Martin : Merci, madame Turnbull. Ce que vous avez dit vers la fin de votre exposé a retenu mon attention, soit qu'il y a un manque de recherches universitaires en raison du manque d'accès aux prisonnières. Je me demande à quoi ressemble le corps de la recherche au Canada comparativement à d'autres pays. Pourriez-vous nous parler un peu plus de la nécessité d'accroître les recherches universitaires et des obstacles à ces recherches jusqu'à maintenant?

Mme Turnbull : Il est très difficile pour les chercheurs de se rendre dans les établissements carcéraux pour s'entretenir directement avec les prisonnières. Comme je l'ai dit, dans beaucoup d'autres pays, comme les États-Unis, l'Angleterre et le Pays de Galles, il est habituellement plus facile pour les chercheurs de se rendre dans les prisons et autres centres de détention pour recueillir différentes données. Je ne parle pas uniquement du nombre de personnes dans diverses situations, mais aussi d'informations plus concrètes sur les expériences quotidiennes des prisonniers, notamment les prisonnières, pour comprendre ce qu'ils vivent tous les jours et les obstacles, difficultés et défis avec lesquels ils doivent composer. Ils peuvent aussi s'entretenir avec le personnel carcéral et ceux chargés de prendre soin des prisonniers pour connaître les enjeux auxquels ils sont confrontés. En raison de ce problème d'accès au Canada, nous n'avons pas beaucoup d'études approfondies sur la vie des prisonnières d'un point de vue plus ethnographique ou qualitatif qui fourniraient des détails importants pour nous aider à bien comprendre les violations possibles des droits de la personne et comment elles sont vécues.

En ce qui concerne les obstacles, souvent, les demandes envoyées à Service correctionnel Canada sont simplement rejetées. Il est difficile pour les chercheurs d'avoir accès aux installations pour effectuer de telles recherches. Cela entraîne un manque d'information sur les expériences quotidiennes des prisonniers et le respect ou le non-respect des droits de la personne.

La sénatrice Martin : Je peux comprendre qu'il y ait des enjeux liés à la protection de la vie privée dans le processus global, dans les mécanismes en place pour permettre cette recherche. Je comprends la complexité de cet enjeu et les raisons pour lesquelles nous devons poursuivre nos efforts pour trouver des façons stratégiques de collecter des données et des informations. L'étude que nous entreprenons est une étude à long terme, mais elle sera essentielle pour ajouter aux renseignements auxquels les chercheurs et les professeurs comme vous ont accès actuellement.

Mme Turnbull : Je pense que vous faites un travail formidable. Je vous en félicite.

Le président : Sénatrice Bernard, vous avez une question complémentaire au sujet du volet recherche.

La sénatrice Bernard : Merci. Je souscris entièrement à vos propos. J'ai moi-même été confrontée à certaines de ces difficultés liées à la recherche dans les prisons. Avez-vous des recommandations précises qui pourraient être utiles au comité? Comment peut-on éliminer les obstacles?

Mme Turnbull : C'est une question difficile. Je comprends, pour avoir travaillé au Royaume-Uni, que la relation entre le milieu carcéral et le milieu universitaire est quelque peu différente. Il s'agit d'une relation plus symbiotique, comparativement à une relation où le système correctionnel ne voit pas la pertinence de la recherche universitaire. L'élimination de certains de ces obstacles pourrait nécessiter un changement de culture du SCC et de la Commission des libérations conditionnelles afin que la recherche indépendante ne soit pas perçue comme une menace, mais comme un aspect important des connaissances sur les diverses expériences des personnes incarcérées et des conditions dans le milieu.

Les analyses critiques et les études universitaires indépendantes sont des aspects importants pour aborder les enjeux sous des angles distincts des recherches internes que pourrait mener le SCC, et cela s'ajoute aux renseignements statistiques qui sont recueillis. Encore une fois, je suis une spécialiste de la recherche qualitative. Je pense qu'il est important d'avoir la possibilité de discuter avec les gens ou de passer du temps dans les établissements de détention pour mieux comprendre ce que ces gens vivent au quotidien.

Il est possible d'oublier que ce sont là des expériences concrètes qui se produisent au quotidien lorsqu'on aborde la question des droits de la personne de manière abstraite. Cela peut parfois être des choses toutes simples, comme se faire refuser un repas halal ou ne pas avoir droit à un chandail chaud, mais pour la personne incarcérée, ce sont des enjeux très importants. À mon avis, permettre à des gens de faire des recherches sur place, dans les établissements, nous aiderait à mieux comprendre ce qui s'y passe.

Le président : Merci.

Je pense que ce serait une bonne idée d'entendre vos points de vue avant de poser d'autres questions. Je pense que j'ai été un peu injuste envers Mme Turnbull en lui posant des questions précises qui n'étaient pas liées à son expertise.

Mme Brayton : Merci d'avoir répondu.

Le président : Je vais vous présenter encore une fois. La sénatrice Omidvar vient aussi de se joindre à nous.

Mme Bonnie Brayton est directrice nationale du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada. La parole est à vous. Soyez la bienvenue.

Mme Brayton : Merci beaucoup, sénateur Munson. Merci, Sarah, de vos commentaires. Je remercie le comité de nous avoir invitées aujourd'hui. Le moment est idéal, étant donné que c'est la Journée internationale de la femme. C'est de bon augure.

Je présenterai un mémoire écrit pour appuyer bon nombre de points que je soulèverai aujourd'hui. J'ai dû préparer des notes d'allocution, mais je suis heureuse de discuter de ce sujet d'une grande importance. Je vous suis très reconnaissante d'étudier cet enjeu.

Victimisation et criminalisation, la réalité des femmes handicapées en milieu carcéral. Bonjour. Bonne Journée internationale de la femme à tous ceux qui sont ici et à ceux qui écoutent la réunion. Je tiens d'abord à reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire des Algonquins, et que nous sommes actuellement dans un processus de vérité et de réconciliation avec les Premières Nations du Canada. Dans le cadre de ce processus, nous commençons peut-être aussi à reconnaître le problème de la surreprésentation des peuples autochtones — y compris les femmes — dans le système correctionnel, qui est un autre exemple de ce qu'on pourrait qualifier d'oppression systémique.

Les informations que je souhaite transmettre au comité aujourd'hui sont très ciblées. Dans ma préparation pour la réunion aujourd'hui, j'ai constaté que d'autres recherches corroboraient les études que j'avais déjà. Je crois comprendre que votre étude se poursuivra sur une longue période; j'en déduis que nous aurons le temps de présenter d'autres études.

Des études ont été réalisées au Canada, aux États-Unis et en Australie sur la question de la surreprésentation des femmes autochtones, que nous venons d'évoquer. Ces recherches démontrent clairement que plus de 40 p. 100, des femmes incarcérées sont des femmes handicapées. Qui sont ces femmes? Quelle est la nature de leur handicap? L'éventail est assez large, évidemment, mais il convient de se concentrer sur des groupes de femmes précis lorsqu'on cherche à expliquer cette surreprésentation et l'évolution de cette situation dans une perspective systémique.

Encore une fois, l'une des études sur lesquelles je fonde mes observations est une étude canadienne réalisée par une femme, la Dre Angela Colantonio. Elle a entrepris une étude sur la population carcérale féminine en Ontario, une étude qui confirme que près de 40 p. 100 des femmes incarcérées en Ontario ont deux points en commun : premièrement, elles ont eu une lésion cérébrale traumatique et, deuxièmement, elles ont été victimes d'agressions sexuelles dans leur enfance. Je pense qu'il est plutôt troublant de constater que près de la moitié de la population carcérale féminine a ces deux points en commun.

Quant aux autres femmes dont il est question, elles ont soit un trouble d'apprentissage, soit une déficience intellectuelle légère. Soulignons que les données canadiennes, en particulier celles d'une étude menée en Alberta, démontrent que dans les prisons, la représentation des femmes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble d'apprentissage est de trois à six fois plus élevée que dans la population générale. Pensez à ce que cela signifie sur le plan de la criminalisation des femmes handicapées.

