Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 38 - Témoignages du 6 février 2019
OTTAWA, le mercredi 6 février 2019
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 6, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.
La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour et bienvenue. J’aimerais tout d’abord reconnaître, pour le bénéfice de la réconciliation, que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin.
Je m’appelle Wanda Thomas Bernard et je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse. J’ai l’honneur et le privilège de présider le comité. J’invite maintenant mes collègues à se présenter.
La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Merci.
Notre comité a étudié les droits de la personne des détenus purgeant une peine de ressort fédéral. Durant l’étude, le comité a tenu des audiences publiques à Ottawa, ainsi que dans diverses régions, en plus d’effectuer des visites d’information dans 29 établissements. Tandis que notre étude arrive à sa fin, nous nous concentrons sur des sujets qui n’ont pas été entièrement explorés dans nos réunions précédentes.
Dans notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous entendrons, encore une fois, des organisations nationales qui travaillent auprès de détenus. Permettez-moi de présenter Diana Majury, présidente, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, et Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada.
Je vous souhaite de nouveau la bienvenue, madame Majury. Vous avez la parole.
Diana Majury, présidente, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître de nouveau devant vous vers la fin de ce processus très important. Je sais que vous avez entendu et appris beaucoup de choses et je vous félicite de votre enquête exhaustive et rigoureuse, particulièrement pour être allés dans les établissements carcéraux et avoir parlé aux femmes et aux hommes qui s’y trouvent.
Dans quelques minutes, j’aimerais vous présenter trois questions : le projet de loi C-83, les fouilles à nu ordinaires et l’exigence liée à la cote de fiabilité. Toutefois, d’abord, je tiens à insister sur l’importance de reconnaître les réalités sexospécifiques et les besoins des femmes criminalisées ainsi que d’y réagir. Nous aimerions ne pas avoir à le répéter, mais nous devons manifestement le faire, car nous sommes constamment confrontés au fait que le SCC ne semble pas tenir compte des spécificités des femmes au moment d’encadrer et de mettre en œuvre des politiques et des pratiques correctionnelles. C’est contraire à notre Charte et à son engagement à l’égard de l’égalité réelle pour les femmes dans toute notre complexité intersectionnelle.
Pour vous donner un exemple récent, des représentants de l’ACSEF ont assisté à la table ronde sur la mise en œuvre du projet de loi C-83 du SCC. La sous-commissaire pour les femmes n’a pas assisté à cette réunion, et les employés présents du SCC n’ont pas été en mesure de répondre à nos questions ni de dissiper nos préoccupations au sujet des répercussions du projet de loi sur les femmes. En fait, ils ont démontré une absence de connaissances inquiétante au sujet de l’organisation des établissements carcéraux pour femmes et de leur fonctionnement. Donc, les femmes criminalisées continuent d’être négligées, on n’en tient aucun compte, et les conséquences pour ces femmes exacerbent les inégalités entre les sexes, ce qui contribue à leur criminalisation en premier lieu.
En ce qui concerne le projet de loi C-83, nous sommes depuis longtemps d’avis que l’isolement ne tient pas à un nom ni nécessairement à un lieu précis; cela concerne la pratique de l’isolement — c’est-à-dire mettre à l’écart — un détenu du reste de la population carcérale, peu importe où et comment c’est fait. Nous sommes donc profondément préoccupés par le tour de passe-passe lié au nom que nous voyons poindre avec le projet de loi C-83. Le sommaire présenté au début du projet de loi expose assez clairement le changement de nom, et permettez-moi de le citer. Les amendements sont les suivants : a) éliminer le recours à l’isolement préventif ou disciplinaire; b) autoriser le commissaire à désigner, à titre d’unité d’intervention structurée, tout pénitencier ou tout secteur de pénitencier pour les fins de l’incarcération des détenus qui ne peuvent demeurer au sein de la population carcérale régulière pour des raisons de sécurité ou autres.
Autrement dit, les UIS doivent servir les mêmes fins que l’isolement. Il n’y a rien de nouveau dans le projet de loi, par rapport aux UIS, qui ne pourrait pas être fait maintenant avec l’isolement préventif, donc il n’y a en fait aucune différence. Les unités d’intervention structurée sont un autre nom pour l’isolement.
Des choses qui pourraient paraître comme une forme d’isolement plus gentille et douce ne le sont pas vraiment.
La légère amélioration de quatre heures, plutôt que deux, à l’extérieur de la cellule, si on la respecte réellement, ne vient pas atténuer les effets dévastateurs sur la santé mentale des 20 heures d’isolement.
Le projet de loi ne fournit pas d’orientation relativement à ce qui constitue des contacts humains réels, ce pour quoi on doit consentir tous les efforts possibles. Selon notre expérience, le SCC interprète de façon très minimaliste chacun de ces mots — contacts humains réels.
Il n’y a pas de mécanisme de surveillance indépendant.
La durée de l’isolement dans une UIS est indéfinie.
Enfin, des mesures de protection procédurale, comme le droit à un avocat et à une audition, ne sont pas en place.
Nous craignons que les UIS se révèlent, en pratique, encore plus oppressantes et dommageables que l’isolement préventif.
Sur un autre sujet, nous nous inquiétons du fait que le projet de loi C-83 avance absolument dans la mauvaise direction en ce qui concerne l’application des articles 29, 81 et 84. Plutôt que de faciliter le déplacement des détenus autochtones entre l’établissement carcéral et les collectivités autochtones, plutôt que d’élargir les groupes à qui ces options s’appliquent, particulièrement aux détenus noirs et transgenres, et plutôt que de transférer les détenus qui ont des problèmes de santé mentale vers des services de santé mentale à l’extérieur de l’établissement, c’est-à-dire d’élargir et de faciliter les méthodes pour faire sortir les détenus, le projet de loi C-83 viendrait limiter et restreindre ces occasions.
C’est contraire à l’intention du législateur exprimée, en 1992, relativement à ces options, et cela ne permet pas de promouvoir et de protéger les droits de la personne de ces détenus, qui font l’objet d’une discrimination systémique au sein du contexte carcéral.
En ce qui concerne les fouilles à nu, les femmes dans les établissements carcéraux sous responsabilité fédérale font couramment l’objet de fouilles à nu invasives, dégradantes et provocantes, sans motif ni soupçon, à la suite de permissions de sortir, de visites familiales et, dans quelques endroits, de déplacements au sein de l’établissement carcéral.
Nous croyons savoir qu’un nouveau protocole sur les fouilles à nu a été introduit, où une application informatique sélectionne au hasard une femme sur trois qui revient d’une mise en liberté sous condition en vue de la soumettre à une fouille à nu. En réalité, les femmes refusent ces occasions afin d’éviter la possibilité du traumatisme lié à une fouille à nu. Il est inadmissible que des mères soient mises dans la position où elles ne voient pas leurs enfants parce qu’elles ne peuvent faire face à la perspective d’une fouille à nu aléatoire.
Les fouilles à nu ordinaires sont autorisées en vertu de la LSCMLC, mais le libellé est discrétionnaire — « peut »; et certainement « pas nécessaire ».
D’après les Règles Nelson Mandela, les fouilles à nu devraient être une mesure utilisée comme dernier ressort, ce qui, à notre avis, voudrait dire aucune fouille à nu, et certainement pas des fouilles à nu ordinaires. Nous sommes d’avis qu’il ne devrait y avoir aucune fouille à nu; il existe toujours d’autres meilleures solutions de rechange. Il doit absolument y en avoir.
Nous avons entendu les rapports d’un certain nombre d’établissements carcéraux selon lesquels des employés disent à des femmes que les fouilles à nu ordinaires sont attribuables à l’ACSEF. Nous avons soulevé nos préoccupations concernant les fouilles à nu auprès de l’administration centrale, et cela s’est retourné contre nous, car les femmes nous blâment pour l’augmentation du nombre de fouilles à nu, car nous avons suscité l’attention sur la question.
Enfin, j’aimerais mentionner la cote de fiabilité. Le SCC a récemment publié une directive selon laquelle les bénévoles doivent obtenir une cote de fiabilité. Les bénévoles font maintenant l’objet du même examen et contrôle minutieux que les employés. Pourquoi? À notre connaissance, il n’y a pas eu de problèmes avec les bénévoles auxquels cette nouvelle politique visait à remédier, et de nombreux bénévoles ont cessé de se rendre dans les établissements carcéraux car ils ressentaient de l’anxiété, de la vulnérabilité ou de l’humiliation, ou craignaient de ne pas passer l’élément de vérification du crédit du contrôle. Ce sont donc clairement des effets discriminatoires.
Nous ne décrivons pas les visites carcérales de l’ACSEF comme du bénévolat; nous y allons pour nous porter à la défense des femmes. Nos défenseurs régionaux se font dire qu’on leur refusera l’accès s’ils n’obtiennent pas la cote de fiabilité. Nous croyons que c’est tout à fait inutile tant pour les défenseurs que pour les bénévoles et nous savons que cela a déjà des répercussions négatives sur les détenus.
Pour terminer, je sais que vous, en tant que comité, ne pouvez pas maintenir le niveau d’examen minutieux auquel vous avez soumis nos établissements carcéraux au cours des dernières années, mais j’espère que, une fois que vous aurez présenté votre rapport final, vous continuerez d’observer sous l’angle des droits de la personne nos détenus afin de renforcer, tant pour les détenus que pour les politiciens, l’importance de la vigilance à l’égard des droits de la personne de nos citoyens les plus marginalisés et vulnérables.
Je vous remercie de votre dur labeur, de votre engagement et du courage dont vous avez fait preuve à ce jour sur ce plan, et je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous parler au nom de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
La présidente : Merci beaucoup.
Madame Latimer, la parole est à vous.
Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Merci beaucoup. Je suis ravie de comparaître de nouveau devant le comité. Je ne puis vous dire à quel point la Société John Howard est reconnaissante du travail fait par le Comité des droits de la personne, qui se rend dans les établissements carcéraux, parle aux détenus et écoute leurs préoccupations.
Comme vous le savez, la Société John Howard a pour mission d’assurer des pratiques correctionnelles efficaces, justes et humaines. Nous avons comparu pour la première fois devant le comité lorsque vous lanciez votre étude, il y a peut-être deux ans. Je crois qu’on a été de plus en plus sensibilisé, de façon générale, à certains des problèmes qui se cachent derrière les barreaux, mais je crois que c’est extrêmement important de faire preuve d’une vigilance continue. Vos commentaires et votre intérêt continu dans ce domaine seront très importants pour ce qui est de réaliser certains des gains que nous voyons se produire.
Je crois que, comme Howard Sapers l’a souligné lors de votre dernière séance, il y a une jurisprudence clairement établie selon laquelle les détenus conservent tous les droits qui ne sont pas conformes à l’administration de leur condamnation. Des tribunaux ont reconnu les droits protégés par la Charte pour les détenus, comme le droit de vote, l’application régulière de la loi et la protection contre la discrimination.
Ils ont aussi reconnu que les droits à la liberté résiduels ne peuvent être minés, si ce n’est conformément aux principes fondamentaux de justice. En fait, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui est entrée en vigueur il y a plus de 25 ans, reposait vraiment sur la notion de la reconnaissance et de la protection des droits des détenus. Elle a servi de modèle à de nombreux pays, mais ce que nous avons vu, c’est qu’elle ne tient plus sa promesse d’un régime de protection des droits de la personne.
Je suis sûre que vos conversations avec les détenus actuels et d’anciens détenus, ainsi que vos visites des établissements carcéraux, vous ont peut-être montré que certaines des victoires durement remportées et que les droits codifiés dans la Charte et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne permettent pas aux détenus, en pratique, de jouir de leurs droits. Les droits individuels peuvent paraître contraires à la gestion efficace des établissements carcéraux et aux intérêts en matière de sécurité. L’incarcération n’est pas une culture d’affirmation des droits.
Depuis le début de votre étude, les tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario se sont exprimés sur l’isolement préventif et l’isolement cellulaire et ont constaté que les dispositions et les pratiques actuelles violaient la Charte. Le gouvernement fédéral a refusé de reconnaître cette réalité pendant des années. En fait, il a fait valoir, dans le cas de la Colombie-Britannique, que la législation est conforme à la Charte, mais le problème tient simplement à la mauvaise application de la loi à l’échelon des établissements.
Pour moi, cet argument révèle une difficulté importante pour ce qui est de s’assurer que les droits de la personne sont respectés dans les établissements carcéraux. Les lois et les politiques présentées au public et aux parlementaires ne reflètent pas nécessairement ce qui se passe dans les établissements. Les juges et les parlementaires peuvent visiter des établissements, parler à des détenus et évaluer s’ils jouissent de leurs droits prévus par la loi et de leurs droits garantis par la Charte, mais rares sont les autres personnes qui ont le droit de le faire. La Société John Howard s’intéresse vivement à la question, et les détenus et leur famille nous parlent de leurs préoccupations.
Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a présenté de nombreuses allégations et conclusions au sujet des violations des droits de la personne, et il est difficile de donner suite à chacune d’elles. Mis à part l’isolement préventif, la Société John Howard dégage trois sujets de préoccupation prioritaires en ce qui concerne les droits des détenus et leur protection.
Le premier est la santé. Nous estimons que, en omettant de fournir des soins de santé adéquats et opportuns, on met en péril la sécurité de la personne. Ce que nous voyons souvent, c’est un refus de prendre les médicaments prescrits, et cela peut se produire lorsque des détenus sont transférés d’un établissement à un autre ou au sein du système fédéral. Les médicaments qu’ils prennent depuis des années ont peut-être été éliminés par l’établissement qui les reçoit, et un nouveau régime sera mis en place.
Souvent, lorsqu’ils sont transférés entre des établissements de niveaux de sécurité différents, cela se produit également. Nous recevons de nombreuses plaintes liées à un refus de dispenser des analgésiques lorsque des gens sont placés en isolement préventif, ce qui revient vraiment à infliger une douleur inutile à ces gens comme forme de punition.
Un autre problème tient aux longs délais d’accès à des spécialistes des maladies chroniques, et cela englobe les oncologues. Une pétition circule actuellement au sujet d’un détenu nommé Huxtable, qui est mort d’un cancer pendant son incarcération. Il a reçu son diagnostic très tard et a traversé une période malheureuse et difficile. J’ai également entendu des membres de la famille dire la même chose, en ce qui concerne les problèmes qu’ils éprouvent pour faire traiter efficacement des maladies chroniques graves par le système de santé de l’établissement carcéral.
Je crois aussi que les soins de santé mentale et physique sont inadéquats, de façon générale. J’ai parlé à des détenus qui souffraient du diabète de type 1, et on contrôlait leur glycémie en la conservant à un niveau très élevé, malgré le risque de complications connu en aval lorsque le diabète est traité de cette façon.
On constate aussi un échec terrible au moment de reconnaître les maladies mentales des détenus, particulièrement dans le cas de détenus qui pourraient s’infliger des blessures. Dans le cadre d’une consultation sur le projet de loi C-83 qui s’est tenue récemment, je me suis assise à côté d’une femme qui représentait un détenu du Pénitencier de la Saskatchewan. Elle avait fini par obtenir une évaluation médicale externe. Essentiellement, il fustigeait les services de soins de santé du Pénitencier de la Saskatchewan pour leur défaut de reconnaître les problèmes de santé mentale auxquels ce détenu faisait face, qui étaient assez clairs, si l’on se fie à son automutilation et à tout un tas d’autres choses.
Un autre problème que les détenus ont souligné et qui les préoccupe depuis de nombreuses années, c’est le fait que les gens doivent faire la queue dehors malgré le mauvais temps pour obtenir leurs médicaments. Donc si votre sœur ou votre parent se trouvait dans un établissement de soins et souffrait d’une pneumonie, vous ne vous attendriez pas à ce qu’ils doivent faire la queue dehors pour obtenir des antibiotiques durant l’hiver; pourtant, c’est ce qui arrive aux détenus. Ce sont des choses simples, mais il y a manifestement une réponse disproportionnée, et ce n’est pas ce à quoi vous vous attendriez au chapitre des soins.
Nous croyons qu’une réponse adéquate, c’est le besoin de miser sur des services de santé comparables aux normes de la collectivité pour ceux qui se trouvent à l’intérieur et à l’extérieur des établissements carcéraux. Certains gouvernements provinciaux ont déjà fait des soins de santé des détenus une responsabilité du ministère de la Santé plutôt que des services correctionnels. C’est conforme aux Règles Nelson Mandela, et nous croyons que c’est quelque chose qui devrait être mis en œuvre à l’échelon fédéral.
Je crois que les détenus pris en charge par le SCC n’ont pas accès à la même gamme de soins de santé dont jouissent les gens dans la collectivité et que ses soins ne sont pas d’une qualité comparable; par conséquent, ils ne sont pas adéquats.
Notre deuxième préoccupation concerne la force excessive et inappropriée appliquée à l’endroit des détenus. L’utilisation d’une force excessive met en péril la sécurité de la personne et l’expose à des blessures. Tout particulièrement, nous constatons l’utilisation inappropriée du vaporisateur de poivre. Le décès de Matthew Hines, au Pénitencier de Dorchester, je crois, est un exemple clair de ce genre de problème.
Je crois que le Bureau de l’enquêteur correctionnel a fait un très bon travail pour signaler l’utilisation accrue du vaporisateur de poivre et des problèmes associés aux enregistrements vidéos de l’utilisation de la force, lorsque c’est nécessaire. C’est un problème important. Je crois qu’il est nécessaire de réduire la quantité de violence dans les établissements carcéraux de façon générale, et une excellente façon de commencer, c’est de s’attacher à l’utilisation courante et à l’utilisation excessive de la violence qui peut être perpétrée par les employés correctionnels.
Une autre préoccupation soulevée par un certain nombre de détenus, c’est que l’on expose certains d’entre eux à des détenus incompatibles, ce qui risque d’entraîner des cas de violence. C’est ce qu’on appelle l’emprisonnement conjoint. Il s’agit vraiment d’utiliser l’un contre l’autre des détenus comme des armes, et ce n’est pas quelque chose qui devrait être toléré de quelque façon que ce soit.
J’ai récemment vu des enregistrements vidéos de détenus d’une rangée incompatible qui ont été relâchés dans une autre rangée, et une bataille a éclaté, ce qui était inévitable. Des accusations ont été portées à l’endroit de ces détenus qui se défendaient contre l’agression de gens venus dans leur rangée. Cependant, des détenus incompatibles n’auraient jamais dû être relâchés dans une rangée avec d’autres détenus incompatibles, et je crois que c’est quelque chose que nous devons examiner très sérieusement.
Mon autre préoccupation, ce sont les recours inadéquats en cas de violations des droits. Des droits non assortis de recours ne sont pas du tout des droits. Je crois qu’il est facile de dire que les détenus ont des droits, qu’ils sont protégés dans la Charte et que cela se reflète dans la LSCMLC, mais ils ont un accès limité à des recours si leurs droits sont violés. Le système de griefs est rompu, et souvent, l’achèvement du processus est une condition préalable à la comparution devant les tribunaux, qui leur refuse l’accès aux tribunaux.
Les recommandations de l’enquêteur correctionnel sont de nature consultative et ne vont pas directement régler toutes les violations des droits de la personne qui sont découvertes.
S’ils voient un problème, les comités consultatifs de citoyens ne vont conseiller que le SCC, et cela n’entraîne pas nécessairement la prise de mesures correctives.
L’exercice du droit à l’habeas corpus pour remettre en question une détention illégale est extrêmement difficile pour les détenus et très mal compris. Même l’accès à un avocat et à des documents juridiques pour que le détenu puisse se représenter est limité. Je crois donc qu’il y a un problème très important en ce qui concerne les recours pour les violations des droits de la personne dans les établissements carcéraux, et c’est quelque chose dont nous devrions tenir compte.
La Société John Howard entend dire que de nombreuses violations des droits découlent de la perte des libertés résiduelles attribuable aux transfèrements, aux placements en isolement, aux suspensions et aux révocations de la liberté conditionnelle ou aux placements dans des établissements à niveau de sécurité supérieur qui ne respectent pas les principes fondamentaux de justice. Je crois qu’il y a quelques préoccupations fondamentales en ce qui concerne la façon dont toutes les décisions sont prises par le SCC et le fait de savoir si elles respectent les protections nécessaires de l’application régulière de la loi.
J’aimerais féliciter le comité de s’être vivement intéressé aux droits de la personne des détenus sous responsabilité fédérale et d’avoir visité des établissements et parlé à des détenus. J’aimerais aussi féliciter tous les détenus qui ont discuté avec vous. Je crois que c’est un acte de courage qui pourrait porter à conséquence pour eux dans les établissements. Les établissements carcéraux sont des milieux difficiles rongés par des déséquilibres de pouvoir structurel qui rendent les détenus vulnérables aux violations des droits de la personne, avec peu d’occasions de recours.
Nous sommes impatients de lire votre rapport qui, nous l’espérons, fera la lumière sur les enjeux liés aux droits de la personne dans nos établissements carcéraux et recommandera des solutions qui profiteront à tous les détenus, peu importe la race, le genre, la religion ou la culture. J’espère sincèrement que le comité maintiendra un intérêt continu à l’égard des difficultés que connaissent les détenus et de leurs protections au chapitre des droits de la personne, et je vous souhaite la meilleure des chances dans la conclusion de votre étude.
Merci beaucoup.
La présidente : Merci à vous deux.
La sénatrice Pate : Merci à vous deux d’avoir comparu de nouveau et merci de tout le travail que vos organisations respectives font dans les domaines que nous avons étudiés.
J’ai une question pour chacune d’entre vous.
Madame Latimer, Mme Majury a parlé des répercussions du projet de loi C-83, un projet de loi qui a été déposé et présenté comme pouvant éliminer l’isolement, et elle a mentionné un certain nombre d’enjeux. C’est une question très simple : êtes-vous en désaccord avec tout ce que Mme Majury a soulevé, et comment diriez-vous que c’est différent pour les hommes?
À ce sujet, lorsque nous avons visité les établissements à sécurité maximale pour les hommes dans le pays, nous avons vu toute une série d’unités d’isolement dans chaque établissement, et personne ne vivait vraiment dans ce qui serait caractérisé comme la population régulière. Pour moi, cela ressemble à la définition présentée au début du projet de loi C-83 que Mme Majury a décrite, où, disons, un établissement à sécurité maximale entier pourrait être désigné comme une UIS.
Durant nos visites, nous avons aussi entendu des témoignages et des préoccupations importantes au sujet des confinements cellulaires, de leur nombre et de leur durée, et ils ne sont pas caractérisés comme plaçant essentiellement les détenus dans des conditions d’isolement cellulaire ou d’isolement. Si vous pouviez vous prononcer à ce sujet, je crois que le comité profiterait de ces renseignements.
De plus, madame Majury, une des choses que vous avez dites...
La présidente : Excusez-moi, sénatrice Pate. Pourquoi ne laissez-vous pas Mme Latimer répondre à cette question, puis vous pourrez poser la deuxième? Merci.
Mme Latimer : Nous avons eu l’occasion de nous prononcer sur le projet de loi C-83 devant le comité de la Chambre des communes, et le projet de loi renferme des problèmes importants quant à la façon dont il a été présenté au départ. En réalité, il ne procure pas de droits ni de protections aux détenus contre l’isolement indéterminé. Je pense qu’il aurait été bien meilleur si on y avait intégré une définition de ce que nous entendons par l’isolement prolongé ou toute forme d’isolement préventif, car ce que vous dites est tout à fait vrai. De nombreuses autres formes de confinement sont conformes à ce que nous essayons de prévenir, soit l’absence de contacts humains, un certain degré d’indétermination et, essentiellement, un enfermement seul dans la cellule pendant de longues périodes sans contacts humains réels.
Donc, l’absence d’une définition claire, qui pourrait être appliquée au-delà des UIS, est très importante au moment de déterminer si des mesures de protection adéquates sont en place.
Une de nos grandes préoccupations, c’est l’absence d’un décideur externe indépendant qui examinerait d’abord pourquoi les gens sont placés dans ces unités d’intervention structurée et y seraient maintenus. Je crois que c’est absolument essentiel à ce travail, en plus d’une certaine forme de capacité de surveillance et de décision de la part de ces personnes concernant les diverses périodes que passent ces gens dans les unités d’interventions structurées. C’est donc un élément essentiel à l’obtention d’un projet de loi efficace.
À ma première lecture du projet de loi, j’ai carrément eu l’impression que cela dépend de la façon dont tout cela est mis en œuvre, et aucune mesure de protection législative ne permet de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un simple changement de nom et que cela reflète exactement ce qui se passe en ce moment dans les unités d’isolement préventif.
Je crois que l’on doit assurer une surveillance incroyable si on va de l’avant avec le projet de loi C-83 pour faire en sorte que le changement soit transformatif et que les gens obtiennent les avantages des programmes.
Une chose qui s’est produite durant la période précédant ma première comparution au sujet du projet de loi et avant sa parution, c’était l’annonce du niveau de ressources qui seront appliquées pour essayer de fournir des activités et des contacts réels aux détenus dans les unités d’intervention structurée. C’est une bonne chose. Et je crois que le problème tient au fait qu’il y aura beaucoup plus de programmes et d’activités dans les unités d’intervention structurée que dans les rangées normales des établissements à sécurité maximale et de quelques autres établissements. Cela pourrait très bien créer un incitatif pour les gens qui voudraient se rendre dans les unités d’intervention structurée afin d’avoir accès à des programmes auxquels ils n’auraient autrement pas droit, ce qui n’est pas la raison d’être de ces unités d’intervention structurée.
Selon moi, il est important d’assurer une certaine parité en ce qui a trait au niveau de programmes offerts à la population régulière et aux personnes qui se trouvent dans des unités d’intervention structurées. Si ce n’est pas le cas, on se retrouvera avec un problème important.
Les confinements cellulaires sont un enjeu très sérieux. Il n’existe pas d’examen très approfondi de la raison pour laquelle de tels confinements ont été instaurés et pourquoi ils ont duré aussi longtemps. C’est très difficile pour les personnes. Des prisonniers m’ont dit qu’il est plus pénible pour eux de se retrouver en confinement cellulaire que dans une unité d’isolement préventif. Par conséquent, je crois qu’il ne faut pas sous-estimer l’impact des confinements. Je crois qu’il faut se pencher sérieusement sur cette question.
La présidente : Madame Latimer, comme nous avons peu de temps, je vous demanderais de conclure votre réponse, s’il vous plaît, puis nous passerons à la prochaine question. Nous avons une journée bien remplie.
