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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 21 - Témoignages du 4 octobre 2017


OTTAWA, le mercredi 4 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 34, pour poursuivre son étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Chers collègues, bonjour. Avant tout, je vous demanderais de vous présenter, en partant de ma droite.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Nous poursuivons la discussion sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel. Nous accueillons d’abord Mme Nancy Wrenshall, par vidéoconférence. Faites d’abord votre déclaration, puis les sénateurs vous questionneront.

Nancy Wrenshall, à titre personnel : Je vous remercie de l’occasion que vous m’accordez de témoigner devant vous.

Je comprends que le cadre de votre étude est plutôt large, puisque les droits de la personne des prisonniers réunissent un large éventail de questions. Je parlerai principalement de trois sujets : les peines infligées aux femmes, le soutien communautaire et les règles de Bangkok.

Pour les peines infligées aux femmes, il faut examiner les écarts considérables qu’elles présentent par rapport aux peines infligées à leurs homologues masculins. Par exemple, au Canada, les femmes qui, particulièrement, tuent un mari qui les violentait, sont généralement condamnées à perpétuité, tandis que les hommes qui tuent leur partenaire sont plutôt condamnés à des peines de 5 à 10 ans pour homicide involontaire.

Je l’ai constaté au cours des 30 années que j’ai travaillé dans le service correctionnel du côté des hommes et de celui des femmes. C’est un domaine absolument déphasé, surtout que les règles sont maintenant modifiées et font que tous les coupables de meurtre doivent d’abord purger deux ans dans un établissement à sécurité maximale.

Une personne sans casier judiciaire et emprisonnée pour meurtre doit passer deux années dans un tel établissement, parce qu’il est impossible au directeur de l’établissement d’annuler cette peine. Ce pouvoir lui a été retiré par la politique du Service correctionnel du Canada. Beaucoup de femmes passent deux années dans un établissement à sécurité maximale pour aucune autre raison que celle d’avoir assassiné ou tué des partenaires violents. Pendant les 17 années et plus au cours desquelles j’ai travaillé dans les établissements correctionnels pour hommes, les hommes étaient condamnés pour homicide involontaire de leur partenaire féminine.

Souvent, les hommes sont mieux en mesure d’embaucher de meilleurs avocats. De plus, et j’exprime ici une opinion personnelle, je soupçonne les tribunaux de considérer les hommes et les femmes violents en actions d’une façon très différente.

C’est un domaine très préoccupant, qui mérite davantage examen. Je sais qu’il y en a eu un certain nombre. Une initiative a été lancée pour examiner le cas de femmes qui avaient tué leur partenaire en situation de violence familiale. Certaines ont été disculpées, mais j’en connais aussi beaucoup qui ont dû subir plusieurs procès pour faire annuler leur condamnation, parce le condamné pour meurtre, comme vous le savez, doit en appeler de sa peine et de sa condamnation. Ces femmes, qui ne nient pas avoir tué leur partenaire, affirment qu’elles avaient une bonne raison de le faire, que leur situation était sans issue.

J’ai aussi personnellement entendu des commentaires vraiment stupides de la Commission nationale des libérations conditionnelles comme: « Vous vous êtes battue en public avec votre partenaire ». Je peux vous affirmer, ayant personnellement subi les violences de mon ex-mari, qui était un agent de la GRC, que le seul endroit où on peut se battre en sécurité contre un partenaire violent, c’est en public. Quand on pense que des membres de cette commission l’ignorent et donnent cette réponse à une condamnée à perpétuité pour meurtre, en l’accusant de chercher querelle à autrui; que des responsables de la libération de ces femmes posent ce genre de questions.

À propos, cette femme est, pour cette affaire, en libération conditionnelle totale depuis plus de 10 ans. Elle n’a jamais manqué aux conditions de cette libération ni commis d’autres infractions. Elle dirige une entreprise prospère.

Un autre sujet dont je voudrais parler rapidement et où j’estime qu’une injustice doit être corrigée, c’est le soutien communautaire. Ce soutien est déficient pour les hommes et les femmes. Et la lacune des services correctionnels, c’est de mal juger les différences que doivent affronter l’un et l’autre sexe à leur libération.

Encore une fois, grâce à mon expérience de travail dans les deux types d’établissements, je constate que les familles des détenus masculins ne se détachent pas d’eux, contrairement aux familles des femmes condamnées, aux hommes, particulièrement. Les femmes sont responsables des enfants qui restent avec elles. Dans les familles d’hommes détenus, la femme, la plupart du temps, reste à son poste et s’occupe des enfants.

Quand la femme détenue ne peut pas compter sur sa famille élargie pour le soin des enfants, elle est souvent obligée de s’adresser à l’agence provinciale de protection de l’enfance et de se démener pour ravoir ses enfants. Si elle a eu la chance d’avoir une famille élargie pour prendre soin des enfants pendant sa détention, c’est ensuite en mère monoparentale qu’elle doit chercher de l’emploi ou vivre de l’aide sociale.

Je ne crois pas que les services correctionnels communautaires sachent traiter ce problème ou bien appuyer les femmes à leur sortie de prison. La différence entre le père qui retrouve une famille et la mère qui recommence sa vie familiale là où elle l’a quittée est énorme.

Ce qui m’amène à mon troisième sujet, les règles supplémentaires sur le traitement des prisonniers féminins, que l'on appelle aussi les règles de Bangkok.

Deux règles, précisément, s’appliquent aux mères : les règles 63 et 64. La 63 porte sur les mères qui ne vont pas en prison. Je crains que nos tribunaux en ignorent tout. La règle 64 porte sur les installations à aménager, en prison, pour les femmes enceintes et les mères.

Le Canada est signataire des règles de Bangkok, et les services correctionnels fédéraux ont rendu si difficile la réunion des mères et de leurs bébés que, actuellement, très peu cohabitent en prison. Cette cohabitation a déjà été assez facile à assurer. Elle est maintenant presque impossible, de même que la cohésion familiale.

Dans les services correctionnels provinciaux, ça n’existe presque pas. En fait, il n’y a pas si longtemps, une femme, en Colombie-Britannique, a gagné sa cause. Depuis, on a pu autoriser la cohabitation d’une mère et de son enfant, malgré le droit accordé aux femmes d’être avec leurs enfants. Une installation complète est ainsi mise à la disposition d’un enfant. Cette victoire judiciaire ne découle pas du droit de la mère, mais de celui des enfants.

Dans des endroits comme le Kenya, c’est automatique. Les bébés restent avec leur mère jusqu’à l’âge de quatre ans. Ce n’est pas contesté. C’est le droit des enfants. À ce chapitre, le Canada est très en retard, et c’est triste. Pourtant, nous avons signé ces règles, et, pendant de nombreuses années, nous nous sommes vantés d’avoir des services correctionnels exemplaires.

C’est tout ce que je voulais dire.

La vice-présidente : Merci. Avant de passer aux témoins suivants, je vous annonce que deux autres sénateurs viennent de se joindre à nous. Je voudrais qu’ils se présentent.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

La vice-présidente : Chers collègues, merci.

Je souhaite la bienvenue à Mary E. Campbell, experte en matière de détermination de la peine et d’affaires correctionnelles, ancienne directrice générale, Affaires correctionnelles et mise en liberté sous condition, Sécurité publique Canada.

Nous accueillons aussi Janet-Sue Hamilton, directrice à la retraite de l’Établissement pour femmes d’Edmonton.

Je vous remercie toutes les deux. Nous entendrons vos déclarations. Ensuite, les sénateurs vous interrogeront.

Mary E. Campbell, experte en matière de détermination de la peine et d’affaires correctionnelles (ancienne directrice générale, Affaires correctionnelles et mise en liberté sous condition, Sécurité publique Canada), à titre personnel : Merci beaucoup. Je vais certainement essayer de ne pas dépasser les cinq minutes.

Quelques phrases prononcées par le sénateur Munson, quand cette étude a d’abord été annoncée au Sénat, m’ont amenée à réfléchir à ce sujet. Il a dit:

La réadaptation devrait être au centre de tout, mais j’ai parfois l’impression qu’on l’a oublié en cours de route.

Puis il a dit : « Il y a un problème à résoudre », ce qui m’a interpellée.

Dans l’évaluation de ce qui va bien et de ce qui va mal, il est toujours essentiel de savoir distinguer entre la loi et les faits, parce que le problème peut se trouver dans la première ou dans les seconds ou dans les deux à la fois, mais il faut absolument arriver à localiser ce qu’on essaie de réparer.

De bonnes lois, malheureusement, ne se traduisent pas toujours en bonnes pratiques. Nous l’avons vu à peu près un an après l’entrée en vigueur de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il faut vraiment ne jamais l’oublier.

J’ai été l’une des créatrices de cette loi. Je serai donc heureuse de répondre aux questions sur les perplexités qu’elle aura suscitées chez vous, sur la raison d’être de certaines situations ou sur son libellé.

N’oubliez pas que cette loi a permis de corriger des problèmes des années 1970 et 1980. Il est vraiment capital de savoir que, à l’époque, nous corrigions beaucoup de problèmes. Cette loi a été très efficace pour son époque, et je pense qu’elle a très bien vieilli. C’est encore une excellente loi en matière de corrections, mais elle a 25 ans, et, comme le monde a changé, elle a besoin d’une révision.

Il y a près de deux ans, précisément le 25 octobre, j’ai exposé en 6 pages et en 55 paragraphes les priorités du nouveau gouvernement en matière correctionnelle. Détendez-vous, nous ne les repasserons pas toutes aujourd’hui, mais si vous y tenez, je le ferai volontiers.

Aujourd’hui, je tiens à parler rapidement de trois priorités. La première est l’actualisation des lois. Je pèche un peu par facilité, parce que c’est une espèce de priorité fourre-tout, mais il existe des exemples précis de lois qu’il faut retravailler. L’une d’elles, qui concerne visiblement la ségrégation, a grand besoin d’être actualisée. Les conditions de mise en liberté conditionnelle sont un autre aspect de la loi.

Plus tôt, cette année, j’ai eu l’occasion de rédiger une toute nouvelle loi sur les corrections. Je me suis inspirée un peu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, mais beaucoup plus d’autres documents. On vous a parlé, par exemple, des règles de Bangkok et de celles de Nelson Mandela. Je suis très heureuse de cette loi modèle que j’ai rédigée. Je serais très heureuse de voir intégrer certains des changements qu’elle renferme dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Un gros enjeu est de couler dans la loi des éléments de la politique. En 1992, c’était une priorité. Il se trouvait, dans la politique, beaucoup trop d’éléments qui auraient dû se trouver dans la loi. Ces enjeux sont fondamentaux. Le sujet m’enthousiasme beaucoup, parce que les questions fondamentales de droits et d’obligations devraient se trouver dans la loi. On ne devrait pas les rédiger dans une salle de conférence de l’avenue Laurier, ce qui les rend invisibles, impossibles à réviser. On ignore ce qui se passe.

Ces questions de principe devraient se trouver dans la loi créée par le Parlement. Nous sommes maintenant revenus au point où nous nous trouvions vraiment en 1992, avec une politique fourre-tout, dont beaucoup d’éléments contredisent ou outrepassent la loi.

Si, quand je me plaignais d’une pratique, on m’avait donné une pièce de cinq sous chaque fois qu’on m’a répondu qu’elle était conforme à la politique, je serais riche. Mais j’ai toujours répondu: « D’accord, mais est-ce conforme à la loi? Pourrions-nous en discuter? » Comme vous pouvez le voir, la question m’enthousiasme beaucoup.

La deuxième priorité, c’est plus de ressources accordées à l’obligation de rendre des comptes et à l’examen. Je sais que le Service correctionnel du Canada est plongé jusqu’au cou dans des examens, mais deux ou trois choses sont nécessaires. J’ignore si vous savez que l’enquêteur correctionnel a compétence non seulement sur les détenus, mais aussi sur les libérés conditionnels et leurs relations avec leurs agents de libération conditionnelle.

Il n’a jamais été en mesure de travailler sur cet aspect. Il ne s’occupe pas des plaintes des libérés conditionnels, faute de ressources. Dans cette anarchie, d’excellents agents de libération conditionnelle essaient de faire du bon travail, mais, je vous le dis, ce domaine échappe à l’examen. Les agents de libération peuvent étoffer les conditions de libération, et certaines de leurs consignes à cette fin vous feraient dresser les cheveux. L’accès des détenus à l’aide juridique fait partie de l’obligation de rendre compte. Imaginez d’essayer d’obtenir les services d’un avocat quand on purge une peine. À quel point c’est difficile, on peut en parler.

La troisième priorité, et je le dirai très brutalement, est que la direction des deux organisations a besoin de renouveau. Je sais, ça échappe totalement à votre volonté, mais vous exercez beaucoup d’influence. D’après moi, vous pouvez recommander tout ce que vous voulez, ici-bas, et vos vœux ne seront pas exaucés à moins qu’on ne satisfasse à cette priorité.

La nouvelle direction doit être formée convenablement à la tâche, détenir des diplômes universitaires, connaître les droits de la personne, être formée en criminologie et être prête à adopter volontiers les pratiques exemplaires d’autres organismes et d’autres pays. Cette troisième priorité, il est absolument capital d’y satisfaire.

Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci. Entendons maintenant notre prochain témoin.

Janet-Sue Hamilton, directrice à la retraite de l’Établissement d’Edmonton pour femmes, à titre personnel : Tout d’abord, je tiens à saluer Nancy Wrenshall. Nous ne nous sommes pas vues depuis des années. Nous sommes toutes les deux d’anciennes directrices d’établissements à la retraite.

Je vais effleurer quatre questions. Elles se situent davantage sur le plan opérationnel et sur celui de mes valeurs personnelles.

Le premier sujet est le document intitulé La création de choix. Je suppose que la plupart d’entre vous savent de quoi il s’agit. Ce document a servi à la fondation de prisons pour femmes au Canada. Il énonçait cinq grands principes auxquels nous avons essayé d’être fidèles pour les femmes: des choix valables, le respect et la dignité, le contrôle de sa vie, l’environnement de soutien et la responsabilité partagée. Nous nous attendions à ce que le personnel applique cette vision et que les contrevenantes, nous l’espérions, y adhèrent.