Chez les femmes ayant un trouble de santé mentale et ayant reçu un diagnostic de trouble de santé mentale — souvent chez les deux autres groupes que j'ai mentionnés, soit les femmes qui ont eu une lésion cérébrale traumatique et celles qui ont une déficience intellectuelle légère —, on observe que le problème de santé mentale découle souvent d'un traumatisme cérébral ou d'un trouble d'apprentissage, diagnostiqué ou non. On parle encore une fois de femmes auxquelles on a apposé une étiquette, mais de façon incorrecte, car on n'indique pas qu'elles ont une déficience. Elles sont catégorisées en fonction de leur attitude, de leurs problèmes et de choses non diagnostiquées qui ne sont, en réalité, que des manifestations de leur déficience.

Je tiens aussi à souligner qu'on trouve dans d'autres établissements des femmes qui sont en prison en raison du manque de logements adaptés pour les femmes handicapées. Un des exemples que je peux vous donner est celui d'une jeune femme qui avait une lésion cérébrale et qui s'est suicidée l'année dernière parce qu'elle avait été placée dans une résidence pour personnes âgées. Elle y avait été placée parce qu'il n'y avait pas de résidence supervisée adaptée à ses besoins dans sa collectivité. Ces femmes se retrouvent dans d'autres établissements de soins, et parfois en prison, en raison de l'absence de centres d'hébergement ou logements supervisés dans la collectivité.

L'autre exemple que j'aimerais vous donner est un cas troublant survenu il y a quelques années, en Nouvelle-Écosse. Une femme a été placée en établissement en raison de compressions budgétaires qui ont entraîné la fermeture du foyer de groupe où elle était hébergée auparavant. Elle a donc été placée en établissement, où elle a eu un conflit avec une autre personne. On n'a pas compris que le problème était lié à sa déficience et à l'absence de mesures de soutien aux personnes handicapées. Elle a été accusée de voies de fait.

Cela me ramène donc, encore une fois, à l'idée selon laquelle nous criminalisons les femmes handicapées au lieu de les aider. Nous les plaçons dans une situation délicate : soit elles deviennent des victimes, soit elles se retrouvent dans le système carcéral.

Revenons à la Dre Angela Colantonio. Elle a fait une étude sur la population de sans-abri de Toronto. On constate que plus de 50 p. 100 des femmes sans-abri de Toronto ont aussi un point en commun : elles ont toutes subi un traumatisme cérébral avant d'être sans-abri. J'invite le comité à ne pas limiter son étude aux femmes qui sont incarcérées et à étudier aussi le cas des femmes qui sont dans cette voie en raison du manque de soutien, du manque de logements et de l'absence de programmes et de services d'aide qui permettent à ces femmes de vivre dans la société dans la dignité, d'avoir la possibilité de trouver un emploi et d'aller de l'avant.

Je recommande fortement au comité d'examiner les travaux — que je citerai sans doute — de Mme Jo-Anne Wemmers, une criminologue bien connue qui a fait des études approfondies sur les phénomènes de la criminalisation et de la victimisation et sur les liens entre les deux.

J'aimerais attirer l'attention du comité sur une autre étude, qui est liée à la décision de la Cour suprême concernant le travail du sexe au Canada. Je traiterai de cette étude dans mon mémoire. Il s'agit d'une étude sur les travailleuses du sexe qui a été réalisée en Colombie-Britannique il y a deux ou trois ans. Cette étude qualitative portait sur quelque 3 500 travailleuses du sexe dans cette province. Une donnée sur laquelle les chercheurs ne se sont pas vraiment concentrés a retenu l'attention du Réseau d'action des femmes handicapées du Canada; je crois qu'elle est extrêmement révélatrice : 35 p. 100 des travailleuses du sexe ont indiqué avoir une invalidité de longue durée avant de devenir des travailleuses du sexe. Donc, plus du tiers des travailleuses du sexe qui ont participé à cette étude sont des femmes handicapées, même si elles ne sont pas nécessairement considérées comme telles. Personne ne leur offre une aide concrète dans ce contexte, mais il n'en demeure pas moins que c'est ce qu'elles sont.

Je répète qu'il y a là des tendances évidentes.

Même si cela pourrait dépasser un peu le cadre de la discussion, je tenais à traiter d'une décision à laquelle RAFH Canada a participé. La Cour suprême a rendu une décision concernant un incident de violence mettant en cause une femme atteinte d'une déficience intellectuelle qui a été victime d'une agression sexuelle. J'aborde la décision dans l'affaire R c. D.A.I. parce que l'enjeu fondamental de cette affaire, c'est que personne n'a cru la version de cette jeune femme : ni le ministère public, ni le juge, ni la défense. L'approche adoptée au cours de l'instance devant la cour provinciale était de miner son témoignage en faisant valoir qu'elle ne pouvait faire la distinction entre la vérité et le mensonge.

Je mentionne cette cause non pas pour en examiner les détails, mais pour souligner la réalité : le système de justice n'appuie pas les femmes handicapées, ne leur accorde aucune crédibilité et ne comprend pas leurs besoins qui leur sont propres, peu importe le côté où elles sont lorsqu'elles ont affaire à la justice.

En ce qui concerne l'isolement, je précise que j'ai eu l'honneur de collaborer avec Mme Renu Mandhane lorsqu'elle était chercheuse à l'Université de Toronto. Elle a fait une étude qui vous sera fournie, par moi-même ou quelqu'un d'autre. L'étude, intitulée Cruel, Inhuman and Degrading?, est une importante analyse de la réalité. Nous avons des preuves bien documentées sur les conditions et la situation des femmes incarcérées ayant des problèmes de santé mentale.

Évidemment, ce rapport porte essentiellement sur le cas d'Ashley Smith; je suis certaine que beaucoup de gens vous en parleront. Je pense qu'il est primordial de souligner que cette jeune femme correspond exactement au profil que j'ai décrit, soit celui d'une personne qui a été criminalisée au lieu d'être aidée. Comme nous le savons, le crime d'Ashley a été de lancer une pomme sur un employé des postes. Nous savons à quel point nous l'avons laissée tomber, à quel point le système correctionnel l'a laissée pour compte, et nous savons qu'en fin de compte, sa mort a été causée par l'isolement et par les conditions totalement inacceptables qui prévalaient au cours de son incarcération.

Je tiens à souligner que nous devons commencer à établir la corrélation entre la violence faite aux femmes et aux filles handicapées et leur surreprésentation dans la population carcérale. L'un des traits communs, comme je l'ai indiqué précédemment, c'est qu'elles ont été victimes d'agression sexuelle, de violence physique ou de négligence dans leur enfance. Concrètement, cette corrélation par rapport à la surreprésentation de femmes dans les prisons s'inscrit dans un contexte précis : nous ne nous attaquons pas aux causes fondamentales du problème et aux enjeux sociaux qui mènent à leur incarcération.

La prévalence des lésions cérébrales traumatiques chez les femmes est un autre aspect du portrait global que je tente de brosser sur cette population. Cet aspect n'est pas encore très bien documenté, mais les données sont de plus en plus nombreuses. J'ai évoqué les lésions cérébrales traumatiques chez les femmes incarcérées, et j'aimerais vous parler d'une autre étude. La Dre Angela Colantonio et d'autres chercheurs canadiens ont commencé une étude approfondie sur les taux de prévalence des lésions cérébrales traumatiques chez les femmes dans les refuges et les maisons de transition. Ce taux se situe entre 35 et 80 p. 100, ce qui signifie qu'entre un tiers et les trois quarts des femmes qui se retrouvent dans des maisons de transition et des refuges ont une lésion cérébrale traumatique. Cela n'a rien de surprenant, car nous parlons de femmes qui ont été victimes de violence et, souvent, de violence répétée.

Il est particulièrement important de comprendre que la recherche — que le comité aura le temps d'étudier de façon approfondie — révèle d'importantes différences entre les hommes et les femmes quant à l'incidence des lésions cérébrales. C'est aussi un exemple du problème d'ordre général dont il est question, soit la croissance effarante du nombre de femmes qui deviennent handicapées en raison de la violence, et le fait que la surreprésentation des femmes dans les prisons est une des manifestations de la violence faite aux femmes dans notre société.

J'aimerais aller encore plus loin et demander au comité d'étudier la proportion de personnes handicapées dans la population autochtone, qui est plus élevée que dans la population non autochtone. Les données que nous avons sont anecdotiques et incomplètes, car elles ne sont pas recueillies systématiquement. Toutefois, chez les femmes autochtones, la proportion est d'au moins 35 p. 100. Cela signifie qu'au moins le tiers des femmes autochtones est susceptible d'être atteint d'un handicap quelconque.

