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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 17 - Témoignages du 3 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 3 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 30, pour étudier les problèmes relatifs aux droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, sénateurs.

Avant que les sénateurs ne se présentent, je vais faire une petite mise au point après nos deux semaines de pause. Nous étudions donc les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel. Nous avons entendu de nombreux témoins et avons ainsi pu mieux comprendre ce qui va bien et ce qui va de travers dans notre système carcéral. Nous espérons produire un rapport d'ici deux ans, mais nous avons l'ambition d'en sortir un d'ici la fin de l'année pour dresser un état des lieux. Dans deux semaines, nous effectuerons nos premières visites aux établissements de Brockville, de Millhaven, de Joyceville et de Montréal. Nous sommes en plein apprentissage. Nous pensons que la population canadienne devrait avoir accès à un rapport actuel et instructif sur notre système carcéral.

Avant que le vérificateur général du Canada ne prenne la parole, je demanderai aux sénateurs de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l'Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Je m'appelle Jim Munson et, comme je le dis toujours, si mon cœur est au Nouveau-Brunswick, je suis un sénateur de l'Ontario.

Nous allons donc poursuivre notre étude des droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel, étude que nous avons entreprise il y a pas mal de temps déjà. Aujourd'hui, nous commencerons par le témoignage du vérificateur général du Canada, Michael Ferguson, qui est accompagné de Carol McCalla, directrice principale.

Monsieur, vous avez la parole, après quoi, comme à l'habitude, les sénateurs vont vous poser beaucoup de questions. Bienvenue à notre comité.

Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Je vous remercie de nous avoir invités pour discuter de nos rapports d'audit dans le cadre de votre étude des droits des détenus dans le système correctionnel.

Permettez-moi d'abord de présenter brièvement nos audits antérieurs des programmes fédéraux pour les peuples autochtones. Grâce à ces audits, nous avons constaté que la qualité de nombreux services publics offerts aux collectivités des Premières Nations demeure inférieure à celle des services offerts dans des collectivités voisines.

[Français]

Ainsi, l'audit du Programme des services de police des Premières Nations que nous avons mené en 2014 avait permis de constater qu'aucune exigence claire ne prévoyait que les services de police des Premières Nations soient conformes aux normes des provinces. Or, cet écart de niveau de service pouvait présenter des risques pour la santé et la sécurité des policiers, des détenus et du public.

Plus récemment, nous avons réalisé deux audits de Service correctionnel Canada : l'un en 2015 et l'autre en 2016. Ces audits portaient sur l'accès en temps opportun aux programmes de réadaptation des délinquants condamnés à des peines de deux ans ou plus. Les détenus autochtones représentent aujourd'hui plus de 25 p. 100 des 15 000 hommes et femmes sous responsabilité fédérale, soit une proportion qui a connu une forte croissance au cours des 10 dernières années.

Service correctionnel Canada ne peut pas contrôler le nombre de délinquants condamnés à des peines de ressort fédéral. Il peut cependant leur donner accès en temps opportun à des programmes de réadaptation et à des services adaptés à leur culture pour les aider à se préparer à une libération conditionnelle anticipée. Cela peut influer sur le nombre de délinquants incarcérés et sur la durée de leur détention.

Notre audit de 2015 sur les détenus sous responsabilité fédérale a révélé que près de 80 p. 100 des détenus restaient sous garde après leur première date d'admissibilité à une libération conditionnelle. Cela s'explique surtout par des retards dans l'accès aux programmes de réadaptation. De plus, la plupart des délinquants détenus dans des établissements à sécurité moyenne ou maximale étaient libérés directement dans la collectivité. Ils avaient donc eu moins de temps pour profiter d'une libération graduelle et structurée dans la collectivité, ce qui aurait pu favoriser leur réinsertion.

[Traduction]

Notre audit de 2016 portait sur l'accès aux programmes correctionnels destinés aux délinquants autochtones. Nous avons constaté que, même si la population de détenus autochtones avait augmenté, le Service correctionnel du Canada ne pouvait pas leur offrir les programmes de réadaptation dont ils avaient besoin au moment voulu. Nous avons aussi constaté que l'accès à des programmes adaptés à la culture autochtone change d'un établissement à l'autre. Par exemple, il n'y a pas de pavillons de ressourcement dans toutes les régions. Nous avons constaté que les délinquants qui participaient au programme des pavillons de ressourcement avaient un faible taux de récidive après leur libération. Pourtant, le Service correctionnel du Canada n'avait pas examiné comment il pourrait élargir l'accès à ces pavillons.

La plupart des détenus autochtones sous responsabilité fédérale étaient admissibles à une libération conditionnelle après avoir purgé un an de leur peine. La surveillance des délinquants en libération conditionnelle est un outil efficace pour favoriser la réinsertion sociale des détenus. Nous avons cependant constaté que les deux tiers des délinquants autochtones libérés n'avaient jamais eu de libération conditionnelle. En général, le Service correctionnel du Canada avait préparé les détenus autochtones moins souvent que les autres à une audience de libération conditionnelle. Et quand il l'a fait, c'était plus tard pendant leur peine.

Le Service correctionnel du Canada utilisait l'échelle de classement par niveau de sécurité pour déterminer la cote de sécurité d'un détenu et ses besoins en programme de réadaptation. Nous avons constaté que cet outil ne répondait pas aux besoins uniques des détenus autochtones comme cela est requis. Plus des trois quarts des délinquants autochtones avaient été envoyés, à leur admission, dans des établissements à sécurité moyenne ou maximale et aiguillés vers un programme de réadaptation. Les niveaux de sécurité qui leur étaient attribués étaient beaucoup plus élevés que ceux des autres détenus. Une fois placés dans un établissement à sécurité supérieure, peu de délinquants autochtones avaient fait l'objet d'une évaluation pour un transfèrement éventuel vers un établissement à sécurité inférieure avant leur libération, même après avoir terminé leur programme de réadaptation.

Environ 700 femmes sont détenues sous responsabilité fédérale et 600 autres sont sous surveillance dans la collectivité. Beaucoup de ces femmes souffrent de troubles mentaux. Nous menons actuellement un audit sur les délinquantes et les programmes et services dont elles bénéficient. Nous prévoyons présenter les résultats de cet audit à l'automne.

[Français]

Le Bureau du vérificateur général du Canada audite aussi les gouvernements territoriaux. Il présente directement ses rapports à leur assemblée législative. En 2015, nous avons audité les services correctionnels des trois territoires. Nous avons constaté des lacunes dans la gestion de cas qui entravaient les efforts pour réadapter les délinquants et les préparer à leur retour dans la collectivité. Nous avons notamment constaté que l'accès aux programmes de réadaptation et aux services de soins de santé mentale n'était pas adéquat et que le manque de places dans beaucoup d'établissements correctionnels posait des risques pour la sécurité du personnel et des détenus.

[Traduction]

Monsieur le président, voilà qui conclut ma déclaration d'ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du Comité. Merci.

Le président : Merci, monsieur Ferguson.

Je souhaite la bienvenue au sénateur Ngo qui vient juste de se joindre à nous.

Je vais poser deux ou trois questions pour commencer. Vous avez titillé ma curiosité quand vous avez dit que vous êtes en train d'effectuer un audit axé sur les délinquantes est sur leur accès aux programmes. Qu'est-ce qui vous a incité à faire cela? Qu'est-ce qui vous a mis sur la piste vous et vos collaborateurs pour que vous vouliez aller dans les prisons et pour vous amener à vous pencher sur ce problème?

M. Ferguson : Vous pourrez constater, d'après les audits que nous soumettons à votre examen aujourd'hui, qu'en 2015, nous avons fait un rapport concernant la population carcérale en général et son accès aux programmes destinés à favoriser la réadaptation. Après cela, nous avons décidé de nous intéresser à deux sous-populations : les délinquants autochtones et les délinquantes. Nous avons commencé par les premiers. C'est le rapport que nous vous soumettons aujourd'hui et qui a été publié en 2016; nous travaillons actuellement à l'audit des délinquantes et aux programmes qui leur sont offerts pour leur réadaptation. Nous avons décidé de commencer par les délinquants autochtones en partie parce que le rapport sur l'affaire d'Ashley Smith était sorti à ce moment-là. Nous sommes donc en train d'effectuer notre audit sur les délinquantes.

Le président : Merci pour cette précision. Très brièvement, dites-moi ce que vous entendez par « services adaptés à la culture des enfants et des familles autochtones » en vue de préparer les délinquants à une libération conditionnelle anticipée?

M. Ferguson : Cela concernait les délinquants autochtones et le Service correctionnel du Canada. Nous avons constaté, à la faveur de cet audit, que le ministère avait tenu des consultations avec différents groupes autochtones au sujet des divers types de programmes et de services devant être offerts aux délinquants autochtones, services qui devaient tenir compte de la culture autochtone. Le Service correctionnel du Canada a donc mis en œuvre certaines recommandations, comme les pavillons de ressourcement, l'accès aux aînés et ce qu'on appelle l'initiative Sentiers autochtones, qui consiste à offrir une sorte de mentorat personnalisé aux délinquants autochtones.

Le Service correctionnel du Canada a offert aux délinquants autochtones tout un ensemble de programmes adaptés à leur culture. Il appartient à chaque délinquant de décider s'il désire participer à l'un de ces programmes ou plutôt à des programmes généraux, mais nous avons par ailleurs constaté, à l'occasion de cet audit, que ces types de programmes ne sont pas disponibles dans toutes les régions. Il peut arriver que des délinquants autochtones, dans certaines régions, n'aient pas accès à certains de ces programmes qui leur sont spécifiquement destinés.

Le président : Je tiens à souligner la présence de la sénatrice Bernard, qui vient juste d'arriver.

La sénatrice Pate : Merci pour tout le travail que vous avez fait et qu'a fait votre service depuis bien des années. Nous apprécions énormément ce travail qui est d'une grande valeur.

Comme vous avez indiqué qu'à l'occasion de votre tout dernier audit concernant les prisonniers autochtones, vous vous êtes notamment penchés sur les accords conclus en vertu des articles 81 et 84 de la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous condition, j'aimerais savoir une chose. Quand vous avez fait votre audit, combien d'accords avez-vous relevé qui ont été établis en vertu des articles 81 et 84 et qui ont été signés par des communautés autochtones? Par ailleurs, sur ce nombre, combien étaient des accords conclus avec des particuliers, c'est-à-dire des prisonniers ou des libérés conditionnels, et combien l'ont été avec des groupes? Voilà pour ma première question et, selon votre réponse, je vous en poserai une autre.

M. Ferguson : Je vais vous renvoyer à la partie du rapport qui en parle, après quoi je demanderai à Mme McCalla de vous fournir un complément de réponse.

Nous parlons de cela au paragraphe 3.69 du rapport publié en 2016 sur la préparation des délinquants autochtones en vue de leur libération et on peut voir que nous avons établi à 274 le nombre de délinquants libérés en vertu d'un plan de libération dressé selon l'article 84, ce qui représente en fait une augmentation par rapport aux 143 d'il y a quatre ans. Je voudrais savoir si Mme McCalla veut ajouter des précisions à propos de ces chiffres qui vous intéressent.

Le président : Avant qu'elle ne nous réponde, j'aimerais que vous apportiez une précision pour les personnes qui nous regardent : quand vous parlez tous deux des articles 81 et 84, pourriez-vous nous dire ce que cela signifie afin de nous aider à nous y retrouver?

Carol McCalla, directrice principale, Bureau du vérificateur général du Canada : Bien sûr. L'article 81 est une disposition de la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui permet aux organisations communautaires autochtones d'assumer la garde des délinquants. Nous avons établi le nombre de délinquants ayant participé à ce genre de garde dans des établissements relevant de l'article 81. Le SCC a mis sur pied des pavillons de ressourcement un peu partout au pays à l'intention des délinquants autochtones. Dans notre audit, nous avons déterminé combien de délinquants avaient fréquenté ces pavillons.

Nous nous préoccupions surtout de l'accès à ces pavillons de ressourcement, qui était très limité. Il y a tout juste assez de centres comme cela pour accueillir environ 10 p. 100 de la population de délinquants autochtones sous garde. Dans le cas des hommes, ces pavillons se trouvent dans des établissements à sécurité minimale, mais la plupart des délinquants autochtones sont détenus dans des établissements à sécurité moyenne ou maximale.

Nous avons conclu que le SCC n'a pas vraiment donné suite aux recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation qui avait demandé au gouvernement fédéral de réduire les obstacles à l'ouverture de pavillons de ressourcement en vertu de l'article 81.

Les délinquantes n'ont accès qu'à deux pavillons de ressourcement, dans les provinces des Prairies, si bien qu'on peut dire que l'accès offert aux délinquants autochtones est plutôt restreint. Il n'y a aucun pavillon de ressourcement dans l'Est du Canada et si un détenu voulait participer à ce genre de programmes, il devrait aller dans une autre région. Or, l'un des grands principes du Service correctionnel est de maintenir les délinquants à proximité de leur collectivité de résidence, puisque c'est une dimension très importante de leur réadaptation. Nous avons donc fait rapport sur le nombre de délinquants ayant participé à ce programme.

