Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 26 - Témoignages du 28 février 2018
OTTAWA, le mercredi 28 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour étudier les questions ayant trait aux droits de la personne et pour examiner, entre autres choses, les mécanismes dont le gouvernement dispose pour assurer que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.
La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous.
Tout d’abord, distingués sénateurs, autorisez-vous les communications du Sénat à prendre des photos durant la réunion?
Des voix : Oui.
La présidente : Merci.
Je vais maintenant demander aux membres de l’assemblée de se présenter, en commençant par notre vice-présidente.
La sénatrice Cordy : Bonjour. Je suis la sénatrice Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse. Je vous souhaite la bienvenue.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Patrick Brazeau, de la belle province de Québec.
[Traduction]
La sénatrice Ataullahjan : Sénatrice Salma Ataullahjan, de l’Ontario.
La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.
La présidente : Je suis la sénatrice Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse, et je suis la présidente du comité.
Aujourd’hui, nous avons l’honneur de célébrer le Mois de l’histoire des Noirs. L’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la période de 2015 à 2024, Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Cette résolution invite les pays à mettre en œuvre des politiques et des programmes qui luttent contre le racisme et renforcent les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques des personnes d’ascendance africaine, de sorte qu’elles puissent participer, pleinement et à titre égal, à tous les aspects de la société. Les thèmes centraux de la résolution sont la reconnaissance, la justice et le développement.
Le 30 janvier dernier, le premier ministre Trudeau a déclaré que la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine nous fournit un cadre « pour mieux relever les défis concrets et particuliers auxquels les Canadiens noirs font face. En travaillant ensemble, nous pouvons combattre le racisme et la discrimination contre les personnes noires, et créer de réels progrès pour les Canadiens noirs. »
Dans cette optique, nous sommes ravis de recevoir aujourd’hui des témoins absolument exceptionnels qui vont nous parler du travail qui se fait dans leurs collectivités respectives pour répondre aux préoccupations des Afro-Canadiens et pour essayer de résoudre les problèmes auxquels ils font face.
Pour notre premier groupe d’experts, nous accueillons par vidéoconférence Mme Marjorie Villefranche, qui est directrice générale de La Maison d’Haïti. Elle est accompagnée de Mme Guelda Amazan, qui est coordonnatrice des questions des femmes pour cet organisme. Merci. C’est vous qui allez commencer. Nous entendrons ensuite M. Craig Smith, qui est président du conseil et président de la direction de la Black Cultural Society of Nova Scotia. Madame Villefranche, nous vous écoutons.
Marjorie Villefranche, directrice générale, La Maison d’Haïti : Merci. Vous allez avoir besoin d’un interprète, car je vais parler en français. Est-ce que cela vous convient?
La présidente : Oui. Le français est le bienvenu. Nous allons cependant vous demander de parler lentement pour permettre à nos interprètes de faire leur travail.
[Français]
Mme Villefranche : Je salue le Sénat et le remercie d’avoir la gentillesse de nous écouter.
Avant de parler de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, j’aimerais rappeler que la décision du Canada était en accord avec la déclaration finale de Durban, en 2001. Il faut aussi se souvenir de ce qu’on avait déjà adopté.
Nous voulons nous attarder sur des objectifs qui sont loin d’avoir été atteints. Il avait d’abord été question de faire disparaître la pauvreté, en particulier dans les zones où prédominent des personnes d’ascendance africaine, qui sont victimes de racisme. Il avait aussi été question de mettre un terme à l’esclavage et aux pratiques contemporaines assimilables à l’esclavage. Ensuite, on avait dit qu’il fallait recenser les facteurs qui empêchent les personnes d’ascendance africaine d’accéder à des conditions d’égalité à tous les niveaux. Nous croyons qu’il faut revenir sur ces déclarations et s’assurer, par tous les moyens, d’atteindre ces objectifs.
En ce qui concerne les migrants, déjà en 2001, à Durban, nous étions tombés d’accord sur le fait de décourager activement toute manifestation et tout acte raciste susceptible d’engendrer la xénophobie, le rejet des migrants ou l’hostilité à leur égard, et de demander aux États de promouvoir et de protéger pleinement et efficacement les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous les migrants. Nous avions aussi mentionné qu’il fallait veiller à ce que les services de police et d’immigration accordent aux migrants un traitement respectueux de leur dignité et non discriminatoire.
Depuis un an, le nombre de migrants demandeurs d’asile d’ascendance africaine a augmenté au Canada, particulièrement au Québec. Je peux vous affirmer qu’à la Maison d’Haïti, nous faisons un travail de première ligne pour accueillir ces personnes, qui arrivent majoritairement d’Haïti et du Nigeria.
Ces jours-ci, le Canada fait tout pour les décourager de venir et nous leur refusons, par le fait même, notre protection. Bref, je pourrais dire que, jusqu’à présent, nous avons échoué dans l’atteinte des objectifs inscrits dans notre déclaration de Durban de l’époque.
Maintenant, qu’en est-il de la décennie actuelle? Je vais faire la déclaration suivante : nous devons considérer qu’en Amérique, nous avons pratiqué la traite négrière, c’est-à-dire que des personnes d’ascendance africaine y ont été amenées de force pour y être vendues et mises en esclavage, et ce, pendant près de trois siècles. Notons que la traite négrière implique un commerce d’hommes, de femmes et d’enfants noirs, avant de parler de fraternité et de réconciliation. Ce crime contre l’humanité demande reconnaissance et réparation.
Il faut manifester de la reconnaissance parce que 300 ans après ce crime horrible contre l’humanité, certains pays occidentaux tardent encore à exprimer leurs regrets et à s’excuser. Il faut offrir des mesures réparatrices parce que l’esclavage est un système socio-économique reposant sur l’exploitation des êtres humains et sur l’acculturation.
L’un des objectifs de la décennie est de reconnaître et de regretter profondément les souffrances et les maux indicibles subis par des millions d’hommes, de femmes et d’enfants du fait de l’esclavage, de la traite des esclaves et de la traite transatlantique des esclaves. Nous demandons donc au Canada de prendre un rôle de chef de file dans ce dossier et d’agir activement pour amener tous les États qui ont pratiqué la traite négrière ou qui en ont bénéficié à présenter des excuses pour les violations graves et massives qui ont été commises, et à verser des réparations prévoyant des mesures concrètes pour le rétablissement de la dignité des personnes d’ascendance africaine.
La reconnaissance implique aussi que le Canada soit conscient de l’obligation morale qui lui incombe de reconnaître les conséquences durables de ces pratiques racistes et avilissantes sur des personnes d’ascendance africaine. Nous demandons que le Canada s’attaque aux causes et aux pratiques racistes elles-mêmes, et qu’il adopte, à cet effet, des mesures appropriées, efficaces et pérennes. Nous exigeons à cet égard des mesures réparatrices concrètes.
Le Canada doit adopter et appliquer des programmes nationaux bien soutenus financièrement, visant la mise en place de projets et d’actions pour lutter contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance.
Le Canada doit élaborer des plans d’action nationaux pour la promotion de l’héritage culturel des personnes d’ascendance africaine et leur apport positif à l’histoire du pays. Le Canada doit mettre en place un fonds afro-entrepreneur national conséquent, visant l’enrichissement économique des communautés noires du Canada. Le Canada doit soumettre à l’ONU une résolution demandant la mise sur pied d’un fonds mondial de réparation pour les pays constitués majoritairement de descendants africains.
Pour s’attaquer au racisme et à la discrimination, le Canada doit offrir une protection aux personnes d’ascendance africaine, car elles font face à des formes de discrimination multiples, aggravées et conjuguées. Le Canada doit mettre en place des mesures pour permettre la participation pleine, égale et effective des personnes d’ascendance africaine. De ce fait, il faut un enseignement sans contenu raciste discriminatoire, sans stéréotypes négatifs, c’est-à-dire un enseignement qui ne favorise pas l’exclusion des enfants d’ascendance africaine. Le Canada doit adopter un programme de sélection positive pour accroître le nombre d’enseignants, d’employés de la fonction publique et de personnel d’ascendance africaine.
Le 7 septembre 2001, le représentant du Brahma Kumaris World Spiritual University, une organisation non gouvernementale, a fait une déclaration devant la Conférence mondiale contre le racisme, de l’ONU, qui mérite encore aujourd’hui une réflexion particulière. Cette personne disait, et je cite :
Le racisme et la discrimination procèdent d’une profonde crise d’identité au niveau individuel et collectif, de sorte que la guérison contre ce mal passe inévitablement par la redécouverte du moi profond de chaque individu et par sa réidentification basée sur l’unité de la famille humaine.
[Traduction]
La présidente : Merci.
Nous allons maintenant écouter l’exposé de M. Smith. Ensuite, nous passerons aux questions des membres du comité.
Craig Smith, président du conseil et président de la direction, Black Cultural Society for Nova Scotia : Distingués membres et invités du Sénat, bonjour. Je profite de l’occasion pour remercier, de façon toute particulière, la sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard pour son soutien au Black Cultural Centre et pour souligner que ce soutien date de bien avant sa nomination à la Chambre haute. Mme Bernard est seulement la troisième Afro-Néo-Écossaise à occuper un siège au Sénat canadien, mais ses responsabilités ne l’empêchent pas de continuer à mettre en valeur le Black Cultural Centre de la Nouvelle-Écosse, cette entité exceptionnelle en ce qui concerne l’histoire de notre pays.
L’expérience des Noirs fournit une trame captivante que tous les Canadiens devraient chercher à connaître et dont ils pourraient apprendre. Je vais dire un mot sur les quatre panneaux que j’ai transportés jusqu’à vous depuis le centre. Celui qui est ici, à ma droite, montre Portia White, une chanteuse classique très connue et de grande renommée. Elle a été l’une de nos premières étoiles afro-canadiennes dans le domaine de la musique classique au Canada. Le panneau qui est à ma gauche souligne la guerre de 1812, un conflit qui, à partir du mois de septembre 1813, a occasionné l’arrivée en Nouvelle-Écosse de plus de 2 000 Noirs. Le panneau qui se trouve dans le corridor porte sur les Marrons de la Jamaïque, qui sont venus en Nouvelle-Écosse et qui ont prêté main-forte à la reconstruction des fortifications à la Citadelle d’Halifax — à l’époque, on disait « Fort Citadel » —, ainsi qu’à la construction de « Government House », la résidence du lieutenant-gouverneur en poste. Le dernier panneau souligne le fait que la Nouvelle-Écosse est le berceau de la communauté noire au Canada.
Je tiens aussi à vous transmettre les condoléances de la Nouvelle-Écosse concernant le décès de l’honorable Howard McCurdy. M. McCurdy connaissait bien notre province et, dans les premiers temps du Mois de l’histoire des Noirs — que nous avons commencé en Nouvelle-Écosse en 1984 —, il était un participant et un invité assidu des activités que nous organisions. Je profite donc de l’occasion pour souligner son décès.
Enfin, comme le 28 février est la Journée du chandail rose, j’ai fait un effort pour lutter contre l’intimidation en m’assurant d’inclure une chemise rose à ma mise.
Je suis honoré d’être ici aujourd’hui comme fier Canadien de 6e génération, comme président du conseil et président de la Black Cultural Society for Nova Scotia et comme membre de la Gendarmerie royale du Canada, une organisation où je sers depuis 21 ans. La Black Cultural Society for Nova Scotia fut mise sur pied grâce au leadership du révérend William Pearly Oliver et aux 26 autres Noirs de la Nouvelle-Écosse qu’il réussit à rassembler. Les efforts investis par le révérend Oliver pour préserver, protéger et promouvoir la culture et le patrimoine des Noirs de notre province ont porté fruit en septembre 1983 lorsque le Black Cultural Centre a officiellement ouvert ses portes. Il conviendrait aussi d’ajouter qu’à cette époque, la chose avait été rendue possible grâce aux subsides du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral.
Trente-cinq ans plus tard, le centre continue à étendre son influence par l’intermédiaire de diverses activités. On pourrait, en outre, parler de la mise en circulation, avec le concours de Postes Canada, de nombreux timbres commémoratifs, en commençant par le timbre à l’effigie de William Hall, sans oublier ceux figurant Carrie Best, titulaire d’un doctorat honorifique, et Viola Desmond, ainsi que celui visant à commémorer le 2e Bataillon de construction du Corps expéditionnaire canadien.
