Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule n° 35 - Témoignages du 7 novembre 2018
OTTAWA, le mercredi 7 novembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour étudier les questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : la situation des droits de la personne des Rohingyas).
La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, et bienvenue. Avant d’entendre nos témoins, j’aimerais que les sénatrices se présentent.
La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse. Je suis présidente du comité.
Depuis la fin d’août 2017, plus de 725 000 réfugiés rohingyas ont fui au Bangladesh pour échapper à la violence au Myanmar, où ils constituent une minorité musulmane apatride. La grande majorité des réfugiés rohingyas qui arrivent au Bangladesh sont des femmes et des enfants, y compris des nouveau-nés. Beaucoup d’autres sont des personnes âgées qui ont besoin d’aide et de protection supplémentaires.
En septembre et octobre 2017, le comité a tenu deux réunions et entendu 16 témoins. De plus, en juin dernier, nous avons accueilli l’honorable Bob Rae, envoyé spécial du premier ministre auprès du Myanmar. Nous voulons maintenant faire le point sur les difficultés des réfugiés rohingyas.
La réunion d’aujourd’hui se divise en deux parties. Durant la première heure, nous allons accueillir le haut-commissaire du Bangladesh, puis, durant la deuxième heure, un représentant du Réseau des droits de la personne rohingya, M. John Packer, un spécialiste des droits de la personne.
J’aimerais maintenant souhaiter à nouveau la bienvenue devant le comité à Son Excellence Mizanur Rahman, haut-commissaire de la République populaire du Bangladesh. Je vous demanderais de bien vouloir présenter le personnel qui vous accompagne. Vous pourrez ensuite présenter votre déclaration.
Mizanur Rahman, haut-commissaire, Haut-Commissariat de la République populaire du Bangladesh : Pour commencer, j’aimerais que les membres de mon personnel se présentent.
Miah Md. Mainul Kabir, conseiller, Haut-Commissariat de la République populaire du Bangladesh : Je m’appelle Miah Md. Mainul Kabir, conseiller du Haut-Commissariat de la République populaire du Bangladesh.
Md. Shakhawat Hossain, conseiller, Aile des passeports et des visas, Haut-Commissariat de la République populaire du Bangladesh : Je m’appelle Shakhawat Hossain, conseiller du Haut-Commissariat de la République populaire du Bangladesh.
M. Rahman : Madame la présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, Mme Wanda Thomas Bernard, honorables membres du comité et distingués invités, bonjour à vous tous.
Pour commencer, je remercie sincèrement le Comité sénatorial permanent des droits de la personne de tenir cette audience sur la violation sans précédent des droits de la personne dans l’État de Rakhine, au Myanmar, et l’exode consécutif de ressortissants du Myanmar déplacés de force vers le Bangladesh et de m’avoir invité à comparaître une deuxième année de suite.
J’aimerais commencer par souligner l’origine ethnique de la population des Rohingyas qui vivent au Myanmar. Les Rohingyas de l’Arakan sont un mélange de personnes de diverses races et cultures, y compris des Indiens, des Bengalais, des Arabes, des Perses et des Afghans d’Asie centrale. D’un point de vue linguistique, ils parlent le pachtoune, l’arabe, l’ourdou et le portugais de pair avec le bengali. Les registres historiques britanniques et d’autres registres donnent à penser que les musulmans de Rakhine étaient là bien avant l’annexion de l’endroit par les Britanniques en 1824. Les Rohingyas se sont établis dans l’Arakan ou dans l’État de Rakhine après 1825, et ils sont donc devenus autochtones bien avant l’indépendance du Myanmar ou de la Birmanie en 1948. Par conséquent, leur affinité avec le bengali ne justifie aucunement qu’ils soient considérés comme étant des Bengalais.
Honorables sénatrices, la cause profonde de la crise des Rohingyas au Myanmar, c’est le déni systématique de leur citoyenneté — un droit de la personne — par les autorités du Myanmar et non un déficit en matière de développement. C’est quelque chose qui a été reconnu clairement dans le rapport de la commission de Kofi Annan. Selon la loi sur la citoyenneté de 1982 de la Birmanie, les Rohingyas sont des étrangers. Depuis 1962, les régimes militaires successifs au Myanmar ont pris des mesures planifiées pour marginaliser, persécuter et, au bout du compte, priver du droit de vote l’ensemble des Rohingyas dans l’État de Rakhine. Ils ont été privés de liberté de mouvement, d’éducation et de services publics.
Les Rohingyas au Myanmar ont été expulsés de force de leur pays d’origine vers le Bangladesh en plusieurs phases. En 1978-1979, plus de 290 000 Rohingyas ont trouvé refuge au Bangladesh avant d’être ensuite rapatriés au Myanmar. La deuxième vague d’expulsion de près de 250 000 Rohingyas du Myanmar a eu lieu en 1992. À ce moment-là, 236 599 Rohingyas avaient été rapatriés au Myanmar avec l’aide du HCR. La troisième vague a commencé en 2012 et consiste en l’exode de 87 000 personnes en octobre 2016 et l’expulsion massive sans précédent de près de 700 000 ressortissants du Myanmar déplacés de force depuis le 25 août 2017. Actuellement, le Bangladesh accueille environ 1,1 million de Rohingyas.
Avant d’être expulsés de force vers le Bangladesh, les Rohingyas ont subi des atrocités horribles, y compris, entre autres, des massacres, l’incendie de maisons et de propriétés et la violence sexuelle. Nos principaux chefs politiques ne doutent aucunement que la violence et la persécution dont ont été victimes les Rohingyas équivalent aux crimes les plus graves en vertu du droit international. Notre première ministre, Sheikh Hasina, a décrit les crimes comme un génocide, des crimes contre l’humanité et du nettoyage ethnique dans un discours prononcé pendant les 72e et 73e séances de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Dans son rapport, la mission internationale indépendante d’établissement des faits au Myanmar du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a conclu que les crimes contre les Rohingyas dans l’État de Rakhine étaient perpétrés par les forces de sécurité du Myanmar avec une intention génocidaire, tandis que des crimes de guerre et les crimes contre l’humanité étaient commis dans les États de Rakhine, de Kachin et de Shan.
Le Bangladesh, sous le leadership responsable et réceptif de la première ministre Sheikh Hasina, a ouvert sa frontière et accueilli les Rohingyas en détresse, malgré divers défis pour notre économie, notre écologie et ainsi de suite. Le Bangladesh a géré avec succès cette urgence humanitaire, ce qu’apprécie la communauté internationale. Ces ressortissants du Myanmar déplacés de force ont reçu toutes sortes d’aide humanitaire, y compris des abris, de la nourriture, des soins de santé, la sécurité, de l’eau et des installations sanitaires, et ce, uniquement pour des motifs humanitaires.
Les organismes des Nations Unies et nos partenaires internationaux offrent leur pleine coopération dans le cadre de la prestation de l’aide humanitaire. Des hôpitaux de campagne et des centres de soins de santé primaire fournissent des soins de santé aux Rohingyas. Le gouvernement du Bangladesh a approuvé les lignes directrices pour les intervenants humanitaires qui offrent dans la langue du Myanmar une éducation informelle aux enfants rohingyas jusqu’à 14 ans. Je tiens à souligner que mettre trop l’accent sur l’éducation et sur les moyens de subsistance à l’intention des ressortissants du Myanmar déplacés de force au Bangladesh pourrait, à cette étape-ci, constituer un facteur d’attraction. Le problème vient du Myanmar, et la solution ultime consiste en leur retour durable là-bas.
Le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a visité des camps de Rohingyas au Bangladesh en août 2018 et il a demandé qu’on tienne responsables de leurs actes les gens à l’origine de l’horrible persécution des musulmans rohingyas au Myanmar. Il a dit qu’il n’y avait aucune excuse pour retarder la recherche de solutions dignes pour les Rohingyas et leur permettre de retourner chez eux en toute sécurité et dans la dignité.
Le 6 septembre 2018, la Cour pénale internationale a statué qu’elle avait la compétence sur le crime contre l’humanité d’expulsion commis contre des Rohingyas. Le Bangladesh, conformément à son engagement à respecter les normes internationales, a répondu à la requête de la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale concernant sa compétence sur les atrocités commises au Myanmar. Le Bangladesh coopérera avec la Cour pénale internationale dans l’exercice de sa compétence sur l’expulsion forcée des Rohingyas de l’État de Rakhine du Myanmar, y compris le déni possible de leur droit de retour.
Durant la 72e séance de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 21 septembre 2017, notre honorable première ministre Sheikh Hasina a demandé aux Nations Unies et à la communauté internationale de prendre des mesures immédiates et efficaces en vue de trouver une solution permanente à la crise. Elle a proposé cinq mesures immédiates.
Premièrement, le Myanmar doit mettre fin sans condition à la violence et au nettoyage ethnique dans l’État de Rakhine immédiatement et pour toujours.
Deuxièmement, le secrétaire général des Nations Unies doit immédiatement envoyer une mission d’enquête au Myanmar.
Troisièmement, tous les civils — peu importe leur religion et leur ethnie — doivent être protégés au Myanmar, de façon à ce qu’on puisse créer des zones de sécurité à l’intérieur du Myanmar sous la supervision des Nations Unies.
Quatrièmement, il faut assurer le retour durable de tous les Rohingyas déplacés au Bangladesh chez eux, au Myanmar.
Cinquièmement, il faut appliquer immédiatement, totalement et sans condition les recommandations du rapport de Kofi Annan.
Plus tard cette année, en septembre 2018 aux Nations Unies, l’honorable première ministre du Bangladesh a formulé une recommandation comptant trois volets afin de régler la crise des Rohingyas.
Premièrement, le Myanmar doit abolir les lois, les politiques et les pratiques discriminatoires à l’endroit des Rohingyas et s’attaquer aux causes profondes des déplacements forcés de façon authentique et en temps opportun.
Deuxièmement, le Myanmar doit créer un environnement propice en instaurant la confiance et en garantissant la protection, les droits et la voie vers la citoyenneté pour tous les Rohingyas. Au besoin, une zone de sécurité devrait être créée à l’intérieur du Myanmar pour protéger tous les civils.
Troisièmement, il faut prévenir les crimes atroces commis contre les Rohingyas au Myanmar en instaurant la responsabilisation et la justice, particulièrement à la lumière des recommandations de la mission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.
L’incapacité de trouver une solution durable à la crise a des répercussions sur la sécurité du Bangladesh et de toute la région. Les doléances non résolues de toute la communauté des Rohingyas devraient préoccuper tous les intervenants. Le Bangladesh reste déterminé à appliquer ses politiques de tolérance zéro à l’égard de l’extrémisme violent et de la radicalisation de tout genre et indépendamment de la manifestation. Le Bangladesh a coopéré avec la communauté internationale, y compris le Myanmar, à ce sujet et est prêt à continuer de le faire.
Le Bangladesh, en tant que voisin responsable, maintient des relations bilatérales actives avec le Myanmar depuis plus d’une décennie pour régler la question du rapatriement. Nous avons conclu trois instruments nécessaires au rapatriement sûr, sécuritaire et dans la dignité des ressortissants du Myanmar déplacés de force au Myanmar de façon à assurer leur rétablissement et leur réintégration dans la société du Myanmar. L’accord-cadre sur l’arrangement en vue du retour des personnes déplacées de l’État de Rakhine a été signé le 23 novembre 2017 par les ministres des Affaires étrangères du Bangladesh et du Myanmar. Par la suite, on a créé un groupe de travail conjoint, un GTC, et établi son mandat de même qu’un instrument bilatéral sur les arrangements physiques en vue du rapatriement. Ces trois instruments ont créé un espace permettant la participation internationale, et le Bangladesh a déjà fait participer le HCR au processus.