Mme Latimer : D’accord. Parfait. Il y a toujours beaucoup de composantes aux questions de la sénatrice Pate, et c’est difficile de toutes les aborder.
Je crois que je vais m’arrêter ici. Il existe des préoccupations au sujet du projet de loi C-83 et quant à sa mise en œuvre.
La sénatrice Pate : Je suis vraiment désolée, madame la présidente, mais j’ai une question complémentaire à la lumière de ce qui a été dit.
Lorsque l’enquêteur correctionnel, M. Zinger, a comparu devant le comité, il a précisé que les ressources qui seront affectées en vertu du projet de loi C-83 seront destinées davantage à la sécurité qu’aux programmes, ce qui semble contredire ce que vous avez décrit. Si je ne me trompe pas, il estimait que nous allions constater exactement ce que les services correctionnels ont dit, soit que le problème est de nature administrative ou qu’il est lié à la mise en œuvre des dispositions au niveau des établissements. Ce que j’avais retenu de son témoignage, c’est que nous n’allions pas constater de changement précis et que, en fait, il semble que la plupart des ressources seront affectées à la sécurité. Avez-vous obtenu un autre son de cloche?
Mme Latimer : Il a peut-être eu accès à une ventilation plus précise des ressources que moi. Il y a beaucoup d’argent, ici, et ce serait bien si on utilisait ces fonds de façon prudente et sage pour atteindre les objectifs stratégiques.
Ce qu’ils diront, par exemple, c’est que la disposition associée à la modification proposée selon laquelle il ne faudrait pas gérer des problèmes médicaux par l’ouverture pour le passage des plateaux-repas signifie que les détenus devront être sortis de leur cellule, ce qui exigera la présence de deux agents correctionnels au moment de l’ouverture de la cellule de façon à permettre une discussion face-à-face avec le professionnel de la santé.
Par conséquent, il y a beaucoup d’éléments dans le projet de loi qui, selon eux, entraîneront une augmentation des coûts liés à la sécurité, mais je n’ai pas vraiment vu de ventilation de l’incidence que tout ça aura sur les autres coûts des programmes ou les autres occasions d’offrir des programmes.
La sénatrice Pate : Nous devrons peut-être obtenir de plus amples renseignements à ce sujet. Merci beaucoup.
Madame Majury, vous avez mentionné vous aussi un certain nombre de problèmes liés au projet de loi C-83. Vous avez mentionné que, en fait, certaines dispositions n’ont pas été complètement mises en œuvre. Pouvez-vous préciser. J’aimerais bien en savoir plus à ce sujet.
Je veux aussi vous poser des questions au sujet du témoignage d’Amanda George devant le comité. Elle a mentionné que, lorsqu’elle réalisait une étude, ici, au Canada, elle a été avisée par l’un des sous-directeurs à l’époque, qui est ensuite devenu directeur d’établissement et qui occupe maintenant un poste différent au sein du Service correctionnel du Canada, que tous les sous-directeurs responsables de la sécurité dans les prisons pour femmes avaient affirmé, en 2005, qu’il fallait arrêter de soumettre les femmes à des fouilles à nu, sauf lorsqu’une telle fouille est justifiée. Ils avaient en fait présenté une pétition à cet égard au comité de direction du Service correctionnel du Canada, mais la demande avait été refusée.
J’aimerais savoir si vous êtes au fait de ce rapport ou si vous en avez une copie, si votre organisation a été consultée à ce sujet et si vous avez des commentaires à formuler sur cet enjeu.
De plus, combien d’intervenants régionaux se sont vu refuser l’accès en raison d’une vérification de la fiabilité. On dirait que c’est arrivé à quelques-uns. Je suis sûre que le comité aimerait aussi obtenir cette information, parce que s’il s’agit de personnes qui se rendaient en établissement pour fournir un soutien et qu’on leur refuse maintenant l’accès, c’est une situation que devrait connaître le comité.
Mme Majury : Je vais essayer d’être brève, mais je veux aussi formuler deux ou trois commentaires sur l’isolement.
Comme vous le savez à coup sûr, la position de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, c’est qu’on ne devrait jamais isoler les femmes, peu importe les circonstances, et qu’une telle pratique est inutile. Cela me brise le cœur de savoir que l’on consacre plus de ressources pour soutenir l’isolement plutôt que de trouver des solutions de rechange créatives.
Si nous maintenons l’isolement, peu importe le nom qu’on donne à cette pratique, nous ne consacrerons pas l’argent, le temps, l’énergie et les efforts nécessaires pour réfléchir à la façon de régler les problèmes qui sont exacerbés lorsqu’on isole les gens, lorsqu’on les sépare du reste de la population. C’est doublement malheureux si on accorde plus de ressources à de telles pratiques.
Cela renvoie, par exemple, aux problèmes que nous constaterons dans la foulée de l’adoption du projet de loi C-83. Il y en aura maintenant deux. C’est mieux qu’on ouvre la porte de la cellule, mais il doit maintenant y avoir deux agents plutôt qu’un lorsque la personne parle directement au professionnel de la santé. Dans quelle mesure une personne qui a de graves problèmes de santé mentale est-elle susceptible de se sentir mieux à l’idée de parler à un professionnel de la santé en présence de deux gardes dans un tel contexte? On donne d’une main ce qu’on reprend de l’autre, et on crée ainsi de graves problèmes.
Je ne savais pas que le sous-directeur avait recommandé l’arrêt des fouilles à nu sans justification, alors vous m’apprenez quelque chose de très positif. Nous aimerions bien sûr revoir cette étude et les recommandations connexes et les soutenir.
La situation des fouilles à nu dégénère. Comme vous devez le savoir, il s’agit souvent de femmes qui ont de terribles antécédents d’agression sexuelle, et la fouille à nu a un effet dévastateur sur elle. Dans la mesure où c’est possible, nous devrions mettre fin totalement à cette pratique, mais réduire le nombre de fouilles à nu serait assurément bénéfique. À ma connaissance, nous n’avons pas été consultés, et c’est un enjeu que nous continuons de soulever.
Pour ce qui est de l’accès et de la cote de fiabilité, nous sommes très déchirés, parce que nous voulons soutenir ceux qui s’opposent à la cote de fiabilité et qui affirment fermement qu’elle n’est pas nécessaire. Entretemps, cela signifie que nos intervenants ne peuvent pas entrer dans les prisons pour travailler avec les femmes. Que devons-nous faire?
Je ne sais pas exactement combien de nos intervenants régionaux se sont vu refuser l’accès. On nous a dit que l’accès leur sera refusé. En Colombie-Britannique, je crois qu’il y a effectivement eu certains refus, mais je vous fournirai plus tard les chiffres à cet égard.
La sénatrice Pate : Certains de vos intervenants régionaux sont en fait des femmes qui sont passées par le système carcéral. J’aimerais bien savoir, lorsque nous obtiendrons les chiffres, si certaines des femmes qui sont passées par le système carcéral et vivent maintenant dans la collectivité en y participant de façon prosociale se voient refuser l’accès de façon disproportionnée en raison de leur casier.
Mme Majury : Nous comptons sur de merveilleux intervenants régionaux qui vont dans les prisons parce que les femmes leur font confiance, leur parlent et leur disent ce qui se passe. Donc, oui, il y a eu des problèmes précis, pas seulement en ce qui a trait à la cote de fiabilité, mais pour ce qui est des autorisations de façon générale et le fait de permettre à ces femmes de retourner dans les prisons pour travailler.
La sénatrice Pate : Merci.
La sénatrice Boyer : Au départ, je voulais poser une question sur le projet de loi C-83, mais je pense que je vais en poser une différente.
Madame Majury, je veux vous poser une question sur les femmes autochtones. Je sais que l’ACSEF a fait beaucoup de bon travail dans le domaine, particulièrement la conférence Sallows Fry de 2015. On avait mis en partie l’accent sur la criminalisation et l’emprisonnement des femmes autochtones. Selon vous, que peut-on faire pour aider les femmes autochtones dans le cadre de leur processus de réhabilitation et de réinsertion sociale?
Mme Majury : La première chose que je vous dirais, c’est de ne pas les envoyer en prison d’entrée de jeu. C’est tout simplement que, étant donné la colonisation, les pensionnats et la rafle des années 1960 et l’incidence de toutes ces choses sur nos femmes autochtones, les criminaliser et les envoyer dans un environnement qui rappelle de bien des façons les pensionnats est tout simplement horrible. Selon moi, notre travail devrait commencer bien avant la réinsertion sociale et mettre plutôt l’accent sur le fait de ne pas envoyer les femmes autochtones en prison d’entrée de jeu.
Puis, il faut soutenir leurs collectivités afin qu’elles puissent y retourner. Encore une fois, c’est un bon endroit où affecter des ressources, pas dans l’isolement, mais dans le soutien des collectivités autochtones qui accueillent et soutiennent des femmes et des hommes qui viennent de leur collectivité et qui se sont retrouvés en prison.
La sénatrice Boyer : Est-ce qu’une approche communautaire serait une solution de rechange?
Mme Majury : Absolument, et ce, avant et dans le cadre de l’intégration. C’est vrai pour les Autochtones, mais c’est aussi notre approche pour toutes les personnes criminalisées. C’est dans les collectivités qu’il y a du travail à faire. C’est là que les ressources doivent être affectées et que le soutien peut vraiment avoir un impact.
La sénatrice Boyer : Merci.
Le sénateur White : Je suis désolé d’avoir été en retard de deux ou trois minutes. Je suis heureux de vous voir là toutes les deux.
J’aimerais poursuivre avec Mme Latimer, si vous me le permettez, et parler de l’interaction entre les agents correctionnels — ou le personnel — et les détenus, et savoir s’il y a eu des projets pilotes réalisés au Canada sur le port de caméras vidéo corporelles par le personnel dans certaines des installations. Des services de police de partout au pays réalisent des projets pilotes à cet égard ou adoptent de telles caméras vidéo corporelles à l’heure actuelle, et c’est pour certaines des mêmes préoccupations que celles soulevées par les gens quant à la façon dont ils sont traités.
Ensuite, au moment d’utiliser un aérosol capsique ou d’autres outils, faut-il faire automatiquement un enregistrement vidéo de ces interventions aux fins d’examen par les superviseurs et des organismes externes?
Mme Latimer : Selon la politique, les incidents où il y a recours à la force doivent être enregistrés sur vidéo, mais je crois que l’enquêteur correctionnel a dit que, dans les trois quarts des cas, l’enregistrement vidéo était problématique, et l’intervention n’a pas été filmée, ce qui, selon moi, est un problème en tant que tel.
Certains des prisonniers m’ont dit qu’il y a certains signes avant-coureurs. Par exemple, si un prisonnier agresse un agent correctionnel, il y a souvent — d’après ce que j’ai entendu — une forme quelconque de représailles officieuses. Le coupable sera amené à un endroit dans la prison où il n’y a pas de caméra et il sera battu. En outre, à ce moment-là, il est habituellement envoyé en isolement.
Évidemment, ils sont sensibles au fait qu’il devrait y avoir des caméras, et s’ils font quelque chose qui est inapproprié, les caméras ne sont habituellement pas activées ou les gestes sont posés dans un endroit où il n’y a pas de caméra.
Le sénateur White : Je comprends ce que vous dites du point de vue de la capacité des caméras, mais, dans le cas des caméras vidéo corporelles, chaque employé en porte une et il l’active dans le cadre de chaque interaction. Ce n’est pas comme s’il fallait être dans un corridor. L’enregistrement se fait de façon continue tout au long de l’interaction avec un membre du personnel, et si ce n’est pas fait, des mesures disciplinaires peuvent être prises. Cependant, vous n’êtes au fait d’aucune utilisation de caméras vidéo corporelles?
Mme Latimer : Non, mais je crois que ce serait une excellente idée. Ce serait aussi intéressant s’il y avait aussi un enregistrement sonore.
Le sénateur White : Il y en a un.
Mme Latimer : Beaucoup de prisonniers estiment avoir été poussés à agir de façon violente ou provoqués par les commentaires des gardes. Un prisonnier m’a dit : « chaque jour, je me lève, et je me dis que je ne vais pas les laisser me faire sortir de mes gonds ». Toutefois, il a ajouté qu’ils réussissent chaque fois. Ce n’est pas une atmosphère plaisante. Je crois que ce serait une excellente idée de réaliser un projet pilote de cette nature.
Le sénateur Cormier : Je vais poser mes questions en français.
[Français]
J’aimerais vous remercier de vos présentations. Je ne suis pas membre du comité, mais je remplace la sénatrice Hartling. Je m’excuse auprès de mes collègues, car je devrai peut-être poser des questions qui ont déjà été abordées dans le cadre de votre étude.
Vous avez parlé des enjeux liés à la santé des prisonniers. Ma question est très spécifique. Pouvez-vous nous parler des patients porteurs du VIH? Dans les milieux carcéraux, il y a des enjeux, comme ailleurs dans notre société, envers les porteurs du VIH en matière de confidentialité, de discrimination et de protection. Avez-vous de l’information que vous pourriez me transmettre à ce sujet? C’est ma première question pour vous.
[Traduction]
Mme Latimer : Ce que j’ai entendu, c’est que les détenus qui ont le VIH ne veulent pas que d’autres détenus le sachent. Cela leur fait courir des risques. Par conséquent, si on doit leur fournir un traitement approprié, il faut le faire de façon très confidentielle. N’importe quel type de maladie transmise par le sang ou contagieuse peut se répandre très rapidement en milieu carcéral, c’est donc très important qu’il y ait des façons adéquates et confidentielles de traiter les personnes atteintes du VIH.
[Français]
Le sénateur Cormier : Vous n’avez pas d’information précise sur les inquiétudes que vivent les porteurs du VIH dans les milieux carcéraux. Je ne suis évidemment pas un spécialiste, mais j’entends souvent parler des enjeux liés aux porteurs du VIH plus particulièrement. Que font les administrations pour soutenir ces patients?
[Traduction]
Mme Latimer : Je ne suis pas la meilleure personne à qui parler de ça au sein du système fédéral. J’ai cependant interagi avec quelqu’un dans le système provincial qui est resté en isolement préventif durant la majeure partie de sa peine. On tentait ainsi de le protéger parce qu’il croyait être en danger s’il se retrouvait parmi les autres détenus. Je crois que, si les gens apprennent qu’une personne est atteinte du VIH, ce peut être très problématique d’intégrer cette dernière au sein de la population régulière. Si vous voulez, je peux me pencher sur cette question et essayer de voir si je peux trouver plus de renseignements.
La présidente : Merci. Si vous pouvez envoyer l’information à la greffière du comité, ce serait utile.
La sénatrice Pate : En ce qui concerne l’enjeu du VIH, madame Majury — et Mme Latimer voudra peut-être aussi en parler —, il y a eu le décès d’une femme qui s’appelait Pamela Payette à l’Établissement Grand Valley. L’un des problèmes soulevés, c’est qu’elle était séropositive et que le personnel n’est pas intervenu en raison de la peur ou d’un manque de formation. Même l’appareil respiratoire accessible pour réaliser le RCR n’a pas été utilisé.
Dans le cadre de ce processus, une des discussions a porté sur la question de savoir si l’article 29 aurait pu être invoqué pour permettre le transfèrement de quelqu’un comme Mme Payette ou d’autres personnes atteintes du VIH.
Nous avons vu des personnes atteintes de démence et affichant toutes sortes d’autres problèmes de santé à long terme, et on se pose la question de savoir si ces personnes constituent un risque pour le public à cette étape-là. Avez-vous vu des situations où l’article 29 a été invoqué de la sorte? Auriez-vous des recommandations à formuler au comité à ce sujet et sur la façon dont le projet de loi C-83 pourrait limiter encore plus l’application de cet article de la Loi qui, en fait, n’a pas été utilisé souvent?
Mme Latimer : Je crois qu’il y a un vrai problème de reconnaissance de l’incapacité de traiter des personnes ayant certains maux de façon efficace en milieu carcéral. Je crois que toute stratégie qui aide à les sortir de là pour qu’elles se retrouvent dans une situation où leur santé sera gérée de façon adéquate est extrêmement importante. À un certain point, le patient passe avant le détenu, et c’est quelque chose dont il faut tenir compte. Puisqu’ils peuvent désigner à peu près n’importe quoi en milieu carcéral, ce serait tout à fait possible pour eux de désigner certains centres de soins palliatifs ou une diversité d’autres endroits où des gens souffrant de certaines affections pourraient être traités sans qu’il soit nécessaire de respecter l’ensemble des exigences en matière de sécurité associées au milieu carcéral. Si nous pouvions utiliser l’article 29 pour y arriver, tant mieux, c’est ce que nous devrions faire.
La sénatrice Pate : D’après ce que j’ai compris, il ne serait même pas vraiment nécessaire de désigner un endroit comme étant un pénitencier. Les articles 29, 81 et 84 pourraient être utilisés relativement à des personnes purgeant une peine et les personnes en libération conditionnelle dans un milieu communautaire comme le prévoit la loi actuellement en vigueur, pas tel que les choses sont proposées dans le projet de loi C-83.
Mme Latimer : C’est ce que je comprends, et je ne comprends pas pourquoi on hésite à utiliser davantage l’article 29. C’est peut-être parce que les établissements d’accueil n’aiment pas l’idée.
Une solution de rechange serait peut-être de compter sur un endroit dans la collectivité qui recevrait la désignation de pénitencier, sans pour autant y ressembler. Si une telle mesure pouvait faciliter les transfèrements, c’est une autre chose qu’on pourrait envisager.
Mme Majury : J’aimerais ajouter que l’article 29 est gravement sous-utilisé et que c’est un outil auquel nous devrions songer sérieusement. La situation du sida est un excellent exemple de cas où il serait extrêmement utile de placer une personne dans la collectivité. Il en va de même pour tellement de personnes qui ont différents problèmes de santé mentale. Ces personnes devraient être dans la collectivité, pas en milieu carcéral.
Encore une fois, le fait d’entendre qu’on les envoie plutôt en isolement — l’isolement est la solution par défaut lorsqu’on ne savait pas quoi faire — plutôt que de retourner ces personnes dans la collectivité où il y a toutes sortes d’intervenants qui ont la formation, les compétences et la détermination nécessaires pour composer avec les problèmes de santé mentale et les problèmes liés au sida... Tout ça va complètement à l’encontre de ce qui serait efficace, raisonnable et utile.
Je ne serais pas favorable à ce qu’on appose la désignation de « prison » à une installation quelconque dans la collectivité tout simplement par crainte des dispositifs qui accompagneraient peut-être une telle désignation, que ce soit intentionnel ou non.
[Français]
Le sénateur Cormier : J’ai une dernière petite question qui n’est pas liée à la santé. De façon générale, avez-vous des suggestions pour assurer un meilleur respect des droits des personnes et des groupes marginalisés et vulnérables, particulièrement ceux de la communauté LGBTQ dans les prisons? Ces personnes font souvent l’objet de discrimination à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons. Je pense aux personnes transgenres, aux membres de la communauté LGBTQ en général, mais particulièrement aux personnes transgenres dans les prisons.
[Traduction]
Mme Majury : Oui, ce sont de graves problèmes, et il y a toutes sortes de cas de discrimination sociale qui surviennent dans la collectivité et qui sont exacerbés en milieu carcéral, tant au sein de la population que de la part du personnel.
La question des personnes transgenres soulève des questions extrêmement complexes et très difficiles en ce qui a trait au milieu carcéral. Nos prisons sont fondées sur une conception franchement et clairement binaire du genre, et la notion de « transgenre » créée une faille dans cette catégorisation de façons très complexes. Il faut veiller à protéger les droits et à assurer la sécurité des personnes transgenres dans ce contexte et protéger aussi les prisonnières dans les établissements pour femmes. C’est donc un dossier qui exige beaucoup de réflexion difficile et beaucoup de travail. Dans un monde futur visionnaire, il est à espérer que nous n’utiliserons plus ces catégories de genre rigides que nous appliquons actuellement, mais c’est la réalité dans laquelle nous vivons à l’heure actuelle, vu que notre système carcéral est fondé sur cette conception binaire. C’est donc compliqué.
La présidente : Vous avez toutes les deux fait allusion au fait que le comité devrait s’intéresser de façon continue à la situation difficile des détenus. J’ai l’impression que vous parlez de surveillance, mais j’aimerais savoir si vous avez une recommandation précise à formuler à cet égard au comité.
Mme Majury : C’est une excellente question. Pour être honnête avec vous, je n’ai pas pensé à une recommandation précise. J’aimerais bien y penser et vous revenir là-dessus.
Cependant, dans la mesure où vous voulez et pouvez maintenir une compétence et poursuivre une enquête continue sur la situation dans les établissements carcéraux, un suivi est très important. Comme vous le savez, tous ces problèmes existent derrière des portes closes. Si nous ne mettons pas au jour ce qui se passe dans les établissements, nous perdons la capacité d’améliorer les choses, de les changer et de réfléchir de façon créative à l’avenir. Je serais heureuse de réfléchir à tout ça et de penser à votre structure — que je ne connais pas — afin de voir ce qui pourrait fonctionner.
Mme Latimer : De mon point de vue, tout regard externe sur le milieu carcéral est extrêmement important. Les sénateurs ont une capacité vraiment unique en vertu de la loi d’aller sur place. Je vous recommande fortement de le faire sans donner de longs préavis. Vous vous rendez là et vous parlez aux membres du comité des détenus. Vous y allez et vous parlez aux gens dans les unités d’intervention structurées. Essentiellement, vous pouvez parler à tous les détenus qui veulent vous parler. Je crois que ce serait extrêmement utile pour garder un œil sur tout ça, et même avoir un effet dissuasif. Si les gens savent que vous êtes susceptibles d’aller sur place, je crois que vous verrez un ensemble de procédures différent.
La sénatrice Pate : Une des recommandations formulées par un des comités parlementaires, c’est qu’un comité parlementaire, dans ce cas, le comité sénatorial, ou notre comité sénatorial, réalise un examen quinquennal sur la façon dont les politiques et les dispositions législatives sont vraiment appliquées. Tandis que vous réfléchissez aux options à recommander, si c’en est une qui, selon vous, pourrait être utile, nous aimerions connaître vos points de vue à ce sujet.
Mme Latimer : De mon point de vue, il y a un écart incroyable entre ce qui est couché sur papier et le contenu des politiques et ce qui se passe vraiment en établissement. On s’attend à ce que les agents correctionnels connaissent toutes les lois, tous les règlements et toutes les procédures stratégiques, mais ce n’est pas le cas. Par conséquent, ils ne les respectent pas.
La primauté du droit n’existe pas dans les établissements. Par conséquent, une surveillance quelconque pour voir de quelle façon les choses sont vraiment appliquées dans les établissements serait extrêmement utile. Selon moi, il s’agirait là de quelque chose de très bénéfique.
Mme Majury : Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit, mais j’espère vraiment que nous pourrons faire preuve de plus de créativité pour trouver d’autres solutions de rechange plutôt qu’essayer de surveiller et de contrôler un système brisé.
La présidente : Merci.
Pour le compte rendu, en réponse à la question du sénateur Cormier sur le VIH, je tiens à souligner que le comité a reçu un mémoire du Réseau juridique canadien VIH/sida le 22 juin 2017. Ce mémoire fait donc partie de notre compte rendu officiel.
Merci à vous deux d’avoir été là aujourd’hui pour témoigner et répondre à nos questions.
En ce qui concerne notre deuxième groupe de témoins, nous nous intéressons à la réinsertion sociale et à la réhabilitation des prisonniers dans le système correctionnel fédéral et nous allons entendre parler d’un programme. Shoshana Pollack, coordonnatrice du programme Walls to Bridges, devait être là en tant que témoin dans ce groupe, mais, malheureusement, elle ne se sentait pas bien et elle a dû annuler sa comparution. Nous accueillons aujourd’hui Peggy Shaughnessy, fondatrice de WhitePath Consulting, qui met au point des programmes fondés sur le modèle RedPath.
Madame Shaughnessy, la parole est à vous.
Peggy Shaughnessy, fondatrice, WhitePath Consulting : Merci. Je tiens à tous vous remercier de me permettre de comparaître devant le comité aujourd’hui et je remercie tous nos ancêtres de permettre notre rencontre. Je tiens aussi à reconnaître le territoire de la nation algonquine sur laquelle nous nous trouvons.
Si nous voulons un jour mieux comprendre la surreprésentation des Autochtones au sein du système de justice et que nous voulons régler de façon réaliste ce problème, il faudra miser sur un programme plus important et plus imaginatif. Le grand nombre de rapports poussiéreux sur la surreprésentation des délinquants autochtones et l’augmentation persistante du nombre de délinquants autochtones sont révélateurs de l’absence de mesures stratégiques concrètes et efficaces pour s’attaquer aux causes profondes de l’incarcération.
Le fait de mettre l’accent sur les chiffres permet de considérer que la population autochtone fait face à un problème social qu’il faut régler. Le fait de promouvoir des modèles de justice communautaire pour s’attaquer à ces taux occulte le fardeau qui incombe à l’État de tenir compte de la relation entre les injustices historiques et les taux actuels d’incarcération. Cela met en lumière le fait que, alors même que l’État tente d’assumer sa responsabilité en droit grâce à la disposition sur la détermination des peines, il reste engagé à mieux comprendre les taux de surreprésentation.
Ce résultat révèle la limite et la capacité du processus de justice pénale de s’attaquer aux formes de marginalisation et de violence structurelle. La situation met aussi en lumière les problèmes sous-jacents, des façons d’invoquer la tradition et/ou d’appliquer des sanctions appropriées d’un point de vue culturel, qui se soldent par rien de plus que la création de certaines pratiques dictées par l’État.
Depuis plus de 10 ans, les programmes de guérison et de mieux-être fondés sur le modèle RedPath sont utilisés au sein du système judiciaire à l’échelle canadienne. Initialement, de tels programmes ont fait l’objet de projets pilotes dans le Pénitencier de Kingston et l’Établissement de Warkworth. Ce document présentera un bref aperçu de l’élaboration du modèle RedPath et fournira quelques exemples des résultats de sa réussite.
En septembre 2003, j’ai été embauchée par les bureaux de la région de l’Ontario de la Direction des initiatives pour les Autochtones du Service correctionnel du Canada en réaction à un certain nombre de problèmes chroniques rencontrés dans les établissements fédéraux à sécurité maximale de l’Ontario. Du personnel correctionnel s’était plaint des comportements des délinquants autochtones, et des griefs du personnel correctionnel reflétaient les préoccupations des employés au sujet des délinquants autochtones. Les délinquants autochtones se plaignaient du fait qu’ils ne pouvaient pas avoir accès à des aînés et à des programmes adaptés à leur culture.