Chaque année depuis 25 ans, nous célébrons le 2e Bataillon de construction et, en 2016, nous avons organisé des activités dans toute la province afin de marquer le 100e anniversaire de sa création.
Au cours de l’année qui vient de s’écouler, nous avons aussi célébré le 50e anniversaire de la victoire de David Downey au titre de champion canadien des poids moyens, ainsi qu’Isaac Phills, de Whitney Pier, sur l’île du Cap-Breton, le premier Noir à avoir été nommé membre de l’Ordre du Canada. Par ses activités, le centre continue d’honorer ces Afro-Néo-Écossais exceptionnels et leurs réalisations hors du commun.
Le rôle que nous nous sommes donné d’être une voix puissante pour faire connaître les faits et gestes des Afro-Néo-Écossais et des Afro-Canadiens en général occupe toujours une place importante dans ce que nous faisons. Ces dernières années, le Black Cultural Centre a commencé à se rétablir en collaborant à la création de plusieurs nouvelles publications. Nous nous promettons également de produire d’autres documents afin de sensibiliser le public, en général — les jeunes et les moins jeunes — à notre histoire et à notre patrimoine.
Au cours des 35 dernières années, nous avons entretenu des relations soutenues avec des organisations comme la GRC — nous avons hébergé son tout premier bureau satellite et de proximité en Nouvelle-Écosse. Profite également de nos locaux, l’African United Baptist Association, qui est le plus ancien organisme pour les Noirs à l’est de Montréal. Nous travaillons également avec l’African Nova Scotian Music Association, qui a aussi un bureau dans notre immeuble. Enfin, nous collaborons avec l’Armée canadienne, qui nous aide à coordonner les activités que nous organisons chaque année pour commémorer le 2e Bataillon de construction du Corps expéditionnaire canadien.
Ces dernières années, nous avons commencé à nouer des liens et à travailler avec la BC Black History Awareness Society. Plus récemment, en février, je me suis rendu à Regina — croyez-le ou non —, afin de participer à titre de conférencier principal au coup d’envoi du Mois de l’histoire des Noirs en Saskatchewan. Cela s’est fait par l’intermédiaire du partenariat que nous avons conclu avec le Saskatchewan African Canadian Heritage Museum.
Lorsque j’étais là-bas, j’ai prononcé des allocutions dans trois écoles, et l’une des choses que nous avons constatées, c’est que notre histoire n’est toujours pas racontée dans ce pays, et que notre identité et notre place dans l’histoire canadienne comportent encore à ce jour plus d’inconnus que d’éléments connus. À certains égards, c’est un constat pour le moins choquant. En 2018, on pourrait penser qu’avec la publicité qui s’est faite sur des choses comme le cas de Viola Desmond. Je dois dire qu’au moins la moitié de la classe a levé la main lorsque son nom a été mentionné. Il y a quelques années, j’avais l’habitude de faire une comparaison et de demander aux élèves s’ils savaient qui était Rosa Parks, et presque tout le monde levait la main. Ensuite, je posais la même question pour Viola Desmond, et très peu d’entre eux levaient la main. Nous avons fait des progrès à cet égard, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Lorsque je parle de personnes comme Daurene Lewis, ou de son arrière-grand-tante, Rose Fortune — qui est reconnue comme la première agente de police noire non officielle en Amérique du Nord —, très peu d’élèves lèvent la main. Il y a donc encore beaucoup à dire au sujet de cet héritage. Inutile de rappeler que Daurene Lewis a été la première mairesse noire au Canada. Bref, en 2018, il y a encore beaucoup de gens qui n’ont jamais entendu parler de ces personnes. Cela signifie que nous avons un rôle à jouer pour veiller à ce que la connaissance de cette histoire et de ces contributions soit transmise de façon plus soutenue dans l’ensemble du pays.
Nous sommes entrés en liaison avec le groupe en Saskatchewan, et nous espérons propager nos histoires jusque dans le Nord et les communiquer aux collectivités inuites et des Premières Nations. Notre objectif est d’inciter les jeunes femmes de couleur à prendre le contrôle de leur destinée en les informant qu’il y a présentement 60 Afro-Canadiennes — et je souligne le 60 — dans les rangs de la GRC, sur un effectif de 19 000. Assurément, les femmes de couleur dans notre organisation occupent des emplois non traditionnels. Notre projet vise à permettre aux personnes de façonner et de renforcer leur moi intérieur par l’intermédiaire de modèles qui leur ressemblent, des modèles qui, comme elles, sont des femmes de couleur. Au cours des 25 dernières années, beaucoup de choses ont été faites par l’intermédiaire de la GRC et avec le Black Cultural Centre pour améliorer les relations entre les deux groupes. Nous voyons cela comme un vecteur pour joindre plus de gens à travers le pays.
L’autre aspect sur lequel nous travaillons avec nos partenaires, c’est la dissémination de notre histoire, de l’histoire canadienne, dans les salles de classe d’ailleurs au pays. Ce que nos allées et venues à l’échelle du pays nous ont montré, c’est qu’il est très facile de rejeter un peuple et sa culture lorsque l’on ignore à peu près tout de lui. En revanche, le simple fait d’en savoir un tout petit peu plus à son sujet — outre le simple fait que nous avons été des esclaves, par exemple — ouvre la porte à un monde de découverte. Pour beaucoup de Canadiens, c’est Lawrence Hill qui a été à l’origine de cette ouverture. Sauf qu’il y a tellement plus à découvrir. Lorsque les gens apprennent que nous sommes en sol canadien depuis plus de 400 ans, les murs qui nous séparent commencent à chanceler. Lorsque vous découvrez la valeur de gens comme Able-Seaman William Hall et le Dr Anderson Ruffin Abbott, l’ignorance utilisée pour nous séparer commence à s’effriter.
L’enrichissement des connaissances que procure le fait d’apprendre l’existence des colons noirs qui sont venus dans les prairies canadiennes vers la fin des années 1800 ou de savoir que certains des premiers colons en Colombie-Britannique étaient des Noirs — comme les Starks de Salt Spring Island — ouvre les vannes de la réalité. Collectivement, ces faits historiques et d’autres encore, comme l’histoire du Dr Alfred Shadd, à Regina, ou celle de William Sylvester Beal, à Winnipeg, ou encore celle de Mary Matilda Winslow de Saint John, Nouveau-Brunswick, et, bien sûr, celle de Viola Desmond, notre figure iconique, deviendront un phare qui révélera la réalité et qui ne pourra jamais être éteint.
Nous croyons que seul le respect mutuel peut mener à une vraie acceptation — et je ne parle pas ici de tolérance. Lorsque le grand public en saura autant sur moi et mon histoire que j’en ai appris sur vous et votre histoire par l’intermédiaire de l’école, les ténèbres qui se nourrissent de la peur et de l’inconnu s’évanouiront.
Il y a encore beaucoup de travail à faire, et nous tous, qui sommes réunis ici aujourd’hui, avons un rôle à jouer là-dedans. Le fait que nous soyons le dernier jour du Mois de l’histoire des Noirs est à mon sens symbolique. Cela signifie que l’heure est venue de renouveler notre engagement. Après tous, nous sommes dans la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine et le premier ministre Trudeau vient de le reconnaître officiellement. Le temps est venu de renouveler notre engagement à faire connaître l’histoire des Afro-Canadiens — l’histoire canadienne — à un auditoire plus vaste, d’informer plus de gens, dont nos enfants et nos petits-enfants et les générations qui viendront après eux. C’est le temps de passer à l’action. Les occasions d’agir sont là.
Le Black Cultural Centre fait ce qu’il peut pour faire avancer cette cause en Nouvelle-Écosse, ainsi que dans le reste du pays grâce aux liens qu’il réussit à tisser. Il y a encore beaucoup de travail à faire, et nous aimerions contribuer à relier toutes ces composantes à l’échelle du pays. C’est le temps de le faire.
La présidente : Merci, monsieur Smith. Passons maintenant aux séries de questions pour nos deux invités. La sénatrice Ataullahjan a la parole en premier.
La sénatrice Ataullahjan : Je remercie nos deux témoins de leur présence au comité.
Ma question s’adresse à M. Smith. Lorsque le premier ministre a annoncé la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, les médias n’ont posé aucune question, ou cette annonce n’a pas suscité beaucoup d’intérêt de leur part. Comment changer cette dynamique? Comment en parler? Les cultures africaines existent depuis des milliers d’années; elles ont une histoire et elles ont des traditions. Pourquoi n’en entendons-nous pas parler? Lorsque ces ancêtres africains ont été arrachés à leur patrie pour servir d’esclaves, ils avaient déjà une culture et des coutumes établies; c’était le berceau de l’humanité. Pourquoi n’en entendons-nous pas parler? Pourquoi en voyons-nous seulement la représentation négative? Nous devons en entendre parler dans les écoles et dans les journaux, et nous avons peut-être aussi des histoires que les familles doivent se transmettre entre elles.
M. Smith : Si nous regardons le passé, il y a eu une déshumanisation très systémique des Noirs, en particulier, d’origine africaine. Par exemple, la traite transatlantique des esclaves n’aurait jamais été possible si les gens avaient parlé des grandes nations africaines; les gens n’auraient jamais considéré les Noirs comme des biens ou des animaux qui leur appartenaient. C’est seulement possible de le faire si vous faites fi des grandes expériences, des grands empires et des grandes avancées à Tombouctou et à beaucoup d’autres endroits. Si vous créez un fossé entre les gens et ce passé et que vous dites seulement que l’existence des Noirs en Amérique du Nord a commencé avec l’esclavage, il devient alors très facile de ne pas l’enseigner dans les salles de classe ou de ne pas l’inclure dans ce que nous apprenons aux enfants. Le fait que nous en sommes encore à une époque où la vaste majorité des Canadiens croient malheureusement que notre histoire commence avec l’esclavage nous dit qu’il y a beaucoup de lacunes.
Comment pouvons-nous rétablir le tout? Comment pouvons-nous nous assurer que ces éléments sont inclus? Nous ne pouvons pas le faire de manière aléatoire. Nous ne pouvons pas demander à un seul organisme ou à un seul groupe de tout faire. Je crois fermement qu’un dialogue national sur la question est nécessaire. J’ai participé à un événement la semaine dernière à Halifax où Anna Maria Tremonti de l’émission The Current a parlé de l’histoire et des luttes des Noirs, en particulier, au Canada atlantique. C’est un exemple de ce qu’il faut faire pour nous assurer que l’ensemble de la communauté et le grand public en entendent parler et en apprennent à ce sujet. Si nous confions à des individus dans les salles de classe ou aux provinces la tâche d’inclure ces éléments dans le programme pédagogique alors que ces personnes ne sont même pas au courant de ce qu’il en retourne, il devient alors très difficile d’inclure quelque chose. Si cet aspect n’est pas considéré comme important ou que les ministères de l’Éducation ou les autres dirigeants n’envoient pas le message que nous devrions l’inclure dans le programme, il devient très difficile de le faire.
Je donne de la formation aux membres de la GRC, et je traite notamment dans notre organisation des relations interraciales. Je mentionne également que nous devons essayer de renforcer nos relations avec les minorités visibles et que c’est un travail constant. Il ne faut jamais croire que nous touchons enfin au but. Dès que nous pensons enfin toucher au but, nous commençons déjà à faire marche arrière. Ce travail doit être continu. Je sais que cela devient difficile, parce que dans les organisations où les gens et les dirigeants changent, les priorités évoluent aussi. Toutefois, si nous voulons réussir à faire avancer notre cause, il doit y avoir une personne qui croit que ce que nous essayons de faire est suffisamment important pour maintenir le principe selon lequel il faut continuer d’aller de l’avant, indépendamment de la personne qui se trouve aux commandes, étant donné que cette personne peut changer. Cependant, cela devient extrêmement difficile à faire.
La sénatrice Ataullahjan : Avez-vous l’impression que votre message est entendu? Il faut le faire à l’échelle nationale, et ce, de concert avec de nombreux ministères. Ce message est-il entendu? Voyez-vous des changements?
M. Smith : Je vois des changements, mais je ne vois pas de changements collectivement partout au pays. Ces changements ne surviennent pas suffisamment rapidement. Lorsque j’étais en Saskatchewan, j’ai constaté qu’il y avait encore des gens qui ne connaissaient pas le Dr Alfred Shadd, qui ne savaient pas qu’il y avait un musée de l’héritage afro-canadien de la Saskatchewan et qui ne savaient pas qu’il y avait des Noirs dans les Prairies en 1895 et en 1896. Cela me dit que nous n’en faisons pas suffisamment. La population n’est pas au courant que, lorsque le Commodore a quitté San Francisco et est arrivé à Victoria en 1867, des Noirs américains qui étaient à bord sont venus s’installer à Victoria. La population n’est pas au courant aujourd’hui de cette histoire, et cela signifie que nous n’en faisons pas suffisamment.
