Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule n° 33 - Témoignages du 4 octobre 2018


WINNIPEG, le jeudi 4 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 17 h 59, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames les sénatrices, êtes-vous d’accord pour autoriser la prise de photos et de vidéos durant cette réunion?

Des voix : D’accord.

La présidente : J’aimerais que les sénateurs se présentent, et nous commencerons avec la vice-présidente.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La présidente : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse, présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

C’est un honneur pour nous d’être au Ma Mawi Wi Chi Itata Centre à Winnipeg ce soir pour poursuivre notre étude sur les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

Plus tôt cette semaine, nous étions en Saskatchewan, où nous avons visité le pénitencier de la Saskatchewan, le pavillon de ressourcement spirituel du Grand conseil de Prince Albert, le pavillon de ressourcement Okimaw Ohci et le centre psychiatrique régional. Ce matin, au Manitoba, nous avons visité l’Établissement de Stony Mountain.

Nous sommes ravis d’accueillir de nombreux témoins ce soir dans le cadre des audiences publiques. Nous avons trois groupes, qui comptent chacun de nombreux témoins. On demandera à chaque témoin de faire une déclaration liminaire de cinq minutes, et je vais chronométrer. Nous entendrons ensuite les questions des sénateurs. Nous terminerons avec ce groupe de témoins juste avant 19 heures, où nous accueillerons le prochain groupe de témoins.

Parmi nos premiers témoins, nous accueillons, de la Société John Howard du Manitoba, John Hutton, directeur général, de la Micah Mission, le révérend David Feick, directeur général, du Diocèse catholique romain de Saskatoon, Dianne Anderson, coordonnatrice du ministère de la réparation, de la Société Elizabeth Fry du Manitoba, Ashley Pankiw, agente de réintégration provinciale, et de l’Indigenous Women’s Healing Centre, Annetta Armstrong, directrice générale.

Je vais vous demander de prendre la parole dans l’ordre que je vous ai nommés. Monsieur Hutton, vous avez la parole en premier.

John Hutton, directeur général, Société John Howard du Manitoba : J’aimerais tout d’abord souligner que nous sommes sur le territoire du traité no 1 des terres traditionnelles des Anishaabeg, des Cris, des Ojicris, des Dakota et des Dénés, et sur la terre natale des Métis. Je remercie le comité sénatorial de m’avoir invité à faire partie de ce groupe de témoins, à exprimer ma reconnaissance aux autres témoins et à remercier le Ma Mawi Wi Chi Itata Centre de nous accueillir ce soir.

La Société John Howard du Manitoba, l’une des 63 sociétés John Howard au Canada, fait la promotion du changement de l’intérieur. Nous offrons un certain nombre de services et de programmes à nos clients qui sont généralement des hommes détenus. Nous défendons également les intérêts de nos clients, en faisant connaître leurs opinions à des rencontres comme celle-ci.

J’aimerais soulever un point évident mais important. Les droits de la personne ne s’arrêtent pas à la porte de la prison. Les détenus ne perdent pas leurs droits de la personne lorsqu’ils sont placés en détention. C’est prévu à l’alinéa 4d) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition : « le délinquant continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée ».

Le défi consiste à veiller à ce que les détenus ne perdent pas plus de droits que nécessaire pour s’assurer qu’ils sont incarcérés de façon sécuritaire, juste et humaine. Autrement dit, chaque personne en sol canadien, y compris les gens dans nos prisons, mérite d’être traitée avec humanité et dignité et d’avoir pleinement accès aux protections des droits de la personne du Canada. Pendant que vous écouterez les autres témoins et moi parler ce soir, je vous demanderais de tenir compte de ce point de vue pour filtrer ce que vous voyez et entendez.

Je vais parler des droits des gens qui meurent en établissement et de leur droit que ces décès fassent l’objet d’une enquête dans une instance ouverte, responsable de formuler des recommandations pour prévenir des décès semblables à l’avenir.

La forme la plus courante est une enquête du coroner en vertu de la loi provinciale, mais ces procédures sont extrêmement limitées lorsque le décès en question survient dans un centre correctionnel fédéral. Le mois dernier s’est conclue l’enquête Sampson où nous avions qualité pour agir. L’enquête se penchait sur le décès de deux détenus à l’Établissement de Stony Mountain en 2013. Bien que Service correctionnel Canada y ait participé volontairement, il n’était pas contraint de le faire. De plus, il n’était pas lié par aucune des recommandations, puisque le juge de la cour provinciale, saisi de l’affaire, n’avait pas compétence sur les ministères fédéraux.

Nous recommandons que le Sénat élabore une loi qui exigerait qu’un juge de la Cour fédérale procède à une enquête lorsque des prisonniers décèdent sous la garde de Service correctionnel Canada. Les procédures en vertu de la Loi fédérale exigeraient la participation de SCC et conféreraient le pouvoir de formuler des recommandations contraignantes aux fonctionnaires. Sans disposition en ce sens, les prisonniers sous responsabilité fédérale n’ont pas les mêmes droits que les détenus sous responsabilité provinciale à la suite d’un décès en établissement.

Je devrais souligner que SCC crée un comité d’enquête pour se pencher sur les décès des détenus sous responsabilité fédérale, mais ces rapports ne sont pas rendus publics et ne sont habituellement pas divulgués à la famille du défunt ou aux avocats. Des conclusions scellées n’apportent pas des changements systématiques.

J’ai un exemple du pénitencier de Dorchester en 2015. Un homme est mort asphyxié après avoir été aspergé de poivre de Cayenne à répétition à la prison, mais on n’a pas communiqué à la famille la vraie cause de son décès. On lui a dit qu’il avait subi une crise cardiaque. Ce n’est qu’après que l’affaire a été rapportée dans les médias et que l’enquêteur correctionnel du Canada se penche sur l’affaire que les véritables circonstances du décès ont été révélées. Heureusement, un certain nombre de changements ont été apportés par la suite, mais seulement parce que des entités externes ont fait enquête.

En ce qui concerne le financement pour les familles et les avocats, il est important, si une enquête a lieu, d’offrir du financement pour veiller à ce que les familles et les organismes qui défendent les intérêts des détenus puissent recourir aux services d’avocats pour les représenter aux procédures. Dans le cadre de l’affaire Sampson, nous étions représentés gratuitement par des avocats du Centre juridique de l’intérêt public, mais si cela n’avait pas été le cas, nous aurions été désavantagés, car j’aurais été obligé de représenter moi-même l’organisme. Je ne suis pas un avocat, si bien que les familles et leurs défenseurs ne recevraient pas le même type de représentation. Je vous demanderais de réfléchir à cet aspect également. Merci.

La présidente : Nous aborderons peut-être quelques-uns de vos autres points à la période des questions.

David Feick, directeur général, The Micah Mission : Honorables membres du comité, témoins, mesdames et messieurs, je suis reconnaissant de l’invitation et de l’occasion de m’adresser à vous ce soir et d’être ici dans cette enceinte et sur le territoire du traité no 1. C’était tout un choc de recevoir l’invitation et d’apprendre que les gens à Ottawa connaissent un peu notre petit organisme en Saskatoon.

Je suis un ministre ordonné et un praticien en soins spirituels. Je travaille avec The Micah Mission depuis six ans et demi, maintenant à titre de directeur général et d’aumônier pour la réinsertion sociale. The Micah Mission est un organisme bénévole de justice réparatrice. Nous avons trois programmes : un programme de visites au centre psychiatrique régional où nos bénévoles rendent visite aux détenus individuellement, les Cercles de soutien et de responsabilité qui offrent un appui aux gens qui sont libérés, plus particulièrement aux délinquants qui ont commis une infraction sexuelle, et un projet de réinsertion sociale avec des groupes confessionnels où nous jumelons des délinquants libérés avec un groupe confessionnel de leur choix. Récemment, nous avons aussi embauché un aîné autochtone pour aider à former nos bénévoles qui sont pour la plupart non autochtones afin qu’ils en sachent davantage à propos des gens qu’ils rencontreront principalement dans les établissements.

Je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps, mais j’aimerais vous raconter brièvement trois histoires de personnes que j’ai rencontrées dans le cadre de mon travail. Je ne vais pas utiliser leurs vrais noms. Je ne raconte pas leurs histoires pour avoir leur sympathie, mais pour mettre en lumière les besoins qui existent.

Joe était un détenu dans l’un des établissements lorsque je l’ai rencontré. Il était un jeune homme autochtone. La première chose que l’on remarquait en le voyant était qu’il avait un énorme morceau de gaze fixé avec du ruban adhésif sur le nez. Je ne l’ai pas interrogé à ce sujet mais il m’a rapidement révélé que lorsqu’il était dans cet établissement, il a été placé en isolement pendant des mois. Pendant qu’il racontait son expérience, il a craqué et, peut-être était-ce un appel à l’aide, mais il a dit s’être procuré un objet tranchant et avoir essayé de se couper le nez. Il a subi plusieurs chirurgies de reconstruction pendant son incarcération. Il a enlevé le pansement de gaze et m’a montré son nez. Les chirurgiens ont fait du bon travail. Son nez paraissait bien, mais il était encore gêné de son apparence et gardait le pansement sur son visage. Cette histoire fait ressortir le fait que les prisons sont des endroits traumatisants et que nous utilisons parfois des châtiments pires que l’incarcération en soi. Nous devons reconnaître que l’isolement est un aspect sur lequel nous devons nous pencher.

La deuxième personne dont je veux vous parler est Lee, une femme transgenre, un homme qui s’identifie comme étant une femme. Elle est détenue dans l’une des prisons en Saskatchewan. Elle admet que la récente loi concernant les personnes transgenres dans les prisons a permis de réduire les propos désobligeants qu’elle entend de la part des agents correctionnels, mais elle estime qu’il y a encore de la discrimination et que le respect et la cordialité font défaut. Certains gardiens se plaisent à irriter et à provoquer les prisonniers. Elle estime qu’elle est ciblée en raison de ce qu’elle est. Cela fait ressortir le fait, si vous pouvez imaginer une personne qui s’identifie comme étant une femme dans une prison remplie d’hommes, que nous devons nous pencher sur la façon dont nous travaillons avec les personnes transgenres ou la communauté LGBTQ.

La troisième personne est Fred, qui a été incarcéré pour avoir commis des infractions sexuelles à l’endroit de ses propres enfants. Il sera libéré d’office le mois prochain. Il a travaillé fort pour élaborer un bon plan de mise en liberté. Il a des gens qui l’appuient mais le plan a été rejeté. Ce rejet l’a bouleversé. Il était très dévasté par cette décision et est retourné dans son unité. Il était affligé, déprimé et révolté. Heureusement, un autre détenu a reconnu la situation et l’a ramené à l’édifice principal et a dit : « Cette personne a besoin de soutien en santé mentale. » Les agents ont déterminé que c’était le cas, mais lorsqu’ils ont appelé les professionnels en santé mentale, il leur a fallu deux heures et demie pour arriver sur les lieux.

Je ne pense pas que l’attitude des gens était en cause, ou quoi que ce soit de ce genre. Cela montre simplement qu’il y a un manque de soutien en santé mentale dans cet établissement. Nous avons besoin de plus de soutien en santé mentale et nous devons trouver des façons plus constructives de travailler avec les gens à l’interne et à l’externe. Merci de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous.

Dianne Anderson, coordonnatrice, ministère de la réparation, Diocèse catholique romain de Saskatoon : Je travaille pour le diocèse de Saskatoon au bureau de l’aumônier depuis les 13 dernières années. J’ai récemment eu l’honneur d’être nommée aînée de ma communauté de Notre-Dame de Guadeloupe. Je passe la moitié de mon temps au Centre pastoral catholique. L’autre moitié, je travaille au Centre correctionnel de Saskatoon. Bien franchement, je préférerais être là-bas plutôt que de m’adresser à vous en ce moment, et j’aimerais remercier mon mari de m’avoir encouragée à venir témoigner.

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne nous a demandé de lui faire part de nos points de vue sur des questions liées aux droits des prisonniers dans le système correctionnel. L’une des plus grands obstacles pour les droits de la personne des détenus découle du manque d’accès aux programmes et à d’autres initiatives pour favoriser la guérison et l’introspection.

Les programmes sont essentiels dans le secteur correctionnel si nous voulons que les gens deviennent moins violents et si nous voulons amener les hommes à changer de mentalité. Autrement, ils sont coincés dans des espaces restreints à s’ennuyer. Ils peuvent manifester de l’agressivité et les esprits s’échauffent. Les programmes auxquels je fais allusion incluent la gestion de la colère, des cours sur le rôle parental, Bedtime Stories with Dad, des séances sur le deuil et les traumatismes, des chapelles pour la prière et la liturgie et Retourner à l’esprit.

Retourner à l’esprit est un programme de cinq jours qui aide les Autochtones à guérir des traumatismes causés par les pensionnats indiens. Les deux premiers jours et demi mettent l’accent sur les histoires personnelles de traumatismes et de mauvais traitements. La deuxième partie du programme est un cheminement vers l’acceptation et la guérison. Ce programme fonctionne vraiment. Il aide les hommes à voir comment leurs expériences passées, que ce soit avec leurs parents, leurs grands-parents ou leurs familles d’accueil, ont eu une incidence sur leur avenir.

Je veux vous raconter une histoire. Un homme participait à une séance. J’avais peur de lui. J’ai érigé une barrière émotionnelle entre lui et moi. J’avais peur de lui physiquement. Les hommes ne m’effraient pas habituellement. Je sais qui ils sont et ce qu’ils ont fait. Je les considère comme des membres de ma famille. Ils sont le fils, le neveu, le père, l’oncle ou le mooshum de quelqu’un. Cet homme est arrivé en cachant derrière une façade ce qu’il est : fâché, effrayé, violent et intouchable. Je l’ai aidé à passer en revue son histoire dans un esprit de guérison. En l’espace de deux jours de séance, il a perdu sa façade et il s’est permis d’être un vrai être humain. Il a pleuré. Il a ensuite illuminé la salle par son sourire. Ses yeux étaient si brillants, clairs et remplis de joie. Son étreinte était extrêmement joyeuse. C’était comme une accolade que l’on donne à un ami qu’on n’a pas vu depuis longtemps.

Il est revenu et il m’a montré une photographie de sa famille, de sa femme, de ses enfants. Il a dit : « Merci, merci, merci! Je sais maintenant que je peux être un bon père et un bon mari, que je peux être bon pour moi-même et les miens. Je n’ai pas à revenir ici. » Il est un exemple de la façon dont nous voulons voir les gens sortir de prison : guéri, pas en colère. Cette guérison ne peut pas se produire lorsque les programmes ne sont pas offerts.

Je sais que la plupart des gens perçoivent les gars qui sont en prison comme de mauvaises personnes qui doivent être punies. Les gens disent : « La prison n’est pas assez stricte et elle est trop facile. » Ces gens-là n’ont jamais été en prison. Ils n’ont jamais marché un mile dans les souliers d’un homme qui a grandi sans père, qui a grandi dans la pauvreté, qui a été élevé par des parents ou des grands-parents qui ont souffert des pensionnats indiens. Ces hommes qui sont en prison méritent qu’on leur laisse la chance de devenir de meilleures personnes.

Nous voulons tous la même chose. Que nous soyons conservateur ou libéral, juge ou criminel, victime ou visiteur, nous voulons tous que les gens ressortent des pénitenciers en étant de meilleures personnes, de meilleurs citoyens, de meilleurs parents que lorsqu’ils y sont entrés. Cela ne peut se produire quand il n’y a pas de programmes. Merci d’avoir pris le temps de m’écouter.

Ashley Pankiw, agente de réintégration provinciale, Société Elizabeth Fry du Manitoba : Madame la présidente, distingués membres du comité, merci de m’avoir invitée à vous parler au nom de la Société Elizabeth Fry du Manitoba dans le cadre de votre étude sur les droitsde la personne des prisonniers dans lesystème correctionnel. Je suis très heureuse de pouvoir vous donner notre point de vue sur la chose afin de vous aider dans votre étude.

Je reconnais le fait que nous sommes sur le territoire visé par le traité no 1 et qu’il s’agit du territoire ancestral des Anishinaabegs, des Cris, des Oji-Cris, des Dakota et des Denes, ainsi que du berceau de la Nation métisse.

Comme vous le savez sans doute déjà, la Société Elizabeth Fry du Manitoba fait partie d’un groupe de 24 sociétés réparties à travers le Canada. Nous travaillons avec les femmes marginalisées, victimisées, criminalisées et institutionnalisées. En matière de services, notre société œuvre sur deux fronts : la supervision des femmes mises en liberté sous caution et l’aide transitoire aux femmes qui réintègrent la communauté après leur libération. Nous faisons cela en offrant du soutien, des recours et des programmes aux femmes que nous cherchons à aider.

Je travaille avec les femmes en détention afin d’élaborer avec elles des plans personnalisés en prévision de leur libération. Je rencontre ces femmes pour discuter des préoccupations qu’elles peuvent avoir concernant la façon dont elles sont traitées. Je fais des représentations au nom de mes clientes auprès d’une variété d’organismes, d’établissements et de systèmes. Aujourd’hui, je vais parler de la surreprésentation des femmes autochtones dans les établissements correctionnels, de l’utilisation et de la mauvaise utilisation de l’isolement ainsi que des agressions sexuelles perpétrées par l’État sous la forme de fouilles à nu.

Pour commencer, précisons que le Manitoba a le plus haut taux d’incarcération au Canada. Le nombre de femmes mises en détention y a augmenté de 233 p. 100 entre 2003 et 2012. Au Manitoba, les Autochtones représentent 15 p. cent de la population et pourtant, ils comptent pour 70 p. 100 des adultes incarcérés de la province.

Nous savons que les femmes qui ont des démêlés avec la loi ont des parcours complexes chargés de traumatismes, de mauvais traitements et de violence. Au Manitoba, lorsque nous examinons les parcours personnels des femmes en détention provisoire ou condamnées, nous voyons invariablement des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, de la pauvreté ou, tout simplement, des femmes que l’on punit et que l’on enferme pour avoir tenté de survivre à la colonisation.

Deuxièmement, je vais tenter de vous expliquer comment l’isolement cellulaire perpétue un cycle destructeur qui a une incidence négative sur les femmes en détention et fait peu de cas de leur santé mentale. En utilisant l’isolement, on ne tient pas compte des traumatismes passés que ces femmes ont vécus et de la façon dont ces traumatismes — lorsqu’ils ne sont pas traités — peuvent mener à des comportements négatifs, voire provocateurs. Plutôt que de reconnaître l’absence de soutien en matière de santé mentale dans les établissements, c’est à ce comportement négatif que l’on s’attaque et c’est à lui que l’on répond. L’isolement est donc une stratégie d’évitement. Les effets psychologiques négatifs provoqués par l’isolement cellulaire nourrissent les comportements négatifs et la non-réceptivité des détenues. C’est ainsi que les traumatismes s’empilent les uns par-dessus les autres et que l’espoir d’échapper à ce cycle destructeur disparaît.

En recourant à l’isolement, on fait fi de la complexité des expériences traumatiques vécues par ces femmes qui ont des démêlés avec le système de justice pénale. Le fait de s’attaquer aux comportements négatifs sans en reconnaître les causes est un cul-de-sac et une injustice envers les personnes en détention. L’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry demande la fin de l’utilisation de l’isolement. Le recours à l’isolement cellulaire est une violation flagrante des droits de la personne. Les agentes correctionnelles doivent recevoir une formation sur les traumatismes. Elles doivent être capables de reconnaître les signes de détresse psychologique et les troubles de stress post-traumatique, et d’y répondre adéquatement. Les agentes correctionnelles doivent avoir des outils appropriés pour être en mesure de reconnaître des besoins complexes et de diriger les femmes qui en ont besoin vers des spécialistes en santé mentale. Le fait de ne pas fournir de soins de santé mentale adéquats, c’est de la cruauté.

