Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 32 - Témoignages du 7 août 2018
EDMONTON, le mardi 7 août 2018
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 18 h 8, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des détenus dans le système correctionnel.
La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir, mesdames et messieurs. Avant de commencer, autorisez-vous, mesdames les sénatrices, les photographies et la captation vidéo de la réunion?
Des voix : Oui.
La présidente : Ensuite, acceptez-vous que, aux fins de recevoir des témoignages durant nos audiences publiques des 7 et 11 août 2018, le quorum soit fixé à deux membres du comité?
Des voix : Oui.
La présidente : Merci. Je vais maintenant demander aux sénatrices de se présenter.
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, et je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La présidente : Je m’appelle Wanda Thomas Bernard, je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse et je suis présidente du comité.
Nous sommes honorés d’être à Edmonton ce soir pour poursuivre notre étude sur les questions concernant les droits de la personne des détenus dans le système correctionnel. Nous avons visité aujourd’hui le Centre de guérison Stan Daniels, et nous visiterons demain l’Établissement d’Edmonton, suivi de l’Établissement d’Edmonton pour femmes et de la Buffalo Sage Wellness House mercredi. Nous poursuivrons ensuite notre route jusqu’à Abbotsford pour d’autres visites et audiences.
Pour notre premier groupe aujourd’hui, nous sommes ravis d’accueillir, à titre personnel, Mme Lisa Neve, et M. Chris Hay, directeur général de la Société John Howard de l’Alberta.
Madame Neve, c’est vous qui commencez, suivie de M. Hay.
Lisa Neve, à titre personnel : D’abord, je vous remercie de me recevoir ici aujourd’hui. C’est merveilleux. Je connais Kim depuis que j’ai 13 ans, et j’ai été surprise et étonnée de voir qu’elle est ici aujourd’hui. Mon conjoint est là-bas, et je suis très heureuse qu’il soit ici aujourd’hui.
Tout d’abord, j’aimerais dire que mon expérience avec le système de justice pénale est différente et inhabituelle. En 1993, j’ai été déclarée la femme la plus dangereuse au Canada et condamnée à une peine d’emprisonnement à perpétuité et — en fait, c’était une peine d’emprisonnement pour une période indéterminée, et je suis passée d’un établissement à sécurité maximale à l’autre et j’ai toujours été traitée différemment en raison de ma peine. Ce n’était pas mon comportement — eh bien, mon comportement, je m’infligeais des blessures, mais je n’en infligeais pas aux autres ni ne faisais rien d’autre.
Quand on est pris dans un établissement à sécurité maximale sans espoir d’aller dans une prison à sécurité moyenne, on en vient à faire des choses insensées. J’avais l’habitude de casser les fenêtres ou de faire toutes sortes de choses, mais c’était par frustration. Je n’ai pas une fois cru que j’étais la femme la plus dangereuse au Canada. Je croyais que j’étais Lisa Neve, soeur, fille, amie. Je ne croyais pas que j’étais la pire personne au Canada. Donc, en 1990... Quand est-ce que mon appel a eu lieu?
La sénatrice Pate : Le 29 janvier.
Mme Neve : Le 29 janvier, oui. J’ai gagné mon appel et j’ai été remise en liberté. Cela fait 18 ans que je suis sortie de prison. C’est tout.
La présidente : Merci. Y a-t-il quelque chose dont vous vouliez nous faire part en ce moment? Sinon, nous aurons des questions pour vous.
Mme Neve : Beaucoup de choses que j’ai vécues m’ont paru utiles. Les aînés autochtones sont utiles. Je suivais ce cours appelé « programme de réconciliation entre les victimes et les contrevenants », qui est de loin le meilleur programme que j’aie jamais suivi. Il portait sur les effets que les entrées par effraction produisent sur les familles, les gens et ainsi de suite. On rencontrait des gens, donc j’ai appris comment cela les touchait. Même si je crevais de faim aujourd’hui, je n’entrerais plus jamais dans la maison de qui que ce soit. Et j’ai donc eu cela. J’ai eu les aînés, mes amis, ma famille, mon conjoint. J’ai tant de choses pour lesquelles je suis reconnaissante.
Mais quand je voulais me battre... Parfois, c’est difficile, parce que je me disais que je ne voulais pas être en prison pour le reste de mes jours. Si j’avais perdu en appel, je serais encore en prison.
Des petites choses qui me rendaient heureuse étaient des événements importants pour moi, comme voir ma famille ou parler à Michael chaque dimanche, et des choses que je devais faire qui me rendaient heureuse.
J’appelais Kim environ cinq fois par jour. C’était difficile d’être étiquetée, vous savez, parce qu’alors comment pouvez-vous attribuer une cote de sécurité minimale ou moyenne à une personne lorsqu’elle est la femme la plus dangereuse au Canada? Cela ne tient pas debout. Donc, j’ai trouvé cela très difficile de m’adapter.
Enfin, à ma sixième année en dedans, on m’a déménagée au Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci. J’y suis restée six mois, mon appel a abouti, et je suis rentrée chez moi.
La présidente : Fantastique. Merci.
Nous entendrons M. Hay, puis nous passerons à une période de questions.
Chris Hay, directeur général, Société John Howard de l’Alberta : Merci de me fournir l’occasion de comparaître devant vous. Je crois que vous avez sous les yeux un document. Je ne vais pas vous en faire la lecture, évidemment, mais j’aimerais faire ressortir les cinq points principaux qui se trouvent en haut de la première page, lorsque nous parlons de l’incarcération. Une partie de ces points sont assez détaillés, et une partie sont davantage philosophiques, je suppose, un peu plus à 30 000 ou 40 000 pieds dans les airs.
Le premier point est très précis, et c’est l’isolement cellulaire. Sur les deux pages suivantes, vous avez quelques statistiques à ce sujet. Les Nations Unies ont déclaré, je crois, qu’une personne ne devrait pas passer plus de 16 jours en isolement cellulaire. J’ai toutes les références pour vous si vous les voulez.
Cette déclaration date d’il y a à peine un an ou deux, mais nous avons au Canada des gens qui passent des centaines et des centaines de jours en isolement cellulaire et préventif. Donc, les statistiques révèlent cela ici, mais vraiment, l’isolement cellulaire devrait être utilisé comme dernier recours, et le moins longtemps possible. Il y a quelques autres détails, mais c’est un point que je souhaitais faire valoir. Et si vous avez des questions là-dessus, j’imagine que j’y répondrai par la suite.
Le prochain point dont j’aimerais parler est la surreprésentation, et cela commence au bas de la page 2 et se poursuit jusqu’aux pages 3 et 4. Encore une fois, juste quelques chiffres. Je pense que nous sommes tous bien au courant de la surreprésentation des Autochtones. En général, les Autochtones comptent pour environ 4 ou 5 p. 100 de la population canadienne, mais ils représentent de 18 à 23 p. 100 de nos détenus, selon ce que vous examinez : les centres de détention provisoire, les établissements provinciaux ou les établissements fédéraux.
Cela fait 10 ans que je travaille auprès de la Société John Howard, mais auparavant, j’ai été consultant pour des services de police du monde entier et j’ai travaillé auprès du service de police d’Edmonton. Ce qui est ironique à mes yeux — pas drôle, mais ironique —, c’est que mon travail auprès du service de police se résumait à m’occuper de l’unité du renseignement et, essentiellement, à établir des listes des délinquants prioritaires et multirécidivistes, ce qui veut dire les principaux délinquants à Edmonton. Et je peux vous dire que, lorsque nous avons établi ces listes, 8 personnes sur 10 étaient de jeunes hommes blancs. Ce n’étaient pas des hommes autochtones. Donc, je trouve assez dérangeant de constater que nous avons une surreprésentation depuis des dizaines et des dizaines d’années.
La deuxième chose que je trouve dérangeante à ce propos, c’est que nous avons tenu commission royale sur commission royale, étude sur étude, et vous savez quoi? Je dialogue avec le gouvernement de l’Alberta en ce moment, l’Université de l’Alberta et la Société John Howard, et nous rédigeons une demande de subvention du CRSH. Donc, je suis aussi à blâmer. Néanmoins, nous avons eu je ne sais combien d’études pendant environ 20 ans, et si vous examinez en réalité les données, la surreprésentation semble empirer. Elle ne reste même pas stable, et cela, même malgré nos connaissances. Pour moi, c’est assez dérangeant. Nous espérons pouvoir obtenir notre subvention du CRSH afin de pouvoir examiner pourquoi, malgré toute cette recherche, nous continuons d’aller dans la direction opposée. Nous aimerions à tout le moins que cela reste stable. J’aurais espéré que les choses s’améliorent, mais ce n’est pas le cas.
Nous savons que des raisons culturelles et structurelles expliquent la surreprésentation. Celles-ci sont nombreuses. Si c’est une question que vous souhaitez poser plus tard, je serai heureux d’y répondre.
Les troisième, quatrième et cinquième points se trouvent sur la dernière page. Ils sont de nature plus philosophique, mais si je donne des cours à l’Université de l’Alberta ou à l’Université MacEwan, c’est le genre de choses que j’aime.
L’incarcération comme moyen de dissuasion. La théorie de la dissuasion est une théorie fantastique, mais ce n’est bon qu’en théorie. Cela ne fonctionne pas du tout en pratique. Pour que la dissuasion fonctionne, vous avez besoin de certitude à l’égard de la peine, de rapidité dans l’exécution de la peine et d’une peine assez sévère. Tous les trois éléments doivent fonctionner à l’unisson pour avoir un effet dissuasif.
La certitude à l’égard de la peine est une impossibilité; par conséquent, vous n’avez pas de moyen de dissuasion. Nous ne voulons pas la rapidité, parce que nous allons éroder l’application régulière de la loi. Et on pourrait dire que le Canada a des peines assez sévères. Donc, le Canada n’a qu’un des trois éléments.
En passant, aucune civilisation de l’histoire de l’humanité n’a jamais été en mesure d’obtenir tous les trois. Ainsi, du point de vue philosophique, l’incarcération comme moyen de dissuasion ne fonctionne pas.
Le quatrième point, l’incarcération pour assurer la sécurité publique... Je pourrais en fait argumenter avec vous pour dire que l’incarcération débouche sur moins de sécurité publique. Nous disposons d’un certain nombre d’études. Un certain nombre de personnes qui sont libérées disent : « Quand je suis entré, j’étais plutôt dur, mais lorsque vous allez en dedans, vous devez vous joindre à un gang. Je n’étais pas toxicomane, mais maintenant je le suis. » Beaucoup de personnes quittent les prisons dans un état pire que celui dans lequel elles sont entrées.
Cela m’amène au même point que celui que j’ai fait valoir ici. Tout particulièrement à l’échelon provincial — je sais que nous sommes ici au niveau fédéral, mais c’est trop difficile de les séparer, bien franchement. Dans la plupart des cas, les gens qui se trouvent dans nos établissements carcéraux ne représentent pas un danger pour la collectivité. Dans la plupart des cas, ce ne sont pas des délinquants prioritaires, et ils ne sont pas multirécidivistes. Les détenus sont ceux qui sont désavantagés sur le plan économique, ceux qui ont un faible niveau d’éducation, des problèmes de toxicomanie, des problèmes de dépendance, des maladies mentales, ceux qui n’ont pas de logement, n’ont pas d’emploi, n’ont pas de soutiens sociaux, et je pourrais continuer. Environ 40 facteurs de risque sont associés à la délinquance et à la criminalité.
Donc, nous remplissons nos établissements à pleine capacité. Deux raisons mènent à l’incarcération : vous risquez de vous enfuir du tribunal ou vous êtes un danger pour le public, et il y a un très grand nombre de personnes incarcérées qui ne correspondent à ni l’un ni l’autre. Nous avons beaucoup d’anecdotes et de recherches qui le prouvent.
Pensez à cela : incarcérez quelqu’un qui a une troisième ou une septième année, qui n’a pas de maison ou d’emploi, qui a des problèmes de santé mentale et peut-être des problèmes de toxicomanie. Comment croyez-vous qu’il va s’en tirer? Et comment croyez-vous qu’il va en sortir?
Cela m’amène à mon dernier point, le numéro cinq, la réhabilitation et la réinsertion. Soit dit en passant, j’utilise le mot « réinsertion » de façon très générale. Vous ne pouvez être réinséré dans quelque chose dans quoi vous n’avez jamais été intégré en premier lieu. Je dirais que beaucoup de personnes dans nos milieux carcéraux n’ont jamais été intégrées dans la société au départ. Donc, pourquoi ne pas appeler cela réhabilitation et intégration?
Selon certaines sources, un très petit pourcentage du budget du Service correctionnel du Canada est en réalité consacré à des stratégies de réhabilitation et d’intégration.
Donc si vous passez sept ans en milieu carcéral, à votre avis, comment en sortirez-vous? Sur le plan non seulement social, mais aussi comportemental. Si on n’a pas mis sur pied le soutien nécessaire ni un bon plan d’intégration ou un bon plan de libération — nous disons faire de la planification de la mise en liberté. Nous ne faisons pas de la planification de la mise en liberté comme nous devrions le faire. Nous allons laisser quelqu’un qui a peut-être un problème de santé mentale, des problèmes de toxicomanie, qui est sans abri parce qu’il est en prison depuis sept ans, qui est maintenant affilié à un gang parce que c’est ce qui s’est passé lorsqu’il est allé en prison, et nous le laissons à lui-même, et puis, nous nous plaignons, en quelque sorte, quand il récidive, qu’il commet des crimes de nouveau.
Je me dis : pourquoi nous plaignons-nous? Quel résultat espériez-vous en réalité obtenir? Que pensiez-vous qui allait arriver? C’est pourquoi on parle du milieu carcéral comme d’une porte tournante.
Je sais que vous êtes ici pour examiner l’état des établissements et l’état des humains qui sont à l’intérieur. C’est très bien, mais je ne crois pas que nous puissions seulement le faire de manière isolée ou en vase clos. Je crois que nous devons examiner l’état des établissements dans leur ensemble. Si vous voulez guérir un élément, vous ne pouvez le faire sans examiner tout le portrait, à mon avis. Merci.
La présidente : Merci. Nous passons maintenant aux questions des sénatrices.
La sénatrice Ataullahjan : Merci à vous deux d’être ici.
Monsieur Hay, croyez-vous qu’il est temps de réformer totalement la façon dont nous examinons l’incarcération? Autrefois, l’idée de l’isolement cellulaire, c’était de réfléchir à ce que vous aviez fait, et vous aviez peut-être besoin de temps pour vous repentir. Je répète seulement ce que j’ai lu. C’était l’idée, mais maintenant, nous entendons les experts dire que cela ne fonctionne pas. L’isolement cellulaire ne fonctionne pas. Les statistiques prouvent qu’il ne fonctionne pas. Pourtant, nous voyons les études effectuées depuis un certain temps et nous continuons d’entendre que des gens ont été incarcérés pendant aussi longtemps que 20 mois. Je veux dire, qu’est-ce qui va changer et comment pouvons-nous réaliser ce changement lorsque tous les experts disent que cela doit bel et bien changer?
M. Hay : Oui. Si vous prenez un manuel de criminologie de 1982, on disait la même chose à l’époque. Nous savons depuis au moins quatre décennies que l’incarcération ne fonctionne pas vraiment. Peut-être que, dans ces manuels de criminologie, on jouait avec l’idée que l’incarcération peut ne pas fonctionner. Maintenant, nous savons qu’elle ne fonctionne pas.
Je ne suis pas venu ici de la Société John Howard pour dire que nous devons fermer tous nos établissements carcéraux. Nous avons besoin de tels endroits. Il y a des gens qui doivent y être, sans aucun doute. La majorité des gens qui s’y trouvent n’ont pas besoin d’y être.
Mais je comprends, et vous vous trouvez dans des positions difficiles. C’est peut-être pourquoi je n’ai jamais voulu être politicien. Parce que je crois que l’incarcération est facile. Tant et aussi longtemps que nous avons l’argent, c’est simple. Les gens comprennent. Je pense que beaucoup de gens dans le grand public ont tendance à croire que l’incarcération, les modèles punitifs, fonctionnent et que les gens sont dissuadés, parce que 99 p. 100 de la population ne commet pas de crimes. À tout moment donné, ce n’est que 1 p. 100 de la population choisie au hasard qui est criminelle. Et donc, ces 99 personnes sur 100, des gens comme vous et moi, croient que l’incarcération est un moyen de dissuasion. Je ne veux pas être enfermé. Nous voyons cet édifice, et cela nous fait peur. En conduisant pour venir jusqu’ici, j’ai passé devant le Centre de détention provisoire sur la promenade Henday, et je me suis dit : « Mon Dieu, je n’aimerais pas être là-dedans. » Par contre, pour les gens qui y sont incarcérés, ce n’est pas un moyen de dissuasion.
Donc, ce que nous devons faire, c’est commencer à examiner des choses comme la prévention du crime au moyen du développement social. Nous devons examiner les facteurs de risque sociaux. Nous devons examiner les facteurs de risque pour savoir pourquoi les gens sont incarcérés au départ.
Ce n’est pas une théorie pleine de sensiblerie. On ne dit pas qu’il faut tous s’embrasser et que nous allons trouver une solution à vos problèmes. Je crois qu’il faut faire table rase. Je crois que les gens ne naissent pas mauvais et que quelque chose arrive au fil des ans, des décennies, d’une vie.
Et je crois que ce que nous devons faire, c’est commencer à examiner nos — j’allais dire nos problèmes de criminalité, mais je ne veux pas dire cela — nos problèmes sociaux de façon plus holistique, car je crois que nos problèmes sociaux créent souvent nos problèmes de criminalité. Et je crois qu’ils ont besoin d’une révision, bien franchement.
Pour vous donner un exemple, je suis assez fier du gouvernement de l’Alberta. Je siège à un comité depuis environ deux ans et demi, et nous avons étudié de façon très poussée les chiffres concernant la détention provisoire. Je le dis depuis des années, mais le gouvernement m’a approché et m’a dit : « Aimeriez-vous siéger à ce comité? Nous allons trouver une façon de réduire nos chiffres concernant la détention provisoire. » Et j’ai répondu : « Wow, vous faites bien et oui, j’en suis heureux. » Et on étudie de façon très poussée cette question.
La partie délicate, c’est comment le faites-vous? En deux ans et demi, nous avons connu un succès partiel. Pas autant que ce que nous aurions tous aimé, mais il y a là beaucoup d’enjeux. Il y a le sentiment du public, à quelle vitesse vous pouvez faire avancer ces choses.
Un policier a été tué par une personne libérée sous caution à St. Albert, juste à l’extérieur de la ville, il y a environ deux ou trois ans. Eh bien, dès que cela se produit, vous pouvez parier que le public sera indigné par le fait que des gens sont libérés sous caution. Pourquoi ces personnes ne sont-elles pas enfermées? Eh bien, pendant un an environ, on va se dire que tout le monde devrait être enfermé. C’est le syndrome « pas dans ma cour ».
Je crois que, sur le plan politique, vous devez prendre des décisions difficiles et que vous devez peut-être vous prononcer contre le statu quo, parce que ce que les experts disent n’a peut-être rien à voir avec le statu quo. Et je crois donc que vous devez peut-être vous battre un peu contre ceux qui croient que les peines sévères signifient moins de crimes; en fait, cela n’a jamais été le cas.
Pendant trois ans, j’ai été conseiller tactique du ministre de la Sécurité nationale à Trinité-et-Tobago, et je peux en réalité montrer que plus vous sévissez par rapport à des crimes, plus vous durcissez vos lois; cela peut en fait augmenter le comportement criminel auquel vous avez associé cette peine. Je ne le ferai pas maintenant, mais si vous voulez entendre comment, je peux vous le montrer. Donc, faites attention à ce que vous demandez. C’est une très bonne question, mais il est difficile de dire que ce sont vraiment les deux choses dont nous avons besoin et que c’est réglé.
C’est une solution à long terme. Nous n’allons pas corriger la situation dans deux ou quatre ans. Cela va s’étendre sur des générations. Encore une fois, à mon avis, il s’agit de s’écarter du droit, de s’écarter des modèles punitifs, parce qu’ils ne fonctionnent pas — l’introduction à la psychologie nous aurait tous enseigné cela — et de passer davantage aux facteurs de risque sociaux, de renforcer nos facteurs de protection et d’examiner la prévention du crime au moyen du développement social. C’est notre meilleur investissement pour notre plan à long terme.
Je comprends que ce n’est pas amusant sur le plan politique et que cela ne trouve pas d’écho auprès du public. Hé, nous allons faire quelque chose. Cela va peut-être prendre 20, 10 ou 15 ans et nous coûter de l’argent, mais cela va fonctionner au bout du compte. Les gens n’imaginent pas où nous serons dans 30 ans. Je comprends cela, mais c’est la meilleure chose à faire, à mon avis.
La sénatrice Cordy : Ma question va dans le même sens, monsieur Hay. Lorsque les gouvernements veulent montrer qu’ils réagissent rapidement, ils proposent une législation répressive. Nous l’avons vu et nous avons vu des politiciens parler des établissements carcéraux fédéraux comme du « Club Fed », qui paraît bien dans le journal. Nous avons la double occupation de cellule et...
M. Hay : Et la triple.
La sénatrice Cordy : ... et la triple. Et lorsque vous posez des questions, ce que j’ai fait durant la période de questions, on vous dit : « Eh bien, s’ils ne veulent pas être mis dans une cellule à double occupation, ils ne devraient pas être en prison », ce qui est une chose horrible.
Les peines minimales obligatoires, nous allons montrer à ces juges qu’ils ne peuvent les dissuader. Nous allons parler de peines minimales...
M. Hay : Le projet de loi C-10 n’était pas un bon projet de loi.
La sénatrice Cordy : C’est exact, je suis d’accord avec vous. Donc, comment prenons-nous les solutions à long terme... D’abord, ceux qui ont un problème de santé mentale ne devraient pas être incarcérés.
M. Hay : Oui.
La sénatrice Cordy : Ceux qui ont un faible niveau d’éducation, des problèmes socioéconomiques, la liste que vous nous avez fournie, ce sont des solutions à long terme. Et ce n’est pas la faute du système carcéral si un si grand nombre de personnes atteintes d’une maladie mentale s’y trouvent. On essaie de s’occuper de ces personnes.
M. Hay : C’est exact.
La sénatrice Cordy : Donc, comment faisons-nous pour vendre l’idée d’une solution à long terme? C’est vendre l’idée qui est le gros morceau.
M. Hay : Oui.
Eh bien, pour répondre à la première question, nous avons commencé à le faire, puis nous avons fait marche arrière. Nous avons commencé à le faire avec des choses comme des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Nous en avons un à Edmonton et un à Calgary, et ils sont extrêmement efficaces. Toutefois, pour chaque personne qui passe par un tribunal de traitement de la toxicomanie, son budget est gros comme cela. Je veux dire, vous avez peut-être 10 personnes dans une année — ne me citez pas là-dessus, s’il vous plaît. Je ne connais pas les chiffres. Je ne travaille pas pour eux, mais j’ai déjà fait partie du conseil d’administration il y a de nombreuses années, et il a été très efficace pour enfin ramener les gens sur le droit chemin.
On entend parler de lancer des tribunaux de la santé mentale. C’est aussi une excellente chose, mais ils sont sporadiques, s’ils fonctionnent du tout. Le tribunal de traitement de la toxicomanie à Edmonton... La moitié de son budget a disparu il y a quelques années. Et c’est financé par le gouvernement fédéral, pas par la province.
Donc, si nous voulons tenter le coup, les tribunaux de la santé mentale, les tribunaux de traitement de la toxicomanie, c’est un bon début. Nous devons tenir compte des facteurs de risque associés au faible niveau d’éducation. Les facteurs de risque sont maintenant classés. Et parmi les cinq premiers, il y a le manque d’éducation ou le faible niveau d’éducation.