En outre, le comité pourrait examiner la pertinence de formuler des recommandations à cet égard par rapport à l'enquête sur les femmes disparues ou assassinées, étant donné qu'on y examine les enjeux systémiques. Je ne crois pas que le problème systémique des taux d'invalidité et de son importance dans le dossier des femmes disparues ou assassinées ait déjà fait l'objet de discussions dans le cadre de cette enquête.

Je tiens à souligner les travaux que font deux organismes à cet égard : l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et RAFH Canada. Il y a aussi l'Association des femmes autochtones du Canada, dont les travaux sont axés sur la surreprésentation considérable des femmes autochtones dans les prisons, ce qui comprend les femmes autochtones handicapées.

Il est difficile de savoir par où commencer pour souligner le travail de l'ACSEF. La sénatrice Pate est ici aujourd'hui. Je suis honorée d'être ici avec vous aujourd'hui, sénatrice, surtout en cette Journée internationale de la femme, et aussi en raison du sujet de cette étude. Grâce à son travail inlassable pour la défense des droits, la Société Elizabeth Fry sauve des vies depuis de nombreuses années, notamment celles des femmes handicapées qui sont en milieu carcéral.

J'ai des recommandations, car je suppose que c'est ce que vous attendez de moi. Je pense que cette étude doit se poursuivre, évidemment, et j'espère être invitée de nouveau à une date ultérieure, lorsque nous aurons plus de données, et que nous pourrons alors analyser les conclusions de ces recherches de façon approfondie.

Pour faire son travail, RAFH Canada privilégie une approche qui repose sur quatre piliers. Dans le cadre de cette approche, nous recommanderions que l'on entreprenne une revue exhaustive de la littérature. Fort heureusement, nous avons les bases d'un corpus de travaux de recherche important. La prochaine étape, bien sûr, consisterait à parler directement aux femmes qui sont incarcérées. Leur parler est une façon si importante de déterminer la cause de leurs problèmes et les solutions; cela permet de mieux comprendre les expériences qu'elles ont vécues, l'effet que celles-ci ont eu sur elles et comment elles ont fait en sorte que ces femmes en arrivent là. Il serait aussi important de prévoir des programmes de soutien par les pairs pour favoriser leur guérison et leur réintégration et s'assurer qu'elles disposent des soutiens appropriés lorsqu'elles quittent le système carcéral — pas les types de soutien qui les ont menées en prison, mais les types qu'elles devraient avoir à leur sortie.

Ces démarches serviraient à informer les femmes incarcérées de leurs droits et à s'assurer qu'elles ont accès à des mécanismes appropriés, réels et accessibles pour porter plainte.

Nous devons sensibiliser le personnel correctionnel aux différents types de handicaps et à leur effet sur le comportement, et faire en sorte que ce qui est arrivé à Ashley Smith ne se reproduise plus jamais.

Nous devons aussi nous assurer que les détenus aient accès à un mécanisme approprié pour déposer des plaintes qui seront examinées par un organe indépendant.

De toute évidence, il est urgent de procéder à une réforme des politiques dans le système pénal, y compris en ce qui concerne la position du Canada sur la réforme du système carcéral. Je pense qu'il est plus que temps que le Canada commence à vraiment envisager d'autres options; il est clair que le système carcéral n'a pas été une bonne solution.

Les femmes handicapées sont les personnes pour lesquelles les taux de pauvreté, de violence, de chômage et d'incarcération sont les plus élevés au pays. Au Canada, une femme sur cinq vit avec un handicap, mais il n'y a qu'une seule organisation, RAFH Canada, et une minuscule poignée de groupes de soutien par les pairs qui leur viennent en aide. Avant que je vienne vous voir aujourd'hui, il n'y avait eu aucun leadership dans ce dossier, alors encore une fois, je vous remercie et vous sais gré du leadership dont vous avez fait preuve.

Je vais vous laisser sur la vision dans 10 ans que je donne sur mon blog d'aujourd'hui, à l'occasion de la Journée internationale de la femme. Ce que je demande au comité, au gouvernement du Canada et au ministère de la Justice de faire est de prendre du recul. Ce faisant, nous nous assurerons d'envisager des solutions réelles à long terme. Au lieu d'en faire une autre question politique ou de laisser quelqu'un le faire, nous comprendrons plutôt qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction qui aurait dû être fait il y a longtemps pour commencer à étudier la question et à réexaminer d'autres formes de justice et de tribunaux, surtout compte tenu des données et des statistiques dont je vous ai fait part aujourd'hui.

Je me réjouis à la perspective de discuter avec vous tous. Merci.

Le président : Merci beaucoup. En nous parlant dans l'optique des handicaps, il est clair que vous nous avez touchés. C'est une question incroyablement importante dans les prisons canadiennes, et votre témoignage nous éclaire beaucoup. Nous avons un certain nombre de questions à vous poser, et la personne en tête de liste est la sénatrice Hartling.

Bien sûr, n'oublions pas Sarah Turnbull, chargée de cours en criminologie à la faculté de droit de l'Université de London, qui attend patiemment, alors il serait génial que vous leur posiez des questions à toutes les deux. Merci.

La sénatrice Hartling : Merci à vous deux d'être venues. Je vous en sais gré. Vous avez présenté de nombreux faits intéressants, et je suis ravie de mieux connaître ce que vous étudiez, ce que vous savez et le travail que vous faites avec les gens.

Madame Turnbull, j'ai été interpellée par votre commentaire concernant les prisonniers étrangers. Nous venons de nous pencher sur la question de l'immigration, et je pense que c'est réellement intéressant, car je n'y avais pas vraiment pensé, mais c'est un bon argument. Les gens qui sont en prison sont déjà privés de leurs droits et marginalisés, et nous ne faisons pas grand-chose pour eux. Les prisonniers étrangers représenteraient un autre groupe de personnes très marginalisées. Je me pose deux questions : savez-vous s'il y a beaucoup de femmes dans cette catégorie? Quelles sont certaines des mesures que nous devons prendre pour contribuer à mettre fin à l'isolement et aux vulnérabilités que vous avez mentionnées?

Mme Turnbull : Merci d'avoir posé la question. Comme je l'ai mentionné, il est difficile de savoir combien de détenus au Canada sont des prisonniers étrangers et s'ils risquent l'expulsion pour avoir été condamnés. Il est clair qu'il y a des femmes dans le lot. J'ai travaillé avec Kelly Hannah-Moffat lorsque j'étudiais les décisions des commissions de libération conditionnelle pendant mes études doctorales; j'ai noté qu'il y a, parmi ces prisonniers étrangers, des femmes, habituellement condamnées pour avoir transporté de la drogue, qui risquent l'expulsion. Leur expulsion a joué sur leur libération conditionnelle.

En gros, si les gens ne savent pas exactement où ils vont être, s'ils seront remis en liberté conditionnelle au Canada ou s'ils seront expulsés, cela crée beaucoup d'incertitude tant chez les hommes que chez les femmes. Cependant, certains ressortissants étrangers pourraient avoir des liens importants avec le Canada, avoir été des résidents à long terme et avoir de très bonnes relations. D'autres pourraient être arrivés plus récemment et avoir eu des problèmes de barrière linguistique qui font en sorte qu'il leur est difficile de comprendre le système carcéral canadien et même ce qui pourrait les attendre par la suite.

Je pense qu'un des autres points est que si les prisonniers sont envoyés de la prison au centre de surveillance de l'immigration pour être expulsés, rappelons que la détention dans un de ces centres est de durée indéterminée au Canada. En conséquence, les gens pourraient faire face à une peine d'emprisonnement de durée déterminée, mais sans savoir ce qui va se produire par la suite. Cette incertitude occasionne beaucoup de stress et pourrait provoquer des problèmes de santé mentale comme l'anxiété et la dépression, ainsi que des idées suicidaires.