La sénatrice Cordy : Je remercie énormément les témoins d’être venus aujourd’hui au comité nous faire part de leurs histoires concernant l’histoire des Noirs, les défis et la suite des choses. C’est très intéressant.
Je vais afficher mon parti pris pour la Nouvelle-Écosse en m’adressant tout d’abord à vous, sergent Smith. Je suis heureuse que vous ayez apporté l’affiche de Portia White. Elle était, en fait, parente avec notre ancien collègue, le sénateur Oliver, qui a parlé à de nombreuses reprises au Sénat de Portia et de sa contribution culturelle en Nouvelle-Écosse et partout dans le monde.
J’ai trouvé intéressant que vous mentionniez que le Centre culturel noir a 35 ans. Je me souviens d’y être allée avec mes élèves. Je me rappelle que la première fois que nous y sommes allés, nous avons rencontré le premier et le seul agent noir de la GRC, et cet agent a échangé avec les élèves. Vous nous avez dit aujourd’hui qu’il y a maintenant 60 agentes noires à la GRC; c’est un pas très positif dans la bonne direction.
Pouvez-vous nous parler de l’importance d’avoir un endroit comme le Centre culturel noir en Nouvelle-Écosse qui sert de point central pour l’histoire et ce que nous devons faire? Je tiens à vous remercier et remercier aussi les précédents présidents de votre conseil d’administration et les gens qui travaillent à cet endroit, parce que c’est un joyau inestimable dans notre communauté.
M. Smith : J’ai été membre du conseil d’administration avant d’en devenir président il y a deux ans. Je travaillais à la North Branch Library lorsque nous avons commencé à célébrer le Mois de l’histoire des Noirs en Nouvelle-Écosse en 1984. Depuis, je m’empreins de l’histoire et de notre culture, et j’ai réalisé, en discutant avec d’autres étudiants et d’autres professeurs, le peu de connaissances que les gens ont à ce sujet. Nous les invitons à se rendre au centre culturel.
Comme je suis actif, depuis maintenant plusieurs années, au centre culturel, l’importance... Je ne sais pas par où commencer. Lorsque nous avons commencé les célébrations entourant le 100e anniversaire du 2e Bataillon de construction, j’ai vraiment pris conscience de l’importance du centre. Nous avons reçu des appels de partout au pays et des États-Unis de gens qui nous racontaient que leur grand-père ou leur grand-oncle faisait partie du 2e bataillon et qu’ils cherchaient des renseignements et de la documentation. Grâce au travail du regretté sénateur Calvin Ruck, nous avons le dépôt de ressources documentaires sur le 2e bataillon : des photos, des documents et de l’information. Cela nous a permis de commencer à recueillir de l’information sur le 2e Bataillon de construction et à diffuser ces renseignements partout au pays et en Amérique du Nord. Cette situation m’a vraiment permis de réaliser l’immense importance du centre dans ce contexte.
Nous avons ensuite des activités qui n’en finissent plus. Par exemple, nous avons eu aujourd’hui une activité pour souligner le Mois de l’histoire des Noirs. Des jeunes ont écrit des textes au sujet des plus grands Afro-Néo-Écossais, et nous avons organisé un événement au centre culturel pour leur rendre hommage. Nous faisons maintenant de manière régulière diverses choses au centre. Nous avons commencé à connaître un essor incroyable depuis quelques années. Nous avons tout le temps des écoles qui visitent le centre. Nous avons des écoles de Toronto qui viennent au centre pour en apprendre au sujet de l’histoire. Nous avons un groupe de personnes âgées de Kansas City qui vient au centre depuis trois ans. Chaque année, d’autres personnes âgées de Kansas City nous rendent visite pour nouer des liens avec le Centre culturel noir, l’héritage et leurs cousins du Nord, comme elles se plaisent à le dire. Je dis que nous sommes un joyau, parce que le centre permet de nouer des liens et que nous avons de l’information.
J’ai participé à un événement, il y a deux semaines, où l’Université de King’s College a annoncé qu’elle réalisera des recherches sur les liens qui existent entre l’établissement et l’esclavage en Nouvelle-Écosse. Ce projet fait suite aux travaux de l’Université Howard aux États-Unis il y a quelques années. L’Université Howard était le King’s College aux États-Unis avant de devenir l’Université Howard. Il y a, par conséquent, un lien direct, parce que des gens de l’Université Howard sont venus en Nouvelle-Écosse et ont fondé l’Université de King’s College. Le centre culturel participe donc aussi à de tels projets : des rapports de recherche et de la collecte d’information. Cela renforce notre importance et notre place dans l’histoire des Noirs au Canada atlantique et par le fait même dans l’histoire des Noirs au Canada.
La sénatrice Cordy : Madame Villefranche, j’ai siégé à un comité qui a réalisé une étude sur la santé mentale et les maladies mentales. Lorsque je pense aux défis que doivent surmonter les gens originaires d’Haïti et du Nigeria, comme vous l’avez dit, je me demande si les gens, qui ont souffert énormément avant leur arrivée au Canada et qui essayent maintenant de développer un sentiment d’appartenance à leur arrivée ici au Canada, représentent un défi pour la communauté. Y a-t-il aussi des ressources en place pour aider les gens à s’établir au Canada et les aider à avoir une bonne santé mentale?
[Français]
Mme Villefranche : Ce qu’il faut comprendre, c’est que les personnes originaires d’Haïti et du Nigeria qui arrivent au Canada n’arrivent pas directement des États-Unis. Elles sont venues via l’Amérique du Sud et ont fait un très long voyage avant d’arriver au Canada. Certaines, par exemple, sont arrivées par le Brésil et sont remontées au Canada par voie de terre. Elles ont mis trois ou parfois quatre mois pour venir ici. Ce sont des personnes qui fuyaient une situation intenable pour elles, dans laquelle leurs droits n’étaient pas respectés et où elles n’étaient pas protégées. Elles recherchent une protection. Quand elles sont arrivées aux États-Unis, elles se sont rendu compte qu’elles ne pourraient pas trouver cette protection. Donc, elles ont décidé de traverser jusqu’au Canada.
Nous les recevons, au Canada, et nous leur donnons le maximum de ce que nous pouvons en matière d’accompagnement et de protection. Il y a effectivement certaines personnes qui ont subi des traumatismes et qui sont en choc post-traumatique. Ce qui est plus difficile pour elles maintenant, c’est que, étant en état de choc post-traumatique, elles doivent travailler pour obtenir leurs papiers d’immigration. Cela veut dire qu’elles vivent encore cette incertitude. Elles ne savent pas si elles resteront au pays ni quelle sera leur situation.
De plus, elles sont ici au Canada avec leurs enfants. Actuellement, selon nos statistiques, près de la moitié des demandeurs d’asile sont des enfants de moins de 17 ans. Il y a un énorme groupe d’enfants. Les gens sont accompagnés de leurs enfants et il y a beaucoup d’enfants dans ces groupes-là. Ce sont des personnes qui sont déjà en situation de stress post-traumatique et l’incertitude de leur situation augmente leur stress. Bien sûr, il y a au Canada des règles d’immigration, elles doivent passer à travers cela, mais il est clair qu’elles ont besoin d’accompagnement, car elles vivent une situation difficile.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Les nouveaux arrivants peuvent-ils compter sur le soutien de la communauté lorsqu’ils arrivent au pays et, au moins, durant leurs premières années au pays?
[Français]
Mme Villefranche : Cela fait partie du travail de la Maison d’Haïti que d’offrir ce soutien. Bien sûr, nous aurions besoin de beaucoup plus de ressources. À nous seuls, à la Maison d’Haïti, nous avons reçu plus de 6 000 personnes en quelques mois, ce qui est énorme. Il est clair que nous essayons de leur offrir ce soutien, mais les ressources sont insuffisantes, c’est évident.
[Traduction]
La sénatrice Andreychuk : J’ai des questions pour nos deux témoins. Merci de votre présence. Je remercie également la sénatrice Bernard d’avoir pris l’initiative de souligner au comité des droits de la personne le mois très important qu’est le Mois de l’histoire des Noirs.
Monsieur Smith, votre premier commentaire était : « de tous les endroits imaginables, Regina ». Je ne pouvais pas laisser passer cela. J’espère que cela ne découle pas d’une mauvaise expérience vécue, à l’époque, à la Division Dépôt, parce que j’y ai déjà enseigné. Je crois que nous avons des liens là-bas.
Vous affirmez qu’une partie du problème est que nous ne connaissons pas l’histoire des Noirs. Nous ne connaissons pas l’histoire des Autochtones ou l’histoire d’autres groupes. Nous n’accordons plus la même valeur à l’histoire dans nos écoles. Ai-je raison de comprendre que, si nous passons par les écoles, il n’y a personne qui s’y connaît vraiment en la matière, en raison, notamment, de ces choses que nous avons? Nous écoutons aujourd’hui, nous le faisons aujourd’hui, mais nous n’accordons aucune valeur à notre communauté et à notre histoire. Est-ce aussi votre impression? Dans l’affirmative, tissez-vous des liens avec d’autres groupes pour vraiment mettre de l’avant ce concept lié à l’éducation?
M. Smith : Premièrement, je suis d’accord.
J’aimerais revenir à votre premier point. Mon séjour à Regina était merveilleux, mais il était trop court; c’était seulement un voyage de trois jours. En plus de visiter des écoles, j’ai aussi pris la parole devant les cadets à la Division Dépôt, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, pour leur parler de l’histoire des Noirs dans la GRC.
Toutefois, je dirais que vous avez raison. Dans les écoles, notre histoire n’est pas la seule histoire négligée ou laissée-pour-compte. La réalité demeure que, lorsque notre histoire n’est pas incluse, de même que celles des Premières Nations et d’autres Canadiens de couleur, c’est important. Dans le cas d’un comité des droits de la personne, plus nous apprenons à nous connaître, moins nous aurons peur les uns des autres, et il est à espérer que nous traiterons davantage les autres comme des égaux au lieu de simplement ne pas les voir. Nous devons convenir d’inclure dans les programmes scolaires les histoires de tous les groupes.
J’encourage tous les organismes et groupes. Il y a quelques années, j’ai écrit un livre intitulé You Had Better Be White By 6 A.M., qui raconte l’histoire des membres noirs de la GRC. En même temps, j’ai aussi encouragé nos collègues micmacs en Nouvelle-Écosse à écrire un livre sur l’histoire des membres micmacs de la GRC, parce que leur cas est unique, en ce sens qu’ils ont accédé au grade de gendarme spécial avant de pouvoir occuper le poste de gendarme, et je trouvais que cette histoire devait également être racontée. Quand j’ai entrepris mon projet d’écriture, je voulais commencer par écrire un livre sur la diversité, tous azimuts, au sein de la GRC. Toutefois, je me suis aperçu que ce serait une tâche trop lourde, alors je me suis contenté d’écrire sur ce que je savais — l’expérience des Noirs — pour ensuite encourager d’autres personnes à raconter, eux aussi, leurs récits. Nous avons toujours préconisé l’idée que c’est l’union qui fait la force, et non l’isolement. Ce n’est pas en faisant cavalier seul que nous sommes arrivés où nous en sommes aujourd’hui. C’est grâce à l’appui d’autres personnes qui ont tendu la main pour dire : « Nous sommes là pour vous soutenir. » Et il faut continuer dans cette voie.
La sénatrice Andreychuk : Documentez-vous également l’expérience de Freetown dans l’histoire? C’est intéressant pour ceux d’entre nous qui ont travaillé en Afrique. L’histoire se fait dans les deux sens, et j’ai rencontré une Néo-Écossaise exceptionnelle, une femme qui avait quitté la Nouvelle-Écosse, qui était toujours vivante et qui se souvenait de la Nouvelle-Écosse. L’histoire unique de cette ville mérite d’être écrite plus souvent, et il faudrait établir des liens.
