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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 19 - Témoignages du 7 juin 2017


OTTAWA, le mercredi 7 juin 2017

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 30, pour étudier les questions des droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs.

Avant que les sénateurs ne se présentent, j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos deux invitées qui sont venues de très loin, c'est-à-dire d'Australie. Si j'en crois mes notes, vous êtes ici à titre personnel. Évidemment, le privilège de siéger à un comité sénatorial n'échoit pas à tous les citoyens australiens. Nous connaissons un peu vos expériences et nous aimerions que vous nous en fassiez part dans quelques instants.

Je demanderais aux sénateurs de notre comité de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l'Ontario.

La sénatrice Fraser : Joan Fraser, du Québec.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse. Bienvenue.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Je suis le sénateur Jim Munson, de l'Ontario. Je vis en Ontario, mais mon cœur demeure au Nouveau- Brunswick. Un jour ou l'autre, on me prendra à partie pour cela.

[Français]

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur les questions des droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

[Traduction]

Nous avons la chance d'accueillir deux intervenantes d'Australie. Elles font partie de notre premier groupe d'experts et elles nous communiqueront des informations pour notre étude, laquelle, je le rappelle, porte sur les droits des prisonniers dans le système correctionnel canadien.

Je signalerai à nos deux témoins que nous avons entendu beaucoup de témoignages. Vous n'êtes pas sans savoir, je crois, que nous avons pris la route et avons visité le système carcéral. Quelques-unes de nos observations ont été mises en ligne sur le site web du Sénat.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à la sénatrice Ratna Omidvar, membre distinguée de notre comité.

Madame Debbie Kilroy, nous vous souhaitons la bienvenue. J'ai discuté de certains enjeux avec votre conjoint, mais je n'avais pas encore eu l'occasion de vous saluer de manière officielle. Nous souhaitons également la bienvenue à Amanda George. Vous avez la parole toutes les deux. Il y aura sans doute des questions. Nous avons environ une heure pour ce comité d'experts.

Nous vous souhaitons la bienvenue à notre Comité des droits de la personne.

Debbie Kilroy, à titre personnel : Merci de m'avoir invitée à prendre la parole devant vous aujourd'hui. Tout d'abord, je voudrais saluer les possesseurs ancestraux des terres algonquines non cédées où nous nous trouvons, ainsi que les peuples Turrbal et Jagera à Brisbane, en Australie, où je vis et je travaille.

J'aimerais également saluer le peuple Goenpul et prendre acte de son territoire où se trouve ma maison. Ces terres s'étendent jusqu'à la région de Quandamooka Minjerribah, où habite mon mari. Mon époux est ici avec moi, là derrière. C'est un possesseur ancestral des terres du peuple Butchulla qui se trouvent à quelques heures au nord de Brisbane. Les Blancs appellent cela l'île Fraser.

Merci de me donner la chance de témoigner à votre comité au sujet des droits de la personne des prisonniers dans le système carcéral fédéral canadien. J'aimerais saluer la sénatrice Pate ainsi que tous les autres sénateurs ici présents et les remercier de leur invitation.

Bien que j'intervienne à titre personnel, je suis directrice générale de Sisters Inside, un organisme social indépendant qui vise à défendre les droits fondamentaux des femmes et des filles dans le système de justice pénale. L'organisme a été fondé par un groupe de femmes incarcérées dans la vieille prison de Boggo Road Gaol à Brisbane au début des années 1990. Il a vu le jour au moment où j'ai été libérée de prison en 1992. Nous sommes retournées à l'intérieur de la prison pour aider les femmes incarcérées en travaillant avec elles afin qu'elles soient libérées et qu'elles ne retournent pas en prison. Notre action a toujours été ancrée dans la sagesse et les besoins des femmes criminalisées. Autrement dit, nous devons avoir part à toute action qui nous concerne.

Sisters Inside vise à abolir les prisons par le biais de stratégies de non-incarcération. Je suis bien consciente que les chances que j'assiste de mon vivant à l'abolition des prisons sont faibles, mais il est important de progresser vers une abolition de l'emprisonnement pour mettre fin à la violence contre les femmes. Aujourd'hui, j'invite votre comité et le Parlement canadien à devenir des chefs de file mondiaux dans le domaine de la non-incarcération.

Le terme « non-incarcération » désigne les stratégies et les processus qui peuvent être mis en œuvre afin de réduire le nombre de femmes, d'hommes et d'enfants dans les prisons. Au moyen de stratégies de non-incarcération visant à l'abolition des prisons, de la surveillance et de la punition, nous cherchons à résoudre des problèmes sociaux.

Toute discussion au sujet des femmes criminalisées doit prendre en considération la présence écrasante de la violence structurelle et personnelle dans nos vies. Rares sont les prisonnières qui n'ont pas fait l'expérience d'une multitude de violences, de traumatismes et de sévices, souvent de manière concomitante. Elles souffrent conséquemment de problèmes de santé mentale et de toxicomanie, de déficiences ainsi que de marginalisation sociale. Elles peuvent aussi devenir des sans-abri.

Les femmes et les filles des nations aborigènes et des îles du détroit de Torres forment le groupe démographique qui connaît la plus forte croissance parmi les populations carcérales de toute l'Australie, ce qui constitue indiscutablement un legs de la violence coloniale. En 2016, 36 p. 100 des femmes détenues dans des prisons australiennes étaient issues des Premières Nations. Depuis 1991, le taux d'incarcération des femmes des Premières Nations a connu une augmentation de 248 p. 100 dans notre pays. Les Premières Nations australiennes occupent le premier rang mondial en matière d'incarcération et, si je ne m'abuse, le Canada suit de près.

Les prisons sont des endroits intrinsèquement violents. Les soins en établissement, les unités de santé mentale fermées à clé, la détention des immigrants et tout autre établissement où les femmes sont enfermées constituent des lieux violents par définition. Quand elles sortent de ces endroits ou encore des prisons, les femmes et les filles sont plus traumatisées encore qu'elles ne l'étaient auparavant. Au moins 85 p. 100 des prisonnières sont des survivantes d'agressions sexuelles. De plus, l'État continue à agresser les femmes sexuellement par le biais de la fouille à nu.

Dans la plus grande prison pour femmes du Queensland — qui est aussi la plus surpeuplée —, l'État a agressé les femmes sexuellement 12 170 fois en 2016. Au terme des visites familiales, les femmes sont agressées sexuellement 3 376 fois. Les seuls articles de contrebande que les services correctionnels aient déclarés à la suite des visites sont des cotons- tiges et des débardeurs ne provenant pas de la prison. Comment justifier la perpétuation des agressions sexuelles envers les femmes qui viennent de passer du temps avec leurs enfants et leurs proches? Amanda abordera ce sujet plus en détail dans son intervention.

La plupart des prisonnières ont des enfants à charge. C'est tout particulièrement vrai dans le cas des femmes des Premières Nations. Lorsqu'elles sont pauvres, sans-abri, victimes de violence familiale ou emprisonnées, elles perdent souvent la garde de leurs enfants. Lorsqu'elles accouchent en prison, l'État leur prend leur enfant de manière quasi systématique. Conséquence de l'incarcération, la séparation forcée a des effets traumatisants sur les femmes et sur les enfants. Étant donné que les prisons ont failli à la tâche de protéger les droits de la personne et d'en faire la promotion, je recommande au Canada de mettre en œuvre trois stratégies de non-incarcération visant à éliminer la violence du système carcéral et à réduire le nombre de femmes coincées dans le cycle de la criminalité.

Premièrement, le Canada pourrait adopter des mesures législatives pour libérer les mères des prisons. Selon une étude canadienne publiée en 2012, on évalue que tous les ans environ 20 000 enfants sont séparés de leur mère en raison de l'incarcération. Les enfants dont les parents sont en prison souffrent de traumatismes considérables et ils réussissent moins bien dans la société. L'idée de libérer les mères n'est ni neuve ni radicale. Le Comité des droits de l'enfant a statué que les peines imposées à une personne qui est la première responsable d'un enfant doivent prendre en considération l'intérêt supérieur de celui-ci.

La règle 64 des Règles de Bangkok des Nations Unies stipule qu'il faut privilégier les peines non privatives de liberté, lorsque cela est possible, dans le cas des femmes enceintes et des femmes ayant des enfants à charge, surtout en matière d'infractions non violentes.

En 1994, Nelson Mandela a signé un décret présidentiel accordant une remise de peine à toutes les mères d'enfants de 12 ans et moins emprisonnées pour des infractions non violentes. La Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud a confirmé le décret en raison du rôle privilégié que jouent les mères emprisonnées et surtout en raison de leur situation de marginalisation.

Un réexamen du programme canadien des pardons pourrait ouvrir la voie à une libération anticipée des mères. Aux initiatives visant à amener les bébés et les jeunes enfants en prison auprès de leurs mères, le Canada devrait préférer des changements législatifs visant à aider les mères et leur progéniture à demeurer ensemble dans la collectivité et à rester en contact avec leur communauté. Ainsi, on mettrait un frein à la criminalisation et à l'emprisonnement intergénérationnels qui tendent à se propager à d'autres membres de la même famille, et tout particulièrement aux enfants lorsqu'ils deviennent grands.

Deuxièmement, le Canada doit financer des services justes et universels dans les communautés pour que les prisonnières soient libérées et pour que les femmes libres n'aillent pas en prison.

En Australie, on a réduit les budgets des services sociaux à répétition. De plus, les gens les plus pauvres et les plus marginalisés de la société font l'objet d'une surveillance accrue. Ces politiques font de la prison la principale institution s'occupant des gens qui sont pauvres ou qui ont des besoins ou des traumatismes complexes. En coupant les vivres aux personnes et aux services essentiels, on aggrave les problèmes sociaux et on confine les femmes à une situation de crise, d'absence de domicile et de pauvreté perpétuelle.

Selon le directeur parlementaire du budget canadien, il en coûte 348 000 $ par an pour garder une femme dans une prison fédérale au Canada. Imaginez un peu ce qui se passerait si, au lieu de dépenser cet argent dans les prisons, on le donnait directement aux femmes afin qu'elles trouvent une certaine stabilité dans leur communauté en dénichant un logement sécuritaire et abordable, en soutenant leurs enfants et en parfaisant leur éducation et leur formation. Amanda vous présentera notre idée plus en détail.

Il serait aussi possible de soutenir les femmes sortant de prison au moyen d'un revenu minimum universel garanti. J'appuie ce type de mesure sans réserve et je recommande au comité d'y songer sérieusement.

Au Canada, la loi prévoit déjà des dispositifs permettant aux prisonniers d'être libérés et réinsérés dans la société. Pensons aux articles 29, 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. En vertu de l'article 29, la commission du Service correctionnel du Canada peut ordonner le transfert des détenus à l'extérieur de la prison ou dans les hôpitaux.

J'exhorte le Canada à arrêter de dépenser des millions de dollars dans le système correctionnel et la santé mentale à l'intérieur des prisons. Cet argent doit être dépensé dans la collectivité pour que les personnes incarcérées dans les prisons fédérales soient transférées, en vertu de l'article 29, vers un hôpital ou un établissement de santé mentale afin d'y recevoir des soins adéquats.

Les prisons n'offrent pas des soins médicaux adéquats. De plus, les articles 81 et 48 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoient la mise en liberté sous condition des prisonniers issus des Premières Nations, entre autres, et leur réinsertion dans les communautés autochtones.

Selon certaines recherches, environ 90 p. 100 des prisonniers autochtones seraient privés de cette mise en liberté en vertu de l'article 81 en particulier. Il faut revoir cela. Par surcroît, l'article 84 devait permettre aux prisonniers autochtones de maintenir des relations avec les collectivités autochtones et avec la commission des libérations conditionnelles afin de mieux s'intégrer à la communauté. Or, le rapport souligne que le Service correctionnel du Canada a mis en place un très long processus autour de la question de la spiritualité, pour le service lui-même et pour la communauté, en dépit de l'intention législative. J'exhorte le Canada à examiner de nouveau la loi et l'intention au principe de ces articles, à savoir la libération des prisonniers et leur insertion dans la communauté.

Quand j'étais prisonnière en Australie, j'ai profité personnellement de la mise en liberté conditionnelle. J'ai ainsi pu travailler, étudier et retrouver mes enfants. Je soutiens fermement les initiatives qui acheminent de l'aide aux femmes pour qu'elles puissent retrouver leur famille et trouver une stabilité en dehors de la prison.

Le comité peut examiner les possibilités innovantes que recèlent ces dispositifs en vertu des articles 81 et 84 en matière de soutien précoce et de libération anticipée. Toutefois, il est important de s'assurer que les initiatives soient fondées sur les besoins des prisonnières et soient adaptées à la vie complexe des femmes en réinsertion sociale. Les fonds ne doivent pas aller aux services de surveillance étatiques. Ce n'est pas en embauchant plus d'agents correctionnels, d'agents de probation ou d'agents de libération conditionnelle que l'on réglera les problèmes de pauvreté, d'absence de domicile ou de violence contre les femmes.

