Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 26 - Témoignages du 21 mars 2018


OTTAWA, le mercredi 21 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Avant de commencer, j’ai une demande à faire aux sénateurs. Est-il convenu qu’aux fins de notre audience publique qui se tiendra le 26 mars à Halifax, le quorum soit de trois membres du comité?

Des sénatrices : D’accord.

La présidente : Merci beaucoup.

J’inviterai les sénatrices à se présenter, et nous allons commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La présidente : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse, et je suis présidente du comité. Bienvenue.

Pour notre premier groupe de témoins de la journée, nous sommes heureuses d’accueillir, par vidéoconférence, Mme Emma Halpern, directrice générale de la Société Elizabeth Fry de la Nouvelle-Écosse continentale, ainsi que M. Fred Sanford, vice-président de la Société John Howard de la Nouvelle-Écosse.

Nous éprouvons habituellement des problèmes avec la vidéoconférence. J’espère que nous n’en aurons pas aujourd’hui. Madame Halpern, vous avez la parole en premier.

Emma Halpern, directrice générale, Société Elizabeth Fry de la Nouvelle-Écosse continentale : Merci beaucoup. Je m’excuse de devoir comparaître par vidéoconférence. En raison de la date de la séance, je suis encore ici, en Nouvelle-Écosse. Mais, je vous remercie de cette occasion.

Bonjour, mesdames les sénatrices. Comme l’a indiqué la sénatrice Bernard, je suis la directrice générale de la Société Elizabeth Fry de la Nouvelle-Écosse continentale. Je suis également représentante régionale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry dans la région de l’Atlantique.

La Société Elizabeth Fry de la Nouvelle-Écosse continentale s’attaque aux problèmes systémiques qui criminalisent les femmes et les filles de notre province. Nous comptons trois piliers de travail principaux. L’un d’entre eux est le logement, et nous administrons une maison pour les femmes en transition à leur sortie de prison. Nous offrons des programmes de soutien, ainsi que des services d’aide juridique.

Nos clientes font partie des femmes les plus marginalisées et vulnérables de notre région. Elles affichent des taux très élevés de traumatisme, de problèmes de santé mentale et de dépendance. La grande majorité des crimes qu’elles ont commis sont des infractions mineures contre les biens et des infractions non violentes en matière de drogue. Nombre des femmes auprès de qui nous travaillons ont des problèmes liés à l’itinérance, ont des démêlés avec les services de protection de l’enfance, n’ont pas d’emploi stable et font face à du racisme et à de la discrimination systémiques au quotidien.

En tant que représentante régionale de l’ACSEF — l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry —, je surveille également les conditions de détention à l’Établissement Nova, qui est la prison fédérale pour femmes de l’Atlantique, ainsi que dans les prisons provinciales. À ce titre, je me rends dans une prison presque une fois par semaine, et je passe beaucoup de temps auprès de femmes qui sont incarcérées et qui ont récemment été libérées. Ma déclaration d’aujourd’hui est issue de mon expérience de travail en étroite collaboration avec les femmes que nous servons. Je ferai de mon mieux pour rendre justice à leur vécu et pour souligner les principaux problèmes qu’elles soulèvent auprès de moi.

J’aborderai les trois principaux sujets. Le premier, c’est la surreprésentation des femmes autochtones que nous observons dans nos prisons. Le deuxième, c’est notre appel à l’interdiction du recours à l’isolement et le besoin de solutions de rechange, surtout pour celles qui ont de graves problèmes de santé mentale. Le dernier est un problème propre à l’Atlantique, c’est-à-dire que nous affichons les taux les plus élevés de révocation de liberté conditionnelle au pays.

Au Canada, les femmes autochtones sont incarcérées à un taux alarmant, et je sais que vous êtes au courant de cette situation, compte tenu des témoins qui ont comparu précédemment devant vous. Cette situation est due en grande partie au fait que l’on n’a pas réglé le problème lié à la marginalisation socioéconomique que vivent les Autochtones en conséquence des pensionnats, de la rafle des années 1960 et d’un héritage continuel de colonialisme. Dans le cadre de l’appel à l’action no 30, la Commission de vérité et de réconciliation du Canada a demandé aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de s’engager à éliminer la surreprésentation des Autochtones en incarcération au cours de la prochaine décennie. Je crois qu’il s’agit véritablement d’un problème de première importance lié aux droits de la personne qui requiert une approche à plusieurs volets. Je vais faire quelques suggestions.

Premièrement, d’après mon expérience, je pense qu’il faut établir une formation obligatoire pour les juges et même certains procureurs de la Couronne qui sont responsables de déterminer la peine dans le cas d’Autochtones. Cette formation doit comprendre les réalités historiques et actuelles des Autochtones et les conséquences de l’incarcération sur les collectivités autochtones.

Deuxièmement — également au sujet de la détermination des peines —, notre système de justice doit mieux comprendre le vécu des Autochtones de notre pays. Ce serait possible grâce à l’utilisation obligatoire des rapports Gladue et l’affectation de ressources appropriées pour qu’on puisse assurer l’accès à ces rapports au pays. Cette suggestion concorde avec l’alinéa 718.2e) du Code criminel.

Troisièmement, même lorsque les juges tiennent compte des facteurs Gladue, l’application des peines minimales obligatoires a fait augmenter la représentation des femmes autochtones dans les prisons parce qu’elle prive les juges de la capacité d’envisager des degrés de culpabilité inférieurs relativement à une infraction. C’est particulièrement remarquable dans les cas où l’accusée a pris part à une infraction commise par son conjoint, situation que nous observons souvent dans le cas de nos clientes, et où elle agit relativement à une infraction commise contre elle-même ou son enfant.

Dans le cas de celles qui sont déjà incarcérées, les articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permettent le transfert de ressources vers des collectivités autochtones afin que des personnes qui, autrement, seraient incarcérées dans un établissement fédéral puissent retourner dans leur collectivité. Ces articles de la loi favorisent la réinsertion sociale de manières qui peuvent profiter à la personne et à la collectivité dans son ensemble. Malheureusement, toutefois, ces articles sont grandement sous-utilisés. Le SCC a la possibilité d’apporter un changement réel pour les prisonniers autochtones en mettant en œuvre adéquatement les articles 81 et 84 de la LSCMLC.

Mon prochain sujet est l’isolement. Je suis certaine que vous savez que l’isolement est à la fois un état et un endroit. On peut être isolé dans sa cellule, dans une unité résidentielle, et voir sa liberté être limitée de façon importante, mais il est également possible d’être placé dans une cellule désignée à des fins d’isolement et de se voir accorder très peu de temps à l’extérieur de cette cellule, dans une pièce commune. Ces deux situations décrivent un état d’isolement.

Toutes les femmes auprès de qui j’ai travaillé et qui ont passé de longues périodes en isolement présentent des problèmes de santé mentale invalidants, et ce, sans exception. Tant que l’isolement sera une possibilité, on l’utilisera par défaut dans le cas de celles qui sont considérées comme difficiles à gérer. Selon mon expérience, il s’agit de celles qui ont d’importants problèmes de santé mentale, et l’isolement empire de façon considérable la plupart des problèmes de santé mentale. Ce n’est pas un traitement, et il y a d’autres options. L’article 29 de la LSCMLC permet aussi au SCC de transférer des personnes ayant des problèmes de santé mentale vers des établissements de santé qui sont conçus pour offrir le soutien et les soins dont elles ont besoin. Mais, encore une fois, l’article 29 est sous-utilisé.

En réalité, les unités à sécurité maximale des prisons fédérales pour femmes sont une forme d’isolement, à notre avis. Les femmes incarcérées dans ces établissements sont soumises à des conditions punitives très contraignantes, différemment des hommes, et sont isolées de la population générale dans de petites sous-unités sous haute surveillance. Les femmes sont généralement enfermées dans ces sous-unités pour des périodes allant jusqu’à 23 heures par jour. Il s’agit d’une forme d’isolement, et les femmes peuvent passer des années dans ce milieu.

Le dernier aspect que j’aborderai concerne la révocation des libérations conditionnelles dans la région de l’Atlantique. Nos taux de personnes dont la libération conditionnelle est révoquée et qui sont renvoyées en prison pour terminer leur peine comptent parmi les plus élevés. Pourquoi? À notre avis, c’est en raison d’un important manque de financement destiné aux ressources et aux services de soutien offerts dans les collectivités de l’Atlantique. Dans certaines de nos collectivités, nous avons des clientes qui attendent 343 jours pour obtenir un rendez-vous en santé mentale. Je travaille en étroite collaboration avec des clientes qui attendent de nombreuses semaines pour le traitement d’une dépendance, même seulement pour être admises dans un centre de désintoxication. Les femmes qui sont libérées d’office peuvent parfois n’avoir absolument nulle part où aller et se retrouver sans abri; ensuite, bien sûr, elles retournent à leur cycle de criminalité.

Nos perspectives d’emploi sont extrêmement limitées, et la situation est encore plus difficile quand on a un casier judiciaire. La semi-liberté et la libération conditionnelle totale sont rarement offertes dans la collectivité d’origine de la personne, surtout dans le cas des femmes, car elles doivent aller dans un foyer de transition, et il n’y en a que dans certains des centres urbains. C’est malgré le fait que la LSCMLC contient des dispositions qui permettraient aux femmes de rentrer chez elle auprès de leur famille.

À la Société Elizabeth Fry, nous pouvons voir ce dont ont besoin les femmes tous les jours pour connaître du succès au sein de leur collectivité. Elles ont besoin de thérapie traumatologique, de services de santé mentale et de traitement des dépendances, d’un accès bon et adéquat à des soins de santé, d’un logement sûr et sécuritaire et d’un accès à l’emploi. Cela pourrait exiger une suspension du casier, qui pourrait être tout à fait hors de portée. Elles ont besoin de services globaux, de mentorat et d’une orientation offerte par la collectivité. En fin de compte, elles doivent profiter de liens avec leur famille et leurs amis et avec des organisations bienveillantes qui leur permettent d’être soutenues et réconfortées. Voilà de quoi elles ont besoin. Elles n’ont pas à être incarcérées.

La présidente : Merci beaucoup, madame Halpern. Nous allons maintenant entendre le témoignage de M. Sanford, puis nous passerons aux questions.

Fred Sanford, vice-président, Société John Howard de la Nouvelle-Écosse : Bonjour, mesdames les sénatrices. Je vous remercie de me donner la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui. Comme l’a mentionné la sénatrice Bernard, je suis le vice-président de la section néo-écossaise de la Société John Howard.