Je tiens à parler de l’environnement du SACC, le Syndicat des agents correctionnels du Canada. Voilà presque un gros mot, mais, d’après moi, je ne pouvais pas me présenter ici sans parler de notre gestion des contrevenantes et des contrevenants. J’ai travaillé dans des établissements pour chacun des deux sexes. J’ai vu la colère du syndicat quand j’ai travaillé à l’établissement pour hommes à sécurité maximale d’Edmonton, relativement à sa gestion. Je l’ai ensuite affronté de nouveau à l’Établissement pour femmes d’Edmonton, après que les employés sont devenus membres actifs du syndicat.

D’après moi, le syndicat se préoccupe surtout de sécurité statique. Si vous ne le savez pas, c’est toutes les sonneries et coups de sifflet de portes verrouillées, les fouilles, y compris par palpation, les tests de dépistage de drogues et ce genre de choses, avec des caméras partout.

Tandis que, pour notre part, quand nous avons élaboré le document La création de choix, nous avons privilégié ce que nous appelons la sécurité dynamique, par laquelle on finit par connaître les contrevenants. « Oh mon Dieu! pour faire quoi? » Pour gérer les contrevenants beaucoup mieux, si on connaît leurs antécédents, leurs personnalités, si on noue des rapports. Voilà pourquoi, je pense, les établissements pour femmes ont donné de si bons résultats au début.

Le rôle des intervenants de première ligne dans les établissements pour femmes était d’établir un lien avec les détenues pour les aider à mettre au point un plan correctionnel adapté à chacune, afin de favoriser leur réintégration dans la collectivité.

Ce rôle a maintenant changé. En effet, autrefois, le personnel qui travaillait dans les établissements pour femmes recevait une formation distincte. Maintenant, ces employées suivent le même programme de base que les hommes. Elles sont exposées à une perspective différente sur la façon de travailler dans le secteur correctionnel.

La gestion des cas était également effectuée par les intervenants de première ligne. Mais il y a eu de gros changements depuis l’ouverture des établissements. Maintenant, tout ce travail est essentiellement effectué par les agents de libération conditionnelle, et il ne reste aucun lien ou presque entre les travailleurs de première ligne et la gestion des cas.

Ce que je trouvais le plus frustrant lorsque je travaillais dans les établissements pour femmes, c’est l’ampleur qu’avait prise le rôle du SACC. En effet, au début, nous travaillions dans ces établissements sans porter d’uniforme. Il n’y avait aucune différence entre les détenues et le personnel. C’est maintenant terminé. Le personnel porte l’uniforme.

Les membres du personnel se donnaient le titre d’intervenantes de première ligne. Maintenant, elles s’appellent des agentes de correction, même si elles ont été embauchées à titre de travailleuses de première ligne. Elles portent maintenant des vestes de protection contre les armes blanches; bien honnêtement, je ne me souviens pas de la dernière fois où une employée a été poignardée par une détenue. De toute façon, maintenant, toutes les employées doivent porter une telle veste, car cette mesure a été mise en œuvre. Il y a maintenant des caméras dans presque chaque coin de l’établissement, alors que ce n’était pas le cas auparavant.

Je présume que l’atmosphère dans les établissements pour femmes est probablement la même que celle dans les établissements pour hommes, même si je ne suis pas allée dans ces établissements depuis longtemps. En effet, je suis à la retraite depuis sept ans. Mais la culture de peur et d’intimidation exercée par le SACC n’a pas disparu. Je crois même qu’elle a empiré. Je tenais à en parler aujourd’hui.

Ensuite, je voulais parler des unités de garde en milieu fermé. Il y avait une unité pour délinquantes à sécurité maximale dans l’Établissement d’Edmonton pour femmes. Elle hébergeait 15 femmes, et à l’époque, nous avions quatre cellules d’isolement. Ce n’était pas vraiment une grande unité, mais je crois que c’était la plus grande de tous les établissements pour femmes.

La conception de ces unités a commencé à limiter grandement les déplacements; elles n’étaient pas conçues pour être inclusives. Il y avait trois blocs distincts hébergeant chacun cinq femmes, et on ne pouvait pas mélanger les détenues de blocs différents. C’était une pratique qui s’était en quelque sorte répandue avec le temps.

Je ne faisais pas partie de cela, mais lorsque je suis arrivée à l’EEF, je me suis rendu compte que la culture de l’établissement ne permettait pas de mélanger ces groupes. Avec le recul, je crois que c’était une pratique ridicule, car dans les établissements pour hommes, on mélange certainement ces groupes. Mme Wrenshall pourrait probablement le confirmer. En effet, on ne sépare pas les délinquants dans une unité à sécurité maximale. Habituellement, on les laisse suivre des programmes ensemble et on prévoit la présence d’agents de sécurité pour éviter les problèmes.

Les quatre cellules d’isolement étaient toujours occupées. Notre capacité d’isolement semblait toujours être atteinte au maximum. Lorsque des incidents se produisaient et nécessitaient le recours aux cellules d’isolement, nous n’avions aucun endroit où envoyer les détenues. C’était très difficile à gérer. Les gens nous demandent comment nous réussissions à gérer ces unités. C’était très difficile. C’était un peu comme jouer à la chaise musicale, car on tentait de veiller à ce que les détenues soient en sécurité sans trop restreindre leurs déplacements.

Ma plus grande difficulté, c’était le protocole de gestion. La sénatrice Kim Pate connaît certainement le sujet, car nous en avons parlé à maintes reprises. Il s’agissait d’une nouvelle initiative mise en œuvre dans les établissements pour femmes et dans le cadre de laquelle on nous disait comment gérer les femmes.

À mon avis, le protocole de gestion était brutal. Lorsqu’il a été mis en œuvre, la première chose que j’ai dit aux autorités, c’est que nous allions faire l’objet d’une poursuite en justice un jour ou l’autre. Je leur ai dit que les déplacements des personnes visées par ce protocole de gestion étaient trop restreints. De plus, il était extrêmement difficile pour les détenues de sortir du protocole. Ce protocole et ses lignes directrices entravaient mes efforts pour tenter de gérer les femmes de l’EEF.

Ce protocole étiquetait également les femmes. En effet, les femmes qui étaient visées par le protocole étaient admirées des autres délinquantes, car cela signifiait qu’elles étaient les pires cas. Ces femmes devaient donc mériter leur nouvelle réputation. Elles étaient visées par le protocole de gestion et elles devaient donc démontrer qu’elles n’étaient pas aussi mauvaises qu’on le pensait. C’était très difficile d’écarter les femmes de ce type de culture.

Je me souviens que les cellules d’isolement étaient situées à moins de 10 pieds des douches. Lorsque nous voulions amener une femme dans les douches, nous devions lui mettre des entraves et des menottes et marcher 10 pieds avec elle jusqu’aux douches. C’était une façon ridicule de fonctionner, à mon avis, mais il fallait suivre la politique en vigueur. Si nous avions tenté d’éviter cette procédure, le syndicat aurait immédiatement réagi en nous disant que nous ne respections pas la politique, et que nous devions mettre des menottes et des entraves à ces femmes. Il était très difficile de gérer ces types de cas.

J’ai lu un article que j’ai ensuite partagé avec mon personnel. Cet article décrivait quelque chose qui s’était produit aux États-Unis, plus précisément en Californie, je crois. Il s’agissait d’une politique appelée la torture sans contact. En effet, dans certains établissements pour hommes, des délinquants à sécurité maximale n’avaient jamais de contact physique avec qui que ce soit. Ils ne parlaient jamais à personne. On les isolait. Tout cela se faisait de façon électronique. La nourriture était mise dans des guichets passe-repas, et les gardiens s’en allaient. Ils ne parlaient jamais au prisonnier. Ils ne faisaient que pousser un bouton, et la nourriture entrait ou sortait.

Lorsque ces détenus souhaitaient faire de l’exercice, les gardiens débarraient la porte. Ces prisonniers marchaient dans un corridor vide jusqu’à la cour d’exercice et revenaient ensuite dans leur cellule. Ils intentent maintenant des poursuites en justice contre le gouvernement américain, car ils soutiennent que s’ils n’étaient pas fous à leur arrivée, ils l’étaient devenus à leur sortie de ces prisons.

Cette histoire m’a vraiment interpellée. Je ne dis pas que nous faisions cela, mais cette histoire m’a certainement ouvert les yeux sur la façon dont nous voulions travailler avec les délinquantes. En effet, dans le cadre du protocole de gestion, il n’y avait aucun contact physique avec les détenues.

Je me souviens d’un cas où j’ai eu de la difficulté, car j’ai permis à l’une des femmes visées par le protocole de gestion de voir sa fille et de lui donner un câlin. Les employés m’ont dit que ce n’était pas permis, mais j’ai répondu que j’allais tout de même autoriser cela. Je l’ai donc autorisé, et je n’arrêtais pas de penser à cet article sur la torture sans contact que j’avais lu dans le journal en me disant que c’était inhumain. Je tenais seulement à en parler.

À l’époque, il fallait exécuter les programmes dont profitaient les femmes visées par le protocole de gestion par l’entremise d’un guichet passe-repas. En effet, si je donnais une thérapie comportementale dialectique à une délinquante, par exemple, la conseillère en comportement devait s’asseoir sur une chaise et parler à la délinquante par l’entremise d’un guichet passe-repas.

Ce sont les types d’obstacles auxquels nous faisions face lorsque nous travaillions avec les délinquantes en isolement et celles visées par le protocole de gestion. Pour les gens ordinaires, cela semble étrange, mais tout cela rendait la gestion d’une prison très difficile.

Nous avions également des problèmes liés à notre population. En effet, l’établissement était plein à craquer. Nous avions une population d’environ 120 personnes. Si un incident se produisait au sein de cette population et que nous devions isoler une personne ou modifier le niveau de sécurité, nous n’avions aucun endroit où envoyer la personne. On ne pouvait pas se contenter de la garder dans son unité; il n’y avait aucune barrière entre les unités dans les établissements pour femmes. Elles étaient libres d’aller d’une unité à l’autre. Il n’était donc pas facile de les déplacer dans un milieu restrictif.

Je devais toujours avoir cela à l’esprit. Je me demandais toujours comment gérer la situation et comment assurer la sécurité d’une femme suicidaire. Je n’avais aucun endroit où l’envoyer, mais je devais l’isoler, car elle était suicidaire. Ce n’est pas la meilleure solution, mais parfois, il faut le faire pour assurer la sécurité de la personne et la surveiller par caméra.

Je voulais surtout parler des programmes autochtones, car nous avons réussi à accomplir quelques bonnes choses. Heureusement, de nos jours, la Commission nationale des libérations conditionnelles tient des audiences avec l’aide d’un aîné. Certains d’entre vous connaissent peut-être Kathy Louis; je sais que Mme Wrenshall la connaît. C’était la première femme autochtone à occuper le poste de présidente de la Commission nationale des libérations conditionnelles en Colombie-Britannique. Elle vient de l’Alberta, et c’est aussi l’une de mes bonnes amies. Elle a amorcé les audiences avec l’aide d’un aîné autochtone en Colombie-Britannique. Ce type d’audience est devenu un modèle utilisé partout au Canada aujourd’hui. Je suis très fière de ce qu’a accompli Kathy. Nous en avons certainement profité, et les femmes aussi.

J’aimerais parler des cérémonies, car la cérémonie de purification par la fumée a posé un problème. En effet, nous ne pouvions pas permettre aux femmes autochtones de se purifier par la fumée dans une unité de garde en milieu fermé, car les employées se plaignaient de réactions allergiques. Pourtant, à l’époque, les employées pouvaient fumer dans cet endroit, ainsi que les délinquantes. C’est l’une de ces choses pour lesquelles on tente de décider s’il faut prendre des mesures ou non. Ensuite, on a adopté une politique d’interdiction de fumer et c’est devenu un débat inutile, mais nous avions une pièce où les détenues autochtones pouvaient se purifier par la fumée. Toutefois, il était extrêmement difficile de les amener dans cette pièce si elles étaient visées par le protocole de gestion. Il fallait verrouiller l’unité au complet et mettre des entraves et des menottes à la détenue pour l’amener dans la salle de purification par la fumée pour qu’elle puisse célébrer la cérémonie avec un aîné. C’était difficile.

Il existe ce qu’on appelle un programme Esprit du guerrier à l’intention des délinquantes. C’est l’un des programmes qui ont été créés et mis en œuvre. Nous avons des agents de liaison autochtones qui travaillent avec nos détenues autochtones. Nous avons une unité des Sentiers autochtones où se trouvent seulement des Autochtones. Une aînée est jumelée à cette unité, ainsi que des agents de liaison autochtones.

Un nouveau programme vient d’être lancé. Je ne sais pas si vous le connaissez. C’est le programme White Bison sur la toxicomanie. Je crois que ce programme est originaire du Montana. C’est un programme qu’on adapte pour l’utiliser dans les établissements du Service correctionnel du Canada. Il a fallu du temps pour le lancer, mais il existe. J’ai entendu beaucoup de choses positives à cet égard.

Très peu d’occasions d’emploi s’offrent aux femmes, même lorsqu’il s’agit de travailler dans l’établissement. Selon moi, le gros problème, c’est que les employées ne sont pas sensibilisées aux enjeux et à la culture autochtones. Nous avons fait quelques progrès, mais à mon avis, il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Le dernier volet dont j’aimerais parler concerne la santé mentale. Nous avons tous entendu parler de cet enjeu dans les médias. L’Établissement d’Edmonton pour les femmes a une maison Hummingbird qui exécute un programme appelé la thérapie comportementale dialectique. C’est un programme qui a beaucoup de succès, mais c’est une très petite unité. Je crois qu’elle héberge seulement huit femmes. Nous avons observé que cette initiative avait porté ses fruits.

Lorsque je travaillais dans l’établissement, nous avions créé un programme pour fonder une maison de transition, car de nombreuses femmes qui sortaient de notre unité à sécurité maximale étaient exploitées dans la population en raison de leurs problèmes de santé mentale. Nous n’avions aucun endroit où les envoyer, et j’ai donc fondé notre propre maison de transition pour que ces femmes puissent être en sécurité. Même si elles souffraient de problèmes de santé mentale, nous pouvions travailler avec elles jusqu’à ce qu’elles puissent entrer dans une maison Hummingbird.

Nous ne recevions aucun financement pour cette initiative. Nous avions élaboré notre propre modèle. J’ai trouvé les fonds à l’interne pour assurer le fonctionnement du programme. Il a été couronné de succès. Toutefois, on m’a retiré le financement que j’avais réussi à obtenir d’autres endroits et on m’a dit que je devais trouver du financement ailleurs. Heureusement, l’unité de transition est toujours en service aujourd’hui. Elle est devenue un modèle pour d’autres établissements qui tentent de fonder leur propre unité de transition.