En vertu de l'article 84, les délinquants sont remis en liberté et confiés à une organisation communautaire pendant la durée de leur libération conditionnelle et jusqu'à la fin de leur peine. L'organisation joue un rôle de supervision dans la collectivité. À cet égard, nous avons constaté que, même si le nombre de délinquants participants demeure faible, il est en très nette augmentation par rapport aux trois dernières années.

La sénatrice Pate : Merci. Pour poursuivre dans la foulée de ce dont nous discutions, je vous ai posé la question de savoir combien de délinquants aboutissent dans des communautés autochtones — et combien il y a d'accords individuels par rapport à des accords collectifs, parce que, comme vous le savez, la loi est beaucoup plus permissive que la politique appliquée par le Service correctionnel du Canada. Le comité aimerait beaucoup savoir si vous avez cherché à déterminer dans quelle mesure l'esprit de la loi a prévalu sur la politique dans les décisions prises relativement à ces questions.

Cependant, je crois que vous avez répondu à la question. Je pense que vous venez de dire qu'il n'y a pas eu d'accords individuels de conclus avec des délinquants au titre de l'article 81.

Mme McCalla : Nous avons examiné les installations créées en vertu de l'article 81 et qui sont exploitées par le Service correctionnel du Canada. Je crois que le SCC s'occupe également d'installations en vertu de l'article 81, en accord avec les organismes communautaires. Il s'agit donc d'établissements exploités par le SCC et d'installations gérées par des groupes ou des organisations communautaires. Nous ne nous sommes pas penchés sur les accords eux- mêmes. Nous avons simplement déterminé combien de délinquants ont accès à de tels établissements. Il nous importait peu de savoir s'ils étaient exploités par le SCC ou par les collectivités. Nous nous intéressions à l'accès. Nous voulions savoir combien avaient accès à ce genre de services.

Quant à la mesure dans laquelle la loi favorise la mise en place de tels programmes, il se trouve qu'elle permet la conclusion d'accords en vertu des articles 81 et 84 pour ce qui est de la garde des délinquants autochtones. La loi permet la garde en milieu communautaire, que ce soit au sein d'une communauté des Premières Nations ou sous la supervision d'un organisme communautaire, hors réserve par exemple. Nous avons cependant constaté que le SCC n'a établi de pavillon de ressourcement pour les hommes, par exemple, que dans les établissements à sécurité minimale, ce qui n'est pas précisé dans la loi.

Quelques libérations ont été effectuées en vertu de l'article 84 et les délinquants ont été confiés à des organismes communautaires. Encore une fois, leur nombre est limité, mais il convient de remarquer qu'il y a eu une très nette augmentation ces trois dernières années. Il demeure qu'il y a encore place à l'amélioration.

La sénatrice Pate : Merci, madame McCalla. Je veux préciser une chose. Vous semblez également avoir déduit que la loi permet d'appliquer les dispositions de l'article 81 à tous les établissements, peu importe le niveau de sécurité?

Mme McCalla : En tout cas, la loi ne l'interdit pas.

La sénatrice Pate : De plus, la loi pourrait être étendue aux communautés ethnoculturelles, pas uniquement aux Autochtones, mais aussi aux prisonniers de race noire, et il se trouve que c'est un des aspects auxquels le comité s'intéresse également.

Mme McCalla : Nous nous sommes intéressés aux délinquants autochtones, plus exactement à leur accès à ces services.

Le président : Nous avons la sénatrice Fraser parmi nous, qui remplace la sénatrice Hubley.

La sénatrice Fraser : Effectivement, et je demande à tout le monde, surtout aux témoins, de bien vouloir excuser mon retard, mais j'ai été retenue.

La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur Ferguson et madame McCalla, de nous avoir communiqué ces renseignements. Il y a un mois environ que nous avons entrepris notre périple dans ce dossier, et nous allons bientôt prendre la route pour de bon.

Nous avons recueilli le témoignage d'Ivan Zinger, qui est l'enquêteur du Service correctionnel. Il nous a parlé du sondage sur le climat éthique de 2012 qui a permis de noter et de tester la réaction du personnel à l'idée d'évaluer sa conception du leadership sur les questions éthiques. Le rapport indique clairement qu'il y a place à l'amélioration, parce que le personnel n'était pas certain qu'il existait, au sein de son organisation, des pratiques de détection des comportements non éthiques et des méthodes d'intervention en cas de constat de tels comportements.

Je n'ai trouvé aucune mention au concept de comportement éthique dans vos rapports. Vous y êtes-vous intéressé lors de la préparation de votre rapport de 2016? Il y a aussi le rapport de 2015.

M. Ferguson : Ce n'était pas le point de mire du rapport. Nos deux rapports visaient à déterminer dans quelle mesure les délinquants avaient accès aux services dont ils avaient besoin pour se préparer en vue de leur audience de libération conditionnelle ou de leur libération. Il ne concernait que l'aspect réadaptation. Nous ne nous sommes pas intéressés aux employés du Service correctionnel si ce n'est pour déterminer s'ils avaient reçu la formation ainsi que les conseils nécessaires pour s'acquitter de certains mandats dans ce domaine. Nous avons constaté des lacunes. Par exemple, les agents du Service correctionnel sont censés tenir compte d'éléments comme la trajectoire sociale du délinquant en milieu autochtone, au moment où celui-ci intègre le système correctionnel, mais ils n'avaient pas reçu suffisamment de consignes pour savoir comment s'y prendre. Nos audits n'avaient pas pour objet d'examiner leurs relations au sein de l'organisation.

La sénatrice Omidvar : Dans votre exposé, vous avez parlé de l'audit que vous envisagez de mener cet automne. Je pense qu'il existe une relation directe entre les femmes en prison et le personnel, comme vous l'avez souligné, et avec la façon dont le personnel fonctionne. La confiance ou la méfiance qu'ils inspirent chez le personnel surveillant a une incidence sur la vie des détenus, en particulier, sur la vie des femmes, puisqu'une proportion importante d'hommes travaille au contact de femmes incarcérées. Pour votre audit de l'automne, allez-vous tenir compte du sondage sur le climat éthique?

M. Ferguson : Nous n'avons pas intégré cette dimension à cet audit, mais nous pourrions y revenir pour déterminer s'il vaut la peine de faire enquête à ce sujet. Nous y penserons.

La sénatrice Andreychuk : Peut-on dire que votre mandat est un audit de programme, plutôt qu'un audit financier?

M. Ferguson : Vous avez raison. Nous nous sommes penchés sur un programme, en fait sur plusieurs programmes, mais il s'agit essentiellement d'un audit de programme.

La sénatrice Andreychuk : Je suis intéressée par la question des pavillons de ressourcement qui sont censés être adaptés à la culture des Autochtones, mais d'un autre côté, il est aussi question de favoriser la réadaptation de ces gens- là dans la société en général, ce qui ne se limite donc pas à leur milieu culturel. Avez-vous cherché à déterminer si les tentatives déployées pour infléchir la récidive, suivant une approche centrée sur la culture, donnent de bons résultats?

Je vous pose la question, parce que je viens d'une région où il y a des pavillons de ressourcement, et bien d'autres choses, mais je sais qu'il est difficile pour le personnel de composer à la fois avec la dimension criminelle des détenus et avec leur dimension culturelle, si bien qu'il faudrait mettre la main sur des agents carcéraux très bien formés pour offrir ce genre de programmes. À l'occasion, des difficultés sont ressorties en présence de personnes qui connaissent la communauté, qui connaissent les faits historiques, qui peuvent travailler à partir de tout cela, mais qui n'ont pas de bagage en réadaptation de criminels qui se sont promenés d'un tribunal à l'autre, d'un établissement à l'autre. Il faut équilibrer ces deux dimensions. Avez-vous examiné ce genre d'approche, à la fois pour les détenus admis dans un programme et pour le personnel qui doit administrer le programme?

M. Ferguson : Encore une fois, je vais demander à Mme McCalla d'entrer dans les détails mais au paragraphe 3.65 du rapport sur les délinquants autochtones, nous disons :

[...] les délinquants provenant d'un pavillon de ressourcement étaient plus susceptibles de terminer avec succès leur période sous surveillance dans la collectivité — que ceux provenant d'un établissement à sécurité minimale traditionnel.

Pour résumer, 78 p. 100 des délinquants placés dans un pavillon de ressourcement ont terminé avec succès leur période sous surveillance contre 63 p. 100 de ceux provenant d'un établissement à sécurité minimale traditionnel. Cette différence est sans doute suffisamment significative pour dire que les pavillons de ressourcement constituent une méthode d'aide à la réadaptation qui a eu un impact, mais je vais demander à Mme McCalla si elle veut ajouter des précisions.

Mme McCalla : Toutes sortes d'approches sont appliquées dans les programmes offerts dans les pavillons de ressourcement. Il y a le contact avec les aînés, le travail avec les aînés, mais aussi des programmes culturellement adaptés. Les gens ont aussi accès aux cérémonies. Les recherches du SCC ont montré que, dans l'ensemble, ce type de programme proposé par des Autochtones est une réussite et qu'il donne de meilleurs résultats que les programmes traditionnels. C'est ce que nous avons toujours constaté, c'est pourquoi ces programmes sont proposés. Ils sont plus efficaces quand ils sont proposés par des Autochtones. Voilà pour ce qui concerne essentiellement les pavillons de ressourcement.

Y a-t-il d'autres choses que vous voudriez savoir?

La sénatrice Andreychuk : Est-ce qu'au pavillon de ressourcement, les gens sont formés à autre chose qu'à devenir des experts de leur propre culture et à appartenir à leurs propres communautés? Reçoivent-ils la formation habituelle donnée pour la préparation des détenus en vue d'une remise en liberté?

Mme McCalla : Oui je comprends. Le personnel qui travaille au contact des détenus autochtones doit être culturellement compétent, il est donc soumis à diverses évaluations. Nous avons examiné la manière dont est évaluée la compétence culturelle du personnel qui travaille auprès des détenus autochtones. De plus, des contrats sont conclus avec les aînés qui participent à la mise en œuvre des programmes correctionnels. Enfin, le personnel est lui-même formé aux programmes correctionnels.

Les programmes correctionnels sont axés sur les risques criminogènes ayant conduit au crime, et il faut donc vérifier que ces programmes correctionnels répondent à cet objectif. Le SCC a effectivement étudié le contenu de ces programmes pour s'assurer qu'ils tiennent bien compte des risques criminogènes et que les personnes qui les mettent en œuvre ont reçu une formation adaptée sur cet aspect des choses.

La sénatrice Andreychuk : Vous avez dit, je crois, que cela s'adresse actuellement à des hommes délinquants qui présentent un risque minimum. Évidemment il s'agit de ceux qui présentent un faible risque pour la société, parmi d'autres facteurs. Pour ceux qui présentent un risque élevé, on parle de risques de violence et la protection du public est légèrement différente de votre point de vue.

Y a-t-il eu des études sur ce sujet? Le programme s'adresse-t-il aux délinquants à faible risque dans les pavillons de ressourcement? Si vous deviez l'étendre, faudrait-il que nous changions le programme?

Mme McCalla : Oui. Actuellement le programme pour les hommes est uniquement offert aux délinquants à faible risque et dans des établissements à sécurité minimale. Nous avons découvert que le SCC n'a pas étudié dans quelle mesure il était possible d'étendre ce dispositif aux délinquants à risque plus élevé.

Pour les délinquantes, le programme s'applique à des niveaux de sécurité minimum et intermédiaire. Il n'y a pas eu d'évasions dans ces établissements à sécurité minimale et moyenne. Il faudrait que je vous recontacte pour vous dire s'il y a eu des incidents relatifs à la sécurité, mais il est certain que la grande majorité des femmes détenues dans ces institutions sont à faible risque. Elles sont soumises à des évaluations très strictes pour vérifier si elles sont admissibles à ce type de milieu exigeant sur le plan du ressourcement.

La sénatrice Andreychuk : D'un autre côté, on peut se demander s'il est prévu, dans ce programme, de communiquer avec les victimes du crime ayant conduit à l'incarcération. Autrement dit, si vous parlez de réintégrer les délinquants dans la collectivité, je suppose que vous allez le faire à proximité de la collectivité qu'ils ont quittée. Cela pourrait les ramener dans une collectivité où ils étaient en danger, et c'est surtout le cas des délinquantes. D'un autre côté, il y a aussi les victimes de ces crimes. Est-ce pris en compte par le programme? Y a-t-il une formation en ce sens?

Je m'appuie sur les expériences internationales. Quand on parle de réconciliation, il faut penser à la personne qui a commis le crime, mais il faut aussi penser à la victime de ce crime si on veut réintégrer les gens dans la collectivité.

Mme McCalla : Cela fait partie du processus de planification de la remise en liberté. Actuellement, dans le cadre de ce processus, le SCC étudie les liaisons et les contacts des détenus au sein de la collectivité. Mais nous n'avons pas étudié cette partie du processus.