Troisièmement, j'encouragerais le comité à recommander l'abolition de l'isolement cellulaire et de toute forme de ségrégation dans les prisons canadiennes. Il est clair qu'il s'agit de violations des droits de la personne et, à mon avis, cela s'apparente à de la torture. Dans le contexte de notre travail, nous voyons des femmes qui risquent d'être placées dans ce que l'on appelle en Australie des unités de détention, des unités de sécurité ou des unités à sécurité maximale. Elles souffrent de problèmes de santé mentale ou de déficiences très complexes.

Tout cela n'arrive pas par hasard. Si tant de femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou des déficiences se retrouvent en prison, c'est d'abord parce qu'il y a des lacunes au chapitre de la résolution de conflit et des pratiques judiciaires transformatrices.

Tout comme la fouille à nu, l'isolement cellulaire représente une forme de violence institutionnelle inavouée et injustifiée. Il faut y mettre fin. Des recherches ont montré que l'isolement cellulaire avait de graves conséquences sur la santé mentale des personnes, surtout lorsqu'elles souffrent déjà d'une maladie mentale.

En 2013, dans l'État du Queensland, le juge de la Cour suprême Applegarth a reconnu le caractère très dur de l'isolement cellulaire et il a affirmé ceci :

[...] dans le contexte d'un isolement cellulaire prolongé, chaque journée équivaut, pour la partie défenderesse, à une semaine dans des conditions carcérales normales.

Malheureusement, ce jugement a été rendu dans le cadre strict d'une mesure législative et d'une politique s'appliquant aux membres des « gangs de motards criminels ». En conséquence, la pratique de l'isolement cellulaire a toujours cours dans l'État du Queensland et dans l'ensemble de l'Australie.

Le comité et le Parlement canadien peuvent véritablement devenir des chefs de file mondiaux en abolissant l'isolement cellulaire. Pour défendre les droits fondamentaux des prisonnières et pour en faire la promotion, je vous suggère de libérer votre pensée et d'envisager la question en dehors du cadre traditionnel de la prison. Bon nombre de législateurs ont promulgué des réformettes. Des dizaines d'années plus tard, les mêmes problèmes persistent. Il est impossible de réformer un système déficient. J'encourage le comité et le Parlement canadien à devenir des chefs de file en matière de non- incarcération en mettant en œuvre des changements afin de placer la personne au centre de nos systèmes sociaux et judiciaires et de mettre fin à notre dépendance aux prisons. Les femmes, les filles et les mères ne devraient pas être mises en cage.

Merci.

Le président : Merci, madame Kilroy. J'ai déjà été journaliste, tout comme la sénatrice Fraser. Nous n'avons encore accompli que le quart de notre étude et pourtant, je vois déjà le gros titre : « Libérez votre pensée. »

C'est précisément ce que nous avons fait lorsque nous avons rédigé un rapport sur l'autisme. Une personne ayant le syndrome d'Asperger nous a dit ceci : « Les familles aux prises avec l'autisme sont en crise. Il vous faudra payer tôt ou tard. »

Nous aimons cette façon de penser. Je ne crois pas me tromper en disant que Mme Kilroy possède quatre diplômes d'études supérieures dans les domaines du travail social, de la criminologie de la santé mentale et du droit. Elle est la première et la seule personne ayant fait de la prison à avoir été admise au Barreau du Queensland, en Australie.

Avant de passer à Mme George, je souhaite la bienvenue à la sénatrice McPhedran et au sénateur Ngo, qui se sont joints à nous.

Madame George, vous avez la parole.

Amanda George, à titre personnel : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l'occasion d'échanger avec vous aujourd'hui au sujet de la possibilité que le Canada devienne un véritable chef de file en Occident en matière de non-incarcération, en transférant les fonds alloués aux prisons vers la santé mentale, l'éducation et la sécurité économique.

J'aimerais souligner le fait que nous nous réunissons sur les terres algonquines. Je viens de la région de Wathaurong, dans le Sud de l'Australie. Je tiens à m'excuser auprès des francophones ici présents. Je suis unilingue anglophone.

En raison de la colonisation, l'Australie et le Canada ont une histoire très semblable et nos institutions publiques ont beaucoup de points en commun. Cependant, si le Canada s'impose comme modèle par ses politiques carcérales progressistes, l'Australie a surpassé votre pays en matière d'incarcération des peuples autochtones. Nous en ressentons une très grande honte.

Je suis ravie d'avoir l'occasion de discuter avec vous aujourd'hui. C'est rafraîchissant de voir un comité sénatorial qui n'est pas seulement composé d'hommes blancs d'un certain âge, tant s'en faut. C'est un plaisir que de voir un groupe de personnes représentatif de la population en général assumer une fonction politique aussi importante. J'ai été heureuse d'apprendre que vous aviez visité des établissements carcéraux. Vous avez ainsi pu ressentir ce que c'est que d'être à l'intérieur d'une prison, bien que l'expérience du prisonnier soit bien différente, évidemment.

Il est essentiel que ceux qui prennent des décisions ayant des effets sur la vie des prisonniers et qui forgent des politiques en matière de fouille à nu, d'isolement cellulaire et de ségrégation se rendent physiquement sur les lieux pour voir de quoi il en retourne et pour en ramener une impression. Je suis souvent allée dans les prisons et pourtant, je me sens chaque fois légère quand j'en ressors, parce que j'en ai le loisir. J'ai principalement travaillé auprès des prisonnières qui ont été séparées de leurs enfants.

En tant que visiteurs, vous n'avez sans doute pas eu à subir une fouille à nu. Cependant, beaucoup de visiteurs la subissent et les prisonniers doivent constamment s'y soumettre. Imaginez un peu ce que vous ressentiriez si vous deviez aller visiter votre enfant en prison — ou si c'était lui qui venait vous visiter — et que vous aviez à vous déshabiller complètement et à rester nu devant un gardien de prison qui vous demanderait de maintenir vos bras et vos jambes écartés, d'ouvrir votre bouche pour une inspection visuelle, de vous retourner, de toucher le sol et d'écarter vos fesses pour une inspection visuelle. Peu importe que vous ayez 18 ou 80 ans, que vous ayez subi une mastectomie, que vous ayez très peur ou que vous souffriez de plusieurs déficiences, la fouille à nu n'épargne personne et elle se répète sans arrêt.

À quoi sert-elle? C'est une pratique très ancienne, mais les prisons ne sont plus les mêmes. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de surveillance visuelle des gens lors de leur entrée dans la prison et pendant les visites. Les fouilles à nu sont inefficaces pour découvrir des articles de contrebande. C'est ce qu'ont révélé toutes nos demandes d'accès à l'information.

En 2002 dans l'État du Victoria, d'où je viens, on prenait de plus en plus conscience que bon nombre de femmes en prison, et sans doute d'hommes en prison, avaient subi des violences sexuelles. Il a été constaté clairement que des agressions sexuelles étaient commises. Si ces gestes avaient été posés dans la collectivité, ils auraient été qualifiés d'agressions sexuelles. Or, comme ils se produisent sous l'autorité de l'État, on ne les qualifie pas ainsi, mais tout est dans la façon de s'exprimer. Ils ont décidé de ramener le nombre de fouilles à nu dans la prison pour femmes de 21 000 à 14 000 par année. Il y avait 200 femmes dans la prison. Elles pouvaient subir une fouille à nu à tout moment, mais on a réduit du tiers le nombre de ces fouilles.

Ils ont établi toutes ces mesures afin de déterminer quels seraient les impacts. Y aurait-il un impact sur le nombre de tests d'urine positifs aux médicaments que les femmes rapportent? Y aurait-il une augmentation des activités de contrebande? Y aurait-il des changements au niveau de la violence ou de l'automutilation dans la prison?

Nonobstant cette réduction d'un tiers du nombre de fouilles à nu, le projet pilote a montré que les activités de contrebande étaient demeurées les mêmes, c'est-à-dire qu'elles visent quatre objets de contrebande. Toujours les mêmes objets, à savoir des pilules, de la marijuana et parfois des lames de rasoir. Fait plus significatif, les tests d'urine positifs ont diminué de 40 p. 100. Cela signifie qu'il y a eu une réduction du nombre de fouilles à nu et que les détenus n'ont pas consommé autant de médicaments en prison.

Comment pourrait-on expliquer cela? On pourrait supposer que c'est parce que les gens n'étaient pas aussi traumatisés et qu'ils ne s'administraient pas eux-mêmes autant de médicaments.

Je suis venue au Canada en 2004 après avoir obtenu une bourse d'études Churchill. J'ai visité toutes les prisons fédérales pour femmes, et j'ai examiné ce qu'on appelle les comités de détenues, qui sont des comités de femmes qui exercent certaines fonctions dans la prison. Elles peuvent défendre certaines causes ou soumettre des problèmes à la direction, de façon que les femmes ne soient pas considérées comme des fauteuses de troubles ou affublées d'autres épithètes de la sorte.

Quand j'étais à la prison de Truro, j'ai parlé à la directrice adjointe, qui était également responsable de la sécurité. Elle a dit : « Nous avons conclu un accord. Les directrices adjointes de toutes les prisons pour femmes ont décidé de mettre fin aux fouilles à nu systématiques. » Il s'agit de fouilles qui sont effectuées avant ou après chaque visite et chaque fois que vous passez d'une unité de garde en milieu fermé à l'autre à l'intérieur de la prison. « Les seules fouilles à nu doivent être effectués pour ce que nous appelons des motifs raisonnables », c'est-à-dire quand il y a un soupçon raisonnable de croire qu'une personne fait de la contrebande.

Cela se passait au Canada en 2004. Des directrices de prisons pour femmes déclaraient alors que ces fouilles à nu n'apportaient aucun résultat positif. Elles nuisent à notre relation avec les femmes à l'intérieur. Si nous voulons entretenir des relations dignes de ce nom, les fouilles à nu nous en empêchent complètement. Elles ne permettent pas de déceler les activités de contrebande et nous n'en avons plus besoin. Que s'est-il donc passé depuis? De toute évidence, comme les services correctionnels n'étaient pas d'accord, il n'y a eu aucun changement, même si des experts et des personnes qui travaillent toujours auprès des détenues ont fait cette recommandation.

On pense couramment de nos jours qu'il est possible d'utiliser la technologie pour procéder aux fouilles à nu. Les appareils qu'il faudrait utiliser pour cela coûteraient un quart de million de dollars. Pourquoi, alors que nous avons désespérément besoin d'argent pour l'éducation, pour des soins de santé décents et pour un soutien de la santé mentale dans les prisons, faudrait-il dépenser un quart de million de dollars pour un appareil qui n'est pas nécessaire? Parce qu'il existe une très puissante industrie de production d'équipements pour les prisons qui a toujours de nouveaux produits à offrir. Bon nombre de gouvernements préfèrent acheter ces appareils et conclure de tels contrats plutôt que d'écouter les personnes qui travaillent dans les prisons et qui dirigent les prisons pour femmes, qui jugent que ces appareils ne sont pas nécessaires.

Il y a deux choses dont j'aimerais vous parler. Mme Kilroy a dit que le Directeur parlementaire du budget avait avancé le chiffre de 348 000 $ par année pour garder 680 femmes dans une prison fédérale. Une loi vous permet de libérer des femmes autochtones et des personnes ayant des problèmes de santé mentale. La loi existe. Il suffit de l'interpréter selon l'intention des personnes qui l'ont rédigée. Les documents indiquent clairement que l'intention du Parlement en ce qui concerne ces dispositions de remise en liberté avait été très mûrement réfléchie.

Si vous vous fixez comme objectif de réduire chaque année de 10 p. 100 le nombre de femmes dans les prisons fédérales, vous économiserez chaque année 23 millions de dollars, que vous pourrez investir de façon à véritablement changer la vie des femmes avant et après la prison, parce qu'à part le racisme et la marginalisation, ce sont des problèmes comme le manque de logement, les antécédents de violence familiale et un accès insuffisant aux services de santé mentale qui permettent de prédire l'identité des futures occupantes des prisons.

Si vous vous fixez une cible et si vous disposez d'un organe comme l'enquêteur correctionnel, chargé de surveiller et de rendre compte chaque année de la situation au Parlement, si une seule femme par semaine était libérée, c'est en fait 1,1 femme ou quelque chose du genre, ou 68 femmes par année, ça ne fait pas beaucoup de femmes à remettre en liberté dans la collectivité pour un tel programme. Le seul corollaire à cette notion de réduction du nombre de femmes dans les prisons concerne la réduction du nombre de cellules. C'est une évidence, dans les services correctionnels de partout dans le monde, qu'il y a toujours autant de détenus qu'il y a de cellules. Habituellement, le nombre de détenus dépasse le nombre de cellules.

Les projets qui visent à véritablement réduire le recours aux prisons dans nos collectivités doivent passer par la réduction du nombre de cellules. On ne peut se permettre de garder des cellules vides, à moins d'importer des détenus des États-Unis. Nous ne proposerions pas cela, même si c'est ce qu'ils font dans d'autres pays d'Europe où des cellules sont vides. Ils importent des détenus d'autres pays au coût et les incarcèrent. Ce n'est pas du tout un secteur d'activité que je recommanderais.