Dans le cadre de nos engagements bilatéraux avec le Myanmar, le Bangladesh a souligné la nécessité de la sincérité et du sérieux des autorités du Myanmar de sorte qu’elles créent un environnement propice à la sûreté, la sécurité et l’accès à la subsistance et aux droits des rapatriés éventuels dans l’État de Rakhine.
Durant la réunion des ministres de l’Intérieur des deux pays, le 16 février 2018, le Bangladesh a remis au Myanmar une liste de 8 032 personnes ou 1 678 familles. Il s’agit d’un premier lot de personnes devant faire l’objet d’une vérification de leur statut de résidence au Myanmar. En réponse, le Myanmar avait, au 30 octobre 2018, vérifié 4 355 Rohingyas.
La troisième réunion du groupe de travail conjoint au niveau des ministres des Affaires étrangères a eu lieu à Dhaka, le 29 octobre 2018. Durant cette réunion, le Myanmar s’est engagé à commencer le processus de rapatriement d’ici la mi-novembre, cette année, grâce au transfert physique de 2 260 Rohingyas dont la résidence avait été vérifiée dans l’État de Rakhine. De plus, 65 personnes déplacées de la communauté hindoue — dont on a confirmé qu’il s’agissait des citoyens naturalisés du Myanmar — seront aussi rapatriés dans le premier lot. Durant cette réunion, le Bangladesh a remis la liste du deuxième lot de 5 213 familles comprenant 22 432 personnes à la délégation du Myanmar aux fins de vérification.
Les représentants du Myanmar ont décrit leurs plans détaillés pour assurer la réhabilitation durable des rapatriés dans l’État de Rakhine, y compris la construction de maisons et de villages, la sécurité, les moyens de subsistance, l’éducation, les soins de santé et ainsi de suite, et ce, en collaboration avec le HCR, le PNUD et l’OMS et grâce à l’aide de la Chine, du Japon, de l’Inde et de la Thaïlande.
Le Bangladesh veut que le processus de rapatriement commence immédiatement pour garantir le retour volontaire des Rohingyas déplacés de force dans leur patrie ancestrale, et ce, dans la sécurité et la dignité. Par conséquent, nous avons accepté de commencer le processus de rapatriement d’un nombre relativement restreint de personnes vérifié jusqu’à présent par les autorités du Myanmar dès que possible. En tant que membre de la communauté internationale, il est de la responsabilité du Myanmar de respecter ses engagements et de garantir les droits des Rohingyas après leur retour. Si les Rohingyas ne peuvent pas retourner chez eux, ces engagements ne peuvent pas être mis à l’épreuve, et d’autres mesures ne peuvent pas être envisagées.
Le Bangladesh apprécie le soutien de la communauté internationale dans le cadre de la crise des Rohingyas, particulièrement des pays amis comme le Canada. C’est grâce à l’engagement actif de la communauté internationale que le Myanmar a pris les devants et conclu des accords bilatéraux. Nous espérons que la communauté internationale ne perdra pas de vue cet enjeu et poursuivra son engagement avec le Myanmar. La communauté internationale doit continuer à trouver de plus en plus de possibilités pour le Myanmar de participer à un processus de rapatriement durable en créant un environnement propice.
Le Canada est un champion des droits de la personne. Le Bangladesh remercie le Canada de son rôle actif à l’échelle internationale pour résoudre de façon durable la crise des Rohingyas. L’aide humanitaire du gouvernement du Canada aux Rohingyas vulnérables est très importante pour gérer les ressortissants du Myanmar déplacés de force. Les visites au Bangladesh de la ministre canadienne du Développement international, Marie-Claude Bibeau, et de la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, ainsi que le rapport de l’envoyé spécial de l’honorable premier ministre du Canada au Myanmar, qui a mis la question de la citoyenneté des Rohingyas au Myanmar à l’avant-plan, ont été très appréciés.
Le Bangladesh accorde une grande valeur au soutien du Canada sur la tribune internationale. À cet égard, nous remercions le Canada d’avoir coparrainé le projet de résolution de l’OCI-UE sur la situation des droits de la personne au Myanmar, qui a été déposée devant les Nations Unies le 16 novembre 2018. Cette résolution souligne la responsabilité, demande une enquête complète et approfondie sur les violations des droits de la personne des Rohingyas et demande qu’on mette rapidement en branle le mécanisme indépendant et permanent établi par le Conseil des droits de l’homme.
Je tiens à rappeler heureusement que le Canada a coparrainé la résolution sur la question des Rohingyas l’année dernière durant la réunion de la troisième commission de l’Assemblée générale des Nations Unies. Nous sommes également favorables à l’adoption des résolutions au Parlement canadien, y compris l’imposition de sanctions contre les responsables militaires du Myanmar et le fait de demander qu’ils soient poursuivis devant la Cour pénale internationale.
J’aimerais souligner avec beaucoup d’inquiétude le dernier incident lié au tir non provoqué de 41 cartouches par la police frontalière du Myanmar le 4 novembre 2018. Cet incident récent à la frontière a causé de graves blessures à deux personnes, y compris un ressortissant du Bangladesh et un ressortissant du Myanmar déplacé de force qui restait dans un camp au Bangladesh.
Comme je l’ai mentionné précédemment, la solution ultime à la crise des Rohingyas se trouve au Myanmar, là d’où vient le problème. Nous exhortons le Canada à poursuivre le Myanmar conformément aux propositions que notre honorable première ministre du Bangladesh a formulées durant l’Assemblée générale des Nations Unies aux organismes mondiaux, soit qu’on mette immédiatement et sans conditions en œuvre la recommandation de la commission de Kofi Annan, et ce, de façon exhaustive pour assurer le retour durable, volontaire et dans la dignité des Rohingyas myanmars déplacés de force.
Le Bangladesh souligne également la nécessité d’une volonté politique du gouvernement du Myanmar pour garantir la réussite du processus de rapatriement et de l’intégration des rapatriés dans la société du Myanmar. Le Bangladesh croit que l’expérience du premier lot de rapatriés, qui doit commencer au milieu de novembre, est cruciale puisqu’elle aura une incidence sur les rapatriés subséquents. Le Bangladesh croit aussi que la responsabilisation est un aspect nécessaire pour créer un environnement favorable et rétablir la confiance parmi les Rohingyas. Nous espérons que l’engagement actif du Canada permettra de créer un tel environnement favorable au Myanmar et d’assurer la responsabilisation liée au rapatriement durable et à l’intégration sociale au Myanmar de tous les ressortissants du Myanmar qui ont été déplacés de force.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup, Votre Excellence, d’être venu nous aider dans le cadre de notre étude. Nous procédons par étapes pour obtenir des mises à jour. Je sais que vous avez comparu devant le comité il y a un peu plus d’un an, et je vous remercie d’être revenu.
Comme vous l’avez mentionné dans vos notes d’allocution, la situation est devenue plus complexe, et les chiffres augmentent. Le gouvernement du Bangladesh a-t-il remarqué des nouveautés au cours de la dernière année, depuis votre dernière comparution? Je sais que les chiffres augmentent, mais y a-t-il des choses précises qui se passent dont nous devrions être au courant?
M. Rahman : Comme je l’ai mentionné, ces chiffres datent de l’année dernière. L’exode se poursuit encore, mais dans une moindre mesure. Après ma comparution l’année dernière, nous avons pu conclure trois accords avec le Myanmar. Et maintenant, le processus de rapatriement doit commencer à la mi-novembre. Nous demandons maintenant aux autorités internationales, et surtout aux autorités canadiennes, de rester concentrées et de mettre l’accent sur les enjeux liés à la responsabilisation. Les crimes qui ont été commis sont des crimes contre l’humanité. La notion de responsabilisation doit aussi être au rendez-vous, et il faut rester concentré pour que le processus de rapatriement se poursuive en temps et lieu.
La sénatrice Cordy : Je pense que vous avez dit, à juste titre, que les Rohingyas doivent pouvoir retourner chez eux en toute sécurité, donc se rendre en sécurité au Myanmar, mais aussi y être en sécurité une fois qu’ils seront là. Vous avez aussi dit qu’il faut le faire en assurant la dignité des gens.
Voyez-vous des solutions au Myanmar? Voyez-vous des progrès dans la recherche d’une solution? Vous avez parlé du rapatriement, et je sais que votre gouvernement a envoyé des listes de familles. L’une comptait plus de 1 800 familles, et une liste récente en comptait plus de 5 000, ce qui est un bon début. Comment les responsables réagissent-ils en ce qui concerne la vérification de citoyenneté au Myanmar?
M. Rahman : Vous remarquerez peut-être que, au départ, nous avions envoyé une liste de 8 032 personnes. Récemment, nous avons reçu une liste d’un peu plus de 4 000 personnes. Du nombre, le premier lot compte environ 2 200 personnes. Il a fallu un certain temps pour obtenir de tels chiffres des autorités du Myanmar, mais, d’un autre côté, nous essayons toujours de faire tout ce que nous pouvons pour que les Rohingyas puissent retourner sur leurs terres ancestrales le plus rapidement possible.
C’est prévu pour la mi-novembre. De notre côté, nous espérons que ce sera le cas, et nous verrons bien. Tout ça dépend aussi du fait que la communauté internationale garde la situation à l’œil.
La sénatrice Cordy : On s’attend à ce que les 4 000 familles déménagent à la mi-novembre.
M. Rahman : Comme je l’ai mentionné, le premier lot compte environ 2 260 personnes. En tout, sur les 8 032 personnes, le Myanmar en a vérifié 4 355. J’imagine que, au bout du compte, 4 355 personnes retourneront. D’ici là, durant la troisième réunion du groupe de travail conjoint, nous avons remis au Myanmar un autre lot de 22 433 personnes aux fins de vérification.
La sénatrice Cordy : La raison pour laquelle les Rohingyas ont fui tient aux problèmes liés au fait qu’ils n’étaient pas des citoyens à part entière du pays. La communauté internationale surveillera-t-elle ceux qui retournent au Myanmar pour s’assurer que ceux-ci vivent dans la dignité et en sécurité?
M. Rahman : C’est une question très importante. Du côté du Bangladesh, nous préconisons le rapatriement volontaire. Nous ne forçons personne. Aussi, comme vous le savez peut-être, le Bangladesh a initialement conclu des accords avec le HCR et le PNUD. Le Myanmar l’a aussi fait en juin dernier. Il travaille aussi bien au Bangladesh que de leur côté.
Il y a aussi des autorités qui surveillent le transfert. Bien sûr, comme nous l’avons souligné, des conditions vivables permettent un retour sécuritaire et un moyen de subsistance. Ce sont des choses qu’il faut garantir. Les autorités du Myanmar nous ont dit qu’elles sont en train de créer des abris et des installations en coopération avec tous les pays que j’ai mentionnés ici.
La sénatrice Cordy : Il ne suffit pas de se rendre physiquement là-bas.
M. Rahman : Bien sûr. C’est le nécessaire, parce que, sinon, le rapatriement ne durera pas.
La sénatrice Cordy : Absolument.
M. Rahman : L’histoire nous apprend qu’ils sont revenus.
M. Kabir : Durant la dernière réunion de groupe qui a eu lieu le 29 octobre, le secrétaire aux Affaires étrangères du Myanmar s’est engagé à construire des maisons et des villages. Du côté du Bangladesh, nous avons posé des questions sur les progrès réalisés jusqu’à présent pour assurer le séjour sécuritaire et dans la dignité des Rohingyas du Myanmar dans leur pays d’origine. En fait, ils veulent retourner dans leur village, pas dans des abris temporaires.
Il a aussi été dit que, dans un premier temps, ils allaient être transférés dans des abris temporaires, mais, cette fois-ci, les autorités du Myanmar se sont engagées à ce que, au bout du compte, tous soient rapatriés sur leur terre d’origine et on veillera à leur sécurité, leur sûreté et leur liberté de déplacement. Il y a une restriction selon laquelle les Rohingyas ne peuvent pas sortir de l’État de Rakhine. Cette fois-ci, les responsables se sont engagés à prendre les arrangements nécessaires pour permettre la liberté de mouvement au sein du Myanmar.
