Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 27 - Témoignages du 18 avril 2018
OTTAWA, le mercredi 18 avril 2018
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 11 h 33, pour étudier le projet de loi.
La sénatrice Jane Cordy(vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Je m’appelle Jane Cordy. Je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse et je suis vice-présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je présiderai la réunion de ce matin.
Avant de commencer, j’aimerais que tous les sénateurs autour de la table se présentent.
La sénatrice Martin : Sénatrice Martin, Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick. Bonjour.
[Traduction]
La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
La vice-présidente : Je viens de quitter une réunion avec la sénatrice Pate, alors je suis certaine qu’elle sera ici sous peu.
Nous entamons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois. J’aimerais profiter de l’occasion pour inciter les sénateurs à consulter le Bureau du légiste s’ils prévoient proposer des amendements à ce projet de loi.
Dans notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous sommes très heureux d’accueillir Angela Chaisson, avocate chez Chaisson Law, de la Criminal Lawyers’ Association, et Maya Borooah, avocate chez Henein Hutchison.
À titre personnel, nous accueillons Tom Hooper, chargé de cours contractuel au Département d’histoire de l’Université York, Gary Kinsman, professeur émérite de sociologie de l’Université Laurentienne, et James Lockyer, avocat principal chez Innocence Canada.
Maître Chaisson et maître Borooah, vous avez la parole en premier, et vous serez suivies de M. Hooper et de M. Kinsman, puis de Me Lockyer.
Angela Chaisson, avocate de la défense, Chaisson Law, Criminal Lawyers’ Association : Merci. Au nom de la Criminal Lawyers’ Association, je suis très reconnaissante d’avoir été invitée aujourd’hui. Les avocats criminalistes consacrent leur vie à défendre des personnes qui sont accusées d’infractions pénales et qui sont souvent parmi les plus marginalisées et les plus honnies de la société. Nous sommes trop souvent le seul rempart entre nos clients et une cellule de quatre par six. Nous représentons souvent des gens qui sont maltraités par des personnes en position d’autorité en raison de leur identité sexuelle ou de leur orientation sexuelle.
Nous sommes aussi confrontés aux effets des accusations et des condamnations criminelles sur une base quotidienne. Nous savons que ces effets sont dévastateurs, surtout lorsque les condamnations sont historiquement injustes et n’auraient jamais dû se produire.
La Criminal Lawyers’ Association a trois suggestions et recommandations à proposer pour renforcer le projet de loi C-66.
Tout d’abord, il faut modifier l’exigence relative à l’âge pour tenir compte de l’âge de consentement applicable. La Criminal Lawyers’ Association est très préoccupée par l’âge de consentement dans ce projet de loi. Elle s’inquiète du fait que le projet de loi viole un principe fondamental du droit canadien en rétablissant l’âge de consentement et en l’appliquant aux actes commis par le passé. Le projet de loi ne permet la radiation que dans les cas où le partenaire sexuel du défendeur était âgé de 16 ans ou plus, mais cet âge est l’âge actuel de consentement, et non l’âge de consentement qui s’appliquait au moment où l’infraction a été commise. Ce n’est qu’en 1969 que la loi a décriminalisé les rapports sexuels entre hommes, quel que soit leur âge, et fixé l’âge de consentement à 21 ans. Pendant ce temps, l’âge de consentement pour les hétérosexuels a été maintenu à 14 ans. Il y est resté jusqu’à ce qu’un amendement soit apporté en 2008, qui a porté l’âge de consentement à 16 ans pour toutes les parties.
Le projet de loi C-66 n’harmonise donc pas l’âge requis pour la radiation avec l’âge de consentement tel qu’il était au moment de l’infraction. Cela signifie que deux personnes de même sexe de 15 ans qui ont eu des relations sexuelles en 2007, par exemple, et qui ont fait l’objet d’une accusation criminelle et d’une condamnation criminelle, ne sont pas admissibles à la radiation. Toutefois, si ces personnes avaient été hétérosexuelles, aucun crime n’aurait été commis.
Le projet de loi devrait à tout le moins être modifié pour permettre la radiation dans tous les cas où l’activité sexuelle aurait été légale, sans tenir compte de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre des parties.
En l’absence d’un tel amendement, le projet de loi perpétue un mythe accablant au sujet de la communauté LGBTQ, à savoir que l’activité sexuelle entre personnes de même sexe est dangereuse, destructrice et dommageable pour les jeunes, sans commune mesure avec l’activité hétérosexuelle, et que les jeunes LGBTQ doivent être protégés contre leur activité sexuelle d’une manière qui n’a pas d’équivalent chez leurs pairs hétérosexuels.
Ce projet de loi appuie les excuses officielles du gouvernement fédéral par des mesures concrètes. Les excuses sont très importantes pour la communauté queer. Selon moi, les mesures concrètes qui y sont associées ne doivent pas perpétuer la stigmatisation et les stéréotypes que les excuses visent à atténuer. Autrement, elles sont vides de sens.
Deuxièmement, il faut supprimer la liste fermée des infractions pour lesquelles une radiation est possible. Le projet de loi prévoit, comme vous le savez, un processus de radiation des condamnations pour certaines infractions sexuelles, mais il est extrêmement restreint. Il permet la radiation uniquement dans les cas de grossière indécence ou de sodomie. Les criminalistes reconnaissent l’injustice des lois neutres en apparence, qui ciblent des communautés spécifiques, qu’elles soient raciales, ethniques ou sexuelles. Il se peut que la police préfère en fait porter des accusations qui sont neutres en apparence, parce qu’elles comportent ce vernis de neutralité permettant d’écarter toute allégation d’homophobie qui, autrement, teinterait la poursuite et faisant en sorte qu’il est plus facile de nier ces allégations.
Les accusations courantes qui ont toujours visé les communautés LGBTQ varient : commettre une action indécente, tenir des représentations théâtrales indécentes, tenir une maison de débauche ou s’y trouver, nudité, obscénité, conduite désordonnée et diverses infractions non criminelles et aux règlements administratifs. Ceux qui ont un casier judiciaire parce que les autorités les ont ciblés avec des lois neutres en apparence, uniquement parce qu’ils étaient gais, ne bénéficieront pas de ce projet de loi dans sa forme actuelle, sauf pour les accusations de grossière indécence ou de sodomie.
Mon troisième point concerne le pouvoir discrétionnaire de poursuite dans le cas des nouvelles poursuites qui seraient injustes sur le plan historique. Cela est lié à la façon dont la police continue de cibler la communauté queer en portant aujourd’hui des accusations de sodomie ou de grossière indécence, même si ces infractions ont été abrogées en 1988, précisément parce qu’elles sont homophobes et discriminatoires. Néanmoins, la police continue de porter de telles accusations aujourd’hui, qui donnent lieu à des poursuites et des condamnations devant les tribunaux.
Je vous renvoie à notre mémoire, qui présente une proposition sur la façon de régler ce problème, qui n’a pas lieu d’être.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette question pour la communauté queer, et j’espère que vous entendez non seulement mes paroles aujourd’hui, mais aussi ma voix, qui est chargée de colère parce que la communauté queer est en colère. Cette situation dure depuis beaucoup trop longtemps, et les gens qui profiteraient de ce projet de loi ne sont pas des criminels. Ce sont des êtres humains qui sont gais et qui ont été criminalisés de ce simple fait.
Je vous remercie beaucoup de votre attention aujourd’hui et je suis prête à répondre à toutes vos questions.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous passerons aux questions une fois que tout le monde aura présenté son exposé. Nous allons maintenant donner la parole à Me Borooah.
Mme Chaisson : Me Borooah et moi avons décidé de partager notre temps de parole aujourd’hui. Je m’attends donc à ce qu’elle intervienne lorsque viendra le temps de répondre à vos questions.
La vice-présidente : D’accord, parfait.
Monsieur Hooper et monsieur Kinsman.
Tom Hooper, chargé de cours contractuel, Département d’histoire, Université York, à titre personnel : Merci d’écouter ce que nous avons à dire aujourd’hui. M. Kinsman et moi sommes ici au nom d’un groupe d’historiens qui ont passé des années à étudier la criminalisation des LGBTQ2 au Canada. Nous suivons de près l’évolution de ce projet de loi et nous appuyons ses objectifs généraux. La radiation des casiers judiciaires injustes est un élément essentiel du processus d’excuses aux Canadiens LGBTQ2.
En tant qu’historien des descentes dans les bains publics de Toronto, j’ai été très heureux d’entendre les excuses du premier ministre. Il a bien saisi que ce n’est pas une seule loi qui interdisait spécifiquement la sexualité queer, mais plutôt un ensemble complexe de lois. Voici ce que le premier ministre a dit :
« La discrimination contre les communautés LGBTQ2 a été rapidement codifiée parmi les infractions criminelles, de la « sodomie », à de la « grossière indécence » et à des maisons de débauche. »
J’ai été ravi d’entendre cela parce que, ayant interviewé plusieurs hommes arrêtés dans les bains publics, je savais ce que cela signifierait pour eux. Vous pouvez imaginer leur confusion lorsque je leur ai expliqué que, malgré ces paroles éloquentes du premier ministre, les descentes dans les bains publics sont, en fait, exclues du projet de loi C-66. Ces personnes LGBTQ2 sont exclues.
Le sénateur Cormier, qui a parrainé ce projet de loi, a dit au cours des débats qu’il avait presque été arrêté en vertu de la loi sur les maisons de débauche en 1977, lors de la descente au bar Truxx. S’il avait été accusé et s’il avait eu un casier judiciaire, il ne serait peut-être même pas ici aujourd’hui au Sénat, et je peux vous dire que ce serait une injustice. Il a eu de la chance.
Je vous invite à consulter le tableau sur les descentes dans les bains publics au Canada, dont j’ai fourni une copie. Ces descentes se sont produites de 1968 à 2004, à l’époque de la soi-disant décriminalisation. Plus de 1 200 hommes ont été accusés en vertu de la loi sur les maisons de débauche. Ce sont 1 200 hommes qui n’ont pas eu la chance du sénateur Cormier.
Ce n’est pas la première fois que des activistes gais et lesbiennes se présentent devant le Parlement pour demander que des mesures soient prises au sujet de la loi sur les maisons de débauche. En 1982, le sociologue George Smith représentait un groupe appelé Right to Privacy Committee. Ce groupe s’est rendu au Parlement et a acheté une annonce d’une pleine page dans le Globe and Mail demandant l’élimination de la loi désuète sur les maisons de débauche. Ce groupe était solidaire des travailleuses du sexe parce qu’il partageait avec elles l’expérience d’être injustement ciblé par la police.
Honorables sénateurs, vous avez le devoir de demander au gouvernement pourquoi il a inclus les maisons de débauche dans les excuses, mais pas dans ce projet de loi. Vous devez lui demander ce qu’est une maison de débauche en 2018. Pourquoi cette loi est-elle toujours en vigueur? Enfin, le fait d’avoir des relations sexuelles homosexuelles consensuelles dans des bains publics devrait-il entraîner une condamnation criminelle aujourd’hui? Je vous exhorte à inclure les survivants des descentes dans les bains publics, les travailleuses du sexe et tous ceux qui ont été poursuivis en vertu de la loi sur les maisons de débauche. Nous demandons aux membres du comité de parler à leur collègue, le sénateur Joyal, qui a montré une compréhension claire de la loi sur les maisons de débauche par suite de la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Labaye après 2005. Le sénateur Joyal comprend aussi comment d’autres dispositions, comme celles sur l’obscénité, ont injustement criminalisé les personnes LGBTQ2 au Canada.
Gary Kinsman, professeur émérite, Sociologie, Université Laurentienne, à titre personnel : Merci encore une fois au Comité sénatorial permanent des droits de la personne de nous écouter.