Troisièmement, lorsque l’on tient compte des antécédents de traumatismes, de négligence, de mauvais traitements et de violence qu’ont vécus ces femmes en détention, le fait de les soumettre régulièrement à des fouilles à nu constitue un geste conscient de « revictimisation » perpétré sur des personnes vulnérables. Et l’on fait fausse route lorsque l’on prétend que les fouilles à nu effectuées par des personnes du même sexe sont une façon de rendre cette procédure moins inconfortable, puisqu’il s’agit d’une présomption discriminatoire fondée sur des valeurs et des normes hétéronormatives. C’est un exemple de politique qui obéit à des conceptions étroites en matière de genre, de sexe, d’orientation sexuelle et de préférences sexuelles, et qui se traduit par ce traitement particulier des détenues. Lorsque les femmes qui sont en détention ont des visites avec des êtres chers, lesdites visites sont invariablement suivies de cette procédure déshumanisante et brusque — cette fouille à nu envahissante — susceptible de faire remonter des souvenirs d’agression sexuelle. Ces fouilles dissuadent beaucoup de détenues d’aller chercher le soutien bienfaiteur que leur procurent ces visites.

Nous savons que l’absence de ce soutien bienfaiteur est un facteur préjudiciable pour une réintégration réussie dans la communauté. Ces liens sont essentiels au bien-être mental des femmes criminalisées qui sont en détention. Ils sont aussi essentiels pour la réussite de la transition de la détention à la communauté, ce qui a une incidence sur les taux de récidive. Nous savons que c’est le cas.

En terminant, je soulignerai de nouveau que nous savons déjà que les taux de récidive chutent lorsque les soutiens à la transition sont en place. À la Société Elizabeth Fry, nous savons que les femmes ont besoin de logements sécuritaires, de services de santé mentale adéquats, de traitements efficaces en matière de toxicomanie et d’un accès à l’école ou au travail. Elles ont besoin de soutien et de mentorats de bonne tenue. Elles ont besoin de guérir, pas d’être enfermées.

Annetta Armstrong, directrice générale, Indigenous Women’s Healing Centre : L’Indigenous Women’s Healing Centre tient trois résidences pour femmes dont, notamment, notre Eagle Women’s Lodge, un site que nous pilotons en partenariat avec Services correctionnels Canada. Ce centre compte quelques lits dits d’« établissement résidentiel communautaire », et il accueille actuellement environ 11 femmes qui viennent de sortir de prison. Ce n’est un secret pour personne : les femmes autochtones sont surreprésentées au sein de la population carcérale dans l’ensemble du Canada. On ne surprendra personne non plus en répétant que les femmes autochtones sont fichées avec un degré de dangerosité qu’elles ne méritent pas et qu’elles reçoivent des peines d’emprisonnement plus longues que ce qu’elles méritent.

L’Indigenous Women’s Healing Centre et Services correctionnels Canada ont conclu un accord aux termes de l’article 81. Présentement, au Manitoba, si une femme est condamnée au fédéral, il n’y a aucun endroit où elle pourra être emprisonnée. On sera donc contraint de l’envoyer dans une autre province, c’est-à-dire loin de sa famille et de ses enfants. Il est grand temps que cet accord aux termes de l’article 81 arrive à Winnipeg et au Indigenous Women’s Healing Centre. Nous attendons l’approbation de cet accord depuis très longtemps. Maintenant qu’un organisme comme Services correctionnels Canada — et le Canada aussi — est disposé à mettre en œuvre les termes de l’article 81 et de rapatrier ces femmes, nous n’avons pas à attendre. J’attends depuis très longtemps. Il est grand temps de ramener ces femmes auprès de leurs familles et de leur permettre de revoir leurs enfants.

Nous avons de la difficulté à aider les femmes qu’on nous relaie actuellement. Elles ont leur libération d’office, mais elles ont des problèmes de logement. Le fait que ces femmes se retrouvent dans la rue après leur libération complique énormément le travail que nous essayons de faire auprès d’elles. Il y a beaucoup de programmes de style « logement d’abord », mais leurs services ne se rendent pas jusqu’aux femmes qui ont été incarcérées — ni aux hommes qui sont dans la même situation — et qui peinent à se trouver un logement.

D’habitude, je préfère demander à une femme de venir parler de son expérience au nom de l’organisme. J’essaie autant que possible d’être la voix de ces femmes. Je veux parler de la classification excessive des femmes qui viennent à nous. J’ai lu beaucoup de ces dossiers et je m’aperçois que ces femmes sont captives du système. Personne au Canada ne veut les prendre sous son aile parce que leurs dossiers les dépeignent comme étant trop dangereuses. J’ai accueilli beaucoup de ces femmes dans notre centre et je les ai trouvées très plaisantes. Cela renvoie toujours au droit de la personne fondamental d’être traité avec respect.

L’article 81 et la pratique exemplaire que nous allons montrer à tous doivent être repris et appliqués à l’ensemble du Canada. Il faut multiplier les accords aux termes de l’article 81. Nos organismes autochtones doivent donner l’exemple pour guérir les femmes autochtones qui sont dans le système. Nous devons mettre un terme aux traumatismes à répétition que subissent nos femmes. Dans un esprit authentique de réconciliation, nous devons apprendre à nous guérir des traumatismes intergénérationnels engendrés par les pensionnats indiens. Merci.

La présidente : Je remercie chacun de vous de son témoignage. Nous allons maintenant passer aux questions.

Je signale à mes collègues que je vais les chronométrer elles aussi pour veiller à ce que cette portion de la réunion se termine à temps.

La sénatrice Cordy : Merci à tous d’être ici, ce soir, et merci pour le travail que vous faites.

Beaucoup de gens ne comprennent malheureusement pas les besoins des détenus. Nous sommes au Canada. Ils devraient avoir des droits en tant que personnes. Certains d’entre vous en ont parlé dans leur exposé. Un peu partout au pays, on nous a répété que les droits de la personne semblent mourir sur le seuil de la porte. Lorsque nous avons demandé aux détenus pourquoi ils ne faisaient pas entendre leurs préoccupations, ils nous ont dit : « On ne nous écoute même pas », ou « Même les chiens reçoivent un os de temps en temps ». Ils se comparent quasiment aux chiens, car dans bien des cas, on les traite sans égard pour leurs droits en tant que personne.

M. Hutton a parlé brièvement de l’isolement cellulaire, et Ashley Pankiw aussi. Lors de nos visites un peu partout au pays, on nous a dit que ce n’était pas quelque chose de très fréquent. Puis, quand nous sommes allés dans les pénitenciers et que nous avons parlé aux détenus, nous avons appris que cela ne s’appelait pas nécessairement « isolement cellulaire », mais que, à toutes fins utiles, c’en était bel et bien. Est-ce que l’un de vous deux — ou n’importe qui d’autre — peut nous parler un peu plus longuement de l’isolement cellulaire et de ce que nous pourrions faire pour changer cela? On nous a dit que les choses avaient changé, mais d’après ce que nous avons vu, ce n’est pas le cas.

Mme Pankiw : Je sais d’expérience qu’il existe une unité où les détenus sont envoyés et où même les fournisseurs de services comme John Howard ou Elizabeth Fry ne peuvent pas aller. Les détenus demandent à être vus, mais nous ne pouvons pas avoir accès à eux. Nous ne pouvons pas leur donner les services qu’ils réclament, que ce soit en matière de réintégration ou même pour demander une libération sous caution.

M. Hutton : Je préfère utiliser le terme isolement cellulaire parce qu’il est plus évocateur que le terme isolement préventif. De plus, il existe tellement de formes d’isolement, punitif, administratif, alors je préfère utiliser le terme isolement cellulaire.

Nous ne voyons pas d’amélioration. Il y a environ 40 ans, un détenu s’est suicidé pendant qu’il était en isolement cellulaire, et des détenus se suicident encore aujourd’hui lorsqu’ils s’y trouvent.

La santé mentale est un grave problème. Comme l’ont mentionné la Société John Howard du Canada et, je pense, les Sociétés Elizabeth Fry du Canada, tout comme l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, quiconque a été diagnostiqué avec un problème de santé mentale ne devrait pas se retrouver en isolement cellulaire en raison des taux élevés de suicide et d’automutilation et aussi, tout simplement, en raison des répercussions que cela a pour une personne. Si vous avez déjà des problèmes de santé mentale, et qu’on vous enferme dans une pièce de 10 pieds sur 7 pendant 23,5 heures par jour, ces problèmes ne peuvent qu’empirer.

La sénatrice Cordy : M. Feick et Mme Anderson ont parlé des traumatismes. Vous avez dit que la prison est un endroit traumatisant et qu’il fallait s’occuper des traumatismes. Beaucoup de détenus ont subi un grand nombre de traumatismes avant leur arrivée en prison, et le fait de se trouver en prison, dans une cellule minuscule, est traumatisant en soi.

De quels genres de programmes avons-nous besoin ? En connaissez-vous qui réussissent à aider les gens à surmonter leurs traumatismes?

Mme Anderson : Une fois par mois, je donne le programme Return to Spirit, et cela fonctionne. Les changements que j’ai pu constater chez les hommes sont fascinants. Il m’a fallu quatre mois pour devenir formatrice, mais j’ai choisi de ne pas faire le circuit avec les responsables et de demeurer au sein du diocèse afin de pouvoir offrir le programme au centre correctionnel. Les formateurs de Return to Spirit ont tenté d’offrir le programme au pénitencier. On leur a dit oui, mais il y avait une attrape. Les formateurs devaient donner 12 séances avant d’être payés. On ne peut pas faire cela. La formation est leur gagne-pain, alors ils n’ont pas pu l’offrir.

La formation est importante. Il faut savoir ce qui fait mal. Une fois que les détenus ont réussi à guérir, ils peuvent avancer. Sans cela, ils demeurent figés dans le passé.

La sénatrice Pate : Vous parlez d’offrir le programme dans la prison provinciale, n’est-ce pas?

Mme Anderson : Je l’offre dans la prison provinciale, mais d’autres formateurs l’offrent au pénitencier.

La présidente : Ma question complémentaire porte également sur les traumatismes. Est-ce que l’un de vous pourrait nous parler de la disponibilité des professionnels en santé mentale spécialisés dans les traumatismes au sein du système fédéral?

Savez-vous quel travail se fait dans les pénitenciers fédéraux pour s’occuper des traumatismes?

M. Feick : Je connais seulement les programmes qui sont offerts par Diane Henderson, les aumôniers et les aumôniers bénévoles. Je ne sais pas si des psychologues ou d’autres professionnels offrent des programmes de ce genre, mais il se peut qu’il y en ait et que je ne sois pas au courant.

M. Hutton : Nous avons commencé à offrir un programme de guérison aux hommes autochtones qui ont survécu aux agressions sexuelles dans leur enfance. Nos clients viennent des prisons. Nous avons offert le programme à trois reprises. Il est dirigé par des aînés. Environ la moitié des participants viennent de Stony Mountain avec un agent accompagnateur. C’est vraiment très positif.

Je voudrais juste souligner un point rapidement. Je ne sais pas si vous avez rencontré des gens à Stony Mountain aujourd’hui. On y offre un programme appelé POPS, un service de prévention avec l’aide de pairs. Même si tous les praticiens sont des détenus dont bon nombre servent des peines d’emprisonnement à vie, je dirais que c’est un service très professionnel et bien informé sur les traumatismes.

La sénatrice Pate : Un élément qui nous a frappés lorsque nous avons rencontré les gens du POPS est qu’ils accomplissent un travail colossal qui, autrement, devrait être accompli par des professionnels rémunérés de Service correctionnel Canada : des psychologues, des psychiatres, des travailleurs sociaux et des agents correctionnels. On leur verse le salaire qu’on verse aux détenus, mais ils ne reçoivent pas de crédit pour cela. Ils n’ont pas de perspective d’emploi à leur sortie. Comme l’a mentionné la sénatrice Cordy, le sentiment de découragement était palpable.

L’un d’entre eux nous a raconté qu’après sa sortie, il s’est cherché du travail pendant trois semaines ou trois mois. Tout ce qu’il avait à montrer aux employeurs était les certificats qu’ils avaient reçus, notamment dans le cadre de ces programmes. Les employeurs lui ont ri au nez, essentiellement. Ce n’était pas suffisant pour qu’on lui offre un emploi.

Je trouve cela très positif, mais pensez-vous que les services correctionnels devraient avoir l’obligation d’en faire plus?

Je vais poser ma deuxième question. Madame Armstrong, si je ne m’abuse, les ententes conclues aux termes de l’article 81 avec Service correctionnel Canada ne s’appliquent qu’aux détenus à sécurité minimale, même si l’intention du législateur était de permettre aux communautés d’accueillir même ceux qui entamaient une peine d’emprisonnement à vie.

Suivez-vous les règles des services correctionnels, ou avez-vous demandé à accueillir des femmes qui purgent des peines dans des établissements à sécurité maximale? Vous pourriez nous en parler tous les deux. Je pense que la position d’Elizabeth Fry sur l’isolement est différente de celle de John Howard, qui veut l’abolir. Nous avons pu nous rendre compte, dans les prisons tant pour hommes que pour femmes, que les détenus à sécurité maximale vivent en isolement dans tous les pénitenciers fédéraux que nous avons visités jusqu’à maintenant.

Avez-vous des commentaires à faire sur ces deux points?

Mme Armstrong : C’est une excellente question. Actuellement, dans le cadre de notre entente, qui ne concerne pas l’article 81, nous accueillons déjà des femmes considérées à sécurité maximale. Dans le cas de l’article 81, nous avons fait une demande pour des détenues à sécurité moyenne. C’est nous qui avons fait la demande pour des détenues à sécurité minimale et moyenne.

D’après ce que j’apprends ici, dès que nous signons une entente au titre de l’article 81, nous recevrons des demandes de tous les niveaux de sécurité. Pour répondre à votre question du mieux que je peux, je ne refuserais aucune femme intéressée à venir.

Je pense que Service correctionnel Canada fait de son mieux pour travailler avec nous. Ils sont sans doute prêts à tenter l’expérience pour toute détenue originaire du Manitoba. Ce que je souhaite avant tout, c’est de rapatrier nos femmes dans la province, peu importe leur niveau de sécurité.

M. Hutton : J’aimerais répondre rapidement à un volet de votre question au sujet des détenus à sécurité maximale qui vivent en isolement cellulaire. Si vous n’êtes pas déjà au courant, et je suis certain que la sénatrice Pate l’est, c’est une pratique, et non une loi, qui veut que tout condamné à une peine d’emprisonnement à vie passe les deux premières années dans un établissement à sécurité maximale. Ce n’est pas une question de sécurité. Une personne peut présenter un danger très faible, mais elle devra tout de même commencer par passer deux ans en isolement cellulaire.

Je me demande si le Sénat pourrait examiner la question. C’est une politique qui a été mise en place sous l’ancien gouvernement, mais cela ne faisait pas suite à une loi ou une mesure législative. Ce serait un élément à examiner. Je suis conscient que la Société Elizabeth Fry va sans doute plus loin que la Société John Howard au sujet de l’isolement cellulaire, mais la classification de sécurité maximale obligatoire est certainement une source de préoccupation pour nous également.

La sénatrice Pate : Pouvez-vous nous parler du POPS?

M. Hutton : Je veux y aller prudemment. Si je comprends bien, c’est une initiative locale, interne, qui a vu le jour, si on veut, sur le coin du bureau d’un excellent coordonnateur. Je ne pense pas que ce soit reconnu officiellement ou à l’échelle nationale, ou qu’il ait été repris ailleurs. Pour en assurer le succès, il faudrait qu’il soit reconnu et sans doute mis en place dans d’autres endroits.

Ce que je comprends, c’est qu’il s’agit d’une initiative qui, sans se passer sous la table, est un peu en marge. Je ne comprends pas l’aspect politique. La dernière fois que j’ai amené quelqu’un voir l’excellent travail qu’ils font, ils craignaient que je critique leur travail. Je dois dire que je n’y suis pas retourné depuis.

La présidente : Sénatrice, y avait-il un autre volet à votre question?

La sénatrice Pate : Non, cela a répondu à ma question.

La présidente : Monsieur Feick, vous avez parlé des détenus trans. Dans les établissements que nous avons visités partout au pays, nous nous sommes informés de la situation des détenus trans. On nous a dit qu’il n’y avait pas de problème, mais nous avons senti dans la façon de s’exprimer des gens qu’il y avait un peu de transphobie et qu’on ne connaissait pas grand-chose de leur réalité.

Je me demande si vous avez des recommandations à nous faire pour améliorer l’expérience des détenus transgenres.

M. Feick : Je cherche des gens qui pourraient à tout le moins nous aider ou nous donner des conseils, ou simplement aider les personnes trans dans les établissements. J’ai pu parler à quelqu’un de la Société John Howard à Saskatoon. Je pense que la société déploie des efforts en ce sens. On devrait pouvoir les loger dans une unité distincte ou un endroit où ils pourraient être seuls et ne pas s’inquiéter qu’on leur fasse quoi que ce soit.

Oui, il faut juste déterminer comment procéder. Comme on l’a déjà mentionné, ils n’ont pas à se trouver là, mais, oui, certains ont commis des crimes qui nécessitent l’incarcération.

La présidente : Est-ce que quelqu’un d’autre aimerait ajouter quelque chose?

Mme Armstrong : J’aimerais mentionner que nous avons convenu avec Service correctionnel Canada que les hommes qui s’identifient comme femmes sont les bienvenus chez nous.

La sénatrice Cordy : Madame Pankiw, vous avez parlé des fouilles à nu. Dans tous les établissements pour femmes que nous avons visités, nous avons entendu les femmes parler des humiliations et des traumatismes qu’elles vivent jour après jour. Elles sortent travailler cinq jours par semaine et elles subissent des fouilles à nu chaque fois. Si elles sortent avec un bénévole ou un membre du personnel, à leur retour, elles subissent une fouille à nu.

Les établissements diront qu’ils doivent le faire pour des raisons de sécurité. Peut-on faire autrement? C’était déchirant de leur entendre raconter ce qu’elles subissaient. Avez-vous fait des recommandations à Service correctionnel Canada ou discuté de la question avec eux?

Mme Pankiw : Je suis d’accord avec vous qu’on les victimise à nouveau. Mais honnêtement, je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre. Par contre, je ne pense pas qu’on ait trouvé beaucoup de contrebande de cette façon. Dans les établissements où j’ai travaillé, je n’ai jamais entendu dire qu’on avait trouvé de la contrebande au cours d’une fouille à nu. Je pense que c’est simplement une pratique qui a pris racine avec le temps.

La sénatrice Cordy : Selon vous, il n’y a pas de preuves ou de statistiques voulant que ce soit nécessaire?

Mme Pankiw : Non, pas à partir de mon expérience personnelle dans les établissements.

La sénatrice Cordy : Service correctionnel Canada tient-il des statistiques sur le nombre de fouilles à nu qui ont été menées et la contrebande qu’on a pu trouver? Nous n’avons rien vu de tel, n’est-ce pas? Y a-t-il des statistiques à ce sujet?

Mme Pankiw : Je ne suis pas certaine.

La sénatrice Cordy : Monsieur Feick, vous avez parlé du manque de soutien en santé mentale. Nous avons entendu dire que dans de nombreux établissements, on offre des services de soins de santé mentale entre 9 heures et 17 heures, si bien que si un problème surgit à l’extérieur de ces heures, il faut attendre.

Avez-vous ou est-ce que quelqu’un d’autre a des recommandations à faire au sujet du soutien en santé mentale dans les établissements?

M. Feick : Lorsque j’ai commencé à travailler pour le programme Person to Person et à rencontrer des gens au centre psychiatrique régional, je les entendais dire que c’était la meilleure prison qui soit. Je pense que c’est parce qu’on y offre beaucoup de soins en santé mentale. C’est tant un hôpital psychiatrique qu’une prison. Ils nous en faut plus.

La sénatrice Cordy : Où était-ce?

M. Feick : Il s’agit du centre psychiatrique régional à Saskatoon.

La sénatrice Cordy : D’accord.

M. Feick : Je ne sais pas ce que vous avez entendu dire ou vu lorsque vous y êtes allés, mais je pense que c’est ce vers quoi il faut tendre. Ils ont du personnel à pied d’œuvre 24 heures sur 24.

La sénatrice Cordy : Ce que je me suis demandé lorsque j’y suis allée pour la toute première fois, c’est ce que ces gens faisaient dans une prison.