Comme je l’ai dit, parfois, pour lutter contre la criminalité, tout le monde dit : « Où travailles-tu? » « Je travaille dans les soins de santé. » « Et où travailles-tu? » « Je travaille dans le système de justice. » « Oh, d’accord. » Vous savez, nous sommes très éloignés. Non, nous ne le sommes pas. Nous sommes comme cela. Autrement dit, les grands utilisateurs du système de justice pénale sont les grands utilisateurs de notre système de santé également.
Nous savons que si vous avez un faible niveau d’éducation, voire aucune instruction, cela va imposer un fardeau au système de justice plus tard. L’éducation, les soins de santé sont interreliés; nous ne voyons pas les choses ainsi, mais elles doivent être interreliées.
Donc, si nous voulons examiner la santé mentale, les tribunaux de la santé mentale sont une bonne réussite, mais nous pouvons parler d’autres options également. Des petites choses. En 2012, l’Alberta a cédé le contrôle, dans le milieu carcéral, de certains problèmes de santé aux Services de santé de l’Alberta. Grand bien leur fasse. Je me demande encore ce que les gens qui ont des problèmes de santé mentale font dans les établissements, mais c’est une bonne chose pour vous de céder le contrôle aux Services de santé de l’Alberta. Donc, nous essayons. Nous prenons ces petites mesures, mais nous allons tout de même construire un centre de détention provisoire qui coûtera 800 millions de dollars. Croyez-vous que les organismes à but non lucratif des Sociétés Elizabeth Fry ou John Howard ou qui que ce soit obtiendront 800 millions de dollars pour faire de la prévention du crime au moyen du développement social? Nous ne recevons que quelques miettes.
Donc, si 98 p. 100 de tout l’argent sert à payer des barreaux, des gardiens et des fusils, nous devons commencer à diriger les ressources davantage vers l’autre côté des choses, si nous voulons produire des effets durables à long terme. L’incarcération pendant deux ans, c’est parfait. C’est bien. Mais si vous voulez changer la vie d’une personne, nous devons commencer à nous tourner vers — et je ne dis pas la mienne, mais vers des organisations qui existent. Je les vois ici. Des organisations qui existent et qui font, en réalité, de l’excellent travail auprès des gens au fil des ans, parce que c’est ce qu’il faut.
Vous savez, vous êtes incarcéré, et vous êtes déjà très accro à la drogue. Vous vous retrouvez en établissement pour sept mois. Vous êtes dans votre cellule pendant 23 des 24 heures de la journée avec une ou deux autres personnes, sans counseling ni programme, puis nous vous libérons, nous attendant à un résultat différent. C’est la définition de la folie, n’est-ce pas?
Le tribunal de traitement de la toxicomanie dit : « Nous allons travailler avec vous pendant une période pouvant aller jusqu’à 18 mois, et cela va être douloureux. » Mais c’est la façon de changer les comportements. Cela prend beaucoup de temps. Nous devons donc diriger les ressources vers ces choses également. Nous devons investir plus de ressources dans des familles saines. Nous devons commencer tôt. Nous devons commencer à lutter contre le syndrome d’alcoolisme foetal. Je pourrais continuer longtemps. Tout ce que je fais vraiment, c’est réfléchir aux facteurs de risque et à ces entités ou aux solutions pour traiter ces facteurs de risque, parce que c’est la façon dont vous allez traiter tout problème de criminalité, si nous en avons un.
La sénatrice Cordy : Et donc, en fait, avec les soins de santé, nous sommes passés plutôt à un mode de prévention, que de seulement recourir aux médecins et aux hôpitaux. Nous nous dirigeons dans cette voie. Je crois que nous devons commencer à investir plus de 2 p. 100, et même davantage, dans la réhabilitation et la réinsertion, pour garder les gens qui ne devraient pas y être en dehors des établissements correctionnels.
M. Hay : C’est exact. Nous devons être proactifs. Absolument. Et notre système de justice — encore une fois, je ne jette pas le blâme sur qui que ce soit. C’est notre système actuellement, et tout peut changer, mais notre système de justice est très réactif.
Je pense aussi à d’autres modèles. Je pense au modèle de la justice réparatrice chez les Autochtones. Vous avez dit quelque chose au sujet d’un processus et d’un programme par lesquels vous êtes passé. Cela ressemble vraiment au modèle de la justice réparatrice. Je pense au modèle dit des « bonnes vies » en Australie. C’est très proactif — nous allons régler une chose une fois pour toutes — plutôt que juste continuer de faire ce que nous faisons et nous attendre à un résultat différent.
Mme Neve : Je pense que le taux de réussite du programme que j’ai suivi était énorme.
M. Hay : Oui.
Mme Neve : C’était incroyable. Des gens qui avaient commis des crimes pendant des années et suivaient ce cours découvraient à quel point c’était préjudiciable pour d’autres personnes. C’était vraiment efficace. Je crois que, si plus de choses s’appliquaient à vous — comme dire : « Oh, si vous suivez ce programme, cela pourrait être bon pour telle chose. » Il faut que les choses s’appliquent à vous, fassent partie de vos habitudes criminelles ou de votre histoire. Si c’est une dépendance, on devrait offrir des cours sur la dépendance, plutôt que d’adopter des programmes tous azimuts : « Oh, nous allons passer en revue les compétences de vie et vous montrer comment vivre. » Eh bien, je purge une peine à perpétuité, donc pourquoi ai-je besoin de vivre? Je crois qu’on doit vous montrer des choses qui s’appliquent à votre vie, qui ont une incidence sur vous et qui font en sorte que votre peine travaille avec vous et non pas contre vous. Vous pouvez dire : « Je suis sorti de prison et je savais que je n’allais jamais y retourner », mais cela prend beaucoup de temps et de travail.
La sénatrice Cordy : Est-ce ce qui a changé pour vous? Vous avez dit que, en 1993, vous étiez connue comme la femme la plus dangereuse au Canada, et pourtant, vous comparaissez ici devant un comité du Sénat, en 2018. Donc, s’agissait-il de trouver ce qui convenait, les bons programmes pour vous?
Mme Neve : Je pense que c’est parce que j’avais très peur de passer ma vie en prison. Je me suis dit que je ferais tout le nécessaire pour m’améliorer, donc je me suis inscrite à des choses comme les études bibliques, et j’ai payé ce cours de ma poche. Je suis allée à des cours qui s’appliquaient à moi, et je n’ai laissé personne me dire ce qui ferait de moi une meilleure personne lorsque je me connaîtrais moi-même. Je savais que si je suivais tous ces cours, oui, je pourrais obtenir la libération conditionnelle. Si je fais cela, si je joue le jeu, vous savez, mais si vous l’appliquez vraiment dans votre vie, c’est une situation tout à fait distincte si vous le faites seulement pour sortir de prison et ne laissez pas cela vous influencer de quelque façon que ce soit.
M. Hay : Madame la sénatrice, si je peux me permettre, puis-je répondre à la deuxième partie de la question? Je pense que votre deuxième question est encore plus importante. Vous avez demandé, eh bien, comment pouvons-nous convaincre les gens? Vous savez, les groupes sont dangereux. Les personnes sont intelligentes, mais elles ne le sont que lorsqu’elles sont éduquées et qu’elles détiennent les bons renseignements.
En tant qu’humains, nous tendrons toujours vers le modèle conservateur — et je ne le dis pas de façon politique — lorsque nous sommes incertains par rapport à des choses. Donc, si nous ne sommes pas sûrs de savoir si nous devrions libérer une personne, nous dirons : « Non, vous feriez mieux d’être incarcéré », car nous savons alors que personne ne commettra d’erreur.
nnous savons que, lorsque nous éduquons les gens et leur donnons les bons renseignements, ils font des choix très intelligents. Je vais vous donner un bon exemple. Vous faites venir 40 personnes dans une salle — et nous l’avons fait — et leur donnez la décision d’une cour. Vous leur dites quelle est l’infraction, comme des voies de fait contre trois personnes, des voies de fait assez mauvaises, et la décision, une amende de 200 $. Vous leur donnez ces renseignements de sorte que les 40 personnes disent : « D’accord, la décision ne correspond pas à l’infraction. Notre système est déficient. »
Puis, ce que vous faites, c’est que vous obtenez toute la décision de la cour et leur donnez des bouts d’information durant les heures qui suivent. Vous leur demandez de temps en temps : « Comment vous sentez-vous maintenant? » Et vous dites : « Eh bien, comment vous sentez-vous maintenant que vous savez que cet homme a six enfants et qu’il est le seul à subvenir à leurs besoins? Comment vous sentez-vous maintenant que vous savez que cet homme est A, B, C, D? »
Ce que nous avons découvert, c’est qu’à la fin des deux heures, la grande majorité des gens qui avaient dit que le gars devrait être pendu, ou à tout le moins être incarcéré, disent tout à coup : « Vous savez, cette décision, elle n’était pas si mauvaise. »
Je plaisante par rapport à ce que je dis sur les centaines de dollars, mais disons que c’est un an de probation. En fait, vous avez même des gens qui disent : « Mon Dieu, je pense que la peine était trop sévère. » Mais ce sont des gens qui deviennent intelligents parce qu’ils détiennent les renseignements. Par contre, sans les renseignements, ils voient un établissements carcéral, ils peuvent le toucher et ils se disent : « C’est ce qui me garde en sécurité. » Et ils ne pourraient pas avoir plus tort. Ce n’est pas ce qui vous garde en sécurité. En fait, une personne qui sort dans trois ans, sept ou trois mois pourrait en réalité être pire que lorsqu’elle est entrée.
Mme Neve : Dans toute mon histoire, j’ai remarqué que les gens qui se comportent le moins bien en milieu carcéral — et Kim peut vérifier cette information — finissent par sortir et par réussir le mieux, parce qu’ils détestent le milieu. Ils détestent chaque partie de l’expérience carcérale. Ils la détestent vraiment. Et bien sûr, ils sortent de leurs gonds, et c’est parce qu’ils sont frustrés et en colère, mais lorsqu’ils sortent, ils restent en dehors. Les gens qui passent en souplesse d’un cours à l’autre et qui suivent chaque cours et que sais-je reviennent.
Je pense qu’il est difficile de dire : « Oh, le comportement d’un tel va le faire récidiver », alors que certaines des personnes les plus dangereuses que j’aie jamais rencontrées en prison sont sorties et ont réussi.
La sénatrice Pate : Pour reprendre là où vous vous êtes arrêtée, madame Neve, lorsque vous dites les personnes les plus dangereuses, vous parlez des personnes qui sont étiquetées comme étant les plus dangereuses.
Mme Neve : Oui, Sandy...
La sénatrice Pate : Mais pas nécessairement celles qui ont été dangereuses; pour la plupart, elles s’infligent des blessures à elles-mêmes.
Mme Neve : Oui.
La sénatrice Pate : Une des choses que vous avez survolées, c’était la façon dont vous vous êtes retrouvée dans le système. Êtes-vous à l’aise de parler de...
Mme Neve : Vous pouvez le dire.
La sénatrice Pate : Non, vous êtes le témoin. En ce qui concerne vos antécédents et... Parce qu’une des choses que nous examinons aussi, c’est ce qui peut être fait pour aider à prévenir des situations comme...
Mme Neve : Donc, mon incarcération juvénile ou ma prostitution?
La sénatrice Pate : Et le fait d’avoir été adoptée, toutes ces choses. Les genres de recommandations, les lieux où il aurait pu y avoir une intervention avant que vous finissiez dans la situation où on vous a étiquetée comme une délinquante dangereuse.
Mme Neve : J’ai quitté la maison à 12 ans, et toutes ces choses se sont produites. J’ai été retirée de la maison de mes parents et j’ai été temporairement sous la tutelle du gouvernement. On m’a confiée au centre d’aiguillage du service à l’enfance de Calgary.
Et les filles ne m’aimaient pas, parce que j’avais une famille. Elles étaient très méchantes avec moi. Donc, j’ai pris un bol de métal, je suis allée voir la fille la plus méchante et je l’ai frappée avec le bol. On m’a placée dans un établissement de traitement en milieu fermé.
Mon comportement n’a cessé de dégénérer, mais personne ne voulait m’aider. On voulait seulement me contrôler. On voulait me : « Tu sais, tu es dangereuse, tu es ci, tu es ça, tu te mutiles toi-même ou tu fais cela. C’est inapproprié et tu n’agis pas comme une dame. »
Tout au long de ma vie, de 12 ans jusqu’à même maintenant, je ne crois pas que la moindre chose qui ait vraiment défini ce que je souhaitais devenir ressorte. Je pense que ce sont toutes les petites choses mises bout à bout qui ont fait en sorte que j’ai voulu devenir une meilleure personne.
La sénatrice Pate : Quand avez-vous enfin reçu un diagnostic?
Mme Neve : La schizophrénie, en 1997. On m’a donné de la clozapine, et je n’ai pas eu de problèmes. Je dis « avant la clozapine, après la clozapine », donc oui, je pense que j’étais atteinte d’une maladie mentale bien avant cela.
La sénatrice Pate : Et combien de temps êtes-vous restée en isolement?
Mme Neve : Longtemps. Parce que je détenais des otages, rappelez-vous, et d’autres choses. J’ai fait l’objet de 22 accusations, mais il n’y a eu que 5 incidents. Je sais que cela paraît mal lorsqu’on dit « elle a reçu 22 accusations », mais ce sont 5 incidents. Mais vous savez comment on vous accuse de proférer des menaces, de posséder une arme en vue d’une prise d’otage et d’autres choses. Ce n’était pas comme si j’avais cet énorme casier, mais cela paraissait juste vraiment dommageable.
La sénatrice Pate : Et vous rappelez-vous ce que la Cour d’appel de l’Alberta a dit lorsque vous avez été libérée, lorsqu’elle a renversé votre désignation de délinquante dangereuse?
Mme Neve : Elle a juste dit que je pouvais rentrer chez moi.
La sénatrice Pate : Eh bien, elle a remis en question tout le système de classification qui était utilisé pour les femmes autochtones comme vous et d’autres, mais vous en particulier.
La présidente : On dirait que vous ne vous en souvenez pas.
La sénatrice Ataullahjan : Je vous écoute parler et je vous observe, comment vous êtes-vous sentie au moment où vous étiez une des deux femmes déclarées délinquantes dangereuses? Je veux dire, vous êtes-vous rendu compte du fait que vous seriez classifiée comme étant une délinquante dangereuse?
Mme Neve : Je suis allée en cour pour mon procès. On m’a appelée au parloir. Un policier était là. Il m’a donné un bout de papier et a dit qu’on planifiait de me faire déclarer délinquante dangereuse. Je n’avais aucune idée de ce que c’était. Je n’avais aucune idée de ce que ça voulait dire. J’ai donc appelé mon avocate, et elle capotait.
Je ne savais donc pas exactement ce que ça voulait dire. Je ne savais pas que ça voulait dire que je ne sortirais jamais du milieu carcéral. Je ne savais pas ça — Marlene Moore a été déclarée délinquante dangereuse, et elle a eu une peine de deux ans, plutôt qu’une peine de durée indéterminée. Donc, d’une façon, j’espérais obtenir une peine de durée déterminée, mais malheureusement, j’ai reçu la peine de durée indéterminée. Mais rien ne peut vous préparer à ça. Et le juge a dit : « Votre peine expire au moment de votre mort naturelle. » Juste entendre ça, c’est bouleversant. C’est comme, vous savez, que dire à cela? Qu’est-ce que vous faites? Je ne savais plus du tout comment vivre ma vie; je pensais que je ne reverrais jamais ma famille ou que je ne serais jamais en mesure d’aller à la maison, et des choses du genre.
Je pense que le moment de la détermination de ma peine est le plus difficile que j’ai vécu, parce que c’est comme si j’avais perdu ma vie et tout le reste. Et j’ai blessé un très grand nombre de personnes en cours de route. Lorsque vous êtes dans une salle d’audience et que vous entendez toutes ces personnes témoigner au sujet de toutes ces choses terribles que vous avez faites, vous vous sentez comme moins qu’humain, parce que vous avez blessé ces personnes sans aucun égard que ce soit, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Vous ne pouvez pas dire que vous êtes désolée. Donc, tout ce que je souhaite faire maintenant, c’est juste être une meilleure personne et faire de bonnes choses.
La sénatrice Pate : Monsieur Hay, vous avez dit qu’environ 1 p. 100 seulement des gens commettent des crimes; pourtant, nous savons que, selon certaines études qui reposent sur l’autoévaluation, en fait la majorité des gens commettent des crimes, mais ils ne sont jamais poursuivis ni accusés. Je voulais juste m’assurer que je ne vous avais pas mal entendu. Ou vous parlez des gens qui sont poursuivis et incarcérés et...
M. Hay : Non.
La sénatrice Pate : J’ai une série de questions, donc je vais toutes les énumérer.
L’autre chose dont vous avez parlé, c’est l’isolement cellulaire. Et je vous remercie d’avoir fourni toutes les statistiques. Une des choses que les statistiques ne montrent pas, cependant... En appelant cela isolement cellulaire, on semble faire fi de la situation des femmes, parce que, comme Mme Neve vient de le dire, chaque femme qui est classée dans un établissement à sécurité maximale au pays finit par vivre dans un état d’isolement, écartée du reste de la population générale. Donc, les statistiques sur l’isolement ne saisissent pas cette réalité, parce qu’elles ne saisissent que le lieu de l’isolement, non pas son état. Une des difficultés tient donc au fait, bien sûr, que si le service correctionnel peut montrer les types de diminution qu’il a constatés, la Société Elizabeth Fry et d’autres organisations ont montré que, en fait, elles peuvent éliminer l’isolement, et elles l’ont fait dans les établissements pour hommes, pour femmes et pour jeunes, et ce, à différents moments. Je suis donc curieuse de voir comment vous entrevoyez l’utilisation des articles 29, 81 et 84.
Louise Arbour a formulé quelques recommandations à ce sujet et, plus récemment, elle a demandé la fin de l’utilisation de l’isolement pour les femmes, les détenus autochtones et les personnes qui ont des problèmes de santé mentale.
Et pourquoi suggéreriez-vous de recourir à des tribunaux pour des situations spéciales, plutôt que d’en faire davantage en aval et de fournir ces services dans la collectivité? Parce que, en ce moment, un des plus grands défis, c’est que les gens disent que si nous mettons en place des services dans un système judiciaire, nous devrons d’abord déposer des accusations, et pourtant, la majorité des policiers diront, lorsqu’ils emmènent des gens, que s’il n’y a pas de services dans la collectivité, leur seul recours est d’utiliser les établissements carcéraux pour réagir à la santé mentale, à l’itinérance, à la violence et à ce genre de choses. Je suis curieuse d’en savoir plus à ce sujet.
Enfin, par rapport à toute la question des griefs, comme vous le savez probablement, lorsque Catherine Latimer a comparu devant le comité concernant l’étude, elle a parlé du fait que le système de griefs pour les détenus est brisé; en fait, il n’y a pas de recours.
Il y a eu passablement d’information, certainement dans les médias et dans les documents judiciaires, les documents publics qui ont été déposés, concernant le fait que le système est aussi brisé pour le personnel.
Puisque vous avez affaire à l’Établissement d’Edmonton et composez probablement avec certains de ces enjeux, comment pourrait-on y remédier? Si le personnel est traité des façons qui ont été décrites dans les documents judiciaires et les rapports des médias, comment les détenus sont-ils traités? Comment pourrait-on remédier à cette situation? Et quelles recommandations pourriez-vous formuler? Mme Neve souhaite peut-être répondre à cette question.
Mme Neve : J’aimerais parler du processus de griefs.
M. Hay : Par rapport à votre dernière question, les griefs, la Société John Howard dirige une organisation horizontale, mais tout ce qui se fait à l’échelon fédéral, donc les établissements fédéraux, relève principalement de Catherine Latimer. Je suis l’entité provinciale. Puis, nous avons nos Sociétés John Howard réparties partout au Canada. Au total, 68 bureaux s’occupent des questions locales.
Si quelque chose survient à Lethbridge, Lethbridge John Howard va le gérer. Si quelque chose arrive en Alberta, je vais m’en occuper. Quelque chose qui concerne davantage le gouvernement fédéral, même si c’est à l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton, ce serait Catherine qui s’en occuperait.
Cela dit, l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton est extrêmement fermé. Bonne chance pour trouver quoi que ce soit ou obtenir quelque renseignement que ce soit ou même pour y avoir accès. Par exemple, j’ai reçu l’appel d’un reporter qui voulait que je me prononce sur les enclos à chiens à l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton. J’ai dit : « Quoi? » Et il a dit : « Eh bien, oui, dans le jardin, il y a des enclos à chiens, et on laisse sortir les détenus, et ils peuvent y courir comme des chiens. » J’ai dit : « Eh bien, je n’ai pas le droit d’y entrer, donc je ne sais pas si c’est vrai, mais si ça l’est, laissez-moi vous dire ce que je pense des enclos à chiens pour les êtres humains. » Et j’ai donc dit ma façon de penser.
Pour répondre à votre question, c’est une longue histoire. Je pense que Lisa peut probablement répondre un peu mieux que moi par rapport au processus de griefs, parce que je n’ai pas beaucoup de communications avec l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton. Je communique beaucoup avec les centres de détention provisoire et les établissements provinciaux, mais je ne le fais pas avec l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton ni avec d’autres établissements à sécurité maximale.
La sénatrice Pate : Donc, on vous refuse l’accès à l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton?
M. Hay : Non, je ne dirais pas qu’on me le refuse. C’est très difficile d’accéder à cet établissement. Je n’appellerais pas ça un refus, cependant. Ce n’est pas comme si j’avais officiellement demandé : « Puis-je entrer, s’il vous plaît? » Non, pas nécessairement, mais il s’agit d’un système très fermé par rapport à nos établissements provinciaux, qui sont très ouverts.
Par rapport aux griefs, ce que je sais me vient d’anecdotes que les gens me racontent. Mais je ne suis pas au courant du processus officiel qui a cours à l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton, par exemple.
Je pense que Lisa pourrait peut-être se prononcer un peu plus à ce sujet.
Mme Neve : Je pense que le processus de griefs est difficile. Les gardiens intimident les détenus, en quelque sorte — non pas intimident, mais ils disent : « Vas-y, dépose un grief, allez, déposes-en-un ». Et rien n’est jamais fait. Puis, Kim nous a montré comment le faire, et on en a déposé un, comme le problème fantôme, n’est-ce pas? Ce problème-là. Devrais-je leur en parler? C’est bon.
C’est juste que la question des griefs est vraiment politique. Ce n’est pas comme si c’était un organe indépendant qui les examinait; ce sont les gardiens et le responsable de la sécurité ou qui que ce soit d’autre. Je crois que ce n’est pas productif et que c’est la source de beaucoup d’ennuis avec les employés. Ils disent : « Que vas-tu faire? Appeler Kim Pate? » Des choses comme ça. Ils sont juste horribles.
M. Hay : Si je peux ajouter quelque chose, encore une fois, il y a des anecdotes. Ce ne sont pas des connaissances directes. Ce que j’ai généralement constaté dans la plupart des établissements... Et je vais étirer un peu la sauce ici. Je pense que l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton n’est pas nécessairement différent de n’importe quel autre établissement. Tout ce qui pourrait être examiné, disons un privilège ou quelque chose qui vous aiderait à sortir, ne serait pas quelque chose que les gens vous offriraient nécessairement ou se précipiteraient pour le faire.
Par exemple, savez-vous combien de temps il faut à une personne incarcérée pour obtenir une paire de lunettes, si elle finit par en obtenir une? La lecture est un privilège, et vous êtes censé être incarcéré pour être puni. Donc, pourquoi devrions-nous vous en offrir une?
Lorsque vous allez dans un établissement carcéral, vous n’obtenez pas vos médicaments le lendemain. Parfois, vous ne les obtenez pas avant des semaines. Donc, si vous avez un problème important, vous pourriez retomber dedans.