Si j'ai soulevé la question des prisonniers étrangers, c'est surtout que lorsque je faisais ma recherche sur la Commission nationale des libérations conditionnelles, ils étaient regroupés dans une catégorie de délinquants ethnoculturelle. Il pouvait s'agir dans certains cas de personnes racialisées ou aux prises avec des problèmes linguistiques, alors je pense qu'ils recoupent les préoccupations du comité concernant les groupes racialisés en prison et potentiellement ceux qui sont aussi vulnérables parce qu'ils n'ont pas le statut de résident ou de résident permanent au Canada.

La sénatrice Hartling : Merci. J'ai une question pour Bonnie. Ravie de vous rencontrer. J'ai entendu votre nom au fil des ans, mais nous n'avons jamais eu la chance de nous rencontrer. Merci aussi pour votre bon travail au sein de RAFH.

Merci d'avoir donné des détails sur la question des handicaps. Il a été vraiment utile de se pencher sur la façon dont la définition s'est élargie. Je suppose que j'aimerais voir beaucoup plus de prévention, et probablement qu'il en va de même pour vous, mais ce n'est pas le cas en ce moment.

Dans le système carcéral, estimez-vous que les ressources affectées aux femmes handicapées soient adéquates, en particulier pour traiter les questions d'abus sexuels, de santé mentale et de traumatisme cérébral? Ces ressources sont- elles suffisantes? Savez-vous quel genre d'aide on leur offre?

Mme Brayton : J'allais dire que la plupart des choses que je sais, je les ai apprises de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, parce que ses membres ont bien documenté ce qui se passe. Ce que je sais et que j'estime être assez clair est qu'on n'a pas vraiment reconnu officiellement l'ampleur de la question.

J'ai seulement dit 40 p. 100 des femmes en prison; cela représente près de la moitié de la population carcérale. Avec des données comme celles-là, on s'attendrait à ce qu'il y ait des programmes, mais non, il n'y en a pas; en fait, il n'y a pas de vérification. La question de la vérification en est une de taille; quand on s'attarde à la question des droits de la personne et de la publication d'informations, il est important de comprendre qu'il y a des façons de procéder à des vérifications pour comprendre les besoins d'une femme sans nécessairement miner son droit à la vie privée ou son droit de ne pas révéler la nature de son handicap, par exemple.

Je vous donne pour exemple la question que j'ai soulevée concernant les femmes dans les maisons de transition et les refuges. Ces endroits ont un processus de vérification. Ils posent une série de questions aux femmes qu'ils y reçoivent, et certaines questions leur permettent de déduire que la personne a probablement souffert d'un traumatisme cérébral. Par la suite, bien entendu, le diagnostic est primordial.

Alors je ne sais même pas par où commencer pour répondre à la question que vous venez de poser, car, honnêtement, il n'y a pas de ressources adéquates pour les femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Nous avons un problème de taille, encore une fois, en ce qui concerne les femmes qui ont des handicaps non reconnus. Je le répète : ce n'est pas parce que j'aime l'étiquette — les handicaps sont considérés comme une tare — mais au moins, lorsqu'on reconnaît l'existence d'un handicap, on reconnaît qu'il y a une différence et quelque chose d'autre à prendre en compte lorsqu'on évalue la situation.

Je vous sais gré de votre question. Je dirais que nous recommandons fortement qu'on procède à l'examen complet des ressources dont on dispose, et je suis certaine que cela permettrait de formuler des recommandations sur les choses précises qu'il serait nécessaire de faire.

C'est une question vaste. Encore une fois, comme vous l'avez dit, la notion de handicap évolue au fil du temps. En fait, l'ONU la définit comme un concept en évolution.

J'insisterai sur le fait que ce type de déferlante en quelque sorte cachée de traumatismes cérébraux au Canada est quelque chose dont nous entendons de plus en plus parler dans le contexte des joueurs de football, des athlètes et des sportifs, mais nous ne parlons pas de l'incidence précise sur les femmes comme nous devrions le faire.

Pour être bien claire, je ne dis pas que toutes les femmes qui sont en prison ont souffert de traumatismes cérébraux parce qu'elles ont reçu des coups à la tête. Elles l'ont peut-être subi dans un accident de voiture ou dans bien d'autres situations, mais le fait est que les traumatismes cérébraux sont une question de taille dans notre pays. Si je vous montrais un diagramme à secteurs, madame la sénatrice, cette section représenterait tout ce qui se rapporte aux handicaps et le reste du diagramme serait consacré aux traumatismes cérébraux. On parle donc ici d'une question primordiale qui n'est pas abordée et qui se manifeste de toutes sortes de façons côté coûts. Les coûts sur les plans humain et financier pour la société sont énormes.

La sénatrice Hartling : Merci. Je comprends, car je crois que cela vous fait penser au type de traitements qu'il serait nécessaire d'offrir en prison, surtout en ce qui concerne les comportements relatifs à divers diagnostics. Il ne conviendrait pas d'isoler une personne qui a été abusée sexuellement ou quelque chose du genre.

Mme Brayton : Absolument.

La sénatrice Hartling : À cet égard, je pense qu'il est important de regarder la situation et de déterminer quelles ressources seraient nécessaires.

Mme Brayton : Oui, et encore une fois, je suis certaine qu'à l'issue de cette discussion, une des choses que le comité fera sera de formuler de solides recommandations sur la prévention de l'incarcération des femmes. Et je crois que RAFH privilégie vraiment la prévention, car nous avons un problème. Comme je l'ai dit, nous incarcérons et criminalisons des femmes qui sont des victimes.

Le président : Nous avons beaucoup de temps aujourd'hui, mesdames et messieurs les sénateurs, alors prenez votre temps. Nous pouvons nous rendre jusqu'à 13 heures si nous avons suffisamment de questions, et ensuite nous tiendrons une courte séance à huis clos pour traiter la proposition de la sénatrice Omidvar, alors tout va bien.

Tant que nous avons quorum, nous pouvons le faire. Certains sénateurs sont absents parce qu'ils s'occupent d'affaires du Sénat et d'autres ont été appelés ailleurs, mais avons les six sénateurs dynamiques dont nous avons besoin ici.

La sénatrice Omidvar : Il est clair que c'est une journée très chargée, mais je vous sais gré de votre témoignage, madame Brayton. Je suis désolée d'avoir manqué le vôtre, madame Turnbull, mais j'ai une question pour vous que je pense que tous les chercheurs vont aimer.

Je me demande si vous pourriez vous prononcer sur l'état de la recherche concernant les femmes en prison. Si vous contrôliez le financement de la recherche, quels types de travaux mèneriez-vous afin de nous aider? À la fin de cette étude de longue haleine, une de nos recommandations pourrait être que nous avons besoin d'en savoir davantage. De quoi pareille recherche aurait-elle l'air, à votre avis?

Mme Turnbull : Merci de votre question, madame la sénatrice. J'ai parlé de la recherche dans mes remarques liminaires. J'ai mentionné que l'accès à la recherche était très limité au Canada, ce qui est préoccupant. Il est très difficile d'avoir accès aux prisons canadiennes, ainsi qu'à la Commission des libérations conditionnelles à l'échelon fédéral. Je pense que l'état de la recherche dans les prisons pour femmes au Canada est particulièrement faible en ce sens que la plupart des chercheurs universitaires ne peuvent pas entrer dans les pénitenciers pour parler aux femmes et mener les moindres recherches par observation, comme des ethnographies, pour comprendre l'expérience vécue quotidienne de diverses femmes dans différentes prisons au pays.

Pour ce qui est de l'état de la recherche, je pense qu'il y a vraiment place à l'amélioration. Comme je l'ai mentionné à une de vos collègues, il est vraiment important de comprendre ces expériences vécues quotidiennes en ce qui concerne les droits de la personne. Nous parlons souvent des droits de la personne de façon abstraite. Cependant, je pense que nous avons besoin de bien mieux savoir comment ils se manifestent dans les interactions quotidiennes entre les prisonniers et avec les gardiens, dans l'accès aux procédures de règlement de griefs, ainsi que dans l'utilisation de la force et ces types de questions qui influent sur la vie quotidienne des femmes en prison.

Ce n'est pas tellement que le financement pose problème. Je dirais que c'est une question d'accès, de se voir accorder un accès raisonnable aux prisons, à la Commission des libérations conditionnelles et aux femmes en liberté conditionnelle pour aider à comprendre certaines de ces questions.

