Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule nº 41 - Témoignages du 8 mai 2019
OTTAWA, le mercredi 8 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour étudier et surveiller l’évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : Programme de protection des passagers).
La sénatrice Jane Cordy (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonjour et bienvenue. J’aimerais d’abord souligner que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées du peuple algonquin.
Je m’appelle Jane Cordy et je suis de la Nouvelle-Écosse. J’ai l’honneur et le privilège de compter parmi les vice-présidents du comité.
J’invite maintenant les sénateurs à se présenter, en commençant à ma gauche.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, de la région du Manitoba visée par le Traité no 10.
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, Toronto, de l’Ontario.
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
La vice-présidente : La sénatrice Bernard s’adonne à être la présidente du comité.
Aujourd’hui, conformément à l’ordre de renvoi général du comité, nous étudions le Programme de protection des passagers, particulièrement les difficultés auxquelles les familles font face lorsque leurs enfants ne sont pas en mesure de s’enregistrer ou lorsque leur voyage est retardé parce qu’ils ont un nom semblable à celui de personnes figurant sur la liste de personnes interdites de vol ou le même nom. Nous examinons les mesures qui sont prises et la façon de mieux régler le problème, ce dont nous avons tous entendu parler.
Avant de présenter notre premier groupe de témoins, j’aimerais aborder une question de procédure. Le comité a reçu une demande pour filmer, durant la deuxième partie de notre réunion, les participants de No Fly List Kids aux fins d’un film documentaire. Êtes-vous d’accord pour que l’on accorde cette permission?
Des voix : D’accord.
La vice-présidente : Il est entendu que Leila Almawy a la permission de filmer les participants de No Fly List Kids durant la réunion aux fins d’un film documentaire, et nous sommes d’accord. Merci.
Durant la première heure aujourd’hui, nous entendrons des représentants du gouvernement. Permettez-moi de présenter John Davies, directeur général, Politiques de la sécurité nationale, de Sécurité publique Canada. Il est accompagné d’Andrew Lawrence, directeur général par intérim, Direction des programmes des voyageurs, de l’Agence des services frontaliers du Canada; et nous accueillons Wendy Nixon, directrice générale, Sûreté de l’aviation, de Transports Canada.
Monsieur Davies, la parole est à vous.
[Français]
John Davies, directeur général, Politiques de la sécurité nationale, Sécurité publique Canada : Je vous remercie de nous avoir invités aujourd’hui pour vous parler de cet important programme.
La liste des personnes interdites de vol du Canada s’appelle le Programme de protection des passagers. La liste comprise dans la Loi sur la sûreté des déplacements aériens renforce la sécurité, car elle permet de relever et d’atténuer les risques posés par des personnes soupçonnées de poser une menace pour la sécurité des transports ou des personnes qui tentent de se déplacer par voie aérienne dans le but de commettre des infractions liées au terrorisme. Le programme a été créé en 2007 pour contrer les menaces critiques au système de l’aviation civile. Il relevait alors du ministre des Transports. En 2011, l’établissement de la liste est passé sous l’autorité du ministre de la Sécurité publique.
[Traduction]
La Loi sur la sûreté des déplacements aériens de 2015 a mis à jour le programme, y compris l’officialisation des recours pour les personnes qui se sont vu refuser l’embarquement en vertu du programme. Les amendements de 2015 ont consolidé davantage les pouvoirs que le programme confère au ministre de la Sécurité publique. Ils ont aussi élargi la portée des personnes figurant sur la liste afin d’inclure celles qui pourraient exploiter le système d’aviation civile pour voyager dans le but d’exercer des activités de terrorisme.
Le Programme de protection des passagers est un des outils accessibles pour réagir aux auteurs des menaces qui voyagent à des fins de terrorisme et pour s’attaquer à la menace continue pour cette infrastructure importante.
Il importe de souligner que le système actuel s’appuie fortement sur la participation réglementée des transporteurs aériens pour vérifier l’identité des voyageurs et alerter le gouvernement. Comme dans le cas de tout programme de contrôle, cela peut entraîner des retards ou des frustrations chez les voyageurs qui ont l’impression d’avoir été retardés inutilement par le programme.
Les retards associés au Programme de protection des passagers se produisent lorsque des noms sont mis en correspondance avec la liste établie au titre de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. Quand cela se produit, l’exploitant aérien ne peut délivrer de carte d’embarquement jusqu’à ce que l’identité du voyageur soit vérifiée. En pratique, cela suppose un bref appel du transporteur à Transports Canada pour vérifier l’identité de la personne.
La majorité de ce que nous appelons des « appels pour des noms faussement mis en correspondance » est réglée par Transports Canada en moins de deux minutes. Toutefois, nous savons certainement que ce processus peut se révéler plus long au guichet d’enregistrement, car souvent, le transporteur devra travailler dans son propre arrière-guichet pour vérifier ces types de cas.
Les noms faussement mis en correspondance peuvent supposer des enfants, puisque les transporteurs vérifient les renseignements sur le nom dans la réservation, qui ne fait pas état de la date de naissance. Sans date de naissance pour vérifier l’âge du voyageur, l’identité de l’enfant doit être confirmée au moyen d’un enregistrement manuel.
Les nouvelles dispositions prévues dans le projet de loi C-59 proposé permettraient de régler ces problèmes.
Dans le cadre du nouveau système, l’identité des voyageurs sera vérifiée au préalable directement par le gouvernement du Canada, au moyen d’un contrôle centralisé des manifestes. Le système établira également un mécanisme de recours efficace pour ceux dont le nom est faussement mis en correspondance avec la liste établie au titre de la LSDA.
Par comparaison, lorsque le système actuel a été mis sur pied en 2007, les obstacles technologiques et contraintes liées aux coûts de la centralisation du processus de vérification à l’aide du Système d’information préalable sur les voyageurs étaient trop importants. Sans centralisation, il n’y a pas de moyen viable pour le gouvernement de fournir une avenue de recours utile aux personnes dont le nom est faussement mis en correspondance avec la liste établie au titre de la LSDA.
[Français]
Le nouveau projet de loi C-59 sur la sécurité nationale permet de faire un grand pas en avant en fournissant un cadre qui autorise le gouvernement, plutôt que les compagnies aériennes, à contrôler les renseignements sur les voyageurs en fonction de la liste des personnes interdites de vol. Elle permet aux voyageurs de présenter une demande en vue d’obtenir un numéro d’identification unique. Elle permet aux parents de recevoir la confirmation que leur enfant n’est pas sur la liste. Elle précise que, si le ministre ne répond pas à une demande de retrait d’une personne qui a été inscrite, le nom de cette personne est retiré par défaut.
[Traduction]
En résumé, en vertu du projet de loi C-59, les amendements apportés à la LSDA mettraient à jour et amélioreraient le Programme de protection des passagers à l’aide de deux moyens importants : en assurant la vérification contrôlée efficace, conforme et rigoureuse par le gouvernement de la liste de la LSDA et en améliorant la protection de la vie privée des Canadiens et l’équité dont on fait preuve à leur égard grâce à l’établissement d’un système de recours interactif pour les personnes ayant un nom semblable à celui d’une personne figurant sur la liste de la LSDA.
Les améliorations du Programme de protection des passagers ont été financées dans le budget de 2018 et elles sont une priorité pour le gouvernement en attendant l’adoption du projet de loi C-59.
Pour mettre en œuvre cette initiative, Sécurité publique travaillera en étroite collaboration avec l’Agence des services frontaliers du Canada, Services partagés Canada et Transports Canada pour recueillir de l’information préalable auprès des transporteurs aériens sur les passagers à destination, en provenance ou à l’intérieur du Canada.
Pour que l’on puisse faire fond sur le Système d’information préalable sur les voyageurs de l’ASFC, de l’information préalable sur les voyageurs reçue aussi tôt que 72 heures avant le départ sera utilisée pour précontrôler les voyageurs en vérifiant leur nom, leur date de naissance et le numéro de recours, s’il y a lieu.
Transports Canada continuera de travailler avec les transporteurs dans le cadre du futur système pour assurer la conformité et recevoir des appels des transporteurs par rapport à des gens dont le nom est mis en correspondance avec la liste de la LSDA.
Je vais maintenant céder la parole à ma collègue de Transports Canada, qui peut parler plus en détail du rôle que le ministère sera appelé à jouer dans l’avenir. Merci.
[Français]
Wendy Nixon, directrice générale, Sûreté de l’aviation, Transports Canada : Merci de nous donner l’occasion de vous parler de ce programme important pour la sûreté aérienne au Canada.
[Traduction]
Mes remarques seront brèves. J’aimerais me faire l’écho des commentaires de M. Davies relativement à l’importance de cette couche de sécurité pour protéger la sécurité et la sûreté de ceux qui utilisent le système d’aviation canadien.
Comme M. Davies l’a dit, Transports Canada est responsable de deux volets importants du Programme de protection des passagers. Le premier est d’agir comme intermédiaire entre les transporteurs aériens et le gouvernement canadien afin de fournir ou de distribuer la liste de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens — la liste de la LSDA — ainsi que de répondre 24 heures par jour, 7 jours par semaine à des appels de transporteurs aériens relativement à des mises en correspondance possibles sur la liste.
Quand une correspondance possible est repérée, comme l’a mentionné M. Davies, Transports Canada valide la mise en correspondance auprès des transporteurs aériens en vérifiant l’identité et l’information supplémentaire qui peut être fournie sur le passager.
Le deuxième rôle de Transports Canada est d’effectuer des activités de surveillance, d’inspection et d’application de la loi prévues dans le règlement, tant au pays qu’à l’étranger, pour s’assurer que les transporteurs aériens vérifient correctement la liste, qu’ils ont en place des procédures afin de tenir compte des mises en correspondance possibles et qu’ils protègent, en fait, les procédures contre la divulgation non autorisée.
Durant l’exercice 2018-2019, Transports Canada a effectué, à titre d’exemple, 1 850 activités d’inspection liées au Programme de protection des passagers pour assurer la solidité et la robustesse du programme.
À mesure que nous irons de l’avant, l’objectif du programme amélioré suppose la facilitation des voyages pour les passagers dont le nom s’apparente à celui d’une personne figurant sur la liste de la LSDA, tout en assurant une forte conformité avec la sécurité de ce programme important pour le Canada.
Au cours des deux dernières années, Transports Canada a travaillé en étroite collaboration avec Sécurité publique, ainsi qu’avec l’ASFC, pour élaborer un programme amélioré qui permettra une circulation plus harmonieuse des voyageurs tout en réduisant au minimum le fardeau réglementaire imposé aux transporteurs aériens et en renforçant la sécurité en même temps. En vertu de ce modèle amélioré, comme l’a décrit Sécurité publique, Transports Canada continuera d’être responsable des deux mêmes aspects du programme, soit servir d’intermédiaire pour les transporteurs aériens et assurer la surveillance de la loi et du règlement.
Toutefois, dans le cadre de l’adoption du projet de loi C-59, Transports Canada serait en mesure d’assumer ces rôles et ces responsabilités avec un nouveau modèle opérationnel plus moderne. L’information préalable sur les voyageurs et la technologie vont aider le ministère à effectuer ses vérifications et ses analyses de risque. Grâce à l’ajout de données biographiques plus robustes et conformes, ainsi qu’à l’utilisation des numéros de recours, Transports Canada sera en mesure de faire un travail plus efficient et efficace pour ne cibler que les personnes devant être interdites de vol pour des raisons de sécurité.
Je crois fermement que ce programme amélioré va faciliter grandement les voyages des passagers dont le nom ressemble à celui d’une personne figurant sur la liste. De plus, un programme de surveillance robuste va continuer d’assurer la forte conformité en matière de sécurité de ce programme important et de cette couche de sécurité importante.
Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser au comité, et je m’arrête ici.
La vice-présidente : Merci beaucoup de vos commentaires, à vous deux.
Nous allons maintenant commencer la période de questions.
La sénatrice Ataullahjan : J’ai deux ou trois questions. Quelle est l’efficacité de ce programme? Lorsque vous détenez des noms, est-ce la seule information que vous possédez, un certain nom? Quand je réserve un vol, je donne tous les renseignements qui figurent sur mon passeport. Ne pourriez-vous pas vérifier et voir si vous avez un enfant de 5 ou 6 ans sur cette liste? Y a-t-il un moyen pour vous de le faire? Cela vous permettrait d’éviter beaucoup de soucis.
M. Davies : Je peux peut-être commencer. Par rapport à la première question, l’efficacité du programme, évidemment, c’est un programme de sécurité et c’est difficile de parler de chiffres, c’est-à-dire le nombre de personnes que le programme a permis d’empêcher de voyager pour des raisons de terrorisme ou de choses qui auraient pu se produire dans l’avion.
C'est tout de même un programme efficace. C’est un outil parmi d’autres. Il fonctionne conjointement avec d’autres pouvoirs des organismes de sécurité, que ce soit la surveillance, les pouvoirs policiers et ainsi de suite, les capacités de retirer des passeports, et cetera. Vous devez voir cela comme un outil parmi d’autres. Il y a eu, au cours des dernières années, un certain nombre de cas où il a été très important pour ce qui est d’empêcher quelqu’un de voyager pour des raisons de terrorisme.
