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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 20 - Témoignages du 27 septembre 2017


OTTAWA, le mercredi 27 septembre 2017

Le Comité sénatorial permanent de la justice et des droits de la personne se réunit aujourd’hui à 11 h 30 pour étudier les questions ayant trait aux droits de la personne et, entre autres choses, pour examiner les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet: la situation des droits de la personne des Rohingyas).

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, sénateurs. Aujourd’hui, nous avons une audience spéciale chargée, mais importante, sur une situation grave qui se déroule dans une autre région du monde, mais qui nous affecte également et qui est très importante pour le Canada.

Avant d’accueillir nos témoins, je vois que l’ambassadeur du Bangladesh se trouve dans l’audience; il sera des nôtres après ce témoignage.

[Français]

Avant de commencer, j’aimerais que tous les sénateurs se présentent.

[Traduction]

J’ai dit la semaine dernière que j’étais sûr que tout le monde avait été productif pendant l’été.

Avant de parler de la situation des droits de la personne des Rohingyas, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter. Nous entendrons d’abord la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Je suis le sénateur Munson, de l’Ontario, même si mon cœur est évidemment au Nouveau-Brunswick.

Dans le premier groupe de témoins qui participeront à notre discussion sur la situation des droits de la personne des Rohingyas, nous accueillons Anwar Arkani, président de la Rohingya Association of Canada, et Ahmed Ramadan, coordonnateur des relations avec les collectivités du Groupe de travail birman de Justice for All.

Dans notre deuxième groupe de témoins, nous accueillerons le haut-commissaire du Bangladesh et ensuite, nous entendrons les représentants de divers groupes de droits de la personne, notamment Alex Neve et d’autres intervenants d’Amnistie Internationale, Human Rights Watch, ainsi que Kevin Malseed.

Nous entendrons d’abord M. Arkani. Je crois que vous livrerez un exposé, mais je vous demanderais de respecter une certaine limite de temps, car nous avons de nombreuses questions, même si je sais que vous avez beaucoup de choses à nous dire. Au nom des membres du comité, je vous souhaite la bienvenue.

Anwar Arkani, président, Rohingya Association of Canada : Honorable président, sénateurs, mesdames et messieurs, je suis reconnaissant au Canada de me donner un refuge, une citoyenneté et une voix par l’entremise d’une invitation à vous parler aujourd’hui. Ces trois avantages précieux m’ont été refusés pendant la plus grande partie de ma vie, et je suis allé de pays en pays pour les trouver. Je vous suis donc reconnaissant.

Je viens d’un village de la région de Buthidaung, dans l’État d’Arakan, en Birmanie. En 1978, lorsque j’avais 10 ans, ma mère m’a amené, ainsi que le reste de ma famille, au Bangladesh, afin d’échapper aux attaques de l’armée birmane. L’armée appelait ces attaques Opération King Dragon. Cette opération a été lancée le 6 février 1978. Elle a forcé l’exode d’environ 208 000 Rohingyas au Bangladesh. Des milliers de Rohingyas ont été arrêtés, torturés et assassinés. Mon père a également été arrêté. Nous n’avions pas le droit de le voir. Il n’a jamais été accusé d’un crime. Il n’y a eu aucun procès. Il a tout simplement été assassiné en prison. J’aurais voulu être assez âgé pour lui organiser un enterrement approprié.

Trois ans plus tard, j’ai été encore une fois obligé de fuir au Bangladesh lorsque le gouvernement birman a retiré les droits de citoyenneté aux Rohingyas, en 1982. Étant donné que je n’étais plus un citoyen, je n’avais pas le droit de fréquenter l’école secondaire. Cette politique a fait en sorte que toute une génération de Rohingyas a grandi en étant analphabète.

Toutefois, l’histoire des souffrances endurées par ma famille n’a pas commencé pendant cette période. En effet, dès les années 1940, mes deux parents, lorsqu’ils étaient enfants, ont fui d’un endroit à l’autre pour se protéger des Birmans, car presque la moitié des Rohingyas ont été massacrés. Il est essentiel de mentionner les années 1940, car dans leur discours, les Birmans affirment que l’armée se bat toujours dans la Seconde Guerre mondiale. Il y a quelques jours, plus précisément le 16 septembre, le commandant en chef de l’armée birmane, le général Min Aung Hlaing, a qualifié l’opération menée contre les Rohingyas de « travail inachevé » datant de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, ce travail inachevé est devenu une solution finale et un cauchemar pour les Rohingyas. En ce moment même, des villages rohingyas sont brûlés et réduits en cendre.

Même si Aung San Suu Kyi a indiqué que les opérations militaires avaient cessé le 5 septembre, les attaques génocidaires se poursuivent. En effet, aussi récemment qu’hier, le Groupe de travail birman a recensé des incendies. Le 25 septembre, à partir des camps de réfugiés qui se trouvent au Bangladesh, on pouvait voir de gros incendies de l’autre côté de la frontière du Myanmar, où on signalait des incendies criminels dans le Quartier 5 de la région de Maungdaw. Le 24 septembre, on a signalé cinq attaques semblables. J’ai appelé ma nièce et mes neveux qui étaient toujours en vie la nuit dernière, et lorsque j’étais au téléphone avec eux, ils m’ont dit que deux autres villages dans une autre région avaient été réduits en cendre.

L’attaque actuelle, qui a commencé le 25 août, a fait complètement basculer la vie d’environ un million de Rohingyas. Un demi-million ont fui au Bangladesh et ont bâti des huttes avec du bambou et des feuilles de plastique; ils vivent dans des conditions complètement inhumaines, car la plupart d’entre eux sont affamés et sont exposés à de grands risques. Cent vingt mille d’entre eux se trouvaient déjà dans des camps pour personnes déplacées internationalement en Birmanie à la suite de l’opération menée en 2012. Les Nations Unies s’occupaient de les nourrir, mais à la suite de l’interdiction qui a frappé le FNUAP, il n’y avait plus aucun système en place pour les nourrir. Ils n’avaient pas le droit de quitter le camp. Le New York Times a qualifié cette situation de « camps de concentration du XXIe siècle ».

Il y a environ un million de Rohingyas au Bangladesh. Des organismes d’aide ont indiqué qu’environ 800 000 réfugiés se trouvent dans les régions voisines. La communauté des Rohingyas est complètement dévastée. Tout cela fait partie d’une politique de génocide établie depuis longtemps; cette politique a été réaffirmée par Thein Sein, l’ancien président de la Birmanie et un général de l’armée du Myanmar.

Le 12 juillet 2012, il a demandé au dirigeant de l’UNHCR de l’époque, M. António Guterres, qui est maintenant le secrétaire général de l’ONU, de faire sortir tous les Rohingyas du pays, mais sa demande a été refusée. Par conséquent, le gouvernement a lancé la mise en œuvre systématique de cette politique par l’entremise de l’armée.

Human Rights Watch, Amnistie Internationale et un grand nombre d’autres organismes ont confirmé les récits d’attaques commises contre les Rohingyas. Au Rwanda, on affirmait que les Tutsis s’assassinaient eux-mêmes parce qu’ils ne voulaient pas vivre avec les Hutus. En Birmanie, on dit que les Rohingyas brûlent leurs propres maisons. Chaque fois que l’armée birmane mène une attaque contre la communauté des Rohingyas, elle accuse toujours les victimes d’avoir initié ces attaques et d’être responsables de leur sort.

On a eu recours au même processus lorsqu’on a utilisé une attaque de l’Arakan Rohingya Salvation Army pour justifier cette opération militaire. Rien n’est plus faux. On signale des preuves de l’augmentation des activités de l’armée depuis le 3 août. De nombreux leaders avaient averti la Birmanie contre ces opérations d’attaque. Le président du Comité des relations internationales de la Chambre des représentants des États-Unis, Ed Royce — également membre du Congrès — et des organismes des droits de la personne et le Groupe de travail birman avaient publiquement signalé la présence de l’armée avant l’attaque du 25 août. En fait, l’attaque que projetait de mener l’armée birmane était tellement bien connue et signalée que même le Bangladesh a annoncé qu’il envoyait des renforts à la frontière pour contenir le flot potentiel de réfugiés.

Au cours du dernier demi-siècle, de nombreux groupes armés se sont battus pour leurs droits en Birmanie, notamment des groupes chrétiens et bouddhistes. Seuls les Rohingyas ont demandé le rétablissement de leur citoyenneté par des moyens pacifiques. Nous ne voulons pas obtenir un pays ou un État distinct. Nous demandons seulement la citoyenneté et des droits égaux.

Mesdames et messieurs, les Rohingyas sont un peuple autochtone de l’État d’Arakan et ils vivent sur leurs terres ancestrales. Il est donc complètement insensé de nous qualifier d’étrangers. Nous ne sommes pas des Bengalais et nous ne l’avons jamais été. Avant d’être obligés de fuir, nous n’avions aucun lien avec le Bangladesh. Même si nous sommes reconnaissants envers le Bangladesh, les membres de ma famille, mes parents ou mes grands-parents ne sont pas nés au Bangladesh. En fait, la plupart des Bangladais ne peuvent pas comprendre ma langue, et nous ne les comprenons pas non plus.

Je demande à votre comité de déclarer que la Birmanie commet des crimes génocidaires contre les Rohingyas. Je demande au Canada de transporter d’urgence, par voie aérienne, des tentes, des médicaments et d’autres fournitures au Bangladesh. Ces choses sont requises d’urgence.

Les Rohingyas ne veulent pas vivre une vie de réfugiés non reconnus, où que ce soit. Nous ne sommes pas autorisés à devenir des citoyens, à étudier ou à avoir un emploi. Nous aimerions vivre à titre de citoyens de la Birmanie. Pour cette raison, j’appuie la demande du premier ministre du Bangladesh visant à créer une zone sécuritaire en Birmanie. Toutefois, elle doit comprendre des Casques bleus de l’ONU qui ont le mandat de défendre les Rohingyas contre l’armée birmane.

Nous demandons au Canada d’entamer cette conversation internationale avec l’Allemagne et la France, de prendre l’initiative d’agir contre les horribles violations des droits de la personne qui sont commises et de mériter une place du bon côté de l’histoire.

Avant de terminer, j’aimerais ajouter un dernier point. La région où je suis né et où j’ai grandi est ceinturée par l’armée, mais par des bouddhistes locaux armés par le gouvernement qui surveillent le déplacement de ces gens. Ces derniers ne peuvent pas quitter le village pour acheter quoi que ce soit ou pour trouver quelque chose à manger. En ce moment, ces gens meurent de faim et de maladies. Il n’y a rien — il ne reste aucune feuille verte ou aucun légume autour de la maison. Ils ont mangé les plants de bananes et toutes les feuilles qui se trouvaient autour de la maison. Ce sont les conditions actuelles.

J’aimerais que le comité envisage de prendre une mesure urgente afin de sauver les gens qui sont toujours en vie, mais qui ne peuvent pas quitter l’État d’Arakan. Merci.

Le président : Je vous remercie beaucoup de votre témoignage persuasif, monsieur.

Ahmed, aimeriez-vous ajouter quelques mots?

Ahmed Ramadan, coordonnateur des relations avec les collectivités, Groupe de travail birman, Justice for All :Honorables sénateurs, j’aimerais vous remercier de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui au sujet de la persécution des Rohingyas de la Birmanie. Les Rohingyas sont un peuple autochtone de la Birmanie et vivent sur leurs terres ancestrales. Tout ce qu’ils demandent, c’est de récupérer leur citoyenneté, car elle leur a été enlevée en 1982 par le régime militaire.

Je représente le Groupe de travail birman. Il s’agit d’une coalition de 19 organismes. Depuis sa création en 2012, le Groupe de travail birman s’est efforcé de sensibiliser les gens et de demander la cessation de la violence commise contre les Rohingyas.

J’aimerais tout d’abord féliciter le gouvernement canadien de faire partie des premiers gouvernements à se prononcer contre la persécution des Rohingyas. Tous les représentants du gouvernement ou les députés que j’ai rencontrés étaient sincèrement inquiets pour les Rohingyas et souhaitaient prendre des mesures pour mettre fin à leur persécution. C’est un enjeu qui dépasse la partisanerie.

Le 18 septembre, le premier ministre Justin Trudeau a écrit à la conseillère d’État du Myanmar, Aung San Suu Kyi, pour condamner son silence face à l’oppression brutale exercée contre les Rohingyas du Myanmar. Lors d’un rassemblement organisé par le Groupe de travail birman le 16 septembre, la ministre des Affaires étrangères du Canada, l’honorable Chrystia Freeland, a dit à des manifestants que la persécution des Rohingyas ressemblait beaucoup à un nettoyage ethnique.

L’objectif de mon témoignage est de présenter une analyse et des recommandations fondées sur le travail effectué par notre équipe sur le terrain avec des réfugiés rohingyas au Bangladesh et ici au pays.

Tout d’abord, même si nous comprenons que l’utilisation de l’expression « nettoyage ethnique » par les représentants canadiens se fonde sur de bonnes intentions, il faut préciser qu’il s’agit d’un euphémisme employé pour désigner un génocide. Cette expression n’a aucune valeur juridique dans le droit international. Il est ironique que le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de la personne soutienne qu’il s’agit d’un exemple typique de nettoyage ethnique, car il aurait de la difficulté à trouver un manuel juridique qui qualifie cela de crime.

Le Serbe Slobodan Milosevic a été le premier politicien à utiliser cette expression, afin d’effacer les atrocités liées au génocide commis contre les Bosniaques. M. Maung Zarni, un universitaire bouddhiste et un activiste dissident important du mouvement démocratique birman, et Mme Alice Cowley ont fait valoir péremptoirement, dans un article du Pacific Rim Law Journal de l’Université de Washington, que les Rohingyas avaient été soumis à un génocide mené à petit feu au cours des 35 dernières années.

En 2016, sur une période de huit mois, la Lowenstein International Human Rights Clinic de l’École de droit de l’Université Yale a examiné des témoignages provenant de documents de l’ONU et de documents du gouvernement du Myanmar et a conclu qu’il existait de solides preuves qu’il s’agissait d’un génocide.

Dans une conférence organisée par le Groupe de travail birman en 2015 au Centre Nobel de la paix à Oslo, en Norvège, sept lauréats du Prix Nobel ont été parmi les premiers à qualifier la persécution des Rohingyas de cas typique de génocide.

Au cours des dernières semaines, le ministre des Affaires étrangères du Bangladesh, A. H. Mahmood Ali, et le président de la France, Emmanuel Macron, ont qualifié les actes de violence commis contre les Rohingyas de génocide. L’audience sur le cas des Rohingyas entendue vendredi dernier par le Tribunal permanent des peuples basé à Rome a rendu un verdict selon lequel le Myanmar est coupable de génocide contre les Rohingyas.