Encore une fois, comme je l'ai mentionné à votre collègue, il est important de peut-être avoir un changement de culture au Service correctionnel du Canada, à la Commission des libérations conditionnelles, pour que les chercheurs universitaires ne représentent pas une menace, que leur apport contribue à rehausser nos connaissances. Je pense que cela vous permettrait de mieux faire votre travail de sénateurs dans le cadre de cette importante étude que vous menez.

La sénatrice Omidvar : Puis-je poser une question de suivi? Je comprends ce que vous dites. L'accès est primordial. Existe-t-il dans d'autres administrations ailleurs dans le monde des pratiques exemplaires sur la façon de rejoindre les détenus, hommes ou femmes, que nous pourrions examiner et citer dans notre étude? Nous pourrions, par exemple, dire que nous n'avons pas cet accès, mais que c'est différent en Suède ou en Norvège, et c'est ainsi qu'on procède là- bas. C'est le type d'information pratique qui m'aiderait beaucoup. Existe-t-il pareilles pratiques exemplaires?

Mme Turnbull : Je me trouve actuellement au Royaume-Uni, et la relation entre le milieu universitaire et le service correctionnel est assez différente de ce qu'elle est au Canada. L'accès est généralement meilleur, non seulement pour les universitaires comme moi qui travaillent à l'université, mais aussi pour les étudiants aux cycles supérieurs qui souhaitent faire de la recherche en milieu carcéral. C'est aussi le cas dans d'autres pays, comme le Portugal et la Norvège.

La sénatrice Omidvar : C'est intéressant. Je n'aurais pas pensé que c'était le cas au Portugal.

Mme Turnbull : Il faut négocier, et il n'est pas irréaliste de reconnaître l'existence de préoccupations importantes au plan de la sécurité et le fait que les gens doivent faire leur travail au jour le jour. J'ai fait de la recherche au Royaume- Uni dans des centres de détention de l'immigration où j'ai été formée à utiliser des clés et à avoir un accès très général à ces sites d'incarcération. Cela m'a permis de passer pas mal de temps avec les gens, de tisser des liens avec eux et de comprendre ce qui se passe au jour le jour pour quelqu'un qui est en détention.

De nombreux modèles provenant d'autres pays montrent qu'il vaut la peine de laisser entrer au moins quelques chercheurs universitaires indépendants pour faire non seulement de la recherche quantitative, mais aussi qualitative, comme Bonnie l'a mentionné, pour parler aux femmes et aux hommes en personne afin de comprendre leurs expériences vécues.

Le président : D'accord. J'ai une question supplémentaire. Vous avez dit « formée à utiliser des clés ». Comment cela fonctionne-t-il?

Mme Turnbull : En gros, j'ai été formée à utiliser des clés pour pouvoir circuler dans le centre et parler à des gens aux différents endroits où ils se trouvaient — la bibliothèque, la salle commune ou une salle d'arts plastiques. Je n'avais pas besoin d'être escortée par un membre du personnel. Je n'ouvrais pas du tout les portes à d'autres personnes. Je ne le faisais que pour moi. Je pouvais entrer et sortir sans devoir être escortée par un membre du personnel, ce qui a fait en sorte d'alléger la tâche des membres du personnel qui n'avaient pas à m'accompagner alors qu'ils avaient leur propre travail à faire.

Le président : Sénatrice Omidvar, je pense que vous avez une question pour Mme Brayton.

La sénatrice Omidvar : La statistique selon laquelle 40 p. 100 des femmes ont un handicap est assez étonnante, et ensuite vous avez dit que...

Mme Brayton : Oui, et c'est probablement faible comme pourcentage, en plus.

La sénatrice Omidvar : Et vous avez ensuite dit que la plupart d'entre elles avaient probablement subi des traumatismes cérébraux.

Mme Brayton : C'est un mélange, et j'allais dire que le nombre de femmes qui ont subi des traumatismes cérébraux est élevé. En plus de ces femmes, d'autres ont des handicaps physiques, et je sais que la Société Elizabeth Fry a fourni de la documentation qui a montré le manque de soutien qui leur est offert à elles aussi.

La sénatrice Omidvar : Pouvez-vous me dire si ces handicaps datent d'avant leur incarcération ou s'ils sont venus après?

Mme Brayton : Oui, ils datent d'avant.

La sénatrice Omidvar : Et le taux de handicaps augmente-t-il après leur incarcération?

Mme Brayton : J'ignore si ces données ont été recueillies, j'allais dire qu'en ce qui concerne...

La sénatrice Omidvar : Je demande par simple curiosité.

Mme Brayton : D'accord. Puisque vous avez soulevé la question de la recherche, un des points dont je voulais parler était celui des abus sexuels pendant l'enfance. Je pense qu'une des choses les plus importantes qu'on a évité d'aborder est la violence à l'encontre des filles, surtout les abus sexuels pendant l'enfance. J'en ai vraiment assez, et je dois préciser que c'est une des mesures les plus pressantes à prendre pour contrer la violence à l'égard des femmes.

C'est un sujet que tout le monde veut éviter. Il est urgent et important que l'on s'attaque à la question et qu'on commence à mener les travaux de recherche nécessaires. La question met tout le monde mal à l'aise. Je siège au conseil consultatif de la ministre de la Condition féminine pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes, et un des sujets que nous avons abordés et sur lequel nous avons insisté a été celui du besoin urgent de mener des recherches sur l'abus sexuel pendant l'enfance. Pour pouvoir cerner ces problèmes systémiques et commencer à les régler au niveau systémique, il faut comprendre ces femmes et ces victimes.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Mme Brayton : Encore une fois, en ce qui concerne les données que je vous ai transmises, certains chiffres qui nous viennent d'Australie et des États-Unis sont plus élevés que ceux que j'ai cités. Nous avons besoin de mener plus de travaux de recherche, mais avec le corpus de recherche dont nous disposons déjà, il est très clair qu'il s'agit d'une question de taille.

Il ne serait pas le moindrement étonnant qu'il soit question de 50 p. 100.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup, Sarah, et je suis ravie de vous revoir, Bonnie.

Je vous sais gré de tout le travail que vous avez accompli toutes les deux. Sarah, je connais Kelly Hannah-Moffat depuis qu'elle a fait ses études avec nous il y a plusieurs années. Elle a fait un certain nombre de contributions.

Le travail dont vous avez parlé avec Renu Mandhane, commissaire aux droits de la personne de l'Ontario et ancienne directrice du Centre des droits de la personne à l'Université de Toronto, est vraiment important. Merci des contributions que vous y avez apportées, ainsi que de tout le travail de défense des droits de la personne et de formation auquel RAFH a participé avec l'Association des femmes autochtones du Canada et la Société Elizabeth Fry dans les prisons pour femmes.

J'ai une série d'observations sur lesquelles je serais intéressée à connaître votre opinion à toutes les deux.

Sarah, vous avez parlé de la question de l'accès aux prisons. Il y a deux points qui, selon moi, sont particulièrement pertinents par rapport à l'expérience canadienne. Le premier est que les intervenants du Service correctionnel du Canada se perçoivent comme des spécialistes de ce qui se passe dans le système carcéral. Ils ont une équipe de chercheurs. C'est principalement à eux qu'ils s'en remettent pour la recherche. Je serais intéressée de savoir ce que vous en pensez.

L'autre point, dont vous venez juste de parler, est que j'estime que l'accès devrait être accordé sur la base d'une relation de confiance. Une des choses qui sont ressorties des travaux de recherche sur la santé mentale menés par le centre des droits de la personne à l'Université de Toronto et dont Bonnie a parlé supposait l'établissement de liens de confiance avec des défenseurs régionaux des droits de la personne qui allaient dans les prisons et qui se portaient ensuite garants des chercheurs, essentiellement, si bien que les femmes leur parlaient. Si j'en juge par mon expérience, les chercheurs peuvent assurément se rendre dans les pénitenciers canadiens. Lorsqu'ils y vont, surtout si on leur a donné des clés, les détenus ont tendance à ne pas leur faire confiance, car ils les perçoivent comme étant de mèche avec le Service correctionnel. Alors d'après ce que j'ai vu, très peu de chercheurs ont pu rencontrer les personnes aux expériences les plus complexes à raconter concernant l'intersection de la race, des handicaps, de la pauvreté et des autres facteurs dont nous parlons.