Par rapport à ce qui est recueilli, votre question concerne-t-elle ce qu’on recueille maintenant ou l’information que nous possédons? Lorsque quelqu’un est nommé pour figurer sur la liste de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, nous détenons autant de renseignements que possible sur les données biographiques de la personne, son nom, sa date de naissance, ses noms d’emprunt, le numéro de passeport, si elle détient un passeport. Tous ces renseignements sont consignés dans le système, donc si quelqu’un se présente à l’aéroport avec un nom semblable, c’est facile de résoudre les conflits. Nous avons beaucoup de points de données, donc nous pouvons faire cela.
Le problème, c’est surtout, lorsque vous achetez un billet en ligne, quels champs de données vous remplissez et si c’est suffisant, quand le transporteur effectue sa mise en correspondance en se fondant sur ces réservations, lorsqu’il assemble son manifeste, pour résoudre les conflits. Doit-il appeler Transports Canada pour obtenir plus de renseignements afin de s’assurer que la personne est qui elle dit être?
Évidemment, le transporteur aura une aversion pour le risque, et pour tout ce qui s’approche d’une mise en correspondance, il fera preuve de prudence et parlera avec Transports Canada, et c’est parfois à ce moment-là que les choses ralentissent.
La sénatrice Ataullahjan : Pouvez-vous expliquer comment le projet de loi C-59 fera en sorte que les Canadiens, y compris les jeunes enfants, ne seront plus faussement signalés sur la liste de personnes interdites de vol ni ne connaîtront de retards à la frontière?
M. Davies : Je vais répondre à la première partie.
Avec le projet de loi C-59, la législation englobe tous les pouvoirs pour le gouvernement d’établir le changement réglementaire, pour ce qui est d’exiger que les transports reçoivent différents types d’information afin de permettre au gouvernement de centraliser le processus de contrôle.
Cela sera fait par le gouvernement de manière centralisée jusqu’à trois jours avant la présentation du manifeste, puisque les manifestes sont envoyés au gouvernement.
Il y a un créneau avant le moment où les cartes d’enregistrement peuvent être imprimées à la maison, par exemple, où nous pourrions peut-être résoudre les conflits de nous-mêmes. Lorsque vous appliquez aussi la possibilité, avec le projet de loi C-59, la facilitation d’un mécanisme de recours... où des gens peuvent obtenir un identifiant unique afin de nous permettre de savoir qui ils sont... cela va automatiquement les exclure, lorsque le manifeste est assemblé, de tout ce qui ressemble à la personne réelle qui nous inquiète sur la liste de la LSDA.
Tout devrait se produire automatiquement, et de nombreux jours avant l’impression de la carte d’embarquement proprement dite, certainement avant que vous n’arriviez à l’aéroport.
Nous avons besoin de ces pouvoirs dans le projet de loi C-59 pour apporter le changement réglementaire, de sorte que l’ASFC soit aussi habilitée à contribuer au programme à mesure que nous avançons.
La sénatrice Ataullahjan : Merci.
La sénatrice Bernard : Ma première question s’adresse à M. Davies. Pourriez-vous préciser à quoi correspond « tout autre renseignement », qui est énoncé au paragraphe 129(1) du projet de loi C-59? Plus précisément, je veux savoir si vous pouvez nous dire si la race ou le groupe ethnique sont considérés comme « tout autre renseignement » et comment cette information pourrait être jugée pertinente ou utile?
M. Davies : Vous parlez du paragraphe 129(1), qui renvoie à tout autre renseignement et à un certain nombre d’endroits.
D’abord, j’aimerais parler de la façon dont la liste de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens est assemblée. Lorsque les organismes de sécurité sont préoccupés par une personne, ils croient que c’est un outil approprié, ils vont soulever l’information qu’ils ont à leur disposition dans une discussion interagences pour s’assurer que le seuil de la loi est respecté, celui-ci étant un soupçon raisonnable.
L’information dérogatoire est assemblée, tout comme toute information disculpatoire qui est présentée. De plus, il y a une discussion sur le fait de savoir si cette personne devrait ou non figurer sur la liste. Si tout le monde est d’accord, le ministre délègue la décision au sous-ministre adjoint de Sécurité publique, la sécurité nationale. Cette discussion se fait maintenant de manière anonyme pour ce qui est du nom et de la photo. Pour ce qui est de la race, du groupe ethnique, du lieu d’origine et ainsi de suite, les décideurs ne voient pas cela. C’est quelque chose qui a été mis à l’essai durant la dernière année dans une tentative d’assurer la prise d’une décision objective.
Pour ce qui est de ce qu’on fait en ce moment au moment d’assembler la liste, c’est maintenant opérationnel.
Ce qui nous intéresse, c’est le nom, la date de naissance et le genre, s’il est disponible, et nous apporterons des changements dans la façon d’aborder le genre pour augmenter le nombre de points disponibles lorsque l’algorithme est assemblé, pour nous assurer de lier ou d’identifier la bonne personne comme individu que nous voulons exclure ou ne pas autoriser à monter à bord de l’avion plutôt que de nous retrouver avec un faux positif.
La sénatrice Bernard : Comment le processus d’anonymat du nom fonctionne-t-il?
M. Davies : Comme je l’ai dit, lorsque l’information est présentée au décideur, les noms sont retirés de la décision, tout comme la photo, et toutes les variables qui permettent de reconnaître la personne.
La sénatrice Ataullahjan : Aidez-moi juste un peu. Vous dites que les noms sont retirés?
M. Davies : Pour le décideur, oui.
La sénatrice Ataullahjan : Pour la prise de décisions, donc vous ne pouvez pas deviner le groupe ethnique ou quoi que ce soit, parce que le nom n’y figure pas?
M. Davies : Le nom du sujet qui est présenté à des fins d’examen est retiré.
La sénatrice Ataullahjan : Donc lorsque vous mettez quelqu’un sur une liste de personnes interdites de vol —
M. Davies : Nous essayons de nous assurer que la décision est purement fondée sur la menace. Nous ne prenons la décision qu’en fonction de l’information sur les menaces disponibles. Nous éliminons le nom de la personne, sa photo et ainsi de suite pour contrôler toutes les autres variables qui pourraient faire partie de la discussion visant à déterminer s’il y a une menace.
La sénatrice Bernard : J’ai une autre question, monsieur Davies.
Le gouvernement fédéral a établi le Bureau des demandes de renseignements du Programme de protection des passagers pour aider les personnes qui pensent que leurs déplacements ont été perturbés en raison d’une liste de sécurité aérienne.
Pourriez-vous nous dire combien de cas ont été réglés par le bureau depuis sa mise en place?
M. Davies : Encore une fois, je crois que le terme « règlement » est probablement subjectif. Je devrais vous communiquer plus tard le nombre de demandes de renseignements présentées.
Nous avons entendu beaucoup de critiques au sujet du Bureau des demandes de renseignements du Programme de protection des passagers. Nous avons transformé l’organisation. Nous avons fait venir de nouvelles personnes dans une tentative sincère de rétablir les liens avec les gens qui en avaient abusé par le passé, de le présenter de façon différente et de travailler en plus étroite collaboration afin de comprendre les cas de certaines personnes.
Le problème lorsque vous parlez d’une liste de personnes interdites de vol, c’est que les gens assimilent très rapidement leurs problèmes de déplacements à un programme d’interdiction de vol. Beaucoup de raisons peuvent expliquer que vous avez des problèmes lorsque vous voyagez. Il peut peut-être y avoir une autre liste, les transporteurs peuvent avoir leurs propres listes, comme d’autres pays également, et ainsi de suite. Nous essayons donc de réorganiser le Bureau des demandes de renseignements du Programme de protection des passagers pour nous assurer d’obtenir ce qu’il nous faut de tout le monde au chapitre des circonstances entourant l’événement, puis de travailler avec les ministères, que ce soit avec Immigration, Transports et ainsi de suite.
Je peux vous dire que nous recevons peut-être 5 ou 10 demandes de renseignements par semaine. C’est un chiffre approximatif. Je ne sais pas si nous envisageons les cas réglés comme ceux où le dossier est clos. C’est difficile parce que certaines personnes s’en vont et voyagent, et vous n’entendez plus parler d’elles, et ce genre de choses.
À mesure que nous rebâtissons le programme, nous allons réfléchir aux mesures des résultats et des réussites également. Ce sont en quelque sorte des travaux en cours.
La sénatrice Bernard : Si vous détenez des documents, ce serait utile pour le comité. Merci.
M. Davies : Bien sûr.
Le sénateur Wells : J’ai quelques questions. Si quelqu’un est signalé sur la liste — et je présume que c’est fait du côté canadien — cela déclenche-t-il autre chose? Par exemple, s’il y a un terroriste connu ou soupçonné, cela déclenche-t-il une action de l’autre côté qui pourrait comprendre la détention ou quelque chose du genre, ou souhaitons-nous juste les empêcher de se rendre au Canada en avion?
M. Davies : Cela dépend vraiment de la personne. Si quelqu’un est arrêté, disons, en provenance de l’Europe vers le Canada et qu’on a identifié une mise en correspondance, c’est une préoccupation pour toute la communauté de la sécurité. Les discussions sont facilitées par l’entremise des différents centres opérationnels, selon les organismes qui ont un intérêt envers la personne. À cela pourraient se mêler des questions consulaires, où il pourrait y avoir un aspect lié à l’immigration.
Tout dépend du cas, mais une fois que la personne est identifiée, et qu’il y a une décision d’interdiction de vol, on discute beaucoup au sujet de la meilleure façon de gérer cette personne qui essaie de retourner au Canada. Tout dépend de la personne.
Le sénateur Wells : Donc une personne réserve un vol, puis elle reçoit sa carte d’embarquement.
M. Davies : Elle n’obtiendrait pas de carte d’embarquement.
Le sénateur Wells : Donc cela s’arrêterait au moment de la réservation du vol.
M. Davies : Au guichet — parce que la personne ne serait pas en mesure d’obtenir la carte d’embarquement en ligne; elle devrait se présenter au guichet — le transporteur est tenu, par règlement, dans ce cas-ci, d’appeler Transports Canada pour confirmer l’identité de la personne. Transports Canada travaillerait avec le Centre des opérations du gouvernement, la GRC ou le SCRS, pour comprendre à qui on a affaire et quel est le plan d’action concernant cette personne. Si c’est une situation d’interdiction de vol, on présume qu’il faudrait plus de temps pour trouver la meilleure chose à faire. Le type d’information qui serait communiqué aux autorités locales dépendrait vraiment du cas.
Le sénateur Wells : Et de la relation que nous avons avec le pays en cause.
M. Davies : S’il y a un mandat d’arrestation pour cette personne, ou si c’est juste une personne qui essaie de retourner et qu’il y a une préoccupation... Et quel type de retour géré serait possible dans ce scénario.
Le sénateur Wells : Procède-t-on à une vérification de la concordance avec une liste des passeports perdus ou volés? Cela est-il aussi intégré au système?
M. Davies : Sécurité publique gère aussi l’annulation, le refus ou la révocation des passeports liés à la sécurité nationale. C’est un processus très semblable au Programme de protection des passagers. C’est le même organisme et ce sont généralement les mêmes personnes qui se retrouvent autour de la table.
En ce sens, le côté des opérations des organismes, le contrôle et la prise de décisions, sont tous la même chose; ce sont des synonymes. Oui, nous sommes pratiquement tous reliés.
Le sénateur Wells : Tout le monde est sur la même longueur d’onde?
M. Davies : Oui.
Le sénateur Wells : Enfin, si l’objectif est d’empêcher des terroristes ou des terroristes soupçonnés de se rendre au Canada ou d’y entrer, y a-t-il un programme complémentaire pour l’entrée par la mer ou par les frontières terrestres? Est-ce intégré au système ou cela concerne-t-il strictement les vols?
M. Davies : C’est strictement pour les vols, pour ce qui est du mode aérien. Il n’existe pas d’équivalent pour le transport maritime, ferroviaire et ainsi de suite. Peut-être que ma collègue des Transports peut mieux décrire d’autres types de mesures de sécurité qui pourraient être offertes dans cette veine.
J’insiste : ce n’est qu’un outil. Si vous parlez de passeports ou de surveillance, et vous pouvez parler de la façon d’établir des engagements de ne pas troubler l’ordre public, il y a d’autres moyens de s’attaquer à cette préoccupation, si nous nous attendions à ce qu’une personne voyage par certains moyens vers un certain lieu.
Le sénateur Wells : Pour terminer, dans des cultures et des sociétés différentes, les noms peuvent être écrits de façon semblable.
M. Davies : Oui.
Le sénateur Wells : Je présume que vous ne pouvez pas signaler tout le monde. Quelle partie de ce processus concerne la gestion du risque?