En ce qui concerne les excuses présentées par Justin Trudeau en novembre dernier, elles visaient notamment la purge qui a ciblé des fonctionnaires et des militaires. Des milliers de personnes ont été visées. Pour obtenir de l’information sur les lesbiennes ou les gais qui faisaient partie de la fonction publique ou de l’armée et qui, par conséquent, pouvaient être ciblés, on menaçait des personnes de l’extérieur de porter des accusations de grossière indécence contre elles. Le réseau We Demand an Apology, dont je fais partie, est très préoccupé par cette criminalisation de l’activité homosexuelle consensuelle qui a amené la GRC à obtenir de l’information sur des personnes qui ont par la suite été congédiées de la fonction publique et de l’armée. L’accusation qui était le plus souvent portée était celle de grossière indécence, qui n’est pas comprise dans le projet de loi C-66. Ces condamnations injustes qui ont été utilisées dans la campagne de purge ne sont donc pas visées par le projet de loi. Cela pose un problème assez fondamental dans le contexte de ces excuses.
D’autres infractions ont également été laissées de côté, y compris non seulement celles visées par la loi sur les maisons de débauche dont Tom vient de parler, mais aussi les actes d’indécence. Cela comprend les façons dont les dispositions sur l’obscénité ont été utilisées de façon très discriminatoire à l’égard du matériel et des établissements destinés aux lesbiennes et aux gais, ainsi que pour présenter nos sexualités comme étant plus obscènes et plus indécentes que celles des hétérosexuels.
J’ai participé aux travaux du Canadian Committee Against Customs Censorship dans les années 1980, à la défense de la librairie Glad Day à Toronto, une institution communautaire essentielle, aux témoignages dans l’affaire de la librairie Little Sisters à Vancouver, ainsi qu’à la défense du magazine Body Politic et aux nombreuses accusations d’obscénité auxquelles il a dû faire face. Le projet de loi C-66 dans sa forme actuelle ne traite pas de ces questions, et il devrait.
Le vagabondage est une autre accusation qui a également été portée contre des travailleuses du sexe et contre des personnes transgenres et transsexuelles, que les autorités et la police considéraient comme ne portant pas les vêtements appropriés à leur sexe. Encore une fois, aucune de ces accusations n’est couverte par le projet de loi C-66. Par conséquent, à l’heure actuelle, le projet de loi C-66 n’englobe qu’une petite fraction des condamnations historiquement injustes que les LGBTQ2S+ ont effectivement subies. Il s’agit d’un problème fondamental auquel il faut s’attaquer. Les infractions que nous avons mentionnées et que d’autres personnes ont mentionnées dans leurs mémoires, y compris la Criminal Lawyers’ Association, doivent être incluses dans la liste des infractions visées par le projet de loi C-66.
Il est crucial que le projet de loi C-66 couvre non seulement les activités consensuelles dans le cadre étroit de la chambre à coucher ou dans la sphère privée, mais aussi les activités homosexuelles consensuelles qui ont eu lieu dans les parcs et les toilettes, où les participants avaient établi des relations d’intimité dans le respect de la vie privée. Si ces condamnations ne sont pas couvertes, les condamnations historiquement injustes ne le seront pas non plus.
À notre avis, une condamnation historiquement injuste est une condamnation pour avoir participé à une activité homosexuelle consensuelle. Cela devrait être la définition d’une condamnation historiquement injuste. Les dispositions différentes sur l’âge de consentement dans le cas des activités homosexuelles sont l’un des aspects des condamnations historiquement injustes. Comme Angela a déjà abordé cette question dans son mémoire, je vais passer à autre chose pour gagner du temps. Toutefois, il s’agit d’un problème fondamental. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-66 transpose les pratiques discriminatoires du passé aux activités sexuelles entre personnes de même sexe. Et cela perpétue en fait toutes les notions d’un âge de consentement plus élevé pour une activité sexuelle entre personnes de même sexe remontant à la réforme du Code criminel de 1969, qui avait établi l’âge de consentement à 21 ans, supposément pour protéger davantage les jeunes contre les activités homosexuelles. Si le gouvernement ne s’attaque pas à ce problème, si le Sénat ne s’en occupe pas, cette pratique discriminatoire sera maintenue dans le projet de loi C-66.
En tant qu’historiens, nous savons que la capacité des gens de rassembler la documentation nécessaire pour faire une demande de radiation d’une condamnation historiquement injuste et prouver le consentement et toutes les autres choses qui doivent être démontrées pour satisfaire aux dispositions du projet de loi C-66 pose de graves problèmes. Dans le cadre de ce projet de loi, le gouvernement doit non seulement produire du matériel éducatif et de la publicité sur la possibilité de faire radier les condamnations, mais il doit aussi fournir une aide directe, matérielle et concrète aux gens pour qu’ils aient accès aux documents dont ils auront besoin. Autrement, ce sera un cauchemar. Et les historiens peuvent vous parler du cauchemar que représentent les tentatives d’accéder aux documents qui seraient pertinents dans ce cas.
Il est également important que les dispositions du projet de loi C-66 couvrent non seulement ceux qui ont été condamnés, mais aussi ceux dont la condamnation a été annulée, comme Ronald Rosenes le soulignera dans le prochain groupe de témoins. Enfin, il est essentiel que les documents sur notre histoire ne soient pas détruits, comme le suggère ce projet de loi. Nous pouvons veiller à ce que ces renseignements ne puissent plus être utilisés contre des personnes qui ont été reconnues coupables, tout en demeurant disponibles pour des recherches historiques, comme l’a fait valoir la Société historique du Canada.
À ce sujet, nous suggérons également d’examiner le mémoire présenté par Canadian Lesbian and Gay Archives. En conclusion, les excuses comporteront de graves lacunes si le projet de loi C-66 n’est pas corrigé. Vous avez une occasion historique ici, au Sénat et au sein de ce comité, de remédier à cette situation. Nous vous exhortons à tenir compte des recommandations que nous formulons et que d’autres ont faites pour corriger ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention.
La vice-présidente : Merci, monsieur Kinsman.
Maître Lockyer, vous avez la parole.
James Lockyer, avocat principal, Innocence Canada, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Le projet de loi C-66 s’inscrit tout à fait dans le mandat d’Innocence Canada, une association qui s’occupe des condamnations injustifiées. Nous essayons de les identifier et nous tentons aussi d’obtenir des changements systémiques pour les éviter le plus possible à l’avenir.
Nous sommes heureux que le projet de loi soit à la disposition de ceux qui sont condamnés à tort et qui sont toujours en vie, ainsi que des personnes décédées. Nous trouvons dommage que la loi n’ait pas automatiquement effacé les condamnations des personnes décédées, comme la loi anglaise en 2017. En fait, la loi anglaise a fait la une avec un titre très saisissant : « Réhabilitation posthume accordée à Oscar Wilde, parmi 50 000 homosexuels condamnés ». Malheureusement, nous ne pouvons pas en dire autant de ce projet de loi, qui exige que des demandes soient présentées.
Je voulais aborder un aspect du projet de loi qui nous préoccupe. Une personne condamnée à tort doit présenter au ministre de la Justice une demande de révision ministérielle en vertu d’une disposition du Code criminel. Il s’agit d’un processus très lourd et injuste que ces personnes doivent subir, et nous sommes très heureux que ce projet de loi n’oblige pas les demandeurs à présenter une demande en vertu de cet article du code.
Cependant, nous estimons que l’accès à la justice en vertu de cette loi laisse à désirer. Le paragraphe 8(2) du projet de loi prévoit qu’un demandeur doit fournir des documents qui prouvent que l’activité a eu lieu entre personnes de même sexe, qu’elle était consensuelle et que les parties qui y ont participé étaient âgées de 16 ans ou plus.
Le paragraphe 8(3) prévoit qu’un demandeur qui ne peut pas produire ces documents soumette une déclaration solennelle expliquant les efforts raisonnables qui ont été déployés pour les trouver. L’obtention de documents de ce genre exige des compétences et une expertise considérables. On ne les trouve probablement que dans les transcriptions ou les archives des tribunaux, les archives des gouvernements fédéral et provinciaux, les dossiers de la police, les dossiers des poursuites et parfois les archives des journaux. C’est un processus coûteux et long pour tous les demandeurs, qui s’apparente à la contestation d’une condamnation injustifiée dans le cadre du processus d’examen ministériel. Il est presque certain que les demandeurs devront retenir les services d’un avocat pour les aider, parce qu’ils n’auront aucune idée de la façon de trouver ces documents. Pourquoi ne pas prévoir dans la loi qu’un demandeur puisse tout simplement s’adresser à la Commission des libérations conditionnelles du Canada et laisser la commission utiliser ses pouvoirs et son expertise pour obtenir les documents? Autrement dit, il faudrait remplacer le mot « doit » au paragraphe 8(2) par le mot « peut », ce qui réglerait le problème.
Les dispositions législatives équivalentes au Royaume-Uni, à l’article 93 de la Protection of Freedom Act de 2012, exigent simplement qu’un demandeur soumis aux mêmes dispositions, fournisse la date et le lieu de la condamnation, dans la mesure où il les connaît. C’est la seule exigence. Il n’est pas nécessaire de produire des documents. Il n’est pas nécessaire de produire de déclaration solennelle, si ces documents ne sont pas disponibles. Il incombe au secrétaire d’État — dans notre cas, je pense qu’il devrait incomber à la Commission des libérations conditionnelles — de trouver les documents pertinents, afin de rendre sa décision en vertu de la loi.
Le projet de loi est important, sans aucun doute. Comme mes collègues l’ont indiqué, il faut élargir la portée de la loi pour y inclure un certain nombre d’autres infractions. Cette loi ouvre une porte fermée à la communauté LGBTQ2, mais, comme elle a été ouverte, cette porte a besoin d’être élargie et doit être plus accueillante.
La vice-présidente : Merci beaucoup pour vos exposés. Ils ont été utiles.
Nous allons commencer par celui qui a parrainé le projet de loi, le sénateur Cormier.
[Français]
Le sénateur Cormier : D’abord, je tiens à vous remercier très sincèrement pour tout le travail accompli dans le cadre de ce projet de loi. En guise d’introduction, j’aimerais dire que je suis un membre de la communauté LGBTQ2.
[Traduction]
En guise d’introduction, je tiens à dire à quel point je suis impressionné par le travail que vous avez fait et que vous continuez de faire. Je connaissais très mal la situation avant de lire tous les documents, alors je suis vraiment impressionné.
[Français]
Je ferai preuve de transparence avant de poser mes questions. En tant que parrain de ce projet de loi, je suis très tiraillé, et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, il y a les modifications et les recommandations que vous jugez nécessaire d’apporter afin que ce projet de loi ait toute la force possible. D’autre part, il y a l’urgence de dire que le projet de loi cerne certains enjeux. Ces enjeux sont bien confirmés dans le projet de loi et ils mériteraient d’être mis de l’avant le plus rapidement possible. Donc, voilà mon tiraillement intérieur par rapport à ce projet de loi.
Il y a trois principaux aspects sur lesquels je me questionne profondément. Tout d’abord, la question de l’archivage, de la destruction ou non des dossiers, des exigences pour monter et obtenir un dossier. Vient ensuite la question de l’âge minimal, c’est-à-dire le passage de 16 ans à 14 ans pour correspondre à ce que vous avez décrit très clairement. Enfin, l’aspect le plus important de mes trois préoccupations est la liste des condamnations admissibles, compte tenu du contexte du Code criminel actuel, étant donné, par exemple, que la Loi sur les maisons de débauche fait toujours partie du Code criminel. Et c’est la raison pour laquelle ce n’est pas inclus dans le projet de loi C-66.