M. Feick : Oui, bien sûr.

La sénatrice Pate : Dans la foulée de ces deux questions, je trouve que ce que vous dites est intéressant. Comme l’a mentionné la sénatrice Cordy, lors de notre séjour, on nous a donné des exemples où la sécurité avait toujours préséance sur la santé, et en particulier la santé mentale au centre psychiatrique régional, car il s’agit à la fois d’un hôpital psychiatrique, au titre de la loi provinciale, et d’un pénitencier fédéral. Toutefois, s’il le faut, la sécurité a préséance sur la thérapie.

Je me demande pourquoi. Est-ce parce qu’on pense qu’une personne doit se trouver dans un pénitencier fédéral? Pourtant, l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition autorise les services correctionnels à transférer un détenu dans un environnement approprié, y compris un environnement de santé mentale médicolégale? Si on pouvait le faire, pensez-vous que ce serait préférable?

M. Feick : Oui, je dirais que c’est le cas. Comme la sénatrice l’a mentionné, un pénitencier n’est pas un endroit approprié pour quelqu’un qui a de graves problèmes de santé mentale. Nous avons besoin de plus d’établissements dans le système de santé, plutôt que dans le système pénitentiaire.

Oui, c’est un fait que la majorité des gens dans les prisons ont des problèmes de santé mentale qui nécessitent beaucoup de soins. Nous devons trouver des façons de remédier à ce problème.

La sénatrice Pate : Madame Pankiw, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais en 2005, tous les sous-directeurs dans les prisons pour femmes au pays ont proposé, d’une seule voix, à l’administration centrale de Service correctionnel Canada de cesser d’utiliser les fouilles à nu ordinaires pour les femmes, notamment parce qu’on ne trouvait pas de contrebande. On trouvait parfois des cigarettes, de l’argent, des bijoux, mais rien de dangereux.

Les abus ayant été légion, 91 p. 100 des femmes autochtones et 87 p. 100 des femmes en général avaient subi de la violence sexuelle ou physique. C’était pour elle en fait un nouveau traumatisme. Les femmes réagissaient en s’automutilant, ou en ayant des comportements agressifs.

Est-ce qu’il s’agit de renseignements bien connus, ou même connus, selon votre expérience dans le système?

Mme Pankiw : Je dirais que, au sein du système, ce ne sont pas des renseignements qui sont généralement connus, à moins que vous ayez un intérêt personnel pour ce genre de statistiques.

La sénatrice Pate : Avez-vous déjà entendu parler du rapport des sous-directeurs?

Mme Pankiw : Pas à ma souvenance.

La sénatrice Pate : C’est ce que nous allons sans doute demander, car Amanda George qui venait d’Australie, nous en a parlé.

La présidente : Madame Pankiw, vous avez parlé des besoins des détenus à leur sortie de prison, notamment le logement, l’emploi, la formation, et cetera. Si je me souviens bien, Mme Armstrong en a également parlé.

Avez-vous des recommandations à nous faire au sujet des pratiques ou des programmes qui aideraient à préparer les prisonniers pour la transition? Y a-t-il des programmes qui pourraient être offerts dans les établissements à cette fin?

Mme Pankiw : Je dirais tout d’abord que nous avons besoin d’un programme de logements, principalement de logements de transition, car les listes d’attente pour obtenir un logement subventionné à Winnipeg sont très longues.

Mais je répète que, pour cela, il faut avoir une preuve de revenus. Il faut avoir fait une déclaration de revenus. Il faut que tout soit en ordre. Il faut avoir toutes ses preuves d’identité, et cela prend du temps. Beaucoup de femmes avec qui nous travaillons ont besoin d’un logement de transition. Elles ont besoin de quelques mois pour se prendre en main et planifier la prochaine étape. Elles pourraient très bien commencer à le faire pendant qu’elles sont encore au sein de l’établissement.

Mme Armstrong : Je suis d’accord avec cela et j’ajouterai simplement qu’il est essentiel que les détenus fassent confirmer leur carte d’identité et leur aide à l’emploi et au revenu avant leur libération pour ne pas se retrouver sans-abri et pouvoir figurer dans le système afin d’être en mesure de commencer à payer un loyer. Il est essentiel qu’ils bénéficient de l’aide d’un travailleur de soutien au logement ou quelqu’un du genre pour commencer à travailler avec eux pendant leur incarcération afin d’avoir un endroit où aller le jour de leur remise en liberté. Ils bénéficieraient d’un travailleur de soutien capable de les guider au cours du processus de transition intimidant vers une vie autonome et tout ce que cela implique.

Mme Pankiw : Il faut établir un meilleur lien entre l’emploi et le soutien du revenu lorsque ces personnes sont institutionnalisées. Un des obstacles que doivent surmonter les femmes avec lesquelles je travaille est celui d’obtenir leur carte d’identité sans avoir d’aide à l’emploi et au revenu pour en couvrir les coûts. Nous ne pouvons rien faire avant qu’elles soient remises en liberté et qu’elles se retrouvent dans la collectivité lorsqu’elles remplissent un formulaire. Elles doivent se rendre au bureau pour demander de l’aide sociale et pour même faire traiter leurs demandes de cartes d’identité.

La présidente : Merci beaucoup à tout le monde de nous avoir accordé du temps ce soir et de nous avoir fait bénéficier de vos perspectives sur ces questions importantes.

Dans notre deuxième groupe ce soir, nous sommes ravis d’accueillir la ministre de la Justice Julyda Lagimodiere, de la Fédération des Métis du Manitoba; Chantelle Barker, coordonnatrice du développement de la justice communautaire de l’Organisation des chefs du Sud; et, enfin, à titre personnel, Ryan Beardy, ex-prisonnier, étudiant en science politique à l’Université de Winnipeg et membre du conseil d’administration de la Société John Howard du Manitoba.

Nous pensons que M. Dubois est en route, mais nous allons commencer par vous trois. Étant donné que ce groupe est un peu plus petit que le premier, chacun d’entre vous aura sept minutes pour prononcer ses remarques. Je vais utiliser le compteur parce que notre horaire est vraiment serré.

Nous allons d’abord entendre Mme la ministre.

Julyda Lagimodiere, ministre de la Justice, Fédération des Métis du Manitoba : La Fédération des Métis du Manitoba tient à remercier le comité sénatorial de l’avoir invitée à participer à la discussion concernant les droits de la personne des délinquants autochtones au sein du système correctionnel.

La Fédération des Métis du Manitoba est l’organe politique officiel démocratique et autonome de la collectivité métisse du Manitoba de la Nation métisse. Elle a pour mandat de promouvoir les intérêts politiques, sociaux, culturels et économiques des Métis du Manitoba. En outre, elle offre des programmes et services à notre communauté, y compris en ce qui concerne l’enfance et la famille, la justice, le logement, la jeunesse, l’éducation, les ressources humaines, le développement économique et les ressources naturelles.

Le Metis Justice Institute a été fondé en juillet 2003 et a pour tâche de concentrer la responsabilité des questions juridiques au sein de la Fédération des Métis du Manitoba.

Nous avons pour mandat d’élaborer et de maintenir une gamme complète de services et de programmes juridiques qui répondent aux attentes de la communauté métisse au Manitoba. Le MJI est guidé par le cabinet de la Fédération pour tisser des relations de travail et former des partenariats qui offrent un soutien aux citoyens métis ayant besoin d’une aide juridique et militent en faveur de leurs droits.

Depuis ses débuts, le MJI a continué de faire du lobbying au Manitoba et au Canada pour favoriser l’élaboration des programmes et services juridiques métis. Il utilise des renseignements obtenus par l’intermédiaire des consultations auprès de la communauté métisse pour cibler les efforts en vue d’élaborer des programmes de justice communautaire métis qui aideront les citoyens métis qui se trouvent dans le système de justice pénale.

Pour vous mettre en contexte, en 2004, Services correctionnels Canada, la Fédération des Métis du Manitoba et le Ralliement national des Métis ont mené un projet conjoint pour examiner les besoins des délinquants métis au Manitoba. En raison de la surreprésentation des Autochtones, on a entrepris des travaux de recherche sur les délinquants métis pour voir s’ils ont des besoins uniques comparativement à ceux d’autres délinquants autochtones ou non autochtones. Cela a été jugé nécessaire, puisqu’une majorité des programmes et services offerts aux délinquants autochtones privilégie typiquement une approche panautochtone qui n’englobe pas les besoins des délinquants métis.

Cette étude a notamment permis de dégager un profil des délinquants métis. Bon nombre des délinquants métis étaient des célibataires de moins de 35 ans. Il était beaucoup plus probable qu’ils soient au chômage et qu’ils n’aient pas de diplôme d’études secondaires que leurs homologues non autochtones. On considérait que les délinquants métis avaient un potentiel de réintégration élevé au départ. Une majorité d’entre eux ont passé leur enfance dans des centres urbains et ont fini par être arrêtés à ces endroits. Ils ont été victimes ou témoins de violence à la maison et dans leurs collectivités. Ils ont dit avoir des membres de la famille impliqués dans des activités criminelles. Une majorité de délinquants métis ne parlent pas une langue autochtone et ne s’identifient pas à la culture des Premières Nations. Cette différence, de même que les contextes environnemental et culturel, montre le besoin d’interventions adaptées aux expériences de ces délinquants.

L’analyse des besoins des délinquants métis a révélé qu’au moment de leur incarcération, il leur fallait des programmes dans divers domaines criminogènes, y compris en ce qui touche les problèmes personnels et émotionnels, la toxicomanie, l’employabilité et l’éloignement des criminels. Même si les délinquants métis qui ont participé aux programmes au sein de l’institution les ont trouvé utiles, on ignore si ces programmes répondaient à leurs besoins culturels ou spirituels. Bien que les programmes ciblent les besoins criminogènes cernés au moment de l’incarcération, ils pourraient ne pas répondre pleinement à ceux des délinquants métis à moins d’être offerts dans un contexte culturel approprié et de façon significative pour ceux-ci. Lorsqu’on leur a demandé de dégager des besoins précis, les délinquants métis ont parlé de leurs préoccupations personnelles concernant l’emploi, la colère, les finances, la toxicomanie et l’amour propre. Ils ont indiqué que leurs besoins différaient de ceux d’autres délinquants autochtones et non autochtones.

En réponse à cette étude, la Fédération des Métis du Manitoba a élaboré le programme de soutien juridique pour faciliter la réintégration des délinquants métis dans la collectivité lorsqu’ils sortent des établissements correctionnels. Les programmes et services que nous offrons jouissent du plein appui de la Fédération des Métis du Manitoba. On ne reçoit aucun financement de l’extérieur pour aider les délinquants métis. Le soutien est offert en fonction des besoins cernés par nos citoyens.

Le programme de soutien juridique aide les particuliers à surmonter les obstacles et à répondre à leurs besoins élémentaires pour les aider à se préparer à décrocher des emplois ou à reprendre les études. Lorsqu’un détenu est remis en liberté, le MJI et le programme de soutien juridique le prennent en charge pour élaborer un plan d’action qui permette aux personnes de déterminer les types de soutien dont elles ont besoin.

La Fédération des Métis du Manitoba leur offre un soutien pour les aider à trouver des ressources comme l’aide juridique, les conseillers parajudiciaires autochtones, les suspensions de casier, les droits des victimes, et cetera. En éducation, la fédération offre un soutien pour accéder à l’Institut Louis-Riel qui les aide avec le perfectionnement des études, le diplôme de 12e année et les cours dans les collèges d’enseignement professionnel. Les délinquants métis ont fait savoir qu’ils avaient besoin de soutien au chapitre de l’emploi et de la formation pour assurer la réussite de leur réintégration. La fédération leur offre du soutien pour trouver des emplois et de la formation au recrutement afin de les aider avec leur recherche d’emploi et leur employabilité.

Les délinquants métis ont déterminé que le logement est un secteur dans lequel ils ont besoin de soutien pour bien se réintégrer. La fédération les aide à trouver des ressources au Manitoba pour avoir accès à des logements d’urgence et trouver des logements adéquats à long terme.

Les délinquants métis ont fait valoir qu’ils avaient besoin d’aide financière pour bien se réintégrer. La fédération les aide avec les demandes d’emploi et d’aide au revenu et les exigences qui s’y rapportent.

La Fédération des Métis du Manitoba offre du soutien pour accéder aux programmes dans les domaines de la violence familiale, de la gestion de la colère et des aptitudes à la vie. On cherche aussi des ressources pour offrir aux clients des programmes de toxicomanie et de santé mentale. La fédération facilite l’accès à la documentation dont les clients ont besoin auprès de l’état civil, de la Société d’assurance publique du Manitoba, et cetera. J’ai essayé de tout dire dans un seul souffle.

La présidente : Je suis désolée d’être celle qui doive vous interrompre. J’espère que vous aurez l’occasion de nous faire part des renseignements supplémentaires que vous avez pendant la période des questions.

Chantell Barker, coordonnatrice du développement de la justice communautaire, Organisation des chefs du Sud : Lorsque j’ai entendu que je n’avais que cinq minutes, j’ai dit à Ryan Beardy qu’il me faudrait ce temps juste pour dire mon nom en cri, mais je démarre mon compteur maintenant. Mon nom spirituel est Getchi Nodin Ikwe, ce qui signifie femme des vents forts. Je suis issue du clan du Chevreuil de la Nation crie Sapotaweyak.

Sachez que je ne suis pas venue ici en pensant que nous pouvions nous habiller de façon décontractée. Le chandail à capuchon que je porte s’appelle, en fait, Protéger nos femmes. C’est un programme que nous gérons à l’Organisation des chefs du Sud en l’honneur des femmes autochtones disparues ou assassinées. Je voulais le porter en leur honneur parce que non seulement je suis une employée de l’OCS, mais je fais aussi partie de la famille d’une femme qui a été assassinée en 1999. Ce drame a, en quelque sorte, fait que j’ai voulu travailler avec les victimes de violence familiale et au sein du système judiciaire. Voilà pourquoi je m’y suis engagée.

J’aimerais vous parler un peu de moi. Lorsque je fais des exposés, j’essaie de les faire de manière holistique en disant d’où je viens, qui je suis et où je vais. Avant de travailler pour l’Organisation des chefs du Sud, j’ai œuvré au sein de Manitoba Justice pendant 10 ans comme agente de probation où j’ai élaboré des programmes. J’ai travaillé dans le Nord, à The Pas, où ma charge était de 100 cas, dont 95 p. 100 étaient des Autochtones. J’ai aussi participé à la rédaction probablement de plusieurs milliers de rapports Gladue, ainsi que des rapports préalables à la détermination de la peine, et j’ai procédé à des milliers d’évaluations des risques. Ces évaluations sont utilisées pour tout le monde, mais j’ai constaté qu’elles criminalisaient les Autochtones.

J’ai fait ma propre évaluation des risques juste pour voir mon niveau de risque. Même si je n’ai jamais été dans le système, je suis à risque moyen de commettre un crime. C’est en raison de facteurs dans l’évaluation qui sont indépendants de ma volonté. Le questionnaire comporte des questions du genre : « Avez-vous des pairs criminels? » Oui. « Avez-vous déjà eu un problème de dépendance? » Oui. « Avez-vous des activités récréatives? » Dans le Nord, il n’y avait vraiment pas grand-chose à faire. Alors non, je ne participe pas à ce type d’activités. « Un membre de votre famille est-il contrevenant? » Oui.

Lorsque vous prenez ces facteurs et ces questions, vous constatez qu’ils nous criminalisent. Cette évaluation est utilisée dans les rapports préalables à la détermination de la peine, qui déterminent si une personne sera incarcérée au provincial ou au fédéral et pendant combien de temps, et elle est aussi utilisée dans les rapports Gladue. Je faisais partie du comité chargé de remanier les rapports Gladue, car vous vous rappellerez qu’il y a quelques années, le Manitoba suscitait beaucoup d’attention négative à cause des mauvais rapports Gladue qui étaient rédigés. J’ai siégé au comité chargé de les remanier. Ils n’étaient pas exactement comme j’aurais voulu, mais je sais qu’ils ont une incidence lorsqu’ils sont bien écrits.

Je disais à Ryan Beardy aujourd’hui que j’ai rédigé un rapport Gladue pour un gars qui avait poignardé un chauffeur de taxi. J’ai découvert qu’il souffrait de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Je suis remontée jusqu’à sa collectivité, à ses grands-parents qui avaient été pensionnaires et à sa mère qui souffrait de toxicomanie parce que ses parents avaient eu du mal à l’élever, et je suis revenue à son ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale et j’ai vu l’influence qu’un déménagement avait eue sur lui. La Couronne demandait 11,5 ans, mais grâce au rapport Gladue et à tous les efforts que j’y avais investis, il n’a fini que par avoir une peine de 4,5 ans.

Lorsqu’ils sont rédigés adéquatement par quelqu’un de bien formé, les rapports Gladue sont efficaces. Lorsque je rédigeais mes rapports Gladue, je fondais mes recommandations dans le rapport préalable à la détermination de la peine sur les facteurs contenus dans le rapport Gladue. Dans le cadre de mon travail dans le système judiciaire, plutôt dans le Sud que dans le Nord, j’ai remarqué que nombre de nos rapports Gladue sont rédigés par des non-Autochtones qui n’ont aucune idée de la colonisation et de l’incidence des pensionnats ou qui ont reçu peu de formation interculturelle à ces égards. Il leur arrive de causer plus de tort que de bien.

J’ai aussi sillonné le Manitoba. J’ai élaboré le Programme adapté à la culture, unique programme culturel reconnu de Manitoba Justice. Il est évalué et fondé sur des preuves. Au cours des 10 dernières années, j’ai probablement fait participer 5 000 Autochtones en probation au programme. De plus, j’ai parcouru le Manitoba pour visiter 45 collectivités des Premières Nations. C’est vraiment ce dont je veux parler. J’ai regardé la liste d’intervenants et j’ai pensé aux personnes qui parleraient, aux lacunes et à la place de l’Organisation des chefs du Sud dans ce scénario.

Je vais parler de l’incidence du départ d’une personne sur la collectivité qu’elle laisse derrière elle. Par exemple, avant l’arrivée des Blancs, nous avions nos propres systèmes judiciaires fondés sur le bien-être, l’harmonie et le rétablissement de l’équilibre chez les gens. Les anciens disaient que les délinquants se comportaient mal parce qu’ils n’étaient pas équilibrés. Les membres de la collectivité travaillaient ensemble à rétablir leur équilibre. Ils avaient recours à des cérémonies, des cercles de partage, des cercles de guérison et des enseignements fondés sur la terre en les emmenant sur place. Ensuite, les colonisateurs ont démantelé nos systèmes de justice traditionnels fondés sur la guérison et les ont remplacés par un modèle fondé sur des mesures punitives. Maintenant, ces systèmes sont déficients, et on nous a présenté une façon de faire qui nous est inconnue. Nous voyons les conséquences de la colonisation, des pensionnats et des questions intergénérationnelles. Ce que nous avons dans nos collectivités sont des symptômes de la colonisation, des pensionnats et, en particulier, de la violence latérale.

Lorsque des personnes sont retirées de leur collectivité parce qu’elles se voient imposer une peine d’emprisonnement, elles ne sont pas les seules à être punies. Les familles qu’elles laissent derrière elles le sont aussi. Une mère qui se fiait peut-être à son partenaire pour l’aider à élever ses enfants ne bénéficie plus de ce soutien et tombe dans une vie de pauvreté. Si elle n’a aucune ressource pour faire face à la situation, il n’y en a pas dans nos collectivités des Premières Nations pour l’aider. Même aux victimes d’actes criminels, nos collectivités n’ont rien à offrir.

Je suis fière de dire que nous avons obtenu du financement cette année pour lancer un programme de guérison communautaire destiné précisément aux victimes d’actes criminels. À l’Organisation des chefs du Sud, nous essayons de cerner les lacunes et de les combler. Nous avons constaté qu’il n’y avait ni soutien ni ressources offerts aux familles des délinquants et des victimes. Lorsque nous faisons affaire à une collectivité qui essaie toujours de se remettre de l’incidence des pensionnats et de la colonisation, on constate que ses membres sont un peu — pour reprendre les paroles de Ryan Beardy — comme des « crabes dans un seau ». Au lieu de se battre contre le colonisateur, nous commençons à nous battre entre nous.

