Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 19 - Témoignages du 14 juin 2017
OTTAWA, le mercredi 14 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 28, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.
La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonjour, sénatrices. Avant de commencer, je demanderais aux sénatrices de se présenter. Nous commencerons à ma droite.
La sénatrice Andreychuk : Sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan.
La sénatrice Bovey : Sénatrice Bovey, du Manitoba.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
La vice-présidente : Je suis la sénatrice Salma Ataullahjan, de l'Ontario.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur les droits de la personne des prisonniers dans le système fédéral. Nous recevons Marie-Claude Landry, présidente, Fiona Keith, avocate de la Division des services juridiques, Tabatha Tranquilla, conseillère principale en politiques, et Marcella Daye, conseillère principale en politiques, de la Commission canadienne des droits de la personne. Vous avez la parole. Les sénatrices vous poseront ensuite des questions.
Marie-Claude Landry, présidente, Commission canadienne des droits de la personne : Merci beaucoup. Bonjour et merci d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à prendre part à votre étude sur les droits de la personne des prisonniers. Permettez-moi de vous présenter de nouveau mes collègues : Fiona Keith, avocate principale, ainsi que Tabatha Tranquilla et Marcella Daye, toutes deux conseillères principales en politiques relativement aux questions de droits de la personne.
Je voudrais commencer mon exposé par une citation de Nelson Mandela qui est devenue profondément importante pour moi à titre de défenseure des droits de la personne.
On dit que personne ne connaît vraiment un pays tant qu'on n'en a pas visité les prisons. Un pays ne devrait pas être jugé d'après la manière dont il traite la crème de la société, mais d'après celle dont il traite les plus démunis.
Je connais cette citation depuis longtemps, mais ce n'est que depuis que je travaille avec des prisonniers du Québec que j'en saisis tout le sens. Permettez-moi de m'expliquer.
[Français]
De 2009 à 2015, j'ai siégé à titre de première présidente indépendante des audiences disciplinaires tenues dans les établissements correctionnels fédéraux au Québec où je devais statuer sur les accusations portées en établissement contre des détenus.
Cette expérience, jumelée à mon rôle actuel de présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, est à la base de mon témoignage aujourd'hui. Mes expériences sur le terrain complètent ce que la commission constate par l'entremise des plaintes qu'elle reçoit : les groupes vulnérables sont assujettis, et ce, de façon disproportionnelle, à des traitements injustes lors de leur séjour en établissement correctionnel.
[Traduction]
Le message de la commission aujourd'hui est simple : le Canada n'en fait pas assez pour assurer le respect des droits de la personne fondamentaux des contrevenants qu'il cherche à réhabiliter. Nous n'en faisons pas assez ne serait-ce que pour honorer nos obligations nationales et internationales au chapitre des droits de la personne; il va sans dire que nous ne les surpassons pas.
Nous le constatons dans les plaintes que nous recevons, dans la surreprésentation des groupes vulnérables dans nos prisons et dans le cadre de notre travail avec Service correctionnel Canada.
Pour être et faire mieux, nous devons absolument admettre l'existence du cercle vicieux de négligence et de maltraitance qui sévit à l'extérieur et à l'intérieur de nos prisons, comprendre le problème et le résoudre.
Comme vous l'avez certainement entendu de la part d'autres experts, les conditions qui existent à l'extérieur des prisons, au sein de la société en général, continuent d'avoir de graves effets entre les murs des prisons. Nous parlons ici de racisme, de discrimination et de partis pris systémiques, de maltraitance historique, de pauvreté profonde et d'insécurité alimentaire, d'accès insuffisant aux soins de santé et de soutien inadéquat sur le plan des services de soins de santé mentale.
Nos prisons prouvent que nous en faisons trop peu pour les groupes vulnérables qui sont les plus touchés par notre incapacité collective à résoudre ces problèmes.
Les groupes vulnérables que sont les Autochtones, les personnes noires et les gens atteints de graves problèmes de santé mentale constituent la grande majorité non seulement de ceux qui se retrouvent en prison, mais aussi de ceux qui sont victimes de mauvais traitement et de discrimination supplémentaires une fois incarcérés.
Permettez-moi de vous énumérer les facteurs qui sont trop souvent source de discrimination au sein des prisons : une culture organisationnelle où l'on considère le soutien et les services offerts aux prisonniers comme des privilèges plutôt que comme des droits; un manque de formation et de ressources, qui fait en sorte qu'un grand nombre de groupes vulnérables sont à la merci de l'expérience et de la discrétion de chacun; et des installations ou des politiques inadéquates qui ne tiennent pas compte des besoins des prisonniers, que cela concerne un handicap, le sexe, la religion ou autre chose.
La prison où les gens sont incarcérés, l'identité de la personne qui les supervise quotidiennement et leur degré de vulnérabilité sont autant de facteurs qui jouent un rôle dans la manière dont ils vivront leur incarcération et, dans certains cas, y survivront.
Pourquoi cela est-il important? Parce qu'une fois en prison, les prisonniers côtoient quotidiennement les gardes, dont la plupart ne possèdent pas la formation nécessaire pour composer avec les problèmes complexes. Quand ils sont dépourvus, les gens recourent à des palliatifs comme l'isolement.
La gestion expéditive du problème ou du comportement prime alors sur les droits de la personne, et les prisonniers sont ainsi privés de services et de soutien médicaux appropriés, de leur dignité et de leurs droits de la personne.
[Français]
Prenons, par exemple, les femmes autochtones qui se retrouvent en établissement carcéral. Elles ont souvent été victimes d'une combinaison toxique de racisme, de violence, d'agressions sexuelles et d'autres formes d'abus. De plus, leur lourd passé fait en sorte qu'elles souffrent souvent physiquement ainsi que psychologiquement — une souffrance qui contribue fréquemment aux motifs de leur incarcération.
Or, une fois incarcérées et en manque de support, elles vivent des difficultés reliées à leur passé qui se manifestent souvent par des comportements difficiles. En réponse à ces comportements, les services correctionnels n'ont recours à rien de mieux que l'isolement, alors que de nombreuses études ont confirmé son effet dévastateur. Ainsi, ces femmes autochtones, dont plusieurs d'entre elles sont victimes d'abus et souffrent maintenant de dépression, de choc post- traumatique, et cetera, se retrouvent isolées et privées de tout contact humain, ce qui perpétue un cycle destructeur que le service correctionnel semble incapable d'arrêter, et même peu disposé à le faire. Il s'agit d'un cycle qui prend souvent fin tragiquement et qui mène parfois à des conséquences fatales.
Permettez-moi d'être très claire : le problème ici n'est pas la loi, dont les objectifs sont la sécurité publique et la réhabilitation. Le problème est l'application. Lorsque la loi est appliquée sans nuance, aveuglément et sans distinction, les conditions sont réunies pour créer l'injustice. Si nous sommes en quête d'une justice pour tous, et non seulement pour certains, nous devons nous poser des questions quant à l'utilisation de l'isolement dans toutes ses formes, pendant la période d'incarcération de nos populations vulnérables.
[Traduction]
Ce genre de violations des droits de la personne préoccupent la commission au point où nous avons demandé au ministre de la Sécurité publique d'interdire le recours à l'isolement pour les femmes. Un nombre considérable de recherches montrent que cette pratique traumatise de nouveau des femmes qui ont souvent été elles-mêmes victimes de maltraitance. Nous avons également réclamé que le gouvernement interdise l'isolement pour tous les prisonniers souffrant de maladie mentale.
S'il est vrai qu'une peine d'emprisonnement prive un prisonnier de son droit à la liberté, elle ne devrait pas le priver de ses droits de la personne fondamentaux. Ces demandes d'interdiction s'appuient sur l'alinéa 4d) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui stipule ce qui suit :
le délinquant continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée.
Nos prisons constituent des milieux fragiles qui dépendent d'une variété d'actions et d'intentions de la part de toutes les parties concernées pour pouvoir exécuter leur important mandat de sécurité et de réhabilitation.
Maladie mentale, pauvreté, maltraitance, isolement, dépendance, manque de formation, absence de soutien, ressources limitées : rien d'étonnant à ce que nos prisons soient des milieux très instables, prêts à exploser.
Sénatrices, vous avez entendu des statistiques et des mises à jour au sujet des nouvelles politiques, des nouveaux programmes et les pratiques améliorées. Vous avez appris que l'affectation de ressources supplémentaires avait permis d'accomplir des progrès dans les prisons. Même si je peux témoigner des bonnes intentions d'un grand nombre de personnes qui travaillent au sein du système, je peux vous dire, forte de mon expérience, qu'il existe un immense fossé entre ces intentions et les gestes posés pour apporter une réforme.
Pour changer la culture en profondeur, il faut plus qu'un rapport, qu'une directive ou qu'une recommandation supplémentaire dont on peut facilement faire fi. Il faut faire preuve d'un solide leadership.
Le fait d'être un chef de file mondial au chapitre des droits de la personne signifie qu'il faut montrer l'exemple, et ce rôle de chef de file devrait nous inciter à nous poser la question suivante : qu'arrive-t-il quand nous sommes incapables de corriger les problèmes et les lacunes dans les prisons? Que se passe-t-il quand on recourt à l'isolement comme béquille et quand la punition est plus importante que la réhabilitation?