Je m’adresse en premier lieu aux représentantes de la Criminal Lawyers’ Association. J’aimerais que vous nous éclairiez davantage sur le fait que le projet de loi, tel que rédigé, ne peut pas inclure plus largement des considérations qui sont toujours dans le Code criminel.
[Traduction]
Mme Chaisson : Monsieur le sénateur, je comprends votre préoccupation au sujet de la loi sur les maisons de débauche. Encore une fois, cela nous ramène à notre mémoire sur l’utilisation de lois en apparence neutres comme arme contre la communauté gaie, ce qui a été le cas tout au long de l’histoire. Ces lois n’ont pas été jugées comme allant à l’encontre de l’article 15 de la Charte parce qu’elles sont censées être neutres, mais, à mon avis, la façon dont elles sont utilisées contre la communauté gaie et leur application inégale pourraient bien contrevenir à cet article. J’aimerais donc attirer votre attention là-dessus. Ces lois s’opposent à une égalité réelle en portant atteinte de façon disproportionnée à une communauté minoritaire.
Le Sénat a le pouvoir de rédiger ce projet de loi de façon judicieuse et prudente, de façon à tenir compte du fait que la loi sur les maisons de débauche est toujours en vigueur. Vous pouvez examiner non pas la loi elle-même, mais son application. Est-elle utilisée par la police et par les procureurs de la Couronne pour cibler la communauté gaie? C’est une question sur laquelle le Sénat pourrait se pencher attentivement.
Maya Borooah, avocate de la défense, Henein Hutchison, Criminal Lawyers’ Association : Le fait que les lois continuent d’exister et peuvent être appliquées de façon non discriminatoire n’empêche pas qu’elles aient déjà été appliquées de façon discriminatoire et inégalitaire, en particulier à la communauté gaie. L’exemple de la descente policière dans un sauna public est le plus manifeste.
L’application discriminatoire actuelle et passée de la loi peut être corrigée dans la définition du projet de loi s’il met l’accent sur l’incidence des lois sur la communauté gaie plutôt qu’énumérer des infractions qui ont manifestement été jugées comme n’étant plus applicables en vertu du Code criminel.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma deuxième question concerne les casiers judiciaires. Pourriez-vous nous expliquer succinctement, afin que tout se retrouve sur la même page, ce que comporte un casier judiciaire? On sait que certains casiers judiciaires relèvent de juridiction provinciale et qu’ils ont un impact international. Il semble y avoir une série d’enjeux autour de la gestion des casiers judiciaires, quant à leur élimination ou à leur préservation. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
Également, monsieur Kinsman, j’aimerais que vous nous fassiez part de votre volonté quant à la non-destruction des casiers judiciaires et sur la façon de le faire, le cas échéant.
[Traduction]
Mme Chaisson : Merci encore de votre question. Tous les casiers judiciaires relèvent en théorie de la compétence fédérale, parce que, indépendamment de qui est compétent pour juger une affaire, que ce soit une municipalité, une province ou le service fédéral des poursuites, le droit pénal dans son ensemble relève du fédéral. Je ne vois pas de problème de compétence à ce propos.
Ce que j’encourage le Sénat à examiner en ce qui concerne les condamnations au criminel, ce sont les effets dévastateurs de ces condamnations qui ruinent la vie des gens. Il y a des personnes dans ce pays qui n’ont pas pu adopter leurs propres enfants parce qu’on les a étiquetées comme criminelles. Elles ne peuvent pas faire de bénévolat à l’école de leurs enfants ou de leurs petits-enfants ou participer à des sorties scolaires avec eux parce qu’elles ont un casier judiciaire, ce qui est injuste. Est-ce que cela répond à votre question?
[Français]
Le sénateur Cormier : Oui, vous répondez sur le plan de l’impact, mais en fait, pour ce qui est des enjeux liés à la gestion des casiers judiciaires, ce n’est pas encore très clair pour moi. Quelles sont les embûches?
[Traduction]
Mme Chaisson : Je vois. M. Kinsman et Me Lockyer ont bien exposé les obstacles qui s’opposent à l’accès aux documents relevant du système de justice pénale. Personne dans cette salle ne sera surpris du fait que ce système est un labyrinthe. Comme Me Lockyer l’a souligné, il faut beaucoup de compétences et d’expérience pour naviguer dans le système de justice pénale, pour savoir qui a le casier judiciaire, qui a les dossiers relatifs au casier judiciaire et comment établir ce que ce projet de loi oblige à établir, ce qui est très lourd.
Demandez-vous si l’on peut même savoir qu’une personne a un casier judiciaire et que faire ensuite?
Le sénateur Cormier : Non.
La sénatrice Andreychuk : Les aspects pratiques.
Le sénateur Cormier : Oui, les aspects pratiques. Comment faire pour les annuler ou non? C’est assez complexe.
Mme Chaisson : Oui. Je vous avouerai volontiers que je ne suis pas une experte dans ce domaine. Je peux dire que nous avons la Commission des libérations conditionnelles du Canada, comme Me Lockyer l’a souligné. Nous avons actuellement un processus bien établi dans diverses lois pour la suspension des casiers. À l’heure actuelle, vous pouvez demander que votre dossier soit suspendu. On appelait cela un pardon auparavant. Depuis l’adoption de certaines mesures législatives il y a quelque temps, nous parlons maintenant de suspension du casier judiciaire. Vous pouvez présenter une demande, établir que vous êtes maintenant de bonne moralité, que vous êtes passé à autre chose et que c’était une erreur que vous n’avez commise qu’une seule fois. Votre casier judiciaire pourrait alors être suspendu ou, bien honnêtement, il pourrait ne pas l’être. Le processus n’est pas très transparent, mais il existe et il fonctionne.
J’exhorte donc le Sénat, étant donné les circonstances, à noter que, au lieu d’avoir un processus distinct de radiation, nous avons déjà un processus en place. J’espère que ce processus sera suffisant aux fins du projet de loi C-66. Nous n’avons pas besoin d’une autre façon de faire radier un document; il faut simplement que les critères changent pour les membres de la communauté gaie.
Le sénateur Cormier : Merci.
M. Kinsman : Pour ce qui est des questions que vous avez posées, il est très important qu’il y ait un principe sous-jacent aux dispositions du projet de loi C-66 concernant les documents d’archives. Ce principe doit établir que les condamnations et les dossiers de condamnations ne pourront plus jamais être utilisés contre les personnes reconnues coupables. De toute évidence, certains types de renseignements d’identification doivent pouvoir être supprimés.
Toutefois, l’envers de ce principe doit être que cela fait partie de notre histoire. Si nous voulons vraiment comprendre les pratiques policières, l’oppression et la marginalisation qui ont touché les membres des communautés homosexuelles et transgenres, nous avons besoin que ces documents soient mis à la disposition des historiens.
Je vous recommande vivement d’examiner le mémoire présenté par les Canadian Lesbian and Gay Archives et de déterminer comment on peut y arriver, c’est-à-dire comment s’assurer que ces renseignements ne puissent pas être utilisés contre des personnes, tout en veillant à ce qu’ils soient disponibles pour la recherche historique. Nous ne voulons pas que notre histoire soit perdue. L’un des dangers lorsqu’on présente des excuses est que, parfois, on oublie certaines choses par la suite. Nous ne voulons pas que cela se produise. Nous voulons que cette histoire soit vivante.
Je veux aussi revenir à la question que vous avez posée d’abord à Angela, et je ne sais pas si elle s’adressait à moi. Les relations sexuelles anales sont toujours visées par la loi au Canada. Elles sont également visées par le projet de loi. Il y a là une contradiction. Ces relations ont été contestées sur le plan constitutionnel, mais elles toujours visées par la loi.
Les dispositions législatives sur les maisons de débauche ont été contestées dans l’arrêt Bedford concernant les travailleurs du sexe. Je pense que tout le monde admettra que s’il y avait aujourd’hui une contestation constitutionnelle concernant leur application aux relations sexuelles entre gais, elle serait gagnée. Les dispositions sur les maisons de débauche seraient alors considérées comme inconstitutionnelles.
Ce que nous disons, c’est qu’une condamnation constituant une injustice historique est la condamnation d’activités consensuelles entre gais et transgenres. C’est le principe qui devrait être établi. La pierre de touche de ce projet de loi, qui est contradictoire à certains égards, comme je viens de le souligner, est que l’infraction ne doit plus exister — elle existe toujours en matière de relations sexuelles anales — et doit aussi être contestée sur le plan constitutionnel.
Ce que cela signifie, c’est que vous maintenez dans ce projet de loi toute une série d’actes criminels qui ont valu historiquement des condamnations injustes à beaucoup de gens. Vous les maintenez dans ce projet de loi, parce que la définition de ce qui est injuste sur le plan historique est tellement limitée et floue dans la loi.
Ce que nous disons, c’est que, du point de vue des gais et des transgenres, les condamnations constituant des injustices historiques sont toutes les condamnations qui ont criminalisé nos activités érotiques consensuelles. C’est ce qui doit être établi ici.
Je pense que l’argument invoqué par le gouvernement est, d’une certaine façon, une tentative de maintenir certaines de ces lois afin qu’elles puissent encore être utilisées à l’heure actuelle pour condamner des gens. Je pense qu’il y a là un véritable problème.
Je ne sais pas si cela aide à clarifier les choses, mais il convient de définir clairement ce qu’est une condamnation constituant une injustice historique, et il faut que ce soit plus clair que de simplement dire que la pierre de touche du projet de loi est que ces activités ne sont plus visées par la loi, que cela a été contesté sur le plan constitutionnel et que ce n’est plus reconnu en vertu de la Charte. Il faut que ce soit beaucoup plus clair que cela.
Les excuses visaient les injustices historiques commises contre les homosexuels et les transgenres. J’utilise ici ces termes simplement pour être plus rapide. Il ne s’agissait pas d’excuses pour ceux qui ont été accusés d’infractions qui ne sont plus prévues et qui ont déjà été contestées en vertu de la Constitution. Les excuses étaient claires : le projet de loi sur les maisons de débauche constituait historiquement une injustice lorsqu’il était utilisé contre des membres de la communauté gaie. Il faut donner suite à cela dans le projet de loi C-66, sinon il y aura un problème majeur dans celui-ci.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup à mon voisin de banquette et parrain du projet de loi, et merci beaucoup à vous tous d’être venus.
J’aimerais revenir sur deux points. Le premier concerne la Charte. Pour revenir à la question que vous avez soulevée au sujet de la suspension des casiers, qui est en fait très différente du pardon et qui est, en réalité, très difficile à obtenir pour de nombreuses personnes. Je ne conteste aucunement les répercussions des casiers sur les gens.
Ma question s’adresse à vous tous, mais en particulier à la Criminal Lawyers’ Association. Qu’en est-il de l’option selon laquelle il y aurait une période d’expiration à la place dans le cas, disons, d’une infraction provinciale ou d’une infraction internationale, y aurait-il automatiquement une radiation? Et si les déclarations de culpabilité par procédure sommaire étaient également réputées radiées? Et si, par hasard, il s’agissait d’un acte criminel passible de cinq ans, il serait radié ou, s’il s’agit d’une condamnation historique, elle serait simplement réputée avoir été radiée. Est-ce que ce serait une solution de votre point de vue?
Ma seconde question porte sur la conformité de ce projet de loi aux valeurs de la Charte. Qu’en pensez-vous? Je sais qu’il y a des renseignements dans les documents de référence, et je les ai trouvés très utiles. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les répercussions de ce projet de loi sur ces dispositions et sur la façon dont nous devrions interpréter l’article 11 en particulier?
Mme Chaisson : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Pate. Je vais répondre brièvement à votre première question au sujet des délais, des déclarations de culpabilité par procédure sommaire et de la radiation de ces déclarations. Bref, oui. Je crois que ce serait une solution beaucoup plus pratique, et j’encourage le Sénat à l’examiner attentivement.