Comprenez-moi bien. Même si nous nous battons entre nous et s’il y a des symptômes de violence latérale, parallèlement, nous avons toujours cette croyance intrinsèque en l’harmonie et en l’unité communautaire qui est ancrée dans notre mémoire cellulaire. Lorsque quelque chose de fâcheux se produit dans la collectivité, ses membres se réunissent et soutiennent la personne touchée. Lors d’un décès dans la famille, la collectivité complète fait le deuil pour honorer cette personne. À l’occasion d’une fête, tout le monde apporte encore de la nourriture, ce qui est une partie traditionnelle de notre identité. Même si nous avons les points négatifs, il nous reste toujours la force des aspects culturels positifs dans nos collectivités.

Comment cela se répercute-t-il sur les incarcérations? Si les gens ne sont pas sensibilisés à la situation du délinquant et ne comprennent pas pourquoi il a agi de la sorte, celui-ci devient alors taré. En conséquence, il arrive souvent que la collectivité l’accepte mal. Lorsque le délinquant revient dans la collectivité, il est très difficile pour lui de repartir à zéro. Le logement est un problème de taille dans les réserves. S’il revient de prison, où vivra-t-il? Il y a la pauvreté, le chômage. Où trouvera-t-il du travail? Ensuite, il doit suivre toutes ces ordonnances de probation et de libération conditionnelle qui lui disent qu’il doit trouver une maison et un emploi. Il doit le faire. Il ne retourne pas dans sa collectivité où il n’y a pas ces ressources. Il va en ville ou en région urbaine où il peut les trouver.

Les membres de l’Organisation des chefs du Sud ont pour mandat et consigne de créer une commission de justice autochtone. Nous estimons devoir prendre la responsabilité de régler nos propres problèmes. Nous ne voulons pas faire appel au gouvernement pour lui demander d’agir. Nous devons le faire nous-mêmes, car c’est dans notre intérêt direct de le faire.

Nous travaillons sur ce genre de questions, mais nous avons également besoin d’alliés. Nous avons besoin de l’appui du gouvernement. Nous avons besoin de financement. En particulier, nous rêvons de concrétiser une vision : la création de centres de guérison communautaires destinés aux personnes ayant des démêlés avec la justice et le retour à nos pratiques traditionnelles qui consistaient à mettre ces gens en contact avec la terre. C’est ainsi qu’ils tiraient leurs enseignements. On tenait une cérémonie, en présence des aînés. Non seulement cela aidait à guérir la personne, mais cela lui permettait également d’avoir un emploi au sein de la communauté. Par la suite, les gens qui travaillaient là-bas se sentaient directement concernés parce qu’ils devaient vivre dans la communauté, au lieu d’être envoyés en prison, auquel cas nous ne les reverrions plus jamais à leur sortie. Selon moi, une solution communautaire fondée sur notre culture et notre histoire serait plus efficace que l’incarcération d’une personne qui n’aura accès à aucune ressource et qui, à son retour dans la communauté, devra recommencer à zéro.

La présidente : Madame Barker, je regrette de devoir vous interrompre. Je crois que vous aurez l’occasion de nous en dire plus sur la vision de votre organisation durant la période des questions. Vous pouvez toujours nous remettre un mémoire, si vous en avez préparé un. Merci.

Ryan Steven Beardy, ex-prisonnier; étudiant en science politique, Université de Winnipeg; conseil d’administration, Société John Howard, à titre personnel : Je suis nerveux d’être ici aujourd’hui. Je tiens d’abord à souligner que nous nous trouvons sur le territoire visé par le traité no 1, soit les terres ancestrales des Anishinaabegs, et je remercie la sénatrice Wanda Thomas Bernard non seulement de m’avoir invité, mais aussi d’être venue écouter mon dernier discours à Ottawa et d’avoir eu l’idée de m’inclure dans la discussion d’aujourd’hui.

J’aborderai trois points. Je commencerai par vous parler un peu de mon expérience personnelle et vous expliquer en quoi c’est pertinent dans le cadre de cette conversation. Par ailleurs, lorsque j’étais à Ottawa, j’ai présenté 10 appels à l’action. Je m’attarderai sur quatre d’entre eux en ce qui concerne les violations des droits de la personne dans le contexte du droit international et la disproportion qui existe dans le système. Enfin, je plaiderai en faveur de la mise en œuvre d’une justice réparatrice dans notre pays.

Je mentionne mon dernier discours, car il contient des pistes de réflexion pour la discussion d’aujourd’hui. La semaine dernière, j’ai pris la parole devant le caucus ouvert des sénateurs libéraux, à Ottawa, au sujet des injustices et des violations des droits de la personne que subissent les prisonniers autochtones. J’ai présenté 10 recommandations personnelles en vue d’une réforme de la justice, recommandations que j’ai rebaptisées « appels à l’action » à l’intention des sénateurs. J’aimerais les présenter également à votre comité dans l’espoir qu’elles seront utilisées dans le cadre de votre étude. Je crois fermement qu’il s’agit là de solutions à certains des problèmes auxquels nous faisons face au Canada.

Permettez-moi de vous parler brièvement de mon parcours. Je viens de la Première Nation de Lake St. Martin. J’ai passé la majeure partie de ma jeunesse à faire de multiples séjours dans des centres de détention, et ce, dès l’âge de 12 ou 13 ans. C’est, en quelque sorte, là que j’ai grandi. J’ai forgé mon identité dans ces centres. Ce déracinement m’a fait du tort, puisque j’ai été institutionnalisé à un très jeune âge. Rendu à l’âge adulte, j’ai passé les 20 dernières années de ma vie soit à fuir les forces de l’ordre, soit à avoir des démêlés avec le système de justice pénale. Je suis resté derrière les barreaux pendant plusieurs années. Cela n’inclut pas mes années de jeunesse perdues, ce qui ferait d’ailleurs augmenter ce chiffre. Je ne veux pas ajouter d’autres encoches au tatouage que j’ai sur la poitrine. J’ai su vaincre cette réalité en changeant de mentalité. En fait, j’ai repris ma vie en main.

Je suis sorti de prison il y a 18 mois et j’ai été en libération conditionnelle pendant une semaine. J’ai été accepté à l’Université de Winnipeg où j’étudie en science politique et en résolution de conflits. Au fond, je poursuis mes rêves. Mes enfants sont de retour dans ma vie. J’ai colmaté les brèches que j’avais créées dans nos relations. Je peux le sentir dans la façon dont ils m’enlacent maintenant. Il y a une différence. J’ai trouvé un logement pour nous et j’assume mon rôle de coparent. D’ailleurs, j’aurai leur garde demain, ce qui m’emballe au plus haut point. Je vais à l’école à partir de cet endroit. Je travaille actuellement à l’université comme mentor pour d’autres étudiants. Je suis également journaliste pigiste. Je défends l’égalité des droits et j’ai écrit à ce sujet dans trois publications, du moins jusqu’à présent.

Par ailleurs, je m’implique beaucoup dans la collectivité. Je suis président du conseil étudiant autochtone à l’Université de Winnipeg. Je siège aux conseils de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — nous tiendrons d’ailleurs notre assemblée générale annuelle le mois prochain — et de l’association des étudiants de l’Université de Winnipeg. Je suis également membre du conseil d’administration de la Société John Howard du Manitoba, comme on l’a mentionné tout à l’heure. Je suppose qu’on peut dire que j’ai fait bien du chemin.

Comment y suis-je parvenu? Je n’en ai pas tout à fait parlé dans mes notes, mais lorsque j’ai pris la parole devant le caucus ouvert des sénateurs libéraux, j’ai expliqué que j’avais transformé ma vie grâce aux pratiques de justice réparatrice. Pour moi, il ne s’agissait pas simplement de pratiques de justice réparatrice. C’était la tradition de mon peuple. J’avais entrepris un voyage pour mettre fin à la victimisation, améliorer ma vie et me défaire du cycle perpétué en raison des politiques.

Revenons en arrière, en décembre 2016, lorsque l’honorable Jim Munson, parmi d’autres, a proposé aux sénateurs que votre comité fasse enquête sur ce dossier. J’étais alors en prison. Je voyais de mes propres yeux ce genre d’infractions. En fait, je dénonçais haut et fort le problème de la disproportion, mais mon auditoire là-bas laissait à désirer. Un groupe de détenus me disaient : « Tais-toi, tu ne pourras rien y changer. » Je ne partage pas cet avis.

Je le mentionne parce que je veux vous encourager et vous dire que vous faites un pas dans la bonne direction. J’ai lu certains témoignages directs de prisonniers, et je vous implore de les croire. J’insiste là-dessus. Je sais que le prochain rapport portera sur la justice réparatrice. J’estime qu’il est impératif, voire absolument essentiel, que vous teniez compte de mon récit et de la façon dont la justice réparatrice a changé ma vie. La justice réparatrice contribue à façonner un avenir prometteur non seulement pour moi, mais aussi pour la collectivité et la société dans son ensemble. Mes résultats peuvent être reproduits partout au Canada si le gouvernement met en œuvre un processus de justice réparatrice.

Passons maintenant à mes 10 appels à l’action. Même si chacun d’eux est très important, je ne parlerai que des quatre principaux.

Premièrement, il faut mettre fin à l’isolement cellulaire. Vous avez sûrement dû voir beaucoup de statistiques dans le cadre d’une étude aussi longue. Sachez que j’en ai été directement témoin. Il existe, chez les détenus, une culture de la peur concernant l’isolement cellulaire parce que nous savons qu’à partir du moment où nous y sommes exposés, rien n’est plus pareil. J’ai vu la différence de mes propres yeux : lorsque des détenus étaient retirés de la population carcérale pour être placés en isolement cellulaire, ils n’étaient plus les mêmes personnes à leur retour.

Vous parlez du nombre disproportionné de problèmes de santé physique et mentale. Ce sont des problèmes non diagnostiqués qui contribuent à la situation. Comme je l’expliquais à la sénatrice Kim Pate avant mon témoignage, lorsque je marchais dans les couloirs de ces rangées, je ne voyais que des gens en proie au désespoir et à des problèmes de santé mentale. Nous savons, bien entendu, que c’est inconstitutionnel. Nous savons qu’une telle pratique ne devrait pas exister au Canada. À cet égard, je veux que des amendements soient apportés à l’article 31 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Essentiellement, il importe d’endiguer sans tarder le problème de la disproportion qui existe dans le système avant même que nous mettions fin à l’isolement cellulaire. Il faut agir dès maintenant. Nous devons adhérer pleinement à l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Il s’agit d’une ligne directrice établie à l’échelle internationale. Le Canada est l’un des membres fondateurs. Nous devons respecter ces règles.

Le dernier point concerne la décarcération des prisonniers autochtones. Les femmes autochtones sont parmi les plus vulnérables au pays. Elles sont exposées à l’isolement cellulaire à des taux disproportionnés. Les statistiques le prouvent, et c’est alarmant. Il est important de procéder à la décarcération des prisonniers autochtones. Nous avons un système qui n’est pas nécessairement conçu pour ce à quoi il sert en ce moment. Il s’agit d’une mesure punitive. On dirait que le système est de plus en plus axé sur la punition, ce qui est inquiétant. Je l’ai vu de mes yeux lorsque j’étais en prison.

Il faut comprendre que j’ai passé toute ma vie derrière les barreaux et que j’ai observé de telles tendances. Il existe un déséquilibre entre le nombre de prisonniers blancs et de prisonniers autochtones, lesquels obtiennent d’ailleurs des peines de plus en plus longues. Il y a 10 ou 15 ans, une agression vous aurait valu une peine de deux ans; aujourd’hui, vous risquez d’obtenir une peine de 5 ans si vous avez la peau brune. Voilà ce qui se produit. C’est, en soi, une injustice. Cela touche l’essence même des gens de mon peuple. C’est tout ce que je voyais lorsque j’étais en prison, avant ma libération.

J’aurais encore beaucoup à dire, mais je crains qu’il ne me reste guère de temps. N’hésitez surtout pas à me poser des questions. Ce que vous entreprenez là est une tâche tout à fait colossale, et je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de m’écouter. Meegwetch.

La présidente : Merci beaucoup à tous les témoins. Si vous avez des copies imprimées de vos notes et que vous voulez nous les remettre, nous serons heureux de les recevoir. Nous passons maintenant à la période des questions.

La sénatrice Pate : Je tiens à vous remercier tous de votre travail et de votre présence ici. Nous traversons une période importante.

J’aimerais connaître l’avis de tous les témoins sur un point que vous avez soulevé, monsieur Beardy, concernant l’Ensemble des règles minima des Nations Unies. Pour les femmes, il y a également les Règles de Bangkok qui s’ajoutent aux règles minima. Trop souvent, ces règles sont considérées comme des aspirations, c’est-à-dire quelque chose auquel nous aspirons, au lieu de reconnaître que les Nations Unies ont établi une norme qui est censée être appliquée dans le monde entier. Nous sommes nombreux à penser que ces règles devraient servir de plancher, et non pas de plafond; autrement dit, nous ne devrions pas nous en contenter, car elles devraient servir de base, et nous devrions plutôt aspirer à aller beaucoup plus loin. Je me demande ce que vous en pensez.

Vous avez parlé de la décarcération, monsieur Beardy. Il existe déjà des dispositions législatives qui permettent la décarcération. Nul besoin d’apporter des modifications législatives. En effet, l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition dit que les gens peuvent être transférés à des établissements de santé pour des raisons de santé physique ou mentale.

L’article 81 précise que les personnes qui purgent une peine peuvent être transférées vers des collectivités autochtones, mais il y a aussi le paragraphe 2 qui peut s’appliquer aux prisonniers non autochtones. Aux termes de l’article 84, les détenus qu’une collectivité autochtone — ou, encore une fois, non autochtone — souhaite accueillir peuvent être envoyés dans la collectivité en vue de leur libération conditionnelle ou de leur mise en liberté sous condition.

J’ai l’impression que, pour l’heure, cet aspect est contrôlé, en grande partie, par la façon dont la politique correctionnelle est mise en œuvre, mais j’aimerais vous entendre tous parler un peu plus de ce qui serait possible si les collectivités disposaient effectivement des ressources nécessaires pour prendre les mesures qu’elles privilégient et qu’elles jugent utiles afin de répondre aux besoins de ceux qui ont été victimisés, tout en permettant à ceux qui ont été accusés et reconnus coupables d’agir différemment au sein de leur collectivité d’origine.

Il y a là plusieurs questions. Je suis désolée, madame la présidente, de les avoir lancées d’un coup à nos témoins.

M. Beardy : Pourriez-vous répéter la première question?

La sénatrice Pate : Je crois que la première portait sur l’Ensemble des règles minima des Nations Unies.

M. Beardy : Oui, nous aspirons à quelque chose qui favoriserait le traitement humain de la population. Avec le temps, le système de justice a perdu ce côté humain. Il faut en faire plus. Nous devons garder l’esprit ouvert et reconnaître qu’il se passe actuellement des choses vraiment terribles.

Songeons aux injustices historiques pour lesquelles le Canada demande pardon. Si nous n’agissons pas maintenant, nous devrons, je le crains, présenter nos excuses pour cette situation.

Mme Barker : J’aimerais ajouter quelques observations, de notre point de vue, sur les obstacles que le gouvernement a érigés. Par exemple, l’année dernière, nous avons présenté une proposition. Nous avions établi un partenariat avec un programme d’apprentissage de métiers, ainsi qu’avec Stony Mountain. Nous avons donc proposé de créer un programme de métiers pour les détenus, en misant sur la concertation familiale et communautaire, pour les aider à réintégrer la collectivité selon une approche axée sur la justice réparatrice.

Je rappelle que Stony Mountain s’occupe de la construction de gros édifices. Nous avons également discuté avec Red River au sujet de la possibilité de créer un programme de métiers pour les détenus afin qu’ils puissent retourner dans leur collectivité et mettre à profit les compétences qu’ils ont acquises. Comme vous le savez, dans les collectivités des Premières Nations, il y a une pénurie de gens de métier, de charpentiers, d’électriciens et de plombiers. Pour assurer la réinsertion efficace des détenus au sein de leur collectivité, nous avons proposé un programme qui leur permettrait d’apprendre un métier afin qu’ils puissent ensuite redonner à leur collectivité.

Malheureusement, cette proposition a été refusée, mais c’est un exemple qui montre comment nous essayons de trouver des initiatives et des idées créatives, lesquelles finissent toutefois par être mises en échec à un moment donné dans le processus gouvernemental.

La présidente : Pourriez-vous nous dire à qui cette proposition a été présentée?

Mme Barker : J’essaie de me rappeler. Il y en a tellement. Cela concerne la prévention du crime.

La présidente : S’agissait-il du gouvernement fédéral?

Mme Barker : Oui, c’était au fédéral.

La sénatrice Pate : J’ai une question supplémentaire. Serait-il possible de nous envoyer une copie de cette proposition?

Mme Barker : Oui, tout à fait.

La présidente : Nous avons beaucoup entendu parler du manque de formation professionnelle dans les établissements fédéraux, alors il serait vraiment utile de prendre connaissance de votre proposition.

M. Beardy : Je suis au courant des articles 84 et 81. J’en suis bien conscient. J’ai d’ailleurs été libéré aux termes de l’article 81, si je ne me trompe pas. Un des obstacles auxquels nous faisons face, c’est la prise de décisions très subjectives par des gens qui nourrissent des points de vue racistes. J’en ai été témoin. Il y a ce genre de culture au sein des pénitenciers fédéraux et provinciaux.

Une des questions que l’on se pose en toute bonne foi, c’est : « Qui est votre agent de libération conditionnelle? » Or, ce n’est pas ce qui devrait entrer en ligne de compte. Cela ne devrait pas être le facteur déterminant dans les décisions concernant la date de libération d’un détenu, les ressources qui seront mises à sa disposition ou l’égalité des chances qui lui seront offertes. On m’a donné une chance, et voyez tout ce que j’ai pu accomplir. Il faut donner une chance à ces gens.

La présidente : Quelqu’un d’autre souhaiterait-il répondre aux questions de la sénatrice Pate?

Mme Lagimodiere : Je ne suis pas certaine de comprendre clairement la question, mais je vais tout de même tenter d’y répondre. Au lieu de parler d’une base, j’ai tenté d’exprimer une préoccupation tout d’un trait. Comme je l’ai mentionné, lorsque vous adoptez une approche panautochtone, vous passez à côté de besoins particuliers. Lorsque nous avons mené des recherches, je sais que nos délinquants métis ont indiqué que nous ne répondions pas à leurs besoins culturels.

La tentative de trouver une approche adaptée à tous restera toujours problématique. C’est certes ce qu’ont révélé les recherches que nous avons menées il y a de nombreuses années, mais les choses n’ont pas changé. Je crois que la situation est toujours la même.

Nous ne visitons pas les pénitenciers fédéraux. Par conséquent, je ne peux pas dire que j’ai travaillé directement avec leurs délinquants. Nous travaillons avec eux après leur mise en libération, et c’est bien là le problème. Cela ressemble presque à une situation de crise parce que vous tentez de vous occuper immédiatement du logement, de l’aide au revenu, de l’obtention des documents et de la pièce d’identité avec photo, et cetera.

Ce processus est également problématique en raison du manque de financement. Je pense que la situation est la même que celle que mes collègues ici présents ont décrite en ce qui a trait au problème de financement. Je ne veux pas vous énumérer précisément les programmes pour lesquels nous avons présenté des demandes, étant donné que c’est le personnel de mon bureau qui s’occupe de ces aspects, mais je sais que nos demandes de financement ont été rejetées. Nous n’avons pas été en mesure de répondre aux besoins de nos membres dans de nombreux cas en raison de cela. Et c’est inacceptable.

Je crois fermement que nous savons ce qui convient le mieux à nos membres. Nous parlons leur langue. Je n’entends pas par là l’anglais ou une langue autochtone. Nous pouvons parler à ces gens parce que nous savons ce qu’ils ont vécu, et nous le comprenons comme seules des personnes ayant vécu cette situation peuvent le comprendre.