Nous travaillons avec deux ou trois psychologues. Une psychiatre visite régulièrement l’établissement, mais aucune de ces intervenantes n’a déjà travaillé avec des femmes autochtones et aucune n’est autochtone. Pour moi, c’est un énorme problème.

Enfin, j’aimerais parler du Centre psychiatrique régional, un endroit censé accueillir des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale. Toutefois, ce centre accepte seulement des patients qui ont reçu ce qu’on appelle un diagnostic de troubles de l’Axe I. Si une femme a vécu une crise liée à la santé mentale, mais qu’elle n’a pas reçu de diagnostic de psychose, de schizophrénie ou de psychose maniaco-dépressive, on ne peut pas l’envoyer dans ce centre. Il était très difficile de convaincre les intervenants du centre d’accueillir l’une de nos délinquantes, à moins qu’elle ait reçu ce diagnostic. Toutefois, lorsque les femmes arrivaient dans ce centre, il y avait très peu de programmes pour elles, et parfois, il n’y avait aucun programme.

J’ai participé au cas d’Ashley Smith, que vous connaissez tous, j’en suis sûre. J’ai témoigné lors de l’enquête du coroner à son sujet. J’ai mené une enquête sur les trois différentes agressions dont elle a été victime au Centre psychiatrique régional. Il a certainement été éprouvant d’entendre, à la fin de l’enquête, qu’elle était décédée en détention. Ensuite, j’ai entendu dire que Kinew James, une autre délinquante autochtone, était également décédée en détention au Centre psychiatrique régional. Elle s’était retrouvée dans mon établissement à de nombreuses reprises. J’avais établi une relation avec elle pour veiller à ce qu’elle soit en sécurité, car elle souffrait de certains problèmes de santé mentale. Ces deux incidents ont certainement influencé mon opinion sur la façon dont nous gérions les délinquantes en général.

Enfin, la plupart des femmes qui se retrouvent dans nos établissements parlent très ouvertement de leurs problèmes. Elles souffrent de graves problèmes de santé, qu’il s’agisse de l’hépatite C ou du VIH, car en raison de leur mode de vie, elles présentent une prédisposition. Elles arrivent avec des problèmes de toxicomanie et de stress post-traumatique. La liste se poursuit indéfiniment. Nous ne nous occupons pas bien de ces personnes lorsqu’il s’agit de traiter leurs problèmes et de leur offrir un milieu inclusif. C’est tout ce que j’ai à dire pour aujourd’hui.

La vice-présidente : Merci. Afin de renseigner les gens qui nous regardent, avant de passer aux questions des sénateurs, pourriez-vous nous parler du protocole de gestion? Nos séances de comité sont diffusées en direct. Pourriez-vous expliquer aux personnes qui nous regardent en quoi consiste le protocole de gestion, car il se peut qu’elles ne comprennent pas cette notion?

Mme Hamilton : Certainement, et je demanderais à Mme Wrenshall de m’aider. Je ne travaille plus dans ce domaine depuis sept ans, et il m’est donc difficile de me souvenir de tous les éléments liés au protocole de gestion. Lorsque nous gérions des femmes en isolement, avant la mise en œuvre du protocole de gestion, nous avions une certaine souplesse pour décider s’il fallait leur mettre des menottes ou des entraves lorsque nous les déplacions. Nous avions la souplesse nécessaire pour leur faire rencontrer une psychologue et recevoir du counseling. Nous avions la souplesse nécessaire pour leur permettre d’avoir certaines choses dans leurs cellules, par exemple une télévision, une radio, des effets personnels, et cetera.

Ce protocole de gestion nous interdisait de poser ces gestes, à moins de respecter certains critères précis.

La vice-présidente : La sénatrice Pate aimerait intervenir.

La sénatrice Pate : Je suis vraiment désolée de vous interrompre. Si vous le voulez bien, madame Hamilton, j’aimerais aborder quelques points avec vous.

Si j’ai bien compris, ce protocole a d’abord été proposé par le Syndicat des agents correctionnels du Canada. D’ailleurs, la première liste du protocole de gestion a été rédigée sur du papier à en-tête du syndicat de l’établissement dont vous étiez la directrice.

Mme Hamilton : J’ignore si le syndicat a participé à la rédaction du document, mais il en faisait certainement la promotion.

La sénatrice Pate : La première copie du protocole que j’ai vue avait été rédigée sur du papier à en-tête du syndicat avant qu’il ne soit inclus dans la politique du SCC, ce qui rejoint le point que soulevait Mme Campbell.

Selon ce que j’ai pu comprendre, le protocole a été établi et a mené à plusieurs changements physiques au sein des établissements: plus de sécurité, davantage de ce que vous qualifiez de torture sans contact pour les détenues assujetties au protocole.

Si j’ai bien compris, madame Wrenshall, vous avez joué un rôle important dans l’examen de ce processus et dans la recommandation selon laquelle il fallait mettre fin à ce processus, car il contrevenait à la loi et à la politique du SCC. Est-ce exact?

Mme Wrenshall : En fait, j’ai participé à plusieurs examens du protocole à titre de membre d’un comité patronal-syndical et j’ai participé à l’examen final qui recommandait la fin du processus.

Tout cela a commencé au début des années 1990. Si je ne m’abuse, il y avait eu un total de sept prises d’otages. Le protocole constituait un ensemble de lignes directrices, et non une politique, visant deux ou trois femmes ayant participé à plusieurs prises d’otages.

La sénatrice Pate : Je suis désolée de vous interrompre, madame Wrenshall. Selon ce que j’ai pu comprendre, ce processus a été adopté à la suite d’incidents survenus au pénitencier de la Saskatchewan où des femmes avaient été relocalisées. Des hommes les avaient encouragées à prendre des otages afin de négocier l’instauration des programmes qu’elles souhaitaient. Il y a d’abord eu de fausses prises d’otages, puis de vraies prises d’otages, et ensuite, le syndicat a recommandé l’établissement du protocole de gestion. Est-ce que cela correspond à votre souvenir de la situation?

Mme Wrenshall : Je ne me souviens pas que le syndicat ait formulé des recommandations. J’oublie qui exactement a participé à l’établissement du protocole, mais l’administration centrale a réagi.

La sénatrice Pate : Je suis désolée de vous interrompre à nouveau. Cela se produit, car je peux vous voir, mais vous ne pouvez pas me voir.

Madame Campbell, vous serez peut-être en mesure de confirmer que c’est en réalité le SCC qui se préparait à adopter une série de ce qu’il appelle des processus de régime. Le syndicat n’était pas seul dans tout cela, mais, comme vous l’avez souligné, il avait certainement le soutien des dirigeants de Service correctionnel du Canada. D’ailleurs, lorsqu’ils ont tenté d’établir ce protocole pour les hommes, bon nombre d’organisations, de groupes et d’hommes ont rejeté cette idée, mais le protocole a été établi pour les femmes. Est-ce exact?

Mme Campbell : Oui. Pour ceux et celles qui ne savent pas bien ce que sont des régimes, il en a été beaucoup question pendant un certain temps, à cette époque, il s’agissait d’une sorte de système de punition et de récompense visant à modifier le comportement des détenues.

Selon les recherches, en théorie, un tel programme peut être efficace, mais en pratique, c’était très difficile. Il fallait presque être un spécialiste pour diriger ce genre de programme et le protocole de gestion faisait partie intégrante du programme.

La sénatrice Pate : Je crois que cela m’aide.

Mme Wrenshall : Je travaillais du côté des hommes à l’époque où des discussions ont été amorcées au sujet des régimes. Heureusement, nous ne sommes jamais allés aussi loin dans le cas des hommes.

Comme je l’ai dit, le protocole de gestion constituait un ensemble de lignes directrices. Ce que nous avons appris dans le cadre de l’examen final, c’est que les responsables de nombreux établissements le considéraient comme une politique et ont agi comme s’il s’agissait d’une politique. En fait, ils croyaient qu’il s’agissait de règles et ont agi comme s’il s’agissait de règles.

Mme Hamilton prétend que les établissements devaient agir ainsi, car c’est ce que disait le protocole de gestion, mais, sauf votre respect, madame, c’est faux. Il était précisé dans le document que le protocole constituait un ensemble de lignes directrices. Les responsables de chaque établissement l’ont interprété de façon différente, notamment en raison de la structure de leur établissement. Chaque établissement de détention pour les femmes avait une structure différente, car ils avaient été inaugurés à des époques différentes. Chaque unité de sécurité maximale dans les établissements était différente; elles avaient été construites différemment et demandaient une réaction différente.

J’ignore si cela répond à votre question.

La vice-présidente : Oui. Certains de nos téléspectateurs ne savent peut-être pas ce qu’est le protocole de gestion. Je me suis dit qu’avant de passer aux questions des membres, il serait préférable d’obtenir une précision en ce sens.

La sénatrice Omidvar : Je tiens à remercier tous les témoins d’avoir accepté de partager avec nous leur temps, leurs connaissances et leur expertise.

Ma question s’adresse à Mme Campbell. J’ai été surprise de vous entendre dire qu’il fallait faire la distinction entre la législation et la pratique et la législation et la politique, et que les questions fondamentales de droits devraient être incluses dans la loi, et non simplement dans une politique.

Il s’agit d’une observation très importante. Selon ce que j’ai pu apprendre des autres témoins, il semble y avoir un grand écart entre la loi, d’un côté, et la politique, de l’autre, et la pratique. J’apprends qu’il y a des différences dans la pratique et dans l’interprétation.

Ma question, madame Campbell, est la suivante : avez-vous procédé à un examen des politiques et des pratiques? Auriez-vous des recommandations à faire au comité sur ce qui devrait être inclus dans la loi, sur les politiques qui devraient être incluses dans la loi?

Avez-vous rédigé un document sur le sujet? Cela serait très utile au comité.

Mme Campbell : Merci beaucoup, sénatrice, de votre intérêt pour cette question. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il s’agit d’une question cruciale.

Je n’ai pas l’expérience institutionnelle de mes collègues, mais, la plupart du temps, quand je me rendais dans un établissement, un membre du personnel m’expliquait quelque chose en me disant: « C’est la loi. » Je me disais: « Ne dites pas à quelqu’un qui a écrit le document que c’est la loi. Ce n’est pas la loi. C’est une politique que vous avez rédigée la semaine dernière et que vous pourriez changer dès ce soir. »

La difficulté n’est pas de déterminer ce qui devrait être inclus ailleurs. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup de matériel. Au SCC, il y a les directives des commissaires et la majeure partie des travaux réalisés pour l’élaboration des politiques, et la Commission des libérations conditionnelles a créé un guide de politiques. J’ai travaillé à des dossiers où un détenu se plaignait d’une chose qui était incluse dans la politique, mais qui était contraire à la loi.

J’espère que, au cours des prochains mois… La retraite n’est pas aussi paisible que l’on pourrait le croire. J’aimerais examiner tous ces documents de politiques et définir ce qui devrait être inclus dans la loi.

Je vais vous donner un exemplaire très clair : l’isolement. Un projet de loi très mince a été présenté au Parlement, alors que l’on retrouve une multitude de détails dans la directive des commissaires. C’est le monde à l’envers. Un document politique écrit à trois pâtés de maisons d’ici contient des questions fondamentales au sujet de l’isolement qui devraient être incluses dans la loi. Il s’agit là d’un exemple précis.

J’ai très hâte de m’asseoir pour examiner ces documents de politiques. J’espère pouvoir le faire à un moment et à un endroit qui conviendra aux sénateurs.

La sénatrice Omidvar : Si vous pouviez nous faire part de vos réflexions, cela nous serait très utile.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup. J’aimerais également ajouter mon nom à la liste des intervenants pour la prochaine série de questions.

Je vais m’adresser aux témoins dans l’ordre qu’elles nous ont été présentées. Madame Wrenshall, dans le cadre d’un forum organisé plus tôt cette année à l’Université Simon Fraser, vous avez repris l’un des présentateurs sur le nombre de fois que des établissements n’avaient pas accès à une unité d’isolement. Vous avez dit que pendant 18 mois après son inauguration, l’Établissement Fraser Valley pour femmes n’avait pas d’unité d’isolement, et, pourtant, vous vous êtes débrouillée.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur le sujet et nous parler du genre de mesures de sécurité dynamiques dont faisait état Mme Hamilton? Comment faites-vous pour superviser des individus, des détenus, hommes et femmes, en l’absence de mesures de sécurité statiques?

Mme Wrenshall : Premièrement, sénatrice Pate, permettez-moi de vous reprendre. Il s’agit de l’Établissement Fraser Valley. Il n’est pas nécessaire de préciser « pour femmes », car il n’existe qu’un seul Établissement Fraser Valley. Je suis désolée, je ne pouvais m’en empêcher.

Lors de son inauguration, l’Établissement Fraser Valley ne possédait aucune unité de garde en milieu fermé. Nous n’avions que les maisons à sécurité moyenne et minimale pour femmes. Nous avions une remorque où avaient été aménagées deux cellules que l’on pouvait utiliser à titre d’accommodations temporaires si une détenue devait être brièvement isolée.

Ces cellules ne pouvaient certainement pas être utilisées à long terme comme unité d’isolement. J’essaie de me souvenir s’il y avait même des toilettes dans ces petites cellules de détention provisoire. Je crois que oui, mais, comme je le disais, elles ne pouvaient pas être utilisées pour l’isolement à long terme.

Je suis désolée pour les aboiements derrière, c’est l’heure du dîner pour les chiens.

Lorsque survenait un incident majeur ou une situation demandant un isolement à long terme, nous devions procéder à un transfert fédéral-provincial, une procédure difficile même dans de bonnes conditions. Nous devions trouver des solutions novatrices.

S’il s’agissait d’une altercation entre deux détenues, elles se retrouvaient côte à côte dans notre petite remorque, ce qui accentuait les tensions. Cela les poussait également à résoudre rapidement leurs différends, car elles allaient partager pendant quelques jours la petite remorque. Cela pousse également le personnel à travailler à la résolution du problème.