M. Davies : Lorsque des personnes figurent sur la liste de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, la liste fait aussi état de noms d’emprunt. Une personne pourrait avoir jusqu’à 10 noms d’emprunt, par exemple, des variantes.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Le sénateur Wells : Quelle partie du processus repose sur des données scientifiques et quelle partie concerne la gestion du risque?
M. Davies : En ce moment, les transporteurs eux-mêmes vérifient les manifestes par rapport aux listes que nous leur fournissons. Dans l’avenir, dans une situation de contrôle centralisé, évidemment, nous apprenons beaucoup de choses par rapport au processus actuel concernant les voyageurs au Canada pour ce qui est des douanes, des contrôles d’immigration, de la façon dont nous pouvons utiliser les différents noms et dont les algorithmes sont établis en fonction du type de tolérance au risque que nous avons. Nous travaillons avec l’ASFC et d’autres pour définir cet algorithme.
Le sénateur Wells : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je vais poser mes questions en français. Je tiens à souligner que je ne suis pas membre du comité. Je remplace la sénatrice Boyer. J’ai deux questions, dont une concerne la vie privée et l’autre les outils dont disposent les voyageurs affectés par ce programme.
Premièrement, le commissaire à la protection de la vie privée et d’autres intervenants ont signalé que le Programme de protection des passagers pourrait avoir des répercussions sur le droit à la protection de la vie privée et sur la liberté de circulation des Canadiens. Vous avez un peu abordé le sujet, mais en quoi le projet de loi C-59 permet-il de les régler ces questions?
Deuxièmement, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale a recommandé que la Loi sur la sûreté des déplacements aériens soit modifiée de manière à prévoir la nomination d’un avocat spécial chargé de protéger les intérêts des personnes qui présentent des demandes afin de faire radier leur nom de la liste des personnes interdites de vol. Pourquoi cette recommandation n’a-t-elle pas été retenue dans la rédaction des modifications apportées à la Loi sur la sûreté des déplacements aériens? Merci.
M. Davies : Je vous remercie de votre question.
[Traduction]
D’abord, du côté de la protection de la vie privée, nous sommes d’avis que celle-ci sera augmentée de façon radicale avec le nouveau programme. C’est ce que nous visons maintenant, car en vertu d’un programme réglementé, il se trouve une liste d’information préalable sensible. Donc, plus de 100 transporteurs différents, leurs systèmes de sécurité et ainsi de suite ont accès aux listes et doivent vérifier les manifestes figurant sur les listes.
Cela fait l’objet d’observations; on vise à s’assurer que les choses sont faites correctement et ainsi de suite, mais la réalité, c’est que dans le nouveau système, en vertu du contrôle géré par le gouvernement, très peu de gens ont accès à cette liste. Le nombre de personnes qui y auront accès sera grandement réduit.
De façon générale, nous croyons que, mis à part un avantage sur le plan de la sécurité, il y a un avantage sur le plan de l’équité. L’adoption d’une approche de contrôle centralisée procure de forts avantages en matière de vie privée.
Nous avons entendu à quelques reprises récemment parler d’un conseiller spécial, ou de ce qu’on appelle un avocat spécial. Quand il examinait le projet de loi C-59 à l’autre comité du Sénat, le ministre, ou c’était peut-être le sous-ministre, a mentionné la différence. Une chose était la Cour fédérale. Quand ces questions se retrouvent devant la Cour fédérale en vue d’un contrôle judiciaire ou d’autre chose, le juge a toujours l’option de nommer un amicus, ou un ami du tribunal qui pourrait avoir accès à des renseignements classifiés. Dans de nombreux cas, je crois, l’amicus est en fait un avocat spécial. C’est la même chose. Il n’y a pas une grande liste de conseillers disponibles qui ont accès à des cotes de sécurité de niveau très secret. Ces conseillers peuvent voir tous les renseignements classifiés, aider le juge comme celui-ci l’entend relativement au cas.
Cette option existe donc et elle est utilisée tout le temps à la Cour fédérale.
Par rapport aux autres questions ici, il est difficile de ne choisir qu’un seul programme. Nous savons que les avocats spéciaux existent déjà dans la section 9 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour les certificats de sécurité, mais je crois qu’il est probablement préférable de regarder tout ça de façon holistique plutôt que de se dire uniquement que ce programme devrait avoir des avocats spéciaux.
Vous avez parlé plus tôt des passeports. Peut-être que c’est quelque chose que vous voudriez présenter dans le programme des passeports. Il y a d’autres aspects liés au droit administratif. Je ne crois juste pas que vous vouliez commencer à choisir l’un plutôt que l’autre. Il continue de se faire beaucoup de travail. La preuve fondée sur le renseignement... Cette question a représenté une facette importante du Livre vert qui a fait partie des consultations du gouvernement. Je crois que c’est quelque chose vers quoi vous voudriez tourner une fois que vous aurez acquis plus d’expérience, à mesure qu’un plus grand nombre de cas font l’objet d’un recours administratif et ensuite s’ils se rendent devant la Cour fédérale.
J’aimerais dire une chose sur les avocats spéciaux. C’est une question de coûts, aussi. C’est très coûteux de maintenir et de former des avocats spéciaux. C’est juste un autre enjeu auquel il faut réfléchir.
La sénatrice McCallum : Merci, madame la présidente, et merci de vos exposés. Je ne suis pas un membre régulier. C’est ma première fois. Je remplace le sénateur Brazeau.
J’aimerais revenir à la déclaration que vous avez faite au sujet de toute la communauté de la sécurité, et je m’intéresse à l’échange de renseignements au sujet des violations des droits de la personne et de la façon dont cela se rattache à l’utilisation par le Canada des listes américaines. La LSDA autorisait un plus grand échange de renseignements avec des homologues internationaux.
La raison pour laquelle j’en parle, c’est qu’on dirait que ce sont les nouveaux citoyens qui risquent d’être ciblés. Comme le Canada accueille un nombre de citoyens de plus en plus élevé, cela pourrait devenir un plus grand problème, et il n’y a pas de limites législatives régissant la façon dont ces renseignements peuvent être utilisés par l’État étranger.
En juin 2018, des documents obtenus dans le cadre de demandes d’accès à l’information ont révélé que le Canada utilise une énorme base de données secrète américaine contre le terrorisme qui s’appelle Tuscan, et elle est offerte à chaque garde-frontière et agent d’immigration canadien, et cela leur donne le pouvoir de détenir, d’interroger, d’arrêter et de refuser quiconque s’y trouve, et le Canada l’utilise comme deuxième liste d’interdiction de vol.
On dirait que c’est une liste dépassée. Ce sont des pouvoirs extraordinaires qui sont accordés, et il ne semble pas y avoir de sanctions prévues.
Comment une loi américaine peut-elle être appliquée au Canada? Cette information est-elle vraie, et est-ce appliqué au Canada?
M. Davies : Merci de poser la question. Il y a beaucoup de pelures à cet oignon. Je pense que la première allusion... Quand j’ai mentionné toute la communauté de sécurité, je faisais référence à la communauté du gouvernement fédéral, les six ou huit personnes qui travaillent sur ce programme.
Votre question porte sur la façon dont nous échangeons avec d’autres pays et sur les conditions. Vous avez raison, en vertu de l’ancien projet de loi C-51, je crois que c’était l’article 12 de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, cela a créé une disposition dans le droit qui nous permettait d’établir des accords. Le ministre peut créer un accord avec un autre pays pour communiquer notre liste ou faire en sorte que les deux pays puissent s’échanger mutuellement leurs listes d’interdiction de vol.
Il y a beaucoup de raisons qui le justifient. Le Canada a signé un certain nombre de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies pour lutter contre le terrorisme, l’État islamique et ainsi de suite.
Nous avons pris un certain nombre d’engagements. Le ministre a récemment pris des engagements dans le contexte du Groupe des cinq concernant l’échange de renseignements avec des alliés proches pour prévenir les déplacements de terroristes et ainsi de suite.
Régulièrement, nos organismes de sécurité échangent des renseignements avec leurs partenaires à l’étranger lorsqu’ils ont une raison de le faire, quand il y a un lien avec leur pays ou avec le nôtre. Dans ces accords, les mises en garde relatives à ces renseignements sont toujours établies très soigneusement, pour que l’on puisse s’assurer que l’auteur, en l’occurrence par exemple nous-mêmes, le contrôle sur toute utilisation ultérieure.
Dans le contexte du Programme de protection des passagers, la façon de contrôler ultérieurement l’utilisation de tout renseignement que nous communiquerions à un autre pays est une question très importante pour nous. Ces pays ne sont pas autorisés à acheminer ou à communiquer ces renseignements à qui que ce soit d’autre. Ils ne peuvent les utiliser que pour le même mandat que le Programme de protection des passagers, à des fins de transport, de sécurité, ou encore pour empêcher les déplacements à des fins terroristes.
Un certain nombre de mises en garde et de conditions s’y rattachent. La façon dont nous envisageons de retirer des gens de la liste est aussi très importante.
Nous voulons aussi conclure ces accords pour aider à ouvrir ces canaux, pour que les gens qui ne devraient pas figurer sur la liste en soient retirés. Si on détient des renseignements supplémentaires ou de l’information disculpatoire, ceux-ci sont aussi communiqués, et nous avons cette ligne directe avec ce pays pour nous assurer que c’est fait.
Cependant, ce n’est pas une circulation à sens unique. C’est un dialogue bilatéral pour nous assurer que les bonnes personnes se retrouvent sur la liste, ou nous communiquons des renseignements sur les personnes qui représentent une menace particulière.
Pour ce qui est de Toscan, je ne me rappelle rien qui se serait retrouvé dans une demande d’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels. Je ne sais pas si c’était dépassé ou non, mais c’est une question distincte. Il s’agit d’un accord distinct lié aux douanes et au contrôle de l’immigration. Cela n’a rien à voir avec le programme d’interdiction de vol. Cela concerne surtout l’arrivée au Canada ou le moment précédant l’octroi de visas. S’il y a des problèmes qui surviennent, l’ASFC ou IRCC aurait l’occasion de poser des questions en fonction de cette information. Cela n’a rien à voir avec un programme d’interdiction de vol. Cela ne touche pas une question liée à une interdiction de vol. C’est une question complètement différente.
La sénatrice McCallum : D’accord. C’étaient de mauvais renseignements qui ont été fournis.
J’aimerais donner suite à la question de la sénatrice Bernard concernant l’anonymat au chapitre des noms et des photos. Dans votre base de données, avez-vous des profils sur le groupe ethnique des gens qui ont été arrêtés?
M. Davies : Non.
La sénatrice McCallum : Croyez-vous que cela vous aiderait? C’est juste que le problème du profilage racial réapparaît tout le temps.
M. Davies : Vous demandez si nous devrions créer un profil?
La sénatrice McCallum : Non. Je demande si cela vous aiderait.
M. Davies : Aider de quelle manière? Juste pour que nous soyons plus conscients?
La sénatrice McCallum : Parce que les gens ont l’impression qu’ils sont ciblés s’ils sont une minorité. Selon ce que je comprends, c’est la communauté musulmane, et ils fournissent le nom des gens qui ont été arrêtés.
M. Davies : Je crois que la communauté de la sécurité nationale au Canada est très consciente et au courant. Nous avons beaucoup réfléchi à ce que nous appelons l’analyse comparative entre les sexes plus. Le plus étant une préoccupation particulière touchant des questions de race, d’ethnicité, de religion, d’âge, d’autres facteurs devant être pris en considération dans la prise de décisions à mesure que nous allons de l’avant. Même du côté du genre, la question liée à des enjeux de terrorisme est différente si vous l’abordez dans une perspective sexospécifique.
C’est pourquoi j’ai mentionné que la prise de décisions reposant sur des données biographiques anonymes est un effort de notre part pour tenter de voir comment nous pouvons changer la prise de décisions pour retirer tout biais subjectif, même involontaire, qui pourrait survenir dans la prise de décisions. Nous collaborons avec la communauté dans le cadre de beaucoup d’autres projets à cet égard, en nous concentrant sur la façon dont les décisions seront prises et sur ce qui pourrait être fait à cet égard. C’est vraiment pourquoi j’en ai parlé, comme exemple d’effort, à tout le moins. Je sais que ce n’est qu’un exemple. On ne saurait anticiper toutes les préoccupations que les collectivités pourraient avoir au sujet de la communauté de la sécurité nationale et ainsi de suite, mais c’est un effort véritable pour éliminer cette question de toutes les préoccupations selon lesquelles on a créé cette liste en tenant compte de variables liées à la race ou à l’ethnicité.
La sénatrice Ataullahjan : Corrigez-moi si j’ai tort, mais vous dites que le fait qu’un si grand nombre de musulmans soient arrêtés est le fruit d’une coïncidence, que le fait qu’un si grand nombre de membres des minorités figure sur cette liste n’est que le fruit d’une coïncidence?