La réponse devrait être évidente : notre pays manque à ses obligations envers ses prisonniers, mais doit aussi faire un constat d'échec, car pour être un pays comme celui que Nelson Mandela évoque, ce pays jugé en fonction de la manière dont il traite les plus démunis, il doit veiller à ce que les droits de la personne soient pleinement intégrés au mandat de sécurité et de réhabilitation du système correctionnel. Après tout, la réhabilitation ne devrait-elle pas mettre fin au cycle de maltraitance au lieu de le perpétuer, voire de l'exacerber?
Je vous remercie sincèrement d'avoir invité la commission à comparaître devant votre important comité. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions sur les droits de la personne dans les prisons du Canada. Si vous avez besoin de renseignements exigeant des recherches supplémentaires, nous serons ravies d'assurer le suivi et de vous fournir l'information ultérieurement.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Est-ce qu'un autre témoin prendra la parole?
Mme Landry : Non, elles m'aideront à répondre à vos questions au meilleur de nos connaissances.
La sénatrice Eaton : Vous avez livré un témoignage très convaincant et terrible. Nous avons entendu un certain nombre de témoins. Est-ce que certains pays disposent de modèles dont nous pourrions nous inspirer pour améliorer la manière dont nous composons avec les problèmes de dépendance et de santé mentale des femmes en prison? Existe-t-il des modèles dans d'autres pays permettant aux gens de recevoir une éducation supplémentaire ou aux gardiens d'obtenir une formation additionnelle pour faire face aux questions de culture, de religion et de race, des modèles que nous pourrions peut-être suivre ou dont nous pourrions nous inspirer?
Mme Landry : Je demanderai à ma collègue, Fiona, de répondre à cette question.
Fiona Keith, avocate, Division des services juridiques, Commission canadienne des droits de la personne : Merci. Nous serions enchantées de réunir certains renseignements dont nous disposons et de vous les communiquer par écrit.
La sénatrice Eaton : Ce serait excellent pour notre étude. Merci, cela nous serait très utile.
Mme Keith : Je peux indiquer, à un haut niveau, qu'un grand nombre de mécanismes communautaires utilisés dans d'autres pays pourraient en fait être largement employés en vertu de la loi actuelle. Je fais ici référence aux articles 29, 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, que je sais que vous connaissez. En vertu de ces articles, les soins de santé mentale, les services correctionnels communautaires ou la mise en liberté dans la communauté pourraient tous être des options possibles. En fait, ces options existent dans une certaine mesure, mais je pense que l'obstacle vient de la limite dans laquelle elles sont offertes afin de prodiguer des traitements contre la toxicomanie au sein de la communauté pendant la période d'incarcération, dans la communauté pendant l'incarcération ou après la libération.
La sénatrice Eaton : Certains pays qui disposent d'un meilleur système pourraient nous apprendre quelque chose. Avez-vous vu quoi que ce soit qui pourrait être utile concernant la formation des gens, des gardiens de prison et des personnes qui travaillent dans les prisons? Il faut que cela aille dans les deux sens, il me semble.
Mme Keith : Je ne connais pas d'exemple explicite. Je peux toutefois vous dire que c'est quelque chose que nous avons à l'œil chez les organisations de sécurité en général. Les plaintes acheminées à la Commission canadienne des droits de la personne nous ont appris que les organismes dotés d'un mandat de sécurité sont aux prises avec un grand nombre d'obstacles culturels similaires, comme le harcèlement. Selon nos observations, qui restent empiriques pour l'instant, il semble qu'il puisse exister une mentalité, une façon d'être ou une culture au sein des organisations ayant un mandat de sécurité. À mesure que nous examinons la question et que nos recherches progressent, nous vous communiquerons les résultats de nos démarches avec plaisir, si cela vous intéresse.
La sénatrice Eaton : Je pense que cela nous intéresse, car c'est essentiel. Peu importe l'excellent travail que nous pouvons faire pour les prisonniers, tant que nous ne commencerons pas à donner de l'éducation et de la formation à ceux qui travaillent dans le domaine, nos efforts seront vains, car nous nous dirons que les Canadiens aiment la diversité et sont tolérants, alors que ce n'est peut-être pas le cas.
La sénatrice Bernard : Merci, sénatrice Eaton, de cette question, à laquelle la mienne fait suite. Je fais partie des professionnels de la région de l'Atlantique auxquels on a demandé d'offrir de la formation sur la diversité et la lutte au racisme au personnel de tous les établissements régionaux de l'Atlantique. Au risque de remettre mon propre professionnalisme en question, je dirais que je considère ces mesures comme très inefficaces.
Si je pense ainsi, c'est parce que ces formations durent habituellement une journée, peut-être une journée et demie, sans qu'aucun suivi ne soit fait par la suite. Habituellement — selon mon expérience, du moins —, les gens viennent suivre la formation, mais bon nombre d'entre eux considéreront cela comme une journée de congé et continueront ensuite de travailler comme d'habitude, particulièrement ceux qui ne jugent pas ces problèmes très importants, ne comprennent pas vraiment l'oppression systémique et choisissent de ne pas mieux la comprendre. On comprend très peu la discrimination et le racisme systémiques, qui ont sur les prisonniers les répercussions que vous avez si bien décrites aujourd'hui dans votre exposé.
Ma question est donc la suivante : pouvons-nous, selon vous, instaurer des mesures pour nous aider à résoudre ces problèmes de manière plus fondamentale pour que le racisme ne soit toléré nulle part, et certainement pas en prison?
Marcella Daye, conseillère principale en politiques, Division des politiques, de la recherche et des affaires internationales, Commission canadienne des droits de la personne : Je vous remercie du travail que vous avez accompli dans la région de l'Atlantique. À mon avis, chaque petit geste compte.
La Commission canadienne des droits de la personne a déjà indiqué, au sujet d'autres questions, que l'approche en matière de droits de la personne ne devrait pas se limiter à la formation, mais devrait s'attaquer vraiment à la nature fondamentale et systémique du problème. Elle doit prévoir l'instauration de mesures pour rendre les gens comptables de leurs actes, et pour obtenir des données de base sur les démarches entreprises et sur les effets des politiques et des programmes afin de les évaluer au fil du temps. Il faut mettre en place des lignes directrices claires sur le plan de la reddition de comptes publics concernant l'amélioration de la situation par rapport aux normes relatives aux droits de la personne au fil du temps.
Le mot « pression » n'est probablement pas tout à fait adéquat, mais ce genre de reddition de comptes transparente peut inciter les organisations à lancer des projets de longue haleine plutôt que d'offrir une simple journée de formation s'ils doivent montrer qu'ils réalisent des progrès avec le temps quant aux normes relatives aux droits de la personne. Nous encouragerions le gouvernement à procéder à un examen systémique approfondi des programmes et à intégrer des mesures de reddition de comptes pour réussir à faire évoluer la culture.
Comme nous l'avons également souligné, la haute direction des organisations doit prendre les choses en main et investir de l'énergie et des ressources pour lancer l'initiative et faire en sorte que les efforts se maintiennent sur plusieurs années et non quelques mois.
La sénatrice Pate : Je voudrais donner suite à une question que la sénatrice Bernard a soulevée, compte tenu du travail que vous avez effectué récemment et que vous faites encore pour donner suite à votre rapport de 2003.
Quand Louise Arbour s'est penchée sur la question de la formation il y a 21 ans, elle avait constaté qu'en fait, l'intransigeance du service correctionnel à l'égard de cette formation était telle qu'elle avait recommandé une surveillance judiciaire. Je regarde Marcella, mais n'importe laquelle d'entre vous peut indiquer si elle considère que cette recommandation est encore pertinente. Mme Harbour avait recommandé de sanctionner les agents correctionnels qui ne respectent pas la loi et d'autoriser les prisonniers à s'adresser aux tribunaux pour faire réévaluer leur peine quand le traitement correctionnel équivalait à une gestion inappropriée de la peine. J'aimerais savoir si vous jugez que ces recommandations, qui concernent l'intransigeance du service correctionnel à l'égard de la formation, même si elle dure plus d'un ou deux jours, sont toujours d'actualité.
Mme Daye : Je commencerai à répondre brièvement, puis je céderai la parole à mes collègues. Nous avons souvent étudié la question de la surveillance et, ici encore, nous nous ferions un plaisir de vous fournir ultérieurement de plus amples renseignements et une recommandation claire par écrit.
Compte tenu des rapports et des recommandations qui ont continuellement été publiés, nous commençons à considérer qu'une surveillance plus constante et plus rigoureuse pourrait être la seule mesure qui pourrait contribuer à améliorer vraiment la situation.
Je laisserai ma collègue expliquer les formes que cette surveillance pourrait adopter.
Tabatha Tranquilla, conseillère principale en politiques, Division des politiques, de la recherche et des affaires internationales, Commission canadienne des droits de la personne : Merci, Marcella. Je voudrais faire écho à ces paroles. Nous ne sommes certainement pas venues avec des recommandations détaillées sur la forme que la surveillance devrait prendre, mais nous nous réjouissons du fait que le gouvernement a enfin exprimé son intention de ratifier le protocole facultatif de la convention sur la torture. Nous sommes enthousiasmées par les possibilités que la mise en œuvre adéquate de ce protocole offre sur le plan de la surveillance.