L’armée birmane mène périodiquement et continuellement des campagnes génocidaires contre les Rohingyas; l’une d’entre elles est d’ailleurs en cours. Le bureau du Groupe de travail birman reçoit chaque jour le signalement d’incendies de villages rohingyas; un autre a été signalé hier. Des images satellites publiées par Human Rights Watch montrent l’éradication complète de villages dans l’État de Rakhine. Même si le gouvernement birman affirme que 400 Rohingyas ont été tués au cours de cette opération, nous croyons que ce nombre est beaucoup plus élevé, et qu’il y a probablement des dizaines de milliers de personnes blessées, emprisonnées ou tuées. Cette affirmation se fonde notamment sur un rapport de l’ONU selon lequel 80 p. 100 des 430 000 réfugiés sont des femmes et des enfants, et plus de la moitié sont des enfants seuls.

Le 24 septembre, le président du Groupe de travail birman, Imam Malik Muhahid, a terminé un voyage au Bangladesh au cours duquel il a mené des entrevues auprès de plusieurs survivants du massacre de Tula Toli. Selon ses entrevues — l’une se déroulait avec l’ancien maire et l’imam du village —, au moins 750 Rohingyas ont été tués dans ce village, selon une estimation prudente. Chaque fois que nous demandons aux Rohingyas des camps de réfugiés de lever la main s’ils ont été témoins de l’assassinat d’une personne, plus de 50 p. 100 d’entre eux lèvent la main.

Le Canada peut immédiatement mettre en œuvre plusieurs politiques qui auront des répercussions sur l’attitude et le comportement des dirigeants Myanmar. Tout d’abord, nous demandons au Canada d’utiliser le terme approprié pour décrire ce que vivent les Rohingyas, c’est-à-dire un génocide. Si les membres de votre comité souhaitent entendre le témoignage de spécialistes du génocide ou recevoir une lettre d’un lauréat d’un Prix Nobel, nous pouvons arranger cela. Je vous demande de recommander au très honorable premier ministre du Canada d’appuyer la demande du président français et d’utiliser le terme approprié pour décrire cette situation, c’est-à-dire un génocide.

Deuxièmement, le Canada est l’une des nations qui encouragent le plus activement la responsabilité internationale de faire respecter le principe de protéger. Nous exhortons le Canada à intégrer le principe de la responsabilité de protéger à son processus d’élaboration de politiques relatives au traitement des Rohingyas par le Myanmar. Le pays peut s’appuyer sur la demande de la première ministre du Bangladesh Sheikh Hasina, qui souhaite obtenir la création d’une zone sécuritaire pour les Rohingyas à l’intérieur du Myanmar; cette zone serait protégée par la force de maintien de la paix de l’ONU. Nous prions le Canada d’entamer des discussions avec la France et l’Allemagne afin d’élaborer une proposition conjointe pour la protection des Rohingyas.

Troisièmement, un demi-million de réfugiés rohingyas ont un urgent besoin d’aide humanitaire. Presque 95 p. 100 des réfugiés récents utilisent seulement des bâtons de bambou et des feuilles de plastique, des matériaux extrêmement insalubres qui ont causé l’éclosion de maladies et des conditions de survie très difficiles. La plupart d’entre eux ont besoin de nourriture et de médicaments. Même si les Bangladais font tout pour nous aider et que le gouvernement tente d’organiser cette aide, la situation est désastreuse. Nous demandons au Canada d’envoyer, par transport aérien, des tentes, des médicaments et de la nourriture de toute urgence.

Nous prions également le Canada d’accroître sa contribution. Nous conseillons au gouvernement canadien de fournir au moins une flotte d’hélicoptères qui peuvent transporter des fournitures urgentes entre les aéroports et les régions éloignées, car une seule petite route dessert une artère essentielle de la région, ce qui crée un cauchemar de logistique pour se rendre dans les camps de réfugiés et il faut marcher pendant des heures.

Enfin, il est nécessaire d’inscrire les nouveaux réfugiés. Le Bangladesh a seulement permis l’inscription d’environ 30 000 Rohingyas à titre de réfugiés. Le Canada devrait exhorter le Bangladesh à inscrire tous les réfugiés rohingyas et, à tout le moins, à créer un système dans lequel les Rohingyas peuvent répertorier leurs pertes et leurs propriétés pour faciliter les enquêtes futures et les efforts de restitution.

Mesdames et messieurs, je crois qu’il s’agit d’une excellente nouvelle occasion pour le Canada de devenir un chef de file mondial. Pendant que nos voisins du Sud se livrent de petites guerres sur Twitter et que l’attention de la Grande-Bretagne est monopolisée par Brexit, le Canada dispose d’une occasion en or de prendre les devants. C’est notre chance de démontrer au reste du monde que le Canada est sérieux. Lorsque nous disons « plus jamais », cela signifie « plus jamais ». Un génocide est un génocide. Nous devons assumer la responsabilité de protéger.

Je vous remercie de votre temps.

Le président : Je vous remercie de vos témoignages.

Nous allons maintenant passer aux questions. Nous entendrons d’abord la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de vos témoignages.

Monsieur Ramadan, j’aimerais vous poser quelques questions. Nous avons parlé de 1982, l’année pendant laquelle les Rohingyas ont essentiellement perdu leur citoyenneté. Qu’est-ce qui a changé en 1982? Jusqu’à cette année-là, ils avaient le droit de travailler et d’être des citoyens.

On m’a mise au courant de cette situation il y a presque six ans. Je discute de cet enjeu depuis six ans, et j’en ai parlé deux fois avec les membres de la délégation du gouvernement birman. La première fois, je n’ai obtenu aucune réaction. La deuxième fois que j’ai soulevé la question, on m’a répondu « aucun Rohingya », comme si les Rohingyas n’avaient même pas le droit d’exister.

Qu’est-ce qui a changé en 1982? Pouvez-vous m’aider à comprendre ce qui s’est produit?

M. Ramadan : Je vous remercie de vos efforts et de votre dévouement à l’égard de cette cause; je ne parle pas seulement d’aujourd’hui, car vous travaillez sur ce dossier depuis un certain temps, avant qu’il soit devenu public et qu’il retienne l’attention des gens.

En 1978, l’armée a tenté d’expulser les Rohingyas et a lancé une opération qui visait à les éliminer. Malheureusement, c’était un plan prématuré, car cette opération n’avait aucun fondement. Le plan a donc échoué. L’armée a réévalué son opération et l’a justifiée en démontrant que les Rohingyas étaient des immigrants illégaux du Bangladesh et qu’elle était donc justifiée de mener cette opération.

C’est pourquoi le pays a adopté cette Loi sur la citoyenneté en 1982, car cela lui donnait un prétexte pour justifier l’opération que l’armée a entreprise pour expulser les Rohingyas.

La sénatrice Ataullahjan : Êtes-vous satisfaits de la réponse fournie par le gouvernement libéral actuel? J’ai participé à la manifestation au cours de laquelle la ministre des Affaires étrangères a déclaré que cela ressemblait à un nettoyage ethnique. Que pouvons-nous faire? Pourquoi les médias et les gouvernements hésitent-ils à appeler cela un génocide?

M. Ramadan : Dans leurs déclarations, la ministre des Affaires étrangères et le premier ministre du Canada — dans sa lettre — ont utilisé des mots extrêmement durs pour condamner la situation, ce qui est formidable, et ils ont été parmi les premiers à condamner le massacre en cours.

Toutefois, en ce moment, chaque heure compte. Nous devons rapidement passer des paroles à l’action. Les représentants principaux de l’ONU, notamment la rapporteuse spéciale Yanghee Lee — elle a dit qu’elle demande aux nations des Nations Unies de prendre des mesures, car le temps des condamnations est passé. Des gens meurent. Comme mon collègue Anwar Arkani l’a dit, des gens attendent littéralement de mourir dans leur village en Birmanie. Nous devons faire quelque chose.

Si les nations et les médias hésitent à utiliser le mot génocide, c’est parce que c’est un mot lourd de sens qui vient avec une responsabilité. C’est la raison pour laquelle ils ont utilisé l’expression « nettoyage ethnique », ce qui signifie la même chose en réalité, mais sans la responsabilité liée au terme « génocide ». C’est la raison pour laquelle nous exhortons le Canada à utiliser le mot génocide. Nous savons qu’il vient avec une responsabilité. Nous exhortons le Canada à l’utiliser en raison de la responsabilité qu’il entraîne.

La sénatrice Ataullahjan : Nous sommes d’accord. Lors de la manifestation, j’ai dit qu’il était temps de passer aux actes. Les paroles n’ont eu aucun effet.

Je viens de voir une vidéo dans laquelle Aung San Suu Kyi fait une blague sur les événements qui se produisent. Je ne sais pas si vous avez vu cette vidéo. Elle fait des blagues à ce sujet.

Monsieur Arkani, avez-vous toujours de la famille au Myanmar?

M. Arkani : Oui, il reste un membre de ma famille immédiate. Deux de mes sœurs ont été massacrées, ainsi que deux de mes beaux-frères. J’ai toujours des nièces, des neveux et des cousins, et mes sœurs ont des petits-enfants.

Je n’ai pas de mots pour les consoler. Ils pensent honnêtement que je suis le roi du monde et que je peux changer les choses en claquant des doigts. Ils me demandent pourquoi je suis inactif et que je ne fais rien. Ils me demandent si j’ai un cœur et ils veulent savoir pourquoi je suis devenu sans cœur. Ils me disent que j’ai une bonne vie au Canada et que je les ai vite oubliés. Ils me rappellent qu’ils n’ont aucun moyen de survivre, aucune porte de sortie et qu’ils n’ont rien à manger.

L’endroit où je suis né et où j’ai grandi est situé loin de la frontière du Bangladesh. Les gens qui sont au Bangladesh en ce moment sont très près de la frontière et ils n’ont pas eu à franchir beaucoup d’obstacles pour y arriver. Mais les gens de ma région doivent traverser une grande étendue de terre sur laquelle ils sont vulnérables aux tigres.

Il y a une chaîne de montagnes appelée la chaîne Mayu. Elle contient environ 40 montagnes. Dans ces montagnes — je peux vous montrer une vidéo si cela vous intéresse —, les villageois sont armés de fusils automatiques et de machettes, et des agents de sécurité les accompagnent. Ils attendent de tous les tuer et de les massacrer. Ils n’utilisent pas de balles, car elles coûtent de l’argent. Pourquoi ne pas les massacrer comme des chiens? C’est le mot qu’ils utilisent. Ils n’ont absolument aucune façon de s’échapper.

J’ai beaucoup de difficulté à dormir. Parfois, je ne ressens plus rien et j’éteins mon téléphone; c’est ce qui me permet d’arriver à dormir. Je ne peux rien faire. Au moins, c’est bon de leur parler pendant qu’ils sont toujours en vie. De temps en temps, ils me disent: « Tu dois en parler aux gens et à ton gouvernement, peu importe où tu te trouves. Tu nous as dit que ton pays était un pays démocratique. Tu peux parler aux gens au pouvoir. Dis-leur ou prie Dieu que notre gouvernement ou un autre gouvernement vienne nous bombarder, afin que nous puissions mourir en paix. »

Les femmes ont très peur d’être victimes d’un viol collectif avant d’être massacrées, et les hommes ont peur d’être brûlés vifs. Pire encore, des enfants vivants sont lancés dans le feu.

J’aimerais vous parler d’une autre chose. Je suis désolé de vous raconter cette histoire très violente, mais vous devez l’entendre. Dans un village appelé Kansama, une femme avait trois préadolescents et un mari. Deux d’entre eux ont été abattus à bout portant. Le mari a été massacré. Il n’a pas été abattu par balle, mais les enfants l’ont été. Avant de mettre le feu à la maison, ils ont violé la femme. Son plus jeune enfant — je ne me souviens plus si c’était son fils ou sa fille — pleurait pour avoir du lait, et les militaires sont venus et — avez-vous déjà entendu une telle chose — ont démembré cet enfant. Un soldat a mis sa botte sur une jambe et il a arraché l’autre jambe et l’a jetée dans le feu.

C’est la situation actuelle dans mon pays. Chaque heure, chaque jour signifie de nombreuses vies. Ce n’est pas seulement une vie. Il y a de nombreux cadavres qu’ils ne peuvent pas cacher. Ils les amènent dans notre capitale et les jettent dans le golfe du Bengale, afin qu’il ne reste plus rien si une enquête est menée dans quelques années. Lorsqu’ils brûlent les cadavres, il ne reste rien. C’est la situation actuelle.

Le président : Merci beaucoup, Anwar. Nous nous rendons compte à quel point cela doit être difficile pour vous.

La sénatrice Eaton : Lorsque nous entendons vos histoires, nous sommes réellement convaincus que le mal à l’état pur existe dans le monde, mais j’aimerais comprendre un peu plus. En 1978, je crois, lorsque votre père a été enlevé et assassiné, quel a été l’élément déclencheur? Était-ce une question de territoire? Était-ce simplement une question de haine entre les bouddhistes et la minorité des Rohingyas? À votre avis, d’où vient une telle haine?

M. Arkani : J’étais trop jeune pour comprendre ces choses. Mes aînés m’ont dit que la haine a commencé en 1942, pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Britanniques et les Japonais se battaient pour ce territoire. Ensuite, quelques nationalistes ont décidé qu’ils devaient se débarrasser de tous les Indiens. À l’époque, il y avait beaucoup de gens d’affaires.

La sénatrice Eaton : Les Birmans voulaient donc se débarrasser des Indiens.

M. Arkani : Oui. À l’époque, on considérait que la Birmanie faisait partie du sous-continent indien, dans la colonie britannique. Pendant qu’ils assassinaient les Indiens ou s’en débarrassaient, ils se sont dit que c’était le bon moment de s’occuper aussi des musulmans, c’est-à-dire des Rohingyas. Les Rohingyas ne sont pas seulement musulmans; ils sont également hindous. Cela leur permettait donc de se débarrasser à la fois des hindous et des musulmans.

La sénatrice Eaton : Les Rohingyas étaient-ils considérés comme étant des Indiens? Pourquoi ne considérait-on pas qu’ils étaient des Birmans de souche?

M. Arkani : Il y a peut-être une intention cachée que nous ne connaissons pas. En fait, cela a commencé en 1962, lorsque Ne Win a pris le pouvoir au gouvernement démocratiquement élu. C’était un dictateur. Le service de radiodiffusion nationale birman diffusait un programme dans la langue des Rohingyas. Ce dictateur y a mis fin en 1965. Ensuite, il a commencé à mettre en œuvre une politique après l’autre pour éliminer tous les musulmans. La constitution a été rédigée en 1974, mais elle a seulement été mise en œuvre en 1982. Avant de la mettre en œuvre, on a tenté de se débarrasser de ces gens. L’intention de départ n’était probablement pas de tuer ces gens, mais seulement de les forcer à quitter les lieux.