M. Davies : Encore une fois, je ne suis pas en mesure de vous dire qui se retrouve ou non sur la liste. Je crois que l’on a formulé des hypothèses à ce sujet. Je ne suis pas entièrement sûr de ce que je pourrais dire d’autre à cet égard. Tout ce que je peux dire, c’est que la liste est examinée tous les 90 jours, la liste entière. Il y a une discussion, et de l’information est mise à jour pour qu’on s’assure que les renseignements sur les menaces sont valides. Nous savons que c’est évidemment un domaine litigieux et que nous pourrions faire l’objet d’une contestation, et nous voulons nous assurer que le seuil est bien établi et qu’il pourrait résister à toute contestation.
Je viens de vous faire part d’une tentative de notre part de retirer toutes sortes de biais dans la prise de décisions. Nous savons que nous devons faire beaucoup mieux sur le plan de la sensibilisation, et nous avons appris beaucoup de choses dans le cadre du processus du Livre vert pour ce qui est de nouer des liens avec des communautés afin de tenir ces discussions, de dissiper les mythes, de travailler en étroite collaboration et de voir comment nous pouvons peut-être aller plus loin pour améliorer notre prise de décisions. Nous savons que nous devons faire mieux à cet égard.
La vice-présidente : Merci. Vous avez parlé du nouveau système qui sera en place si le projet de loi C-59 est adopté. Dans ce cas, s’il est adopté, le contrôle sera effectué directement par le gouvernement et non pas par les compagnies aériennes. Cela rendra-t-il le système plus efficace? Le rendra-t-il plus rapide? Fait encore plus important pour les gens qui se retrouvent sur la liste, qui ont deux ou trois ans, cela va-t-il réduire les faux positifs? Cela fera-t-il en sorte qu’il sera plus facile de vous retirer de la liste si vous avez 2 ans et portez un nom semblable à celui d’une autre personne?
Mme Nixon : Permettez-moi d’en parler. Je crois que M. Davies a déjà parlé du fait que, en vertu du nouveau système, nous nous attachons au temps et à la technologie. D’abord, l’information préalable qui nous sera fournie nous permettra d’effectuer beaucoup plus de vérifications de l’information. Associez à cela les données biographiques supplémentaires qui auront accès au système et une technologie qui nous permettra de faire du ciblage plus automatisé, nous nous attendons à avoir un système beaucoup plus efficace pour réduire les faux positifs et faire cette évaluation, en signalant à nos cibleurs qui sont les gens à qui nous devons vraiment prêter attention.
Essentiellement, nous réduisons beaucoup la taille de la botte de foin. Le programme actuel, si vous le voulez, réduit en ce moment la botte de foin un peu, mais laisse une pile de foin à examiner. Nous nous attendons à réduire, dans le cadre de ce nouveau processus, de beaucoup cette pile de foin jusqu’aux aiguilles que nous essayons d’identifier et à retirer d’autres personnes. Juste pour clarifier les commentaires au sujet de l’élimination de gens sur la liste, seules les personnes qui présentent des menaces pour la sécurité sont celles qui se retrouvent sur la liste. Les données temporelles, les données biographiques supplémentaires et le système de recours nous permettent d’éliminer les faux positifs ou les faux positifs possibles des gens que nous devons écarter. Encore une fois, il s’agit de réduire la taille de cette botte de foin pour mieux cibler les gens.
La vice-présidente : Votre point est valide : les gens dont le nom figure sur la liste sont réellement des terroristes. Cependant, le problème tient toujours au fait qu’une autre personne peut avoir le même nom ou un nom similaire.
Vous avez parlé, monsieur Davies, de la possibilité de permettre aux parents de recevoir une confirmation que leur enfant ne figure pas sur la liste. De quelle façon pourrait-on le faire? Un parent sait que, en raison du nom de son enfant, chaque fois que la famille se rend à l’aéroport, elle doit s’attendre à de longs délais avant de pouvoir partir. Je sais que vous avez aussi dit que les gens pourraient avoir un numéro d’identification unique, de façon à confirmer qu’ils ne sont pas la personne dont le nom figure sur la liste. Qu’en est-il des parents à qui on confirmerait que leur enfant n’est pas visé? S’agirait-il d’un document officiel pouvant servir à l’aéroport?
M. Davies : Pour être honnête, nous tentons encore de déterminer de quelle façon tout ça fonctionnera au moment de la sanction royale, et on tente de déterminer de quelle façon on mettra tout ça en œuvre. Je ne veux pas surestimer la valeur de la mesure. Elle découle de dossiers qui ont fait les manchettes et qui ont fait en sorte que nous nous sommes retrouvés dans une situation pénible. En outre, même le ministre ne pouvait pas dire que l’enfant ne figurait pas sur la liste. À l’époque, la loi ne nous permettait pas de dire qui est sur la liste et qui ne l’est pas. C’était une situation juridique bizarre. Le fait d’éliminer cette disposition nous permettra de dire aux parents qu’il n’y a pas eu de mesure prise par inadvertance ni d’erreur, et que ce n’est pas leur enfant : « Je peux vous assurer, qu’il n’est pas... » Nous travaillons en collaboration avec la famille en question afin de lui fournir un numéro de recours, un identifiant unique pour nous assurer d’éliminer tous les faux positifs à l’avenir dans le cadre du programme.
Quant à savoir quand l’avis en tant que tel sera donné, nous travaillons encore là-dessus. Pourra-t-on l’utiliser comme un document facilitant les déplacements? C’est peu probable. Selon moi, ce sera davantage une façon d’en arriver à une meilleure solution, soit, probablement, un éventuel numéro de recours.
La vice-présidente : C’est facile de déterminer qu’un enfant de 2 ans n’est pas vraiment la personne dont le nom figure sur la liste. Le défi, selon moi, viendra lorsque l’enfant de 2 ans aura 16 ou 25 ans et qu’il aura le même nom qu’une personne dont le nom figure sur la liste.
M. Davies : L’âge ne changera rien s’il y a un identifiant unique permettant d’éviter tout malentendu relativement à la personne.
La vice-présidente : Ce serait utile.
Le sénateur Ngo : Je vais poser une question. Le projet de loi C-59 propose d’éliminer le pouvoir de l’ASFC de communiquer aux transporteurs aériens et aux exploitants des systèmes de réservation les noms des passagers sur la liste. Pouvez-vous nous dire pourquoi?
M. Davies : Je ne suis pas sûr de comprendre ce dont vous parlez. Le projet de loi C-59 propose l’élimination de...?
Le sénateur Ngo : Il propose d’éliminer le pouvoir de l’ASFC.
M. Davies : C’est un peu l’inverse. Le projet de loi C-59 permet à l’ASFC de jouer un rôle dans le cadre du Programme de protection des passagers. À l’heure actuelle, l’agence n’a pas ce pouvoir, particulièrement en ce qui a trait à la portion nationale du programme. En fait, l’ASFC va agir davantage comme un agent de prestation dans le cadre du nouveau système. Les pouvoirs prévus dans le projet de loi permettront de s’assurer que ces autorités sont mises en place.
Le sénateur Ngo : À part l’ASFC, il y aura qui d’autre?
M. Davies : Transports Canada s’occupera de la conformité avec les transporteurs — tout ce qui concerne les interactions directes avec les transporteurs —, Services partagés travaillera en collaboration avec l’ASFC sur la création d’une base de données centralisée et d’une composante d’évaluation, et Sécurité publique assumera la responsabilité générale du projet, de la fonction de recours et ainsi de suite.
Le sénateur Ngo : J’aimerais poser une question liée à celle du sénateur Cormier. Il a déclaré que certains groupes font valoir que le processus en vertu duquel on ajoute ou retire le nom de certaines personnes d’une liste d’interdiction de vol est une violation des droits constitutionnels. Selon vous, le projet de loi C-69 règle-t-il ces problèmes?
M. Davies : Le processus consistant à ajouter le nom de certaines personnes à la liste viole-t-il leurs droits constitutionnels?
Le sénateur Ngo : Le fait d’inscrire leur nom dans la liste ou de l’en retirer.
M. Davies : Je dirais qu’enlever le nom n’est pas une violation, parce que j’imagine que les gens seraient heureux qu’on le fasse. Pour ce qui est du fait de mettre leur nom sur la liste, je dirais « non ». Une analyse en vertu de la Charte a été réalisée lorsque le projet de loi C-51 a été communiqué — et le projet de loi C-59 —; elle énonce le point de vue du gouvernement en ce qui concerne la légalité du programme et ainsi de suite.
Encore une fois, le programme est réalisé en fonction du seuil de suspicion de terrorisme. C’est sujet à débat, mais, en ce qui concerne les droits et la capacité de monter à bord d’un avion, c’est comparable à tout autre droit sur lequel d’autres programmes peuvent influer. Je crois que la réponse, c’est « non ».
La sénatrice Ataullahjan : Ma question est destinée à Transports Canada. J’ai besoin de votre aide. Vous avez parlé d’améliorer les déplacements, la sécurité et les niveaux de sécurité. Par l'entremise de ce processus, il n’y a aucune façon de faire la différence entre une personne, qui porte un nom précis et qui a 45, 50 ou 60 ans, et, de l’autre côté, un enfant de 6 ans qui porte le même nom et qu’on empêche de monter à bord d’un avion?
Mme Nixon : Merci de poser la question. Il est important de comprendre le processus actuel. Notre consignation des données biographiques n’est pas parfaite. Lorsqu’une personne prend un vol à l’intérieur du pays, par exemple, elle n’a pas à fournir sa date de naissance ou ce type d’information dans sa réservation. Dans le cas des déplacements internationaux, on consigne différents renseignements.
Actuellement, l’exigence du programme, tandis qu’on essaie de trouver l’aiguille dans la botte de foin, fait en sorte qu’on vise un plus grand nombre de personnes en raison de la possible correspondance entre leurs noms. C’est là où le système s’arrête actuellement. On fait venir la personne au comptoir d’embarquement, puis on vérifie le reste des renseignements, l’identification, l’âge de la personne et ces autres types de renseignements.
L’intention à l’avenir, c’est de changer les choses en consignant l’information d’entrée de jeu. On consignera toute l’information tant pour les vols nationaux que pour les vols internationaux. Dans les deux cas, on demandera aux gens de fournir de tels renseignements.
Lorsque nous parlons du temps et du facteur de la technologie, c’est là où ça nous aidera. Nous allons pouvoir trier tout ça et nous assurer de ne pas cibler à tort des gens. On s’assurera de seulement viser les gens qui sont vraiment sur la liste établie en vertu de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens pour des motifs de sécurité parce qu’ils constituent une menace pour le système de transport.
C’est la raison pour laquelle nous obtiendrons les données biographiques et prévoirons un recours pour les gens, afin de pouvoir les éliminer à l’avenir. Actuellement, on mise sur la correspondance des noms. C’est un système imparfait, et, en raison des noms courants et d’autres facteurs, nous ratissons trop large.
Je vais revenir au point soulevé sur les enfants dont le nom figure sur la liste. Il n’y a aucun enfant sur la liste établie en vertu de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. Ça semble tout à fait logique comme approche de tout simplement les éliminer. Cependant, ces données — je parle de leur âge — ne sont pas toujours consignées dans les systèmes de réservation. Dans le cas des vols nationaux, cette information n’est pas consignée. Du côté des vols internationaux, elle l’est de différentes façons. Nous essayons donc d’en arriver à une situation où les données biographiques seront consignées uniformément pour tous les types de vols au Canada en partance d’un aéroport désigné.
C’est une composante importante, et c’est ce que nous tentons de faire en uniformisant notre façon de faire. Nous utilisons le système d’entrée et de sortie comme façon pour les transporteurs aériens de procéder, alors nous n’augmentons pas le fardeau qui leur est imposé en leur demandant de fournir plus d’une fois ces mêmes renseignements préalables. Les gens fourniront l’information une fois. Lorsqu’une personne fait une réservation en ligne, nous obtiendrons l’information. La vérification sera réalisée à l’interne, grâce aux renseignements supplémentaires que nous possédons, et on réduira ainsi de beaucoup le nombre de personnes signalées dans le système.
La sénatrice Ataullahjan : Actuellement, si j’essaie de réserver un vol en ligne, que ma demande est refusée, et que je me présente au comptoir du transporteur aérien et qu’on me demande de faire l’objet d’une fouille spéciale, qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie-t-il que mon nom figure sur la liste?
Mme Nixon : Non. C’est la différence entre le système actuel et celui qui est proposé. Il peut peut-être y avoir une correspondance de noms. Quelque chose a été signalé dans le système, et vous avez été identifiée. Cela exige la prestation de renseignements supplémentaires, qu’il s’agisse d’une vérification de l’identité ou qu’on veuille obtenir des renseignements d’autres types comme votre âge ou votre emplacement. Ce sont des choses qu’il faut vérifier au comptoir d’enregistrement.
À l’avenir, ce ne sera plus le cas. Tout cela sera automatisé grâce au processus de réservation préalable, à l’information fournie par le transporteur aérien 72 heures à l’avance et qui est ensuite mise à jour régulièrement.
La vice-présidente : Merci beaucoup à vous trois d’avoir comparu ce matin. Vous êtes nos premiers témoins dans le cadre de notre étude sur la liste d’interdiction de vol. Au nom du comité, je vous remercie beaucoup.