J’ai une réponse plus longue, bien sûr, à propos de la Charte. Même s’il s’agit d’un document court, les facteurs à considérer sont, bien entendu, très vastes.
En ce qui concerne l’alinéa 11g), il est essentiel dans la loi canadienne qu’on ne puisse pas appliquer la loi rétroactivement. On ne peut pas revenir en arrière et appliquer les normes d’aujourd’hui aux lois d’hier. C’est inscrit dans la Charte, comme vous le savez, à l’alinéa 11g). Cette loi s’applique habituellement non pas à la transmission d’un avantage, ce que fait le projet de loi, mais au droit pénal au sens strict.
Le projet de loi C-66 contrevient-il à la Charte? Je ne sais pas. Je m’attends à ce que ce ne soit pas le cas, très franchement, mais je pense aussi que là n’est pas la question. Le fait est qu’un principe fondamental du droit canadien veut que nous n’appliquions pas aux actes d’hier les normes d’aujourd’hui.
Ce projet de loi respecte-t-il l’esprit et l’intention de la Charte? Non, je ne le crois pas. Je pense que c’est vraiment dommage.
La sénatrice Pate : Vous ne croyez pas que l’article 15 aurait préséance en faisant valoir qu’il s’agit d’une question d’égalité?
Mme Chaisson : L’article 15 porte sur la discrimination fondée sur l’expression sexuelle et l’homosexualité, comme vous le savez. Il s’agit en fait d’une différence discriminatoire entre le sexe LGBTQ et le sexe hétérosexuel qui criminalisait les LGBTQ et les jeunes pour quelque chose qui ne serait pas illégal s’il s’agissait d’une activité hétérosexuelle. C’est vraiment une question d’équité, et c’est vraiment une question d’égalité. C’est une question liée à l’article 15. Je crains que ce projet de loi ne résiste pas à l’examen prévu à l’article 15 s’il est adopté dans sa forme actuelle.
La sénatrice Pate : Merci.
M. Lockyer : D’abord, vous avez tout à fait raison. Un pardon s’applique au fait que quelqu’un a commis un crime au départ. Ce projet de loi utilise le mot « radier », qui est un bien meilleur terme et qui est très différent d’un pardon, et nous l’aimons certainement beaucoup. Comme je l’ai souligné, au Royaume-Uni, la radiation est automatique dans le cas des personnes décédées.
En ce qui concerne l’idée que ce projet de loi pourrait en quelque sorte contrevenir à la Charte, je ne vois pas comment. Je pense qu’il est tout à fait conforme à la Charte. S’il était renforcé encore un peu, il y serait encore plus conforme. Il ne va pas du tout à l’encontre de la Charte.
L’une des préoccupations exprimées est la suivante : pourquoi ne pas inclure davantage d’infractions, particulièrement les infractions relatives aux maisons de débauche? Elles ont été déclarées inconstitutionnelles par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bedford, si bien que, en arguant qu’elles existent toujours comme justification pour ne pas les inclure dans la loi, on se trouve tout simplement dans une impasse. Ce n’est pas une raison pour ne pas les y inclure.
Les autres infractions que vous avez notées dans nos documents, comme le recours à l’article du code sur les actes indécents ou le fait de conseiller de commettre un acte criminel et ce genre de dispositions, il n’y a aucune raison de ne pas les inclure aussi, parce que ce projet de loi ne dit pas que tous ceux qui sont reconnus coupables d’indécence grossière verront leur casier judiciaire effacé. Pas du tout. Il limite la radiation du casier judiciaire aux personnes reconnues coupables, à la suite d’activités consensuelles, compte tenu de leur orientation sexuelle. Il y a donc une distinction entre ceux dont le casier est radié et ceux dont le casier ne le sera pas.
De même, si vous incluez les dispositions du code qui sont toujours en vigueur, comme l’acte indécent, il peut y avoir un examen identique du cas d’un demandeur pour voir si sa condamnation était fondée sur les critères énumérés dans le projet de loi C-66 et, dans l’affirmative, la condamnation devrait être radiée. Le fait que ce soit toujours une infraction que de contrevenir à cette disposition particulière, ce qui, bien sûr, ne serait plus du tout conforme à l’interdiction ou aux conditions prévues dans le projet de loi C-66, ne me semble pas pertinent. On participe au même processus, que la loi existe toujours ou non.
Mme Borooah : J’aimerais simplement ajouter, pour faire suite aux propos de mes deux collègues, que les mesures législatives associées à ces excuses historiques qui ne sont pas conformes aux principes d’équité et d’égalité enchâssés dans la Charte seront essentiellement vides de sens. Quant à savoir s’il serait techniquement justifié de contester la Charte, c’est une autre question. Toutefois, le fait est que, sans tenir compte de la différence d’âge pour le consentement au moment de l’infraction, le projet de loi perpétue la stigmatisation et la discrimination qu’il est censé éliminer. Cela demeure une préoccupation importante. Cela revient à votre question sur la Charte, sénatrice Pate. Excusez-moi de l’interruption.
La sénatrice Martin : Tout d’abord, je vous remercie, sénatrice, du rôle que vous avez joué dans ce projet de loi et du leadership dont vous avez fait preuve au Sénat. À chacun d’entre vous, vos exposés étaient très concis et clairs. J’essaie simplement de comprendre, maître Lockyer : vous avez dit que vous ne pensez pas que ce projet de loi résistera à une contestation fondée sur la Charte?
M. Lockyer : Au contraire, j’ai dit que je pense que ce sera tout à fait le cas. Je ne vois pas…
La sénatrice Martin : Non?
M. Lockyer : Je dirais qu’il résistera à toute contestation.
La sénatrice Martin : Allez-y, oui. D’accord. Voilà la différence.
Vous avez mentionné l’exemple du Royaume-Uni, et il y en a d’autres, comme celui de l’Australie. Ce sont des administrations semblables. Nous établissons toujours des comparaisons ou des contrastes entre ce que nous ferions au Canada et ce qui s’appliquerait efficacement ici. Toutefois, dans le cas de ce projet de loi, nous devons parfois prendre des mesures progressives pour arriver à nos fins. Évidemment, nous voulons inclure plus d’infractions, comme vous le dites, pour que les dispositions soient applicables. Mais jusqu’à ce que ce soit possible… Parce que j’imagine que pour certaines de ces questions, nous devrons mener d’autres consultations, d’autres enquêtes. Les amendements ne suffiront pas. À votre avis, le projet de loi dans sa forme actuelle, même s’il n’est pas complet, constituerait-il un pas dans la bonne direction ou le Sénat devrait-il examiner la façon dont nous pouvons le modifier, et déterminer si nous gagnerons ou non ce débat avec l’autre camp. Cependant, au bout du compte, si nous adoptons le projet de loi tel quel, estimez-vous qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction?
M. Lockyer : De mon point de vue, pour employer un langage courant, ce que vous avez dans le projet de loi C-66 est bien mieux que rien, cela ne fait aucun doute. Nous proposons simplement des changements qui pourraient l’améliorer parce que, parfois, une fois qu’un texte est promulgué, il est, en quelque sorte, coulé dans le béton, et il est difficile d’y apporter des changements. Je remarque que la loi permet au gouverneur en conseil d’accroître la portée de certains crimes ou d’ajouter d’autres crimes.
Il me semble cependant que le comité pourrait au moins adopter les dispositions sur les maisons de débauche, étant donné qu’elles sont inconstitutionnelles et qu’elles ont joué un rôle énorme dans la discrimination contre la communauté LGBTQ.
Quant à l’autre suggestion, la question de l’accès à la justice, selon notre organisation, qui présente des pétitions pour les gens reconnus coupables de crimes qu’ils n’ont pas commis, il est justement très difficile pour eux de se payer un avocat et de surmonter les obstacles. Je ne comprends pas pourquoi le projet de loi exige que la personne doive s’efforcer de rassembler des dossiers pratiquement introuvables. Quelqu’un a mentionné qu’il faudrait présenter toutes sortes de demandes d’information, ce qui peut exiger des mois et des mois. Pourquoi ne pas simplement remplacer « doit » par « peut », et le problème sera réglé? La question de l’accès à la justice n’en serait plus une, car la personne aurait le choix de faire le travail elle-même ou de demander à la Commission des libérations conditionnelles de s’en occuper. Il me semble que c’est un changement simple et facile.
La vice-présidente : MM. Hooper et Kinsman aimeraient tous deux répondre. Je vous demande de le faire rapidement. Il nous reste cinq minutes, et il y a encore une sénatrice qui veut poser une question.
La sénatrice Martin : Je suis curieuse de savoir si l’un d’entre vous a eu l’occasion d’informer le gouvernement ou a été consulté au cours de l’élaboration de ce projet de loi ou si vous avez pris la parole à la Chambre. Est-ce la première fois que vous comparaissez sur la Colline du Parlement pour ce projet de loi?
Mme Chaisson : C’est exact, sénatrice. Nous n’avons pas été consultés.
M. Kinsman : Nous n’avons pas été consultés.
M. Hooper : Les historiens ont essayé de se rendre à la Chambre pour parler de ce projet de loi, mais on nous l’a refusé.
La sénatrice Martin : J’aimerais entendre les autres commentaires.
La vice-présidente : Soyez concis, s’il vous plaît.
M. Hooper : En ce qui concerne le changement progressif, je tiens à répéter que, en 1982, juste après les descentes dans les bains publics, George Smith, du comité Right to Privacy, est venu au Parlement et a parlé de la loi sur les maisons de débauche. Si vous regardez mon tableau, vous verrez que les descentes se sont poursuivies après 1982. Si le Parlement avait agi à ce moment-là, nous aurions pu prévenir toute une série d’injustices. Quand vous parlez de changement progressif, je ne suis pas né en 1982. Je n’étais même pas encore en vie. Donc, un changement progressif? Qu’est-ce que cela veut dire? Nous devrions régler cette question dès maintenant.
M. Kinsman : Je pense que c’est très clair. Je ne crois pas qu’il y ait vraiment contradiction entre l’importance de ce projet de loi et l’urgence d’agir, car il me semble que les recommandations et les amendements nécessaires sont évidents. Nous les expliquons très clairement. On peut procéder assez simplement et rapidement. Les gens attendent depuis longtemps ce genre de mesure législative, et il faut qu’elle soit bonne et adéquate, et non une mesure législative qui comporte des lacunes fondamentales, comme c’est le cas actuellement.
La vice-présidente : Merci à vous deux d’avoir été concis. Sénatrice Andreychuk, vous êtes la dernière à intervenir.
La sénatrice Andreychuk : J’ai plusieurs questions d’ordre juridique. Je ne pense pas pouvoir les poser en cinq minutes, malheureusement, comme les avocats le savent si bien. Je pense que je vais m’adresser à la Criminal Lawyers’ Association. Vous avez dit à la sénatrice Pate que la présomption pourrait être une solution, mais qu’en est-il de la certitude? Lorsque vous présumez quelque chose, que se passe-t-il le lendemain? Car ces dossiers sont encore partout et ils demeurent complexes. Comment pouvez-vous avoir la certitude qu’ils sont effectivement radiés en vertu de la disposition déterminative? Il s’agit donc de l’administration pratique de la justice. C’est ce que je déduis de l’acte de présomption. Toutefois, je me pose toujours la question : est-ce vraiment fait?
Je me souviens que lorsque nous avons modifié le registre national des électeurs, certaines choses étaient censées se produire, mais elles n’ont pas vu le jour, faute de ressources. Il n’y avait pas d’entente. Il n’y avait pas de formation. Cela vous aiderait-il à long terme?
Mme Chaisson : C’est assurément...