M. Smith : Parmi les loyalistes noirs qui sont venus en Nouvelle-Écosse à compter de 1782 — et si vous connaissez le roman Aminata, vous serez sans doute au courant de leur situation —, la moitié d’entre eux ont décidé de se réinstaller en Sierra Leone, en Afrique de l’Ouest, lorsqu’ils se sont aperçus, après leur arrivée en Nouvelle-Écosse, que les Britanniques ne tenaient pas les promesses qu’ils leur avaient faites. Plus de la moitié de cette population est donc partie aider à fonder la ville de Freetown en Afrique de l’Ouest. Par conséquent, s’il vous arrive de consulter l’annuaire téléphonique de Freetown, en Sierra Leone, vous verrez des noms semblables à ceux des Noirs ici, en Nouvelle-Écosse, parce que, dans certains cas, certains membres de familles sont partis, et d’autres sont restés.
Nous avons été chanceux cette année, car nous avons eu l’occasion d’échanger avec le capitaine de corvette Paul Smith, qui est le premier Canadien noir à assumer le commandement de son propre navire et qui a fait le trajet de la Nouvelle-Écosse à la Sierra Leone, à Freetown. Étant lui-même un Jamaïcain, il a complété le triangle en suivant les traces des Marrons qui sont venus en Nouvelle-Écosse, puis qui sont partis pour la Sierra Leone. Il a pu faire revivre toute l’histoire grâce à la couverture médiatique qu’il a reçue à cet égard.
Oui, c’est une histoire que l’on doit continuer à raconter, à coup sûr. Nous avons établi des liens avec Freetown et avec la Sierra Leone, chose qui se poursuit encore aujourd’hui. Nous avons envoyé des documents là-bas pour permettre aux gens de savoir qui nous sommes ici, et de découvrir les liens ancestraux qui nous unissent.
La sénatrice Andreychuk : Madame Villefranche, vous avez parlé de la décennie, et je veux savoir si vous avez contribué à des initiatives gouvernementales prévues pour l’ensemble de la décennie et comment vous collaborez avec les Nations Unies dans ce dossier. Est-ce quelque chose que vous faites au sein de la collectivité par l’entremise de votre organisation, ou travaillez-vous en collaboration avec le gouvernement canadien? Le cas échéant, y a-t-il un cadre quelconque dont nous devrions prendre connaissance?
[Français]
Mme Villefranche : D’abord, en tenant compte de la Décennie, nous avons mis en place, au Québec, le Sommet socio-économique des jeunes des communautés noires. Il existe au Québec diverses communautés noires francophones et anglophones. On s’est fixé certains objectifs pour la Décennie. Pour pouvoir les atteindre, nous devons nous adresser au gouvernement du Canada et demander certaines choses, dont la reconnaissance de cette Décennie. Comme nous l’avons dit plus tôt, il est important de demander au Canada de faire preuve de leadership à l’échelle internationale et de demander certaines choses aux autres pays. À mon avis, le Canada est bien placé pour exercer un tel leadership. Toute la question de la reconnaissance et de la réparation, qui doit être faite aux personnes d’ascendance africaine, est extrêmement importante.
Par ailleurs, j’aimerais répondre à une question posée par la sénatrice qui vous a précédée. J’ai mentionné plus tôt que le Canada doit élaborer des plans d’action nationaux pour la promotion de l’héritage culturel des personnes d’ascendance africaine. Les personnes d’ascendance africaine ont enrichi le Canada d’une merveilleuse culture afro-canadienne. Il faut d’abord reconnaître cette culture et la promouvoir, car elle constitue un enrichissement pour tout le Canada. Nous avons apporté des valeurs culturelles d’Afrique. En parlant de personnes d’ascendance africaine, on pense à celles qui sont au Canada, mais également à celles qui sont arrivées d’autres pays d’Amérique. Nous avons enrichi le Canada d’une merveille culture afro-canadienne.
[Traduction]
La présidente : J’ai une question supplémentaire à celle posée par la sénatrice Andreychuk sur le leadership dont le Canada doit faire preuve. J’aimerais faire un lien avec les observations que vous avez faites, madame Villefranche, sur la nécessité de réparer les torts et de présenter des excuses. Je crois que vous avez dit que le Canada devrait présenter des excuses pour la période d’esclavage et accorder des réparations. Compte tenu des besoins que vous avez cernés et de l’idée que le Canada peut jouer un rôle de leadership, comment notre pays peut-il assumer un tel rôle s’il n’est pas passé de l’étape de la reconnaissance à celle des excuses? Je crois que c’est ce que vous disiez, mais j’aimerais en entendre un peu plus à ce sujet.
[Français]
Mme Villefranche : Effectivement, nous demandons que le Canada soit conscient de l’obligation morale qui lui incombe de reconnaître les conséquences durables de cette pratique raciste avilissante. Le Canada doit d’abord lui-même reconnaître qu’il y a eu de l’esclavage chez lui, et il doit mettre en place des programmes pour la réparation. Je sais aussi que le Canada est bien placé pour exercer ce leadership. Ce que nous demandons comporte deux étapes : d’abord la reconnaissance, le fait de s’excuser et de demander pardon; puis, faire preuve de leadership pour que les autres pays occidentaux qui ont pratiqué la traite négrière fassent la même chose.
[Traduction]
La présidente : Merci de cette précision.
[Français]
Le sénateur Brazeau : Ma question s’adresse à la représentante de la Maison d’Haïti. Comme vous le savez, beaucoup d’Haïtiens ont traversé notre frontière en provenance des États-Unis, à cause de la politique du gouvernement américain. Pouvez-vous nous donner des explications sur les préoccupations, les craintes et les besoins de ces personnes une fois qu’elles arrivent au Canada? Je parle en particulier de celles qui ont été hébergées au Stade olympique l’été dernier.
Mme Villefranche : Ces personnes doivent d’abord remplir les documents et passer à travers tout le processus d’immigration. Elles éprouvent une certaine inquiétude, car elles ne savent pas ce qui va leur arriver. Certaines personnes ont traversé plusieurs frontières pour arriver jusqu’ici avec leurs enfants. Leur premier besoin est d’être rassurées et protégées. Jusqu’à maintenant, le Canada a démontré qu’il protégera ces personnes.
Les autres besoins sont liés à l’installation au pays. Encore une fois, le Canada a agi correctement en donnant cette garantie. J’aimerais céder la parole à Mme Amazan, qui vous expliquera ce qu’elle fait avec les jeunes, les femmes et les familles dans la communauté.
Guerda Amazan, coordonnatrice du dossier femmes, La Maison d’Haïti : Comme le disait Mme Villefranche, les besoins peuvent être séparés en catégories. Sur le plan macro-politique, on a la réponse que le gouvernement devrait normalement donner en ce qui a trait à la prise en charge et au statut de réfugié. Il existe des besoins d’ordre pratique, et c’est là où interviennent les organismes communautaires. Les familles sont souvent isolées. Les gens portent des séquelles psychologiques liées à violence, l’inquiétude et la remise en question de soi.
Comme le disait Mme Villefranche, certaines familles ont traversé quatre ou cinq États, en passant par la République dominicaine, le Chili, le Nicaragua, la Colombie, pour ensuite traverser aux États-Unis, se faire incarcérer, et ensuite venir au Canada. Le Canada représente la terre d’accueil. C’est en quelque sorte la dernière solution. On doit donc tenir compte de tous ces facteurs.
La Maison d’Haïti, comme d’autres organismes communautaires, travaille à combler certains besoins d’ordre pratique. Nous sommes toutefois limités, car il faut différentes formes d’encadrement psychologique.
Meubler un logement décent, par exemple, fait partie des besoins. L’intégration des enfants à l’école est également un besoin, avec une prise en charge normale. Certains enfants ne parlent que le créole ou l’anglais. Le système et le milieu d’accueil parfois ne sont pas adaptés. Les besoins sont multiples. Il y a le rôle de l’État et celui des organismes communautaires. Il faut tout mettre ensemble pour répondre efficacement aux besoins.
Le sénateur Brazeau : Seriez-vous d’avis que, même si rien n’est parfait, au moins ces gens ont le bénéfice de recevoir votre aide et celle de l’État?
Mme Villefranche : Oui, je suis de cet avis. Le Canada est un pays où ces personnes ont trouvé une certaine protection. On a mis en place des organismes communautaires soutenus par les différents ministères pour leur garantir le minimum dont a parlé Mme Amazan.
Mme Amazan : Pour ce qui est de la main d’œuvre, la Maison d’Haïti, depuis un certain temps, tente d’établir des partenariats avec les entreprises pour placer ces personnes. La demande est toutefois énorme et la tâche est lourde. Dans le document, on voit des revendications pour ce qui est de l’obligation du Canada à l’échelle internationale, mais également à l’échelle nationale pour une prise en charge correcte.
Mme Villefranche : Mme Amazan parle de l’obligation internationale du Canada. Nous avons aussi des obligations internationales envers les migrants en général. Il faut réfléchir à notre position, en tant que pays membre des Nations Unies, sur la protection des migrants en général. Une de nos obligations est celle d’adhérer au pacte pour la protection des migrants.
[Traduction]
La sénatrice Hartling : Merci de votre présence et de votre exposé. C’était très intéressant. J’ai grandi en Nouvelle-Écosse et j’habite maintenant au Nouveau-Brunswick. En vous écoutant parler, je me dis qu’il faut que je fasse plus de recherches parce que vous m’en apprenez des choses.
Monsieur Smith, au cours des 5 ou 10 dernières années, avez-vous observé des changements ou des améliorations, et quelles doivent être nos prochaines étapes? Il faut enseigner ces faits dans le système scolaire, mais y a-t-il d’autres mesures que nous pourrions prendre pour faire avancer les choses sur le plan de la culture?
M. Smith : Absolument. Pour enchaîner sur ce qui a été dit concernant les excuses — et j’y ai déjà longuement réfléchi — il se trouve qu’au cours des dernières années, j’ai suivi de près les excuses présentées — avec raison d’ailleurs — aux Premières Nations pour les pensionnats indiens, à la communauté chinoise pour la taxe d’entrée, à la communauté japonaise pour l’internement durant la Seconde Guerre mondiale et, plus récemment, à la communauté LGBT. Une des premières étapes pour avancer vers la guérison, la réconciliation et l’établissement de bonnes relations consisterait donc à offrir des excuses à la communauté afro-canadienne relativement à l’esclavage. Songeons à des histoires comme celle de Marie-Joseph Angélique à Montréal ou encore, celle d’une jeune femme du nom de Jude, à Yarmouth, qui a intenté un procès devant les tribunaux de la Nouvelle-Écosse en raison de son traitement comme esclave.
Je parlais avec Mme Sylvia Hamilton il y a quelques semaines. Elle rentrait d’une tournée de présentation, accompagnée d’une affiche. Une femme était venue lui dire : « Je crois qu’un des renseignements dans votre présentation est erroné parce que vous dites que l’esclavage avait cours en Nouvelle-Écosse et qu’on y faisait la traite des esclaves. » Mme Hamilton lui a alors montré quelques coupures de journaux où il était question de vente d’esclaves. Si vous regardez la rue Bedford Row à Halifax, plus précisément l’espace entre l’édifice original de Postes Canada et l’actuel Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, c’est là que se déroulaient les ventes aux enchères d’esclaves à Halifax.
Ce ne sont pas des choses que nous inventons de toutes pièces; les preuves sont là. Cela fait partie de notre histoire au Canada. C’était loin d’un accueil à bras ouverts; on venait ici, les pieds et les mains enchaînés. C’est la réalité. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis, mais tels sont les faits. Il faut examiner et reconnaître cette histoire. La vallée de l’Annapolis a été colonisée parce que les planteurs de la Nouvelle-Angleterre ont été appelés à venir prendre possession de ces terres fertiles pour les cultiver. On y trouve aujourd’hui des vergers et des vignobles qui sont de renommée mondiale. Ces planteurs ont amené avec eux des esclaves africains qui ont labouré ces champs pour aider à faire de cette région ce qu’elle est aujourd’hui.
Si nous tenons à aller de l’avant dans un climat de réconciliation, alors il faudra commencer par des excuses. Je ne sais pas pour le reste, mais la première étape consiste à présenter des excuses. Quand j’étais petit, si on se comportait mal à l’école ou si on se bagarrait avec l’enfant du voisin, nos parents disaient : « Tu dois aller faire des excuses. » Et on tourne ensuite la page. C’est ce qui s’impose en l’occurrence.