Pour ce qui est de la deuxième heure, cet après-midi, nous allons accueillir des gens qui ont été directement touchés par le Programme de protection des passagers. Permettez-moi de présenter Khadijah Cajee, cofondatrice de No Fly List Kids, un groupe de plus de 100 Canadiens ayant des enfants et des petits-enfants dont les noms ont été signalés sur la liste d’interdiction de vol, Bashir Ahmed Mohamed, un particulier qui a été identifié à tort comme figurant sur la liste d’interdiction de vol, et Sarah Willson, la mère d’un enfant de 3 ans dont le nom figure sur la liste d’interdiction de vol. Elle est aussi membre de No Fly List Kids.
Nous allons commencer par Khadijah Cajee. Vous avez cinq minutes pour présenter votre déclaration, puis nous passerons aux autres témoins. Allez-y.
Khadijah Cajee, cofondatrice, No Fly List Kids : Merci de nous accueillir aujourd’hui. Le groupe No Fly List Kids a été fondé en tant que groupe de parents de jeunes enfants qui ont été signalés à tort comme figurant sur la liste d’interdiction de vol du Canada. On a élargi le mandat du groupe, et nous représentons maintenant les Canadiens de tous âges qui ont aussi été touchés par la liste. Cette liste, ce système désuet, a reçu une attention internationale. La liste a même été mentionnée par Conan O’Brien dans le cadre de son émission de fin de soirée il y a deux ou trois ans.
La liste inclut des gens de tous âges et d’une diversité d’origines. En fait, le sénateur David Smith et l’ancien ministre de la Défense Bill Graham ont tous les deux été signalés à tort comme figurant sur la liste. Il y a tout juste deux jours, lundi dernier, le sénateur Richards a mentionné que son fils avait déjà été signalé à tort comme figurant sur la liste lorsqu’il était adolescent.
Mon fils, Adam, aura 10 ans dans deux ou trois semaines. Il est signalé en vertu de la liste depuis sa naissance. Nous avons pris l’avion avec lui pour la première fois alors qu’il avait six semaines. Il doit être identifié visuellement chaque fois que nous voyageons par avion. Le fait qu’un enfant soit faussement signalé à répétition entraîne des retards dans le cadre des déplacements, nous empêche de nous enregistrer en ligne, accroît la surveillance des transporteurs aériens et du personnel de sécurité et créé de la stigmatisation et de la marginalisation. En outre, on pourrait même avancer qu’un tel système pourrait très bien être la source de la prochaine crise constitutionnelle.
Les faux positifs liés à la liste d’interdiction de vol soulèvent de graves répercussions liées à la protection des renseignements personnels et peuvent avoir une incidence sur les droits à la mobilité des Canadiens, droits qui sont protégés par l’article 6 de la Charte. Certains de nos enfants se sont vu refuser un embarquement initial et ont été victimes de retards au point où ils ont manqué des vols internationaux. Les personnes plus âgées membres de No Fly List Kids évitent de voyager en raison du potentiel de stigmatisation.
Toutes les familles trouvent que les vérifications de sécurité sont devenues de plus en plus invasives à mesure que leur enfant grandissait. Certains des enfants sont maintenant adultes et se défendent eux-mêmes. En effet, deux d’entre eux ont comparu dans le cadre d’une audience du Sénat il y a seulement deux jours, ici, à Ottawa.
De plus, même si la liste contient les noms de personnes de toutes origines — comme cela a été mentionné plus tôt —, les noms ont tendance à avoir une consonance musulmane ou arabe. On peut donc se demander si leurs droits en vertu de l’article 15 de la Charte, qui protège et promeut l’égalité en vertu de la loi, sont violés.
Les faux positifs sont aussi préjudiciables dans le cas de déplacements d’affaires. M. Stephen Evans, dirigeant principal de la technologie de Kijiji qui a aussi occupé des postes principaux chez MSN, Canoe et au Toronto Star, a écrit un article dans le journal The Globe and Mail sur son expérience en tant que personne dont le nom figure sur la liste d’interdiction de vol. Il est un de plusieurs cadres qui nous ont fait part de leur histoire.
Vu la piètre qualité des données qui sont communiquées à des États étrangers et en raison de la nature des programmes bilatéraux de communication d’information, les Canadiens risquent aussi d’être signalés à tort dans des administrations étrangères par des organismes qui n’ont peut-être pas les mêmes valeurs que le Canada en matière de droits de la personne et de respect de la vie. Des gens innocents risquent d’être associés à des actes qu’ils n’ont pas commis, ce qui pourrait entraîner leur détention, leur emprisonnement à tort et leur torture, comme ça s’est produit dans le passé dans le cas de M. Maher Arar.
Le cas de M. Arar est un exemple classique d’une communication de mauvais renseignements et de violence de la part d’un pays étranger. Il vivra avec la stigmatisation et le traumatisme liés à cette expérience pour toute sa vie. Cette omission flagrante a coûté aux contribuables canadiens 10 millions de dollars. Nous ne pouvons pas risquer que cela arrive à nouveau à l’un de nos enfants lorsqu’ils seront grands.
Depuis 2008, les transporteurs nationaux canadiens n’ont pas à contrôler les voyageurs en fonction de la liste d’interdiction de vol américaine dans le cadre des vols nationaux, même si ces vols passeront par l’espace aérien américain. Le projet de loi C-59 retire le pouvoir des transporteurs aériens de prendre des décisions et de procéder à des contrôles à leur discrétion. Mon fils est désigné comme étant un cas notoire depuis l’enfance. Je ne veux pas qu’une telle ambiance de soupçon le suive toute sa vie. Il est encore un enfant. Je peux le défendre et le protéger, mais ce ne sera pas toujours le cas lorsqu’il sera plus grand.
En 2009 les États-Unis ont transféré la responsabilité des transporteurs aériens à la TSA et, depuis, il y a eu une importante diminution du nombre de demandes de recours, ce qui est important parce que, et je cite : « Il a été déterminé qu’environ 98 p. 100 des demandes présentées dans le cadre du programme Traveller Redress Inquiry Program du département de la Sécurité intérieure concernaient des faux positifs ».
La plupart des enfants et des adultes que nous représentons aujourd’hui ont présenté une demande dans le cadre de ce programme du département de la Sécurité intérieure, et les États-Unis ont approuvé leur demande. Cependant, ils continuent d’être confrontés à des problèmes lorsqu’ils prennent des vols nationaux ou utilisent des compagnies aériennes canadiennes.
Nous payons tous un prix. Le fait que nous soyons ici devant vous le prouve. Nous ne savons pas ce que nous obtenons en retour pour le prix que nous payons. Ce système de liste d’interdiction de vol est-il vraiment? Ce serait important d’étudier le régime d’interdiction de vol pour en établir l’efficacité. Selon moi, le fait d’utiliser nos ressources limitées pour contrôler un grand nombre de personnes innocentes est du gaspillage. Cela dit, tant que nous n’obtiendrons pas ces réponses, nous devons nous assurer que ceux d’entre nous qui sont touchés ont accès à un mécanisme de recours solide, précis et transparent. Un programme comme celui-là doit donner lieu à moins de faux positifs et permettre l’amélioration de l’efficience et de la sécurité de notre système des droits de la personne et de notre cadre de sécurité aérienne et de sécurité nationale.
Merci.
La vice-présidente : Merci beaucoup.
Bashir Ahmed Mohamed, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs.
Je veux vous parler aujourd’hui de deux personnes qui s’appellent Bashir Mohamed. L’un est le leader d’une milice connue et l’un des 10 principaux membres d’al Shabaab. Je parle de Bashir Mohamed, celui qui a été sanctionné par les Nations Unies et qui est responsable d’attaques motorisées dans des centres civils.
L’autre Bashir Mohamed est plus ennuyeux. Il occupe un emploi normal dans un bureau, il se rend au travail en vélo et il passe ses temps libres dans des centres d’archives où il effectue des recherches sur l’histoire de l’Alberta. Depuis qu’il est devenu citoyen canadien, il semble que le gouvernement mélange ces deux Mohamed, alors permettez-moi de me présenter de nouveau.
Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m’appelle Bashir Mohamed. Je suis né en 1994 dans un camp de réfugiés somalien à Nairobi, au Kenya. Ma famille a obtenu l’asile au Canada et est arrivée à Edmonton le 12 février 1997. Je ne sais pas pourquoi on nous a envoyés à Edmonton, mais c’est là que j’ai grandi. Cette journée-là, c’est la première journée où j’ai vu de la neige. Ma sœur m’avait convaincu que la neige était du sucre, alors j’en avais mis dans mon sac à dos, et elle avait fondu.
C’est là ma première expérience canadienne. C’est un endroit où j’allais grandir et obtenir la citoyenneté en 2011. Avant d’obtenir la citoyenneté, j’étais apatride. Légalement, j’étais citoyen de nulle part. J’espérais que les choses changent lorsque je suis devenu Canadien et que j’ai obtenu un passeport, mais je me trompais. J’ai plutôt remarqué que des choses bizarres m’arrivaient dès que je prenais l’avion. Je ne pouvais pas m’enregistrer en ligne, et il y avait toujours des retards. À un moment donné, je suis devenu frustré et j’ai demandé de voir l’écran de l’agent. Sur l’écran, il y avait une case mauve dans laquelle il était écrit « passager DHP ». J’ai fait une recherche dans Google et j’ai appris que DHP voulait dire « Deemed High Profile », soit individu jugé notoire. N’oubliez pas que je suis l’ennuyeux Bashir d’Edmonton.
J’ai effectué certaines recherches et constaté que beaucoup d’autres personnes — même des enfants — avaient fait l’objet d’un tel signalement. Ils l’étaient en raison d’une liste et principalement en raison du nom de quelqu’un d’autre, identique au leur.
Pour être clair, le fait que je fasse l’objet d’un signalement, moi, un citoyen canadien, et qu’un agent de sécurité évalue mon niveau de menace chaque fois que je prends l’avion non seulement me fait sentir comme un citoyen de deuxième ordre, mais fait de moi un citoyen de deuxième ordre. De plus, ça m’ébahit toujours qu’un système supposément essentiel à l’infrastructure de sécurité de notre pays peut créer des faux positifs tout simplement en raison d’une confusion découlant d’un nom.
Je crois comprendre que vous examinez ce problème et que vous êtes sur le point de le régler. Franchement, peu importe combien ça peut coûter pour régler le programme ou le niveau de difficultés bureaucratiques que vous devez surmonter, j’espère que le Sénat prend ce problème au sérieux afin que des gens comme moi et comme beaucoup d’autres partout au pays n’aient plus à être traités comme des citoyens de deuxième ordre.
J’espère aussi que, après ces audiences, je pourrai aller à l’aéroport, prendre l’avion et continuer ma vie ennuyeuse sans problème. Merci, mesdames et messieurs.
La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Mohamed.
Sarah Willson, parent, No Fly List Kids : Merci beaucoup de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui. Je m’appelle Sarah Willson et je suis parent membre du groupe No Fly List Kids. Mon fils, qui vient d’avoir 4 ans, a été faussement signalé en raison de la liste d’interdiction de vol canadienne depuis sa tendre enfance.
Puisque mon fils est un DHP, du jargon de transporteur aérien qui veut dire Deemed High Profile, ou individu jugé notoire, nous ne pouvons pas nous enregistrer en ligne, et on ne nous permet pas de nous asseoir ensemble. Nous devons arriver à l’aéroport des heures avant notre vol, faire la file pour nous enregistrer auprès du personnel afin de prouver physiquement que notre fils n’est pas vraiment une menace, fournissant pour ce faire des titres d’identité supplémentaires, comme des passeports, une carte NEXUS, un extrait de naissance, une carte Aéroplan en plus d’attendre pour être autorisés à passer. Nous faisons l’objet d’un deuxième contrôle de sécurité, puis nous devons tenter d’obtenir des sièges ensemble à la porte d’embarquement, tout juste avant de monter à bord. Ces inconvénients et retards sont difficiles pour les adultes, mais ils deviennent insoutenables pour les enfants et les familles qui voyagent avec de jeunes enfants. Dans les meilleurs scénarios, c’est stressant de voyager avec des enfants, alors vous pouvez imaginer le stress supplémentaire et les difficultés que ces problèmes causent aux familles.
En plus de ces inconvénients, il y a la stigmatisation liée au fait d’être traité comme un criminel sans qu’il y ait un système en place pour blanchir notre nom et empêcher qu’un tel traitement se produise à nouveau. De plus, la stigmatisation et les répercussions liées au fait d’être accusé à tort empirent à mesure que les enfants grandissent et deviennent des adultes.
Notre famille a vécu cette situation directement, parce que mon époux a lui aussi été signalé à tort comme figurant sur la liste d’interdiction de vol du Canada. Le fait que notre enfant soit signalé comme un terroriste est une erreur évidente pour le personnel aérien, beaucoup plus évidente que lorsqu’il est question de l’innocence d’un adulte. Mon époux se fait régulièrement amener dans des salles de détention. Son passeport est confisqué, et il fait l’objet de vérifications de sécurité supplémentaires et de délais beaucoup plus longs. Il a de la difficulté à voyager avec des visas et il a raté des occasions professionnelles et scolaires pour cette raison.