À la lumière de cette discordance réciproque, il a été décidé qu’une évaluation des besoins des délinquants autochtones devait être réalisée pour qu’il soit possible de cerner ce qu’on pouvait faire pour régler certains des problèmes soulevés. Jusqu’à la réalisation de la présente étude, il n’y avait jamais eu d’enquête approfondie portant précisément sur les besoins des délinquants autochtones au sein du système correctionnel fédéral de l’Ontario. L’étude a donné un aperçu des besoins exprimés par les délinquants autochtones qui y ont participé. On espérait que, grâce à l’examen des besoins propres aux Autochtones, les problèmes uniques auxquels ce groupe était confronté pourraient être réglés de façon plus efficace.
Je n’ai pas le temps aujourd’hui de parler des résultats de cette évaluation, mais ce qui est important, c’est que l’article 76 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition indique ceci :
Le Service doit offrir une gamme de programmes visant à répondre aux besoins des délinquants et à contribuer à leur réinsertion sociale.
Cet énoncé est renforcé à l’article 80, qui fait référence aux délinquants autochtones :
Dans le cadre de l’obligation qui lui est imposée par l’article 76, le Service doit offrir des programmes adaptés aux besoins des délinquants autochtones.
Le personnel correctionnel se plaignait du comportement des délinquants autochtones, mais ceux-ci tentaient d’exercer leurs droits, comme il est indiqué dans la LSCMLC.
L’évaluation des besoins a révélé que la population autochtone en Ontario représentait environ 17 p. 100 de la population régulière et que le pourcentage le plus élevé de ces délinquants faisait partie de la rafle des années 1960. Nous sommes tous conscients des effets des pensionnats indiens et nous n’avons pas été étonnés par ce que nous avons trouvé dans le casier judiciaire des délinquants autochtones qui ont participé à cette étude. Ils n’étaient pas seulement des survivants de l’époque de la rafle des années 1960; le traumatisme fantôme de cinq générations de pensionnats pesait également sur eux.
Alors, pourquoi est-ce important? C’est important parce que, la dernière fois que j’ai demandé les statistiques de la région ontarienne du Service correctionnel du Canada, c’était en 2018. D’après ces statistiques, les délinquants autochtones dans le système fédéral en Ontario comptaient pour 35 p. 100 de la population.
En 2017, Statistique Canada a déclaré que la croissance de la population autochtone du Canada continue de dépasser rapidement celle du reste du pays. Les données brossent un tableau d’une population autochtone jeune et en croissance.
Entre 2006 et 2016, la population autochtone a augmenté de 425 p. 100, ce qui signifie plus de possibilités de suppression. Comme la ministre Philpott l’a déclaré, la surreprésentation d’enfants et de jeunes Autochtones dans les établissements de soin gouvernementaux est une crise humanitaire.
Pour ceux d’entre nous qui ont investi leur temps à défendre les droits des peuples autochtones, il est évident que le gouvernement ne veut pas investir dans la réhabilitation des populations autochtones. À la suite de cette inaction, un pourcentage élevé de ces jeunes se retrouveront derrière les barreaux à un moment de leur vie.
Le gouvernement du Canada est au courant de l’injustice à l’endroit des peuples autochtones et de leur collectivité à chaque étape du jeu. Ce que l’on appelle maintenant la rafle du millénaire montre que plus d’enfants autochtones sont sous garde qu’au plus fort de l’époque des pensionnats indiens.
Comme Cindy Blackstock l’a souligné : « Ottawa ne fait pas tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que ce n’est pas une autre génération d’enfants des Premières Nations qui aura à guérir de son enfance. »
Alors, quand commencent les droits des peuples autochtones dans le système de justice? À quel moment les lois mises en place, destinées en particulier aux Autochtones, seront-elles appliquées?
J’ai un programme, RedPath, qui s’est révélé être une pratique exemplaire, mais le gouvernement du Canada, de même que le gouvernement de l’Ontario, continue de résister et de ne pas adopter quelque chose qui a fait ses preuves.
Avant de prendre sa retraite en 2011, Rupert Ross a été procureur de la Couronne pendant 26 ans. La plupart de ses fonctions liées aux poursuites consistaient à prendre l’avion à destination des Premières Nations éloignées du nord-ouest de l’Ontario. En 2014, il a écrit un livre intitulé Indigenous Healing: Exploring Traditional Paths, dans lequel il a consacré un chapitre entier à ce qu’il a expliqué en ces mots : « [...] le travail novateur de Peggy visant à comprendre la violence au sein des collectivités autochtones et à y réagir ».
Madame la juge Deborah Austin a déclaré : « Il y a une représentation disproportionnée de délinquants autochtones dans les tribunaux criminels à Sarnia [...] D’après non seulement le contenu du programme, mais également les commentaires et les résultats de participants, d’agents de probation et de personnes travaillant avec des délinquants, je suis convaincue que le programme RedPath est un programme exceptionnel et important destiné aux Autochtones qui ont eu des démêlés avec le système judiciaire. De façon très réelle et positive, le programme aide les participants à penser différemment au sujet d’eux-mêmes et à apporter des changements positifs dans leur vie. J’ai été très impressionnée par l’enthousiasme des participants et les rapports favorables d’agents de probation, de travailleurs auprès des tribunaux pour les rapports Gladue, d’avocats et d’autres personnes travaillant avec des délinquants qui participent à ce programme. »
Un intervenant de la Colombie-Britannique qui travaille avec des femmes autochtones qui sortent d’un établissement carcéral a déclaré :
Chaque groupe a été différent et étonnant, car les femmes sont habilitées à s’exprimer, à créer un lieu sûr et à établir des liens au sein du groupe, en faisant des choix quant à ce qu’elles aimeraient vivre sur le plan culturel. RedPath a permis de mieux comprendre pourquoi elles se sentent ainsi. J’ai vu quelques femmes guérir d’une douleur très profonde simplement en comprenant l’incidence des pensionnats indiens et leurs conséquences sur leur vie. C’est merveilleux et enrichissant d’observer la conscience de soi que le programme a apportée à chacune des participantes. Je suis honoré et reconnaissant de faire partie de leur cheminement.
Ce même intervenant gère également des programmes pour une maison de transition pour hommes. Un délinquant en particulier avait une RCB, une résolution du conseil de bande, selon laquelle vous pouvez être banni de votre collectivité pendant un certain temps. Après le programme RedPath, il avait les compétences requises pour s’asseoir devant son chef et le conseil, et, comme il avait appris à utiliser sa voix plutôt que son poing, il a été accueilli dans la collectivité; il travaille maintenant comme mentor auprès des jeunes dans sa collectivité.
Les intervenants des programmes RedPath m’ont envoyé d’autres exemples de réussite, et j’en présenterai rapidement trois qu’ils m’ont transmis.
La présidente : Pardonnez moi, madame Shaughnessy. Je sais que, dans l’invitation, vous avez demandé à parler pendant cinq à sept minutes. Nous en sommes maintenant à 10 minutes, et nous avons un exemplaire de votre mémoire.
Mme Shaughnessy : Je vais simplement conclure.
La présidente : Il sera peut-être possible de faire connaître les histoires pendant la période de questions et de réponses.
Mme Shaughnessy : Le programme RedPath est un excellent outil avec lequel cet intervenant se retrouve. Il appartient à la personne de participer et d’intégrer les connaissances dans sa vie, et ce ne sont là que quelques-unes des histoires de sa première expérience de coanimation.
Je vais conclure avec ceci. Il n’est pas difficile de prédire l’avenir des Autochtones au sein du système de justice. Nous parlons de la surreprésentation depuis 1967 dans le rapport Laing, intitulé Les Indiens et la loi. À moins de prendre un temps d’arrêt et de constater que, si des programmes comme RedPath ne sont pas mis en place pour résoudre les problèmes sous-jacents de ces délinquants autochtones, nous ferions mieux de commencer dès maintenant la construction de nouvelles installations.
Alors, prenons un peu de recul et réfléchissons un instant. De quoi vont parler nos petits-enfants, les vôtres et les miens, quand ils se réuniront à la même table que celle où nous sommes assis maintenant? Merci.
La présidente : Merci.
Des sénateurs sont prêts à poser des questions.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup, madame Shaughnessy, d’être ici aujourd’hui et d’avoir communiqué des détails sur le programme RedPath et sa réussite.
Les membres du comité ont eu l’occasion de visiter des établissements carcéraux au pays, et c’était la première fois que je me trouvais dans un tel établissement. Lorsque la porte claque derrière vous la première fois, c’est une expérience bouleversante. C’est également une expérience bouleversante quand on se rend compte que c’est là que des gens vivent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. C’est leur maison.
Nous étudions les droits de la personne des prisonniers, et il est important que les droits de la personne restent à la portée de tous les Canadiens, même si vous êtes incarcéré. Malheureusement, ce n’est pas ce que nous avons constaté dans certains cas.
Partout où je suis allée, j’ai été frappée par le pourcentage élevé d’Autochtones dans le système pénitentiaire. Je viens de la Nouvelle-Écosse. Cela a commencé dans ma province, où le pourcentage était beaucoup plus élevé qu’il l’aurait dû. Toutefois, nous l’avons vraiment remarqué lorsque nous sommes allés dans les provinces de l’Ouest, les Prairies. Le pourcentage était beaucoup plus élevé qu’il aurait dû l’être.
Nous avons vu des centres de guérison autochtones, et les gens qui s’y trouvaient en ont fait l’éloge. Vous avez parlé de votre programme RedPath et de la façon dont il aide les personnes qui ont vécu des traumatismes importants dans leur vie.
En tant qu’ancienne enseignante au primaire, je me demande même si cela peut commencer plus tôt. Que faisons-nous ou ne faisons-nous pas pour les jeunes enfants autochtones afin qu’ils aient les mêmes possibilités que beaucoup d’autres Canadiens et pour qu’ils ne se retrouvent pas dans le système judiciaire?
Mme Shaughnessy : Je pense que, lorsque vous êtes entouré d’actes répétés de la violence coloniale qui se poursuit dans le contexte du colonialisme, ce qui est une chose historique, et par la suite dans les politiques, jusqu’à ce que nous puissions aborder les problèmes sous-jacents qui affectent la vie de chacun compte tenu de son bagage, chaque personne est différente. C’est ce que nous essayons de faire dans le cadre du modèle RedPath. Nous avons des programmes pour les jeunes et nous allons dans les collectivités des Premières Nations pour travailler avec les jeunes. Le problème tient aussi au fait qu’il n’y a jamais de budget rattaché à quoi que ce soit en ce qui concerne les peuples autochtones. Peu importe qu’il s’agisse de s’adresser aux jeunes ou d’obtenir ceci ou cela. Au bout du compte, rien ne peut être permanent, car il n’y a jamais d’argent lié à ce qu’on dit vouloir faire pour les populations autochtones.
La sénatrice Cordy : Il semble que nous en parlions depuis assez longtemps, mais vous avez peut-être de meilleurs chiffres. Ce que je lis et ce que je vois, c’est qu’il ne semble pas y avoir de changement significatif. Est-ce que nous n’investissons pas des sommes suffisantes? Investissons-nous l’argent aux mauvais endroits? Quelque chose doit changer, car nous sommes au Canada, et cela ne devrait pas se produire.
Mme Shaughnessy : Il faudrait peut-être une journée entière de discussions, mais si vous examinez les articles 81 ou 84 de la LSCMLC, pour une mise en liberté dans la collectivité, aucune somme n’est versée comme c’est le cas pour une maison de transition, par exemple. Par conséquent, si je discute avec les services correctionnels en vue de la mise en liberté d’une personne en vertu de l’article 84 ou 81... Supposons que, en raison du mot « culture », cela ressemble à une religion, et on ne demande pas d’argent pour la religion. Donc, la personne autochtone est mise en liberté parce qu’il y a un lien quelconque avec la culture, et aucun budget n’est rattaché à cet aspect, car il n’y a pas de réhabilitation. C’est là que réside le problème. C’est comme ça que l’on peut parler de culture et s’en sortir sans avoir à payer pour cela.
La sénatrice Boyer : Merci, madame Shaughnessy, d’être venue aujourd’hui et de nous avoir présenté un excellent aperçu.
J’ai une question au sujet du programme lui-même. Comment les gens accèdent-ils au programme RedPath et en quoi consiste-t-il? Comment aidez-vous réellement les participants à penser différemment au sujet d’eux-mêmes et à apporter les changements positifs que vous avez décrits?
Mme Shaughnessy : Actuellement, nous formons des personnes au sein des collectivités en tant qu’intervenants. La collectivité fait elle-même des propositions, généralement à l’endroit où les ministères sont situés au Canada, afin d’obtenir l’argent nécessaire pour que nous puissions nous rendre sur place et former les personnes. Souvent, il peut s’agir d’un travailleur de l’ADAP, le programme de lutte contre l’abus d’alcool et de drogue, ou d’un intervenant auprès des enfants au sein de sa collectivité. Ils dirigent le programme au sein de leur collectivité.
Nous avons plusieurs programmes différents. Disons que, dans le cas des dépendances ou d’un mode de vie sans violence, ils passent par un « processus », comme nous l’appelons, le modèle RedPath. Nous travaillons avec eux afin de résoudre le problème sous-jacent. Comme tout autre programme, il s’agit de séances qui composent un module, mais ce que nous examinons est non pas le comportement, mais les problèmes sous-jacents pouvant expliquer le comportement.
Souvent, les gens suivent le programme plus d’une fois parce qu’ils commencent à découvrir certaines raisons qui expliquent leur comportement. Ils vivent beaucoup de choses différentes qui les amènent finalement à comprendre pourquoi ils ont eu ce comportement. C’est la chose la plus importante : « Ma grand-mère ne me détestait pas... Parce que c’était le pensionnat » ou peu importe. Toute votre vie, vous pensez que c’est quelque chose que ce n’était pas. Nous verrons souvent les participants non seulement suivre le processus plus d’une fois, mais à cause de leur propre cheminement, ils veulent ensuite devenir des intervenants dans le cadre du programme.
L’un de nos plus gros problèmes est que le gouvernement ne payera pas. Disons qu’il existe un endroit à Sarnia, The Inn Of The Good Shepherd... Le gouvernement ne payera pas. Des gens du comté se présentent et voient à quel point les participants qui sont passés devant les tribunaux et ne se retrouvent pas derrière les barreaux sont formidables. Le comté verse alors de l’argent, mais la province ou le gouvernement fédéral ne le fera pas. Notre bureau les aide donc toujours à obtenir de l’argent quelque part. Et ça continue. Actuellement, 50 collectivités souhaitent recevoir la formation RedPath, mais elles ont de la difficulté à obtenir l’approbation du gouvernement fédéral pour cette formation.
La sénatrice Boyer : Avez-vous obtenu des évaluations du programme?
Mme Shaughnessy : L’Université Lakehead a récemment effectué une évaluation. Je peux vous l’envoyer. RedPath a fait l’objet d’une évaluation. De fait, RedPath est le seul programme du rapport auquel Suboxone n’est pas lié.
La sénatrice Boyer : Le taux de récidive a-t-il changé?
Mme Shaughnessy : Cette évaluation n’a jamais été approfondie à ce point. Je pourrais dire oui, mais cet aspect n’a pas été évalué. Le programme lui-même l’a été, cependant.
La sénatrice Pate : Merci, madame Shaughnessy, de votre présence et du travail que vous faites depuis de nombreuses années dans ce domaine.
Vous avez parlé de l’article 76 dans votre exposé, l’obligation d’offrir des programmes, et de l’article 80. Lorsque nous parlons des femmes autochtones en particulier, qui constituent la partie de la population carcérale qui augmente le plus rapidement, comme vous le savez sans doute, l’article 77 oblige également les services correctionnels à offrir des services spécifiques aux femmes autochtones afin de favoriser leur mise en liberté dans la collectivité. Vous avez mentionné que les services correctionnels vous avaient dit qu’il n’y avait pas d’argent disponible pour les accords en vertu des articles 81 et 84. Pourtant, lorsque la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été mise en place, l’intention législative de ces dispositions était clairement de réduire le nombre des Autochtones dans les établissements carcéraux. Cela me semble être une décision stratégique interdisant à des personnes comme vous et à des groupes comme le vôtre d’offrir ce type de services.
Avez-vous examiné ce que le projet de loi C-83, le nouveau projet de loi, fera pour limiter davantage l’application des articles 81 et 84? Pouvez-vous nous dire quelles sont les conséquences qui en découleront pour vous en ce qui concerne l’obtention de ressources auprès des services correctionnels au titre de ces dispositions si le projet de loi est adopté?
Mme Shaughnessy : Je ne peux pas vraiment répondre en ce qui concerne l’article 83, mais cela me fait sourire lorsque j’entends parler des articles 81 à 84, voire de l’article 80, car le programme au sein des services correctionnels proprement dits consiste habituellement en la venue de l’aîné qui dirige une cérémonie de la suerie. Pourquoi appelle-t-on cela un programme?
Regardez les rapports Gladue, lesquels ont été introduits en vertu de l’alinéa 718.2e) pour réduire la surreprésentation des Autochtones. Nous savons tous que ce nombre a augmenté.
Nous nous demandons également pourquoi l’alinéa 718.2e) a même été ajouté à l’article relatif à la détermination de la peine du Code criminel, car un délinquant autochtone doit plaider coupable avant même que l’on envisage un rapport Gladue. Donc, la personne délinquante sera toujours une statistique dans la catégorie « surreprésentation » simplement en plaidant coupable.
En ce qui concerne la surreprésentation des Autochtones, les lois qui ont été mises en place à l’intention des Autochtones ont seulement contribué à l’augmenter.
Je ne connais pas suffisamment l’article 83 pour le commenter ici aujourd’hui, mais je l’examinerai plus en profondeur.
J’ai soulevé le deuxième article 84 en Ontario, et il existait déjà depuis de nombreuses années. J’ai tenté d’obtenir de l’argent pour un aîné en vue d’un jeûne et ce genre de choses, et on me disait toujours : « Eh bien, nous n’avons pas assez d’argent. » J’affirmerais qu’il n’y a jamais eu d’argent lié à une politique concernant les Autochtones.
Alors, est-ce que cela nous limitera? Pas plus qu’auparavant.
La sénatrice Pate : Pour que ce soit bien clair, le nouveau projet de loi, le projet de loi C-83, rendra plus difficile l’accès à des ressources pour des personnes comme vous. Si je comprends bien, c’est déjà difficile, voire impossible, d’avoir accès à des services, même si la loi l’autorise actuellement.
Mme Shaughnessy : Oui.
La sénatrice Pate : Ce sont les politiques qui vous en empêchent. Maintenant, si la loi change, cela vous empêchera même légalement de le faire. Vous ai-je bien comprise?
Mme Shaughnessy : Exact.
La sénatrice Pate : En ce qui concerne les possibilités qui s’offrent à vous, la sénatrice Cordy vous a posé des questions sur la nécessité d’une intervention précoce, et la sénatrice Boyer a parlé du travail que vous avez accompli.
Nous savons quel est le coût associé aux personnes incarcérées, mais quel est le coût relatif afin que vous puissiez offrir un soutien optimal si vous disposiez de toutes les ressources? Pour aider les aînés et les rémunérer adéquatement pour leur temps et ce genre de choses, quel serait le coût relatif par personne associé aux types d’interventions que vous proposez?
Toutes mes excuses pour vous avoir interrompue avant que vous ne commenciez. Je ne veux pas ramener cet élément à un aspect financier. Certes, vous avez très bien couvert les coûts humains et sociaux. Quelle serait la différence sur le plan financier?
Mme Shaughnessy : Nous venons de donner une formation à Sioux Lookout pour cinq collectivités des Premières Nations. Nous travaillons avec un obstétricien qui effectuera une étude pendant deux ans concernant les femmes enceintes qui prennent Suboxone. Les responsables de l’étude vont tenter de recourir à RedPath pour résoudre les problèmes sous-jacents afin de permettre aux femmes de ne plus prendre Suboxone.
Je suis au courant de la formation. Le simple fait de faire venir à Sioux Lookout les femmes qui recevaient la formation et de payer le coût de leur nourriture et de ce genre de choses, pour cinq collectivités... Cette formation leur a coûté environ 80 000 $. Cet argent ne m’était pas destiné... C’était juste pour la formation elle-même. Elles ont déjà ce médecin. Elles retournent dans leur collectivité.
Les propositions présentées par les collectivités à Santé Canada et à Services aux Autochtones, soit 50 000 $ par collectivité, ont trait à la formation d’intervenants, que nous leur offririons. Par vidéoconférence, mon personnel dispenserait deux programmes tout au long de l’année afin de leur apporter le soutien dont ils ont besoin pour l’année en cours.
La sénatrice Pate : Vous connaissez peut-être déjà les chiffres, mais les chiffres les plus récents du directeur parlementaire du budget indiquent que, pour les personnes en isolement, les femmes en particulier, donc les femmes autochtones qui sont surreprésentées, comme nous le savons d’après les chiffres que l’enquêteur correctionnel et le SCC ont recueillis, il en coûte environ 500 000 $ par femme par année pour qu’elle demeure sous garde. Quels types de services pourriez-vous offrir et à combien de personnes pourriez-vous fournir un soutien pour ce type de ressources?
Mme Shaughnessy : Je serais probablement à court de chiffres pour ce qu’on pourrait faire, pour ce qui se fait dans un établissement carcéral. Nous savons tous que ce serait beaucoup moins que cela.
Je ne veux pas répondre au pied levé, mais je sais que c’est beaucoup d’argent pour ces femmes qui ne ressortiront pas réhabilitées.
Nous avons déjà expliqué que, si vous invoquez l’article 81 ou 84, les coûts s’élèvent probablement à 100 000 $ pour tous les soins nécessaires à prodiguer à cette personne, mais là encore, ce n’est qu’un chiffre approximatif.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup.
Le sénateur Brazeau : Merci, madame Shaughnessy, de votre présence et de votre exposé. J’ai une petite question à propos de quelque chose qui me saute aux yeux lorsque vous parlez des défenseurs des peuples autochtones et de leurs droits, et dans ce cas particulier des droits des prisonniers, à savoir que les gouvernements ne veulent pas investir dans la réhabilitation des Autochtones.
À votre avis, et indépendamment de l’allégeance en ce qui concerne les gouvernements, pourquoi pensez-vous que ce soit le cas?
Mme Shaughnessy : Je dois être polie ici.
Le sénateur Brazeau : Je vous en prie, allez-y franchement.
Mme Shaughnessy : Eh bien, il faut revenir à la Loi sur les Indiens et à la notion de ce que l’on appelait un « Indien », aux politiques qui prévoient maintenant une race dans la loi. La loi était censée ne distinguer aucune couleur pour commencer, et maintenant nous mettons le terme « autochtone » directement dans la loi, la seule race qui ait jamais été identifiée dans la loi, la Loi sur les Indiens, et qui continue de l’être en vertu de la loi, dans toutes les autres parties qui suivent.
Alors, dites-moi pourquoi c’est le cas. Pourquoi les Autochtones continuent-ils d’être mentionnés dans la loi — de nombreux avocats sont assis autour de cette table —, compte tenu de la proportionnalité et de toutes ces choses?
Si vous voulez le mettre dans la loi, alors on revient à ce que disaient les dames avant moi : qui est le chien de garde lorsque vous avez des conflits de compétence d’entrée de jeu?
Vous avez une personne devant les tribunaux dans la province de l’Ontario. Ce que la Cour suprême a déclaré, dans les arrêts Gladue et Ipeelee, et tout ce qui a suivi... De quelle façon ces principes ont-ils été appliqués partout au pays? Si vous venez des Territoires du Nord-Ouest, de la région de Baffin ou d’ailleurs, cela prend un sens différent. C’est dans la loi. Donc, si c’est dans la loi et qu’on en revient à la Cour suprême, le gouvernement fédéral, alors, qui est le chien de garde? Voilà où cela nous ramène. Qui est le chien de garde qui veille au bon déroulement?
Et où s’arrête la loi? Si la cour dit, dans l’arrêt Gladue, qu’il devrait y avoir des solutions de rechange à des programmes, est-ce qu’il revient à un agent de libération conditionnelle de continuer d’appliquer la loi? Qui décide de ce qui constitue une solution de rechange à une ordonnance du tribunal?
Alors, où commence la loi? Qui la surveille, en particulier en ce qui concerne les populations autochtones, c’est-à-dire le gouvernement fédéral en vertu du paragraphe 91(24)? Qui est le chien de garde? Êtes-vous le chien de garde? Qui est le chien de garde lorsque vous mentionnez une race dans la loi? La seule race mentionnée dans la loi est celle des Autochtones.
Le sénateur Brazeau : De toute évidence, il existe des programmes efficaces. Ils fonctionnent.
Mme Shaughnessy : J’en ai un.
Le sénateur Brazeau : Vous avez des histoires de réussite. Pourquoi les gouvernements hésitent-ils à mettre en œuvre ces mesures dans l’intérêt des peuples autochtones? Croyez-vous encore au racisme?
Mme Shaughnessy : Bien sûr qu’il existe.
Je vais vous raconter une brève anecdote. L’administration centrale du Canada m’a demandé de rédiger le Programme national d’intensité élevée de prévention de la violence familiale pour les Autochtones. Alors, j’ai commencé à le rédiger. En premier, ils me donnent ce programme. J’ai dit : « Je ne peux pas simplement y mettre de l’ordre. Je dois recommencer. » C’est un programme de 72 jours. Un programme d’intensité élevée de prévention de la violence familiale pour les délinquants non autochtones, lequel comprend un psychologue et un intervenant.
Au niveau national, on m’a demandé : « De quoi aurez-vous besoin pour cela? » « Eh bien, j’aurai besoin d’un aîné et d’un intervenant. » « Oh, nous ne pouvons pas nous le permettre. » « Que pouvez-vous vous permettre? » Un psychologue et un aîné; je suis sûre qu’il y a une petite différence de salaire ici. Je ne l’ai pas dit.
Ils ont donc rassemblé des aînés de partout au Canada. Nous sommes allés à Winnipeg. Joe Couture était toujours vivant et il surveillait le processus. Ils ont fait venir le groupe, et nous sommes restés trois jours.
Les aînés ont béni ce que j’ai fait. Nous avons tous fumé le calumet. Nous sommes partis chacun de notre côté. Les services correctionnels sont retournés à Ottawa et ont ajouté leurs compétences cognitives de base, et voilà le programme qui est proposé aujourd’hui.