Ils ont aussi pris des arrangements quant à des installations d’éducation et de santé. Jusqu’à présent, nous savons qu’il n’y a pas d’installation de santé ni d’éducation dans l’État de Rakhine, au Myanmar, pour les Rohingyas. Cette fois-ci, les autorités se sont engagées à le faire et nous avons déjà discuté des initiatives qui ont été entreprises.
Dès le début du processus, le Bangladesh a voulu faire participer la communauté internationale. Cette fois-ci, le secrétaire aux Affaires étrangères du Myanmar a mentionné vouloir permettre la participation du PNUD, du HCR et de l’OMS, l’Organisation mondiale de la Santé, pour permettre une telle participation. De façon bilatérale, l’Inde, la Thaïlande et le Japon participeront, par exemple, à la construction des maisons. Le Japon, l’Inde et la Thaïlande fourniront une assistance. Ces pays et d’autres organismes internationaux sont déjà engagés et participent déjà à des travaux de construction et dans d’autres dossiers.
L’heure est venue de s’assurer que les engagements pris par le Myanmar sont vraiment respectés. La volonté politique est très importante. Le Bangladesh, dès le début, a souligné durant la réunion conjointe du groupe de travail conjoint, la volonté politique des autorités du Myanmar. Après la réunion, il y a eu un point de presse. Le 30 octobre, ils ont visité les camps des Rohingyas au Bangladesh. Le secrétaire aux Affaires étrangères du Myanmar a aussi parlé et discuté de toutes ces choses avec les Rohingyas.
Il reste maintenant à voir si le Myanmar respectera son engagement. Nous pouvons mettre à l’essai cette expérience avec le premier lot de personnes qui partiront.
La sénatrice Martin : Votre Excellence, pour poursuivre sur la lancée de la sénatrice Cordy concernant le retour sécuritaire, si possible, des Rohingyas au Myanmar, vous avez mentionné des zones de sûreté. Vous avez aussi mentionné déjà que ces zones seraient possiblement surveillées par les Nations Unies.
J’essaie de voir de quelle façon ces zones de sûreté pourraient être créées et quel serait le rôle du Bangladesh pour aider à créer de telles zones. Si les gens fuient le pays d’où ils viennent, j’essaie d’imaginer comment ce serait possible. Vous pourriez peut-être nous en dire plus sur les discussions que vous avez eues à cet égard.
M. Rahman : Les zones de sûreté sont une idée. Actuellement, on nous a dit que, une fois les personnes de retour là-bas, elles seront amenées dans un camp d’accueil où elles resteront quelques jours. De là, elles passeront à un camp de transition où elles resteront quelques semaines. On nous dit que les camps de transition seront près des villages, et, de là, elles pourront éventuellement retourner chez elles. C’est le processus actuel tel que nous l’ont décrit les autorités du Myanmar.
M. Kabir : Il y a un engagement du côté du Myanmar — ou, en fait, une proposition du Bangladesh — selon lequel le groupe de travail conjoint surveillera les progrès au Myanmar quant à la façon dont le pays respecte son engagement. Le Myanmar a aussi accepté la tenue d’une visite conjointe du Bangladesh et du Myanmar de tous les abris ou villages afin de confirmer le respect des engagements.
M. Rahman : L’hébergement de ces personnes est un engagement international exigeant beaucoup de ressources. Essentiellement, le rapatriement est chose faite, et ces gens doivent retourner chez eux. Il est préférable qu’ils soient rapatriés le plus rapidement possible en créant des zones de sûreté au Myanmar. C’est l’une des notions, oui.
La sénatrice Martin : Dites-vous que les zones de sûreté seront, au bout du compte, le village d’où les gens viennent ou d’autres villages?
M. Rahman : Ce pourrait être le cas. C’est une notion qui évolue, et on tente encore de la définir.
La sénatrice Martin : Il y aura plusieurs étapes. Idéalement, il y aura un camp de réception pour quelques jours.
M. Rahman : C’est ce qu’on nous dit. Les autorités du Bangladesh ont accepté d’amorcer le processus de rapatriement même si le nombre de rapatriés n’est pas très élevé. Nous avons 1,1 million de Rohingyas. Après huit mois, nous avons dressé une liste d’un peu plus de 4 000 personnes et, du nombre, il y en a 2 260.
Nous voulons amorcer le processus parce que nous croyons que, une fois le processus enclenché, si de bonnes conditions existent dans l’État de Rakhine, ces gens agiront comme des catalyseurs. Ils le diront à d’autres personnes, ce qui créera un environnement propice. C’est pour cette raison que nous avons accepté les chiffres.
M. Kabir : Dans les deux mois qui ont suivi la signature de l’entente avec les ministres des Affaires étrangères, l’année dernière, le processus de rapatriement était censé commencer. Cependant, nous constatons jusqu’à présent que ce n’est pas encore le cas. D’ici la mi-novembre, le Myanmar s’est engagé à commencer le processus de rapatriement.
Qu’on parle d’un petit chiffre ou d’un gros chiffre, 1,1 million, c’est assurément préoccupant pour le Bangladesh. Nous voulons commencer le processus par ce genre de cas type. Au bout du compte, il faut régler le problème lié au rapatriement de 1,1 million de personnes dans leur pays.
La sénatrice Martin : Je comprends que nous devons commencer quelque part. Comme vous le dites, le chiffre augmente. Je peux imaginer l’impact que cela a eu sur le peuple bangladais et le fait que vous avez dû répartir vos ressources.
Avant de poser la deuxième partie de ma question pour ce qui est du camp de réception, du camp transitoire puis, au bout du compte, de l’arrivée au village, le système est-il en place pour entreprendre le processus?
M. Rahman : C’est ce dont nous avons été informés durant la troisième réunion du groupe de travail conjoint. C’est le processus envisagé par les autorités du Myanmar pour ramener ces gens. Une fois le début du processus de rapatriement enclenché, nous comprendrons de quelle façon ces choses fonctionneront conformément à l’engagement.
La sénatrice Martin : Est-ce que les Rohingyas ont eu un rôle à jouer? Ont-ils été consultés d’une façon ou d’une autre? Est-ce qu’ils sont prêts à retourner? Qui garantira leur sécurité durant le processus?
M. Rahman : Comme nous le disons depuis le début, le processus de rapatriement sera volontaire. Les Rohingyas se sont enregistrés auprès de nous et d’autres autorités. Je crois que les autorités du Myanmar ont aussi visité des camps de Rohingyas pour leur parler. C’est seulement après ces visites que le processus de rapatriement a commencé.
Du côté du Bangladesh, nous avons toujours mis l’accent sur le fait que ce devait être volontaire. Sinon, on se retrouvera avec le même problème si on renvoie ces gens de force. Nous faisons attention à ce sujet. Ce sont des gens dont on parle, et le rapatriement est volontaire.
La sénatrice Martin : La sécurité est primordiale.
M. Rahman : Bien sûr.
La sénatrice Martin : Si le processus ne fonctionne pas, lorsqu’on l’entreprendra, on y mettra un terme.
M. Rahman : Il s’agissait de la troisième réunion du comité conjoint. Durant la deuxième réunion du comité conjoint, le Bangladesh a demandé au Myanmar de parler des diverses mesures prises quant à la subsistance. On ne nous a pas donné cette information, mais, durant la troisième réunion, on nous a dit, comme mon collègue l’a dit — qu’il s’agissait là des mesures qui allaient être prises, y compris le fait de renforcer la confiance et les mesures de sécurité. Pour cette raison, nous sommes en train de rapatrier ces gens.
M. Kabir : En ce moment, ils ont reconnu qu’ils font intervenir des partenaires internationaux, des organismes internationaux et des pays voisins, comme je l’ai mentionné.
La sénatrice Andreychuk : Pour revenir sur les mêmes questions, je suis un peu confuse. Il y aura certaines mesures de rapatriement, mais elles seront volontaires. Vous espérez commencer bientôt.
M. Rahman : Oui.
La sénatrice Andreychuk : Y a-t-il déjà une liste des personnes qui veulent retourner conformément aux modalités actuelles que vous avez négociées? Dans l’affirmative, combien sur 1,1 million?
M. Rahman : Je vais vous l’expliquer à nouveau : il y a 1,1 million de Rohingyas. Le Bangladesh a remis sa première liste le 16 février 2018. La liste comptait 8 032 personnes.
Dans les accords que nous avons signés, il est indiqué que, une fois la liste envoyée, le Myanmar doit utiliser ses méthodes pour vérifier que ces personnes sont des résidants. Ils ont procédé aux vérifications et en sont venus à une liste de 4 355 Rohingyas. Ils ont autorisé le retour de ces personnes. Ils veulent qu’elles reviennent. Le premier lot de ces Rohingyas approuvés — il y en a 2 260 — retournera, et c’est en vertu du même processus que les autres retourneront ensuite.
Lorsque nous avons dit que le Bangladesh était prêt à rapatrier les 2 260 Rohingyas, nous avons, en même temps, remis une deuxième liste comptant 22 432 personnes. On procédera par phases, et tout le processus de rapatriement sera volontaire.
La sénatrice Andreychuk : S’il s’agit d’un processus de rapatriement volontaire, ça semble un processus progressif. Cela peut être bon ou pas, je ne suis pas sûre. On verra bien comment les choses fonctionnent.
M. Rahman : Il y a 1,1 million de personnes, alors nous ne pouvons pas renvoyer tout le monde d’un coup. Il faut y aller de façon progressive.
La sénatrice Andreychuk : Je comprends. Cependant, vu les expériences horribles qu’ont vécues ces gens, nous avons aussi des rapports selon lesquels le niveau de confiance est bas. Qu’arrivera-t-il si les gens ne veulent pas retourner, malgré toutes les assurances et malgré l’intégration graduelle? Quel est le plan pour ceux qui ne peuvent absolument pas retourner ou qui ne veulent pas retourner?
M. Rahman : Nous voulons mettre l’accent sur le fait qu’ils retourneront. Nous verrons s’il y a des problèmes. Par exemple, les gens qui se sont inscrits l’ont fait volontairement. Personne ne les force. Ils se sont enregistrés volontairement pour retourner. Ces 8 000 ou 22 000 personnes se sont déjà inscrites volontairement.
Notre préoccupation, c’est maintenant de les renvoyer là-bas le plus rapidement possible. Puisqu’ils se sont portés volontaires et qu’ils veulent retourner, je ne crois pas qu’ils diront ne plus vouloir retourner. Comme je l’ai dit, tout dépendra de la sincérité du côté du Myanmar, à la lumière des choses qu’ils nous ont dites, quant à la création de zones de sûreté, d’une situation sécuritaire, des moyens de subsistance et tout le reste. Une fois ces personnes là-bas, elles agiront comme des catalyseurs. Elles diront aux autres que la situation est sécuritaire.
L’heure est maintenant venue de penser à les renvoyer.
M. Kabir : Ils veulent retourner dans leur terre natale. C’est l’idée de base. Le Bangladesh ne les a jamais forcés.
M. Rahman : Nous ne forçons personne. Comme vous le savez, il y a environ 400 000 personnes de l’exode ou de l’incident précédent au Bangladesh. Ces personnes sont arrivées après le 25 août 2017, et les autres étaient là depuis 1992. Nous ne forçons personne à retourner. Ils retourneront systématiquement.
La sénatrice Andreychuk : Et s’ils ne veulent pas? Il reste des personnes de 1992. Allez-vous traiter ces 1,1 million de personnes de la même façon que vous avez traité les autres, c’est-à-dire qu’ils pourront rester s’ils ne veulent pas retourner?