La sénatrice Eaton : Aung San Suu Kyi a reçu la citoyenneté canadienne d’honneur et elle a gagné le prix Nobel de la paix. J’aimerais beaucoup entendre votre interprétation de son comportement.

M. Arkani : Elle a énormément inspiré l’ensemble de la population birmane, y compris les Rohingyas. Notre peuple a fait tout son possible pour l’aider à gagner ses élections.

La sénatrice Eaton : Vous l’avez donc aidée à remporter ses élections?

M. Arkani : Avant les élections, oui, évidemment. Tout le monde pensait qu’elle était la championne des droits de la personne. Elle avait remporté tous les prix existants à l’échelle mondiale. Personne n’aurait jamais pu imaginer qu’elle deviendrait ce qu’elle est devenue.

Tout juste avant les élections, elle a systématiquement empêché les candidats rohingyas de se présenter aux élections, et elle a supprimé leur droit de vote. C’était la première fois dans l’histoire de la Birmanie; elle a réussi à faire cela. Elle a justifié ses actes en disant que si elle ne faisait pas cela, elle ne serait pas en mesure de présenter sa candidature ou de remporter les élections. Elle a dit que si elle n’avait pas le pouvoir, nos revendications n’auraient plus de sens et qu’elle ne pourrait plus nous aider. Les aînés rohingyas l’ont donc laissé faire sans intervenir.

Lorsqu’elle est devenue leader de facto du gouvernement, elle a collaboré avec l’armée. À ce moment-là, les gens pensaient qu’il s’agissait seulement d’un incident de parcours comme cela arrive dans un nouveau système démocratique. Le reste du monde a appris trop tard qu’elle protégeait l’armée. Non seulement au Canada, mais également dans le reste du monde, les gens pensent encore qu’elle a les mains liées et que si elle tente quelque chose, elle sera assassinée ou emprisonnée.

Ce n’est pas vrai. L’armée a besoin d’elle plus qu’elle a besoin de l’armée. C’est elle qui a réussi à éliminer les sanctions qui touchaient les généraux de l’armée depuis des décennies, et qui touchaient certains généraux qui menaient des activités de production de drogue — ils n’en faisaient pas le trafic, ils la produisaient. Ces gens ont des entreprises. Elle a réussi à éliminer toutes les sanctions d’une façon ou d’une autre. L’armée a donc besoin d’elle pour s’en servir comme bouclier. Le gouvernement birman a déclaré à plusieurs reprises qu’elle est un bon bouclier pour cacher les crimes de l’armée.

Le sénateur Ngo : Le 24 août, la Commission consultative sur l’État de Rakhine, présidée par l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a publié un rapport pleinement endossé par Aung San Suu Kyi, dans lequel on suggère une façon pacifique de mettre fin au conflit régional. Mais le 25 août, ces horribles actes de violence ont été commis.

Pensez-vous que le fait de critiquer Aung San Suu Kyi permettra de résoudre cette crise humanitaire alors qu’elle n’a aucun pouvoir constitutionnel sur l’armée et la police? Vous savez que l’armée occupe le poste de commandant en chef et qu’elle nomme le ministre de la Défense. Le commandant en chef nomme aussi le ministre de l’Intérieur, ainsi que le ministre de la Sécurité transfrontalière. Elle n’a donc essentiellement aucun pouvoir sur l’armée, et l’armée ne rend de comptes à personne.

Voici donc ma question : À votre avis, est-elle simplement le bouclier de l’armée? Dans sa déclaration, elle a dit que toute la rigueur de la loi serait appliquée contre les personnes coupables de violation aux droits de la personne, ce qui signifie, indirectement, que l’armée serait incriminée.

À votre avis, que devrait faire le Canada? Selon vous, que devrait faire la communauté internationale? Devrions-nous nous concentrer sur le vrai coupable, ce qui comprend le commandant en chef, Min Aung Hlaing? Le moyen le plus efficace à la disposition du Conseil national de sécurité est l’interdiction de visa. Est-ce plus efficace que la blâmer et ne prendre aucune mesure?

M. Arkani : Merci d’avoir posé la question. Je crois qu’il faut faire les deux. Nous ne pouvons pas la laisser dire qu’elle a les mains liées et que c’est l’armée qui s’est emparée du pouvoir. Comme je l’ai dit plus tôt, l’armée a plus besoin d’elle qu’elle n’a besoin de l’armée.

Non seulement elle protège l’armée, mais elle va bien au-delà de ce que son devoir lui commande. Elle affirme qu’il s’agit de fausses nouvelles, d’exagérations et d’informations peu objectives. Jusqu’à présent, il y a eu cinq commissions d’enquête. Toutes ces commissions, y compris celles dirigées par Kofi Annan, ont servi à gagner du temps pour tuer le plus de Rohingyas possible. Même Zaw Htay, le porte-parole du gouvernement, a indiqué en juillet dernier que la commission de Kofi Annan était un paravent pour le gouvernement.

Aung San Suu Kyi tente de dissimuler tous les actes répréhensibles auxquels se livre l’armée. Nous pourrions donc imposer des sanctions ciblées contre les généraux de l’armée, leur famille et les entreprises complices pour qu’ils se rendent compte qu’ils ne pourront pas avoir ce qu’ils veulent s’ils n’ont aucun respect pour la vie humaine.

Nous devons miser sur les deux tableaux.

Le sénateur Ngo : Pensez-vous que les mesures prises par Aung San Suu Kyi visent à éviter que les généraux de ligne dure aient un motif suffisant pour justifier un coup d’État contre son gouvernement démocratiquement élu?

M. Arkani : Je ne peux pas répondre à cela, mais je peux vous dire qu’elle agit en toute connaissance de cause. Elle sait que c’est inacceptable, et c’est elle qui, officiellement — elle a fait bien des choses que l’armée n’a pas été en mesure de faire. Tout d’abord, on a empêché les Rohingyas de voter et de briguer les suffrages. De toute l’histoire birmane, c’est la première fois où le Parlement ne compte aucun Rohingya parmi ses membres, sans parler de l’exode de milliers de réfugiés. Elle est à l’origine de tout cela.

Elle est la seule chef d’État de l’histoire de la Birmanie à demander à tous les diplomates étrangers de ne pas employer le terme « Rohingya » dans son pays. C’est elle qui fait tout pour aliéner les Rohingyas.

Le sénateur Ngo : Ce que je veux dire, c’est que par ses agissements, elle essaie d’éviter que l’armée tente un coup d’État contre son gouvernement élu.

M. Arkani : Je ne crois pas que l’armée va faire un coup d’État, car si c’était le cas, la Birmanie serait isolée du reste du monde, et elle a besoin du monde.

Même s’il y avait un coup d’État, ce que fait Aung San Suu Kyi est très mal. Elle ment effrontément, et il est temps que le reste du monde s’en rende compte. J’ignore ce qu’elle craint.

Le sénateur Ngo : Je suis d’accord avec vous, mais le Myanmar a été isolé pendant des décennies sous le régime militaire et il a survécu. Son gouvernement a été formé il y a à peine 16 ou 18 mois. Croyez-vous qu’on devrait lui donner la chance d’agir pour voir si elle est capable de le faire?

M. Arkani : Je pense qu’elle a eu amplement le temps de montrer de quoi elle est capable. On ne peut pas lui accorder plus de temps, car on risque d’anéantir les Rohingyas et d’autres minorités de la Birmanie.

La sénatrice Ataullahjan : J’aurais une observation à faire, si vous me le permettez. Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que ce sont les représentants du gouvernement, et non pas l’armée, qui ont demandé qu’on ne parle pas des Rohingyas.

M. Arkani : En effet, c’est le gouvernement.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

M. Arkani : Elle est aussi à la tête des affaires étrangères.

La sénatrice Ataullahjan : Et elle a également dit qu’il n’y avait aucun nettoyage ethnique en cours.

M. Arkani : Tout à fait.

La sénatrice Bernard : Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier tous les deux pour vos témoignages très francs et éloquents. Je sais qu’il y a beaucoup de douleur derrière vos propos.

Ma question porte sur la terminologie. Monsieur Ramadan, vous avez clairement indiqué qu’il fallait plutôt parler de « génocide » que de « nettoyage ethnique » et qu’une responsabilité nous incombait. J’aimerais que vous nous expliquiez ce que vous entendez lorsque vous dites que nous avons une responsabilité de nommer les choses telles qu’elles sont. Qu’est-ce que cela signifie et que doit faire la communauté internationale dans ce cas, si on parle de génocide?

M. Ramadan : Merci de poser la question.

Le Canada est signataire de la Convention sur le génocide, et il est également l’un des pays qui exercent le plus de pression quant à la responsabilité de protéger. Lorsqu’on dit qu’une situation relève du « génocide », à titre de signataire de la Convention sur le génocide, il est nécessaire de protéger les communautés qui font l’objet de persécutions. C’est ce que nous demandons. On va ouvrir la voie aux efforts des pays qui pourraient agir et protéger ceux qui n’ont rien ni personne pour les défendre.

C’est aussi simple que cela.

La sénatrice Bernard : Merci. Je voulais que ce soit inscrit au compte rendu.

La sénatrice Martin : À ce sujet, monsieur le président, je regarde la définition de « responsabilité de protéger », et on y dit que l’État membre doit, entre autres, lutter contre le « nettoyage ethnique ». Par conséquent, qu’on parle de « génocide » ou de « nettoyage ethnique », dans les deux cas, ce sont des actes atroces.

Je vous remercie pour vos témoignages très émouvants. Je dois dire que de vous entendre à notre comité nous montre encore plus clairement quelle est la situation. On se fie à ce qu’on voit aux nouvelles. Nous avons tenu un débat d’urgence hier à la Chambre, mais il était important d’avoir cette séance aujourd’hui — nous entendons votre version, et non celle de politiciens — sur la façon dont les Canadiens responsables peuvent agir sur la scène internationale.

Monsieur Ramadan, vous avez formulé des recommandations ou plutôt des demandes à l’intention du gouvernement et des politiciens canadiens. Comme vous l’avez dit, nous n’avons pas le temps d’attendre; ces atrocités ont lieu en ce moment même.

Pourriez-vous préciser quelles sont les mesures immédiates que nous pourrions prendre et établir leur ordre de priorité? Je sais que nous devrions prendre toutes les mesures, mais compte tenu de l’urgence de la situation, si nous pouvions sortir de cette réunion avec des recommandations, classées par ordre de priorité… Autrement dit, pourriez-vous regarder votre liste et nous dire « Voilà ce qui pourrait être fait en premier lieu »?

Ensuite, que font les organisations comme la vôtre pour faire progresser les efforts de lutte? Il faut parfois un certain temps aux gouvernements, mais la société civile, les organisations à but non lucratif et les autres groupes de défense peuvent agir plus rapidement. J’aimerais savoir ce sur quoi vous travaillez en ce moment.

M. Ramadan : Qualifier la situation de génocide ne prend pas de temps; le président de la France l’a déjà fait et je crois que le Canada devrait emboîter le pas.

Lorsqu’il a été question de génocide dans le New York Times, le monde entier parlait de génocide. C’est ce qui est à l’origine du mouvement et qui a permis de faire bouger les choses rapidement. Par conséquent, si le Canada parle lui aussi de génocide et commence à communiquer avec le gouvernement français, nous sommes d’avis que les choses pourraient avancer très rapidement.

Vous avez parlé de « nettoyage ethnique » et de la responsabilité de protéger. Le problème, c’est la définition juridique. Il n’y a pas vraiment de définition juridique claire de ce qu’est un « nettoyage ethnique ». C’est pourquoi j’ai dit qu’il fallait parler de « génocide ».

En ce qui concerne l’aide, il s’agit d’un élément distinct, et je crois qu’il y a différentes institutions qui peuvent aider à agir tout de suite. On pourrait dès maintenant acheminer de l’aide par avion dans la région, et je ne crois pas qu’il serait nécessaire d’en débattre longuement ou d’établir des politiques à cet égard. Nous devons simplement envoyer de l’aide, de la nourriture, des abris et des médicaments à ces gens.

Il y a un conseiller sur place qui doit s’occuper d’un demi-million de réfugiés. Il y a des femmes qui sont victimes de viol et des enfants qui ont perdu leurs parents. Il n’y a personne pour aider ces gens. Notre organisme essaie d’apporter son aide. Nous ne sommes pas un organisme d’aide en soi, mais nous collaborons avec les conseillers afin d’offrir du counseling aux femmes qui ont été violées à l’adolescence et les aider à s’en remettre. Nous avons des gens sur place qui nous brossent un portrait de la situation, nous donnent les renseignements les plus récents et documentent les pertes dans des régions précises.

Bien sûr, nous travaillons très fort ici au Canada. Il y a également un organisme américain comme le nôtre qui œuvre de l’autre côté de la frontière. On a proposé des résolutions, mais notre organisme et celui situé aux États-Unis estiment que le Canada a beaucoup plus de possibilités d’agir, compte tenu de ce qui se passe là-bas.

La semaine dernière, nous avons témoigné devant le Sous-comité des droits internationaux de la personne et nous voulons nous assurer que les gens comprennent bien la situation. Comme le sénateur le disait, il faut se concentrer davantage sur ce que fait l’armée et pas seulement sur Aung San Suu Kyi. Nous sommes d’avis qu’ils travaillent de pair, mais malgré tout, nous devons accorder plus d’attention à l’armée.

Il s’agit ici de mesures à long terme. Pour résumer, dans l’immédiat, il faut littéralement parler de génocide et communiquer avec le président français. Demain, il y aura une réunion du Conseil de sécurité. Je sais que le Canada n’en fait pas partie, mais il peut quand même y assister, s’adresser au président français et exercer des pressions afin d’envoyer des Casques bleus de l’ONU sur le terrain. Cela doit se faire immédiatement; c’est la seule façon de sauver des vies. Il ne reste plus rien. On leur a donné toutes les chances possibles.

Dénoncer sans cesse le gouvernement, comme nous l’avons fait la dernière fois en octobre, n’a fait que renforcer sa détermination. Le monde entier n’a rien fait pour l’en empêcher. Malgré toutes ces persécutions et l’exode de 90 000 personnes, nous avons continué à vivre notre vie normalement. Cela n’a rien donné du tout. Il faut des gestes concrets; pas seulement des paroles. On doit exiger des comptes, sans quoi la situation ne fera qu’empirer.

Le président : Nous vous remercions de vos témoignages bouleversants et très convaincants. On parle ici des droits de la personne. Nous avons une obligation, en tant que société et en tant que sénateurs, de recueillir vos points de vue. Nous vous remercions de nous avoir fait part de votre expérience aujourd’hui.

Pour la deuxième partie de la réunion, nous allons accueillir le haut-commissaire du Bangladesh.