La sénatrice Andreychuk : C’est utile à certains égards, mais…
Mme Chaisson : Oui. Ce dont vous parlez, sénatrice, résume bien la frustration que ressentent nos clients lorsqu’ils ne font plus l’objet d’accusations criminelles, que ce soit à cause d’une suspension de casier, du retrait des accusations, ou du fait qu’ils ont été acquittés et exonérés. Il est frustrant de constater que les dossiers prennent du temps à être matériellement modifiés dans certaines bases de données. Cela peut être frustrant. À mon avis, ce n’est qu’un petit prix à payer que d’adopter ce projet de loi en lui donnant la portée appropriée.
Il y a des moyens de vérifier si les dossiers ont bel et bien été radiés. Les particuliers peuvent demander une vérification de leur casier judiciaire, mais c’est onéreux pour eux. Il faut remplir des formulaires, se rendre à un poste de police, et cetera, mais c’est faisable. Il peut y avoir des mesures de protection dans ce contexte.
La sénatrice Andreychuk : Je l’ai fait. C’est pourquoi je pose la question. C’est encore difficile. Les dossiers ne sont pas complets.
Une autre question pour les avocats, c’est que le paragraphe 23(2), l’annexe, indique qu’il s’agit d’une mesure législative progressive, mais croyez-vous que ce paragraphe s’applique aux infractions futures? Ou englobe-t-il des infractions qui ne constituent plus des infractions en vertu de la loi actuelle? Car nous parlons de maisons de débauche, et cetera, et nous disons que cela n’existe plus.
En vertu du paragraphe 23(2), le gouvernement pourrait-il ajouter les maisons de débauche, ou est-ce rétroactif et il ne pourrait pas le faire? Je le dis en termes simples.
M. Kinsman : Nous avons reçu hier une lettre de Ralph Goodale en réponse à un avis qui lui a été envoyé il y a longtemps. Il a donc fallu attendre pour obtenir une réponse. Il y soutient catégoriquement que les lois sur les maisons de débauche ne seront pas incluses dans le projet de loi C-66.
C’est un véritable problème, car s’il est question de condamnations constituant des injustices historiques, la grande majorité d’entre elles ne sont pas liées à une grossière indécence, à une sodomie ou à des relations sexuelles anales. Il s’agit de toute une série d’autres infractions. Les descentes massives se perpétraient en vertu des lois sur les maisons de débauche. Il s’agit donc de les inclure, et il faut en fait pousser le gouvernement. J’exhorte les sénateurs à défendre ce qui est juste et à ne pas courber l’échine et se contenter de faire ce que le gouvernement veut faire en ce moment.
Mme Chaisson : J’ai abordé cette question dans mon mémoire et je serais heureuse de vous en parler également. Je vous encourage à lire ces mémoires.
En somme, ce projet de loi et le changement pourraient être progressifs, mais ce n’est pas nécessaire et, à mon humble avis, ils ne devraient pas l’être. Les personnes homosexuelles ont vécu cette douleur et cette injustice pendant beaucoup trop longtemps. Vous avez l’occasion de bien faire les choses dès le départ. Profitez-en, je vous en prie.
La sénatrice Andreychuk : J’ai une autre question sur les archives. Il y a des témoins qui veulent que leur dossier soit effacé. Vous avez fait valoir de façon convaincante, monsieur Kinsman, que pour des raisons historiques, ils sont nécessaires et que nous ne devrions pas effacer aussi radicalement une partie de notre histoire. C’est le même argument que les archivistes invoquent au sujet de qui peut avoir accès aux dossiers et quand, ainsi que de la règle des 99 ans qui était en place.
À qui devrions-nous nous adresser? Il ne s’agit pas seulement de dossiers historiques généraux. Qui a le droit de dire que leurs dossiers devraient être conservés?
M. Kinsman : Bien entendu, les gens qui y ont surtout droit sont ceux qui sont directement touchés, les gens qui ont été accusés et condamnés. C’est pourquoi le projet de loi devrait contenir au moins une disposition en leur faveur. Il y a peut-être beaucoup de gens qui disent : « Peu m’importe que ce soit effacé ou non », ou « Je veux au moins que les historiens et les archivistes sachent que cela m’est arrivé. » Il y a beaucoup de gens comme ça. Je ne veux peut-être pas que mon nom et mon identité soient mentionnés, mais je veux que cette information soit disponible pour le dossier historique. C’est assez facile à faire d’après moi. Il faut des principes selon lesquels ces renseignements ne peuvent jamais être utilisés contre des personnes. Ce sera aux personnes reconnues coupables de décider, mais l’information sera également mise à la disposition des historiens et des archivistes afin que notre histoire soit complète et que nous ne perdions pas des renseignements essentiels.
Je pense qu’il est possible de le faire, et je vous invite à examiner le mémoire de Canadian Lesbian and Gay Archives, qui aborde ces questions de façon beaucoup plus centrale que je ne peux le faire ici.
La vice-présidente : Merci beaucoup à nos témoins. Je sais que c’est beaucoup de travail de faire des exposés. C’est un exposé de cinq minutes, mais il faudra probablement cinq heures pour s’y préparer. Je suis heureuse que vous n’ayez pas été invités de l’autre côté et que vous ayez pu faire vos exposés ici aujourd’hui. Nous vous remercions de votre contribution et nous allons certainement l’examiner pendant notre étude article par article du projet de loi. Merci beaucoup.
Pour notre deuxième groupe de témoins, j’ai le plaisir d’accueillir Jacques Prince, président du conseil d’administration des Archives gaies du Québec, et Ross Higgins, membre du conseil d’administration et directeur des collections, de la même organisation. À titre personnel, nous accueillons Ronald Rosenes, C.M., militant pour la santé communautaire et président du conseil d’administration du Réseau juridique canadien VIH/sida. Nous accueillons également Martine Roy, membre du Comité pour la Juste Société.
Messieurs Prince et Higgins, nous allons commencer par vos déclarations préliminaires. Je ne sais pas si vous avez l’intention de faire deux exposés ou un seul.
Ross Higgins, membre, conseil d’administration et directeur des collections, Archives gaies du Québec : Nous interviendrons tous les deux. Je vais commencer par vous parler en anglais, et mon collègue passera ensuite au français pour nous donner une couverture complète.
Je remercie le comité de nous avoir invités à exprimer notre point de vue sur ce projet de loi, et je salue l’initiative du gouvernement canadien d’essayer de réparer les torts que j’ai subis depuis l’âge de six ans, quand je me suis aperçu que j’étais homosexuel.
Je travaille de manière informelle avec les Archives gaies du Québec depuis que nous avons fondé l’organisation en 1983. Avant cela, j’étais actif dans divers groupes. Je suis originaire de Toronto. J’ai déménagé à Montréal en 1975 et je me suis retrouvé en plein milieu de la vague de répression la plus féroce que la communauté homosexuelle ait connue depuis le début des années 1950. J’ai ensuite fait un doctorat en anthropologie à McGill sur les origines de l’esprit de solidarité qui règne entre les hommes gais de Montréal.
J’aimerais parler de la question de la portée de ce projet de loi, parce que, comme beaucoup d’autres intervenants l’ont dit, il ne va pas très loin en ce qui concerne les types de poursuites qui ont été intentées contre nous et il ne s’occupe certainement pas du contexte culturel.
Pour en revenir à ma propre recherche, j’ai interviewé 30 hommes de la communauté gaie de Montréal avant 1970. L’un d’eux avait été arrêté en 1956. Il se trouvait à l’entrée d’un bar où il a eu une conversation avec un homme qui lui a demandé de l’accompagner chez lui. Alors qu’ils franchissaient une allée juste en haut de la rue, des policiers en uniforme ont surgi et ils les ont arrêtés. À défaut de pouvoir invoquer une grossière indécence qui ne s’était pas produite jusqu’à ce moment-là, la police a accusé l’homme que j’ai interviewé de propos obscènes et insultants en vertu d’une partie du Code criminel dont je n’avais jamais entendu parler.
Le projet de loi n’aborde pas du tout cette question.
Toutefois, la police utilisait toutes les lois qu’elle pouvait, et s’il n’y en avait pas, comme au moins deux témoins que j’ai interrogés dans le cadre de mes recherches l’ont dit, elle se contentait de recourir à la violence gratuite. Ils choisissaient les gens, les amenaient à un terrain vague quelque part et les rossaient. C’est dans un tel climat que les gens vivaient dans les années 1950.
Par contre, la plupart des 30 hommes que j’ai interviewés n’avaient pas été touchés. Seulement deux d’entre eux avaient eu des contacts avec la police.
Toutefois, au début du mouvement à Montréal, le premier groupe de libération gai s’appelait Le front de libération des homosexuels. Il a été fondé au printemps 1971. Cet été-là, ils ont été le premier contingent gai à Montréal à participer à une manifestation publique — contre la Confédération, faut-il préciser. À l’été de l’année suivante, ils ont emménagé dans un nouveau bureau et ont organisé une fête pour l’inaugurer. La police a fait une descente parce qu’ils n’avaient pas obtenu de permis d’alcool. Tous les participants à la fête ont été emmenés au quartier général de la police et ont passé la nuit dans une cellule si petite qu’il y avait à peine assez d’espace pour que tout le monde puisse s’asseoir sur le plancher, et il y avait une toilette dans le coin.
Les mêmes conditions s’appliquaient aux personnes arrêtées en 1977 lors d’une descente dans un bar appelé Truxx à Montréal. Ce fut le véritable point tournant de la croissance du mouvement là-bas, mais 145 personnes ont été prises et détenues dans des conditions semblables, accusées cette fois-ci en vertu des lois sur les maisons de débauche. La police a commencé à invoquer ces lois à Montréal à compter de sa descente sur le sauna Aquarius en 1975 et elle a continué dans cette veine jusqu’à s’apercevoir que ce n’était pas une stratégie juridique très efficace. Dans le cas de la descente sur le Truxx, il a fallu cinq ans, mais toutes les personnes qui avaient participé ensemble à la défense du groupe ont vu leurs accusations retirées.
J’aimerais vous faire part de quelques expériences personnelles de ce genre de situation, simplement pour souligner leur importance et illustrer comment, même si les gens n’étaient pas condamnés, leur vie pouvait être gravement perturbée. Ceux qui ont été reconnus coupables de grossière indécence méritent la considération que le projet de loi tente de leur accorder, avec toutes les limites.
Je vais laisser à mon collègue le temps de vous parler davantage des aspects archivistiques.
[Français]
Jacques Prince, président, conseil d’administration, Archives gaies du Québec : Je vous remercie de votre invitation et de l’occasion qui nous est donnée de témoigner devant votre comité.
J’aimerais me présenter brièvement. J’ai obtenu, en 1985, une maîtrise de l’Université de Montréal en bibliothéconomie et en sciences de l’information avec spécialisation en archivistique. J’ai travaillé pendant 25 ans à la Bibliothèque nationale du Québec qui est devenue Bibliothèque et Archives nationales du Québec, où j’étais responsable de l’acquisition des fonds d’archive du domaine littéraire et du domaine des beaux-arts. Alors que j’étais membre du Conseil national d’évaluation des archives, j’ai été spécialiste de l’évaluation monétaire de fonds d’archives privés.
En 1983, Ross Higgins et moi avons fondé les Archives du Québec. Nous sommes toujours actifs au sein de l’organisme et sommes heureux de pouvoir témoigner au sujet des questions évoquées dans le projet de loi C-66.
Nous en venons aux mêmes conclusions que le Canadian Lesbian + Gay Archives, le CLGA, quant aux recommandations visant à amender les articles 17 et 19 du projet de loi afin de prévenir la destruction des documents d’archives. Suivant de très près les résultats des chercheurs, nous pensons qu’au profit de l’histoire, il faut éviter la destruction de ces documents. Nous sommes également tout à fait d’accord avec l’autre recommandation faite par le CLGA, soit celle de consulter Bibliothèque et Archives Canada au sujet des procédés de préservation de ces documents.