Pour vous donner une idée de la population et de l’infrastructure judiciaire de notre province, la Nouvelle-Écosse est la septième province la plus populeuse au Canada, avec un nombre d’habitants estimé à 957 600 en 2017. Sa population ne compte que pour 3 p. 100 de celle du Canada. La densité de population est d’environ 17,2 personnes par kilomètre carré. Environ 60 p. 100 de la population vit dans les régions rurales de la province. On y dénombre approximativement 2 000 agents de police, répartis de façon presque égale entre les forces municipales et la GRC. La Nouvelle-Écosse compte quatre centres de détention provinciaux pour adultes et un centre de détention juvénile. Deux centres de détention fédéraux s’y trouvent également.

Les services correctionnels font partie des secteurs d’activité de base du ministère de la Justice néo-écossais. Ces services sont responsables de l’administration et de la prestation des programmes et des services offerts dans la collectivité et dans les établissements de détention aux adultes et aux jeunes incarcérés. Le secteur d’activité de base des services correctionnels comporte deux programmes; les services correctionnels communautaires et les établissements correctionnels.

Les activités de base liées aux services correctionnels communautaires consistent à fournir des renseignements afin d’aider les tribunaux dans le cadre des processus de détermination de la peine, à administrer et à superviser les peines à purger dans la collectivité prononcées par les tribunaux, à réduire le fardeau judiciaire en favorisant la déjudiciarisation grâce aux programmes de justice réparatrice et à offrir des programmes qui tiennent compte des facteurs criminogènes dynamiques visant à faciliter la réinsertion sociale réussie des délinquants dans la collectivité.

Les activités de base menées dans le cadre du programme des établissements correctionnels consistent à fournir un lieu de détention sûr et sécuritaire, à orienter et à surveiller les personnes en détention ainsi qu’à offrir des programmes qui tiennent compte des facteurs criminogènes dynamiques visant à faciliter la réinsertion sociale réussie des délinquants dans la collectivité.

Même si le taux de criminalité de la Nouvelle-Écosse affiche une diminution stable depuis cinq ans, le nombre d’admissions dans les établissements correctionnels pour adultes est demeuré relativement stable. Le nombre quotidien moyen de personnes en détention en 2017 était de 489, comparativement à 492, en 2012. La durée moyenne de l’incarcération est demeurée inchangée au cours des cinq dernières années, soit 40 jours.

Le taux d’incarcération des jeunes affiche une diminution stable depuis cinq ans; il est passé d’un nombre quotidien moyen de 49, en 2012, à 23, en 2017. La durée moyenne de l’incarcération est demeurée relativement stable; elle est passée de 54 jours, en 2012, à 53 jours, en 2017.

Parmi les établissements fédéraux, on retrouve l’Établissement de Springhill, un établissement à sécurité moyenne situé dans la ville de Springhill, en Nouvelle-Écosse. Il a ouvert ses portes en 1967, et il s’agit du plus grand établissement correctionnel clôturé, sa capacité pondérée étant d’environ 450 détenus. Cet établissement est constamment à pleine capacité ou presque.

L’Établissement Nova pour femmes est un établissement à niveau de sécurité multiples; on y trouve des unités à sécurité moyenne, minimale et maximale. Il est situé à Truro, en Nouvelle-Écosse. Il a ouvert ses portes en 1995 et est composé d’unités résidentielles autonomes qui peuvent accueillir 70 détenues et qui sont aussi constamment à pleine capacité.

La Société John Howard de la Nouvelle-Écosse est une organisation provinciale formée au départ en 1950 qui est composée de personnes dont le but est de comprendre les problèmes liés à la criminalité et au système de justice pénale et d’y réagir; la société est régie par ces mêmes personnes. Actuellement, notre société compte un siège social à Halifax et deux bureaux satellites situés au Centre et dans le Nord-Est de la Nouvelle-Écosse, où travaillent au total neuf employés, un directeur général et 14 membres du conseil d’administration.

Les bureaux du centre et du nord-est ont conclu des contrats avec le ministère de la Justice et sont responsables d’administrer les programmes de justice réparatrice provinciaux. Parmi les autres programmes mis en œuvre, mentionnons les placements professionnels dans la collectivité, le programme de maintien des acquis dans la collectivité, les suspensions de casier, la surveillance des libérés conditionnels et les évaluations communautaires. Nous disposons également d’un solide corps de bénévoles qui offrent du soutien aux détenus au moyen de programmes de yoga et de jardinage, d’un club de lecture et d’aide en matière d’emploi et d’orientation dans la collectivité.

Comme dans le cas de nombreuses organisations sans but lucratif, l’obtention d’un financement durable compte parmi nos problèmes majeurs. Nous dépendons beaucoup des subventions et des collectes de fonds, et la prestation de services dans le cadre de nos programmes peut devenir extrêmement compromise en raison d’un manque de fonds.

Nous sommes conscients d’un grand nombre de défis auxquels font face nos systèmes correctionnels, aux échelons provincial et fédéral. Durant les 10 années de l’ancien gouvernement Harper, une approche de répression de la criminalité a été adoptée, et on faisait valoir que les peines étaient devenues trop clémentes et que les droits des accusés et des personnes reconnues coupables leur étaient accordés aux dépens des victimes et des citoyens respectueux de la loi. Durant cette décennie au pouvoir, le gouvernement conservateur a adopté des dispositions législatives visant à rendre les conditions carcérales plus austères, a imposé des périodes d’incarcération plus longues, a étendu de façon importante la portée des peines minimales obligatoires et a réduit les possibilités d’avoir recours à la mise en liberté sous condition, à la libération conditionnelle et à d’autres solutions de rechange à l’incarcération.

La population carcérale a subi plusieurs conséquences négatives au cours de cette période. L’une d’entre elles est la surreprésentation des prisonniers noirs et autochtones dans le système. Même si les Autochtones comptent pour environ 4 p. 100 de la population en général, les détenus autochtones représentent maintenant 25 p. 100 de la population carcérale fédérale. Les détenus noirs comptent pour 10 p. 100 de la population carcérale, mais les Noirs ne comptent que pour 3 p. 100 de la population canadienne en général. Le nombre de femmes incarcérées — surtout des femmes autochtones, qui représentent maintenant 30 p. 100 de la population carcérale féminine — a également augmenté de façon marquée.

Des tendances semblables ont été observées dans le système provincial. En Nouvelle-Écosse, les Autochtones comptent pour 6 p. 100 de la population, mais pour 10 p. 100 des détenus après condamnation. Les Afro-Néo-Écossais comptent pour 2 p. 100 de la population, mais pour 14 p. 100 des personnes mises en détention.

En outre, au cours de la période en question, l’accès à la mise en liberté sous condition et à la libération conditionnelle a diminué de façon importante. Le SCC et la Commission des libérations conditionnelles du Canada sont devenus réfractaires au risque, et la responsabilité de chaque établissement a diminué lorsqu’il s’agit de prendre des décisions au sujet de la mise en liberté sous condition.

Les volets de financement des services correctionnels ont également changé depuis qu’on a davantage mis l’accent sur la répression de la criminalité. Même si, dans l’ensemble, le financement des services correctionnels a augmenté, la majeure partie des fonds sont destinés à des investissements dans la sécurité. Le financement de quoi que ce soit d’autre que la sécurité, comme les programmes de base, les services de santé mentale, les initiatives de réduction des méfaits et les initiatives de formation et d’emploi semble être moins prioritaire durant une ère de répression de la criminalité.

En Nouvelle-Écosse, de 2012 à 2017, les dépenses brutes ont augmenté d’environ 11,1 millions de dollars — ou 19 p. 100 —, malgré le fait que le nombre d’admissions dans les établissements n’a pas augmenté de façon importante. La plus grande partie de ce financement a été orientée vers des initiatives de dotation et de sécurité. Il faut orienter davantage de ressources vers des services efficaces d’assistance postpénale pour les détenus. Si on veut que les efforts de réinsertion sociale réussissent, il faudra financer davantage de programmes visant à régler les problèmes sur les plans du logement, de la littératie, de l’emploi et de la dépendance.

Le soutien et le traitement des détenus ayant des problèmes de santé mentale est un autre domaine où ces changements ont eu un effet important. Le financement des services de santé mentale dans la collectivité affiche une diminution stable; en conséquence, des personnes ayant des problèmes de santé mentale majeurs se retrouvent dans le système. Les recherches ont montré qu’on ne peut pas traiter avec succès les problèmes de santé mentale en prison. Il faut s’y attaquer dans la collectivité. La prison est un endroit dur pour les faibles. Les personnes atteintes de maladie mentale se font harceler et intimider jusqu’à ce qu’on doive les isoler, ce qui mène aux problèmes que nous avons observés dans le cas de l’isolement cellulaire. Les cas comme ceux d’Ashley Smith et d’Edward Snowshoe font ressortir la gravité de ce problème.

La décision récemment rendue par un tribunal de la Colombie-Britannique, qui découlait de la demande présentée par la Civil Liberties Association de cette province et par la Société John Howard du Canada, contribuera grandement à apporter les améliorations dont on a grandement besoin en ce qui a trait au traitement des personnes vulnérables.

Nous reconnaissons que le gouvernement actuel s’affaire à améliorer le système, mais nous voudrions souligner l’importance d’adopter de nouvelles dispositions législatives visant à imposer une durée maximale et une surveillance relativement à l’isolement cellulaire et le besoin d’investir des sommes importantes dans le traitement de la maladie mentale. Nous devons tous collaborer afin de régler les problèmes auxquels nous faisons face dans nos systèmes correctionnels actuels.

Grâce à un financement et à un soutien appropriés, les organisations comme la Société John Howard peuvent devenir des partenaires clés pour ce qui est de réaliser les changements qui sont requis afin de s’assurer que les personnes qui sont dans notre système pénitentiaire sont traitées de façon juste et humaine et que l’on se concentre davantage sur la réduction des cas de récidive au profit de tous nos citoyens. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Sanford.

La sénatrice Ataullahjan : Merci à vous deux de votre témoignage. J’ai deux ou trois questions à poser à la représentante de la Société Elizabeth Fry. Les taux d’isolement sont plus élevés dans la région de l’Atlantique. La situation a-t-elle changé depuis l’adoption des nouvelles règles, en août 2017?