Lorsque vous ne disposez pas d’une solution rapide, comme placer deux détenues en isolement pour éviter qu’une situation s’envenime, les gens doivent rapidement résoudre les problèmes. J’ai également été directrice du Centre correctionnel pour femmes de Burnaby, un établissement provincial qui accueillait des détenues sous responsabilité fédérale et provinciale. À l’époque, nous n’avions aucun endroit où envoyer les femmes. Donc, nous les gardions toutes.

Encore une fois, les gens réintègrent leur population. Ce n’est pas comme si nous pouvons les transférer à l’autre bout du pays. S’il s’agissait, par exemple, d’une attaque contre un des membres du personnel, il fallait régler le problème, réintégrer la détenue à la population carcérale et réintégrer le membre du personnel en question au sein de l’équipe. C’est différent de l’établissement pour hommes où les détenus peuvent être envoyés à Kent ou ailleurs. Vous devez trouver une solution au problème.

D’autres établissements fédéraux ou provinciaux se débarrassent rapidement du problème pour ne pas avoir à trouver une solution. Pour eux, la solution facile, c’est de se débarrasser du problème. Les établissements pour femmes n’ont pas cette option. Lorsque vous n’avez qu’une petite remorque où ont été aménagées deux cellules à titre d’accommodations très temporaires et que vous n’avez aucune unité d’isolement, vous devez absolument trouver une autre solution au problème.

Vous devez faire preuve d’innovation et trouver des mesures disciplinaires différentes et des façons différentes de réintégrer la détenue à la population carcérale et de régler la question du personnel. Que ce soit le SACC ou non qui dit que les détenues doivent être placées en isolement et qu’il ne peut pas régler le problème, la situation est la même; il faut régler le problème. Vous n’avez pas d’autre choix. Le personnel le sait, car il n’y a pas d’autres options. Cela ne leur plaît peut-être pas, mais ils doivent composer avec la situation.

La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse aux deux anciennes directrices, Mme Hamilton et Mme Wrenshall.

Le sujet de la culture d’intimidation qui existe dans les établissements a été brièvement abordé. Selon vous, les membres du personnel craignent-ils de signaler en détail les gestes de violence dont ils sont témoins? Pourriez-vous nous donner des exemples de représailles exercées pour forcer les gens à garder le silence, s’il y a lieu? Dans votre rôle, avez-vous craint d’être victimes de représailles?

Mme Wrenshall : Pas depuis longtemps. J’ai commencé à travailler comme agente correctionnelle en 1981. À l’époque, une de mes collègues est venue me voir chez moi pour me dire que mes rapports étaient trop bien faits, que je faisais mal paraître les autres et que cela les rendait mal à l’aise. J’ai réfléchi à la situation. On me disait essentiellement que je ne devais pas mettre autant d’efforts dans mon travail, que mes rapports devraient être plus courts et moins détaillés.

Déjà, en 1981-1982, on ressentait une certaine pression. C’était bien avant le SACC. J’ai finalement dit à ma collègue que ce n’était pas mon problème; que c’était leur problème. J’avais adopté un niveau de professionnalisme et j’avais l’intention de le maintenir. Si cela mettait les autres mal à l’aise, c’était leur problème, et non le mien.

Un jour, je suis entrée dans une unité et la porte du bureau du personnel était grande ouverte, mais il n’y avait personne à l’intérieur. Je suis partie à la recherche du membre du personnel qui devait s’y trouver et lui ai dit qu’il ne devait pas laisser le bureau sans surveillance. Il a littéralement fait une crise devant tout le monde me traitant de noms obscènes. Je lui ai dit très poliment d’arrêter, sinon il allait avoir des ennuis. Il a continué à m’enguirlander, alors, je suis partie. Il m’a suivie jusqu’à l’extérieur de l’édifice en continuant de m’injurier.

Oui, j’ai été victime de comportement abusif, en partie, je crois, parce que je ne tolère pas ce genre de comportement. Ma voiture n’a pas été vandalisée. Je sais que des gens ont vu leurs véhicules être égratignés par des clés. J’ai été directrice d’un établissement où ce genre d’actes de vandalisme a été perpétré. Oui, il y a de l’intimidation et l’on retrouve ce genre de comportement. J’en ai entendu parler, je l’ai vu et j’en ai été victime. Tout dépend de l’établissement. Certains sont pires que d’autres.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Mme Hamilton : Je me suis certainement sentie intimidée et j’ai été témoin de gestes d’intimidation, notamment à l’Établissement d’Edmonton pour hommes, une prison à sécurité maximale. J’étais la première femme directrice de l’établissement et les gardiens n’appréciaient pas. Ils me voyaient comme une amie des détenues. Moins d’une semaine après mon arrivée, ils ont écrit au député pour lui dire que je fraternisais avec les détenues. C’est ainsi que j’ai vécu ma première semaine à la prison maximale d’Edmonton.

Ma voiture a été couverte d’autocollants. J’avais une voiture sport, et elle a été couverte d’autocollants du SACC. Ils ont tenté de monter un coup contre moi et de me faire accuser d’introduire de la drogue dans l’établissement. Ils ont semé une rumeur selon laquelle j’introduisais de la drogue dans l’établissement.

Je me suis rendue à la police d’Edmonton pour leur expliquer la situation et leur dire que je faisais l’objet d’une enquête. Le SCC a fait venir un autre directeur à l’établissement pour vérifier si les accusations étaient fondées. Après enquête, il a été démontré que les accusations étaient fausses. La police d’Edmonton a bien agi dans ce dossier. Je leur ai dit: « Je veux que vous compreniez une chose. Si je me fais arrêter un jour et que vous trouvez du crack dans mon véhicule, ce n’est pas le mien; il s’agit d’un coup monté. » Je me suis certainement sentie intimidée et j’ai été témoin d’intimidation lorsque j’étais à l’Établissement d’Edmonton pour hommes.

Certains agents correctionnels ont pris l’initiative d’agir comme agents de libération conditionnelle, mais le SACC n’était pas content. Les représentants syndicaux ont mis une affiche dans cette unité d’isolement totalement sécurisée. Personne ne peut entrer dans cette bulle. On pouvait y lire: « Recherchés morts ou vifs ». Ce message était accompagné d’une liste d’employés qui avaient changé de camp pour devenir des agents de libération conditionnelle.

Voilà qui vous donne une bonne idée de ce qui peut se produire en matière de représailles et d’intimidation. Je l’ai certainement ressenti. Pour ce qui est des agressions de délinquants par le personnel, je n’en ai pas été témoin. J’ai évidemment effectué un certain nombre d’enquêtes pour voir si je pouvais prouver qu’il y avait eu des cas de mauvais traitements, mais c’était très difficile parce que la dénonciation d’un autre membre du personnel ne se fait pas. Si vous dénoncez un collègue, vous serez marginalisé et isolé.

S’il y a un incident et que vous n’êtes pas considéré comme faisant partie de l’équipe, vos collègues vous laisseront tomber. Ils ne viendront pas à votre aide. Une des pires craintes dans un établissement, c’est que vos collègues ne soient pas là pour vous en cas d’incident. Voilà une peur bien réelle.

Lorsque j’ai enquêté sur l’affaire Ashley Smith, j’ai vu les vidéos où elle se faisait agresser. Là encore, les membres du personnel se sont ralliés à l’auteur de l’agression principale et ils ont organisé une activité de financement à son égard. Les hommes se sont fait pousser la moustache pour manifester leur soutien à cet employé, même s’il avait agressé une délinquante. Il y a eu des actes de vandalisme dans le stationnement, comme des pneus lacérés, des voitures égratignées ou rayées à coup de clé. Je n’en ai pas été témoin dans le pénitencier pour femmes, mais j’en ai certainement entendu parler dans les établissements pour hommes.

Il règne un climat de peur et d’intimidation, si bien que les gens se taisent.

La sénatrice Omidvar : Je sais que vous parlez des établissements à Saskatoon, mais croyez-vous qu’il s’agit d’un problème plus généralisé et plus systémique dans l’ensemble des établissements?

Mme Hamilton : Oui, j’en suis absolument convaincue.

La vice-présidente : Je voudrais obtenir une précision. Avez-vous l’impression qu’en tant que femme, vous faites davantage l’objet d’intimidation, ou est-ce que vos homologues masculins font face à la même chose?

Mme Hamilton : Personnellement, je ne crois pas que ma situation ait été différente de celle des autres directeurs d’établissement. Je crois cependant que ma présence a causé une sorte de choc culturel dans l’établissement pour hommes parce que j’utilisais un différent style de gestion dans mes interactions avec les délinquants. Figurez-vous que je voulais vraiment parler aux détenus. Imaginez un peu cela.

Les autres n’étaient certainement pas habitués à cette façon de faire, car en général, les directeurs d’établissement n’assistaient jamais aux conférences de cas, contrairement à moi. J’ai passé beaucoup de temps à interroger les délinquants dans l’unité d’isolement parce que je savais qu’ils ne se faisaient pas entendre. Ils ne pouvaient jamais s’exprimer. Je devais donner l’exemple au personnel pour montrer qu’il faut parler à ces gars pour connaître leurs problèmes. On ne peut pas tout simplement les garder enfermés.

La vice-présidente : Merci.

La sénatrice Pate : Madame Campbell, j’aimerais revenir sur certains points que vous avez déjà soulevés relativement à la façon dont le SCC a limité l’application de la loi. Vous avez parlé de la nécessité d’apporter des modifications à la loi, même dans le cas des dispositions qui sont actuellement de nature permissive: par exemple, les articles 4, 29, 81, 84, 77, 76 et 80.

Je m’excuse auprès des gens qui nous écoutent, mais nous serons heureux de fournir cette information, par souci de rapidité. Je sais que vous connaissez tous ces articles puisque vous avez contribué à leur rédaction.

Comment notre comité peut-il aider de façon optimale en faisant des observations ou des recommandations ou en prenant des mesures pour insuffler vie à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et pour la mettre en œuvre au même titre qu’un document et un texte législatif en matière de droits de la personne, comme l’avait préconisé la Commission canadienne des droits de la personne lorsque cette mesure législative avait été déposée pour la première fois?

Une des recommandations qui ont été formulées à l’extérieur de ce processus, dans le cadre de notre tournée des prisons, c’était que notre comité ou un autre comité sénatorial devrait se réunir une fois par année pour contribuer aux travaux que vous avez mentionnés, notamment à la diffusion des rapports de l’enquêteur correctionnel.

Je sais que vous avez beaucoup œuvré dans ce domaine. Avez-vous des recommandations ou des idées sur la façon dont notre comité pourrait atteindre cet objectif grâce à l’étude en cours?

Mme Campbell : Vous avez fait allusion à quelques articles. De toute évidence, deux d’entre eux, soit les articles 81 et 84, portent sur le recours aux collectivités autochtones pour les délinquants en liberté conditionnelle et les pavillons de ressourcement autochtones. L’article 29 permet le transfèrement de personnes ayant des problèmes de santé mentale en milieu hospitalier. Lorsque ces dispositions ont été créées, elles tenaient compte des meilleures idées de l’époque. Elles sont l’aboutissement d’une révision du droit correctionnel qui s’est étalée sur sept ou huit ans.

Les articles 81 et 84, en particulier, n’ont pas été invoqués pendant des années. Le SCC ne s’en approchait même pas. La seule explication que je peux vous donner, c’est qu’il incomberait au SCC de s’expliquer. L’organisme était occupé avec d’autres dossiers. Ce n’était pas une priorité. Le SCC ne savait pas quoi faire.

En ce qui concerne les transfèrements en milieu hospitalier, il y a d’autres problèmes. Cela est attribuable, en partie, à la relation entre les milieux de la santé et les prisons. Comme on l’a déjà mentionné, les hôpitaux et les psychiatres établissent des règles très claires quant aux catégories de personnes qu’ils sont disposés à accepter et quant à leur définition de troubles mentaux. Ce n’est pas nécessairement ce que vous et moi serions portés à croire. Il s’agit donc, en réalité, d’un problème de partenariat.

Pour ce qui est des Autochtones, parfois, la question est de savoir si une collectivité saine est prête, disposée et apte à reprendre des gens.

Pourquoi ces articles n’ont-ils pas donné les résultats escomptés? Voilà une question qui mérite d’être étudiée, mais il vaut aussi la peine de se demander si ces dispositions prévoient toujours les bons mécanismes. Vous auriez peut-être intérêt à consulter les Autochtones pour déterminer si les articles 81 et 84, en particulier, constituent toujours le bon mécanisme ou s’il y a lieu de mettre à l’essai quelque chose de nouveau. Au lieu d’insuffler vie à ces articles, n’est-il pas plutôt nécessaire de prendre une mesure bien différente?

Pour veiller à ce que ces dispositions soient mises en œuvre, la solution serait, bien entendu, d’instaurer une sorte de fonction d’inspecteur des prisons. C’est d’ailleurs l’une des recommandations du Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

Le Bureau de l’enquêteur correctionnel était conçu pour donner suite aux plaintes. Il a fait un excellent travail. Il a élargi un peu la portée de son mandat pour examiner des questions qui touchent tous les détenus, mais c’est, d’abord et avant tout, un bureau fondé sur les plaintes. En revanche, un inspecteur des prisons a pour fonction, comme c’est le cas au Royaume-Uni, de se rendre sur les lieux et d’inspecter les pénitenciers pour s’assurer que les mesures nécessaires sont prises. Il collabore avec l’établissement et lui rend compte des résultats.

Pour ma part, je crois que, à ce stade-ci, nous avons probablement besoin d’une fonction d’inspecteur des prisons. Pourquoi ce pénitencier n’a-t-il pas conclu un accord en vertu de l’article 81 au cours de la dernière année? Voilà les questions à se poser.

Encore une fois, tout revient à la reddition de comptes et au suivi. Vous ne pouvez pas vous contenter de l’inscrire dans la loi ou d’en parler. Il doit y avoir un suivi. Si vous purgez une peine, vous pourriez manifester la volonté d’aller dans telle ou telle collectivité autochtone ou de faire telle ou telle chose. Eh bien, bonne chance. Comme on dit: « Qui allez-vous appeler? » Vous devez d’abord faire un appel. Vous devez savoir qui appeler. Vous avez besoin d’une aide juridique pour vous assurer que vos droits sont respectés afin d’avoir ce genre d’occasion. Avez-vous 10 000 $? Voilà ce que vous aurez à payer comme coût initial. La plupart des détenus n’ont pas une telle somme. Ils ne connaissent aucun avocat à qui s’adresser. L’avocat ne prend pas leur appel.