C'est un élément qui m'intéresserait.

Vous avez parlé des enfants. Connaissez-vous un autre pays qui a suivi l'exemple de l'Afrique du Sud dans l'affaire Hugo? C'est celle dans laquelle Nelson Mandela a libéré toutes les femmes qui avaient des enfants de moins de 12 ans — une des premières mesures qu'il a prises comme président — en reconnaissance des conséquences de l'emprisonnement sur les enfants et, en gros, sur les générations futures. Connaissez-vous des situations semblables?

Avez-vous suivi ce qui s'est produit lorsque Service correctionnel du Canada a embauché un chercheur indépendant? C'était après que la Commission des droits de la personne a conclu dans son rapport de 2003 que, à bien des égards, les femmes condamnées à purger des peines dans des pénitenciers fédéraux étaient victimes de discrimination. Service correctionnel du Canada a embauché Mme Moira Law pour mener un projet de recherche indépendant. Lorsqu'elle a publié ses conclusions, elle a fait valoir que le système de classification était discriminatoire. Une des recommandations qu'elle a formulées était que chaque femme commence dans un pénitencier à sécurité minimale. Son contrat a mystérieusement pris fin. À ma connaissance, cette recherche n'a jamais été reprise. Si vous connaissez quelqu'un qui l'a fait, je serais intéressée à le savoir.

Bonnie, vous avez parlé de la gamme de questions de santé mentale. Vous ne serez probablement pas surprise de savoir que, dans les faits, les intervenants de Service correctionnel ont fait valoir, au fil du temps, qu'entre 30 et 90 p. 100 des femmes incarcérées avaient des problèmes de santé mentale invalidants et des handicaps.

Une des possibilités serait de prendre l'article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de le combiner avec d'autres articles de la loi, comme l'article 81, pour libérer les gens dans la collectivité. À titre d'exemple, si RAFH Canada disait que nous aimerions commanditer deux ou trois femmes qui sont dans la même situation qu'Ashley Smith ou Kinew James, cela pourrait être possible. La seule chose qui nous empêche de le faire en ce moment est la politique. Est-ce que cela pourrait intéresser votre organisme?

Il s'agit de commentaires variés et généraux, mais je serais intéressée à connaître vos perspectives à toutes les deux.

Mme Turnbull : Merci, sénatrice Pate, de vos questions. Je suis ravie de finalement vous rencontrer en personne, en quelque sorte.

Pour ce qui concerne la question de la recherche interne de SCC et du fait que les membres de son personnel se perçoivent comme des spécialistes, j'espère qu'il pourra y avoir un changement de culture dans lequel les chercheurs universitaires et les chercheurs indépendants ne seront pas vus comme une menace pour leur travail, mais plutôt comme des personnes qui génèrent différentes sortes de connaissances. Je crois comprendre que les chercheurs de SCC privilégient une approche méthodologique particulière. Peut-être qu'ils n'abordent pas la recherche de la même façon que les universitaires pour ce qui est de la recherche qualitative à long terme et de passer beaucoup de temps au sein des institutions afin d'y mener des types de recherches ethnographiques.

J'ai donné l'exemple des clés pour parler du niveau d'accès. Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il s'agit d'une pratique exemplaire. Vous soulevez assurément une question importante sur la façon de tisser des liens de confiance avec les gens qui sont marginalisés et, dans le cadre de la recherche, d'élaborer des approches qui exploitent potentiellement des personnes déjà marginalisées et utilisées comme sources de données en leur soutirant de l'information. Je pense qu'il existe différents types d'approches.

Un projet auquel je travaille au Canada et qui fait participer les partenaires communautaires est une façon de procéder. Je pense qu'il importe de faire appel à différents chercheurs pour qu'il n'y ait pas que des femmes blanches comme moi, mais d'autres auxquels les hommes et femmes de différentes origines pourraient peut-être plus facilement s'identifier.

Les études de longue haleine qui permettent aux gens d'aller dans des institutions sur plusieurs mois ou années permettent aux prisonniers d'apprendre à connaître les chercheurs et le travail qu'ils font. Ce ne sont pas nécessairement des agents de l'État, mais plutôt des acteurs indépendants. Ces liens de confiance peuvent se tisser au fil du temps si on laisse entrer les gens et ils apprennent à faire connaissance.

L'incidence de l'emprisonnement sur les enfants n'est pas mon domaine de spécialisation. Je suis certaine que vous en savez beaucoup plus que moi à ce sujet. Cependant, en général, les écrits que je connais montrent que les conséquences indirectes sur les enfants dont les parents sont incarcérés sont nombreuses; ils ont notamment plus de difficultés à l'école et dans leur vie sociale, et ils sont plus à risque de finir eux-mêmes en prison. Il est donc très important de briser ce cercle vicieux.

Encore une fois, en ce qui concerne l'accès à la recherche, la plupart des universitaires voudraient garder leur indépendance de sorte que s'ils étaient autorisés à entreprendre des travaux de recherche dans une institution fédérale, ils auraient le droit de diffuser l'information, même si les résultats n'étaient pas positifs, particulièrement aux yeux des responsables de SCC. Les éléments susceptibles d'être perçus comme étant négatifs sont importants si on cherche à réformer le système et à en cerner les aspects qui doivent être améliorés. Le fait de cacher des conclusions aussi contrariantes ne nous aide en rien à mieux comprendre ce qui se passe.

La sénatrice Pate : Connaissiez-vous les travaux de recherche de Mme Law à cet égard?

Mme Turnbull : Non, je ne les connaissais pas.

La sénatrice Pate : Si vous en voulez une copie, envoyez-moi un courriel.

Mme Brayton : Merci beaucoup de vos commentaires et de votre rétroaction. Qui sont les spécialistes? Manifestement, un des problèmes que nous avons est que les responsables de Service correctionnel estiment que c'est eux. En fait, les données probantes montrent clairement qu'ils ne sont pas des spécialistes des handicaps, des mesures de soutien aux personnes handicapées ou de certaines questions très importantes auxquelles ces femmes sont confrontées au quotidien. Ils ne savent pas comment les appuyer et communiquer avec elles et, dans certains cas, ils ne comprennent pas bien leur comportement. Cela nous ramène à qui sont les véritables spécialistes. Ce sont les femmes elles-mêmes et celles qui peuvent les soutenir. Cela m'amène à mon autre argument, qui concerne le soutien par les pairs et à quel point il est important dans n'importe quel contexte, mais primordial dans le contexte carcéral.

Lorsque nous avons parlé de ce que nous aimerions voir dans le système carcéral, nous avons cerné le besoin absolu d'accroître les ressources et soutiens par les pairs offerts à ces femmes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Vous avez parlé des enfants. Les femmes handicapées risquent vraiment de se faire enlever la garde de leurs enfants à leur naissance si elles ont un léger handicap intellectuel ou un traumatisme cérébral dès le départ. Vous pouvez imaginer combien c'est tragique pour ces femmes incarcérées d'être séparées de leurs enfants et de ne probablement pas avoir la possibilité de les élever, simplement parce qu'elles ont un handicap.

L'idée d'autres types d'incarcération, si vous voulez, ou de libération anticipée est vraiment importante et précieuse. Ashley Smith n'était pas à sa place en prison. Elle n'aurait jamais dû y être. On a commis une grave erreur en l'incarcérant et en la gardant en prison même après avoir constaté, à plusieurs reprises, qu'il était clair que cette femme avait besoin de toute urgence d'un important soutien psychosocial et qu'elle ne progressait pas. Elle disparaissait littéralement sous nos yeux. C'est l'exemple le plus frappant, bien entendu, et je ne veux pas insister sur ce point.

Il est important de tenir compte de la question d'un système judiciaire parallèle, en particulier à la lumière du succès de certains tribunaux de santé mentale parallèles qui ont déjà été mis en place. Comprenez, par exemple, que ces tribunaux permettent parfois de poser un regard très différent sur la personne dès le départ et de privilégier une approche différente de la façon de les rejoindre et d'ensuite choisir ce qui serait la meilleure option pour eux en fait de... je ne veux pas utiliser le terme « réhabilitation », car je ne l'aime vraiment pas.