En ne libérant pas les femmes, qu'elles soient autochtones ou atteintes de maladie mentale, conformément à cette loi que vous avez le privilège d'invoquer, vous manipulez l'intention du Parlement, ce qui entraîne une mauvaise utilisation de fonds publics qui sont en grande demande.

J'aimerais en dernier lieu parler de l'importance de ce que vous pourriez faire avec ces 26 millions de dollars. Vous pourriez mettre en place des projets d'habitation dans le cadre desquels des femmes et des hommes qui ont été libérés de prison pourraient suivre des stages en construction. Vous pourriez faire de la construction dans certaines collectivités. En Australie, nous observons un problème alors que des gens quittent leurs collectivités à la campagne et s'installent en ville parce qu'il est plus facile d'y trouver un logement. Bâtir des logements est l'un des meilleurs moyens d'empêcher des détenus de retourner en prison.

Les recherches de l'Institut australien de la recherche sur le milieu urbain et sur le logement ont montré qu'à leur sortie de prison, les personnes qui ne déménagent pas ou qui ne déménagent qu'une fois dans les neuf premiers mois ont 78 p. 100 de chances de ne pas retourner en prison. Si elles déménagent deux fois ou plus toutefois, leurs chances de ne pas retourner en prison diminuent et elles sont ramenées à 41 p. 100. Le logement est au cœur de la réussite. Sans logement, il est impossible de trouver un emploi ou de récupérer ses enfants. Sans logement, la vie est un enfer. La meilleure chose à faire pour aider les gens consiste à leur fournir un logement sûr, protégé et subventionné.

Je m'arrêterai ici afin de vous permettre de poser des questions.

Le président : Nous vous en sommes très reconnaissants, car nous aurons de nombreuses questions à vous poser.

La sénatrice Eaton : Merci à vous deux pour votre témoignage convaincant. Je ne sais pas à qui poser ma question, qui concerne surtout les données. Nous avons ici à peu près les mêmes problèmes de dépendance, d'itinérance et de santé mentale, évidemment.

Avez-vous des données à nous fournir? Quand une personne est incarcérée en Australie, fait-elle l'objet d'un diagnostic? Autrement dit, puisque vous avez parlé d'incarcération, madame Kilroy, avez-vous des données relativement au nombre de personnes ayant reçu un diagnostic de problèmes de santé mentale, de toxicomanie ou d'itinérance? Faites-vous le profilage des personnes emprisonnées?

Mme Kilroy : L'État le fait, mais d'une façon très limitée. Par exemple, nous ne savons pas combien d'enfants ont les femmes. Nous ne pouvons même pas savoir combien de femmes sont enceintes sur une période d'un an, et encore moins savoir combien de bébés sont nés en prison. Les données sont très minces.

En ce qui concerne la santé mentale, nous avons un service de santé mentale en prison. Comme ce service est subventionné, on vous répond que les fonds sont insuffisants puisque la prison est surpeuplée. Ils ont toutefois une charge de travail de 100 cas. Par exemple, au Centre correctionnel pour femmes de Brisbane, il y a 262 cellules, mais il y a près de 400 femmes dans la prison, et ils ne peuvent traiter que 100 cas.

La sénatrice Eaton : Pouvez-vous demander combien de ces femmes sont bipolaires ou ont des crises psychotiques?

Mme Kilroy : Non.

La sénatrice Eaton : Ces données seraient pourtant très utiles, vous ne trouvez pas?

Mme Kilroy : Des recherches ont été menées auprès de certains groupes sur une période d'un an. Ils interviewent, par exemple, des femmes autochtones au sujet de leurs problèmes de santé et ils en tirent un rapport de santé des Services correctionnels du Queensland ou un rapport de santé des Services correctionnels de l'État du Victoria. Il s'agit dans ce cas de déclarations volontaires.

Pour savoir quel est le diagnostic d'une femme, il faut le lui demander directement, en raison des lois sur la protection de la vie privée. Il faut invoquer les lois sur l'accès à l'information, comme on dit chez nous, pour accéder au dossier de chaque femme et ainsi savoir quels sont ses diagnostics. Or, ce dossier n'est pas tenu à jour comme il se doit et de façon continue. Il est habituellement inséré dans les rapports de santé correctionnels ou si un universitaire, par exemple, y a accès et est autorisé à mener une étude particulière au sujet d'un groupe donné.

La sénatrice Eaton : Pensez-vous qu'il serait utile de disposer de données complètes sur les détenues affichant une dépendance manifeste au moment de leur arrivée en prison? On entend souvent parler du cas d'une telle qui était dépendante, ou d'une autre qui est psychotique et ne peut donc pas être incarcérée.

Si on ne tient pas compte de ces situations ou si on ne défend pas bien ces personnes devant les tribunaux et qu'elles sont dépendantes ou ont des problèmes de santé mentale, ne devrions-nous pas avoir des données à ce sujet? Cela ne viendrait-il pas renforcer la nécessité de ne pas incarcérer tant de femmes?

Mme George : Dans leurs propres rapports annuels, les services correctionnels parlent du nombre extraordinairement élevé de femmes ayant des problèmes de santé mentale. C'est un problème très réel. Environ 90 p. 100 des femmes ont une dépendance à la drogue ou à l'alcool lorsqu'elles entrent, et c'est le cas depuis de nombreuses années.

Des efforts sont déployés afin d'offrir des programmes dans les prisons. Les prisons ne sont toutefois pas le meilleur endroit pour traiter les problèmes avec lesquels la plupart des femmes en prison sont arrivées. Il est extrêmement contradictoire de subir continuellement des fouilles à nu, et de suivre ensuite des séances afin de parler de ses problèmes d'agression sexuelle. Quand vous subissez une fouille à nu, vous devez apprendre à vous fermer. C'est exactement ce que font les femmes. C'est exactement ce qui arrive aux femmes qui sont victimes de violence sexuelle : elles doivent se fermer.

La prison perpétue cette façon d'être qu'elles ne peuvent pas véritablement changer. C'est pourquoi nous parlons de l'importance absolue que ces programmes soient offerts dans la collectivité, où les femmes peuvent guérir comme il faut.

Mme Kilroy : Ma réponse concerne des maladies mentales en particulier, la psychose, la schizophrénie ou la bipolarité. Ces renseignements ne font pas partie des données correctionnelles. Nous connaissons les taux élevés de femmes qui entrent en prison avec des dépendances parce qu'elles le disent lors de l'entrée dans le processus d'intégration. Des femmes ont peut-être eu accès à des services de santé mentale. Bon nombre d'entre elles ont toutefois honte de dire qu'elles ont des problèmes de santé mentale et au bout de quelques semaines, les responsables de la prison et d'autres observeront chez elles des maladies, et on se servira habituellement de ce prétexte pour les placer en isolement.

La sénatrice Eaton : Ce qui n'améliore rien.

Mme Kilroy : Exactement. Elles affichent alors des comportements encore plus extrêmes en raison de leur grande détresse mentale.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie toutes les deux d'avoir pris le temps de venir nous parler et je remercie notre collègue la sénatrice Pate d'avoir facilité vos deux témoignages.

Mon commentaire a trait à la période de 20 ans que vous avez toutes deux évoquée, si je ne m'abuse, et qui a débuté en 1991. Y a-t-il eu une période, pendant ces 20 ans, où l'on a observé une augmentation des taux d'incarcération? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet? Quelles circonstances, selon vous, ont mené à cette augmentation? Comme j'ai la réputation de poser de nombreuses questions, vous venez d'en entendre la première partie.

La deuxième partie concerne la culture carcérale dans son ensemble. Ma question découle de deux choses que j'ai observées au cours de notre récente visite d'un certain nombre d'institutions correctionnelles. J'ai demandé à tous les membres de la direction que j'ai pu trouver dans les établissements combien de gestionnaires avaient commencé comme gardiens, femmes ou hommes. Il n'y a que dans un établissement où on m'a répondu qu'une employée-cadre des ressources humaines n'avait pas commencé comme gardienne. Elle avait commencé comme travailleuse sociale dans le système carcéral. Tous les autres, enfin tous ceux que j'ai interrogés, avaient commencé comme gardiens.

Ma question porte sur la culture de l'État et des gardiens et sur ce que vous avez observé sur le plan de la résistance aux réformes et sur la façon dont vous pourriez relier cela à un phénomène assez bien documenté dans tous les pays où des recherches ont été menées au sujet de la résistance aux réformes.

Mme Kilroy : Si cela peut aider, j'ai les données du Bureau australien des statistiques de 2001 à 2016 pour les femmes aborigènes, les femmes non aborigènes, les hommes aborigènes, les hommes non aborigènes et la croissance. Quand on observe les données, on constate qu'il n'y a pas eu de pic. Il y a eu une croissance régulière partout au pays. Ensuite, j'ai les données pour l'administration d'où je viens pour les mêmes groupes de personnes. Les données n'étaient toutefois pas disponibles pour 2008 et 2009. C'est aussi assez stable.

En 2001 par exemple, il y avait 370 femmes aborigènes dans nos prisons, et il y en a maintenant 1 062. Je serais heureuse de vous en donner une copie afin que vous puissiez voir où une croissance a pu être observée. C'est une croissance régulière qui continue de grimper. Selon nos projections au pays, ces chiffres continueront d'augmenter. Le nombre d'hommes a atteint un plateau, mais le nombre de femmes autochtones ne cesse d'augmenter. Elles constituent le segment de population qui augmente le plus rapidement dans notre système carcéral. Elles dépassent tous les autres groupes par rapport aux taux d'incarcération.

La sénatrice McPhedran : J'aimerais poser une question rapidement à ce sujet. Je vous entends dire que, peu importe les gouvernements en place ou leur idéologie, vous constatez toujours une augmentation régulière.

Mme Kilroy : C'est exact.

Mme George : Pour ce qui est de l'idéologie des gouvernements, ce sont les gouvernements des États, et non ceux des provinces, qui contrôlent la promulgation des lois sur la criminalité et sur les libérations conditionnelles. En Australie, dans les 15 dernières années, les élections ont porté sur les thèmes de la loi et l'ordre. De plus en plus, les gouvernements doivent promettre d'être sévères à l'égard des criminels, d'augmenter le nombre de prisons et d'abolir les libérations conditionnelles. Nous avons observé un allongement des peines d'emprisonnement et une érosion du pouvoir discrétionnaire des autorités judiciaires. Cela signifie nécessairement que les gens restent en prison plus longtemps et que le nombre de cellules augmente.

Même cette semaine au gouvernement fédéral, et cela n'a rien à voir avec les prisons et l'ordre public, notre premier ministre plaide en faveur d'une révision du processus de libération conditionnelle partout au pays parce qu'il s'est produit un incident avec un détenu en liberté conditionnelle. L'énorme capital électoral que tirent les politiciens de la question de la loi et de l'ordre est au cœur de certaines des augmentations que nous observons au chapitre des peines d'emprisonnement. Le fait est que malgré les taux de criminalité à la baisse, les taux d'emprisonnement continuent d'augmenter.

La sénatrice Fraser : Mon dieu, tout cela me semble si tristement familier. Vous brossez un portrait terrible et déchirant de la situation. Outre le projet pilote visant à réduire la fouille à nu, y a-t-il des réussites pratiques de votre système dont nous pourrions nous inspirer?

Je ne prétends aucunement que vous nous brossez un portrait exagérément sombre, mais aucun établissement ne peut être entièrement mauvais. Y a-t-il des enseignements pratiques ou des leçons que vous pourriez nous donner sur ce qui fonctionne ou semble fonctionner?

Mme George : Ce qui fonctionne, c'est l'engagement des organismes extérieurs, lorsque des personnes sont en prison, et qu'elles attendent leur libération, qu'elles ont hâte de trouver un logement et d'être réunies avec leurs enfants.

La marge de manœuvre dans un établissement est très mince, pour les raisons évoquées par la sénatrice McPhedran. Il y a une résistance à la réforme de la part des agents qui sont obnubilés par l'établissement dont ils font partie et qui n'ont pas de vie en dehors de la prison ou des autres agents de la prison. Vous savez tous de quoi je parle. Il s'agit de faire sortir les personnes de prison et de les aider à ne pas y retourner.

La sénatrice Fraser : Oui, ce serait essentiel. Serait-il possible que les mêmes personnes aident des détenues tout au long de leur peine d'emprisonnement et au-delà de cette période? Cela peut-il se produire?

Mme Kilroy : Au sein de notre organisme, Sisters Inside, c'est ce que nous faisons. La prestation de notre service va de l'aide aux femmes à l'étape des tribunaux pour qu'elles ne soient pas condamnées à une peine d'emprisonnement et, si elles sont emprisonnées malgré tout, pour que leur peine soit la plus basse qu'un officier de justice puisse leur attribuer, compte tenu des circonstances atténuantes.