Mme Halpern : Encore une fois, je ne peux parler que de l’établissement pour femmes. Je ne vais pas dans les établissements pour hommes, et je n’ai pas une bonne idée de ce que vivent les détenus de sexe masculin. Je passe pas mal de temps à Nova. Ce que je dirais, c’est que j’ai assurément observé moins de longs séjours pour les personnes qui sont en isolement disciplinaire. Toutefois, en ce qui concerne l’isolement préventif, et plus particulièrement en ce qui a trait à la santé mentale, je ne constate aucun changement du point de vue du nombre de jours que les femmes auprès de qui nous travaillons passent en isolement. Ce qui me préoccupe, c’est que les femmes auprès de qui nous travaillons sont celles qui passent de longues périodes en isolement parce qu’elles se sont automutilées, ont des idées suicidaires ou sont aux prises avec d’autres problèmes de santé mentale complexes.

La sénatrice Ataullahjan : Alors, aucune aide spéciale n’est offerte à ces femmes? Que vous dit-on quand vous êtes là-bas? Si vous posez les questions, quelle réponse obtenez-vous?

Mme Halpern : Eh bien, il y a certes un certain accès à des soins en santé mentale. Il y a un psychologue sur place, il y a des travailleurs sociaux. Il est possible de prendre des rendez-vous. Les femmes sont censées être à l’étape du triage, et c’est le cas. Certaines femmes obtiennent un meilleur accès aux rendez-vous en santé mentale que d’autres. Voilà les services qu’elles peuvent obtenir à l’intérieur.

J’ai travaillé pendant un certain nombre de mois en étroite collaboration avec une femme qui avait récemment été transférée. Elle a passé de nombreuses semaines en isolement et a récemment été transférée vers l’établissement psychiatrique régional de Saskatoon, en Saskatchewan. Alors, il s’agit d’une autre option. Il y a Pinel et les établissements psychiatriques régionaux.

L’Institut Philippe-Pinel, à Montréal, ne prend pas en charge les cas où la femme a fait face à de la violence; ainsi, lorsqu’une personne fait une crise, par exemple, et qu’elle détruit des biens, cela peut limiter sa capacité d’aller à Philippe-Pinel, ce qui est malheureux, car il s’agit d’un contexte plus hospitalier, d’un centre de traitement, et j’ai constaté que le séjour de certaines des femmes qui y sont allées s’était soldé par un succès.

Alors, voilà les options qui sont offertes. Il est possible d’obtenir un rendez-vous en santé mentale à l’intérieur. Ensuite, les délinquantes pourraient être transférées, volontairement ou pas, vers un autre établissement.

Bien entendu, nous exerçons des pressions afin que l’article 29 soit utilisé pour que des femmes soient transférées vers un établissement médico-légal. En fait, il est possible, grâce à une entente avec la province, de les transférer vers l’établissement médico-légal provincial. C’est une option. À notre connaissance, ces transfèrements ne se font pas, mais il pourrait s’agir d’une option. D’autres endroits qui sont désignés aux fins de la prestation de soins en santé mentale pourraient aussi être appropriés. Comme l’a indiqué mon collègue, M. Sandford, nos prisons fédérales ne sont pas conçues à cette fin. Ce ne sont pas des établissements psychiatriques. Ils ne sont pas conçus pour offrir des traitements en santé mentale. Par conséquent, on a souvent recours à l’isolement pour gérer les comportements, en fin de compte. Selon mes observations, et dans le cas des femmes avec lesquelles j’ai travaillé en étroite collaboration, l’isolement empire la situation. Quand on est aux prises avec une grave dépression, puis qu’on est enfermée dans une cellule, souvent 23 heures par jour, même si on a accès à un rendez-vous en santé mentale une fois par semaine, voire même tous les deux ou trois jours, dans le meilleur des cas, nombre des facteurs qui déclenchent les problèmes de santé mentale ne sont pas atténués et sont souvent empirés par les conditions dans lesquelles on se trouve, par l’absence de contact humain, par exemple, et par le fait de vivre un isolement extrême.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Sanford, j’allais vous poser une question au sujet de la situation en ce qui a trait aux soins offerts en santé mentale. Selon votre témoignage, vous estimez que les problèmes de santé mentale ne peuvent être traités avec succès en prison. Il semble — à la simple écoute du témoignage — que, s’il y a un problème, si une personne présente de graves problèmes de santé mentale et qu’on ne sait pas quoi faire, on la met en isolement, alors que ce n’est pas la chose à faire. Que peut-on faire, et quels changements voudriez-vous voir apportés?

M. Sanford : Eh bien, comme je l’ai dit, la prison ne fait rien pour contribuer à régler les problèmes de santé mentale. Si elle fait quoi que ce soit, c’est empirer la situation. En Nouvelle-Écosse, au cours des dernières années, nous avons mené un projet pilote de tribunal de la santé mentale, qui a connu un certain succès pour ce qui est de déjudiciariser les gens et de faire en sorte qu’ils reçoivent un traitement et recevoir d’autres services dans la collectivité. Malheureusement, ce n’est qu’un projet pilote mené à Halifax actuellement, mais il s’avère être très fructueux. En outre, à Halifax, l’un de nos plus récents établissements comporte une unité médico-légale rattachée à la prison en tant que telle, alors certains traitements en santé mentale sont offerts. Toutefois, ce n’est pas du tout suffisant.

Un incident tragique est survenu à Halifax, il y a un certain nombre d’années, quand une personne est décédée à l’intérieur de l’établissement correctionnel du Centre de la Nouvelle-Écosse après une interaction avec des gardiens de la prison, et une enquête judiciaire a été menée en Nouvelle-Écosse. Il a été déterminé que l’homme n’aurait jamais dû être incarcéré. Il présentait de graves problèmes de santé mentale et il aurait dû recevoir un traitement au lieu d’être incarcéré.

Je dirais que les deux volets consistent à tenter de déjudiciariser les gens en amont afin qu’ils ne se retrouvent pas dans le système, puis d’offrir beaucoup plus de services de soutien et de traitement, en plus d’avoir la capacité de faire libérer ces personnes et de leur offrir un traitement dans la collectivité.

La sénatrice Ataullahjan : Le comité s’est rendu à l’Établissement Grand Valley, où on offre un programme appelé Walls to Bridges, qui offre aux détenues la possibilité de suivre des cours universitaires. Nous avons entendu dire que ce programme est très fructueux et que les personnes qui ont suivi ces cours universitaires étaient moins susceptibles de récidiver. Quel genre de cours offrez-vous? Si vous en offrez, dans quelle mesure sont-ils fructueux? Je m’adresse à celui ou celle qui voudra bien répondre à la question. Dans les Maritimes, est-il possible pour les prisonniers ou les détenus de suivre des cours, des cours universitaires? Nous avons entendu dire que ce programme est une grande réussite. Nous avons entendu des témoignages selon lesquels les personnes qui ont suivi ces cours sont moins susceptibles de récidiver.

Mme Halpern : Je peux parler de la situation ici, à Nova, et un peu dans nos prisons provinciales. Pour autant que je sache, les programmes sont plus nombreux à l’échelon provincial. À la Société Elizabeth Fry, nous offrons un programme de bourses permettant de suivre des cours et nous contribuons au financement de cours destinés aux femmes qui souhaitent en suivre tout un éventail. De fait, je travaille actuellement auprès d’une femme qui présente une demande d’admission dans une faculté de droit et qui s’intéresse à ce domaine d’étude, et elle a présenté une demande de bourse afin d’obtenir une aide relativement à certains des cours donnés à cette faculté.

Je suis d’accord pour dire qu’il doit y avoir un plus grand accès à l’éducation et qu’il s’agit d’une façon très positive de contribuer à soutenir la réinsertion sociale et à réduire le risque de récidive, car il est certain que l’éducation peut contribuer à l’établissement d’un lien avec la collectivité et fournir une part du soutien nécessaire en ce qui a trait à l’emploi et à des choses de ce genre.

Nous n’offrons pas de programme semblable à celui qui est offert à Grand Valley, alors il y a une certaine indépendance du point de vue financier. Des cours sont offerts par l’intermédiaire de l’école. Encore une fois, c’est à Nova. On peut présenter une demande pour suivre des cours universitaires à l’extérieur, mais le financement peut parfois être prohibitif.

À l’échelon provincial, un nouveau programme a été lancé par notre collège communautaire, et on est en train de mettre sur pied une initiative dans le cadre de laquelle les personnes incarcérées dans nos établissements provinciaux pourront accéder à des cours par l’intermédiaire du collège communautaire et continuer à les suivre une fois qu’elles seront libérées et, de fait, terminer en quelque sorte leurs études. On envisage même d’offrir un certain genre de services intégrés afin de se pencher sur toutes les choses dont la personne aurait besoin à sa sortie de prison pour réussir à terminer un programme au collège communautaire, alors même sur des choses comme le logement — évidemment, quand on a des choses comme un logement, on peut terminer ses études —, le financement et tout cela. Il s’agit d’un programme très complet. Il est tout nouveau et il vient d’être lancé.

Je pense que nous devons voir davantage de ces programmes, de partenariats avec les universités et les collèges communautaires et de possibilités de commencer un programme à l’intérieur des prisons pour le poursuivre dans la collectivité, quand on quitte définitivement l’établissement ou au moyen de permissions de sortir, par exemple. On pourrait mettre en place des solutions qui permettraient de sortir pour suivre un cours, de se présenter pour subir un examen, et des choses de ce genre. Alors, en réalité, je souscris entièrement à l’opinion selon laquelle il est important pour la réinsertion sociale que l’on fasse preuve de créativité au moment d’appuyer ces initiatives.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Je viens des Maritimes, alors je suis heureuse d’accueillir des gens de cette région parmi nous. La semaine prochaine, nous partirons en mission dans les prisons du Canada atlantique, et nous aurons l’occasion de visiter Nova et Springhill également.

J’ai une question au sujet du rôle de parent. Dans le cadre de mon ancien emploi, j’ai beaucoup travaillé auprès de parents, et nous recevions beaucoup de cas qui nous étaient adressés par Nova. Les parents sortaient afin de suivre des cours d’éducation parentale. Je me demande simplement si des enfants restent aussi à Nova. Est-ce que cela fait partie du programme?