Quand les détenus sont placés sous garde, les déclarations de la victime font partie de leur évaluation. On essaie d'en tenir compte dans le projet de réinsertion pour s'assurer que ces préoccupations sont prises en compte et qu'elles trouvent des réponses.

M. Ferguson : Cette question nous ramène à l'une de nos principales préoccupations lors de ces deux audits. Les délinquants passent la majeure partie de leur temps sous garde et moins de temps sous surveillance quand ils sont en mesure de rejoindre leur collectivité. La durée de cette réintégration progressive permettant de s'assurer que leur réadaptation se fera de la meilleure manière possible est donc réduite.

Ce que nous avons surtout trouvé de préoccupant au cours de ces audits, c'est que le Service correctionnel du Canada n'est pas en mesure de fournir aux délinquants tous les programmes dont ils auraient besoin au moment opportun et que ceux-ci ne sont pas prêts au moment de la première date de libération conditionnelle possible. Ils passent davantage de temps au sein des établissements, ils sortent plutôt vers la fin de leur peine et passent donc moins de temps sous surveillance et moins de temps pour vivre une transition progressive dans la collectivité.

La sénatrice Andreychuk : Merci, voilà qui est utile.

La sénatrice Bernard : Veuillez excuser mon retard, j'étais prise dans une autre réunion.

Je voudrais revenir sur un point qu'a soulevé la sénatrice Pate, la question des délinquants ethnoculturels, en particulier les délinquants noirs. Tout d'abord j'ai une question au sujet de votre vérification de 2015 sur les hommes délinquants. La question raciale a-t-elle été analysée au cours de cette étude et avez-vous des données spécifiques sur les délinquants noirs?

Mme McCalla : Non, nous n'avons pas fait d'analyse raciale dans le cadre de cet audit. Nous avons étudié les hommes délinquants et nous avons étudié séparément les délinquants autochtones, car nous avions pour objectif de les considérer en tant que sous-ensemble significatif de la population carcérale.

La sénatrice Bernard : D'après mon travail sur cette question, je sais que les délinquants noirs n'ont pas facilement accès aux programmes. Ils ne bénéficient pas de programmes et de services culturellement adaptés au sein des établissements du SCC. Ils ont moins de chances d'obtenir une libération conditionnelle. Comme ils ne sont pas témoins de la libération conditionnelle de leurs camarades de détention, certains sont même réticents à en faire la demande. Il est aussi beaucoup plus probable qu'ils se retrouvent en détention à sécurité maximale. Les recherches ont également montré qu'ils constituent l'un des ensembles de détenus dont la croissance est la plus rapide, soit plus 50 p. 100 au cours des 10 dernières années. Compte tenu de cette surreprésentation et du nombre des problèmes, est-ce que vous envisagez d'intégrer cette question dans votre planification à long terme des audits? Si ce n'est pas le cas, pensez- vous qu'il serait approprié de l'ajouter à votre programme?

M. Ferguson : Comme nous le disions, à ce stade, nous avons d'abord étudié les hommes délinquants. La situation que vous venez de décrire correspond exactement à celle que nous avons constatée pour les délinquants autochtones, je ne serais donc pas du tout surpris si la situation était similaire pour les délinquants noirs. Ce n'est pas une chose que nous avons spécifiquement identifiée et, à ce stade, nous n'avons pas considéré l'étude de ce sous-ensemble. Mais encore une fois nous pouvons prendre cela en considération.

Après ces deux audits, nous avons recensé un certain nombre de problèmes qui sont en grande partie les mêmes, qu'il s'agisse de la population générale d'hommes incarcérés ou de détenus autochtones. Ces mêmes problèmes existent bien entendu pour d'autres sous-ensembles. Je crois que nous avons déjà soumis nombre de ces problèmes à l'attention du SCC de façon générale, pas forcément de façon précise pour chaque sous-ensemble de la population carcérale.

Une des choses que nous avons identifiées, par exemple, c'est que le SCC ne reçoit pas toutes les informations qu'il devrait avoir lorsqu'un détenu est conduit à sa porte. Le Service ne dispose pas de tous les rapports présentenciels, des commentaires des juges et de ce genre de choses afin de déterminer quel niveau de sécurité est nécessaire pour le détenu. C'est vrai pour la population carcérale dans son ensemble, c'est vrai pour les délinquants autochtones et cela sera vrai pour les autres sous-groupes.

Nous avons déjà relevé un certain nombre de problèmes que le Service correctionnel du Canada doit régler et cela aidera toutes les composantes de la population carcérale, y compris les programmes culturels adaptés. Nous n'avons pas étudié cela sous l'angle particulier de la population carcérale noire. Nous pouvons reprendre le travail et voir si nous constatons des problèmes spécifiques liés à ce sous-groupe qui pourraient nous amener à conclure qu'il est temps de faire une vérification de ce sous-groupe.

Mme McCalla : La Loi sur les services correctionnels exige également que le Service correctionnel du Canada offre des programmes adaptés aux délinquants autochtones et aux délinquantes pour bien répondre aux besoins particuliers de ces groupes. Nous nous sommes concentrés sur ces deux sous-ensembles parce que la législation elle-même les désigne comme cible de programmes spécialisés. Selon que nous constaterons dans notre audit actuel que les mêmes tendances existent pour les femmes noires ou qu'elles sont accrues, nous en tiendrons compte dans notre rapport.

La sénatrice Bernard : Lorsque vous ferez l'audit au sujet des femmes, il est certain que d'y inclure une analyse raciale serait utile.

Il y a aussi le Comité consultatif ethnoculturel national qui a milité en faveur de changements législatifs, en particulier en ce qui concerne la prise en compte de facteurs sociaux et historiques dans le cas des délinquants ethnoculturels.

Mme McCalla : Merci, c'est très utile.

La sénatrice Hartling : Merci d'être parmi nous. Je suis ravie de vous entendre au sujet de votre audit.

Dans votre rapport, monsieur Ferguson, vous dites que vous menez en ce moment un audit sur l'accès des femmes aux programmes et aux services, ce qui est vraiment formidable, mais je m'interroge au sujet du traitement des femmes. Est-ce que cela va en faire partie ou vous ferez un audit séparé? Je sais qu'il y a déjà un certain nombre d'années que cela n'a pas été étudié. Je me demande si cela en fera partie ou sera traité à part, que va-t-il se passer?

Mme McCalla : Notre audit sur les femmes délinquantes sera très semblable à nos audits précédents, car nous voulions nous concentrer sur certaines mesures clés de performance : l'accès rapide aux programmes dont elles ont besoin pour être prêtes en temps voulu pour la liberté conditionnelle et leur degré de préparation au moment des audiences de libération conditionnelle afin qu'elles soient en mesure de purger la majeure partie de leur peine sous surveillance dans la collectivité.

Cet audit vérifie également l'accès aux services de santé mentale, cela fait partie du travail que nous menons pour suivre les recommandations consécutives à l'enquête du coroner, dans le but d'évaluer dans quelle mesure cet accès rapide aux programmes et aux services spécialisés répond aux exigences des droits de l'homme, mais aussi dans quelle mesure il est important pour leur réadaptation et pour leur traitement en détention.

Le président : Monsieur Ferguson, vous avez dit qu'ils ne recevaient pas toutes les informations, cela m'étonne. Est- ce parce que, dans la juridiction provinciale, vous êtes condamné par un tribunal provincial et que vous vous retrouvez ensuite dans un établissement fédéral? Existe-t-il un problème de transparence, y a-t-il une difficulté dans ce cas avec l'idée que l'ensemble des informations soient automatiquement transmises et disponibles? Il me semble que c'est un problème.

M. Ferguson : C'est clairement un problème que nous essayons de débrouiller. Il me semble que, dans notre rapport de 2015, sur la préparation des hommes délinquants à la libération, nous avons découvert que la GRC communiquait une grande partie de ces informations directement au Service correctionnel du Canada, le SCC, mais je crois que cela s'est interrompu en 2009 à peu près. À un moment donné la GRC a arrêté de le faire de façon automatique, le SCC doit donc se procurer ce type d'informations auprès des tribunaux territoriaux ou provinciaux, il me semble, ou auprès des provinces et des territoires.

Nous avons repéré cela à la fois dans le rapport sur la préparation des hommes délinquants en vue de leur libération et dans celui sur les délinquants autochtones. Je crois que dans le rapport sur les délinquants autochtones, nous indiquons avoir pris un échantillon de 45 dossiers pour constater que le SCC n'avait réuni toutes les informations indispensables que pour un seul, au moment de l'arrivée du délinquant — cette information est relative au niveau de sécurité nécessaire pour l'individu en question.

Tous les rapports que nous avons recensés et que le SCC est censé réunir sont des rapports préparés pour juger l'individu au départ, donc ils existent tous. Nous n'avons pas encore pleinement établi les raisons pour lesquelles le SCC n'a pas été en mesure de réunir ces informations. C'est simplement quelque chose que nous avons constaté dans les deux audits que nous avons menés pour l'instant.

Le président : Merci pour ces précisions. Cela pourrait être l'une de nos principales recommandations.

Avant que nous n'entamions le second tour, puisque nous évoquons les délinquants autochtones, nous n'avons pas encore parlé des systèmes correctionnels provinciaux. Peut-être pourriez-vous nous dire quels sont les principaux problèmes que vous avez découverts à ce sujet et nous dire un mot des responsabilités. Pourriez-vous nous éclairer sur vos résultats concernant les différentes formes de libération conditionnelle au Yukon, au Nunavut et dans les autres territoires?

M. Ferguson : Monsieur le président, nous avons produit un rapport d'audit pour chaque législature dans chacun des territoires au sujet des services correctionnels parce qu'en plus d'être le vérificateur général du Canada, nous avons une responsabilité en tant que vérificateur général de chacun des territoires et nous préparons des rapports de vérification de gestion pour ces législatures provinciales, que nous remettons directement aux instances législatives.

Cette année-là, nous avons décidé d'étudier les services correctionnels dans les trois territoires, un peu dans le but, je crois, de donner à tous les territoires une idée de leur situation. Je ne vais pas entrer dans les détails de tous les audits, car, très franchement, je ne m'en souviens pas, mais ce que nous avons découvert, c'est qu'en allant de l'ouest vers l'est, les choses empiraient.

Le Nunavut avait la plus mauvaise situation. J'ai sous les yeux les remarques préliminaires que j'ai prononcées devant l'assemblée législative au sujet de certains problèmes que nous avons constatés; pour l'essentiel c'était le fait que le ministère de la Justice savait qu'il fallait résoudre le problème des mauvaises conditions de détention et de surpopulation au Centre correctionnel de Baffin. Il était également informé de la nécessité de disposer d'un espace approprié au Nunavut pour accueillir les détenus à sécurité maximale. Ces détenus étaient alors hébergés au Centre correctionnel de Baffin, même s'il s'agissait d'un établissement à sécurité minimale. Il s'agissait donc d'un établissement surpeuplé et qui n'était pas adapté aux détenus qui s'y trouvaient. Des détenus qui auraient dû être dans des conditions de sécurité maximale étaient mélangés au reste de la population carcérale et l'établissement, très franchement, était très loin de ce que l'on pourrait attendre d'un établissement carcéral au Canada.

D'un autre côté, au Yukon, un établissement flambant neuf venait d'être construit et il était bien conçu et de bon niveau. Alors lorsque nous avons fait l'audit au Nunavut, nous nous sommes essentiellement concentrés sur les établissements, mais l'audit au Yukon ressemblait davantage aux audits dont j'ai parlé au niveau fédéral. Que faisait- on pour préparer les détenus?

Si vous demandez à vos recherchistes d'étudier ces trois audits, je crois que vous découvrirez qu'il existe un écart important entre ce qui se passe au Yukon et ce qui se passe au Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest étant à mi- chemin entre les deux.

La sénatrice Pate : Merci à tous les deux, monsieur le sénateur Munson et madame la sénatrice Andreychuk, pour cette série de questions. Je voudrais rebondir là-dessus et enchaîner sur un autre élément que je tiens à souligner.

Quand vous évoquez le manque d'informations dans les dossiers des détenus, il serait très utile, en particulier dans le cas de l'étude que vous allez faire sur les femmes, que vous puissiez également étudier ce que vous avez identifié dans le rapport que vous avez fait sur les détenus autochtones, à savoir que l'essentiel de ce qui manque est précisément ce qui serait le plus utile aux fins de la réadaptation.

Pour répondre à la question de la sénatrice Andreychuk, d'après mon expérience — et si vous avez constaté autre chose je serais très intéressée de vous entendre — dans le plan correctionnel, on trouve souvent des choses comme la participation de la victime, surtout pour les détenus autochtones dans les pavillons de ressourcement, ce type de participation fait partie du processus du plan correctionnel visant à obtenir la libération conditionnelle.

Pouvez-vous faire un commentaire à ce sujet? Si ce n'est pas possible aujourd'hui, pourriez-vous l'inclure dans l'étude que vous allez faire sur les prisons pour femmes et en particulier sur les pavillons de ressourcement, cela serait formidable.