Nous avons fumé le calumet. Les aînés ont approuvé ce pour quoi nous avons fumé le calumet. C’est donc là que se trouve la différence.
Le sénateur Brazeau : Merci. Je vous souhaite bonne chance pour votre candidature.
Mme Shaughnessy : Merci.
Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question en français. Merci beaucoup de votre exposé.
[Français]
Vous avez mentionné des enjeux culturels. Vous parliez d’enjeux en matière de financement liés au fait que les droits des Premières Nations étaient exclusivement associés à une culture. Ma question concerne votre programme. Peut-être qu’elle n’est pas adéquate, parce que je n’ai pas eu l’occasion d’en apprendre davantage sur votre programme.
On sait que les arts et la culture sont des outils, des moyens pour établir des ponts entre les communautés culturelles et pour favoriser la réhabilitation, la prévention et la réinsertion de toutes sortes de communautés. Dans le cadre de votre programme ou dans toute autre initiative, pouvez-vous nous parler du rôle que peuvent jouer les arts et la culture pour nous aider à mieux comprendre les enjeux qui touchent les Premières Nations dans ce pays?
[Traduction]
Mme Shaughnessy : Merci. Je vais essayer de répondre et espérer que vous allez comprendre, car, bien souvent, je crois que le plus gros problème auquel nous nous heurtons, c’est de penser que les besoins relèvent du volet culturel, mais c’est beaucoup plus complexe que cela.
Rupert Ross a décrit la situation suivante dans un article : il y a deux scientifiques dans un pré. L’un est non-Autochtone et l’autre est Autochtone. Il y a une plante dans le pré, et le non-Autochtone doit la cueillir et la ramener avec lui à son établissement de recherche afin de la disséquer, de trouver son nom, ou peut-être d’en créer un, et de l’identifier. Toutefois, les scientifiques autochtones voient l’endroit où se trouve cette plante dans le pré, la responsabilité à son égard et la relation qu’elle entretient avec tout ce qui l’entoure, notamment ce qu’elle donne et ce qu’elle prend à son environnement.
Selon la vision du programme RedPath, si on examine les peuples autochtones, on est allés chercher chacune de ces personnes et on les a placés dans un établissement. On leur a peut-être attribué un nom différent, et graduellement, leur culture s’est érodée. Nous essayons de les ramener dans le pré afin qu’elles sachent ce qu’elles apportent au pré et ce qu’elles lui prennent, de sorte qu’elles puissent prendre conscience de la nature de leur relation avec chaque chose et de leur responsabilité dans le pré.
Je sais que c’est une analogie, mais, en raison de cette différence culturelle, c’est la façon la plus simple pour moi de l’expliquer. Ce n’est pas un aspect qui, selon les gens, relève de la culture en soi. Je pense que c’est ce qui prête à confusion au départ. En raison de la façon de communiquer et du fait que c’est très difficile à expliquer, vous ne pouvez pas le comprendre. Comprenez-vous ce que je veux dire?
À long terme, nous essayons de parcourir les exercices et d’écouter les récits. Tout ce que vous avez dans votre programme se trouve dans mon programme également, mais nous adoptons un angle différent, un peu comme ces deux scientifiques.
[Français]
Le sénateur Cormier : Alors, si je comprends bien, la solution, c’est d’aider la population en général à mieux comprendre l’approche qu’ont adoptée les Premières Nations à l’égard de la culture, mais comment peut-on le faire?
[Traduction]
Mme Shaughnessy : Nous venons tout juste de traverser l’ère des excuses, je crois, et nous essayons d’en arriver à une ère de réconciliation. Je pense qu’on en arrive à un point où chaque côté doit assumer ses responsabilités.
J’ai présenté un exposé à tous les ordres de gouvernement, notamment quand la ministre Philpott dirigeait Santé Canada. La ministre Bennett a salué tout mon travail et a tenté de m’inclure dans de nombreux projets au fil des ans. La situation est devenue particulièrement frustrante, car tout le monde me demande : « Y a-t-il des travailleurs sociaux et des psychologues qui travaillent pour vous? » Cela me donne envie de hurler et de crier.
Le dernier examen exhaustif que j’ai réalisé portait sur le professionnalisme. J’essayais de comprendre pourquoi le gouvernement estime que ces mesures sont tellement merveilleuses, car nous avons encore beaucoup de problèmes. J’en sais maintenant beaucoup plus au sujet du professionnalisme. On me dit : « Nous allons vous placer ici dans le domaine de la culture, au cas où ils ont besoin de vous. » La culture, c’est comme la religion. Il n’y a pas d’argent. « Nous allons vous envoyer là-bas, si jamais ils veulent vous parler. » Il y a donc notre programme là-bas et ce programme ici. À quel moment devenons-nous qualifiés? Quand écouteront-ils? Même si vous utilisez une pratique exemplaire depuis 12 ans, que les juges et tout le monde veulent utiliser, le gouvernement ne semble pas écouter.
Le sénateur Cormier : Merci.
La présidente : Merci, madame Shaughnessy, d’être ici et de nous transmettre de l’information à propos de votre programme. D’après ce que vous nous avez dit, il est évident que vous avez souligné le besoin de prendre des mesures et d’apporter des changements. Vous l’avez énoncé probablement le plus clairement dans votre mot de la fin, et je vais vous citer :
Alors, prenons un peu de recul et réfléchissons un instant. De quoi vont parler nos petits-enfants, les vôtres et les miens, quand ils se réuniront à la même table que celle où nous sommes assis maintenant?
L’énoncé en soi m’a profondément marquée, et je suis certaine qu’il en va de même pour mes collègues. Je veux vous remercier d’être ici avec nous aujourd’hui.
Avec notre troisième groupe de témoins aujourd’hui, nous allons écouter encore une fois les responsables de deux syndicats qui représentent les gens qui travaillent dans le système correctionnel. Je vous présente Debi Daviau, présidente, et Éric Massey, délégué syndical et infirmier à l’Établissement Archambault au Québec, tous deux de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Nous accueillons également Stan Stapleton, président national, et Nancy Peckford, conseillère spéciale, du Syndicat des employé-e-s de la sécurité et de la justice. Bienvenue.
Madame Daviau, vous avez la parole.
Debi Daviau, présidente, Institut professionnel de la fonction publique du Canada : Bonjour. Je veux vous remercier de m’avoir invitée à prendre la parole durant cette importante audience cet après-midi.
Je suis accompagnée d’Éric Massey, infirmier à l’Établissement Archambault de Sainte-Anne-des-Plaines, au Québec. Il répondra à vos questions et parlera des préoccupations de ses collègues et de nos membres.
L’institut représente environ 60 000 professionnels de la fonction publique canadienne, pour la plupart employés par le gouvernement fédéral. L’IPFPC est le plus grand syndicat de professionnels au Canada.
Nos membres apportent tous les jours des contributions essentielles au Canada et aux Canadiens. Les Canadiens comptent sur les services publics pour rendre leur vie plus sûre, plus saine et plus prospère. Ce sont nos membres qui fournissent ces services.
J’ai été invitée aujourd’hui afin de vous parler des problèmes auxquels se heurtent les membres de l’IPFPC qui travaillent dans des établissements correctionnels fédéraux, en particulier nos membres des services de santé, qui appartiennent au groupe SH. Ce sont des infirmiers, des médecins, des pharmaciens, des psychiatres, des psychologues, des ergothérapeutes, des travailleurs sociaux, des dentistes et d’autres spécialistes compétents. Ils fournissent des soins de santé essentiels aux détenus, qu’ils voient ni plus ni moins comme des patients.
Je crois savoir que votre comité s’est rendu dans plusieurs établissements fédéraux. J’ai moi-même eu la chance de visiter le Pénitencier de Kingston avant sa fermeture. Je vous remercie de me permettre de parler encore des préoccupations des membres de l’IPFPC, dont je suis la représentante.
Travailler dans un établissement correctionnel fédéral peut être à la fois gratifiant et difficile. Nos membres choisissent ce parcours professionnel parce qu’ils souhaitent apporter une contribution et aider. Ils veulent être en mesure de procurer des services publics essentiels à une communauté négligée.
Lorsque je consulte mes membres qui travaillent au Service correctionnel du Canada, ils expriment souvent leur exaspération devant le manque de ressources qui les empêche de dispenser les soins de qualité qu’ils ont appris à fournir et qu’ils devraient assurer en raison de leur profession. Ils me font part de cas où ils recommandent des soins et où ces recommandations ne peuvent pas être suivies à cause de problèmes opérationnels ou de sécurité. Ainsi, il se peut qu’ils recommandent de placer en observation un patient qui risque de se blesser, mais que, faute de ressources, l’établissement ne puisse pas suivre cette recommandation. Ils ont alors le sentiment que leur capacité de fournir des soins de qualité risque d’être compromise, car des questions opérationnelles ou de sécurité l’emportent sur d’autres considérations. Autrement dit, d’autres mesures sont prises, et leurs recommandations professionnelles ne sont pas suivies. C’est à la fois très préoccupant et démoralisant pour les fournisseurs de soins de santé.
Ils m’expliquent également que, lorsque le SCC crée de nouveaux programmes et de nouvelles politiques, l’organisation doit adopter un plan de dotation correspondant. Les nouveaux programmes de réduction de la consommation de drogue, les programmes de santé mentale ou les changements en matière d’isolement sont de bonnes politiques tournées vers l’avenir qui améliorent les conditions de vie des détenus, mais sans ressources humaines suffisantes, ces initiatives risquent d’être moins efficaces ou fructueuses.
De plus, les conditions de travail dans les établissements fédéraux peuvent être très difficiles. Il arrive que le personnel soit exposé à beaucoup de violence, qu’il en soit victime ou témoin. Il sert une population difficile, dont les besoins en santé physique et mentale sont complexes et, comme je viens de le souligner, il lui manque souvent les ressources nécessaires pour aider cette population. Des problèmes comme une mauvaise qualité de l’air peuvent rendre le travail quotidien pénible, car les maux de tête et les saignements de nez sont fréquents.
Pour beaucoup, des choses apparemment insignifiantes peuvent changer la qualité de vie au travail. Par exemple, des membres m’ont expliqué que, dans certains établissements correctionnels, nos fournisseurs de soins de santé n’ont pas accès à des salles de repos ou à une salle à manger pour le personnel où ils pourraient au moins réchauffer leur repas, ou il n’y a pas suffisamment de papier hygiénique ou encore pas assez de fournitures de bureau pour qu’ils puissent effectuer leur travail.
Aller de son poste de travail à sa voiture prend parfois plus de 15 minutes à cause de la sécurité; il n’est donc pas possible de sortir pour dîner. Nos membres soulignent qu’ils n’ont même pas d’endroit où se retirer ni d’espace où parler avec d’autres collègues des questions relatives aux soins à prodiguer aux patients. Ce sont autant d’éléments que leurs homologues travaillant dans des hôpitaux ou d’autres établissements de santé tiennent pour acquis.
Bref, il y a un problème de dotation en personnel. Nous savons que le gouvernement fédéral a du mal à recruter des fournisseurs de soins de santé et à les maintenir en poste dans le système correctionnel. Il est particulièrement difficile d’attirer des infirmiers et de les fidéliser.
Comme je l’ai déjà souligné, les conditions de travail sont difficiles, et c’est pourquoi nous avons réussi à négocier une entente pour que les employés reçoivent une indemnité de responsabilité correctionnelle, l’IRC. Il s’agit d’une indemnité annuelle versée aux employés qui travaillent dans des établissements correctionnels avec des détenus. Cependant, nous voyons des situations où la rémunération totale des infirmiers et d’autres professionnels accuse un retard sur celle accordée par les autorités sanitaires provinciales.
Les salaires équivalent souvent à ceux des fournisseurs provinciaux; par conséquent, lorsqu’un infirmier qualifié ou un psychologue choisit entre un emploi dans un hôpital provincial ou un autre dans un établissement fédéral, par exemple, il ne voit pas de différence de paye. On ne peut imaginer qu’il est d’autant plus difficile de recruter et de fidéliser des employés, étant donné les conditions de travail qui les attendent dans un établissement correctionnel. Ce n’est pas toujours une question d’argent, mais ce facteur est certainement déterminant quand on fait un choix de carrière.
Nous constatons avec plaisir que le SCC reconnaît que, pour fournir des soins de qualité, il faut plus de personnel infirmier et de personnel des soins de santé. Cependant, si les questions de recrutement et de maintien en poste ne sont pas réglées, nous craignons de ne pas nous retrouver dans une meilleure situation pour répondre aux besoins des détenus sous responsabilité fédérale en matière de soins de santé.
Je dirais en conclusion que, pour garantir aux détenus sous responsabilité fédérale des soins de santé de qualité, il faut prendre au sérieux les difficultés qu’il y a à recruter et à maintenir en poste des professionnels de la santé au SCC. Une attention particulière doit être accordée à leurs conditions de travail. De plus, lorsqu’il met en place des programmes et de nouvelles politiques, le SCC doit s’assurer de disposer d’un personnel de santé suffisant pour les mettre en œuvre avec succès.
Je vous remercie encore de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui. M. Massey et moi répondrons volontiers à vos questions, et ce, malgré le fait que le quart de travail de M. Massey s’est terminé à minuit la nuit dernière à son établissement et qu’il est venu ici en voiture ce matin pour répondre à vos questions. Vous aimerez beaucoup parler directement à un professionnel des soins de santé. Il est délégué syndical, mais d’abord et avant tout, c’est un infirmier qui travaille dans un établissement correctionnel et qui possède une expérience directe des choses dont il veut vous parler aujourd’hui. Merci.
La présidente : Merci.
Monsieur Stapleton, vous avez la parole.
Stan Stapleton, président national, Syndicat des employé-e-s de la sécurité et de la justice : Je vous remercie de l’intérêt que vous portez au Syndicat des employé-e-s de la sécurité et de la justice, le SESJ, et de nous permettre de faire la lumière sur le domaine des services correctionnels fédéraux. J’ai commencé à travailler en 1980 à Drumheller, je suis toujours employé par le Service correctionnel du Canada, et mon poste d’attache est à l’Établissement à sécurité maximale d’Edmonton.
Comme vous le savez sans doute, le SESJ représente plus de 7 000 employés du SCC, tant dans les établissements que dans la collectivité. Par conséquent, nous apportons un point de vue global sur le système correctionnel fédéral en raison du rôle essentiel que nous jouons à toutes les étapes du processus : de l’admission et de l’évaluation à la préparation et à la planification de la mise en liberté des délinquants dans la collectivité en passant par l’élaboration de plans correctionnels, l’aiguillage des délinquants vers les programmes, les possibilités d’éducation et de formation et la prestation en tant que telle de ces programmes.
À cette fin, le SESJ représente quelque 1 500 agents de libération conditionnelle du Canada, ainsi que les gestionnaires des évaluations et des interventions, les agents de programme, les agents de liaison autochtones, les agents de développement auprès de la collectivité autochtone, les employés des services alimentaires, les préposés à l’entretien et de nombreux autres.
À l’échelon de la collectivité, les employés du SCC que représente le SESJ participent directement à la surveillance et au soutien de la réinsertion sociale des délinquants.
Il ne fait aucun doute que la majorité des employés de SCC prennent très au sérieux leurs rôles et responsabilités dans les services correctionnels fédéraux. Toutefois, ce qui distingue le SESJ, c’est que la vaste majorité des employés représentés prennent part au soutien de la réhabilitation continue des délinquants sous responsabilité fédérale dès leur entrée dans le système afin qu’ils puissent réintégrer la collectivité en toute sécurité.
Pas plus tard que la semaine dernière, le SESJ a organisé une table ronde sans précédent avec le ministre Goodale et 12 agents de libération conditionnelle de partout au pays. J’ai considéré cette table ronde comme étant d’une importance cruciale, parce que le SESJ croit que notre système correctionnel fédéral subit des tensions extrêmes et approche du point de rupture. Pourquoi?
Eh bien, les coupes effectuées au titre du Plan d’action pour la réduction du déficit, en 2012, sont une des principales raisons. On a appliqué au sein des services correctionnels un processus de simplification qui a eu des effets graves et exponentiels, depuis. Ces conséquences influent directement sur la qualité du travail qu’effectuent les employés correctionnels tous les jours pour appuyer la réhabilitation des délinquants sous responsabilité fédérale.
Trois enjeux ont dominé la table ronde de la semaine dernière avec le ministre Goodale. L’un des problèmes est lié aux ratios dans nos établissements et dans la collectivité. Les agents de libération conditionnelle sont responsables d’un trop grand nombre de délinquants, et ils ne disposent pas de suffisamment de temps ou de ressources afin que les délinquants, surtout ceux qui ont d’importants besoins, reçoivent l’attention qu’ils méritent. Le PARD a augmenté les ratios dans les prisons fédérales en les faisant passer à 1 pour 25 dans les établissements à sécurité minimale, à 1 pour 28 dans les établissements à sécurité moyenne, et à 1 pour 30 dans les établissements à sécurité maximale.
De plus, partout au pays, les agents de libération conditionnelle et les agents de liaison autochtones à l’échelon fédéral sont en sous-effectif chronique. Afin d’économiser de l’argent, année après année, le SCC ne pourvoit pas toujours pleinement un grand nombre de postes, y compris des postes d’agent de libération conditionnelle. Qu’est-ce que cela signifie? Cela veut dire que, quand un agent de libération conditionnelle est en congé annuel, en congé lié au stress, en congé pour une urgence familiale ou en congé médical, il est rare que quiconque se consacre à la gestion des délinquants que supervise cette personne. Les agents de libération conditionnelle doivent demander des faveurs personnelles à leurs collègues afin qu’ils s’occupent de leur charge de travail pendant leur absence.
À l’Établissement de Kent, en Colombie-Britannique, cet été, cette approche a fait en sorte que près de 90 délinquants n’ont pas eu d’agent de libération conditionnelle attitré pendant une certaine période. Cette situation présente des défis insurmontables en ce qui a trait à la gestion des risques que posent ces délinquants et à la maximisation des possibilités de réhabilitation pendant qu’ils sont en détention.
Dans la collectivité, nous observons des nombres considérablement plus élevés de délinquants libérés sous condition, mais sans modification de la charge de travail des agents de libération conditionnelle, de sorte qu’on puisse s’assurer qu’ils disposent de suffisamment de temps pour rencontrer les délinquants. À peine plus de 6 p. 100 du budget global du SCC sont dépensés dans la collectivité.
En outre, l’accès aux logements supervisés et aux maisons de transition est totalement insuffisant, surtout en ce qui concerne les centres correctionnels communautaires, qui hébergent les délinquants présentant les risques les plus élevés et les plus grands besoins. Cela signifie que les délinquants sont souvent entreposés dans des établissements pendant qu’ils attendent une place dans la collectivité. Les services de soutien communautaire, y compris des choses aussi essentielles que l’accès à des aînés et le soutien aux toxicomanes, ne sont pas financés par le SCC, et de nombreux délinquants passent entre les mailles du filet.
De surcroît, en raison des modifications importantes apportées aux principaux programmes de réhabilitation offerts au sein des services correctionnels, lesquels forment maintenant le Modèle de programme correctionnel intégré et le Modèle de programme correctionnel intégré pour Autochtones, de nombreux agents de programme ont l’impression que l’efficacité de ces programmes a été compromise et que les délinquants n’obtiennent pas ce dont ils ont besoin pour s’attaquer aux facteurs qui les ont amenés à commettre un crime de ressort fédéral.
La santé mentale et physique des employés du SCC que nous représentons est en déclin, ce qui nuit directement à la qualité des interactions entre les délinquants et le personnel. Les congés liés au stress sont omniprésents chez nos membres en raison des charges de travail trop élevées et de la simple absence des ressources nécessaires pour gérer des délinquants qui ont des besoins multiples et complexes.
Enfin, j’affirmerais qu’une culture de peur règne au sein du SCC. Les employés du service que représente le SESJ voient partout au pays un style de gestion qui est davantage axé sur les chiffres que sur l’expérience de première ligne des employés qui appuient directement ou indirectement la réhabilitation des délinquants et la prise de mesures en conséquence.
Que le problème découle de situations de harcèlement entre employés ou entre employés et délinquants, le nombre de cas de harcèlement a explosé, et le SCC a encore de la difficulté à trouver des services de soutien externes qui pourront renverser la vapeur.
Nous saluons la nomination d’un nouveau commissaire, une personne qui, nous le croyons, apporte une approche et un style sensiblement différents, mais la peur que ressentent les employés du SCC à l’idée de s’opposer à la direction du service est ancrée très profondément, que ce soit à l’égard du directeur d’établissement, de l’administration régionale ou de l’administration centrale, et il est difficile de savoir comment surmonter le problème.
Nous considérons qu’il s’agit de certains des principaux enjeux qui dominent nos conditions de travail, lesquelles nuisent directement à la qualité de nos interventions auprès des délinquants.
Merci beaucoup.
La présidente : Des sénateurs ont des questions à vous poser.
La sénatrice Boyer : Éric, à votre avis, quel est le problème le plus urgent avec lequel vous devez composer comme délégué syndical et membre du personnel infirmier fournissant des soins de santé? Par ailleurs, le problème lié au système Phénix vous a-t-il touché le moindrement?
Éric Massey, délégué de l’IPFPC, Institut professionnel de la fonction publique du Canada : Je vais répondre en français, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
[Français]
Oui, effectivement, cela a un impact important pour moi comme délégué et, également, en tant qu’employé du Service correctionnel du Canada, car nous avons différents quarts de travail; nous recevons donc des primes de soir, de nuit, de jour et de fin de semaine. Avec le système de paie Phénix, à l’heure actuelle, ces primes ne sont pas calculées correctement; parfois, nous ne sommes pas payés du tout. C’est la même chose dans le cadre de l’allocation de travail auprès de la clientèle délinquante; les primes ne sont pas nécessairement toutes payées.
Lorsqu’on demande un dégagement ou que mon aide est requise comme délégué syndical pour faire des représentations ou rencontrer des membres, si l’employeur manque d’effectifs, il ne peut me dégager pour que je puisse faire mon devoir syndical. Je m’entends très bien avec l’employeur, mais le problème, c’est le manque de personnel. Il y a une pénurie de main-d’œuvre pour donner des soins, pour faire des suivis et pour s’assurer que, lorsque le délinquant sortira de notre établissement, il aura sa médication et ses rendez-vous seront organisés.
Si on me retire de mon poste pour travailler à des dossiers syndicaux, il y a une personne de moins. Les gens ont tous des rôles différents au sein de l’équipe, ce qui fait que l’employeur est parfois pris entre deux feux. Lorsqu’on peut tout planifier, c’est plus facile, mais il y a toujours des urgences qui peuvent se produire. On ne peut pas deviner ce qui va se passer dans une journée. On peut se rendre au travail à 8 heures le matin, puis en sortir à minuit, parce qu’il y a eu une prise d’otages ou une pendaison, par exemple.
À travers cela, les gens font face à de la violence, à des facteurs de stress et, souvent, ils ont besoin d’un délégué syndical pour comprendre ce qui se passe et les aider à verbaliser ce qu’ils vivent. Même s’il y a une équipe spéciale au sein de l’établissement, celle-ci n’est pas toujours disponible immédiatement. Je vais donc les rencontrer pour les aiguiller vers les bonnes personnes. C’est un problème fréquent. L’employeur fait tout ce qu’il peut pour nous soutenir, mais c’est une situation difficile, autant pour le dégagement syndical que pour mes collègues qui sont frustrés parce que je ne suis pas à mon poste.
À titre d’exemple, hier soir, j’étais seul dans l’établissement pour répondre à certaines urgences; j’avais rendez-vous aujourd’hui pour venir vous rencontrer et répondre à vos questions, mais l’employeur n’a pu me dégager, parce qu’il manque de personnel. J’ai donc pris la responsabilité de rester. Je suis assez solide pour le faire, mentalement et physiquement, mais cela risque d’entraîner des problèmes si la situation perdure.
L’employeur fait tout son possible pour que nous puissions jouir d’un équilibre famille-travail, ce qui n’est pas toujours évident. En plus de faire face à de la violence en raison de notre type de travail, nous subissons des problèmes de paie. Le stress n’est pas toujours facile à gérer. Certains membres n’ont pas nécessairement une bonne force mentale, un bon équilibre, et c’est encore plus difficile pour eux. J’essaie de les aider à trouver des pistes de solution. Nous travaillons tous dans le même sens. Je leur dis que le gouvernement essaie de nous aider, qu’il n’est pas responsable de la situation de Phénix et qu’il faut essayer de traverser cette épreuve. Parfois, les réponses que je leur donne ne sont pas celles qu’ils veulent entendre. Cependant, on n’y peut rien, cela fait partie du travail. On fait face à des problèmes à l’heure actuelle et on essaie de passer à travers le plus sainement possible.
[Traduction]
La sénatrice Boyer : Merci, monsieur Massey.
La sénatrice Pate : Merci à tous de votre présence, et merci du travail que vous faites quotidiennement dans les pénitenciers de partout au pays et du soutien que vous fournissez aux personnes qui y travaillent. J’ai des questions à poser à MM. Massey et Stapleton.
Devrais-je les poser toutes en même temps, madame la présidente?
La présidente : Une à la fois, s’il vous plaît. Je pense que c’est plus facile, car il arrive que les gens perdent le fil.
La sénatrice Pate : Bien sûr. Merci.
Je vais commencer par M. Massey.
[Français]
Je m’excuse, je ne suis pas encore bilingue, mais j’y travaille.
[Traduction]
L’une des choses que nous avons observées en visitant les pénitenciers, c’est qu’ils n’offrent pas tous des soins de santé 24 heures sur 24. De fait, votre situation — le fait que vous travaillez jusqu’à minuit — est inhabituelle dans la plupart des établissements. Avez-vous les chiffres concernant le nombre d’établissements qui fournissent actuellement des soins de santé 24 heures sur 24? C’en est un.
Certes, on publie davantage d’information au sujet d’autres enjeux. Ce matin, j’ai lu un article au sujet de certaines études sur les détenues et du fait que 65 p. 100 des femmes incarcérées actuellement sont susceptibles de subir des lésions cérébrales. Souvent, il y a une corrélation avec l’ampleur de la violence qu’un grand nombre d’entre elles ont subie. Quel genre de formation et de services sur place sont offerts de façon continuelle afin de régler ces types de problèmes? Bien entendu, la lésion cérébrale peut se manifester de toutes sortes de façons, ce qui peut porter à croire que d’autres problèmes existent, comme des problèmes de comportement, de santé mentale et d’autres problèmes semblables. Il s’agit en réalité d’une question, mais on ne dirait pas que c’en est une seule.