M. Rahman : Concentrons-nous pour commencer sur combien retournent, et on verra ensuite.
La sénatrice Andreychuk : Sur un autre sujet, vous avez reçu ces gens, je crois que la communauté internationale a souligné et compris les difficultés liées au fait d’héberger autant de personnes.
Y a-t-il une volonté collective au sein du Parlement de soutenir cette initiative? Avez-vous inclus les partis de l’opposition dans ce plan et ce projet?
M. Rahman : Tout le monde au Bangladesh, chaque parti, veut que les Rohingyas retournent chez eu le plus rapidement possible. À cet égard, il n’y a rien d’autre : tout le monde veut que ces gens retournent chez eux le plus rapidement possible.
La sénatrice Andreychuk : Je vais m’arrêter ici.
M. Rahman : Comme vous le savez, il n’y a aucun avantage pour le gouvernement, l’opposition ou quiconque de les garder au Bangladesh. Tout le monde veut qu’ils retournent, oui, de façon sécuritaire et dans la dignité.
La sénatrice Martin : J’ai une question à vous poser, Votre Excellence, sur le rôle de la communauté internationale. Même si les Rohingyas sont au Bangladesh, ils sont beaucoup. Vous avez des voisins, des pays du G7 et des membres des Nations Unies, entre autres.
Pouvez-vous parler précisément du rôle du Canada et ce que nous pouvons continuer à faire ou ce que nous pourrions faire davantage et de ce que pourraient aussi faire les autres pays voisins et d’autres partenaires qui, selon vous, peuvent jouer un rôle important?
M. Rahman : Le rôle principal à assumer, c’est de continuer de se concentrer sur le Myanmar. Nous remercions la communauté internationale, y compris le Canada. Le Canada a participé de près et a nommé un envoyé spécial. Récemment, j’ai vu une contribution du Canada et de la Banque mondiale pour soutenir l’éducation informelle des enfants rohingyas.
J’ai dit dans ma déclaration que notre honorable première ministre du Bangladesh a soulevé trois points devant les Nations Unies. En bref, le premier point, c’est d’abolir la loi discriminatoire. Le deuxième, c’est de tenter de mettre en place un environnement favorable, et, le troisième point, c’est la responsabilisation. À ces sujets, nous avons besoin que le Canada continue de s’assurer que ces trois propositions sont mises en œuvre.
Le plus important, c’est que la question de la responsabilisation se pose bel et bien, et justement, la récente résolution de l’OCI-UE a été déposée le 16 novembre. Le Canada l’a coparrainée. Nous remercions beaucoup le Canada à cet égard. La résolution demande aussi la responsabilisation et le début rapide d’opérations dans le cadre du mécanisme indépendant continu établi par le Conseil des droits de l’homme.
Le Canada peut jouer un rôle à cet égard en veillant à la responsabilisation, et cette dernière créera un environnement favorable au Myanmar pour permettre le rapatriement durable de ces gens. Le premier élément, c’est d’assurer la responsabilisation; le deuxième, c’est l’aide financière que le Canada donne; le troisième, c’est qu’il faut continuer de se concentrer sur ce dossier. Ce sont les trois choses importantes.
La sénatrice Martin : Je m’interroge au sujet des citoyens du Bangladesh qui sont près de la zone des réfugiés. Pouvez-vous nous en parler? J’aimerais qu’on se concentre sur eux. Quels sont leurs défis? Qu’est-ce qui se produit? Je peux imaginer, en tant que gouvernement, d’essayer de régler la crise tout en prenant soin de ses propres citoyens.
M. Rahman : Il y a 1,1 million de personnes, cela a un impact énorme sur l’environnement, la situation socioéconomique et tout le reste. Pour cette raison, nous voulons que le rapatriement commence le plus rapidement possible.
J’ai mentionné le récent incident des coups de feu à la frontière. Les résidants du Bangladesh ont essuyé des tirs, pas seulement des gens du Myanmar. Tous ces gens se trouvent dans une situation très sérieuse. Pour cette raison, nous voulons commencer le rapatriement le plus rapidement possible de façon sécuritaire et avec dignité, bien sûr, et ce doit aussi être volontaire.
C’est important de savoir que, tant que ces gens sont là, c’est un groupe vulnérable. Ils peuvent être victimes de terrorisme. Il y a aussi un enjeu sécuritaire pour la région et les gens.
La sénatrice Martin : C’est très complexe.
M. Kabir : En fait, il y a plus de Rohingyas que de résidants du Bangladesh qui vivent dans la région connue sous le nom de Cox’s Bazar. C’est la région où ils restent.
M. Rahman : À notre connaissance, pour ce qui est du nombre total, il y a plus de Rohingyas maintenant au Bangladesh qu’au Myanmar. La plupart sont là maintenant.
La présidente : Votre Excellence, j’ai une question complémentaire à celle qui a été posée par la sénatrice Martin concernant ce qui se produit au sein de la communauté bangladaise.
Pour le compte rendu, pouvez-vous nous parler de certaines des répercussions que vous constatez?
M. Rahman : Des répercussions sur quoi?
La présidente : Sur la population locale.
M. Rahman : Comme je viens de le mentionner, la situation crée un environnement où nous devons héberger toutes ces personnes dans une région, et un des aspects de tout ça, c’est la déforestation. J’étais là. Les honorables ministres étaient là. On assiste à de la déforestation. Il y a aussi des enjeux liés à la sécurité et des enjeux financiers liés au fait d’héberger 1,1 million de personnes.
Dans le premier cas, l’honorable première ministre Sheikh Hasina a accepté d’accueillir ces gens pour des considérations purement humanitaires. Elle a dit que, en 1971, lorsque nous étions un pays qui luttait pour son indépendance, plus de 10 millions de Bengalais ont trouvé refuge sur le territoire de notre voisin indien. C’est quelque chose que nous avons nous aussi entendu, et nous comprenons les souffrances. Pour cette raison, nous avons accueilli ces personnes. La première ministre du Bangladesh a aussi dit que, si nous pouvons nourrir 160 millions de personnes, nous pouvons nourrir 1,1 million de personnes de plus pendant un certain temps. Comme nous l’avons mentionné, le principal aspect, la considération principale en est une de caractère. C’est en raison de son caractère que le Bangladesh a accueilli ces gens dans leur détresse.
La présidente : Au nom du comité, je remercie sincèrement d’avoir fait une mise à jour à notre intention et fait part de votre point de vue sur la situation de réfugiés rohingyas.
Nous allons maintenant passer à nos deux prochains témoins. Nous accueillons Yasmin Ullah, présidente du Réseau des droits de la personne Rohingya. Elle participe par vidéoconférence de Vancouver. Nous accueillons aussi, en personne, John Packer, directeur du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne de l’Université d’Ottawa.
Madame Ullah, la parole est à vous.
Yasmin Ullah, présidente, Réseau des droits de la personne Rohingya : Merci de m’avoir permis de vous raconter mon histoire et celle de mon peuple. Je suis une Rohingya née à Buthidaung, dans le Nord de l’État de Rakhine, au Myanmar. Même si bon nombre des membres de ma famille et de mes proches ont fui vers des pays différents et sont dispersés sur des continents différents, mes familles élargies résident toujours principalement au Myanmar, même après la campagne d’attaques militaires brutales contre des civils, en août 2017.
Ce qu’ont vécu et continuent de vivre de nombreuses minorités au Myanmar, particulièrement les Rohingyas, peut sembler un phénomène récent pour certaines personnes. J’aimerais profiter de cette occasion pour signaler que la persécution à laquelle mon peuple fait face jour après jour n’est pas nouvelle.
À la fin de 1942, Hafeza Khatun, enfant âgée d’un chef du village d’Aphokwa, dans le canton de Kyautaw, est sortie jouer avec ses amis et son frère, Abdhul Hashim. Durant cette époque, une émeute attisée par la haine de certaines personnes de la collectivité de Rakhine, armée par des soldats japonais fascistes, avait éclaté dans de nombreuses régions d’Arakan, maintenant connu sous le nom d’État de Rakhine. La foule ciblait les Rohingyas, les torturant, les tuant et les violant, pillant leurs biens et incendiant leurs maisons.
Hafeza et son frère ont vu ce qui s’était produit et ont couru chercher refuge dans le meilleur endroit auquel ils pouvaient penser, leur maison. Ils ont cherché des visages familiers seulement pour se rendre compte que leur famille entière, y compris leurs parents, avait été tuée. Leur village entier avait été anéanti. Ils n’ont eu d’autre choix que de fuir la douleur et la souffrance dont ils avaient été témoins. Hafeza avait 13 ans, et Abdhul Hashim n’avait que 9 ans. Ils ont plus tard trouvé refuge dans le canton de Buthidaung et ont grandi sans l’amour et la supervision qu’ils méritaient en tant qu’enfants. Hafeza Khatun est ma grand-mère, aujourd’hui décédée.
À ma connaissance, il y a dans chaque famille rohingya une grand-mère qui a dû subir certaines caractéristiques différentes du génocide. Ce n’est pas unique à moi ou à ma propre famille, mais c’est un fait courant de la douleur partagée que subit chaque Rohingya.
En 1995, je n’étais qu’une enfant de trois ans quand ma mère, Aseeah Kasim, a décidé d’emporter nos maigres biens et de fuir le Myanmar. Mon père s’était déjà enfui, mais il n’avait pas pu nous emmener. La situation dans l’État de Rakhine avait empiré pour les Rohingyas. Nous n’avions plus le droit d’aller à l’école. L’accès aux hôpitaux ou aux établissements de soins de santé devenait de plus en plus difficile ou nous était simplement refusé. Les terres agricoles appartenant aux Rohingyas étaient saisies. De très grands nombres d’hommes, et parfois de femmes, étaient incarcérés sans procès. Les nouveau-nés ne pouvaient plus être enregistrés sur des certificats de naissance. Les Rohingyas étaient opprimés et humiliés parce qu’ils s’appelaient Rohingyas, comme c’est le cas aujourd’hui.
On pourrait peut-être voir ma mère comme une visionnaire, parce qu’elle avait alors prédit, à l’époque, que ce que l’avenir nous réservait ne serait pas meilleur. Elle s’est lancée dans cette aventure, devant choisir de laisser derrière elle sa terre natale, plaçant sa destinée entre les mains des trafiquants de personnes militaires du Myanmar, qui ont soutiré une fortune à ma mère désespérée. Ma mère est montée à bord d’un grand bateau avec ces prédateurs, espérant seulement que ce qui nous attendait dans l’avenir serait mieux que ce que nous avions laissé derrière nous.
Elle a vu les vastes possibilités et l’accès à des études supérieures que je pourrais avoir et qu’elle n’avait jamais eus. Elle a risqué sa vie, s’occupant d’un bambin sur un bateau plein d’hommes en uniforme qui, à de nombreuses occasions, ont essayé de profiter d’elle. Si elle n’avait pas été assez forte pour répliquer et si elle n’était pas restée réveillée pendant trois jours et trois nuits, nous n’aurions peut-être jamais pu nous rendre.
Cette situation n’est pas unique à ma mère ou à ma famille. Les mères rohingyas ont très peu de moyens pour survivre. Pourtant, la seule chose pour laquelle elles ont mis leur vie en jeu, c’est l’espoir que leurs enfants vivraient une vie meilleure.
Je suis ici pour vous parler en tant que Rohingya et femme parce que mon peuple ne peut le faire. Cela me fait de la peine de penser, et peut-être que de nombreuses autres personnes de la diaspora rohingya éprouvent la même peine, que nous avons vécu ce que nous considérerions comme une vie luxueuse dans nos villages. Malgré le confort dont nous jouissons dans un tiers pays bon et généreux comme le Canada, j’ai une dette envers mon peuple puisqu’ils portent tous la haine, la perte et les cicatrices pour que certains d’entre nous puissent aller de l’avant. Une vie luxueuse pour nous, c’est être libres de préjudices corporels, avoir un abri qui nous protège contre les conditions météorologiques extrêmes et avoir de quoi manger à chaque repas de la journée.