Je ne sais pas si vous avez déjà étudié cela mais, si ce n'est pas le cas, lorsque vous examinerez les pavillons de ressourcement pour femmes, sachez qu'il vous sera certainement très utile de discuter avec le premier Vision Circle, qui était composé d'aînés et de femmes autochtones et sachez que ce pavillon est le seul, à ma connaissance, qui ait été construit dès le départ pour gérer tous les niveaux de sécurité, y compris la sécurité maximale. À vrai dire, vous devriez parler à Sharon McIvor au sujet du fait qu'ils ont construit une unité d'isolement. Ils l'ont appelé pavillon de sécurité, mais ils ont construit une unité d'isolement là-bas spécialement pour pouvoir accueillir des détenus à sécurité maximum, mais jusqu'ici aucune femme détenue à sécurité maximum, n'a été accueillie là-bas. Cela serait très utile.

En parlant de la disponibilité des programmes, vous m'avez posé une question qui m'amène à vous demander un complément d'information avant même de vous faire part de ma propre question. Désolée. Toutes les études semblent démontrer qu'il est préférable d'offrir les programmes dans la collectivité afin d'optimiser leur efficacité; je me demande donc si vous avez une idée du nombre de programmes autochtones, surtout à l'intention des femmes, qui ont été offerts dans la collectivité comparativement au nombre de programmes offerts en milieu carcéral. C'est une bonne chose de vouloir sensibiliser le personnel à la culture, mais les programmes les plus efficaces sont ceux qui sont offerts dans la collectivité. Si vous pouvez me donner ce renseignement, j'en serais très heureuse. Si vous ne l'avez pas, pourriez-vous l'inclure dans l'audit que vous avez amorcé sur les programmes destinés aux femmes?

Ajoutez à cela le fait que l'échelle de classement par niveau de sécurité du SCC a été jugée insatisfaisante à de nombreux égards. Vous avez soulevé ce problème et fait un travail extraordinaire dans de nombreux rapports, notamment dans celui de 2003 qui portait sur les délinquantes et dans lequel vous avez expliqué à quel point il était difficile d'appliquer cette échelle aux femmes, aux détenus autochtones et aux membres d'autres groupes ethnoculturels. Vous savez sans doute que la récente décision italic; Twins oblige les tribunaux à prendre en compte l'alinéa 718(2)e) ou les facteurs Gladue dans les dossiers de libération conditionnelle. En fait, certains experts qui se sont récemment penchés sur la question ont qualifié l'échelle de classement par niveau de sécurité et les dispositifs de classification et actuariels d'outils scientifiques de pacotille.

Je suis curieuse de savoir si vous avez été en mesure d'examiner ces dispositions, si vous avez mesuré le degré d'efficacité de ces instruments, si vous pensez qu'il est possible de corriger la situation et si vous prévoyez formuler des recommandations dans vos prochains rapports dans le but de corriger une partie de ces problèmes. Je suis désolée, je sais que je vous demande beaucoup de renseignements.

Mme McCalla : Je vais commencer par l'échelle de classement par niveau de sécurité et son application aux délinquants autochtones. Nous avons constaté que, même s'ils ont validé cette échelle, les chercheurs du SCC n'ont pas pris en compte les facteurs liés à l'histoire sociale des Autochtones, comme nous l'avions demandé. Dans notre rapport, nous avons donc recommandé qu'ils en tiennent compte dans la détermination du niveau de sécurité.

Nous sommes actuellement en train d'examiner la situation des délinquantes. Nous cherchons à savoir dans quelle mesure le SCC, comme il s'est engagé à le faire, a adapté cette échelle selon les sexes, pas seulement l'échelle, mais bien l'ensemble du processus de classification et l'utilisation de l'outil actuariel. Nous cherchons à savoir comment le SCC s'est assuré que cet outil pouvait être utilisé de manière valable et appropriée à l'endroit des délinquantes et quelles mesures il avait prises pour atténuer le risque de surclassement. L'objectif ultime est de s'assurer que la cote de sécurité est appropriée, compte tenu de l'importance capitale que représente cette cote pour le délinquant à toutes les étapes du processus correctionnel. Elle détermine si et quand il pourra être libéré sous condition avant d'avoir fini de purger sa peine.

M. Ferguson : Je veux seulement ajouter que, lorsque nous avons effectué les audits dont il est question aujourd'hui, nous avons relevé des problèmes tout au long du processus, à commencer par le fait qu'à l'arrivée du délinquant, le Service correctionnel ne dispose pas de tous les renseignements dont il a besoin pour déterminer sa cote de sécurité. Dans le cas des délinquants autochtones, le personnel ne dispose pas toujours de données pertinentes sur leur histoire sociale et qui pourraient servir à déterminer la cote dès l'arrivée du délinquant. Le personnel utilise l'outil qui est censé les aider à déterminer le niveau de sécurité et les programmes appropriés, tout en sachant que cet outil n'est pas adapté aux délinquants autochtones.

Le résultat, c'est que les détenus autochtones sont plus nombreux que les autres à être classés dans la catégorie à sécurité maximale ou moyenne. Par conséquent, ils n'ont pas accès à tous les programmes pertinents en temps opportun, qu'il s'agisse de programmes culturellement adaptés ou non. Comme les programmes ne leur sont pas offerts au moment opportun, ces détenus ne sont donc pas prêts à passer une audience de libération conditionnelle lorsque l'occasion se présente.

De plus, lorsqu'ils suivent des programmes, ils ne sont pas évalués au terme de chacun. Ainsi, si un détenu ayant une cote de sécurité maximale ou minimale suit un programme jusqu'à la fin, il n'est pas évalué pour déterminer s'il peut avoir une cote moins élevée. Étant donné qu'un délinquant incarcéré dans un établissement à sécurité maximale ne peut être libéré sous condition, il ne peut donc participer au processus qui consiste à suivre un programme jusqu'au bout, à être évalué et, si possible, à obtenir une cote de sécurité moins élevée.

De plus, les délinquants incarcérés dans un établissement à sécurité maximale ne rencontrent pas leur agent de libération conditionnelle aussi souvent qu'ils le devraient. C'est un problème que nous avons signalé dans notre premier rapport d'audit.

J'ignore quelle analyse vous faites de ce problème du point de vue des droits de la personne, mais les détenus ne bénéficient pas de toutes les possibilités qu'ils devraient avoir pour être admissibles à une libération conditionnelle en temps opportun. Comme je l'ai dit précédemment, cela veut dire qu'ils ont moins de temps pour effectuer une transition graduelle, sous supervision, à la vie dans la collectivité. C'est une situation qui me préoccupe particulièrement. Tous ces problèmes auxquels ils se heurtent tout au long du processus ont pour effet d'abréger leur période de transition.

Nous avons également constaté, comme je l'ai dit dans mes observations préliminaires, qu'un fort pourcentage des détenus autochtones libérés d'office à la date prévue passaient directement d'un établissement à sécurité maximale ou moyenne à la collectivité. Cela veut dire qu'ils passeront moins de temps sous supervision.

À de nombreux égards, ce système nous semble tout à fait désuet. On serait porté à penser que les personnes qui ont passé la majeure partie de leur temps dans un établissement à sécurité maximale ou moyenne, sans possibilité de libération conditionnelle, sont probablement celles qui ont besoin, une fois libérées, d'un programme complet de réadaptation visant à faciliter leur réinsertion au sein de la collectivité; en réalité, dans la plupart des cas, la période de transition est trop courte.

La sénatrice Omidvar : En consultant les rapports du vérificateur général pour 2016 portant sur les délinquants autochtones et en lisant certaines de vos conclusions, je constate que le SCC a répondu et accepté une partie de vos recommandations. Au paragraphe 3.71, par exemple, le Service correctionnel du Canada s'engage à élaborer des lignes directrices structurées afin de mieux utiliser les services des aînés, les initiatives des sentiers autochtones, autant de mesures qui, vous le savez, donnent de bons résultats.

Le SCC ne propose cependant aucun échéancier. Ma première question est la suivante : acceptez-vous ces réponses, malgré l'absence d'échéanciers? Vous êtes le vérificateur général. Lorsque vous ordonnez aux gens de sauter, ils sautent, je suppose. Pouvez-vous demander au SCC d'établir des échéanciers pour étayer ses réponses?

M. Ferguson : Voici comment se déroule un audit. Nous discutons d'abord de la version préliminaire du rapport avec l'organisme visé. Nous en faisons une analyse détaillée afin de le mettre au courant de la teneur des conclusions que nous formulerons. Nous lui faisons des recommandations. À la fin de l'audit, le ministère nous présente ses réponses que nous publions dans notre rapport.

Les ministères sont également tenus de présenter un plan d'action au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes. En fait, ce dernier a tenu une audience sur ce chapitre afin de permettre au SCC de présenter un plan d'action plus détaillé accompagné d'échéanciers.

Concernant le SCC et la réponse qu'il nous a fournie, je peux cependant vous dire qu'il a été, je ne sais pas si « satisfait » est le mot exact à employer, mais il a grandement apprécié les remarques que nous avons portées à son attention dans ce dossier. Le personnel a exprimé son intention, que je crois tout à fait sincère, de s'inspirer des conclusions de cet audit pour améliorer la situation des délinquants autochtones. Évidemment, le temps nous dira si les efforts font fructueux, mais le ministère devrait mettre en œuvre le plan d'action qu'il a établi avec des échéanciers.

La sénatrice Omidvar : Nous essayerons d'obtenir ce plan d'action du ministère ou d'une autre entité, si cela est possible.

Pour revenir à votre rapport, notre comité s'est longuement penché sur l'analyse comparative entre les sexes; je me suis permis de faire une simple recherche par mot-clé dans votre rapport. Dans la version anglaise, j'ai relevé trois occurrences du mot women et six occurrences du mot female.

J'aimerais vous demander si le but de cet audit était de donner un aperçu global de la performance du Service correctionnel du Canada à l'endroit des hommes et des femmes; le cas échéant, pourquoi n'y trouve-t-on aucune recommandation visant directement les femmes? Je suis curieuse de savoir.

M. Ferguson : C'est parce que notre stratégie portait d'abord sur l'ensemble de la population carcérale, ensuite sur les délinquants autochtones et, en dernier lieu, sur la population carcérale féminine. Un audit est en cours en ce moment.

L'autre raison pour laquelle nous procédons de cette manière, c'est qu'on nous a demandé de faire le suivi des recommandations formulées dans le rapport du coroner; nous nous appuyons un peu sur ces dernières pour planifier nos audits. Comme nous effectuons plusieurs audits sur les services correctionnels, nous nous appuyons sur les recommandations du coroner, par exemple, pour déterminer si certains domaines méritent un examen plus approfondi, conformément à ces recommandations.

Notre rapport sur les délinquantes sortira à l'automne et nous planifierons nos vérifications ultérieures sur les services correctionnels en fonction de l'ensemble des recommandations du coroner dans le dossier Ashley Smith.

La sénatrice Omidvar : Vos prochains rapports tiendront-ils compte de l'équité entre les sexes?

M. Ferguson : Notre prochain audit portera exclusivement sur les délinquantes.

La sénatrice Omidvar : J'ai bien compris, mais qu'en sera-t-il des autres? Envisagez-vous d'intégrer cette perspective à tous vos audits?

M. Ferguson : Nous le faisons de temps à autre. Par exemple, nous avons récemment fait un audit au sujet duquel j'ai une audience en après-midi, qui porte sur le recrutement dans les Forces armées canadiennes. Dans notre rapport, nous avons signalé que les Forces armées canadiennes s'étaient fixé comme objectif de recruter 25 p. 100 de femmes parmi les recrues. En ce moment, elles en sont à 14 p. 100.

Lorsque nous constatons qu'il peut y avoir des problèmes d'équité entre les sexes, nous en tenons compte lors de l'étape de planification de l'audit.

Le président : Monsieur Ferguson et madame McCalla, je vous remercie de votre présence. Vos observations nous ont éclairés et donné quelques idées pour nos propres recommandations. Si vous nous dites quand votre rapport d'automne sera prêt, nous pourrons ainsi présenter le nôtre une semaine avant, prendre note de vos commentaires et les transmettre au public afin que vous puissiez participer au processus. Nous vous remercions sincèrement d'être venus nous rencontrer. Cette rencontre a été très fructueuse.

Mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai reçu une lettre très intéressante de la part de l'un de nos prochains témoins, M. Piché, qui souhaitait comparaître devant nous. Son équipe et lui ont accompli un travail exemplaire à l'Université d'Ottawa. Le deuxième groupe que nous accueillons aujourd'hui se compose de Justin Piché, professeur agrégé au Département de criminologie de l'Université d'Ottawa, ainsi que de Teneisha Green, Jasmine Hébert et Ana Kovacic, toutes trois étudiantes à la maîtrise au Département de criminologie de l'Université d'Ottawa.