Si elles aboutissent en prison, nous leur fournissons une aide immédiate par l'entremise de notre personnel, de nos conseillers en matière d'agression sexuelle, des travailleurs de soutien autochtones et de notre programme pour les mères et les enfants. Nous veillons à ce que des mesures soient prises à l'égard de la violence perpétrée contre elles. Même si ces mesures sont adoptées dans le cadre d'un établissement violent, c'est le genre d'aide que les femmes apprécient. Nos mesures ont une grande crédibilité parce que les femmes se présentent d'elles-mêmes devant nous. Les listes de femmes que nous aidons sont tout le temps très longues.

Si les enfants du programme pour les mères et les enfants sont dans leur famille, nous pouvons amener les enfants en prison pour des visites. Tout cela est négocié par l'intermédiaire du système pénitentiaire. Il est important de maintenir ces liens entre une mère et son enfant. Nous organisons donc des visites. Nous amenons les enfants et constituons des groupes de jeux. S'ils sont sous la garde de l'État, ce que nous appelons le ministère de la Sécurité des enfants, qui est l'autorité responsable de la protection de l'enfance, nous négocions pour la mère et prenons sa défense, et nous amenons son enfant, s'il est sous la garde de l'État, pour qu'il puisse rendre visite à sa mère en prison.

Ensuite, lorsqu'elles sont libérées, nous leur offrons un soutien intensif, jour après jour, pendant quelques mois, parce que c'est la période la plus difficile à traverser. Habituellement, les femmes sont fébriles lorsqu'elles sont libérées et elles croient pouvoir tout faire elles-mêmes, mais selon notre expérience auprès d'elles, au bout d'environ deux semaines, les choses commencent à se gâter en raison de leur expérience en institution. Nous devons être là pour les appuyer, et elles doivent de leur propre gré s'engager auprès de nous.

Tout au long de ces processus pendant qu'elles sont en prison, nous défendons leur droit à un logement, de sorte qu'elles aient un pilier stable sur lequel s'appuyer à leur sortie. Nous plaidons en leur faveur auprès de l'État pour que les membres de leur famille et leurs enfants puissent avoir accès à elles, soit immédiatement, soit au terme d'un processus judiciaire pour qu'elles puissent ravoir la garde de leurs enfants. Nous faisons tout ce travail à leurs côtés. Le système correctionnel ne peut tout faire cela.

Nous ne sommes pas d'accord pour que les programmes soient offerts en prison, qu'il s'agisse du nôtre ou de tout autre programme, en ce qui concerne le système correctionnel. Le mandat des services correctionnels a trait au maintien de l'ordre et à la sécurité des prisons. Cela devient en quelque sorte leur mantra, et cela nous va. Ils peuvent s'occuper de cet aspect. Ils peuvent tourner la clé et fermer la porte. Pour offrir de l'aide à l'intérieur de la prison toutefois, si nous voulons des prisons dans notre collectivité, ils doivent faire preuve d'ouverture, de responsabilisation et de transparence.

Il faut laisser entrer les éducateurs et les ONG, et il faut permettre aux travailleurs de la lutte contre la violence et aux militants de leur fournir le soutien qu'elles obtiendraient dans la collectivité, afin qu'elles conservent ce lien avec la société. Elles n'ont peut-être jamais eu ce lien, et elles peuvent en avoir besoin afin de ne pas retomber et récidiver, de ne pas renouer avec leurs vieux démons ou ne pas recommencer à consommer.

Mme George : L'itinérance.

Mme Kilroy : Oui, 90 p. 100 des femmes libérées sortent avec un sac à ordures et sont itinérantes. L'itinérance constitue un véritable problème. C'est aussi la première ligne de notre intervention, pour empêcher les femmes d'aboutir en prison. La pauvreté est un fléau. Comme l'Australie, le Canada dispose des ressources nécessaires pour s'assurer que personne ne soit sans abri et vive dans la pauvreté. Vous avez le pouvoir, selon moi, au Sénat, de prendre les mesures qui s'imposent contre cela.

J'ai vécu ici il y a de cela quelques années, et depuis que je suis revenue, je me suis promenée dans les rues d'Ottawa depuis quelques jours, et je ne me rappelle pas avoir jamais vu autant d'itinérants auparavant. Cela m'a vraiment étonnée. Mon mari, qui n'était jamais venu ici, a été vraiment surpris de constater à quel point le problème de l'itinérance est visible dans la capitale. C'est un problème très visible et c'est très triste, car le Canada se présente comme un leader des droits de la personne dans le monde. Pourtant, quand on marche dans la ville, on tombe à chaque coin de rue sur un sans-abri qui mendie simplement pour pouvoir acheter quelque chose à manger.

Des ressources sont prévues, comme Amanda et moi-même en avons parlé, aux articles 81 et 84. Appliquez ces dispositions pour faire sortir les femmes de prison et fixez-vous un objectif de 10 p. 100. Cela ne représente que 68 femmes par année, et dans 10 ans, il n'y aura plus de femmes en prison si toutes ces cellules sont fermées. Vous commencerez alors à vous concentrer sur l'intervention communautaire, et non sur la prison, comme solution implicite à tous les problèmes sociaux dans ce pays.

Le président : Merci beaucoup. Comptez sur nous pour faire bouger les choses.

Mme Kilroy : Je vous remercie. Je vous ai à l'œil.

Le président : J'ai passé ma vie à faire cela.

La sénatrice Bernard : Merci à vous deux pour votre témoignage et la passion avec laquelle vous abordez ces problèmes. J'apprécie le fait que vous avez mis en relief, et que vous continuerez de le faire, les causes profondes auxquelles nous voulons et nous devons nous attaquer.

J'aimerais donner suite à la question de votre essai pilote visant à réduire le nombre de fouilles à nu systématiques. Vous en avez peut-être parlé et cela peut m'avoir échappé, mais que s'est-il passé après l'essai pilote?

Mme Kilroy : C'était sur le territoire d'Amanda dans l'État de Victoria.

Mme George : Ils sont retournés aux anciennes façons de faire, sauf qu'ils ont instauré ce qu'on appelle une fouille à nu respectueuse, c'est-à-dire qu'au lieu d'être complètement nue, vous portez des vêtements en haut et en bas. C'est ce qui a changé, mais le nombre de fouilles à nu, lui n'a pas changé.

La sénatrice Bernard : Quand ils sont retournés à leurs vieilles habitudes, les fouilles ont-elles recommencé à augmenter?

Mme George : Je n'ai pas de chiffres à ce sujet.

La sénatrice Bernard : Nous ne le savons donc pas?

Mme George : C'était un essai pilote formidable qui concernait la résistance à la réforme. Les officiers de prison n'ont pas aimé cela, et c'est vraiment tout ce que je peux dire.

La sénatrice Bernard : Au cours de l'essai pilote, a-t-on mené des recherches au sujet du recours au motif de cause raisonnable? Je me demande si ces causes raisonnables étaient déterminées par les gardiens en fonction. Des problèmes de biais inconscient ou conscient, surtout contre les détenues plus marginalisées, ont-ils été révélés? Cette étude a-t-elle aussi permis de se pencher sur ces problèmes?

Mme George : Non. Ils ont dit que parce que les gardiens de prison ne passaient pas tout leur temps à faire des fouilles à nu, il y avait plus de gardiens pour observer ce qui se passait réellement en prison. Peut-être que le dynamisme accru de la sécurité est l'une des raisons pour lesquelles il y avait moins de violence. Les gens circulaient davantage au lieu de rester dans leur petit espace de travail.

Ce projet pilote a été lancé par le service correctionnel de l'État de Victoria. Ils ont mené les recherches et nous avons eu accès aux résultats en vertu des lois sur l'accès à l'information. Ces résultats n'ont pas été communiqués à grande échelle, et c'est difficile à comprendre, puisque c'était une excellente initiative.

La sénatrice Bernard : Permettez-moi de m'assurer de bien comprendre. Vous dites que le service correctionnel de l'État de Victoria a lancé et mené le projet pilote. Selon les résultats que vous avez pu trouver grâce aux lois sur l'accès à l'information, les résultats obtenus ont été clairement positifs, mais rien n'a été fait pour donner suite à ces résultats.

Mme George : Sauf pour la fouille à nu respectueuse. La réduction du nombre de fouilles à nu systématiques ne s'est pas poursuivie.

La sénatrice Hartling : Merci d'être venues ici, mesdames Kilroy et George. Nous avons récemment mené une étude sur les prisons. Les résultats ont été très révélateurs et m'ont fait réfléchir à un grand nombre de ces problèmes.

Vous avez entièrement raison de dire que la nourriture, l'habillement et un logement doivent être des droits fondamentaux de la personne. Le respect de ces droits équivaudrait à tout un travail de prévention. Le Canada semble disposer des ressources nécessaires, mais nous n'en sommes pas encore là.

Madame Kilroy, je m'intéresse au programme d'éducation. L'une des choses que nous avons apprises dans les prisons pour femmes que nous avons visitées, c'est que les femmes n'y ont pas accès à des programmes d'étude ou qu'elles y ont un accès très limité. Dans l'une des prisons, on leur enseigne à confectionner des sous-vêtements masculins. C'était un peu troublant, car dans les prisons pour hommes, ils apprenaient la soudure, qui est une compétence commercialisable. Je ne sais pas où les femmes pourraient faire valoir leurs compétences dans la confection de sous-vêtements masculins.

Vous avez fait de l'excellent travail pour terminer vos études, et c'est tout à votre honneur. Compte tenu de votre expérience des études, pouvez-vous nous dire comment cela se passe en Australie? Nous avons encore des prisons ici, et nous espérons un jour ne plus en avoir, mais quels types de programmes d'études sont offerts chez vous?

Mme Kilroy : Quand j'étais en prison, la politique du gouvernement de l'époque portait uniquement sur l'éducation, et rien que l'éducation. Depuis ce temps, l'accent s'est déplacé sur les emplois, et rien que les emplois. Par exemple, au nord du territoire d'où je viens, au Townsville Women's Correctional Center, là où les communautés autochtones sont principalement regroupées dans le nord du Queensland, entre 80 et 85 p. 100 des femmes dans la prison sont des aborigènes et des indigènes du détroit de Torres, et près de 90 p. 100 d'entre elles ne savent ni lire ni écrire.

Elles ont à peu près mon âge. En fait, on emprisonne des jeunes de 17 ans au Queensland en tant qu'adultes au sein de notre système. Elles ont 17 ans, 20 ans, 50 ans ou 80 ans, mais elles ne savent ni lire ni écrire, ce qui en dit long sur la façon dont notre pays et notre système d'éducation ont laissé tomber toutes ces femmes. Nous plaidons tout le temps en faveur de l'éducation, et nous insistons sur l'importance de l'éducation pour les femmes. Or, aucun programme d'éducation n'est offert en soi dans les prisons.

En raison du surpeuplement des prisons, les programmes sont limités. Dans cette prison du Nord du Queensland, ils n'offrent presque aucun programme. Pendant une certaine période l'année dernière, ils n'offraient rien. Nous étions la seule organisation à nous y rendre, et c'était à titre ponctuel. C'est seulement cette année que nous avons obtenu un financement plus substantiel pour occuper un bureau dans le Nord du Queensland afin de pouvoir aider les femmes.

Les femmes ont besoin d'éducation, et de compétences en littératie et en numératie. Dans notre prison à sécurité maximale par exemple, il n'y a qu'une dizaine de femmes qui sont autorisées à mener des études postsecondaires. Si vous êtes acceptée à l'université pour étudier, vous devriez être soutenue à l'intérieur de la prison pour en faire autant. Les gardiens de prison n'aiment pas nous voir étudier. Comme ils se sentent alors menacés, ils éteignent vos lumières, ou ils trouvent des moyens de vous sanctionner ou de vous punir pour certains comportements afin de vous empêcher d'étudier, ou ils vous obligeront à rester quelque part plus longtemps afin de vous priver de l'accès aux ordinateurs, et ainsi de suite.

C'est un blocage. Les gardiens de prison nous bloquent systématiquement, mais l'éducation doit être financée, et ce, non seulement avant que quiconque ne soit criminalisé. Tous les enfants doivent avoir accès à l'éducation, mais il faut absolument que la priorité soit accordée à l'éducation, et non à l'emploi.

Les femmes dans nos prisons déchirent des chiffons. Cela ne les mènera à aucun emploi. C'est un mensonge. On les paie 2,34 $ par jour pour déchirer des chiffons ou travailler dans n'importe quelle autre industrie, tandis que dans les prisons pour hommes, les salaires sont beaucoup plus élevés et on offre des cours d'apprentissage qui permettront aux détenus de travailler lorsqu'ils seront libérés. Les hommes réussissent très facilement à obtenir un emploi de manœuvre sur le marché du travail. Nous vivons encore dans un monde très patriarcal. Les hommes font souvent des erreurs, mais si des femmes deviennent criminalisées en prison, c'est qu'elles sont folles ou viles. Nous sommes étiquetées et ostracisées et personne ne veut courir la chance de nous offrir un emploi, qu'il s'agisse d'un emploi de manœuvre ou quoi que ce soit d'autre. Les compétences professionnelles offertes que les femmes peuvent acquérir en prison ne les mènent à aucun emploi lucratif quand elles seront libérées. Du moins, il est très rare que cela arrive.