Chose certaine, la ratification de ce protocole oblige les États parties à concevoir, à instaurer ou à financer un mécanisme préventif national qui permettrait d'assurer la surveillance dont nous discutons d'un point de vue théorique. Nous savons que le gouvernement en est encore aux étapes préliminaires de la ratification, mais ces démarches ont le potentiel de lancer une conversation générale entre toutes les parties à propos des éléments qu'il faut mettre en place pour assurer la surveillance stricte et continue qui, nous l'admettons tous, s'impose.
La sénatrice Eaton : Pensez-vous que nous devrions commencer au tout début? Quel genre de formation sur la sensibilité, le racisme ou la culture les agents de police devraient-ils recevoir? Très souvent, ces agents sont le premier point de contact avant que les contrevenants ne soient incarcérés. Je sais que la police de Toronto a connu un grand nombre d'incidents de nature raciale ou impliquant des personnes atteintes de maladie mentale, comme lorsque Sammy Yatim a été abattu, par exemple. Il semble exister un manque d'éducation, pour dire les choses poliment. Les gardiens de prison pourraient-ils tirer des leçons des mésaventures de la police? Se peut-il que les agents de police ne suivent pas encore de formation assez solide pour gérer les problèmes de santé mentale, de dépendance et de racisme?
Mme Keith : Les corps de police relèvent largement des provinces, mais parmi les plaintes que nous recevons, certaines concernent ceux qui sont régis par le gouvernement fédéral, notamment la GRC. Sachez en passant que le profilage racial constitue encore un problème au sein des forces de police. J'ignore si cela fournirait un solide...
La sénatrice Eaton : Qu'en est-il de la dépendance et de la santé mentale?
Mme Keith : À ce chapitre, il faudrait que les ressources communautaires soient accessibles le plus rapidement possible et en permanence pour...
La sénatrice Eaton : La police reçoit-elle de la formation à ce sujet?
Mme Keith : Je l'ignore. Je dirais que, comme vous le laissez entendre, tout commence avant la formation, dès l'embauche. Les personnes qu'on embauche au sein d'une organisation de sécurité sont très différentes que celles qu'on engage dans une organisation qui met l'accent sur la réhabilitation et la réintégration. Nous avons observé une évolution du profil et de la signification du rôle de l'agent correctionnel. Voilà pour le premier point.
L'autre dimension pertinente sur le plan de l'embauche est l'équité en matière d'emploi. La loi fédérale, intitulée Loi sur l'équité en matière d'emploi, contient des cibles fondées sur la représentation démographique au sein de la population en général. Or, comme vous le savez et l'avez entendu au cours des derniers mois, le profil démographique de la population carcérale est évidemment fort différent.
Nous considérons que ce facteur doit être pris en compte dans les objectifs d'embauche de Service correctionnel Canada. C'est une manière, autre que la formation, d'assurer un degré de sensibilité afin de tenir compte des besoins spéciaux de populations particulières.
La sénatrice Andreychuk : J'ai écouté vos témoignages et lu vos observations. Vous semblez avoir préparé un mémoire contenant bien des faits et des renseignements que nous devons connaître. Comment avez-vous compilé ces informations? Sont-elles tirées des plaintes individuelles que vous recevez ou d'une étude donnée? Si je m'intéresse à la question, c'est parce que lorsque la commission a été mise sur pied initialement, elle était censée être une organisation influente, fournissant de l'information et de l'éducation à la population et agissant à titre de voix à laquelle le gouvernement devrait répondre. Comment colligez-vous les renseignements qui vous ont servi à préparer votre exposé? Viennent-ils des plaintes? Les avez-vous recueillis au cours de travaux que vous effectuez pour préparer vos rapports annuels? S'appuient-ils sur une étude et une découverte particulière?
[Français]
Mme Landry : L'information que j'ai donnée dans mes remarques d'ouverture est basée sur différentes choses : premièrement, sur mon bagage personnel à titre de présidente indépendante de tribunaux disciplinaires pendant plusieurs années; d'autre part, sur le travail en matière de politiques et sur les recherches que nous faisons à la commission et, également, sur les types de plaintes que nous recevons à la Commission canadienne des droits de la personne. C'est cet ensemble qui m'a permis de faire ces affirmations dans mes remarques d'ouverture.
[Traduction]
La sénatrice Andreychuk : Vous faites certaines de vos déclarations depuis longtemps et les appuyez sur des faits que vous connaissez. Comment communiquez-vous ces renseignements au gouvernement, et que vous répond-il? La situation n'a pas beaucoup évolué et s'est peut-être même aggravée. Quels échanges avez-vous avec le gouvernement? De quels moyens de pression et de quelle influence disposez-vous pour obliger le gouvernement à vous répondre?
[Français]
Mme Landry : C'est une excellente question, et je vous en remercie. Un des rôles de la Commission canadienne des droits de la personne, vous l'avez souligné, est de donner une voix à ceux qui n'en ont pas. Depuis ma nomination à titre de présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, c'est très clair pour moi, et c'est ce que je me suis affairée à faire : dénoncer les situations qui devaient être dénoncées, donner une voix à certains groupes lorsque je croyais qu'ils en avaient besoin de la part de la Commission canadienne des droits de la personne, toujours dans l'intérêt public et dans le respect de notre mandat.
Nous avons différents outils. Évidemment, il y a toujours la partie des plaintes qui peut nous servir à faire avancer l'état du droit et à jouer un rôle d'influence auprès des différentes autorités du service correctionnel et du gouvernement. De plus, il y a tout notre travail de collaboration avec nos différents partenaires, les intervenants, le ministère et les services correctionnels qui nous permettent aussi de dénoncer et de mettre en lumière les situations et de les traiter. C'est le travail que fait la Commission canadienne des droits de la personne.
Maintenant, je pense que Mme Daye pourrait vous indiquer d'autres éléments qui auraient pu m'échapper.
[Traduction]
Mme Daye : Oui, merci.
Pour ce qui est des éléments que vous avez évoqués, nous pouvons exercer notre influence en faisant appel à des organes de surveillance de certains traités internationaux relatifs au traitement des prisonniers, traités auxquels le Canada est, vous le savez, assujetti. Ma collègue, Tabatha Tranquilla, pourrait vous fournir davantage de détails à ce sujet. Cela soumet le gouvernement du Canada à des pressions internationales qui l'incitent à répondre à nos recommandations.
En outre, dans le cadre de nos relations de travail, nous avons eu récemment une interaction plus favorable à propos des politiques; je pense donc que Service correctionnel Canada est disposé à discuter de la modification de ses politiques, laquelle ne constitue qu'un petit élément d'un changement de culture. Nous pouvons exercer de l'influence par l'entremise de ces relations de travail quand Service correctionnel Canada mène des consultations pour mettre ses politiques à jour, et c'est sans compter les échanges de haut niveau qui ont lieu dans le bureau de la présidente.
La sénatrice McPhedran : Merci de témoigner. J'ai plusieurs questions, qui concernent de façon générale l'accès des prisonniers à la commission.
La première concerne un rapport que la commission a publié en 2003 sous le titre Protégeons leurs droits : Examen systémique des droits de la personne dans les services correctionnels destinés aux femmes purgeant une peine de ressort fédéral. Je voulais vous demander de faire brièvement le point sur les 14 dernières années. Comment résumeriez-vous et évalueriez-vous la mise en œuvre des recommandations que vous avez formulées directement au sujet de Service correctionnel Canada?
Ma deuxième question porte sur l'alinéa 4g) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et concerne aussi Service correctionnel Canada. Comme vous le savez, cet alinéa stipule que les directives d'orientation générale, programmes et pratiques respectent — on a là un énoncé très positif — les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu'entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux Autochtones, aux personnes nécessitant des soins de santé mentale et à d'autres groupes. Comment évalueriez-vous la mise en œuvre de cet énoncé fort positif tiré de l'article 4?
La troisième question a une portée plus générale. Je ferai ici une parenthèse pour indiquer qu'au cours de mon très bref mandat au sein du Tribunal canadien des droits de la personne, le manque de soutien et la difficulté d'accès qu'éprouvaient des gens dont on ne pouvait attendre qu'ils possèdent une compréhension poussée de la Loi canadienne sur les droits de la personne, des processus et des multiples obstacles figuraient parmi les choses que j'ai trouvées les plus troublantes et qui ont, en fait, contribué à ma démission. Je n'ai pas besoin d'entrer dans les détails, car je sais que vous êtes bien au fait de la situation.
Je voulais vous demander si vous avez mis en place relativement récemment, disons au cours des 10 dernières années, un protocole, un financement supplémentaire, des ressources additionnelles ou une mesure quelconque visant à réagir à la réalité concrète des obstacles auxquels se heurtent les prisonniers qui tentent de présenter une plainte ou même de communiquer initialement avec la commission. Nous avons visité récemment un certain nombre d'établissements carcéraux, et il nous est apparu évident que les obstacles commencent littéralement derrière les barreaux et se multiplient par la suite. Pouvez-vous nous fournir des exemples précis de stratégies, de démarches de sensibilisation ou de ressources que vous avez mises en œuvre pour tenter de permettre aux prisonniers d'avoir vraiment l'occasion d'accéder à la commission?