Ces problèmes ont une incidence sur la mobilité des personnes signalées à tort ainsi que sur les choix de vie qu’ils font, y compris en matière d’éducation, de carrière et de voyages personnels.
Mon fils arrive à un âge où il va bientôt sentir les répercussions de ces problèmes. Je ne veux pas qu’il passe à côté d’occasions scolaires ou sportives courantes en raison de l’embarras qu’il ressentira devant ses pairs tout comme je ne veux pas qu’il soit craintif sans ses parents pour composer avec la stigmatisation et les incertitudes liées au fait de prendre l’avion. Au bout du compte, nos enfants devraient avoir les mêmes expériences et occasions que les autres enfants. En tant que jeune adulte, il devrait avoir le même accès aux occasions scolaires et professionnelles exigeant un déplacement aérien.
J’ai peur de ce que cela fera à l’identité de mon fils. Il est encore trop jeune pour comprendre ce qui arrive, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’il commence à intérioriser ce traitement. Le fait que les Canadiens des communautés arabes et musulmanes sont ciblés de façon disproportionnée me trouble puisque mon fils, et mon époux, ont tous les deux des noms musulmans et la peau plus foncée. Le fait de voir qu’ils ont tous les deux de la difficulté à prendre l’avion, alors que ce n’est pas mon cas, envoie un message dangereux qui banalise les stéréotypes des menaces raciales.
Des gens bien intentionnés m’ont très souvent suggéré de changer le nom de mon fils, et, même si je comprends qu’il pourrait s’agir d’une solution pragmatique, j’estime que blanchir le nom de mon fils pour qu’il ne soit pas victime de profilage n’est pas une solution : c’est plutôt une façon d’accentuer le problème. Deux de ses noms viennent de ses origines protestantes anglo-saxonnes, et les deux autres, de ses origines musulmanes est-africaines et antillaises. Je ne veux pas qu’il ressente de la honte au sujet de son nom ou de son patrimoine et il ne devrait jamais avoir à effacer une partie de son nom ou de son identité pour se sentir en sécurité ou être traité normalement. Quel message lui enverrais-je en lui suggérant d’effacer la moitié de son identité — la partie non blanche —, parce qu’il pourrait ainsi voyager dans son propre pays plus facilement? De plus, logiquement, puisqu’il y a des noms comme David Mathews, David Smith et Bill Graham sur la liste, cela ne garantirait pas qu’une telle suggestion serait efficace.
Il y a des enfants dans notre groupe qui arrivent maintenant à l’âge adulte et qui ont été signalés faussement depuis leur naissance. Même si je comprends les efforts déployés par Sécurité publique cette année grâce au projet pilote visant à éliminer les préjugés, je crains que les dommages n’aient déjà été faits à la suite d’une décennie d’absence de contrôle de tels préjugés.
De plus, l’absence de transparence et le fait qu’il n’y a pas d’étude directe liée à la liste d’interdiction de vol suscitent chez moi des craintes quant à l’efficacité des tentatives actuelles de contrôle des préjugés alors qu’il n’y a aucune surveillance transparente dans le cadre du programme.
Quels seront les effets à long terme pour les enfants canadiens qui ont été considérés comme des terroristes, qui ont honte de leur nom et qui ont été stigmatisés? À côté de quelles occasions passeront-ils? La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, que le Canada a signée et ratifiée, précise que les enfants ont le droit de grandir dans des conditions de liberté et de dignité sans discrimination et en ayant la pleine possibilité de jouer et de participer à des loisirs. Je ne crois pas que le Canada respecte ces promesses dans le cas des enfants faussement identifiés en raison de la liste d’interdiction de vol du Canada.
Merci.
La sénatrice Ataullahjan : Merci de votre exposé.
Lorsque j’ai proposé cette étude l’année dernière, c’était en raison d’une conversation que j’avais eue directement avec un parent d’un enfant de 6 ans dont le nom figurait sur la liste d’interdiction de vol. Puis, par la suite, j’ai obtenu des courriels et des appels à mon bureau et j’ai parlé avec des gens que la liste touchait.
Vous venez d’entendre le témoignage précédent, et à la lumière des questions que nous avons posées, j’ai parfois l’impression que nous n’avons pas obtenu les réponses nécessaires. Quelle a été votre réaction à tout ça? Je ne sais pas si c’est possible, mais pouvez-vous me donner une idée des personnes qui ont été touchées par tout ça? Tenez-vous compte de l’ethnicité? De la religion? D’après ce que j’ai entendu et de ce que j’ai vu dans les aéroports, c’est certaines personnes qui sont ciblées. Ai-je tort? Si tel est le cas, corrigez-moi, s’il vous plaît.
Mme Cajee : Toutes les données que nous avons recueillies sont empiriques; elles sont fondées sur ce que les gens nous ont dit. Assurément, les noms qu’on nous a fournis nous permettent de dire que certains groupes démographiques sont particulièrement touchés. Cela ne fait aucun doute. Ce sont principalement des noms à consonance musulmane ou arabe. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Cela m’amène à un point qui a été soulevé dans le témoignage précédent au sujet du projet pilote de mécanisme ne tenant pas compte du nom ni de la photo. Je ne sais pas si M. Davies l’a énoncé assez clairement auparavant, mais il s’agit en fait d’un projet pilote mis en œuvre depuis un an environ. Le programme n’existe pas depuis très longtemps. Il s’agit d’un essai.
Toutefois, si une décision est prise en fonction de données qui sont purement liées à la menace, la nature de la menace en soi suffit pour indiquer l’origine ethnique ou les croyances de la personne. Si les données sont associées à un certain contexte, comme un pays ou une religion, cela suffit pour qu’on suppose que le nom de la personne a une consonance musulmane ou arabe, ou peu importe le cas.
Je ne pense pas que ce système qui ne tient pas compte du nom ni de la photo soit infaillible.
L’autre point qui a été soulevé par les témoins précédents concernait le fait qu’aucun enfant ne figure sur la liste.
Si tel est le cas, il ne serait pas nécessaire de prévoir une disposition dans le projet de loi qui autorise le gouvernement à dire aux parents si leur enfant figure sur la liste ou non.
Je sais que le fait que nos enfants ne figurent pas sur la liste est un détail technique, mais en fait, en ce qui nous concerne, ils y figurent. Ils font l’objet d’un signalement chaque fois qu’ils prennent l’avion. Nous n’avons pas accès au mécanisme de recours disponible à l’heure actuelle, car nos enfants ne se voient jamais refuser l’embarquement. Quant aux gens à qui on refuse l’embarquement, ils ont accès aux mécanismes de recours; nous sommes donc désavantagés en ce qui a trait au système actuel.
La sénatrice Ataullahjan : Je m’adresse aux deux autres témoins; Bashir Mohamed est un nom commun. Je suis certaine que d’autres personnes font l’objet d’un signalement. Êtes-vous satisfait de ce que fait le gouvernement à l’heure actuelle? C’est une question que nous avons posée au ministre de la Sécurité publique, et il a dit qu’il se pencherait sur la question. Êtes-vous satisfait de la situation?
Madame Willson, j’écoutais votre témoignage et je me suis demandé si vous étiez mariée à un arabe. Vous avez répondu à la question. À quel moment avez-vous su pour la première fois que votre enfant figurait sur cette liste? Pouvez-vous m’aider à comprendre?
Mme Willson : Lorsqu’il était un bébé, nous l’avons su immédiatement. Je pense que cela montre aussi à quel point les choses sont plus faciles pour un enfant, car dans le cas de mon époux, nous avons dû poser des questions pendant des années avant d’apprendre que son nom figurait sur la liste; c’est finalement un employé sympathique d’une compagnie aérienne qui nous l’a dit. Pour notre fils, l’employée de la compagnie aérienne nous a donné l’information dès le départ. Elle trouvait cela ridicule de voir un signalement pour un bébé.
M. Mohamed : En ce qui a trait aux mesures actuelles prises par le gouvernement, manifestement, j’aurais aimé que la situation soit corrigée bien avant. Je suis ravi de voir qu’il prend la situation au sérieux, mais au bout du compte, on n’a toujours pas corrigé le programme.
Laissez-moi illustrer le problème. Je suis une personne qui a toujours fait les choses correctement en ce qui a trait à notre système. J’ai fréquenté l’université. Je fais du bénévolat au sein de la collectivité. Je prends part au processus parlementaire. Malgré cela, chaque fois que je vais à l’aéroport, on me traite encore avec suspicion.
Par exemple, il y a deux ou trois ans, j’ai pris l’avion de Toronto à Edmonton, et, comme je n’ai pas pu m’enregistrer en ligne — je n’avais pas de bagages enregistrés, j’avais simplement mon sac à dos —, j’ai dû attendre trois heures. J’ai presque manqué mon vol. Après avoir franchi la sécurité, j’ai dû courir jusqu’à la porte.
Au bout du compte, j’espère qu’on prendra des mesures, mais, pour être très honnête, chaque fois que je vais dans un aéroport, je ne me sens pas canadien.
La sénatrice Ataullahjan : Lorsque le ministre dit : « On se penche sur la question, on s’en occupe », avez-vous le sentiment que rien n’est réellement fait?
M. Mohamed : Je vois que des mesures sont prises, mais, au bout du compte, en ce qui a trait aux répercussions sur la vie quotidienne, rien n’a changé. J’imagine que les choses seront différentes lorsqu’on décidera enfin de mettre en œuvre ces changements, et qu’ils ne feront plus simplement partie d’un projet pilote.
La sénatrice Bernard : Je veux vous remercier tous les trois d’avoir accepté de comparaître ici aujourd’hui et de nous raconter un peu votre histoire et vos expériences.
Je tiens à reconnaître le traumatisme — aucun d’entre vous n’a utilisé le terme traumatisme, mais je pouvais l’entendre dans votre voix et le sentir assurément dans vos récits — que vous vivez chaque fois que vous prenez l’avion et que votre nom figure sur la liste de personnes interdites de vol.
On a déjà répondu à une partie de ma question en ce qui a trait au profilage racial.
Monsieur Mohamed, vous avez dit non seulement vous être senti comme un citoyen de second ordre, mais également avoir été traité de la sorte en tant que Canadien, même si vous faites toutes les bonnes choses en ce qui a trait à la participation du citoyen et ainsi de suite.
Qu’est-ce qui pourrait changer les choses pour vous? Y a-t-il des mesures qui pourraient être prises pour que vous puissiez vivre une expérience différente?
M. Mohamed : Principalement, ce serait de ne pas avoir à venir ici aujourd’hui et de ne pas me faire du souci chaque fois que je vais à l’aéroport. Ce que j’aimerais le plus, c’est d’être traité comme tous les autres Canadiens et de pouvoir procéder à l’enregistrement en ligne, de sorte que si je n’ai pas de bagage enregistré, je puisse passer la sécurité sans encombre. Je ferai peut-être encore l’objet d’un signalement, mais j’aimerais seulement être traité comme les autres.
Je suis vraiment content que vous ayez soulevé la question du traumatisme. Il est important de mentionner que, si des efforts ont été déployés jusqu’à maintenant, c’est parce que des parents ont organisé et lancé une initiative communautaire dans le but de porter cette question à l’attention du gouvernement. Ce n’est pas parce que le gouvernement était proactif. Ce sont les parents qui étaient fâchés.
Je suis très chanceux. Je reçois beaucoup de soutien de la part de mon employeur et des membres de ma famille, et j’ai également une conjointe qui m’appuie beaucoup. À cet égard, je suis chanceux et privilégié. Toutefois, pour de nombreuses autres personnes qui traversent beaucoup de choses, je peux comprendre à quel point cela peut rendre leurs expériences encore plus douloureuses. Je suis ravi que vous ayez soulevé ce point.
La sénatrice Bernard : Je dois vous dire que, en tant que personne de descendance africaine qui voyage fréquemment par avion, même si mon nom ne figure pas sur une liste de personnes interdites de vol, je suis victime de profilage racial assez fréquemment. Je me rends à l’aéroport des heures à l’avance, car je ne sais jamais ce qui m’arrivera là-bas. Je suis normalement le type de personne qui fait l’objet d’un signalement. De fait, ma collègue la sénatrice Cordy en a elle-même été témoin un jour.
Nous allons peut-être régler ce problème qui concerne la liste de personnes interdites de vol. Il est certain que, en faisant ressortir ce problème, nous espérons le régler. Toutefois, le racisme envers les Noirs et le racisme, de manière générale, est un problème qui — je déteste dire cela — pourrait continuer de vous toucher, même si nous réglons la situation.
N’importe qui d’entre vous peut répondre à la prochaine question. En vertu de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, une personne dont le nom figure sur la liste de personnes interdites de vol à qui on refuse l’embarquement a 60 jours après les événements pour demander que son nom soit retiré de la liste. J’aimerais savoir si vous pouvez me décrire un peu à quoi ressemble ce processus de demande. Vous informe-t-on de ce délai de 60 jours? Quelles sont les étapes à suivre pour présenter une demande? Quels sont les documents requis? Y a-t-il des coûts liés au processus de demande? Si l’un d’entre vous se sent à l’aise de répondre à la question, je vous écoute.