Les obstacles sont énormes. Si vous tenez à créer ces possibilités et à appliquer ces exigences, il me semble que l’État a l’obligation de s’assurer, d’une façon ou d’une autre, que ces mesures sont bel et bien prises. L’enquêteur correctionnel fait un travail remarquable, mais, je le répète, sa fonction est basée sur les plaintes des détenus. Il faut avoir les moyens de déposer une plainte, puis d’en faire le suivi et tout le reste.

La sénatrice Pate : J’ai une question complémentaire. Proposez-vous l’inspectorat en complément ou en remplacement, par exemple, du processus de règlement des griefs?

Mme Campbell : Les trois éléments ont un rôle distinct à jouer. En théorie, le processus applicable aux griefs devrait servir de moyen pour résoudre des problèmes à l’échelon le plus bas. Tâchons de trouver une solution. Selon moi, c’est l’idéal. Ensuite, si cela n’aboutit pas, il doit y avoir un mécanisme pour passer à la prochaine étape.

L’enquêteur correctionnel joue un rôle dans le même volet des processus fondés sur les plaintes, mais il ne remplace pas la fonction d’inspectorat. Encore une fois, le modèle britannique est excellent: certaines visites sont annoncées, alors que d’autres se font à l’improviste pour voir comment les établissements s’y prennent.

La sénatrice Pate : Vous n’avez pas parlé de ce point, mais je me demande si vous avez réfléchi aux recommandations de Louise Arbour sur la surveillance judiciaire et la capacité des prisonniers. Je ne suis pas naïve au point de négliger ce que vous avez dit sur l’accès à la justice, c’est-à-dire la capacité des prisonniers de retourner devant les tribunaux pour demander la révision de leur peine dans les cas où le traitement correctionnel donne lieu à une mauvaise gestion de leur peine.

Vous êtes-vous également interrogée sur cette question?

Mme Campbell : J’y ai longuement réfléchi, et ce, dès 1995 ou 1996. C’était une recommandation formulée par la juge Louise Arbour à la suite de certains incidents survenus à la Prison des femmes, comme on l’appelait. Elle avait recommandé que la personne ait la possibilité de retourner devant les tribunaux pour demander une peine moins lourde si les conditions imposées étaient devenues plus sévères, si la personne avait vu ses droits bafoués, si elle avait subi une souffrance physique ou autre, ou encore, si la sévérité de la peine excédait ce que le juge avait prévu au départ.

Parmi toutes les recommandations, celle-ci était la plus difficile pour les fonctionnaires du ministère du Solliciteur général du Canada et de Justice Canada. Comme vous le savez évidemment, on n’y a jamais donné suite parce que les gens avaient du mal à comprendre comment un détenu pouvait retourner devant les tribunaux et tout le reste.

Selon moi, cette recommandation mérite toujours d’être envisagée. Je suis de cet avis, en partie, parce que de nombreux États américains sont maintenant beaucoup plus progressistes que le Canada, je regrette de le dire, car ils disposent de systèmes fondés sur le principe de la carotte plutôt que celui du bâton dans le contexte de la libération conditionnelle. Si la personne se comporte bien pendant sa libération conditionnelle, le juge a le pouvoir d’écourter sa peine.

Vous avez évoqué une idée semblable : dans certains cas, cela sert à récompenser une bonne conduite et, dans d’autres, cela peut servir à corriger un mauvais comportement.

Je n’ai pas de solution ou de réponse définitive. Il vaut la peine de se pencher sur la question. Les tribunaux ne constituent pas toujours la meilleure option, comme vous le savez, en raison des délais judiciaires et de toutes les autres questions que le Sénat a longuement étudiées.

Je ne suis pas sûre, mais je pense qu’il convient d’examiner cet aspect de façon plus approfondie. Idéalement, il y aurait un mécanisme de reddition de comptes qui mettrait un terme aux mauvais traitements dès le départ, de sorte que la personne n’ait pas à faire face à ce genre de problème et à envisager de retourner devant les tribunaux.

La sénatrice Omidvar : Vous œuvrez à l’intérieur du système, alors que nous l’examinons de l’extérieur — du moins, c’est ce que je fais, en tant que sénatrice, dans le cadre des délibérations et des témoignages. Cela me tient beaucoup à cœur. Je suis consciente que, dans l’intervalle, la réadaptation est une approche privilégiée. En même temps, nous devons aussi protéger la sécurité publique.

Ma question s’adresse à vous trois. À votre avis, quelles sortes de solutions de rechange communautaires devrait-on élaborer pour favoriser la réadaptation? Y a-t-il différents modèles communautaires pour différents groupes de personnes, comme les détenus noirs ou autochtones?

D’après vous, qu’est-ce qui fonctionne bien, et que recommanderiez-vous?

Mme Campbell : Je pourrais commencer par répondre de mon point de vue et en fonction des recherches que nous avons réalisées. En fait, près de la moitié des détenus présentent relativement peu de risques.

Je sais que les juges imposent une peine de placement sous garde pour diverses raisons qui n’ont rien à voir avec le risque. Par exemple, ils condamnent les délinquants aux fins de dénonciation ou parce qu’il s’agissait d’un crime odieux. Un nombre considérable de personnes derrière les barreaux n’ont tout simplement pas besoin d’un système de responsabilisation qui date de la fin des années 1700, sénatrice. Ne pouvons-nous pas faire mieux que de recourir à un système créé en 1780 pour lutter contre la criminalité?

Oui, les solutions de rechange communautaires conviendraient parfaitement à un grand nombre de délinquants. Cela leur permet d’être tenus responsables en les obligeant à redonner à la collectivité. Beaucoup de détenus le feraient avec joie. Il peut s’agir de n’importe quel service communautaire qui permet à la personne de reconnaître très publiquement qu’elle a commis un acte répréhensible; voilà pourquoi elle veut redonner à la collectivité et elle compte rester dans le droit chemin, sans aucune récidive. Cela exige beaucoup de collaboration avec les provinces, les municipalités, le secteur privé et les organismes de services sociaux, mais c’est tout à fait faisable.

Lorsque la condamnation avec sursis a été adoptée en 1996, l’objectif principal était de permettre à la personne de purger une partie de sa peine d’emprisonnement dans la collectivité. Tout le monde était enthousiaste à cette idée, surtout les juges. En effet, les juges étaient tout à fait disposés à imposer des peines avec sursis, mais savez-vous quoi? Les ressources n’étaient tout simplement pas là. Personne dans la salle d’audience ne leur expliquait les mesures qui pouvaient être prises. C’était un aspect du problème. Vous pouvez tourner en rond dans certains cas.

Bref, la réponse est oui : selon moi, cette approche convient tout à fait à beaucoup de personnes, mais nous choisissons simplement de ne pas procéder ainsi.

Mme Wrenshall : Nous choisissons de dépenser 100 000 $ par année pour les délinquants incarcérés dans des établissements fédéraux, mais nous ne dépensons pas autant dans la collectivité.

Je voudrais faire quelques observations plus précisément sur le traitement de la toxicomanie et de l’alcoolisme. Je suis d’accord avec Mme Campbell pour dire que la restitution doit certainement faire partie de la solution, mais plus important encore, il faut un troisième élément: le traitement de la toxicomanie et de l’alcoolisme, et les compétences favorisant l’employabilité. Cela doit faire partie des mesures prises au sein de la collectivité parce que le traitement de la toxicomanie et de l’alcoolisme et les aptitudes à l’emploi sont d’une importance cruciale.

Je vois trop de délinquants, surtout des femmes, qui sont remis en liberté et qui n’ont pas le soutien nécessaire pour faire la transition de la prison à la collectivité — ils passent d’un milieu où ils avaient beaucoup d’aide en matière de traitement de la toxicomanie et de l’alcoolisme à un autre milieu, où ils n’ont pas d’appui ni d’emploi. « Bon, d’accord, je fais quoi maintenant? J’ai suivi quelques cours de formation de CORCAN pour fabriquer des sous-vêtements, mais comment cela peut-il m’aider à décrocher un emploi? »

Nous devrions en faire beaucoup plus sur le plan des programmes communautaires pour montrer aux gens comment obtenir un emploi et comment le conserver et pour leur enseigner un métier qui leur permettra de toucher plus que le salaire minimum. Si un grand nombre de ces femmes s’occupent de leur famille et tout le reste, elles doivent gagner plus de 12 $ l’heure ou peu importe le salaire minimum provincial, selon leur lieu de résidence.

Nous pourrions faire bien davantage pour garder les gens hors de prison en les orientant vers des programmes de traitement communautaires, assortis d’un volet emploi et éducation.

La sénatrice Omidvar : J’ai une petite question complémentaire.

Mme Hamilton : J’aimerais ajouter un autre commentaire.

Nous faisons un bon travail au Service correctionnel du Canada. Je vous ai peut-être donné l’impression d’être très négative aujourd’hui à l’endroit du SCC, mais le Service correctionnel du Canada fait beaucoup de bonnes choses. Il y a notamment le taux de détenus qui ne récidivent pas lorsqu’ils quittent notre système. C’est 80 p. 100.

Aux États-Unis, ce taux est d’environ 40 p. 100. Cela signifie que 8 personnes condamnées sur 10 ne se retrouveront jamais plus derrière les barreaux. C’est une statistique assez renversante. La situation a peut-être changé depuis sept ans, parce que je ne suis plus dans le milieu, mais c’était l’information que j’avais lorsque j’étais directrice d’un établissement.

Pour une certaine raison, certains d’entre eux réussissent très bien à réintégrer la collectivité. Je suis d’accord avec ce que les autres ont déjà dit au sujet de l’emploi et des autres aspects qui sont essentiels à la réintégration des détenus dans la société. Je tiens à m’assurer que vous en êtes conscients.

Parmi le 20 p. 100 des détenus qui récidiveront, seulement 1 p. 100 d’entre eux récidiveront avec violence. C’est quelque chose que la population n’entend pas. Je tenais à m’assurer que vous êtes au courant que nous faisons un très bon travail pour éviter que les détenus récidivent lorsqu’ils quittent notre système.

La sénatrice Omidvar : Merci de ces renseignements.

En ce qui a trait à la réhabilitation et aux solutions de rechange dans la collectivité, quels commentaires, expériences ou observations avez-vous au sujet de la participation des victimes et de leur famille?

C’est l’autre partie de l’équation. Dans bien des crimes, il y a une victime et sa famille, mais prenons seulement cela comme exemple. Lorsqu’il est question de favoriser la réhabilitation, quelle a été votre expérience avec les victimes et leur famille?

Mme Campbell : C’est un vaste sujet. D’après mon expérience, la réaction de quelques victimes correspond au stéréotype, et ces personnes sont habitées par un certain désir de revanche. Je ne porte pas de jugement. C’est leur réaction face à ce qu’elles vivent. Dans l’ensemble, lorsque vous discutez avec la majorité des victimes et des groupes connexes, vous constatez que ces gens souhaitent que quelque chose de positif en ressorte pour eux ou la société de manière générale.

Certaines victimes ne veulent plus parler de ce qui leur est arrivé et ne veulent pas être incluses. Elles veulent tout simplement poursuivre leur vie. Les victimes de crimes réagissent de manière très différente, mais la majorité des gens veulent que quelque chose de positif en ressorte. Que cela prenne la forme d’un dédommagement ou de services communautaires, comme le nettoyage des parcs, les victimes se réjouissent de voir ce qui est fait.

L’un de mes derniers actes a été de conclure un énorme accord. Je sais que cette initiative ne se porte pas bien, parce qu’il faut en faire la promotion. J’espère que cela ne dérangera pas les organismes d’être nommés. Disons que c’est un grand organisme qui construit des maisons pour les gens qui en ont besoin. Il s’agissait d’un partenariat entre cet organisme et le Service correctionnel du Canada. Des maisons, dites prêtes à être habitées, étaient bâties dans des établissements carcéraux et étaient transportées dans la collectivité.

La majorité des travailleurs étaient des hommes. Ils adoraient cela, parce que cela leur permettait d’acquérir de véritables compétences dans le domaine de la construction de maisons. C’était concret. Ces détenus adoraient ce travail; ils étaient vraiment heureux que leur travail soit utile pour la collectivité, parce que des maisons étaient remises à des gens qui en avaient besoin.

Ma vision était que de tels partenariats soient établis entre chaque établissement carcéral et chaque bureau de cet organisme au pays et que chaque bureau de libération conditionnelle envoie des détenus en liberté conditionnelle faire du bénévolat dans les magasins de l’organisme.

Tout le monde aimait cela. C’était un succès sur toute la ligne, mais nous avons besoin de gens déterminés à mener à bien ce projet. Je présume que l’initiative se poursuit probablement encore aux établissements de Stony Mountain et de Rockwood, mais c’est tout pour l’instant.

La vice-présidente : Lorsque je préside une réunion, je ne pose normalement pas de questions, mais j’aimerais vous demander de faire preuve d’indulgence à mon égard.

Madame Wrenshall, vous avez soulevé un point très intéressant; vous avez dit que les peines imposées aux femmes sont différentes. Comment pouvons-nous changer cette mentalité? Comment pouvons-nous la faire évoluer?

Mme Wrenshall : Nous devons sensibiliser considérablement plus les juges à la situation. D’après mon expérience, après avoir parlé à des juges des cours provinciales et supérieures, je peux dire qu’ils ignorent tout des questions relatives aux femmes.

La vice-présidente : Nous avons récemment vu quelque chose, mais je n’entrerai pas dans les détails.

La sénatrice Poirier : Merci à tous les témoins de leur exposé. Je ne suis pas un membre en titre du comité; je remplace un autre sénateur. Je vais peut-être poser une ou deux questions qui vous sembleront évidentes, mais c’est un nouveau sujet pour moi. J’aimerais apporter quelques précisions.

Il y a le pourcentage dont vous avez parlé, soit le 80 p. 100. Ce pourcentage concerne-t-il seulement les établissements pour femmes ou les établissements pour hommes et ceux pour femmes?

Mme Hamilton : Les hommes et les femmes. Oui.

La sénatrice Poirier : Vous avez dit avoir quitté le milieu il y a sept ans. Le pourcentage a-t-il toujours été de 80 p. 100 ou est-ce qu’il augmente tranquillement? Pouvons-nous dire que le taux aujourd’hui est supérieur à 80 p. 100 dans le cas des détenues?

Mme Hamilton : Je ne peux honnêtement pas vous répondre. Je ne connais pas la réponse.