Je vous remercie de la patience dont vous avez fait montre alors que je vous posais mes trois questions.
Mme Keith : En ce qui concerne le rapport intitulé Protégeons leurs droits publié en 2003, nous avons gardé la situation à l'œil pendant un certain nombre d'années. Service correctionnel Canada a présenté quelques plans d'action et nous avons assuré le suivi à ce sujet. Un grand nombre de recommandations de la commission s'apparentent fort à celles que la juge Arbour avait formulées à l'époque et à celles que d'autres intervenants, comme le Bureau de l'enquêteur correctionnel, ont présentées par la suite.
Je crois qu'en grande partie, les recommandations n'ont pas été complètement mises en œuvre, ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas eu d'actions positives, surtout dans certains domaines, mais dans l'ensemble, lorsqu'il s'agit d'enjeux aussi systémiques et systématiques que la classification de sécurité, un point dont nous avons parlé dans notre rapport de 2003, je peux vous dire que ce système n'a pas du tout — ou pratiquement pas — changé, et nous savons que les répercussions négatives sur les femmes autochtones sont encore plus importantes que les répercussions sur l'ensemble des femmes.
Nous avons récemment examiné — je ne veux pas dire tous les rapports, car un très grand nombre de rapports ont été publiés —, mais nous avons certainement examiné la plus grande partie des rapports sur le SCC depuis la décision rendue par la juge Arbour. Nous avons compilé les recommandations, nous les avons comparées et ensuite évaluées pour déterminer si elles avaient été mises en œuvre. Nous pouvons vous communiquer ces résultats si cela vous intéresse et s'ils peuvent vous être utiles.
La sénatrice McPhedran : Oui, s'il vous plaît.
Mme Keith : Je vous remercie de votre question sur l'alinéa 4g) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. L'une des caractéristiques uniques de cette loi, c'est qu'elle reflète et met en application les obligations liées aux droits de la personne. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il s'agit d'une loi sur les droits de la personne, mais ces valeurs, ces obligations, ces responsabilités et même ces normes sont mises en œuvre dans le cadre de cette loi, et l'alinéa 4g) représente probablement le plus haut niveau à cet égard.
En ce qui concerne l'évaluation de la mise en œuvre, à ma connaissance, aucune évaluation officielle n'a été menée à l'égard de l'alinéa 4g), que ce soit par la Commission canadienne des droits de la personne ou par un autre organisme. La portée de l'alinéa 4g) est potentiellement vaste, car on a conçu ce principe pour qu'il s'applique à toutes les activités du SCC et à tous les éléments de la LSCMLC.
Des contestations judiciaires sont en cours. L'une d'entre elles se trouve actuellement devant la Cour suprême du Canada et sera entendue en novembre prochain. Elle concerne l'application de l'alinéa 4g) et les détails de l'obligation positive du SCC de tenir compte des besoins spéciaux que vous avez décrits. Je crois que la décision rendue par le tribunal nous aidera tous à mieux comprendre ce que signifie l'obligation positive du SCC et ce qu'elle prévoit.
Enfin, vous avez posé une question sur les mesures spéciales ou les protocoles mis en œuvre par la Commission canadienne des droits de la personne pour répondre aux besoins des détenus. Toutefois, je dois d'abord expliquer une dynamique particulière à la procédure à suivre pour déposer une plainte.
Lorsqu'une plainte est déposée, que ce soit par un détenu ou un autre citoyen canadien, cette plainte lui appartient, et cela signifie que dans le contexte des discussions liées au règlement de cette plainte, si le plaignant ou la plaignante décide d'accepter le règlement de sa plainte, la commission n'a pas le pouvoir d'empêcher ce règlement. Ce point est particulièrement important dans le contexte des plaintes déposées par des détenus, car nous savons qu'au cours des 10 dernières années, plus de 80 p. 100 des plaintes déposées par des détenus et entendues par le Tribunal canadien des droits de la personne ont été réglées. Cela signifie donc qu'un grand nombre de questions importantes et systémiques n'ont pas été entendues de façon approfondie par le tribunal. Nous n'avons pas d'ordonnances exécutoires.
Il y a toutefois des points positifs. Par exemple, j'ai participé à un grand nombre de règlements qui fournissent des services correctionnels nécessaires aux détenus. On peut imaginer et comprendre à quel point il est important pour une personne vulnérable d'obtenir un règlement qui lui procure au moins, à court terme, des services de santé mentale ou un transfert dans un établissement situé plus près de sa famille ou d'autres éléments auxquels elle n'avait pas accès avant de déposer sa plainte relative aux droits de la personne.
Le Tribunal canadien des droits de la personne traite actuellement, au nom de certains détenus, plusieurs plaintes que je qualifierais de systémiques. Il s'agit de plaintes de nature générale et systémique fondées sur de nombreux motifs énoncés dans la loi et sur de nombreuses pratiques interdites. Ces plaintes sont importantes, non seulement parce que la commission participe pleinement à leur cheminement devant le tribunal, mais aussi parce qu'elles ont été déposées par des organismes au nom de détenus. Puisque ces organismes ne laisseront pas tomber ces personnes, si je peux utiliser cette expression, nous espérons que les plaintes ne feront pas l'objet d'un règlement à moins que ce règlement prévoie des recours complets, adéquats et systémiques, et si ce n'est pas possible, que les plaintes soient portées en justice et qu'elles donnent lieu à des ordonnances qui peuvent être exécutées si elles sont justifiées. J'espère que cela répond à votre question.
Une plus petite partie — mais elle est très importante — de votre question concerne les protocoles. Comme vous le savez, l'une des fonctions de la commission est de recevoir des plaintes. Les appels sont acheminés à Service Canada. Cela peut représenter un obstacle pour les détenus, car ils doivent se débrouiller dans ce labyrinthe. Dans la mesure du possible, nous tentons de veiller à ce que les détenus aient directement accès à notre organisme en téléphonant directement à nos agents de réception des plaintes. C'est l'une des choses que nous faisons. Nous pouvons également recevoir des plaintes sous plusieurs formes. Nous tentons, dans la mesure du possible, d'exercer cette discrétion en acceptant, par exemple, des plaintes écrites à la main par des détenus.
La sénatrice McPhedran : Je vous suis reconnaissante d'avoir décrit une modification que vous avez apportée à votre processus de réception pour vous permettre de répondre directement aux appels. Comment veillez-vous à informer les détenus de cette option?
Mme Keith : Nous comptons grandement sur des organismes comme la Société Elizabeth Fry. Cette association fait parvenir aux détenus un guide qui contient les coordonnées de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans le cadre du rapport de 2003, nous avons visité plusieurs prisons et nous avons mené de vastes entrevues auprès des prisonniers. Nous pouvons probablement tenter d'améliorer nos stratégies de communication dans ce domaine.
Le financement est toujours un problème, comme vous pouvez l'imaginer. Malheureusement, les détenus, même s'ils forment un groupe très vulnérable, ne forment pas le seul groupe de personnes vulnérables au Canada. Ils ne forment pas le seul groupe qui doit franchir des obstacles pour avoir accès à nos services, mais nous participons actuellement à une initiative de rationalisation. Cette initiative vise à réduire les obstacles et à accélérer nos processus, et nous évaluons continuellement la situation. Nous espérons et nous croyons que cela permettra d'améliorer l'accès pour les groupes vulnérables.
[Français]
Mme Landry : Quand j'ai été nommée à la Commission canadienne des droits de la personne, je ne pouvais pas faire abstraction des presque six années que j'ai passées à visiter sur une base régulière les centres de détention fédéraux au Québec. Étant présidente du tribunal disciplinaire, j'y suis allée presque toutes les semaines, parfois deux fois par semaine, pour entendre les plaintes des détenus sur la conduite.
Je suis arrivée à la commission avec une connaissance de situations de vulnérabilité extrême, où j'ai vu ce que j'appelle parfois des drames humains, des situations de détresse. Dès mon arrivée à la commission, je peux vous assurer que cela a été un de mes dossiers prioritaires. Bien qu'il y ait plusieurs groupes vulnérables, le sort et la situation de la clientèle vulnérable dans les établissements fédéraux m'étaient d'une grande importance. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai travaillé fort avec mes collègues pour communiquer avec les différents groupes et intervenants qui travaillent avec les détenus afin de m'assurer que le message soit clair.
La commission subit une transformation, comme Mme Keith l'a mentionné, quant au processus de plainte. Pour moi, la priorité était de simplifier les plaintes et de déterminer les dossiers auxquels nous devions accorder la priorité. Tous les dossiers sont importants, mais ils n'ont pas nécessairement tous la même urgence. Voilà ce que nous sommes en train de faire.
Nous travaillons étroitement avec les départements politique, légal, de communication, de recherche et de plaintes. Tous les outils nécessaires seront mis en place pour faciliter l'accès à tous les groupes vulnérables, y compris la communauté des détenus, à la Commission canadienne des droits de la personne. Il est grand temps de remettre le mot « human » dans « human rights ». Il faut adapter nos services aux besoins de notre clientèle. C'est tout à fait la philosophie de la Commission canadienne des droits de la personne, et nous y travaillons d'arrache-pied.