Les sénateurs et sénatrices ont beaucoup de questions à vous poser. Quant à moi, je vais vous quitter dans une vingtaine de minutes pour assister à une réunion de parrainage civique, et c'est la sénatrice Ataullahjan, notre vice- présidente, qui coordonnera les échanges aujourd'hui.

Monsieur Piché, est-ce vous qui prenez la parole?

Justin Piché, professeur agrégé, Département de criminologie, Université d'Ottawa, à titre personnel : Nous prendrons la parole tous les quatre.

Le président : Merci beaucoup. J'ai votre nom, puis une liste de quatre intervenants.

M. Piché : D'accord. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant votre comité. Je m'appelle Justin Piché et je suis professeur agrégé de criminologie à l'Université d'Ottawa. Teneisha Green, Jasmine Hébert et Ana Kovacic sont toutes trois étudiantes à la maîtrise au département, comme vous venez de le mentionner. Nous sommes tous ravis d'être ici aujourd'hui.

Nous étudions l'expansion du système carcéral canadien, recueillons des données au moyen d'une recherche de contenu en ligne, de demandes d'information par téléphone auprès des fonctionnaires des établissements carcéraux et nous avons également accès aux demandes d'information adressées aux gouvernements de tout le pays depuis janvier 2016.

Comme nous l'avons indiqué dans le rapport que nous avons présenté au comité le mois dernier sous le titre Carceral Expansion in Canada's Provinces and Territories : An Opportunity for Prison Divestment and Justice Reinvestment, la construction de nouveaux pénitenciers et l'aménagement de nouvelles places en milieu carcéral sont des éléments inhérents du système pénal canadien. Ces projets d'infrastructures carcérales sont mis en chantier au moment même où le premier ministre Justin Trudeau a confié à la ministre de la Justice et procureure générale, Jody Wilson-Raybould, le mandat de réviser les réformes pénales lancées par les conservateurs durant leur décennie au pouvoir, en mettant l'accent tout particulièrement sur le « recours à la justice réparatrice et à d'autres initiatives visant la réduction du taux d'incarcération chez les Autochtones du Canada ».

Comme nous le démontrerons aujourd'hui, d'après des données recueillies entre février 2016 et janvier 2017, nous avons recensé, dans notre rapport, 14 projets d'agrandissement d'établissements carcéraux à diverses étapes de leur mise en œuvre, ce qui représente plus de 2 500 nouvelles places, à un coût dépassant les 800 millions de dollars; d'autres projets doivent encore être annoncés, notamment à l'Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve-et-Labrador et ailleurs. Au moins un de ces projets, le nouvel établissement du Nunavut qui remplacera le Centre correctionnel de Baffin, reconnu pour sa vétusté et dont a parlé le vérificateur général, reçoit une aide financière fédérale pour les infrastructures; d'autres provinces et territoires ont également l'intention d'accroître leur capacité de détention de citoyens canadiens.

C'est dans ce contexte que nous avons lancé notre initiative NOPE qui s'oppose à l'expansion des prisons afin d'exhorter tous les gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada à cesser d'investir dans les pénitenciers et à réinvestir l'argent dans la justice, en s'appuyant sur l'infrastructure communautaire déjà en place, comme le logement social et abordable, l'éducation, les soins de santé et de santé mentale, les entreprises coopératives, le transport public et autres initiatives du genre, qui font la promotion de notre bien-être collectif et de notre sécurité. Dans le cadre de notre brève intervention d'aujourd'hui, nous vous donnerons un aperçu des projets d'agrandissement des pénitenciers au Canada, expliquerons pourquoi la création de nouveaux espaces en milieu carcéral est une politique publique qui fait fausse route et analyserons les solutions stratégiques à notre disposition dans l'espoir que le comité en fasse la promotion dans le cadre de ses travaux sur les droits de la personne.

Ana Kovacic, étudiante à la maîtrise, Département de criminologie, Université d'Ottawa, à titre personnel : Dans le cadre de notre étude, nous avons appris que la totalité des provinces et territoires, à l'exception de trois, s'étaient lancés dans la planification ou la construction d'une nouvelle infrastructure carcérale. Le Nouveau-Brunswick, l'Alberta et le Yukon s'abstiennent actuellement de construire de nouvelles prisons, car leurs gouvernements respectifs ont récemment investi, collectivement, plus de 670 millions de dollars dans des projets majeurs de construction carcérale, dont l'imposant Centre de détention provisoire d'Edmonton, qui constitue le gros de cette dépense, soit près de 570 millions de dollars.

Les gouvernements nous ont fait part de 14 projets distincts d'agrandissement de prisons ou de pénitenciers, certains étant achevés depuis peu et d'autres encore en cours, qui renforceront la capacité du Canada à maintenir en détention des êtres humains. À titre d'exemple, le gouvernement du Québec investit un total de plus de 503 millions de dollars dans l'aménagement de plusieurs pénitenciers provinciaux, notamment dans la rénovation de l'établissement Leclerc et l'ouverture de nouveaux établissements à Amos, Sept-Îles et Sorel-Tracy. Il prévoit également le remplacement du centre détention Tanguay, un établissement provincial pour femmes qui a récemment fermé ses portes.

Il importe également de mentionner la décision du gouvernement fédéral d'investir 56,6 millions de dollars dans la construction du centre correctionnel et de ressourcement Qikiqtani, au Nunavut, qui offrira 112 lits, en remplacement d'une prison territoriale. Cette décision est particulièrement troublante, étant donné qu'en 2014-2015, le Nunavut affichait le taux le plus élevé de détenus adultes; le territoire comptait 534 détenus pour 100 000 habitants, les Autochtones constituant la totalité des personnes admises dans les prisons territoriales au cours de cet exercice.

Plusieurs autres provinces et territoires prévoient créer de nouvelles places en milieu carcéral au cours des prochaines années et chercheront sans doute à obtenir une aide financière du fédéral pour financer leurs projets. Que le gouvernement finance ces projets au moment même où le premier ministre Trudeau demande que l'on trouve des solutions de rechange à la détention illustre bien le paradoxe de cette politique publique et constitue un manquement à notre obligation de prendre au sérieux les recommandations de la Commission de la vérité et de la réconciliation sur les pensionnats autochtones, qui ont été remplacés par les incarcérations massives.

Le renforcement de la capacité de l'État à maintenir en détention des êtres humains risque de créer des modèles de marginalisation, de criminalisation et de sanction pour les générations à venir; voilà pourquoi nous ne pouvons fermer les yeux sur les projets d'agrandissement des pénitenciers qui sont actuellement mis en œuvre d'un bout à l'autre du Canada, avec l'argent du gouvernement fédéral.

Jasmine Hébert, étudiante à la maîtrise, Département de criminologie, Université d'Ottawa, à titre personnel : Depuis leur création, les établissements carcéraux sont en situation de crise permanente en raison des réformes incohérentes qui n'ont pas réussi à corriger les lacunes et les paradoxes insolubles de l'emprisonnement. Les gouvernements engagés le développement de leur infrastructure pénale tentent certes de rationaliser leurs projets d'agrandissement, mais sans tenir compte des échecs à répétition des établissements à atteindre les objectifs qu'ils se sont eux-mêmes fixés, notamment en matière de réadaptation, de dissuasion et de promotion de la justice, autant d'initiatives qui favorisent la guérison des personnes touchées par des actes criminels.

Non seulement les prisons accentuent-elles la souffrance, mais elles ne contribuent nullement à réparer les préjudices sociaux qui déclenchent le processus pénal et s'avèrent inefficaces autant pour les criminels que pour les victimes. La prison renforce les structures d'oppression et perpétue l'inégalité en marginalisant les personnes autochtones, pauvres et racialisées, les femmes rendues vulnérables par les structures patriarcales, les membres de la communauté LGBTQ, les personnes aux prises avec une maladie mentale ou des problèmes de dépendance. À titre d'exemple, il y a beaucoup plus de personnes aux prises avec une maladie mentale ou un problème de toxicomanie derrière les barreaux que dans la population en général.

Le fait de mettre une personne en cage enfreint sa dignité et constitue un affront à la justice en soi.

Les systèmes de pouvoir dominants qui entretiennent les inégalités entre les classes économiques, les ethnies, les genres, les sexes et autres se multiplient dans les sites d'incarcération. Il est irrationnel et oppressif de nous en remettre de plus en plus à des stratégies coûteuses, injustes et inefficaces pour régler des problèmes sociaux qui sont criminalisés. Les souffrances infligées ne devraient pas faire partie intégrante de la justice.

Teneisha Green, étudiante à la maîtrise, Département de criminologie, Université d'Ottawa, à titre personnel : Parmi les solutions de rechange à l'incarcération, il y a la justice fondée sur la justice réparatrice et transformatrice. La justice réparatrice est une approche qui repose sur les besoins des victimes et des auteurs des préjudices ainsi que des membres concernés de la collectivité plutôt que sur le respect de principes juridiques abstraits ou l'imposition de sanction aux prévenus. Les victimes jouent un rôle actif dans le processus tandis que les coupables sont encouragés à assumer la responsabilité de leurs actes et à réparer le tort causé entre autres en s'excusant, en rendant les sommes volées ou en faisant des travaux communautaires. Cette forme de justice fait fond sur une théorie qui considère les actes criminels et les actes répréhensibles comme une infraction contre une personne ou une collectivité plutôt que contre un état.

L'un des principes à la base de la justice réparatrice est la guérison ou la collaboration visant à soulager la victime, l'auteur de l'acte et la communauté de leurs souffrances. Toutes les parties sont mobilisées pour conclure une entente qui permettra d'éviter une récidive et de garantir qu'il y aura réparation pour l'acte répréhensible commis. La victime a ainsi son mot à dire directement dans les procédures menant au jugement. Quant à l'auteur de l'acte, il a la possibilité de comprendre le tort causé. Cette forme de justice permet également de montrer à la collectivité que, dans certains cas, la personne condamnée a elle-même déjà souffert de préjudices.

Par ailleurs, la justice transformatrice est une philosophie différente qui s'inspire des principes et des pratiques de la justice réparatrice. Elle va au-delà de la relation classique entre une victime et son agresseur. Elle fait une analyse des systèmes de domination qui favorisent les préjudices comme le racisme, le classisme, l'homophobie et le sexisme. La justice rétributive, quant à elle, enlève toute notion de contrôle, de guérison et de responsabilité pour la victime et le responsable. Elle les éloigne des procédures.

La justice transformatrice traite non seulement le conflit entre la victime et l'auteur de l'acte, mais également nombre d'autres problèmes sociaux qui ont donné lieu au conflit. Elle prend son origine dans la participation et la responsabilisation de la collectivité et met fin aux pratiques punitives et rétributives. Comme la justice transformatrice laisse entendre que les torts sont causés par d'autres types d'oppression, ses défenseurs indiquent que, pour que la transformation s'opère, il faut changer la relation entre la personne qui a causé le tort, la ou les personnes qui l'ont subi, les témoins ainsi que la collectivité. Pour que le changement soit significatif, il doit viser les causes à l'origine de la violence et des préjudices.

En terminant, pour faire suite à la lettre de mandat de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, Mme Wilson-Raybould, le gouvernement fédéral devra battre la marche et renforcer les capacités liées à la justice réparatrice et transformatrice dans les collectivités canadiennes. Si nous ne nous débarrassons pas des prisons et si nous ne réinvestissons pas dans d'autres formes prometteuses de justice, les Canadiens devront s'attendre à ce que les mêmes pratiques et politiques pénales déplorables se perpétuent pour les générations à venir. Il est temps pour les Canadiens de dire non à l'expansion du système carcéral. Je vous remercie de votre temps.

Le président : Je vous remercie également de votre temps. Ce que vous venez de dire est très important. S'agit-il du premier document public de Nope? Vous tenez une conférence de presse si je comprends bien. C'est bien. Les médias doivent être au courant de vos travaux minutieux des derniers temps.

Passons aux questions.

La sénatrice Fraser : Permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'être ici. Je partage en grande partie votre opinion quant à ce système, disons, inadéquat qui vise à enfermer les gens.

J'essaie seulement de comprendre votre tableau. Il concerne seulement les institutions provinciales et territoriales, n'est-ce pas?

M. Piché : Exactement.

La sénatrice Fraser : Prenons l'exemple du Québec, ma province, et de l'établissement Leclerc. Des travaux sont en cours pour que l'établissement puisse offrir 775 lits pour des hommes. Je ne crois pas que l'on parle ici d'une augmentation nette du nombre de personnes incarcérées au Québec puisque, auparavant, lorsque l'établissement relevait du fédéral, il accueillait peut-être 500 personnes.

Par ailleurs, je ne suis pas certaine en regardant ces chiffres si les 775 places destinées aux hommes comme vous l'avez mentionné comprennent les femmes qui, si j'ai bien compris, sont incarcérées à la Maison Tanguay. Ces femmes sont-elles incluses dans votre nombre total?

J'essaie seulement d'avoir une meilleure idée des chiffres exacts. Je compatis toutefois, je sais qu'il est très difficile d'inclure tous les renseignements dans un seul tableau. Ce serait bien si vous pouviez me donner ces précisions.