Mme Cajee : Comme je l’ai dit auparavant, dans notre situation, car on ne nous a jamais refusé l’embarquement, nous n’avons jamais eu accès à ce mécanisme de recours. Cette mesure n’est offerte qu’aux personnes à qui on a déjà refusé l’embarquement. Ces personnes reçoivent une lettre par la poste énonçant les raisons du refus de l’embarquement, et si elles souhaitent contester le fait que leur nom figure sur la liste de la LSDA, elles ont accès à ce mécanisme.
En fait, nous n’avons jamais vu cet aspect du processus. Je ne sais pas à quoi cela ressemble.
Notre conseiller juridique est ici. Je pense qu’il peut vous donner un aperçu, si cela vous intéresse. Personnellement, aucun d’entre nous n’a eu accès à ce mécanisme.
La sénatrice Bernard : Personne d’entre vous n’a vécu cette expérience?
M. Mohamed : Il y a un point important à éclaircir. Je connais bien le gouvernement et la façon dont se comportent les fonctionnaires, et j’ai remarqué comment ils précisaient à répétition que les enfants ne figurent pas sur la liste. Le fait est que la liste a des répercussions sur des enfants et des gens comme moi. Comme nous ne sommes pas des personnes faisant précisément l’objet d’un signalement, nous n’avons pas accès à ce processus. Il est important de mentionner que, si nous avons des doutes, nous ne pouvons pas confirmer que notre nom figure sur la liste sauf si on regarde sur l’écran de l’agent, par exemple, ou si un représentant de la compagnie aérienne se montre gentil à notre égard. Je ne pense pas que ces employés sont censés faire cela. Il est intéressant de constater à quel point, pour ma part, j’ai eu le sentiment qu’on voulait me faire douter de ma perception à de multiples occasions; on voulait me faire croire que mes expériences n’étaient pas réelles. Il est simplement extrêmement frustrant de voir qu’ils ne sont pas capables d’admettre que nous sommes touchés.
C’est quelque chose qu’il faut éclaircir; j’ai remarqué que cet aspect a été soulevé de nombreuses fois dans les témoignages précédents.
Le sénateur Wells : Je remercie les témoins d’être des nôtres aujourd’hui et de nous faire part de leur vécu.
Je pense que vous savez probablement pourquoi nous avons des listes de personnes interdites de vol. Elles sont malheureusement nécessaires, nous les avons pour une raison. Certes, il est malheureux que vous subissiez des conséquences involontaires parce que vous vous trouvez sur cette liste en raison de votre nom, que vous n’avez manifestement pas choisi.
Le problème réside-t-il dans le système, ou est-ce qu’il est possible de régler facilement le problème au moyen d’une entrevue? De quelle manière répareriez-vous le système? C’est peut-être la meilleure question que je peux poser.
Vous avez été victimes des résultats inattendus du système, mais de quelle manière le système peut-il être réglé de sorte qu’il n’y ait plus ces conséquences inattendues qui touchent votre vie ou celle de votre famille de manière négative?
Mme Willson : Aucun d’entre nous ne sait réellement en quoi consiste le système, car il n’y a aucune transparence. Il doit y avoir une étude du système afin que l’on puisse savoir s’il est réellement efficace. C’est la réponse la plus facile. Cela vaut-il la peine? Cela va-t-il réellement donner les résultats escomptés? Est-ce fort payé pour quelque chose qui ne donnera pas les résultats escomptés?
M. Mohamed : Vous avez soulevé un bon point en ce qui a trait au système de sécurité au Canada. L’autre Bashir Mohamed est probablement une personne avec qui je ne voudrais pas être ami et une personne dangereuse. J’aurais espéré que le gouvernement fédéral, avec ses milliards de dollars, puisse mettre en place une infrastructure de sécurité d’envergure et embaucher des employés à temps plein capables de faire une distinction dès le départ entre moi, qui suis d’Edmonton, et cette personne qui bombarde les civils.
Au bout du compte, nous parlons de préoccupations en matière de sécurité et de la nécessité de ce système, mais, à mes yeux, ce n’est pas le problème; le problème, c’est que ce système soi-disant évolué crée toujours de faux positifs. C’est sur cela qu’il faut nous concentrer.
Le sénateur Wells : D’un point de vue pratique, faites-vous l’objet d’un signalement chaque fois que vous prenez l’avion, ou est-ce que votre fils fait l’objet d’un signalement chaque fois?
Mme Willson : Chaque fois.
Le sénateur Wells : Merci.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup d’être venus. En mon propre nom et, je suis sûre, au nom de mes collègues, je vous présente mes excuses pour l’expérience que votre famille et vous avez vécue.
Il y a deux choses qui m’intéressent. Vous a-t-on déjà proposé une quelconque autre forme de recours non officiel, comme associer un numéro du programme Aéroplan ou WestJet — quelle que soit la chose appropriée — à votre numéro de passeport?
Ensuite, à votre connaissance, est-ce un problème pour lequel il y a une poursuite judiciaire ou une plainte concernant les droits de la personne en instance, ce qui pourrait nous donner certaines orientations quant aux types de recours qui seraient utiles pour des gens comme vous, tout en faisant en sorte que la liste d’interdiction de vol, telle qu’elle est, soit en fait un outil efficace au Canada?
Mme Cajee : En ce qui concerne le premier point, sur le fait que quelqu’un ait proposé ou non un recours, au fil des ans, on nous a dit, par exemple, d’obtenir un numéro Aéroplan, un numéro du TRIP du département de la Sécurité intérieure des États-Unis ou une carte NEXUS, par exemple. Cependant, en ce qui concerne le département de la Sécurité intérieure et la carte NEXUS, ils règlent le problème si vous êtes inscrits sur une liste des États-Unis, mais ce n’est pas notre cas. Bashir et nos enfants figurent sur une liste canadienne. Cela ne règle pas notre problème.
La carte Aéroplan, honnêtement, est un programme de fidélisation d’une société. C’est comme la carte Optimum, par exemple. Il ne s’agit pas d’une solution quand une liste d’interdiction de vol est faussée.
Nous en avons une pour mon fils. Elle n’a pas toujours fonctionné. Je sais que c’est également le cas pour d’autres personnes. Je connais un garçon de 10 ans dont le père est pilote à Air Canada et qui a une carte NEXUS, un numéro Aéroplan et un numéro du TRIP du département de la Sécurité intérieure, et il est encore pénalisé à chaque fois qu’il prend des vols intérieurs au Canada.
Il n’y a pas de solutions parfaites. En tant que solution provisoire, vous pourriez dire que ceci ou cela pourrait fonctionner, mais ce n’est pas une solution.
En ce qui concerne les poursuites judiciaires ou les plaintes liées aux droits de la personne, nous n’allons absolument pas dans la direction des poursuites judiciaires. Si c’était le cas, nous l’aurions fait il y a trois ans. Nous n’aurions pas remué ciel et terre comme nous l’avons fait. Nous ne demandons pas d’argent; nous n’essayons pas d’obtenir un avantage financier. Nous voulons seulement redresser un tort pour toutes les personnes qui ont été touchées. Cela va au-delà du simple cas de nos enfants; c’est pour toutes les personnes au pays qui ont été injustement touchées par cette liste.
C’est la même chose pour les plaintes liées aux droits de la personne. Nous aimerions que ce problème soit réglé à l’échelle nationale pour tout le monde, de façon à ne pas avoir à emprunter ces autres avenues, et que le système reste incomplet ou insuffisant, même après que notre petite plainte personnelle aura été réglée. Cela ne règle pas le problème pour tout le monde.
La sénatrice McCallum : Merci de nous faire part de vos histoires poignantes, vos histoires personnelles. Nous sommes honorés que vous nous les ayez racontées.
J’aimerais citer quelqu’un. M. Faisal Bhabha, conseiller juridique du Conseil national des musulmans canadiens, le CNMC, a qualifié la liste d’interdiction de vol en ces termes :
[…]un des instruments de profilage racial et religieux les plus dommageables actuellement au pays. C’est le pendant, dans le domaine de la sécurité nationale, du fichage dans le contexte des services policiers en zone urbaine. Depuis la mise en œuvre de la liste, elle a causé tellement de préjudices sans donner de résultats clairs ou établis qu’on ne peut tout simplement pas justifier son maintien au sein de notre démocratie fondée sur la primauté du droit.
De plus, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, une coalition nationale des organismes de la société civile canadienne, a exprimé la préoccupation suivante sur le programme canadien de la liste d’interdiction de vol.
Les graves questions de l’absence de procédure régulière, ce qui porte atteinte au droit à la mobilité protégé par la Charte, du profilage racial et des contraintes excessives, combinées à l’absence totale d’informations du gouvernement concernant l’efficacité de la liste d’interdiction de vol, ne nous laissent d’autre choix que de conclure que le système devrait être entièrement abandonné. Si quelqu’un représente une menace pour la sécurité d’autrui, le gouvernement devrait intervenir en utilisant les procédures déjà existantes du Code criminel, suivant une procédure équitable.
Approuvez-vous ces déclarations ou auriez-vous des recommandations à faire?
M. Mohamed : Personnellement, je suis d’accord pour dire qu’à l’heure actuelle, la raison pour laquelle je suis ici maintenant, c’est que tout cela est extrêmement frustrant et que cela tient à l’islamophobie. Je pense que cela révèle une tendance des institutions à soupçonner les Canadiens musulmans. Pourtant, je viens d’Edmonton.
J’ai grandi à Edmonton. C’est à Edmonton que l’on a construit la première mosquée au Canada, qui a ouvert ses portes en 1939. Malgré cela, nous sommes touchés de façon disproportionnée par ces politiques.
Pour être honnête, c’était un peu frustrant d’entendre les témoignages du précédent groupe. Ils n’étaient pas là, non pas parce qu’ils reconnaissaient qu’il y a un problème. Je pense qu’ils étaient là parce que les parents en ont fait un problème assez important pour que vous, les sénatrices et les sénateurs, les convoquiez. Au bout du compte, je suis simplement une personne, qui par hasard, est inscrite sur cette liste. Les sénateurs ici présents ont tous le pouvoir de changer cela. Je ne peux pas convoquer les responsables pour qu’ils répondent aux questions à ma place. En fait, ils ne pourraient même pas confirmer si je suis ou non concerné. Mais vous, vous le pouvez.
Au final, j’approuve un grand nombre des déclarations selon lesquelles tout cela relève de l’islamophobie. J’espère qu’après avoir écouté mon témoignage et celui des autres intervenants, vous comprendrez ce problème dans un contexte plus large. C’est mon point de vue personnel, c’est mon avis.
Mme Cajee : Je connais personnellement Faisal Bhabha et je le respecte. Il a beaucoup travaillé sur cette question, pendant plus de dix ans. Certains avocats et organismes de libertés civiles défendent ce dossier depuis le début, en 2007. J’approuverais donc entièrement ce qu’il a à dire à ce sujet, car je pense que cette liste a marginalisé injustement des personnes d’une origine précise.
Personnellement, je ne vois aucun avantage mesurable découlant de l’utilisation de cette liste. C’est mon avis personnel. Il faut bien reconnaître que, en réalité, il n’y a pour ainsi dire aucune chance que cette liste soit complètement supprimée. En l’absence de cette option, nous avons réellement besoin d’un mécanisme de recours solide, robuste et transparent.
La sénatrice McCallum : J’ai posé au précédent témoin une question sur la liste d’interdiction de vol des États-Unis, qui selon lui ne... Vous avez dit que les transporteurs intérieurs ne sont pas tenus de contrôler les passagers en fonction de la liste d’interdiction de vol des États-Unis pour les vols intérieurs. Savez-vous s’ils utilisent la liste d’interdiction de vol des États-Unis pour les vols internationaux?
Mme Cajee : Je ne sais pas.
La sénatrice McCallum : D’accord. Vous ne savez pas. Je voulais simplement confirmer. Merci.
La sénatrice Bernard : Je vous ai écouté et j’ai écouté le précédent groupe de témoins... M. Davies a parlé du processus de demande d’un identifiant unique. J’aimerais avoir votre avis à cet égard, et savoir si vous pensez que ce processus serait utile. Devrions-nous recommander l’utilisation d’un identifiant unique? Avez-vous des commentaires là-dessus?
Mme Cajee : Je m’excuse, madame la sénatrice. Pourriez-vous répéter la question? Je m’excuse.
La sénatrice Bernard : Monsieur Davies, en réponse à l’une des questions, a parlé d’un processus d’obtention d’un identifiant unique comme moyen d’aider les gens qui ne devraient pas figurer sur cette liste et qui y figurent quand même. J’aimerais connaître votre avis sur cette possibilité. S’agit-il d’une chose que vous voudriez recommander? Pensez-vous que le fait d’avoir un numéro d’identifiant unique serait utile quand vous essayez de monter à bord d’un avion dans les aéroports canadiens?