Parallèlement, à quelle fréquence constatez-vous que l’on a recours à des transfèrements au titre de l’article 29 pour des raisons de santé, dans des situations où les personnes pourraient être mieux servies par des ressources dans la collectivité?
J’ai aussi une question au sujet du projet de loi C-83.
La présidente : Nous allons laisser M. Massey répondre.
[Français]
M. Massey : Pour répondre à votre première question, les établissements ne sont pas tous accessibles 24 heures sur 24, effectivement. Au Québec, seulement deux établissements le sont, ceux qui ont des centres de traitement régional. Donc, ceux qui ont besoin de soins et qui sont hospitalisés à l’intérieur de nos murs doivent avoir accès à des soins en tout temps.
Sinon, d’autres établissements du régime fédéral ferment à 23 heures. Cela exige un roulement. Lorsqu’on manque de personnel, afin de fournir ce service 24 heures sur 24, les employés n’ont pas le choix de rester pour le prochain quart de travail afin de combler un congé de maladie ou des congés annuels. L’employeur essaie, dans la mesure du possible, d’approuver les demandes de congé des employés. C’est une entente au sein de l’équipe : on essaie de se soutenir pour ne pas pénaliser tout le monde. Il est important de pouvoir décrocher de temps en temps, compte tenu du stress auquel on doit faire face. Ça, c’est pour le service de 24 heures.
En ce qui concerne le projet de loi C-83 et le transfèrement permettant d’éviter la détention au sein de la communauté, je ne peux pas répondre à la question, parce que je ne connais pas le contexte à l’heure actuelle. Ce n’est pas encore arrivé au Québec. Le gouvernement veut mettre en place un milieu de vie structuré pour les délinquants incarcérés, ce qui exigera une surveillance 24 heures sur 24 également. Ce sont des gens qui ont des problèmes de santé mentale. Il y en a aussi qui peuvent développer un problème de santé mentale ou une désorganisation, ce qui demande des soins, de l’écoute et de la formation, car ce n’est pas tous les employés qui sont aptes à accomplir ce type de travail. Il est certain que l’octroi de ressources supplémentaires nous donnera un bon coup de main; nous pourrons former les gens appropriés afin d’offrir les bons soins aux bonnes personnes et de bien les diriger, de sorte que tout se passe bien dans les milieux correctionnels fédéraux.
Quant aux femmes, je n’ai pas l’expertise voulue pour répondre à cette question. Je sais qu’il y a des formations qui sont offertes aux gens qui ont des traumatismes crâniens et aux gens qui développent un problème de santé mentale, cognitif ou physique. Je ne sais pas si Debi peut nous partager son savoir en ce qui concerne les femmes.
[Traduction]
Mme Daviau : Pas vraiment, mais je pourrais probablement recueillir les renseignements et les communiquer au comité par après. Il est certain que, quelle que soit la formation qu’on reçoit dans les établissements pour femmes, c’est la même que celle qu’on reçoit dans les établissements pour hommes. Alors, je ne pense pas qu’il existe une formation spécialisée dans les lésions cérébrales en soi, à part la formation généralisée qui est donnée et qui porte sur la santé mentale et les problèmes neurologiques. Je ne pense pas qu’il y ait de formation spécialisée, mais je recueillerai assurément certaines des données à soumettre à votre étude.
[Français]
M. Massey : J’aimerais ajouter, si vous me le permettez, qu’il y a un établissement pour les femmes à Joliette. C’est un bon établissement, selon ce que j’ai entendu dire. Certains de mes collègues y travaillent, ainsi qu’un délégué syndical que je connais bien, et ils me disent que les choses vont très bien. Les conditions sont bonnes et les employés sont disponibles pour les femmes; s’il y a un problème de santé, elles sont prises en charge très rapidement. Les formations qu’ils reçoivent sont tout à fait adéquates. Je n’ai eu connaissance d’aucune plainte ou de commentaires négatifs ni constaté de critiques dans les médias au sujet de cet établissement jusqu’à maintenant. Les choses ont l’air de bien aller, et j’espère qu’elles continueront dans le même sens.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Il s’agit davantage d’un commentaire. Je suis heureuse d’entendre dire qu’il semble que les choses s’améliorent à l’Établissement de Joliette, parce que c’est l’endroit où Ashley Smith a reçu une injection de force à la lumière de renseignements erronés qui avaient été fournis par des professionnels de la santé à d’autres professionnels de la santé. C’est formidable si cette situation s’est améliorée et ne s’est pas reproduite.
Je vous encouragerais à nous procurer les renseignements dont vous parlez, car on mène de plus en plus de recherches. Nous avons déjà obtenu des renseignements et entendu des témoignages relativement aux lésions cérébrales et aux diverses manières dont elles se manifestent, et elles ne sont pas nécessairement connues des gens qui travaillent dans les services correctionnels. Je pense que ce serait extrêmement utile.
Mme Daviau : Je pense que la meilleure façon de se faire une idée de la situation, ce serait de parler aux psychiatres et psychologues membres de notre syndicat. Ce sont probablement eux qui interviennent le plus.
Nous représentons également des médecins, mais ils ne sont pas très nombreux à être des fonctionnaires. Éric ne participe pas nécessairement au diagnostic de ces problèmes de santé mentale complexes en raison de son rôle, mais je pense que nous pourrions probablement puiser dans l’expertise d’autres membres à cette fin.
La sénatrice Pate : C’est excellent. S’il s’agit effectivement du type de formation qui est fournie au personnel relativement à l’accessibilité des transfèrements au titre de l’article 29, parce qu’on dirait qu’on ne fournit pas beaucoup d’information.
En outre, selon vous, où iront les ressources sous le régime du projet de loi C-83? Nous avons entendu des témoignages selon lesquels la majeure partie des ressources seront destinées à la sécurité. Alors, quand des membres du personnel infirmier, par exemple, iront voir des patients en isolement, il faudra que deux agents de sécurité soient présents, ce qui — comme on l’a laissé entendre dans le groupe de témoins précédent, ce matin — pourrait nuire à l’intégrité d’un traitement libre et éclairé.
Mme Daviau : Puis-je intervenir à ce sujet? L’accessibilité de l’espace nécessaire à une sécurité et à des soins médicaux appropriés est un problème de longue date, surtout depuis qu’on a commencé à construire de nouveaux établissements dont les cellules ont une empreinte moins importante. Alors, dans une situation d’urgence médicale qui requiert plus d’un fournisseur de soins de santé et au moins un gardien, dans bien des cellules, l’espace est insuffisant, ce qui exacerbe davantage le problème. On ne dispose pas d’un espace physique suffisant pour fournir des soins dans les cellules.
La sénatrice Pate : Voilà qui éveille en moi le besoin de poursuivre mon intervention. L’un des problèmes soulevés par les professionnels de la santé concerne la question de savoir s’il peut y avoir une véritable liberté de consentement au traitement médical en la présence d’agents de sécurité. Si cette présence est requise, on se demande s’il s’agit en fait d’un consentement libre, éclairé et valable.
Mme Daviau : D’un autre côté, nos membres seraient profondément préoccupés à l’idée de devoir prodiguer des soins à un patient dans un environnement dangereux sans cette protection.
La sénatrice Pate : Auquel cas, alors, un transfèrement au titre de l’article 29 pourrait être préférable à une intervention armée.
Mme Daviau : Peut-être. Je n’ai aucune expérience de ces types de transfèrements, mais j’approfondirai un peu la question pour vous.
La sénatrice Pate : C’est formidable. Cette réponse, en soi, est riche en renseignements, selon moi, madame la présidente.
Monsieur Stapleton, je vous remercie de tout le travail que vous faites. Nous nous connaissons depuis longtemps, depuis l’époque de Drumheller également.
L’un des éléments que vous avez mentionnés, c’est l’explosion du nombre d’allégations et de signalements de harcèlement. Une personne a laissé entendre que nous en entendons tout simplement parler maintenant, mais qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une explosion particulière du taux d’incidents; c’est plus que nous en entendons parler davantage. Auparavant, il était très difficile pour les gens de dénoncer. Comme vous l’avez mentionné, c’est encore difficile pour certaines personnes de le faire, mais c’est même encore plus le cas maintenant.
Nous avons entendu parler du travail que font les agents de libération conditionnelle — encore une fois, au moyen de dispositions comme les articles 29, 81 et 84 — pour tenter de mobiliser les personnes qui ont des problèmes de santé ou de santé mentale ainsi que des problèmes de santé en phase terminale. Je suis curieuse de savoir dans quelle mesure du soutien est fourni si on envisage ces types d’options, ainsi que pour des choses comme la libération conditionnelle accordée à titre exceptionnel, dans des situations où la personne présente d’importants problèmes de santé ou lorsqu’il existe d’autres raisons de la placer dans un endroit plus approprié. Dans certains établissements, nous avons vu des personnes atteintes de démence et d’autres, gravement malades, qui étaient toujours en détention et qui ne faisaient même pas l’objet d’un examen aux fins d’une libération conditionnelle accordée à titre exceptionnel. Pourriez-vous formuler un commentaire sur ces cas?
M. Stapleton : En ce qui concerne les agents de libération conditionnelle, une des difficultés tient au fait que différentes nouvelles tâches leur ont été confiées, et l’ajout de certaines d’entre elles est plutôt étrange, comme trouver du transport par autobus pour les délinquants dans les Prairies, en particulier, où il y a très peu de services d’autobus. Accomplir ces tâches leur prend du temps. En conséquence, ils passent moins de temps avec les délinquants pour bien cerner leurs besoins, et cela est un véritable problème. Ils ont très peu d’occasions maintenant de rencontrer un à un les délinquants. Selon l’établissement où ils travaillent, dans les secteurs à sécurité maximum, il devient de plus en plus difficile pour eux d’avoir des échanges individuels.
Un autre problème qui touche les soins de santé mentale réside dans le manque de psychologues. À mes débuts, il y avait un certain nombre de psychologues dans les établissements, et de nombreux délinquants les consultaient de façon régulière. Maintenant, on semble faire davantage de gestion de crise.
À la lecture du projet de loi C-83, on constate que la plupart des ressources seront consacrées aux agents correctionnels. Je conviens qu’il faut davantage d’agents correctionnels, mais il faut aussi ajouter des agents de programme, des agents de libération conditionnelle et des professionnels de la santé pour s’occuper de ces hommes et de ces femmes.
Je possède l’équivalent de quatre années d’expérience relativement à l’isolement préventif et à l’isolement cellulaire, et j’ai pu constater les dommages qui en découlent. J’ai travaillé dans des établissements pour hommes. Lorsque des hommes n’ont même pas l’occasion d’avoir des échanges normaux, c’est-à-dire parfois avec un psychologue, parfois dans le cadre d’un programme ou avec un agent de libération conditionnelle, les effets négatifs — et je ne suis pas un professionnel — sont vraisemblablement irréparables. Ainsi, quand nous retournons ces hommes et ces femmes dans la société, nous n’avons pas vraiment réglé quoi que ce soit. De fait, dans certains cas, nous avons probablement aggravé la situation.
La sénatrice Pate : Êtes-vous d’avis que vous avez les coudées franches pour utiliser des dispositions comme les articles 81 ou 84 afin de mettre en liberté des délinquants autochtones et d’autres délinquants dans la collectivité, où ce type de soutien est peut-être accessible ou davantage à leur portée?
Par ailleurs, le projet de loi C-83 aura pour effet de créer davantage de situations comme celles que nous avons constatées partout au pays, c’est-à-dire des établissements où on utilise davantage l’isolement, ou des établissements comportant des aires d’isolement, ou des unités de surveillance intensive, comme elles seront appelées maintenant. Il m’apparaît frappant que les réductions dont vous avez parlé qui ont touché les services de psychologie et les programmes et l’augmentation des ressources consacrées au personnel de sécurité ne réduiront vraisemblablement pas le recours à l’isolement, bien au contraire. D’après vous, ma perception est-elle erronée?
M. Stapleton : Cela pourrait assurément accroître l’utilisation de l’isolement. Il est trop tôt pour le savoir. Je suis d’avis que nous sommes sur la bonne voie avec le projet de loi C-83, mais que c’est un petit pas dans la bonne direction. Comme gouvernement et société, il nous reste beaucoup de chemin à parcourir.
En ce qui concerne les articles 81 et 84 et le transfèrement des détenus vers des établissements ayant une cote de sécurité inférieure, vu les pressions exercées pour libérer les détenus, parfois, des détenus sont transférés vers des établissements où ils ne devraient probablement pas être placés, et cela crée des perturbations dans les établissements. Encore une fois, cela découle du fait que la capacité d’évaluer adéquatement les délinquants est limitée, surtout en raison du manque d’agents de libération conditionnelle.
La sénatrice Pate : Vous faites donc référence aux pavillons de ressourcement. Qu’en est-il des évaluations individuelles? À ma connaissance, elles ne sont pas nombreuses, en dépit de l’intention du législateur qui sous-tend ces dispositions.
Nancy Peckford, conseillère spéciale, Syndicat des employé-e-s de la sécurité et de la justice : Je crois que l’environnement au sein du SCC ne nous permet pas toujours d’effectuer ce type d’évaluation en raison de l’importante charge de travail des agents de libération conditionnelle et d’autres employés en établissement et dans la collectivité. Il faut mener une consultation plutôt active dans la collectivité pour cerner certaines de ces ressources.
En juin dernier, les responsables du SESJ ont tenu une table ronde sur le thème des Autochtones qui a réuni des membres du personnel issus des Premières Nations et des employés du SCC représentés par le SESJ qui sont appelés à avoir des contacts avec des délinquants autochtones. Un très grand nombre de préoccupations a été soulevé à propos du fait que le SCC ne dépense pas les sommes nécessaires dans la collectivité pour faciliter de façon adéquate l’accès des délinquants autochtones aux programmes et au soutien dont ils pourraient bénéficier et dont ils ont désespérément besoin.
Je crois qu’il serait une bonne chose que ce comité examine les attributions budgétaires du SCC. D’après ce que l’on nous a dit, quand on consulte les agents correctionnels dans la collectivité à propos de la façon de faciliter la réinsertion sociale des délinquants et de faire en sorte qu’ils obtiennent les services dont ils ont besoin, le SCC n’alloue presque rien quand même. Donc, je ne crois pas que les conditions soient réunies pour mener certaines de ces évaluations individuelles. À mon avis, il doit y avoir un rééquilibrage important des ressources.
De toute évidence, sous le gouvernement actuel — et je suis une conseillère occasionnelle du SESJ, donc je ne connais pas toujours toute la situation —, d’après ce que nous comprenons et surtout d’après ce que les agents de libération conditionnelle nous ont dit la semaine dernière, il y a maintenant de réelles pressions dans la collectivité. Il n’y a pas eu de rééquilibrage important pour permettre aux agents de libération conditionnelle dans la collectivité d’agir dans l’intérêt des délinquants mis en liberté et en processus de réinsertion.
Quand on vous dit que les agents de libération conditionnelle doivent faire des pieds et des mains auprès de leurs partenaires dans la collectivité pour réussir à inscrire un délinquant dans un programme d’emploi ou pour faciliter l’accès à un aîné, des choses somme toute très fondamentales, comme faire des démarches pour obtenir des pièces d’identité, et je suis certaine que vous connaissez ce genre de démarche, de toute évidence, ce sont des conditions auxquelles, d’après moi, les délinquants et les employés du SCC ne devraient pas être soumis.
Il y a aussi le chiffre de 6 p. 100 relativement à l’affectation des ressources, en particulier ce qui touche les ressources humaines et les partenaires dans la collectivité, qui, d’après ce que j’en sais, étaient beaucoup plus importants à un certain moment qu’ils ne le sont maintenant. Nous avons rencontré une agente de libération conditionnelle autochtone dans la collectivité avec le ministre Goodale. Elle nous a fait part de son grand désarroi quant au fait qu’elle se sent démunie dans la collectivité pour ce qui est de s’assurer que les délinquants qui ont des besoins très importants et les délinquants autochtones sont en mesure d’obtenir les services dont ils ont besoin, ainsi qu’au fait que les responsables du SCC ont intériorisé le précepte selon lequel « ils ont ce qu’il faut; ils offrent la solution dans la collectivité et les programmes ». Donc, toute autre chose est considérée comme un élément en surplus. Tout ce qu’un agent de libération conditionnelle dans la collectivité peut faire pour avoir accès à un programme financé par l’administration provinciale ou municipale ou par une bande est considéré comme un ajout. Je crois que bon nombre d’agents de libération conditionnelle dans la collectivité ou en établissement affirmeraient que cette façon de penser est contraire à la raison.
Donc, je suis d’avis qu’il y a des limites très rigides quand il s’agit d’offrir un meilleur accès aux programmes appropriés pour les délinquants, en particulier dans la collectivité, où ils demeureront à long terme. À mon avis, il y a des limites importantes qui nous empêchent de bien faire ce travail et d’atteindre les chiffres auxquels, je crois, les membres de ce comité et d’autres personnes s’attendent.
Mme Daviau : Puis-je ajouter quelque chose? Ou me faire l’écho d’un point qui a été soulevé, parce que nous représentons les psychologues. Des psychologues de partout au pays nous ont dit qu’ils ne disposent tout simplement pas des ressources suffisantes pour effectuer leur travail. De fait, quand j’ai visité le Pénitencier de Kingston, il était question exactement de ce problème, c’est-à-dire qu’on fractionnait le centre de traitement et que, maintenant, des délinquants qui ont commis des crimes graves n’avaient plus accès à ce genre de soins spécialisés. Ce problème s’est aggravé pendant la période de réduction du déficit, parce qu’on a imposé une sorte de ratio bidon qui, à notre avis, ne respectait même pas les exigences imposées par notre code des professions.
Il s’agit d’un problème persistant, parce que la dotation et le maintien en poste ont toujours constitué un problème au sein du Service correctionnel du Canada. C’est le cas à cause de l’environnement de travail très difficile dans lequel nous demandons aux gens de travailler, sans leur offrir d’avantages supplémentaires. Ainsi, il faut qu’une personne aime vraiment son travail si elle choisit un poste dans un pénitencier par rapport à un autre lieu de travail.
Assurément, les données statistiques du gouvernement montrent que, pendant certaines périodes, on ne réussissait pas à recruter assez de psychologues et de membres du personnel infirmier dans le milieu carcéral et qu’il a fallu chercher ces ressources à l’étranger. Nous avons dû nous rendre à l’évidence, on ne peut tirer de l’eau d’une roche. Il n’y a tout simplement pas assez de personnes qui sont prêtes à faire ce genre de sacrifices pour travailler dans des établissements fédéraux.
Mme Peckford : J’ajouterais que, à propos de la conversation de la semaine dernière avec le ministre Goodale, un autre agent de libération conditionnelle dans la collectivité, de Terre-Neuve-et-Labrador, a dit qu’il y avait toujours eu un psychologue en poste à temps plein à St. John’s qui pouvait voir les délinquants en CCC. Ce poste est maintenant à temps partiel. Il est presque impossible de doter un poste de psychologue à temps partiel, et la création d’un tel poste n’a pas de sens. Pourquoi cherchons-nous un psychologue à temps partiel quand il est presque impossible de maintenir en poste un psychologue à temps plein?
Nous arrivons à la conclusion que le SCC est en situation de déficit budgétaire dès les premiers mois des exercices financiers et que les responsables cherchent constamment à faire des économies. Ils ne peuvent faire d’économies liées aux postes d’agent correctionnel et ils doivent payer les heures supplémentaires; nous savons cela. Donc, une pression est exercée sur tous les autres postes budgétaires du système pour libérer des sommes.
Si vous passez en revue chaque région d’un bout à l’autre du pays, les responsables des administrations régionales vous diront qu’ils cherchent à ramener dans leur budget des centaines de milliers de dollars. Pour y arriver, ils ne dotent pas des postes, ne créent pas de postes à temps plein et n’investissent pas dans la collectivité. C’est pourquoi je suis d’avis qu’il y a un problème chronique de dotation qui n’a pas été expliqué en détail, et je vous invite à discuter avec les responsables du SCC de la façon dont ils gèrent leurs ressources.
Un autre agent de libération conditionnelle que nous avons rencontré avec le ministre Goodale la semaine dernière nous a dit que, à l’Établissement de Kent, on n’avait pas affecté d’agent de libération conditionnelle à 90 délinquants pendant l’été. Cela crée, bien entendu, une situation très stressante pour les agents de libération conditionnelle, mais imaginez les conséquences pour les délinquants, au moment de l’admission, qui doivent recevoir un plan correctionnel et être évalués. Quelles sont les conséquences à long terme d’une telle situation?
Un agent de libération conditionnelle dans la collectivité, un de nos agents autochtones, a affirmé que la façon dont les choses se passent au début a un effet sur la façon dont les choses se passent à la fin. Les contrecoups se font toujours sentir parce que l’évaluation du risque et les types de programmes cernés au début de l’incarcération sont très difficiles à changer. Ainsi, quand les délinquants sont mis en liberté dans la collectivité, s’il n’y a pas eu d’évaluation globale ou complète des besoins du délinquant, l’agent de libération conditionnelle ne peut tirer profit de ce qu’on a laissé passer. Je suis d’avis qu’il serait très utile pour ce comité d’examiner les incidences du manque chronique d’effectif tout au long du continuum.
La présidente : Merci de ces commentaires. Nous aurons l’occasion d’effectuer un suivi sur ces questions avec les responsables du SCC. Nous allons maintenant poursuivre.
Le sénateur Brazeau : Bonjour à tous.
[Français]
Ma question s’adresse à M. Massey et fait suite à celle qu’a posée la sénatrice Boyer. Vous avez parlé des problèmes et des défis. Selon vous, qu’est-ce qui devrait être fait pour améliorer les conditions de travail? Est-ce simplement une question d’argent ou y a-t-il autre chose que nous devrions regarder?
M. Massey : Du point de vue des conditions de travail, ce qui est le plus complexe, c’est de travailler avec un délinquant. Il y a aussi une question d’argent, car, au sein du régime provincial, on gagne davantage, mais les responsabilités sont immenses. En l’absence du médecin, nous sommes ses yeux et ses oreilles, nous faisons ce qu’il ne peut faire quand il n’est pas là. Certaines interventions sont très pointues, lorsqu’on doit faire une évaluation ou administrer certains traitements, comme donner des médicaments et faire certaines prescriptions. Il y a un éventail de possibilités.
Cependant, on ne peut parler que d’argent, car il manque aussi des ressources. Une personne peut gagner 130 000 $ ou 150 000 $ par année. Toutefois, sans un nombre suffisant d’employés, elle ne viendra pas travailler au Service correctionnel du Canada, car les conditions de travail sont plus difficiles que celles qu’on retrouve en milieu hospitalier à l’extérieur.
J’ai la chance de me trouver dans un département qu’on appelle « post-suspension ». Il s’agit de délinquants qu’on a libérés, qui sont retournés au sein de la communauté et qui ont récidivé ou qui n’ont pas respecté leurs conditions de libération et qui reviennent en milieu carcéral. Ces personnes reviennent parfois avec des médicaments prescrits. Plusieurs d’entre elles sont toxicomanes. Or, on ne peut pas leur fournir ces médicaments, car on ne peut le justifier. Il faut donc voir quelles sont les solutions de rechange. Nous sommes alors confrontés à de la violence verbale et parfois même physique, car les délinquants qui reviennent s’attendent à recevoir le même médicament, mais on ne peut pas toujours respecter leur volonté. Il y a des critères d’exception auxquels il faut répondre. Si on ne dispose pas des ressources nécessaires, on ne peut pas leur offrir de l’aide. Il faut parfois prévoir une ou deux personnes pour rencontrer les délinquants. Une personne qui doit traiter à elle seule 10 entrées ne pourra pas rencontrer chacune d’elle. Bien souvent, ces détenus sont médicamentés et tiennent à recevoir leur médication dès leur entrée.
On traite également plusieurs cas de santé mentale et des gens qui prennent des antidépresseurs. Si on ne les rencontre pas ou que l’on tarde, ces personnes deviendront désorganisées, ce qui occasionne d’autres problèmes, comme de la violence envers soi, envers les codétenus, envers les agents correctionnels, les agents de libération conditionnelle ou d’autres membres de l’établissement, comme les économes qui travaillent dans le secteur de l’alimentation. Le problème peut donc s’aggraver.
À la base, si on ne dispose pas des ressources nécessaires ou d’un nombre suffisant d’employés, des problèmes surviendront. Peu importe le salaire, les problèmes sont liés aussi au manque de personnel, et cet aspect constitue un facteur très important.
Le sénateur Brazeau : On parle souvent de la surreprésentation des peuples autochtones dans nos pénitenciers. Je sais que vous ne posez pas de diagnostic, donc ma question s’adresse peut-être davantage aux autres membres du groupe. Selon vous, voit-on aussi une surreprésentation, dans nos institutions carcérales, de personnes souffrant de problèmes de santé mentale?
M. Massey : Il n’y a pas surreprésentation, mais beaucoup de gens sont atteints de problèmes de santé mentale dans les établissements carcéraux. On parle de personnes qui souffrent de dépression et de toxicomanie et qui ont pris des drogues à l’extérieur qui ont causé des psychoses. On ne peut pas dire que ces gens soient sous-représentés; au contraire, il y en a de plus en plus.
Il faut avoir les bons intervenants, les bonnes personnes et les ressources pour intervenir afin que tout se passe bien. À partir du moment où on peut mieux les encadrer et les diriger, avec les bonnes ressources, on peut s’attendre à des résultats positifs. Sinon, les problèmes demeurent. Lorsque ces personnes sont libérées, s’il y a un manque de ressources et de suivi, elles perdent leurs repères. L’agent de libération conditionnelle ne connaît pas tous les problèmes qui existent à l’intérieur de l’institution carcérale et la communication est importante. En l’absence d’une personne clef qui puisse transmettre ces renseignements, la situation escalade, les détenus reviennent, et le système s’alourdit.
Le sénateur Brazeau : Croyez-vous qu’il n’y a pas assez de ressources financières dans le système? Ma question s’adresse à tous les témoins.
[Traduction]
La présidente : Veuillez m’excuser, monsieur le sénateur. Je crois que Mme Peckford souhaite répondre à votre première question.
Mme Peckford : En janvier dernier, la députée Pam Damoff s’est rendue à l’établissement pour effectuer une visite, de toute évidence en raison de la situation très difficile à l’Établissement d’Edmonton concernant le harcèlement et les inconduites criminelles, comme vous le savez. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle a rencontré des représentants de l’équipe de santé mentale.