Collectivement, partout au pays, chacun de nous a un rôle à jouer. Pourquoi est-ce si difficile de distribuer des livres sur l’histoire des Noirs dans les salles de classe? Mis à part la Nouvelle-Écosse, où les écoles utilisent facilement le matériel pédagogique existant, pourquoi avons-nous tellement de mal à y parvenir? La New Brunswick Black History Society a déployé des efforts pour distribuer des livres dans les écoles du Nouveau-Brunswick — en partie, les mêmes que ceux utilisés en Nouvelle-Écosse —, car nous partageons tous des liens ancestraux. Ce fut une tâche extrêmement difficile.
Malheureusement, il y a des provinces et des endroits qui camouflent le racisme systémique sous prétexte de compressions budgétaires : « Nous n’en avons pas les moyens; nous n’avons pas d’argent pour l’inclure. » En réalité, s’ils achètent déjà des livres pour les mathématiques, les sciences ou d’autres matières, cela veut dire que l’histoire afro-néo-écossaise ou afro-canadienne n’est pas considérée comme faisant partie de l’histoire canadienne pour pouvoir être incluse dans le programme; c’est perçu comme un sujet supplémentaire.
Nous devons abattre ces murs et agir dans un esprit collectif. Le message qui revient dans les conversations, c’est que le temps est venu pour nous d’être plus inclusifs et qu’il ne suffit plus de dire que nous allons accepter et reconnaître la diversité; il faut maintenant joindre le geste à la parole — voilà ce que nous devons faire. C’est ce qui nous fera progresser.
La sénatrice Hartling : Merci. J’espère qu’au courant de la présente décennie, nous pourrons faire de grands pas en avant.
J’ai une question pour Mme Villefranche. Je vous écoutais, toutes deux, parler de votre expérience de travail auprès des femmes, notamment de celles qui viennent d’Haïti et du Nigeria. Vous avez évoqué la santé mentale et la pauvreté. J’ai travaillé auprès des femmes pendant de nombreuses années dans ma collectivité, mais elles étaient de la région, et c’était déjà tout un défi. Je songe à des choses comme l’emploi, l’alphabétisation, la garde d’enfants et tout le reste. Pouvez-vous dire un mot à ce sujet et nous parler de certaines des autres difficultés que vous pourriez rencontrer dans le cas des femmes qui viennent à votre centre?
[Français]
Mme Villefranche : Énormement de femmes traversent la frontière et viennent chercher la protection ici. Il est très important de comprendre qu’elles posent ce geste pour se protéger et protéger leurs enfants, car elles arrivent de pays où elles ne se sentent pas protégées. Elles n’arrivent ici avec rien d’autre qu’une valise et leurs enfants. Quand on les reçoit, il faut tout trouver pour leur venir en aide. La façon dont on les accueille est fondamentale et cruciale. Il faut d’abord les accueillir avec empathie, puis leur trouver un logement qui leur convienne. Elles doivent se sentir en sécurité dans ce logement. Il faut leur trouver des meubles et des vêtements pour les enfants. On doit inscrire les enfants à l’école. On doit travailler avec elles pour qu’elles se sentent en sécurité et qu’elles soient en pleine possession de tous leurs moyens afin de continuer à vivre et d’élever leurs enfants. Ce sont des personnes qui ont vécu de grands traumatismes pour en arriver là. Les enfants aussi ont été traumatisés. Il y a tout un travail à faire pour qu’ils se sentent bien.
Nous avons mis sur pied des programmes pour ces familles, par exemple, des programmes de loisirs, afin qu’elles puissent penser à autre chose et vivre des expériences agréables. Cet aspect est très important. Pour que ces personnes deviennent des citoyens en pleine possession de leurs moyens, elles doivent vaincre ce profond traumatisme qu’elles ont vécu. Bien sûr, elles ont souvent l’impression de n’avoir pas subi de traumatisme, car elles veulent régler leurs problèmes et trouver du travail. Dès qu’on leur parle de traumatisme, elles ont l’impression qu’on leur parle de choses secondaires. Or, on sait à quel point il faut travailler sur la question du traumatisme pour vivre de façon équilibrée.
[Traduction]
La sénatrice Hartling : Serait-il juste de dire que vous travaillez sur deux aspects? D’une part, vous travaillez auprès des femmes qui sont traumatisées et des enfants et, d’autre part, vous travaillez dans la société pour changer les attitudes et faire en sorte que les gens se sentent bien accueillis, n’est-ce pas? Y a-t-il un autre facteur, et est-il vrai que vous devez travailler sur ces deux aspects?
[Français]
Mme Villefranche : Exactement, tout à fait. Nous travaillons sur ces deux aspects. En plus, nous travaillons sur toute la question de la Décennie avec la communauté noire du Québec. Notre intervention se fait donc sur différents aspects.
La sénatrice Hartling : Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup aux témoins qui ont comparu ce matin et qui ont répondu aux questions des sénateurs.
Nous allons maintenant entendre notre deuxième groupe de témoins. Par vidéoconférence, nous accueillons Ron Nicholson, membre et ancien vice-président de la BC Black History Awareness Society. Ensuite, nous recevons en personne un témoin de l’UBC Africa Awareness Initiative. M. Tema, le représentant du Global Lounge, prendra la parole au nom de ce groupe. Il est accompagné de deux membres, Mmes Kwezi Rutega et Towela Tembo, qui se joignent à nous également par vidéoconférence et qui répondront aux questions. Enfin, nous entendrons Mme Michelle Williams, professeure à la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie. Nous allons commencer par vous, monsieur Nicholson.
Ron Nicholson, membre et ancien vice-président, BC Black History Awareness Society : Merci de l’invitation. Comme vous l’avez mentionné, je suis ici pour représenter la BC Black History Awareness Society. Je remplace notre présidente, Silvia Mangue Alene. Elle m’a invité à vous parler et à représenter notre organisation.
Je n’ai pas préparé un long exposé, mais notre présidente m’a demandé de soulever quelques points, notamment la façon dont nous abordons les droits de la personne et l’histoire des Noirs en général. Premièrement, cela passe par l’éducation. Deuxièmement, c’est par des activités, dont certaines visent la communauté noire elle-même. Par exemple, nous planifions la tenue d’une conférence pour les entrepreneurs noirs à l’automne.
Nous menons d’autres types d’activités qui s’adressent à la collectivité en général; cela comprend des activités culturelles et pédagogiques, par exemple, dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, en février. Il y a une activité que nous présentons annuellement au théâtre Belfry ici, à Victoria. Nous organisons aussi notre journée annuelle du patrimoine, qui porte surtout sur l’éducation et qui met en exergue différentes facettes de l’histoire des Noirs.
Nous collaborons également avec les bibliothèques à un certain nombre de programmes en général pour promouvoir l’histoire des Noirs dans le réseau bibliothécaire.
Personnellement, je me concentre sur le volet historique dans le cadre des efforts visant à sensibiliser la population ainsi que les Noirs en général, car beaucoup d’immigrants de souche récente ne connaissent pas bien l’histoire des Noirs et ignorent depuis combien de temps les Noirs sont au Canada — dans certains cas, depuis aussi longtemps que la majorité des immigrants d’origine européenne au Canada, sur la côte Est, la côte Ouest et dans les Prairies.
Je tiens aussi à mentionner que ma priorité est de continuer à préconiser l’enseignement de l’histoire des Noirs dans les écoles — et sachez que je n’ai pas baissé les bras parce que c’est un peu une obsession. J’y accorde une très grande importance. Cela permet de présenter des modèles positifs aux élèves de tous les âges. Il y a tellement de pionniers et de grandes figures contemporaines de race noire, comme en Colombie-Britannique, Emery Barnes, Rosemarie Brown et d’autres Noirs très connus. Une bonne partie de ces connaissances doivent être enseignées à l’école. Ce n’est pas l’histoire des Noirs à proprement parler; c’est une partie intégrante de l’histoire de la Colombie-Britannique. Chaque province a sa propre histoire des Noirs, mais cela fait partie de l’histoire provinciale et canadienne.
Sans vouloir trop m’étendre, je crois que je vais en rester là pour le moment en guise d’introduction. S’il y a des questions ou si on me donne l’occasion d’ajouter des observations, je pourrai en dire davantage tout à l’heure.
La présidente : Merci.
Agang Tema, représentant du Global Lounge, UBC Africa Awareness Initiative : Bonjour, tout le monde. L’Africa Awareness Initiative de l’Université de la Colombie-Britannique est une organisation dirigée par des étudiants et mise sur pied en 2002 par des membres du corps professoral et du personnel de l’université afin de remédier au manque de dialogue et de conversation sur l’Afrique et les Africains à l’Université de la Colombie-Britannique et à Vancouver, en général.
Essentiellement, notre organisation a pour mandat de dissiper l’opinion monolithique que de nombreuses personnes en Colombie-Britannique et au Canada se font au sujet du continent africain. On présente souvent le continent africain sous un seul angle. En tant qu’étudiants et professeurs à l’université, nous avons dû faire face à beaucoup d’idées fausses sur l’endroit d’où nous venons et qui est notre port d’attache.
Nous voulions faire participer les étudiants de l’Université de la Colombie-Britannique et la population de Vancouver à la création d’un nouveau dialogue sur le continent africain de manière à amener les gens à adopter une pensée plus analytique et une opinion plus équilibrée pour leur permettre de mieux connaître le continent africain, de déchiffrer les nombreux messages véhiculés dans les médias et de se forger leur propre opinion à ce sujet.
Depuis nos débuts en 2002, nous avons organisé plusieurs activités qui mobilisent la population universitaire. Par exemple, l’une d’elles vise à faire découvrir aux étudiants la musique africaine dans le cadre d’une soirée dansante.
Notre activité principale est la semaine des conférences, qui est organisée par nos deux présidentes aux affaires externes, Kwezi et Towela. Lors de cet événement phare, nous invitons des conférenciers du continent africain ou de la diaspora à débattre de tout sujet d’actualité qui revêt une grande importance. Cela donne lieu à beaucoup de débats et à d’excellentes conversations. Il s’agit d’un événement qui est vraiment à la hauteur de notre mandat, soit celui d’amener les gens à voir d’un œil différent le continent africain et les personnes d’ascendance africaine.
Nous collaborons également avec de nombreux autres clubs de l’université pour essayer de trouver des similitudes et pour célébrer les différences qui existent entre les Africains, les personnes d’ascendance africaine et les gens de partout dans le monde. En ma qualité de représentant du Global Lounge, je suis chargé de toutes les affaires mondiales du club, pour ainsi dire, et de la collaboration avec d’autres clubs à vocation internationale pour faire en sorte que notre message aille au-delà de l’Université de la Colombie-Britannique et qu’il soit diffusé partout dans la province et le pays, l’objectif étant d’amener les gens à parler de ce que cela signifie d’être Africain, de ce qui caractérise vraiment l’Afrique et de la meilleure façon dont les personnes d’ascendance africaine pourraient participer aux activités menées sur le campus de l’Université de la Colombie-Britannique.
L’établissement d’une mineure en études africaines à l’Université de la Colombie-Britannique est l’une des principales réalisations de notre club, et c’est une source de fierté et de joie pour nos membres. À l’heure actuelle, nous travaillons avec l’administration de l’université afin de renforcer davantage ce programme pour nous assurer qu’il ne s’agit pas simplement d’un programme symbolique qui permet à l’université d’affirmer qu’elle offre une mineure représentative de l’Afrique. Nous voulons que tout étudiant qui s’inscrit à ce programme sache qu’il suit des cours qui lui seront profitables — des cours qui lui permettront d’apporter de nombreux changements. Nous travaillons constamment avec l’administration de l’université pour veiller à ce que ce soit l’incidence du programme. Ce projet est en cours de réalisation, mais nous sommes convaincus que nous accomplissons d’étonnants progrès à cet égard.
En tant que club constitué principalement de personnes originaires du continent africain, nous sommes vivement intéressés et toujours disposés à nous instruire sur nos liens avec le fait d’être noir au Canada et sur la façon dont nous pouvons aussi représenter les besoins et les droits des Afro-Canadiens, car nous avons la conviction que nous sommes intrinsèquement liés à eux et que rien ne peut engendrer une grande séparation entre nous. Nous cherchons constamment des moyens de visiter les collectivités, d’observer les problèmes auxquels les Afro-Canadiens font face et de déterminer comment notre organisation dirigée par des étudiants pourrait étudier ces problèmes de la façon la plus efficace.
Je vous remercie de l’occasion que vous nous avez donnée de participer à la séance. Nous sommes très heureux de vous communiquer ce dont nous disposons et d’entendre les renseignements que tous les autres ont aussi à nous communiquer. Merci.