La sénatrice Poirier : Du début à la fin de votre carrière, ce taux a-t-il augmenté graduellement pour atteindre 80 p. 100?

Mme Hamilton : Non. C’était en gros le centile lorsque je suis devenue directrice. Nous avions tous des notes préparées lorsque nous parlions en public et nous devions être au courant de nos statistiques. Ce sont les statistiques que j’utilisais lorsque je parlais en public.

La sénatrice Poirier : La vice-présidente Ataullahjan a abordé mon autre question; je m’adresse à Mme Wrenshall. J’ai noté que vous avez dit que, pour un même crime, les peines imposées aux femmes et aux hommes étaient en gros différentes.

Vous avez aussi mentionné à un moment donné que beaucoup d’hommes ont une meilleure situation financière, ce qui leur permet de retenir les services d’un meilleur avocat. À quel point cela influe-t-il sur la peine? Je ne peux pas croire qu’il y a deux lois différentes selon que vous êtes un homme ou une femme. Je présume que les principes juridiques fondamentaux qui s’appliquent dans le cas d’un meurtre sont les mêmes pour les hommes et les femmes.

La situation financière explique-t-elle en grande partie pourquoi les peines sont différentes?

Mme Wrenshall : À mon avis, oui. C’est le cas. Si vous avez les moyens de retenir les services d’un criminaliste grassement payés ou si vous devez avoir recours à l’aide juridique et n’avez pas les moyens de vous payer un bon avocat, cela fait toute une différence.

La sénatrice Poirier : Au bout du compte, le juge ne rendra-t-il pas une décision à l’endroit du même accusé? C’est la même loi. Que nous recommandez-vous?

Mme Wrenshall : Par contre, ce n’est pas toujours seulement un juge. C’est souvent un juge et un jury qui rendent cette décision.

La sénatrice Poirier : Que nous recommandez-vous? Quelle pourrait être la solution à ce problème?

Mme Wrenshall : Je ne suis pas certaine d’avoir une solution. Je crois que cela passe en partie par la sensibilisation. Une partie de la solution est de nous assurer d’offrir un soutien juridique adéquat aux femmes qui se retrouvent dans des situations où elles ont besoin de soutien, parce qu’elles doivent se présenter devant les tribunaux, en particulier dans les cas de violence familiale où leur partenaire est décédé lorsqu’elles ont dû se défendre.

La sénatrice Poirier : Et la situation serait-elle différente si c’était un homme?

Mme Wrenshall : Je ne recommande à personne de tuer son partenaire violent ou son conjoint pour quelque raison que ce soit, mais c’est mon expérience. Voici un exemple réel. Je m’occupais du dossier d’un homme qui a tué sa femme avec un marteau, parce qu’il avait de grandes difficultés financières. Il a été condamné à six ans pour homicide involontaire. C’était un homme d’affaires bien nanti qui avait des difficultés financières et qui vivait beaucoup de stress.

J’ai un autre exemple. C’est une femme qui a été maltraitée par son mari durant des années et qui a fini par le poignarder avec un couteau de cuisine. Elle purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité assortie d’une peine d’emprisonnement minimale de 10 ans. C’est difficile d’expliquer ces différences.

La sénatrice Poirier : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Ce l’est. Merci.

Mme Hamilton : J’aimerais faire un autre commentaire. Nous constatons que les femmes reconnues coupables demandent une peine de ressort fédéral. Elles se présenteront devant un juge pour des accusations liées à la drogue, par exemple. Elles diront au juge: « Donnez-moi une peine de ressort fédéral, parce que je sais que j’aurai accès à plus de programmes dans un établissement fédéral que dans un établissement provincial. »

Les juges donnent des peines de deux ans et plus aux femmes au lieu de peines d’un an et un jour. Voilà pourquoi nous constatons que plus de femmes purgent des peines de ressort fédéral. Elles demandent des peines de ressort fédéral, et les juges leur accordent de telles peines.

La sénatrice Pate : Madame Wrenshall, d’après votre expérience de travail avec les hommes et les femmes, diriez-vous aussi que de nombreuses femmes plaident justement coupables dans les situations dont vous parliez?

Lorsque la juge Ratushny a réalisé son examen sur les femmes qui ont tué leur partenaire violent, soit l’étude dont vous avez parlé plus tôt, elle a constaté que l’une des raisons qui expliquent ces écarts, en plus de ce que vous avez soulevé, était qu’une peine minimale obligatoire était prévue et que les seuls témoins, lorsqu’il y en avait, étaient souvent les enfants des femmes. Elles étaient réticentes à forcer leurs enfants à témoigner, et bon nombre d’entre elles plaidaient coupables parfois même à des accusations de meurtre au deuxième degré.

Mme Wrenshall : Oui. Elles sont aussi totalement rongées par la culpabilité. Les victimes de violence familiale sont rongées par la culpabilité.

Mme Campbell : C’est un enjeu propre aux femmes, mais je crois que c’est également lié à la manière dont nous structurons les homicides et les peines. Je sais que cela va paraître comme une idée radicale pour certains, mais nous serions vraiment en mesure d’avoir davantage une véritable justice et d’obtenir beaucoup plus de résultats pratiques si nous éliminions les peines minimales obligatoires pour les homicides.

J’ai réalisé une étude sur les homicides. Il y a déjà environ 13 ou 14 façons différentes de traiter d’un meurtre en vertu du Code criminel. Vous n’avez pas besoin de trop vous emballer à l’idée que nous devrions peut-être éliminer les peines minimales obligatoires pour certains types d’homicides.

La sénatrice Pate : Voici ma dernière question. Si chacune d’entre vous avait une recommandation à formuler quant à la façon d’arriver aux mesures les moins contraignantes et d’avoir des gens dans la collectivité avant la détermination de la peine ou à des fins de réinsertion sociale, que nous recommanderiez-vous?

Mme Hamilton : Je souhaite en fait avoir un modèle où les gens ne sont pas nécessairement envoyés directement dans un établissement lorsqu’ils sont condamnés. Ils se rendent dans une sorte de centre de guérison. Je ne veux pas appeler cela un centre de traitement, parce que c’est trop facile. À cet endroit, nous examinons les divers aspects qui expliquent pourquoi ces personnes ont commis leur crime. En particulier dans le cas des Autochtones, nous devons aborder les questions relatives aux pensionnats indiens, les femmes disparues et assassinées, les problèmes de toxicomanie, la violence dans les communautés et le manque de programmes économiques pour les gens dans les communautés. Si nous regroupons tout cela au même endroit et qu’un professionnel peut les aider à surmonter leurs problèmes, ces personnes n’auront peut-être pas besoin d’aller dans un établissement. Voilà ce que je propose.

Mme Campbell : Je suis d’accord. En ce qui a trait aux quelque 55 priorités que j’ai concernant le système correctionnel, le tout commence dans la salle d’audience. Un ami juge m’a dit: « En moyenne, la détermination de la peine prend trois minutes, Mary. Si vous me demandez d’en prendre quatre, vous allez retarder tous mes dossiers pour la journée, et je n’aurai pas le temps de tout faire. »

La détermination de la peine prend trois minutes. Que savons-nous de cette personne? Or, lorsque le Service correctionnel du Canada la prend en charge, il y a une évaluation de trois mois pour établir qui est la personne et ses besoins. Je crois que le tout commence vraiment à l’étape de la détermination de la peine.

Mme Wrenshall : Je me fais l’écho de ses commentaires. Je crois que c’est ridicule de prendre seulement trois minutes, étant donné que cette décision aura des effets sur la vie non seulement du délinquant ou du détenu, mais aussi de la victime.

La vice-présidente : Je tiens à remercier Mmes Hamilton, Campbell et Wrenshall d’avoir pris le temps de témoigner aujourd’hui devant le comité. Nous avons eu un lent départ, mais je crois que nous aurions pu poursuivre nos discussions encore une autre demi-heure.

Nous avons maintenant par vidéoconférence Kelly Hannah-Moffatt, vice-présidente, Ressources humaines et équité, et professeure de criminologie et d’études sociojuridiques à l’Université de Toronto.

Je dois vous dire que le comité est très heureux de vous accueillir. Cela fait très longtemps que nous attendons votre venue devant le comité. Je vous en remercie énormément.

Nous écouterons d’abord votre exposé, puis nous vous poserons des questions.

Kelly Hannah-Moffatt, vice-présidente, Ressources humaines et équité, et professeure de criminologie et d’études sociojuridiques, Université de Toronto, à titre personnel : Je suis heureuse d’avoir l’occasion de discuter avec vous aujourd’hui. Je sais que votre comité se penche sur une très vaste gamme d’enjeux. Je tiens à vous laisser le plus de temps possible pour me poser des questions sur les divers sujets que je connais, y compris les questions relatives à l’évaluation du risque et à la classification, l’historique ou les enjeux concernant les populations de détenues vulnérables, en particulier les femmes autochtones, et les pratiques liées à la classification de sécurité et à l’isolement.

J’ai participé à de nombreux cas et j’ai réalisé bon nombre de recherches au fil des ans. Je crois que vous avez mon curriculum vitae en main, et je suis évidemment ravie de répondre à toute question que vous aurez concernant les divers aspects de mes recherches. Je préfère vous laisser me poser des questions et je pourrai vous répondre directement et vous donner l’information la plus utile pour vous.

La sénatrice Pate : Bonjour, madame Hannah-Moffatt. Comment allez-vous?

Mme Hannah-Moffatt : Bien. Comment allez-vous? C’est un plaisir de vous voir.

La sénatrice Pate : Vous avez réalisé beaucoup de travaux sur les évaluations du risque et l’évaluation des questions liées à la classification, en particulier dans le cas des détenues et des détenus autochtones. Je sais que vous avez également collaboré avec la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

Vous savez que les détenus autochtones représentent maintenant 26 p. 100 de la population carcérale. Pour ce qui est des femmes, selon les sources au sein du Service correctionnel du Canada, 36 ou 39 p. 100 des détenues sont autochtones. Vous savez également que bon nombre d’entre elles demeurent incarcérées jusqu’à l’expiration de leur mandat ou sont libérées à leur date de libération d’office, mais de sévères conditions leur sont imposées.

La Commission canadienne des droits de la personne a conclu que le processus d’établissement de la classification constituait un traitement discriminatoire fondé sur le sexe, la race et le handicap; d’après votre curriculum vitae, je peux voir que la Dre Margaret Shaw et vous avez réalisé une recherche sur le processus d’établissement de la classification qui a par la suite mené à l’embauche de la Dre Moira Law, qui s’est penchée sur les classifications en s’appuyant sur les recommandations formulées par la Dre Shaw et vous-même ainsi que la Commission canadienne des droits de la personne.

Nous venons d’entendre les témoignages d’anciens employés du Service correctionnel du Canada et d’autres personnes qui ont mentionné que de nombreux détenus se voyaient attribuer une classification trop élevée, en particulier les femmes et surtout les femmes autochtones et les personnes qui ont des problèmes de santé mentale.

La Dre Law a recommandé que le Service correctionnel du Canada reconnaisse que la majorité des femmes représentent un faible risque, qu’il les place par conséquent au départ dans des établissements à sécurité minimale et que les détenues soient seulement transférées dans des établissements à sécurité plus élevée si des incidents surviennent qui posent réellement un problème pour la sécurité du public.

D’après les recherches et le travail que vous avez faits depuis avec le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles, quels progrès ont été accomplis, le cas échéant, dans ce domaine? Selon vous, les recommandations de la Dre Law ont-elles été mises en œuvre?

Mme Hannah-Moffatt : J’ai réalisé beaucoup de travaux à la suite des tentatives de déterminer quelle incidence ont le sexe et la capacité sur la classification du niveau de sécurité et sur l’évaluation des risques de façon plus générale. Je n’ai vu aucun effort important visant à mettre en œuvre les recommandations de la Dre Law en ce qui concerne la classification du niveau de sécurité.

J’ai cependant constaté une tendance générale à défendre l’utilisation des classifications de niveau de sécurité pour des questions relatives à la fiabilité et à la validité de ces outils sans qu’on ait vraiment déterminé si ces outils sont adaptés à certaines populations au sein du système correctionnel. La question des femmes autochtones, des femmes et des personnes ayant des problèmes de santé mentale est particulièrement préoccupante, tout comme celle des jeunes, à certains égards, et des personnes qui présentent une combinaison de ces éléments.

Ce qui compte, c’est de voir la question dans son ensemble et de se demander pourquoi la classification du niveau de sécurité est importante. Elle est très importante parce qu’elle est en quelque sorte une porte d’entrée pour l’accès aux programmes et aux services dans l’établissement. Elle permet de suivre les programmes et d’avoir accès aux services et elle a une incidence considérable sur les décisions concernant la préparation à la mise en liberté. Elle donne aussi la possibilité d’accéder à des programmes sécurisés qui mènent à une libération éventuelle.

Ces 20 dernières années, j’ai fait beaucoup de travaux sur la classification du niveau de sécurité, dont certains découlent de ma participation à la commission Arbour. Je me suis notamment penchée sur les questions de la race, du sexe et de la capacité, puisqu’elles s’appliquent aux critères utilisés dans les évaluations des risques. Selon moi, le Service correctionnel du Canada et la plupart des outils d’évaluation des risques que nous utilisons régulièrement ne tiennent pas suffisamment compte de la documentation dans ce domaine et ne se penchent pas suffisamment sur la manière dont les femmes, en particulier les femmes autochtones, sont surclassées en conséquence de cette utilisation.

Comme je l’ai déjà dit, la surclassification a des répercussions importantes. Il y en a une qui me vient à l’esprit; elle concerne les femmes autochtones et leur accès au pavillon de ressourcement ou à des services adaptés à leur réalité culturelle. Pour celles qui sont classées au niveau de sécurité maximale, il est difficile d’avoir accès à ce type de programmes et de services, ce qui change fondamentalement leur expérience de l’incarcération, qui est plus difficile.

Je pense qu’il s’agit d’une considération très importante. Si toutes les personnes incarcérées étaient classées au même niveau de sécurité, on pourrait s’assurer que toutes ont des chances égales d’avoir accès à des programmes et à des services et qu’elles sont incarcérées dans un établissement qui se trouve près de leur domicile, ce qui minimise l’éloignement géographique, et qui est adapté à leurs besoins culturels.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie, madame Hannah-Moffatt, de vous joindre à nous. Je tiens à mentionner que de nombreux témoins entendus jusqu’ici nous ont parlé de la surreprésentation des personnes ayant des problèmes de santé mentale dans le système carcéral, et du fait que la manifestation des symptômes de la maladie mentale et les comportements associés aux problèmes de santé mentale sont envisagés sous l’angle de la criminalité et, par conséquent, traités comme des risques plutôt que des problèmes de santé mentale nécessitant un traitement. De toute évidence, il en résulte encore une fois la classification du niveau de sécurité dont parlait la sénatrice Pate.

Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des outils d’évaluation des risques qui sont utilisés actuellement par les services correctionnels? Sont-ils adaptés aux problèmes de santé mentale dont peuvent souffrir les prisonniers? Dans la négative, ces outils devraient-ils être remplacés? Quelle est la voie à suivre?

Mme Hannah-Moffatt : C’est une question complexe à bien des égards. Je veux d’abord prendre un peu de recul. Dans le système correctionnel fédéral, quand nous pensons à l’évaluation des risques, nous pensons aux risques statiques. Ce sont des facteurs qui ne peuvent pas changer, mais qui sont liés aux récidives et à des résultats comportementaux qui sont considérés comme problématiques.

Il s’agit par exemple de l’âge, des antécédents judiciaires, du type d’infraction commise, et ce genre de choses. Il y a également les facteurs dynamiques; ce sont des facteurs qui sont susceptibles de changer par suite d’une intervention et au fil du temps.

Il arrive fréquemment que, lorsque nous effectuons une évaluation des risques, nous estompions un peu les limites entre les facteurs de risque dynamiques et les facteurs de risque statiques. Nous considérons ce qui aurait été dans le passé des besoins en matière de santé mentale comme des facteurs de risque dynamiques.

Beaucoup d’erreurs se produisent dans le système dès le départ, quand nous évaluons une personne, sur le plan des risques par rapport aux besoins. Nous parlons des besoins comme s’il s’agissait de risques. En présentant les problèmes de santé mentale, les problèmes d’ordre personnel et affectif ou certains problèmes liés à des traumatismes comme des facteurs de risque dynamiques, nous ne les traitons pas suffisamment comme des besoins et nous mettons constamment l’accent sur la sécurité et l’intervention plutôt que sur le soutien et l’adaptation.

Nous envisageons très souvent la santé mentale dans le contexte de l’évaluation des risques, ce qui fait qu’on présente déjà la santé mentale comme quelque chose de risqué et de problématique, et pas nécessairement comme un besoin.

Dans le système correctionnel, sur le plan des services de santé mentale, il existe un certain nombre de besoins différents et diffus. Il arrive fréquemment que des comportements qui devraient être considérés comme des problèmes de santé mentale ne le soient pas. Ils sont présentés comme des problèmes comportementaux et ils finissent par nuire aux personnes concernées lorsqu’elles cherchent à obtenir du soutien ou un traitement.

Dans l’ensemble, le système est mal équipé pour faire face aux problèmes de santé mentale des femmes et des hommes autochtones et non autochtones. Un nombre disproportionné de personnes ayant des problèmes de santé mentale se retrouvent en isolement. J’ai appris récemment, en me penchant sur des litiges relatifs à l’isolement, que même si on a tenté, après le cas d’Ashley Smith, de mettre en place rapidement des examens sur la santé mentale des prisonniers qui ne font pas l’objet d’autres formes d’évaluation, ces examens n’ont pas été mis en œuvre dans le système. Il n’existe pas de mesures de soutien ou de suivi adéquates pour ces problèmes. La formation du personnel est insuffisante, et les établissements n’embauchent pas assez de personnes pour faire face à la complexité des besoins actuels de la population carcérale.

Il y a également de la résistance sur le plan de la culture et du système, entre autres, pour s’attaquer à ce problème, aller de l’avant et faire les choses différemment quant à la façon d’aborder la complexité des problèmes que connaissent les prisonniers en ce moment.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie beaucoup de vos précisions concernant le risque statique et le risque dynamique, mais même le langage que vous utilisez est axé sur le risque. Si nous examinions les besoins par rapport aux risques, croyez-vous que nous trouverions plus vite des solutions de rechange à l’emprisonnement en utilisant cette approche axée sur les besoins?

Mme Hannah-Moffatt : Dans une certaine mesure, il nous faut en arriver à des solutions de rechange à la prison. Nous devons envisager des solutions holistiques différentes. J’utilise ce langage parce que c’est celui qui prédomine au sein du système à l’heure actuelle, mais une grande partie de l’approche axée sur le risque tend à s’appuyer sur les programmes afin qu’il y ait des effets mesurables sur la réduction du taux de récidive.

Je comprends la logique et l’importance de la question, mais cela ne nous permet pas de déterminer d’une façon aussi globale les besoins des individus à divers moments lors de leur incarcération, de leur libération et de leur réinsertion dans la collectivité.

Oui, nous devons repenser notre façon de voir les choses. Nous devons réduire l’utilisation du terme « évaluation des risques » et changer ce pour quoi nous évaluons les risques. C’est devenu un terme général qui englobe un grand nombre de pratiques et qui est utilisé pour justifier un grand nombre de pratiques, bien souvent au détriment d’un dialogue plus holistique et créatif sur les solutions de rechange.

En ce qui concerne les personnes ayant des troubles mentaux ou ayant reçu un diagnostic de maladie mentale, la gravité et la nature de ces problèmes varient grandement. Il nous faut absolument trouver le moyen d’envoyer les personnes atteintes de maladie mentale dans des établissements où l’on pourra rapidement répondre à leurs besoins en tant que patients. Cela constituerait un changement fondamental par rapport à la façon dont nous répondons aux besoins des prisonniers.

Nous devons également réfléchir aux problèmes tels que l’automutilation et aux besoins des gens sur le plan des approches tenant compte des traumatismes, et nous demander dans quelle mesure notre environnement de détention peut répondre à ces besoins et aider les gens à se réadapter dans la société d’une manière sûre, qui les empêchera de se retrouver dans une situation de vulnérabilité où ils risquent d’être réincarcérés.

Il est tout à fait vrai que parler des besoins peut aider. Nous ne voulons pas parler des besoins pour les séparer des risques. Nous voulons mettre moins l’accent sur les risques et plus sur les besoins et les approches holistiques; moins sur la mesure globale des risques, comme les récidives, et plus sur le fait de poser des questions fondamentales dans certains cas.

Par exemple, de quoi a besoin cette personne dans son environnement immédiat? De quoi a-t-elle besoin pour s’épanouir dans cet environnement? Comment pouvons-nous la soutenir dans sa réinsertion? Comment pouvons-nous l’appuyer afin qu’elle ne réintègre pas un système qui est mal conçu pour l’aider à régler ses problèmes?

La sénatrice Pate : Avez-vous pu entendre le témoignage des personnes qui vous ont précédée?

Mme Hannah-Moffatt : Non, malheureusement.

La sénatrice Pate : L’un des témoins a parlé des répercussions différentes sur les femmes victimes de violence, en particulier celles qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité, et du fait qu’elles sont souvent surclassées.

Avez-vous examiné certaines des décisions stratégiques prises par le Service correctionnel du Canada qui ont eu une incidence sur les individus, pas seulement selon les outils d’évaluation des risques, mais une décision de politique publique prise, par exemple, relativement à ce qu’on appelle la règle des deux ans, selon laquelle une personne ayant été reconnue coupable d’un meurtre doit automatiquement passer deux ans dans un environnement à sécurité maximale?

C’est ma première question. Pourriez-vous nous parler de cette incidence et établir un lien avec la façon dont les outils sont utilisés pour faciliter ou contrecarrer l’application de la loi? Je pense en particulier à l’article 4 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui exige que l’on envisage des mesures moins restrictives qui tiennent compte de la sécurité du public et de la réadaptation des individus; l’article 29, qui vous encourage à examiner les enjeux en fonction des besoins des gens en matière de santé et qui permet le transfèrement d’une personne à un hôpital pour ses besoins de santé physique et mentale; l’article 76, qui prévoit que l’accent doit être mis sur la réinsertion des prisonniers; et l’article 77, qui prévoit qu’un accent particulier doit être mis sur les programmes, les services et les initiatives dans les prisons, y compris la classification du niveau de sécurité des femmes. Quant à l’article 80, il concerne expressément les prisonniers autochtones, et les articles 81 et 84 permettent l’élaboration d’options dans la collectivité afin que les prisonniers autochtones puissent purger leur peine dans leur collectivité ou être mis en liberté conditionnelle au sein de la collectivité.

Je pense en particulier au fait que, selon ces politiques, cela ne s’applique qu’aux personnes classées à un niveau de sécurité bas. Pourtant, la loi ne précise pas s’il doit s’agir d’un niveau de sécurité en particulier. Je suis désolée. J’ai soulevé beaucoup de questions, mais si vous pouviez nous donner votre opinion sur chacune, ce serait formidable.

Mme Hannah-Moffatt : Chacun de ces aspects a ses particularités. Normalement, la règle des deux ans s’applique si vous avez commis un homicide et que vous êtes classé comme étant un détenu dit « à sécurité maximale » pendant une période de deux ans. Cette décision ne s’appuie pas sur des données empiriques. C’est simplement une décision stratégique. Il n’y a pas beaucoup d’éléments probants qui justifient ce genre de décision. Non seulement cette décision repose sur peu de choses, mais en plus, elle fait directement obstacle à de nombreux objectifs que vous avez mentionnés dans les articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Outre la règle, ajoutons que l’outil de classification du niveau de sécurité n’a jamais été réellement adapté aux besoins des Autochtones ou à la variable sexe, de manière à tenir compte des besoins particuliers des femmes.

Il s’agit d’un outil conçu principalement pour les hommes blancs d’âge adulte. La plupart des critères qu’on y trouve pour déterminer s’il s’agit d’un cas dit « à sécurité maximale » reposent sur des recherches portant sur ce groupe. Il arrive que même cela soit problématique sur le plan systémique.

Oui, il est vraiment malavisé de s’en tenir à une règle des deux ans selon le type d’infraction commise si l’on cherche à atteindre n’importe lequel des autres objectifs. Être un détenu dit « à sécurité maximale » pendant deux ans fait nettement obstacle à la mobilité entre institutions et à l’accès aux programmes et aux services au sein des institutions. Il est possible que vous soyez logé dans un établissement à très haute sécurité, où vous serez exposé à un large éventail de problèmes propres au contexte institutionnel. Il se peut aussi que vous n’ayez pas accès aux programmes destinés aux Autochtones. J’ai déjà parlé de l’accès à des programmes adaptés aux réalités culturelles. Tout cela peut avoir une incidence, que vous soyez déjà à l’étape de la libération ou en train de planifier celle-ci.

À mon avis, il y a des questions liées aux spécificités de chaque sexe dans le cas des homicides. Chez les femmes qui commettent un homicide, toutes sortes de facteurs entrent en jeu. Aucun de ces aspects n’est pris en considération. Il n’y a aucune nuance. Il n’y a pas de compréhension globale de la personne, de ses besoins ou de la façon de tenir compte de ces aspects. Tout ce qui retarde une intégration très rapide dans un programme signifie qu’en fin de compte on restreint la capacité d’être remis en liberté le plus rapidement possible.

Dans un cadre moins restrictif, on le voit bien. Si vous êtes un détenu dit « à sécurité maximale », vous êtes confiné à des quartiers dont le niveau de sécurité correspond à ce qu’on appelle la sécurité maximale. Cette situation mène souvent à un phénomène historique bien documenté qui a touché bien des femmes au fil des ans, soit le surclassement dans des établissements à trop haute sécurité. Ce genre de milieu ne facilite pas nécessairement leur développement et il n’aide aucunement leur progrès au sein du système.

Tous ces aspects sont importants. Si l’accès aux programmes est retardé et que vous n’avez pas suivi les programmes que votre équipe de gestion des cas juge nécessaires pour atténuer les risques que vous pourriez poser à votre sortie, votre dossier pourrait aisément ne pas être pris en considération ou rejeté au moment de prendre une décision concernant votre remise en liberté.

Il n’y a pas que la question du rejet pur et simple du dossier parce que votre équipe de gestion de cas pourrait ne pas vous appuyer. Certaines personnes, surtout des femmes, reportent la possibilité d’une audience pour leur remise en liberté ou renoncent à celle-ci parce qu’elles n’ont pas suivi les programmes ou n’y ont pas eu accès ou encore en raison du niveau de sécurité de l’établissement où elles se trouvent. Ces personnes sont fermement convaincues que si elles n’ont pas rempli ces conditions ou n’ont pas eu accès à ces programmes, elles n’ont aucune chance d’obtenir une libération conditionnelle.

Il y a très peu de planification dans la collectivité. Dans le milieu correctionnel, les pratiques exemplaires de par le monde indiquent qu’idéalement, il faut commencer à planifier la mise en liberté dès le début de l’incarcération. En outre, le retour dans la collectivité doit être planifié et offrir une certaine continuité, ce qui n’est pas le cas en ce moment.

À cet égard, la chercheuse externe que je suis dirait que les questions de transparence et d’accès font en sorte qu’il est extrêmement difficile d’acquérir une compréhension approfondie des pratiques en vigueur au sein du Service correctionnel du Canada. D’après ce que nous savons, d’après ce que nous avons vu et d’après ce que nous ont dit certaines des personnes que nous avons interrogées dans le cadre de divers projets de recherche, c’est que si votre équipe de gestion des cas ne vous soutient pas pleinement — que ce soit publiquement ou dans les coulisses pour ce qu’elle vous dit — et qu’elle ne s’efforce pas de vous donner accès à des programmes ou à des ouvertures culturellement adaptées ou de trouver des façons originales et particulières de planifier votre retour dans la collectivité — conformément aux articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui cautionnent ce type d’approche adaptée aux besoins particuliers des Autochtones —, cette réintégration, pour une bonne partie d’entre eux, risque de ne jamais se matérialiser.

Je ne suis pas certaine d’avoir bien répondu à votre question.

La sénatrice Pate : Je me demandais aussi si cela fait encore partie des règlements. Pour vous donner un exemple concret de ce que je veux dire, le témoin précédent a dit que des femmes étaient accusées d’avoir assassiné leur conjoint violent, tandis que les hommes, eux, étaient accusés d’avoir assassiné leur conjointe.