Une des plus importantes causes de leur sentiment de frustration — et cela touche tous les employés qui travaillent dans un établissement fédéral — tient au fait que les capacités sont très limitées pour poser un diagnostic de syndrome d’alcoolisation fœtale, qui est malheureusement répandu chez certains des délinquants. Ils se sentent frustrés parce que, bien souvent, ils ne peuvent obtenir un diagnostic qui leur permet de mieux soutenir les délinquants et de possiblement faire en sorte qu’ils soient transférés dans d’autres types d’établissements de façon définitive.
Certains des membres de l’équipe de santé mentale ont expliqué pourquoi il est si difficile d’obtenir un diagnostic de syndrome d’alcoolisation fœtale. Il s’agit d’un processus très complexe qui ne serait pas facile à suivre n’importe où ailleurs. Toutefois, leur sentiment de frustration, en ce qui a trait à la santé mentale, est très réel et découle de leur incapacité d’arriver à poser adéquatement un diagnostic ou d’appuyer les ressources pour faire en sorte d’arriver à un diagnostic, alors qu’il leur est évident qu’il y a quelque chose. Je ne sais pas si nous pouvons apporter une solution à ce problème, mais je tenais à le souligner, parce qu’il est toujours soulevé, en particulier en ce qui concerne les délinquants qui ont de très grands besoins.
M. Stapleton : J’aimerais simplement ajouter une chose au sujet des hommes et des femmes qui ont des problèmes de santé mentale à leur arrivée. Oui, nous en recevons beaucoup, mais je pense aussi qu’il y en a beaucoup qui développent des problèmes de santé mentale durant leur incarcération, en raison de l’environnement dans lequel ils sont, et en particulier dans les prisons à sécurité maximale, car le niveau de violence y est élevé. Il se peut qu’ils n’arrivent pas en mauvaise santé, mais il est certain qu’ils développent des problèmes de santé mentale quand ils sont à l’intérieur.
Mme Daviau : Pour être tout à fait honnête, certains de nos membres, des employés du Service correctionnel du Canada, développent des problèmes de santé mentale dans ce milieu de travail, que ce soit en raison d’une surexposition à des traumatismes ou à des actes de violence dans lesquels ils sont impliqués ou dont ils sont témoins.
Il y a même davantage de conflits entre employés dans le milieu correctionnel, ce qui a détruit certains de nos membres pendant leur carrière dans les services correctionnels. Je ne vais pas raconter ces histoires d’horreur, mais j’en ai entendu quelques-unes qui me poussent à dire que je ne travaillerai jamais dans une prison.
Je suis vraiment heureuse qu’il y ait des gens comme Éric qui sont très dévoués à leur travail, car, sans eux, les choses seraient bien pires. Il y a des fonctionnaires qui ne savent pas s’ils vont être payés, et qui travaillent dans les milieux les plus difficiles, sans aucune prime de risque, si vous voulez, ou quoi que ce soit d’important. Je suis toujours très impressionnée par le dévouement et la détermination dont ces personnes font preuve pour accomplir leur travail, tout au long de leur carrière, même si c’est vraiment difficile pour elles. Nous apprécions donc vraiment l’occasion qui nous est donnée de raconter leurs histoires. Je sais qu’elles seront très heureuses de voir certains changements dans le système qui les aident à mieux accomplir leur travail.
Le sénateur Brazeau : Une dernière petite question. Je crois que la question fondamentale, selon moi, est la suivante : si le système disposait de ressources, il fonctionnerait mieux et les gens seraient moins stressés, de toute évidence. L’ensemble du système fonctionnerait mieux. À mon avis, il est évident que beaucoup de gens au gouvernement — une fois encore, indépendamment de l’allégeance politique —, des gens qui sont élus, n’investissent pas dans ce secteur, car nous avons en quelque sorte abandonné ces personnes. Soit elles méritent d’être là-bas, soit elles ont des problèmes de santé mentale, soit elles sont A utochtones... Peu importe la raison.
Ne seriez-vous pas d’accord pour dire que c’est peut-être parce que les mandants de ces élus ne vont pas frapper à leur porte pour leur demander que de l’argent soit injecté dans le système pour que l’accent soit mis davantage sur la réhabilitation que sur le châtiment? C’est comme ça que je vois les choses. Il y a des solutions, mais il y a simplement un manque de volonté, n’est-ce pas?
Mme Daviau : Oui, probablement un manque de volonté politique, c’est sûr. Soyons honnêtes : les décideurs répondent à leurs électeurs, et si ces derniers ne contestent pas, c’est alors un problème facile à ignorer. Certains dossiers ont fait beaucoup de bruit, et il est impossible de les ignorer. Espérons que cela les amène à faire quelque chose à ce sujet. Nous ne nous attendons pas à ce que les changements se produisent du jour au lendemain ou que tous les problèmes soient réglés d’un seul coup de baguette, mais il manque la volonté de réellement commencer à s’engager dans cette voie pour réaliser ces changements.
J’aimerais dire une dernière chose : pour tous ces types de changements, qu’il s’agisse de changements de politique ou d’investissements de ressources, il leur faudra discuter avec leurs employés et avec nous, avec les personnes qui représentent ou qui supervisent ces employés. Ils ne devraient pas prendre ces décisions sans tenir compte des faits et des éléments de preuve recueillis sur le terrain. C’est pourquoi, comme je l’ai dit, nous sommes vraiment contents d’être ici. Toutefois, quand des décisions sont prises à ce sujet, je pense qu’il devrait y avoir plus de discussions, et nous pouvons présenter beaucoup d’informations et d’éléments de preuve dans le cadre de cette discussion.
[Français]
M. Massey : Il est évident que le gouvernement a tendance à croire que le fait d’investir davantage en faveur des services correctionnels est une dépense et non pas un revenu. Cependant, il ne faut pas oublier que les délinquants volent et se droguent, par exemple, et que pour se droguer, ils doivent trouver de l’argent. Donc, ils cambriolent des maisons et tuent des gens. Cela amène beaucoup de problèmes.
Si on pouvait améliorer le système afin de bien diriger et d’appuyer les délinquants, cela rapporterait au gouvernement au bout du compte. Les dépenses à l’extérieur diminueraient aussi, car on aurait mieux réussi la réinsertion sociale des délinquants. À titre d’exemple, nous pourrions nous assurer qu’ils ne transmettront pas le VIH ou l’hépatite C à une personne à l’extérieur, puisqu’ils seront guéris. Donc, on veillerait en même temps à la protection du public. Cela n’a pas de prix, c’est essentiel.
Certains délinquants sont incurables, si je peux m’exprimer ainsi, mais d’autres, s’ils sont bien encadrés, réussissent à se trouver un travail à l’extérieur et à réintégrer sainement la société. Malheureusement, on entend trop souvent les délinquants dire qu’ils sont heureux d’être à l’extérieur, mais que leurs conditions sont trop restreintes. On essaie de les aider à traverser cette étape.
Certains ne sont jamais revenus à l’intérieur des murs, parce qu’ils ont réussi à se trouver un emploi et qu’ils sont même en couple. Ils ont maintenant un revenu et rapportent de l’argent au gouvernement au lieu de le faire dépenser. C’est un investissement gagnant-gagnant, non seulement pour la protection publique, mais aussi pour démontrer aux employés du gouvernement qu’ils font un bon travail. Le gouvernement leur donne des ressources pour mieux intervenir afin d’éviter que les gens reviennent à l’intérieur des murs, ce qui entraîne des dépenses supplémentaires.
Donc, je n’envisage pas cela comme une dépense inutile. Au contraire, il s’agit d’un investissement pour améliorer notre système et protéger la société.
[Traduction]
La présidente : Il nous reste quelques minutes et un sénateur qui doit poser une question, le sénateur Cormier. Allez-y.
[Français]
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à M. Massey et peut-être à Mme Daviau. Elle concerne votre travail, plus spécifiquement, et l’accompagnement qu’on vous accorde dans la réalisation de votre travail. Vous avez beaucoup parlé du manque de personnel, et je connais beaucoup de gens qui travaillent au sein du système de soins de santé public : on manque de personnel partout. Cependant, êtes-vous bien accompagnés en matière de formation et avez-vous tout ce qu’il vous faut dans l’évolution de votre travail pour le faire correctement?
Il y a un manque de ressources financières pour embaucher du personnel supplémentaire, mais avez-vous ce dont vous avez besoin pour faire votre travail? Je pense notamment à toute la formation qui touche la reconnaissance des enjeux liés à la communauté LGBTQ et d’autres enjeux sociaux. Avez-vous accès à de la formation?
M. Massey : À l’heure actuelle, notre employeur est très avant-gardiste et nous donne toute la formation nécessaire pour améliorer notre travail. À cause du manque de ressources et du manque de financement, les formations se font parfois un peu attendre, dans le sens où on attend du financement pour nous former davantage dans le cadre de certaines problématiques ou pour traiter de questions liées au multiculturalisme à l’intérieur des murs.
La formation est souvent adéquate. Cependant, en l’absence de financement, on ne peut être formé adéquatement. C’est une situation que nous vivons, mais l’employeur fait tout en son pouvoir pour nous aider.
Les travailleurs sociaux que nous représentons manquent de formation. Ce sont eux qui accompagnent les délinquants à l’extérieur. Ils ont besoin de formation, mais ils sont livrés à eux-mêmes pour aller la chercher et la financer. Pour certains employés, il y a des avantages, alors que pour d’autres, il y a des inconvénients, puisque souvent, ils ne disposent pas des fonds nécessaires pour suivre les formations dont ils ont besoin.
[Traduction]
Mme Daviau : Dans l’ensemble, ce que nous entendons dire, c’est que dans beaucoup d’autres organisations fédérales, la formation a presque disparu pendant 10 ans. Ce n’est que maintenant que nous reprenons un type de formation ou un autre. La fonction publique accuse un déficit en matière de formation.
Quand il s’agit d’une formation ministérielle spécialisée, il n’y a aucun problème. Tout d’abord, nos membres sont des professionnels, ils sont donc déjà certifiés par des ordres professionnels; ils ont obtenu des diplômes universitaires et des reconnaissances professionnelles. Ils sont certainement très bien formés, même dès leur tout premier jour de travail. Ensuite, ils apprennent ce que c’est que d’être ce genre de professionnel au sein du Service correctionnel du Canada. Ils nous disent que les ressources, et même les ratios qui ont été établis, ne leur permettent pas de respecter leurs codes professionnels. L’infirmière a donc un code professionnel, tout comme un médecin, un psychiatre et un psychologue, et pour répondre aux exigences des normes professionnelles d’une profession donnée, il faut certaines ressources. Avec une infirmière au lieu de trois, il sera beaucoup plus difficile de répondre aux exigences de la profession.
[Français]
Le sénateur Cormier : Monsieur Stapleton, vous dites que l’accès aux logements supervisés et aux maisons de transition est totalement insuffisant, surtout en ce qui concerne les centres correctionnels communautaires qui logent les délinquants et délinquantes aux risques et aux besoins les plus élevés.
Cette situation est-elle similaire partout au pays? Y a-t-il des différences en fonction des régions? Si oui, quel est l’impact de ce manque d’accès dans certaines régions par rapport à d’autres? Je pense, entre autres, aux régions plus rurales.
[Traduction]
M. Stapleton : Il s’agit d’un réel problème dans tout le pays, même si les villes auraient plus de disponibilité. Toutefois, avant le Plan d’action pour la réduction du déficit, il y avait un financement, par exemple, pour l’hébergement volontaire. Ainsi, un délinquant qui n’avait nulle part où aller pouvait demander au Service correctionnel du Canada de financer pour trois mois, voire six mois, son séjour dans une maison de transition. Les délinquants avaient donc un endroit structuré où aller, où ils devaient suivre toutes les règles.
Si tout cela disparaît, nous nous retrouvons à devoir libérer les délinquants dans des refuges pour sans-abri, sans pièce d’identité, et avec des médicaments pour peut-être trois jours. Quand ils sont libérés avec des médicaments pour trois jours mais sans aucune pièce d’identité, ils ne peuvent pas se procurer de médicaments. Que font-ils alors? Ils retournent à la case départ.
Je pense que la chose dont nous devons nous rappeler, et dont tous les citoyens doivent se rappeler, c’est que la plupart de ces délinquants, peu importe le crime qu’ils ont commis, seront libérés dans la rue. Si nous n’améliorons pas leurs conditions de vie à l’intérieur des prisons et que nous ne leur donnons pas les outils nécessaires pour réussir une fois dehors, ils retourneront simplement en prison.
Mme Peckford : La table ronde que nous avons tenue avec les Autochtones nous a permis de sonder les personnes qui travaillent auprès des populations autochtones; elles étaient en très grande partie des agents de liaison autochtones, des agents de libération conditionnelle autochtones et d’autres employés du SCC à l’intérieur et à l’extérieur des établissements. Nous nous ferions un plaisir d’en communiquer les résultats, car je pense que cela brosserait également un tableau de la collectivité que vous connaissez bien. Une partie de ces mesures pourraient être appliquées.
Comme l’ont établi deux comités de la Chambre des communes, nous avons dit en grande majorité que nous appuierions sans réserve la nomination d’un sous-commissaire autochtone pour veiller à ce qu’une attention particulière soit accordée aux délinquants autochtones dans toute leur diversité. J’ajoute à ce que Stan a dit que le manque chronique de remplaçants et les lacunes de la dotation en personnel de réhabilitation au sein du SCC constituent actuellement le maillon faible de l’organisation, qui peine à offrir des soins adéquats et de qualité aux délinquants.
Je vous encouragerais vivement à demander aux responsables du SCC comment ils ont fait leurs calculs, car je pense qu’il s’agit d’un grand problème qui n’a pas été suffisamment étudié. Il ne s’agit pas simplement d’un problème de ressources humaines, puisqu’il a de très graves répercussions sur le temps et l’attention accordés aux délinquants.
Mme Daviau : Je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps, mais vous avez parlé des médicaments. Ils libèrent ces délinquants avec des médicaments pour deux ou trois jours. Ce qui est triste, c’est qu’il faut tellement de temps pour obtenir un diagnostic et arriver à l’étape du traitement que certains délinquants sont libérés avant de recevoir leurs médicaments. Et devinez ce qui se passe avec les médicaments une fois que les délinquants sont libérés? Ils vont à la poubelle, et certains de ces médicaments coûtent très cher.
Éric m’a parlé d’un cas où des médicaments étaient nécessaires, quatre traitements par an qui coûtent plus de 100 000 $ chacun, pour soigner une maladie assez courante, l’épilepsie. Un demi-million est littéralement allé aux poubelles, car le délinquant en question a été libéré avant que son traitement puisse commencer. Il faut examiner ces mesures de transition au regard de la mise en liberté ou de la transition vers d’autres parties du système.
Je ne peux pas partir sans remercier les interprètes, au nom de l’Association canadienne des employés professionnels, car mon ami Éric parle vraiment vite. Je remercie donc tout le personnel affecté aux interprètes et, bien sûr, je remercie la greffière, qui fait partie de nos membres, ainsi vous, que mesdames et messieurs les sénateurs, pour le temps que vous nous avez accordé aujourd’hui. Nous apprécions réellement d’être écoutés à ce sujet.
La présidente : Permettez-moi de tous vous remercier. Je sais que les sénateurs ont d’autres questions. Je suis désolée, mais nous devons nous arrêter, car nous avons une vidéoconférence dans environ 10 minutes.
Mme Daviau : Appelez-nous n’importe quand.
La présidente : Nous apprécions tous ce que vous avez partagé. Nous avons entendu ce que vous avez dit, et nous vous remercions pour vos témoignages d’aujourd’hui.
Avec le dernier groupe de témoins d’aujourd’hui, nous allons continuer à examiner le dossier de la réinsertion sociale et de la réhabilitation des personnes purgeant une peine de ressort fédéral, et nous allons entendre parler de deux autres programmes. Des représentants de Think 2wice devaient être présents. Leur vol a été retardé, mais ils se joindront à nous sous peu.
Des représentants du programme Breakaway témoigneront par vidéoconférence. Nous souhaitons donc la bienvenue à Rick Sauvé, facilitateur, Leon Boswell, participant, et Philip Atkins, participant.
Merci à vous tous d’être ici.
Rick Sauvé, facilitateur, Breakaway : Merci. Je suis ici aujourd’hui avec deux de mes collègues. Nous sommes tous heureux d’avoir été invités à nous adresser aux membres du Sénat.
J’y réfléchissais hier soir, et je pense qu’il est approprié que cela se passe ici. Je repense à toutes ces années. On s’est toujours efforcés d’apporter des changements positifs à Collins Bay. Pendant un certain nombre d’années, nous avons organisé les jeux olympiques pour les personnes exceptionnelles. Le sénateur Hastings rencontrait fréquemment le groupe des détenus condamnés à perpétuité, et nous avions la Commission sur la détermination de la peine. Je suis donc très fier de mes deux collègues qui vont avec moi présenter cet exposé, et je suis heureux qu’ils soient ici.
Ils sont passés par le groupe Breakaway, mais ils participeront également à la formation pour devenir des mentors et aider d’autres détenus qui voudraient participer au programme Breakaway. Merci.
La présidente : Merci beaucoup d’être venus.
Monsieur Boswell ou monsieur Atkins, est-ce que l’un d’entre vous veut faire une déclaration préliminaire? Sinon, les sénateurs ont des questions qu’ils sont prêts à poser. C’est libre à vous.
Philip Atkins, participant, Breakaway : Cela me va. Je suis simplement content d’être ici aujourd’hui.
La présidente : Nous commencerons les questions; êtes-vous d’accord?
M. Atkins : D’accord.
La sénatrice Boyer : Merci à vous tous d’être ici. Nous nous sommes rencontrés il y a quelques mois, quand j’ai pu aller à Collins Bay avec le groupe. Une des choses qui m’ont réellement frappée, à cette occasion, c’est à quel point l’appellation GMS affectait la vie à l’intérieur des prisons.
La présidente : Excusez-moi, madame la sénatrice, mais pour ceux qui nous regardent depuis chez eux, veuillez expliquer ce qu’est un GMS.
La sénatrice Boyer : GMS signifie groupe menaçant la sécurité. Ce qui m’a impressionnée, c’est la façon dont cela vous affecte quand vous arrivez en prison avec cette étiquette, et comment cela continue à vous affecter à l’intérieur. Pouvez-vous nous décrire les effets au quotidien d’une étiquette de GMS, et ce que ça signifie exactement?
M. Atkins : Ce sigle, le GMS est né vers 2004. Je ne sais pas qui en a eu l’idée, mais l’étiquette a d’abord été accolée aux gens vivant dans des habitations à loyer modique. Donc, d’emblée, ils vous disent que vous faites partie d’un gang, sans connaître quoi que ce soit.
Cela commence ainsi, et ça nous affecte, ici, car nous sommes limités dans ce que nous pouvons faire, par rapport aux autres détenus, car ils n’ont pas l’étiquette GMS collée sur le front. Nous sommes limités dans nos déplacements dans l’établissement, dans notre travail et les transfèrements. Cela affecte beaucoup de choses. Essentiellement, ils nous ont laissés dans le noir; nous ne savons pourquoi nous avons cette étiquette ni comment la faire retirer.
La sénatrice Boyer : Puis-je vous demander comment on a déterminé votre affiliation en premier lieu?
M. Atkins : C’est le système. Le système vous colle une étiquette, tout simplement.
Leon Boswell, participant, Breakaway : La police l’inscrit dans votre dossier, et, quand nous sommes pris en charge par le SCC et qu’un intervenant du SCC vérifie notre dossier, il le voit et l’inscrit dans notre dossier du SCC. C’est l’unité policière spécialisée dans la lutte contre les gangs et les armes à feu qui nous accole cette étiquette.
M. Atkins : C’est comme une étiquette de plus que donne l’établissement, en gros.
La sénatrice Boyer : Est-ce difficile de faire retirer cette étiquette?
M. Atkins : Oui. Cela exige bien des démarches et des mensonges, et au bout du compte on vous dit que la décision ne revient pas au système carcéral. Supposément, la GRC, la Police provinciale de l’Ontario ou le Service de police de Toronto sont les seuls qui peuvent supprimer l’affiliation.
La sénatrice Boyer : Cette affiliation a-t-elle une incidence sur votre capacité à entrer en relation avec votre famille et vos amis à l’extérieur de l’établissement?
M. Boswell : Disons que vous avez deux ou trois frères qui sont soupçonnés de faire partie du même groupe menaçant la sécurité. Si vous communiquez avec eux, on va considérer que vous êtes un membre actif qui participe aux activités du groupe, alors qu’en réalité, c’est tout simplement votre frère, quelqu’un que vous aimez beaucoup. Vous interagissez davantage avec un membre de votre famille ou une personne chère qu’avec un membre d’un GMS.
La sénatrice Boyer : Donc, cela restreint votre capacité d’entrer en contact avec eux, c’est bien ce que vous dites?
M. Boswell : Je ne dirais pas que cela nous en empêche, mais c’est quelque chose qui pourrait être utilisé contre nous, pour refuser de retirer l’affiliation.
La sénatrice Boyer : Merci.
La présidente : Rapidement, j’ai une question complémentaire. Lorsque vous parlez de vos frères, voulez-vous dire vos frères biologiques ou est-ce que cela va plus loin que votre famille? Par exemple, est-ce que cela concerne aussi vos amis qui pourraient être étiquetés?
M. Boswell : Oui, cela peut aussi s’appliquer aux amis également, mais je parlais bien de mes frères biologiques.
La sénatrice Pate : Merci d’être avec nous. Je vous remercie de l’accueil que votre groupe a offert à certains d’entre nous lorsque le comité était en déplacement, et ce serait un plaisir de vous visiter à nouveau un jour.
Vous avez dit que l’étiquette GMS remonte à une quinzaine d’années ou plus. Malgré tout, d’après ce que j’ai compris, il arrive que des gens comme M. Sauvé, qui ont été mis en liberté bien avant cela, soient étiquetés ainsi. Parfois, le SCC leur impose cette étiquette.
Ai-je bien compris, et si oui, comment cela arrive-t-il? Lorsque cela arrive, est-ce qu’il faut aussi que la police soit d’accord pour effacer l’affiliation? Qu’est-ce qui arrive si une personne ne participe pas, dans les faits, aux activités du groupe? À qui incombe le fardeau de prouver que vous ne faites plus partie du groupe menaçant la sécurité auquel l’on prétend que vous êtes affilié?
M. Sauvé : Je peux répondre. J’ai récemment subi une évaluation en vue d’une décision. Il y a un document. J’ai demandé que les conditions de ma libération conditionnelle soient modifiées. Je purge présentement la 41e année d’une peine à perpétuité. J’ai obtenu la libération conditionnelle totale il y a plus de 24 ans. J’étais en libération conditionnelle bien avant qu’on commence à utiliser ce genre de termes.
En décembre ou en novembre, j’ai reçu une évaluation en vue d’une décision. Il était inscrit dans le dossier que j’étais affilié à un GMS, un groupe menaçant la sécurité. Une partie du problème pour les gens comme moi qui ont cette étiquette, c’est que nous ne savions même pas que cela allait être inscrit à nos dossiers. D’accord, plus loin, il est écrit que je suis considéré comme étant inactif, mais l’étiquette est toujours là. Compte tenu du travail que je fais, dans les établissements, je ne sais pas quelles pourraient être les répercussions. Pour ce qui est des détenus qui ont cette étiquette et qui essaient de s’en sortir, je ne connais concrètement aucun processus pour la faire retirer.
C’est pour cette raison que nous avons décidé de créer le groupe Breakaway, pour aider les détenus qui veulent changer de vie pour le mieux et laisser cette culture derrière eux. Nous leur offrons une façon de le faire.
Pour un grand nombre de détenus, il n’existe aucune politique ni aucun programme établi qui permettraient de retirer l’étiquette. Comme je l’ai dit, je viens tout juste de découvrir que l’étiquette figure à mon dossier et qu’elle me suivra toute ma vie, même si j’ai obtenu ma libération conditionnelle il y a 25 ans.
La sénatrice Pate : Ai-je raison de dire, dans ce cas, que ce qui est pris en considération ici est ce que vous avez fait il y a 40 ans, et on a déterminé que vous étiez affilié à un GMS en raison de ce que vous avez fait pendant votre adolescence, à la fin de votre adolescence ou au début de la vingtaine?
M. Sauvé : Oui. Je faisais partie d’un club de motards. J’ai écopé d’une peine d’emprisonnement, et j’ai quitté le club. À dire vrai, ce club n’existe même plus. C’est étrange à dire, mais je me rappelle avoir déjà eu cette conversation avec mon agent de classification il y a plusieurs années. Je lui ai dit que j’avais brièvement fait partie d’un club de motards, mais maintenant, c’est comme si j’allais en faire partie toute ma vie.
La sénatrice Pate : Votre agent de libération conditionnelle vous a-t-il dit comment vous pourriez faire en sorte que l’étiquette soit retirée?
M. Sauvé : Non. Nous n’en avons pas discuté. Je vois mon agent de libération conditionnelle seulement tous les trois mois. J’ai été surpris en lisant cela. D’un autre côté, c’est une bonne leçon pour moi, parce que maintenant, quand je parle aux détenus qui font partie du groupe, je peux comprendre leurs difficultés et leur frustration lorsqu’ils essaient de faire supprimer cette étiquette.
La sénatrice Pate : Merci.
Monsieur Atkins et monsieur Boswell, j’aimerais en apprendre davantage sur votre programme. À première vue, il me semble que c’est peut-être le seul programme qui aide les gens à ne plus être associés à un gang, même si on dirait que cela ne permet pas de faire effacer l’étiquette GMS. Comment avez-vous entendu parler du programme pour la première fois, et quels genres d’activités offre-t-on dans le cadre du programme?
Ensuite, monsieur Sauvé, peut-être pourriez-vous nous dire comment vous avez élaboré le programme et comment vous avez obtenu l’autorisation de le mettre en place en établissement.
Vous m’excuserez, je sais que je pose beaucoup de questions en même temps.
M. Boswell : Ce n’est pas grave.
J’ai rencontré Rick en 2014. Nous savions que le programme allait être offert à l’Établissement de Warkworth, et nous avons fait un sondage pour savoir si les détenus aimeraient y participer. J’ai passé une entrevue avec Rick, et il m’a dit qu’il avait un programme dont le but était d’aider les détenus supposément affiliés à un groupe menaçant la sécurité. Il essaie de nous montrer qu’il y a une vie après la prison, que nous pouvons devenir meilleurs pendant notre incarcération et continuer d’être une meilleure personne à l’extérieur.