J’ajouterais le grief à la liste des choses qui seraient considérées non pas comme votre droit, mais plutôt comme un avantage pour vous; ou bien nous allons le ralentir ou bien nous n’en tiendrons simplement pas compte.
Mme Neve : Par rapport aux griefs, je crois que vous pouvez communiquer avec l’ombudsman de votre région, et on vous décourage fortement de le faire. Et lorsque l’ombudsman vient vous voir, les gardiens vous font en quelque sorte savoir que ce n’est pas une très bonne idée d’aller vous épancher auprès de lui.
Je crois donc que ce doit être davantage un groupe indépendant et impartial de personnes qui examinent les griefs ou les enjeux dont l’ombudsman est responsable. Je pense qu’ils doivent être plus indépendants et moins collés ensemble.
M. Hay : C’est tout à fait vrai. Mais avant que vous alliez voir l’ombudsman, on va vous demander : « Avez-vous déjà soulevé cette question en suivant les voies officielles? » Et beaucoup de délinquants diront : « Oh, mon Dieu, vraiment? C’est ce que vous voulez que je fasse. D’accord. »
Mme Neve : Oui, vous avez raison.
M. Hay : Vous pouvez aller voir l’enquêteur correctionnel du Canada si vous le voulez. Mais Howard Sapers m’a dit une fois qu’on demande toujours aux détenus : « Avez-vous suivi le processus du milieu carcéral local avant de communiquer avec nous », et ainsi de suite.
Mme Neve : C’est tellement vrai. Oui.
M. Hay : C’est un processus effrayant pour beaucoup de personnes.
La sénatrice Pate : Juste pour que les choses soient claires, ce n’est pas une obligation juridique. Et lorsque vous avez parlé de choses comme les lunettes et la santé, les médicaments, ce sont en réalité des droits protégés par la Charte.
M. Hay : Alors?
La sénatrice Pate : Donc, je signale que ce ne sont pas des privilèges.
M. Hay : Non, mais ce n’est pas ce que je dis.
La sénatrice Pate : Ils sont traités comme des privilèges.
M. Hay : Exactement, et c’est ce que je dis, cependant, c’est qu’ils sont traités comme tels. « Vous êtes ici pour être puni pour votre infraction. Vous ne devriez recevoir aucune forme de traitement. » Des services dentaires, quoi que ce soit du genre... C’est inscrit dans la loi ou dans la Charte, et après? L’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton ou n’importe quel autre établissement va fonctionner comme il fonctionne. Souvent, j’ai dit que je prie seulement pour que nous ayons un bon directeur d’établissement, parce que parfois, cela va du haut vers le bas. Parfois.
La sénatrice Pate : Pour gagner du temps, aviez-vous des commentaires sur les autres questions que j’ai posées?
M. Hay : Oui.
Le 1 p. 100, c’était à tout moment donné, ce qui veut dire que les délinquants étaient près d’être « prioritaires et multirécidivistes ». Ce n’est pas juste une personne sélectionnée au hasard qui pourrait commettre un crime aléatoire. C’est ça, mon 1 p. 100.
La sénatrice Pate : Puis l’utilisation des articles 81, 84 et 29...
M. Hay : L’isolement.
La sénatrice Pate : ... pour faire sortir les gens de... Pour les libérer. Donc, l’article 29 pour les personnes qui ont des problèmes de santé; les prisonniers autochtones, les articles 81 et 84, avez-vous vu des exemples...
M. Hay : Quelle était la question, déjà, à ce propos? J’ai oublié.
La sénatrice Pate : Avez-vous vu des exemples où on les a utilisés? Ou quel type de travail votre organisation fait-elle là-bas? L’autre portait sur des collectivités saines par opposition à l’adoption d’une approche de circonstances spéciales pour parler de développement social.
M. Hay : Je vais peut-être répondre à cette question-là en premier. Tout à fait. Lorsque je parle de tribunaux de la santé mentale et de tribunaux de traitement de la toxicomanie, j’aimerais les soutenir entièrement. Je reconnais toutefois, compte tenu de mon analyse jusqu’à présent, que, pour vous, ou pour nous, en tant que pays, il y a un grand pas à faire pour y arriver. Donc, pour l’instant, je suis prêt à appeler ça une réussite si nous arrivons à avoir plus de tribunaux de la santé mentale, de tribunaux de traitement de la toxicomanie et de choses de cette nature. Mais je ne m’en contente pas. Si nous pouvons partir de là — et tout le monde commence à être à l’aise avec cette idée —, nous pouvons l’appuyer encore davantage. C’est pourquoi j’ai parlé de familles saines et ainsi de suite.
Je veux dire, en toute honnêteté... Lorsque nous examinions les chiffres des centres de détention provisoire à Edmonton, le comité a dit que nous devions commencer lentement. Nous voulions commencer à examiner les accusations policières, la façon dont cela se passe et fonctionne. Dans ma tête, je me disais : eh bien, commençons par régler les choses au tout début. Pourquoi ne pas faire de la prévention dès le départ, avant que cela n’arrive. Mais ce n’est pas une réalité. Donc, Kim, je suis tout à fait d’accord.
Mon commentaire concerne la création d’un autre tribunal, comme un tribunal de la santé mentale ou un tribunal de traitement de la toxicomanie; ce n’est pas ma solution complète, mais c’est mieux que l’incarcération. Ma solution complète, c’est oui, pourquoi ne pouvons-nous pas prévenir tout cela, de sorte que nous n’ayions même pas besoin de la participation policière, qui contribue à des dépenses monétaires dans le système de justice, et que nous n’ayons pas besoin d’un tribunal de traitement de la toxicomanie pour réparer les dommages qui ont été causés pendant des années d’accoutumance, disons?
Donc, je suis tout à fait d’accord avec vous, mais je reconnais que, pour le gouvernement canadien, pour le public, pour qui que ce soit, il y a un pas à faire pour y arriver.
Je suis désolé, Kim, mais je n’ai pas vraiment beaucoup de choses à dire sur les articles auxquels vous faites allusion. Je n’ai pas d’exemples précis de cas où on aurait limité l’isolement pour les Autochtones ou les femmes grâce à l’utilisation de ces articles en particulier. Je peux en obtenir pour vous. Je n’ai pas ces renseignements en ce moment. Mes excuses.
La présidente : Merci beaucoup à vous deux de nous avoir donné de votre temps ce soir. Nous n’avons pas le temps pour un deuxième tour. Malheureusement, nous allons entendre ce soir trois groupes de témoins.
Pour notre deuxième groupe de témoins ce soir, nous sommes heureux d’accueillir Mmes Newman et Morales, du Comité consultatif national ethnoculturel du Service correctionnel du Canada. Nous souhaitons également la bienvenue à Mme Sue Coatham, responsable des agents de libération conditionnelle, Bureau sectoriel de Calgary du Service correctionnel du Canada.
Madame Newman, la parole est à vous.
Anoush Newman, Comité consultatif national ethnoculturel du Service correctionnel du Canada : Merci. Bienvenue, mesdames et messieurs, et bonsoir. Merci de nous fournir cette occasion de prendre la parole et de vous faire part de nos observations et de nos points de vue sur les droits de la personne par rapport au modèle de prestation de services du Service correctionnel du Canada.
En ce moment, je suis présidente du Comité consultatif national ethnoculturel et membre du CCNE, qui est l’organisme principal. Ma collègue, Maria Morales, est vice-présidente du comité de la région des Prairies.
Sur le plan professionnel, je suis formatrice régionale pour le Programme de formation sur le parrainage privé des réfugiés par l’intermédiaire d’IRCC, à Calgary, en Alberta.
Je sais que vous avez eu l’occasion de vous adresser à nos collègues et à nos homologues de la Nouvelle-Écosse, et vous connaissez donc le programme. Ainsi, je vais me présenter et laisser beaucoup de temps pour une période de questions et de réponses.
Voici rapidement mon expérience et mon histoire : je suis née dans une famille chrétienne arménienne à Bagdad, en Irak. Nous avons grandi comme minorité protégée et avions pleinement le droit d’exercer notre confession et de nous adonner à des pratiques culturelles. Notre église, notre école et nos établissements communautaires étaient totalement protégés et respectés par le gouvernement irakien et sa population. Nous jouissions de droits égaux et étions des membres actifs de la société. Ma famille a immigré en 1972; j’ai donc grandi au Canada et obtenu ma formation, c’est-à-dire mon diplôme d’études postsecondaires, à Edmonton, en Alberta.
Je suis la fière mère de trois enfants : Eli, Ari et Raffi.
J’ai travaillé pendant les 25 dernières années dans le secteur à but non lucratif pour aider des personnes à s’intégrer ou à réintégrer la collectivité. En grande partie, j’ai travaillé avec de nouveaux Canadiens, comme des immigrants et des réfugiés. J’ai donc acquis des connaissances approfondies au sujet de diverses croyances, valeurs et pratiques culturelles.
De plus, dans le cadre de mes dernières fonctions, j’ai offert des ateliers sur des pratiques interculturelles et des styles de communication. Cela comprend les services correctionnels situés à Bowden, en Alberta.
En 2015, j’ai été recrutée pour diriger le groupe de travail responsable de l’établissement des réfugiés syriens à Calgary.
Donc, pourquoi suis-je ici aujourd’hui? Pourquoi sommes-nous autant passionnés par notre rôle ici? Parce que par « droits de la personne », j’entends le droit des personnes de vivre dans la dignité et la paix, où elles peuvent rêver et concrétiser leurs aspirations, pratiquer ce en quoi elles croient avec un sentiment de souveraineté, être productives, être des membres productifs et actifs, et ce, sans violer les droits des autres qui ont des aspirations semblables.
Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai rejoint le Service correctionnel du Canada à titre de bénévole pour le CCNE et le CCRE. Je suis la petite-fille d’un survivant du génocide des Arméniens par les autorités turques ottomanes au début des années 1900, situation très semblable à ce qui est arrivé tout récemment aux Yézidis en raison de leur idéologie.
Je suis bien placée pour comprendre ce que la perte des droits essentiels de la personne et la violation de la dignité signifient. Et en raison de l’expérience qu’a vécue ma famille, je suis ici aujourd’hui pour discuter du droit inhérent de chaque être humain d’être traité de façon juste et équitable, peu importe sa confession, sa culture, ses valeurs ou son statut dans la société.
Forte de cette vision et de cette conviction, j’ai accepté de me joindre au CCRE et de soutenir ce projet très utile. Je l’ai rejoint parce que je voulais m’assurer que nos institutions maintiennent la pratique de normes et de principes élevés sur lesquels repose notre pays.
Ces principes et ces pratiques démocratiques font en sorte que tout le monde est traité avec respect. En tant que comité, nous avons été en mesure d’accomplir de nombreuses réalisations dans le cadre de nos activités, et j’ai ici une liste de nos réalisations dont j’aimerais vous faire part plus tard.
Une des réalisations les plus concrètes de notre comité a été la révision de la DC 767. En tant que bénévole, je me suis jointe au sous-groupe qui a entrepris de revoir, de réviser et de mettre à jour la directive du commissaire pour l’arrimer aux autres DC qui traitent des populations.
Je sais que, dans le passé, notre pays a connu des périodes sombres, où les Autochtones du pays ont souffert de graves conséquences, mais notre pays a avoué ses torts et essaie de réagir et de remédier aux conséquences.
J’imagine que c’est la raison pour laquelle les Canadiens sont le phare qui illumine le chemin afin de permettre à d’autres pays d’évoluer.
Comme vous l’avez peut-être deviné à présent, ma conviction, mon histoire et mon expérience personnelles de travail dans le secteur des services sociaux — à l’origine, de la réhabilitation — correspondaient parfaitement à la tâche à accomplir, soit transmettre mon expertise et mes expériences à des établissements, pour m’assurer que les détenus des établissements ont le droit d’exercer leurs pratiques religieuses et culturelles et de rester en communication spirituelle avec leur collectivité ethno-autochtone et religieuse.
Cette communication soutenue se révélera un outil utile durant la réinsertion du délinquant libéré dans sa collectivité et la société en général.
Lorsque les délinquants sont incarcérés et gagnent le droit de retourner dans la société, leurs chances de réussite et d’intégration seront maximisées s’ils jouissent de l’appui de leur collectivité et si la société est prête à les recevoir.
Je crois fermement que les principes démocratiques sont la marque distinctive de notre pays, comme la liberté, l’égalité, le traitement équitable, la justice, la règle de droit, ainsi que la liberté de parole et la liberté d’expression, qui ne peuvent être compromises en aucun cas.
Ces valeurs ont façonné ce grand pays que j’aimerais voir nos enfants continuer d’aimer et de chérir. Merci.
Maria Morales, Comité consultatif national ethnoculturel du Service correctionnel du Canada : Merci. Je suis d’origine hispanique; je viens du Nicaragua, en Amérique centrale. Je suis née là-bas, mais j’ai grandi ici et j’y vis depuis plus de 30 ans. Sur le plan professionnel, j’ai travaillé dans les services sociaux. Je travaille auprès de personnes qui se sont déjà retrouvées dans le système correctionnel et qui ont maintenant des problèmes de santé mentale. Je suis la travailleuse de première ligne qui m’occupe d’eux un à la fois, en les réintégrant dans la collectivité, dans un emploi, du bénévolat et ainsi de suite.
Comment suis-je arrivée au CCRE? D’abord, il y a plusieurs années, mes droits de la personne ont été violés lorsque j’ai été victime de violence familiale, et je suis devenue défenseure des victimes de crimes. C’est à ce moment-là que j’ai entendu dire que le Service correctionnel avait un comité consultatif sur les victimes pour la région des Prairies, et je continue d’y participer.
On m’a également présenté ce Comité consultatif national ethnoculturel, et j’ai décidé de m’y joindre, juste parce que je voulais aller au fond de la question, vous savez, de savoir pourquoi il y a des victimes de la violence familiale et ainsi de suite.
Lors de ma première rencontre au comité consultatif sur les victimes, j’ai appris que le détenu ou le délinquant n’est pas là à jamais. Que la clé n’est pas jetée. J’ai donc décidé que... Vous savez quoi? Si c’est ainsi que le système fonctionne, je dois découvrir le fond des choses et aider les détenus à y aller, à créer des liens, de sorte que cesse ce cycle répétitif de la violence. Je ne voulais pas voir d’autres femmes ou enfants blessés comme mes enfants ou moi l’avons été.
Je crois que c’est important pour les droits de la personne de tous, pas seulement pour les victimes ou les détenus, mais pour la société elle-même. Nous avons besoin d’une société sécuritaire pour nos enfants et nos petits-enfants. C’est la raison pour laquelle je me suis engagée auprès du CCRE également. Merci.
La présidente : Merci.
Sue Coatham, responsable des agents de libération conditionnelle, Bureau sectoriel de Calgary, Service correctionnel du Canada : Bonsoir. Je suis honorée d’avoir été invitée à assister à cette réunion publique et je vous remercie de l’invitation et de me fournir le moyen de faire part de quelques réflexions. J’aimerais également remercier Edmonton et la région de me donner cette voix profonde, rauque et sexy, mais je ne sais pas combien de temps cela va durer.
En guise de contexte, j’ai travaillé pour les services correctionnels provinciaux, un organisme à but non lucratif, la Société John Howard, et j’ai commencé à travailler auprès du Service correctionnel du Canada en 1996.
Avant de travailler auprès des délinquantes, depuis 1998, je me suis spécialisée dans le travail auprès des délinquants ayant un problème de santé mentale et des délinquants sexuels.
Pour ce qui est de ce dont je veux parler ce soir, j’aimerais d’abord vous fournir quelques renseignements sur les délinquantes et vous donner un certain contexte relativement à la perspective nationale. J’ai travaillé brièvement au Secteur des délinquantes, et je peux donc fournir un certain contexte à cet égard.
En ce moment, je suis surveillante à l’Unité de surveillance des femmes, l’USF. L’Unité de Calgary fait partie des neuf unités de surveillance des femmes de l’ensemble du pays. L’USF a pour but de favoriser un continuum de soins, depuis la détermination de la peine jusqu’à la date d’expiration du mandat, en passant par l’établissement fédéral.
L’USF de Calgary est responsable de la planification de la libération et de la surveillance, généralement, de 35 à 45 femmes, environ, y compris des femmes transgenres, à Calgary et dans les environs. L’unité est composée de deux agents de libération conditionnelle désignés, ou ALC, comme on les appelle, ainsi que d’un agent de programme, d’un agent de liaison autochtone dans la collectivité, d’un agent de développement auprès de la collectivité autochtone, d’un coordonnateur de l’emploi et de notre équipe de santé mentale. Cette équipe et l’unité travaillent en collaboration vraiment étroite. Nous nous réunissons chaque semaine pour examiner les cas imminents, élaborer des plans de libération et parler des femmes actuellement en liberté.
J’aimerais simplement souligner qu’il y a des recherches qui indiquent qu’une proportion importante des femmes qui ont réussi leur transition dans la collectivité ont mentionné avoir établi une relation positive avec leur agent de libération conditionnelle. C’est quelque chose que j’ai constaté à maintes reprises au cours de ma carrière auprès des femmes, tout comme le niveau de confiance qu’elles ont envers leur agent de libération conditionnelle. Beaucoup de femmes continuent de communiquer avec les ALC longtemps après la fin de leur peine. Je pense qu’elles voient bien qu’on a vraiment leur situation à coeur et qu’on veut leur bien.
Le fait de miser sur un concept d’équipe offre des perspectives et des possibilités différentes relativement aux autres ressources auxquelles les femmes peuvent avoir accès, particulièrement lorsqu’elles ont commis des violations techniques ou des violations des conditions de leur libération.
Certaines des femmes sous surveillance dont les cas sont plus complexes peuvent avoir de la difficulté à s’intégrer dans la collectivité et accumuler de multiples violations techniques, et c’est là que les ALC se tournent vers l’unité pour obtenir un soutien et des conseils.
En 2009, on m’a offert une affectation au sein du Secteur des délinquantes à l’administration centrale afin de mettre à jour la Stratégie communautaire nationale pour les délinquantes de 2002. Le document, intitulé la « Feuille de route pour une sécurité publique accrue » de 2007, aussi appelé rapport du groupe d’experts indépendants, recommandait de miser sur une stratégie de services de transition améliorés dans le domaine de la surveillance, du logement et des interventions, y compris la prise en considération d’initiatives et le soutien à l’emploi et à l’employabilité pour les femmes mises en liberté sous condition.
La version définitive de la stratégie communautaire et du plan d’action sur lesquels nous avons travaillé ciblaient plusieurs composantes clés prévoyant du financement pour améliorer les résultats. Les thèmes étaient les suivants: intégration entre l’établissement et la collectivité, surveillance des femmes qui ont des enfants, planification complète de la libération, femmes autochtones, services de santé mentale et éducation et employabilité.
Je tiens à le souligner parce que ces documents ont joué un rôle déterminant en fournissant un cadre pour ceux d’entre nous qui travaillent auprès des femmes et pour renforcer le lien entre les USF et les installations régionales pour femmes. Selon moi, permettre cette intégration ou faciliter des occasions d’intégration sont des éléments cruciaux d’une planification solide et opportune de la libération.
L’un des thèmes de la stratégie consistait à se concentrer sur la destination de libération préférée des femmes et à amorcer la communication entre l’établissement et la collectivité le plus rapidement possible. La femme moyenne exige peu d’interventions préalables de la part du personnel dans la collectivité. Celles qui ont des besoins plus complexes doivent faire l’objet de plus de communications et d’interventions entre l’établissement et la collectivité. Il est logique que, lorsque l’équipe dans la collectivité participe davantage à la planification de la libération dans les cas complexes, y compris au moyen d’une communication régulière avec les femmes et, éventuellement, leur famille, la délinquante est mieux préparée et mieux établie au moment de sa libération. Le fait d’avoir ce lien avec la collectivité motive souvent les femmes à travailler en collaboration avec l’équipe de leur établissement et, peut-être, à moins chercher la confrontation. Elles ont besoin d’un objectif. Elles peuvent voir la fin de leur période d’incarcération.
La Stratégie communautaire nationale pour les délinquantes a été révisée en 2016. On parle maintenant de la structure de soutien à la réinsertion sociale à l’intention des femmes. La structure mise sur deux volets de financement accessibles par l’intermédiaire du secteur: premièrement, un financement pour des mesures spécialisées de réinsertion sociale, et, deuxièmement, du financement pour les cas complexes.
Pour ce qui est de la planification de la libération, l’USF de Calgary travaille habituellement en collaboration avec les organisations autour de l’Établissement d’Edmonton pour femmes, le Centre psychiatrique régional, Okimaw Ohci et Buffalo Sage. Nous travaillons très dur pour avoir une bonne relation avec eux. Ils nous permettent de parler facilement avec les femmes au téléphone lorsque nous travaillons à la libération et ils n’hésitent pas à nous appeler.
Calgary a la chance de compter sur une installation résidentielle de traitement intensif de la toxicomanie appelé Aventa. Il y a aussi une installation exploitée conjointement par les Sociétés John Howard et Elizabeth Fry appelée la Berkana House. Ces deux installations sont d’excellentes ressources pour nous. Elles ont une bonne compréhension des femmes que nous surveillons, y compris celles qui ont des problèmes de santé mentale et les femmes transgenres. La Berkana House possède des appartements indépendants, ce qui permet aux femmes de vivre avec leurs enfants dans un appartement indépendant.
En conclusion, les services correctionnels communautaires et, plus particulièrement, les services correctionnels pour les femmes, sont une de mes passions depuis maintenant près de deux décennies. J’ai eu le privilège d’être encadrée par de nombreux chefs de file des services correctionnels pour femmes, dont certains m’ont aidée à élaborer le document La Création de choix — je suis sûre que vous en avez entendu parler — et dont d’autres ont joué un rôle central dans la conception et l’ouverture des prisons régionales pour les femmes. Leurs conseils, leurs encouragements et leur leadership m’ont vraiment aidée à acquérir une compréhension approfondie de la population et, plus particulièrement, m’ont donné le courage de faire preuve de créativité et de devenir une ardente défenseure des femmes. La Feuille de route pour une sécurité publique accrue mettait l’accent sur la responsabilisation et la responsabilité des délinquants, et notre surveillance d’équipe permet justement aux femmes d’être responsables et de rendre compte de leurs actes; c’est ce qu’elles veulent.
Sur ce, je vous remercie et je suis prête à répondre aux questions.
La présidente : Merci beaucoup à vous trois. Nous allons passer aux questions des sénateurs en commençant par la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup et je tiens vraiment à tous vous remercier; merci du travail que vous faites pour aider à protéger les droits de la personne des détenus.
Pour ce qui est du Comité consultatif national ethnoculturel, que faites-vous exactement? Je sais que vous avez dit que, peu importe la confession, la communauté ou la race, on a besoin de respect, et c’est bien sûr quelque chose que nous avons tous souvent entendu. Le simple fait d’être incarcéré ne signifie pas qu’il faut qu’on nous manque de respect. Pour commencer, pouvez-vous me dire quel pourcentage des détenus en Alberta sont membres d’un groupe minoritaire?
Mme Newman : Merci. C’est le troisième groupe en importance après la population autochtone. C’est donc en hausse. On parle donc d’environ 8 ou 9 p. 100, et c’est un pourcentage qui commence à augmenter de plus en plus, tandis que des gens viennent de diverses régions du globe.
La sénatrice Cordy : Vous avez dit jouer un rôle de conseiller pour le Service correctionnel du Canada dans la région. Vous entendez donc parler de problèmes liés au racisme et au sexisme dans le milieu carcéral, puis, vous prodiguez des conseils sur ce qu’il faut faire? Ou conseillez-vous tout simplement le Service correctionnel du Canada de façon générale? Vous intéressez-vous à des cas précis ou prodiguez-vous seulement des conseils généraux?