Pour terminer, j’aimerais vous dire deux choses et signaler que, comme le dit ma famille à Buthidaung et à Sittwe chaque fois que j’ai de ses nouvelles, les Rohingyas au Myanmar sont, par-dessus tout, visés par des menaces prévues de massacre.
Les femmes rohingyas devaient franchir plusieurs points de contrôle juste pour pouvoir voir un médecin durant leur grossesse et leur accouchement. Elles devaient non seulement obtenir un permis plus cher que le revenu, peut-être, de tout leur ménage, mais elles faisaient aussi face à des contraintes de temps quand il fallait deux jours pour obtenir le permis. De nombreux accouchements difficiles faisaient en sorte qu’il était nécessaire que ces femmes soient examinées par des médecins qualifiés. Il n’y a pas de médecins rohingyas qualifiés dans les environs, parce que nous avons été victimes de discrimination à l’école pendant deux générations. Par conséquent, on ne peut que se tourner vers les médecins de Rakhine pour obtenir de l’aide. Avec le discours de haine prévalent au Myanmar en ce moment, un grand nombre de femmes et de nouveau-nés finissent par mourir après s’être rendus à l’hôpital. Ce n’est pas un conte populaire. C’est la réalité que nous vivons chaque jour.
Ma grand-mère maternelle souffre d’une cardiopathie congénitale. Sa santé se détériore chaque minute, mais elle refuse d’aller à l’hôpital, car elle craint d’être assassinée par les professionnels de la santé, comme c’est arrivé à d’innombrables femmes rohingyas qui ont fini par mourir après s’être rendues dans des hôpitaux locaux.
Dans la foulée du récent protocole d’accord tripartite conclu entre le Myanmar et le gouvernement du Bangladesh pour rapatrier des centaines de milliers de survivants du génocide des Rohingyas pas plus tard que cette semaine, je suis consternée par l’immobilité de la communauté mondiale dans son ensemble. Ce sont là des personnes qui viennent de risquer tout ce qu’il leur reste dans la vie en échange d’un moment de paix où elles seraient autorisées à être traitées comme des humains.
Le processus de rapatriement sans consentement des réfugiés eux-mêmes est non seulement nuisible, mais aussi mortel. Le scénario le plus probable, c’est que, dès que ces gens atteindront le Myanmar, ils seront entraînés de force dans des camps de concentration. Au cours des dernières semaines, j’ai vu des rapports et des bilans selon lesquels les réfugiés sont maintenant forcés de remplir le formulaire de vérification nationale. Je n’ai pas pu m’empêcher de me dire : « Comment est-il possible que notre légitimité, notre existence, notre histoire et notre vie puissent se résumer à un bout de papier? »
J’aimerais aussi insister sur la mesure dans laquelle le processus du rapatriement forcé est effrayant, en soulignant que les Rohingyas ont déjà été dans cette situation et n’ont pas été mieux traités une fois qu’ils sont retournés au Myanmar. En août de cette année, on a fait état de 80 000 femmes qui devaient accoucher à la suite de viols collectifs commis par les forces de sécurité du Myanmar. Ce ne sont que les cas signalés. Ces femmes ont également contracté des maladies transmissibles sexuellement non désirées.
Veuillez garder à l’esprit que, dans les camps de réfugiés, le ratio entre le nombre de médecins ou d’établissements de soins de santé et le nombre de réfugiés est très disproportionné. La plupart des femmes ne peuvent se guérir elles-mêmes de ces maladies physiques. Qui plus est, comme bon nombre de femmes le savent, il y a un certain traumatisme associé au fait d’être agressée sexuellement. Bon nombre de mes sœurs rohingyas sont isolées de leur collectivité en raison d’un manque de compréhension lié au fait qu’elles doivent élever ces enfants innocents issus de la pire forme de torture de l’âme, sans vraiment avoir le choix.
Ces mêmes femmes seront forcées de revenir pour faire face à leurs agresseurs. Mes mères et mes sœurs devront non seulement tolérer la torture dans l’avenir, mais aussi composer avec le problème que justice ne leur sera jamais rendue. Elles ne seront jamais en mesure de faire condamner ces vils soldats de quelque crime que ce soit. Comment cela est-il possible?
Il vaut peut-être la peine de souligner également que, dans le protocole d’accord actuel conclu entre les pays, il n’y a même pas un seul endroit où il est fait mention du mot « Rohingya ». Aucune des conditions qui pourraient garantir des retours sécuritaires n’a été respectée.
Mesdames les sénatrices, j’espère que vous pensez comme moi : les Rohingyas ne devraient pas, en aucune circonstance, être forcés de retourner sans bénéficier d’une protection internationale.
Enfin, j’aimerais proposer deux recommandations. D’abord, le Canada devrait montrer l’exemple à la communauté internationale en s’assurant qu’aucun Rohingya ne soit forcé de retourner dans l’État de Rakhine sans consentement, sécurité et rétablissement de la citoyenneté. Ensuite, le Canada et la communauté mondiale devraient s’assurer que le Bangladesh est muni des ressources et des fonds nécessaires pour protéger les réfugiés rohingyas sur son territoire.
La présidente : Merci beaucoup de votre témoignage, Yasmin.
C’est maintenant au tour de M. Packer, puis nous entendrons les questions des sénateurs.
John Packer, directeur, Centre de recherche et d’enseignement sur le droit de la personne, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci, madame la présidente et honorables sénatrices. Pour commencer, j’aimerais vous remercier de m’avoir invité à vous parler de ce sujet important, une affaire qui demeure urgente, notamment parce qu’il s’agit d’un génocide continu pour lequel quelque un demi-million de Rohingyas innocents font toujours face aux pleins effets à l’intérieur du Myanmar sans jouir de quelque protection que ce soit et, je le crains, avec déjà une attention réduite du monde.
Permettez-moi de souligner que j’ai pris conscience de l’existence des Rohingyas pour la première fois en 1992, quand j’étais membre du personnel des Nations Unies à Genève et que j’ai été désigné assistant du premier rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Birmanie/au Myanmar. C’était dans la foulée du deuxième exode de masse des Rohingyas au Bangladesh, dont un grand nombre ont été rapatriés de force et en ont souffert, en conséquence.
J’ai visité, à l’époque, le Nord de l’État de Rakhine et j’ai pu constater personnellement la situation et en faire rapport. La terreur était alors palpable, tout comme l’étaient les conditions oppressantes créées par l’ancien régime. Au cours des 25 années qui ont suivi, et à grande échelle, cette expérience a été répétée avec moins d’hésitation, avec un plus grand enthousiasme et sans honte. Peut-être en raison des avancées réalisées dans la technologie de l’information, cette fois-ci, le monde a pu observer en temps réel des villages se faire incendier et des masses fuir la violence ciblée et sans réserve des autorités du Myanmar et de leurs suppôts.
Afin de préciser ma propre participation, j’ai pris part à la situation à partir de 1992, et ce, à un certain nombre d’échelons, notamment les échelons intergouvernemental et non gouvernemental, mais aussi au moyen de communications avec de nombreux gouvernements et avec les Rohingyas eux-mêmes. J’ai visité le pays et la région, y compris des collectivités rohingyas dans divers endroits, notamment les réfugiés arrivant au Bangladesh au cours de la dernière année — et qui continuent d’arriver, tandis que nous nous réunissons, pendant que d’autres s’enfuient ailleurs.
Je n’ai pas besoin de raconter de nouveau les faits de la situation. Ils sont bien connus, considérablement documentés et abondamment clairs. Aujourd’hui, nous ne saurions dire que nous ne savons pas ce qui s’est passé et, effectivement, ce qui se passe depuis longtemps. C’est devant nos yeux, et beaucoup de choses sont écrites dans les lois, les politiques, les programmes, les pratiques et les actions constantes des autorités du Myanmar, tant les institutions militaires et sécuritaires que les institutions civiles.
L’an dernier, pendant que le monde observait, il est devenu impossible de nier les faits. Permettez-moi de souligner que le sort des Rohingyas n’est pas le résultat d’une catastrophe naturelle ou d’une guerre; ce n’est même pas non plus, en fait, un conflit armé de faible intensité. L’oppression qu’ils ont subie au cours des 50 dernières années est entièrement le résultat d’une politique déterminée des autorités responsables du Myanmar, qu’elles soient autoritaires ou vraisemblablement démocratiques ou démocratisantes.
Donc, ce n’est pas que nous ne sachions rien. Le problème, mesdames, a été une réponse inadéquate. C’est probablement, en partie, un problème d’analyse et d’attribution de la responsabilité des malfaiteurs, même si je crois que c’est assez clair dans le droit international. Cela a peut-être été, plus encore, un problème découlant de nos propres échecs, particulièrement d’une hésitation troublante à nommer ce que nous connaissons et à agir en conséquence.
Puisqu’il me reste peu de temps, permettez-moi d’attirer votre attention sur un instrument direct et fondamental du droit international contemporain : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, à laquelle le Myanmar et le Canada sont des États parties, aux côtés de 187 autres États — ce sont donc les trois quarts du monde.
Je souligne que la Convention pour la prévention du génocide a été adoptée par les Nations Unies le 9 décembre 1948, un jour avant la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce n’était pas un accident. Cela s’inscrit plutôt dans la logique de la Charte des Nations Unies selon laquelle l’État est responsable du bien-être de toute la population au sein de son territoire, quel que soit son statut, et qu’il ne peut certainement pas chercher à détruire quelque groupe que ce soit, en tout ou en partie. C’était l’Holocauste. Selon ce point de référence, le régime des droits de la personne élaboré est conçu pour respecter la réalisation d’une vie de plein épanouissement pour tous en dignité et en droits.
Le droit international commun oblige les États parties à mettre en œuvre de bonne foi la Convention pour la prévention du génocide, à prendre des mesures au sein de l’autorité souveraine de l’État par rapport à son territoire, à sa population et, bien sûr, à ses agents afin de prévenir le génocide et, en cas d’agissements qui y contreviendraient, à punir les personnes responsables.
L’obligation, mesdames les sénatrices, concerne les États, le Myanmar, le Canada et toutes les autres parties, des soi-disant pairs. Le défaut de mettre en œuvre les obligations constitue une violation qui donne lieu à une responsabilité de l’État, conformément à laquelle d’autres États pourraient agir pour tenir l’État contrevenant responsable.
Bien sûr, la responsabilité étatique constitue un fondement du droit international commun et, fait encore plus important, elle doit être différenciée de la responsabilité individuelle, notamment en ce qui concerne les actes criminels proscrits à l’échelle internationale commis par des personnes individuelles. Le fait de chercher à tenir des personnes responsables est important, mais aussi très problématique, notamment au chapitre des délais, des ressources et même de la loi. Toutefois, le premier et principal fondement du droit international, c’est que l’État est responsable de s’assurer que les obligations sont respectées.
Les contraventions de la Convention pour la prévention du génocide, dans le cas des Rohingyas, sont d’abord et avant tout attribuables à l’État — au Myanmar. Une lecture simple de la convention, ainsi qu’un coup d’œil au dossier de conduite du Myanmar, qui est long et étoffé — les faits — suffisent pour montrer des violations évidentes et incontournables de la Convention.
Celles-ci ne sont pas le fruit d’un accident ou du hasard, et ne sont pas plus excusables pour quelque autre motif. Le génocide — comme tous les génocides — a été déterminé, ciblé et délibéré, et c’est encore le cas. Qui plus est, la responsabilité de l’État n’est aucunement mise en doute, dans la mesure où les lois, les politiques, les programmes, les pratiques et même les mots prononcés dans la défense de ces violations découlent du choix volontaire des autorités étatiques reconnues.