Mme Halpern : Oui, le Programme mère-enfant est offert dans toutes les prisons fédérales pour femmes. Si vous avez un enfant âgé de moins de quatre ans, vous pouvez demander à l’avoir auprès de vous par l’intermédiaire de ce programme. Je ne peux pas vous donner de chiffres en ce qui concerne le total national pour l’instant, mais je peux vous dire que, il y a environ un an, j’ai observé la situation dans l’ensemble du Canada, et Nova comptait le plus grand nombre de femmes participant au Programme mère-enfant à ce moment-là. C’était trois mères et trois enfants. Alors, il s’agit encore une fois d’un programme sous-utilisé.

Des raisons complexes expliquent cette situation. Parfois — à tout le moins, ici, à Nova —, c’est difficile, parce qu’il faut obtenir une approbation du ministère des Services communautaires, par l’entremise de l’Agence de protection de l’enfance, et le délai d’attente peut parfois être long avant que les travailleurs sociaux interviennent, qu’ils approuvent le placement, et ainsi de suite. Certains problèmes procéduraux nuisent parfois à l’accès au programme.

Cela dit, j’ai travaillé en très étroite collaboration avec quelques mères, dont trois ont donné naissance pendant qu’elles étaient incarcérées à Nova et, à la suite de la naissance de leur enfant, elles ont pu présenter une demande d’inscription au Programme mère-enfant et s’organiser pour que le bébé reste avec elle.

Nous avons également accès à des doulas qui viennent travailler auprès de la mère avant la naissance du bébé, puis pendant la période de six semaines à deux mois suivant sa naissance. Il s’agit donc d’un volet nouvellement instauré à Nova.

Le programme est très fructueux pour celles qui peuvent y accéder, et nous observons d’excellents résultats du point de vue des liens entre les mères et les bébés et, à long terme, de la possibilité pour les femmes de garder leur enfant auprès d’elles et de ne pas se le faire retirer par les agents de protection de l’enfance, ce qui est arrivé et peut arriver dans les cas où l’enfant est retiré, et il peut souvent être pris en charge, s’il ne peut pas être auprès de la mère dans le cadre du programme.

La sénatrice Hartling : Monsieur Sanford, savez-vous si des services de soutien sont offerts aux pères incarcérés à Springhill ou dans d’autres établissements? Nous avons lancé une initiative à Dorchester — Support for Dads — parce qu’il importe que les deux parents reçoivent du soutien lorsqu’ils sont incarcérés. Savez-vous s’il y a quoi que ce soit à Springhill?

M. Sanford : Non, madame la sénatrice, je ne sais pas si un tel programme y est offert.

La sénatrice Hartling : Il y en a un à Dorchester. Certains pères de Moncton y participent, et ils affirment qu’il est très efficace. Les pères veulent parler de leur absence de la vie de leurs enfants et des façons de garder le contact. À votre connaissance, rien n’est offert. Peut-être que nous chercherons à en apprendre davantage à ce sujet quand nous y serons.

La sénatrice Andreychuk : Merci de comparaître devant le comité. Madame Halpern, vous avez évoqué l’arrêt Gladue, et vous avez parlé de certaines complications. Pourriez-vous répéter cette déclaration? Je n’ai pas tout à fait compris à quoi vous vouliez en venir au moyen de cette affirmation.

Mme Halpern : En conséquence de l’arrêt Gladue et de l’inclusion de l’alinéa 718.2e) dans le Code criminel, on peut demander un rapport Gladue au nom de la défense, si le client est un Autochtone. Ce sont des rapports très détaillés qui étudient vraiment le passé de la personne, son vécu, ses antécédents familiaux en ce qui a trait aux pensionnats, son expérience dans sa collectivité, les problèmes auxquels elle pourrait avoir fait face en tant que personne, ainsi que sa famille et son histoire. Il s’agit de rapports longs et très complets.

Ici, en Nouvelle-Écosse, nous avons le Mi’kmaw Legal Support Network, qui est financé, du moins en partie, dans le but de fournir ces services, et les intervenants de ce réseau d’aide juridique travaillent avec la personne pour effectuer cette recherche complète. Ce rapport fait ensuite partie du processus décisionnel au moment de la détermination de la peine. On peut ainsi s’assurer du mieux qu’on peut que l’incarcération est, conformément à cette disposition du code, un dernier recours absolu et qu’on examine les ressources communautaires appropriées qui pourraient offrir à la personne des services de réadaptation, de réinsertion sociale, et ainsi de suite.

Ainsi, le rapport Gladue est un élément essentiel permettant de comprendre qui est la personne en question et quelle a été son expérience dans la collectivité et de s’assurer que la peine est vraiment appropriée dans ce cas.

L’un des défis tient au fait que, comme ils ne sont pas obligatoires, les rapports ne sont pas produits régulièrement. Je pense qu’en Nouvelle-Écosse, le nombre de rapports Gladue que nous produisons pour des Autochtones est parmi les plus élevés et qu’ils sont moins nombreux dans d’autres régions du pays. En outre, bien entendu, ils coûtent cher. Alors, il s’agit également d’un problème de ressources. Le Mi’kmaw Legal Support Network affirme avoir de la difficulté, même lorsque les rapports sont demandés, à les faire rédiger parce qu’il ne dispose pas de ressources appropriées pour pouvoir s’assurer que ces rapports sont rédigés. Je dirais qu’ils sont essentiels en ce qui concerne la détermination de la peine des Autochtones et qu’ils nous aideront vraiment à répondre à l’appel à l’action no 30.

De façon plus générale, on tient compte des facteurs Gladue. Ce sont des facteurs exposés dans l’arrêt en question, que nous examinons et qui nous aident à comprendre la situation complexe d’un Autochtone qui se présente devant le tribunal. Ces facteurs devraient être pris en compte, qu’un rapport ait été produit ou non, et ils peuvent et devraient être présentés par la défense. Toutefois, même cela n’a pas lieu tout le temps. Il s’agissait là de mes commentaires.

La sénatrice Andreychuk : Les ressources dont une personne particulière a besoin sont-elles disponibles, ou bien les rapports Gladue tiennent-ils vraiment compte de ce qui existe?

Mme Halpern : C’est une question intéressante. La réponse, c’est que vous avez tout à fait raison et que les ressources ne sont pas entièrement là. Nous avons besoin dans nos collectivités de plus de soutien et de services adaptés à la culture qui tiendraient compte de tous les éléments, de la santé physique et mentale au logement, en passant par le soutien de la réinsertion sociale. Nous avons besoin d’organismes communautaires mieux dotés en ressources qui servent les communautés autochtones, afro-néo-écossaises et racialisées, en général, et il s’agit souvent d’un défi. La Société Elizabeth Fry fait face à ce défi ainsi qu’au manque d’accessibilité dans nos collectivités du soutien et des ressources nécessaires et, plus particulièrement, d’un soutien et de ressources adaptés à la culture.

Nous avons beaucoup de chance d’avoir le Mi’kmaw Legal Support Network. Ses intervenants font un travail incroyable, mais ils sont assurément surtaxés et doivent relever le défi consistant à répondre aux besoins auxquels ils font face au quotidien.

La sénatrice Andreychuk : Le problème tient en partie au fait que l’incarcération est censée être un dernier recours, mais que c’est parfois le seul recours qu’on a lorsqu’on pondère la protection du public et les autres facteurs. Je pose la question aux deux témoins : les gens à qui vous avez affaire — c’est certainement le cas dans ma région de la Saskatchewan — ont-ils déjà eu des démêlés avec les services sociaux? Ils ont également connu des difficultés à l’école, et cetera. Observez-vous une courbe selon laquelle les services de prévention, ceux qui donnent les signes avant-coureurs, ne sont pas offerts et que les personnes se retrouvent avec des problèmes de maladie mentale, de violence, ou de quoi que ce soit, dans le système correctionnel? Vous attaquez-vous à ce problème d’une quelconque manière qui soit unique en Nouvelle-Écosse?

M. Sanford : Il s’agit certes de la tendance. Les études ont montré que les gens au niveau de scolarité peu élevé sont plus susceptibles d’aboutir dans le système et qu’en général, ils ont eu affaire au milieu des services communautaires. Les problèmes de santé mentale et la dépendance sont un élément important, maintenant. Une grande proportion des personnes qui entrent dans le système ont des problèmes de dépendance.

Je proviens moi-même du milieu policier et, surtout dans le cas des personnes ayant des problèmes de santé mentale, on n’a tout simplement pas les ressources nécessaires dans la collectivité pour s’en occuper, et ces personnes se retrouvent dans le système de justice et sont incarcérées essentiellement parce qu’il n’existe aucun autre moyen approprié de s’en occuper. Nous devons nous rappeler que la sécurité du public doit être la véritable préoccupation.

À mon avis, ce dont on a vraiment besoin, surtout dans le cas des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, c’est de plus de soutien dans la collectivité pour que l’on puisse les détecter et s’en occuper avant qu’elles n’en arrivent au point d’avoir des démêlés avec le système de justice. Je suis certain que des études ont été effectuées, lesquelles nous aideraient à repérer dans notre société les personnes qui sont les plus à risque d’avoir des démêlés avec le système judiciaire. Par ailleurs, une intervention plus précoce profiterait aux deux côtés : le public et les personnes qui entrent dans le système.

Mme Halpern : Je suis d’accord. Dans le cas de la Société Elizabeth Fry, je dirais que je sais de quoi on a besoin pour s’assurer que les femmes auprès de qui nous travaillons ne sont pas incarcérées et qu’elles obtiennent ce dont elles ont besoin dans la collectivité. C’est simplement que, souvent, on ne dispose pas des ressources nécessaires.

La semaine dernière, j’ai travaillé en très étroite collaboration avec une femme qui lutte depuis de nombreuses années contre la dépendance, et elle souhaite suivre un traitement. Nous avons passé 50 minutes au téléphone avec un intervenant d’une ligne d’écoute pour les personnes en situation de crise afin qu’elle puisse obtenir un certain soutien avant de devoir raccrocher. Les services accessibles sont très peu nombreux. Nous n’avons même pas pu la faire inscrire à un programme de désintoxication à l’hôpital dans l’immédiat. Nous attendons des semaines pour obtenir un rendez-vous. Alors, il s’agit d’un manque de ressources communautaires.

Les femmes auprès desquelles nous travaillons ont vécu d’énormes traumatismes dans leur vie, dès l’enfance et après, et elles ne reçoivent pas le soutien dont elles ont besoin pour réussir, travailler et vivre dans la collectivité. C’est là que se retrouvent les lacunes et c’est à cela que nous devrions vraiment consacrer notre temps et notre énergie, dans la collectivité.