Nous venons tout juste de recueillir le témoignage de la Rohingya Association of Canada et de Justice for All — Burmese Task Force, qui ont défini le contexte de ce que nous voyons à la télévision et lisons dans les journaux. Nous essayons de comprendre la situation. Nous tenons à remercier le haut-commissaire, Son Excellence Mizanur Rahman, d’être ici aujourd’hui, accompagné du ministre, M. Nayem Uddin Ahmed.

Monsieur le haut-commissaire, je crois savoir que vous avez une déclaration liminaire. Nous avons environ 45 minutes à consacrer à votre groupe, et je suis certain qu’il y aura de nombreuses questions. Nous vous remercions d’être ici aujourd’hui; nous sommes très heureux que vous ayez pu venir.

Son Excellence Mizanur Rahman, haut-commissaire, Haut-commissariat du Bangladesh au Canada : Sénateur Munson, président du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, honorables membres du comité et distingués invités, je remercie sincèrement le comité de tenir cette audience sur les violations sans précédent des droits de la personne dans l’État de Rakhine, au Myanmar, et l’exode massif des Rohingyas vers le Bangladesh.

Monsieur le président, dans un premier temps, j’aimerais vous expliquer très brièvement qui sont les Rohingyas. Les Rohingyas d’Arakan ne sont ni une race ni un groupe comme tel issu d’une tribu ou d’un seul groupe racial quelconque. Les Rohingyas sont un groupe de personnes venant de différentes races et cultures. Initialement, des gens d’origine indienne, bengalaise, arabe, perse, afghane et centrasiatique sont venus à Arakan principalement en tant qu’agriculteurs, commerçants, soldats et prêcheurs, se sont mêlés à la population locale et s’y sont établis. Sur le plan linguistique, ils parlent le pachtou, l’arabe, l’ourdou, le portugais et le bengali. La langue rohingya a évolué depuis et constitue un dialecte complètement nouveau par rapport au bengali. Par conséquent, le fait que leur langue s’apparente au bengali ne signifie pas qu’ils doivent être appelés des Bengalais pour autant.

Monsieur le président, l’histoire britannique et d’autres documents laissent entendre que les musulmans de l’État de Rakhine existaient bien avant son annexion par la Grande-Bretagne en 1824. Durant les VIIe et VIIIe siècles, les commerçants arabes se sont rendus à Arakan pour faire du commerce et enseigner l’islam. Au cours des XVe et XVIIe siècles, la partie sud-est du Bengal a été assujettie à la règle d’Arakan. Les Rohingyas qui s’étaient rendus à Arakan ou Rakhine avant 1825 étaient bien établis bien avant l’indépendance de la Birmanie en 1948.

En 1954, le premier ministre du Myanmar, U Nu, a déclaré que les Rohingyas avaient un statut de nationalité égal à celui des Kachin, Kayah, Karen, Mon, Rakhine et Shan. Entre 1948 et 1961, les Rohingyas étaient élus en tant que députés.

Monsieur le président, par la suite, la Loi sur la citoyenneté de la Birmanie de 1982 a éliminé les droits de citoyenneté des Rohingyas et les a désignés comme étant des étrangers. C’est ainsi que la crise a commencé.

On estimait à un million le nombre de Rohingyas qui vivaient au Myanmar jusqu’en 2016-2017. Le Myanmar ne reconnaît pas les Rohingyas comme l’un des 135 groupes ethniques. On a restreint leur liberté de mouvement, de même que l’éducation et les services qui leur sont offerts. Les conditions dans lesquelles vivent les Rohingyas au Myanmar ont été comparées à un apartheid.

Monsieur le président, la répression militaire a chassé beaucoup de Rohingyas en 1978, 1991-1992, 2012, 2015, 2016 et plus récemment, le 25 août 2017. La contre-offensive des autorités du Myanmar, suite aux attaques du 25 août 2017, n’a pas respecté les droits de la personne ni les droits humanitaires à l’échelle internationale. Cela a fait en sorte que plus de 436 000 Rohingyas désespérés — et c’est le chiffre au moment où on se parle — le nombre augmente sans cesse — ont fui le Bangladesh pour sauver leur peau. Ce nouvel afflux s’est ajouté aux 400 000 Rohingyas qui étaient entrés au Bangladesh à différents moments avant août 2017. Selon le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ce nombre excède maintenant 836 000. Alors qu’ils fuyaient les attaques, certains Rohingyas ont été blessés par des mines terrestres mises en place le long de la frontière par les autorités du Myanmar pour empêcher d’éventuels retours.

Monsieur le président, la conseillère d’État du Myanmar a déclaré, dans un communiqué émis le 19 septembre 2017, que plus de 50 p. 100 des villages musulmans sont intacts. Cela laisse sous-entendre que près de la moitié des villages musulmans ont été détruits. Sur les 471 villages, 176 ont été complètement vidés et au moins 34 ont été en partie abandonnés dans les cantons de Maungdaw, Buthidaung et Rathidaung. Selon la version du gouvernement du Myanmar, la moitié des villages musulmans auraient été éliminés.

Monsieur le président, des rapports laissent entendre que les forces de l’ordre du Myanmar et leurs complices rakhines continuent de brûler systématiquement des villages un par un.

D’après Reuters, le fait le plus troublant est que les médecins constatent qu’on se sert du viol dans la campagne de nettoyage ethnique. Les médecins qui traitent les réfugiés rohingyas au Bangladesh, ces dernières semaines, ont vu chez des dizaines de femmes des lésions révélatrices de violences sexuelles. Leurs comptes rendus corroborés par les notes médicales examinées par Reuters ajoutent du poids aux allégations répétées de comportements allant des brutalités au viol collectif. Les médecins disent qu’ils ne tentent pas d’établir de manière définitive ce qui est arrivé à leurs patientes, mais ils ont relevé, dans les témoignages et les symptômes physiques de dizaines de femmes, des coïncidences qui ne laissent aucun doute. Il semble que le viol serve d’arme pour intimider cette minorité ethnique, avec pour objectif de les faire disparaître de l’État de Rakhine.

Le Bangladesh est conscient du rôle joué par les Nations Unies, l’Union européenne et la communauté internationale, notamment le Canada, dans leurs tentatives de faire cesser les atrocités et d’apporter de la stabilité dans l’État de Rakhine du Myanmar. Le Conseil de sécurité des Nations Unies s’est dit très préoccupé par la situation dans cet État, où plus de 436 000 musulmans rohingyas ont été forcés de s’expatrier au Bangladesh pour échapper aux violences croissantes. Le secrétaire général des Nations Unies António Guterres a déclaré que la situation humanitaire est catastrophique et a jugé troublantes et tout à fait inacceptables les attaques des forces de sécurité contre des civils.

Dans ses déclarations répétées, l’ONU a vivement conseillé au gouvernement et aux autorités du Myanmar la prise de mesures immédiates pour mettre fin à la violence dans l’État de Rakhine, désamorcer la situation, rétablir la loi et l’ordre. Le secrétaire général a aussi ajouté que les musulmans rohingyas doivent se faire accorder la nationalité ou, du moins, pour maintenant, un statut juridique qui leur permet de mener une vie normale, notamment le droit de libre circulation et l’accès aux marchés du travail, à l’instruction et aux services de santé.

Le haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme Zeid Ra’ad Al-Hussein a dit que les horreurs étaient des exemples d’école de nettoyage ethnique. Les réfugiés se déversent en grand nombre au Bangladesh en apportant avec eux des témoignages de meurtres, de viols et de dévastation.

Récemment, l’Union européenne a adopté une résolution dans laquelle elle décrit les Rohingyas comme un groupe minoritaire et elle a fait appel aux forces militaires et aux forces de sécurité du Myanmar pour qu’elles cessent immédiatement les meurtres, le harcèlement et les viols du peuple rohingya et l’incendie de leurs maisons. Les autorités du Myanmar ont le devoir de protéger, sans discrimination, tous les civils contre les abus et d’accorder immédiatement l’accès aux organisations d’aide humanitaire dans toutes les régions de conflit et à toutes les personnes déplacées. L’article 14 de sa résolution déclare qu’elle se tient prête à envisager des sanctions punitives ciblées contre des particuliers et des organisations.

Vu l’aggravation de la situation au Myanmar, le Comité du commerce international du Parlement européen a décidé de remettre à un avenir indéterminé le voyage de sa délégation au Myanmar, étant évident que la situation politique actuelle et celle des droits de la personne dans ce pays, décrites dans la résolution du Parlement européen, ne permettent pas de discussion féconde sur les possibilités d’échanges entre l’Union européenne et ce pays.

Ce nouvel afflux de réfugiés rohingyas impose au Bangladesh un fardeau insupportable, puisque le pays a déjà accueilli près d’un demi-million de ces réfugiés qui ont quitté le Myanmar en plusieurs vagues dans le passé, en raison d’opérations militaires. Le Bangladesh ne peut pas être la victime répétée de la violence et de l’instabilité au Myanmar.

Visitant récemment les camps de réfugiés du district frontalier de Cox’s Bazar, l’honorable première ministre du Bangladesh a été profondément troublée par les visages marqués par la faim et le désespoir. Le Bangladesh fait tout ce qu’il est possible pour leur fournir des abris temporaires. Tout en disant qu’il lui était difficile de réprimer les larmes arrachées par de telles atrocités, elle a dit que le Myanmar devait cesser les violences contre des innocents et accueillir de nouveau les Rohingyas réfugiés au Bangladesh.

Voisin responsable, le Bangladesh a maintenu des relations bilatérales actives avec le Myanmar pendant plus d’une décennie sur la question du rapatriement. Récemment, pendant la visite de l’envoyé spécial du conseiller d’État, en janvier 2017, il a proposé le rapatriement durable des ressortissants du Myanmar qui avaient trouvé refuge sur son territoire. De nouveau, en mai 2017, pour entamer des discussions sur un processus bilatéral de rapatriement, il a formulé un ensemble de propositions. Le Myanmar n’a daigné répondre à aucune de ces initiatives. Le Bangladesh n’a jamais répugné à s’engager dans des relations bilatérales avec le Myanmar. Il a plutôt essayé de faire de son mieux pour nouer des relations avec ce pays et la constance de ses efforts n’a abouti à aucun résultat concret.

Après le 25 août, des hélicoptères militaires du Myanmar ont été aperçus à plusieurs reprises dans l’espace aérien du Bangladesh. Ces violations répétées ont eu lieu malgré, la première fois, la protestation énergique du Bangladesh. Plus récemment encore, des tirs du Myanmar ont touché un chalutier du Bangladesh, tuant une personne et en blessant plusieurs. Ces actions ne sont pas seulement des marques d’insouciance et d’irresponsabilité, mais elles révèlent un comportement provocateur et une tactique visant à faire diversion.

À la 72e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 21 septembre 2017, l’honorable première ministre du Bangladesh a demandé à l’ONU et à la communauté internationale de prendre des mesures immédiates et efficaces pour la recherche d’une solution permanente à la crise des Rohingyas. À cette fin, elle a proposé cinq mesures immédiates: premièrement, cessation inconditionnelle, immédiate et permanente, par le Myanmar, de la violence et du nettoyage ethnique dans l’État de Rakhine; deuxièmement, envoi par le secrétaire général des Nations Unies, d’une mission d’enquête au Myanmar; troisièmement, protection, par le Myanmar, de tous les civils, quels que soient leur religion et leur groupe ethnique et, à cette fin, création, sur son territoire et sous surveillance de l’ONU, de zones de sûreté; quatrièmement, retour définitif de tous les Rohingyas déplacés de force au Bangladesh dans leurs foyers du Myanmar; cinquièmement, mise en œuvre immédiate inconditionnelle et intégrale des recommandations du rapport de la commission Annan.

Monsieur le président, nous sommes profondément conscients du rôle du Canada dans la réaction à la crise des Rohingyas, et je perçois le Canada comme un champion des droits de la personne. Votre pays a publié des communiqués condamnant les violations graves des droits de la personne dans l’État de Rakhine et a réclamé des mesures immédiates pour mettre fin aux violences et à l’exode de masse vers le Bangladesh. Le premier ministre Justin Trudeau a organisé des téléconférences avec le conseiller d’État du Myanmar et il lui a écrit.

De plus, sur la question des Rohingyas, des engagements ont été pris au niveau ministériel entre le Bangladesh et le Canada. Le gouvernement canadien a fourni de l’aide humanitaire au peuple rohingya vulnérable.

La cause première de la crise se trouve au Myanmar. En conséquence, la solution définitive doit se trouver seulement au Myanmar. Notre honorable première ministre a exposé, à l’assemblée générale des Nations Unies, une proposition en cinq points que je viens de citer, pour une solution permanente à la crise. Voilà pourquoi nous demandons au Canada d’insister auprès du Myanmar conformément à ces propositions, pour: arrêter inconditionnellement les violences contre les Rohingyas, ce qui mettra fin à leur exode au Bangladesh; mettre en œuvre les recommandations de la commission Kofi Annan immédiatement, inconditionnellement et intégralement; assurer le retour définitif au Myanmar de tous les Rohingyas déplacés; aider le Bangladesh en lui accordant une assistance humanitaire urgente; enfin, relancer sans relâche le Myanmar, dans les rencontres bilatérales ainsi qu’à New York, à Genève et sur d’autres tribunes importantes, pour qu’il trouve une solution durable à cette crise.

Monsieur le président, je vous remercie.

Le président : Votre Excellence, merci beaucoup. Avant d’entreprendre la période de questions avec le vice-président et les autres membres du comité, vous avez félicité le Canada pour ses réalisations. Vous avez parlé d’un communiqué et de déclarations.

Un témoin est venu nous décrire de façon très explicite ce qui se passe actuellement. Il a dit qu’il fallait plus que des mots. Il fallait agir. Est-ce du ressort du gouvernement canadien?

On nous a parlé d’hélicoptères de transport, de toutes sortes de choses.

Pour les réfugiés syriens, nous avons été présents. Nous avons fait des déclarations et nous avons agi. Je sais que la diplomatie travaille, mais que peut faire de plus le Canada?

M. Rahman : Merci, monsieur le président. En fait, j’ai dit, dans mon allocution, que la cause première est la crise des Rohingyas, qui se trouve au Myanmar. Donc, en fin de compte, la solution doit être trouvée seulement au Myanmar.

Pour cette raison, la proposition en cinq points énoncés par notre première ministre énumère clairement tous les besoins auxquels il faut répondre. Ensuite, on pourra s’occuper des détails. Mais pour le moment, comme nous l’avons dit, le secrétaire général des Nations Unies devrait immédiatement envoyer une mission d’enquête au Myanmar, et tous les civils, quels que soient leur religion ou leur groupe ethnique, devraient être protégés, et des zones de sûreté créées.