Si vous me le permettez, j’aimerais avoir la permission de vous relater une histoire personnelle. Premièrement, étant catholique, j’ai toujours craint d’enfreindre les lois. Je vais mettre cette réflexion de côté pour le moment, mais j’ai une nièce qui a été incarcérée dans un pénitencier fédéral. Pendant sa détention là-bas, elle a bénéficié des meilleurs services de soutien qui soient. Elle a été appuyée par une aînée, et elle se débrouillait vraiment bien. Elle était peut-être même une prisonnière modèle dans cet établissement. Elle a été mise en liberté et, aujourd’hui, elle vit dans les rues. Elle participe de nouveau au commerce du sexe, et elle est redevenue toxicomane. Elle n’a pas pu continuer de se prévaloir des services de soutien qui lui ont été fournis au pénitencier. Je suis allée la visiter à Edmonton lorsqu’elle était derrière les barreaux. Elle avait besoin de ces services chez elle, mais ils n’étaient pas offerts. Mon collègue ici présent a parlé de cela, et c’est exactement la vérité.

Nous devons leur offrir de nouveau la confiance que nous pouvons leur accorder, mais nous devons avoir les moyens de le faire. Il ne suffit pas de me dire que je peux participer à la course. Comment puis-je y participer adéquatement avec une jambe brisée?

De plus, mon petit-fils a été assassiné. Malgré toutes mes intentions de lui offrir les meilleurs soins, il avait un problème d’identité ou il avait du mal à accepter la personne qu’il était. Je dois vous faire comprendre qu’il est important que nous jouissions de votre confiance en ce qui concerne la question de connaître les meilleures mesures à prendre. Je ne dis pas que nous voulons accomplir ce travail par nous-mêmes, mais nous devons jouer un rôle dans le programme de réinsertion et de soutien.

La sénatrice Pate : Votre intervention a démontré à quel point ma question n’était pas claire. Je m’en excuse donc.

Les articles dont je parle permettent aux collectivités de présenter une demande au ministre de la Sécurité publique afin d’obtenir les ressources nécessaires pour réinsérer dans la société une personne à la fois. Il s’agit d’une catégorie générale qui autorise les approches personnalisées. Selon les derniers chiffres que nous avons vus, il en coûte environ 120 000 $ ou 130 000 $ par année pour incarcérer un homme en ce moment. Pour les femmes, les coûts totalisent à peu près 200 000 $. Pour les délinquantes autochtones dites à sécurité maximale, les coûts dépassent un demi-million.

Permettez-moi de préciser davantage ma pensée. Quels genres de services pourriez-vous organiser au sein de votre collectivité à l’intention de votre nièce si vous disposiez de la moitié du montant qu’il en coûte pour la maintenir en détention, si ces ressources n’étaient pas disponibles uniquement en prison? Ma question est-elle plus claire? J’espère m’être exprimée plus clairement.

Mme Lagimodiere : Comme vous le savez, la FMM met en œuvre son propre programme de soutien à la justice. La FMM est un gouvernement autonome. Par conséquent, nous assurons la prestation de nombreux services. Si nous pouvions offrir un plus grand nombre de programmes et de services à nos citoyens, je crois que notre taux de réussite serait beaucoup plus élevé.

Malheureusement, je ne dispose pas des statistiques nécessaires pour l’affirmer. Après leur incarcération, ces personnes font appel à nous volontairement. Je ne peux pas déclarer avec certitude que 98 ou 50 p. 100 des personnes qui se sont adressées à nous s’en sont tirés. Je ne peux pas l’affirmer parce qu’une fois que nous avons aidé ces gens, ils se débrouillent habituellement par eux-mêmes.

Je ne crois pas avoir répondu à votre question.

La sénatrice Pate : Non, cela m’aide à exprimer plus clairement la question que je tente de poser. Si vous vous rendiez à la prison pour visiter votre nièce pendant son incarcération et que vous étiez en mesure de travailler avec elle afin de lui offrir un appui différent, que pourriez-vous faire? Quel logement pourriez-vous lui trouver ? Quels services de soutien pourriez-vous lui offrir si vous disposiez, disons, de la moitié de l’argent ou de 100 000 $ par année?

Mme Lagimodiere : La première chose que j’aurais faite, c’est m’assurer qu’elle suivait une thérapie adéquate pour sa toxicomanie. Elle souhaitait faire des études, et je pense qu’elle le souhaite toujours, mais j’ignore si elle en est capable maintenant. Elle avait besoin d’une carrière, d’être apte au travail. Elle gardait certains emplois, mais ce n’était pas des emplois à très long terme. Elle avait également besoin d’un logement.

Ce qui importe encore plus, c’est qu’elle avait besoin d’être acceptée. Elle avait besoin de savoir que quelqu’un au sein de sa collectivité se préoccupait d’elle, autre que les criminels qu’elle fréquentait et qui étaient mêlés au trafic de drogues et au commerce du sexe. Elle avait besoin de savoir qu’elle nous tenait à cœur.

Ce n’est pas que nous ne nous préoccupions pas d’elle mais, lorsque vous vivez dans la pauvreté, c’est la théorie de Maslow qui opère. Vous vous efforcez de satisfaire à vos besoins fondamentaux en premier. Je ne crois pas que nous parvenions à satisfaire à nos besoins fondamentaux, et elle ne pouvait pas satisfaire aux siens. Il aurait fallu que ses besoins soient satisfaits. Elle avait besoin d’un logement, d’une éducation et d’un emploi. Elle avait besoin de sentir qu’elle était membre de la partie saine de sa collectivité. Elle faisait partie d’une communauté, mais pas celle à laquelle j’aurais souhaité la voir participer.

M. Beardy : Si je peux me permettre d’intervenir, je sais que je ne travaille pas dans ce domaine, mais je crois qu’elle demande si nous pouvons élaborer des cadres et des programmes de justice réparatrice qui s’apparentent à des solutions de rechange à l’incarcération. Comme les articles 81 et 84 existent déjà, les détenus autochtones peuvent être mis en liberté, mais où iront-ils et quel genre de ressources pouvons-nous leur fournir?

La sénatrice Pate : C’est tout à fait cela. Vous êtes déjà un exemple de personne qui intervient dans sa collectivité. Si, deux ans avant que cela se produise, disons, quelqu’un était venu vous voir et vous avait dit qu’il allait investir annuellement de 50 000 $ à 75 000 $ dans votre avenir, dans quoi auriez-vous investi cet argent?

J’ai quelques idées à ce sujet parce que vous le faites déjà, mais qu’auriez-vous fait d’autre à l’aide de ces ressources?

M. Beardy : L’éducation figurerait au sommet de ma liste. Le manque d’éducation est à l’origine d’un grand nombre de problèmes que nous affrontons lorsqu’il s’agit d’informer nos concitoyens au sujet des mauvais traitements. Évidemment, tous les gens ici présents sont renseignés sur ces mauvais traitements. Cette étude dure depuis longtemps, mais l’éducation serait la première chose dans laquelle j’investirais. Je sais ce que l’éducation m’a apporté. En outre, l’éducation augmente leurs chances, plus que leur seule mise en liberté.

Il est certain que mes priorités seraient l’éducation et un refuge. Il y a une énorme pénurie de refuges pour hommes. D’après mes observations, les hommes sont logés dans des maisons de transition. Il y a 16 à 17 mois, j’étais officiellement sans abri en raison de la façon dont le système est établi. Je devais habiter à une certaine adresse, mais la maison de transition a fermé ses portes. Je ne pouvais pas habiter dans cette maison en raison de problèmes familiaux. Pendant ce temps, mon frère déclarait que je n’allais pas vivre avec lui à cause de mon passé. Quoi qu’il en soit, j’étais en fait sans abri.

J’aurais utilisé une partie de l’argent pour louer un logement et une autre partie de l’argent pour acquérir des compétences améliorant mon employabilité. J’ai l’air d’être apte au travail mais, avec mon casier judiciaire, il m’est très difficile de trouver un emploi au sein de la société actuelle, du système actuel. Après ma mise en liberté, j’ai postulé partout encore et encore sans décrocher un seul emploi. Il a fallu que j’aie recours aux agences de recrutement de personnel pour payer mon loyer, ma nourriture et d’autres dépenses de ce genre. J’investirais dans l’éducation, un abri et un logement.

La sénatrice Cordy : Monsieur Beardy, vous n’avez pas parlé des rapports Gladue et des facteurs Gladue, mais ils figurent sur votre liste. Madame Barker, au cours de votre intervention, vous avez parlé des rapports Gladue lorsque vous avez mentionné qu’ils devraient être rédigés par un Autochtone parce qu’ils sont utilisés, entre autres, pour catégoriser les gens.

Pourriez-vous tous deux nous en dire un peu plus sur l’importance que revêtent les rapports Gladue et les facteurs Gladue? Si nous devions formuler une recommandation à leur égard, en quoi devrait-elle consister?

Mme Barker : En ce qui me concerne, j’ai dit que des Autochtones devraient les rédiger parce qu’ils ont vécu cette vie et qu’ils ont été touchés par la colonisation et les pensionnats indiens. Ils peuvent comprendre les effets intergénérationnels.

Si les auteurs sont non autochtones, il faudrait qu’ils suivent une initiation intense aux différences culturelles. Je trouve qu’une séance de sensibilisation aux différences culturelles de deux jours n’est pas efficace. Il faut que la formation traite de la véritable cause profonde que constitue la colonisation, au lieu de se contenter d’indiquer que les Autochtones parlent telle ou telle langue ou de décrire leur culture d’origine. La formation doit être vraiment approfondie, et elle doit aborder l’élément fondamental qui les a incités à changer leur vie et à s’engager dans cette autre voie.

J’ai le sentiment qu’ils devraient être écrits par des Autochtones. Nous serons alors en mesure de les comprendre parce que nous avons tous été touchés par les effets de la colonisation.

M. Beardy : Il doit y avoir un plus grand nombre d’agents de liaison autochtones dans les prisons fédérales. Je me souviens d’avoir souvent été incapable de joindre l’un de ces agents. Il faut que les rapports Gladue et les facteurs Gladue soient gérés par des agents mieux renseignés, à défaut d’un agent de liaison autochtone.

Mme Barker a parlé d’investir dans des séances de formation en sensibilisation aux réalités culturelles et aux traumatismes. Je dis investir parce qu’il s’agit d’une mesure préventive. Si vous estimez que les coûts de ces formations s’élèvent à 500 000 $, à combien évaluez-vous les coûts que ces problèmes nous occasionnent? Quels coûts liés à la gestion de tous ces problèmes la société assume-t-elle?

La sénatrice Cordy : La sénatrice Pate a parlé des sommes qui sont engagées annuellement pour incarcérer les délinquants en général, mais aussi les délinquants autochtones, en particulier. Madame Barker, vous avez mentionné un programme de guérison communautaire parce que, lorsqu’une personne est retirée d’une communauté, cela cause des problèmes aux personnes qui restent, comme les conjoints, les partenaires, les parents ou qui que ce soit d’autre. Plusieurs d’entre vous ont parlé de la stigmatisation qui survient si une personne revient dans la collectivité après sa mise en liberté, des coûts élevés des logements et des autres aspects de ce genre. Vous avez également mentionné la création d’un comité de justice autochtone.

Si vous aviez accès à une partie de l’argent qui est dépensé pour incarcérer des Autochtones, comment pensez-vous que ces programmes fonctionneraient?

Mme Barker : En particulier, si une collectivité était dotée d’un centre de guérison communautaire, ce centre appliquerait une approche holistique reposant sur la façon traditionnelle dont nous guérissions les membres de notre collectivité avant la colonisation, c’est-à-dire au moyen de cérémonies, d’enseignements liés à la terre, d’enseignements par les aînés et de soutien communautaire.

Si nous étions en mesure d’obtenir le financement nécessaire pour établir un centre de guérison communautaire, nous étudierions le bien-être physique de nos membres, comme la façon dont ils traitent leur corps, les effets de leur toxicomanie sur leur corps, la salubrité de leur alimentation, les exercices auxquels ils se livrent, leur état de santé mentale et leur discours interne.

Ont-ils besoin d’une éducation pour l’emploi? Comment pouvons-nous les préparer à s’engager dans cette voie? Doivent-ils recevoir des traitements pour leurs problèmes de santé mentale? Comment peut-on leur fournir les ressources nécessaires? Devons-nous employer un thérapeute en santé mentale ou un aîné ayant des compétences équivalentes?

Passons à la santé émotionnelle. Comment établissons-nous des relations avec eux? Comment les aidons-nous à renouer des liens avec leur famille et leur collectivité? Comment leur assurons-nous des séances de counseling? Comment les aidons-nous à rétablir un équilibre spirituel? Nous avons des systèmes de croyances spirituelles différents des vôtres, mais leur fondement est le suivant : comment pouvons-nous les convaincre de croire de nouveau en eux-mêmes? L’aspect spirituel concerne la croyance en soi. Tous les autres éléments sont liés à la façon d’obtenir ce résultat.

L’expérience que j’ai acquise dans le cadre du programme CAP m’a permis de faire mon apprentissage. J’ai vu des gens avoir des révélations, et j’ai observé la puissance d’une prise de conscience de sa propre identité. J’ai vu comment des gens réalisaient qu’ils reproduisaient, sans le savoir, les mêmes cycles de la colonisation. La majorité de nos membres ne connaissent pas leur histoire, et ils tombent dans le piège qui consiste à normaliser les conditions sociales qu’ils observent autour d’eux

Si je disposais de ce financement, le centre reposerait sur une vision holistique du monde qui cerne les aspects physiques, mentaux, émotionnels et spirituels.

La sénatrice Cordy : Nous avons entendu parler à maintes reprises du surclassement des Autochtones en milieu correctionnel. Soit dit en passant, la sénatrice Pate a présenté un projet de loi au Sénat visant à éliminer les peines minimales obligatoires.

Monsieur Beardy, je sais que vous avez suggéré, entre autres, de mettre un terme à l’isolement cellulaire. Si vous parlez aux responsables des prisons que nous avons visitées, ils vous diront que l’isolement cellulaire est très rarement utilisé. En fait, lorsque nous nous rendons dans ces établissements, on nous dit que très peu de délinquants font l’objet d’un isolement cellulaire. Nous savons également que l’isolement cellulaire ne porte pas nécessairement ce nom. Pourriez-vous parler de cet aspect? Si les Autochtones sont surclassés, ils seront plus susceptibles de faire l’objet d’un isolement cellulaire désigné par un autre nom.

M. Beardy : Les Autochtones sont plus susceptibles de se retrouver en isolement cellulaire. On leur attribue les niveaux de sécurité les plus élevés. Ils sont toujours soumis à des tests. Voilà ce dont je me souviens personnellement. On passe toujours des tests. Quand c’est chose faite, mon niveau de sécurité augmente en flèche. Je ne sais pas, mais cela me semble discriminatoire. Chantell Barker en a passé un elle-même; vous pouvez donc constater que cela contribue à faire augmenter les niveaux de sécurité.

J’ai écrit un article sur l’isolement cellulaire, une pratique qui ne devrait même pas exister, car elle cause de graves torts psychiatriques et psychologiques. J’ai été en isolement cellulaire pendant 36 heures d’affilée. Je n’avais pas le droit de quitter ma cellule. Certains parlent d’isolement de 23,5 heures. On entend des choses pareilles, mais moi, détenu exemplaire, j’ai été retiré de la section à sécurité minimale et mis en isolement cellulaire.

On a invoqué devant moi l’article 31 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. J’ai un doute raisonnable. Je n’y croyais pas. Honnêtement, j’étais assis là et je ne pouvais pas croire que ce gars pouvait me mettre en isolement cellulaire alors que j’étais un détenu exemplaire, mais il l’a fait. Je suis resté en isolement pendant 36 heures d’affilée et cela m’a été préjudiciable, mais pas tant que cela, car j’ai développé une intelligence émotionnelle. À l’époque, j’étais vraiment sur la voie de l’humilité et je tentais de comprendre la situation. Je pense qu’il était vraiment inconstitutionnel de me garder en isolement pendant 36 heures. Je ne pense pas que cette pratique devrait exister.

Pour répondre à votre question sur l’isolement cellulaire, j’utilise les mots « isolement cellulaire », car cela correspond à la définition de l’Ensemble des règles minima des Nations Unies, lequel prévoit une certaine période d’emprisonnement. Je ne me souviens pas de la durée en question, mais une période est établie. Les agents appellent cette pratique « isolement préventif ». J’ai consulté le site web, où on parle d’isolement préventif, mais ce n’est pas ce que c’est. C’est de l’isolement cellulaire. Les agents se cachent derrière la terminologie.

Dans la culture des détenus, tous les prisonniers savent que c’est de l’isolement cellulaire. Ils appellent cela « le trou ». Personne ne parle d’isolement préventif. C’est un mot du domaine de la justice et des services correctionnels, mais cet isolement ne corrige certainement pas notre comportement. Les agents réfutent le fait que les torts psychiatriques et psychologiques attribués à cette pratique soient sujets à débat. Le gouvernement se cache derrière la terminologie en ce qui concerne l’isolement cellulaire.

Je peux vous trouver l’information ici, en fait.

La présidente : Le temps est presque écoulé.

M. Beardy : Je vous transmettrai l’information. C’est par écrit. J’ai deux articles que je peux vous remettre.

La sénatrice Cordy : Oui.

M. Beardy : Je voudrais aussi vous transmettre un autre article qui concerne de très près notre conversation.

La présidente : C’est tout le temps que nous pouvions accorder à ce groupe. Je suis désolée, mais nous n’aurons pas le temps d’effectuer un second tour.

Je tiens à remercier nos trois témoins d’avoir comparu ce soir. Nous sommes heureux de vous avoir entendus. Comme nous l’avons indiqué, nous aimerions recevoir tous les documents que vous pouvez nous communiquer par écrit. Nous serions enchantés de les obtenir.

Nous sommes maintenant ravis de recevoir notre troisième et dernier groupe de témoins de ce soir, composé de Jason Demers, Katharina Maier, Alexa Potashnik, Zilla Jones et Allison Fenske. J’ai omis d’indiquer où vous travaillez; il serait donc utile que vous le précisiez quand je vous inviterai à parler.

Je vais régler l’horloge une fois encore, mais comme ce groupe comprend cinq témoins, chacun disposera de cinq minutes. Nous aurons ensuite du temps pour que les sénateurs vous posent des questions.

Monsieur Demers, vous avez la parole.

Jason Demers, conférencier, Département d’anglais, Université de Regina, à titre personnel : Je m’appelle Jason Demers, conférencier au département d’anglais de l’Université de Regina. Je remercie le comité d’effectuer cet important travail et de m’avoir invité ici aujourd’hui.

Je témoigne afin de traiter du système carcéral provincial de la Saskatchewan, dans lequel j’ai notamment offert des services de consultant auprès de personnes actuellement et anciennement incarcérées et de leur famille. Quand j’ai étudié ce système, j’ai été à même de constater qu’il était extrêmement surpeuplé et fonctionnait au double de sa capacité. Les établissements ayant des cellules à occupation double, comme le veut la pratique normalisée, les responsables ont transformé toutes sortes de locaux, comme des gymnases, des salles de classe, des ateliers et des salles de visite, en dortoirs temporaires ou permanents.

Ce sont là des conditions d’entreposage. Quand nous parlons de conditions d’entreposage, nous ne pensons pas seulement à la conversion de locaux en dortoirs, mais aussi au fait que la mission de réinsertion de ces établissements est mise de côté quand les personnes sont ainsi entreposées. Ces programmes sont repoussés à la fin de la peine.

Les gens déplorent aussi le fait qu’il soit difficile d’accéder à des soins de santé et dentaires adéquats. À cela s’ajoutent des problèmes d’isolement cellulaire. Les services alimentaires ont été privatisés, ce qui fait que la diète est inadéquate dans l’ensemble des établissements. Les gens se plaignent que les aliments ne sont pas identifiables et les rendent malades. Les personnes ayant des besoins alimentaires particuliers, comme les femmes enceintes et les diabétiques, reçoivent une diète standard, laquelle comprend notamment neuf tranches de pain Wonder Bread.