La sénatrice Andreychuk : J’allais m’adresser à M. Sanford. J’espère que ce que je vais vous dire ne vous choquera pas. Je crois que vous avez quelques années de plus que Mme Halpern et vous vous rappellerez peut-être les années 1970, quand nous nous demandions pourquoi nous enfermions les gens dans des établissements parce qu’ils avaient des problèmes de santé mentale. Nous avons construit de vastes établissements et il y a eu un mouvement en faveur de la libération des gens enfermés dans ces établissements et de leur intégration dans la collectivité; et c’est ce qui a été fait. Le problème, c’est qu’il n’y avait pas de ressources, y compris des logements, pour ces personnes, et elles ont fini dans la rue. C’est un problème observé à l’échelle de l’Amérique du Nord. Après cela, les gens dans la rue avaient besoin de beaucoup plus de soutien qu’ils n’en recevaient, vraiment. Dans bien des cas, on les laissait se débrouiller par eux-mêmes. Les plus chanceux trouvaient une place dans un établissement.

Il me semble que le problème qui se pose aujourd’hui dans nos prisons tient en partie au fait que ces personnes se sont retrouvées dans la rue sans accès aux ressources que les gouvernements du Canada leur avaient promises et qu’elles ont eu dans la rue des problèmes qui ont fini par les amener vers la criminalité. Nous demandons aujourd’hui de nouveau des services en santé mentale. Jusqu’à quel point pouvons-nous nous attendre à en obtenir?

M. Sanford : Je suis d’accord avec vous à 100 p. 100. Je me rappelle très bien le moment où on a décidé qu’il fallait sortir les gens des établissements psychiatriques parce que, dans bien des cas, c’était la meilleure solution pour une partie des personnes concernées. Au fil des ans, les ressources disponibles ont fondu et aujourd’hui, vous avez raison, ces personnes se retrouvent dans la collectivité sans avoir les compétences ou les ressources nécessaires pour s’y adapter comme il le faut.

Nous avons pris certaines mesures positives, en Nouvelle-Écosse. Nous avons mis sur pied une équipe d’intervention de crise, que nous appelons l’équipe mobile de la santé mentale; elle est formée de cliniciens en santé mentale et d’agents de police en poste dans la collectivité. L’équipe s’efforce d’intervenir rapidement et d’extraire ces personnes du système en leur trouvant un programme de traitement, mais elle ne peut pas en faire plus parce qu’elle n’a pas accès à des installations ou à des ressources qui pourraient s’occuper de ces personnes.

Personnellement, je ne suis pas vraiment convaincu que les ressources existent, dans la collectivité. Si vous parlez aux agents de la paix, ils vous diront que leur plus grand problème, dans leur travail, c’est d’avoir affaire à des personnes qui ont un problème de santé mentale. Les personnes qui ont un problème de santé mentale sont très nombreuses, dans la collectivité, et il n’y a pas de place pour elles. Il arrive souvent que les agents de police qui ont affaire à une personne qui a, ils le savent, un problème de santé mentale, déposeront contre elle des accusations au criminel dans l’espoir de les traduire devant un tribunal et que le tribunal ordonne une évaluation, ce qui leur permettra d’obtenir une certaine forme d’aide, mais c’est au mieux une solution temporaire. Malheureusement, la collectivité ne s’engage pas à long terme envers ces personnes, comme elles en auraient besoin.

La présidente : J’ai une petite question pour vous deux. Notre comité a entendu dire que des organisations communautaires avaient de la difficulté à avoir accès à certains des établissements fédéraux se trouvant dans leur région. J’aimerais savoir si votre organisation respective a vécu ce problème.

M. Sanford : Selon mon expérience au sein de la Société John Howard, je dois répondre que, malheureusement, nous n’avons eu que très peu de contacts avec les établissements fédéraux de la province, sauf avec le principal établissement, Springhill. C’est peut-être un peu de notre faute, nous aurions peut-être pu essayer davantage. Il faut savoir que cet établissement est très loin de notre siège social. Mais je parle seulement pour la Société John Howard. Je ne peux pas vraiment parler pour les autres organisations communautaires et me prononcer sur leur capacité d’ouvrir des portes.

Mme Halpern : Nous avons assez facilement accès aux prisons fédérales et provinciales de notre région; nous sommes donc assez chanceux à ce chapitre. En fait, puisque nous sommes l’organisme régional de défense des droits de l’ACSEF, nous pouvons nous rendre dans tous les établissements fédéraux. Nous faisons des visites mensuelles et nous pouvons visiter les cellules d’isolement, les cellules des secteurs à sécurité maximale, les logements, aussi, et nous nous efforçons le plus possible de rencontrer toutes les femmes emprisonnées.

La seule chose que j’ajouterais, c’est que nous vivons au quotidien avec la peur que cet accès soit, d’une façon ou d’une autre, réduit ou complètement éliminé, parce que cette surveillance est essentielle; nous devons nous rendre dans les établissements et parler régulièrement aux femmes. D’autres organisations ont besoin du même accès. C’est une importance énorme pour le Canada, au bout du compte, et les organisations communautaires doivent pouvoir nouer des relations à l’intérieur des murs. Merci d’avoir posé la question.

La présidente : Merci à vous deux d’être venus témoigner ce matin. Nous apprécions le temps que vous nous avez accordé.

Dans le deuxième groupe de témoins, aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir Claire McNeil, avocate au Service d’aide juridique de Dalhousie, de l’Université Dalhousie, et Vince Calderhead, avocat au sein de la firme Pink Larkin, qui vont témoigner à titre personnel. Bienvenue. Maître McNeil, vous allez commencer; Me Calderhead suivra.

Claire McNeil, avocate, Service d’aide juridique de Dalhousie, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci de nous avoir invités à venir ici aujourd’hui pour discuter avec vous de cette question très importante et de premier plan, les droits de la personne en prison et les enjeux liés à la santé mentale.

Je vais vous parler rapidement de mon bagage : je travaille depuis de nombreuses années pour l’aide juridique et, dans le cadre de mon travail, je me suis surtout occupée d’aider mes clients à obtenir du soutien et des services dans la collectivité. Cela m’a amenée à m’intéresser aux prisons, et je ne sais pas si c’est un indice de nouveaux besoins ou des antécédents des gens, mais j’ai de plus en plus de clients qui sont emprisonnés et qui cherchent un soutien juridique pour connaître leurs droits, et en particulier, ces dernières années, en ce qui a trait à l’isolement cellulaire. Je vais commencer par cela, et je vais pendant la plus grande partie de ma déclaration parler de ce sujet.

Je dois dire que j’ai représenté des personnes incarcérées dans des établissements provinciaux et fédéraux, dans ce dossier, et il me semble que leur situation est assez semblable, peu importe le milieu. Je ne parle pas de l’isolement disciplinaire ou préventif; je parle des détenus qui sont séparés des autres, isolés de la population générale, pour des motifs qui n’ont rien à voir avec des actes qu’ils auraient commis; ils sont plutôt isolés parce que c’est plus commode pour l’établissement ou que cela répond à un besoin de l’administration.

Nous avons connu du succès. Un jeune homme qui s’appelle Dylan Gogan, en particulier, nous a beaucoup aidés, mais ça n’a pas été facile, car c’est le genre de problème qui semble revenir constamment. Bien sûr, il y a eu la Commission Arbour et l’enquête sur l’affaire Ashley Smith. Nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur deux décisions, rendues en Ontario et en Colombie-Britannique, ce qui nous permet de dire que les choses changent.

La question à laquelle vous devez répondre concerne le rôle que le gouvernement fédéral doit assumer pendant qu’on remanie cet aspect des lois. Je dirais pour commencer qu’il existe des obligations internationales, qui découlent des conventions dont le Canada est depuis longtemps signataire et qu’il a ratifiées. Ces obligations sont clairement interprétées dans divers documents, y compris les Règles Mandela adoptées récemment, en 2015. Le gouvernement fédéral pourrait accomplir beaucoup tout simplement en mettant en œuvre ces engagements internationaux, en le faisant directement, de façon que les gens puissent se présenter devant un tribunal et demander eux-mêmes que les droits que leur confèrent ces conventions internationales soient protégés. Actuellement, il faut utiliser un autre moyen, invoquer un des droits de la Charte ou présenter une demande d’habeas corpus, puis faire valoir que les protections prévues par la Constitution doivent être interprétées en conformité avec les conventions internationales. Votre comité pourrait réfléchir à cette question et chercher un moyen de régler plus directement ce problème qui ne cesse de se présenter. Nous voyons ce problème dans les établissements.

En ce qui concerne les droits à l’égalité, je vais parler uniquement des détenus qui ont des problèmes de santé mentale. Pour protéger leurs intérêts, il faut entre autres s’assurer que l’on tient compte de leurs besoins, dans le milieu carcéral, et qu’on adopte une approche vraiment respectueuse des droits de la personne. Un des aspects que les Règles Mandela ont mis en relief, c’est qu’il ne faut pas que les personnes qui ont une déficience mentale soient placées en isolement cellulaire. Et pourtant nous savons que c’est régulièrement le cas, dans les prisons canadiennes. En fait, un nombre disproportionnellement élevé de personnes qui ont une déficience mentale se retrouveraient en isolement. C’est du moins ce que j’ai moi-même observé.

Nous sommes probablement tous d’accord pour dire que nous nous sommes débarrassés en grande partie des établissements, des asiles de pauvres, des institutions pour personnes handicapées — nous l’avons vu, en Ontario, ces établissements ont fermé leurs portes —, mais, au sein du système de justice pénale, nous nous appuyons toujours sur les interventions des institutions, à savoir les prisons et les pénitenciers. Ma question est alors la suivante : comment devons-nous nous y prendre pour nous assurer que ces établissements ne portent pas atteinte aux droits de la personne des détenus ou qu’ils ne les désavantagent pas encore plus? À l’heure actuelle, je dirais que ces établissements ne s’en tirent pas très bien. Je suis certaine que vous avez tous pris connaissance de la décision rendue en janvier en Colombie-Britannique sur les libertés civiles. On y condamne de manière vraiment cinglante ce qui se passe dans les pénitenciers fédéraux, et j’ajouterais qu’il se passe la même chose dans les établissements provinciaux.