M. Piché : Oui, bien sûr. Lorsque nous avons procédé à la collecte de données, nous avons demandé aux provinces et aux territoires combien de nouveaux projets d'infrastructures carcérales ils ont entrepris. Nous leur avons également demandé combien de nouvelles places ils estimeront avoir ajoutées à leur capacité d'incarcération lorsque ces projets seront terminés et que le nombre de places sera effectif.

Nous avons envoyé une demande d'accès à l'information au gouvernement du Québec et à son ministère de la Sécurité publique. Plutôt que de nous envoyer des documents, ils ont envoyé une lettre détaillant les initiatives d'infrastructures carcérales et l'augmentation nette du nombre de places. Ils ont donc énuméré les projets en indiquant l'information que nous avons dans le tableau.

Je connais bien le projet dont vous parlez, celui de l'établissement Leclerc, un établissement fédéral acheté par le gouvernement du Québec. Or, le gouvernement du Québec n'a pas reconnu que cet achat, en soi, constituait une augmentation du nombre de places à ce moment-là. Essentiellement, les fonctionnaires disent que, à partir du moment où ils ont acheté l'établissement jusqu'au moment où les travaux seront terminés, il y aura 775 places de plus dans la province.

Il est plus difficile de déterminer quelles places sont déplacées si nous tenons compte du nombre de prisonniers dans les établissements fédéraux. Je peux toutefois dire que, lorsque l'établissement Leclerc a été fermé — tout comme le pénitencier de Kingston — environ 1 000 lits de prisonniers ont été enlevés alors que le SCC ajoutait 2 700 nouvelles places ailleurs au pays. Si nous parlons de l'augmentation nette à l'échelle fédérale il y a quelques années, soit au moment où ces projets ont été achevés, nous avions environ 1 700 nouveaux lits ainsi qu'une augmentation de la capacité en raison de la double occupation des cellules. Or, je crois comprendre que cette solution a été largement abandonnée dans les dernières années. Néanmoins, l'espace est toujours là si on souhaite l'utiliser dans l'avenir.

La sénatrice Fraser : Cette question vient de trahir mon ignorance, mais nous sommes ici pour apprendre. La surpopulation dans les établissements carcéraux au pays est un scandale qui dure depuis de nombreuses années. Si les prisons utilisent leur gymnase pour entasser des prisonniers plutôt que pour pratiquer des activités, nous pouvons dire que le système n'est pas très efficace.

Que savez-vous de la classification officielle du nombre de lits? Par exemple, si un établissement a une surpopulation par rapport à sa capacité initiale prévue et qu'il entasse les prisonniers dans le gymnase, est-ce que ces prisonniers sont comptés dans le nombre de lits ou sont-ils juste une surpopulation qui n'entre pas dans le nombre total officiel de lits pour cet établissement? Autrement dit, si nous construisons un nouvel établissement et augmentons le nombre officiel de lits, est-ce que nous augmentons en réalité le nombre de personnes incarcérées ou augmentons-nous simplement le nombre officiel de lits?

M. Piché : Pour répondre à la question, je dirais que la classification des lits dans notre rapport concerne les lits ordinaires. Je ne crois pas qu'elle inclut les lits d'isolement. Ces lits servent à l'incarcération de la population en général. On ne compte pas les lits d'isolement ou les lits de soins médicaux, à l'exception de l'établissement en Saskatchewan dont nous avons parlé qui ajoutera de nouveaux lits en santé mentale dans une aile sécurisée.

La sénatrice Fraser : Vous voyez, je nage en plein brouillard. Aidez-moi à m'y retrouver.

M. Piché : Non, vous ne l'êtes pas. Quelques grands facteurs motivent la construction de prisons au pays. L'un de ces facteurs, du moins dans les provinces et les territoires comme ce comité le sait, est que, depuis les années 1980, la proportion de prisonniers en détention provisoire a explosé. J'ai vu un rapport de Statistique Canada aujourd'hui dans lequel on pouvait lire qu'environ 60 p. 100 de la population dans les prisons provinciales et territoriales n'a pas encore subi de procès ou reçu de jugement. C'est donc ce qui incite les provinces et les territoires à augmenter leur capacité carcérale afin de pouvoir emprisonner les gens qui sont légalement innocents.

Un autre facteur est la surpopulation dans les établissements. Le Centre de détention d'Ottawa-Carleton est bien connu pour sa triple, parfois même quadruple, occupation des cellules et parfois pour entasser des prisonniers dans le gymnase et ainsi de suite. Pour répondre à votre question, on ne compte pas ces éléments dans la capacité, mais ces prisonniers sont évidemment comptés dans le dénombrement quotidien officiel.

La sénatrice Fraser : Le nombre de prisonniers par opposition au nombre de lits?

M. Piché : Exactement. Ce que j'essaie de dire, je suppose, est que, d'une part, nous pourrions ajouter des places dans les prisons pour que tous soient incarcérés de façon plus humaine. Cependant, nous avons observé, d'autre part, dans le cadre de nos recherches — une chose que j'ai constatée également dans mes recherches sur le sujet au cours des 10 dernières années — que l'on bâtit souvent une nouvelle prison pour remédier à la surpopulation ou pour offrir de nouveaux programmes aux prisonniers, car il y a actuellement des lacunes à cet égard. Or, on finit par construire la prison pour remplacer les vieilles. La nouvelle prison a alors un problème de surpopulation et aucun des programmes promis n'est offert.

C'est insensé. La crise perdure et les seules personnes qui semblent en tirer profit sont celles qui conservent leur emploi dans le service correctionnel. Les prisonniers ne semblent pas avoir fait de gains mesurables au quotidien bien qu'on leur ait promis des conditions plus humaines. Voilà le résultat. C'est également le bilan de notre pays depuis la période avant la Confédération, soit lors de la construction du pénitencier de Kingston en 1835. Si nous continuons sur la même voie, dans 100 ans, vous entendrez encore des chercheurs comme nous devant ce comité. Nous pouvons par contre tenter de faire les choses différemment. C'est ce que nous tentons de mettre de l'avant.

La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente : Comme vous le voyez, nous avons changé de président. Le sénateur Munson avait un empêchement, alors je le remplace.

La sénatrice Andreychuk : Pour revenir à ce que disait la sénatrice Fraser, je poursuivrais avec M. Piché. En lisant votre mémoire, je comprends que vous avez constaté que la construction de nouveaux établissements et de nouvelles infrastructures ne permettait pas de rendre le système plus équitable, ni de l'améliorer, ni de mettre en place une justice réparatrice, et cetera. Vous avez ensuite montré le tableau sur lequel on peut voir l'expansion dans les provinces. Je ne vois pas les liens. Autrement dit, vous avez élaboré une proposition théorique. Cependant, j'aimerais que vous démontriez votre proposition, car j'ai du mal à voir son bien-fondé.

Je connais la situation en Saskatchewan, par exemple. La santé mentale n'était pas une priorité dans le service correctionnel. Il s'agissait d'une priorité pour la société et pour la province. Selon moi, nous sommes en train de bâtir un très bon établissement pour la population de la Saskatchewan et nous veillerons à ce qu'il y ait une unité sécurisée de santé mentale. Si vous savez à quel point la Saskatchewan est disparate, vous savez que vous aurez à accueillir ces patients dans l'établissement. Ces derniers doivent être dans un endroit sécurisé, mais doivent avoir accès au même éventail de services psychiatriques que le reste de la population en raison de leurs troubles mentaux ou psychologiques. Reste que nous ne pouvons avoir toute cette expertise seulement pour le service correctionnel. Nous l'offrons aux autres, et nous construisons une unité sécurisée.

Il semble que les statistiques ne m'aident pas à comprendre le problème auquel vous faites référence, soit la surutilisation de l'incarcération. Je ne le vois pas dans les documents que vous avez fournis. Vous allez devoir mieux l'expliquer. Je crois effectivement que nous ne devons pas construire d'établissements dans le but de pouvoir incarcérer le même nombre ou un plus grand nombre de gens. Par contre, je ne sais pas si c'est le fait de bâtir de nouveaux établissements qui a mené à l'augmentation du nombre d'incarcérations ou à la hausse des actes criminels ou si ce sont des politiques qui ont mené à ces augmentations. Je ne vois pas la corrélation avec les structures et l'expansion. Je ne suis pas convaincue.

Personnellement, si le pénitencier de Kingston est vieux et désuet et que des gens doivent y être incarcérés, j'aimerais que les conditions y soient plus humaines et que l'installation soit fonctionnelle. Pour être honnête, je voudrais que les toilettes fonctionnent.

Vous devez m'aider à comprendre votre thèse, mais vous devez surtout me dire sur quoi s'appuient les observations que vous avez formulées. Je ne vois rien de cela dans les documents fournis. Peut-être avez-vous d'autres documents que je pourrais lire et des données que vous pourriez me fournir. Je ne suis pas votre directeur de thèse qui vous met sur la corde raide, mais je crois que les arguments doivent être démontrés et je ne suis pas certaine que cela a été fait.

M. Piché : Prenons tout d'abord l'unité de santé mentale qui est construite en Saskatchewan. Il faut comprendre que ces unités ne sont pas pour la collectivité et que plusieurs millions de dollars sont investis dans leur construction. Ces investissements seraient sans doute nécessaires pour que les gens aient accès à ces services avant d'être en conflit avec la loi, avant de blesser quelqu'un, avant de se retrouver devant les tribunaux et de faire face à des accusations, avant de se retrouver en prison et, peut-être, avant d'avoir besoin de ce type d'établissement. Ce que je veux dire est que lorsque nous investissons de l'argent dans les prisons, cet argent provient de quelque part et aurait pu être investi ailleurs comme pour l'amélioration des services de santé mentale dans la collectivité.

Beaucoup de prisonniers sont incarcérés pour des délits liés à la drogue, par exemple, et pourraient — et j'utilise le conditionnel ici — ainsi avoir accès à un traitement pour la première fois. Pour moi, cette situation met en examen notre société, une société dans laquelle une personne doit attendre longtemps avant d'avoir accès à un traitement. Si je dis que je suis alcoolique ou toxicomane et que j'ai besoin d'aide, on me répond à moins que tu aies l'argent, tu n'obtiendras pas d'aide rapidement.

Je crois que ce que nous tentons d'expliquer est que, si nous investissons l'argent à cet endroit, nous ne l'investissons pas ou en investissons moins en prévention.

Si je dois démontrer qu'il s'agit là de mauvaises politiques publiques et de mauvais investissements, je peux vous en dire long sur les différents échecs qui se sont accumulés dans le système carcéral depuis le tout début.

Nous pouvons parler de la réadaptation par exemple. Cet aspect du milieu carcéral a fait l'objet de plusieurs critiques. D'abord, les prisons sont généralement un environnement chaotique. Un environnement contre-productif. Elles ne sont pas un lieu de traitement. Et cela est bien connu depuis longtemps. Bien entendu, les traitements sont plus efficaces dans la collectivité. Même les recherches du gouvernement vous le diront.

On sait depuis plus d'un demi-siècle — Don Clemmer parlait de « prisonnisation » — que les prisonniers vont en prison et adoptent les coutumes, les mœurs et les valeurs de l'établissement et non de la société qu'ils réintégreront éventuellement. Nous pourrions également parler des travaux de Gresham Sykes sur...

La sénatrice Andreychuk : Je pense que vous confirmez ce que je disais sur le fait que nous devons trouver une autre solution que l'incarcération si nous souhaitons aider les gens et aider la société, et cetera. Ce n'était pas l'aspect de votre thèse qui me posait problème. Ce que je trouve difficile à comprendre est le tableau selon lequel la construction est en quelque sorte la solution.

Fondamentalement, votre argument est que l'incarcération n'est pas utile. C'est une théorie sur laquelle vous et moi pourrions nous entendre. Cependant, je pourrais ne pas être d'accord et dire que nous avons besoin des prisons pour assurer la sécurité dans notre société. C'est ce que j'avancerais. Mais vous avez dit que la construction de prisons était inutile et je ne vois pas le lien.

Avec tout mon respect, je ne suis pas d'accord avec le fait de prendre les statistiques sur les investissements dans la construction. Ce n'est pas convaincant de dire que c'est la construction de prisons qui a créé les difficultés dans le système. Je pense que l'on pourrait plutôt dire que vous n'étiez pas d'accord avec cette amélioration apportée au système. C'est là où je voulais en venir. Libre à vous de repenser votre stratégie et la façon de présenter vos arguments qui, selon moi, sont très convaincants.

M. Piché : Je vais répondre brièvement. Si nous constatons qu'un établissement ne répond pas aux objectifs qu'il s'est fixés et que quelqu'un arrive en disant : « Voici les preuves que nous avons augmenté la capacité de cet établissement pour qu'il parvienne à remplir sa mission », je ne saurais comment répondre à vos observations et à votre intervention, car fondamentalement, ce que nous disons, c'est que les prisons sont inefficaces et qu'il faut arrêter d'en construire.