Le principal est que ces événements sont survenus dans l’État de Rakhine, depuis 1978, après l’indépendance du Bangladesh. Cette fois-ci, il faudrait un rapatriement définitif de tous ces réfugiés, qui sont au moins 836 000, pour qu’ils retrouvent là-bas des moyens d’existence qui leur permettront d’y rester en citoyens respectables du Myanmar.

Le président : Merci. En temps ordinaire, je ne pose pas de questions. Mais le sujet a fait que je n’ai pas pu résister.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, Votre Excellence, pour votre témoignage fascinant et très intéressant. Vous nous avez brossé un historique de la situation. Nous sommes très reconnaissants au gouvernement du Bangladesh, parce que vous aviez des problèmes à vous à régler comme les inondations et cette arrivée massive de réfugiés.

Il y a quelque temps, les nouvelles étaient que, peut-être, le gouvernement du Bangladesh limiterait les déplacements des Rohingyas. Pourriez-vous nous éclairer un peu? Et, quand les réfugiés rohingyas se présentent chez vous, reçoivent-ils tous les services à mesure qu’ils arrivent ou seulement s’ils détiennent une carte de réfugié?

M. Rahman : Comme vous le comprendrez, l’afflux important de réfugiés amène le gouvernement du Bangladesh à appliquer à l’ensemble de ce problème une méthode systématique. À cette fin, nous sommes en train de créer une région de 2 000 acres, où nous construisons une douzaine de camps pour accueillir ces gens. S’ils se dispersent dans différentes parties du pays, il est difficile de les ramener. Nous appliquons systématiquement une démarche.

Quelle était votre deuxième question?

La sénatrice Ataullahjan : Fournissez-vous les services et l’aide à tous les réfugiés rohingyas qui se présentent ou seulement à ceux qui sont des réfugiés inscrits?

M. Rahman : Comme vous le savez, il y avait chez nous près d’un demi-million de ces réfugiés. Nous répondions à leurs besoins. Maintenant, bien sûr, avec les arrivées récentes, nous pourvoyons aux besoins des nouveaux réfugiés, mais c’est une tâche très difficile. Voilà pourquoi nous réclamons l’aide internationale. Nous en avons reçu, de différents pays, y compris du Canada, mais nous en demandons encore.

Vous comprendrez que la tâche est énorme. Je comprends les conditions et tout le reste qui existent, mais nous essayons d’améliorer la situation.

La sénatrice Ataullahjan : Ça allait être ma prochaine question: que peut faire le Canada pour aider le Bangladesh dans la tâche énorme dont il s’est chargé?

Vous avez parlé de revenir sur le comportement agressif du gouvernement du Myanmar, la violation de l’espace aérien du Bangladesh. C’était intéressant. De plus, le monde lui demande de trouver une solution pacifique à la crise. Il n’en fait absolument aucun cas. Quand Aung San Suu Kyi a été l’invitée du gouvernement, au printemps, j’ai rencontré son porte-parole Zaw Htay, et je l’ai questionné à brûle-pourpoint sur les Rohingyas. Il a même refusé d’en parler. Il s’est croisé les bras, m’a regardée et a dit: « Pas de Rohingyas ». Nous continuons de poser des questions, mais nous n’obtenons pas nécessairement de réponses.

Avec ce comportement agressif, le gouvernement semble donc très enhardi. En effet, au début de sa campagne contre les Rohingyas, le monde s’est d’abord tu, et personne n’a soulevé ce problème? Est-ce que ça l’a enhardi?

M. Rahman : Excellente question. Le problème des Rohingyas se pose depuis longtemps. Au Bangladesh, nous essayons de nouer le dialogue avec le Myanmar, comme je l’ai dit.

En plus de cette tentative que je viens de mentionner, nous avons proposé un certain nombre d’autres initiatives. Ainsi, un protocole d’entente sur les bureaux de liaison frontaliers et un dialogue sur la coopération en matière de sécurité. Ces ouvertures n’ont entraîné aucune réponse.

Quant à l’enhardissement du gouvernement, comme vous dites, la raison pour laquelle nous voulons que ce problème soit résolu est que la solution soit définitive et que ces gens retournent au Myanmar.

Le président : Monsieur le ministre, j’ignore si vous aviez quelque chose à dire aussi. J’ai omis de vous le demander et je vous prie de m’en excuser.

Nayem Uddin Ahmed, ministre, Haut-commissariat du Bangladesh au Canada :Merci, monsieur le président. Pour revenir à la question de l’honorable sénatrice et compléter la réponse de mon estimé haut-commissaire, vous comprenez que près de 436 000 Rohingyas ont déjà trouvé refuge au Bangladesh. Nous en hébergions déjà 400 000. Ils sont maintenant près de 850 000.

Le Bangladesh a pris l’initiative d’inscrire ces Rohingyas, pour que le gouvernement puisse rationaliser le travail humanitaire et la réadaptation et, en même temps, l’aide médicale et ainsi de suite. Voilà pourquoi la dispersion des Rohingyas peut survenir, mais qu’elle peut perturber ce processus. C’est donc l’un des enjeux importants.

Ensuite, vous avez dit qu’il est très important que la communauté internationale se fasse entendre. Nous sommes heureux de l’initiative du gouvernement canadien, mais nous croyons qu’il s’en faut de beaucoup pour que l’aide se fasse sentir.

Plus précisément, il faut sortir le Myanmar de son indifférence. Ce pays doit entamer le dialogue avec le Bangladesh pour résoudre ce problème. Sinon, il ne sera même pas en mesure de comprendre les souffrances de ces personnes et leurs besoins d’une réadaptation dans une zone de sûreté, comme notre honorable première ministre l’a expliqué dans son programme en cinq points.

M. Rahman : Comme le dit mon collègue, il est temps que le Myanmar entame le dialogue avec le Bangladesh, pour sortir de son indifférence. C’est important, et nous voulons que la communauté internationale pousse le Myanmar dans cette direction.

La sénatrice Ataullahjan : Je tenais particulièrement à faire remarquer que Sheikh Hasina a été très franche et qu’elle a visité les réfugiés. Elle a fait preuve d’une grande audace en nommant par son nom la crise des Rohingyas. Elle est l’une des dirigeants qui n’a pas eu peur de s’exprimer avec force, et le monde lui en est reconnaissant.

La sénatrice McPhedran : J’aimerais creuser un peu plus le sujet avec vous, monsieur le ministre et monsieur le haut-commissaire. Vous avez parlé d’engagement. La sénatrice Ataullahjan vient juste de parler de l’investissement que votre première ministre a consenti pour régler cette situation très grave.

Qu’en est-il du commandant en chef? Nous savons que la conseillère d’État s’est entretenue avec notre premier ministre il y a environ 10 jours. Hier soir, à la Chambre des communes, il y a eu un débat d’urgence sur la question, comme vous le savez très bien j’en suis certaine.

Dans les rapports que j’ai lus, on ne parle pas de l’engagement bilatéral entre votre pays et votre voisin, alors j’aimerais savoir si vous pouvez nous donner davantage d’informations. J’aimerais savoir en particulier s’il y a des discussions militaires? Il semble que le commandant en chef soit un décisionnaire clé dans tout ceci. Je vous invite par ailleurs à faire appel au Canada, si vous avez une idée de ce que le Canada pourrait faire pour appuyer les efforts bilatéraux et multilatéraux.

M. Rahman : Je vous remercie, madame.

Comme je viens de le mentionner, nous déployons des efforts en vue d’obtenir la collaboration du Myanmar. Comme je l’ai expliqué, un envoyé spécial de la conseillère d’État s’est rendu au Bangladesh en janvier 2017 et nous lui avons transmis une proposition visant à rapatrier ce peuple.

La sénatrice McPhedran : Oui, vous l’avez mentionné.

M. Rahman : Nous avons également travaillé en coulisses lors de l’Assemblée générale des Nations Unies du 21 septembre. Nous avons fait une proposition à la délégation du Myanmar. Notre ministre des Affaires étrangères a rencontré les membres de la délégation en coulisses pour leur faire une proposition. Nous essayons d’obtenir la collaboration du Myanmar, mais sans succès.

M. Ahmed : Madame, si je vous ai bien comprise, vous parlez du commandant en chef de la Birmanie.

La sénatrice McPhedran : Oui.

M. Ahmed : Je veux dire du Myanmar.

Comme vous le savez, il existe une procédure établie pour régler par les voies diplomatiques les enjeux qui concernent nos deux pays ou toute question bilatérale.

Comme Son Excellence l’a mentionné, notre secrétaire aux Affaires étrangères, en tant qu’envoyé spécial de l’honorable première ministre, s’est rendu là-bas et a eu une discussion approfondie sur la question, même avec la conseillère d’État. Essentiellement, c’est le 25 août que la crise a éclaté. Nous sommes le 27 septembre. Cela fait donc un mois et deux jours, et nous n’avons eu aucune communication ou aucun entretien avec le Myanmar jusqu’à maintenant. Voilà un premier élément.

Deuxièmement, nous essayons de dialoguer avec le Myanmar. Il semble qu’une délégation viendra au Bangladesh pour examiner la situation.

Je le répète, nous insistons sur le fait que le Myanmar devrait et doit collaborer avec le Bangladesh pour régler le problème. Nous nous réjouissons à l’idée que le Canada, nos alliés et, bien entendu, la communauté internationale souhaitent nous aider à amener le Myanmar à collaborer avec nous pour régler le problème.

La sénatrice McPhedran : Des rapports ont révélé que des mines antipersonnel ont été placées par les forces armées du Myanmar le long de la frontière avec le Bangladesh. Est-ce qu’il y a des effets dans votre pays? Avez-vous discuté directement avec le Myanmar à propos précisément de ces mines antipersonnel?

M. Rahman : Je dirais que lorsque nous obtiendrons la collaboration du Myanmar, c’est une question qui sera soulevée. Les médias ont fait savoir que les mines antipersonnel ont été placées afin d’empêcher ce peuple de retourner dans son pays, et certains subissent des blessures. On empêche donc systématiquement les Rohingyas de retourner dans leur pays d’origine.

Comme mon collègue l’a dit, notre secrétaire aux Affaires étrangères s’est rendu au Myanmar au moins sept ou huit fois avec une délégation. Notre honorable première ministre s’est également rendue au Myanmar à deux reprises. Outre ces visites, nous n’avons pas eu beaucoup de rapports avec le Myanmar alors que nous essayons de régler la situation en collaboration avec ce pays. Comme je l’ai dit, nous voulons que le Canada continue le travail qu’il effectue auprès du Myanmar pour que ce problème soit réglé le plus tôt possible et que nous évitions une catastrophe humanitaire.

Nous avons vu que le premier ministre du Canada a joué un rôle très important. Il s’est entretenu avec la conseillère d’État et lui a également adressé des lettres, et nous souhaitons qu’il continue à jouer un rôle actif dans ce dossier.

La sénatrice Martin : Je vous remercie, monsieur le haut-commissaire et monsieur le ministre. Je ressens une grande frustration en raison du fait que vous n’obtenez même pas une réponse. Si nous n’obtenons pas la collaboration du pays d’où provient la crise, comment pouvons-nous régler la situation? Qui peut s’engager et comment pouvons-nous obtenir un engagement? Le mot « engagement » est bien trop faible ou inapproprié dans cette situation.

J’essaie de bien comprendre. Il y a les Nations Unies et tous ces pays, et nous voyons en images ce que ce peuple est en train de vivre. Je me demande alors comment parvenir à obtenir un engagement de la part du Myanmar afin de régler la situation?

Nous parlons des Rohingyas, mais le Bangladesh assume un lourd fardeau en raison de ce qui se passe dans un pays voisin, alors comment la communauté internationale peut-elle soutenir le Bangladesh? Vous êtes confrontés à cette situation urgente, mais il faut d’abord déterminer comment amener le Myanmar à collaborer pour régler cette situation très grave.

M. Ahmed : Je vous remercie, madame. C’est une très bonne question. Il faut que le Myanmar sorte de son indifférence.

Il y a quelques minutes, le haut-commissaire a expliqué le point de vue des Nations Unies sur cette crise et la position qu’a prise le Parlement européen. Ils ont pris quelques décisions. Ils ont fait une déclaration et ils ont exprimé leur inquiétude, et en même temps, ils ont reporté le travail de leur équipe commerciale. Ils ont également ciblé d’autres problèmes.

Essentiellement, ce sont là les options. Comme vous le savez, cela fait de nombreuses années que le Myanmar est visé par des sanctions. Maintenant, il est important de faire comprendre au Myanmar que vous êtes témoins de cette situation, que vous devez l’observer. Vous êtes témoin d’une crise humanitaire, de la souffrance de ce peuple et des enfants.

C’est très troublant. Ce matin, j’ai vu dans les nouvelles qu’un camp avait été aménagé pour accueillir les enfants orphelins.

C’est la terrible situation que nous observons. L’honorable première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, s’occupe personnellement de ce dossier. Elle surveille la situation d’heure en heure. Je sais que des employés du bureau du premier ministre observent aussi ce qui se passe. Pendant combien de temps pouvons-nous surveiller la situation et jusqu’où pouvons-nous aller?

En somme, le Myanmar doit discuter avec nous en vue de régler le problème et de rapatrier les Rohingyas chez eux pour qu’ils puissent vivre en sécurité et en santé.

M. Rahman : J’aimerais ajouter que le rapatriement des Rohingyas s’est interrompu soudainement en juillet 2005. On avait commencé à procéder au rapatriement, mais on a complètement arrêté. Nous avons essayé de discuter avec le Myanmar pour que le rapatriement se poursuive. Nous avons un mécanisme bilatéral qui permet une communication entre les deux ministères des Affaires étrangères. Au terme de huit discussions entre les deux ministères, le Myanmar a accepté de prendre 2 415 réfugiés. On avait parlé de former un groupe de travail conjoint en l’espace de deux mois, mais plus rien ne s’est passé par la suite et le groupe de travail conjoint a été démantelé. C’est ce que nous avons fait pour essayer d’amener le Myanmar à reprendre le rapatriement.

La sénatrice Martin : Il y a un processus en cours actuellement, et vous effectuez de nombreuses démarches pour amener le Myanmar à prendre ses responsabilités, à passer de l’indifférence à l’action ainsi qu’à accepter sa responsabilité, mais il faudra du temps. Est-ce que la communauté internationale fait tout ce qu’elle peut?

Je sais que le Bangladesh fait sa part, mais il semble qu’il faudra du temps. Or, le temps manque. Qu’est-ce qui changerait la donne? Y a-t-il quelque chose de différent que nous pourrions faire que nous n’avons pas fait, une initiative à laquelle le gouvernement du Canada pourrait participer?