On se sent bien avec Rick, parce qu’on sait qu’il a vécu le même genre de choses que nous; je veux parler des condamnations et de tout ce que nous avons fait avant d’être incarcérés. Il nous comprend et il sait comment nous parler sans que nous nous sentions jugés ou étiquetés. Nous pouvons nous sentir normaux et ouverts et avoir des conversations honnêtes sur les aspects de nos vies que nous pouvons améliorer.
Cela aide les autres détenus, parce qu’il y en a qui sont encore jeunes et qui ont une mauvaise attitude. Quand ils voient des gens comme nous qui sont plus âgés, qui sont passés par là et qui essaient de s’améliorer, cela les motive à changer aussi, parce qu’ils n’ont plus à cacher qui ils sont vraiment. Nous pouvons avoir un dialogue constructif sur les aspects qu’ils doivent améliorer pour devenir de meilleures personnes.
La sénatrice Pate : Monsieur Atkins, comment avez-vous appris l’existence du programme, et pourquoi voulez-vous y participer?
M. Atkins : Comme M. Boswell, j’ai entendu parler du programme il y a deux ou trois ans. Rick était venu faire des entrevues et il nous a dit de quoi il s’agissait. Il nous a dit que nous allions peut-être remuer de profonds sentiments, ou peut-être pas. Vous dites ce que vous ressentez profondément, vous vous exprimez, vous parlez de la personne que vous étiez, d’où vous venez et de ce que vous vivez présentement. Le véritable but est de vous améliorer, pour retourner dans le vrai monde, parce que la seule façon de faire effacer une affiliation à un GMS est de montrer au système ce que vous voulez vraiment.
La sénatrice Pate : Savez-vous s’il y a des gens qui ont réussi à faire ôter leur étiquette?
M. Atkins : Oui. Dites-leur combien d’années cela vous a pris.
M. Boswell : J’ai été désigné comme étant affilié à un GMS en 2006, et j’ai cherché activement le moyen de faire effacer cette affiliation. Au début, il n’existait aucun véritable processus; on attendait simplement que quelqu’un nous dise quoi faire.
En 2015, j’ai essayé à nouveau de faire retirer l’étiquette. On m’a dit que je devais présenter une lettre expliquant pourquoi je n’étais plus affilié à un groupe et pourquoi je voulais faire effacer l’affiliation, et c’est ce que j’ai fait. Ensuite, on m’a parlé du programme Breakaway en disant qu’il pouvait m’aider dans ma tentative. J’ai suivi le programme, mais je suis toujours désigné comme étant affilié à un GMS.
Il y a deux ou trois mois, avec l’aide de mon équipe de gestion des cas, j’ai envoyé à nouveau la même lettre. Elle s’est rendue au bureau de l’agent du renseignement de sécurité, qui a communiqué avec la police de Toronto pour savoir, selon ses renseignements à jour, ce qu’elle pensait de mon affiliation à un GMS. La police a répondu que, à son avis, je ne présentais plus de risque de ce côté-là; mon niveau d’activité est passé d’actif à inactif.
Malgré tout, je suis passablement convaincu que, si vous examinez mon dossier, vous verrez qu’il est toujours indiqué que je suis affilié à un GMS. On précisera uniquement que je suis « inactif ». Je suis satisfait de ce changement, mais je crois que cela ne suffira pas à éliminer tous les préjudices.
La sénatrice Pate : Donc, vous ne pouvez pas faire retirer l’affiliation. Vous pouvez seulement être considéré comme inactif, tout comme M. Sauvé a été désigné inactif 40 ans plus tard.
M. Boswell : On dirait bien. Ce que je veux dire, c’est que c’est un processus difficile, et il existe pour une bonne raison. Ce qu’il faut, c’est de trouver une meilleure façon de...
M. Atkins : De l’utiliser correctement.
M. Boswell : ... de faire en sorte qu’on peut retirer cette mention aussi facilement qu’on peut l’inscrire. Si on désigne ainsi des détenus, nous croyons qu’il devrait au moins y avoir un programme, reconnu par le SCC, qui offre un processus normalisé et équitable. Avec cette étiquette, c’est comme si vous étiez un citoyen de seconde zone, comme si vous valiez moins que tous les autres. Même si j’avais commis le même crime qu’un autre détenu, je suis désigné comme étant affilié à un GMS parce que j’ai vécu en logement social. Je ne peux pas accéder à un certain niveau de paye, à des emplois privilégiés et à des postes de confiance tant que l’affiliation n’est pas retirée.
Vous n’avez pas la possibilité de prouver que vous êtes en mesure de vous comporter de manière appropriée au travail tant qu’elle est là. Vous ne pouvez pas faire vos preuves en premier. Il faut que l’affiliation soit retirée avant.
La sénatrice Pate : Je vais conclure, afin que mes collègues aient eux aussi la chance de poser des questions.
Vous avez abordé le problème sous l’angle de la classe sociale, par exemple le fait d’avoir vécu en logement social. J’ai aussi l’impression — et j’aimerais entendre vos commentaires à tous les trois — que l’origine raciale est aussi un facteur. Lorsque le comité s’est déplacé d’un bout à l’autre du pays, j’ai eu l’impression que c’était plus souvent des Autochtones ou des hommes de race noire que tout autre groupe que nous avons étudié qui recevaient cette étiquette. J’aimerais entendre vos commentaires par rapport à cela.
Autre chose, monsieur Sauvé, c’est le seul programme qui est offert aux personnes. Apparemment, les équipes de gestion des cas disent aux détenus que c’est le seul des programmes offerts qui peut les aider à faire effacer l’affiliation à un groupe menaçant la sécurité, et ce, même s’il ne permet pas vraiment de la faire effacer. Est-ce difficile pour vous d’aller en établissement pour donner ce programme? Dans quelle mesure est-il accessible? Comment êtes-vous parvenu à mettre ce programme en œuvre en établissement, au début? Aussi, est-il offert de façon continue? À quelle fréquence est-il offert? Combien de participants peut-il y avoir? Est-il bien financé? Je m’interroge sur toutes ces questions.
M. Sauvé : Je travaillais avant pour une organisation appelée Option-Vie, mais le programme Option-Vie a été annulé. C’était un programme de la Société Saint-Léonard, offert à Windsor, à Hamilton, à Peterborough et à Ottawa. Les bienfaits du programme Option-Vie ont été reconnus. Les intervenants estimaient qu’ils devaient davantage savoir qui réintégrait la collectivité après avoir suivi un processus de réhabilitation. Ils nous ont dit que le mentorat par les pairs que nous offrions était sans doute l’une des meilleures ressources pour cela.
Lorsque je me rendais en prison dans le cadre du programme PeerLife, il y avait des jeunes détenus de race noire qui me disaient : « On sait que tu as fait partie d’un club de motards. Comment as-tu réussi à changer de vie? Comment as-tu fait pour t’en sortir? » Ils voulaient contribuer à leur propre réhabilitation. Le concept du programme Breakaway est parti de là.
Nos ressources étaient très limitées. À dire vrai, je crois être le seul à faire ce genre de choses dans la région de l’Ontario. Je me rends dans divers établissements, avec la permission du directeur, car les directeurs soutiennent ce que je fais. Je fais passer le mot, et des détenus s’inscrivent. C’est un programme volontaire. Il y a un troisième groupe qui vient tout juste de commencer, pas plus tard que lundi.
Les détenus qui ont participé au programme sont des ambassadeurs pour notre groupe. C’est comme cela que nous avons eu cette idée : nous avons parlé tous les trois de mettre sur pied un groupe de soutien par les pairs parce que les pairs influencent les jeunes détenus et les aident à laisser ce style de vie derrière eux également.
Ce n’est pas facile d’obtenir des ressources. Les établissements carcéraux sont éparpillés aux quatre coins de l’Ontario, mais le programme comble un besoin. Pendant les séances du groupe, des détenus venaient cogner à notre porte pour nous demander s’ils pouvaient participer. Il n’y a vraiment rien d’autre en place pour aider les gens qui sont désignés comme qui ont été affiliés à un GMS, un groupe menaçant la sécurité.
J’ai appris énormément de choses des détenus de ce groupe; ce sont des gens authentiques qui veulent changer de vie. Quand je suis là, j’ai l’impression de voir des milliers et des milliers d’heures et de possibilités gaspillées, et je vois aussi l’influence positive que les détenus qui ont participé au programme peuvent exercer sur les autres détenus, surtout les jeunes, avec qui ils travaillent. Ils peuvent les pousser dans la bonne direction.
Cela fait plus de 20 ans que je me rends dans les prisons, et je suis abasourdi devant le nombre de jeunes personnes de couleur — qui viennent surtout de la région du Grand Toronto et d’habitations à loyer modique — qui aboutissent en prison. Je ne manque jamais de leur poser des questions. Un des jeunes hommes du groupe m’a dit qu’il avait été difficile pour lui d’avoir accès à l’école, mais qu’il avait pu se procurer une arme à feu à l’âge de 13 ans. À mes yeux, c’est une tragédie.
Nous espérons que nos efforts se répercuteront dans la collectivité. C’est notre but. Nous voulons prévenir les crimes. Nous ne nous intéressons pas seulement à ce qui se passe après qu’un crime a été commis; nous voulons aussi prévenir les crimes futurs. Ces personnes sont nos ambassadeurs; ils encouragent d’autres détenus à participer. Ils ne veulent pas qu’une personne qui aujourd’hui ne purge pas une peine à perpétuité soit condamnée plus tard à la prison à vie. Ce sont des modèles pour qui veut prévenir d’autres tragédies.
Le sénateur Cormier : Merci d’être avec nous cet après-midi, messieurs. J’ai une question pour M. Atkins et M. Boswell. Je cherche à mieux comprendre l’effet que le programme a eu sur votre vie.
Si vous comparez votre situation au début du programme et votre situation aujourd’hui, quelle serait la principale différence que vous voyez dans votre vie? Selon vous, comment cela va-t-il transformer votre avenir? Pouvez-vous nous en parler?
M. Boswell : Avant de participer au programme, j’avais déjà pour mission de devenir une meilleure personne, mais, dans le programme, j’ai eu l’impression d’être au bon endroit, parce que j’étais entouré de personnes qui avaient vécu des choses similaires ou qui venaient d’endroits semblables. Nous nous comprenions tous. C’était facile d’être ouvert et honnête à propos des aspects difficiles de nos vies et de discuter pour trouver des solutions. Nous parlions de nos méthodes, de nos tentatives pour devenir de meilleures personnes.
Vous vous sentez accueilli, dans ce groupe. Cela aide énormément de pouvoir accepter ce qu’on vous dit — de la critique constructive — sans vous sentir jugé ni attaqué. Quand vous êtes avec quelqu’un et que vous sentez que cette personne ne vous comprend pas, qu’elle ne sait pas d’où vous venez ou ce que vous avez vécu, parce que sa vie est différente, vous avez facilement tendance à rester sur la défensive et à vous refermer sur vous-même, parce que vous avez peur du jugement de cette personne qui ne vous comprend pas.
Lorsque vous faites partie du groupe, vous pouvez être vous-même, vous exprimer sans aucune gêne et aussi honnêtement que possible, et vous savez que les autres ne sont pas là pour vous juger, mais pour vous aider.
Le sénateur Cormier : Monsieur Atkins, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Atkins : Oui. J’étais jeune quand j’ai été envoyé en prison. J’étais comme tous les autres. Je suis sûr que nous étions tous dans le pétrin à notre arrivée en prison. Suivre ce programme m’a ouvert les yeux. J’ai compris qu’il y a autre chose que ces quatre murs qui nous entourent. J’ai compris qu’il y a des gens qui se soucient de moi. M. Sauvé vient nous voir, même s’il n’a pas à le faire, après toutes ces années. Il vient nous voir parce que nous faisons partie des oubliés de la société, mais que lui, il n’a jamais oublié.
Il est plus âgé que nous, et il nous parle et il nous aide et, de la même façon, tout ce que nous voulons, c’est faire la même chose. Nous venons tous de milieux différents. Cela se voit chez les nouveaux jeunes détenus. Il n’y a pas de programme comme celui-ci ici pour eux. Il y a des programmes pour les toxicomanes, les alcooliques ou les agresseurs. Il n’y a pas de programmes pour vous dire de vous tenir loin de ceci ou de cela ou pour vous faire comprendre ce qui n’est pas bien.
Le programme nous rend meilleurs. C’est vraiment ce qu’il fait : il nous rend meilleurs pour que nous puissions réintégrer la société.
M. Boswell : Le programme nous aide aussi à prendre conscience des conséquences que nos crimes ont eues sur nous-mêmes, sur nos familles et sur la collectivité, et à comprendre pourquoi il est important de ne pas récidiver, de ne pas être responsables à nouveau d’une tragédie. Nous essayons d’aider les gens à rester dans le droit chemin, parce que nous savons où ils vont finir s’ils prennent de mauvaises décisions. Nous essayons de les aider à éviter de faire les mêmes erreurs que nous, dans l’avenir.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup, messieurs.
La présidente : Madame Brown et monsieur Fraser, merci beaucoup d’être parmi nous. On nous a dit que votre vol avait été retardé. Je crois que les conditions météorologiques sont difficiles dans la région du Grand Toronto. Nous sommes très heureux que vous ayez pu venir.
Je vais vous demander de présenter vos déclarations préliminaires, puis nous allons passer aux questions des gens ici présents, et ensuite, peut-être, aux questions de ceux qui participent par vidéoconférence. Merci.
Zya Brown, fondatrice, Think 2wice : J’ai écrit un rapport très long, 12 pages, mais je vais essayer de le résumer.
La présidente : Nous en avons reçu une copie. Merci.
Mme Brown : Je tiens à remercier chacun d’entre vous de m’avoir invitée à témoigner. J’aimerais commencer en disant que, lorsque je me rends dans des établissements fédéraux, j’ai l’impression d’arriver dans une plantation, même si le niveau d’oppression change selon l’administration et le directeur.
Le système en entier opprime les personnes de couleur. Cela ne fait aucun doute. La situation est différente d’un établissement à un autre, selon le style d’administration.
La situation dont ces jeunes hommes parlaient est un des exemples que je pourrais donner : le manque de programme ciblant leurs besoins et leurs problèmes particuliers. J’ai l’habitude de dire que l’oppression engendre la violence. À quoi cela sert-il d’emprisonner ces jeunes personnes sans leur donner le soutien et les programmes dont ils ont besoin? Ces jeunes qui font partie d’un gang lorsqu’ils arrivent en prison en feront toujours partie lorsqu’ils en sortiront. Pour certains d’entre eux, c’est en prison qu’ils vont se joindre à un gang. Ultimement, nous devons trouver des solutions aux problèmes auxquels ils sont confrontés.
L’affiliation à un groupe menaçant la sécurité est un de ces problèmes. On leur impose cette étiquette à cause de leur collectivité d’origine, ce qui est une forme d’oppression, parce qu’on tient pour acquis que ces gens sont affiliés à un GMS simplement parce qu’ils viennent d’un quartier réputé être le quartier d’un gang. Cette étiquette les suit dans le système de justice pénale et dans le système de justice criminelle et leur enlève les privilèges qu’ils sont censés avoir.
Il y a un manque de programmes adaptés à la culture. Il manque de soutien pour les bénévoles. On dresse même des obstacles pour les bénévoles, surtout ceux de couleur comme ceux de Think 2wice. Récemment, on a modifié une politique et nous devons maintenant subir une enquête de crédit et une vérification des empreintes digitales en plus du contrôle policier habituel du Centre d’information de la police canadienne. C’est un problème. Ce genre d’obstacle va défavoriser tout particulièrement les détenus de race noire, les bénévoles noirs en établissement et les groupes de bénévoles dirigés par des personnes noires.
Dans mon document, je parle des problèmes urgents, entre autres, le manque de programmes adaptés à la culture, le traitement inéquitable des détenus noirs et des bénévoles qui offrent des services aux détenus noirs, le processus inéquitable de plaintes et de griefs et le manque de diversité et de formation au sein du personnel et de l’administration du SCC.
Je vais parler brièvement du processus de plaintes et de griefs. Parfois, il arrive que ce processus prenne deux ans. Les détenus et les membres de leur famille, les bénévoles et les membres de la collectivité sont traités différemment ou même punis à cause des plaintes ou des griefs qui ont été présentés.
L’enquêteur correctionnel a souligné, en parlant des unités à sécurité maximale, que même si les détenus noirs présentaient dans l’ensemble un risque moins élevé de récidive ainsi qu’un niveau de besoins moins élevé, ils étaient plus susceptibles d’être classés au niveau de sécurité maximale, où les programmes, les possibilités d’emploi et d’éducation et les activités sociales et de réhabilitation sont limités.
Je peux le confirmer. Lorsque nous avons commencé à offrir nos services, c’était dans une unité à sécurité maximale. C’était à l’unité J, et ensuite, à l’établissement de Collins Bay. Nous y avons offert des services pendant quatre ans avant d’élargir nos activités à d’autres établissements. Les détenus, majoritairement de jeunes hommes noirs, passent 22 ou 23 heures en isolement cellulaire. C’est un problème. Je ne mâcherai pas mes mots : c’est l’enfer pour nous d’essayer d’y entrer pour fournir des services et du soutien à ces jeunes hommes.
Je le redis : ils passent 22 heures en isolement cellulaire, et il s’agit surtout d’hommes noirs. Je crois que cela est surtout dû au manque de diversité du personnel du SCC et à son manque de compréhension.
Dans mon mémoire, j’aborde les stéréotypes et le manque de programmes pour les détenus désignés comme étant affiliés à un GMS. On vous en a déjà parlé. Le traitement réservé aux détenus noirs est inéquitable et injuste; ils sont moins susceptibles d’obtenir une libération conditionnelle, on tient pour acquis qu’ils sont agressifs et ils sont plus susceptibles d’être accusés d’une infraction externe. Je ne vais pas tout lire, mais j’aborde aussi le sujet des obstacles pour les bénévoles.
Alors qu’il y a eu une augmentation du nombre de détenus noirs dans les établissements fédéraux, nous avons constaté que le personnel ne reflète pas la clientèle. Il y a très peu de diversité dans les établissements du SCC chez les gardiens, les agents de programme, l’administration, les conseillers, les psychiatres, les agents de gestion des cas et les directeurs, pour ne nommer que ceux-là. Le personnel est majoritairement blanc, à l’exception de peut-être un membre du personnel noir dans certaines unités opérationnelles. Il y a également un manque de compréhension culturelle chez le personnel relativement aux détenus noirs, à leur peuple, à leur race, mais aussi à leurs personnes.
Il y a également un manque de programmes pour les jeunes qui arrivent en prison. Nous avons constaté que le taux d’incarcération des jeunes a augmenté de façon spectaculaire. Comme cela a déjà été dit, il n’existe aucun programme ciblant leurs besoins qui soient adaptés à leur origine raciale, à leur culture, à leur milieu de vie à l’extérieur ou à leur âge. Tout cela est très préoccupant. Merci.
La présidente : Merci.
Passons aux questions des sénateurs.
Le sénateur Cormier : Je voudrais en savoir davantage sur les programmes adaptés à la culture. Pourriez-vous nous donner des exemples de ce qui serait nécessaire lorsque vous pensez à un des types de programmes dont vous avez parlé?
Mme Brown : Nous avons un programme appelé Kings to Kingz Prevention & Intervention Project. Nous amenons des jeunes de 18 ans et plus dans les établissements et travaillons avec les jeunes hommes incarcérés sur le leadership et le mentorat. Ils utilisent leurs histoires, leurs difficultés et leurs erreurs pour sensibiliser les jeunes afin de les empêcher de participer à des activités criminelles et de se retrouver dans la même situation qu’eux. Voilà un exemple.
Lorsque je parle de programmes sensibles aux différences culturelles, je veux dire qu’ils sont sensibles à la race, à l’ethnicité et à la culture des jeunes et à celle de la rue, alors il s’agit seulement de comprendre les éléments de la culture des jeunes d’aujourd’hui. Je crois qu’il est très important que la personne qui dirige ces programmes comprenne les problèmes des jeunes et ce qu’ils vivent.
Le sénateur Cormier : S’agit-il d’une question de formation pour que ces personnes soient en mesure d’offrir ces programmes?
Mme Brown : Je crois que cela touche les deux aspects. Les membres du personnel doivent être formés pour comprendre la façon de s’occuper de leurs clients, mais les personnes qui ont vécu des expériences, réfléchi à ce qu’elles ont fait et changé leur vie doivent également participer à ce processus.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup d’être ici. Je suis désolée que vous ayez eu des problèmes avec votre déplacement, mais nous sommes très heureux que vous soyez des nôtres.
Pour Mme Brown et M. Fraser, et également M. Atkins, M. Boswell et M. Sauvé, je ne veux pas du tout paraître insensible en posant la question suivante. Il est clair que les coûts humains et sociaux des interventions que vous effectuez sont importants. J’aimerais savoir combien il en coûte en réalité de fournir vos services ou, plus précisément, quel est votre salaire, et également à quelle fréquence vous êtes en mesure d’offrir les programmes, combien de personnes peuvent en bénéficier, et combien de personnes désirent y participer, mais ne sont pas en mesure d’y accéder en raison d’un manque de ressources, que ce soit du temps ou des fonds.
Mme Brown : Pour notre part, nous sommes bénévoles depuis 2005. C’est la première année que nous recevons du financement destiné aux arts afin de mettre en scène une pièce de théâtre pour le Mois de l’histoire des Noirs.
Le coût dépend du programme. Nous offrons environ cinq programmes différents. Nous avons un programme de spiritualité, un programme de théâtre et un programme de leadership et de mentorat. Le coût varie en fonction de ce que nous fournissons. Essentiellement, nous devons tenir compte du nombre de personnes qui participent au programme et du transport. Nous n’avons reçu aucun soutien, rien du tout. Nous n’avons même pas reçu de soutien du SCC pour le déplacement. C’est quelque chose que nous faisons de manière bénévole.
Quelle était la question suivante?
La sénatrice Pate : Combien de personnes participent au programme? À quelle fréquence l’offrez-vous et êtes-vous en mesure de répondre à la demande?
Mme Brown : Le problème que nous avons à Collins Bay, ce sont les obstacles auxquels nous nous heurtons dans l’établissement. On nous met des bâtons dans les roues. Il faut nous battre pour y entrer. Nous allons présenter, pour le Mois de l’histoire des Noirs, une pièce de théâtre destinée à tous les détenus noirs, et il est stressant de seulement organiser des ateliers par la suite. Je crois que le nombre maximal de jeunes hommes autorisés par l’établissement à participer au programme est de 12 à 15, mais ce n’est pas toujours le même nombre parce qu’il faut mener une bataille.
À Beaver Creek, huit jeunes participent régulièrement à un des programmes; c’est dans le cadre d’un documentaire qui raconte leurs histoires. Il y a jusqu’à 30 personnes qui suivent les programmes normaux. Ils sont offerts aux deux semaines. Beaver Creek offre plus de soutien que Collins Bay.
À Warkworth, le Mois de l’histoire des Noirs est le seul moment où on nous a laissés entrer. Pour toute autre chose, on n’accepte pas nos appels, puis on nous a bloqués après le Mois de l’histoire des Noirs. L’an passé, on n’a pas répondu à nos appels. La situation varie.
Je crois que notre plus gros problème, c’est le soutien des établissements et du SCC. Le SCC nous a appuyés dans le cadre d’un programme, car il nous a permis de tourner un documentaire dans un établissement, mais il ne nous aide pas relativement aux traitements injustes et aux obstacles auxquels nous faisons face partout ailleurs.
La sénatrice Pate : Merci.
Monsieur Sauvé, monsieur Atkins et monsieur Boswell?
M. Sauvé : Avec PeerLife, j’offre des services dans d’autres établissements. Nous avons conçu ce projet pour répondre aux besoins de personnes dont on a jugé que les crimes faisaient partie de la culture de gang. J’organise également des rencontres individuelles à Beaver Creek, dans le secteur à sécurité minimale. J’offre de l’aide pour les audiences de libération conditionnelle. Comme je suis la seule personne qui réalise ce travail à l’heure actuelle pour PeerLife et que nos ressources sont très limitées, comme je l’ai dit plus tôt, les quatre différentes sociétés Saint-Léonard ont mis en commun des ressources pour que je puisse poursuivre mon travail.
Le travail de groupe me permet d’avoir une influence maximale. Je vis au nord-ouest de Lindsay, en Ontario, alors il me faut trois heures et demie de voiture pour venir ici. Lorsque je viens dans la région, j’essaie d’aller à Frontenac — qui est maintenant le secteur à sécurité minimale de Collins Bay — et dans le secteur à sécurité minimale de Joyceville pour y tenir des rencontres individuelles. J’ai réalisé du travail de groupe à Warkworth, mais il n’y a tout simplement pas de ressources pour mes déplacements et d’autres choses. Alors, je suis limité dans le nombre de groupes que je peux rencontrer parce que, comme je l’ai dit, je suis la seule personne qui fait ce travail. Nous n’avons pas les ressources nécessaires pour faire les allers-retours entre tous les établissements.
La sénatrice Pate : Avez-vous un budget pour chacun des groupes que vous rencontrez ou quelque chose du genre?
M. Sauvé : Pas vraiment. Une partie de l’argent vient de nos propres fonds. Nous utilisons certaines des ressources de PeerLife. J’ai aidé des gens qui ont suivi les programmes, avec le groupe Breakaway, lors de leurs audiences de libération conditionnelle. C’est un service que nous offrons. Cela me donne une bonne occasion parce que j’ai travaillé avec certains d’entre eux pendant des années et dans différents établissements. C’est la raison pour laquelle c’est très profitable. Ils peuvent avoir plusieurs agents de libération conditionnelle au cours de leur peine, mais nous offrons un continuum de services jusque dans la collectivité.
La sénatrice Pate : Monsieur Atkins et monsieur Boswell, si chaque personne qui voulait participer à Breakaway était en mesure de le faire, combien de personnes y aurait-il et à quelle fréquence hebdomadaire le programme pourrait-il être offert?
M. Atkins : Nous entendons le nom de Rick tous les jours lorsque le programme est offert. Dans cet établissement, la dernière fois vous vouliez, je dirais, 20 gars pour le groupe, n’est-ce pas? Probablement bien au-delà de 100 gars. Cela dépend.