Outre la privatisation des services alimentaires, les services téléphoniques ont été confiés à l’entreprise américaine Telmate, laquelle a instauré un système de frais cachés, de coûts de connexion et de traitement et de frais divers faisant en sorte qu’il en coûte des centaines de dollars par mois aux familles pour rester en rapport.

En plus des services téléphoniques privatisés, les visites sans contact sont devenues la norme. Les gens doivent rencontrer leur partenaire ou leur père à travers un panneau de verre. Les enfants ne sont pas autorisés à être en contact avec leur père. Une exception est prévue pour les mères, mais la province ne compte qu’un établissement pour femmes, où les détenues se plaignent généralement qu’elles ne reçoivent pas de visite parce que la prison est trop éloignée et que les coûts d’hébergement et de transport sont trop élevés pour qu’on s’y rende.

À tout cela s’ajoute le fait que les Autochtones constituent de 75 à 95 p. 100 de la population carcérale, alors qu’ils représentent 15 à 17 p. 100 de la population générale. Quand les gens affirment que les prisons sont les nouveaux pensionnats, cela ne concerne pas seulement ces questions démographiques. Cela concerne aussi tout les problèmes que je vous ai énumérés et toutes les pratiques qui s’appliquent en parallèle : l’alimentation inadéquate, la séparation des familles et le déni des pratiques spirituelles, conformément aux politiques.

Tous ces problèmes découlent du fait que les établissements fonctionnent selon des pratiques de sécurité fondées sur la gestion du risque. Quand les gens sont séparés par un panneau de verre, c’est pour réduire le plus possible le nombre de rapports d’incident en faisant en sorte qu’il soit impossible qu’une atteinte à la sécurité survienne. Je pense toutefois que nous devons tendre vers un système qui tient compte de la santé publique, des besoins de réinsertion des personnes concernées, des personnes incarcérées pour une courte période, et, en général, du fait que les prisons ne sont probablement pas le meilleur endroit pour régler les problèmes qu’on leur demande de résoudre.

À cet égard, nous devons examiner les rapports Gladue; le problème, en Saskatchewan, c’est qu’une seule personne prépare de tels rapports dans toute la province. Quand on pense à la somme de travail que cela exigerait, cette personne est essentiellement inaccessible. Par conséquent, les gens pensent pour ainsi dire que ce n’est pas un besoin. Ils ne réclament pas les rapports Gladue qui pourraient être commandés pour sortir les détenus du système carcéral et combler les besoins de réinsertion qu’ils ont bel et bien.

De fait, ce sont les effets du colonialisme et du système de pensionnats qui se font sentir en Saskatchewan. Nous devons commencer à affronter directement ces problèmes. Le sénateur Murray Sinclair a lancé un certain nombre d’appels à l’action. Je pense que nous devons vraiment nous attaquer à la question si nous voulons prendre ces problèmes au sérieux.

Katharina Maier, professeure adjointe, justice criminelle, Université de Winnipeg, à titre personnel : Merci de m’offrir l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et d’avoir entrepris en temps opportun cette étude urgente sur les droits des prisonniers dans le système correctionnel. Je suis reconnaissante de témoigner dans le territoire du traité no 1 à titre de personne non invitée.

Je suis professeure adjointe en justice criminelle à l’Université de Winnipeg, où je mène des recherches qualitatives sur le vécu des gens en prison, sur la réinsertion des détenus et le rôle que les organisations non gouvernementales jouent en façonnant la vie et la trajectoire des anciens prisonniers à la suite de leur incarcération.

La détention est une expérience extrêmement pénible. Parfois, la douleur associée à l’emprisonnement n’est ni évidente ni visible. Par exemple, en nous fondant sur une recherche menée auprès de 56 anciens prisonniers fédéraux, mes collègues et moi avons montré qu’un grand nombre de prisonniers ressentent un sentiment perpétuel de risque et de menace pendant leur incarcération.

Dans les prisons à sécurité maximale fédérales, les personnes interrogées ont fait état de menaces à leur sécurité physique, évoquant le fait que n’importe quoi pouvait survenir n’importe quand. Dans les établissements à sécurité moins élevée, les détenus disaient craindre les répercussions institutionnelles. Ils étaient stressés et s’inquiétaient de la possibilité d’être transférés dans un établissement à sécurité plus élevée ou de se voir refuser la libération conditionnelle pour des problèmes sur lesquels ils avaient souvent l’impression de n’avoir aucun contrôle.

Le fait de se sentir vulnérable et d’avoir constamment l’impression qu’on risque d’être menacé ne fait certainement pas partie du système pénal; pourtant, cela constitue souvent un aspect très réel du vécu des détenus. Nous devons porter attention à ces réalités plus discrètes ou cachées de la peine et de la punition des gens, car ces maux ne peuvent pas être mesurés et ne transparaissent pas dans les statistiques officielles.

Je peux parler davantage de ces genres d’expériences plus tard et je peux traiter des défis que présente la réinsertion, sujet sur lequel porte ma dernière recherche. J’ai toutefois pensé utiliser le temps qui me reste pour parler des solutions de rechange à notre système carcéral actuel. Je proposerais d’envisager le recours aux maisons de transition plutôt qu’à l’incarcération.

Quand nous discutons de la question des droits des prisonniers, je pense que nous devons en parler d’un point de vue tant idéologique que pratique. Qu’est-ce qui rend une prison humaine? Que faut-il faire pour pouvoir qualifier une prison d’humaine?

Dans le cadre de ma recherche sur les maisons de transition et la réinsertion, j’ai passé quelque temps à Oslo pour m’informer auprès d’érudits norvégiens à propos du système carcéral scandinave, car il importe d’étudier les pratiques d’autres pays quand nous élaborons des pratiques exemplaires pour nos propres établissements carcéraux.

Vous saurez peut-être que les sociétés nordiques ont une vision différente au chapitre de l’incarcération. Leurs systèmes pénaux sont couramment qualifiés d’exceptionnels pour deux raisons. D’abord, leurs taux d’incarcération sont assez bas; de plus, elles détiennent les gens dans des conditions inhabituellement favorables et plus humaines. Le système carcéral plus humain des pays nordiques se démarque notamment par le recours considérable à ce qui s’appelle les prisons ouvertes.

Au Canada, je trouve que nous oublions souvent que nous avons une forme de prison ouverte : les maisons de transition. Il s’agit de petits établissements hébergeant d’ex-détenus fédéraux en libération conditionnelle. Les anciens détenus peuvent travailler ou aller à l’école, mais ils doivent réintégrer la maison de transition le soir et ils font l’objet d’une supervision stricte le jour. À l’heure actuelle, les maisons de transition sont utilisées après le séjour en prison et constituent ainsi la dernière étape avant que la personne soit autorisée à s’établir dans sa propre résidence à la suite de son incarcération.

En m’appuyant sur la recherche que je mène actuellement auprès des anciens prisonniers et du personnel des maisons de transition, je propose que les maisons de transition offrent une solution réelle et plus humaine au système actuel de prisons plus fermées.

Tout d’abord, si on les compare aux prisons plus fermées, les maisons de transition sont naturellement plus orientées vers la réinsertion, le traitement et l’inclusion. Elles veillent à ce que les contrevenants soient mis à proximité des services de bien-être, des occasions d’emploi et des soutiens sociaux. Elles contribuent ainsi à établir des solutions locales aux problèmes et aux besoins des personnes criminalisées au lieu d’incarcérer les gens dans des établissements plus fermés souvent situés loin des centres urbains, des villes et des occasions d’emploi.

En outre, les maisons de transition favorisent la création de meilleures relations entre les prisonniers ou les ex-prisonniers et le personnel. Quand nous parlons des droits des détenus, nous devons parler des conditions de travail des agents de prison, car les recherches montrent que l’environnement carcéral influence considérablement la manière dont les agents traitent les détenus. Par exemple, les recherches indiquent que dans les petites prisons, les relations entre les détenus et le personnel sont meilleures, et les agents sont plus satisfaits. C’est ce que révèle ma recherche sur les maisons de transition.

Je dirai en conclusion que je sais que le comité a entendu dire, au cours de l’année, que l’état des prisons canadiennes suscite bien des préoccupations. Le système carcéral doit être réformé, et ma recherche donne à penser que les maisons de transition devraient recevoir plus d’attention et être considérées comme une solution plus humaine aux prisons plus fermées au Canada.

Alexa Potashnik, présidente et fondatrice, Black Space Winnipeg, à titre personnel : Je m’appelle Alexa Potashnik et je représente Black Space Winnipeg, un groupe communautaire sans but lucratif qui défend les intérêts de la communauté noire de Winnipeg. Cette organisation ayant été fondée en 2016, nous avons passé les deux dernières années à faire valoir que les Noirs existent dans les Prairies et à l’extérieur de l’Ontario, et que le racisme et la discrimination à leur égard sont très présents à Winnipeg et au Manitoba.

Tout a commencé dans la foulée du mouvement Black Lives Matter. Quand on parle précisément des Noirs incarcérés, on ne peut faire fi de ce mouvement ou nier les démarches qu’il a entreprises pour les Noirs incarcérés au pays.

En outre, je voulais donner le point de vue d’une organisatrice et activiste communautaire sur ce que vous faites. Comme je suis née et j’ai grandi à Winnipeg, je peux vous affirmer que les Noirs sont dispersés. Nous ne nous concentrons pas dans un centre ou une communauté; nous sommes dans toute la province et dans toute la ville. C’est ainsi que nous sommes confrontés à des moments d’isolement et d’isolement social bien réels.

À la lumière de l’incident le plus récent, je peux vous expliquer un peu ce qui se passe avant que des Noirs interagissent avec des policiers et combien les Noirs ont vraiment peur de tout contact avec des représentants de l’État et de l’autorité. Cette année, un jeune homme du nom de Carl Felix s’est fait arrêter par un policier alors qu’il circulait à vélo. Le policier a exigé de voir ses pièces d’identité, alors qu’il ne faisait que traverser la ville à vélo. Ce n’est pas le genre de chose qu’on entend beaucoup dans les nouvelles. Quand on nous a demandé de raconter son histoire, les gens de Winnipeg et du Manitoba, en particulier, étaient un peu surpris d’entendre qu’il y a encore du profilage racial et du racisme contre les Noirs au Manitoba.

Quand on parle des droits des prisonniers et des droits de la personne en général, on ne peut pas ne pas parler du racisme, de la suprématie blanche et de l’oppression systémique qui existe aussi dans notre système. Je vous dirais que je m’applique à le dire pratiquement depuis le début de ma carrière universitaire et que cela se poursuit dans ma carrière professionnelle. Je constate les effets terribles du racisme et de la discrimination contre les Noirs. Les Noirs en souffrent à Winnipeg. Nous avons lancé récemment un programme communautaire intitulé Project Heal afin de procurer aux Noirs de Winnipeg un endroit sûr où ils peuvent parler de profilage racial, de profilage policier et de toutes sortes de formes de racisme à l’encontre des Noirs à Winnipeg, ainsi que des effets de tout cela sur notre santé mentale et notre communauté.

Oui, il est important de parler des droits des personnes incarcérées, mais il faut analyser les façons de faire et comment le système cible les Noirs avant même qu’ils n’y entrent. Nous devons investir davantage de ressources et d’énergie dans la formation sur la sensibilité culturelle et la relation très complexe qui existe entre les Noirs et leurs communautés d’une part, et l’État et les policiers d’autre part. Merci.

Zilla Jones, avocate de la défense, Jones Law Office, à titre personnel : Bonsoir, honorables sénateurs. Je vous remercie de cette invitation à comparaître. Je vous souhaite la bienvenue sur le territoire du traité no 1 et de la nation métisse.

Je m’appelle Zilla Jones. Je suis avocate de la défense en droit criminel à Winnipeg depuis 2012. Ici, au centre du pays, j’ai souvent l’impression que nous nous trouvons aussi au centre de toutes les tempêtes qui frappent le système de justice pénale. Avec notre population autochtone la plus nombreuse au pays, nous sommes en plein cœur de la crise des femmes autochtones disparues et assassinées. Le procès Tina Fontaine s’est déroulé ici même, l’été dernier, et un bon ami à moi y a travaillé comme avocat. Une génération auparavant, l’Enquête sur l’administration de la justice et les Autochtones est née en grande partie d’enjeux qui se posaient au Manitoba. Nous recevons maintenant des vagues d’immigrants de l’Afrique et du Moyen-Orient, et certains immigrants ou leurs enfants deviennent nos clients.

Nous avons presque toujours, si ce n’est toujours les plus longues périodes passées en détention provisoire, les taux d’incarcération les plus élevés, les taux de surpopulation carcérale les plus effarants et les taux de criminalité les plus élevés au pays. En tant que femme de couleur, qu’Afro-Canadienne, je suis constamment consciente du fait que je ressemble plus à beaucoup de mes clients qu’à la plupart des autres avocats ou des juges. Je considère qu’il s’agit d’un privilège, parce que cela me donne une petite idée de ce à quoi ressemblent leurs vies, j’en tire un genre de double perspective du monde des marginalisés et de l’univers de la profession juridique.

Ce soir, nous discutons des droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel fédéral. Je vous présenterai brièvement les problèmes que j’ai constatés de par mon travail auprès de mes clients. Je sais que ma collègue, Me Fenske, vous parlera des problèmes de santé mentale, donc je n’aborderai pas la question en détail, mais j’appuie tout ce qu’elle vous dira à ce sujet. Pour le reste, je me préoccupe particulièrement des besoins propres aux prisonnières, des besoins spirituels des détenus, des disparités dans l’octroi de la libération conditionnelle, de la toxicomanie et des problèmes de sécurité dans les établissements.

Au fond, si nous voulons protéger les droits de la personne des prisonniers, il y a une question philosophique de base à nous poser. Le Code criminel nous instruit que la peine vise à dénoncer, à dissuader et à réhabiliter. Selon les principes Gladue, nous devons chercher à abaisser le taux d’incarcération des Autochtones contre qui sont portées des accusations, alors que ce taux a augmenté depuis l’arrêt Gladue. Des principes similaires s’appliquent aux peines imposées aux Afro-Canadiens trouvés coupables par les tribunaux, récemment, compte tenu du désavantage social dont ils souffrent et de leur surincarcération. Il est essentiel, dans cet examen des droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel fédéral, de réfléchir à la valeur de l’incarcération en soi. Qui devrait être incarcéré et pourquoi?

Concernant les femmes détenues, il n’y a aucun établissement fédéral qui accueille des femmes au Manitoba. Le pénitencier le plus près se trouve à Edmonton. Ainsi, les femmes trouvées coupables d’une infraction fédérale sont envoyées dans un établissement qui se trouve à 14 heures de route ou à deux heures d’avion, au coût de 4 500 $, loin de leurs proches. Il s’agit souvent de femmes monoparentales. C’est terrifiant pour les femmes confrontées à une peine fédérale, parce que la plupart des familles n’ont pas les moyens d’aller rendre visite à une personne incarcérée à Edmonton. Il est extrêmement triste de voir nos clientes recevoir leur peine, puis pleurer avec leur famille et leurs enfants pendant que le juge sort de la salle d’audience. Parfois, elles sont trop déprimées pour tirer pleinement profit des programmes offerts en détention à cause de la perte de leur famille. Leur douleur est extrêmement profonde.

Je dois souligner que la plupart des femmes que j’ai vues condamnées à des peines fédérales se sont souvent trouvées dans cette situation pour avoir aidé leur conjoint violent à faire du trafic de stupéfiants ou d’armes, ou pour avoir détenu des choses pour eux; elles reçoivent d’ailleurs souvent une peine minimale obligatoire, que le juge n’a aucun pouvoir discrétionnaire de modifier. L’incarcération est-elle vraiment la solution appropriée pour ces femmes? L’incarcération de la mère équivaut souvent à condamner l’enfant aussi, puisque les enfants placés en famille d’accueil sont beaucoup plus susceptibles d’être confrontés plus tard eux-mêmes au système de justice pénale. Les droits de la personne de l’enfant et de la famille sont en cause ici.

Pour ce qui est des besoins spirituels, le droit à la liberté de religion a changé les services spirituels qu’offre Service correctionnel Canada par ses aumôniers chrétiens. Ils font de leur mieux, mais beaucoup de détenus musulmans, juifs ou d’autres confessions se sentent aliénés.

Pour ce qui est des disparités dans l’octroi de la libération conditionnelle, bon nombre de mes collègues ont remarqué, comme moi, qu’il est beaucoup plus difficile aujourd’hui d’obtenir une libération accélérée ou anticipée que ce ne l’était il y a quelques années. Il y a beaucoup de données qui montrent que c’est encore plus vrai pour les détenus autochtones ou afro-canadiens.

Je vais vous raconter une anecdote. J’ai grandi avec un jeune homme de mon quartier que je voyais tout le temps, c’était un bon ami qui était très protecteur. Il mesurait 6 pieds 5 pouces et pesait probablement 350 livres; il jouait au football. Je ne l’ai pas vu pendant des années, puis je l’ai croisé il y a quelques années. Je lui ai demandé où il était pendant tout ce temps, et il m’a répondu qu’il se trouvait au pénitencier de Stony Mountain. Il a d’abord été trouvé coupable d’entrée par effraction. Il a été condamné à neuf ans d’emprisonnement, une peine dont il a purgé chaque jour.

Quand j’ai manifesté ma surprise qu’il n’ait pas reçu de libération conditionnelle, il m’a dit : « Zilla, disons les choses comme elles sont : j’ai purgé trois ans pour l’entrée par effraction, trois ans parce que je suis un homme noir et trois ans parce que je suis un gros homme noir. » Ce ne devrait pas être comme ça. Tout le monde devrait avoir la même chance d’obtenir une libération conditionnelle.

Finalement, concernant la toxicomanie et la sécurité, bien que ce soit un sujet très vaste, j’ai des clients qui ont fait l’objet d’enquêtes parce que des agents correctionnels avaient introduit de la drogue et de l’alcool dans des établissements à sécurité minimale et des pavillons de ressourcement. C’est documenté. Beaucoup de clients nous disent à quel point il est facile d’obtenir de la drogue au pénitencier.

De même, la prévalence des gangs pose problème. Il y a des gangs bien distinctes. On peut avoir des problèmes selon qui est placé où, si les bonnes personnes sont arrêtées par la sécurité ou si certaines personnes sont placées avec des membres d’une gang dont ils ne font plus partie vraiment.

Il y a beaucoup trop de meurtres à Stony Mountain. Presque tout le monde que je connais y a perdu un client un moment donné. Il y a beaucoup trop de passages à tabac et d’agressions. J’ai des clients qui ont été tour à tour victimes et agresseurs à Stony Mountain plus de fois que je ne peux les compter.

L’emprisonnement ne devrait pas déshumaniser la personne au point qu’elle ait peur pour sa vie en détention. Il y a beaucoup de personnes qui me disent ne pas vouloir aller à Stony Mountain parce qu’elles savent qu’elles y seront une cible si elles ont témoigné contre quelqu’un, si elles ont été coaccusées avec une autre personne, et que cette personne a l’impression de s’être fait dénoncer. Les gens sont terrifiés à l’idée de se retrouver là-bas. L’État a l’obligation d’assurer la sécurité des personnes qu’il garde en détention et de veiller à ce qu’elles en sortent réhabilitées.

Je vous remercie beaucoup de m’avoir écoutée et de vous soucier de ces enjeux. Ce fut pour moi un honneur de m’adresser à vous ce soir. Meegwetch.

Allison Fenske, avocate, Centre juridique d’intérêt public, Aide juridique du Manitoba, à titre personnel : Je commencerai par reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire du traité no 1, sur les terres natales des Anishinaabegs, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés ainsi que sur le territoire ancestral de la nation métisse. Je remercie le comité de m’avoir invitée à lui présenter mon exposé ce soir.

Je m’appelle Allison Fenske. Je suis avocate au Centre juridique d’intérêt public, ici, à Winnipeg, un centre qui se spécialise dans la défense des droits fondée sur des données probantes pour mettre en lumière les injustices et les problèmes systémiques et y remédier, notamment en ce qui concerne les droits des prisonniers et la réforme du système de justice.