Mme Newman : Notre rôle est légèrement différent de celui que vous décrivez. Nous avons été recrutés pour fournir un soutien au personnel dans la collectivité afin de l’aider...
La sénatrice Cordy : Aux employés ou aux détenus?
Mme Newman : Non, permettez-moi de vous expliquer. Notre rôle consiste à être des conseillers pour le personnel en ce qui a trait aux besoins culturels des diverses personnes ayant certains antécédents culturels liés à leurs croyances, leurs valeurs, leurs pratiques et le fait qu’ils ont besoin de maintenir une connexion avec leur communauté. Il s’agit donc de se demander ce dont un détenu a besoin pour rester connecté sur le plan spirituel avec sa communauté, de façon à ce que, une fois libéré, il puisse rétablir les liens avec sa communauté, avoir de meilleures probabilités de réussite et être moins à risque de récidive. Car l’idée, c’est que nous savons que, une fois qu’ils sont incarcérés et derrière les barreaux, les détenus ont tendance à perdre ce contact, parce qu’ils sont détachés de leur communauté culturelle. Ils n’exercent pas leur spiritualité et leur rituel culturel, et perdent ce lien.
Quand ils sont libérés, ils peuvent être perçus comme des étrangers, des inconnus. Ils deviennent déconnectés de leur culture, et ils n’ont donc pas accès aux mesures de soutien dont ils ont besoin et auxquelles ils auraient accès si les liens avaient été maintenus.
Par conséquent, l’idée c’est que, pendant qu’ils purgent leur peine, ils travaillent à leur réhabilitation, comme l’a dit ma collègue tantôt; ils poursuivent certaines de leurs pratiques culturelles de façon à rester spirituellement liés à leur culture et leurs traditions. Aussi, espérons-le, nous communiquons — pas nous, nous conseillons le personnel — eh bien, espérons que le personnel du Service correctionnel du Canada est au fait de leurs besoins culturels. Lorsqu’ils sont libérés dans la collectivité, ils ont des liens avec leur communauté et ils ont établi des relations avec elle avant leur libération, parce que les liens ont été maintenus. Ce qui est à espérer, c’est que les mesures et le soutien dont ils bénéficieront dans la collectivité les aideront à rester concentrés et à éviter les problèmes. C’est l’idée.
Nous ne travaillons pas directement avec le personnel et avec les détenus en tant que tels. Nous fournissons des renseignements, des ressources. Nous sommes comme un pont entre la collectivité et le SCC et nous fournissons notre expertise.
Maria et moi avons divers points de vue culturels. La plupart des membres du comité consultatif ont aussi divers antécédents culturels, et nous sommes donc en mesure de communiquer nos connaissances au sujet de confessions précises, de pratiques précises. Je viens d’un pays arabo-musulman, alors je connais très bien les traditions islamiques, même si je ne suis pas musulmane, mais c’est bien, ça aussi. C’est correct, vous comprenez? Par conséquent, s’il y a un problème lié à la confession, à l’islam, je peux aider parce que, en fait, un de mes principaux ouvrages à l’université concernait l’islam, la chrétieneté et le judaïsme. Je connais bien différentes philosophies orientales.
Par conséquent, quand il y a un problème, nous tous au sein du conseil consultatif pouvons aider les employés à avoir accès aux ressources dont ils ont besoin dans la collectivité, nous pouvons aider à tisser des liens avec la communauté bouddhiste, la communauté afghane, la communauté bulgare — je ne veux pas parler uniquement de l’Asie du Sud-Est — la communauté française ou encore marocaine. Peu importe.
Nous sommes donc en quelque sorte là pour assurer la connexion. Les employés doivent être conscients de ce qui existe dans la collectivité afin qu’ils puissent aider les détenus à maintenir ce pont et ce lien culturel avec leur culture et leur patrimoine, parce que nous savons tous que notre patrimoine, notre culture et notre spiritualité sont des éléments très importants de notre psyché et de notre identité. Maintenir une telle connexion fera partie du processus de guérison. Nous sommes donc là pour fournir de l’information et des ressources aux employés.
Maria?
Mme Morales : Oui. Je veux tout simplement ajouter que, en raison de ma profession, j’interagis avec des gens qui sont passés par le système correctionnel. Ils n’ont plus aucun lien avec le système, et en raison de leurs problèmes de santé mentale, la maladie mentale, ils ont vraiment beaucoup de difficulté à bénéficier de ce genre de spiritualité ou d’avoir accès à leurs traditions parce qu’ils n’ont pas eu droit à ce genre de choses lorsqu’ils étaient en prison. Ils ont dit qu’ils n’avaient qu’à suivre le plan correctionnel, et c’est tout. On ne respectait pas leurs droits de la personne, vous savez, la liberté de religion, lorsqu’ils étaient dans le système.
Ils ont donc beaucoup de difficulté maintenant — je travaille individuellement avec eux — à trouver leur foi et leur culture, et c’est ce qu’ils veulent, mais ils en ont été exclus pendant tellement d’années, et ils récidivent. Ils retournent en prison. C’est donc la raison pour laquelle nous tentons de prodiguer des conseils au Service correctionnel à ce sujet. Merci.
La sénatrice Cordy : Merci.
Madame Coatham, pour ce qui est des agents de libération conditionnelle, interagissez-vous avec les prisonniers avant leur libération? Je sais que vous êtes en quelque sorte un agent de liaison ou que vous faites le pont entre la prison et la collectivité pour vous assurer que les délinquants réussissent leur réinsertion sociale.
Mme Coatham : Potentiellement. Lorsque je parlais de la détermination de la peine, lorsque les personnes sont condamnées, à Calgary, nous procédons à une évaluation initiale, ce que nous appelons l’évaluation préliminaire. C’est peut-être à ce moment-là la première fois que nous rencontrons la femme. Si elle vient de Calgary, alors nous la reverrons. Nous procédons donc à l’évaluation initiale et présentons un résumé de la situation. Plus particulièrement, si des problèmes de santé mentale sont présents et que nous savons qu’on procédera à une planification de la libération quelconque, une planification complexe, alors nous participons d’entrée de jeu et maintenons le contact avec ces personnes par l’intermédiaire de l’établissement.
La sénatrice Cordy : L’une des préoccupations que nous avons entendues dans une prison pour femmes où nous sommes allés, c’était que le programme d’intégration exigeait des femmes qu’elles sortent de la prison. Elles sont sorties un certain nombre de fois, et, à leur première sortie, elles devaient être accompagnées d’un membre du personnel. Le défi était lié à cette personne; un mois et demi ou deux mois s’écoulaient, et les femmes n’avaient toujours pas pu sortir parce qu’il n’y avait pas d’employé pour les accompagner. Par conséquent, lorsqu’elles quittent enfin la prison, elles n’ont pas pu participer autant au programme de réinsertion sociale qu’il aurait fallu. Ce n’est pas le genre de choses qui va mener à la réussite. Par conséquent, de quelle façon...
Mme Coatham : Eh bien, il y a deux ou trois choses. Les peines sont souvent de courte durée, et donc, habituellement, lorsque commence le processus de planification de la libération, les personnes n’ont pas eu la possibilité d’obtenir des PSAE, des placements à l’extérieur ou des PSSE. Alors, espérons-le, on mettra l’accent — si ces personnes purgent des peines plus courtes — sur la semi-liberté. Il faut les faire sortir en les envoyant dans une maison de transition.
Je peux parler d’Edmonton et d’Okimaw Ohci. Je sais qu’ils ont de la difficulté à obtenir des placements à l’extérieur pour les femmes. Au fil des ans, ils ont plus ou moins réussi à les faire sortir ou à assister à des réunions ou à d’autres événements pour qu’elles puissent quitter l’établissement, exactement comme on vient d’en parler.
Dans notre cas, nous sommes à trois heures de route. Par conséquent, pour qu’elles se tournent vers nous, ce serait unique dans la mesure où il n’y en a pas vraiment eu qui ont bénéficié d’un placement à l’extérieur. Pour ce qui est des permissions de sortir sans escorte, il y en a assurément eu. Il s’agit habituellement de contacts avec la famille, des situations où la personne vient voir sa famille ou son être cher et passe 72 heures ou 24 heures en sa compagnie. Nous rencontrons ces personnes et puis, c’est ce que nous espérons, elles travaillent sur leur semi-liberté. Il y a donc divers niveaux d’option de libération préalable.
La sénatrice Cordy : Mais la première option n’a pas été possible. La première fois, ce devait être avec un gardien de prison.
Mme Coatham : Et il y avait un problème de dotation.
La sénatrice Cordy : Et c’était un problème de dotation. Par conséquent, les autres options ne leur étaient tout simplement pas accessibles. Il n’était pas possible d’avoir recours à un bénévole. Puis, ces femmes se retrouvent dans la collectivité. Soudainement, le temps écoulé, elles sont prêtes pour la libération conditionnelle, mais elles n’ont pas encore pu sortir.
Mme Coatham : Oui. Et il semble s’agir d’une délinquante purgeant une peine plus longue qui a passé plus de temps en prison. Malheureusement, je ne peux pas vous parler de la façon dont un établissement gère ses effectifs.
La sénatrice Cordy : Merci.
La sénatrice Ataullahjan : Merci à vous toutes de vos témoignages.
Madame Newman, dans quelle mesure le Service correctionnel du Canada est-il à l’écoute des besoins des groupes ethnoculturels? Reconnaît-on que le simple fait qu’un groupe de personnes vient d’Asie du Sud signifie que ces personnes sont différentes? Parce que je suis allée dans un établissement où j’ai demandé, vous savez : « Combien de détenus, ici, sont d’origine sud-asiatique? » On m’a regardée sans expression. Ils ne comprenaient pas ce que « sud-asiatique » voulait dire.
De plus, à titre de précision, le Service correctionnel vous appelle lorsqu’il y a des groupes ethnoculturels et vous demande de venir travailler en collaboration avec lui? Je ne comprends pas tout à fait ce que vous faites exactement.
Mme Newman : Bien sûr. Je vais commencer et je vais ensuite laisser ma collègue intervenir également.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous n’avons pas d’interaction directe. S’il y a un problème ou une préoccupation, la personne responsable de la liaison en établissement peut communiquer avec nous pour soulever le problème ou la préoccupation. Cette personne peut envoyer un courriel à tous les membres du CCRE : il y a un problème. Pouvez-vous nous prodiguer des conseils? Vous savez, c’est ainsi que les choses se passent.
Merci d’avoir soulevé la question, madame la sénatrice. Beaucoup de personnes sont très confuses en raison de la question géographique. J’ai eu une longue conversation un jour avec une dame d’origine chinoise, et elle se décrivait comme une Asiatique. J’ai dit : « Eh bien, je suis Asiatique moi aussi. » Et elle a répondu: « Non, vous n’avez pas l’air d’une Chinoise. » Et j’ai dit : « Ce ne sont pas tous les Asiatiques qui sont Chinois. Ce ne sont pas tous les Asiatiques qui sont Indiens, Afghans, Pakistanais ou Japonais. » Il y a donc beaucoup de confusion à cet égard. Pour commencer, l’Asie est un très gros continent, et il compte une centaine de pays.
Pour revenir à votre question, nous sommes allés à l’Établissement de Drumheller récemment. J’ai une liste — je ne l’ai pas, ici, malheureusement, elle est dans mon autre sac à main — des données démographiques de la population. Les responsables nous ont donné les données sur la population de l’Établissement de Drumheller, le nombre de personnes et des précisions sur tous ceux qui ont fait part de leur patrimoine culturel, parce que les détenus ont le droit de communiquer l’information et, parfois, ils décident de ne pas le faire. C’est leur choix. Par conséquent, en fonction de ce que les détenus divulguent, les responsables possèdent les données sur le nombre de personnes qui viennent de certaines régions d’Asie. Habituellement, ils regroupent toutes les personnes en fonction d’une région plutôt que, par exemple, dire qu’une personne vient d’Irak. Ils diront plutôt qu’elle vient du Moyen-Orient. Ou ils indiqueront que quelqu’un vient d’Asie du Sud-Est, d’Asie centrale, d’Asie du Nord-Ouest, d’Afrique du Nord-Est, d’Afrique centrale ou ce genre de choses. Par conséquent, ils les classent selon une région plutôt qu’en fonction des différents pays.
Un des défis auxquels sont confrontés beaucoup d’employés travaillant directement auprès des détenus, c’est que nous composons avec un très grand nombre de populations purgeant des peines au sein du système. Il est difficile de répondre aux besoins propres à chaque pays.
Notre rôle a toujours été de prodiguer des conseils en fonction de la région. Si quelqu’un vient des Amériques, de l’Amérique du Sud, quelqu’un comme Maria dira : « D’accord, en Amérique du Sud, voici quelques-unes des traditions, pratiques, systèmes de croyances et valeurs. » Si quelqu’un vient du Moyen-Orient, on m’appellera afin que je parle de la culture moyen-orientale, et de choses de ce genre.
Encore une fois, pour revenir à votre question, les établissements ont accès aux statistiques parce que, lorsque nous allons sur place, la personne est allée dans les bureaux et, en quelques minutes, m’a donné un document imprimé contenant l’information pour trois ou quatre établissements, et elle a surligné les données sur l’Établissement de Drumheller, le nombre de personnes incarcérées, et précisant tous les délinquants ayant déclaré eux-mêmes appartenir aux différents groupes culturels présents dans l’établissement.
Par conséquent, si les employés eux-mêmes ne connaissent pas très bien la situation, ils peuvent communiquer avec leurs agents de liaison ethnoculturels, les ALE, et nous pourrons aider. Est-ce que j’ai répondu à votre question?
La sénatrice Ataullahjan : Oui. J’ai une question complémentaire, mais je veux écouter ce que Mme Morales a à dire.
Mme Morales : Je voulais tout simplement ajouter, ici, que, lorsque nous sommes allés à l’Établissement de Drumheller et, par exemple, les gens là-bas voulaient des ressources de Calgary, comme un répertoire des contacts dans la collectivité. En tant que comité, nous sommes prêts à recueillir cette information et à l’envoyer à l’Établissement de Drumheller, parce que certains délinquants peuvent se retrouver à Calgary. Ils en ont donc besoin : c’est un livret, un dépliant où figurent tous les contacts communautaires avec lesquels il est possible de communiquer.
La sénatrice Ataullahjan : À quelle fréquence le SCC sollicite-t-il vos conseils? En un mois ou deux mois? À quelle fréquence vous appelle-t-il pour vous demander conseil?
Mme Newman : Ils passent d’abord par leurs ALE. Ils procèdent dans un premier temps à l’interne, et ils comptent sur des gens dans les établissements qui ont cette désignation. Par exemple, nous avons rencontré un homme à l’Établissement de Drumheller, et nous avons rencontré d’autres personnes dans d’autres établissements. Ce sont des employés à temps plein, mais on leur attribue aussi cette tâche supplémentaire, soit d’être des conseillers ethnoculturels. Les responsables passent donc en premier par ces personnes qui oeuvrent dans l’établissement et, si le problème ne peut pas être réglé, ils communiqueront avec nous par l’intermédiaire de notre contact, Nel, dans notre cas, pour le comité régional de Calgary, et elle communiquera avec nous.
À quelle fréquence? Tout dépend des besoins. Parfois on se parle une fois par année. Parfois, jamais. Parfois, c’est deux ou trois fois par année. Tout dépend de la situation et de ce qui se passe. Ce n’est donc pas constant. Ce n’est pas le cas.
La sénatrice Ataullahjan : Merci.
La présidente : J’ai une question complémentaire à la question de la sénatrice Ataullahjan qui porte aussi sur le travail ethnoculturel. Faites-vous quoi que ce soit de façon proactive pour régler les problèmes auxquels les délinquants et les prisonniers ethnoculturels sont confrontés? Y a-t-il des mesures proactives qui sont prises, ou attendez-vous tout simplement les renvois du SCC?
Mme Newman : Eh bien, nous sommes un comité consultatif, alors nous prodiguons des conseils. Notre rôle consiste aussi à défendre les intérêts des gens. L’une des raisons pour lesquelles je suis ici aujourd’hui, c’est que je veux demander plus de financement pour soutenir le personnel, si c’est ce que vous voulez dire. Notre rôle consiste à voir ce dont les employés ont besoin afin qu’ils puissent faire leur travail de façon plus professionnelle, les ressources dont ils ont besoin.
Notre rôle consiste donc à dire au commissaire et au SCC que, s’ils veulent que tel ou tel programme fonctionne, dans le but d’aider les délinquants ou les détenus qui purgent une peine afin qu’ils maintiennent des liens avec leur communauté, il faut plus de ressources, d’argent pour soutenir le programme.
Pour ce qui est d’un des domaines liés au travail de défense des intérêts que nous réalisons, j’ai participé à la révision de la DC 767, de façon à l’harmoniser avec l’autre DC créée pour la population autochtone. Encore une fois, en tant que porte-parole, nous aimons faire la promotion du programme appelé Targeted Solution, et je sais que vous le connaissez, madame la sénatrice; c’est un programme qui vise à s’assurer que le programme à l’intention des personnes appartenant à divers groupes ethnoculturels est similaire à celui offert aux Autochtones en ce qui a trait au fait d’accroître la participation communautaire, les ressources affectées et les services de soutien à l’intention du personnel. À long terme, lorsque nous soutenons les employés, ces derniers font le travail. Ce sont eux qui sont sur la première ligne. Par conséquent, nous ne faisons pas de travail de première ligne. Nous soutenons les employés afin qu’ils puissent faire leur travail.
Parfois, notre rôle consiste à prodiguer des conseils liés à certaines questions culturelles qu’il faut connaître lorsque certaines fêtes ont lieu et ce genre de choses. Notre rôle proactif consiste à s’assurer que le système fonctionne bien et que les employés ont les ressources dont ils ont besoin pour réaliser les projets.
La présidente : Merci.
La sénatrice Pate : Merci à vous toutes de votre présence et du travail que vous faites.
Madame Morales et madame Newman, je suis curieuse de savoir dans quelle mesure vous avez été informées par les services correctionnels au sujet des dispositions de la législation actuelle qui pourraient être utilisées afin que des communautés puissent en fait avoir accès aux leurs pendant qu’ils sont en prison et puissent les sortir de prison. Par exemple, il y a des paragraphes qui sont habituellement appliqués aux prisonniers autochtones, mais qui pourraient aussi l’être aux prisonniers ethnoculturels, aux prisonniers trans et à d’autres prisonniers, aussi. C’est la première chose.
De plus, dans quelle mesure les prisons sont-elles accessibles aux membres de ces communautés, s’ils veulent venir et avoir accès aux prisonniers?
Mme Newman : Je vais répondre à la première question, et elle pourra répondre à la deuxième. Parlez-vous des articles 81 à 84?
La sénatrice Pate : Il pourrait s’agir des articles 81, 84 et 29.
Mme Newman : Eh bien, je reçois des mises à jour de notre personne-ressource au SCC. Son nom est Donat, et c’est lui qui me tient informée de ces choses. Comme la sénatrice Bernard l’a mentionné, nous aimons promouvoir ces enjeux et attirer l’attention du gouvernement sur l’importance de la législation permettant d’améliorer les services et les programmes qui soutiennent les personnes de divers groupes ethnoculturels.
Je n’aime pas l’expression « délinquant ethnoculturel ». Personnellement, je trouve ça offensant, alors j’essaie toujours de dire « une personne d’un groupe ethnoculturel » jusqu’à ce qu’on trouve une expression qui est meilleure que « délinquant ethnoculturel ».
Nous aimerions donc qu’on mise davantage sur la législation, les articles 81 et 84. Nous voulons voir ce genre de choses, parce que nous avons constaté certaines réussites dans le cadre du programme visant la population autochtone. Dans un même ordre d’idées, les personnes venant de divers groupes ethnoculturels devraient bénéficier de soutien et de programmes similaires. Par conséquent, nous sommes en quelque sorte tenus au courant, mais nous ne nous occupons pas de détails particuliers ou précis.
La sénatrice Pate : Les collectivités connaissent-elles ces articles? Est-ce que les divers groupes dont vous avez parlé, avec lesquels vous travaillez, connaissent ces articles?
Mme Newman : Pas encore beaucoup, non, malheureusement.
Mme Morales : En ce qui concerne la deuxième question que vous avez posée quant à savoir si les collectivités ont accès aux installations correctionnelles, nous avons constaté certains problèmes liés à l’Établissement de Drumheller. En raison des effectifs et de la quantité de travail, il est très difficile pour le personnel de procéder à toutes les évaluations et de permettre à beaucoup de personnes de venir, des bénévoles, des gens qui sont disposés à le faire. C’est tout simplement trop de travail pour les employés en raison du budget. Ils n’ont pas une personne-ressource chargée d’obtenir les ressources ou de trouver des liens communautaires pour les prisonniers.
Nous avons constaté que c’est quelque chose qui fait partie des droits de la personne. Nous avons rencontré un groupe ethnoculturel à l’Établissement de Drumheller, et les gens nous ont donné une liste. Un membre représentait les Européens, un autre, la population noire, et un autre, les Asiatiques. Ils posaient des questions à ce sujet. Ce que nous avons entendu du personnel du SCC, c’est que ce n’est pas possible de le faire. Parfois, les responsables ont l’impression que les détenus veulent tout simplement participer à des ateliers gratuits ou passer du temps ensemble et avoir un samedi ou un dimanche de congé, afin d’obtenir des heures supplémentaires durant lesquelles ils peuvent ne pas être consignés à leur cellule.
Cependant, de la façon dont je vois les choses, comme nous en avons parlé au sujet des droits de la personne, c’est quelque chose qu’ils veulent. Ils ne veulent pas attendre d’être libérés pour obtenir tous ces renseignements. Ils en ont besoin avant. C’est le problème que nous avons constaté lorsque nous avons visité récemment l’Établissement de Drumheller.
Mme Newman : Puis-je ajouter quelque chose? Ce que j’ai constaté au cours des dernières années — eh bien, je suis membre du CCRE depuis de nombreuses années —, et Maria s’est jointe à nous il y a quelques années... Nous constatons un manque de ressources, c’est-à-dire que le financement pour ce genre de programmes est limité. Nous aimerions qu’il y ait un meilleur financement. Idéalement, c’est un merveilleux programme à avoir pour permettre aux personnes qui purgent une peine de rester connectées au sein d’une communauté. C’est bien de faciliter leur réinsertion sociale, mais il faut des ressources.
De plus, s’attendre à ce que le personnel de première ligne s’acquitte de ses fonctions et, en plus de tout ça, joue le rôle de liaison ethnoculturelle, c’est une charge trop lourde. Nous avons rencontré une personne qui travaille là-bas, comme je l’ai dit, et il a mentionné ne pas avoir assez de temps. De plus, il nous a dit — et c’est quelque chose qui nous a complètement renversés — que 1 000 $ par année étaient consacrés à la question etchnoculturelle. Que peut-on faire avec 1 000 $ par année pour tout un établissement? Ce n’est pas assez.
Ce que j’aimerais promouvoir dès maintenant — et c’est quelque chose que j’ai déjà mentionné, même au commissaire Don Head durant notre dernière réunion —, c’est que chaque établissement bénéficie d’une personne dont ce serait le seul travail et qui n’aurait pas à s’acquitter d’autres tâches, comme faire partie du modèle de dotation lié à l’exploitation de l’établissement, mais qui se concentrerait exclusivement sur les points de vue et besoins culturels et religieux des personnes qui sont là et qui créerait des liens avec les communautés et des liens avec nous afin d’accroître le niveau d’interaction et le nombre de relations. J’espère que, en raison de notre plaidoyer, aujourd’hui, vous pourrez en parler au gouvernement et lui dire à quel point c’est une idée merveilleuse, mais qu’il faut des ressources pour faire avancer les choses et être plus efficace. Ça semble très bien, et nous faisons du mieux que nous pouvons.