L'une des difficultés importantes auxquelles nous faisons face est la pression. Il y a eu une augmentation importante des plaintes au cours de la dernière année et demie, non seulement au niveau de la communauté des détenus, mais à tous les niveaux. Or, les ressources, qu'elles soient humaines ou financières, sont les mêmes à la Commission canadienne des droits de la personne depuis 15 ans. Cela crée une situation extrêmement difficile pour la commission. Nous avons nos devoirs à faire, nous les faisons, mais il nous faudra, à un moment donné, recevoir une réponse positive à nos demandes. On veut bien offrir des services, mais il faut avoir les ressources pour le faire.
[Traduction]
La sénatrice Pate : À la suite de votre témoignage d'aujourd'hui, pouvez-vous nous fournir des renseignements sur les 80 p. 100 de plaintes qui font l'objet d'un règlement? Car si elles sont réglées, il est probable que les violations relatives aux droits de la personne ont été bien reconnues par tous les intervenants. Pourtant, ces plaintes font habituellement l'objet de dispositions de non-divulgation. Je ne vous demande pas de me fournir des noms. Toutefois, il nous serait extrêmement utile de connaître les types de violations des droits de la personne qui ont été réglés par les services correctionnels, ainsi que les types de violations en suspens et la nature de ces violations des droits de la personne, afin que nous puissions nous faire une idée de l'ampleur du problème relatif aux droits de la personne. Autrement, ces renseignements ne sont jamais diffusés.
Mme Landry : J'aimerais demander à Fiona, ma collègue, de répondre à votre question. Je peux dire qu'environ 82 p. 100 des plaintes ont été réglées de façon confidentielle.
La sénatrice Bernard : Et j'aime la question posée par la sénatrice McPhedran. J'aimerais d'ailleurs faire un suivi à cet égard. Je trouve que votre réponse sur les plaintes systémiques qui se trouvent actuellement devant la commission est encourageante. Êtes-vous en mesure de nous fournir des renseignements supplémentaires relativement à ces plaintes, surtout en ce qui concerne les enjeux qu'elles ciblent?
Je suis surtout préoccupée par les plaintes fondées sur la race, car je sais, en raison de mes travaux dans ce domaine, que très peu de plaintes fondées sur la race sont traitées. Je sais que vous avez mentionné que des organismes présentaient certaines de ces plaintes au nom des détenus. Vous avez mentionné la Société Elizabeth Fry. J'aimerais savoir, étant donné la surreprésentation des Noirs dans les prisons, et aussi en raison du fait qu'il n'existe aucun organisme national qui réponde aux besoins de la communauté noire, si certaines de ces plaintes visent des enjeux liés à la race.
J'aimerais connaître la gamme des enjeux visés par ces plaintes systémiques, car je crois qu'ils sont très importants. Cela m'encourage d'en entendre parler. J'aimerais simplement obtenir un peu plus d'information.
Mme Tranquilla : Absolument. Je répondrai en premier, et je donnerai ensuite la parole à ma collègue. Je peux vous fournir certaines données générales tirées de renseignements que nous avons été en mesure de recueillir en vue de notre comparution devant votre comité aujourd'hui. Au cours des cinq dernières années, nous avons accepté 203 plaintes formulées par des prisonniers contre les services correctionnels. Environ la moitié de ces plaintes contenait des allégations de discrimination fondée sur la religion; c'était donc l'un des motifs invoqués dans environ la moitié des cas. Environ le tiers des plaintes concernait la discrimination fondée sur une déficience. Environ 15 p. 100 de ces plaintes contenaient des allégations de discrimination de nature systémique fondée sur une politique ou une pratique. Nous avons renvoyé 39 de ces plaintes au tribunal. Les autres ont été rejetées, renvoyées à un processus interne de règlement des griefs ou réglées. La grande majorité des plaintes ont fait l'objet d'un règlement. Nous pouvons vous fournir des détails supplémentaires sur les éléments que nous examinons dans ces plaintes.
En ce qui concerne votre question sur les plaintes fondées sur la race, notre capacité d'extraire des renseignements de nos systèmes d'information est limitée. En effet, nous pouvons seulement recueillir des renseignements qui sont pertinents pour la plainte, car il y a des préoccupations liées à la protection de la vie privée. Nous pouvons déterminer les renseignements que nous pouvons vous fournir et vous revenir avec quelques données précises sur les plaintes fondées sur la race.
Je peux vous fournir quelques renseignements sur les types de problèmes systémiques qui ont été soulevés dans les plaintes qui ont été renvoyées au tribunal. Environ le tiers des plaintes ont été déposées par des prisonniers souffrant de troubles mentaux ou ont été déposées en leur nom. Environ le quart des plaintes ont été déposées au nom d'Autochtones. Encore une fois, environ le quart des plaintes ont été déposées par des détenus transgenres ou ont été déposées en leur nom. Environ le quart des plaintes contenaient des allégations de harcèlement pratiqué par les agents correctionnels contre des prisonniers, et environ le quart contenait des allégations de discrimination et de recours à l'isolement.
C'est le contexte général de nos observations, mais nous serions heureuses de revenir pour vous fournir davantage de renseignements à cet égard.
Mme Daye : Pour faire suite à certains points déjà soulevés, nous comptons souvent sur des organismes qui travaillent plus directement et régulièrement avec les prisonniers pour aider ces derniers à présenter leurs plaintes à la commission. Honnêtement, nous leur sommes très reconnaissants des travaux qu'ils accomplissent. Nous ne sommes pas les seuls intervenants dans ce domaine, et nous devons pouvoir compter sur l'aide d'un groupe d'organismes.
Lorsque nous recevons une plainte, au fil des années, nous pouvons constater qu'une série de plaintes visent les mêmes problèmes. Nous pouvons commencer à nous faire une idée des problèmes systémiques soulevés dans les plaintes que nous recevons. Par exemple, au fil des années, nous avons observé des plaintes liées aux personnes transgenres. Nous avons reçu plusieurs plaintes à cet égard. Elles ont presque toutes fait l'objet d'un règlement.
Les organismes qui travaillent directement avec ces détenus ont également commencé à observer certaines tendances, et cela a poussé l'organisme West Coast - Prisoners' Legal Services à présenter une plainte systémique. Dans le cadre de ces plaintes systémiques, l'organisme, et non la personne, est responsable de la plainte et ces problèmes systémiques peuvent être soulevés de façon plus complète. On espère donc que cela permettra de trouver un recours complet et systémique.
C'est également dans le cadre de ces plaintes systémiques que la commission est plus susceptible de participer à une représentation devant un tribunal, car ces plaintes systémiques sont probablement plus susceptibles de se retrouver devant un tribunal. Comme nous le disions, lorsqu'une personne souhaite déposer une plainte, elle tente réellement, souvent de façon désespérée, de résoudre ses circonstances personnelles. Une fois ses circonstances résolues, la responsabilité de continuer de faire progresser la plainte représente souvent un fardeau qu'il n'est pas nécessaire pour ces personnes d'assumer, et c'est pourquoi elles fermeront le dossier de leur plainte.
Dans le cadre d'une plainte systémique, c'est-à-dire une série de plaintes présentées au fil des années regroupées dans le cadre d'une plainte systémique formulée par un organisme, la commission a une plus grande capacité d'attirer l'attention du tribunal sur ces enjeux systémiques et de faire valoir la surveillance et les recours qui peuvent ensuite être mis en œuvre.
Je présume qu'on a probablement observé une tendance similaire relativement à d'autres enjeux, par exemple la santé mentale et l'isolement. C'est grâce à ce regroupement d'enjeux qui font l'objet d'un débat public, d'études comme la nôtre, de recommandations formulées au fil des années et de plaintes individuelles qu'on parvient à provoquer un changement systémique. Nous assistons actuellement à l'émergence de ce phénomène.
Mme Keith : Vous souhaitiez connaître les plaintes systémiques qui se trouvent devant le tribunal. En plus de la plainte à laquelle ma collègue a fait référence et qui a été représentée par la West Coast Prison Justice Society au nom des détenus transgenres et des détenus de genre mixte, deux autres plaintes connexes ont été déposées par l'ACSEF il y a quelques années, et il est intéressant de noter que ces plaintes concernent essentiellement des allégations de discrimination qui ont fait l'objet d'un examen dans le rapport de 2003. Cela revient donc à la question de savoir si les recommandations formulées par la commission en 2003 ont été mises en œuvre par le SCC. Ces deux plaintes déposées par l'ACSEF découlent de la préoccupation selon laquelle ces recommandations n'ont pas été mises en œuvre.
Il s'agit de plaintes de nature extrêmement générale déposées au nom de femmes purgeant une peine de ressort fédéral, surtout des femmes autochtones et des femmes qui souffrent de troubles mentaux. Elles contiennent des allégations de discrimination liée au recours à la classification de sécurité, au recours à l'isolement, à l'accès à des services de santé mentale et, enfin, au nom des femmes autochtones, à un accès différentiel ou à un manque d'accès à des pratiques et programmes axés sur la culture et la spiritualité autochtones.