M. Rahman : Nous avons décrit l’ensemble de la situation et nous avons expliqué que le gouvernement du Bangladesh s’efforce d’amener le Myanmar à collaborer, mais sans succès. Nous avons aussi mentionné les mesures prises récemment par l’Union européenne. Je suis certain que le Canada, qui est un grand défenseur des droits de la personne, peut prendre les mesures qui s’imposent pour faire en sorte que le plan en cinq points qui a été présenté par notre première ministre soit mis en œuvre. Il s’agit d’une série de propositions qui parlent d’elles-mêmes. Une fois que ce plan sera mis en œuvre, le plus tôt possible, on pourra éviter une catastrophe humaine.

M. Ahmed : Je voulais ajouter un point en réponse à votre question.

Les cinq points présentés par notre honorable première ministre durant le débat général aux Nations Unies, notamment l’établissement d’une zone de sécurité et la mise en œuvre des recommandations de la commission dirigée par Kofi Annan, sont les objectifs précis que nous devons atteindre. Le Myanmar doit déclarer qu’il s’attaquera à ces problèmes importants. Les recommandations qui figurent dans le rapport de Kofi Annan sont les meilleures que nous avons pour régler la situation. Nous devons par contre veiller à agir avec humanité et amabilité envers ces Rohingyas qui fuient leur pays. C’est notre vision de la situation.

Le sénateur Ngo : Je vous remercie pour vos exposés.

Je vais en venir directement aux faits. Plus de 450 000 Rohingyas se sont rendus au Bangladesh, et j’aimerais savoir si votre pays a reconnu comme réfugiés des Rohingyas qui se sont présentés à la frontière après le 25 août?

M. Ahmed : Je vous remercie beaucoup pour votre question. Aucun Rohingya n’a été arrêté à la frontière. Jusqu’à aujourd’hui, peu importe d’où ils sont partis, ils ont traversé la rivière Naf et trouvé refuge au Bangladesh. Notre première ministre a dit très clairement que nous devons accueillir les réfugiés. Mais les questions à la communauté internationale sont les suivantes: Pendant combien de temps? Y a-t-il une limite? Le Bangladesh offre tout son soutien dans le contexte d’une crise humanitaire.

Le sénateur Ngo : Comme vous le savez, il y en a plus de 450 000. Savez-vous combien d’entre eux ont été reconnus comme réfugiés et sont en mesure de recevoir de l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés?

M. Rahman : Comme je l’ai mentionné, les Rohingyas ont commencé à arriver au Bangladesh en 1978. Ensuite, ils ont été rapatriés par vagues. Environ 236 000 d’entre eux ont été rapatriés jusqu’en 2005, mais après cela, environ 34 000 Rohingyas attendaient dans les camps de réfugiés d’être rapatriés. À ce moment-là, le rapatriement avait été interrompu.

Comme vous l’avez remarqué, il y a eu une arrivée massive. En plus de ces 34 000 Rohingyas, près d’un demi-million d’entre eux se trouvaient dans notre pays de façon non officielle. Comme vous le savez, il s’agit d’une crise humanitaire, alors nous les avons accueillis. Il y en avait déjà dans notre pays.

Le sénateur Ngo : Est-ce que certains d’entre eux ont été reconnus comme réfugiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et reçoivent son aide?

M. Rahman : Les 236 000 personnes qui ont été rapatriées avaient obtenu le statut de réfugié, et c’est pour cette raison que le Myanmar les a acceptées. Par la suite, 34 000 autres personnes ont obtenu le statut de réfugié. Elles étaient en train d’être rapatriées, mais le processus a été interrompu.

Nous sommes actuellement en train de recenser les personnes qui viennent d’arriver, à l’instar des organismes des Nations Unies. Ce processus de recensement biométrique est en cours.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur le ministre, nous avons entendu parler de cas de traite d’enfants. J’ai moi-même vu une photographie à ce sujet. Êtes-vous au courant de ces cas? Je sais que le viol est un grave problème, car il a été utilisé à de nombreuses reprises pour exercer un contrôle sur les Rohingyas. Est-ce que le gouvernement du Bangladesh est au courant qu’il y a des cas de traite d’enfants?

M. Ahmed : Je peux vous assurer que le gouvernement du Bangladesh veille à la sécurité des Rohingyas qui ont fui et qui se trouvent à Cox’s Bazar, un district du Bangladesh. Il est certain que s’il y a un problème, il y aura davantage de patrouilleurs et d’agents de sécurité afin de protéger les Rohingyas. Nous pouvons vous l’assurer.

M. Rahman : Les organismes d’application de la loi et l’administration du district sont aux aguets afin d’éviter ce genre de situation.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de nous l’assurer.

Le président : Monsieur le haut-commissaire et monsieur le ministre, au nom du comité, je vous remercie pour ce que fait le Bangladesh. Ce n’est sûrement pas facile, mais il s’agit d’une crise humanitaire, et votre pays a fait preuve d’humanité. Nous vous remercions d’avoir comparu devant nous.

Le troisième groupe de témoins qui s’adressera au Comité sénatorial permanent des droits de la personne au sujet de la situation des droits de la personne des Rohingyas est composé d’Alex Neve, secrétaire général d’Amnistie internationale Canada, que nous connaissons bien; de Farida Deif, directrice du Canada pour Human Rights Watch; et de Kevin Malseed, gestionnaire du programme pour Inter Pares, en Birmanie.

Je ne sais pas si vous avez entendu les témoignages précédents, mais vous connaissez bien sûr très bien la situation. Qui voudrait commencer?

Alex Neve, secrétaire général, Amnistie internationale Canada : Je vous remercie beaucoup, monsieur le sénateur Munson, je remercie également les membres du comité. C’est un plaisir de vous retrouver.

Ce matin, j’ai assisté à une conférence de la Commission canadienne des droits de la personne intitulée « Au-delà des étiquettes ». Pendant que je marchais jusqu’ici, je me suis dit que ce titre « Au-delà des étiquettes » touche au cœur du sort des Rohingyas, car, bien entendu, toute cette situation est liée à la discrimination et aux étiquettes. C’est par contre une cruelle ironie que le gouvernement du Myanmar ne désigne même pas les Rohingyas par leur étiquette, par leur nom. Ce que vivent les Rohingyas a des conséquences mortelles.

Interviewé au Bangladesh, Mohammed a montré à un de mes collègues d’Amnistie internationale une blessure à sa jambe gauche causée par une balle. On a tiré sur lui lorsqu’il essayait de s’enfuir. Pendant qu’il était caché, il a vu des soldats attacher les mains de son frère derrière le dos avec de la corde. Plus tard, lorsqu’il a appelé son frère pour voir s’il allait bien, un militaire a répondu au téléphone et il a tout simplement dit: « Votre frère a été tué. Vous pouvez sortir de votre cachette et venir le chercher. »

Un homme de 48 ans nous a raconté que son village, qui s’appelle Yae Twin Kone, a été attaqué le 8 septembre. Il nous a dit que, lorsque les militaires sont arrivés, ils ont commencé à tirer sur les gens, qui ont eu très peur et se sont mis à courir. Il a vu les militaires tirer sur de nombreuses personnes et tuer deux jeunes garçons. Ils ont utilisé des armes pour brûler les maisons. Il y avait 900 maisons dans le village, et il en reste maintenant seulement 80. Il n’y a même plus personne pour enterrer les corps.

« Votre frère a été tué. Vous pouvez sortir de votre cachette et venir le chercher. » « Il n’y a même plus personne pour enterrer les corps. » Ce sont des phrases qui nous rappellent que l’immense crise causée par le nettoyage ethnique, les crimes contre l’humanité et les déplacements de masse au Myanmar, va bien au-delà des chiffres effarants. Les chiffres qui figurent dans les rapports d’Amnistie internationale et d’autres organismes, les appels lancés par l’ONU et les bulletins de nouvelles du soir témoignent de la triste réalité que vivent avec douleur, mais courageusement, des centaines de milliers de personnes, d’êtres chers, de familles et de villages dont les vies ont été brisées et complètement bouleversées au cours de ce dernier mois meurtrier.

Amnistie internationale continue de travailler activement le long de la frontière entre le Bangladesh et le Myanmar et dans des régions du Myanmar. Aux côtés d’autres groupes et experts indépendants, nous avons, grâce à de nombreuses entrevues et des analyses poussées d’images satellites, de données sur la détection d’incendies, de photographies et de vidéos, confirmé que l’État de Rakhine a été dévasté par un nettoyage ethnique général que les forces armées du Myanmar ont commencé le 25 août.

Il y a deux semaines, nous avons publié des éléments de preuve qui démontrent qu’il y a eu au moins 80 incendies majeurs principalement dans le Nord de l’État de Rakhine où vivent les Rohingyas. Il est pratiquement certain que des villages complets ont été incendiés. Les images satellites des incendies correspondent aux témoignages de témoins oculaires que nous avons obtenus et aux images montrant des maisons incendiées dans ces villages. Ces chiffres ne font qu’augmenter à mesure que d’autres éléments de preuve sont recueillis.

Contrairement à ce qu’ont affirmé Aung San Suu Kyi et d’autres représentants du gouvernement, à savoir que le prétendu nettoyage mené par les militaires a cessé le 5 septembre, nous avons confirmé que des villages ont été incendiés après cette date, notamment aussi récemment que le 14 septembre.

Lorsque des villages ont été attaqués, incendiés et rasés, nous savons que d’innombrables hommes, femmes et enfants ont été tués, violés et grièvement blessés et ont même été délibérément tirés lorsqu’ils cherchaient à fuir. Nous n’avons pas de statistiques ou de chiffres exacts sur le nombre de personnes tuées ou blessées, car notre organisme et d’autres organisations ne peuvent pas avoir accès à l’État de Rakhine.

Amnistie internationale a également documenté l’utilisation de mines antipersonnel par des militaires du Myanmar le long de la frontière avec le Bangladesh. Des civils ont été tués ou blessés à la suite de l’explosion de mines antipersonnel. Comme vous le savez tous, les mines antipersonnel sont illégales en vertu du droit international, mais il est particulièrement cruel d’en faire usage dans une région par laquelle passent des réfugiés.

Enfin, bien entendu, la crise des droits de la personne, conjuguée à une catastrophe humanitaire attribuable au fait qu’on restreint l’accès à de vastes secteurs de l’État de Rakhine aux organismes de l’ONU et aux organisations d’aide, a provoqué, comme vous l’a dit le haut-commissaire, une situation urgente, car tout indique que le nombre de réfugiés qui arrivent au Bangladesh pourrait bientôt atteindre 500 000. Bien au-delà du tiers des Rohingyas qui vivent au Myanmar ont fui ce pays.

Le Bangladesh a répondu avec générosité, mais il ne peut pas faire face à la situation sans que la communauté internationale apporte une aide considérable.

Cette crise aurait pu être évitée. La discrimination et l’abus dont sont victimes les Rohingyas sont exposés à la face du monde depuis non pas des mois ou des années, mais des décennies. La réaction a été essentiellement l’indifférence et l’inaction, et même le Conseil de sécurité des Nations Unies est demeuré silencieux, et l’année dernière, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de cesser d’adopter annuellement une résolution visant les droits de la personne au Myanmar.

L’indifférence à l’échelle de la planète se poursuit. Le Canada peut et doit jouer un rôle de leadership afin qu’on agisse rapidement dans trois grands domaines. Premièrement, il est impératif de protéger les réfugiés. À mesure que les chiffres augmentent de façon exponentielle et que les conditions se détériorent à cause du surpeuplement, de la météo, de l’hygiène et d’autres facteurs, il est clair que le Canada, qui a déjà contribué à alléger le fardeau du Bangladesh, doit en faire davantage. Il doit offrir notamment des contributions financières plus généreuses; démontrer la volonté d’offrir des solutions en faveur d’une réinstallation et d’une réunification rapides; et, puisqu’il préside le comité exécutif du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, diriger une réponse mondiale généreuse et coordonnée à la crise des réfugiés.

Le deuxième impératif est d’assurer la protection des citoyens au Myanmar. On comprend clairement ce que cela inclut, mais l’objectif n’est pas aussi simple à atteindre: mettre un terme à la violence, amorcer des activités de déminage et permettre le libre accès aux organismes des droits humanitaires et de la personne afin qu’ils puissent fournir de l’aide et garder l’œil ouvert pour repérer toute violation.

Les contributions les plus importantes du Canada découleront de collaborations multilatérales. Cela signifie mettre de la pression sur le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui sera mis au courant de la situation aujourd’hui et demain, afin qu’il adopte une résolution ferme condamnant les violations et exigeant la fin de ces violations; imposer un embargo strict sur la vente d’armes; chercher des façons de poursuivre en justice les individus responsables de crimes contre l’humanité; veiller à ce que l’Assemblée générale des Nations Unies, qui se réunit actuellement, adopte une résolution ferme sur la situation des droits de la personne au Myanmar; soutenir les efforts visant à faire adopter la résolution qu’étudie actuellement le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies proposant de prolonger d’un an la mission d’enquête du conseil au Myanmar; et, tout en prenant du recul par rapport au contexte multilatéral, le Canada devrait tirer avantage de tous les canaux bilatéraux à sa disposition pour mettre de la pression sur tous les pays avec lesquels il fait affaire, particulièrement des pays influents, comme la Chine, afin qu’ils prennent des mesures pour mettre fin à cette crise.

Finalement, le troisième impératif est de travailler à apporter des changements à long terme au Myanmar en matière de droits de la personne. Cette violence est perpétrée dans le contexte plus large de la discrimination de longue date contre les Rohingyas, y compris le déni de leur droit à la nationalité; l’imposition de restrictions sévères à la libre circulation, à l’accès à l’éducation, aux soins de santé, à des moyens de subsistance, et à la liberté de religion, entre autres.

Il y a également un comportement bien ancré qui laisse la voie libre aux fonctionnaires, extrémistes religieux et autres figures publiques pour déchaîner leur haine. Tous ces comportements doivent être abordés. Les recommandations de Kofi Annan proposent de nombreuses mesures nécessaires en ce sens.

Outre la situation que l’on retrouve dans l’État d’Arakan, il existe d’autres préoccupations graves au pays en matière de droits de la personne, y compris des situations de conflits armés et de persécution dans les régions où vivent des minorités ethniques, y compris l’État de Kachin et l’État Shan du Nord, des situations qu’Amnistie internationale a beaucoup documentées.

Nous demeurons préoccupés par la situation des prisonniers d’opinions et les violations à la libre expression, y compris contre les journalistes.

J’aimerais dire, en terminant, que l’horrible crise à laquelle font face les Rohingyas soulève évidemment des inquiétudes qui sont tout à fait compréhensibles. Il faudra certainement adopter des mesures à long terme pour calmer ces inquiétudes et les autres inquiétudes qui surgissent. Merci.

Le président : Merci beaucoup, Alex.

Poursuivons avec le prochain exposé.