Nous suggérons également d’amender le projet de loi C-66 afin d’établir un procédé de préservation respectueux pour ces documents, procédé qui assurera la vie privée des personnes concernées tout en respectant le besoin de préserver les documents en question. Nous pensons qu’il est possible de faire du travail dans les documents sans les détruire complètement. À titre d’archiviste, il y a des façons de confronter à ces questions des gens qui veulent restreindre la consultation. Il faut tenir compte du travail professionnel et de l’éthique des archivistes et des chercheurs.
Quand les chercheurs viennent dans nos dépôts d’archives, ce n’est pas pour faire du sensationnalisme avec les noms des personnes mentionnées, mais plutôt pour aller chercher l’information sur des questions beaucoup plus larges. Et je dois dire qu’avec mes 25 ans d’expérience, je n’ai jamais vu de chercheurs qui n’étaient pas sérieux dans les travaux qui sont faits dans nos collections.
[Traduction]
Ronald Rosenes, C.M., militant pour la santé communautaire et président du conseil d’administration du Réseau juridique canadien VIH/sida, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup, sénateurs, de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et de vous faire part de mon expérience personnelle. J’espère que vous serez en mesure d’extrapoler certaines questions plus vastes à partir des histoires que je vais vous raconter.
La nuit du 5 février 1981 demeure gravée dans ma mémoire, malgré de nombreux efforts courageux pour oublier ce qui s’est passé. Je me suis retrouvé aux bains romains de Bay Sreet, à Toronto, un club pour hommes cherchant à rencontrer d’autres hommes pour des relations sexuelles consensuelles, un endroit que j’avais visité à plusieurs reprises comme homme gai de 34 ans qui cherchait à profiter de nouvelles libertés sexuelles dans un endroit censé être sûr. Ce qui s’est passé cette nuit-là, c’est ma première rencontre avec l’État et un corps policier qui a pris sur lui d’appliquer des lois archaïques sur les maisons de débauche qui existent encore aujourd’hui.
Nous avons été rassemblés brutalement, traités de « sales pédés » et arrêtés pour avoir été retrouvés dans une maison de débauche commune. La police soupçonnait peut-être que de l’argent était échangé contre du sexe, mais cela n’a jamais été prouvé devant les tribunaux. Les locaux ont été saccagés dans tous les bains de la ville, et plusieurs ont fermé leurs portes définitivement. Tout cela s’est produit sans que les garanties de justice aient été respectées.
Au cours des excuses présentées, le premier ministre Trudeau a parlé des descentes dans les bains et de la loi sur les maisons de débauche, mais pour l’instant, nous n’avons vu aucun geste accompagner ses paroles.
J’aimerais également attirer votre attention sur le fait que la loi sur les maisons de débauche a été utilisée contre les travailleuses du sexe, comme on l’a souligné plus tôt, et que celles-ci continuent d’être criminalisées en vertu de la nouvelle loi, la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation.
À l’époque, nous avons été traînés devant les tribunaux et humiliés publiquement. J’ai fini par devoir comparaître et admettre que j’avais été au bain de vapeur romain. Oui, j’ai dit la vérité, et je fus l’un des 36 hommes sur plus de 300 qui avaient été arrêtés, qui a été déclaré coupable et condamné à payer une amende — dans mon cas, la somme énorme de 35 $, ce qui est vraiment un montant insignifiant par rapport au sentiment de honte d’entendre nos noms en audience publique et de les voir publiés dans la presse.
Heureusement, mon estime de soi est demeurée intacte. Elle était assez bonne à l’époque, tout compte fait. J’ai eu l’avantage d’être élevé au sein d’une famille aimante, d’avoir un partenaire affectueux et d’avoir reçu une bonne éducation, mais je ne peux jamais oublier ce qui s’est passé la nuit où j’ai été arrêté et condamné à tort, n’ayant, dans mon esprit, commis aucun crime.
D’autres n’ont pas eu cette chance. Comme vous le savez bien, de nombreuses vies ont été détruites par l’exposition au tribunal et à la presse. À l’époque, les bains étaient souvent fréquentés par des hommes qui retournaient à la maison dans des familles qui ignoraient les complexités de l’orientation sexuelle de leur conjoint, de leur père, de leur frère ou de leur sœur. Beaucoup venaient de cultures où l’homosexualité était profondément réprouvée.
Tim McCaskell, un LGBTQ2S+ et, comme moi, un militant du Réseau VIH, a écrit à ce sujet dans son livre intitulé Queer Progress. Réveillé par un appel téléphonique en fin de soirée, il s’est précipité vers les bains où il a rencontré un homme qui était manifestement bouleversé. Il écrit :
« Ils arrêtent tout le monde. Je ne sais pas pourquoi... » Il avait ce qui semblait être un accent portugais.
« Ils vous ont laissé partir? »
« Ouais… »
« Ils ne peuvent pas nous faire ça. Ils n’ont pas le droit. Nous ne faisons de mal à personne. Ils sont arrivés comme une armée. Ils nous ont traités de pédés. Que vais-je faire? Je n’ai jamais eu de problèmes de toute ma vie. Que va-t-il se passer? Vont-ils publier nos noms dans les journaux? » Il avait les larmes aux yeux.
En fait, à ce jour, je suis encore choqué de voir à quel point les descentes dans les bains ont été traumatisantes et stigmatisantes. On sait qu’au moins deux hommes se sont enlevé la vie. Encore aujourd’hui, je suis l’une des seules personnes arrêtées qui est prête à parler publiquement des descentes dans les bains.
Le pouvoir implacable de la stigmatisation continue de jeter une ombre sur de nombreuses vies, et c’est pourquoi je comparais aujourd’hui pour faire appel à votre bon jugement afin de veiller à ce que les dossiers de personnes comme moi, qui ont été injustement reconnues coupables d’avoir été retrouvées dans tel ou tel local, soient traités sur un pied d’égalité dans le projet de loi — nous en avons beaucoup entendu parler ce matin dans les exposés précédents —, mais que nous ne soyons pas traités différemment de tous mes frères et sœurs de la communauté gaie qui ont été congédiés de la fonction publique ou exclus de l’armée pour cause d’indignité.
J’ai avec moi aujourd’hui des copies des dossiers que nous avons trouvés dans les dossiers de la police de Toronto, que je crois vous avoir fait parvenir.
J’ai donc été très surpris de constater que, grâce à une demande d’information, nous avons découvert que ces traces de mon arrestation pouvaient toujours se trouver dans les dossiers de la police de Toronto. Si c’est le cas pour moi, je suppose que c’est aussi le cas pour d’autres, si bien que c’est vraiment en notre nom à tous, y compris ceux demeurent sans voix encore aujourd’hui, que je suis ici pour demander l’inclusion dans le projet de loi C-66. C’est peut-être un peu cliché de le dire, mais c’est la bonne chose à faire.
J’aimerais aussi répéter à quel point j’estime que ma condamnation et celle d’autres personnes prises dans une descente dans des bains publics ne sont que quelques-unes des nombreuses condamnations injustes dont il faut tenir compte dans le projet de loi.
Le député Randy Boissonnault a décrit le projet de loi C-66 comme une loi visant à tenir compte des infractions criminelles qui ont servi à faire de la discrimination systématique à l’égard de la communauté LGBTQ2S+, y compris ceux d’entre nous qui ont été arrêtés lors des descentes dans les bains publics de 1981.
La radiation de tous nos dossiers ne signifie toutefois pas que je souhaite personnellement que ces documents importants disparaissent complètement. Je donnerais la permission, dans la mesure où on respecte ma confidentialité et celle d’autres personnes qui décideraient, comme moi, qu’elles aimeraient que les dossiers soient conservés dans les archives historiques, soit dans les institutions universitaires, les Canadian Lesbian and Gay Archives à Toronto ou, comme mes collègues l’ont mentionné à mes côtés, au Québec et dans d’autres provinces. Ils ne devraient tout simplement plus être conservés dans les dossiers de la police qui, à mon avis, a abusé de son pouvoir en 1981.
Il est important de tourner la page sur ces moments douloureux de notre histoire. J’ai ajouté quelques mots au sujet de l’importance, à mon avis, de prévoir que des condamnations injustes puissent être annulées dans les cas des travailleuses et travailleurs du sexe, ainsi que pour les personnes qui ont été criminalisées parce qu’elles n’ont pas divulgué leur séropositivité à leurs partenaires sexuels.
Certains diront que les descentes sont attribuables à des attitudes et à des opinions, c’est-à-dire à des préjugés contre les homosexuels et l’homosexualité qui existaient dans la société à l’époque et qui persistent encore aujourd’hui. Les lois ne changent pas nécessairement les attitudes dominantes, mais elles sont entièrement nécessaires à la protection des droits de la personne et elles représentent une étape nécessaire dans la lutte en cours pour promouvoir la tolérance et le respect de la différence dans la société canadienne.
Merci beaucoup de m’avoir permis de vous faire part de mon expérience personnelle. Merci.
La vice-présidente : Merci, monsieur Rosenes.
[Français]
Martine Roy, membre, Comité de la Juste Société : Honorables sénateurs et sénatrices,bonjour. J’ignore si vous me connaissez, mais je vous exposerai ici mon expérience personnelle ainsi que mes réalisations. J’ai lancé le recours collectif pour les excuses LGBTQ et aussi pour le règlement.
En 1983, à 19 ans, je me joignais aux Forces armées canadiennes pour suivre une formation comme assistante médicale. Deux ans plus tard, j’ai été soumise à un interrogatoire et j’ai été invitée à voir un psychiatre avant d’être congédiée pour homosexualité et déviance sexuelle.
Je m’appelle Martine Roy et je suis membre du Comité de la Juste Société qui lutte pour les droits de la personne par l’entremise du Fonds Egale Canada. Le président de notre comité, Douglas Elliott, n’a pu m’accompagner aujourd’hui, car il est sur le point de faire un exposé à la faculté de droit de Harvard pour présenter la purge LGBTQ. Nous avons discuté de cette soumission et Helen Kennedy, directrice générale d’Egale Canada, est au courant de son contenu. Elle participe actuellement au sommet du Commonwealth à Londres.
L’annulation des condamnations injustes et historiques est l’une des demandes formulées par le Comité de la Juste Société dans son important rapport de 2016 intitulé Grossly Indecent. Nous sommes heureux que le Canada prenne des mesures contre ces injustices historiques, comme cela se fait en Allemagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Nous sommes heureux de constater qu’il y a possibilité d’ajouter d’autres crimes au projet de loi C-66 par l’entremise de règlements. Nous partageons les préoccupations exprimées par M. Kinsman et d’autres personnes au sujet des imperfections de ce projet de loi. Malgré toutes ses imperfections, c’est toujours un bon projet de loi, très innovateur, en 2018.
Un projet de loi est important dans la mise en place de fondations. Il est aussi crucial à la future réparation historique, et Dieu sait que j’en fais partie, car j’ai vécu 33 ans dans l’infamie. Des condamnations ont été prononcées dans le cadre de descentes dans les maisons de bains et les clubs LGBTQ.
[Traduction]
Si nous avions été consultés, nous aurions peut-être proposé des modifications au projet de loi avant son dépôt à la Chambre des communes. Nous aurions pu en élargir la portée. Nous craignons notamment que les lois concernant les bains publics qui ont été utilisées contre notre communauté ne soient pas nommées dans ce projet de loi.
Il est également ironique que le projet de loi permette la radiation des condamnations prononcées en vertu de l’article 159, alors que l’article 159 en soi n’a pas encore été abrogé. Cette ambiguïté est honteuse pour le Parlement.