Cette audience tombe à point, pendant la Semaine de la sensibilisation à la santé mentale, parce que je souhaite centrer mes observations de ce soir sur la santé mentale des prisonniers. Je commencerai, pour cela, par vous raconter un peu l’histoire de Devon Sampson, dont vous a déjà un peu parlé John Hutton ce soir.

Devon a été admis pour la première fois dans un établissement fédéral en 2005, alors qu’il avait déjà reçu un diagnostic de schizophrénie et de dépression et qu’il avait été hospitalisé pendant de longues périodes pour ces maladies. Ces faits étaient bien connus de Service correctionnel Canada, pourtant le plan correctionnel de Devon ne prévoyait rien pour traiter ses problèmes de santé mentale.

Au lieu de cela, le temps que Devon a passé en détention pour purger trois peines fédérales a vraiment été une série d’allers-retours entre sa cellule et le quartier d’isolement cellulaire. Certaines années, il a même passé plus de temps en isolement qu’ailleurs. Un moment donné, il a passé 294 jours consécutifs en isolement cellulaire. La seule raison pour laquelle il en est sorti, c’est qu’il avait fini de purger sa peine.

Lorsque Devon a été placé en isolement la dernière fois, il venait de passer environ six mois sans médicament et avait des symptômes de psychose aiguë. Seuls ses psychiatres et une infirmière en santé mentale étaient au courant. Aucun autre membre du personnel correctionnel ne le savait.

Pendant qu’il ressentait ces symptômes psychotiques, Devon a attaqué une infirmière et a été immédiatement replacé en isolement. L’infirmière en santé mentale qui traitait Devon craignait qu’il ne soit paranoïaque, psychotique et que ses comportements soient imprévisibles, mais ses craintes n’ont pas été communiquées plus largement. Les agents correctionnels chargés d’évaluer le placement de Devon en isolement n’ont souligné aucun problème à ce qu’il demeure en isolement. Ils ont même dit que le département de psychologie n’avait exprimé aucune crainte. Les preuves laissent croire que les actes de Devon ont été traités comme une menace à la sécurité, plutôt que comme des symptômes d’une plus vaste crise de santé mentale.

Le 23 novembre 2013, presque deux semaines après avoir été placé en isolement, Devon s’est suicidé. Il a utilisé son propre lacet pour se pendre dans sa cellule.

L’histoire de Devon n’en est qu’une parmi tant d’autres, mais ce n’est pas un secret que les problèmes de santé mentale sont une dure réalité pour les personnes incarcérées dans les pénitenciers fédéraux. Selon les études menées par Service correctionnel Canada lui-même, plus de 70 p. 100 des contrevenants masculins souffrent de maladies mentales, comme presque 80 p. 100 des femmes incarcérées. Chez les femmes autochtones incarcérées, le taux de maladie mentale est de 95 p. 100.

La crise de la santé mentale persiste dans les prisons canadiennes, et nous pouvons encore tirer beaucoup de leçons de l’histoire de Devon. Quand on ferme les yeux sur les problèmes de santé mentale, qu’ils sont minimisés ou faussement interprétés comme des problèmes de sécurité, ils peuvent vraiment devenir des problèmes de sécurité.

Les agents correctionnels, ceux-là mêmes qui sont les plus responsables du bien-être et de la sécurité des prisonniers au quotidien, sont ceux qui reçoivent le moins de formation sur la santé mentale dans une institution.

Le cloisonnement des interventions cause véritablement du tort aux détenus souffrant de maladies mentales. Quand un établissement peut utiliser l’isolement comme outil, il l’utilise trop souvent par défaut. La sécurité ne peut pas ainsi prévaloir sur la santé mentale.

L’isolement cellulaire n’est pas un traitement approprié et bienveillant favorisant la santé mentale. Les modifications récemment apportées à la politique de SCC, qui limite le recours à l’isolement cellulaire pour les personnes souffrant d’une maladie mentale grave, selon la définition de SCC, sont trop étroites, si bien qu’elles ne protègent pas du tout les personnes malades.

Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le traumatisme lié à l’emprisonnement lui-même non plus. L’emprisonnement lui-même est la punition, ce n’est pas le traitement en prison. Le traumatisme de l’emprisonnement est indissociable de toutes les autres souffrances que vivent les membres des groupes les plus surreprésentés dans le système de justice pénale. On ne peut pas non plus faire fi du traumatisme associé à la colonisation et à l’oppression systémique des personnes autochtones et racialisées. Sinon, l’emprisonnement ne devient qu’un autre outil d’oppression.

Le droit de la personne de jouir d’une protection lorsqu’elle souffre de maladie mentale s’inscrit dans le cadre des obligations juridiques nationales et internationales du Canada. Même quand la liberté de la personne est limitée par l’incarcération, elle conserve son droit à un juste accès à des services de santé mentale, de même que sa dignité et sa valeur humaine inhérentes.

Je vois que le temps file. J’aimerais vous présenter quelques recommandations. J’ai remis un mémoire écrit au comité, qui les présente plus en détail, mais je vous dirai simplement que les quatre éléments que je souhaite souligner sont l’importance de prêter attention à la santé mentale dans les plans correctionnels et de favoriser la santé mentale; la nécessité d’améliorer la formation sur la santé mentale offerte au personnel directement en contact avec les détenus; l’urgence d’éliminer l’isolement cellulaire ou à tout le moins d’imposer une interdiction complète du recours à l’isolement chez les prisonniers souffrant de problèmes de santé mentale et l’importance d’accroître l’utilisation de milieux thérapeutiques pour offrir des soins de santé mentale.

La présidente : Je vous remercie tous de vos témoignages de ce soir.

Nous entamerons la période de questions, et c’est la sénatrice Cordy qui brisera la glace.

La sénatrice Cordy : J’aimerais aborder d’abord toute la question de la santé et de la maladie mentales. Plusieurs d’entre vous en ont parlé brièvement, et maître Fenske, vous en avez parlé beaucoup.

Nous sommes allés visiter un certain nombre de prisons. Hier, à Saskatoon, on ne pouvait s’empêcher de se dire : « Il doit y avoir une autre solution. Ce n’est pas le bon endroit pour ces personnes. »

Vous avez dit que la définition de la santé mentale sur laquelle s’appuie le SCC ne devrait pas être si étroite. Nous recommandez-vous de modifier cette définition?

Mme Fenske : Cette définition devrait être établie par des professionnels de la santé. Elle devrait englober toutes les maladies mentales. À l’heure actuelle, l’énoncé de politique encourage l’établissement à ne pas utiliser l’isolement cellulaire pour les personnes atteintes de maladies mentales graves. Une enquête du coroner a été déclenchée après la mort de Devon Sampson. Pendant cette enquête, les employés et les avocats du Service correctionnel ont reconnu qu’il ne satisfaisait peut-être pas aux critères de maladie mentale grave établis par le SCC.

L’idée qu’une personne qui souffre de schizophrénie et de dépression et qui est activement traitée par des psychiatres au sein d’un établissement ne satisfasse pas aux critères et se retrouve en isolement, dans la plus grande solitude, dépasse l’entendement. Ce genre de jugement devrait être laissé à la discrétion des professionnels de la santé mentale, et les critères devraient certainement être plus vastes, en effet.

La sénatrice Cordy : Nous avons aussi constaté, quand nous avons visité les prisons, qu’il n’y avait pas beaucoup de personnes très formées en gestion des traumatismes. Nous savons que beaucoup de détenus ont vécu des traumatismes dans leur vie avant d’aboutir en prison et que c’est même probablement la raison pour laquelle ils s’y trouvent, parce qu’ils n’ont pas reçu d’aide.

Nous avons également entendu que les intervenants en santé mentale sont là pour aider les détenus de 9 heures à 17 heures. Donc si une personne vit un traumatisme ou connaît un épisode de crise entre 9 heures et 17 heures, elle sera chanceuse si elle peut voir un intervenant. Sinon, elle risque de devoir attendre au lendemain matin ou d’être transportée ailleurs.

Il y a peut-être d’autres témoins qui souhaiteraient répondre à cette question, mais selon votre expérience, serait-il vrai qu’il n’y a pas assez de professionnels dans le système carcéral?

Mme Fenske : Oui, je peux répondre à cette question la première. C’est clairement ce que mon expérience m’enseigne. Bien que la mort de M. Sampson remonte à 2013, l’enquête du coroner elle-même a mené à la collecte de données jusqu’en 2017-2018. Encore aujourd’hui, le département de psychologie de Stony Mountain subit des compressions, malgré le volume effarant de demandes.

Les psychiatres sont des fournisseurs externes. Ils passent une demi-journée dans l’établissement, quelques fois par semaine. L’un des psychiatres en chef à contrat doit traiter 120 patients avec une infirmière de liaison en soins psychiatriques. On parle là de 120 personnes sur les 800 détenus de Stony Mountain qui reçoivent des soins psychiatriques, donc on est loin d’inclure toutes les personnes ayant des besoins modérés en santé mentale, que ne peuvent vraisemblablement pas combler les travailleurs sociaux et les psychologues de l’établissement.

L’autre aspect très difficile, c’est que la psychiatrie relève du département des services de santé, alors que la psychologie relève d’un département séparé, qui compte des psychologues et des travailleurs sociaux. Bien qu’il y ait des lignes directrices intégrées en matière de santé mentale, elles ne s’appliquaient sûrement pas comme voulu quand M. Sampson a été incarcéré. Je ne crois pas, d’après les preuves que nous avons entendues pendant l’enquête du coroner, que les améliorations apportées aillent assez loin pour assurer des soins intégrés et adaptés aux traumatismes pour toute personne incarcérée.

Mme Jones : Si je peux ajouter une chose, j’ai remarqué qu’une grande partie des traitements que mes clients reçoivent prend la forme de thérapies de groupe. Cela ne convient pas à tous. Il y a des personnes vraiment traumatisées, comme des hommes ayant subi des abus sexuels, qui ne voudront pas en parler devant un groupe d’autres hommes. On offre beaucoup de services en thérapie de groupe. Bien sûr, si la personne n’y participe pas, on dira quand elle demandera une libération conditionnelle qu’elle n’y a pas participé, qu’elle n’a pas voulu parler en groupe, qu’elle a raté les séances de groupe.

J’ai des clients qui m’ont aussi fait part d’un autre problème, parce qu’ils n’ont pas été autorisés à continuer de voir le même psychiatre après les compressions. J’ai un client qui voyait quelqu’un avec qui il avait établi un lien de confiance après plusieurs années. L’établissement ne payait plus cette personne pour qu’elle se rende à Stony Mountain, donc mon client a dû aller voir une autre personne, avec qui il n’avait pas la même relation. Les détenus n’ont pas le choix de leur psychiatre. En fait, je pense que la personne qu’il voit n’est que psychothérapeute, ce n’est pas une personne ayant reçu une formation approfondie sur le genre de problèmes que mon client vit.

La sénatrice Cordy : Ils revivent presque leur traumatisme.

Mme Jones : Exactement.

La sénatrice Cordy : Madame Maier, vous avez parlé des systèmes carcéraux des autres pays. Je crois que vous avez donné l’exemple de la Norvège. Je suis d’accord avec vous : nous devons faire mieux et nous devons apporter des changements importants.

Vous avez recueilli une quantité importante de renseignements et de statistiques. Avez-vous songé à la façon de les présenter? Nous entendons les gouvernements parler de lutte contre la criminalité. Nous entendons parler des peines minimales obligatoires qui sont imposées. La double occupation n’était pas un problème. Si vous ne voulez pas partager une cellule, n’allez pas en prison.

Comment pouvez-vous présenter cela? Y avez-vous pensé? Je vous pose la question parce que cela m’intéresse.

Mme Maier : On pourrait le faire de diverses façons. Ce qu’il faut souligner, c’est que la supervision dans la communauté comme la libération conditionnelle est très difficile et peut aussi être douloureuse. Lorsqu’on parle aux gens qui sortent tout juste de prison, ils disent parfois que même si la vie en prison était difficile, celle en liberté conditionnelle l’est tout autant, parce qu’ils doivent trouver un emploi. Ils doivent rétablir les liens avec leur famille. Ils doivent passer par le programme. Ils doivent respecter certaines conditions. Il se passe beaucoup de choses au cours de cette période.

Si les gens sont non pas en prison, mais dans une maison de transition, ils ne sont pas libres. C’est plutôt le contraire. Ils subissent encore un contrôle très strict de la part du personnel de la maison de transition et des agents de libération conditionnelle. Ils travaillent avec divers fournisseurs de traitement. Je crois qu’il est important d’expliquer cela parce que certaines personnes ne comprennent pas à quoi ressemble la vie dans une maison de transition. Les gens doivent se rapporter chaque fois qu’ils se déplacent dans leur communauté, lorsqu’ils sortent du travail pour aller se chercher un café, par exemple. C’est très complexe et les gens ne le savent pas toujours.

Je parle souvent à mes étudiants d’une autre façon de voir les choses. Chaque personne qui entre en prison devra éventuellement en sortir, à moins qu’elle n’y meure. Lorsque nous parlons d’incarcération, nous devons penser à la libération. Dès qu’une personne entre en prison, on devrait se centrer sur sa sortie.

C’est là-dessus qu’on devrait centrer nos efforts. Lorsque je pense aux maisons de transition — même dans le cadre d’une approche sévère à l’égard de la criminalité —, je crois que nous devrions nous concentrer sur les éléments positifs associés à la réintégration et à la libération d’une personne.

La sénatrice Pate : Nous vous remercions tous pour votre travail dans ces domaines.

J’aimerais essayer à nouveau de poser quelques questions. Si vous n’étiez pas là lorsque nous avons entendu le dernier groupe de témoins, sachez que mes questions ont porté à confusion. J’espère que ce ne sera pas le cas cette fois-ci, mais on ne sait jamais.

La présidente : Vous pouvez les poser séparément.

La sénatrice Pate : Je sens aussi que nous n’avons pas beaucoup de temps.

Le modèle des maisons de transition dont vous parlez a été mis en place après la Seconde Guerre mondiale, parce que c’est ainsi que la plupart des hommes célibataires vivaient. De nombreuses personnes ont critiqué ce modèle parce qu’ils trouvent qu’il n’est plus approprié. Je me demande si vous avez songé au recours aux articles 81 et 84, qui se centrent surtout sur la réduction du nombre d’Autochtones dans les prisons ou en libération conditionnelle dans la communauté. Ils permettent aussi le recours à des approches individualisées. Le paragraphe 2 de ces dispositions permet le recours à ces approches pour les prisonniers non autochtones. C’est une question.

J’ai aussi une question au sujet de la santé mentale. Avez-vous étudié l’article 29 afin d’en accroître le recours devant les tribunaux? Nous avons entendu dire que dans nombre des établissements — on a parlé de celui de Stony Mountain aujourd’hui —, les personnes qui devraient offrir des services en santé mentale ne le font pas. Ces personnes deviennent très institutionnalisées et interviennent de la même façon que les agents correctionnels, en raison de la pression qu’elles subissent, probablement. Vous avez dit qu’elles en venaient à évaluer si une personne pouvait demeurer en isolement, et non si cette personne avait besoin d’autres types d’intervention, lorsqu’il est question d’accords d’échange de services et du recours à l’article 29 pour justifier la libération d’une personne.

Au Canada, 14 personnes purgent de multiples peines d’emprisonnement à perpétuité depuis 2011. Ce n’est pas vrai que tout le monde peut sortir de prison. À l’heure actuelle, 14 personnes ne sortiront jamais de prison en raison des modifications apportées à la détermination des peines et de la situation que nous décrivons.

Je crois que c’est Mme Potashnik ou Mme Jones qui a soulevé la question des femmes emprisonnées, qui sont séparées de leurs enfants. J’ai été surprise aujourd’hui lorsque nous avons vu l’exposition sur Mandala. L’une des premières choses qu’a faites Nelson Mandala lorsqu’il est devenu président — et peu de gens le savent — a été de libérer toutes les femmes emprisonnées qui avaient des enfants de moins de 12 ans. Je ne me souviens plus du nom du cas en particulier, mais récemment, le Brésil a pris une décision similaire. On a libéré toutes les femmes en détention provisoire en plus des femmes incarcérées qui avaient des enfants de moins de 12 ans, en se fondant sur l’affaire Hugo en Afrique du Sud.

J’aimerais savoir si vous avez des exemples de mesures similaires prises ici. Avez-vous vu des tentatives de recours aux mesures recommandées par Louise Arbour en ce qui a trait à la gestion des peines, à l’interférence du système correctionnel avec les sanctions légitimes, aux périodes d’isolement prolongées, au manque d’accès aux programmes et à l’éloignement des enfants et de la communauté?

J’ai posé beaucoup de questions. Vous avez le choix de répondre à celle que vous voulez.

Mme Maier : Je peux commencer. Je n’ai pas étudié l’article 81 de façon particulière, mais je crois que j’ai des idées semblables à cela. D’une part, je parle de décarcération et de placer les gens à proximité de leur communauté ou, à tout le moins, à proximité des services de bien-être, des services de santé mentale, des possibilités d’emploi et ainsi de suite. Bien sûr, des mesures sont déjà en place au Canada pour atteindre cet objectif. D’autre part, j’essaie de trouver de nouvelles façons de faire.

De façon particulière, lorsqu’on pense aux obstacles qui nuisent à la réintégration, le choc de la sortie de prison est énorme. Au cours des premiers jours, des premières semaines et des premiers mois, les gens doivent rétablir les liens avec la famille et les amis, trouver un logement, trouver un emploi et faire face à la stigmatisation. Même obtenir une pièce d’identité représentait un défi pour les personnes que j’ai interrogées dans le cadre de ma recherche. Pour éliminer ces obstacles, nous pouvons trouver des façons de garder les gens dans la communauté et voir si d’autres solutions sont possibles.

Je dirais que les maisons de transition sont une structure déjà en place. Nous pouvons songer à la façon dont nous utilisons ce système à l’heure actuelle. Est-ce que c’est logique? Est-ce qu’on pourrait élargir ce système et revoir son utilisation pour l’avenir?

Mme Jones : Je peux répondre à la question sur les femmes et à votre question au sujet des solutions de rechange créatives. Encore une fois, les peines minimales obligatoires représentent une importante restriction à cet égard. Aussi, il est impossible d’annuler les ordonnances de sursis pour bon nombre des infractions liées à la drogue et des infractions soi-disant violentes. Le juge a les mains liées.

Bon nombre des juges qui aimeraient éviter la prison à ces femmes voient leurs possibilités restreintes sans une contestation réussie de ces peines minimales, ce que n’arrivent pas toujours à faire les avocats. Les juges doivent envoyer les femmes au pénitencier ou doivent à tout le moins leur imposer une peine d’emprisonnement. Il faut revoir le régime de détermination des peines, surtout en ce qui a trait aux principes de l’arrêt Gladue, aux Canadiens d’origine africaine et à d’autres groupes désavantagés.

C’est une très bonne solution de rechange, lorsqu’elle est offerte. Je sais que bon nombre de femmes s’en sont très bien sorties avec les sursis. Ces peines sont strictes. Ce n’est pas une carte blanche. Comme l’a dit mon amie, les gens qui ont une peine avec sursis doivent respecter de nombreuses conditions. C’était une erreur que de les éliminer parce qu’on les jugeait trop clémentes.

En fait, les gens purgent souvent une plus longue peine dans ces cas-là parce qu’ils ne voient pas leur peine réduite, comme c’est le cas dans les établissements correctionnels. S’ils se voient imposer une peine de deux ans avec sursis, c’est la peine qu’ils purgeront. Pendant tout ce temps, ces gens devront se rapporter aux autorités et devront respecter certaines limites. Je crois que bon nombre de juges auraient recours à ces outils, mais ils ne peuvent plus le faire.

La sénatrice Pate : Est-ce que vous recommandez au comité de revoir les peines minimales obligatoires?

Mme Jones : Tout à fait. Je recommande d’examiner les peines minimales obligatoires et de songer à les réduire pour permettre le retour des peines avec sursis.