Soyons clairs : les forces armées birmanes ne sont pas un gang de voyous qui maraudent dans tout le Myanmar de façon incontrôlable. Ce sont plutôt les forces armées officielles de la République. Elles sont disciplinées et relèvent du contrôle clair des autorités juridiques. Leur usage de la force, particulièrement contre des civils innocents non armés, ne peut être excusé.
De même, pour renvoyer à une autorité purement civile, la loi sur la citoyenneté au Myanmar est le résultat d’une politique élaborée et adoptée par le Parlement, sous réserve des processus habituels. Également, l’octroi d’un accès au pays aux observateurs étrangers relève de la ministre des Affaires étrangères, Aung San Suu Kyi. L’autorité d’agir existe, et elle n’a pas été utilisée. Dans tous ces cas, la responsabilité de l’État est mise en cause.
Simplement, les conditions du génocide des Rohingyas ont été créées et appliquées par les autorités reconnues du Myanmar et par elles seules. L’État est responsable, et seul l’État peut réparer les violations.
En ce qui a trait au Canada, je crois que les Canadiens savent ce qui s’est produit et ce qui continue de se produire, et ils soutiennent une participation solide de notre gouvernement. Jusqu’à présent, le gouvernement du Canada doit être salué pour sa participation claire et importante en réponse à l’impératif humanitaire d’aider ceux qui ont réussi à s’enfuir. Le Canada s’est aussi exprimé — avec hésitation et tardivement —, tirant enfin quelques conclusions évidentes. Certains efforts à l’échelle multilatérale sont constants, mais peu concluants, à l’exception de ceux visant à tenir certaines personnes responsables. Si elles sont évidentes, ces positions et ces mesures sont les bienvenues.
Ce qu’il semble manquer, c’est le suivi consécutif qui consiste à tenir l’État du Myanmar responsable afin de mettre fin au génocide continu, d’obtenir les réparations qui s’imposent et de chercher une solution durable. Je sais que ces actions nécessitent une diplomatie déterminée, robuste et créative, pas seulement pour qu’on agisse nous-mêmes, mais pour promouvoir l’affaire comme la violation grave de l’ordre international fondé sur des règles et pour former une coalition qui débouchera sur un changement de comportement de la part du Myanmar. Ce ne sera pas chose facile ni rapide. Et pour les Rohingyas qui souffrent depuis longtemps, cela n’arrivera pas assez tôt. Par conséquent, je crois qu’on doit réfléchir à l’idée et aux conditions d’un retour protégé vers une terre d’origine protégée pour les Rohingyas et tenir compte de l’éventail des intérêts et des préoccupations qui rendraient cela possible, peu importe la manifestation.
Le Canada pourrait montrer l’exemple. Pour une diversité de raisons, je crois qu’on accueillerait le Canada comme chef de file, et il a donc une petite chance de réussir. Sans aucun doute, je crois que nous devrions essayer.
La sénatrice Cordy : Vous avez tous deux soulevé des perspectives différentes, mais êtes essentiellement parvenus aux mêmes conclusions selon lesquelles ce sur quoi le Sénat a voté est en fait un génocide des Rohingyas.
Un témoin précédent a parlé de rapatriement des Rohingyas vers le Myanmar. Il a mentionné que des listes avaient été envoyées au gouvernement du Myanmar pour vérifier la citoyenneté des personnes y figurant et que le rapatriement allait commencer dans quelques semaines. Nous avons aussi entendu Son Excellence parler de coups de feu tirés à la frontière contre la population du Myanmar.
Après avoir écouté ce que vous avez tous deux dit aujourd’hui, je ne suis pas vraiment convaincu de la réussite d’un tel rapatriement. Monsieur Packer, vous avez dit que cela doit être un retour protégé vers une terre d’origine protégée. Vous avez tous deux parlé du besoin de surveillance par la communauté internationale, pour que, en fait, il s’agisse d’un retour protégé et d’une terre d’origine protégée. Madame Ullah, vous nous avez mentionné deux choses qui doivent être prises en considération en vue de ce rapatriement.
D’abord, j’aimerais savoir si vous croyez ou non que ce rapatriement pourrait se révéler une réussite et ce que nous devrions faire pour nous assurer que c’en est une. Je suis sûre que les Rohingyas aimeraient retourner dans leur terre d’origine, mais ils auront certainement besoin de mesures de sécurité une fois qu’ils y seront. Ils ne peuvent pas retourner dans la même situation qu’ils ont quittée. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
Mme Ullah : On doit tenir compte de beaucoup de critères avant de conclure une entente ou tout arrangement visant à rapatrier les Rohingyas vers leur terre d’origine. Nous avons vu les rapports de militaires du Myanmar érigeant des bases militaires dans les régions des villages des Rohingyas qui ont été réduits en cendres. Nous avons vu beaucoup de terres saisies. Nous avons vu que les terres où les Rohingyas avaient l’habitude de vivre ont été redistribuées aux gens de l’État de Rakhine.
Le Myanmar a un problème avec la rhétorique de la haine qui cible non seulement les Rohingyas, mais d’autres minorités également. En ce moment, le contrecoup du retour des Rohingyas vers le Myanmar serait extrêmement élevé. Un rapport a attiré hier mon attention : il y avait une émeute au sein des villages de Rakhine. Les gens manifestaient contre tout rapatriement des villageois rohingyas dans l’État de Rakhine.
Rien ne garantit que la violence communautaire n’éclaterait pas en raison de ce type de situation. Une rhétorique de la haine est toujours prévalente, pas seulement au sein de l’État de Rakhine, mais dans tout le pays. Pour que nous puissions même songer au rapatriement, ce genre de rhétorique haineuse ou de propagande nourrie par le gouvernement du Myanmar doit cesser. Avant même que nous puissions songer au rapatriement, les Rohingyas doivent obtenir une place à la table pour discuter de leurs critères et des mesures de sécurité qui les satisferaient, qui fonctionneraient pour eux afin qu’ils puissent revenir.
Il n’y a jamais eu de Rohingya présent dans ces types d’accords. On a tenu d’innombrables discussions au sujet du rapatriement l’an dernier, plus tôt cette année et au milieu de l’année. Maintenant, ils sont tout de même forcés de remplir les formulaires de vérification nationale. C’est très dégradant, mais cela ne nous aide pas de devoir prendre une décision.
Ce devrait être aux Rohingyas de dire s’ils veulent retourner. J’ai énuméré trois critères simples. La sécurité et la citoyenneté doivent être rétablies, et la loi doit nous protéger contre tout type de violence qui pourrait se produire.
M. Packer : Si je peux ajouter quelque chose, je suis tout à fait d’accord avec les commentaires que vous venez de formuler. C’est un élément central du type de situation immédiate, mais permettez-moi de l’analyser de deux façons.
C’est une question de droit international que le retour doit être volontaire. Autrement, cela constitue un refoulement. Ces personnes sont indiscutablement des personnes soumises à une persécution systématique. Cela ne fait aucun doute. Le fait de les renvoyer sans leur propre gré et sans assurer des conditions de sécurité est une violation du droit international. C’est un argument très simple. Le principe du non-refoulement est soutenu par le droit international coutumier.
J’ajouterais en passant par rapport à cela la non-participation des personnes touchées : pas seulement les Rohingyas en tant que communauté, mais les personnes elles-mêmes; cela constituerait une autre violation du droit international. Ces personnes qui forment une communauté devraient avoir des droits, au moins celui d’être consultées. En ce moment, les arrangements ont été conclus entièrement non seulement sans leur participation, mais sans divulgation. N’oublions pas que l’accord fondamental négocié officiellement par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l’UNHCR, était secret, ce qui est un genre d’absurdité.
Pensons aussi aux conditions, en fait, vers lesquelles ces gens seraient renvoyés. En plus d’avoir peu changé, ces conditions sont probablement pires. Leur lieu d’origine réel a été, en grande partie, détruit, littéralement effacé de la surface de la Terre. Le lieu où ils retourneraient ne serait pas leur lieu d’origine ni leur maison d’origine, les conditions de subsistance économique d’origine et ainsi de suite. Ce serait presque assurément des environnements préparés et contrôlés, comme l’ont déclaré les autorités du Myanmar. Les environnements contrôlés existants ne sont guère plus que des centres de détention. On pourrait les caractériser comme pires. Les conditions sociales sont pires, comme nous venons de l’entendre. L’atmosphère de haine qui a été fomentée et mobilisée contre les Rohingyas eux-mêmes les soumettraient à une situation pire que la situation passée.
Je ferais aussi valoir que le gouvernement du Myanmar, dans ce cas-ci, a abandonné l’idée selon laquelle on devrait lui faire confiance. « Voyons voir ce qui se passe » était l’idée d’un témoignage que vous avez entendu plus tôt aujourd’hui. Je ne crois pas que qui que ce soit devrait voir ce qui se passe à cet égard. Nous savons ce qui se passe. Personnellement, j’y ai pris part en 1992-1993. C’est pourquoi je l’ai mentionné. Il y a eu un exode et un retour forcé, et nous savons ce qui s’est passé. Ce n’est pas le produit de l’imagination ou de la spéculation de la part des gens touchés, et ce ne devrait pas être le cas pour nous. Nous avons des preuves claires et une situation qui est pire.
J’aimerais associer cela à l’idée constante qu’ils ont perdu leur citoyenneté et qu’ils doivent la regagner. Simplement en tant qu’êtres humains, ils ont droit au plein respect de leurs droits de la personne. L’idée que la citoyenneté, c’était le droit d’avoir des droits, existait avant la Charte des Nations Unies. Depuis la Charte, vous jouissez de droits de la personne au motif que vous êtes un être humain, et c’est tout. Vous n’avez pas besoin de nationalité et de citoyenneté.
La citoyenneté est aussi importante. Dans ce cas-ci, aux fins du compte rendu, j’aimerais signaler qu’il ne fait aucun doute, dans le droit international commun, que ces personnes étaient et demeurent des ressortissants de l’État du Myanmar. Cela découle de deux éléments. La nationalité et le droit international commun tiennent à un lien efficace et véritable entre une personne et un État. Le seul lien efficace et véritable de n’importe laquelle de ces personnes, c’est avec le Myanmar. Ce n’est, de toute évidence, pas un lien qui leur confère une protection. C’est la violation, mais elles n’ont aucune relation véritable et efficace avec tout autre État. Elles sont liées au Myanmar.
De façon plus importante, la naissance ou la création même de l’État du Myanmar/de la Birmanie, comme on l’appelait en 1948, tenait au principe général de droit international selon lequel la population suit le territoire. Quand la Birmanie a cherché à obtenir sa reconnaissance comme État indépendant, son territoire, tel qu’il est défini, incluait Rakhine et la population permanente là-bas. Peu importe le problème qui existait à l’époque, celui-ci a été supplanté par l’acceptation par l’État de la souveraineté reconnue à l’égard du territoire et de la population. C’est ce qu’on appelle la date critique de cette affaire : la date de l’indépendance et la reconnaissance de la Birmanie. À ce moment-là, l’argument selon lequel ces gens n’étaient pas des ressortissants de l’État est supprimé par la question de l’indépendance et de la reconnaissance.
Nous devons comprendre ce qui s’est passé. Ce sont des ressortissants. Ils ont été soumis, par un acte juridique au sein de l’État, au retrait inadmissible dans le droit international de la jouissance effective de leur nationalité, c’est-à-dire de leur statut de citoyens en droit.
Sans vouloir confondre ces questions, le retour avec la citoyenneté est quelque chose qui doit être examiné, en fait, par l’intermédiaire du droit international commun et de la responsabilité du Myanmar. Ce sont des humains qui ont droit à un retour volontaire et sécuritaire et au respect de tous leurs droits de la personne.