Nous sommes tous nous-mêmes des bénévoles, ici. Vous savez, c’est notre temps personnel. Nous sommes ici parce que nous y croyons vraiment beaucoup. Maria et moi sommes allées aussi loin parce que nous voulons nous assurer que, peu importe qui ils sont, là où ils en sont rendus dans leur vie, et leur statut, les gens ont besoin d’être traités avec respect et dignité. Si nous voulons qu’ils réussissent leur réinsertion sociale dans la collectivité, il faut s’assurer de mettre en place des systèmes et de prévoir les ressources nécessaires afin que, lorsqu’ils seront de retour dans la collectivité, ils réussiront, ils auront du succès et ils iront de l’avant. On ne peut pas le faire avec 1 000 $ par établissement par année. Je suis désolée d’avoir à le dire. Merci.
La sénatrice Pate : Merci.
Madame Coatham, merci de tout le travail que vous avez fait à Calgary au fil de nombreuses années. J’ai été surprise de vous entendre citer le groupe de travail d’experts, parce que j’ai l’impression qu’il s’est peu intéressé aux enjeux touchant les femmes. Je ne sais pas si vous êtes à l’aise à l’idée de parler de la situation générale des services correctionnels pour les femmes. Je comprends que vous devez probablement obtenir des approbations pour ce genre de choses, alors vous n’êtes peut-être pas à l’aise à l’idée de le faire, ce qui est normal.
Cependant, l’une des choses que vous avez soulignées, d’après ce que j’en sais, depuis longtemps, c’est l’importance de fournir des ressources aux femmes dans la collectivité afin d’empêcher qu’elles soient de retour en prison une fois que vous les libérez et afin de leur fournir du soutien. Je suis curieuse de savoir ce que vous considérez comme le plus grand obstacle qui empêche actuellement le SCC de miser davantage sur les articles 81 et 84, l’adoption d’approches personnalisées pour les femmes, en particulier, et, évidemment, tout spécialement pour les femmes autochtones. J’aimerais savoir comment vous voyez la suite des choses.
Il y a eu une très bonne initiative à laquelle, si je ne m’abuse, vous avez participé à Calgary lorsque le Southern Alberta Institute of Technology, le YMCA/YWCA et la Société Elizabeth Fry ont mis sur pied conjointement un programme d’emploi qui misait également sur des conseillers et des services de soutien. À ma connaissance, aucune des femmes ayant participé au programme n’est jamais retournée en prison. Elles ont toutes trouvé un emploi et sont toutes passées à autre chose, mais il s’agissait d’un projet pilote. Le financement a pris fin.
Quelles sont certaines des recommandations que le comité pourrait formuler pour vraiment vous aider, vous et votre équipe, pas seulement à faire le travail que vous faites, mais aussi à éliminer certaines des violations des droits de la personne les plus flagrantes auxquelles sont confrontées les femmes détenues et les femmes en liberté conditionnelle?
Mme Coatham : Ce que j’ai dit au sujet du groupe d’experts indépendants, c’est qu’il avait donné le coup d’envoi à la mise à jour de la stratégie communautaire. De plus, il arrivait à point nommé dans la mesure où nous avons pu obtenir du financement connexe. Il y avait beaucoup de fonds. C’était un financement nécessaire parce que, préalablement, lorsque nous examinions les initiatives d’emploi et le financement des cas complexes, les fonds n’étaient tout simplement pas là. Il a donc vraiment servi d’impulsion, et l’argent a suivi. C’est la raison pour laquelle j’en ai parlé.
En ce qui concerne les initiatives à Calgary, et, vraiment, les initiatives un peu partout, vous avez raison, elles brillent par leur absence. Si je peux me permettre de parler des délinquants autochtones, Calgary a été un désert en ce qui concerne les ressources pour les Autochtones. En outre, la situation fluctue. Il y a une population qui vient à Calgary — nous sommes entourés de réserves — et, malgré tout, lorsque nous permettons aux hommes et femmes de participer à des sueries ou à une cérémonie, ce sont des choses très difficiles à trouver. Plus particulièrement, lorsque les femmes veulent aller avec d’autres femmes et qu’elles ne veulent pas participer à des sueries mixtes, c’est tout simplement impossible. Tout ça a vraiment été un problème à Calgary durant toute ma carrière.
En janvier, nous avons enfin obtenu une agente de liaison autochtone dans la collectivité à Calgary. Il y en avait toujours eu une à Edmonton. Nous en avons enfin obtenu une à Calgary. Cela a vraiment, depuis janvier, transformé la situation des ressources pour la population autochtone comparativement à ce qui était en place auparavant. Par exemple, elle possède des contacts, et elle a fait sortir les femmes afin qu’elles puissent ramasser des médecines, participer à des sueries et tenir leurs cérémonies, tout ça, en quelques mois. Tandis qu’avant, peu importe les efforts, on misait sur une agence, pour ensuite apprendre qu’elle était aux prises avec des conflits internes, qu’elle allait perdre son financement ou que la composition de son conseil changeait, et les ressources n’étaient plus là.
En fait, je viens d’apprendre que cette ALAC avait organisé une suerie pour les femmes qui en avaient désespérément besoin. Elle a communiqué avec l’agence, a pu parler à l’aîné et a dit : « Nous sommes prêtes à aller de l’avant. Nous sommes très enthousiastes. » Et il a dit : « Je viens d’être congédié. » La cérémonie a donc été annulée, et c’est encore la même chose.
Edmonton regorge de ressources pour les délinquants autochtones. Nous sommes vraiment jaloux. Cependant, je crois que vous avez raison dans la mesure où nous allons dans cette direction. Nous tentons d’établir des accords. Actuellement, nous travaillons en collaboration avec la Ville de Calgary, Fort Calgary et plusieurs organismes pour essayer d’installer un tipi à Fort Calgary afin d’avoir un terrain de cérémonie. Si tout va bien — et c’est là la vision de l’ALAC, que j’adore — il y aura un accord, vous savez, les intervenants gouvernementaux et non gouvernementaux, et ce sera un endroit sacré afin qu’on n’ait plus à chercher un peu partout de tels endroits pour y tenir des cérémonies à l’avenir. Donc, à l’heure actuelle, cela fait partie de la vision, et j’espère vraiment que cette initiative débouchera parce qu’il y a vraiment un manque.
Par conséquent, vous avez absolument raison. Il y a une lacune au chapitre des droits de la personne. Si je ne l’ai pas entendu 100 fois, je ne l’ai jamais entendue : ces femmes qui viennent d’Okimaw Ohci, elles ont participé à leur cercle matinal, le Programme des chevaux. Elles se sentent bien. Elles ont appris des choses sur leur culture, peut-être pour la première fois de leur vie, et elles arrivent dans une ville où il y a 1 200 000 personnes, et nous leur disons : « Allez trouver quelque chose ». lles ne se sentent pas assez fortes, et elles disent : « Renvoyez-moi là-bas, je veux y retourner. » C’est déchirant.
Je pense donc que le défi pour nous consiste à augmenter ces ressources. Nous avons une ALAC — et j’en suis ravie — et elle a accès à des ressources.
Lorsqu’il est question des femmes, plus particulièrement, et lorsqu’on compose avec des cas complexes, parce que nous voulons libérer les personnes qui ont des problèmes de santé mentale, ces personnes n’ont pas à languir dans un établissement... On ne m’a tout simplement pas refusé de telles ressources ni le financement pour avoir accès à ces ressources. D’un autre côté, pour ce qui est de trouver les ressources, lorsqu’on compose avec des gens qui ont été stigmatisés et que les agences de Calgary demandent : « D’où viennent ces personnes? » Nous répondons: « Eh bien, elles viennent d’un établissement. » Et les agences de répondre : « Oh », pour ensuite les mettre sur une liste d’attente qui ne mène jamais à rien. Par conséquent, lorsque ces personnes n’ont pas nécessairement à se trouver dans l’une des installations avec lesquelles nous avons des contrats, elles devraient être ailleurs. C’est très difficile d’ouvrir ces portes. Je crois donc que nous devons faire preuve de plus de créativité au moment de soutenir cette population, en particulier, lorsque les choses commencent à déraper et qu’on parle de maladies mentales ou de violation de conditions, habituellement celle interdisant la consommation de substances et les problèmes d’abus connexes.
Vous avez donc raison, Kim. Vous savez, il y a un manque de ressources; nous faisons ce que nous pouvons. On a l’impression que, parfois, lorsqu’une porte s’ouvre et qu’une agence semble nous dire « Hé, venez », une autre porte se referme; c’est le jeu du chat et de la souris.
En ce qui concerne les métiers, c’est quelque chose qui fluctue. Les organismes ont une initiative, et les responsables diront : « Faites venir vos femmes, venez apprendre un métier », puis nous n’avons tout simplement plus assez de femmes. Il y a eu une période durant laquelle les femmes n’obtenaient tout simplement pas de semi-liberté. Elles n’étaient pas libérées sous condition. Nous mettons donc sur pied ces initiatives, et nos chiffres chutent, et les responsables cherchent des gens, et il n’y en a pas, parce qu’ils sont tous en établissement.
Nous sommes maintenant de retour en période de hausse. Il y a plusieurs années, je suis sûre qu’on peut dire... Nous sommes passés de 60 p. 100 de femmes dans la collectivité et 40 p. 100 de femmes en établissement à quasiment 50-50, et il y en avait plus en établissement. Je crois que le ratio est à nouveau positif, mais, puisque nous avons traversé une période de ralentissement où la plupart des hommes et des femmes étaient en établissement, nous avons perdu accès à ces programmes parce que les gens ne se présentent tout simplement pas. Nous avons perdu deux ou trois installations. Les responsables ont fermé leurs portes et abandonné le contrat qu’ils avaient conclu avec nous parce qu’ils n’avaient pas les moyens de continuer : personne n’y allait.
La sénatrice Pate : Pour être claire, il s’agit de situations comme celle de Buffalo Sage lors de son ouverture. Aucune femme autochtone n’y était admissible en raison de la classification. Par conséquent, si vous ne réglez pas la classification, si vous ne gérez pas adéquatement les accords conclus en vertu des articles 81 et 84 et le financement connexe, alors vous vous retrouvez sans femme pour participer à ces accords.
L’autre partie de ma question portait sur les articles 81 et 84. Combien y a-t-il d’accords individuels dans votre région qui sont conclus, le cas échéant, avec des collectivités autochtones individuelles?
Mme Coatham : Voulez-vous dire dans la réserve ou en milieu urbain?
La sénatrice Pate : Dans la réserve ou avec des...
Mme Coatham : Dans les réserves, les accords changent généralement à chaque élection de bande et de conseil. Il y a donc des accords dans plusieurs des réserves. Toutefois, ce ne sont pas des accords fermes, car ils sont individuels. On travaille donc avec chacun.
Prenez la réserve à l’ouest de Calgary. Dans une situation où une femme a commis un crime contre une autre famille — vous avez donc deux familles de la réserve, cette famille et cette autre famille — la famille victime ne veut plus jamais qu’elle revienne, et elle détient le pouvoir dans la réserve. Alors il est très difficile d’agir dans le fonctionnement interne de ces bandes et de soutenir les femmes participant à ces accords conclus en vertu de l’article 84 — les hommes aussi. Il est donc très difficile, dans le meilleur des cas, de ramener beaucoup de gens dans leur collectivité.
En ville, en ce qui concerne les accords conclus en vertu de l’article 84, il n’y a pas d’installations. Il y a nos maisons de transition, et nous travaillons avec les différents organismes pour soutenir les femmes, que ce soit le SAIT pour l’éducation ou les organismes qui sont là pour les soutenir.
Pourrions-nous faire plus? Nous devons absolument en faire davantage en matière de logement. Il n’y en a pas assez. J’ai vu des listes d’attente, et je ne peux vous dire depuis combien de temps elles existent; j’ai examiné des installations qui s’apprêtent à fermer leurs portes. Et maintenant, nous avons tous ces gens qui ont finalement été acceptés et qui attendent dans l’établissement parce qu’ils n’ont pas de place.
La sénatrice Pate : Y a-t-il d’autres questions concernant les droits de la personne des hommes et des femmes ou concernant la santé mentale?
Mme Coatham : Je ne sais pas si vous appelleriez cela — je suppose qu’il s’agit des droits de la personne. La chose qui nous préoccupe le plus, je pense, ce sont les femmes avec des enfants qui en ont perdu la garde lorsqu’elles ont été incarcérées. Je ne parle pas des enfants dans l’établissement avec elles. Il est très difficile d’évoluer dans des systèmes afin que ces femmes revoient leurs enfants. Il existe une discrimination systémique qui est tout simplement déchirante, et elles ont beau essayer d’être responsables et d’assumer cette responsabilité de travailler avec ces organismes, on ne les rappelle tout simplement pas. Les responsables diront : « Oui, nous allons amener vos enfants vous voir », puis ils ne se présentent pas avec les enfants, et elles ne reçoivent aucun appel téléphonique. Alors, quel genre de droit une mère a-t-elle? Est-ce une question qui concerne les droits de la personne? Je pense que oui, et je pense que les enfants souffrent.
Nous avons travaillé à de multiples reprises avec ces organismes. Le roulement est épouvantable. La façon dont ils traitent les femmes qui tentent de revoir leurs enfants est parfois déchirante.
La sénatrice Pate : Merci.
La présidente : Merci beaucoup à toutes. Nous n’aurons pas le temps pour une deuxième série de questions. Je tiens à vous remercier toutes les trois d’être venues, de nous consacrer votre temps ce soir et de vous être déplacées ici pour nous rencontrer. Nous l’apprécions.
Pour notre troisième groupe ce soir, nous sommes heureux d’accueillir, à titre personnel, Mme Clare McNab, ancienne directrice du Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci et ancienne sous-directrice de l’Établissement Bowden, Service correctionnel du Canada. Nous entendrons le grand chef, Arthur Noskey, des Premières Nations de l’Alberta signataires du traité no 8.
Madame McNab, vous avez d’abord la parole.
Clare McNab, retraitée, directrice du Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci et ancienne sous-directrice de l’Établissement Bowden, Service correctionnel du Canada, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invitée ici pour vous parler. Je suis un peu nerveuse, alors excusez-moi. Je suis allée à Buffalo Sage plus tôt aujourd’hui. Je crois que vous irez plus tard cette semaine. La directrice a dit : « Parlez d’une voix forte », alors je ressens la pression.
Je suis une femme métisse originaire du Sud de la Saskatchewan. J’ai travaillé pour le Service correctionnel du Canada pendant 17 ans, initialement en tant que kikawinaw — kikawinaw est un mot cri qui signifie notre mère. C’est non pas une directrice, mais une kikawinaw au Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci.
Je suis ensuite allée à Ottawa et j’ai travaillé à la Direction des initiatives pour les Autochtones pendant quelques années, puis je suis retournée à Bowden en tant que sous-directrice pendant trois ans. Je suis maintenant à la retraite. Donc, ma vie active est... Je travaille encore, mais bon.
Je ne sais pas comment procéder. Dans la collectivité autochtone, nous racontons souvent des histoires. C’est ce que je pensais faire avec vous ce soir, vous raconter quelques histoires.
Je crois que lorsque des personnes travaillent dans la collectivité autochtone, il faut écouter différemment. Nous ne présentons pas toujours des statistiques, des faits et des chiffres. Nous ne vous disons pas toujours quoi faire non plus. Parfois, vous devez deviner. Mais nous racontons des histoires, et, avec un peu de chance, vous pourrez trouver quelque chose dans les histoires.
Lorsque j’ai commencé à travailler à Okimaw Ohci, lors de mon embauche, comme je n’avais aucune expérience des services correctionnels, on m’a envoyée à Ottawa pendant quatre semaines pour travailler à l’administration centrale. En rentrant à la maison, en avion, j’étais assise juste à côté d’un aîné de la Saskatchewan, l’aîné Jimmy Myo. Il est décédé depuis. J’étais très fière et je lui disais que j’allais être la kikawinaw d’Okimaw Ohci. Et il m’a dit : « Je veux que tu te rappelles que les femmes avec lesquelles tu vas travailler ont besoin d’amour. » C’est ce qui m’a aidée, en quelque sorte, pendant mes 10 années et plus là-bas et peut-être même davantage. Vous savez, où au SCC parlons-nous jamais d’amour et de bienveillance? Les aînés au pavillon de ressourcement disent aux femmes : « Soyez gentilles les unes envers les autres. » C’est difficile, parce que beaucoup d’entre elles n’ont jamais connu la gentillesse. Donc, elles ne savent même pas comment commencer à composer avec cela.
Quoi qu’il en soit, j’ai pu connaître un certain nombre de femmes et entendre quelques-unes de leurs histoires. Certaines de leurs histoires sont très tragiques. Dans mes notes qui sont devant vous, j’ai donné quelques exemples. L’un de ces exemples était celui de Sheila. Elle est entrée dans mon bureau et m’a raconté son histoire. Je ne sais pas quel âge elle avait. Sa mère avait un nouveau petit ami, et le petit ami l’agressait. Alors un jour, elle est allée à l’école et l’a dit aux enseignants. Bien sûr, les enseignants ont appelé les services sociaux, et un grand événement a suivi. Quand elle est rentrée chez elle, les services sociaux étaient déjà là, et sa mère était très fâchée contre elle au sujet de ce qu’elle avait dit. Sa mère a essayé de la noyer dans la baignoire. J’étais assise là, à la regarder, et je me disais : « Pas étonnant que tu sois là. » Alors, vous savez, ces femmes ne viennent pas de très bons milieux, de très bonnes familles.
Un autre exemple avait trait à une femme, Odelia, et il y avait en fait plusieurs membres de la famille qui étaient derrière les barreaux. J’avais l’habitude de sortir le soir, et nous faisions un cercle. Un certain nombre de femmes avaient fréquenté les pensionnats, et je me suis donc assise avec elles dans le cercle. L’une des activités que je leur ai demandé de faire consistait à éteindre les lumières et à s’allonger dans le cercle, puis je disais : « Je veux que vous imaginiez, visualisiez par vous même ce à quoi vous pourriez ressembler si vous aviez réussi. » Je leur ai laissé quelques minutes puis j’ai demandé à chacune de parler à tour de rôle. Quand est venu le tour d’Odelia, elle a dit : « Je ne pouvais rien voir. »
Alors, si vous ne pouvez même pas vous imaginer, même pas rêver de réussir, comment réussissez-vous? Je pense qu’Odelia est toujours dans le système. J’entends encore parler d’elle. Je pense qu’elle est en fait à l’Établissement d’Edmonton pour femmes. Vous la verrez peut-être quand vous irez en visite là-bas.
Lorsque je suis allée au pavillon de ressourcement, j’ai demandé au personnel : « Qui a été la meilleure femme autochtone ici? » Et les employés ont tous dit Rose Bird. Et j’ai dit : « Bon, qu’est-il arrivé à Rose Bird? » Eh bien, elle est venue au pavillon de ressourcement et s’est bien débrouillée. Quand elle est partie, elle est allée faire ses études en travail social. Je pense qu’aujourd’hui, elle travaille à l’établissement provincial pour femmes de Pine Grove. Elle est donc sortie du système et travaille maintenant dans le système, et je pense qu’elle travaille aussi comme aînée.
Lisa Neve, un bon exemple que vous avez vu plus tôt. Elle n’était pas là quand j’y étais, mais je pense qu’elle est un bon exemple. Il existe plusieurs exemples de réussite, mais nous ne posons pas toujours des questions à leur sujet. Nous pensons à celles qui reviennent ou à celles qui n’ont pas réussi.
En ce qui concerne les questions autochtones, il faut vraiment penser au traumatisme intergénérationnel. Il existe de nombreux cycles dans certaines de nos collectivités, et nous avons besoin d’aide pour mettre fin à ces cycles. Il y a des cycles d’incarcération. Il y a parfois des parents, des enfants, des petits-enfants qui sont en milieu carcéral et continuent d’y retourner. Des cycles d’abus, des cycles de violence. Je peux énumérer toutes sortes de cycles qui doivent être abordés.
On a parlé plus tôt de l’incidence de la législation sur la répression de la criminalité qui a été mise en place au cours des 10 dernières années et qui a été significative dans les collectivités autochtones. Selon les dernières statistiques que j’ai examinées, le nombre de non-Autochtones en milieu correctionnel diminue, et la population autochtone augmente sans cesse. Je crois qu’elle est même supérieure à 25 p. 100 actuellement. Donc, pour moi, c’est vraiment grave, et je ne sais pas si j’ai une stratégie exceptionnelle pour la réduire. Je pense toutefois que nous devons continuer à examiner les déterminants sociaux, différentes choses qui ont une incidence dans les collectivités.
L’autre chose qui s’est produite en particulier chez les femmes — je connais surtout les établissements carcéraux pour femmes —, c’est qu’il y a beaucoup de surpopulation. Alors, quand j’ai commencé à Okimaw Ohci, nos installations étaient construites pour 29 places, et nous avons eu du mal à combler toutes ces places. Alors, souvent, nous comptions 20 places occupées ou moins. Pendant que j’étais en fonction, nous avons accru la capacité à 40 places, et nous avons converti certaines de ces places. Le pavillon en compte maintenant 60, et il s’agit de logements partagés. On ne les appelle pas cellule à double occupation. Les aînés qui ont participé à la construction de cet endroit voulaient que les femmes aient de plus grandes chambres, qu’elles aient un espace individuel, car lorsque vous faites votre travail de guérison, vous avez besoin de temps, de calme et de réflexion. Elles disposaient donc de tout cela là-bas, mais une grande partie de tout cela a maintenant disparu.
Je pense que, pour les options, nous devons aborder les problèmes sociaux. Nous devons nous pencher sur l’oppression en général. Je ne sais pas à quel point le Sénat est concerné — j’ai un compte Facebook, et lorsque des questions autochtones surgissent sur Facebook — CBC, par exemple, n’autorisera même pas les commentaires puisque ceux-ci seront terriblement négatifs envers les peuples autochtones. Il faut donc que quelque chose se produise dans la société canadienne dans son ensemble afin que nous ne soyons plus méprisés et que les gens nous respectent.
Il y a une discrimination systémique. Nous avons évoqué le sujet un peu plus tôt ici. Le système de classification, par exemple, ne me convient pas. J’ai lu le rapport intitulé La Création de choix très souvent, et le rapport était très clair. Il mentionnait que des besoins élevés n’équivalaient pas à un risque élevé, mais ce que je constate dans le système, c’est que les femmes qui ont de grands besoins se retrouvent très souvent au niveau de sécurité maximale ou au-delà.
Dans le document, j’ai ajouté que le Dr Gabor Maté travaillait dans les collectivités autochtones. Il est un médecin respecté et il parle des événements défavorables de l’enfance. Donc, dans le document dont vous disposez, j’ai un petit schéma que j’ai imprimé à partir d’Internet. Nous devons commencer à regarder ce que les enfants ont vécu et combien d’événements ils ont connus. Cela a un effet sur leur développement. Alors, comment pouvons-nous commencer à gérer certains de ces événements défavorables de l’enfance et à changer cette situation?
Même la reconnaissance du traumatisme... J’ai vécu quelques années dans la Première Nation de Gordon et j’étais là lorsqu’ils ont fermé le dernier pensionnat en 1996. Mes enfants n’ont pas fréquenté le pensionnat, mais ils sont allés à l’école avec les autres enfants. Je pense avoir été à même de constater l’incidence du pensionnat. Mon grand-père est allé au pensionnat. Les gens et les générations suivantes ont été traumatisés par cette expérience. Je dirais qu’ils sont même probablement atteints d’un trouble de stress post-traumatique.
Lorsque je travaillais dans le domaine des services correctionnels, j’ai été coprésidente du comité pour les femmes autochtones et j’ai parlé le plus fort possible en disant que nous avions besoin de programmes pour les victimes de traumatismes afin d’aider les femmes à régler leurs problèmes. Elles avaient besoin de faire face à ce traumatisme. Les services correctionnels n’étaient pas d’accord, et il n’y a donc pas de tel programme en place. Ils disent que leurs programmes tiennent compte des traumatismes, mais je ne suis pas très sûre de ce que cela signifie.