Je serais généralement favorable à tous les points que vous avez soulevés. Pour ce qui concerne votre question précise au sujet du changement — et, encore une fois, vous connaissez beaucoup mieux que moi les articles dont il est question concernant le changement — j'approuve la libération anticipée. La question de la libération anticipée est une des plus importantes que nous devions d'abord examiner. On ne le fait pas parce qu'on ne le fait pas, mais on pourrait le faire, et ce serait une bonne façon de faire avancer les choses dans la bonne direction.

La sénatrice Pate : J'ai une question supplémentaire. Nous visiterons des institutions. Nous n'avons pas encore décidé de notre façon de procéder, mais nous nous demandons s'il serait utile de tenir des audiences auxquelles des personnes comme vous pourraient participer dans certains cas. Cependant, une des choses qu'il importe de savoir est que, lorsque le système de soutien par les pairs a été instauré dans les prisons pour femmes au départ, il a été élaboré avec l'appui de services externes, système que vous connaissez. On fait maintenant les choses à l'interne; les intervenants sont entièrement formés par le système de Service correctionnel et doivent lui rendre des comptes. C'est en partie la raison pour laquelle les équipes régionales de défense des droits de la personne ont des protecteurs des intérêts des détenus formés à l'intérieur des prisons. Alors en ce qui concerne la terminologie, s'il est question de « soutien par les pairs » dans les institutions, il s'agit d'une responsabilité de Service correctionnel, tandis que les « protecteurs des intérêts des détenus » sont des intervenants de soutien par les pairs qui ont été recommandés par le jury dans l'enquête sur Ashley Smith et par d'autres. Les deux postes ont fini par être très différents.

Il est intéressant que vous mentionniez les tribunaux de santé mentale, car la plupart des gens dont nous parlons n'y auraient jamais accès — ceux qui finissent dans le système carcéral. Si j'en juge par mon expérience dans le domaine, c'est souvent parce qu'ils deviennent plus limités. En fait, les tribunaux de santé mentale semblent avoir haussé le nombre de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale qui se retrouvent dans le système de justice pénale au lieu de le limiter. C'est un simple avertissement; vous auriez peut-être avantage à vous pencher sur la question. Il arrive que lorsque de bonnes personnes s'y retrouvent pendant une certaine période, ils fonctionnent bien, mais ils doivent systématiquement élargir leur portée.

La sénatrice Omidvar et la sénatrice Hartling ont soulevé une question. Un des problèmes, et en partie la raison pour laquelle nous n'avons pas les chiffres, est que Service correctionnel ne demande pas toujours aux prisonniers étrangers quel est leur statut au Canada. Une partie de la raison qui a été invoquée par le passé a été que la loi a changé, alors on ne sait pas exactement qui est inscrit comme ressortissant étranger. Vous avez peut-être vu dans certains médias que, à quelques occasions, il a fallu attendre que quelques personnes soient sur le point d'être libérées pour découvrir qu'il s'agissait de ressortissants étrangers. Ces gens croyaient qu'ils étaient citoyens canadiens, mais ils n'avaient jamais été enregistrés convenablement. La plupart d'entre eux étaient à la charge de l'État. Sur le plan des droits de la personne, lorsque l'État est votre tuteur et qu'il ne vous a pas enregistré convenablement, devriez-vous être considéré comme un ressortissant étranger? Devrait-il s'agir d'un tout autre domaine? Ce n'est pas mon domaine de spécialisation, et d'autres sénateurs voudront peut-être se prononcer là-dessus, mais je suis intéressée à connaître vos points de vue à toutes les deux, à titre de spécialistes.

Mme Brayton : Je ne suis pas une spécialiste non plus. Je reçois des appels téléphoniques à toute heure du jour et de la nuit, et c'est souvent de la part d'une femme handicapée. J'ai reçu un appel, il y a environ trois ans, provenant d'une personne dont l'amie était détenue dans un des centres de détention à Toronto. Il s'agissait d'une femme handicapée. Elle avait besoin d'un fauteuil roulant, qui lui a été refusé ainsi que les mesures de soutien auxquelles elle avait droit, dont les médicaments. Si on a communiqué avec nous, c'est notamment parce qu'elle avait besoin de toute urgence d'avoir des médicaments, et on les lui refusait.

Je ne suis pas une spécialiste; je n'en sais pas assez là-dessus, mais je peux vous dire qu'il ne fait aucun doute que nous devrions être très préoccupés par le sort réservé aux étrangers et à d'autres gens — aux personnes comme celles-là qui ne sont détenues pour aucune autre raison que leur statut. C'est déconcertant de constater qu'en plus de les détenir, on prive ces personnes des droits fondamentaux. Je vous remercie d'avoir soulevé la question. À votre tour, Sarah.

Mme Turnbull : Je ne sais pas comment on procède au Canada. Mes recherches portent présentement sur le Royaume-Uni. Ici, le ministère de l'Intérieur s'efforce de déterminer le statut de citoyenneté des gens qui sont en prison en vue d'expulser ceux qui n'ont pas le droit de rester au pays. Je crois que comme le Royaume-Uni, le Canada a adopté des mesures législatives qui lui permettent d'expulser des gens qui ont le statut de résident permanent s'ils commettent des infractions criminelles.

J'ai rencontré quelques personnes au Canada qui étaient incarcérées dans un établissement fédéral et qu'on a ensuite envoyées dans un centre de détention de l'immigration pendant plusieurs années après qu'ils ont purgé leur peine; il y a des répercussions pour eux lorsqu'ils passent d'un lieu de détention à un autre et n'ont pas accès aux services ou aux programmes de réinsertion sociale qui sont offerts après la mise en liberté sous condition. Encore une fois, les gens qui contestent leur expulsion ne savent pas ce qui leur arrivera, ce qui crée de grandes incertitudes.

Le président : Il y a deux ou trois questions que j'aimerais poser. Tout d'abord, madame Turnbull, est-ce que des obstacles nuisent à l'accès de différentes femmes à la libération conditionnelle? Y a-t-il des obstacles que nous ne connaissons pas?

J'aimerais permettre à Mme Brayton d'y réfléchir — ma question porte sur la formation dans les établissements pour femmes. Puisque vous avez parlé de la question des personnes handicapées, nous avons posé des questions sur les agents correctionnels et la formation, et il semble qu'on leur donne de la formation, mais qu'elle n'est pas suffisante. Particulièrement en ce qui concerne les personnes handicapées, offre-t-on une formation qui convient? J'aimerais examiner cette question également.

Allez-y, madame Turnbull.

Mme Turnbull : Je peux parler des audiences de libération conditionnelle — de celles tenues avec l'aide d'un Aîné ou de la collectivité. Dans le cadre de mes travaux de recherche, j'ai constaté en particulier que bon nombre de femmes autochtones avaient beaucoup de craintes quant au déroulement du processus de libération conditionnelle et au fait qu'en général, les Autochtones obtiennent de piètres résultats comparativement aux non-Autochtones. Je sais que la Commission des libérations conditionnelles du Canada essaie de tenir des audiences avec l'aide d'un Aîné afin que le processus de libération conditionnelle soit plus adapté culturellement pour les prisonniers autochtones, y compris les femmes. Quand je faisais mes travaux de recherche, en particulier quand j'examinais les audiences qui peuvent être tenues avec l'aide de la collectivité en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, j'ai constaté que les détenues n'étaient pas vraiment au courant de leur existence et qu'on n'y avait pas recours très souvent.

Une bonne solution consisterait donc à rendre, par divers moyens, le système et le processus de libération conditionnelle mieux adaptés culturellement aux femmes autochtones. Je le répète, j'ignore simplement dans quelle mesure la population carcérale manifeste un intérêt pour les audiences de libération conditionnelle tenues avec l'aide d'un Aîné ou de la collectivité et si beaucoup de ressources sont consacrées à ces audiences. Le processus est plus long et coûte plus cher, surtout pour les audiences tenues avec l'aide de la collectivité et il requiert la participation d'une collectivité aux audiences et à la réinsertion des femmes dans la collectivité.

Je pense que cela pourrait constituer un obstacle, soit pour ce qui est de démystifier le processus de libération conditionnelle et faire en sorte que les femmes sachent comment le processus fonctionne.