Mme Cajee : Dans le cadre des discussions que nous avons eues avec les représentants de Sécurité publique, nous espérions obtenir quelque chose; par exemple, quand vous réservez un vol, à l’étape de la réservation, on vous demanderait de saisir votre date de naissance. Il est possible que vous soyez inscrits par erreur sur la liste la première fois que vous essayez de vous enregistrer. Toutefois, une fois que ce contrôle initial a eu lieu, vous seriez supprimés du système, et cela n’arriverait plus par la suite. Cela élimine la nécessité d’avoir un identifiant unique, comme un numéro, mais ce serait fait en amont.
J’espère que c’est comme ça que cela fonctionnera, au bout du compte. En l’absence d’un tel mécanisme, je pense qu’un recours ou un identifiant unique, un numéro, similaire au système des États-Unis, serait bon. Cela nécessiterait que les gens aient toujours ce numéro sous les yeux quand ils réservent un vol, ce qui représente un fardeau supplémentaire, d’avoir à se rappeler un autre numéro. J’espère que cela fonctionnera selon la manière que j’ai décrite tout à l’heure.
Mme Willson : Je crains que le numéro de recours, même s’il nous aide à nous enregistrer, ne soit plus utile pour le reste du système. Comme s’il n’y a pas de transparence, serait-il utile pendant le processus de sécurité? Y aurait-il encore du profilage à cette étape? Jusqu’à quel point un numéro de recours serait-il efficace?
M. Mohamed : Je pense que le point sur le numéro à mémoriser soulève également la question de la mise en œuvre. Je serais ravi de ne pas faire l’objet de vérifications supplémentaires, mais au bout du compte, je continuerai à être traité comme un citoyen de seconde classe, car un groupe de citoyens aurait ce numéro alors que les autres ne l’auraient pas. Je pense que c’est le cœur du problème.
Nous parlions tout à l’heure de certains enfants qui figurent sur la liste et qui ont déjà le portefeuille plein de pièces d’identité. Certains d’entre eux ont même une carte NEXUS. Un numéro de recours serait une autre chose à ajouter à cet ensemble. Si nous faisions preuve de logique, nous verrions à quel point cela peut rapidement devenir ridicule.
Mme Cajee : Permettez-moi de répondre rapidement à la question de Mme McCallum sur la liste d’interdiction de vol des États-Unis. Le Canada utilise en fait la liste d’interdiction de vol des États-Unis pour tous les vols qui survolent les États-Unis, et cela a été décidé par les États-Unis. Si les États-Unis déterminent qu’une ligne aérienne survole l’espace aérien américain, les compagnies aériennes canadiennes devront utiliser la liste d’interdiction de vol des États-Unis.
La sénatrice McCallum : Les États-Unis ont-ils le nom de tous les passagers qui survolent leur espace aérien?
Mme Cajee : Je pense que c’est le cas, oui. Ils sont tenus de communiquer les manifestes de vol. Les Canadiens doivent communiquer les manifestes de vol à leurs homologues américains, oui. D’ailleurs, ce ne sont pas toutes les lignes qui survolent l’espace aérien des États-Unis, et pourtant ils sont tenus d’utiliser la liste d’interdiction de vol des États-Unis. Cela a été le cas pour un certain nombre de vols dont nous avons été informés.
La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Mohamed, je sens votre frustration quand vous parlez. Ce n’est pas nouveau pour moi, en tant que musulmane. J’entends cela de la part de beaucoup de jeunes. Je constate qu’ils se tournent vers la poésie et l’humour. Ils ont l’habitude d’être repérés dans une file, surtout s’ils sont jeunes. C’est arrivé à mes filles, et on présumait qu’elles ne parlaient pas anglais. L'une de mes filles est étudiante au doctorat — en fait, elle a fini son doctorat maintenant — et elle est constamment prise à part, car elle porte le nom d’Ataullahjan. Moi-même, une fois, j’ai essayé de m’enregistrer et je n’ai pas pu. On m’a dit que j’avais été choisie pour une inspection secondaire, et je voyageais avec un passeport officiel. Je pense que nous avons fini par nous habituer.
Si vous pouviez avoir une discussion avec le ministre de la Sécurité publique, que lui diriez-vous? Quelle serait la chose que vous aimeriez voir changer? Les musulmans sont ici. Nous sommes ici depuis le premier recensement. Nous n’irons nulle part. Nous sommes chez nous. Je ne pense pas que nous devrions être traités différemment des autres citoyens. Que lui diriez-vous?
M. Mohamed : Je dirais à peu près tout ce que j’ai dit dans ma déclaration préliminaire, mais j’ajouterais que leur but est de créer un Canada sûr.
La sénatrice Ataullahjan : C’est notre but également.
M. Mohamed : Oui. En fin de compte, si tel est leur objectif, ils sont en fait en train de s’aliéner une bonne partie de notre population. Cela me laisse perplexe.
Je suis un Bashir Mohamed parmi tant d’autres. Je suppose que nous sommes nombreux au Canada. Cela me blesse. Cela ne me donne pas l’impression d’être Canadien. Quand des parents doivent unir leurs forces pour que cela devienne un enjeu, j’en viens à douter de l’efficacité du gouvernement et de la bienveillance de nos leaders politiques. Si je pouvais parler au ministre, je lui dirais que vous vous aliénez ce groupe important de la population. Tout compte fait, cela nuit à notre infrastructure de sécurité. Je soutiendrais que, si nous voulons faire du Canada un pays sécuritaire, il faudra surtout s’assurer que tous se sentent bienvenus. J’encouragerais le ministère à mettre en place un système où je peux voyager, comme je l’ai dit, ainsi que d’autres personnes qui ont pris la parole.
La sénatrice Ataullahjan : Madame Cajee, souhaitez-vous ajouter quelque chose? Vous parlez au nom de nombreuses personnes — que pouvons-nous faire pour apporter des changements? Cela devrait être facile. Vous voyagez avec un enfant âgé de 6 ans et une personne âgée de 45 ans. Vous devriez être en mesure de voir la différence. La personne qui travaille au comptoir d’enregistrement devrait pouvoir juger qu’un enfant âgé de 5 ou 6 ans ou, dans votre cas, un bébé, ne représente pas une menace.
Mme Cajee : Cela va de soi et c’est le cas de toutes les personnes avec qui nous avons parlé, depuis le début de cette revendication, il y a plus de trois ans. Je ne sais vraiment pas quoi dire, sinon que ces systèmes existent. D’autres organisations les utilisent. Les commissions scolaires elles-mêmes ont des systèmes qui leur permettent de faire la distinction entre des enfants qui portent le même nom. Donc, si une commission scolaire peut le faire, je suppose que les régimes de sécurité nationale devraient être en mesure de le faire également. Je ne crois pas non plus que cela devrait être difficile.
La sénatrice McCallum : J’aimerais revenir sur votre déclaration, quand vous dites que la plupart des enfants et des adultes — nous parlons en leur nom aujourd’hui —, qui ont présenté une demande au TRIP du département de la Sécurité intérieure et ont fait l’objet d’une vérification de sécurité, continuent de connaître des problèmes lorsqu’ils prennent des vols à l’intérieur du Canada ou qu’ils font affaire avec des compagnies aériennes nationales.
Une partie du problème réside dans la question du consentement. On donne vos renseignements à des gens, et vous n’avez rien fait de mal. Donc, ils donnent de l’information. Je me demande comment les États-Unis peuvent soumettre les noms à une vérification de sécurité si rapidement alors que le Canada en est incapable. Connaissez-vous le processus? L’avez-vous exploré?
Mme Cajee : Je ne connais pas l’origine du système, mais je l’ai utilisé pour présenter une demande, et c’est un programme rapide et efficace. Nous présentons une demande en ligne et c’est gratuit. Remplir le formulaire en ligne prend environ 10 minutes. Vous recevez une confirmation par courriel et, environ six semaines plus tard, vous recevez une lettre par la poste indiquant votre statut et votre numéro de recours, lequel vous utiliserez subséquemment, si vous réservez un vol vers les États-Unis ou avec une compagnie aérienne américaine. C’est un système plutôt simple.
Cela dit, il ne fonctionne pas pour tout le monde. Certaines personnes obtiennent un numéro de recours, mais cela ne veut pas dire qu’elles ont fait l’objet d’une vérification de sécurité. Cela se produit souvent dans le cas des adultes. Nous sommes tenus de fournir toutes sortes de renseignements lorsque nous présentons une demande au TRIP du département de la Sécurité intérieure, lequel, soit dit en passant, est également offert aux citoyens qui ne sont pas américains. En tant que citoyenne canadienne, j’ai accès au système de recours américain, mais pas à un système de recours canadien. Je dois sans cesse réitérer ce point, car cela me semble ridicule. J’ignore comment leur système fonctionne au-delà de ce que j’en ai vu moi-même.
La vice-présidente : Madame Cajee, vous effectuez beaucoup de travail pour le groupe des parents touchés par la Liste de personnes interdites de vol ou pour les personnes touchées par cette liste. Avez-vous une idée du nombre de personnes considérées comme de faux positifs, je les appellerai ainsi, qui ont le même nom qu’une personne sur la liste? Combien de Canadiens sont concernés? Avez-vous une idée?
Mme Cajee : Des étudiants de l’Université Western Ontario ont mené une étude et ont calculé qu’ils étaient 100 000. Ils ont effectué ces calculs à partir des noms que nous connaissons et des noms qui figurent sur la liste, ce que nous savons en tant que groupe. C’était une étude simple. Ils ont inscrit tous ces noms sur le site de Canada 411 et ont abouti à un nombre moyen de visites par nom. Ils ont abouti au nombre de 100 000. Je ne crois pas qu’il y ait une autre personne qui s’appelle Khadijah Cajee dans ce pays, mais si c’était le cas, toute autre personne portant ce nom au Canada serait inscrite sur la liste. Souvent, les gens ignorent que, s’ils subissent des inconvénients, c’est parce qu’ils sont inscrits sur la liste de personnes interdites de vol. Souvent, ils peuvent croire qu’il y a une petite erreur dans le système ou que cela s’explique par une autre raison. Souvent, ils ignorent ce qui en est. Heureusement, nous avons été en mesure de découvrir ce qu’il en était. Toutefois, si nous ne l’avions pas su, j’ignore ce que nous aurions fait. Nous faisons partie d’une minorité de personnes qui savent qu’elles ont été inscrites sur cette liste. La plupart des gens n’envisageraient probablement pas cette possibilité et subiraient simplement les inconvénients qui en découlent sans jamais même en connaître la raison.
Mme Willson : Il est intéressant de remarquer que l’étude effectuée portait sur la liste canadienne et que le nombre était connu, mais, lorsque les compagnies aériennes canadiennes utilisent la liste américaine, laquelle comprend plus d’un million de noms, l’estimation serait sans doute beaucoup plus élevée que les 100 000 Canadiens touchés.
La vice-présidente : Les témoins qui étaient ici précédemment — et vous avez entendu la plupart d’entre eux — ont parlé du fait que si le projet de loi C-59 est adopté, les voyageurs obtiendront un numéro d’identification unique, et que tout sera plus facile pour les autres Bashir Mohamed, ceux à qui il n’arrive jamais rien.
Avez-vous entendu parler de situations qui avaient été réglées? Je sais que le projet de loi n’a pas encore été adopté, mais... S’agit-il simplement du fait que vous savez qu’il est nécessaire de se présenter deux ou trois heures d’avance à l’aéroport chaque fois?
Mme Cajee : Comme l’a dit M. Davies, ils examinent en fait la liste tous les 90 jours environ, je crois. Tous les 90 jours, des noms sont ajoutés ou retirés de la liste. On peut présumer que les personnes dont le nom a été retiré de la liste, la dernière fois, dont le nom correspondait au nom d’une autre personne, ne subiraient pas d’inconvénients à leur prochain voyage ni ne seraient inscrites à tort, étant donné le retrait de leur nom de la liste. Toutefois, cela n’était pas dû à une mesure prise par la personne inscrite à tort, mais aux décisions prises par la personne qui a le pouvoir d’ajouter ou de retirer des noms.
Je ne connais personne qui a essayé activement de faire retirer son nom de la liste et qui a vraiment réussi. Non, pas encore.
La vice-présidente : Les membres du comité ont-ils d’autres questions à poser?
Merci beaucoup. Je n’ai aucun doute que le projet de loi C-59 découle de vos revendications, et je me croise les doigts pour qu’il change les choses. Nous devrions peut-être vous convoquer à témoigner l’année prochaine pour voir s’il a eu un effet positif.
Merci beaucoup. Comme l’a dit la sénatrice Bernard plus tôt, il est utile d’entendre vos témoignages, et je ne parle pas seulement du comité, mais je parle des gens qui regarderont la séance à la télévision. Entendre les témoignages des personnes directement touchées fait une différence, et cela nous aide à mieux comprendre la situation. Merci beaucoup de votre présence ici aujourd’hui.
(La séance est levée.)