La construction de prisons n'est pas la cause des échecs. Les échecs sont déjà présents et sont répétés dans les nouvelles constructions. Je suppose que je vais devoir revoir cette coupure après l'audience.

La sénatrice Omidvar : Pour poursuivre avec le même genre de questions — et quiconque peut répondre — je sais qu'il existe une abondante documentation selon laquelle les prisons ne mènent qu'à des attitudes endurcies et à un retour à la criminalité, mais ce qui pose problème à mes yeux est l'enjeu de la responsabilité. Il faut tenir les Canadiens responsables de leurs actes, à des fins de sécurité, et pour faire respecter notre système, garant de la loi et de l'ordre. Si imparfait puisse-t-il être, c'est le système que nous avons et nous sommes ici dans le but de l'améliorer.

Dans votre document, vous mentionnez différentes options de détention. J'aimerais que vous me décriviez quelques- unes de ces options, susceptibles d'engager tant la responsabilité des personnes, d'une part, qu'une baisse de leur recriminalisation.

M. Piché : Nous avons un système de justice rétributive selon lequel le fait d'enfreindre la loi est considéré comme un manquement envers l'État. La personne concernée, à cause de ce manquement, sera amenée devant les tribunaux où on se prononcera sur son innocence ou sa culpabilité, et si elle est jugée coupable, on lui imposera une sanction punitive, qui constitue une forme de responsabilisation.

Nils Christie, sociologue norvégien, entre autres personnes, a soutenu qu'il s'agirait essentiellement d'une forme d'usurpation de conflit qui, dans les faits, empêcherait les délinquants d'assumer la responsabilité de leurs gestes, car ils ne sont pas obligés de rendre compte de ceux-ci, de dire eux-mêmes ce qu'ils ont fait pour ensuite trouver une façon de réparer les torts faits aux victimes de leurs actes.

La justice réparatrice, par exemple, permet aux parties de se rencontrer, aux victimes et aux délinquants de s'entendre, aux membres de la collectivité concernés de participer, et enfin, de rassembler toutes les parties pour examiner, dans un premier temps, ce qui s'est passé, comment les parties elles-mêmes définissent le tort causé — et non comment l'État le définit —, les conséquences que ce préjudice a entraînées, et après tout cela, comment combler les besoins issus de ces conflits. La justice réparatrice repose sur différents processus, qu'il s'agisse de la médiation entre la victime et le délinquant, de conférences en groupes restreints ou dans la collectivité.

La justice transformatrice fait un pas de plus et pose la question : quelles structures sociales sont à la base de ces méfaits? À titre d'exemple, dans le cas de la violence faite aux femmes, si les parties s'entendent pour se rencontrer dans le cadre d'un processus de justice transformatrice, elles pourraient discuter, entre autres, du rôle de nos structures patriarcales — du sexisme notamment — dans la violence faite aux femmes, pour ensuite corriger les structures sociales profondes responsables des méfaits en cause et des conflits qui les provoquent.

Voilà comment ces formes de justice fonctionnent, en somme. Bien entendu, elles ne constituent pas une panacée : elles ont leurs limites. De toute évidence, le consentement des parties est essentiel. Les personnes doivent également être prêtes à participer à ces processus. Si une personne ayant commis un méfait ou ayant été accusée de l'avoir fait dit : « Je ne veux pas participer à ce processus » ou, « Si j'y participe, je pourrais causer plus de tort aux personnes à qui j'en ai déjà causé », alors c'est impossible.

Pour revenir au sujet de notre rapport, lorsque nous dépensons de l'argent pour construire des prisons, nous ne donnons pas la chance à ces processus de se déployer, que ce soit dans la collectivité, à l'étape du rapport initial à la police, avant ou après le procès, ou encore en prison. En somme, nous ratons l'occasion de favoriser la guérison. La documentation indique que la justice réparatrice et la justice transformatrice offrent — malgré leurs imperfections — de meilleures chances aux survivants, aux délinquants et aux collectivités de guérir à la suite d'un acte criminel.

La sénatrice Omidvar : Je comprends, d'après ce que vous dites, que l'argumentaire de votre document en ce qui a trait aux dépenses pour des établissements carcéraux est, essentiellement, dépensons l'argent pour les processus de justice réparatrice et de justice transformatrice, car c'est ainsi que nous obtenons les meilleurs résultats. Est-ce bien ce que j'entends de votre part?

M. Piché : C'est l'un des arguments que nous faisons valoir, en effet.

La sénatrice Martin : Je voudrais intervenir pour obtenir certaines précisions sur ce que vous décrivez.

Idéalement, nous voulons une justice de guérison, réparatrice et transformatrice, mais ma question revient à ce que mes collègues tentent de comprendre ou d'entendre de votre part, et qui revient à : entretemps — car tout ceci est un processus également —, qu'est-ce que vous croyez qu'il arrivera à ces délinquants jusqu'à ce qu'ils soient prêts, alors qu'ils ont peut-être assassiné quelqu'un ou enfreint la loi d'une manière susceptible d'amener des conséquences graves à la société ou à la collectivité?

De la même façon, nous tirons avantage de certaines situations en éducation pour enseigner l'approche réparatrice, en faisant participer les élèves et les familles. Nous avons le système actuel, et il faut du temps pour arriver au point auquel des mesures réparatrices peuvent être adoptées. En attendant, il y a des prisons et des endroits où les gens peuvent être placés. Nous examinons les façons d'améliorer ces installations. Je pense que vos idées constituent autant de façons de rendre le processus global plus salvateur. J'essaie simplement d'être réaliste quant à ce que vous dites, car en attendant, nous devons maintenir un équilibre entre protéger les victimes, les collectivités et les sociétés de ces délinquants jusqu'à ce qu'ils soient prêts eux aussi.

M. Piché : À certains égards, je suis d'accord avec l'idée que si une personne pose un risque immédiat pour les autres et qu'elle n'exprime aucun remords pour ses gestes, alors certaines mesures de contrainte sont nécessaires. Que ce soit une prison ou autre chose, on peut en débattre.

La stratégie que nous tentons de privilégier dans notre propre travail est une stratégie d'attrition, de sorte que nous travaillions vers un monde et un pays où nous incarcérerions moins de gens et, sait-on jamais, où l'incarcération ne constituerait plus un élément immuable de notre système de justice. Cette stratégie d'attrition suppose premièrement que l'on stoppe toute expansion. C'est ce dont il s'agit aujourd'hui. Ce sont des établissements lamentables, qui ont échoué, et nous leur donnons plus de place. C'est de cela que nous parlons.

Si nous devons prendre une autre direction, à un moment donné il faut dire non et arrêter afin de prendre une autre direction. Cela pourrait s'étaler sur plusieurs générations, sur le long terme, mais cela se traduirait par l'arrêt de l'expansion des prisons maintenant, et l'investissement dans des programmes de justice réparatrice et transformatrice dans nos collectivités dès à présent, et non dans 100 ans. C'est essentiellement ce que nous préconisons.

Il y a actuellement beaucoup de gens en prison qui n'ont pas besoin d'y être. Nous pourrions commencer dans différents endroits, par ceux dont nous croyons qu'ils pourraient être libérés immédiatement sans que cela ne menace la sécurité de qui que ce soit. Nous pourrions peut-être faire un tour de table et demander à chacun d'entre vous qui il serait prêt à libérer de prison dès maintenant. Tant que nous ne dirons pas non à l'expansion des prisons, rien ne se réalisera.

Je n'ai aucun mal à reconnaître que les options de rechange à l'incarcération sont peu nombreuses, mais pour y arriver, il faut y mettre un terme à un moment donné, ou nous pourrions simplement continuer à tourner en rond pendant 150 ans dans ce pays.

Mme Hébert : Je voulais ajouter quelque chose sur l'enjeu de la responsabilité qui revient régulièrement. D'autres recherches et d'autres documents de criminologie, particulièrement dans le domaine de la victimologie, étudient ce que les victimes de méfaits sociaux veulent vraiment. Et ce n'est pas, dans la plupart des cas, l'emprisonnement. Elles veulent des excuses. Elles veulent que leur propriété leur soit rendue ou qu'elle soit réparée. Elles veulent savoir pourquoi ce qui leur est arrivé est arrivé et elles veulent savoir que cela n'arrivera plus. Les mesures de justice réparatrice permettent au délinquant de se responsabiliser plus que la simple incarcération ne le permettrait. C'est particulièrement vrai du fait que la plupart des gens que l'on envoie actuellement en prison ne sont pas des délinquants violents.

L'argument qui consiste à demander ce que nous allons faire avec eux ou si nous allons les mettre en prison le temps qu'ils soient prêts à participer à un processus de justice réparatrice... Ils ne le seront jamais, car les prisons ne feront que les déresponsabiliser davantage. Cela ne peut qu'empirer. L'important est d'assurer un bon départ. Et ce bon départ n'est pas l'emprisonnement.

La sénatrice Fraser : Je le répète : je suis d'accord que notre approche actuelle qui consiste à emprisonner tout ce qui bouge est épouvantable, contre-productive, cruelle même. Mais il existe une certaine catégorie de personnes — et je pense aux personnes souffrant de maladie mentale — qui peuvent être aidées, il me semble, par les programmes dont vous parlez ici d'expansion des prisons.

Je ne connais pas les statistiques sur les établissements provinciaux, mais nous savons depuis des années que dans le système fédéral, un nombre effarant de gens emprisonnés souffrent de maladie mentale et qu'ils n'ont pas les traitements dont ils ont besoin, car ils sont traités comme des prisonniers plutôt que comme des patients.

Quand je constate que vous avez inclus le projet de la Saskatchewan, par exemple, j'ai du mal à y voir une mesure incitative pour la perpétuation d'un mauvais système. Il me semble que c'est quelque chose que nous devrions tenter d'encourager, établir des endroits sécuritaires où, selon votre rapport, l'approche serait thérapeutique plutôt que simplement carcérale. En quoi est-ce mauvais?

M. Piché : Si on regardait les millions de dollars dépensés pour cette installation — j'imagine qu'après cette séance, nous pourrions regarder combien le gouvernement de la Saskatchewan dépense en santé mentale dans la collectivité, et ensuite nous demander : « Est-ce que c'est un système juste que celui où des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale sont assimilés à des criminels parce que le soutien dans la collectivité est pratiquement non existant? »

Se rendre compte que nos prisons sont en passe de devenir des asiles d'aliénés, puis dire : « Nous avons besoin d'une aile psychiatrique », à mon avis, la bonne manière de s'attaquer au problème est de dire : « Tentons d'endiguer le flux de gens qui tôt ou tard entrent en crise dans nos vies et entrent en conflit avec la loi pour aboutir en prison », plutôt que de construire ce genre d'installation. Quand les objectifs thérapeutiques se heurtent aux objectifs de sécurité, au bon ordre de l'établissement, pour ainsi dire, cela donne ce que l'on voit dans notre pays, où les objectifs et les établissements ne sont plus au même diapason, et le bon ordre et la sécurité de l'établissement l'emportent sur tout le reste. Ils l'emporteront sur la réadaptation et sur les autres formes de travail qui ont cours entre les murs.

On ne peut s'attendre à ce que ces installations sécuritaires soient en mesure de tenir leur promesse, alors que cela n'est jamais arrivé dans toute l'histoire documentée. Alors, pourquoi continuer?

La sénatrice Fraser : J'ai reçu quelques indications selon lesquelles le travail fait par l'hôpital Royal d'Ottawa portant sur le système ontarien a été assez efficace. Vous êtes bien au courant de cela et vous n'en avez pas tenu compte?

M. Piché : Il faudrait que j'examine le rapport du Royal d'Ottawa. Si le rapport dit que le fait de placer quelqu'un dans une unité de soins en santé mentale dans un contexte correctionnel est mieux qu'une prison normale, d'accord, je suis prêt à le concéder. L'argument que je tente de faire valoir est que ces personnes ne devraient pas être en prison au départ.

Lorsqu'on fait en sorte qu'un juge, par exemple, se sent à l'aise d'envoyer quelqu'un dans le système correctionnel parce qu'il pense que la personne y sera traitée, c'est ce dont je parle : on envoie les personnes dans les prisons plutôt que dans les collectivités. À mes yeux, la construction de ces espaces légitime ce processus, alors qu'il faudrait dans les faits s'attaquer au problème avant que les gens n'aboutissent dans ce système.

La sénatrice Andreychuk : La sénatrice Fraser a fait le tour de la question de belle façon.

Vous vous prononcez en faveur de services de prévention avant que les gens n'aillent en prison. J'ai l'habitude, vous pensez bien, de quémander, de supplier et d'ordonner des systèmes de soutien préventifs — à commencer par l'enfant de 8 mois, puis de 18 mois, pour régler les problèmes avant qu'ils ne deviennent des problèmes d'ordre criminel. C'est un phénomène sociétal.

Je vous suis tout à fait, mais si vous dites que vous avez tout essayé, que rien ne fonctionne et que par conséquent, la seule façon de faire cesser cela ou d'attirer l'attention de la société sur le problème est d'arrêter de construire des installations, je trouve cette stratégie improbable, car elle insécuriserait les collectivités. Qu'allez-vous faire avec ces personnes si vous ne les enfermez pas?