L'une des jeunes femmes autochtones, qui fait maintenant partie de notre comité de gestion, a été envoyée en prison à l'âge de 17 ans. Elle y est restée sept ans en exerçant un métier. Elle assemblait des meubles. Elle est devenue responsable de la production en prison. Quand elle a été libérée, elle s'est rendue dans une entreprise afin d'obtenir un emploi. Elle leur a dit qu'elle possédait toutes les compétences exigées, mais on lui a répondu que l'entreprise n'employait personne ayant des antécédents criminels.

Ce qui se passe dans ces prisons ressemble à de l'esclavage pur et simple. C'est le capitalisme. Ces entreprises utilisent des personnes en prison pour les payer 2 $ ou 3 $ par jour à produire leurs marchandises, leurs matériaux ou tout ce qui se vend dans le monde libre. C'est ce que nous observons tout le temps. C'est l'éducation, et non l'emploi, qui doit être la politique prioritaire, car nous savons qu'à l'heure actuelle, les femmes ne décrocheront aucun type d'emploi lorsqu'elles seront libérées.

Mme George : Très rapidement, concernant la recherche dont je vous ai parlé au sujet du logement et de la non- récidive, cinq personnes de cette cohorte de détenues faisaient des études à temps plein en même temps que la recherche et aucune d'elles n'est retournée en prison.

L'éducation à temps plein est l'un des meilleurs moyens d'assurer sa participation au sein de la société et de retrouver une certaine dignité, plutôt que de suivre une formation pour apprendre à entrer des trucs dans des machins.

Mme Kilroy : Celles d'entre nous qui font des études en prison y retournent éventuellement, mais pas de la façon dont les gardiens de prison le voudraient. Nous y retournons à titre de militantes.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui. Nous sommes vraiment très chanceux de pouvoir vous entendre en personne.

L'une de vous, et veuillez m'excuser si j'ai oublié laquelle, a déclaré que la participation au sein de la collectivité est cruciale. Chez Sisters Inside, madame Kilroy, vous misez évidemment beaucoup là-dessus. Pouvez-vous toutefois décrire les ententes que vous concluez avec les autorités pénitentiaires fédérales qui facilitent ou non votre engagement auprès des détenues à l'intérieur de la prison?

Mme Kilroy : Vous voulez parler de l'accès aux prisons?

La sénatrice Omidvar : C'est exact. Cet accès est-il prévu dans la loi ou s'agit-il simplement d'approches ponctuelles? Quelle serait l'approche idéale selon vous?

Mme Kilroy : C'est une approche discrétionnaire. Si je devais expliquer le système pénitentiaire australien, je commencerais par préciser qu'il n'y a pas de prisons fédérales chez nous. Nos prisons relèvent des États et des territoires. Si une personne est condamnée pour une infraction fédérale, elle est envoyée dans ce que vous appelez ici vos prisons provinciales. Les femmes dans nos prisons sont envoyées là en détention provisoire. Elles y restent une semaine, ou à perpétuité. On peut voir le spectre en entier.

Notre accès repose sur le pouvoir discrétionnaire des services correctionnels du territoire où nous nous trouvons. Chez Sisters Inside, les choses se passent à peu près comme suit : lorsque j'ai été libérée, nous sommes revenues dans la prison. Nous avons rencontré les femmes et nous avons lancé les bases de l'organisation. Notre personnel a vraiment eu un bon accès aux détenues. Nous avons négocié notre accès avec le directeur général ou avec le directeur afin de pouvoir fournir des services et un soutien aux femmes.

Le 17 juin 2004, nous avons déposé une plainte en matière de droits de la personne contre le gouvernement du Queensland en ce qui concerne les femmes dans les prisons de notre territoire. Lorsque nous avons déposé cette plainte, on nous a immédiatement interdit l'accès aux prisons. Nous avons fini par renégocier pour rétablir certains de nos programmes, car nous jouissons d'une grande crédibilité, non seulement dans le système pénitentiaire, mais aussi dans la collectivité, auprès de la gauche comme de la droite ou, si je peux dire, chez les conservateurs comme chez les autres. Nous avons beaucoup de soutien parce que nous existons depuis un bon bout de temps. Nous avions cette crédibilité sur notre territoire qui nous a permis de renégocier certains programmes.

Environ 10 mois plus tard, j'ai été personnellement privée de mon accès à toutes les prisons du Queensland. Quelqu'un avait écrit ma biographie et ils ont été offensés quand ils ont lu que j'avais demandé à certaines femmes en prison à perpétuité de s'occuper d'une des nouvelles, qui était une juge en chef. Une juge, une officière de justice, avait été condamnée à une peine d'emprisonnement. J'avais demandé aux femmes de notre comité de veiller à son bien-être, parce que j'estimais qu'elle est une femme comme toutes les autres. Ils en ont donc pris ombrage quand ils l'ont lu dans ma biographie. Ils m'ont expliqué que si je pouvais demander aux femmes de ne pas être violentes, je pouvais aussi leur demander d'être violentes, ce que je n'ai jamais fait de ma vie.

Notre personnel avait accès aux prisons, mais j'ai ensuite été privée d'accès pendant six ans. J'en ai pris mon parti et j'ai décidé de terminer mon diplôme en droit et d'être admise. Ensuite, ils ont dû me laisser entrer parce qu'en vertu de la loi, comme je suis avocate, ils devaient me laisser entrer.

Lorsque nous avons élu un gouvernement conservateur il y a quelques années, un certain nombre de nos programmes ont été privés de financement du jour au lendemain parce que le gouvernement n'aimait pas notre action. Une chose est sûre : les programmes vont et viennent. Ils ne changeront pas la vie des femmes dans le grand ordre des choses si nos collectivités n'offrent pas de logement, de soins de santé, et ainsi de suite. Nous avons toutefois un gouvernement travailliste au pouvoir à l'heure actuelle, et l'accès nous est de nouveau accordé.

C'est toujours à la discrétion du gouvernement; ce n'est pas inscrit dans la loi. C'est ainsi à l'échelle du pays.

La sénatrice Omidvar : Si l'engagement est crucial, comme vous l'avez souligné, ne serait-il pas préférable de l'inscrire dans la loi?

Mme Kilroy : Tout à fait.

La sénatrice Omidvar : C'est l'une de vos revendications?

Mme Kilroy : Nous préconisons en effet d'autoriser les ONG et les intervenants à avoir accès aux prisons. Je sais qu'une affaire a profité de merveilleuses ressources sur les droits de la personne et l'éducation des femmes en prison. Nous avons voulu utiliser le même genre de ressources sur notre territoire, mais notre initiative a été interdite. Nous n'avions pas le droit de la fournir aux femmes en prison, de façon qu'elles puissent connaître leurs droits ainsi que les différentes étapes d'un grief. Cela nous a été interdit. On ne nous a pas permis de distribuer cette ressource, si bien que nous avons encore des milliers de livres qui amassent la poussière. Donc, pour répondre à votre question, cet accès doit effectivement être inscrit dans la loi.

Mme George : Afin de poursuivre au sujet de l'engagement dans la collectivité, l'autre avantage d'avoir des organismes de l'extérieur qui travaillent auprès des femmes et des hommes en prisons, c'est qu'un plus grand nombre de personnes entrent dans les prisons. Plus il y a de gens qui entrent dans les prisons, plus on est au courant de ce qui s'y passe.

Cela signifie également que lorsque les personnes en ressortent, elles travaillent avec des collègues à qui elles n'ont pas à tout expliquer, parce que ce travailleur s'est rendu dans la prison et il sait ce que l'on y retrouve. C'est une façon beaucoup plus sûre de réintégrer la société lorsque vous avez quelqu'un qui vous a accompagné pendant un certain temps en prison. Il est plus difficile de se confier à un travailleur social fraîchement diplômé qui ne sait encore rien de rien, quand vous venez de vivre une expérience aussi spéciale que la prison.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup à vous deux d'être venues d'aussi loin que l'Australie pour nous rencontrer.

Je vais revenir sur ce dont la sénatrice Omidvar vient de parler et qui se trouve dans la loi. L'article 77 exige que le service consulte les organisations féminines et l'article 80 exige que les groupes autochtones soient consultés ou appelés à participer.

Cependant, vous parliez de quelque chose de plus profond, soit d'une obligation. Ici, on dit essentiellement que ces groupes devraient être appelés à participer dans ces domaines. Merci d'avance pour vos recommandations.

Mme Kilroy : Je pense que le libellé devrait être péremptoire.

Le président : Nous avons entendu d'excellents témoignages ce matin, qui nous seront très utiles dans notre étude. Nous apprécions que vous soyez venus à notre rencontre. Nous allons devoir vous rendre visite, aussi, pour savoir comment les choses se passent.

Nous devons formuler nos observations à l'automne, mais notre étude a été qualifiée de vaste entreprise déterminante. Nous souhaitons donc prendre notre temps. Nous voulons faire les choses comme il se doit. Nous constatons que les gouvernements bougent. Je pense qu'ils le font parce que notre travail est très public. Même cela est utile pour faire avancer la machine.

Madame Kilroy et madame George, je vous remercie de vous être déplacées.

Nous poursuivons notre étude sur les droits humains des prisonniers dans le système correctionnel. Nous nous intéressons tout particulièrement à la situation des femmes autochtones. Les deux témoins qui ont précédé ont témoigné de façon particulièrement touchante sur la situation en Australie. Ça ne va pas. Nous avons visité des prisons et avons de nos yeux vu ce qui s'y passe.

Nous allons maintenant accueillir Me Stuart Wuttke, avocat général de l'Assemblée des Premières Nations. Bienvenu à notre comité, maître. Vous avez la parole. Les sénateurs ont hâte de pouvoir vous poser des questions dans les 45 à 60 prochaines minutes.

J'ai négligé de préciser que la sénatrice Martin vient d'arriver. Bienvenue, sénatrice. Maître Wuttke, allez-y.

Stuart Wuttke, avocat général, Assemblée des Premières Nations : Bonjour. Au nom du chef national, du comité exécutif et de l'organisation tout entière, je tiens à vous remercier d'avoir invité l'Assemblée des Premières Nations à vous faire part de ses remarques sur votre importante étude, surtout sur les droits des prisonniers autochtones dans le système carcéral. Je travaille à l'Assemblée des Premières Nations depuis 13 ans environ et je suis avocat depuis un peu plus de 20 ans.

Pour commencer, je tiens à souligner que nous nous trouvons sur un territoire algonquin non cédé.

Nous avons préparé une déclaration que je vais vous lire. Nous avons également un mémoire, mais, malheureusement, il n'a pas encore été traduit. Je vais remettre celui-ci au greffier en espérant que nous pourrons faire parvenir une version traduite dans les plus brefs délais au comité.

w>Pour commencer, l'Assemblée des Premières Nations tient à indiquer qu'elle prend acte du fait que de plus en plus de membres de Premières Nations sont incarcérés, pour des peines d'emprisonnement de plus en plus longues et qu'ils sont également soumis à des punitions plus dures dans les prisons canadiennes. Les membres des Premières Nations ne représentent que 2,6 p. 100 de la population canadienne, mais selon un rapport du Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada, publié en janvier 2016, le nombre d'Autochtones dans les pénitenciers canadiens représentait 25 p. 100 de la population carcérale. Dans le cas des femmes condamnées à des peines fédérales, leur taux de représentation est maintenant supérieur à 35 p. 100 de la population carcérale féminine.

Les causes profondes du nombre disproportionné de membres des Premières Nations derrière les barreaux sont nombreuses et bien connues. Dans la décision R. c. Gladue, rendue en 1999, la Cour suprême du Canada déclarait ceci :

La proportion anormale d'emprisonnement chez les délinquants autochtones découle de nombreuses sources, dont la pauvreté, la toxicomanie, le manque d'instruction et le manque de possibilités d'emploi. Elle découle également de préjugés contre les Autochtones et d'une tendance institutionnelle déplorable à refuser les cautionnements et à infliger des peines d'emprisonnement plus longues et plus fréquentes aux délinquants autochtones.

Près de 20 ans se sont écoulés depuis que le plus haut tribunal du pays a reconnu les causes systémiques de la surreprésentation des Autochtones dans nos prisons, mais leur nombre ne cesse d'augmenter.

Récemment, un jeune homme d'origine autochtone a passé 1 500 jours en isolement. M. Capay a été détenu pendant 52 mois sans procès et il a passé plus de quatre ans en isolement. Son sort a été révélé après que Renu Mandhane, commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne, a rendu visite à la prison de Thunder Bay. Quand elle a demandé à visiter le détenu en isolement, les responsables de l'établissement l'ont orientée vers un escalier conduisant à des cellules, dans le sous-sol, éclairées 24 heures sur 24. Les lieux semblaient déserts si ce n'est que M. Capay occupait une des cellules aux parois de plexiglass, éclairée en permanence. Il souffre maintenant de troubles de la parole et de la mémoire et il porte plusieurs cicatrices de blessures auto-infligées à cause de son isolement prolongé.