Vous pouvez nous confirmer quelque chose qui, je crois, faisait partie des documents de classification, et nous donner l’heure juste à ce sujet. C’était une disposition qui faisait en sorte que les évaluations initiales des personnes arrivant en prison comportaient des questions cherchant à établir si ces personnes avaient vécu des épisodes de violence familiale. Je ne me souviens pas du libellé exact de cette disposition. Cas de légitime défense exceptés, la personne qui se serait défendue ou qui aurait réagi à de la violence entrait dans la même catégorie que la personne qui commettait les actes violents.

Est-ce toujours la même chose sur le plan des facteurs de risque?

Mme Hannah-Moffatt : Je crois que oui. Comme vous pouvez vous en douter, le travail que Margaret Shaw et moi avons fait nous en a appris beaucoup sur ces facteurs de risque. Dans une vaste mesure, ces dispositions sont encore valides. Nous avons interrogé tous ceux qui avaient rempli ces évaluations initiales de délinquants sur lesquelles se sont fondées les décisions qui ont cautionné une cote de sécurité. L’interprétation de ces évaluations et les applications subséquentes étaient loin d’être uniformes d’un établissement à l’autre, et même, d’un agent à l’autre au sein d’un établissement donné.

Oui, il y a des catégories qui sont relativement vagues, comme celle dont vous avez parlé. À ce que je sache, cette façon de faire existe toujours et les choses sont souvent laissées à l’interprétation de la personne qui fait la classification, nommément, quelle importance il faut accorder à cela et le fait de déterminer si la personne évaluée a le degré de sophistication, de compréhension ou de formation voulu pour s’adapter à ce contexte.

Nous avons remarqué que, en général, les gens sont réticents à modifier les évaluations du risque, surtout lorsque c’est susceptible de ramener la personne évaluée à un niveau de classification inférieur. Les évaluateurs ne sont pas outillés pour bien comprendre la dynamique entre les différents contextes d’infraction. Du reste, ils n’ont pas l’impression qu’ils ont l’autonomie voulue pour prendre ce type de décision.

Lorsque nous avons jeté un coup d’œil à la recherche sur le processus décisionnel que j’ai réalisée il y a quelques années, nous avons constaté que les problèmes de violence familiale étaient traités comme ceux de n’importe quel autre type de violence. Sauf que, lorsque l’on cherche à déterminer le risque de violence, on cherche à établir s’il y avait une relation violente à la maison ou si une relation conjugale intime existait dans le passé. On tentera aussi d’évaluer le degré de passivité de la personne face à cette violence et d’établir si la personne a réagi par légitime défense, tant sur le moment que par la suite. Tous ces éléments sont perçus comme des « preuves » que la personne pourrait commettre des actes de violence dans l’avenir, même si la relation problématique n’existe plus.

Il semblerait que le fait d’avoir été dans n’importe quel type de relation violente — comme cela serait le cas pour de l’automutilation ou des problèmes de santé mentale — augmenterait votre propension à commettre des actes violents. Je ne saisis pas très bien le fondement empirique de certains de ces raisonnements. Ils sont souvent dépourvus de contexte. Lorsque vous lisez les renseignements fournis, vous pouvez voir que telle personne en a frappé une autre qui s’avançait vers elle avec une cigarette allumée ou quelque chose d’autre qui allait la brûler, ou qui, par ses gestes, donnait l’impression qu’ils allaient se battre. Lorsqu’il s’agit d’une détenue qui aurait été reconnue coupable d’avoir commis une infraction, ces gestes sont perçus comme des gestes d’agression et sont, à ce titre, susceptibles de modifier la perception que vous aurez de la propension de cette personne à poser des gestes violents dans l’avenir.

Tout cela a à voir avec les suppositions problématiques que nous faisons lorsqu’il s’agit de prendre des décisions au sujet de ces personnes. Comme vous l’avez souligné, cela commence dès le début, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’établir une cote de sécurité alors que l’on n’a absolument aucune idée ou aucune compréhension du contexte. Il ne s’agit pas seulement des problèmes sexospécifiques. Les Autochtones sont fondamentalement désavantagés par le fait que nous utilisons des catégories standards comme le nombre d’infractions, les antécédents et tous les autres critères lourdement raciaux et que nous savons raciaux. Pourtant, nous ne les prenons pas en considération lorsque nous déterminons les cotes de sécurité, ce qui donne lieu à des distorsions.

Cela ressemble beaucoup au modèle de la boîte noire. Une quantité impressionnante de données est entrée dans une boîte, et les données y sont compilées. On ne sait pas exactement quel poids les différents facteurs occupent. Après traitement, une cote de sécurité maximale ou minimale est statuée — ou un risque moyen, élevé ou bas. Il y a peu de transparence et de certitude en ce qui a trait à ce qui s’est passé à l’intérieur de la boîte noire. La boîte ne contient pas de variables discriminatoires susceptibles d’engendrer de la discrimination. C’est quelque chose que nous voyons systématiquement dans les outils d’évaluation utilisés par de multiples gouvernements. Ces pratiques sont remises en question à la fois aux États-Unis et au Canada.

Beaucoup de recherches sexospécifiques ont été réalisées dans le contexte dont vous parlez. Le Service correctionnel du Canada n’a pas vraiment examiné ces recherches, du moins pas pour ce qui est de concevoir, de modifier ou d’appliquer la cote de sécurité. Il n’a même pas regardé les effets délétères que la classification initiale peut avoir sur la suite des choses. La recherche de la Dre Law fournit une analyse sérieuse et complète quant à la nature de ces variables.

Margaret Shaw et moi avons fait sensiblement la même chose, mais dans d’autres contextes. À ce que je sache, le Service correctionnel du Canada ne s’est jamais penché sur ces travaux avec l’intention d’envisager un autre système. Il s’en est toujours remis au système que nous connaissons ou à la façon de faire qu’il utilise depuis toujours.

La vice-présidente : J’ai deux questions.

Tout d’abord, le système des cotes de sécurité a-t-il plus d’impact sur certaines détenues que d’autres — par exemple, les femmes autochtones ou les femmes issues de groupes ethnoculturels?

Mme Hannah-Moffatt : Absolument. Cela ne fait aucun doute pour moi, et il y a beaucoup de raisons à cela. Il y bien entendu les questions techniques en ce qui concerne la validité du contrat, comme : « Prenez-vous les bonnes mesures pour obtenir les bons résultats? » Il y a aussi les problèmes sexospécifiques, qui sont abondamment documentés. Or, lorsque la question du sexe est combinée aux aspects de santé mentale, de capacité ou de race, le problème est décuplé.

Prises séparément, la race et l’appartenance à un groupe ethnoculturelle peuvent, elles aussi, déboucher sur les mêmes variables, comme le niveau de scolarité complété, l’accès aux activités de loisir, les antécédents familiaux en ce qui a trait aux problèmes et traumatismes personnels, la monoparentalité et la situation économique susceptible d’expliquer pourquoi vous avez des dettes ou des problèmes financiers, le cas échéant. Lorsque vous examinez le portrait social d’ensemble en fonction de données ou des enquêtes pertinentes, vous constatez que toutes ces choses se répartissent différemment selon que l’on appartient à tel ou tel groupe ethnique, que l’on est autochtone ou pas, et selon que l’on est une femme ou un homme.

Lorsqu’on utilise ces critères pour affirmer qu’il y a des risques de récidive, on ne tient pas compte du contexte racial de ces variables. On ne tient pas compte des choses qui échappent complètement au contrôle de la personne, c’est-à-dire les aspects systémiques et structuraux.

Je vais vous donner un exemple, un exemple américain. L’un des critères très importants du système d’évaluation du risque de la commission sur la détermination des peines de la Virginie, c’est le code postal. Nous savons que le code postal est lié à la race, à l’accès aux services, aux chances d’avenir et à une foule d’autres choses. Les services de police et l’ampleur de la présence policière dans certains patelins ont une incidence sur l’identité des personnes qui sont arrêtées et sur l’identité des personnes qui sont inculpées. Dans une certaine mesure, ce sont aussi ces facteurs qui déterminent qui aura droit à de l’aide juridique et qui n’y aura pas droit. Tous ces aspects ont une composante raciale. Il y a beaucoup de données empiriques pour démontrer cette dynamique, mais de telles variables sont celles qui finissent pas être intégrées à des instruments et des outils utilisés pour l’établissement des cotes de sécurité. Elles ont un effet négatif disproportionné sur les personnes « racialisées » et leur catégorisation.

Les femmes autochtones perçues comme nécessitant une sécurité maximum sont surreprésentées. De façon générale, dans les niveaux de sécurité plus élevés, les Autochtones sont surreprésentés par rapport aux autres. Si l’on ajoute à cela le manque de programmes et de services appropriés, les difficultés d’accéder à ces programmes et services, l’absence de dialogue sur les alternatives et le manque flagrant de créativité, on se retrouve avec une dynamique qui est très loin de ce que le domaine considère généralement comme des pratiques exemplaires.

La vice-présidente : Quelles recommandations le comité pourrait-il formuler afin d’améliorer le respect des droits de la personne pour les femmes purgeant une peine de ressort fédéral dans un établissement fédéral? C’est une question ouverte.

Mme Hannah-Moffatt : Il y en a plusieurs. Il serait nécessaire de réévaluer les raisons pour lesquelles le sexe est un facteur important dans ces contextes, comment le sexe interagit avec les questions propres aux Autochtones ou aux groupes ethnoculturels et comment, ensemble, ces deux aspects recoupent les questions de santé mentale.

En général, les femmes forment une modeste proportion de la population des prisons fédérales. Traditionnellement, elles étaient trop peu nombreuses pour compter pour quoi que ce soit et, hélas, rien n’a changé à ce chapitre depuis que j’ai commencé à étudier dans ce domaine, il y a 25 ans. Les approches que nous utilisons pour gérer et traiter les questions particulières des femmes sont encore et toujours des approches standardisées.

Nous savons que l’égalité n’est pas l’équité, alors il serait important que nous nous posions de sérieuses questions au sujet de ce groupe de personnes, les femmes. De façon générale, les risques qu’on leur attribue sont faibles, comme le sont d’ailleurs les risques de les voir récidiver. Lorsqu’elles récidivent, il s’agit très souvent d’un simple manquement aux conditions de la libération conditionnelle, ce qui met en évidence une foule de problèmes concernant la surveillance dans la collectivité des libérées conditionnelles et l’imposition de conditions à outrance. En général, elles ne commettent pas de nouvelles infractions qui pourraient constituer un risque pour les autres.

Il faudrait aussi recommander un retour à certains des tout premiers principes présidant à l’examen des questions d’équité. Comment catégorisons-nous les personnes? Est-il sensé de faire cela? Quelles sont les pratiques exemplaires quant aux résultats escomptés, c’est-à-dire l’application des mesures les moins restrictives possible, la réintégration sécuritaire dans la collectivité et le soutien adéquat pour axer la personne libérée sur des expériences différentes de celles qui, à l’origine, lui ont fait avoir des démêlés avec la justice.

Nous devons également avoir une discussion très sérieuse sur les particularités des maladies mentales et sur l’impact de ces maladies sur les femmes. Pourquoi devrions-nous nous pencher sur des approches qui tiennent compte des traumatismes? Quelles sont les normes et pratiques exemplaires à l’étranger? Comment pourrions-nous les mettre en œuvre?

Voici les raisons. Sur le plan économique, il n’est peut-être pas efficient de faire les choses différemment pour les femmes. Il se peut que cela coûte plus cher à certains égards, mais il s’agit de coûts initiaux et à court terme pour ce qui m’apparaît comme une bonne solution à long terme. Nous savons que la discrimination — systémique ou autre — existe dans notre système et qu’elle nous fait tourner en rond.

Si j’avais des recommandations à faire au comité, ce serait de prendre du recul et de partir du principe que ces personnes sont des femmes. En tant que femmes, et compte tenu de qui sont ces personnes et de ce qu’elles apportent au système, que pouvons-nous faire pour les appuyer le mieux possible? Quelle réflexion portons-nous sur certains des principes énoncés dans le rapport La création de choix? Nombre de ces principes étaient boiteux à certains égards, mais d’autres étaient très bons.

Il faut partir du point de vue des femmes, partir de la situation des femmes autochtones; il faut partir du principe des mesures les moins restrictives possible; il faut veiller à ce que nous soyons accommodées sur le plan culturel en fonction d’un programme apte à prendre les personnes en charge d’un bout à l’autre du système, ce qui nécessitera un examen exhaustif des pratiques. L’examen ne devrait pas être axé sur le seul besoin de justifier que ce que nous faisons est valide, fiable et apparemment exempt de préjugés. En lieu et place, nous devrions poser des questions de façon très ouverte afin de trouver des façons de faire les choses différemment.

Comment pourrions-nous devenir des leaders internationaux en la matière? Comment pourrions-nous mobiliser les chercheurs qui travaillent sur ces questions depuis des années? J’avoue qu’il est pénible d’avoir vu passer La création de choix, la commission Arbour, l’enquête sur le décès d’Ashley Smith et les nombreux litiges actuels en matière d’isolement, et de constater que nous en sommes toujours au même point, que nous avons toujours les mêmes problèmes. En tant qu’auteure d’un livre qui s’est penché sur les débuts de l’emprisonnement des femmes et sur les débuts de leur incarcération, lorsqu’elles ont été placées dans le pénitencier de Kingston, je peux vous affirmer qu’absolument toutes les enquêtes qui ont été menées reviennent inlassablement sur les mêmes enjeux.

Dans une perspective de droits de la personne, il nous incombe de faire un pas en arrière et de poser ces questions: quels investissements pouvons-nous faire pour changer ces pratiques? Devrions-nous les modifier par souci d’équité, et pas seulement dans une optique d’égalité? Faut-il enseigner aux gens à faire la distinction entre équité et égalité afin qu’ils puissent faire une analyse éclairée de certains des problèmes dont j’ai parlé tout à l’heure et de l’influence que ces problèmes ont les uns sur les autres?

L’un des arguments que vous entendrez en matière d’évaluation du risque, c’est que vous ne pouvez pas faire cela parce que la population devient trop petite et que l’on se retrouvera avec des solutions particulières pour chaque personne. C’est peut-être ce qu’il faut faire dans les circonstances. Nous devons tenir compte du fait que la population est somme toute assez modeste et investir les ressources nécessaires pour élaborer des solutions originales pour les personnes.

La vice-présidente : Merci, madame Hannah-Moffatt, d’avoir pris le temps de nous parler.

(La séance est levée.)

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