La présidente : Merci.
Michelle Williams, professeure, Schulich School of Law, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant vous.
Je vais commencer par souligner que nous nous rencontrons en territoire algonquin et que je viens d’arriver ce matin d’un territoire micmac, connu sous le nom de Nouvelle-Écosse.
Je tiens également à reconnaître le travail important que la sénatrice Bernard a accompli en organisant cette audience. Les Néo-Écossais et les Canadiens d’origine africaine vous sont reconnaissants de la voix que vous faites entendre au Sénat, une voix qui nous est acquise et qui bénéficie à tous les Canadiens. Merci.
Je tiens aussi à saluer brièvement le fait que le gouvernement du Canada a reconnu officiellement la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies et qu’il a exprimé sa volonté de prendre des mesures à l’égard des trois piliers associés à cette décennie.
Il y a trois principaux arguments que je tiens à faire valoir au cours de mon bref exposé d’aujourd’hui. Le premier, c’est que le Canada dispose des directives et du cadre juridique nationaux et internationaux requis pour prendre des mesures plus générales à l’égard des enjeux liés aux Néo-Écossais et aux Canadiens d’origine africaine. Deuxièmement, en prenant des mesures, le gouvernement du Canada doit reconnaître que les Néo-Écossais d’origine africaine et, par extension, tous les Canadiens d’origine africaine forment un peuple distinct. Troisièmement, des mesures devraient être prises immédiatement relativement à des changements structuraux, une planification intergouvernementale globale et des ressources substantielles, avec la pleine participation des Afro-Canadiens.
Parlons du premier argument. Comme la plupart des sénateurs le savent déjà, j’en suis sûre, le Canada dispose du robuste cadre juridique national et international en matière de droits de la personne et des directives correspondantes dont il a besoin pour prendre des mesures sérieuses en vue de répondre aux besoins, aux préoccupations et aux conditions auxquels font face les Canadiens noirs. Je n’ai pas le temps aujourd’hui de décrire en détail ce cadre, mais je tiens à vous faire remarquer que nous avons signé un éventail de traités internationaux sur les droits de la personne et que les organismes responsables de ces traités ont déjà fait des recommandations précises au gouvernement du Canada relativement aux Néo-Écossais et aux Canadiens d’origine africaine.
De même, dans le cadre de la Conférence mondiale de l’ONU contre le racisme, du Programme d’action et de rapports publiés par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le racisme ou par le Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine, des recommandations particulières ont été formulées à propos des Afro-Canadiens.
Je veux maintenant faire une brève pause pour souligner le travail majeur accompli par la Clinique juridique pour les Afro-Canadiens surtout dans le domaine des droits internationaux de la personne.
À l’échelle nationale, des dispositions relatives à l’égalité enchâssées dans les articles 15 et 27 de la Charte confèrent des droits constitutionnels, et nous disposons d’un ensemble de lois fédérales et provinciales sur les droits de la personne que les tribunaux considèrent comme des protections quasi constitutionnelles. Le problème, c’est que ces protections sont en grande partie inaccessibles à nos communautés. Par conséquent, les Canadiens noirs ne jouissent pas des libertés exposées dans ces lois et demandent, comme le font souvent mes étudiants, si des droits de la personne existent réellement au Canada s’ils sont impossibles à faire respecter.
Le deuxième argument, c’est le fait que la stratégie et les mesures mises en œuvre par le gouvernement du Canada doivent être éclairées par le fait que les Néo-Écossais d’origine africaine et, par extension, les Canadiens d’origine africaine forment un peuple distinct. Nous avons entendu le sergent Smith décrire une partie de leur histoire, mais le fait est que les Néo-Écossais d’origine africaine étaient parmi les membres non autochtones de cette nation. Notre présence précède la naissance du Canada par plus de 100 ans. Nous aurions dû être reconnus dans la Constitution, au même titre que les Français et les Britanniques, compte tenu de notre présence et de notre contribution à la fondation du Canada.
De 1604, l’année la plus reculée de notre présence, à 1961, les Néo-Écossais d’origine africaine représentaient plus de la moitié de tous les noirs du Canada. Nous nous sommes établis dans des collectivités géographiques distinctes, et nous avons développé des coutumes et des habitudes culturelles, sociales, spirituelles, économiques et politiques uniques. Notre longue expérience de l’esclavage, combinée à notre libération, a façonné la façon dont les Canadiens de race blanche perçoivent leur propre identité, ainsi que la façon dont la promotion de la suprématie de la race blanche et le racisme anti-noir fonctionnent de nos jours, sur plan théorique.
Si le gouvernement du Canada ne reconnaît pas le caractère distinct des Néo-Écossais d’origine africaine et, d’une façon plus générale, des Canadiens noirs, je pense qu’il échouera dans ses efforts pour apporter la justice et le développement dans le cadre de l’initiative de la décennie des Nations Unies. Nous sommes supérieurs au racisme que nous vivons. Nous sommes un peuple unique en son genre qui possède sa propre histoire, ses propres traditions et ses propres modes de vie.
Ce caractère distinct était l’un des nombreux autres arguments avancés par le Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine, qui a rendu compte cet automne de sa mission au Canada.
À l’alinéa 84b), le rapport indique que le gouvernement du Canada devrait :
reconnaître légalement les Afro-Canadiens comme un groupe distinct qui a apporté à la société canadienne des contributions économiques, politiques, sociales, culturelles et spirituelles marquantes, et continue de le faire;
Ce même rapport m’amène à mon dernier argument. À l’alinéa 84a), le groupe de travail exhorte le gouvernement du Canada à :
présenter des excuses aux Canadiens d’origine africaine et envisager de réparer les torts qui leur ont été causés par l’esclavage et des injustices historiques;
Les plus de 400 années que nous avons passées à aider à bâtir cette nation, même face à un racisme anti-noir profondément ancré et persistant, sont donc suffisantes. Cette situation a assez duré. Si le Canada a l’intention d’atteindre les idéaux qui sont enchâssés dans ses lois, au lieu de se retrancher souvent derrière le mythe de l’égalité raciale au pays, il doit prendre immédiatement des mesures.
Le plan d’action à cet égard se trouve dans ce même rapport de l’ONU, ainsi que dans une multitude d’autres rapports semblables qui ont été publiés au fil des ans et des décennies. Pour conclure, je vais mentionner très brièvement quelques-unes des autres recommandations émises. Mais, avant cela, je souhaite faire valoir un argument général, à savoir que ce changement doit se produire et qu’il doit être mené par des Afro-Canadiens qui participent pleinement au processus, en collaboration avec le gouvernement.
Je vais souligner quelques-unes des autres recommandations qui figurent dans ce rapport de l’ONU. Premièrement, il est recommandé qu’un ministère national des Affaires afro-canadiennes soit créé pour représenter les intérêts des Afro-Canadiens auprès du gouvernement national, pour mener des recherches et pour élaborer des politiques qui s’attaquent aux problèmes auxquels les Afro-Canadiens font face. Deuxièmement, il est recommandé de mettre en œuvre à l’échelle nationale une politique obligatoire sur la collecte de données ventilées selon la race. Troisièmement, il est recommandé d’élaborer un plan d’action canadien contre le racisme pour remédier au racisme anti-noir qui colore les droits de la personne. Enfin, il est recommandé d’élaborer une stratégie de justice pour les Afro-Canadiens afin de s’attaquer au racisme anti-noir et à la discrimination qui règnent au sein de notre système de justice pénale. Il y a de nombreuses autres recommandations dans ce rapport qui constitue, selon moi, un excellent plan d’action à suivre pour le gouvernement.
Je termine en remerciant les sénateurs de leur travail dans le domaine des droits de la personne et en les priant instamment de se joindre à nous, s’ils sont prêts à le faire, afin de continuer à insister pour que ce changement grandement nécessaire soit apporté à la structure de notre gouvernement.
La présidente : Je vous remercie tous de vos témoignages. Nous allons maintenant accorder la parole aux sénateurs qui ont des questions à poser.
La sénatrice Cordy : J’aimerais remercier chacun de vous pour vos exposés. Le Mois de l’histoire des Noirs est beaucoup plus emballant lorsque nous recevons des invités pour le marquer et pour discuter des défis que nous devons encore relever et des événements positifs qui surviennent également.
Madame Williams, vous êtes la directrice de l’Indigenous Blacks & Mi’kmaq Initiative de l’école de droit de l’Université Dalhousie et une analyste du programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse. J’aimerais donc vous interroger un peu à propos de la justice réparatrice pour les noirs de la Nouvelle-Écosse, mais aussi pour l’ensemble du Canada. Je sais qu’en 2013, vous avez déclaré que ce programme ne fonctionnait pas pour les Néo-Écossais d’origine africaine. Les choses ont-elles changé? La situation des Néo-Écossais noirs s’améliore-t-elle? Nous allons parler précisément de la Nouvelle-Écosse. Dans l’affirmative, quels facteurs ont contribué à son amélioration? Dans la négative, quelles mesures devons-nous prendre?
Mme Williams : Dans votre question, faites-vous précisément allusion à la justice réparatrice?
La sénatrice Cordy : Oui.
Mme Williams : Je dois dire que, depuis que j’ai terminé cette recherche menée en collaboration avec l’alliance, je ne me suis pas penchée sur le dossier de la justice réparatrice. Je souhaiterais donc m’en remettre à d’autres personnes qui ont continué à jouer un rôle plus important dans ce dossier.
Cela dit, je vous fais remarquer qu’à ma connaissance, nous ne mettons en œuvre en ce moment aucune des recommandations que j’ai présentées dans mon rapport de recherche sur le sujet. Nous avons désespérément besoin d’une stratégie de justice pour les Néo-Écossais d’origine africaine, compte tenu de la surreprésentation des membres de notre communauté au sein du système de justice et de nombreuses autres raisons.
Je dirais que tout semble indiquer que le gouvernement provincial est disposé à envisager la possibilité de mettre en œuvre une stratégie de justice pour les Néo-Écossais d’origine africaine. C’est donc une nouvelle encourageante.
Je terminerais ma réponse à votre question en précisant que j’ai consacré une grande partie de mon temps à mener des recherches sur les questions de justice pour les Néo-Écossais d’origine africaine et à m’occuper de ces questions, y compris en étant membre d’une coalition provinciale qui a été constituée après la visite du groupe de travail de l’ONU en Nouvelle-Écosse. Je trouve la période que nous traversons très troublante. Je ne suis pas certaine qu’il y ait eu une perturbation structurelle soutenue et significative de la ligne droite qui relie l’esclavage à la situation actuelle, en passant par la ségrégation structurelle. Il y a eu des interventions éphémères, mais je ne crois pas que nous ayons déjà observé, au cours de l’histoire de la Nouvelle-Écosse ou du Canada, l’adoption d’une orientation soutenue qui dispose des ressources nécessaires et qui est ancrée dans une politique juridique visant des personnes de descendance africaine. Et, c’est ce qui est sur le point de se produire, je l’espère.
La sénatrice Cordy : Comment pouvons-nous faire en sorte que cela se produise? Vous avez raison de dire que certaines initiatives ont été proposées et qu’elles ont fait les gros titres des journaux ou des médias pendant un certain temps. Elles font l’objet d’une importante couverture positive, et de nombreuses personnes sont interviewées à propos des mesures que nous devons prendre, puis l’initiative tombe dans l’oubli. Comment pouvons-nous faire en sorte que l’initiative soit mise en œuvre?
Mme Williams : Je pense que des interventions institutionnalisées sont nécessaires. Il faut donc créer un ministère, comme le rapport le recommande. Comme vous le savez, il y a un Office des affaires afro-néo-écossaises en Nouvelle-Écosse, ainsi qu’un ministre des Affaires afro-néo-écossaises. Ils ont été très pratiques pour continuer d’apporter des changements en vue de régler des problèmes. Ils ne suffisent pas, mais ils ont certainement été très utiles. Nous devons envisager ce à quoi ressemblerait un équivalent à l’échelle nationale.