Mme Daye : Il est important de préciser — un grand nombre d'entre vous le savent probablement déjà — que la commission peut accepter une plainte unique fondée sur de nombreux motifs. Cela donne à la commission la capacité d'examiner les répercussions intersectionnelles sur les individus et d'en tenir compte. Donc, même si une plainte peut être déposée pour des motifs de déficience, de santé mentale et d'identité autochtone, il se peut que la combinaison de tous ces éléments ait entraîné le mauvais traitement. La loi nous permet de tenir compte de l'impact d'une combinaison de motifs énumérés dans son contenu.
La sénatrice Hartling : Je vous remercie beaucoup d'être ici aujourd'hui. Je vous suis reconnaissante de tous les renseignements que vous nous avez fournis. Madame Landry, j'ai aimé votre citation. J'aimerais la relire, car elle est très importante.
On ne connaît jamais un pays si on ne connaît pas d'abord ses prisons. On ne devrait pas juger une nation sur la façon dont elle traite ses citoyens les plus riches, mais sur son attitude vis-à-vis de ses citoyens les plus pauvres.
Cela m'a touchée, ainsi que tout ce que vous avez dit, car récemment, nous avons passé quatre jours dans des prisons, et je crois que tous les citoyens canadiens devraient avoir l'occasion d'avoir un aperçu de ce qui se passe dans les prisons pour réellement comprendre les problèmes auxquels ces gens font face.
Il m'a fallu trois ou quatre jours pour m'en remettre. Lire au sujet d'une situation n'est pas du tout la même chose que de l'observer. Parler aux gens et entendre leurs paroles ne produit pas le même effet que lire à leur sujet.
L'une des choses que j'ai retenues — et nous avons parlé des enjeux liés à la race et à la religion —, c'est qu'un nombre renversant de détenus souffrent de troubles de santé mentale. Y a-t-il eu des changements à cet égard — pour le meilleur ou pour le pire? Que pouvons-nous faire? J'espère que notre comité se fera le champion des droits de la personne dans les prisons, mais j'ai été estomaquée de voir le nombre de détenus qui souffrent de troubles de santé mentale.
Mme Landry : Je vous remercie de vos commentaires. Je peux simplement vous raconter une expérience que j'ai vécue pour vous donner un exemple du genre de problèmes qui surviennent lorsque nous observons ce qui se passe dans les pénitenciers.
Alors que j'étais dans un établissement carcéral québécois pour assister à une audience, un détenu a été amené devant moi pour avoir refusé d'obéir à l'ordre officiel de cesser de se frapper la tête contre le mur. À ce moment, je me souviens clairement avoir demandé à l'agent : « Qu'est-ce qui se passe? » Cette personne, ce détenu a davantage besoin d'aide et de services que d'un rapport d'infraction pour avoir frappé sa tête au mur. S'il se cogne la tête, c'est parce qu'il a besoin d'aide, et non pas de se retrouver avec un rapport d'infraction majeur pour lequel il risque l'isolement, une amende ou quelque chose de ce genre.
On comprend mal la situation complexe pouvant découler de problèmes de santé mentale. Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, je crois que ce qui complique les choses, c'est que les employés qui travaillent auprès de ces personnes vulnérables ne sont pas outillés pour composer avec ce genre de situations. Ils ne sont pas formés pour travailler avec ces personnes.
J'ai été témoin d'une situation dramatique semblable dans le cas d'un détenu qui avait été agressé par son père et son oncle lorsqu'il était jeune. Il avait été victime d'abus, et un officier lui a pourtant demandé à un moment donné de se soumettre à une fouille dans une posture inacceptable. Je pourrais vous raconter tellement d'histoires semblables dont j'ai été témoin lorsque j'étais dans des pénitenciers. L'avantage que j'avais probablement à l'époque, c'est que je n'étais plus en visite. Les détenus avaient l'habitude de me voir sur place parce que j'étais dans ces établissements carcéraux presque toutes les semaines, parfois jusqu'à deux fois par semaine. J'ai alors eu le privilège d'être témoin de toutes ces situations.
Tout d'abord, les hautes instances doivent clairement dire que c'est assez, que ce comportement n'est plus acceptable, et que les gens doivent être tenus responsables de leurs gestes à l'intérieur des pénitenciers. C'est important. Il faut également investir des ressources pour former le personnel et s'assurer que les personnes embauchées ne sont pas seulement là à des fins sécuritaires et stratégiques. Elles doivent comprendre que la réadaptation est le volet le plus important de leur mandat, et qu'il leur incombe de ne pas exacerber ou empirer ces situations.
La sénatrice Hartling : Je vous remercie infiniment, car votre expérience vient confirmer ce dont nous parlons, en ce qui a trait au lien entre les personnes. Je pense que certains animaux sont mieux traités que les détenus en milieu carcéral, et c'est inacceptable.
La sénatrice Pate : Par ailleurs, des dispositions de la loi dont vous avez parlé pourraient être appliquées beaucoup plus fermement que ce qu'il est possible de faire aux termes des politiques. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Vous avez mentionné les articles 29, 81 et 84.
Je sais que vous êtes intervenue récemment dans l'enquête sur la mort de Kinew James, une femme autochtone qui avait de graves problèmes de santé mentale et physique. Certains problèmes systémiques ont été relevés par le fait même. J'aimerais vraiment que vous nous en parliez. J'aimerais aussi que vous nous expliquiez certains des défis que vous avez constatés quant à la capacité de soulever ces questions, quant à l'hésitation du système à y remédier, ou quant à l'incapacité de tenir responsables les services correctionnels ou même les autorités policières et les coroners. J'aimerais savoir si vous avez des commentaires à ce sujet. J'aurai peut-être une question complémentaire. Je vous remercie.
Mme Landry : Je vais demander à Fiona de répondre au sujet des articles 29 et 81, mais je veux simplement mentionner que, à mes yeux, les services correctionnels devraient utiliser tous les outils à leur disposition pour répondre aux besoins des personnes qui nécessitent des services et des soins en pénitencier. Si nous voulons remplir le mandat visant à réadapter ces délinquants de façon à ce qu'ils deviennent un jour des citoyens en mesure de contribuer, nous devons utiliser les outils disponibles pour améliorer la situation.
Mme Keith : Il y a beaucoup de responsabilités du côté du SCC et aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Nous avons d'ailleurs mentionné certaines d'entre elles. Le problème, c'est que lorsque nous traitons ces devoirs isolément jusqu'à en oublier que le détenu est une personne et un être humain, nous ne pouvons plus répondre à leurs besoins. Je pense que la mort de Kinew en est un exemple, en plus de mettre en lumière une faille du système d'enquête. Les enquêtes ont été un outil social puissant permettant de mettre au jour des problèmes systémiques et d'entraîner des changements systémiques, mais l'enquête sur la mort de Kinew incarne cette vision segmentée des prisonniers. Elle s'est attardée à la cause immédiate de sa mort, à savoir une crise cardiaque provoquée par une hypoglycémie, à son tour attribuable à un diabète de longue date mal traité. Mais en réalité, son décès a été l'aboutissement d'années de recours systématique à l'isolement, de négligence, de mauvais traitements de la part des gardiens de prison, et de manque d'accès à son fils. Je pourrais continuer longtemps, mais l'ensemble de ces facteurs et conditions ont contribué à sa mauvaise santé. Ils n'ont malheureusement pas été examinés dans le cadre de l'enquête, parce que celle-ci ne portait que sur les « soins médicaux » que la détenue a reçus pour sa santé physique et son diabète, de sorte que nous n'en savons pas vraiment beaucoup sur les facteurs systémiques, interreliés et interactifs qui ont entraîné son déclin et sa mort d'une crise cardiaque à l'âge de 35 ans.
La sénatrice Pate : À propos de ces enjeux, avez-vous documenté ce volet? Je sais que l'information a été consignée par le centre des droits de la personne de l'Université de Toronto, à l'époque où le président actuel de la Commission ontarienne des droits de la personne était le directeur du centre, de même qu'enquêteur correctionnel. Avez-vous documenté une partie de cette expérience tirée de l'enquête, des renseignements que vous pourriez également nous faire parvenir?
Mme Keith : Oui, nous pouvons vous soumettre un synopsis. Comme vous le savez, Kinew était une des femmes qui ont été interrogées par le Bureau de l'enquêteur correctionnel dans le rapport intitulé Une affaire risquée, où elle est citée. Mais nous pouvons vous donner d'autres informations.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie de votre témoignage. Puisque je ne siège habituellement pas au comité, je l'ai trouvé fort intéressant et très préoccupant.
Je songe encore aux problèmes de santé mentale. Je sais que l'article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet le transfert de détenus fédéraux dans les pénitenciers et les hôpitaux provinciaux. Le comité a entendu l'intervenante régionale pour l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry en février dernier, qui a dit que l'article 29 de la loi ne devrait pas être utilisé seulement en situation d'urgence, mais aussi pour les détenus, hommes et femmes, qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. Êtes-vous d'accord? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous dire quels sont les avantages?