[Français]
Nous avons également des préoccupations au sujet du processus. Nous devrons voir les règlements pour savoir si le processus fonctionnera aussi bien que dans l’État de Victoria, en Australie, où les victimes ont bénéficié d’une aide juridique gratuite. La Commission des libérations conditionnelles du Canada n’a aucune expertise particulière en matière de questions LGBTQ2 et devra recevoir une formation adéquate.
[Traduction]
Le projet de loi C-66 a toutefois le mérite d’englober les principes essentiels de la reconnaissance et de la mise en place d’un moyen de faire disparaître les condamnations injustes. Il n’est pas plus juste de donner aux victimes la possibilité de faire radier leur dossier que de maintenir, comme seule option pour ces victimes, la voie vers une demande de pardon à la Couronne, celle-là même qui est responsable de leurs condamnations injustes en vertu de lois et de politiques discriminatoires.
Ce projet de loi permet au gouvernement et aux législateurs de reconnaître que, pendant des siècles, le Parlement a créé et maintenu des lois discriminatoires. Ces lois et mesures discriminatoires existaient avant la Confédération canadienne; elles étaient en grande partie le résultat de la colonisation et de l’imposition de valeurs culturelles et morales de nature européenne et catholique.
[Français]
Pendant des milliers d’années, les peuples autochtones vivaient sur l’île de la Tortue, leur nom pour notre continent. Ces Autochtones avaient une religion, mais ils n’avaient pas de concept de péché sexuel, un concept importé, malheureusement, par les colonisateurs. Au XVIIIe siècle, après la défaite et la disparition du régime français au Canada et à la suite de l’arrivée des Anglais, ces derniers ont introduit leur droit pénal, y compris la fameuse loi d’Henri VIII contre le vice abominable de la sodomie, à l’origine de l’article 159. Au cours du XIXe siècle, on est témoin d’un recul du principe de la bispiritualité. C’est la colonisation et les missions chrétiennes, un outil d’assimilation culturelle grâce au système des pensionnats.
Ce projet de loi C-66, malgré ses défauts, vient répondre à l’intolérance première de l’article 159 du Code criminel qui se trouve à être un outil clé contre l’homosexualité. Nous craignons que, si ce projet de loi est renvoyé à la Chambre des communes avec des amendements dans le but de perfectionner le projet de loi, il risque d’être perdu. Il peut devenir victime des mêmes problématiques politiques qui bloquent actuellement l’avancée des projets de loi C-32 et C-39 permettant l’abrogation de l’article 159 du Code criminel. À notre avis, il serait dangereux de sacrifier ce bon projet de loi dans l’espoir d’obtenir un projet de loi encore meilleur. Les problèmes ne sont pas primordiaux. Il y a une citation qui traduit fort bien cela.
[Traduction]
Comme l’a dit Voltaire, le mieux est l’ennemi du bien. Nous appuyons l’adoption du projet de loi C-66.
[Français]
Pour conclure, nous soutenons le projet de loi C-66 tel qu’il est rédigé actuellement et nous souhaitons son adoption dans les délais les plus brefs. La communauté LGBTQ2 attend depuis le XVIIIe siècle.
[Traduction]
C’était il y a très longtemps. Nous avons été plus que patients. Le temps du changement et de l’innovation est venu.
La vice-présidente : Je m’adresse aux témoins. Vos récits personnels se sont produits pendant une période très sombre de notre histoire, qui ne remonte malheureusement pas à si loin. Merci beaucoup de nous en avoir fait part. Vos témoignages nous aideront certainement lorsque nous étudierons le projet de loi. Je vais commencer par le sénateur Cormier, parrain du projet de loi.
Le sénateur Cormier : Je vous remercie de votre exposé et de certaines histoires qui ont été et demeurent encore aujourd’hui trop présentes dans notre société.
[Français]
Je suis très touché par vos interventions. Ma question s’adresse à Mme Roy.
Madame Roy, je tiens à vous remercier du travail extraordinaire que vous avez fait dans ce document qui nous éclaire sur l’historique de la situation actuelle de la communauté LGBTQ2. Je comprends par votre intervention que le projet de loi, tel qu’il est rédigé, répond aux premières urgences. Vous avez aussi parlé de réglementation. On entend, effectivement, les enjeux qui touchent les dispositions sur les maisons de débauche.
Si vous aviez à faire une proposition concrète, comment intégreriez-vous cet enjeu dans le projet de loi ou dans un règlement?
Mme Roy : Je l’intégrerais avec une correction du règlement, après avoir adopté le projet de loi. Plusieurs descentes ont eu lieu dans les maisons privées. Être lesbienne dans les années 1980 n’était pas plus facile qu’aujourd’hui. S’en sont suivies les années 1990 avec le sida, et ainsi de suite. À mon avis, il faut prendre le temps d’adopter une loi avec une bonne fondation. Ensuite, il faut prendre le temps d’en regarder l’impact. C’est comme les lettres LGBTQ2S, c’est grand. J’appelle cela une nuance. Tout le monde a sa nuance, donc, il y en a beaucoup. Il faut en examiner tous les angles et y apporter des modifications.
Il faut faire quelque chose. Cela dure depuis trop longtemps, et le statu quo n’est pas une solution. On est rendu là et on est vraiment à la bonne place. À mon avis, le projet de loi doit être adopté pour qu’on puisse continuer d’avancer. Des excuses très bien prononcées ont été faites et elles s’adressaient à tout le monde et pas seulement aux militaires ou aux membres de la fonction publique. Il a été démontré par le passé qu’il était possible d’apporter des modifications à la suite de l’adoption d’un projet de loi. De nombreuses lois ont été mises en œuvre et ont fait l’objet de modifications. Je ne vois pas pourquoi cela nous arrêterait.
Le sénateur Cormier : Ma deuxième question s’adresse à M. Rosenes. Je veux tout d’abord vous remercier, monsieur Rosenes, pour tout le travail que vous faites dans le combat contre la stigmatisation dont souffrent les victimes du VIH/sida. Nombre d’entre nous doivent vivre avec la disparition de tant de gens de notre entourage.
Dans votre document, vous recommandez au comité de garder la liste des convictions admissibles ouverte plutôt que de la limiter aux convictions citées dans l’annexe. L’article 23 du projet de loi nous indique que le gouverneur en conseil a le loisir d’y ajouter des convictions qui ont été des injustices historiques.
Alors, le projet de loin n’a-t-il tout de même pas le mérite d’établir des fondations nécessaires, un peu comme l’a exprimé Mme Roy? J’aimerais vous entendre sur le défi que nous avons par rapport au projet de loi tel qu’il est rédigé à l’heure actuelle et à ces nombreux enjeux. Jugez-vous, comme Mme Roy, que le projet de loi tel qu’il est rédigé est un premier pas dans la bonne direction?
M. Rosenes : Je dirais que oui. C’est un pas dans la bonne direction.
[Traduction]
Je vais continuer en anglais, si vous le permettez.
J’ai adopté une approche relativement étroite étant donné que je m’occupais de la question personnelle des descentes dans les bains publics et que, dans le cadre de mon travail sur le VIH, j’ai commencé à réfléchir aux répercussions plus vastes. Il y a selon moi deux ou trois choses à signaler.
Premièrement, oui, c’est un pas dans la bonne direction. Pour moi, la question est de savoir ce qu’on peut faire maintenant pour améliorer la loi et le projet de loi avant qu’il ne soit approuvé. Je pense que l’on peut et que l’on doit en faire bien davantage. La grande question est de savoir dans quelle mesure — encore une fois, je ne suis pas avocat, et je ne suis pas spécialisé dans les questions juridiques — le projet de loi en soi peut être modifié ou être doté de la souplesse nécessaire pour que des causes soient entendues à l’avenir, ce qui, à mon avis, est fort probable et exigera une attention semblable là où des modifications seront apportées à la loi.
Cette loi a de profondes répercussions. Je suis les arguments selon lesquels elle pourrait entraîner une contestation en vertu de la Charte. La loi vise à corriger l’injustice. À l’avenir, je crois qu’il faudra revenir en arrière et réparer les injustices liées aux travailleuses et travailleurs du sexe et à d’autres.
Je suis particulièrement préoccupé en ce moment par une question que je connais encore mieux, à savoir le défaut de divulguer sa séropositivité. Nous savons maintenant que le Canada est malheureusement — et j’utilise ce terme de façon ironique — un chef de file mondial en matière de poursuites criminelles contre des personnes, utilisant la loi sur les agressions sexuelles graves pour condamner des personnes ayant omis de divulguer leur séropositivité.
De plus en plus — encore une fois avec l’appui de la ministre fédérale de la Santé et des ministres et des procureurs généraux des provinces —, nous commençons à nous rendre compte que la loi doit évoluer au rythme des percées scientifiques. Ce faisant, l’on constatera parfois que des gens ont été condamnés à tort pour avoir omis de divulguer des renseignements, simplement parce qu’en vertu de la loi actuelle, malgré le fait qu’ils n’avaient pas l’intention de faire du mal à une autre personne, malgré le fait qu’il n’y a pas eu de transmission du VIH, ils ont quand même été condamnés à de longues peines d’emprisonnement. Nos recherches ont montré que ces peines sont plus longues que celles que doivent purger des violeurs en vertu de l’application initialement prévue des lois sur les agressions sexuelles graves. Il y a là une injustice fondamentale. Je pense qu’il serait très important pour les lois que le projet de loi C-66 soit assez souple pour tenir compte à l’avenir d’autres condamnations injustifiées comme celles que je viens de décrire.
[Français]
Le sénateur Cormier : Est-ce que l’article 23, qui donne le pouvoir au gouverneur en conseil de faire des ajouts, donne cette flexibilité? Je pense que l’intention de l’article est de permettre l’inclusion d’autres injustices. Ma préoccupation, c’est de savoir, comme de plus en plus de situations apparaissent comme des injustices, où s’arrête le projet de loi actuellement et ce qu’il offre comme ouverture pour l’avenir.
[Traduction]
M. Rosenes : Il s’agit de l’article 23, qui fait partie de…
[Français]
Le sénateur Cormier : Il est indiqué dans le projet de loi que le gouverneur en conseil aura la possibilité d’ajouter à la liste d’autres injustices historiques. Je crois que, dans la rédaction du projet de loi, au départ, le gouvernement était conscient que la couverture du projet de loi n’était pas complète, mais qu’il y avait une ouverture pour d’autres possibilités.
[Traduction]
M. Rosenes : Si cela fonctionne, tant mieux. Il ne m’appartient pas de dire si cela fonctionnera ou non. Ma principale préoccupation consiste à savoir si vous pourrez revenir en arrière, en utilisant l’article 23, pour faire ce que vous aviez l’intention de faire. Si c’est le cas, je pense que cela réglera la question. Toutefois, si ce n’est pas le cas, et s’il risque d’y avoir contestation en vertu de la Charte à ce sujet, la question sera épineuse.
La sénatrice Andreychuk : Je reviens aux archives, et c’est toujours un sujet délicat. J’ai peut-être moi-même été victime d’une injustice de la part du gouvernement, mais il y a un dossier historique qui nous appartient à tous. Où faut-il tracer la ligne et qui doit tenir les dossiers publics? Nous pourrions dire non, la radiation signifie ce qu’elle doit signifier, c’est-à-dire comme si un dossier n’avait jamais existé. C’est ce que l’on entend véritablement par radiation, par opposition à un pardon ou à un autre moyen historique de réparer le tort. Si nous parlons de radiation, cela signifie que le dossier a disparu. Je vous entends toutefois dire « disparu, mais », et rappeler que quelqu’un doit tenir les dossiers et les traiter de façon responsable. Or, s’il s’agit des Archives nationales, elles font l’objet d’un examen public. S’il s’agit des archives de votre communauté, comment cela se passe-t-il?