La dernière chose que j’ai inscrite sur votre document concerne les facteurs de protection. Alors, quand je travaillais, ce qui me venait à l’esprit, c’était comment certaines personnes se retrouvent derrière les barreaux et d’autres pas. Tous mes amis à qui je parle, la plupart d’entre nous, ont été victimes de violence sexuelle, de violence familiale, et je ne me suis pas retrouvée dans un pénitencier, et mes amis n’étaient pas derrière les barreaux. J’ai donc lu, et une partie de la recherche que j’ai lue portait sur des facteurs de protection. Si les enfants ont un modèle de comportement positif, une mère, un père, une grand-mère, une kokum ou un enseignant à l’école ou quelqu’un d’autre, ou s’ils pratiquent un sport, vous savez — le mien était l’éducation. J’étais futée, alors ça m’a permis de passer au travers. Beaucoup de femmes en milieu carcéral n’ont aucun facteur de protection ou n’en ont pas assez. Comment pouvons-nous donner ces facteurs de protection aux gens?
À la retraite, j’ai parcouru mes documents, et j’ai trouvé cette lettre il y a environ un mois. Je veux vous la lire. Désolée, c’est une courte lettre. elle a été écrite le 26 mars 2004 et dit ceci :
Chère Clare,
Bonjour! Ces derniers jours, j’ai pensé à vous. Pourquoi? Parce qu’il y a tellement de fois que j’ai oublié de dire merci. Je veux vous dire que vous avez vraiment été une mère et une amie pour moi, et pour cela, je serai toujours reconnaissante. Je sais que j’ai fait beaucoup d’erreurs, entre autres, mais il semblait que je ne pouvais jamais rien faire de mal à vos yeux. Vous m’avez toujours encouragée à continuer. Je suis heureuse d’avoir eu la chance de vraiment vous connaître en tant que personne. Vous pourriez même dire que, oui, de bien des façons, vous m’avez aidée à grandir. J’espère que vous pourrez comprendre pourquoi il est important pour moi d’écrire cette lettre . Elle dit simplement que je vous aime, et je vous remercie pour tout ce que vous m’avez appris.
Avec amour, une fille spirituelle,
Cynthia Audy
Cynthia est l’une des femmes disparues aujourd’hui. J’ai donc un petit morceau d’elle avec moi aujourd’hui.
Je vous remercie.
La présidente : Merci.
Arthur Noskey, grand chef, Premières Nations de l’Alberta signataires du traité no 8 : Mesdames et messieurs, bonsoir. Je vous remercie de l’occasion qui m’est offerte.
Je suppose que je peux vous saluer personnellement, et j’aimerais reconnaître le territoire où nous sommes, le traité no 8, notre territoire visé par le traité no 6. Cela est important pour les peuples des Premières Nations quant à leurs origines.
J’ai des notes d’allocution. Je les ai distribuées, mais au fond, mon coeur se trouve dans un endroit différent, avec le public et l’amélioration ou... Vous savez, à un moment donné, des changements législatifs toucheront peut-être tout le monde, pas seulement les peuples des Premières Nations.
J’ai grandi avec des parents qui n’étaient pas dans le système des pensionnats. J’ai grandi dans la forêt pratiquement. Mon éducation m’a essentiellement fait obéir à des règles touchant les tâches ménagères, des tâches à accomplir : couper du bois, aller chercher de la neige pour l’eau, faire fondre la neige pour obtenir de l’eau, respecter la résidence de quelqu’un d’autre. S’il y a une petite ficelle attachée à un clou, personne n’est à la maison. Vous n’entrez pas dans la cour. Et puis vous respectez les animaux. Vous savez, nous avons vécu, chassé et piégé quand nous étions enfants, avec neuf autres membres de la fratrie. J’ai quatre soeurs et cinq frères. C’est l’éducation que nous avons reçue.
Je ne peux me souvenir d’une fois où, enfant, j’ai grandi en ayant froid l’hiver lorsqu’il faisait moins 40 et que nous n’avions qu’un simple poêle à bois. Je ne me souviens pas d’une fois où je me suis réveillé en ayant froid ou faim.
Notre père nous a essentiellement appris, à nous les garçons, à respecter nos soeurs, les filles. De passage à l’âge adulte, adolescents, on nous a dit vous ne parlez pas des filles. Vous ne parlez pas du parent de quelqu’un d’autre, d’une fille. C’est la soeur de quelqu’un, la fille de quelqu’un, la mère de quelqu’un. Voilà comment notre père nous a élevés en fait.
Avec maman, c’est l’inverse. La relation est avec les garçons. Donc, tout cela consiste essentiellement à s’entraîner pour devenir adulte. Vous savez comment vous respectez et honorez votre femme de la même façon qu’un mari le fait à l’égard de nos soeurs. Voilà donc l’éducation que nous avons reçue. Simplement, nous nous aimions les uns les autres. À cette époque, s’il y avait un désaccord avec une autre famille, vous confrontiez toute la famille. Il n’y a que respect et honneur ici.
J’ai grandi dans une collectivité sans électricité, sans eau courante; la discipline et les règles s’appliquaient à chaque ménage de la collectivité. Si je taquinais quelqu’un ou si je manquais de respect à un parent, et que mon père le découvrait huit jours plus tard ou deux semaines plus tard, j’avais tout de même la fessée en raison de mon manque de respect.
Nous avons donc appris à valoriser la vie dans tout ce qui nous entoure, les animaux et tout le reste. Vous ne preniez rien de plus que ce que vous alliez manger ou offrir à quelqu’un d’autre. On nous a appris à partager. En plus de cela, on nous a appris à valoriser les autres.
Grâce à ce processus, dans cet état d’esprit, la terre et les ressources, là où nous avons grandi dans le territoire visé par le traité no 8, avaient essentiellement beaucoup de valeur. Il y a beaucoup de ressources là-bas. Aussi, je suppose, le bâton tonnerre dirons-nous ou les armes à feu par rapport à l’arc et aux flèches ou aux mousquets à l’époque. Lorsque les trappeurs blancs ont commencé à venir sur le territoire, nos animaux sont devenus plus rares en raison de l’équipement qu’ils ont apporté.
Je peux me souvenir d’un moment, en 1927, lorsque j’ai lu le rapport du commissaire mentionnant que les trappeurs blancs ne peuvent pas prendre les territoires de piégeage des Premières Nations parce qu’ils éliminent tout. C’est à cause du commerce de la fourrure. Ils éliminent leur mode de vie.
Donc, en 1899, à la signature du traité no 8, nos gens ont essentiellement signé un accord avec les peuples colonisés pour qu’ils soient scolarisés, qu’ils puissent pratiquer l’agriculture, éduquer nos gens, vivre de la terre plutôt que de vivre seulement du piégeage.
Notre peuple a donc accepté l’éducation, les soins de santé, puis le développement économique dans le domaine de l’équipement agricole et du bétail. Je pense que la première histoire suivant la ratification d’un traité — une famille de trois — , il y avait trois bovins, et pour le chef, un taureau. Le chef finissait toujours par avoir le taureau. Cela dit, c’est ce que nos gens ont accepté. C’était le traité no 8, qui englobe la Colombie-Britannique, les Territoires du Nord-Ouest et un peu de la Saskatchewan — 40 nations en tout, 22 en Alberta, dont je suis le grand chef.
Alors, cette histoire, ces antécédents et mon enfance, tout était intact lorsque le pensionnat est arrivé. Mon père se souvient de cette époque. Il avait sept ans, mais son père lui a dit : « Non, tu n’y vas pas. » Ils ont pris des membres de la fratrie plus âgés, trois frères et deux soeurs plus âgés. À ce jour, la famille de mon oncle est toujours brisée.
L’incarcération excessive des membres des Premières Nations est un effet résiduel des pensionnats, du système d’éducation, et cela ne semble pas changer parce que, même avec les services de protection de l’enfance, c’est toujours le gouvernement, essentiellement, qui s’occupe de nos enfants. Nous ne valorisons pas les possessions en tant que peuple. C’est bien d’avoir une belle maison, oui, un véhicule, un bon travail. Tout cela est essentiel. Mais notre valeur a toujours été les gens, car ce sont ces relations qui durent. Vous savez, il y a des relations, il y a des amitiés, et il y a des choses que vous apprenez de celles-ci.
Tout cela a basculé, en fait la compassion et l’amour, comme ma collègue l’a déjà dit ici, que nous avions pendant l’enfance. J’étais triste qu’on me présente l’autre côté, le côté mauvais de la vie, je dirais. Je dis cela parce que, en tant que peuple des Premières Nations, nous sommes toujours un peuple spirituel. Nous croyons en deux dieux : l’un, le dieu clément et miséricordieux; l’autre, le dieu maléfique comme Satan, le dieu méchant. Notre peuple ne se souciait pas du dieu clément et miséricordieux, car il est aimant, compatissant et bienveillant. Mais il semblait qu’on voulait toujours apaiser le dieu maléfique parce qu’il est méchant. Il va causer des ravages dans les familles.
Ainsi, lorsque le christianisme est venu à nous, notre peuple, par l’intermédiaire de l’école catholique, a été, en fait, présenté à un dieu au nom du dieu clément pour créer toute cette méchanceté et ces atrocités à l’endroit de nos enfants, puis un système convenu en vertu d’un traité, qui était l’éducation. Et c’est ce que nous avons encore aujourd’hui, les effets résiduels, comme je l’ai dit, de tout cela.
Ensuite, je sais que, dans mes notes d’allocution, j’ai dit que je n’ai pas été incarcéré. J’ai été incarcéré à deux reprises pour consommation d’alcool; une nuit à chaque fois. La première fois que je me suis réveillé, j’étais derrière les barreaux avec d’autres personnes que je ne connaissais pas. Ce que j’ai détesté à propos de cette expérience, c’est le fait que je ne pouvais pas ouvrir la porte, sortir et aller vivre, simplement sortir, marcher dans la campagne et faire ce que je voulais. La liberté n’était pas là. Cela m’a amené à changer mes façons de faire. J’ai repensé à la façon dont j’allais vivre. J’ai donc commencé à aller à l’école. J’ai fait l’école buissonnière simplement pour être sur le territoire de piégeage avec mon père.
J’ai donc fait de la politique pour ma collectivité, la Première Nation de Loon River, pendant 21 ans. J’ai été conseiller de bande pendant 9 ans et chef pendant 12 ans. Dans notre nation, les membres se considèrent majoritairement comme des chrétiens. Les gens qui ont fréquenté les pensionnats sont en nombre limité. Alors, quand les missionnaires sont venus ici, les missionnaires blancs venus des États-Unis, pour prêcher la bonne nouvelle, les membres de notre nation se sont presque tous convertis et ont abandonné la religion traditionnelle. Ils se sont tout simplement convertis en sachant qu’ils n’auraient plus à faire de sacrifices, puisque Jésus s’était sacrifié en leur nom sur la croix. Donc, c’est presque toute la collectivité qui s’est convertie, tous les aînés, tous les adeptes de la tradition, tout le monde.
Alors, d’une certaine façon, je vis dans une collectivité bénie. À quelques exceptions près, personne n’a fait l’expérience des pensionnats. En même temps, en tant que dirigeant, je peux dire qu’en 1992, les revendications territoriales de Loon River ont été reconnues et validées, dans l’histoire du Canada. Le règlement est intervenu en 1999, et c’est le règlement le plus rapide de toute l’histoire des revendications territoriales du Canada. Nous avons organisé dans la collectivité un plébiscite touchant la sous-traitance des terres en vue du développement économique. Et 100 p. 100 des participants se sont dits d’accord, ce qui est une première dans l’histoire du Canada. Nous nous sommes établis sur des terres où il y avait des mines, du pétrole et du gaz, toutes des ressources qui avaient été aliénées. De plus, dans l’histoire des revendications territoriales, le Canada n’avait jamais auparavant renoncé à des mines qui avaient été aliénées, ou la province n’avait jamais accepté que des mines qui avaient été aliénées soient cédées au gouvernement fédéral de façon qu’il puisse verser des redevances aux Premières Nations. C’est pourtant ce que nous avons fait le 22 décembre 2007, et nous avons été les tout premiers à le faire dans l’histoire du Canada.
Dans le cadre de ce processus de transition, nous avons essentiellement cherché à tirer des leçons du passé. Nous avons en quelque sorte fait pression auprès des anciens dirigeants des bandes du Sud, qui ont déjà touché ces sommes. Nous voulions savoir comment nous assurer que nos jeunes, lorsqu’ils auront l’âge de toucher cet argent, ne sombreront pas dans l’horreur et que nous n’aurons pas à leur organiser des funérailles une semaine après qu’ils auront touché cet argent.
Nous avons donc tenté d’intégrer à notre système, à notre code électoral, une disposition selon laquelle un jeune, tant qu’il n’aura pas obtenu son diplôme d’études secondaires et suivi un cours de gestion financière ne pourra pas toucher l’argent qui sera versé. Mais nous n’avons pas pu le faire, nous n’avons pas pu réaliser notre vision parce que le Tribunal des droits de la personne nous en a empêchés. Nous n’avons pas réussi à le faire.
Donc, maintenant, on discute des programmes offerts dans les établissements. Je crois que pour que la transition se concrétise, il faudra que les Premières Nations s’engagent sur la voie de la guérison. Certaines options s’offrent à nous; il y a des missionnaires qui visitent les prisonniers, qui officient dans les prisons, et certains membres des Premières Nations peuvent jusqu’à un certain point en profiter. Je crois que c’est un point essentiel. Mais je crois aussi qu’il y a aussi, maintenant, des discussions à propos des programmes. J’ai entendu les témoins précédents dire que des programmes de métier et des programmes d’éducation étaient offerts.
Certains jeunes qui n’ont pas d’antécédents criminels se retrouvent parfois mêlés à des événements qui leur valent une certaine peine d’emprisonnement. Par quels moyens est-il possible de financer leurs études de façon qu’ils ne ressortent pas de prison après y avoir tout simplement perdu 5 ou 10 ans? Je crois qu’il faut étudier ces questions.
Je sais que la commission sur la réconciliation qui est en cours fait ressortir bien des vérités. Quelques recommandations ont été formulées au sujet des enjeux qui concernent les Premières Nations et des solutions éventuelles. Je crois qu’il y a un front commun. Il y a un front commun sur tous les aspects de nos membres et sur les façons de les aider. Dans les commentaires qui ont déjà été exprimés, je crois que les Premières Nations, en fait, sont une ressource inexploitée. Nous obtenons habituellement de bons résultats quand il s’agit d’obtenir du financement; j’ignore pourquoi. Mais c’est peut-être là une autre façon d’aider les gens qui se retrouvent dans cette situation.
Sur ces mots, je vous remercie.
La présidente : Merci à tous les deux de votre témoignage de ce soir. Je crois que, cette fois-ci, nous allons laisser la sénatrice Pate poser les premières questions.
La sénatrice Pate : Un grand merci à vous deux, grand chef et madame McNab, d’être venus ici.
Madame McNab, si j’ai bien compris, vous avez mené une étude sur les pavillons de ressourcement pour hommes et sur le pavillon dont vous étiez la kikawinaw. J’aimerais bien savoir quelles recommandations vous avez faites et si vous êtes prête à nous faire part de vos évaluations. J’aimerais aussi savoir quelles seraient vos prochaines recommandations. Si vous étiez encore aujourd’hui la kikawinaw du pavillon Okimaw Ohci, qu’aimeriez-vous y changer? Qu’aimeriez-vous faire davantage? Comment feriez-vous pour améliorer les aspects relatifs aux droits de la personne? Comment intégreriez-vous à votre travail les valeurs dont vous avez parlé?
Mme McNab : Oui, avec des membres de la collectivité et une autre dame; différents membres de la collectivité travaillaient avec nous, à chaque endroit. Nous faisions un examen : chaque pavillon de ressourcement devait au départ signer un accord et un protocole d’entente. Le protocole d’entente était signé à l’époque avec Affaires indiennes, et, en fait, avec le solliciteur général. Puis, le protocole d’entente était signé par SCC et la collectivité locale. Nous avons donc examiné les deux documents pour chercher à déterminer dans quelle mesure chacune des dispositions avait été respectée.
Nous avons fait un examen dans chaque site : Okimaw Ohci, Willow Cree et Pê Sâkâstêw. Dans tous les cas, nous avons constaté qu’il était probable que ni l’une ni l’autre des parties n’avait respecté les ententes.
Le premier à avoir signé est le pavillon Okimaw Ohci, en 1995. Il existe donc depuis près de 25 ans. L’accord dure 25 ans. Cela fait donc 22 ou 23 ans, et les responsables devront bientôt envisager de renégocier l’entente.
Certaines des dispositions de l’entente prévoyaient par exemple que le SCC embaucherait des membres de la collectivité locale, c’est-à-dire que 50 p. 100 du personnel viendraint de la collectivité locale et que 100 p. 100 du personnel seraient autochtones. Mais nous avons constaté que seul le pavillon Willow Cree, celui de la Première Nation Beardy’s, un peu au nord de Saskatoon, respectait à peu près ces ratios. Il avait embauché, je ne sais plus, de 60 à 70 p. 100 de son personnel dans la collectivité, et le personnel était presque à 100 p. 100 autochtone.
Aucun autre pavillon ne s’approchait de ces ratios. Il y avait aussi des dispositions selon lesquelles les postes de gestion pouvaient être offerts à des gens de la collectivité locale. Encore une fois, Willow Cree est le seul pavillon où des gens de la collectivité occupaient des postes de gestion.
Parlons maintenant de l’accent sur la guérison... Quand je travaillais au pavillon de ressourcement, nous avions des réunions avec notre patron, le sous-commissaire adjoint des Opérations des établissements, à l’époque, et nous lui disions que nous étions marginalisés. C’est ainsi que je vois les établissements pour femmes et les pavillons de ressourcement. Il y a un beau grand système et, sur les côtés, il se passe de petites choses assez uniques.
Donc, quand les pavillons de ressourcement ont été mis en place, est-ce que quelqu’un s’est dit : « Oh là! Allons voir ce qui se fait avec les délinquants autochtones. Envoyons notre personnel sur place pour qu’il se renseigne et apprenne. Allons jeter un coup d’oeil, nous pourrions peut-être trouver des façons de faire les choses différemment de ce qui se fait dans les grandes prisons. » Mais non. Ils nous ont écartés et ont fait comme s’ils ne nous connaissaient pas. Ils ne nous parlaient pas, sauf si les médias étaient là parce que quelque chose de mauvais s’était passé. J’ai assisté à des réunions et je ne peux pas me rappeler qu’on m’ait une seule fois demandé mon opinion sur quoi que ce soit. Nous étions vraiment marginalisés.
Ça s’est toujours passé comme ça. Quand on a planifié les pavillons de ressourcement, les aînés utilisaient un cercle de planification. Ils ont dit que, à chaque réunion, les visages changeaient. Alors, ils ont dispensé leur enseignement à répétition. Ça s’est passé de la même manière pour les pavillons de ressourcement. Des sous-commissaires puis des sous-commissaires adjoints nous étaient affectés, et ils ne connaissaient rien au sujet des peuples autochtones. Il nous fallait nous occuper de les renseigner. Nous nous sommes efforcés de le faire, de leur enseigner le respect, ce dont j’ai déjà parlé plus tôt.
Quand les ententes auront pris fin, nous recommandons que, chaque année, une cérémonie serve à assurer le respect des ententes. Ainsi, le SCC pourra demeurer sur les terres de la réserve, les terres des Premières Nations, et le SCC n’a rien fait pour cela.
J’ai présenté un certain nombre de recommandations. Nous avons fait parvenir nos rapports, et je crois qu’ils ont fini sur une tablette. Pourtant, je crois qu’ils étaient équilibrés. Par exemple, les collectivités doivent elles aussi participer à l’élaboration des programmes. Ce sont elles qui connaissent la culture, la langue et l’engagement des aînés, là-bas. Mais le seul endroit, actuellement, où un programme est offert par une Première Nation, c’est à Okimaw Ohci, où il y a le programme des chevaux. Ce programme existe depuis déjà quelques années. Mais, à Willow Cree et à Pê Sâkâstêw, aucun programme n’a été élaboré ou n’est offert actuellement par la collectivité locale. Il y a donc seulement les programmes du SCC, qui viennent de l’extérieur.
Quoi qu’il en soit, un certain nombre de recommandations ont été présentées. Je ne les énumérerai pas toutes, mais quelqu’un a demandé tantôt s’il fallait revoir de A à Z le système. Je crois qu’il le faudrait, oui. Je crois qu’il ne fonctionne pas. Je crois qu’il ne répond pas aux besoins des peuples autochtones. Je peux le dire, maintenant. Je ne crois pas que j’aurais pu le dire il y a quelques années. Je crois également que le système n’a pas réussi à renseigner davantage le public canadien au sujet des délinquants, à lui dire qui sont les délinquants; au contraire, il fait du sensationnalisme quand des choses vont mal et quand des événements négatifs se produisent alors qu’il devrait plutôt mettre l’accent sur les événements positifs. Les premières années, j’avais le droit de parler aux médias, et je leur parlais régulièrement. Ensuite, on m’a empêché de leur parler pendant plusieurs années. Je crois que nous en souffrons, étant donné que le public du Canada n’a pas connaissance des histoires et que ce sont des choses terribles qui font la une des médias.
Je suis désolée, ma réponse était interminable.
La sénatrice Pate : Et si vous étiez à ce poste aujourd’hui?
Mme McNab : Oh! Si j’occupais ce poste aujourd’hui, eh bien...
La sénatrice Pate : Vous savez probablement que Louise Arbour avait notamment recommandé, en 1996, que les établissements correctionnels pour femmes et les établissements pour Autochtones — elle mettait l’accent sur les établissements pour femmes, sur la façon dont les femmes autochtones étaient traitées — deviennent les établissements vedettes du Service correctionnel du Canada; à vous entendre, selon votre évaluation, cette recommandation n’a jamais été suivie.
Mme McNab : Non.
La sénatrice Pate : Alors, que feriez-vous aujourd’hui?
Mme McNab : J’aurais beaucoup de difficulté à y retourner, même à Okimaw Ohci. Mon expérience à Bowden a été très enrichissante, parce que je n’avais jamais auparavant travaillé avec des hommes. Je dirais qu’à l’Établissement Bowden nous devions consacrer au moins 75 p. 100 de notre temps, voire plus, aux questions de sécurité et aux opérations, que nous devions voir à tout ce qui se passait, du côté des détenus comme du côté du personnel. Nous passions beaucoup de temps à discuter et à nous occuper de tout cela. Nous n’avions pas beaucoup de temps à consacrer aux programmes ou à la gestion de cas. Je dirais donc que je peux supposer que c’est probablement la même chose dans la plupart des autres grands établissements. Il y a à Bowden autour de 700 hommes. Je crois que le pénitencier de la Saskatchewan est le plus important établissement des Prairies; il compte 900 détenus. Nous arrivions donc, je crois, au deuxième ou au troisième rang.
Quand j’étais à Okimaw Ohci, quand le pavillon de ressourcement a ouvert ses portes, il n’y avait aucun dispositif de sécurité évident, aucun dispositif de sécurité passive. Ils ont commencé à s’accumuler au fil des ans. Ils ont par exemple installé une clôture en plein milieu de la pente pour empêcher les gens de venir. Ils ont installé des caméras partout. Aujourd’hui, à l’intérieur, ça ressemble à n’importe quel autre lieu, ça ressemble par exemple à un aéroport. Ainsi, il faut passer par un portique de détection. Il faut se soumettre à toutes sortes d’exigences. Je vois cela partout.
Je sais qu’aujourd’hui, nous avons des problèmes et que, malgré l’interdiction, il y a de la drogue dans les prisons, mais je ne vois pas la logique de cette mesure.