[Français]
Mme Landry : Je vais commencer par répondre en fonction de mon expérience. Vous savez, la grande difficulté, c'est que, parfois, les responsables de la sécurité et du bien-être des détenus ont de la difficulté à distinguer les problèmes de santé mentale d'un mauvais comportement. Il n'y a pas si longtemps, j'ai encore une fois entendu dire que le comportement d'un individu, qui pouvait certainement laisser présager des problèmes de santé mentale, était davantage comparé à une mauvaise attitude ou à un mauvais comportement. Il n'est pas surprenant que l'article 29 ne soit pas utilisé plus fréquemment pour permettre aux détenus qui ont des besoins de recevoir les soins appropriés. C'est ce que j'ai constaté sur le terrain.
Je ne sais pas si Fiona ou quelqu'un d'autre aimerait ajouter autre chose?
[Traduction]
Mme Keith : Il peut y avoir un certain nombre d'avantages à faire appel aux établissements mentionnés à l'article 29, ou à ceux qui sont disponibles conformément à cet article. D'abord et avant tout, il faut pouvoir trouver des établissements plus près des femmes, car il y a aujourd'hui un nombre limité de pénitenciers pour femmes au pays. Selon l'endroit où elles sont placées, elles peuvent se retrouver très loin de leur famille et de leurs enfants.
La raison suivante est un peu plus nuancée, et elle se rapporte aux femmes qui souhaitent avoir accès à des services au sein des pénitenciers — par exemple le psychologue de l'établissement. En fait, ce psychologue est un employé du SCC qui fournit prétendument des soins de santé mentale aux femmes. Or, la confidentialité des soins entre le thérapeute et la patiente n'est pas la même en milieu carcéral, alors que la plupart d'entre nous diraient que c'est essentiel à l'efficacité des soins.
Si les femmes ou les détenus peuvent avoir accès à des services au sein de la collectivité, dispensés par une personne qui n'est pas à l'emploi du SCC, la confidentialité des échanges sera forcément meilleure. Nous avons vu des cas où le traitement est beaucoup plus efficace pour cette raison seulement. Je pense ici à une femme qui bénéficie de services de santé mentale dans la collectivité. Elle est incarcérée dans un établissement régional, mais elle reçoit ses soins de santé dans la collectivité. Son état s'est amélioré de façon remarquable depuis qu'elle a commencé à être suivie hors du pénitencier. C'est digne de mention, et le changement a des effets sur tous les aspects de son quotidien.
La sénatrice Bovey : Puis-je poser une question complémentaire et quelque peu connexe, ou peut-être pas? J'étais très consciente de la situation il y a quelques années lorsque la ferme de Kingston a fermé ses portes, par exemple. Je me suis intéressée à l'effet de cette perte sur certains détenus. Y a-t-il eu une hausse? Quelle incidence cette fermeture et la perte d'autres types de programmes au sein des établissements correctionnels ont-elles eue sur l'augmentation des problèmes de santé mentale dans les pénitenciers? Y a-t-il eu un effet?
Mme Keith : Je peux seulement me prononcer en fonction du nombre de plaintes que j'ai traitées. Je pense que ces pertes ont augmenté la pression au sein des établissements carcéraux. Ce ne sont des endroits agréables pour personne, mais ils sont beaucoup plus difficiles pour certains que pour d'autres. Dans ces cas, les détenus commencent souvent à adopter un comportement, qu'on appelle par euphémisme l'adaptation au milieu carcéral. Cela signifie essentiellement que ces détenus ne peuvent pas s'adapter à leur situation. Ils se comportent mal et posent des gestes qui nécessitent une intervention de sécurité.
Dans ces cas, le manque de services de santé mentale et de soutien est encore plus flagrant puisqu'il enclenche une spirale. Les détenus se comportent mal; leur santé mentale se détériore; ils attirent les interventions; leur classification de sécurité augmente; ils peuvent se retrouver en isolement; ils peuvent commettre des infractions en établissement; puis leur peine explose. Ils ont peut-être écopé d'une peine de 6 ans, mais ils finissent par purger 15, 19 ou 21 ans. Lorsque je donne ces chiffres, je pense à des dossiers réels que j'ai lus, mais dont je ne peux pas vous divulguer les noms. C'est un cercle vicieux qui n'entraîne que des résultats négatifs pour bon nombre de ces délinquants.
Mme Daye : J'ajouterais qu'il faut prendre du recul et regarder la situation dans son ensemble, et peut-être se rapporter à certaines des questions des sénatrices Eaton et Andreychuk en début de séance.
Il pourrait également être bon de savoir que, sur l'ensemble des plaintes soumises à la commission, environ 60 p. 100 portent notamment sur l'incapacité. De ce nombre, la moitié, c'est-à-dire au moins un tiers de l'ensemble des plaintes, concernent des troubles mentaux. C'est un indice important qui dénote que cette question n'est pas traitée même avant que les individus ne se retrouvent en milieu carcéral. On peut par exemple se demander comment la police réagit devant ce même comportement.
Je me projette dans l'avenir, mais vous pourriez revenir en arrière et aborder les comportements dans les écoles. Je pense avoir vu ce matin un rapport de recherche sur le fait que le comportement d'un enfant noir dont l'enseignant est lui aussi noir est moins susceptible d'être considéré comme menaçant.
Il est donc possible de dire quelque chose afin de contrer le racisme systémique qui sévit dans les milieux scolaires et éducatifs, car les comportements qui résultent de troubles mentaux peuvent continuellement être mal interprétés comme des gestes qui entraînent une criminalisation excessive, ce qui mène ensuite à l'incarcération. Je sais que nous sommes ici pour parler d'une seule partie du système, mais une vaste portion des plaintes que nous recevons porte sur le système dans son ensemble, comme c'est le cas d'autres commissions au pays.
La sénatrice Andreychuk : J'ai une remarque complémentaire. Dans ma vie professionnelle antérieure, il y a plusieurs décennies, le problème de l'incarcération des jeunes était notamment attribuable à l'absence de services préscolaires permettant de déceler le problème d'emblée, après quoi la situation semblait s'aggraver. On finissait toujours par porter une accusation criminelle, du moins pour que la personne obtienne de l'aide. Je ne dis pas que les accusations étaient portées délibérément — elles étaient fondées —, mais la situation était désespérée. L'enfant aurait à tout le moins de l'attention, comme la police me le disait. Il y a 40 ans, on disait qu'il fallait agir de façon préventive à l'âge préscolaire, en particulier pour cerner les problèmes de santé mentale ou de comportement chez les jeunes enfants. Vous me dites donc que la situation n'a pas beaucoup changé.
Mme Daye : Je dirais que le cliché habituel, c'est que si le seul outil que vous avez est un marteau, chaque problème ressemblera à un clou. Par conséquent, si le seul outil dont les gens disposent est l'intervention de sécurité en réponse à un comportement, cela mènera inévitablement à l'incarcération lorsque le cycle se poursuit. La société dans son ensemble a donc besoin de plus d'outils.
Je pense que la sensibilisation du public aux problèmes de santé mentale a beaucoup progressé au cours des 10 dernières années. Même ces 5 dernières années, je pense qu'il y a eu une différence notable dans la façon dont nous éliminons les préjugés relatifs aux problèmes de santé mentale. Reste à voir combien de temps sera nécessaire pour que ce soit fait dans l'ensemble du système et que cela permette d'améliorer les services communautaires de façon à diminuer l'incarcération.
La sénatrice Pate : À propos de ce que vous venez de dire, nous nous sommes notamment penchés sur ces enjeux. J'ai l'impression qu'il pourrait être utile, si le comité est d'accord, de parler des conditions préalables ainsi que des ressources que la collectivité doit avoir. Il faudrait aussi voir comment la loi actuelle pourrait permettre, comme vous l'avez tous mentionné, de mieux utiliser les dispositions actuelles de façon à ce que les détenus puissent bénéficier de la collectivité et des services, comme prévu. Je pense que les recommandations de votre rapport de 2003 étaient bonnes, tout comme celles de Louise Arbour, dont nous avons parlé. Je vous en remercie donc.
La vice-présidente : Comme vous pouvez le constater, nous avons largement dépassé le temps alloué. Vous avez suscité beaucoup d'intérêt, et je vous remercie encore d'être venues comparaître.
Sénateurs, nous devons examiner un budget pour deux déplacements cet automne, le premier à destination de l'Écosse, de la Norvège et du Danemark et, l'autre, de l'Ouest canadien. Y a-t-il des questions ou des commentaires?
La sénatrice Andreychuk : Je ne veux pas beaucoup dépenser d'argent, comme vous le savez bien. J'ai de la difficulté à accepter l'accueil que nous recevons partout où nous nous déplaçons. De plus en plus souvent, l'hospitalité n'est pas donnée. C'est le genre de chose qui attire la publicité négative sur nous, et je m'en préoccupe puisque ces informations sont désormais publiques.