Je voulais parler brièvement de la situation des jeunes qui ont une déficience mentale. Je vais vous donner un exemple concret qui concerne la Nouvelle-Écosse. Récemment, un jeune a été placé en isolement préventif, d’une certaine manière. Son isolement a duré longtemps et il était extrême. Dans une décision du tribunal de la jeunesse, on cite un témoin qui a affirmé que cette forme d’isolement était très inusitée. Les faits présentent une très grande ressemblance avec les faits qui ont déclenché l’incident au pénitencier de Kingston, celui sur lequel la juge Arbour s’est penchée : il s’agissait là aussi de détenus qui avaient agressé des gardiens, et l’incident avait eu pour résultat qu’un seul jeune avait été placé dans un établissement pour adultes, pendant plus d’un an, sans avoir de contacts avec quiconque ou avec d’autres détenus. Il ne pouvait communiquer qu’avec ses visiteurs et les gardiens. Le problème de l’isolement préventif est toujours très vif, même dans le cas des jeunes. Nous devons vraiment prendre conscience de ce problème.

En ce qui concerne les établissements fédéraux de la Nouvelle-Écosse, une décision récente, rendue en janvier 2018, porte sur l’isolement préventif pratiqué dans ces établissements; le juge a dit encore une fois que les décideurs ne devraient jamais permettre que des prisonniers soient placés en isolement préventif par commodité, au détriment de leurs intérêts légitimes et de leur liberté, et il a conclu en disant que l’établissement avait commis un acte illégal. La décision a été rendue sur les faits : l’établissement avait décidé de placer des prisonniers en isolement, et agissait ainsi depuis de nombreuses années. Il plaçait en isolement des personnes qui attendaient un transfèrement vers un autre établissement, qui avaient leur cote de sécurité et qui devaient être transférées; ces personnes se retrouvaient plutôt en isolement préventif, d’une certaine manière. Le tribunal a déclaré que c’était illégal et, si j’ai bien compris, on a mis fin à cette pratique; pourtant, il me semble que la situation est tout à fait semblable encore aujourd’hui.

Si nous revenons aux règles internationales, une dernière fois, je dirais qu’il est évident que l’isolement cellulaire ne doit servir qu’en dernier recours, dans des circonstances exceptionnelles seulement, et qu’il ne doit durer que le moins de temps possible; il faut aussi qu’il fasse l’objet d’un examen indépendant par un responsable compétent. Si nous faisons nôtres ces principes, le Canada pourra assez bien respecter ses engagements internationaux, du moins. L’isolement cellulaire devrait être interdit lorsqu’il s’agit de prisonniers qui ont des déficiences mentales ou physiques et interdit aussi dans le cas des enfants. Encore une fois, si nous reprenons les exemples que j’ai donnés, il a été imposé à des personnes qui avaient des déficiences mentales ou qui étaient mineures. Si nous devions lancer une seule initiative, au Canada, je crois qu’elle devrait servir à régler les nombreux problèmes que nous observons dans les établissements qui utilisent l’isolement préventif et de manière abusive.

Je voulais parler du paragraphe 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, mais je vais plutôt laisser la parole à M. Calderhead. C’étaient là tous mes commentaires, et vous pourrez me poser toutes les questions que vous voulez.

Vince Calderhead, avocat, Pink Larkin, à titre personnel : Merci beaucoup. Je travaille comme avocat pour l’aide juridique en Nouvelle-Écosse, avocat à l’interne, depuis 31 ans. Pendant toutes ces années, j’ai tâté du droit de la famille, du droit criminel et du droit en matière de justice sociale; j’ai donc vu un peu de tout.

L’an dernier, j’ai commencé une pratique spécialisée et je m’occupe exclusivement, à titre bénévole, des litiges en matière de justice sociale. Je dois vous dire que Me McNeil et moi-même sommes chargés d’un dossier touchant les droits de la personne, que je qualifie d’éléphantesque, mettant en cause la province de la Nouvelle-Écosse et le fait qu’elle enferme dans des établissements des gens qui ont un problème de santé mentale, sans leur offrir de soutien ou les services nécessaires. Nous venons de passer deux ou trois semaines à entendre des témoignages. Nous allons poursuivre en juin, en août et en septembre, ainsi qu’en janvier et février de l’année suivante, et il sera constamment question du soutien et des services.

Dans ce contexte, permettez-moi de répondre à l’invitation de Me McNeil et de parler en termes plus généraux de ce qui constitue selon moi, à titre d’avocat qui défend les droits de la personne, certains des problèmes dont elle a parlé et dont ont aussi parlé les témoins précédents. Si j’en crois les documents qui ont été transmis au Parlement et au comité et qui sont largement accessibles, les enjeux de ce type semblent aujourd’hui assez courants et assez fréquents dans les témoignages que vous entendez et dans les rapports que vous lisez.

Je dirais pour commencer que, depuis les années 1950 et 1960, les provinces et les territoires ont fait des progrès remarquables au chapitre de la désinstitutionnalisation des personnes qui ont des déficiences, en particulier des déficiences mentales. Les médicaments psychiatriques modernes et une combinaison d’approches plus modernes ont amené les provinces à désinstitutionnaliser un grand nombre de personnes ayant une déficience mentale.

Le problème, toutefois, et vous le connaissez tous, c’est que cette désinstitutionnalisation ne s’est pas accompagnée des mesures de soutien et des services dont avaient besoin les personnes qui retournaient vivre dans la collectivité, et il y a deux ou trois raisons qui expliquent cela.

Premièrement, la désinstitutionnalisation a dû cohabiter, ces 20 ou 30 dernières années, avec les programmes d’austérité des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral, c’est-à-dire les nombreuses réductions des programmes et des services sociaux provinciaux.

Deuxièmement, du côté fédéral, le gouvernement a décidé au milieu des années 1990 de modifier le partage des coûts des services sociaux avec les provinces, et il a remplacé le Régime d’assistance publique du Canada, un programme de partage des coûts à 50-50, à durée indéterminée, par le programme de Transfert canadien en matière de programmes sociaux, un programme de financement global; au bout du compte, les transferts vers les provinces sont beaucoup moindres, et ils ciblent beaucoup moins les services sociaux.

Les conséquences sont évidentes, et vous en entendez parler constamment. Il y a dans les établissements carcéraux fédéraux et provinciaux une proportion renversante de gens qui ont une déficience mentale. C’est absolument renversant. Certains organismes chargés des traités sur les droits de la personne de l’ONU ont examiné ces chiffres. J’ai présenté un exposé devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, en 2005, et sa conclusion soulignait l’inutilité de l’incarcération et de l’institutionnalisation des personnes handicapées.

Dernièrement, en 2016, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU commentait, lui aussi, l’inutilité de l’incarcération et de l’institutionnalisation des personnes ayant une déficience mentale. Pourquoi? Le comité avait mis le doigt sur l’absence de soutien et de services.

C’est donc une question que les témoins des groupes précédents ont déjà abordée, et je suis convaincu que des dizaines d’autres témoignages présentés devant le comité abordaient également la question.

Que faut-il faire? Eh bien, je crois que, concrètement, votre comité devrait présenter des recommandations en insistant sur l’application du paragraphe 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Spécifiquement, on envisage — je veux dire par là que le législateur a déclaré qu’il envisageait — le problème des personnes ayant une déficience mentale qui sont représentées de manière disproportionnée dans la population carcérale du Canada et, en se portant à leur défense, a déclaré au paragraphe 29 qu’il serait possible de conclure des ententes avec les provinces et les territoires de façon que ces personnes puissent être transférées des prisons fédérales vers des hôpitaux ou des établissements provinciaux.

Je pose des questions sur ces ententes, et je constate qu’elles n’existent nulle part. Il n’y en a pas eu. Ce n’est pas un problème législatif. Ce n’est pas non plus un problème stratégique, puisque le cadre législatif existe déjà et que le législateur a exprimé sa volonté. Il faudra que le pouvoir exécutif donne une directive au Service correctionnel du Canada pour dire qu’il faut que ces ententes soient conclues, autant des ententes générales que des ententes personnalisées, pour des prisonniers en particulier.

Étant donné que le gouvernement fédéral réduit, depuis le milieu des années 1990, les transferts en matière de programmes sociaux des provinces, et comme il s’agit en grande partie de droit criminel et que les lois réussissent — j’hésite à utiliser l’expression — à jeter aux oubliettes les personnes les plus désavantagées de notre société, à les envoyer en prison, je crois que le gouvernement fédéral a la responsabilité d’utiliser son pouvoir de dépenser pour proposer les ententes envisagées au paragraphe 29. Il doit dire aux provinces : « Nous allons ramasser la facture. Nous voulons sortir ces personnes des prisons fédérales et les établir dans des environnements plus propices à leur rétablissement, dans les provinces. » Cela ne désigne pas nécessairement d’autres établissements carcéraux. Il pourrait s’agir de logements communautaires, qui donnent de meilleurs résultats, selon les données probantes réunies.

Ce que je vous demande, c’est de faire disparaître la souffrance morale qui accompagne cette représentation disproportionnée, et d’ordonner au Service correctionnel du Canada de mettre en œuvre les ententes déjà envisagées par le législateur. Je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Ataullahjan : Merci d’être venus aujourd’hui et d’avoir témoigné. Maître McNeil, vous avez parlé des jeunes qui étaient placés en isolement. Est-ce que ça arrive souvent? Vous pouvez entrer dans les prisons et interagir avec les prisonniers, les gardiens, tout le monde. Est-ce que les gens se rendent compte que l’isolement est très préjudiciable pour les adultes? Se demandent-ils s’il est préjudiciable aux jeunes? Est-ce que vous voyez fréquemment cette situation? Voyez-vous beaucoup de jeunes qui ont des problèmes de comportement et dont ils ne savent pas quoi faire, sauf les placer en isolement? Selon le témoignage que nous avons entendu, cette situation peut avoir des effets durables sur une jeune personne.

Mme McNeil : Il faut remettre les choses dans leur contexte; la situation a changé depuis 20 ans, en ce qui concerne la justice pour les jeunes, et c’est particulièrement vrai en Nouvelle-Écosse, la région que je connais le mieux. Je peux dire avec certitude que l’on recourt bien moins — et la diminution est considérable — à l’emprisonnement et que l’on favorise la déjudiciarisation et les autres options offertes dans la collectivité. Les établissements pour jeunes accueillaient autrefois au moins 90 jeunes, et parfois plus, dans le secteur des jeunes. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une vingtaine. Mais ceux qui s’y retrouvent, généralement — je ne les représente pas tous, mais on en entend parler, dans le système —, ont été reconnus coupables de crimes plus graves, et il y en a aussi qui, à mon avis, présentent d’autres besoins complexes en raison d’une déficience mentale.