Je comprends que c'est une impasse, car le juge dans son siège se dit : « Cet enfant, cette personne devrait avoir eu accès à des soins, mais il est ici devant moi et il vient de commettre un grave crime violent. Qu'est-ce que je fais de lui? »

Je ne renonce pas à la justice préventive et à la réadaptation. Je pense que nous ne les avons pas mises en œuvre de la bonne façon. Je pense que nous n'avons pas eu la volonté politique de les mettre en œuvre. Ce qui me pose problème est votre réponse, et votre frustration qui s'exprime par : « Arrêtons de construire des prisons parce que ça pourrait attirer l'attention des gens. » Il y a d'excellents programmes en place. Ils sont segmentés, et ainsi de suite.

Je ne suis pas en désaccord avec vous sur le fait que nous incarcérons beaucoup de personnes qui ne devraient pas l'être, mais j'ai regardé le Code criminel et le manque de ressources en amont ne permet pas de couper les ressources en aval. D'un point de vue politique, je ne sais pas comment un gouvernement présenterait cela. Il dirait : « Aujourd'hui, nous allons cesser de construire. Nous allons délaisser la sécurité, parce que nous croyons que nous devrions nous concentrer davantage sur la prévention. »

Je comprends que la prévention est très difficile à vendre, car personne ne peut s'attribuer le mérite de la réadaptation de quelqu'un. On ne peut pas dire que ce programme a bien fonctionné pour lui. « Nous pensons qu'il a bien fonctionné » est le mieux qu'on puisse dire, et nous voulons offrir toutes ces options.

Je pense que nous ne débattons pas du but final, mais plutôt de la façon de l'atteindre.

M. Piché : J'aimerais intervenir brièvement. Mon collègue Irwin Waller de l'Université d'Ottawa a fait de la recherche sur la prévention, qui démontre que pour chaque dollar dépensé en prévention, on économise 7 $ qui seraient autrement dépensés pour les services policiers, les tribunaux, les prisons ou les services de mise en liberté conditionnelle. Nous nous entendons là-dessus. Ma question, donc, est la suivante : « Si une partie des 7 $ dépensés est destinée à la construction de prisons — ou à l'expansion de ce qui se fait déjà en fait d'incarcération dans notre pays — pourquoi ne pas les dépenser en prévention, et ainsi économiser sept fois l'argent investi? Pourquoi ne pas mettre 800 millions de dollars en prévention aujourd'hui plutôt qu'en construction de cellules, ce qui aura des répercussions sur les collectivités et le bien-être des gens, et qui empêcherait qu'on cause du tort aux gens.

Nous avons des choix à faire...

La sénatrice Andreychuk : Je vais entrer dans le vif du sujet. Je pense que vous devriez chercher une stratégie pour l'intérim, car si vous dites : « On arrête de faire des prisons aujourd'hui », pour que l'argent puisse être investi là, vous allez vous heurter à bien des obstacles et des incertitudes. Mais si vous dites : « Voici la solution intérimaire qui nous permettra d'y arriver, réduisez tel type d'incarcération et tel type de construction pour investir cet argent en prévention », je pense que vous verrez une volonté politique plus grande.

La vice-présidente : Nous avons environ 10 minutes et 4 sénateurs ont des questions. Si vous pouviez faire des questions brèves et des réponses aussi brèves, je vous en serais reconnaissante.

La sénatrice Andreychuk : Je suis désolée.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup. Vous avez créé une discussion très intéressante et animée. Tout le monde participe. C'est fantastique.

Je suis une ancienne travailleuse sociale communautaire, et je connais bien la justice transformatrice et réparatrice, ainsi que leurs avantages. C'est la Semaine annuelle de la santé mentale cette semaine, alors c'est une semaine importante pour avoir cette discussion.

L'une des choses que vous dites et qui m'interpelle est qu'il s'agit d'une façon de vendre l'idée. Nous sommes tous d'accord que l'idée n'est pas d'avoir plus de prisons, mais les services manquent assurément dans chaque collectivité d'un bout à l'autre de notre pays, particulièrement dans le domaine de la santé mentale.

Alors s'il y avait moyen — je ne sais pas, ce n'est qu'une suggestion — que vous puissiez analyser les sommes d'argent qui seraient dépensées et le genre de services qu'elles rendraient possibles, de sorte que le public canadien puisse bien voir. Il ne s'agit pas seulement de dire : « Cessez de construire », mais « Voici ce que nous pourrions faire avec ces sommes » pour effectuer la transition, car je crois que les gens mettront du temps à comprendre cela, particulièrement s'ils ne connaissent pas bien le sujet. Alors je ne sais pas. Il pourrait y avoir d'autres programmes auxquels vous songez pour utiliser ces fonds autrement, mais abordez le sujet de cette façon.

M. Piché : Je suis en train de faire quelques calculs en ce moment. Disons que, au Nunavut, ils vont construire quelque chose. Le gouvernement fédéral a donné le feu vert et ils vont construire 112 lits de prisonniers. Cela coûte de l'argent tous les jours pour incarcérer quelqu'un au Nunavut, selon Statistique Canada, c'est 550 $ par jour. Multiplions cela par 365. Le prix de cette installation sera donc de 76 millions de dollars. Le coût d'exploitation de cette installation sera de 23 millions de dollars par année. D'accord?

En théorie, combien vos études vous coûtent-elles par année, à l'université? C'est probablement autour de 8 000 $ pour les droits de scolarité et ensuite, il y a le loyer et les frais de subsistance, disons seulement 1 000 $ par mois. On arrive à 20 000 $ par année, peut-être 25 000 $ par année.

La sénatrice Hartling : Si on pouvait trouver une façon de documenter ce genre de chose, c'est ce que les gens aiment voir. Ce sont comme des budgets de rechange en quelque sorte. Quand on les voit, tout a plus de sens. Ce pourrait être le genre de chose qui aiderait votre cause.

M. Piché : Nous pouvons envoyer 912 enfants du Nunavut dans un collège ou une université à raison de 25 000 $ par année. Nous pouvons produire ce rapport à votre attention et nous vous remercions de votre suggestion. Je comprends bien ce que vous dites.

La sénatrice Pate : Je remercie mes collègues des questions qu'ils ont posées, et je tiens à vous remercier tous de votre présence ici.

Pour en revenir aux autres questions abordées par les sénateurs, vous pourriez peut-être nous parler plus en détail d'une de ces passerelles que l'on pourrait exploiter, c'est-à-dire certaines des dispositions actuelles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui sont sous-utilisées et qui pourraient faciliter le processus de désincarcération. Outre les arguments invoqués, j'appuierais l'idée d'examiner les coûts. J'ai bien entendu étudié les coûts et, selon mes calculs, les coûts atteindront plus de 1 million de dollars par lit pour construire cet établissement pour femmes dans le Nord et environ 600 000 $ par lit pour en construire un pour hommes au Nunavut, et puis il y a les coûts que vous venez de mentionner. Alors, oui, ces renseignements sont très utiles, mais il est également de mise d'examiner les dispositions actuelles, en particulier les articles 29, 81 et 84, et la façon dont la politique correctionnelle a restreint la mise en application de la loi au sens que les législateurs lui donnaient en 1992 lorsque l'on a adopté cette loi. On visait à vrai dire à réduire le nombre de détenus. Il s'agit là de l'un des objectifs énoncés dans le rapport Dobney et d'après les discussions dans le hansard portant sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. On visait à réduire le nombre de détenus racialisés, en particulier autochtones, ainsi que le nombre de femmes, et voilà pourquoi les articles 77 et 80 figurent également dans la loi.

J'ai l'impression qu'il serait très utile d'établir cet argument. Je ne veux pas me prononcer au nom des membres du comité, mais je serais intéressée, et probablement mes autres collègues également, à tenir compte de ces renseignements et à compléter les coûts que vous avez établis et votre analyse pour savoir comment certaines de ces ressources pourraient servir maintenant afin de conclure des marchés notamment avec des collectivités autochtones, des collectivités noires, des groupes de femmes, pour exploiter ces ressources en milieu communautaire. Nous pourrions donc maintenant examiner les chiffres sur les détenus qui quittent le système carcéral ainsi que les divers genres de mécanismes et nous appuyer sur les recommandations formulées depuis de nombreuses années par l'ensemble des responsables des services correctionnels, habituellement en privé, au moment de les rencontrer. Vous faites un excellent travail au sujet des demandes d'accès à l'information et il faudrait peut-être consulter certains des procès-verbaux de leurs réunions et aborder la question sur la façon dont on voulait faire pression pour qu'il y ait moins de détenus dans le système carcéral. Il s'agit là juste d'une suggestion.

La vice-présidente : Avant que vous répondiez à la question, j'aimerais demander à la sénatrice Bernard et à la sénatrice McPhedran de poser leurs questions. Nous sommes pressés par le temps, alors pourriez-vous répondre aux questions après que celles-ci sont posées?

La sénatrice Bernard : Puisque nous sommes pressés par le temps, je ne vais pas poser de question, mais je vais plutôt m'appuyer sur les propos de la sénatrice Pate. Je crois que l'on pourrait compléter votre travail de recherche sur la justice réparatrice qui existe déjà et examiner les résultats existants. La justice réparatrice chez les jeunes existe déjà depuis un certain moment déjà. Quels sont les résultats de recherche à ce sujet et à quoi ressemblerait le système auprès des populations adultes?

M. Piché : Merci.

La sénatrice McPhedran : Je vais poser une question qui abonde dans ce sens, j'imagine. À titre d'exemple, je consulte la page 6 de votre rapport, et je tiens à remercier tous les intervenants pour leur réflexion et leurs efforts. Le travail effectué est fort apprécié au même titre que l'orientation de l'analyse que vous nous avez présentée. Je regarde l'exemple de Dauphin, au Manitoba — en ma qualité de sénatrice indépendante pour le Manitoba — et je me questionne sur deux choses. Premièrement, je demanderais au greffier s'il serait possible de le visiter lorsque nous nous rendons au Manitoba.

Vous n'avez pas à répondre aujourd'hui à la question que je vous adresse. Elle porte davantage sur la voie que vous empruntez pour cerner certains des principaux éléments que vous présentez. Existe-t-il un modèle ou peut-être que vous pourriez mettre au point un modèle qui s'inspire de vos travaux de recherche et d'analyse que vous avez déjà effectués pour expliquer comment en cours de route l'on peut grandement détourner un projet? Qu'est-ce qui serait réalisable pour un projet comme celui-là? Vous avez utilisé l'expression « promulgué » par le gouvernement du Manitoba comme étant un lieu « conçu et exploité en tant que pavillon de ressourcement pour les Premières Nations », mais il s'agit d'un milieu carcéral.

Je vous pose la question : est-ce logique d'approfondir les divers éléments que vous avez présentés pour mentionner une ou deux causes types — cela peut être le cas ou non — et pour explorer la façon de mettre un terme au modèle d'incarcération? Les travaux de construction se poursuivent. Les mesures de dotation vont bon train. Il s'agit du genre de transformation vers les services que vous mentionnez, soit la réinsertion sociale, les occasions à saisir, et cetera. Est- ce que cela s'est déjà produit? Même s'il n'y a pas eu de changements, existe-t-il un modèle ou un modèle proposé que nous pourrions examiner pour tenir compte des projets axés sur le milieu carcéral et mettre un terme au volet d'incarcération et étudier un vrai modèle d'inspiration vers la transformation?

Manifestement, je comprends tous les différents services. Oui, bien entendu. Mais si nous ne parvenons pas à déterminer la façon de mobiliser les ressources qui sont déjà financées et à les transformer, alors nous ne faisons qu'examiner un sujet de l'heure qui suit son cours comme un poids lourd pour notre société.

M. Piché : Cette observation est pertinente. Je crois qu'il serait de mise d'effectuer cet exercice. Dans certains de mes autres travaux de recherche, je mets l'accent sur la vocation des prisons après leur fermeture. Bien souvent, on les transforme en lieux touristiques. Peut-être que vous vous êtes déjà procuré vos billets pour visiter le pénitencier de Kingston cet été. J'estime qu'il faut se pencher sur la façon dont nous reconvertissons les établissements dans leur deuxième vie. Je n'ai pas réfléchi à quoi ressemblerait un établissement en cours de construction que l'on transformerait ni même à savoir si cette transformation est possible étant donné la nature de l'infrastructure que l'on construit, mais cette question mérite que l'on s'y attarde. Nous vous sommes reconnaissants des suggestions que vous nous présentez et nous allons les étudier. Merci.

La vice-présidente : Je profite de cette occasion pour vous remercier tous de votre présence ici. Comme vous pouvez le constater, les sujets soulevés ont suscité beaucoup d'intérêt, et il y aura une suite à cette conversation. Je tiens à remercier tous les sénateurs de leur présence ici et à conclure les travaux de cette séance. Merci.

(La séance est levée.)

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