Je m'intéresse également aux tarifs aériens. Dans le cas de l'Ouest canadien, il s'agit de 99 000 $? Je sais qu'un billet en classe affaires entre Ottawa et Regina peut atteindre 2 000 $. Je n'en ai jamais pris, sauf pour une raison médicale. Si vous voyagez dans un avion E90, y a-t-il une différence entre les classes économiques et affaires? Encore une fois, je trouve scandaleux que les coûts de transport s'élèvent à 99 000 $. Voilà donc les choses qui m'ont frappée immédiatement. Pour ce qui est des dépenses de repas, il y a l'hospitalité, les repas et les indemnités journalières. Duquel s'agit-il? Nous devons choisir ce que nous souhaitons. Je ne sais pas où s'inscrit le nolisement d'un autobus à 5 000 $.
Je pense simplement que voyager dans l'Ouest du Canada ne devrait pas être aussi cher. J'ignore où nous nous situons par rapport à d'autres comités qui voyagent. Notre greffier va remplir toutes les cases, mais je trouve que c'est excessivement luxueux. Je comprends que si vous vérifiez sur un ordinateur, vous obtiendrez ces prix pour l'avion, le transport et l'hôtel.
Il en va de même pour l'Écosse, la Norvège et le Danemark, où le coût du transport s'élève à 12 500 $. À ce prix, je peux aller en Afrique avec deux arrêts. Vous pouvez trouver un prix de 17 000 $ pour aller en Afrique, mais vous ne payerez jamais ce montant. Je me pose donc des questions à ce sujet.
Nous voyageons avec trois employés, alors que nous sommes normalement accompagnés d'un employé et d'un analyste. Je ne sais pas si cela devient la norme, ou quelque chose du genre. Lorsqu'il y a neuf membres du personnel, cela comprend des interprètes puisque c'est une mission d'information, et ainsi de suite. Je comprends bien, et je pense que d'autres comprennent aussi.
Il me semble simplement que le budget présente les sommes les plus élevées. Le problème, c'est que ce soit publié, après quoi nous serons sur les charbons ardents. Il est très rare que les gens vérifient le montant qui a véritablement été dépensé. Je trouve donc ce budget difficile d'un point de vue de relations publiques. Le problème n'est ni la destination ni les activités prévues, mais bien les prix excessifs qui ont été jetés sur papier pour s'assurer d'avoir assez d'argent. Cela donne une image trompeuse. Le budget ne convient pas à la situation, étant donné que nous visitons des prisons et des personnes qui ont eu des problèmes. C'est ce que je voulais dire.
La vice-présidente : Merci, sénatrice Andreychuk. Si vous êtes d'accord, nous pourrions enlever les frais d'accueil. Comme vous le savez, lorsqu'il s'agit des déplacements du comité, nous prévoyons toujours plus d'argent dans le budget que ce que nous dépensons réellement. Je pense que Mark serait mieux placé pour vous l'expliquer.
Mark Palmer, greffier du comité : Le budget est estimé au vu du tarif le plus élevé, car nous en avons eu besoin par le passé. On ne s'en est jamais servi pour tout le personnel. C'était pour les ajouts de dernière minute. Je peux faire une moyenne, c'est-à-dire prendre la meilleure classe tarifaire puis la classe inférieure et fixer le coût quelque part entre les deux, ce qui serait amplement suffisant. Nous avons dû utiliser le plein tarif à quelques reprises, mais je pourrais établir une moyenne, ce qui aurait pour effet de réduire passablement le budget.
La sénatrice Andreychuk : Je ne pourrais pas me rendre dans l'Ouest canadien si nous arrêtons à cinq endroits pour 9 000 $?
M. Palmer : Je vais faire une moyenne et cela va probablement réduire les coûts de moitié.
La sénatrice Pate : Quand je me suis penchée là-dessus, j'avais l'impression que ce n'était qu'un seul voyage, mais finalement, il y a deux ou trois voyages dans chacune de ces catégories. On ne va pas qu'à un seul endroit dans l'Ouest canadien. Il faudrait peut-être le préciser.
M. Palmer : Cela figurera dans le rapport. Le voyage dans l'Ouest canadien comprend Edmonton et Vancouver.
La sénatrice Pate : Edmonton et Vancouver. Je crois que cela peut aider de le préciser. Ce que vous dites est tout à fait pertinent. Ainsi, les gens ne penseront pas que nous prenons les sièges les plus dispendieux et que nous bénéficions du grand luxe.
La vice-présidente : Nous allons voyager en classe économique.
La sénatrice Bernard : J'aimerais simplement faire écho aux observations de la sénatrice Andreychuk. La perception des gens est très importante. Nous devons garder à l'esprit que nous traitons des droits des détenus, alors nous n'avons absolument pas besoin de frais d'accueil ni d'une indemnité quotidienne. Si nous avons une indemnité quotidienne, nous ne demandons pas le remboursement des frais d'accueil. C'est conforme aux politiques du Sénat de toute façon; il faut opter pour le meilleur tarif et non pour le plus élevé. Il nous incombe, à nous qui voyageons, de nous en assurer. En effet, des situations d'urgence peuvent survenir, mais dans la planification de notre budget, nous devons nous rappeler qu'il s'agit des deniers publics et il faut veiller à les utiliser à bon escient.
La sénatrice Hartling : Est-ce qu'on peut avoir un rabais de groupe s'il y a suffisamment de gens qui voyagent?
M. Palmer : Nous avons un rabais de groupe avec certaines compagnies aériennes. Cela va dépendre du moment où nous allons faire les réservations.
La sénatrice Hartling : Nous avons la responsabilité de nous engager, alors vous pourrez confirmer un nombre de personnes. Je vais souvent dans l'Ouest canadien, parce que ma famille vit là-bas, et j'obtiens des bons prix. Il y a donc moyen d'économiser de l'argent. Je suis d'accord. Je me sens mal à l'aise de dépenser des sommes d'argent considérables pour cette étude, en raison de ce que peuvent penser les gens. Pouvons-nous le faire et le faire bien, sans dépenser trop d'argent?
La vice-présidente : De façon générale, je crois que le comité dépense rarement tout l'argent qui est prévu au budget. Au départ, on pense que tout le monde sera du voyage, mais en fin de compte, ce ne sont pas tous les sénateurs qui peuvent venir. Nous avons un budget pour huit personnes.
La sénatrice Hartling : Cependant, je crois que si nous connaissons les dates exactes, nous pouvons confirmer notre présence, puis vous pourrez obtenir de meilleurs prix. À ce moment-là, si nous prenons un engagement, ce sera notre responsabilité, si nous devons nous désister, par exemple.
La sénatrice Pate : À titre indicatif, pourriez-vous nous dire quel était le montant prévu pour le dernier voyage que nous avons fait et la somme réelle que nous avons dépensée?
M. Palmer : Je crois que nous avions prévu 71 000 $. Je n'ai pas compilé toutes les factures, mais cela devrait se situer autour de 45 000 $. Par conséquent, nous dépensons toujours moins que ce qui est prévu, mais votre argument est valable. Nous allons réduire les chiffres.
La sénatrice Andreychuk : De nos jours, on ne peut plus prévoir un budget supérieur à ce que nous allons dépenser réellement. Je me rends compte que pour les associations parlementaires, lorsqu'on ne fait que téléphoner à l'agent de voyages avec qui on doit faire affaire, on obtient ces coûts exorbitants, mais on demande plutôt d'obtenir les prix des différentes catégories de sièges auprès des grossistes. Alors aujourd'hui, on peut avoir des billets pour la Norvège, et cetera, à moindre coût. Cependant, si on inscrit ces montants dans le budget, ils vont être publiés et nous serons critiqués. Je ne veux pas faire partie du comité qui devra justifier les dépenses de ce voyage.
La raison pour laquelle je dis cela, c'est parce que j'ai moi-même essayé de réfuter l'information après que les médias eurent mis la main dessus en disant : « Mais nous n'avons pas dépensé cette somme. » Ils s'en fichent. C'est le montant qui a été alloué. C'est ce que vous avez obtenu, et regardez comment eux ils vivent. Et nous répondons : « Mais c'est faux; nous avons été très prudents. » Cela n'a pas fonctionné pour moi, alors je suis peut-être un peu frileuse.
La sénatrice Hartling : Je pense que vous avez raison. On accorde une grande importance aux dépenses à l'heure actuelle.
La vice-présidente : Je crois que nous avons compris le message. Mark, vous devez vous pencher là-dessus et voir où vous pourriez réduire les coûts.
La sénatrice Andreychuk : Autrement, je pense que les voyages et tout le reste nous conviennent.
La vice-présidente : Est-il convenu que la demande de budget pour étude spéciale pour mener des audiences publiques et une mission d'étude dans l'Ouest canadien, ainsi qu'une mission d'étude en Écosse, en Norvège et au Danemark, dans le cadre de l'étude du comité sur les questions liées aux droits de la personne des prisonniers, pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2018, soit approuvée, en tenant compte des changements discutés aujourd'hui; et que le Sous-comité du programme et de la procédure soit autorisé à en approuver la version finale pour que la présidence puisse ensuite la transmettre au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration? Nous devons adopter cette motion.
La sénatrice Andreychuk : Vous allez nous informer?
La vice-présidente : Oui. Mark va le faire. Pouvons-nous adopter la motion?
Des voix : D'accord.
La vice-présidente : C'est ce qui met fin à la réunion. Merci beaucoup, chers sénateurs. Je vous souhaite un bel après- midi.
(La séance est levée.)