La Commission ontarienne des droits de la personne a indiqué ceci à ce propos :

Selon l'ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, les règles Mandela, ainsi que le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, les périodes prolongées et indéfinies d'isolement peuvent constituer de la torture et d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont à prescrire. L'isolement prolongé est défini comme tout placement en isolement de plus de 15 jours.

On peut se demander ce qu'il serait advenu de M. Capay si la commissaire en chef n'avait pas décidé de visiter la prison de Thunder Bay et si elle n'était pas tombée sur lui. S'y trouverait-il encore à l'heure où l'on parle? Malheureusement, et sans surprise, la réponse est « oui », puisque nous savons que les délinquants autochtones risquent beaucoup plus que n'importe qui d'autre de décéder en prison. Qui sait combien d'autres délinquants autochtones sont détenus dans des conditions semblables, voire pires que celles de M. Capay?

La semaine dernière, un reportage nous informait du cas de Beatrice Hunter, cette grand-mère autochtone du Labrador qui a été accusée en lien avec des manifestations pour la défense des droits autochtones, à l'emplacement du barrage de Muskrat Falls. Mme Hunter est actuellement détenue loin de sa famille, dans un pénitencier pour hommes de St. John's. De nombreux groupes de défense estiment qu'elle est prisonnière politique. Tout cela se produit à l'heure actuelle, au Canada, dans ce pays qui revendique une supériorité morale dans les questions de droits de la personne.

Pas plus tard que la semaine dernière, nous apprenions aussi dans les nouvelles l'existence d'Angela Cardinal, victime d'une agression sexuelle brutale, qui a été emprisonnée sur ordre du tribunal par crainte qu'elle ne témoigne pas contre l'accusé lors de l'audience préliminaire. Mme Cardinal, qui a miraculeusement survécu à une agression au couteau lors de laquelle elle a été poignardée à plusieurs reprises et agressée sexuellement, a été menottée sur ordre du tribunal, puis emprisonnée dans le même établissement que son agresseur. Voilà comment notre système légal traite les victimes de crime membres des Premières Nations.

Les défauts constatés sur le plan des droits de la personne des délinquants membres de Premières Nations ne sont pas l'apanage des établissements correctionnels. C'est un fait que nous reconnaissons. Nous parlons depuis toujours des nombreuses causes systémiques profondes de la surreprésentation des Autochtones en prison et j'ai indiqué que l'APN a également adressé un mémoire au comité permanent dans lequel il donne un aperçu des nombreux défauts du système pénal, défauts qui contribuent également aux violations des droits de la personne dans le cas des délinquants autochtones.

Pour ce qui est du système correctionnel, le Bureau de l'enquêteur correctionnel a abondamment documenté l'abus de recours à l'isolement préventif. L'isolement est la forme la plus austère et la plus privative de liberté que l'État administre légalement au Canada.

Les délinquants autochtones sont plus susceptibles que les autres de se retrouver en isolement, puisqu'ils constituent 31 p. 100 des cas. Ils passent 16 p. 100 de plus de temps en isolement que les autres. Ils représentent 45 p. 100 de tous les incidents d'automutilation. Neuf Autochtones ou délinquants autochtones sur 10 sont détenus jusqu'à expiration de leur peine, contre les deux tiers dans le cas des non-Autochtones. Les Autochtones sont plus susceptibles que les autres d'être entravés en prison, d'être mêlés à des incidents violents, de faire l'objet d'accusations pour infractions aux règles de l'établissement et de décéder en prison.

Qui plus est, dans la décision qu'elle a rendue dans la cause Ewert c. Canada, le 18 septembre 2015, la Cour fédérale estime que les échelles psychologiques d'évaluation des risques, utilisées par le Service correctionnel du Canada, ne sont pas fiables dans le cas des Autochtones, étant donné qu'elles ne répondent pas à leurs besoins uniques, qu'elles pèchent par manque de données probantes et qu'elles sont susceptibles à des préjugés d'ordre culturel. Le Service correctionnel du Canada utilise régulièrement ce genre d'échelle pour évaluer les risques de violence de même que les troubles psychotiques chez les délinquants autochtones et non autochtones. Les résultats de ces tests et les analyses de cas de la classification des délinquants en fonction du risque servent à prendre des décisions pour leur remise en liberté, par exemple, pour leur cote de sécurité, pour leur accès à un régime d'absence temporaire et pour le placement en pénitencier.

Le juge Phelan, de la Cour fédérale, a déclaré son intention d'émettre une ordonnance définitive qui interdirait au Service correctionnel du Canada d'utiliser ces échelles d'évaluation dans le cas de M. Ewert et d'ordonner au service d'effectuer une étude pour confirmer la fiabilité de ses échelles d'évaluation dans le cas des délinquants autochtones adultes.

Les lois internationales et canadiennes relatives aux droits de la personne, parmi lesquelles on retrouve la Charte canadienne des droits et liberté, imposent des normes précisant que toute personne a le droit à un traitement équitable et humain et celui de ne pas être soumise à des peines ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Selon le Bureau de l'enquêteur correctionnel, le fait que nous ne nous soyons pas conformés, depuis longtemps, aux dispositions relatives aux droits de la personne, a eu pour conséquence que nous avons freiné la réhabilitation des délinquants et diminué la sécurité publique.

Le nombre d'Autochtones se retrouvant dans le système correctionnel au Canada n'a jamais été aussi élevé. Le nombre absolument disproportionné d'Autochtones dans les prisons fédérales, qui sont sujets à des peines ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, à l'instar d'Adam Capay, représente une infraction aux normes nationales et aux principes généraux des droits de la personne. Le traitement que le Canada accorde aux Premières Nations et aux délinquants autochtones dans le système correctionnel est fortement critiqué par nos propres organismes indépendants de surveillance, mais les gouvernements qui se sont succédé n'ont rien fait pour corriger la situation.

En conclusion, l'Assemblée des Premières Nations estime qu'il faut effectuer un examen poussé du traitement des Autochtones dans tout le système pénal canadien, et pas uniquement dans nos prisons. Cela nous permettra de mieux parler de certaines réalités, comme les mesures exigées pour régler le problème des taux d'incarcération disproportionnés des membres de Premières Nations. Une telle étude nous permettra aussi d'examiner plus attentivement l'ampleur de la criminalité liée à la drogue, les effets des programmes de déjudiciarisation des jeunes, les retombées positives des programmes destinés à réduire le récidivisme et la situation des femmes. Les programmes de justice réparatrice ont beaucoup bénéficié aux délinquants autochtones et l'APN invite le gouvernement et le Parlement à continuer d'insister sur les programmes et les mesures visant plus particulièrement les délinquants autochtones.

Le Canada ne peut prétendre être un porte-étendard international des droits de la personne et, en même temps, refuser de régler des problèmes systémiques comme le racisme, la pauvreté, ainsi que la protection de la jeunesse, les arrestations et le manque d'éducation des enfants qui débouche sur un nombre ahurissant de membres de Premières Nations incarcérés. Si le Canada est vraiment déterminé à se réconcilier avec les Premières Nations, comme il l'a déclaré en prenant l'engagement d'appliquer les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, il doit d'abord prendre acte que les systèmes pénal et correctionnel au pays sont profondément empreints d'attitudes discriminatoires de longue date envers les Premières Nations et qu'il faut adopter des mesures importantes pour arrêter la vague d'incarcération d'Autochtones.

Le président : Merci beaucoup, maître Wuttke. Récemment, nous avons visité un pavillon de ressourcement dans le nord de Montréal. Après avoir vu les établissements de Millhaven, de Joyceville et de Collins Bay, je peux vous dire que le milieu dans lequel évoluent ces Autochtones dans le système carcéral — je ne les décrirai même pas comme des « prisonniers » — me paraît maintenant tout à fait sain et favorable au ressourcement.

Savez-vous quelle proportion d'Autochtones se retrouvent dans les pavillons de ressourcement, par rapport à la population globale qu'ils représentent dans le système carcéral, soit 25 p. 100? Y a-t-il des choix? J'ai l'impression, d'après ce que nous avons vu, d'après ce qu'on nous a montré, qu'il n'y avait ni murs ni barrières. Il n'y avait pas de fils de fer barbelés. C'était en fait un petit village où les gens passent quatre ans et où leurs familles peuvent leur rendre visite. Tant qu'à être incarcérés, j'ai l'impression que c'est un milieu positif.

M. Wuttke : Nous avons constaté que les pavillons de ressourcement sont très utiles pour aider les Autochtones à faire face aux différents problèmes qui sont les leurs.

Nous n'avons pas de statistiques à proprement parler à ce sujet, mais nous avons recueilli des faits anecdotiques. Par exemple, des délinquants de Premières Nations nous ont écrit très souvent pour nous dire qu'ils ne pouvaient pas accéder à ce genre de programmes, qui sont discrétionnaires dans une certaine mesure quant au choix des participants. Par exemple, les gens sélectionnés doivent avoir fait preuve d'un bon comportement. Ils ne doivent pas avoir été mêlés à des incidents pendant plusieurs mois. Pour certains délinquants, cette condition est très difficile à respecter, ce qui les empêche d'être admissibles à ces types de programmes.

Par ailleurs, des aînés administrant certains de ces programmes ont critiqué le fait qu'ils ne pouvaient pas atteindre tout le monde. Les traitements sont même différents. Par exemple, un psychiatre qui traite en milieu carcéral est rémunéré pour ses services. Tel n'est pas le cas de la plupart des aînés autochtones qui offrent pourtant des services aux détenus et qui sont relativement peu dédommagés pour leur temps. On ne les considère pas comme des thérapeutes, au même titre que les membres des professions médicales. Il leur est donc assez difficile de consacrer du temps et d'offrir ce genre de services aux délinquants autochtones, d'autant qu'ils estiment mériter un traitement différent dans l'accès qui leur est donné aux délinquants, par rapport à des membres de la profession médicale, comme les psychiatres.

La sénatrice Andreychuk : Excusez-moi, mais j'ai dû participer à une autre réunion avant de venir ici. J'espère que vous n'avez pas parlé de la question que je vais aborder.

Je veux enchaîner sur le thème des pavillons de ressourcement. Récemment, j'ai eu vent que certaines victimes de crime ont dit ne pas avoir été invitées à se prononcer pour dire si le placement d'un contrevenant dans un pavillon de ressourcement était la meilleure forme de réhabilitation. Ces remarques venaient en partie de personnes résidant dans des petites communautés où un incident violent peut ne concerner que deux membres de Premières Nations.

Est-ce que l'APN en a parlé? Êtes-vous au courant ou s'agit-il d'incidents isolés dont nous avons eu vent?

M. Wuttke : Cela nous ramène à la question plus vaste de savoir dans quelle mesure l'actuel système de justice pénale au Canada est adapté aux Autochtones. Dans notre système plus traditionnel, le collectif était appelé à régler les conflits entre les personnes ou entre les groupes. On déployait donc un effort collectif pour amener tout le monde en un même lieu pour favoriser la réconciliation ou le retour à de bonnes relations.

Nous estimons que l'actuel système de justice criminelle fait sortir la victime de l'équation. La victime signale un crime. Elle peut vouloir ou non porter des accusations. Dans l'affirmative, le plus souvent, l'État agit pour le compte de la victime. En soi, cela soulève un certain nombre de problèmes quant à savoir quel est le meilleur intérêt pour la collectivité, entre la victime et le délinquant.

D'autres problèmes ont surgi à cause des effets à long terme des pensionnats, de la rafle des années 1960 et, de nos jours, des politiques de protection de l'enfance à cause du fait que des enfants autochtones ont été arrachés à leurs familles, phénomène qui provoque des modifications d'ordre physiologique dans le cerveau de l'enfant et qui peut rendre la personne davantage susceptible de commettre des crimes ou d'en être victime. Tout cela nous ramène à la question des traumatismes vécus dans l'enfance. À moins qu'on adopte des programmes, dans le système, afin de guérir ces enfants, nous pourrions très bien nous retrouver face aux mêmes difficultés dans l'avenir.

Des évaluations psychologiques et des études psychiatriques ont été conduites auprès d'enfants roumains sidéens, qui avaient été placés dans des orphelinats. On a mesuré la taille de leur cerveau pour établir la différence entre des enfants normaux et eux, qui avaient subi des traumatismes dans leur jeune âge. On a constaté que les répercussions physiologiques sont très importantes sur un jeune cerveau. Il va falloir tenir compte de tout cela dans le cas de certaines situations auxquelles sont confrontés les membres de communautés de Premières Nations.