Toutefois, nous avons, en réalité, à peine effleuré la surface lorsqu’il s’agit de prendre en considération les préoccupations des Néo-Écossais et Canadiens d’origine africaine avant d’adopter des mesures législatives ou des politiques gouvernementales. Prenons brièvement l’exemple d’une stratégie de logement de l’ordre d’un milliard de dollars. Le logement pour les Néo-Écossais d’origine africaine ne ressemble pas au logement pour la plupart des autres personnes, probablement parce que nos collectivités sont traditionnellement dépourvues de titres fonciers et que des projets de construction empiètent sur nos collectivités. Nous avons perdu du terrain en raison de l’application de pratiques malhonnêtes tout au long de notre histoire. Une mesure visant à régler des problèmes de logement dans nos collectivités différerait carrément d’une mesure normale. Voilà un exemple précis de politiques qui doivent être élaborées à l’aide d’une lentille équitable et non raciste.
La sénatrice Cordy : Vous réussissez plus fréquemment à obtenir la propriété de vos terrains. J’ai lu quelque chose à propos d’une affaire à East Preston qui était en cours depuis 20 ans ou plus et qui a finalement été réglée. Ces affaires commencent-elles à aboutir?
Mme Williams : Nous sommes au tout début de ce processus. Ce problème remonte à plus de 100 ans. Une réponse législative a été apportée dans ce qui devait être les années 1960, mais nous sommes toujours aux prises avec ce problème. Grâce aux efforts de la communauté, le gouvernement provincial a réagi à l’égard de ce problème. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais c’est un pas dans la bonne direction.
Le rapport de l’ONU demande au gouvernement fédéral de contribuer au financement de ces efforts. N’oubliez pas que bon nombre de ces problèmes ont surgi avant que le Canada devienne un pays. On peut donc soutenir qu’il incombe au gouvernement fédéral de trouver une solution au problème des titres fonciers.
L’autre question que je tiens à mentionner lorsque je parle des titres fonciers, c’est que le problème a pour toile de fond le fait que la Nouvelle-Écosse se trouve en territoire micmac non cédé. Au cours de la résolution de ces problèmes, nous devrions reconnaître la façon dont le colonialisme a façonné toutes les relations que nous avons nouées et nous assurer que nous tenons compte de ces relations à l’avenir.
La sénatrice Pate : Je vous remercie tous de votre participation. C’est merveilleux de vous voir, madame Williams.
Je souhaite revenir sur la question de la justice réparatrice. L’objection ou la critique que l’on élève souvent contre la justice réparatrice, c’est que la façon dont elle est souvent interprétée ne tient pas compte des points de départ systémiques des inégalités. Cela ressemble un peu à ce dont vous parliez. Certains de vos autres travaux me sont familiers. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Mme Williams : Je vous remercie de me donner l’occasion d’aborder ce sujet. J’ai étudié la justice réparatrice dans le contexte des Néo-Écossais d’origine africaine. La brève conclusion à laquelle je suis arrivée, c’est que la justice réparatrice est très prometteuse sur le plan théorique. En pratique, elle s’avère difficile à rendre. C’est dû en partie au fait qu’en pratique, elle n’a pas été en mesure d’embrasser le changement transformateur collectif qui devait survenir pour que les collectivités afro-néo-écossaises connaissent une justice fondamentale.
Le fait qu’un jeune ou un autre, ayant peut-être atterri dans le système en raison, par exemple, d’interventions policières excessives ou d’une quelconque autre situation, franchisse les étapes du processus de justice réparatrice ne permettra pas de cerner les causes fondamentales de la surreprésentation générale et les préoccupations connexes auxquelles les Néo-Écossais d’origine africaine ont fait face au fil des ans. Ce processus a donc du potentiel, mais, à moins qu’il soit conjugué à une solide stratégie de transformation structurelle, je ne crois pas qu’il réalisera son potentiel auprès des Néo-Écossais d’origine africaine.
La sénatrice Pate : Je vous remercie infiniment de votre réponse.
J’aimerais établir un lien entre votre présence ici et l’étude que le comité mène sur les conditions d’emprisonnement et les droits de la personne des prisonniers. Je sais que c’est un domaine dans lequel vous possédez également des compétences. L’un des aspects que nous examinons est la manière dont certaines dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition n’ont pas été mises en œuvre — celles qui visaient précisément à réduire les nombres de prisonniers autochtones. Toutefois, comme l’histoire de ces dispositions nous l’a montré, l’objectif était d’obtenir une réduction globale à l’aide de l’alinéa 718.2e) et des articles 81 et 84 de la LSCMLC.
Êtes-vous au courant de travaux de recherche ou de renseignements qui portent, en particulier, sur les prisonniers afro-néo-écossais ou, plus généralement, les prisonniers afro-canadiens, et qui pourraient être utiles dans cette situation? Dans le contexte autochtone, les collectivités n’ont pas été informées de ces dispositions, celles-ci n’ont pas été appliquées, et comme SCC a élaboré des politiques qui en restreignaient fortement l’application, elles ont fini par être subverties en cours de route. Je me demande si on a examiné l’incidence sur les prisonniers noirs.
Mme Williams : Je ne connais ni les détails ni l’incidence des dispositions relatives à la libération conditionnelle en tant que telles, alors je ne devrais probablement pas en parler sauf pour renvoyer au rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel sur les Canadiens noirs.
Je peux m’attarder à l’alinéa 718.2e) du code, car c’est un secteur dans lequel il y a eu des avancées en Nouvelle-Écosse grâce à l’utilisation d’évaluations des répercussions culturelles et raciales pour les accusés afro-néo-écossais. Grâce à l’avancement de la jurisprudence — soit une cause très récente entendue par le juge Wood de la Cour supérieure, l’affaire R. c. Perry — les juges acceptent les évaluations des répercussions culturelles comme ils acceptent les rapports Gladue. On a observé un développement progressif en ce sens par l’intermédiaire de la common law. C’est une orientation difficile à prendre pour définir la chose par l’intermédiaire de la common law. Je crois savoir que certains développements se sont peut-être rendus à Toronto. Si je comprends bien, il est possible qu’on procède actuellement aux premières évaluations des répercussions culturelles d’Afro-Canadiens dans cette ville.
Une chose que le gouvernement du Canada pourrait faire serait de mentionner expressément les Afro-Canadiens au paragraphe 718.2(3), où il est question d’accorder une attention particulière à la situation des peuples autochtones lorsqu’on essaie d’appliquer la peine la moins restrictive, ce qui est un principe général, comme vous le savez, de la détermination de la peine dans toute affaire au-delà de cet article. Cependant, si les Afro-Canadiens étaient ajoutés à cet article — et je pense que la documentation, les statistiques, les rapports internationaux sur les droits de la personne et la jurisprudence le justifient — ce serait alors un autre instrument dont les juges pourraient se servir à la grandeur du pays pour essayer de régler la question de la surreprésentation des Afro-Canadiens.
La sénatrice Pate : Merci.
La sénatrice Andreychuk : Je tiens à remercier tous les témoins d’être venus témoigner devant nous, tant par vidéoconférence qu’en personne. C’est très utile pour nous de penser non seulement aux questions relatives au Mois de l’histoire des Noirs, mais aussi à celles auxquelles la communauté est confrontée. La communauté est très complexe.
J’ai une question pour Mme Williams. Vous intéressez-vous exclusivement à la Nouvelle-Écosse et au contexte historique ou tenez-vous compte de tous les immigrants noirs qui arrivent au Canada de partout dans le monde et dont les expériences et les besoins sont très différents? Est-ce qu’une quelconque partie de votre étude aborde la complexité de la communauté au lieu de l’unicité qu’on attache parfois au Mois de l’histoire des Noirs? Elle est si multidimensionnelle.
Mme Williams : Oui. Ma recherche porte sur les Afro-Néo-Écossais qui sont liés à la cinquantaine de communautés noires historiques en Nouvelle-Écosse. Environ 10 p. 100 des Afro-Néo-Écossais sont des nouveaux arrivants plus récents dans cette province — des gens de descendance africaine — confrontés à des problèmes semblables. Comme mon collègue l’a suggéré, nous faisons face à toute une gamme de questions. Mes travaux antérieurs ont clairement porté sur la diversité de l’expérience des Canadiens noirs ou des Afro-Canadiens.
L’accent sur les Afro-Néo-Écossais — mon secteur de recherche — peut faire en sorte que si nous comprenons comment la racialisation au Canada a été structurée par ces relations au début de la colonisation, ainsi que par l’esclavage, nous arriverons à mieux comprendre la raison pour laquelle les choses sont telles qu’elles sont aujourd’hui. En conséquence, si nous arrivons à comprendre les débuts de l’esclavage, la façon dont la loi a autorisé cette pratique au Canada et a continué de progresser à partir de cette situation et le fait qu’elle sous-tend maintenant nos lois sur les droits de la personne, notre jurisprudence, et cetera, nous serons plus à même de comprendre comment atteindre l’égalité des Afro-Canadiens et des autres, quel que soit le moment où ils sont arrivés au Canada. Je vois un lien direct entre les deux. Je devrais aussi souligner qu’il existe une diversité extraordinaire au sein de la communauté afro-néo-écossaise en tant que telle, si bien que je ne veux aucunement l’essentialiser.
La sénatrice Andreychuk : Je copréside l’Association parlementaire Canada-Afrique dont la sénatrice Bernard est vice-présidente. Monsieur Tema, et peut-être ensuite monsieur Nicholson, nous sommes confrontés à un dilemme. Nous parlons de l’Afrique sans comprendre ses 54 ou 55 pays, vu que l’un d’entre eux est peut-être contesté. Le continent est très diversifié dans son ensemble, mais nous ne voyons habituellement que les images de crises que nous renvoient les reportages — ou le manque de reportages adéquats concernant l’Afrique.
Si on prend un étudiant qui arrive au Canada et qui travaille ici, et les personnes avec lesquelles vous établissez des rapports, comment faire pour avoir une meilleure idée de ce qui se passe en Afrique? Parce que dans notre contexte, nous voyons beaucoup de points positifs ainsi que certaines difficultés, dont la plupart se rapportent à la gouvernance, je dois dire. En conséquence, quelles sont vos perspectives à cet égard et comment faire pour aider individuellement les immigrants qui arrivent des pays allant de l’Afrique du Nord à l’Afrique du Sud, et cetera?
M. Tema : Comme je l’ai dit, en tant que personnes qui quittent le continent pour venir étudier au Canada, et je suis certain que Mme Rutega et Mme Tembo abonderont dans le même sens, nous sommes confrontées à nombre d’idées fausses concernant l’endroit d’où nous venons et, essentiellement, le type de personnes que nous sommes.
À titre d’organisation, l’African Awareness Initiative, les étapes que nous avons prises, en tant qu’Africains ou que personnes de descendance africaine, en faveur de la promotion d’une image plus équilibrée de l’Afrique et du peuple africain, nous devons prendre la responsabilité de changer cette perception que bien des gens ont.
Nous le faisons, grosso modo, en organisant divers événements dans le cadre desquels nous essayons de ne pas nous attacher à une Afrique en particulier, mais plutôt à diviser, par exemple, nos événements en discussions plus axées sur les régions où il question de pays particuliers, des enjeux qui sont les leurs ou de leurs réussites. Je pense que la conversation concernant l’Afrique et les gens de descendance africaine gravite souvent autour de la pauvreté et se limite constamment aux difficultés et aux problèmes. Certes, ce sont des réalités, mais ce ne sont pas les seules que nous avons. En gros, nous essayons de donner ces diverses perspectives sur la situation réelle et la participation des Africains dans la communauté internationale.
Nous essayons de faire participer les Africains aux discussions mondiales, de les montrer comme des citoyens du monde, perception qu’on n’a jamais eue de nous, dans une grande mesure. Nous devons essayer de faire participer davantage les Africains de la diaspora aux discussions, car l’image que se font les Occidentaux du contexte culturel africain complexe pourrait ne pas être la même que celle que se font les Africains. Je pense que les Africains de la diaspora peuvent presque être le pont qui permet cette compréhension culturelle.
Je pense aussi qu’il faut simplement encourager les personnes qui ne sont pas du continent, qui ne sont pas de descendance africaine, à être plus ouvertes d’esprit au sujet de l’Afrique et à avoir une perception plus équilibrée du continent. C’est une chose sur laquelle nous essayons d’insister dans notre organisation — nous ne sommes pas un club pour Africains. Nous ne sommes pas l’African Awareness Initiative, mais bien l’Africa Awareness Initiative, donc nous sommes l’initiative de sensibilisation à l’Afrique et non aux Africains. Nous essayons d’informer les gens sur le continent. Oui, c’est une organisation où les Africains ont un espace sécuritaire pour vivre leur culture et leur musique et pour discuter de diverses questions auxquelles ils sont confrontés, mais c’est aussi un endroit où nous encourageons en particulier les gens qui ne sont pas de notre culture, qui ne sont pas de descendance africaine, à venir apprendre davantage de nous.