M. Boswell : C’est une question de disponibilité. Actuellement, la façon dont cela fonctionne, c’est que lorsque nous savons qu’un groupe sera organisé, nous ne croyons pas qu’il reviendra. Nous voyons ensuite que les groupes Breakaway sont affichés; les gens veulent s’inscrire, mais la liste est toujours pleine. Rick ne serait pas en mesure d’offrir le programme à tous les gars qui veulent s’inscrire même s’il le voulait parce qu’on ne peut pas mettre plus d’un certain nombre de gens dans une salle, comprenez-vous? Il y a un très grand nombre d’hommes qui ont été désignés GMS dans la population carcérale. Il y a plus de gars ici que le nombre permis dans le groupe.
La sénatrice Pate : Une fois que vous êtes formé comme facilitateur, seriez-vous en mesure d’organiser un groupe chaque jour dans l’établissement, de manière individuelle ou conjointe?
M. Boswell : Il y a d’autres programmes et des choses du genre qui se tiennent dans l’établissement, alors je ne sais pas si nous pouvons l’organiser tous les jours sans nuire quelque peu à la routine. C’est quelque chose que nous pourrions nous efforcer de réaliser en désignant un espace précis à cette fin, ailleurs dans l’établissement ou à un endroit sécuritaire.
La présidente : J’ai une question complémentaire à cet égard, madame la sénatrice Pate.
Je crois, monsieur Boswell, que lorsque vous parliez du groupe Breakaway — et c’est peut-être la même chose avec Think 2wice —, vous avez dit qu’il ne s’agit pas de programmes approuvés par le SCC. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie? S’il ne s’agit pas d’un programme approuvé par le SCC, mais qu’il y a quand même une grande demande, que signifie le fait que le programme n’est pas approuvé par le SCC?
M. Boswell : C’est un programme volontaire. Il nous aide parce qu’il montre notre esprit d’initiative et notre désir et notre volonté de nous améliorer en agissant concrètement pour changer. Le programme met en lumière notre situation, mais il n’est pas nécessaire qu’il soit reconnu. Nous n’obtenons pas un certificat avec le tampon du SCC, n’est-ce pas? Tout dépend du point de vue. Le SCC évaluera le programme selon ce qu’il juge nécessaire.
La présidente : Est-ce que cela a une incidence sur la libération conditionnelle, cependant, le fait qu’il y ait des programmes qui ne sont pas approuvés par le SCC? Y a-t-il un effet sur la libération conditionnelle?
M. Boswell : Je ne dirais pas qu’il a une incidence sur la libération conditionnelle. Il montre qu’on essaie de surmonter ses problèmes. S’il était reconnu par le SCC... Une des raisons pour lesquelles je dis « reconnu par le SCC », c’est pour qu’il aide à retirer le statut.
La présidente : Merci.
La sénatrice Pate : Une des choses dont vous avez parlé, c’est que le SCC s’attend à ce que vous suiviez certains programmes figurant dans votre plan de traitement correctionnel avant de vous recommander pour une libération conditionnelle. Si la Commission des libérations conditionnelles reconnaissait le programme, est-ce que cela changerait la donne pour vous?
M. Boswell : Je crois que cela ferait une énorme différence. Cela témoignerait de notre engagement à changer notre vie. Cela montrerait qu’il existe un programme adapté à la culture et aux besoins, qui porte sur notre statut de GMS et les craintes qu’il peut susciter chez le public. Alors, le SCC serait au moins satisfait dans une certaine mesure que le détenu a suivi un programme qui porte sur ces aspects, et cela aide le détenu ainsi que la société et l’ensemble de la collectivité. Si vous nous aidez à devenir de meilleures personnes, nous pourrons réintégrer la société en tant que citoyens respectueux des lois, et le public se sentira moins menacé.
La présidente : Avant de commencer la deuxième série de questions, j’ai une question pour M. Fraser.
Monsieur Fraser, vous êtes ici avec Mme Brown, alors j’imagine que vous faites partie du programme Twink 2wice.
Jafari Fraser, facilitateur, Think 2wice : C’est exact.
La présidente : Pouvez-vous nous parler de votre expérience avec le programme et de la façon dont vous l’envisagez par rapport au travail que font et qu’ont décrit ces deux hommes?
M. Fraser : Pour commencer, je tiens à remercier la présidente et tous les sénateurs ici présents.
Ma participation à Think 2wice a été une véritable bénédiction. Je fais partie du programme depuis environ deux ans et, avant cela, j’adhérais à tous les stéréotypes qu’on m’offrait à ce moment-là. Cela signifie me joindre à un gang. J’aurais pu également avoir été ouvert à cela. J’aurais pu aussi avoir été disposé à vendre de la drogue. Tout ce que vous pouvez imaginer, j’aurais pu le faire, particulièrement parce que j’ai grandi dans une communauté en proie à un certain style de vie auquel les gens s’attendent.
Toutefois, le fait d’avoir côtoyé Zya Brown et la communauté de Think 2wice et d’avoir travaillé avec eux m’a ouvert les yeux. Cela m’a beaucoup ouvert les yeux, en fait, particulièrement lorsqu’il s’agit d’avoir un but dans la vie. Les choses que je viens d’énumérer ne m’intéressent plus du tout, et j’ai vraiment trouvé mon nouveau but dans la vie. J’ai décidé que je voulais fréquenter l’école. Je désire étudier le droit. Actuellement, mon but ultime est de devenir juge en Ontario. Je sais qu’il faut de nombreuses années pour y arriver, mais au moins j’ai trouvé mon but.
La présidente : Merci.
La sénatrice Boyer : J’ai une question pour vous, madame Brown. Je me demandais si vous étiez déjà allée dans des établissements pour femmes.
Mme Brown : Jamais. Je voulais y aller, mais je n’y suis pas encore allée.
La sénatrice Boyer : Je me demande également si vous avez des projets d’expansion pour le programme Think 2wice.
Mme Brown : Assurément.
La sénatrice Boyer : Et qu’est-ce que cela suppose?
Mme Brown : Nous aimerions être reconnus par le SCC. À l’heure actuelle, nous cherchons à obtenir du soutien pour les programmes de bénévoles, particulièrement les programmes sensibles aux différences culturelles. C’est notre objectif. Nous voulons seulement retourner dans les établissements. Pour ce qui est de Collins Bay, comme je l’ai dit, ce sont les obstacles. Nous devons lever ces obstacles, et nous avons besoin de soutien afin de pouvoir croître et offrir plus de programmes.
Je ne sais pas si nous allons pouvoir entrer dans les établissements. Une journée, nous le pouvons, et, du jour au lendemain, on peut décider de nous y interdire l’accès. Nous sommes encore à Beaver Creek. Nous mettons en œuvre nombre de programmes que nous élargissons, mais, comme je l’ai dit, nous avons besoin de soutien. Il nous faut du soutien physique, de même que du soutien financier. Nous devons savoir que nous avons un système qui nous permet de poursuivre ce que nous faisons et peut-être être reconnus afin que nous puissions vraiment accomplir notre travail.
À part cela, nous offrons des programmes aux parents dans la collectivité. Nous venons de lancer un programme destiné aux parents de jeunes qui sont incarcérés, nous aidons ces jeunes et leurs parents à se retrouver dans le système. Voilà une chose. Nous avons aussi commencé un programme destiné aux jeunes femmes issues de quartiers à risque élevé dans la collectivité.
La sénatrice Boyer : Je vous souhaite la meilleure des chances.
Mme Brown : Merci.
Le sénateur Brazeau : Ma question s’adresse à Mme Brown ou à M. Sauvé. Pour ce qui est des programmes que vous offrez actuellement, une fois que les détenus sortent de prison, y a-t-il un suivi qui est assuré auprès d’eux relativement à ce qu’ils font de leur vie, s’ils récidivent, et cetera? À mon avis, si un programme est offert et qu’on effectue un suivi, pour obtenir la reconnaissance du SCC, si vous êtes en mesure de démontrer que votre programme fonctionne et, supposons, qu’il y a un faible taux de récidive, je crois que cela vous placerait dans une meilleure position. Avant cela, fait-on un suivi auprès d’une personne qui sort de prison?
Mme Brown : Lorsque des jeunes sont mis en liberté, s’ils désirent continuer de participer à Think 2wice et donner de leur temps à des jeunes, ce sont ceux-là qui restent en contact avec nous. Nous n’avons pas de programme de réinsertion sociale à l’exception du programme de mentorat. Nombre de personnes qui sont mises en liberté participent au programme, mais nous perdons la trace de certains autres.
Le problème, c’est que nous n’avons pas le financement nécessaire. Si nous l’avions, nous serions en mesure d’évaluer et de suivre les gens et d’en faire beaucoup plus. En ce moment, ce ne sont que ceux qui ont la volonté et le désir de continuer de travailler avec les jeunes et de faire du mentorat.
L’autre problème, c’est qu’ils font face à de nombreuses difficultés lorsqu’ils sont mis en liberté. Les programmes comme le nôtre, particulièrement pour les personnes qui y participent, ont besoin de soutien afin que nous puissions travailler avec ces personnes lorsqu’elles sont mises en liberté, surtout vu que nous avons déjà établi une relation pendant leur incarcération.
Oui, c’est important. C’est quelque chose que nous aimerions élargir. Encore une fois, nous avons besoin de soutien financier.
Je me sens complètement épuisée en raison de ce que nous faisons. Même les déplacements pour se rendre dans les établissements — et sans ressources, cela finit par peser lourd... Nous ne pouvons que faire de notre mieux. Oui, c’est quelque chose sur lequel nous travaillons et que nous espérons pouvoir continuer. Merci.
La sénatrice Pate : Encore une fois, je vous remercie tous de votre travail.
J’aimerais changer de sujet. Il semble que ce soient des programmes uniques. Connaissez-vous d’autres programmes comme ceux-là qui sont reconnus par le SCC et qui sont adaptés à la culture? Comment a-t-on adapté à la culture les programmes correctionnels, à votre connaissance? Voilà une question.
Ensuite, en ce qui concerne l’observation du sénateur Brazeau sur la réinsertion dans la collectivité, nous savons que l’investissement de ressources dans la collectivité est moins coûteux financièrement, mais génère beaucoup plus de retombées sur le plan humain. Si on vous donnait l’équivalent du coût de l’incarcération d’une personne pendant un an, comment investiriez-vous ces ressources aujourd’hui? Que feriez-vous si on vous donnait ce que le SCC estime à environ 100 000 $ pour un homme et 200 000 $ pour une femme? Si vous parlez de personnes en sécurité maximale — je sais que M. Sauvé et Mme Brown essaient d’aller dans des unités à sécurité maximale —, pour les femmes, c’est un demi-million de dollars. Je ne sais pas quels sont les chiffres actuels pour les hommes. Que feriez-vous avec l’argent qui est actuellement consacré au SCC pour une personne afin de fournir autant de services que possible pour répondre à ses besoins?
Mme Brown : La première question concernait les programmes sensibles aux différences culturelles. Il n’y a rien. Il n’en existe aucun. Je ne sais pas si vous avez connaissance d’autre chose, mais je n’ai rien vu. Le SCC a donc conclu un contrat avec une organisation menée par des Noirs pour qu’elle se concentre sur la période prélibératoire des détenus noirs. Cette organisation, dont le SCC a retenu les services au cours des dernières années, n’avait pas une bonne relation avec les jeunes hommes, alors elle ne pouvait pas se rendre dans certains établissements. À Collins Bay, je sais qu’il n’y a aucun programme.
Lorsque je parle des programmes « sensibles aux différences culturelles », je ne parle pas de tous les détenus; je parle précisément des détenus noirs. Il n’y a aucune période prélibératoire pour les détenus noirs et rien qui soit approprié sur le plan culturel, sauf ce qui est fait pendant le Mois de l’histoire des Noirs, et c’est également un autre problème.
Quant aux programmes sensibles aux différences culturelles en général, je sais que vous pourriez parler des programmes destinés aux détenus autochtones. C’est autre chose, et ils touchent la spiritualité et beaucoup d’autres sujets lorsqu’il s’agit de cette culture et de cette nationalité en particulier. Il n’y a rien pour les détenus noirs, à moins que je ne me trompe. Est-ce que c’est le cas?
M. Atkins : Nous n’avons rien.
Mme Brown : Je vous aime. Rick, nous devons nous rencontrer.
M. Sauvé : Absolument.
Permettez-moi d’ajouter quelques points. Le sénateur Brazeau a parlé de suivi. Presque toutes les personnes qui participent au groupe Breakaway iront dans une maison de transition. J’ai aidé un certain nombre de personnes qui ont participé à notre programme lors de leurs audiences de libération conditionnelle. Je suis également devenu une ressource pour les maisons de transition. Je peux leur dire que les personnes ont fait partie du groupe Breakaway. Il y a trois gars à Windsor. Il y en a un à Toronto, au Bunton Lodge. Je suis donc en mesure de demeurer en contact avec eux.
Pour ce qui est des ressources supplémentaires, nous pourrions avoir d’autres personnes qui offriraient ces services.
L’un des éléments clés, et j’en ai parlé plus tôt, c’est que nous savons que le soutien par les pairs fonctionne. Je pourrais escorter ces deux messieurs dans la collectivité afin qu’ils visitent des écoles et parlent aux jeunes. En fait, une des séances que nous tenons, et les gars semblent vraiment l’aimer, se tient à la fin du programme. Je leur demande d’avoir une conversation avec la version plus jeune d’eux-mêmes. Que pourraient-ils lui dire? Ce type de message leur permet de discuter avec les membres de leur famille et les jeunes qui viennent d’être incarcérés, mais c’est également une réflexion interne sur ce qui les a conduits en prison.
Lorsque j’étais incarcéré, j’allais parler dans les écoles. Des chefs de police m’ont demandé d’aller dans les écoles pour m’adresser aux jeunes. Je crois que ça s’est perdu au fil des ans.
Comme je l’ai dit plus tôt lorsque j’ai mentionné les milliers d’heures d’occasions perdues, nous éliminons la possibilité que ces jeunes hommes retournent dans la collectivité et empêchent d’autres jeunes de se retrouver en prison et d’être mêlés à la violence de gang. C’est très important, et je sais que ça fonctionne.
Aux États-Unis, on commence à faire ce type de chose dans certaines régions où il y a beaucoup de gangs. Nous faisons cela ici depuis des années. Ils ont appris de nous, et nous avons abandonné cette solution. Je sais que cela fonctionnerait si nous étions en mesure d’utiliser des personnes qui ont suivi le programme afin qu’elles retournent dans la collectivité pendant leur peine pour commencer à réaliser ce type de travail.
Une des choses que les gens recherchent lorsqu’ils sont incarcérés, c’est un refuge sûr. Nous avons entendu ces deux gars dire qu’ils se sentent en sécurité lorsqu’ils peuvent parler et échanger sur ces types de choses dans le groupe, et c’est très bénéfique.
Ils redonnent à la collectivité lorsqu’ils peuvent aller dans les écoles qu’ils ont fréquentées et dire : « Écoutez, vous pourriez vous retrouver en prison. » Ils fournissent également un refuge aux jeunes dans la collectivité, qui peuvent alors dire : « Oui, je peux abandonner ce style de vie parce que je ne veux pas finir en prison. » C’est très bénéfique de pouvoir fournir ce type de service à la collectivité.
La présidente : J’ai une question supplémentaire que j’aimerais poser à Mme Brown. Vous avez utilisé l’expression « adapté à la culture » en parlant précisément Afro-Canadiens ou des Canadiens noirs. On peut parler de « programmes afrocentriques ». Pourriez-vous parler des résultats positifs de la prestation de programmes afrocentriques aux Afro-Canadiens dans les établissements?
Mme Brown : Je crois que les programmes afrocentriques ne sont qu’un des éléments. Une image positive de soi est, à mon avis, un des meilleurs résultats. Si une personne croit qu’elle est ce que la société, les médias ou les gens disent qu’elle est, elle va agir en conséquence.
Il y a un film, un dessin animé. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler de Megamind. Le film parle d’un personnage de dessin animé à qui on a dit qu’il était méchant et, à cause de cela, il se conduit mal.
C’est la même chose. Si les gens croient qu’ils sont mauvais, s’ils ont une mauvaise image d’eux-mêmes — parce que c’est ce que présentent les émissions télévisées, c’est ce que disent les enseignants et c’est ce que vous ont montré les gens —, alors ils seront les meilleurs méchants. À mon avis, il s’agit de changer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. C’est une des incidences les plus importantes.
Lorsque je dis « adapté à la culture », l’aspect afrocentrique est un des éléments. Il faut également être sensible à la réalité des jeunes et de la rue. Il est très important de regrouper ces trois choses parce que certains s’occuperont d’un élément et ne sauront pas comment aborder les autres. Il faut donc être en mesure de comprendre ces trois éléments dans le cadre d’un seul programme destiné à cette jeune population.
La présidente : Monsieur Fraser, pourriez-vous nous expliquer un peu plus quelle incidence la race, le racisme et le type de profilage racial dont vous avez parlé ont sur l’image de soi?
Mme Brown disait que l’image de soi est très importante, mais nous savons que ce n’est pas quelque chose qui vient de la personne elle-même. Pour les personnes de souche africaine, l’image de soi est touchée par le racisme et le profilage racial. Je me demandais si vous pourriez nous en dire un peu plus selon votre propre cheminement et nous expliquer comment cela a touché votre image de vous-même avant votre participation à Think 2wice.
M. Fraser : Pour répondre à votre question, je vais vous raconter une histoire.
Je me souviens d’être allé dans un établissement. Nous y réalisions une entrevue. En me posant quelques questions, l’intervieweuse a été en mesure de comprendre ce que je voulais faire dans la vie, mes buts, mes rêves et tout cela. J’étais habillé tout en noir — un chandail à capuchon noir, des pantalons de survêtement noirs, je portais des chaussures de sport Jordan et même un mouchoir de tête, je crois. À notre départ, l’intervieweuse et quelques membres de l’organisation ont entamé une discussion.
Lorsque l’intervieweuse est partie, certains membres sont venus me voir et ont dit : « Jafari, as-tu entendu cela? » J’ai répondu : « Non, je ne l’ai pas entendu. »
Ils ont commencé à me dire que, lorsque la dame m’a entendu parler de mes ambitions, elle a dit à quelqu’un : « Oh, je n’aurais jamais pensé cela. » J’ai répondu : « Oui, c’est le type de racisme avec lequel je dois composer tous les jours seulement en raison de mon apparence — sans parler de mon nom et de la communauté d’où je viens. » Comprenez-vous?
La présidente : Oui, mais je pense que j’aimerais que vous le disiez pour les gens qui ne comprennent peut-être pas.
M. Fraser : C’est bien réel.
Puis-je lire quelque chose? Vous n’avez pas le texte, mais me permettez-vous de le lire, madame la présidente?
La présidente : Est-ce bien long?
M. Fraser : Ce n’est pas long.
La présidente : Nous avons déjà dépassé notre temps de parole.
Les sénateurs sont-ils d’accord pour que nous restions un peu plus longtemps, et êtes-vous tous d’accord pour rester?
M. Boswell : Je ne vais nulle part.
M. Fraser : L’article 718 du Code criminel parle de représailles, de dissuasion et de réinsertion sociale. Bien qu’ils soient fondamentaux dans la détermination de la peine et qu’ils soient des objectifs des prisons, ces éléments sont également fondamentaux pour les organismes communautaires qui se consacrent corps et âme à améliorer le sort et à accroître ses chances de réussite d’un délinquant. Des organismes comme Think 2wice, qui se spécialisent dans les programmes adaptés à la culture — l’accent est mis sur la prise en compte des différences culturelles —, se donnent comme objectif d’assurer la réhabilitation et la réinsertion sociale des détenus.
Une section du site web du SCC, qui n’a pas été modifiée depuis 2012, préconise la participation des bénévoles de la collectivité :
Nous ne pouvons nous attendre à ce qu’ils réussissent, seuls, dans leur retour à la collectivité, ils ont besoin d’aide. La contribution des bénévoles constitue un lien vital entre le système correctionnel, les délinquants incarcérés et la collectivité. Savoir qu’il y a des gens prêts à s’occuper d’eux et à leur consacrer librement leur temps peut les aider à prendre conscience de leur valeur comme membres de la collectivité et à réaliser leur potentiel de réinsertion.
En travaillant au sein de ce groupe, j’ai été témoin de mauvais traitements fréquents à l’endroit non seulement des hommes qui purgent leur peine, mais également des personnes et des groupes qui contribuent à leur réinsertion sociale et à leur réhabilitation. Au cours des années précédentes, j’ai vu des représentants du SCC nuire à l’épanouissement des détenus appartenant à des minorités et aux groupes qui répondraient le mieux à leurs besoins, que ce soit au moyen d’interdictions ou, plus récemment, en tentant d’imposer des vérifications préalables de filtrage, lesquelles, de toute évidence, posent des difficultés à un groupe particulier de bénévoles. Le fait de priver un délinquant d’un programme adapté à la culture, comme Think 2wice, est une violation de ses droits fondamentaux de recevoir un service qui a un effet positif sur lui et cela limite également la confiance envers les obligations légales des établissements correctionnels. Chaque détenu devrait se voir réserver le droit d’avoir accès au programme qui répond le mieux à ses besoins et ne pas être soumis aux procédures de sélection de l’établissement où il se trouve.
La présidente : Je vous remercie.
En ce qui concerne les services de transition, lesquels, selon vous, pourraient être utiles aux détenus qui tentent de retourner dans la collectivité? Vous pouvez tous répondre à la question.
Mme Brown : Je pense que ces programmes en sont un exemple. Tout d’abord, l’isolement de la collectivité est un exemple d’échec au chapitre de la réhabilitation. Le soutien communautaire, les bénévoles de la collectivité, les programmes, la possibilité pour les jeunes hommes de voir le processus de changement, de réfléchir et de redonner à la collectivité, que ce soit en allant dans les écoles, en écrivant des lettres ou en racontant leurs histoires, je pense que tous ces éléments jouent un rôle important dans la transition.
Ensuite, il faut également répondre à tous les autres besoins qui joueront un rôle lors de leur réinsertion dans la collectivité. Toutefois, la première étape est de réfléchir et d’acquérir des compétences en leadership et en mentorat, ce qui permet aux détenus de se faire entendre et de mettre à profit leurs difficultés, leur douleur, leur adversité et leurs erreurs afin d’aider les autres. Il y a beaucoup de jeunes qui suivent leurs traces.
Lorsqu’il s’agit de prévention dans une collectivité, ils détiennent la clé. Personne d’autre ne peut intervenir aussi efficacement. Ils détiennent la clé parce que les jeunes s’intéressent à eux. Ils ne regardent personne d’autre.
En ce qui concerne les interventions, les gens comme Rick et moi détenons la clé, parce que nous qui travaillons avec eux. C’est un tremplin.
Je pense que ce sont ces programmes qui sont nécessaires à une saine réinsertion sociale et au processus de transition.
La présidente : Je vous remercie.
M. Atkins : Je pense que Jafari l’a exprimé mieux que moi en parlant des programmes dont nous avons besoin plutôt que ceux que nous donne le SCC en nous disant : « Tenez, prenez ça; c’est ce que nous voulons que vous ayez et c’est ce qui convient le mieux. » C’est ce que nous voulons corriger en venant ici. C’est ce dont nous avons besoin, c’est ce que nous voulons.
La présidente : Merci.
Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à vous, madame Brown. Vous avez parlé de pièces de théâtre et de documentaires. Je me demande si vous avez des partenaires dans la collectivité qui pourraient vous aider à réaliser ce genre de travail. Je sais que vous venez de la région de Toronto. Je pense à la Little Black Afro Theatre Company et à l’Obsidian Theatre Company. Elles se consacrent spécifiquement à la culture noire. Beaucoup de ces compagnies sont très engagées dans les questions sociales; elles font beaucoup de travail en dehors de leur scène principale. Je me demande si vous avez déjà travaillé avec ces partenaires. Dans le cadre des services de transition, il pourrait s’agir d’un moyen de continuer à travailler avec les mêmes personnes.
Mme Brown : Jusqu’à cette année, parce que nous n’avions pas de financement important, nous n’avions pas de partenaires. Cette année, nous avons trouvé un partenaire, mais ce n’était pas une organisation dirigée par des Noirs. C’était une organisation appelée On Track, dont la responsable se rend dans les établissements. Elle a créé une pièce à Beaver Creek, alors je lui ai demandé de se joindre à nous pour faire passer les nôtres à l’échelon suivant. Cependant, nos pièces sont plutôt un message.
Le sénateur Cormier : Je comprends.
Mme Brown : Il ne s’agit pas du professionnalisme de la pièce. C’est un message avec un sketch, et il traite vraiment d’interventions. Il parle de la violence armée et de ce mode de vie.
Le sénateur Cormier : J’étais au courant de cela, mais je voulais dire qu’il y a beaucoup d’entreprises et d’institutions culturelles qui font ce genre de travail également.
Mme Brown : C’est une bonne idée.
Le sénateur Cormier : Il pourrait y avoir des partenaires qui pourraient vous aider.
Mme Brown : Bien sûr, c’est quelque chose que nous examinerions certainement. Je vous remercie.
La présidente : Tout d’abord, permettez-moi de remercier M. Atkins et M. Boswell d’avoir accepté de participer à ce débat. Bien sûr, nous savons que M. Sauvé vous donne un grand soutien. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui et de nous exposer votre réalité. Nous sommes heureux de vous entendre.
M. Atkins : Je vous remercie.
M. Boswell : Merci.
La présidente : Aussi, madame Brown et monsieur Fraser, nous tenons à vous remercier d’être venus témoigner aujourd’hui. Nous avons votre mémoire complet, qui fera partie des documents pour notre étude.
Mme Brown : Merci de nous avoir accueillis.
M. Fraser : Merci.
La présidente : Vous avez tous souligné le grand besoin de faire de la prévention. Vous avez mis en lumière certains des principaux problèmes en ce qui concerne les causes profondes de la criminalité, le profilage racial et les répercussions qui s’y rattachent. Vous avez mentionné certains des obstacles systémiques auxquels vous faites face tous les jours, ainsi que la difficulté à ce que les programmes très positifs comme ceux auxquels vous participez soient pris au sérieux au sein de l’organisation. Nous vous remercions d’avoir porté ces situations à notre attention, ainsi que de nous avoir accordé un peu de votre temps aujourd’hui.
Aux sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu le 20 février et, à ce moment-là, nous entendrons des représentants de certaines associations nationales. Merci beaucoup à vous tous. On se revoit à la prochaine réunion.
(La séance est levée.)