La sénatrice Cordy : Pour donner suite à vos commentaires par rapport au fait de savoir si nous faisons confiance au Myanmar, vous avez répondu non. Vous avez dit que nous devons tenir l’État du Myanmar responsable à l’échelle internationale de changer son comportement. Si nous disons seulement : « Rapatriez-les, et nous verrons ce qui arrivera », ce n’est pas assez bon.
Comment pouvons-nous le faire? Vous avez dit que ce n’est ni rapide ni facile. Comment changeons-nous le comportement ou forçons-nous le changement du comportement, si cela ne vient pas de façon volontaire? Comment faisons-nous cela par l’intermédiaire de la communauté internationale?
M. Packer : C’est ce que de nombreuses personnes considèrent comme la faiblesse des leviers du droit international ou de son accès à des moyens d’application de la loi efficaces.
Les moyens existent. L’utilisation de la force comme telle peut être envisagée en application de la résolution pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales du Conseil de sécurité de l’ONU. Je dirais que cet exode est la responsabilité du Myanmar. Il constitue aussi une perturbation, à tout le moins, des frontières et des relations entre des États voisins, et je dirais même, de la paix et de la sécurité régionales.
Il serait du ressort du Conseil de sécurité d’agir s’il souhaite le faire, y compris d’autoriser le recours à la force. C’est appuyé par le principe de la responsabilité de protéger. Si l’État n’est pas disposé à protéger ou est incapable de le faire, et dans ce cas-ci, il n’est manifestement pas disposé à le faire, cela incombe à la communauté internationale, y compris un recours à la force, et il est du ressort du Conseil de sécurité de prendre une telle décision.
Cela va-t-il se produire? Non. Je suis convaincu que les chances sont peu probables, en raison de la réalité politique de la situation. La première et meilleure option, ce serait la mobilisation diplomatique fondée sur des arguments admissibles et des mesures prises par les États concernés pour presser le Myanmar à s’acquitter de sa responsabilité afin de respecter ses obligations internationales. C’est une question de diplomatie.
Comment persuadez-vous les autorités de changer leur comportement? C’est une conduite normale dans le cadre de relations internationales. À cet égard, comme je le disais ou comme je l’ai laissé entendre, et je l’exprimerai maintenant, dites-vous que le gouvernement du Canada n’a pas été un chef de file, pour reprendre cette idée. Je ne suis pas convaincu qu’il a même tenté de façon énergique de faire preuve de ce type de diplomatie robuste. Rien ne me l’a indiqué. La présence à une réunion de l’ONU n’est pas quelque chose qui me l’indique.
Je parle d’une série d’initiatives bilatérales et multilatérales, de groupes d’amis et de coalitions des entités désireuses de persuader ceux qui produiront évidemment des effets dans la région. Nous pourrions en parler longuement, mais c’est une entreprise créative de diplomates compétents investis d’un pouvoir.
La sénatrice Martin : Yasmin, votre voix est très forte et très claire. J’ai écouté avec grand intérêt votre témoignage sur l’histoire de votre famille. C’était très touchant. Je tiens à vous encourager à continuer ce que vous faites et je crois que vous êtes très courageuse. Monsieur Packer, vous avez aussi parlé de façon très convaincante, et je veux poursuivre sur la question touchant le rôle du Canada.
Vous avez dit que le Canada pourrait être un chef de file, mais de nombreux pays adoptent souvent ce rôle ou sont en position de le faire. Vous insistez pour dire que nous pourrions faire davantage, notamment au moyen d’une diplomatie robuste. Si vous deviez conseiller le gouvernement du Canada, énonceriez-vous ce que nous pourrions faire dès maintenant à court terme et peut-être à long terme?
M. Packer : Je voudrais vous renvoyer au discours fait en juin de l’an dernier par notre ministre des Affaires étrangères, qui a souligné la position du Canada dans un monde confronté à de nombreux enjeux et à l’importance, dans ce monde, d’un ordre international fondé sur des règles et de l’engagement du Canada pour le respecter.
Ce que nous voyons dans ce cas-ci et ce qui devrait préoccuper le Canada, fondamentalement, c’est la pierre angulaire de cet ordre fondé sur des règles, la Convention pour la prévention du génocide qui a été violée sans vergogne et de façon très claire. En tant qu’État partie à la convention, nous devrions être préoccupés par le fait qu’une autre partie peut s’en tirer si facilement avec ce type de violation, apparemment sans beaucoup de conséquences, parce qu’il y a, en ce moment, très peu de conséquences à l’intérieur du Myanmar et pour celui-ci. Nous pourrions ensuite nous demander : « Qui peut agir par rapport à cette situation? » Il y a 149 États, et beaucoup de moyens s’offrent au Canada immédiatement.
Soit dit en passant, de façon légale et officielle, la convention elle-même prescrit ou indique le recours. Je présume que nous avons un différend, parce que le Canada, le Parlement et ainsi de suite ont unanimement déclaré qu’il s’agissait d’un génocide. Je présume que le Myanmar n’est pas d’accord. Cela veut dire que nous avons un différend. La convention elle-même prescrit expressément que, pour régler le différend, on peut recourir à la Cour internationale de justice. Cela soulève la question suivante : Pourquoi le Canada ne porte-t-il pas simplement le cas devant la Cour internationale de Justice pour régler ce différend ou avec d’autres États?
Je peux vous dire que j’ai discuté de cette question avec un certain nombre d’autres gouvernements, et les gouvernements ne seraient pas contre cette mesure comme recours pour obtenir une décision juridique, pas seulement en ce qui concerne la responsabilité, mais aussi peut-être les conditions des actes de réparation. Il s’agirait d’un moyen direct.
Pour ce qui est des autres moyens, il s’agit d’utiliser notre diplomatie pour lancer le dialogue avec les autres États et s’associer avec eux. Pourquoi est-ce que je dis que le Canada non seulement pourrait, mais devrait le faire? C’est parce que nous sommes relativement bien placés. C’est une situation qui se passe de l’autre côté du monde. Nous ne sommes pas un État voisin. Nous ne sommes pas dans la région. Nous avons des relations économiques très limitées. Cela nous coûterait très peu en ce moment, même si vous faites ce calcul, ce qui n’est pas un calcul approprié, à mon avis. Même si vous le faites, nous avons en fait très peu à perdre. Nous n’avons pratiquement aucune diaspora. Pour ce qui est des conséquences liées aux menaces, aux risques et à la population, c’est encore moins important.
Nous avons les moyens financiers, intellectuels et diplomatiques. Nous regardons la Norvège et la Suisse avec admiration. Notre économie est six fois celle de la Norvège. Cela n’explique pas pourquoi nous ne sommes pas énergiques par rapport à cet enjeu. Cela nécessite une détermination politique. Le Canada a une histoire de diplomatie compétente. Nous devons décider que cela compte, et mon argument, c’est que cela devrait compter.
La sénatrice Martin : Si le Canada devait se présenter comme chef de file, dites-vous que d’autres pays avec lesquels vous avez eu des conversations l’appuieraient?
M. Packer : Absolument, et je vais vous donner un exemple. Notre ministre des Affaires étrangères a pris la parole au Bangladesh lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Organisation de la coopération islamique, une organisation avec laquelle j’ai travaillé sur la question des Rohingyas pendant de nombreuses années. C’était un discours très bien accueilli. Il était inédit, et elle a été très bien reçue.
Elle a invité l’OCI à prendre la tête. C’est problématique. Cela viendrait souligner ou caractériser l’affaire comme une question de religion et viendrait dire que l’Organisation de la coopération islamique protège la communauté islamique. De nombreux États membres de l’OCI m’ont dit directement qu’ils sont très hésitants, et avec raison, je crois. Nous ne voulons pas souligner un paradigme où les musulmans sont contre les bouddhistes ici, ce qui n’est pas réellement le cas. Les relations sont également compliquées dans la région, dans les États voisins et ainsi de suite. Il serait plus logique, comme bon nombre d’entre vous l’ont dit, que le Canada prenne la tête même en ce qui concerne les recours devant la CIJ. Bon nombre d’entre eux emboîteraient le pas et participeraient.
En passant, une des options serait de ne pas intenter de règlement des litiges par voie contentieuse, ce qui est admissible et ce pourquoi le Myanmar a déjà accepté la compétence. C’est possible, mais vous pourriez même chercher à obtenir un avis consultatif, qui ne coûte financièrement rien au gouvernement du Canada et qui ouvrirait la porte à tous les États participants aux Nations Unies pour qu’ils partagent leurs propres points de vue. Vous pourriez faire de la compétence en matière d’avis consultatif un genre d’examen de la situation. De nombreux États aimeraient dire quelque chose à ce propos. Les coûts relatifs pour le Canada en ce qui concerne le fait de prendre les devants sont faibles.
La sénatrice Martin : C’est intéressant.
J’ai une question pour Yasmin. Plus tôt aujourd’hui, nous avons entendu le haut-commissaire du Bangladesh promettre que tous les rapatriements seront volontaires. Nous ne savons pas si les conditions sont prêtes pour que le premier groupe de Rohingyas rapatriés soit établi en toute sécurité.
Nous avons toujours des questions, mais selon ce que vous avez dit, j’ai l’impression que, quand les conditions seront bonnes, tout le monde aimerait retourner, au final. Croyez-vous que les réfugiés au Bangladesh en ce moment souhaiteront finir par retourner dans leur terre d’origine? Au bout du compte, voulons-nous que les gens soient en mesure de retourner?
Mme Ullah : Je crois que ce serait la solution la plus pratique. Malheureusement, un très grand nombre de réfugiés royingyas résident au sein de nombreux pays différents, particulièrement au sein de la région. Au Bangladesh, nous voyons qu’ils sont plus d’un million de gens. En Malaisie, ce sont quelques centaines de milliers, et, si je ne me trompe pas, il y en a beaucoup plus en Thaïlande, en Indonésie et en Inde.
Ils souffrent tous du même type de douleur et de rhétorique haineuse. C’est le fait des militaires du Myanmar, du gouvernement du Myanmar, en ce sens que beaucoup de pays de l’ANASE sont très réceptifs à la propagande ou à la rhétorique haineuse que le gouvernement du Myanmar a diffusées.
Comme j’ai aussi vécu en Thaïlande pendant environ 16 ans, je peux lire le thaï. Je vois beaucoup de messages en ligne au sujet de la haine de toute la Thaïlande à l’endroit des Rohingyas qui essaient de fuir en Thaïlande par bateau au moyen de la traite de personnes. Cela ne nous laisse même pas le recours de choisir la façon dont nous aimerions vivre. La réalité, c’est que nous aimerions tous essentiellement avoir une place que nous pouvons appeler notre chez-nous. Nous voulons tous avoir une place où nous pourrions nous établir, où nous pourrions avoir des possibilités égales, où nous pourrions aller à l’école et où nos besoins de base seraient comblés.
Pour ce qui est de savoir si tous les Rohingyas aimeraient retourner dans leur pays, je ne suis pas tout à fait sûre de pouvoir en parler au nom de tous les Rohingyas, mais je sais que la plupart de ceux à qui j’ai parlé veulent rentrer à la maison et jouir de l’égalité des droits et des chances comme tout autre citoyen du Myanmar.
La sénatrice Martin : Excusez-moi, mais je dois partir maintenant.
La sénatrice Hartling : Merci, monsieur Packer, de votre présence, de votre engagement envers cette question et de votre passion à ce sujet. Vous avez de très bonnes idées.
Merci, Yasmin, de nous avoir fait le récit de votre vie et de l’avoir exposé en racontant l’histoire de votre grand-mère, de votre mère, de vous-même et des nombreuses personnes que vous connaissez.
J’ai été très troublée d’entendre parler de la violence sexiste qui a cours et qui persiste. La semaine dernière, des témoins d’Affaires mondiales ont parlé de programmes offerts dans les camps qui sont dotés d’un volet féministe visant à aider les femmes à faire face à certains de ces problèmes.