Je dirais que, oui, c’est probablement toujours une exception, mais le fait que la situation se présente toujours nous indique qu’il y a un problème. Ça ne devrait jamais se produire. La solution ne consiste pas nécessairement à intervenir au cas par cas. Je crois qu’il s’agit de problèmes systémiques, le recours à l’isolement préventif ou à l’isolement cellulaire.

Si nous devions déclencher une enquête chaque fois que la situation se présente, je suis certaine que nous relèverions des motifs qui se répètent, mais nous en avons fait assez et nous pouvons constater qu’ils suivent une certaine trajectoire. Habituellement, il se produit un incident quelconque, dans l’établissement, et la décision est prise par les gens mêmes qui voudraient exclure cette personne de l’établissement. Nous avons besoin d’une surveillance plus indépendante, dans de tels cas, plutôt que de laisser le directeur de l’établissement décider à quel endroit la personne sera logée, et c’est en général ainsi que ça fonctionne, à l’heure actuelle.

Je ne sais pas si c’est utile, mais oui, je dirais que c’est certainement l’exception.

La sénatrice Ataullahjan : Est-ce que les jeunes qui sont placés en isolement ont accès à une aide spéciale? Existe-t-il des programmes spéciaux pour leurs besoins en santé mentale?

Mme McNeil : Je vais reprendre mon dernier exemple pour dire qu’en fait, c’était le contraire qui se passait. Le jeune en question était visé par une ordonnance de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation, lorsqu’il a été placé en isolement préventif; donc, il était clair que ses besoins en santé mentale étaient connus. En fait, il a passé plus d’un an en isolement préventif, presque une éternité. Son isolement a pris fin grâce à une décision discrétionnaire du directeur provincial. C’est ainsi que la loi le prévoit : c’est au directeur provincial des services correctionnels de décider de l’endroit où les gens seront logés, et le juge de la cour de la jeunesse n’a aucun pouvoir à ce chapitre. C’est le contraire. Le soutien et les services qui, en théorie, devaient lui être offerts pendant son séjour en établissement, pendant son emprisonnement, lui ont été dans les faits retirés, au moment où il a été placé en isolement préventif.

La sénatrice Ataullahjan : Maître Calderhead, j’aimerais vous poser une question sur le dossier dont vous vous occupez aujourd’hui, qui concerne une femme ayant une déficience mentale et qui défend son droit à un logement subventionné. Est-il possible de tirer des leçons de ce dossier?

M. Calderhead : L’un des aspects tragiques de son histoire, c’est que cette jeune femme atteinte d’une déficience intellectuelle avait passé presque toute sa vie dans des établissements de la Nouvelle-Écosse, depuis qu’elle avait 10 ans. Elle est passée d’une institution à une autre jusqu’à l’an 2000. À ce moment-là, elle a dit textuellement : « J’en ai assez. Je ne veux plus vivre ici. Je veux vivre dans une maison sur une rue, comme tout le monde. » Et elle s’est mise à endommager des biens appartenant à l’établissement, en disant : « Je veux sortir d’ici. Je ne veux plus vivre ici. On m’a dit que je pourrais aller en prison. Eh bien, c’est parfait : j’irai en prison. Au moins, je ne serai plus ici. » Donc, elle a été envoyée en prison, mais elle n’est y pas restée longtemps; elle a été libérée et envoyée dans un hôpital psychiatrique de la Nouvelle-Écosse, en 2000.

Nous sommes aujourd’hui en 2018 et elle cherche toujours un soutien et des services afin de pouvoir vivre dans la collectivité. Les médecins lui ont donné son congé; son équipe de traitement clinique lui a dit il y a déjà des décennies : « Tu n’as pas besoin d’être ici. » Mais elle demeure toujours sur place. Pourquoi? Elle loge dans l’aile des soins psychiatriques aigus parce qu’il n’y a pas de soutien ni de services dans la collectivité. Cette personne est donc hospitalisée contre son gré, pour la seule raison qu’un logement supervisé et les services dont elle a besoin ne sont pas accessibles.

C’est de ce type de cas que nous nous occupons, actuellement, et ils forment la plus grande partie de cet éléphantesque dossier des droits de la personne, mais ce dossier-ci est emblématique parce qu’il représente de manière plus générale le très grand nombre de personnes emprisonnées dans un établissement fédéral qui, en raison d’un problème de santé mentale, se sont retrouvées incarcérées essentiellement parce que les mesures de soutien et les services dont elles auraient besoin n’existent pas. C’est en pensant à eux que le comité devrait réfléchir au moment d’étudier les ententes qui pourraient être conclues avec les provinces.

Le sénateur Brazeau : Je vous souhaite le bonjour à tous les deux. Ma question concerne la surreprésentation des Autochtones dans la population carcérale, et j’aimerais faire appel à vos lumières, étant donné que vous êtes tous les deux avocats.

Nous connaissons tous l’arrêt Gladue, qui donne aux tribunaux différentes options lorsqu’ils doivent incarcérer des Autochtones, et pourtant ces derniers sont surreprésentés dans notre système carcéral. Si nous n’avions pas l’arrêt Gladue, de quoi pourraient bien avoir l’air ces statistiques? Mais en même temps, est-ce que les juges ne se servent pas de l’arrêt Gladue comme d’un écran de fumée? S’en servent-ils vraiment? Est-il trop difficile de respecter les critères en vertu desquels cet arrêt peut s’appliquer aux détenus autochtones?

Mme McNeil : Je crois que l’arrêt Gladue et les changements législatifs ont eu une réelle importance. Je crois aussi qu’il y a encore beaucoup à faire. D’autres témoins ont affirmé devant votre comité qu’il existe d’autres solutions à l’incarcération des Autochtones qui n’ont pas encore été pleinement mises en œuvre par le gouvernement fédéral, par exemple, encore une fois, l’arrangement selon lequel ils peuvent purger leur peine dans la collectivité ou les partenariats avec des organismes communautaires. C’est ce que j’aurais à dire sur le fait qu’il y a encore certainement beaucoup de travail à faire.

M. Calderhead : Je n’ai rien à ajouter. Me McNeil a tout à fait raison de faire ce commentaire.

Le sénateur Brazeau : Ma question suivante sera alors celle-ci : étant donné que vous avez de l’expérience du travail sur le terrain et que vous travaillez directement avec les détenus, diriez-vous que les avocats qui représentent des détenus autochtones font pression sur les tribunaux pour qu’ils appliquent l’arrêt Gladue le plus souvent possible?

Mme McNeil : Je ne suis pas certaine d’être qualifiée pour répondre à cette question. Selon ma petite expérience, je dirais deux choses.

Premièrement, lorsqu’une personne est accusée et comparaît devant les tribunaux en première instance, elle a évidemment accès à l’aide juridique qui doit l’aider à régler les aspects juridiques. Je crois que c’est à l’étape du prononcé de la peine, selon mon expérience limitée, que les enjeux pouvant justifier la rédaction d’un rapport Gladue sont cernés.

À l’inverse, une fois qu’une personne est incarcérée, elle aura d’énormes difficultés à avoir accès à un conseiller juridique lorsqu’elle a à régler des problèmes touchant les conditions de son incarcération. Par exemple, en Nouvelle-Écosse, je crois que le Service d’aide juridique de la Nouvelle-Écosse envisage de peut-être mettre sur pied des programmes d’aide juridique pour les détenus des établissements de la province, mais cela n’est pas encore fait.

Au Nouveau-Brunswick, notre bureau reçoit beaucoup d’appels de détenus. Nous ne pouvons pas faire grand-chose, étant donné que nous sommes un petit bureau et que nos ressources sont limitées. C’est un vaste problème, au Nouveau-Brunswick, étant donné qu’il y a l’Établissement de l’Atlantique à Renous, le Pénitencier de Dorchester à Shepody et le Centre de rétablissement Shepody, au Nouveau-Brunswick, et ils n’offrent absolument aucune aide juridique ni aide d’aucune sorte aux détenus, dont un grand nombre sont Autochtones, je crois.

Mais le comble, pour les détenus qui se représentent eux-mêmes et essaient de se présenter devant un tribunal pour réclamer le respect de leurs droits, en présentant une demande d’habeas corpus ou en utilisant un moyen semblable, c’est que, selon une enquête récente, les tribunaux du Nouveau-Brunswick ont ordonné aux plaideurs se représentant eux-mêmes de payer les dépens, dans presque tous les cas, ces quatre ou cinq dernières années. C’est encore une fois une douche froide, pour les détenus. Pour commencer, ils ne peuvent pas trouver un avocat, puis, s’ils se représentent eux-mêmes, ils doivent être prêts à faire face aux dépens.

Vous voyez donc, si vous parlez de ce qui se passe lorsqu’une personne est condamnée et qu’elle purge sa peine, qu’il lui est très difficile d’avoir accès au système juridique.

M. Calderhead : J’ajouterais peut-être deux ou trois petites choses. Je crois que le sénateur Brazeau a mis le doigt sur une grande vulnérabilité du système d’aide juridique qui concerne les détenus purgeant leur peine entre quatre murs. Leur accès à la justice est dans les faits très limité, selon les régimes d’aide juridique existants actuellement, en partie parce que — je vais parler de nouveau du partage des coûts entre le fédéral et les provinces — la part des coûts que le gouvernement fédéral assume, pour l’aide juridique, a fondu au fil des ans jusqu’au point de ne représenter aujourd’hui que 20 p. 100 du coût total des dispositions sur l’aide juridique concernant les gens qui ont affaire au système judiciaire.

Donc, quant à la question de poursuivre le Service correctionnel du Canada en raison de certaines de ses pratiques, par exemple ce qu’il fait en application des articles 81 ou 84 de la Loi, en restreignant les options offertes aux Autochtones, qu’il s’agisse de les confier pendant la durée de leur peine à des collectivités autochtones ou à des tierces parties, le Service correctionnel adopte une approche vraiment très restrictive. Mais, pour contester cela légalement, comme il faudrait le faire, à mon avis, il faut des ressources juridiques que les services d’aide juridique, dont les ressources sont actuellement des plus ténues, n’ont pas, tout simplement.