Okimaw Ohci occupe un terrain de 160 acres situé au beau milieu de nulle part. Les gens qui veulent y faire entrer de la drogue ne passeront pas par la porte d’en avant. Ils vont la jeter quelque part dans les arbres et quelqu’un ira la retrouver. Pourtant, il y a tous ces mécanismes de sécurité bien en évidence, et c’est ça, le plus difficile. Est-ce que j’aurais davantage voix au chapitre, même aujourd’hui? Je ne le crois pas.
J’ai vu des changements parmi les directeurs principaux, et je dirais que les gens en savent de moins en moins au sujet des Autochtones alors qu’ils devraient en savoir plus.
La présidente : Merci.
Sénatrice Ataullahjan.
La sénatrice Ataullahjan : C’est moi qui avais posé cette question sur la transformation complète du système; c’est que, dans tout autre domaine, quand quelque chose ne fonctionne pas, nous cherchons des solutions afin de régler le problème. Mais vous avez probablement entendu la réponse. Cela va prendre beaucoup, beaucoup de temps. Il y a des histoires de réussite, certes, mais comme vous le dites, nous n’en entendons pas parler, et le public non plus. Je crois que tout le monde est un peu complice. Nous essayons de faire circuler ces histoires, mais, d’une façon ou d’une autre, elles ne se rendent pas loin, elles ne sont jamais entendues.
Ce que nous entendons... Je sais qu’il est déjà arrivé que nous entendions parler des histoires de réussite. Parfois, tout ce dont les prisonniers ont besoin, c’est d’être traité de manière respectueuse. Il faut leur faire savoir qu’ils valent quelque chose, et ils changeront leur façon de vivre. Ils demandent une chose toute simple, et pourtant, ils ne semblent pas pouvoir l’obtenir. Comment faire pour que les mentalités changent?
Mme McNab : Quand je pense au système, je vois vraiment les choses dans leur ensemble, car ce système comprend, selon moi, les juges et tous les intervenants. Il inclut même peut-être la police étant donné que, dans l’optique des Autochtones, plusieurs de nos membres ont été tués, ces dernières années, et les gens qui les ont tués ont recouvré leur liberté. Ils n’ont pas eu à subir quelque conséquence que ce soit. C’est difficile, pour nos collectivités et pour les systèmes correctionnels également.
Au début, les aînés du pavillon Okimaw Ohci avaient réclamé entre autres choses du SCC — et le SCC avait accédé à leur demande — que le personnel soit formé de personnes qui n’avaient aucune expérience du SCC. Donc, les premiers employés, à cet endroit-là, étaient presque tous des gens sans expérience.
Ils avaient aussi décidé que les premiers employés suivraient une formation de quatre à six mois, et ils ont été envoyés dans un centre de traitement. Ils ont donc fait eux-mêmes l’expérience du travail de guérison et du traitement. La plupart d’entre eux nous ont dit à quel point cette expérience avait été profonde; de plus, ils avaient perdu leur liberté. Dans un centre de traitement, il n’est pas toujours possible de parler aux membres de sa famille. Il n’est pas toujours possible de faire tout ce qu’on veut. Cela n’est jamais plus arrivé. Àmon avis, c’était quelque chose de très important.
Je constate aujourd’hui, parmi les membres du personnel, qu’il y en a beaucoup... Je ne devrais pas généraliser, mais certains membres du personnel que je connais, à Okimaw Ohci, et ailleurs, boivent beaucoup. Nous en parlons entre intervenants du milieu de la guérison : si vous n’avez pas fait vous-même ce processus, vous ne pouvez pas accompagner quelqu’un d’autre. Si vous n’êtes pas sobre, si vous n’avez pas travaillé vous-même à votre guérison, comment pouvez-vous accompagner quelqu’un? Nous avons aussi des employés qui ont des problèmes de santé mentale, et d’autres qui ont des problèmes de toxicomanie. Il y en a qui n’ont pas beaucoup travaillé à leur guérison. Il y a aussi, évidemment, toutes sortes de règles concernant la vie privée et les questions que vous pouvez poser aux candidats à un poste et ce que vous pouvez leur demander. C’est pourquoi il est difficile de faire en sorte que les employés soient plus respectueux.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à vous deux. Cela m’a beaucoup éclairée; madame McNab, j’ajoute que nous dirons à votre connaissance, demain, que vous vous êtes très bien tirée.
J’aimerais revenir sur le commentaire qu’un des aînés vous a fait : il disait de ne pas oublier que les femmes ont besoin d’amour et de gentillesse.
Nous avons passé un après-midi au Centre de guérison Stan Daniels, et les hommes qui s’y trouvaient n’ont cessé de nous dire qu’ils adoraient cet endroit, parce qu’on les traitait avec respect. Ils nous ont dit que les employés les traitaient comme des humains, et c’était agréable de l’entendre dire, mais en même temps, c’était très triste de les entendre dire qu’ils n’étaient pas traités comme des humains quand ils étaient dans des établissements; c’est bien malheureux.
Comment pouvons-nous atteindre cet idéal, un traitement respectueux et des prisonniers considérés comme de véritables humains? Comme vous l’avez dit, chef Noskey, tous ces gens sont le frère, la soeur, la mère, le père ou l’enfant de quelqu’un d’autre. Comment allons-nous faire comprendre cela à l’échelle du système? C’est qu’il est impossible de guérir si on ne se sent pas soi-même comme un être humain. Vous avez donné l’exemple d’une femme qui n’était pas capable de se voir réussir; c’est un bon exemple du refus de croire qu’elle était bonne, humaine, spéciale.
Mme McNab : L’une des choses qu’il faudrait changer — et c’est la raison pour laquelle nous devons changer le système — quand j’étais au pavillon de ressourcement... Il y a un programme du Service correctionnel qui s’appelle le programme d’orientation des nouveaux employés. Je crois que, selon les critères, les nouveaux employés doivent le suivre dans les six premiers mois de leur embauche. C’est un nouveau programme d’orientation qui s’adresse aux nouveaux employés, mais je ne l’ai pas suivi avant ma cinquième année en poste. C’est un programme de 10 jours; il m’avait donc fallu 2 semaines. Ils disaient des choses et moi, je n’arrêtais pas de lever la main pour dire : « Non, ce n’est pas ça. Non. » Ils disent donc aux gens : « Ne leur dites pas que vous avez de la famille. Ne leur donnez pas votre adresse. Ne leur dites pas qui vous êtes. Ne parlez pas aux détenus, ils pourraient se servir de ces informations contre vous. »
Je connais un endroit où la première réponse à toute question d’un détenu, c’est « non ». Mais je ne dirais pas où j’ai vu cela.
Au pavillon de ressourcement, nous faisions exactement le contraire. Je vivais en ville. Les femmes savaient où je vivais. Je suis certaine que les employés pouvaient dire : « Oh! La maison de Clare est juste là. » D’ailleurs, ils auraient pu aller à la coopérative de la localité et obtenir mon adresse.
Sachez que j’ai amené mes enfants assister à des cérémonies au pavillon de ressourcement. Je suis certaine qu’il y en a parmi vous qui avez entendu parler, il y a un ou deux ans, de toute cette affaire au sujet des enfants qui vont dans les prisons, du fait que c’était vraiment terrible. Mais ce n’est pas vrai, en passant, et c’est la raison pour laquelle mon titre était kikawinaw. Les gestionnaires étaient, elles des kikawisinaw, des tantes. Les membres du personnel correctionnel, c’étaient des sœurs aînées. Nous devions former une famille. C’était ça, la grande idée. Mais cette idée n’est pas acceptée par les intervenants traditionnels du SCC. Ils savaient pourtant ce que nous faisions. Ils nous appelaient le « pavillon des câlins », parce que nous faisions des câlins aux femmes. Nous ne sommes pas supposées toucher les gens. Il y a donc toujours des règles officielles et d’autres non officielles sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire.
Quand je travaillais au pavillon, certaines des femmes qui partaient se créaient un compte Facebook. J’avais donc, disons, 40 ou 50 femmes que je pouvais suivre sur mon compte Facebook, peu importe. Quand je travaillais à Bowden, quelqu’un en a parlé au directeur, et il est venu dans mon bureau pour me dire que je devais rompre absolument tous ces liens, alors c’est ce que j’ai fait. Ce n’était pas permis. Personne n’était jamais venu m’en parler ou me le demander. Je ne faisais plus partie du système correctionnel, je ne travaillais plus avec les femmes. Je ne sais pas de toute façon ce qu’elles auraient pu me demander, mais je leur servais de soutien, je jouais le rôle de la mère, et c’était bien de voir les femmes, de voir qu’elles progressaient. Cela me faisait du bien.
Donc, il existe toutes sortes de règles touchant l’humanisme. Il se peut que ma perception à ce sujet soit faussée. Je crois avoir établi de bonnes limites, et à mes yeux, c’est un aspect important. Il faut se donner des limites. Il ne faut pas avoir des relations ou des liens avec les délinquantes, mais il faut rester soi-même. On peut rester humain. On peut agir de manière respectueuse, et ça, elles l’apprécient.
Quand je travaillais à Bowden, j’organisais un cercle de partage un soir par semaine. Une fois, nous étions dans le centre culturel et il s’est produit quelque chose. Un groupe de détenus était en train de se former, et les membres du personnel sont venus et nous ont, je crois, enfermés dans le centre culturel. Les hommes nous disaient : « Ils ne vous auront pas. Nous allons former une haie. » Vous voyez, ils assuraient ma protection, et cela vous donne une petite idée du respect qu’ils me témoignaient pour ce que je faisais dans mes temps libres.
La sénatrice Cordy : Nous ne sommes pas encore allés en Saskatchewan, au Manitoba ni en Colombie-Britannique; nous irons plus tard. Mais nous avons entendu les commentaires des membres du personnel des autres provinces que nous avons visitées; ils parlaient de commentaires racistes et sexistes et des comportements adoptés à leur égard, et c’est assez inquiétant. Les membres du personnel n’ont pas à être traités de cette façon, c’est certain. Cela nous amène à nous poser une question : s’ils traitent le personnel de cette façon, comment traitent-ils les prisonniers? Est-ce que c’est inhérent au système?
Mme McNab : Je ne sais pas si c’est inhérent au système, mais les mécanismes de contrôle qui permettraient d’y mettre fin ne sont pas toujours en place.
J’ai participé à une réunion à Edmonton peu après avoir intégré le système correctionnel. Les chefs des collectivités étaient aussi présents. C’était une réunion du pavillon de ressourcement. Quand ils ont commencé à parler de traités — j’ai déjà travaillé pour un conseil tribal et pour quelques autres organismes —, j’ai été tout d’un coup perturbée. Alors, j’ai pris la parole : « Les responsables du service correctionnel ne connaissent pas les pavillons de ressourcement et ils ne les soutiennent pas. » J’ai dit aussi : « Le service est dirigé par la vieille garde. » À l’époque, la plupart des gestionnaires étaient des hommes. Il n’y avait que de rares femmes, et j’étais la seule femme autochtone dans le groupe. Cette réunion avait lieu un mercredi ou un jeudi à Edmonton.
Quand je suis revenue chez moi, j’ai reçu un courriel; mon patron exigeait que j’aille le voir le lundi suivant à Saskatoon. J’ai donc pris ma voiture et j’y suis allée. D’autres personnes qui avaient assisté à la réunion étaient là aussi, et on nous a convoqués. J’ai été sermonnée comme un enfant d’école parce que j’avais dit ce qui, à mon avis, était la vérité. J’ai aussi été intimidée, disons.
J’ai appris à cette occasion que, si le sous-commissaire partait, mon problème partait avec lui. Il me suffisait d’attendre.
On m’a menacée de congédiement, je ne sais plus, probablement une dizaine de fois, en invoquant toutes sortes de choses que j’avais faites. J’avais entre autres pris des risques. Les gens n’arrivaient pas à comprendre pourquoi je prenais les décisions et les risques que je prenais; mais il faut dire que je n’avais pas une formation de 20 ans en service correctionnel pour m’empêcher de le faire.
La sénatrice Cordy : Merci.
La présidente : Alors, si vous deviez tout refaire et vous attaquer à certains de ces défis structurels, qu’est-ce que vous feriez de différent?
Mme McNab : Eh bien, j’ai appris entre autres à Bowden que le directeur avait du pouvoir. C’est peut-être parce que je n’avais jamais auparavant travaillé dans le système correctionnel que je l’ignorais. Le directeur avait beaucoup de pouvoir et il pouvait dire, boum, voici comment les choses vont se passer. Moi, je n’agissais pas ainsi. Mais je suis davantage portée à travailler en équipe, et c’est pourquoi j’essayais d’amener les membres de mon équipe à collaborer avec moi.
Je dois ajouter que, dans ce système, je me suis souvent sentie impuissante, et je crois que c’est encore ce que veut le système aujourd’hui. Nous n’avons jamais voix au chapitre en ce qui concerne l’embauche des gestionnaires ou de nos superviseurs.
Kim a parlé de la commission Arbour. Mme Arbour a recommandé qu’une sous-commissaire pour les femmes soit nommée, et cela a été fait, mais elle avait aussi dit que les établissements pour femmes devaient relever de la sous-commissaire pour les femmes. Nous en avions fait la demande quand je faisais partie de l’équipe des directrices des établissements pour femmes, étant donné que nous étions marginalisées et que le système ne nous avait pas vraiment intégrées. Mais cette demande avait été rejetée, à l’époque.
Je ne sais plus si c’était dans le rapport de la commission Arbour, mais une autre recommandation portait qu’un directeur général des questions autochtones devait être nommé, mais cette recommandation n’a jamais eu de suite non plus. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que tous ces aspects aillent nécessairement ensemble; il faudrait peut-être que ces aspects relèvent d’un autre service plutôt que du système central.
Ce qui se passe également à l’heure actuelle, même dans les établissements pour femmes, c’est qu’il y a un roulement de personnel très important. Lorsque j’étais au pavillon Okimaw Ohci, nous n’avions pas d’agent correctionnel de sexe masculin. Maintenant, je ne sais pas combien il y en a.
Vous savez, les hommes ne sont pas toujours conscients de l’incidence qu’ils ont sur les femmes, particulièrement sur les femmes qui ont subi de la violence de la part d’hommes et d’autres gens, des hommes en position d’autorité. Je n’y suis pas allée dernièrement, mais j’ai entendu beaucoup d’histoires de l’Établissement d’Edmonton pour femmes, et les agents correctionnels venant d’autres établissements ont eu une grande influence là-bas.
Je réfléchissais pendant que les gens parlaient, et je me rappelle que nous n’arrivions jamais à embaucher de gestionnaire correctionnel ni de surveillant correctionnel au pavillon Okimaw Ohci à l’époque. Personne ne voulait y aller. Nous avons eu beaucoup de difficulté à recruter du personnel, car personne ne voulait vivre à Maple Creek et se retrouver au milieu de nulle part. J’ai donc embauché un surveillant correctionnel. J’ai obtenu du financement. Un homme est venu du Centre psychiatrique régional. Honnêtement, à peu près tous les jours, il venait me dire : « Clare, tes manœuvres sont à la limite de la légalité. Ils vont venir ici et fermer ton établissement. » Et je répondais : « Eh bien, nous procédons ainsi et ça fonctionne, donc nous allons continuer de le faire. » Il fallait pratiquement lutter tous les jours pour adopter une approche différente et faire les choses autrement.
C’est un défi de taille. Je ne sais pas comment on peut transformer le système. Je suis peut-être nostalgique quand je pense au passé, mais lorsque j’ai commencé, Ole Ingstrup était notre commissaire. À mon avis, il avait une vision et a fait avancer les choses. Peut-être que je me trompe. Il se peut que d’autres gens aient une opinion différente. Mais lorsqu’il parlait, il insistait sur la réinsertion sociale; c’est ce qu’il a mis en place, et les gens ont défendu cette idée. Mais depuis ce temps, il n’y a pas eu d’objectif clair.
La sénatrice Pate : J’aimerais poser une autre question, si je puis me permettre.
Vous avez mentionné qu’on vous avait dit que vos manoeuvres étaient à la limite de la légalité, mais, en fait, elles étaient à la limite des politiques du SCC d’après mes souvenirs. Êtes-vous d’accord? En réalité, vous ne faisiez rien d’illégal. Ce sont les politiques correctionnelles qui interféraient avec la capacité...
Mme McNab : Eh bien, j’ai découvert il y a très longtemps qu’il ne s’agit même pas d’une question de politiques. Vous demandez aux gens : « Pourquoi faites-vous cela? », ils répondent : « Eh bien, ce sont les politiques. » Montrez-moi où cela se trouve dans les politiques. Les gens ne connaissent pas les politiques. Ils ne les lisent même pas. C’est ce que j’ai appris quand j’étais à Ottawa. J’ai lu les politiques, ce que je n’avais pas fait auparavant. De plus, le SCC s’est aussi fait dire il y a longtemps que ses politiques sont trop denses. Le personnel commet toujours des erreurs, car il y a tant de contenu dans les politiques qu’il risque constamment de faire un faux pas.
La Création de choix était un bon document. Je l’ai lu plusieurs fois et je l’ai appliqué autant que je le pouvais. Il m’aidait à prendre des décisions, mais très peu de politiques en ont découlé. Donc, pour la grande majorité de mes actes, il n’y avait rien dans les politiques qui les justifiait. Je ne suivais pas nécessairement les politiques.
La présidente : Je vous remercie toutes les deux d’être ici avec nous ce soir et de témoigner dans le cadre de notre étude.
Chers collègues, il y a deux personnes qui se sont jointes à nous pour l’assemblée générale. Il y a Toni Sinclair, de la Société Elizabeth Fry d’Edmonton, et Travis Dugas, qui comparaît à titre personnel.
Toni, nous allons commencer par vous.
Toni Sinclair, Société Elizabeth Fry Edmonton, à titre personnel : Merci de me donner cette occasion. Je suis le directeur général de la Société Elizabeth Fry Edmonton, mais je suis également un représentant régional de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry. Je sais que vous avez entendu parler nombre de mes collègues de l’Est, je ne vais donc pas prendre beaucoup de temps, mais j’aimerais vous donner un peu de contexte local quant à certaines choses que nous avons entendues aujourd’hui.
L’un des commentaires que je tenais à faire concerne l’option prévue à l’article 29. Je tenais à dire que lorsque nous avons discuté à l’échelle locale de la faisabilité de l’article 29, essentiellement, la direction de l’Établissement d’Edmonton pour femmes m’a expliqué que ce n’était pas du tout possible et que les hôpitaux locaux de notre région n’étaient pas ouverts à cela.
Donc, lorsque j’ai rencontré les représentants du ministère provincial de la Santé ici à ce sujet et que je me suis entretenu avec la sous-ministre de la Santé, elle m’a dit que personne ne l’avait même abordée à ce sujet. Comment pouvons-nous savoir que c’est impossible si nous n’avons même pas commencé à discuter de sa faisabilité?
Ce qu’on m’a dit à maintes et maintes reprises lorsque nous avons fait des pressions à cet égard, c’est qu’on avait essayé et que cela n’avait pas fonctionné. Ce dont il est question, c’est un cas où une femme très malade mentalement a été placée en Ontario au titre d’un accord en vertu de l’article 29, et cela n’a pas fonctionné, car le financement et le soutien n’étaient pas adéquats. On se sert donc d’un seul exemple. Comme nous le savons, la santé mentale s’inscrit dans un spectre, et les responsables ont utilisé un exemple situé à l’extrémité du spectre pour parler d’un échec et dire : « Nous avons essayé; ce n’est pas possible. »
Mes collègues et moi sommes très préoccupés par cela, car selon moi, l’Établissement d’Edmonton pour femmes déborde de femmes aux prises avec des difficultés et des troubles graves de santé mentale, certains diagnostiqués, d’autres pas. À l’heure actuelle, elles ne reçoivent pas de traitements adéquats et, en fait, nous constatons l’amenuisement de toute forme de stabilité qu’elles avaient. Les conditions d’isolement sont si difficiles qu’elles deviennent de plus en plus malades, et les processus actuels font plus de mal que de bien selon nous. Nous aimerions que les femmes puissent obtenir un traitement dans un établissement de soins de santé, soit un établissement qui a pour mandat la santé et le bien-être et non les châtiments et les punitions. C’est l’un des commentaires que je voulais formuler.
Je veux également décrire un peu le contexte concernant le traitement infligé par les membres du personnel à titre d’enjeu et de préoccupation liés aux droits de la personne. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut ou que l’on devrait négliger selon moi. Le traitement infligé par le personnel peut soit permettre aux femmes incarcérées de réussir, soit les pousser sur une pente très dangereuse et glissante. De plus, à l’EEF, c’est probablement là que j’ai vu le pire en matière de traitement médiocre offert à nos femmes les plus vulnérables au cours des derniers mois. L’absence considérable de soins, de bienveillance et de professionnalisme à l’égard des femmes me préoccupe grandement. Je parle de choses comme le fait de dire à des femmes : « Ce n’est pas la peine de déposer un grief. Vous n’allez pas gagner de toute manière. Vous n’êtes qu’une nuisance. » Comme nous le savons, le grief est l’un des seuls recours à la disposition des femmes qui veulent que la direction et les responsables de l’établissement se penchent sur la situation. On les injurie. On les déprécie. On ne les croit pas lorsqu’elles disent avoir de sérieuses préoccupations en matière de soins de santé et on leur dit : « Retournez vous coucher. J’en ai marre de vous entendre, et je me fous de savoir que vous avez mal à la poitrine. » C’est un amoindrissement total de toute forme de traitement adéquat, et c’est tout à fait inacceptable.
Il s’agit donc d’une question de droits de la personne puisque cela touche directement la santé et le bien-être des femmes et a une incidence directe sur leur capacité à se préparer en vue de la mise en liberté. On fait abstraction des échéanciers, et à cause de cela, elles ne sont pas en mesure d’obtenir leur libération conditionnelle dès que possible. On ne remplit pas adéquatement les papiers pour elles, et elles manquent leur date d’admissibilité à la libération conditionnelle. Tout cela a une incidence sur leur liberté. Nous ne pouvons pas faire fi du traitement infligé par le personnel, et il s’agit d’un enjeu extrêmement grave qui nous inquiète vivement.
Pour terminer, je voudrais mettre en contexte nos préoccupations touchant les soins de santé offerts à l’EEF à l’heure actuelle et souligner leur importance et leur gravité. Encore une fois, cela renvoie au fait que les dispositions prévues à l’article 29 ne sont pas envisageables, mais les préoccupations que nous avons visent même le manque de soins de santé appropriés. Des femmes ont attendu jusqu’à huit mois alors qu’elles souffraient de problèmes multiples et de douleurs à la poitrine et que leur état de santé soulevait de sérieuses préoccupations. À l’heure actuelle, il y a plusieurs femmes là-bas qui souffrent de fractures et qui n’ont pas été vues par un médecin de manière adéquate. L’une des femmes — je m’excuse, c’est troublant —, quand je l’ai vue il y a quelques semaines, m’a dit : « Regarde Toni », et elle a fait sortir un os de son bras. Son bras est complètement fracturé, et lorsque j’ai abordé la question avec le directeur, il a répondu : « Oh, tu parles de la femme qui a tenté de s’évader, qui est tombée et qui s’est fracturé le bras? » C’est comme s’il était justifié de ne pas lui donner de soins de santé adéquats parce que son comportement n’est pas apprécié.