La sénatrice Ataullahjan : Excusez-moi, mais je voudrais aborder autre chose. Pendant que je vous écoutais témoigner, je lisais un article du numéro de Maclean's du 5 juin intitulé « The Canada most people don't see », autrement dit le Canada que peu de gens voient. Il y est question du taux de chômage qui est pire qu'au Soudan, du taux de mortalité infantile qui est pire qu'en Russie et des injustices qui y sont scandaleuses. On y parle de quelques cas, dont celui d'Angela Cardinal et de ce qui s'est passé à Edmonton.

Que pouvons-nous faire? Pensez-vous qu'il faudrait dispenser une formation d'éveil à la sensibilité culturelle au personnel du service correctionnel? Favoriserait-on une meilleure compréhension entre le personnel et les détenus, si l'on offrait de tels programmes? Quels genres de programmes adaptés à la culture conviendrait-il de mettre en place?

M. Wuttke : Vous soulevez une question intéressante. Nous avons également lu cet article qui dénonce des pratiques discriminatoires profondément ancrées.

Pour ce qui est de la formation en tant que telle, nous sommes tombés à plusieurs reprises sur des cours de sensibilisation culturelle destinés à des policiers et, plus récemment, à des juges et à des avocats, ou encore à des employés du système de justice pénale. Vous pourriez toujours offrir ce genre de cours, mais tout semble indiquer que, même chez les personnes ayant suivi de tels cours, l'effet n'est que de courte durée. Finalement, tout le monde en revient à ses bonnes vieilles habitudes au bout d'un temps. Certains des préjugés et des travers sous-jacents constatés chez les personnes qui travaillent dans le système de justice pénale tiennent, par exemple, à leur formation.

À l'école de droit, on m'avait dit de ne pas prendre de cours dont le titre comporterait la mention « les Autochtones et le droit » ou « les femmes et le droit », parce qu'aucun cabinet d'avocats respectable ne m'aurait engagé après coup. Heureusement, ce genre d'attitude a évolué ces dernières années.

Les criminalistes décrivent le phénomène des traitements initialement réservés aux délinquants autochtones comme s'il s'agissait d'un entonnoir, en ce sens qu'une partie seulement de la grande quantité de crimes commis contre des personnes est signalée à la police. La police n'accuse qu'un petit nombre d'individus. Les procureurs de la Couronne exercent leur pouvoir discrétionnaire. En fin de compte, on se retrouve avec un petit nombre de personnes accusées et inculpées par rapport à la masse de crimes commis.

Quand on songe au pourcentage des personnes inculpées à la fin, on constate que la majorité d'entre elles sont des membres de Premières Nations. Et puis, il y a des problèmes comme le fait que la police a recours à différentes tactiques, comme multiplier les chefs d'accusation quand il s'agit d'Autochtones ou les inculper de crimes plus graves. Tout cela débouche sur des négociations de plaidoyer, ce qui indique en outre qu'on n'a pas forcément une bonne idée des crimes commis.

Dans mes débuts d'avocat criminaliste, nous appliquions la solution de facilité dans le cas des clients inculpés d'entrée par effraction ou de vol simple, ce qui consistait à plaider la culpabilité pour à un acte d'entrée par effraction. Certes, il s'agissait encore d'une infraction criminelle donnant lieu à une sanction pénale, sanction risquant d'être lourde de conséquences plus tard dans la vie, mais c'est ainsi que les choses se faisaient. S'ils étaient inculpés pour entrée par effraction, nos clients autochtones avaient la chance d'être traités comme tous les autres.

J'ai grandi dans le nord du Manitoba et j'ai constaté, par exemple, qu'en cas d'affrontement physique entre un Autochtone et un non-Autochtone, le premier finissait toujours par être accusé, tandis que le deuxième n'était pas inquiété. Dans le Nord, nous avons grandi en sachant que si certains peuvent tout se permettre en toute impunité, tel n'est pas le cas pour d'autres.

Voilà le genre d'attitude à laquelle on se heurte quand on a affaire à des policiers, à des procureurs de la Couronne et parfois même à des juges. Les programmes de sensibilisation culturelle ne suffisent pas. Il faudrait nommer davantage d'Autochtones dans le système et peut-être même davantage d'Autochtones pour superviser certains de ces programmes.

Prenez la Commission des libérations conditionnelles du Canada, par exemple. Je pense que votre comité a entendu dire que sur 65 membres de la commission, six seulement sont des Autochtones. Si 25 p. 100 des détenus sont des Autochtones et que 35 p. 100 des femmes en prison sont autochtones, pourquoi ne pas retrouver à la Commission des libérations conditionnelles un ratio équivalent de gens au courant des réalités des communautés des Premières Nations? La sensibilisation culturelle est un aspect qu'il faut couvrir, mais je pense qu'il faut aller au-delà.

La sénatrice Ataullahjan : Ce que vous dites revient à modifier les états d'esprit. Vous dites que les gardiens qui suivent ce genre de formation retrouvent leurs vieilles habitudes au bout d'un certain temps.

Comment donc changer l'état d'esprit des gens? Je pensais que c'était par le biais de la sensibilisation et de l'apprentissage, mais cela ne semble pas changer grand-chose si, après un moment, les gens renouent avec leurs vieilles façons d'agir. Que reste-t-il à faire?

Une solution pourrait consister à augmenter les effectifs au sein du système, mais nous devons respecter le principe de la représentativité de la population canadienne. Comment changer l'état d'esprit des gens qui ne sont pas issus des Premières Nations ou qui ne sont pas autochtones?

M. Wuttke : C'est difficile. Les gens dont on parle passent bien sûr du temps au sein des communautés de Premières Nations. À la GRC, par exemple, les premières affectations sont en général données dans des postes situés dans des collectivités nordiques. Il est évidemment difficile de changer les états d'esprit. Nous pouvons toujours espérer pour les futures générations. On constate en effet des changements progressifs chez les jeunes. Chez les plus vieux, il est évidemment plus difficile de changer les perceptions.

Même si les acteurs de l'appareil de justice pénale sont au courant d'une partie des problèmes, comme ceux signalés par la Commission de vérité et réconciliation, il y aura toujours des cas extrêmes comme celui de Mme Cardinal.

Je cherche une façon de m'exprimer avec doigté. Comment pourrait-on changer l'état d'esprit de quelqu'un qui n'apprécie même les droits de la personne, ni même l'humanité des Autochtones, ni des autres d'ailleurs? Comment modifier un tel état d'esprit? Je ne vois vraiment pas comment y parvenir. Comment parvenir à changer l'attitude de ceux qui apprécient aussi peu les Autochtones en tant que personnes, afin qu'ils éprouvent plus de respect envers eux? Voilà une question vraiment difficile.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup de vous être déplacé. Comme j'ai été journaliste, je dirais qu'il conviendrait sans doute, non pas tant de modifier les pensées profondes des gens que de modifier leur comportement, car la dénonciation et la stigmatisation peuvent changer les choses. Cela m'amène à parler de la question de la mise en isolement ainsi que du cas terrible de M. Capay et de bien d'autres. Hier, le Globe and Mail nous apprenait que les services correctionnels du fédéral et des provinces sont en train d'élaborer une politique sur l'isolement. Dieu sait que nous en avons grand besoin.

À votre connaissance, est-ce que l'APN ou d'autres organisations autochtones ont été consultées pour déterminer ce qui pourrait fonctionner et ce qui risque d'être voué à l'échec?

M. Wuttke : Pour autant que je sache, l'APN n'a pas été consultée pour ce travail.

Je suis d'accord quand vous dites qu'il est payant de dénoncer et de stigmatiser. S'il était facile d'accéder à des statistiques indiquant, par exemple, les préférences de procureurs de la Couronne, la façon dont ils s'adressent à des délinquants autochtones par rapport à des non autochtones, le genre de recommandations de mise en liberté sous caution qu'ils formulent et ainsi de suite, nous pourrions mettre le doigt sur une partie des problèmes.

Le changement de comportement dont vous avez parlé n'est peut-être pas la solution. C'est particulièrement le cas quand on songe aux droits de la personne et aux lois sur les droits de la personne, parce que tout cela a énormément changé les services auxquels les gens n'avaient pas accès, non pas grâce à une modification des attitudes ou de l'état d'esprit des gens, mais parce que, désormais, certains actes sont illégaux ou prohibés. Il serait possible, grâce à des modifications législatives destinées à régler le problème de l'incarcération excessive des Autochtones, de faire évoluer les choses dans le bon sens sur ce plan.

La sénatrice Fraser : Je vais vous poser une question piège. Croyez-vous que le Service correctionnel du Canada, agissant de son propre chef, puisse vraiment parvenir à se doter de politiques appropriées en matière d'isolement?

M. Wuttke : L'Assemblée des Premières Nations s'en remettrait aux grands principes et aux normes générales énoncés dans des textes sur les droits humains, comme la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il y est question de la nécessité de tenir des consultations pour toute loi ou tout programme concernant les Autochtones ou les peuples indigènes. Si le Service correctionnel du Canada entame la modification de ses règles, de ses règlements ou de ses processus, il devrait consulter les communautés autochtones ainsi que les dirigeants des Premières Nations. Voilà pour le minimum exigé.

La sénatrice Martin : Je suis heureuse de vous revoir. Je pense vous avoir vu, pour la dernière fois, au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Merci beaucoup pour votre exposé et pour l'excellent travail que vous faites.

Mes questions vont plus particulièrement porter sur le rôle de l'APN dans l'assistance à certaines personnes ou organisations de défense, dans les régions, comme Sisters Inside qui est une organisation australienne. Des témoins en Saskatchewan nous ont dit que des groupes de défense sans but lucratif travaillent auprès des détenus afin de les aider à réintégrer la société, pendant qu'ils sont derrière les barreaux et lors de leur transition.

Je me demande quel rôle l'APN joue pour appuyer les groupes de défense. Il y a le système et il faut faire beaucoup au sein de ce système pour répondre aux besoins des prisonniers et pour aider ceux qui sortent de prison à intégrer la société.

Pouvez-vous nous parler du genre de rôle proactif ou de soutien que joue l'APN auprès de certains groupes de défense régionaux qui s'intéressent plus particulièrement aux Autochtones?

M. Wuttke : Bien sûr. Comme vous le savez, l'APN est elle-même une organisation de défense nationale. Nous avons des bureaux régionaux.

En général, nous ne nous mêlons pas des affaires à l'échelon local, sauf si nous y sommes invités par des groupes de Premières Nations ou par d'autres groupes. Quand on nous demande d'aller donner un coup de main à une organisation, nous le faisons. Dans bien des cas, nous recevons des appels d'Autochtones et de délinquants, dont certains sont derrière les barreaux. Parfois, nous prenons fait et cause pour eux auprès des autorités fédérales et des ministres responsables de leur région.

Toutefois, nous n'avons jamais, de façon pratique, pris part à une démarche coordonnée avec les différents fournisseurs de services au Canada. Beaucoup d'entre eux sont basés dans les régions et nous nous fions à nos bureaux régionaux pour une partie de la coordination. Si on nous le demande, nous donnons un coup de main.

La sénatrice Martin : Ce sont donc vos bureaux régionaux qui travaillent avec les groupes de défense. Cela implique-t- il un soutien d'ordre financier? Les programmes semblent assez efficaces, d'après ce que je me suis laissé dire.

J'aimerais connaître le genre d'appui que vous apportez éventuellement aux groupes régionaux travaillant au contact des détenus.

M. Wuttke : Je peux vous parler d'un programme de déjudiciarisation à Winnipeg en vertu duquel l'Organisation des chefs du Sud et le Conseil autochtone de Winnipeg, ainsi que Community Corrections of Manitoba Justice, apportent une assistance à des délinquants autochtones adultes, à Winnipeg. Les organismes de Premières Nations collaborent entre eux et ont créé un nouvel organisme dont la vocation est d'aider les Autochtones à suivre une autre voie que celle des tribunaux. Il s'agit d'un programme de déjudiciarisation destiné aux Autochtones. Celui-ci donne d'excellents résultats.

Voilà ce qui se fait actuellement. Est-ce suffisant? Sans doute pas. Nous pourrions probablement faire mieux. Évidemment, plus il y a de programmes pour les Autochtones et plus les besoins financiers sont grands. Le budget de la plupart de ces programmes s'est réduit comme une peau de chagrin. Les programmes donnent de bons résultats pour les responsables du ministère de la Justice, pour les délinquants et même pour les victimes, parfois, mais ils sont limités.

Dans bien des cas, afin que des projets locaux puissent bénéficier de tels programmes, il faut que les délinquants assument d'abord la responsabilité de leur crime. Ils doivent d'abord plaider coupables. Puis, on leur consent une libération conditionnelle pour leur permettre de suivre le programme. On pourrait sans doute s'y prendre de meilleure façon plutôt que de contraindre les gens à plaider coupables.

Pour ce qui est des gens relâchés dans leur communauté, il faut savoir que ce ne sont pas tous les délinquants autochtones ou membres de Premières Nations qui sortent au bout du tiers de leur peine. Le plus souvent, ils doivent aller jusqu'aux deux tiers avant d'obtenir une libération conditionnelle, et il arrive que ce soit même plus. Je le répète, nous pourrions faire davantage pour aider les délinquants autochtones.