La sénatrice Andreychuk : D’abord, je tiens à m’excuser. Je devais participer à une autre réunion. Ainsi va la vie, sur la Colline du Parlement. Si vous avez déjà abordé la question, dites-le moi.

Il y a des femmes, en prison. Selon certaines de mes sources, c’est un groupe qui a changé; il y a 20, 30 ou 40 ans, disons, les femmes étaient toujours des complices, elles n’étaient pas en réalité l’auteure du crime. J’entends dire aujourd’hui qu’il y a certaines catégories de femmes qui se retrouvent sur la rue et se créent elles-mêmes toutes sortes de problèmes, liées d’ailleurs à la drogue. Elles achètent ou vendent de la drogue, et ainsi de suite. Est-ce que la population des détenues a changé par rapport à ce qu’elle était? Est-ce que leurs vulnérabilités sont différentes?

M. Calderhead : Malheureusement, je ne peux vraiment pas affirmer quoi que ce soit à ce chapitre.

Mme McNeil : C’est la même chose pour moi. Je pourrais peut-être dire…

La sénatrice Andreychuk : À propos de la situation actuelle.

Mme McNeil : À propos des jeunes.

La sénatrice Andreychuk : Ça serait bien.

Mme McNeil : Les jeunes femmes sont encore très minoritaires parmi les détenues, mais je ne peux vraiment pas dire si c’est différent d’autrefois. C’est peut-être différent chez les adultes, mais je ne peux rien affirmer. Je suis désolée. Je n’ai pas d’information à ce sujet.

La sénatrice Andreychuk : La dépendance, alors, est-elle importante? Est-ce qu’elle est omniprésente dans la population dont vous vous occupez? Je parle de la drogue, peut-être aussi de l’alcool. Ou encore, y a-t-il des problèmes de santé mentale? Des choses séparées.

M. Calderhead : Les deux problèmes sont très souvent interreliés, interdépendants; il ne sert vraiment à rien de tout mettre sur le dos de la drogue, ce n’est même pas exact.

Dans les dossiers dont nous nous occupons, et aussi dans la documentation, tout pointe vers une combinaison de problèmes qui comprennent la santé mentale ou la déficience mentale, mais il y a sous tout cela de très larges brèches dans le filet de la sécurité sociale, et c’est ce qui fait qu’une personne perd le contrôle de sa vie et tombe dans la drogue, fait des séjours en prison, devient itinérante. De notre côté, nous constatons constamment des trous dans le tissu social, dans les services sociaux, et pas seulement en Nouvelle-Écosse, où nous travaillons; je sais que ces lacunes existent partout au pays.

Le gouvernement fédéral doit prendre des mesures significatives pour réagir à ce problème; il ne peut pas se contenter de hausser les épaules en disant : « Ce sont des enjeux d’ordre provincial. Ce sont des questions qui touchent la drogue ou la santé. » Selon l’article 36 de la Constitution, les gouvernements fédéral et provinciaux s’engagent à fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels. Cet engagement qu’ils ont pris ensemble, en vertu de la Constitution, pourrait être réalisé et mis en œuvre, à mon avis, grâce au renouvellement de l’intérêt du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux pour les mesures de soutien qui empêchent en premier lieu que des gens se retrouvent en prison.

La sénatrice Andreychuk : Vous n’avez rien à ajouter?

Mme McNeil : Je n’ai rien à ajouter.

La présidente : J’ai une question qui complète la question de la sénatrice Andreychuk. Que pourriez-vous nous dire au sujet des autres facteurs comme la pauvreté, l’origine ethnique, le fait de vivre en milieu rural ou dans une collectivité pauvre, l’éducation? Nous avons beaucoup entendu parler de l’autoroute qui mène de l’école à la prison. Pensez-vous qu’un de ces facteurs ait une incidence, en plus des problèmes de santé mentale que vous avez mis en relief?

M. Calderhead : Je pourrais répondre rapidement, et Me McNeil pourra peut-être faire part de ses réflexions.

Absolument. Vous pouvez vous rendre dans un établissement carcéral et prendre un instantané de la population, un jour donné, et dresser une liste détaillée; vous pouvez aussi procéder sur le long terme, observer les détenus des 10 dernières années, et dresser ici aussi une liste détaillée. Si au moins 90 p. 100 des détenus viennent d’un milieu pauvre, ce n’est pas une coïncidence. Ce n’est pas une coïncidence non plus qu’un nombre disproportionné de détenus appartiennent à une minorité raciale. Et ce n’est pas une coïncidence qu’ils proviennent de manière disproportionnée d’une collectivité autochtone. À l’heure où on se parle, on n’a plus à discuter pour savoir si les problèmes liés à l’origine raciale sont interreliés avec les problèmes liés à la classe sociale et à la pauvreté. Nous savons aussi que les résultats scolaires, en fait les facteurs liés à l’éducation, ne sont pas distribués également entre les collectivités et varient selon l’origine ethnique, mais aussi selon la classe sociale. Ces résultats ne doivent pas vous surprendre. Ces résultats, c’est qu’une personne qui doit comparaître devant un tribunal ou qui se présente à un de nos bureaux en disant qu’elle a perdu ses prestations d’assurance sociale et qu’elle va bientôt perdre son logement est en fait très souvent chef d’une famille monoparentale ou encore c’est une personne handicapée ou une personne d’une autre origine ethnique. Je fais ce travail depuis 30 ans, et je suis en mesure de dire, non, il ne s’agit plus de coïncidence. Il s’agit en fait des structures sous-jacentes de notre société.

Mme McNeil : Je serais d’accord avec ce que M. Calderhead vient de dire. On le constate dès le départ. Si vous assistez à une séance du tribunal de la jeunesse, vous verrez que la personne qui est accusée et qui doit trouver un moyen de se débrouiller dans le système est très souvent un enfant qui a vécu dans un milieu désavantagé. C’est un enfant qui a grandi dans la pauvreté, souvent grâce à un programme de soutien du revenu. Il s’agit dans bien des cas de pupilles de l’État. Ils ont été retirés de leur famille, par les services de protection de l’enfance, et peuvent avoir été placés dans différents foyers avant de se retrouver devant le tribunal de la jeunesse. À une certaine époque, ils pouvaient même se voir accuser pour cela : les mauvais comportements dans un foyer pouvaient leur valoir une accusation au criminel et une comparution devant le tribunal de la jeunesse.

Il nous arrive très souvent de constater très tôt ces interrelations entre les enjeux liés à la pauvreté, à l’origine raciale et, je dirais même, à la déficience mentale et que nous voyions un lien entre tout cela et l’absence de soutien et de services dans la collectivité. Je crois que Vince a dit quelque chose de très important, au sujet du partage des coûts et du rôle du gouvernement fédéral dans ce dossier. Il ne s’agit pas seulement de ce que nous allons faire une fois que la personne aboutit dans un pénitencier ou un établissement carcéral. Il s’agit aussi de prévention, j’imagine que vous devez y réfléchir. Comment pouvons-nous tuer le problème dans l’œuf? Il faut bien sûr pour cela penser aux ententes dont on a déjà parlé et apporter quelques corrections à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour chercher des mesures plus appropriées, plus souples, supposant l’aide de la collectivité, mais il faut pour cela examiner les racines du problème. Le Canada a pris l’habitude de réduire le soutien financier qu’il offre aux personnes qui se retrouvent dans ces situations et qui en ont pourtant besoin.

La présidente : Je crois qu’il n’y a plus personne sur la liste des questions, et je vais profiter de l’occasion pour en poser une dernière. Étant donné que, pour diverses raisons, les sénateurs ne sont pas nombreux, j’ai la possibilité de poser plus de questions.

Mme Halpern a soulevé une question, que le sénateur Brazeau a reprise en parlant des rapports Gladue. Nous avons reçu il y a quelques semaines Michelle Williams de la Schulich School of Law, et j’aimerais parler d’éducation.

Le sénateur Brazeau voulait savoir si les avocats étaient suffisamment sensibilisés à la question et savaient qu’ils pouvaient demander des rapports Gladue dans le cas des détenus ou des délinquants autochtones. Quel rôle peuvent jouer les organismes d’éducation et de formation continue des avocats pour préparer ces derniers, non seulement à œuvrer dans le système juridique, mais à œuvrer dans d’autres systèmes, si nous voulons inclure la prévention? Que devraient faire les systèmes d’éducation pour préparer les gens à offrir des services à tous ces groupes? Je parle des groupes autochtones, bien sûr, mais aussi des autres groupes, ceux dont vous dites qu’ils forment la majorité. S’ils sont surreprésentés à ce point-là, on peut se demander si les professionnels qui assurent la prestation de services sont préparés à travailler avec eux dans le respect de leur culture. Serait-il possible d’en faire davantage?

Mme McNeil : Mme Williams, qui représente une école de droit, aurait mieux su répondre que moi. Je peux parler des programmes de formation professionnelle offerts aux avocats, principalement par des associations d’avocats criminalistes. Les avocats se tournent habituellement vers des formations de ce type, s’ils veulent se spécialiser dans ce domaine. Tout ce que je sais, de par ma pratique, c’est qu’on parle beaucoup de la question des rapports Gladue et que les gens savent de quoi il s’agit. Je ne peux pas vous dire jusqu’à quel point ils sont utilisés, je n’ai pas d’expérience directe dans ce domaine.

Je pourrais parler un peu des rapports établis en application de l’article 34 et des ordonnances de placement et de surveillance dans le cadre d’un programme intensif de réadaptation; ce sont des choses que je connais. Ces rapports sont assez semblables aux rapports Gladue puisqu’ils permettent de faire un examen très détaillé du cas d’un jeune, et c’est en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il est question ici des besoins d’un jeune, de la santé mentale et de la déficience mentale. Le rapport permet, aux fins de la détermination de la peine, d’exposer les besoins de ce jeune en cherchant à ce que la peine soit appropriée. Je crois que ces rapports sont très importants; je crois aussi qu’il faudrait s’attacher davantage aux dossiers pour lesquels ces rapports seraient utiles, à l’étape du prononcé de la peine.

M. Sanford : Je n’ai rien à ajouter à ce que Me McNeil vient de dire.

La présidente : Je vous remercie tous les deux d’avoir pris le temps de venir ici et de présenter un exposé à notre comité. Les informations que vous nous avez fournies seront très utiles au moment de nos délibérations et à toute notre étude.

(La séance est levée.)

Haut de page