Farida Deif, directrice du Canada, Human Rights Watch : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs, de m’avoir invitée à comparaître devant le comité afin de parler de la situation actuelle des droits de la personne des Rohingyas. Comme bon nombre des participants ici présents le savent, vers la fin du mois d’août, après une attaque perpétrée par des militants contre 30 postes de police et camps militaires, les forces de sécurité birmanes se sont livrées à des atrocités et ont forcé près d’un demi-million de musulmans rohingyas à se réfugier au Bangladesh.

Human Rights Watch juge qu’en vertu du droit international, les gestes de violence posés par les membres de la force de sécurité birmane constituent des crimes contre l’humanité. Nos chercheurs se sont entretenus avec plusieurs réfugiés rohingyas au Bangladesh qui ont déclaré que les forces de sécurité birmanes ont ouvert le feu sur les villageois, qu’ils les ont poignardés avec des couteaux et battus à mort avec des bêches et des machettes, et qu’ils ont mis le feu à leurs maisons.

Après avoir analysé des images satellites prises entre le 25 août et le 16 septembre, Human Rights Watch a conclu que plus de 280 villages ont été détruits par les flammes dans le Nord de l’État d’Arakan depuis que la violence a éclaté. Selon des témoins, avant de mener leurs attaques, les soldats birmans ont posé des mines terrestres antipersonnel à des points de passages frontaliers clés entre la Birmanie et le Bangladesh et sur les routes situées dans le Nord de l’État d’Arakan.

Dans le cadre des audiences du comité, de nombreux témoins ont souligné que cette campagne brutale contre la population rohingya ayant entraîné d’innombrables morts et déplacements massifs a toutes les apparences d’un nettoyage ethnique. Toutefois, les déportations forcées, les meurtres, les viols et les persécutions constituent également des crimes contre l’humanité en vertu du droit international. Les crimes contre l’humanité sont des gestes criminels précis commis dans le cadre d’attaques de grande envergure ou systémiques contre une population civile. Les attaques perpétrées par l’armée birmane contre les Rohingyas sont de grande envergure et systémiques et les déclarations des responsables de l’armée et du gouvernement birman dénotent leur intention à attaquer cette population.

Monsieur le président, la communauté internationale, y compris le Canada, a raison de faire part au gouvernement de la Birmanie de l’indignation et de la critique que lui inspirent les gestes posés depuis la fin du mois d’août. Il est clair maintenant que la condamnation de ces gestes et la dénonciation publique n’ont eu aucun impact, qu’elles aient été dirigées contre l’armée ou la conseillère d’État Aung San Suu Kyi.

Les responsables du gouvernement birman continuent de prétendre que ces allégations d’atrocités ne sont que pures fabrications. Récemment, le commandant en chef de l’armée, le général en chef Min Aung Hlaing, a déclaré que les Rohingyas n’existent pas, que les Rohingyas de la Birmanie sont en fait des Bengalis, et que les activités militaires en cours visent à régler des affaires en suspens datant de la Seconde Guerre mondiale à l’époque où des bouddhistes extrémistes d’Arakan auraient massacré plus de 100 000 Rohingyas dans l’État d’Arakan.

Dans le cadre de ses discussions sur les prochaines étapes à adopter dans la crise des Rohingyas, le gouvernement du Canada devrait se concentrer principalement sur l’armée et examiner quelles mesures auraient le plus d’impact sur le comportement de celle-ci. Le temps est venu d’appliquer des conséquences concrètes, des sanctions et des punitions qui imposeront des coûts concrets et financiers au commandement militaire supérieur de la Birmanie. Human Rights Watch encourage le gouvernement canadien à imposer des interdictions de voyage aux responsables de la sécurité impliqués dans des gestes graves et à geler leurs avoirs, notamment le commandant en chef de l’armée et général en chef Min Aung Hlaing; d’élargir l’embargo en vigueur sur la vente d’armes et de technologies militaires afin d’inclure toute aide aux ventes ou coopération liées à la sécurité; et interdire au gouvernement et aux entreprises canadiennes d’effecteur toute transaction financière avec des entreprises appartenant à l’armée.

Ces mesures ne visent pas uniquement à mettre un terme aux comportements répréhensibles. Pour être efficaces, les sanctions doivent être liées aux appels lancés par la communauté internationale au gouvernement birman et aux recommandations qu’elle lui a déjà formulées. Toute sanction ou punition doit réitérer les demandes formulées par les Nations Unies et inclure ces demandes à titre de points de référence à atteindre avant que les sanctions ne soient assouplies. Ces points de référence incluent: mettre un terme à la campagne brutale en cours et permettre à l’aide humanitaire de circuler librement; permettre l’accès à la mission d’enquête constituée par les Nations Unies et mandatée par le Conseil des droits de la personne des Nations Unies et coopérer pleinement avec cette mission; mettre un terme aux restrictions imposées à l’aide humanitaire, aux journalistes et aux enquêteurs indépendants dans le Nord de l’État d’Atakan; faciliter le retour sain et sauf et volontaire des réfugiés sous la supervision d’une équipe internationale; mettre un terme aux pratiques discriminatoires contre les Rohingyas; et, finalement, veiller à ce que les responsables des crimes passés soient punis.

Le Canada devrait s’abstenir d’offrir toute coopération ou tout soutien aux forces de sécurité birmanes jusqu’à ce que ces conditions soient satisfaites — cela inclut la prestation de fonds pour la lutte antiterroriste à la police birmane par l’entremise de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, comme les programmes annoncés au mois d’août par Affaires mondiales Canada — jusqu’à ce que la mission d’enquête constituée par les Nations Unies soit autorisée à mener une enquête indépendante qui aura innocenté la police de tout méfait.

Bref, nous ne pouvons pas agir comme si tout était normal en Birmanie. Le gouvernement canadien a vivement dénoncé la répression brutale exercée par l’armée birmane, mais le temps est venu pour le Canada d’aller au-delà de la simple dénonciation de la violence.

Le président : Merci beaucoup d’être parmi nous.

Kevin Malseed va prendre la parole ensuite, nous prendrons les questions.

Je tiens à rappeler aux sénateurs que la séance doit se terminer à 14 heures précises. Le Sénat siège à partir de 14 heures.

Kevin Malseed, gestionnaire de programme, Birmanie, Inter Pares : Merci de m’avoir invité à comparaître.

Inter Pares travaille depuis maintenant 25 ans avec des groupes locaux de la société civile en Birmanie. Je travaille moi-même en Birmanie depuis 26 ans. J’ai passé les 13 premières années de cette période à vivre et à travailler dans les États ethniques du sud de la Birmanie.

Notre programme appuie la création d’une société civile ethnique forte, dynamique et diverse et réunit différentes ethnicités afin de bâtir une communauté où ce que vivent les Rohingyas n’aurait pas lieu. Nous soutenons à la fois des groupes de la société civile rohingya et arakanais, y compris une organisation qui réunit les jeunes des deux populations, ainsi que des coalitions inclusives des deux nationalités. Ces gens ne se détestent pas tous. La haine a été nourrie systématiquement par des régimes successifs qui s’en sont servis pour soutenir le développement d’une identité nationale et contrôler la population.

J’utilise le terme « ethnique », car au moins 40 p. 100 de la population de la Birmanie sur 60 p. 100 du territoire du pays s’identifient comme étant d’une nationalité « ethnique » autre que Bamar. De nombreuses personnes à l’extérieur de la Birmanie savent qu’une lutte pour la démocratie fait rage au pays. Ils sont beaucoup moins nombreux à savoir qu’une lutte de longue date est engagée pour l’autodétermination ethnique et une démocratie inclusive et fédérale. C’est l’objectif que cherche à atteindre notre programme. Daw Aung San Suu Kyi et la Ligue nationale pour la démocratie participent à cette lutte pour la démocratie, mais n’ont jamais vraiment témoigné un grand intérêt pour la lutte ethnique ou reconnu la force que peut apporter la diversité. Tout comme la junte militaire qui les a précédés, Daw Aung San Suu Kyi et son parti croient en l’efficacité d’un gouvernement hautement centralisé pour la Birmanie appuyé par une force militaire imposée avec impunité. Daw Aung San Suu Kyi a elle-même déclaré qu’elle est politicienne et non militante des droits de la personne.

Je tiens à le souligner, car il est essentiel de comprendre la situation des Rohingyas. Au début de 2016, j’ai visité les camps de déplacés rohingyas situés près de Sittwe, la capitale de l’État d’Arakan. Les conditions de vie y étaient épouvantables. Les efforts du gouvernement pour bloquer l’aide humanitaire étaient un crime et le sont toujours. Ces conditions me rappelaient celles dont j’ai été témoin chez les Karen et autres groupes dans le sud de la Birmanie qui, pendant des décennies, ont vu leurs villages être brûlés et ont été traqués comme des animaux par la Tatmadaw ou réunit dans des camps similaires gardés et contraints à des travaux forcés. Depuis 2011, la Tatmadaw s’attaque aux civils à Kachin et dans l’État Shan du Nord, alors que le gouvernement élu nie toute atrocité militaire et bloque systématiquement l’aide internationale destinée aux personnes déplacées, tout comme nous le voyons pour les Rohingyas. Il y a deux dénominateurs communs ici: un régime au pouvoir qui diabolise une population pour tenter d’obtenir l’appui d’une autre population, et une armée qui réagit à toute résistance en ayant recours à des tactiques de la terre brûlée contre les civils.

Depuis 25 ans maintenant que je m’entretiens avec des villageois et que je documente le comportement de la Tatmadaw. Je peux vous dire que les gestes posés contre les Rohingyas sont pratique courante pour la Tatmadaw. Ces gestes n’ont rien de nouveau pour les citoyens. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que ces gestes sont posés malgré la présence d’un gouvernement élu et qu’ils ont attiré l’attention du monde. Ces attaques sont perpétrées par la Tatmadaw et la police frontalière qui relève de l’armée, ainsi que par des milices financées par l’État et des groupes radicaux encouragés, approvisionnés et soutenus par l’armée. En vertu de la Constitution du pays, le gouvernement n’a aucun contrôle sur l’armée. Toutefois, une critique gouvernementale des atrocités permettrait d’aviser les chefs militaires qu’ils sont sous surveillance et ferait craindre aux auteurs de ces atrocités d’être traduits en justice. Même le président précédent et militaire, Thein Sein, a critiqué l’armée et exigé la fin de la campagne militaire dans l’État de Kachin. En niant toute violence militaire et en défendant les gestes de l’armée, le gouvernement au pouvoir a plutôt renforcé le sentiment d’impunité et de liberté qui habite l’armée qui se croit donc libre d’agir comme bon lui semble. Cela rend le gouvernement complice des abus commis. Daw Aung San Suu Kyi a elle-même menacé de faire arrêter toute personne, y compris les journalistes, qui sympathisent avec les Rohingyas, tout en qualifiant les rapports sur les violations des droits de la personne de « fausses nouvelles » et en parlant de « faux viols ».

Le gouvernement et l’armée prétendent qu’ils réagissent aux attaques perpétrées par les militants rohingyas contre des postes militaires et de police. Les informations recueillies par nos organisations partenaires auprès des villageois mettent en doute cette position. Selon les villageois, au cours des semaines précédant le 25 août, journée où les militants auraient prétendument mené leurs attaques, la Tatmadaw aurait déployé des centaines de soldats à des postes de police frontaliers dans l’État d’Arakan. Selon le gouvernement, le 25 août, six postes de police dans la ville de Maungdaw auraient été attaqués, mais les villageois affirment qu’il n’y a eu aucune attaque et que certains des postes de police mentionnés n’existent même pas. Ces attaques n’ont pu être confirmées par des sources indépendantes.

Toujours selon les villageois, ce qui s’est produit le 25 août, c’est que les troupes déployées ont mené des attaques non provoquées contre les villages. Par exemple, dans le village de Tamantha, dans le nord de Maungdaw, la Tatmadaw, la police frontalière et des milices se sont mises à piller les marchés. Lorsque les propriétaires des commerces ont tenté de les en empêcher, ils ont immédiatement ouvert le feu et commencé à brûler les maisons. Cela laisse entendre que le massacre des Rohingyas était planifié et que les auteurs se sont servis des prétendues attaques des postes frontaliers comme excuse pour se livrer à ce massacre.

Les Rohingyas disent en avoir assez de la rhétorique internationale qui ne mène à aucune mesure. Donc, nous recommandons au gouvernement du Canada: de défendre l’adoption d’un embargo international sur la vente d’armes contre la Tatmadaw de la Birmanie; d’imposer une interdiction de voyager pour tous les officiers de la Tatmadaw et les hauts fonctionnaires; de revoir les anciennes sanctions imposées en vertu de la LMES levées prématurément en 2012, notamment les sanctions ciblées contre les responsables militaires et gouvernementaux qui ont activement appuyé les actes de violence; de mettre de la pression sur le gouvernement birman afin qu’il soutienne le respect des droits de la personne pour tous ses citoyens, qu’il facilite immédiatement l’accès de l’aide humanitaire dans l’État d’Arakan et qu’il permette à la mission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de la personne des Nations Unies et aux journalistes indépendants un accès immédiat et complet à la région; de se joindre à d’autres gouvernements aux vues similaires pour accentuer cette pression sur le gouvernement birman; d’offrir une aide humanitaire aux Rohingyas des deux côtés de la frontière tout en continuant d’appuyer des initiatives comme le programme Inter Pares afin de bâtir la coopération interethnique; et, d’accueillir davantage de réfugiés rohingyas au Canada. Merci.

Le président : Merci beaucoup, Kevin, pour cet exposé.

Il nous reste environ 20 minutes. La vice-présidente du comité sera notre première intervenante.

La sénatrice Ataullahjan : Merci pour ces exposés.

Lorsque les gens parlent de la situation des Rohingyas, ils parlent d’un nettoyage ethnique. C’est d’ailleurs ainsi que vous avez qualifié la situation. Le témoin précédent, M. Ramadan, dit que l’expression « nettoyage ethnique » n’est qu’un euphémisme employé pour parler de « génocide » et que cette expression n’a aucune portée juridique dans le droit international. Pourquoi les pays du monde craignent-ils d’appeler cette situation par son nom, un « génocide », et continuent-ils d’utiliser l’expression « nettoyage ethnique »?

M. Neve : Amnistie internationale est l’une des organisations qui parlent d’un nettoyage ethnique. Il est vrai que cette expression n’a aucune portée juridique dans les traités internationaux. Il s’agit d’un concept utilisé de plus en plus au cours des dernières années par les gouvernements et organismes des Nations Unies et autres spécialistes des droits de la personne. Mais, je crois que cette expression a une signification claire, qu’elle est importante et qu’elle reflète la gravité et tout le sérieux de la situation.

Amnistie internationale et d’autres organisations, comme Human Rights Watch, ont été très claires que les gestes posés constituent des crimes contre l’humanité et qu’ils pourraient entraîner des conséquences juridiques très claires et très sérieuses.