La sénatrice Martin : Je trouve que le taux d'incarcération des hommes et des femmes autochtones est particulièrement préoccupant et tragique. Nous sommes conscients de la nécessité d'examiner ce que nous pouvons faire pour réduire ces nombres.

L'APN en a-t-elle fait l'une de ses grandes priorités? Y aurait-il une façon de coordonner nos actions pour déterminer comment appuyer au mieux les groupes de défense? Ceux-ci sont sur le terrain et ce sont eux qui jettent des passerelles, qui donnent des conseils et qui se portent à la défense des détenus. Cela me semble être une priorité importante et j'aimerais savoir si vous en parlez à l'échelon national et ce qui en découle au palier régional.

M. Wuttke : Pour nous, le système de justice pénale est une de nos grandes priorités. Nous en avons d'autres, comme le logement, le bien-être des enfants et l'enseignement. D'ailleurs, le chef national a formulé cinq domaines prioritaires dans le cadre de son mandat.

La justice pénale est un des dossiers sur lesquels nous travaillons, mais nous n'avons pas reçu de fonds pour améliorer la coordination avec d'autres acteurs. Pour la première fois cette année, nous allons recevoir des fonds de Sécurité publique Canada pour ouvrir certains dossiers. En général, on peut dire que l'Assemblée des Premières Nations n'a pas reçu de financement dans le cadre des programmes de justice, si ce n'est pour des services de police. C'est à peu près tout.

Quant à notre capacité de participer à ce genre d'action et de travailler véritablement aux côtés des organisations régionales, il se trouve que nous n'avons pas l'argent nécessaire pour le faire. Nous ne pouvons intervenir que dans la limite de nos moyens.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup de vous être joint à nous et merci pour tout votre travail d'organisation.

Les témoins qui vous ont précédé nous ont parlé de l'importance des articles 81 et 84 ainsi que du problème que pose l'article 80, en réponse à nos questions. Je ne veux pas vous soumettre à un test. Il s'agit de dispositions de la loi qui indiquent foncièrement que le ministre de la Sécurité publique peut accorder directement un contrat à des organisations de Premières Nations, sans qu'elles soient nécessairement dans les réserves. Il s'agit de contrats avec une organisation ou une réserve.

Quel genre de renseignements avez-vous reçus à votre bureau ou quelles informations ont reçues vos membres relativement à cela? Si des informations ont circulé, savez-vous s'il a été question des obligations fiduciaires du gouvernement?

M. Wuttke : Notre bureau n'a pas vu transiter beaucoup de renseignements au sujet des articles 81 et 84. Pour ce qui est de certains programmes offerts, nous constatons qu'il n'y a pas suffisamment d'argent. Il y a toujours des manques à gagner au regard des dispositions de l'article 81 et de la nécessité de prévoir suffisamment de salles, d'installations ou de lits dans les établissements, pour les délinquants autochtones.

Je ne pense pas que les sommes que Service correctionnel Canada réserve à ce genre d'activité, quand on sait que la population carcérale autochtone est énorme, représentent 25 p. 100 de son budget total. Je pense que c'est moins. Nous pourrions peut-être régler ce problème pour garantir une meilleure parité et pour qu'il y ait suffisamment d'installations et de programmes afin que les Premières Nations soient en mesure d'administrer ces programmes.

De plus, il va falloir aussi régler la question de savoir qui est admissible à de tels programmes et quelles caractéristiques détermineront l'admissibilité.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup pour cette remarque. L'admissibilité est en partie une question de politique. Croyez-vous que la loi a indûment limité la politique en vigueur? C'est du moins ce que nous ont dit d'autres témoins.

M. Wuttke : Tout cela nous ramène au pouvoir discrétionnaire appliqué aux différents détenus. Dans la loi, il est dit que les délinquants doivent être libérés à moins qu'on ait des motifs raisonnables de croire qu'ils risquent de « commettre une infraction causant la mort ou des blessures graves à une autre personne ».

Les aspects culturels et les préjugés interviennent quand on confie ce type de pouvoir discrétionnaire à des personnes qui ont un parti pris, consciemment ou pas, et qui ont affaire à des délinquants non autochtones pour qui il s'agit de déterminer le risque de récidive. Quand on a affaire à des délinquants autochtones, on a toujours l'impression qu'ils risquent de nouveau de commettre un crime, d'où le recours à ce pouvoir discrétionnaire qui revient à leur nier le droit à une libération conditionnelle ou à une libération anticipée.

Peu importe que la loi ou que la politique soit restrictive, tout dépend de qui est le délinquant et des préjugés qui habitent les personnes appelées à rendre une décision. Vous pouvez toujours avoir la meilleure ou au contraire la pire politique qui soit, dans bien des cas, le sort des délinquants autochtones sera tranché d'avance, parce qu'ils risqueront fort de se voir refuser une libération anticipée ou conditionnelle, comme c'est actuellement le cas.

La sénatrice Pate : Précisons cependant une chose : la loi est beaucoup plus souple à cet égard, mais les communautés doivent savoir qu'elles peuvent demander à accueillir des délinquants remis en liberté. Tout ne dépend pas du pouvoir discrétionnaire des autorités pénitentiaires, un pouvoir qui est d'ailleurs très limité par la politique en vigueur. On a plutôt l'impression que les communautés ne savent même pas qu'elles peuvent formuler des demandes d'accueil. Peut-on dire cela?

M. Wuttke : Je crois qu'on le peut, effectivement.

La sénatrice Omidvar : On nous a un peu parlé de l'utilisation du rapport Gladue dans l'établissement des sentences. Pouvez-vous nous parler de la façon dont il est utilisé? Auriez-vous des remarques ou des recommandations dont vous voudriez nous faire part?

M. Wuttke : On a constaté une amélioration du sérieux et de la façon dont le rapport Gladue est appliqué par les tribunaux, dans la rédaction des recours et des peines, depuis la décision Ipeelee.

Nous constatons, cependant, que pour certains, le rapport Gladue n'est qu'une formalité. Il y a des problèmes. Nous nous sommes laissé dire que certains de ceux qui s'appuient sur le rapport Gladue le font comme s'ils remplissaient des formulaires. Ils rencontrent leur client et cochent un certain nombre de cases. Il n'y a pas d'analyse en profondeur de la situation du délinquant afin de faire ressortir toutes les particularités de la cause à défendre devant le tribunal.

Cela dit, des particuliers et des organisations qui s'appuient sur le rapport Gladue font un excellent travail pour recadrer le vécu de la personne qu'ils défendent, sa vie et la raison pour laquelle elle a eu maille à partir avec la loi. La façon dont les procureurs de la Couronne se servent du rapport Gladue et la manière dont les juges l'accueillent dépendent de la façon dont les gens réagissent à ce rapport. Encore une fois, on nous a dit que certains juges ont jeté un coup d'œil sur le rapport Gladue et qu'ils l'utilisent, tandis que d'autres pas.

À mes débuts, dans la pratique du droit, nous avions organisé deux ou trois cercles de sentence pour aider les tribunaux à appliquer les peines appropriées, en fonction de ce que souhaitaient la communauté et la victime du crime. Dès ce moment-là, je me suis rendu compte que les recommandations de la communauté et des participants au cercle de sentence étaient rarement appliquées par les juges. Ils écoutaient bien tout le monde, mais finissaient par imposer une décision qu'ils jugeaient appropriée, bien que, très souvent, la communauté aurait préféré autre chose qu'une incarcération. C'est pourtant la décision que finissaient par prendre les tribunaux.

Le président : Nous arrivons au terme des questions.

Vous avez fait allusion à la non-incarcération. Je vais brièvement revenir sur ce que nous ont dit nos témoins australiens au sujet des dispositions concernant les femmes enceintes et les mères emprisonnées.

L'APN a-t-elle une position à ce sujet, pour ce qui est du logement, de la possibilité de ne pas avoir à aller jusqu'à emprisonner les femmes, au regard de leurs droits humains et de leur dignité, ainsi que des autres formules possibles pour leur éviter l'emprisonnement?

M. Wuttke : Il y a toujours d'autres solutions. Les statistiques concernant les femmes de Premières Nations ou les femmes autochtones sont particulièrement alarmantes. Prenons, par exemple, le rapport récent sur le nombre de victimes d'homicide et la représentation excessive des femmes de Premières Nations victimes d'agressions ou assassinées au Canada. Je pense que nous dépassons les 25 ou 30 p. 100. Quant au taux d'incarcération, force est de constater que les femmes autochtones représentent 35 p. 100 du total.

Vous avez ainsi une tranche de la société qui est vulnérable et désavantagée et qui représente le plus grand nombre de personnes assassinées au Canada, mais aussi le plus important segment de population à se retrouver derrière les barreaux. À l'APN, nous estimons que quelque chose cloche très sérieusement.

Pour les femmes de Premières Nations, il est certain qu'il existe d'autres solutions que de les enfermer en prison, surtout si elles sont enceintes et si elles ont une famille. Il existe d'autres formules possibles. Pour la plupart des Autochtones, la prison, de façon générale, est aux antipodes de ce qui est naturel.

Si on examine un peu la situation des délinquants autochtones, hommes et femmes, on voit qu'on a affaire à des gens ayant des bagages différents. Certains ont été contraints d'aller dans des pensionnats ou ont été placés de force dans des établissements, à un très jeune âge. Quand ces personnes sont sorties de ces établissements et qu'elles ont eu leurs propres enfants, ceux-ci ont également été envoyés dans des pensionnats ou arrêtés à l'occasion de la rafle des années 1960, et arrachés à leur famille.

Ceux qui ont survécu peuvent se prévaloir du système d'aide sociale des enfants, financé par le gouvernement fédéral. Cependant, ce système est pervers, car il favorise l'enlèvement des enfants à leurs familles plutôt que leur maintien au foyer. C'est ainsi qu'on se retrouve avec tout un segment de la société qui a cette réalité pour passé.

Comment aider la personne qui a été victime de violence étant enfant dans un pensionnat, et qui, durant toute sa vie d'adulte, a été marginalisée et violentée, détestée par un grand nombre de groupes et privée de tout débouché économique uniquement parce qu'elle est autochtone? Elle vit dans la pauvreté et occupe un logement de mauvaise qualité. À la fin, quand elle a des démêlés avec la justice, tout lui est resservi et on affirme qu'elle est une candidate à la prison, parce qu'il n'y a aucun espoir qu'elle s'en sorte.

Il y a vraiment quelque chose qui ne fonctionne pas. J'estime qu'il faut changer le scénario. Nous devons commencer à nous attaquer à certains de ces problèmes, sans tarder, pour corriger les comportements rencontrés.

Les acteurs du monde carcéral, les juges, les commissaires aux libérations conditionnelles et d'autres doivent reconnaître qu'il convient de faire quelque chose. Il va falloir faire preuve de plus d'innovation, surtout dans le cas des femmes autochtones qui ont des démêlés avec la justice afin de s'assurer qu'à un moment dans leur vie, elles soient traitées avec dignité.

Constatant que des personnes n'ont jamais vécu dans la dignité de toute leur vie, qu'elles font partie des plus marginalisées qui soient et qu'un nombre alarmant de femmes de Premières Nations sont assassinées, les agresseurs éventuels concluent que, s'ils s'en prennent d'abord à des femmes autochtones, ils ne risqueront rien. Eh bien, il y a quelque chose qui est fondamentalement tordu dans tout cela. Notre société doit faire davantage pour aider les femmes des Premières Nations à se sortir de cette logique infernale et pour injecter un peu de sens à leur vie, un peu de sécurité et de confort. C'est là tout un défi pour les gouvernements, pour l'industrie et pour la société en général. Nous allons devoir nous attaquer à cette réalisation dans les plus brefs délais.

La sénatrice Pate : J'ai une question supplémentaire et vous me voyez contrite de ne pas y avoir pensé plus tôt. Si j'en juge d'après votre réaction, cela semble évident dans le cas des recommandations en matière de justice formulées par la Commission de vérité et réconciliation, surtout la recommandation no 30, qui appelle à la diminution du nombre de personnes emprisonnées. Votre organisation a-t-elle été consultée par le gouvernement sur la façon d'appliquer les recommandations qui traitent tout particulièrement de l'emprisonnement et de l'incarcération excessive des Autochtones?

M. Wuttke : Nous entamons tout juste ce travail. Le gouvernement fédéral nous a indiqué qu'il serait très intéressé à mettre en œuvre les recommandations touchant aux sphères de compétence du gouvernement fédéral. Ce sont là quelques- unes des recommandations sur lesquelles nous allons travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral.

Nous n'avons pas encore entamé ce dossier. Nous commençons tout juste à rédiger des plans d'activité conjoints en vue de lancer ou de poursuivre ce type d'activité. Je pense qu'il faudra attendre une année ou deux avant de parvenir à des résultats, mais nous y travaillons très fort.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Wuttke, de vous être déplacé pour nous rencontrer. Vous avez beaucoup apporté à nos travaux et nous l'apprécions énormément.

(La séance est levée.)

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