Nous avons aussi des peines discontinues qui peuvent être purgées les fins de semaine, mais le tribunal pénal ne le permet que pour les peines de 90 jours et moins. Cette possibilité devrait être offerte pour des peines plus longues, peut-être deux ans moins un jour. Cela permettrait aux femmes de rester à la maison avec leurs enfants la semaine; quelqu’un d’autre pourrait s’en occuper la fin de semaine. Dans la mesure du possible, ces femmes pourraient travailler dans la collectivité la semaine ou prendre soin de leurs enfants. À l’heure actuelle, cette possibilité n’est offerte que pour les peines de 90 jours ou moins. Une autre option consiste à purger la peine toutes les fins de semaine, ce qui fait en sorte que ces femmes doivent se rapporter et respecter certaines limites pendant une longue période.

Mme Fenske : Je ferais écho aux commentaires de Mme Jones au sujet du régime de détermination de la peine, de l’abolition des peines minimales obligatoires et des possibilités de peines discontinues, et d’autres solutions créatives.

Pour répondre à votre question, madame Pate, au sujet du recours à l’article 29, je dirais qu’il est sous-utilisé et qu’il représente une possibilité de transfert vers un environnement thérapeutique. Il y a quelques étapes à respecter. Tout d’abord, il faut investir plus dans les programmes et services de soutien en santé mentale pour veiller à ce que les gens qui souffrent de maladies mentales ne se retrouvent pas dans le système de justice pénale et ne soient même pas incarcérés.

Trop souvent, ces gens sont emprisonnés parce que la communauté n’a pas su répondre à leurs besoins en santé mentale. En gros, on les punit pour leur déficience. Bon nombre de ces personnes ne devraient tout simplement pas se retrouver en prison.

Bon nombre des personnes en prison pourraient être prises en charge dans un environnement thérapeutique associé à des dispositions de sécurité. Il faut investir davantage dans ces possibilités à l’extérieur des prisons; c’est très important.

Un autre élément auquel j’ai fait référence dans mes notes d’exposé, c’est le recours accru aux environnements thérapeutiques à l’intérieur des prisons. Ce serait une bonne chose pour les gens qui doivent être incarcérés, ce qui représente un petit nombre, à mon avis. Il y a les milieux de vie avec services de soutien et les rangées réservées aux délinquants ayant des troubles de santé mentale. Le SCC tend à modifier les noms de temps en temps. On y offre des interventions de niveau intermédiaire. Ces zones ont un nombre restreint de lits, donc on parle de 22 jusqu’à un maximum de 33 lits pour l’établissement de Stony Mountain, pour une population de 800 délinquants, et on y offre du soutien supplémentaire, l’appui d’un agent de libération conditionnelle en établissement — à raison d’un pour un, ou presque — et un contact régulier avec une équipe qui adopte une approche beaucoup plus holistique à l’égard de la planification correctionnelle.

Je crois qu’il s’agit de l’une des meilleures pratiques au sein de l’établissement. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas offrir ces services à plus de gens. De nombreux outils sont déjà en place.

La première chose que j’envisagerais, ce serait de sortir les gens des prisons. Pour ceux qui doivent y rester, je proposerais d’accroître les possibilités d’accès à un environnement thérapeutique ou d’établir une aile psychiatrique accréditée à même la prison.

Au Manitoba, les gens qui ont besoin de soins psychiatriques doivent être transférés au centre psychiatrique régional. La décision de transférer une personne est prise par le directeur de l’établissement. Les psychologues peuvent uniquement faire des recommandations. Si une personne a besoin des soins offerts par le centre, alors elle doit être transférée en dehors de la province pour les recevoir. Alors qu’on tente d’offrir plus de soutien en santé mentale, on éloigne ces gens du soutien familial dont ils pouvaient bénéficier. C’est préoccupant.

Je pense à un client qui a retiré son consentement au traitement parce qu’il ne voulait pas renoncer aux visites de sa grand-mère. Il refuse de recevoir des soins et ne voulait pas être transféré au centre psychiatrique régional. Il savait qu’il avait besoin de ces soins et qu’on pouvait lui offrir, mais il ne voulait pas y aller.

La présidente : Ce sont des décisions difficiles à prendre. Nous n’avons presque plus de temps, mais j’avais quelques questions à vous poser. Je vous remercie de votre indulgence.

J’aimerais poser une question à Alexa Potashnik. Vous avez parlé de l’isolement des Canadiens d’origine africaine dans les Prairies, de façon particulière. Je me demande quelle est l’incidence d’un tel isolement social sur l’expérience des Afro-Canadiens dans le système carcéral des Prairies.

Mme Potashnik : Puisqu’un peu moins de 3 p. 100 de la population noire habite au Manitoba, comme je l’ai dit plus tôt, énormément de gens sont isolés. Lorsqu’il n’y a qu’une seule personne de race noire dans une collectivité, les ressources communautaires lui permettant d’entrer en contact avec des gens dont elle se sent proche sont limitées.

Dans le système carcéral de Stony Mountain, d’après ce que j’ai entendu dans la collectivité, concernant le travail que nous réalisons sur le terrain là-bas, il y a un petit nombre de détenus noirs. Cela fait en sorte qu’il n’y a pas beaucoup de possibilités pour les Noirs incarcérés d’établir des liens avec d’autres Noirs puisqu’ils sont les seuls en prison. Ils n’ont personne à qui parler de leur expérience surtout en ce qui concerne le racisme et la discrimination envers les Noirs.

C’est difficile à définir, car il n’y a pas de preuve concrète. Ce sont des témoignages empreints d’émotion que me livrent des gens, des familles et des amis qui purgent deux ou trois ans d’emprisonnement dans l’établissement de Stony. Il s’agissait souvent d’hommes noirs; disons que sur 30 détenus, il y avait un homme noir. Ils sont peu nombreux et il n’y a pas de bases leur permettant de parler de leur expérience avec d’autres personnes.

Il faut qu’il y ait un système. Lorsque je faisais des recherches sur la stratégie relative à la justice applicable aux Afro-Canadiens, qui est similaire à la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones, l’African Canadian Legal Clinic a été présentée. Je crois comprendre que les choses n’ont pas vraiment décollé à l’échelle nationale. Évidemment, le racisme envers les Noirs existe toujours au Canada, mais c’est aussi le cas pour d’autres communautés de couleur. Bien qu’il y ait un grand nombre d’autres détenus de couleur, les Noirs subissent encore le racisme. Ils ne peuvent pas établir de relations avec d’autres personnes de couleur dans le système.

On doit faire une réévaluation et créer un groupe d’aide. Voilà le fondement de Project Heal. Bien que nous ne travaillons pas auprès de gens incarcérés, l’isolement social est très répandu. Il y a peu de communautés de Noirs dans les quartiers de Winnipeg. Nous sommes très dispersés.

La présidente : J’ai une autre brève question qui s’adresse à Zilla Jones. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné que bien des gens ont peur d’être incarcérés à Stony Mountain en raison de ce qu’ils ont vécu auparavant et des choses qu’ils ont entendues.

Pouvez-vous nous dire comment le personnel gère la situation des gangs qui s’affrontent et d’autres types de conflits qui peuvent survenir?

Mme Jones : Je crois comprendre que les gens sont évalués par le personnel de la sécurité lorsqu’ils sont admis dans un pénitencier. Certains d’entre eux étaient dans un établissement provincial auparavant. Ils ont déjà été en détention provisoire et sont maintenant transférés. Certains n’étaient peut-être pas en détention et le sont maintenant. D’après ce qu’on me dit, il faut à l’établissement habituellement deux semaines pour déterminer où ils placeront les détenus. Il y a une aire d’attente. Les membres du personnel de l’établissement discutent avec ceux de l’établissement d’où proviennent les détenus pour vérifier s’ils ont des liens avec un gang. Ils leur demandent avec qui ils peuvent être logés et avec qui ils ne peuvent pas l’être. Ils leur demandent s’il y a des membres de leur famille dans l’établissement et s’ils s’entendent bien avec eux. Ils font toutes ces vérifications et déterminent la cote de sécurité par la suite.

Certaines personnes seront classées au niveau de sécurité maximale; d’autres peuvent d’abord être classées au niveau de sécurité moyenne. Cela comprend différents niveaux. À Stony, il y a des membres du gang Indian Posse. C’est l’un des gangs importants de la province. Le gang Manitoba Warriors en est un autre. Les deux ne s’entendent pas. C’est le cas de la plupart des gangs. La majorité des autres gangs n’aiment pas Indian Posse. Ils doivent s’assurer que, s’ils sont liés à l’un ou à l’autre, il n’y a pas de contact entre eux. Si un membre d’un gang voit un membre de l’autre gang, il le tuera, et les gens le savent.

De plus, il y a la question de savoir s’ils témoigneront contre quelqu’un ou s’il y a d’autres raisons pour lesquelles une personne ne les aime pas. Ce qui peut constituer un problème pour les gens, c’est s’ils sont en train de purger une peine et qu’ils témoignent. Ils disent que tout le monde les voit partir et savent qu’ils dénonceront des gens. Ils ne veulent pas retourner en prison ce soir-là, mais ils doivent le faire, car ce sont des détenus.

Il y a toutes ces questions de sécurité. Les membres du personnel font de leur mieux pour que les gens soient dans un endroit sécuritaire, mais ils ne peuvent pas les surveiller 24 heures sur 24. Il arrive qu’une porte reste ouverte et qu’en quelques secondes, un détenu entre pour en battre un autre. Certains de mes clients l’ont fait et d’autres l’ont subi.

Parfois, pour que les choses se passent bien pour eux dans l’établissement, ils doivent devenir membres d’un gang, surtout les jeunes détenus. C’est un problème pour bon nombre de jeunes de 18 ou 19 ans qui en sont à leur première infraction. On les envoie à Stony Mountain. Ils sont recrutés. Je sais que parfois, des détenus blancs sont recrutés par les groupes suprémacistes blancs. S’ils viennent d’une collectivité qui compte un grand nombre de membres du gang Indian Posse, il peut s’agir de ce gang. Cela dépend du gang. Il y a des motards.

Ils seront initiés. Ce qu’ils doivent faire, entre autres, lorsqu’on les initie, c’est battre quelqu’un. Les supérieurs organisent le tout, commandent le coup et ordonnent à des gens de le faire. Un de mes clients a ordonné un tel acte et on a constaté qu’il avait demandé à un jeune de s’en prendre à quelqu’un.

Souvent, les gardiens observent ce qui se passe de loin. Ils font de la surveillance, mais par vidéo. Si la situation devient trop dangereuse, ils n’interviennent pas, car ils ne veulent pas prendre de risques pour eux-mêmes. Ils ont des pistolets Taser et d’autres armes, comme des carabines. S’ils ne peuvent pas s’approcher suffisamment, ils se retireront. Ils verrouilleront les portes et appelleront des renforts, mais ils ne s’en mêleront pas. Pendant ce temps, une personne peut être battue au point d’en perdre conscience.

Les détenus le savent et ils sont terrifiés. S’ils savent qu’ils purgeront une peine fédérale bientôt, ils ne sentent pas qu’ils seront protégés. C’est une réelle préoccupation pour la sécurité.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de votre présence, de vos témoignages et des réponses que vous nous avez fournies. Nous vous remercions d’avoir pris le temps de venir comparaître. Si vous voulez nous soumettre des mémoires, nous serons ravis de les recevoir.

Nous accueillons un témoin pour le groupe ouvert. Vous pouvez tous rester si vous le souhaitez.

Je demanderais à Mme Serena Hickes de se présenter.

Serena Hickes, à titre personnel : Je m’appelle Ekwalak, mais en anglais, je m’appelle Serena. Je suis une Inuite qui a grandi dans le Sud. Mon père est allé à l’externat dans le Nord. Il était déterminé à offrir à ses enfants une éducation occidentale de sorte que nous puissions y inclure notre culture.

Je comparais devant vous à titre personnel. Je suis en quelque sorte liée à Elizabeth Fry, mais pas en ce moment. Je veux le signaler. Je suis étonnée de ne pas avoir entendu le point de vue des Inuits. Les Inuits sont incarcérés dans le Sud, surtout s’ils sont malades, car il n’y a pas de système de soins de santé durable au Nunavut. Parce que la population est faible, les spécialistes ne peuvent pas rester parce qu’ils perdront leur permis de spécialiste. Il y a des gens qui ont une maladie chronique, surtout des problèmes de santé mentale qui résultent habituellement de leur expérience dans les pensionnats ou les externats. Je crois qu’ils ont oublié à quel point c’était horrible. Non seulement ils ont subi des traitements horribles dans les pensionnats, mais à 3 h 30 ou à 4 heures, on les envoyait chez leurs parents qu’on leur enseignait à détester et dans une culture qu’on leur enseignait à détester et à ne pas pratiquer.

J’ai des tatous dont je suis très fière, car ma grand-mère, ma nanachuk, aurait été arrêtée et emprisonnée si elle avait montré qu’elle était fière de sa culture.

Concernant le fait que nous sommes sur le territoire visé par le traité no 1 incluant cinq groupes linguistiques et les Métis de la rivière Rouge, comment choisissent-ils leur aîné? Ils excluront quelqu’un. Comment choisissent-ils qui les représentera? Il y a cinq groupes linguistiques. Il y a les Métis. Il y a les Inuits et l’odeur de la sauge.

C’est ce qui nous ramène à la question du traumatisme. Il m’a fallu beaucoup de temps pour accepter qu’à mon domicile, où je fais de la purification, je doive faire très attention lorsque des membres de ma famille viennent, surtout mes tantes, mes oncles et les aînés. Je dois le cacher en raison de ce que cela pourrait déclencher, surtout s’ils ont été incarcérés. Des membres de ma famille ont été incarcérés. Pour les Inuits, un billet aller-retour pour visiter un membre de la famille coûte au moins 2 000 $. Un grand nombre d’Inuits comptent sur nous, qui vivons dans le Sud, pour leur rendre visite. Toutes les prisons qui se trouvent dans le Sud du Manitoba ont l’habitude de voir mon nom, car je n’y vais pas en tant que travailleuse sociale, mais en tant qu’amie de la famille. Je suis là pour aider à maintenir l’accès à la culture.

Il est vraiment frustrant que ce ne soit toujours pas un sujet. Tout comme le disait Alexa Potashnik, bien des membres de notre peuple sont tellement marginalisés qu’ils n’arrivent pas à s’intégrer. Chaque matin, quand je me réveille, je suis la méchante Autochtone. On me dit de retourner chez moi, et je me dis que je ne peux pas. J’ai un enfant qui souffre de trois troubles de santé chroniques. Je ne peux pas retourner chez moi.

Le racisme que subissent les Inuits est dur. Je suis une femme qui a fait des études, qui a deux diplômes, et je fais face au racisme semaine après semaine parce que je suis la méchante autochtone dans cette province. Peu de gens aiment mon effronterie à cet égard, mais je le dis. Dans nos prisons du Sud, la composante culturelle est inexistante. C’est même le cas au Nunavut, pour tout dire.

Je veux également parler des soins préventifs. Je vais prendre le sadisme sexuel comme exemple. Une personne qui reçoit un tel diagnostic d’un psychiatre judiciaire qui lui recommande de rencontrer un psychologue judiciaire une ou deux fois par semaine n’a pas les moyens de le faire. Ce n’est pas couvert. Ce ne sera couvert que si la personne commet un crime.

Qu’en est-il de nos soins préventifs? Je pourrais vous donner une longue liste de soins préventifs qui pourraient être fournis dans cette seule province, mais je vais utiliser cela comme l’exemple extrême. Les services des psychologues judiciaires ne sont pas couverts. Comment est-il possible que nous alimentions les activités pénitentiaires? J’ai entendu la sénatrice Pate demander ce que nous pouvons faire dans notre collectivité. Il s’agit d’aider les gens avec des soins préventifs de sorte qu’ils n’utilisent pas notre système carcéral comme une porte tournante.

Je crois que c’est Zilla Jones qui a dit qu’ils refusent de suivre un traitement. S’il y a quelqu’un comme moi qui leur rend visite, ils ne seront pas chassés. Il est frustrant de voir que nous ne pouvons même pas offrir une telle chose. Je suis convaincue que seulement une très faible proportion des gens devraient être en prison. Il est ridicule que nous agrandissions et construisions encore des prisons, mais c’est une tout autre histoire. C’est ce que j’aimerais faire valoir.

La sénatrice Pate : Je vous remercie de soulever la question. En tant que femme inuite, vous avez soulevé des questions que nous n’avons pas nécessairement examinées. Comme vous le savez probablement, il y a des prisons dans la région où l’on envoie des hommes inuits, et la plupart des femmes inuites se retrouvent à Joliette ou en Colombie-Britannique.

On parle d’un petit nombre, mais cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas en tenir compte. Je vous remercie.

Il s’agit d’une observation, et non pas vraiment d’une question.

La sénatrice Cordy : On ne nous a pas parlé des questions que vous avez soulevées. On nous a certes parlé des soins préventifs et en grande partie du manque de psychiatres et de psychologues. On nous a également parlé des coûts. Très peu de gens ont un régime de santé. Même s’ils en ont un, il ne couvre pas la totalité des coûts et les services d’un psychologue judiciaire.

J’ai entendu votre observation selon laquelle seule une petite proportion de gens devrait être en prison. Je crois que nos témoins précédents ont beaucoup parlé de solutions de rechange à l’incarcération que nous devrions examiner. Merci.

Mme Hickes : Je vous remercie beaucoup de m’avoir permis de témoigner.

La présidente : Serena, nous ne vous avons pas encore invitée à vous retirer.

Mme Hickes : J’étais terrible à l’école parce que je ne tenais pas en place.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de votre présence et de vos témoignages. En fait, un de nos analystes, Jean-Philippe, me rappelait que nous avions rencontré deux détenus inuits au Nouveau-Brunswick. Ils ont exprimé beaucoup de frustrations sur un certain nombre de choses, comme la nourriture, l’accès restreint à de la nourriture propre à leur culture et le manque d’attention accordée à leurs besoins quant aux cérémonies.

J’ignore si autre chose vous a frappé en quelque sorte. Il essaie de me parler pendant que j’essaie d’écouter et je l’invite donc à intervenir directement.

Jean-Philippe Duguay, analyste, Bibliothèque du Parlement : J’ajouterais seulement la représentation des aînés. Ils se sentent doublement discriminés en raison de cela. L’un d’entre eux a été placé dans une cellule où, je crois, un appareil de chauffage ou autre chose fonctionnait tout le temps juste au-dessus de sa tête. L’appareil ne s’arrêtait pas. Ils ne savaient pas où placer le détenu, car il ne convenait pas vraiment de le placer ni avec les autres Autochtones, ni avec la population générale.

La présidente : Cela met en évidence ce que vous disiez et confirme vraiment que les gens subissent de l’isolement et de la marginalisation parce qu’ils constituent le « méchant groupe d’Autochtones » dans cette région du pays. C’est de l’information très importante pour nous.

Mme Hickes : Ce que vous avez dit au sujet de l’appareil de chauffage est drôle, car nous sommes des conteurs. Vous m’avez accordé cinq minutes, et je ne croyais jamais pouvoir réussir.

J’ai toujours chaud dans le Sud. D’autres femmes me disent : « Ah, c’est la ménopause », mais c’est simplement parce que je suis une Inuite. J’ai toujours chaud. C’est un aspect que les gens ne prennent pas en considération. Même lorsqu’ils sont transférés à l’hôpital, les membres de ma famille m’envoient des messages, et je sais immédiatement pourquoi. C’est parce qu’ils veulent avoir un ventilateur. Si vous voyez un Inuit timide ou silencieux, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Nous sommes en fait pleins de vitalité et nous sommes turbulents. Ils se sentent très marginalisés lorsqu’ils me demandent de me rendre au bureau des infirmières et de demander aux gardiens de leur donner un ventilateur.

La présidente : Ils se sentent marginalisés et démunis. Cela fait partie des conditions qui sont établies dans l’ensemble de ce complexe carcéral.

Mme Hickes : Oui.

La présidente : Une fois de plus, je vous remercie beaucoup de votre présence, de l’intérêt que vous portez à l’étude et de vos observations. Vos témoignages seront consignés.

Je remercie tout le monde d’avoir été présent et d’avoir contribué aux travaux.

(La séance est levée.)

Haut de page