Nous voyons cela constamment, cette même attitude dont nous avons entendu parler plus tôt : « Eh bien, ne venez pas en prison dans ce cas-là. Si vous voulez des soins de santé appropriés, ne venez pas en prison. »
En ce qui concerne les soins dentaires, c’est également une vraie farce. Les femmes attendent huit ou neuf mois pour obtenir des soins dentaires adéquats, et lorsqu’elles consultent le dentiste, elles se font enlever toutes les dents de la bouche. C’est la solution utilisée. Si les femmes reviennent, qu’elles ont des blessures béantes dans la bouche à cause des soins dentaires inadéquats qu’elles on reçus, on leur administre du Motrin. Le Motrin est prescrit à outrance pour tout. Douleur à la poitrine, Motrin. Fracture du bras, Motrin. Douleur aux dents, Motrin. C’est un problème grave en soi, car le Motrin, comme bon nombre d’entre vous le savent, peut gruger les parois de l’estomac et causer des ulcères et engendrer d’autres problèmes.
Il y a des tendances de comportement, comme tous les autres intervenants que j’ai entendus ce soir l’ont mentionné, qui existent vraiment et qui sont omniprésentes à l’EEF, mais je voulais donner un peu de contexte à propos de ces enjeux dont j’ai entendu parler et auxquels les femmes font particulièrement face à l’EEF. Merci.
La présidente : Merci.
Travis Dugas, à titre personnel : Mon nom amérindien est Night Hawk, et je viens de la région visée par le traité no 8. Ma mère vient de la nation des Cris de Big Stone, et mon père était un Métis de la région du lac des Esclaves. Ma mère a fréquenté un pensionnat.
J’aimerais reconnaître le fait que nous nous trouvons sur le territoire visé par le traité no 6, ainsi que sur le territoire visé par le traité no 8, car à nos yeux, ils forment un seul territoire. Si vous allez au magasin avec votre grand-mère ou votre grand-père, vous allez rencontrer vos amis en chemin.
Ma mère a quitté la réserve à 16 ans lorsqu’elle a pu. Je n’ai pas su qu’elle était allée au pensionnat jusqu’à ce que je sois à l’université et que je lise sur le sujet et que j’en parle, et je n’ai jamais su pourquoi ma mère était blessée aussi profondément.
J’ai grandi à Beverly, et avant cela, j’ai grandi à Lethbridge, à Grande Prairie et Peace River. Ma mère a rencontré un agent de la GRC, et ils ont commencé à se fréquenter. Il a été arrêté et, pour être bref, il a subi une évaluation. On lui a pris son insigne et son fusil et on lui a dit : « Tu as un choix à faire. Vas-tu prendre l’insigne ou l’Indienne? » Et il a dit : « Je vais prendre l’Indienne. » Et il est devenu mon beau-père alors que j’étais âgé de 4 ans. Puis je l’ai suivi, et j’ai couru, mangé, appris et prié avec lui.
Durant quatre ans, les choses se passaient bien. En tant qu’enfant, j’ai appris ces principes au sujet de l’éducation, de la prière, de la nutrition, de la famille, des souvenirs familiaux. Lorsque ma mère et mon père ont commencé à se chamailler, mon père a quitté la GRC pour suivre une formation en services correctionnels. Donc, quand j’allais dans les établissements correctionnels comme fils d’un agent correctionnel — ou plutôt d’un sous-traitant — qui formait des agents correctionnels, je voyais mes frères et sœurs autochtones là-bas et je croyais que c’était normal. Puis, lorsque je suis revenu dans la réserve, on me traitait d’enfant blanc, car je ne parlais qu’anglais, et ma mère ne voulait pas que nous parlions le cri. On m’appelait l’enfant blanc, et lorsque je suis allé en ville, on me qualifiait d’Autochtone.
Lorsque ma mère et mon père sont revenus ensemble, mon père a commencé à former des agents correctionnels. Je me rappelle avoir vu ses livres sur les services correctionnels expliquant comment maîtriser les détenus, faire tomber les barrières et toucher les points sensibles. Il appliquait ces méthodes avec nous, et je m’en souviens. Il me disait que, si je me retrouvais dans une situation d’intervention policière, je devais connaître mes droits, me tenir debout et écouter ce qu’on me dit, mais répondre aux policiers. Je m’en souviens. Il disait : « Et tu ne les touches pas et tu ne les laisses pas te toucher à moins que tu aies fait quelque chose. » Mon père m’a donc élevé avec cette vision.
Ma mère m’a toujours dit de traiter les gens avec respect. C’est ce que son père lui a appris. Mon grand-père, mon moosum, le père de ma mère, n’adhérait pas aux traités, car il ne voulait pas qu’on lui dise quoi faire. Pour les Autochtones à qui on disait quoi faire, c’était une résignation acquise. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il s’agit d’une résignation acquise qu’on nous a inculquée, dont les gens souffrent toujours, des problèmes intergénérationnels découlant des pensionnats. J’étais l’un d’entre eux. Je ne savais même pas que j’étais une âme blessée.
Au fil des ans, lorsque je voyais les festivités, les bagarres, la violence et les agressions, je croyais que c’était normal, et que c’était l’essence même des Fêtes. Je croyais que, lorsque les familles se réunissaient, c’est ce qui se passait, cette violence, l’énergie qui se dégage, et aujourd’hui, j’y repense.
Avec ma mère, je n’ai jamais su que nous nous étions retrouvés sur l’aide sociale lorsque nous avons vécu ici à Beverly, quand le dernier emploi de mon père était à Fort Saskatchewan et qu’ils se sont séparés. Nous avons cessé de parler. En tant qu’enfants, nous étions tenus à l’écart. Nous n’étions plus une famille. C’est à ce moment-là que les problèmes ont commencé. C’est là que de nouveaux amis sont entrés dans ma vie. C’est le mode de vie effréné. Pour ma part, à l’âge de 15 ans, je me suis dit : « Je ne peux plus boire. Cela ne mène nulle part. J’ai vu ce que cela a fait à ma famille .» Je suis donc retourné à l’école. Fini les lendemains de veille où je voyais des gens se bagarrer ou manger la nourriture que j’avais achetée pour dîner grâce à l’aide sociale.
C’est pourquoi, lorsque j’allais à l’école, je ne disais à personne comment c’était à la maison, car je ne voulais pas qu’on nous retire l’aide sociale lorsque ma mère nous a quittés parce que ses problèmes étaient trop lourds. Lorsqu’elle nous a laissés, encore enfants, nous étions tranquilles parce que nous ne voulions pas être placés en famille d’accueil. Elle est à l’hôpital à l’heure actuelle. L’agent de liaison à la maison dit : « Je sais que ta mère n’est pas ici. On pourrait venir te chercher. Mais tu prends soin de toi et tu restes sur la bonne voie, tu fréquentes l’école. » Je me rappelle avoir mangé des pommes de terre pendant un mois, car c’est tout ce que nous avions à manger.
Ces problèmes liés aux pensionnats se faisaient sentir dans notre foyer. Notre mère a vécu un traumatisme dans son enfance; nous avons été élevés dans l’ombre de ce traumatisme, et c’est ce qui nous attend.
On me disait : « Tu ne veux pas être un Indien », quand j’allais à l’école, enfant, alors je ne voulais rien savoir de mon identité indienne. Puis, j’ai commencé à recevoir tous ces prix accordés aux Autochtones après l’école secondaire: athlète masculin autochtone de l’année, athlète masculin de l’année, meilleur étudiant autochtone. Je ne voulais même pas me lever pour aller chercher le prix. Et on m’a dit : « Travis, si tu es Autochtone, tu dois avoir des droits. »
Ma mère s’est vu refuser son statut au titre du projet de loi C-31. « Travis, le projet de loi C-31 te concerne. » J’ai reçu une lettre en 1990 disant que j’étais un Indien. J’étais très heureux d’être un Indien. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré un survivant des pensionnats et que tous mes problèmes ont surgi.
À partir de ce moment, j’ai travaillé dans les services correctionnels. là-bas, j’étais censé aider ces gens, et j’étais aussi blessé qu’eux. Je devais remplir des papiers et tout. Je ne pouvais faire ce travail, car je n’avais pas encore réglé les problèmes liés aux mauvais traitements subis pendant mon enfance.
Quand je me suis intéressé aux arts, que je suis allé à une danse en rond, que j’ai rencontré les aînés et que j’ai assisté à des cérémonies, ma vie a changé. Lorsque je suis allé à la première suerie, la suerie de Douglas Cardinal, pas très loin d’ici, c’est à ce moment-là que ma vie a commencé à prendre un autre sens.
Lorsque j’ai reçu mon nom amérindien à l’Établissement de Bowden, mon grand-père était un gardien de pavillon là-bas, l’aîné, et il m’y a invité pour une cérémonie. J’y suis donc allé et j’ai fait mes offrandes et j’ai reçu mon nom amérindien. J’ai vu ces établissements. J’ai sué avec des hommes noirs, des hommes blancs, des hommes asiatiques. Ils ont parlé de ce qui les embêtait, nombre d’entre eux avaient des problèmes liés à l’enfance. Il y a beaucoup d’enfants blessés au Canada qui grandissent dans la colère. Nous devons les soigner. Nous devons les empêcher de devenir... Et vous savez ce que je fait aujourd’hui? Je vais dans des réserves et je raconte mon histoire. Mais je ne veux pas être tellement pris dans mon histoire que les gens de la réserve se perdent dans la leur. Je veux qu’ils voient une lumière d’espoir et qu’ils puissent se dire : « Qu’a-t-il fait que je pourrais faire aussi pour changer ma vie? » Mais est-ce que la société est prête? Les médias sont-ils prêts?
Je suis devenu acteur. Les scénarios que je lisais — l’un des derniers que j’ai reçus avait pour sujet les femmes autochtones assassinées et disparues. J’ai joué le rôle d’un détenu. Au départ, j’étais censé être ce guerrier des rêves, puis on m’a fait faire le rôle du détenu. Puis je suis dans cette scène du film où je suis assis avec un tueur en série. Je ne veux pas faire les choses qui montrent la nature de notre peuple, car en tant que père monoparental, je ne veux pas que mon fils nous voie être violents dans des scènes de prison et des choses comme ça. J’ai donc laissé tombé ma carrière d’acteur.
Aujourd’hui, j’entends parler de cette réconciliation, et nous ne nous sommes même pas réconciliés au sein de nos communautés. La guérison est à ses tout débuts. Il y a encore beaucoup de violence et de pauvreté. Si les gens avaient des systèmes de soutien avant cela... Même lorsqu’il s’agit de prendre la parole à l’occasion de la Conférence nationale sur la santé mentale et de la Conférence nationale sur la prévention du suicide, on entend des juges dire que le système est inadéquat, puis ils s’assoient et c’est tout; personne n’ajoute quoi que ce soit. Je pense que c’est la responsabilité de tous ceux qui sont visés par les traités, les colons, les colons non indiens, nous sommes tous responsables.
Les nouveaux immigrants doivent être sensibilisés à notre histoire, car je peux voir dans leur regard qu’ils se disent : « Vous êtes un fardeau pour la société. » Je l’ai entendu, je l’ai observé. Il y a une certaine sensibilisation qui devrait se faire mais qui ne se fait pas, et c’est notre devoir d’y veiller. Pourquoi est-ce que je dis cela? Cela ne me concerne plus en tant que parent, je dis cela par respect pour ma grand-mère, ma mère et ma sœur, car lorsque je n’étais pas à la hauteur en tant qu’homme et que je ne savais même pas comment régler mes problèmes liés à la violence subie durant mon enfance, ma sœur m’a aidé à me remettre sur pied. Ma mère me disait : « Retrouve la voie qui t’a rendu fort », et je suis allé faire des offrandes aux aînés. Je ne serais pas ici aujourd’hui si ce n’avait pas été des cérémonies, des offrandes de tabac et des cérémonies des aînés.
On m’appelait Little Boy, Ti-gars. Je mesurais six pieds. « Pourquoi vous m’appelez Ti-gars? » Parce qu’ils voyaient en moi un petit garçon blessé. Lorsque j’ai joué dans un film, fauché comme un acteur, j’ai joué dans un film où j’ai interprété le rôle d’un personnage qui se fait violer par une connaissance, et cela a fait surgir mes problèmes d’enfance. C’est pourquoi les aînés m’appelaient Ti-gars, parce que j’étais blessé.
Lorsque j’ai fait ce film, j’ai commencé à boire. J’ai commencé à perdre la carte et j’ai bu pendant près de sept ans. À ce moment-là, je voyais de quelle façon les gens me traitaient sur la rue. J’ai vu comment j’étais traité, même par les policiers, quand j’essayais de me rendre à la maison à pied ou que je voulais appeler un taxi. Je vois de quelle manière nous formons toujours deux groupes distincts et dans quelle mesure nous sommes toujours des ennemis réciproques.
Eh oui, il se peut que cela prenne des générations, mais il faut commencer quelque part. En ce qui me concerne, je pense à l’éducation et au renforcement de l’autonomie. Ces jeunes disent : « Travis, peux-tu nous aider à ramener nos enfants à l’école ou au travail ou les deux? » « Bien sûr, allons-y. »
C’est ce que fait l’entreprise de ma sœur, et nous faisons ce travail. Il y a tant de gens contre nous. Qui va donner un emploi à ces jeunes? Qui va leur donner une chance? Ils sont magnifiques ces jeunes. Ils sont comme nous. Tout ce qu’ils veulent, c’est une chance. Nous avons commis des erreurs. Nous n’avons pas à en commettre de plus importantes.
Donc, en travaillant dans les réserves et en revenant à la ville, nous devons trouver un équilibre au pays pour les générations futures. Je crois que si nous nous considérons comme Kakinada... Même si je n’ai jamais pu apprendre ma propre langue, que j’entends les aînés parler et rire sans connaître leur histoire ni même réellement comprendre, je vais continuer d’y travailler, car je crois qu’il y a quelque chose de bon à en tirer. Kakinada veut dire propre. Les gens se demandent s’il ne s’agit pas plutôt de « village ». Oui, mais qu’attendez-vous de votre village? Qu’il soit propre. Et l’équilibre entre les hommes et les femmes, oui, ces mots... S’il faut l’écrire pour que les hommes et les femmes comprennent cet équilibre, le fait que leux sont essentiels, qu’il en soit ainsi.
Dans notre culture, la grand-mère avait une grande importance car elle vivait plus longtemps. C’est elle qui disait : « Celui-là est prêt à aller chasser. Celui-là est prêt à aller faire la cueillette. » Elles connaissaient leurs rôles et leurs responsabilités, et si elles ne les assumaient pas, nous ne suivions pas. Je les remercie, car sans ces langues et tout le reste, même nos ancêtres et les colons — car je descends d’eux aussi — n’auraient pas survécu. Je dois donc les respecter.
Comme le disent les aînés, si je veux savoir où je vais, je dois savoir d’où je viens. Pour ma part, j’ai fait la vidéo pour le service de police d’Edmonton, sur la voie à suivre, de façon à empêcher les jeunes Autochtones d’avoir des démêlés avec le système carcéral, j’ai pris la parole à l’occasion de la conférence nationale sur les jeunes Autochtones de la GRC, en 1990, Common Ground, Terrain d’entente, de la Conférence de la police des Autochtones... Je me suis fait demander par deux commissaires de devenir un policier, j’ai été sollicité par le chef de police d’Edmonton, j’ai pu passer directement à la formation et j’ai fait mon offrande aux aînés lors du rassemblement. J’ai dit : « Voilà ce qu’on me demande de faire. » Ils ont parlé la langue. Puis, ils m’ont dit : « Tu es tellement un bon garçon », et ils ont ri et fait des blagues. J’ai répondu : « Qu’est-ce que cela signifie? » « Cela veut dire que tu vas aider les gens, mais que tu vas le faire d’une autre manière. » Aujourd’hui, je remercie ces aînés, car certains d’entre eux ne sont pas ici aujourd’hui. C’est donc à nous qu’incombe cette responsabilité.
Cela va au-delà d’une responsabilité en vertu d’un traité; c’est une responsabilité humaine. Les gens veulent des droits. Quelle est la responsabilité à cet égard? Comment faire preuve de respect dans cette nation qui a été fondée par des gens que nous croyons connaître? Je pense qu’il faut exposer davantage la vérité. En ce qui concerne le travail qui se fait dans ces établissements à l’échelle de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et des territoires, il doit y avoir une voix commune, car personne ne sait ce qui se passe dans les communautés des autres, et tout le monde souffre du même problème.
Si je suis ici ce soir, c’est par hasard. Je viens ici et je joue à un jeu qui s’appelle le disque-golf dans ce vieux dépotoir de Beverly. On en a maintenant fait un parc. Je lance ces objets de plastique, comme au golf, mais c’est moins dispendieux que le golf. Pour moi, c’est un moment où je peux simplement lancer un disque et le regarder voler sans penser à rien. Parce que ce disque glisse sur l’air, tout comme les problèmes se glissent dans notre vie. Chaque jour nous le voyons, nous le sentons, même dans ma propre famille — nous sommes tous emprisonnés. Si vous vous préoccupez des autres, vous voulez être humain et que vous voyez ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui, mais que vous croyez que vous ne pouvez rien y faire, vous êtes prisonniers. Nous devons libérer notre esprit. Pourquoi? Parce que c’est là que se trouve la vie, dans nos cœurs.
Mes aînés, ils ont cru en moi. Donc, aujourd’hui, je crois en eux, car je sais que ce qu’ils disaient était vrai au sujet de l’amour, de la guérison et de la connexion.
Des étreintes? Je n’ai jamais laissé personne me toucher, car j’ai été blessé par des hommes et des femmes. Quand je pratique des sports, bon sang, je frappe les gens simplement pour laisse sortir cette rage. Peu à peu, j’évacue cette douleur.
Et la guérison? Les aînés disaient : « Tu vois, il y a des personnes qui peuvent te toucher avec gentillesse, des gens à qui tu peux faire confiance. Tu peux fonder une nouvelle famille même si tu as quitté la tienne. » C’est ce que j’ai fait, et je remercie ces familles aujourd’hui.
Aujourd’hui, je rebâtis ma famille. Mon frère a travaillé à Stan Daniels. Cela l’a épuisé. Il est maintenant en fauteuil roulant. Les traumatismes et les problèmes qu’il a vécus durant son enfance y ont contribué. Il n’a jamais bu d’alcool. Durant 40 ans, c’est du Coca-Cola qu’il buvait. C’est ce qui lui plaisait. Cela gardait son traumatisme bien présent. Aujourd’hui, même si on l’aide à se relever et qu’on lui parle de ses problèmes, il ne peut pas aller très loin. Comme Mme McNab le dit, on ne peut pas forcer les gens à aller plus loin. Les membres du personnel doivent comprendre cela, car ils assument leur karma, sans comprendre pourquoi. Pour pouvoir aider les gens à faire face à leur karma, il faut davantage de sensibilisation à tous les chapitres.
Nous avons entendu des prédictions. Les femmes vont montrer la voie. Quand l’aigle se posera sur la lune, les femmes dirigeront les gens de minuit jusqu’au crépuscule. Les peuples autochtones obtiendront la guérison. Eh bien, nous sommes tous originaires de la planète Terre. Pourquoi ne guérissons-nous pas tous?
Pour y arriver dans les services correctionnels, pourquoi ne pas aider de l’autre côté également? Faire de la prévention. Lorsque j’étais enfant dans ce quartier et que les policiers ou le directeur disaient : « Oh, c’est ton petit groupe? », je pense qu’ils nous programmaient déjà. Je ne savais même pas ce qu’ils faisaient. Mais ils étaient de bons policiers. Ils disaient qu’il était possible de trouver de nouvelles voies. Je tiens à remercier ces gens qui ont joué un rôle central dans mes moments de faiblesse. Quelqu’un a cru en moi et m’a soutenu, et je crois que si nous pouvons le faire les uns pour les autres à chaque étape... Car il y a de la violence latérale au sein de leurs communautés et des réserves; les gens sortent de leurs réserves et viennent ici et sont perdus. J’étais perdu. Je sais ce que c’est. Nous avons besoin d’une identité. Nous devons préparer la voie. Nous devons savoir pourquoi nous sommes ainsi. Pourquoi ai-je été blessé?
Quand j’ai fait ce film, que j’ai commencé à boire et que les gens ont commencé à m’éviter parce que ma rage avait pris le dessus, je me suis assis et j’ai regardé la bouteille. Je me suis dit : « Pourquoi est-ce que je m’inflige cela? » Et je ne rêvais jamais quand je buvais. J’avais passé 15 années sobres avant cela. J’ai fait de la danse traditionnelle, j’ai voyagé en Australie, en Corée, j’ai dansé. Ce soir-là, j’ai fait un rêve. J’ai vu une lumière sur le sol et j’ai vu un Travis âgé de 7 ans tenir un Travis âgé de 1 an. Puis, j’ai vu des mains prendre le petit Travis. J’essayais d’entrer dans ce cercle de lumière. Comme je n’avais pas tous mes esprits parce que j’avais bu, je ne pouvais pas entrer dans la lumière. Je ne pouvais pas me guérir. C’est ce que voulait me dire ce rêve. Mais quand ces mains sont arrivées, j’ai su et j’ai vu à quel moment j’ai perdu la carte dans ma vie, à quel moment j’ai refoulé des souvenirs d’enfance lorsque j’avais été victime de violence enfant. Cela a entaché ma virilité et mon humanité. Toutefois, je me suis pardonné et j’ai pardonné à mes ancêtres, parce que je veux les entendre. Je veux entendre ces langues, ces chansons et ces danses.
Je suis inspiré par les générations futures qui n’ont pas à connaître cela. Aujourd’hui, mon fils est âgé de 10 ans, et je suis heureux qu’il n’ait pas été victime de violence ni témoin de tout cela. C’est ma récompense. Personne n’a à le savoir. Cela m’appartient. Que mon père ne m’ait jamais pris dans ses bras, qu’il ne m’ait jamais dit qu’il m’aimait. Pourquoi? Parce qu’il a été victime de violence lui aussi. Il était probablement effrayé tout comme ces survivants des pensionnats. Ils m’ont dit qu’ils ne voulaient pas prendre leurs petits-enfants, car ils avaient peur de faire ce que les prêtres leur avaient fait subir. Ils me racontent cela, et je me dis : « Wow, c’est immense de garder tout cela à l’intérieur. » La cérémonie m’aide à laisser aller cela et à retrouver mon esprit afin de profiter de la vie, car je pense que c’est le sens de la vie, c’est d’en profiter.
Aujourd’hui, le panneau est tombé alors que je sortais, et je n’ai jamais su... Et j’ai demandé...
La présidente : Travis, je veux vous remercier...
M. Dugas : Je tiens à remercier cette dame, car je n’aurais pas su ce qui se passait. Elle m’a porté attention pour un instant, j’ai senti qu’on se souciait de moi.
Quand je suis parti, j’ai laissé mon téléphone cellulaire à la maison, sinon, je ne serais pas ici. Je suis entré pour utiliser un téléphone. Je ne pense pas que ce soit le fruit du hasard. Chaque chose a une raison d’être.
Je veux rendre hommage à ma mère et à mon père. Mon père vit maintenant à Kelowna. Il a pris sa retraite et il essaie de toucher sa pension de policier. Quant à ma mère, la survivante de pensionnat qui me dit de toujours de pardonner, elle est mon inspiration.
Quant aux générations futures, elles doivent apprendre à l’école ce qui s’est passé, ce qui a été payé pour leur permettre d’aller à l’école. Savoir qu’il y aura des emplois, pas seulement comme... Le directeur, oui, mes possibilités d’avancement dans les services correctionnels étaient limitées. Je comprends cela. C’est pourquoi je suis parti de là. Par contre, 28 ans plus tard, c’est une bonne chose de vous entendre parler de ce que vous faites aujourd’hui. J’ai l’impression que mes prières ont été exaucées en silence. Je veux simplement vous remercier.
La présidente : Merci d’être venu et de nous avoir raconté votre histoire ce soir.
M. Dugas : Je vous en prie, et je vous remercie.
La présidente : J’aimerais vous remercier tous les deux d’être restés ce soir et d’avoir échangé avec nous, et d’avoir été nos témoins ce soir.
Sur ce, je vais lever la séance. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)