Est-ce que Kwezi ou Towela ont quelque chose à ajouter à ce sujet? Je pense que c’est, en gros, les efforts que nous déployons pour essayer de changer cette perspective de l’Afrique que les gens ont.
Towela Tembo, vice-présidente des affaires externes, UBC Africa Awareness Initiative : Je pourrais simplement ajouter que je suis Zimbabwéenne, donc originaire de l’Afrique méridionale, et que j’étais très excitée de venir ici. J’étais excitée de participer à l’Africa Awareness Initiative, de prendre part à l’événement Africa : Global Citizenship en Colombie-Britannique, si bien que je me suis jointe à l’AAI et que j’ai brigué le poste de vice-présidente aux affaires externes, ce qui m’a permis de planifier la semaine de conférence annuelle.
Pendant mon processus de planification, j’ai relevé certains aspects ou certains problèmes dans le système déjà en place et qui ne nous permettaient pas de voir aussi grand que nous aurions voulu.
L’impression générale, je suppose, quand je parle de l’Afrique ou que j’écoute les autres personnes en parler sur le campus, est un simple manque d’intérêt. Personne ne se soucie de l’Afrique. Personne ne s’intéresse à ce qu’on dit. Personne ne s’intéresse à ce qu’on fait. Tous nos événements sont toujours sous… vous savez, personne ne vient, à moins d’être africain ou d’avoir un ami qui l’est.
Alors notre grand projet était de planifier la semaine de conférence. C’est un événement important qui peut jeter l’éclairage sur tout ce qui se passe en Afrique à part la pauvreté, les guerres et tout. Mais, bien sûr, nous n’avons aucun appui. Personne ne veut nous financer pour nous permettre de faire venir d’Afrique des gens en mesure de montrer ce qui se passe. Il y a tant à offrir, mais personne n’est intéressé à nous écouter.
En ce moment, je suis frustrée et je suis découragée, car je n’y peux rien. Je suis pratiquement impuissante.
Kwezi Rutega, vice-présidente des affaires externes, UBC Africa Awareness Initiative : Je suis d’accord avec Towela. Avec un peu de chance, le programme de mineure en études africaines prendra de l’expansion, mais on a parlé d’y ajouter une langue africaine. J’étais très surprise qu’UBC n’offre pas de cours de langue africaine dès le départ, mais il semblerait qu’on compte enseigner le swahili. Seulement cette langue. Comme vous l’avez dit, l’Afrique compte 54 ou 55 pays, et c’est simplement très étonnant et alarmant. Je pense que cela reflète à quel point la représentation que nous nous faisons de l’Afrique en 2018 est rétrograde. Personnellement, je suis moi-même coupable de parler de l’Afrique lorsque je veux faire allusion à un pays précis, car je sais que c’est la façon de faire ici. Alors oui, je suis d’accord avec l’argument soulevé par Agang et Towela qu’AAI s’efforce de mieux représenter l’Afrique comme un continent et non un pays.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Peut-être qu’il va nous falloir dire à certains chefs d’État que l’Afrique est un continent et pas un pays.
Monsieur Nicholson, vous avez dit que vous vous attachez à l’histoire, mais vous avez aussi dit que votre société tient un forum des entrepreneurs noirs. Offre-t-on suffisamment de soutien aux entrepreneurs noirs, disons en Colombie-Britannique, soit la province que vous connaissez le mieux?
M. Nicholson : Je ne peux honnêtement pas répondre à cette question. Je n’ai pas participé personnellement à la planification.
Ici à Victoria, nous n’avons peut-être pas les mêmes chiffres quant au nombre de personnes de descendance africaine ici, même s’ils sont à la hausse. Je nous vois comme ayant le potentiel d’être une société qui en chapeaute plusieurs, et nous avons eu une collaboration fructueuse avec divers autres groupes. Il y a notamment trois groupes à Victoria même, dont VACCS, la Victoria African Caribbean Cultural Society, AHAVI, la African Heritage Association of Vancouver Island, et notre société, la BC Black History Awareness Society. Nous les avons invités et avons travaillé avec eux au cours du mois de février. Nous venons de terminer un gala organisé par la société VACC, dans le cadre duquel nous soulignons la contribution de Noirs importants, pas nécessairement anciens, mais présents, qui renvoient une très bonne image et servent de modèles à suivre. Les maires, les fonctionnaires et les policiers locaux y participent. Il y a des sociétés ici, à Victoria, qui forment le CPN, le Community Partnership Network. Il en existe une autre dans le cadre de laquelle la police collabore non seulement avec la communauté noire, mais aussi d’autres minorités.
Il y a un certain nombre d’entrepreneurs noirs reconnus, mais encore une fois, il n’y en a pas autant que nous le souhaiterions. Quel que soit leur nombre, j’aime l’idée de souligner leur réussite et de leur donner une tribune pour prouver, et peut-être montrer les possibilités qui découlent de la contribution qu’ils font à la communauté noire en tant qu’entrepreneurs. Il faut de la publicité et énormément de travail. Comme je l’ai mentionné, je ne participe pas personnellement à la planification, car je viens de tirer ma révérence. Je suis l’ancien président du comité chargé des événements, mais j’ai eu besoin de marquer un temps d’arrêt, et j’ai pensé qu’il leur serait peut-être utile d’entendre de nouvelles idées pour les changer des idées éculées que je leur ramenais d’année en année.
Il y a un certain nombre de choses en général. Il s’agit d’une perspective instructive et intéressante sur les droits de la personne. J’ai vraiment aimé entendre les commentaires de Michelle. J’ai beaucoup appris. Bien sûr, ils ont beaucoup plus de Noirs, et nous ne pouvons pas parler du même niveau de participation, mais personnellement, j’apprends beaucoup au sujet du continent africain en tant que tel. Je ne me lasse pas d’apprendre, et je crois, qu’il est vrai que, plus on apprend de détails historiques, mieux on se porte, qu’on soit Noir, Blanc ou autre.
J’ai bien des bêtes noires lorsqu’il est question de droits de la personne et de choses du genre. Si j’en ai le temps, je vous en mentionnerai quelques-unes.
Une de mes principales bêtes noires est la suprématie blanche. Oh, que cela m’irrite, c’est incroyable. Nous devrions appeler un chat un chat, et nous devrions l’appeler du racisme blanc, car c’est exactement ce dont il s’agit. La seule pensée de l’appeler suprématie blanche élève les Blancs et les sépare des Noirs. Les médias pourraient nous aider à appeler les choses par leur nom s’ils étaient intéressés à le faire.
Sur la question de l’économie en général, je vais soulever quelques petits points individuels. Je suis retraité. Je me considère comme une personne profane. Je n’ai pas les diplômes et tout, mais j’ai étudié l’histoire des Noirs et j’y participe depuis que j’ai quitté Vancouver pour Victoria en 2000. Je suis d’ailleurs membre de la société depuis cette année-là.
Mon histoire personnelle est celle du chemin de fer clandestin. Mon arrière-grand-père a échappé à l’esclavage, s’est rendu au Canada et s’est établi dans la région de Niagara où je suis né quatre générations plus tard. L’histoire des Noirs au Canada est profondément ancrée en moi, et je me sens plus Canadien que la plupart des gens. Mon arrière-grand-père paternel est arrivé en 1854 et s’est établi dans la région de Niagara. Alors, j’ai parcouru le Canada et j’ai beaucoup appris au sujet des Noirs dans toutes les régions du pays et de leur histoire.
J’ai rencontré des gens comme Craig Smith, de la GRC. Nous l’avons invité à Victoria comme conférencier pour nous parler lorsqu’il a écrit un livre sur ce que cela représente d’être noir dans la GRC.
Je vais vous donner des exemples qui me viennent à l’esprit. Au cours de ma vie, j’ai postulé des emplois au gouvernement fédéral, peut-être deux ou trois fois, et je me souviens précisément que dans la demande, il y a toujours une place pour donner son origine ethnique, préciser si on est Noir, caucasien, Autochtone ou autre. J’ai toujours fourni l’information, pensant avec optimisme que cela en vaudrait peut-être la peine. Cependant, en rétrospective, je pense que cela a été une très mauvaise expérience pour moi. Dans chaque cas où j’ai présenté une demande, je me sentais plus que qualifié pour occuper le poste. Quoi qu’il en soit, je crois que cela donne à des gens, même à des niveaux inférieurs, la possibilité de dire « Africain? Pas question. Noir? Pas question », et de ne même pas donner suite à la demande. C’est un petit détail, certes, mais il y aurait peut-être lieu d’y jeter un coup d’œil. Est-ce profitable ou est-ce une façon pour les gens de faire de la discrimination à votre égard avant que vous ayez même mis un pied à l’intérieur pour passer un entretien? J’ai été victime de discrimination lorsque j’ai cherché un logement à l’université. J’ai fait l’expérience du Noir-au-volant-qui-se-fait-arrêter, comme nous tous, et il y a tant d’exemples du genre. Je pourrais vous en donner d’autres.
La présidente : Monsieur Nicholson, je suis certaine que vous avez bien d’autres récits à nous livrer.
M. Nicholson : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous. Je ne sais pas si c’est la direction que vous vouliez que je prenne, mais c’est ce qui m’a traversé l’esprit.
La présidente : Nous allons devoir trouver une autre occasion d’entendre la suite de votre récit.
Je tiens à remercier tous nos témoins aujourd’hui, non seulement pour les témoignages que vous avez livrés, mais aussi pour l’excellent travail que vous faites dans vos organisations respectives, vos milieux de travail et votre travail bénévole au sein de vos communautés et dans vos provinces respectives. Vous faites du vrai travail sur le terrain pour vous attaquer aux véritables défis auxquels sont confrontés les Afro-Canadiens d’un océan à l’autre au pays.
En terminant, je veux préciser que si nous sommes en mesure de tenir cet événement aujourd’hui, c’est grâce à la voie que nous ont tracée les pionniers. Dans ce pays, nous célébrons le Mois de l’histoire des Noirs parce que l’honorable Jean Augustine l’a instauré à la Chambre des communes en 1995. L’honorable sénateur Oliver en a fait de même au Sénat en 2008, et nous voici aujourd’hui en mesure de tenir une audience précise sur l’expérience des Noirs au Canada.
Manifestement, nous avons manqué de temps, mais nous avons entendu des récits captivants de la part de tous nos témoins. Ils nous ont fait d’excellentes recommandations dont nous tiendrons compte. Une chose qui est pour moi une évidence est que nous avons essayé de lutter contre ces problèmes systémiques avec des solutions individuelles, mais il est clair qu’il nous faut des solutions institutionnelles pour régler des problèmes systémiques et institutionnels de longue date.
Manifestement, le Mois de l’histoire des Noirs n’est pas seulement une occasion pour nous de réfléchir à l’histoire et aux contributions des Canadiens noirs au pays. Pour citer le premier ministre, Justin Trudeau, « L’histoire des Noirs fait partie intégrante de l’histoire du Canada », mais c’est aussi une occasion pour nous de songer aux mesures que nous devons prendre pour reconnaître la diversité des Africains chez nous.
Nous sommes un peuple diversifié, et après avoir reconnu la complexité des questions auxquelles les particuliers, les familles et les communautés sont confrontés, je pars aujourd’hui remplie d’espoir grâce à vos témoignages. J’ai bon espoir qu’ensemble, nous pouvons combattre le racisme et la discrimination systémiques anti-Noirs dans ce pays et que nous arriverons à le faire. Cependant, il est évident que nous devons former des partenariats. Je pense que les questions que les sénateurs ont posées aujourd’hui témoignent de leur engagement à suivre cette voie avec nous, à prendre part à la conversation nationale et aussi à la conversation mondiale qui mèneront au changement.
Cela étant dit, je tiens à remercier tous ceux qui nous ont rejoints en direct sur Facebook pour regarder notre séance. Je tiens aussi à remercier ceux qui nous regardent à la maison. Je souhaite souligner la présence dans l’auditoire de deux visiteuses sur la Colline : Alice Wairimu Nderitu, conseillère principale au Centre pour le dialogue humanitaire. Merci d’avoir pris le temps de venir malgré votre horaire chargé. Elle est l’invitée de Shaheen Nanji, directrice de l’engagement communautaire international à l’université Simon Fraser.
Merci à tous.
(La séance est levée.)