Pour ce qui est de la question du génocide, Amnistie internationale est l’une des organisations qui n’a toujours pas déclaré publiquement qu’il s’agissait bien d’un génocide. Nous ne disons pas pour autant que ce n’est pas le cas. Notre silence sur la question ne veut pas dire que nous ne sommes pas d’accord qu’il s’agisse d’un génocide. Nous avons certainement exprimé nos préoccupations selon lesquelles les conditions propices d’un génocide possible sont réunies et qu’il faut agir pour le prévenir.

La question à savoir s’il s’agit bien d’un génocide est fort technique sur le plan juridique. Le fardeau de la preuve est considérable, car il faut pouvoir démontrer la volonté d’éliminer un groupe, et non seulement de le chasser ou encore de commettre tous les actes horribles qui ont lieu actuellement. Le fardeau de la preuve quant à la volonté est beaucoup plus lourd.

Il se peut qu’Amnistie internationale et d’autres organismes jugent, à court ou à moyen terme, que les conditions sont réunies et que les preuves sont suffisantes. Bien qu’il soit peut-être utile de continuer à en débattre sur la scène internationale, nous pensons que le plus important, c’est de prendre des mesures dès maintenant à l’égard des crimes généralisés contre l’humanité qui sont bien attestés, et de nous concentrer là-dessus.

M. Malseed : Je suis d’accord avec Alex, notamment sur la question du génocide. Je crois que si l’on lit la convention sur le génocide, on constate qu’effectivement, certaines des conditions sont réunies. Les gouvernements rechignent à reconnaître un génocide, cependant, car en vertu de la convention, s’il y a reconnaissance d’un génocide, les gouvernements doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour y mettre un terme, y compris une intervention militaire. Personne n’a la volonté politique d’agir de la sorte dans ce cas-ci.

Je suis donc d’accord, comme Alex, que le débat est utile. Ce débat peut cependant avoir lieu en parallèle. Ce qui importe maintenant c’est d’agir, quelle que soit l’étiquette utilisée.

Mme Deif : Je suis d’accord avec mes deux collègues pour dire que la définition légale et les discussions juridiques actuelles sont utiles et importantes, mais ce qui importe encore plus c’est agir et mettre dans le collimateur les forces armées et de sécurité du Myanmar. On a beaucoup parlé au Canada d’Aung San Suu Kyi et de sa citoyenneté canadienne, mais il faut montrer du doigt les auteurs de ces violations atroces des droits de la personne, à savoir l’appareil militaire du Myanmar. C’est ce que nous espérons que le Canada fera.

La sénatrice Ataullahjan : Vous me corrigerez si j’ai tort, mais l’ONU n’a pas demandé des sanctions contre le Myanmar. Y a-t-il eu une demande de sanctions? Il nous manque les termes musclés qui doivent être utilisés et, à mon avis, l’heure de la parole est révolue. C’est maintenant le temps d’agir. Nous avons vu de telles situations dans le passé. Après coup, les gens diront: « Plus jamais, plus jamais », et pourtant ces cas se reproduisent.

Tout le monde regarde du côté de l’ONU, mais pourquoi ce silence? Comme nous l’a dit le haut-commissaire du Bangladesh, le Myanmar mène des attaques et franchit l’espace aérien du Bangladesh. C’est un comportement hardi, et pourtant le monde est muet. Le problème perdure depuis de nombreuses années.

Le Myanmar est revenu sur la scène internationale récemment. La communauté internationale était ravie de la libération d’Aung San Suu Kyi et espérait que le pays allait avancer. Est-ce la volonté de ne pas critiquer? Quel est le problème? Que fait du Myanmar un cas si spécial?

M. Neve : Bien évidemment, nous commençons en regardant du côté du Conseil de sécurité, car c’est là où ont lieu les décisions et les actions concrètes au sein de l’ONU, y compris certaines dont nous avons parlé, comme un embargo sur les armes. C’est ensuite une question de politique au sein du Conseil de la sécurité, et bien sûr, la Chine et la Russie ont leur droit de veto. La Chine, notamment, a longtemps protégé le gouvernement du Myanmar, y compris son appareil militaire, et exerce son droit de veto ou menace de le faire pour contrer toute mesure prise par le Conseil de sécurité depuis de nombreuses années.

D’où cette longue période de mutisme de la part du Conseil de sécurité de l’ONU. La déclaration faite par le Conseil de sécurité il y a deux semaines environ n’était pas une résolution. C’était la première fois que le Conseil de sécurité parlait du Myanmar depuis neuf ans. C’était une déclaration, non une résolution. C’était une déclaration qu’aucun d’entre nous n’aurait rédigée, mais c’était quelque chose. Cela veut dire que la Chine était d’accord avec la rédaction de la déclaration.

Cela veut-il dire que nous avons une petite ouverture et l’occasion d’influencer la Chine? Je crois que les gouvernements comme celui du Canada doivent travailler de concert avec leurs alliés dont l’attitude est semblable et concevoir une stratégie pour motiver la Chine à agir sur ce dossier.

M. Malseed : Il est intéressant de constater que la position de la Chine puisse évoluer légèrement sur la question du Myanmar maintenant. Sa position n’est pas très claire. La Chine, d’une part, perçoit Aung San Suu Kyi comme étant trop près de l’Occident, ce qui fait qu’elle n’a pas la même volonté d’appuyer tout ce que fait le gouvernement du Myanmar. Il y a donc peut-être une petite marge de manœuvre à exploiter.

Je constate également au sein de la communauté internationale en général que celle-ci et l’ONU sont devenues tellement lassées au fil des décennies du manque de résolution et de l’indécision quant à savoir ce qu’il fallait faire sur la question du Myanmar, que lorsque le parti de la LND a été porté au pouvoir et depuis la transition qui a commencé en 2010, elles ont voulu manifester leur soutien et ont appuyé de façon prématurée tout ce que faisait le gouvernement d’Aung San Suu Kyi.

Comme les gens qui travaillent sur le terrain au Myanmar, notamment les groupes ethniques, l’ont dit à qui voulait l’entendre, il ne fallait pas donner un soutien inconditionnel, mais la communauté internationale et l’ONU l’ont fait quand même. Ils ont voulu traiter la situation des Rohingyas, des Kachins et de l’État du Shan dans le Nord comme des dossiers d’intérêt marginal pour la démocratie du Myanmar qui pouvaient être mis de côté et résolus plus tard, sans se rendre compte que ces situations sont un symptôme des lacunes de la transition du Myanmar vers la démocratie, qui a une constitution bancale et qui a confié trop de pouvoirs à un gouvernement très centralisé ayant des rapports étroits avec l’appareil militaire. Il faut examiner tous ces aspects pris globalement, et non seulement comme des problèmes en marge.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Malseed, vous avez parlé du 25 août, le jour où ces gens disent qu’ils ont été attaqués. Savez-vous si les Rohingyas ont des armes? Ils n’ont aucune nourriture. Peuvent-ils se procurer des armes afin d’être en mesure de mener des attaques? Vous nous dites que ces attaques n’ont jamais eu lieu.

M. Malseed : Je vous dis qu’il n’y a eu aucune vérification à savoir si les attaques ont eu lieu comme l’affirme le gouvernement. On a vu des entretiens avec des Rohingyas qui prétendent être dans l’Armée du salut des Rohingyas et les auteurs des attaques. Il est difficile de comprendre ce qui s’est passé ou non. Je vous dis tout simplement que selon les habitants de nombreux villages qui auraient été concernés, ces attaques n’ont pas eu lieu.

Pour ce qui touche l’accès aux armes, vous avez raison. Les Rohingyas sont soumis à de nombreuses restrictions sur tout ce qu’ils font depuis si longtemps; comment auraient-ils pu, soudain, acquérir un si grand nombre d’armes?

La sénatrice McPhedran : J’aimerais poser des questions qui tiennent compte du genre. Avez-vous des raisons de douter de l’exactitude de l’estimation selon laquelle environ 70 000 des réfugiés au Bangladesh sont des femmes enceintes et de l’affirmation selon laquelle un grand nombre de ces grossesses sont le résultat d’actes de violence sexuelle perpétrés durant les conflits?

Aussi, une délégation de l’Association parlementaire du Commonwealth se rendra au Bangladesh et au Sri Lanka dans environ cinq semaines. À votre avis, pourrait-elle apporter des contributions constructives? Si vous avez des suggestions ou des demandes précises, je vous serais reconnaissante de nous en faire part.

Enfin, selon vous, serait-il utile de déployer des efforts pour retirer à la conseillère d’État l’honneur de sa citoyenneté canadienne?

Mme Deif : Par rapport à la violence sexuelle, nos chercheurs sur le terrain qui font des entrevues avec les réfugiés rohingyas au Bangladesh ont certainement recueilli des témoignages de femmes qui allèguent que des membres des forces de sécurité birmanes les ont violées ou qu’elles ont été témoins de viols.

Je ne sais pas quels sont les chiffres, mais nous parlons d’une situation qui représente un terreau très fertile. Tout indique que la violence sexuelle est utilisée pour terroriser la population, notamment le degré d’impunité que nous avons vu chez les forces de sécurité birmanes dans l’État de Rakhine.

Pour ce qui touche la question de retirer la citoyenneté canadienne à Aung San Suu Kyi, je dirais que nous devons vraiment nous concentrer sur les agresseurs. Nous devons agir. Le Canada doit poser des gestes qui ciblent les agresseurs. Entre autres, il doit veiller à ce que les entreprises et le gouvernement du Canada ne fassent pas affaire avec des sociétés militaires du Myanmar. J’en mentionnerais deux qui sont particulièrement importantes: la Myanmar Economic Corporation et la société Myanmar Economic Holding Limited. Les entreprises et le gouvernement du Canada ne devraient pas faire affaire avec ces deux sociétés qui appartiennent à l’armée birmane.

Au-delà de cela, le Canada doit prendre toutes les mesures nécessaires pour revoir sa relation bilatérale. Cette relation n’est pas seulement entre lui et Aung San Suu Kyi, mais son gouvernement et le pays dans son ensemble. Le Canada doit s’assurer qu’il ne contribue pas involontairement aux agressions en fournissant des fonds aux agents de la police birmane par l’intermédiaire du financement pour la lutte contre le terrorisme qu’il fournit à tous les États membres de l’ANASE, financement qui a été annoncé en août.

Il faut absolument réévaluer ce financement. Aucuns fonds ne devraient être versés à la police ou aux forces de sécurités birmanes avant qu’une mission d’étude constituée par l’ONU mène une enquête sur le terrain, qu’elle reçoive des visas pour mener cette enquête et qu’elle innocente la police de tout méfait.

Jusqu’à maintenant, dans ses déclarations, le gouvernement canadien a condamné vigoureusement les agressions perpétrées sur le terrain, mais malheureusement, il omet souvent de mentionner la mission d’étude de l’ONU. Cette mission d’étude est celle qui avait été mise sur pied par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Nous entendons encore souvent parler de la commission dirigée par Kofi Annan et de ses recommandations. Elle était abordée notamment dans une des déclarations du premier ministre.

Je pense qu’il est très important que le gouvernement souligne que la commission dirigée par Kofi Annan ne remplace pas la mission d’étude de l’ONU parce que cette commission n’a pas été établie pour enquêter sur les violations des droits de la personne sur le terrain. Nous n’avons toujours pas entendu de déclaration qui mentionne précisément la mission d’étude de l’ONU.

Pour répondre à une question qui a été posée plus tôt, c’est vrai qu’on a agi prématurément pour renouer les relations avec la Birmanie et pour accueillir le pays au sein de la communauté internationale. Malheureusement, cet intérêt et cet empressement sont dus en partie à l’abondance de ressources dont le pays dispose.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Omidvar : Ma question porte sur la dernière observation de Mme Deif concernant la mission d’étude de l’ONU. Nous savons que le gouvernement n’a approuvé aucune mission d’étude. Toutefois, Aung San Suu Kyi a invité récemment la communauté diplomatique à entrer au Myanmar et à constater l’état de l’intégration des musulmans dans l’État de Rakhine. Elle a déclaré que l’intégration était réussie. Savez-vous si le gouvernement a donné suite à cette déclaration, si des invitations précises ont été faites et si des diplomates de bonne foi sont entrés au Myanmar pour enquêter? Dans l’affirmative, y a-t-il des Canadiens parmi eux?

M. Malseed : Je ne suis au courant d’aucune action directement liée à cette déclaration. En fait, si vous examinez attentivement ce qu’elle a dit, vous constaterez qu’elle n’a pas déclaré: « Entrez et venez faire ce que vous voulez. » Ce qu’elle a dit, c’est: « Entrez et venez travailler avec nous, le gouvernement, pour comprendre la situation. » Elle n’a jamais dit que les diplomates auraient accès aux gens sur le terrain sans la présence des gardiens du gouvernement et des militaires.

Mme Deif : Aung San Suu Kyi, la conseillère d’État, est venue à Ottawa en juin. Le but de sa réunion avec le premier ministre était prétendument d’étudier le fédéralisme canadien. Cela faisait partie de sa mission ou de son objectif durant sa visite à Ottawa.

Je trouve primordial que la communauté internationale et le gouvernement du Canada ne soient pas trompés par ces tentatives de mettre en valeur certaines régions qui fonctionnent bien ou d’étudier le fédéralisme et de l’imposer à l’intérieur du pays. Nous sommes rendus ailleurs.

La sénatrice Omidvar : Il n’y a pas de médias à Myanmar, et les ONG peuvent difficilement avoir accès à de l’information. Les corps diplomatiques, de leur côté, semblent n’avoir aucun accès. Comment obtenons-nous de l’information fiable?

M. Malseed : En fait, il y a quelques médias indépendants, mais paradoxalement, le gouvernement de la LND a mis un frein à la liberté des médias et il a arrêté des journalistes, surtout pour tout ce qui a à voir avec les Rohingyas.

Nous appuyons, par exemple, des groupes de médias ethniques indépendants qui ne sont pas enregistrés auprès du gouvernement, dont un groupe rohingya. Ce groupe a fait de la recherche et il a publié un rapport plus tôt cette année intitulé Witness to horror. Ce rapport nous ramène à la question de l’autre sénatrice, car on y documente l’usage du viol systématique par les forces militaires birmanes dans les villages rohingyas avant la dernière vague de violence.

Le président : Nous vous remercions de votre présence. Il reste des questions, mais nous aurons l’occasion de les poser parce que nous poursuivrons les séances spéciales sur cet important dossier d’actualité.

Lundi, nous recevrons des représentants de la Canadian Burma Ethnic Nationalities Organization, de Fortify Rights, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et d’Affaires mondiales Canada. Nous tiendrons donc une autre séance spéciale.

Merci beaucoup à vous trois. La situation a notre attention. Comme nous l’avons entendu, les actes sont plus puissants que les paroles. Vos paroles aujourd’hui étaient très importantes. Nous espérons que les gouvernements agiront. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

 

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