Dans vos communications, entendez-vous parler d’une aide reçue pour aborder ou régler certaines de ces questions? Ce doit être horrible, d’après certains faits que vous racontez. Avez-vous connaissance de cela?
Mme Ullah : Je sais très peu de choses sur ce qui se passe dans le cas des villageois au Myanmar. Nous sommes une collectivité très unie, où tout le monde se connaît. Nous essayons de prévenir les dommages, et nous faisons de notre mieux pour nous protéger les uns les autres.
L’année dernière, lorsque les violences ont éclaté, des groupes WhatsApp ont été créés. Nous avons tenté d’ajouter beaucoup de villageois et de gens. Nous avons essayé de nous mettre en garde contre les méfaits et contre les troupes qui se déplacent dans différentes directions, vers différents villages. Même dans ce cas, en réalité, nous ne sommes pas capables à nous seuls de nous protéger de tous ces dommages qui sont planifiés de manière stratégique dans le but de nous persécuter.
Même au Bangladesh, j’entends des récits troublants de femmes victimes de la traite à des fins de prostitution, ainsi que dans d’autres pays, notamment l’Inde, la Malaisie, la Thaïlande et l’Indonésie. Elles devaient essentiellement essayer de trouver par elles-mêmes un moyen de fuir . Nous sommes tellement dispersés et épuisés qu’il est difficile de former un groupe ou de se soutenir mutuellement. Cela se fait principalement dans le cadre familial ou parmi les personnes que nous connaissons.
À ce propos, lors d’une élection plus tôt cette année, une femme a été élue dirigeante de la collectivité. Je ne me rappelle plus très bien quelle organisation essayait de mettre en place une sorte de structure dans les camps de réfugiés. Je suis désolée de ne pas avoir le nom des camps en particulier, mais nous constatons l’espoir et voyons les initiatives vers lesquelles les Rohingyas se dirigent.
Il y a eu quelques tentatives visant à améliorer les choses, mais nous avons besoin d’un énorme soutien du Canada et du monde entier pour renforcer tous les programmes, les ressources éducatives et les bibliothèques. Nous n’avons rien de cela dans les camps. Il y a des gens qui font preuve de bonne volonté. Beaucoup de gens et d’enfants aimeraient apprendre, passer à autre chose et progresser dans la vie. C’est la voie à suivre, mais l’aide est encore nettement insuffisante.
La sénatrice Hartling : Je me demandais si des gens nous surveilleraient. Vos gens sont des gens comme nous. Qu’est-ce qui alimente la haine?
Mme Ullah : Lorsqu’un État-nation est nouvellement créé, il y a beaucoup d’idéologies et de choses qui sont essentiellement balayées sous le tapis. Je ne veux pas souligner seulement une ou deux choses, mais nous arrivions à coexister avec les habitants de Rakhine. Avant la fin de la colonisation, en 1942, les habitants de Rakhine étaient un peu plus pro-japonais. Dans les années 1940, on avait promis aux Rohingyas qu’ils retrouveraient leur patrie ou leur pays. Cette région ne faisait en aucun cas partie de la Birmanie.
Le but principal des combats des Rohingyas avec les troupes britanniques lors de la Seconde Guerre mondiale était de nous permettre de récupérer nos propres terres. Cela comprend les Arakanis, les habitants de Rakhine, et de nombreuses autres personnes avec lesquelles nous coexistions dans cet espace restreint.
Plus tard, une scission s’est produite. Je ne sais pas si c’est la raison pour laquelle la haine est si répandue, mais je sais que depuis 1942, elle a été alimentée par le gouvernement dans les années 1960 et 1970, même dans les années 1990 et aujourd’hui. Le gouvernement a élaboré un plan, y compris des enseignements dans le programme, selon lesquels les Rohingyas sont de la racaille et des personnes à haïr. En cas d’échec économique de leur part, ils font valoir que les Rohingyas ont trop d’enfants. Si les Rohingyas étaient autorisés à aller à l’école, ils seraient en grande partie confrontés à la discrimination et à l’humiliation.
Ce n’est pas que ça. Le gouvernement s’est tourné vers les institutions religieuses. Cela n’a aucun rapport avec les enseignements du bouddhisme, mais le gouvernement a intégré l’institution et a transmis des radicalisations ou des enseignements radicaux aux moines qui prêchent la haine au reste du pays. Au Myanmar, l’institution religieuse est le cœur de la collectivité. C’est l’endroit où les gens se rencontrent; c’est là que beaucoup de choses se font. Dans les collectivités bouddhistes, certains moines disent que tuer les Rohingyas n’est ni un tort ni un péché.
Cela se fait de manière stratégique partout et sur tous les fronts. Je n’arrive pas à trouver exactement ce qui nous a amenés à ce point. Il se pourrait que cette scission remonte à la Seconde Guerre mondiale. Il est possible que cela existe depuis plus longtemps. Le coupable dans cette affaire n’est nul autre que le gouvernement, qui réussit très bien à cet égard.
La présidente : J’ai quelques questions. Je vais commencer avec vous, Yasmin. Une de vos recommandations demande expressément que le Bangladesh soit doté de ressources.
Mme Ullah : Oui.
La présidente : Faites-vous référence à des ressources spécifiques, en particulier sur les questions liées à la santé des femmes et des mères? Avez-vous des recommandations particulières en ce qui concerne les ressources?
Mme Ullah : Il devrait y avoir plus de fonds et plus d’organisations autorisées à œuvrer dans les camps de réfugiés.
Je peux me tromper, mais ce que j’ai entendu récemment en provenance des camps de réfugiés, c’est que la plupart des établissements de santé doivent être fermés à 18 heures. En cas d’urgence ou si quelque chose survient durant la nuit, aucune organisation humanitaire ne pourra vous aider. Ces femmes rohingyas doivent alors recourir à leur propre collectivité mal équipée pour les aider.
Vous savez que plus de 60 p. 100 de la population des camps de réfugiés sont des femmes et des enfants. Nous devons nous assurer que nous soutenons le Bangladesh pratiquement à chaque étape du processus pour créer davantage d’établissements de soins de santé et que les responsables se sentent un peu plus confiants d’assumer une si grande responsabilité. C’est un très grand nombre de personnes dans un petit pays avec des ressources très limitées pour aider. Nous devons nous assurer que les responsables ne forceront personne au rapatriement ou n’obligeront pas des réfugiés à quitter le pays.
Il est impératif de veiller à la mise en place d’établissements de soins de santé et d’accroître les possibilités qui s’offrent à ces personnes d’acquérir une formation professionnelle, qui fait encore largement défaut pour les femmes. Étant donné que les chefs de famille sont pour la plupart des femmes et que les enfants ont moins de 18 ans, nous devons nous assurer que ces deux points sont pris en considération en premier lieu.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup de vos exposés, madame Ullah et monsieur Packer.
J’ai hésité, me demandant si je ferais même ce commentaire, mais il me semble que, souvent, le Canada passera à l’action lorsque des événements horribles se produisent dans d’autres parties du monde, notamment pour montrer que nous sommes un chef de file en matière de droits de la personne. Ces types de xénophobie, de racisme et de misogynie ne sont pas inconnus au pays — je ne devrais pas dire cela —, mais jusqu’à un certain point.
A-t-on analysé les raisons pour lesquelles si peu de pays agissent dans ce contexte particulier pour nous aider à pousser notre propre gouvernement à intervenir? Nous n’avons pas vraiment suivi les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation qui sont, dans une certaine mesure, différentes, mais qui se font certainement l’écho de certaines des mêmes questions que celles que nous avons entendues. Y a-t-il autre chose qui vienne à l’esprit dans ce sens?
M. Packer : Puis-je répondre?
La présidente : Oui, s’il vous plaît.
M. Packer : À certains égards, je ne peux que formuler des hypothèses, mais je peux également faire part d’une certaine expérience sur la manière dont les relations internationales sont réellement conduites avec des diplomates, et cetera. D’une certaine façon, le contexte est dissocié des expériences à l’interne. De nombreux États présentent de fortes contradictions entre leurs comportements nationaux et internationaux.
Je dirais qu’il existe un lien évident dans la façon dont notre propre gouvernement s’est abstenu d’invoquer la Convention sur le génocide et a toujours refusé de le faire. C’est une chose de dire qu’il y a eu génocide, mais ça en est une autre de décider simplement de ne pas mentionner la Convention sur le génocide; c’est incroyable. C’est la chose évidente à faire; c’est la suite logique.
Pourquoi pas? C’est parce qu’une responsabilité en découle. On se demandera : « Par conséquent, que faut-il faire? Est-ce que vous haussez les épaules? Avez-vous un comportement cohérent? » C’est un peu le problème, même si vous faites le lien avec l’expérience des peuples autochtones au pays; on est obligé de reconnaître enfin ses responsabilités en raison de la Commission de vérité et réconciliation ou par l’imposition de décisions judiciaires, comme l’affaire Child and Family Services et ainsi de suite.
Ensuite, agir, réparer et redresser les torts sont des choses différentes. Il y a ce genre d’hésitation. Les gouvernements, en tant que bureaucrates et autres, calculent leurs coûts politiques et matériels. L’aspect problématique des Rohingyas tient à leur emplacement physique. Nous n’en avons pas parlé. Pourquoi les gens s’en préoccupent-ils ou pas?
À mon avis, il s’agit d’un cas presque exemplaire. Ces gens n’ont jamais revendiqué l’autodétermination extérieure. Ils n’ont pas de mouvement séparatiste. Il n’y a pas eu de véritable conflit armé, contrairement à d’autres régions. Ils n’ont pas de milice. Il s’agit d’un petit groupe de personnes avec leurs propres armes artisanales, et ainsi de suite. On sait exactement à quoi ce groupe est soumis. Pourquoi? Ces gens sont malheureusement à un mauvais endroit. Ils se trouvent dans le Nord de Rakhine, qui revêt une importance géostratégique. Le port de Sittwe est en cours de construction dans le cadre de l’initiative chinoise la Ceinture et la Route, en tant que port destiné à l’importation de pétrole et d’hydrocarbure du Moyen-Orient. Cela suppose que même des pays islamiques comme l’Arabie saoudite, qui exportent pour ne plus le faire par le détroit de Malacca, mais plutôt jusqu’au golfe du Bengale, économisent une fortune, évitent la concurrence avec les Américains contrôlant le détroit de Malacca et toutes ces autres questions.
Les concurrents dans la région, c’est-à-dire les États voisins, les États membres de l’ANASE et l’Union européenne, obtiennent tous des contrats. Quelque 300 sociétés européennes y participent. En ce qui concerne les terres qui ont été enlevées, d’ailleurs, celles-ci ont été expropriées et se trouvent entre les mains d’intérêts privés, dont beaucoup sont étroitement liés à l’armée, sinon contrôlés par celle-ci. C’est de l’exploitation. Les pauvres Rohingyas ne sont pas au bon endroit, et personne ne les défend.
Mon argument en ce qui concerne le Canada est qu’il s’agit d’une atteinte flagrante dirigée contre un véritable pilier des relations et du droit internationaux. Si nous ne pensons pas aux Rohingyas, nous ferions mieux de réfléchir à ce que cela signifie. Par conséquent, il s’agit de la responsabilité, et je pense que nous devons la relier à ce que nous devrions faire. Devons-nous hausser les épaules en tant qu’État partie à la Convention sur le génocide? Devons-nous simplement hausser les épaules en tant qu’État partenaire de la Convention sur le génocide? Ou bien affirmons-nous qu’il s’agit d’une violation de l’ordre fondé sur des règles? Nous avons un recours. Nous avons des intérêts. En fait, nous sommes très bien placés pour agir.
La présidente : Malheureusement, nous n’avons plus de temps. Je vous remercie tous les deux de votre témoignage convaincant de ce matin. Vous nous avez fait des recommandations très claires et lancé ce que je considère être un appel à l’action pour le Canada.
(La séance est levée.)