Dans le cadre de mes travaux, j'ai constaté que la Commission des libérations conditionnelles du Canada avait, par divers moyens, préparé les femmes aux audiences, à l'Établissement Nova, pour, encore une fois, démystifier le processus de libération conditionnelle. Or, je crois comprendre que ces mesures ont été éliminées pour des raisons budgétaires. Je ne connais pas la situation de ce genre d'initiatives qui visent à rendre le régime de libération conditionnelle plus équitable pour les détenues.

Le président : Merci. Nous sommes impatients d'entendre le point de vue de femmes autochtones incarcérées et du bureau de libération conditionnelle sur cette question.

La sénatrice Pate : J'ai une autre question sur le même sujet.

Sarah, ces travaux de recherche m'intéressent, puisque c'était il y a quelques années. Est-ce que ce sont ceux qui ont été menés en collaboration avec Kelly Hannah-Moffat?

Mme Turnbull : Non. Il s'agit d'autres travaux.

La sénatrice Pate : Vous l'ignorez peut-être, mais depuis ce temps, l'une des choses que fait couramment la Commission des libérations conditionnelles, même pour les audiences tenues avec l'aide d'un Aîné ou d'une collectivité, c'est qu'elle utilise la vidéoconférence. Avez-vous des observations à faire à ce sujet?

Mme Turnbull : Oui. Je dirais que c'est un problème sur le plan des normes procédurales en matière de justice et de la capacité pour les détenus d'exercer équitablement leur droit d'être entendus dans un cadre qui favorise la communication. Dans ma recherche sur les réformes concernant la justice applicable aux Autochtones pour le régime de mise en liberté sous condition, l'une des questions qui revenaient à maintes reprises, c'était qu'on croyait que — particulièrement chez les membres de la Commission des libérations conditionnelles — les délinquants autochtones ne communiquaient pas bien, qu'ils ne s'exprimaient pas d'une manière qui permettait aux membres de la commission de comprendre, et par conséquent, en raison de ces obstacles à la bonne communication, les décisions qu'ils prenaient n'étaient pas justes ou bonnes.

Je crois que si de telles audiences étaient tenues par vidéoconférence, cela poserait vraiment beaucoup de problèmes de communication, surtout si on est conscient des différences dans la façon dont nous communiquons selon nos propres positions, notre identité et notre façon de parler. Encore une fois, dans un cadre aussi intimidant que celui d'une audience de libération conditionnelle, surtout pour les détenus qui n'ont peut-être pas accès à ce type de vidéoconférences auxquelles nous, les gens du monde libre, sommes maintenant habitués, s'ils sont incarcérés depuis longtemps, de quelle façon cet élément supplémentaire se répercutera-t-il sur le droit à un processus équitable dans une audience de ce type? Je crois que c'est un élément nouveau inquiétant.

Mme Brayton : Je crois qu'il convient de mentionner qu'évidemment, même dans le contexte de la première question que vous avez posée à Sarah, ce que soulèverait également, entre autres, le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada, c'est qu'il est important de comprendre qu'une femme handicapée a besoin d'une aide particulière dans le contexte d'une audience pour une libération conditionnelle également, ce qui inclut par exemple l'emploi d'un langage clair, l'aide d'une personne pendant le processus et la préparation avant le processus — soit tout ce que Sarah a mentionné.

Dans le même ordre d'idées, il y a la possibilité de discrimination dans le cas où la commission des libérations conditionnelles ne comprend pas, et une formation semble nécessaire pour que les membres de la commission comprennent que, dans une situation où c'est une femme handicapée qui comparaît, ils ne devraient pas se faire d'attentes « normales » en quelque sorte, et que c'est du cas par cas.

Pour ce qui est de la question plus générale sur la formation dans les prisons, sénatrice, je suis ravie que vous l'ayez soulevée, car je crois que l'un des sujets importants dont nous devons parler dans un premier temps, c'est le fait que les gens qui travaillent dans les prisons, non seulement les gardiens, mais le personnel médical, les travailleurs sociaux et toutes les autres personnes, doivent suivre un atelier.

Je ne parle pas ici d'un atelier dans lequel on simplifierait les choses à l'excès. La semaine dernière, j'étais à l'hôpital Sunnybrook, à Toronto, qui m'a invitée à donner une formation au personnel médical de première ligne sur la façon d'aider les femmes handicapées qui entrent dans la maternité. On suppose que les spécialistes s'y connaissent dans certaines choses précises, et je dois dire que mes 10 années d'expérience au sein du réseau m'ont appris que les gens connaissent très mal la réalité des femmes handicapées et leurs besoins. Le besoin de donner de la formation dans tous les secteurs dont nous parlons ici, et particulièrement dans les prisons, est très urgent. Le cas d'Ashley Smith est vraiment un exemple éloquent du manque de compréhension et de connaissances qui pose un énorme problème au sein des membres des services correctionnels.

Le président : C'est très important. Merci beaucoup. C'est la sénatrice Omidvar qui posera les dernières questions.

La sénatrice Omidvar : En fait, ma question ne s'adresse pas aux témoins, mais plutôt à vous, monsieur le président. J'aimerais avoir des explications sur notre mandat, car on nous a dit des choses sur les centres de détention de l'immigration qui, à ce que je sache, ne font pas partie du système correctionnel fédéral.

Si ces centres font partie de la portée de notre étude, alors c'est une tout autre question que nous devons examiner, car le nombre d'enfants qui s'y trouvent est incroyable. C'est seulement que je croyais qu'ils n'étaient pas inclus. Je demande des éclaircissements.

Le président : Nous pouvons nous pencher là-dessus. Nous travaillons de façon transparente. À mon avis, il est important que nous ne ménagions aucun effort, comme on dit. Si notre étude, nos discussions, nos demandes de renseignements ou nos visites nous amènent à nous pencher sur les centres de détention de l'immigration, pourquoi pas? Vous avez la main levée. Vous pouvez intervenir sur la question ou la remarque de la sénatrice Omidvar.

Mme Turnbull : Si vous me le permettez, je dirais que la détention des immigrants est l'un de mes domaines de recherche au Royaume-Uni. Je crois que le ministre Goodale a annoncé récemment un réexamen du système de détention des immigrants au Canada. L'ASFC conclut des protocoles d'entente avec des établissements provinciaux pour l'hébergement des détenus de l'immigration. Une fois de plus, l'immigration relève du fédéral et c'est délégué aux provinces parce qu'il n'y a que trois centres de détention. Il pourrait donc être intéressant pour le comité d'examiner la question, puisqu'on est un peu perdu en quelque sorte. Il n'y a pas une grande surveillance de la détention des immigrants. C'est un phénomène caché au Canada.

Le président : Merci beaucoup. C'est Mme Brayton qui aura le dernier mot.

Mme Brayton : Merci beaucoup. Je veux soulever une autre question, car je crois comprendre que le comité poursuivra son étude tout au long de l'année. La ministre Qualtrough, qui est la ministre fédérale des Personnes handicapées, a été chargée de présenter de nouvelles mesures législatives, comme bon nombre d'entre vous le savent. Il serait important que le comité détermine si, dans le contexte de mesures législatives fédérales, incluant la compétence fédérale pour ce qui est des pénitenciers fédéraux, il pourrait s'agir d'une autre question sur laquelle des recommandations pourraient être faites. Si c'était le cas, alors RAFH Canada et d'autres organismes nationaux pour les personnes handicapées seraient heureux de comparaître à nouveau devant le comité pour discuter de cette question si, plus tard, vous examinez les incidences sur le plan législatif. Merci.

Le président : Je vous remercie beaucoup toutes le deux. Cette séance de 90 minutes a été très intéressante, en cette Journée internationale des femmes.

Nous avons appris beaucoup de choses que nous ne savions pas il y a 90 minutes. Certains d'entre nous en sont à l'étape exploratoire de ce qu'on appelle une étude sans précédent, et nous espérons que ce sera le cas. Nous espérons présenter un rapport préliminaire à la fin de juin et un deuxième rapport préliminaire avant de présenter un rapport principal quelque part en 2018.

Madame Turnbull, merci beaucoup. J'ai hâte d'aller à Londres la semaine prochaine, et j'espère qu'il fera beau là- bas. Ce devrait être le cas.

Madame Brayton, comme toujours, nous sommes très heureux que vous soyez venu comparaître.

Cela dit, nous allons suspendre la séance pendant environ deux minutes pour poursuivre la séance à huis clos.

Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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