Ce qui me pose problème, c’est l’équilibre entre les droits de la personne et ceux du public. Je ne sais pas si les archives ont permis de régler le problème parce qu’il y a encore pour certains projets de loi des amendements concernant les archives, et j’étais ici lorsque nous avons longuement bûché sur celui-ci. Je ne suis pas sûre que nous ayons trouvé le juste équilibre parce que les gens affirmaient catégoriquement que leurs dossiers n’appartiennent qu’à eux. Les historiens, quant à eux, soutenaient que ces dossiers étaient du domaine public. Comment les tenir alors? Qui doit les examiner? Qui doit les vérifier? Cela me préoccupe.
M. Higgins : Même nos archives ont toujours soulevé ce genre de dilemme, parce que nous détenons des listes de membres de groupes et autres — c’est-à-dire des listes de noms. Dans l’entente que nous faisons signer aux chercheurs qui viennent consulter nos archives, il est précisé qu’ils n’utiliseront pas les noms de personnes qui n’ont pas joué un rôle important ou dont l’histoire ne doit pas nécessairement être rendue publique. Il s’agit là essentiellement du code de déontologie auquel sont soumis les chercheurs et les institutions.
La sénatrice Andreychuk : Mais vos institutions ne sont pas publiques, mais bien privées.
M. Higgins : Non, mais nous détenons des renseignements.
La sénatrice Andreychuk : C’est le dilemme auquel je suis confrontée. Si elles sont publiques, nous savons comment les contrôler et nous pouvons prévoir certaines conséquences. Si elles sont privées, il faut un niveau de confiance assez élevé. C’est ce que je remets en question. Comment pouvons-nous acquérir cette confiance? Je ne connais pas votre institution. Vous parlez de « comportement conforme à l’éthique », mais la plupart des règles ne sont pas créées pour les 99 p. 100 de personnes qui s’y conforment, mais bien pour le mouton noir. Quelle est donc la solution?
M. Rosenes : J’ai quelques réflexions à ce sujet. Pour une raison ou une autre, cela me fait penser aux récents dilemmes de Facebook concernant le traitement de l’information et surtout la question du consentement.
Vous ne la connaissez peut-être pas, mais l’une des applications que les hommes utilisent pour trouver d’autres hommes à des fins de fréquentation et de relations sexuelles, appelée Grindr, permet aux hommes d’indiquer leur statut sérologique sur l’application. Cette information, y compris concernant la séropositivité, était fournie à des développeurs d’applications tiers. Puisque des hommes affichaient ainsi leur statut sérologique au vu et au su de tout le monde, cette information devenait du domaine public.
Pour répondre à votre question en ce qui concerne mes dossiers personnels détenus par la police, ils ne sont pas du domaine public, nulle part; personne n’est autorisé à y avoir accès. Si je veux qu’une archive puisse en détenir une copie, je dois l’autoriser personnellement, tout comme nous voulons que ce soit le cas pour les applications de type Facebook. Autrement dit, ne faites rien sans m’en informer. Si l’information est déjà du domaine public, cela peut être un peu différent. Il faut faire très attention de faire la distinction entre l’information qui n’est pas du domaine public, sur laquelle on peut encore exercer un certain contrôle, les autorisations accordées et la confidentialité assurée, et comprendre que si une information est déjà du domaine public, la façon de la traiter risque d’être un peu différente.
Mme Roy : Personnellement — parce que j’avais un dossier —, je pense que le dossier doit être détruit si c’est ce que je souhaite. Si je ne veux pas qu’il soit détruit, je dois en être la seule propriétaire. Si je veux le partager avec les archives, je le ferai en qualité de fonctionnaire. Si j’estime que mon histoire est importante, et je crois qu’elle l’est, je vais la partager. Certains ne veulent toutefois pas la partager. Certaines familles ne veulent pas la partager. Je ne pense pas que l’on puisse tout bonnement la prendre et la remettre aux archives, non. Cette histoire appartient à quelqu’un, et c’est cette personne qui doit prendre la décision au bout du compte.
Le sénateur Cormier : J’ai une question complémentaire. Est-il déjà possible pour les victimes de décider?
Mme Roy : Oui.
Le sénateur Cormier : C’est donc déjà possible.
La sénatrice Andreychuk : Aux yeux de cette loi, un document public est public. Vous aurez peut-être de la difficulté à le trouver, mais si vous êtes condamné, il est quelque part dans le domaine public. Ce que nous disons maintenant, c’est que nous allons le radier.
[Français]
M. Rosenes : Pour être clair, j’ai déjà donné la permission aux archives à Toronto de garder mes documents concernant les descentes dans les bains publics.
[Traduction]
La vice-présidente : Si ce projet de loi est adopté, le gouvernement a mis de côté 4 millions de dollars pour aider les gens à faire radier leurs condamnations et pour faire de la publicité afin que les gens sachent que cela a pu se produire. Lorsque nous siégeons au Parlement, nous avons tendance à nous imaginer que tout le monde connaît la teneur des lois qui sont adoptées, mais en réalité, à moins d’être partie prenante au dossier et d’y être vraiment attentif, vous ne saurez peut-être même pas que ce projet de loi est devant le Sénat, et s’il est adopté ou non.
Quelle serait donc la meilleure façon de dépenser cet argent pour s’assurer que le plus grand nombre possible de personnes qui veulent que leurs condamnations soient radiées puissent le faire?
Mme Roy : Nous en sommes déjà là pour la purge LGBT. Il s’agit de concevoir certaines communications à diffuser dans les médias sociaux et dans les journaux. Nous devrions aussi faire appel à la communauté LGBT, mais en même temps, je pense que des gens qui ne font pas partie de cette communauté ont aussi été arrêtés. Je pense que l’appel doit être entendu par le plus grand nombre possible.
En parallèle, j’estime nous devrions accorder une aide juridique aux personnes qui ne savent pas comment demander leur dossier ou le faire radier, ou simplement savoir s’il existe un dossier à leur nom. Elles n’ont peut-être pas les moyens financiers de le savoir.
Une sorte de clinique d’aide juridique pourrait faire l’affaire. Il pourrait s’agir d’une clinique itinérante qui se rendrait dans les différentes provinces à différents moments.
Il y a beaucoup d’idées pour aider les gens à faire radier leur condamnation. Personnellement, je suis très heureuse que cette condamnation ait été effacée de mon dossier et de ne plus être considérée comme une déviante sexuelle.
M. Higgins : J’ai un commentaire plus général. Quelqu’un a parlé de la loi sur les maisons de débauche. Le comité doit savoir que, pour Montréal en particulier, c’est en vertu des lois sur les maisons de débauche que des accusations ont été portées contre la plupart des hommes dans les 40 dernières années. Je ne connais pas les statistiques relatives aux actes indécents et ainsi de suite, mais il y a d’abord eu quelques arrestations en 1975. En 1976, 90 personnes ont été arrêtées dans des bains publics. À partir de ce moment-là, des descentes ont eu lieu non seulement dans des bains publics à Montréal, mais aussi dans des bars. Le simple fait de sortir prendre un verre signifiait qu’on pouvait être arrêté et accusé de s’être trouvé dans une maison de débauche. La vie des gens en a été grandement affectée. Des centaines de personnes ont été touchées, jusqu’à la descente en 1984 dans un bar appelé Buds, pour laquelle la police a par la suite présenté des excuses. C’était principalement sous cette forme que s’exerçait la répression à Montréal ces années-là.
La sénatrice Pate : Je ne sais pas si vous étiez ici lorsque j’ai posé la question au groupe de témoins précédent, mais je vais vous la poser, et elle est en lien avec la question de la sénatrice Cordy.
S’il s’agissait d’une présomption — si vous étiez réputée avoir fait radier un document plutôt que d’avoir à présenter une demande —, qu’en penseriez-vous? Si c’était ainsi — je regarde Mme Roy —, voudriez-vous quand même que les fonds soient consacrés à des cliniques d’aide juridique, ou préféreriez-vous que ces ressources soient consacrées à d’autres activités d’éducation publique? J’aime l’idée d’une clinique itinérante, mais ce serait peut-être un autobus ou un train aux couleurs de l’arc-en-ciel. Je ne sais pas... Quelque chose du genre.
Mme Roy : Ce qui est difficile à l’heure actuelle, c’est de trouver ces dossiers. Oui, j’aimerais bien que vous les trouviez et que vous en assumiez la responsabilité. Faites-le, je vous en prie, mais je ne suis pas sûre que ce soit possible.
Tous les services de police — et j’entends parler de celui de Montréal. Cela me touche vraiment, parce que je viens de Montréal, et j’avais entendu toutes ces histoires. En même temps, je sais que la Charte des droits et libertés est entrée en vigueur en 1977. Si j’avais été dans une armée du Québec, je n’aurais pas été renvoyée.
Pour moi, ce serait mieux. Je pense que les gens savent qui a été arrêté; nous le savons. Je sais ce qui m’est arrivé. Ils le savent tous. Je crois que nous devrions le demander.
Ce serait un processus plus facile et plus rapide, selon moi.
M. Higgins : Je ne sais pas. J’ai fait l’expérience d’essayer de recruter des gens pour mon processus d’entrevue aux fins des recherches dans le cadre de mon doctorat, et plusieurs personnes ont refusé, préférant ne pas revenir sur cet épisode de leur vie. Je pense que ces refus seraient fréquents dans ce cas-ci. Il faut se rendre au poste de police et faire une déposition ou quelque chose du genre. Les gens hésiteront à le faire.
Il faudrait mener une vaste campagne de publicité, et prévoir différentes situations dans lesquelles les gens pourraient faire ce genre de demande, si c’est ce que la loi exige.
Mme Roy : Il ne devrait toutefois pas être nécessaire de se rendre au poste de police selon moi.
M. Higgins : Il faudrait alors rencontrer un fonctionnaire et lui dire : « J’ai été condamné pour une accusation honteuse il y a quelques années. »
La vice-présidente : Cela devrait faire partie de la trousse d’information, n’est-ce pas? Il ne serait pas nécessaire d’aller au poste de police.
M. Higgins : Les gens seront placés dans une certaine position. Dans une telle situation, beaucoup de gens ne font aucunement confiance au gouvernement.
La vice-présidente : Je peux comprendre cela.
La sénatrice Pate : J’ai une petite question complémentaire. C’est en partie ce à quoi je pensais. Pour en revenir à la question de savoir si vous étiez dans l’armée ou dans ma situation — j’ai grandi dans un contexte militaire — pour bien des gens, les conséquences d’une condamnation publique étaient très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui.
C’est, en partie, ce que je pense d’un processus automatique. Serait-ce plus facile pour certaines personnes, compte tenu de ce que vous dites — concernant la méfiance relativement à l’endroit où sont conservés les dossiers ou à savoir s’ils existeront toujours ou non? Je suppose que cela empêcherait quiconque de les utiliser à quelque fin que ce soit, mais je comprends ce que vous dites, et je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Hartling : Je n’ai pas vraiment de question, mais je tenais à vous remercier de votre courage et de nous avoir fait part de vos histoires. Je sais qu’il doit être très difficile pour vous de revivre tout cela.
J’ai beaucoup appris aujourd’hui et je continuerai d’apprendre à mesure que nous étudierons ce projet de loi. Il est important que la société en sache davantage sur ce qui s’est passé. Comme c’est un sujet très difficile à partager, je vous remercie d’être venus ici aujourd’hui. Merci beaucoup.
La vice-présidente : Pour faire suite aux observations de la sénatrice Hartling, au nom du comité, je tiens à vous remercier de vos témoignages en notre nom et de la part de ceux qui nous regardent à la télévision. Il est important d’entendre tous les témoignages au sujet des choses horribles qui se sont produites. Vos témoignages nous ont été très utiles dans le cadre de notre étude du projet de loi C-66. Je vous remercie beaucoup de tout le travail que vous avez fait avant de venir nous parler ce matin.
(La séance est levée.)