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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 42 - Témoignages du 15 mai 2019


OTTAWA, le mercredi 15 mai 2019.

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour examiner et surveiller l’évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et pour examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : stérilisation forcée de personnes au Canada).

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je souhaite commencer en soulignant, dans un esprit de réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins.

Je m’appelle Wanda Thomas Bernard et je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse. J’ai l’honneur et le privilège de présider ce comité. J’invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter, en commençant à ma droite.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Bienvenue ce matin à notre comité.

Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

La présidente : Aujourd’hui, conformément à l’ordre de renvoi général reçu par le comité, nous étudions la stérilisation forcée de personnes au Canada. La stérilisation forcée de femmes autochtones a récemment beaucoup retenu l’attention du public, mais nous nous sommes rendu compte que des femmes non autochtones appartenant à d’autres groupes marginalisés ou vulnérables ont peut-être également été victimes de stérilisation forcée.

Compte tenu du temps limité que nous avons avant la fin de la 42e législature, notre comité mène une étude préliminaire pour enquêter sur la portée du problème. Nous nous attendons à publier un court rapport assorti de recommandations en vue d’un examen plus approfondi.

Je vous présente notre premier groupe de témoins. Bonnie Brayton, directrice exécutive nationale du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada; Mme Morgan Holmes, professeure à l’université Wilfrid Laurier et secrétaire du secrétariat intersex d’ILGA Amérique du Nord, qui est ici pour représenter Egale Canada; Julie Harris, présidente et directrice de Contentworks Inc.; et — elle vient tout juste d’arriver —, Mme Josephine Etowa, qui a interrompu ce matin son travail de professeure à l’Université d’Ottawa pour se joindre à nous. C’est la raison pour laquelle elle est un peu en retard. Elle enseigne à la faculté des sciences de la santé à l’Université d’Ottawa.

On a demandé à chacun de nos témoins de faire une déclaration liminaire de cinq minutes, et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

Madame Brayton, vous avez la parole.

Bonnie Brayton, directrice exécutive nationale, Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : J’aimerais remercier tout particulièrement la sénatrice Boyer, qui a communiqué avec DAWN Canada pour obtenir de plus amples renseignements sur la question à l’étude en ce qui a trait aux femmes et aux filles handicapées.

Bonjour. Je souhaite souligner notre présence aujourd’hui sur les terres algonquines non cédées et la période de vérité et de réconciliation dans laquelle nous sommes actuellement. Saisissons donc l’occasion pour examiner plus particulièrement les besoins de nos sœurs autochtones et la façon dont nous pouvons réparer les torts causés pour améliorer la vie des générations actuelles et futures.

Le lien entre la race, les handicaps et la stérilisation est le premier que je souhaite aborder, en m’appuyant sur les derniers rapports de recherche que DAWN Canada a publiés à l’occasion de la Journée internationale des femmes. Le rapport s’intitule : Plus qu’une note de bas de page : Rapport de recherche sur les femmes et les filles en situation de handicap au Canada. C’est un autre document qu’on peut consulter sur le site web de DAWN Canada.

Avant de commencer, il est important de souligner que la stérilisation forcée est profondément enracinée dans la discrimination fondée sur la capacité physique et dans le racisme. Le mouvement eugénique, tant aux États-Unis qu’au Canada, était lié aux idées des tenants de la suprématie blanche relativement à la dégénérescence de la race blanche. Dans le livre de la professeure Anna Stubblefield sur la « blancheur », les handicaps et l’eugénisme, elle fait valoir que le concept de la faiblesse d’esprit pour ce qui est des femmes atteintes de déficience intellectuelle — un terme que nous ne cautionnons certainement pas — est lui-même ancré dans la conceptualisation racialisée de l’intelligence. Les personnes blanches sont considérées comme la norme en matière de capacités cognitives, et les personnes de couleur sont perçues comme ayant une capacité intellectuelle inférieure. Donc, la faiblesse d’esprit était liée à la « blancheur entachée ».

Ce concept reposait aussi grandement sur le sexe. En effet, les femmes risquaient davantage d’être considérées comme dépravées et comme étant de mœurs légères. C’est d’ailleurs ce que laissaient entendre leurs taux plus élevés de diagnostics rendus, de placement et de stérilisation. Les recherches montrent également que la pratique de la stérilisation liée à la faiblesse d’esprit ne visait pas que les personnes blanches. Dans les années 1960 et 1970, on a observé un recours plus généralisé à la stérilisation forcée de femmes noires, portoricaines, mexicaines et autochtones. Pour examiner les questions liées à la stérilisation forcée, une analyse intersectionnelle est nécessaire.

Au cours de l’histoire, les femmes handicapées au Canada ont été plus souvent victimes de stérilisation forcée, et elles demeurent vulnérables à cette pratique de nos jours.

Le mouvement eugénique a influencé le Canada tout au long du XXe siècle. L’Alberta et la Colombie-Britannique avaient toutes les deux une loi et une désignation visant la stérilisation des personnes ayant reçu un diagnostic de maladie mentale ou de déficience intellectuelle. Les données tirées des dossiers de la commission albertaine de l’eugénisme rendent compte de la stérilisation de 1 154 femmes handicapées conformément aux pratiques eugéniques.

La présidente : Excusez-moi, madame Brayton. Vous parlez un peu trop rapidement pour l’interprétation.

Mme Brayton : C’est parce que je croyais avoir sept minutes, et que vous m’avez dit que j’en avais plutôt cinq. Je suis désolée.

La présidente : Vous en avez effectivement cinq. Nous avons des copies de vos observations.

Mme Brayton : Excellent. Ce que je vais faire, car je ne peux pas vraiment savoir si j’en ai pour cinq minutes, c’est mettre l’accent sur les points qui revêtent la plus grande importance selon moi.

Dans mes notes d’allocution, je mentionne l’arrêt Eve de la Cour suprême du Canada. L’affaire concernait une femme de 24 ans atteinte de déficience intellectuelle. La mère a fait valoir qu’à titre de subrogée, elle voulait être autorisée à faire subir à sa fille une ligature des trompes. La Cour suprême du Canada s’est prononcée contre la mère, en avançant que la procédure n’était pas thérapeutique.

Cette décision historique marque un tournant décisif dans la lutte pour la reconnaissance des droits des personnes atteintes de déficience intellectuelle. Elle a mis fin à la pratique de longue date de la stérilisation non thérapeutique de personnes atteintes de déficiences intellectuelles et mentales. La cour a également conclu que peu importe les capacités cognitives, toutes les personnes ont des droits fondamentaux auxquels on ne peut passer outre même lorsque la personne est sous tutelle.

L’influence parentale continue d’entrer en ligne de compte pour les jeunes femmes handicapées puisque les parents ont encore un pouvoir et un contrôle pouvant avoir une incidence sur l’accès aux soins de santé génésique et sur les décisions à cet égard. En effet, dans le cours de nos recherches, nous avons parlé à une femme handicapée qui a dit que ses parents ont fait pour elle ses choix en matière de reproduction, sans son consentement et contre son gré.

L’utilisation du médicament Depo-Provera est également problématique pour les femmes et les jeunes filles handicapées. Depo-Provera demeure controversé, et ses effets secondaires peuvent être très graves et sont mal compris. On sait qu’il a été prescrit à des femmes handicapées avant d’être approuvé comme moyen de contraception au Canada. De plus, une étude canadienne a révélé que les jeunes femmes atteintes de déficience intellectuelle se faisaient couramment prescrire du Depo-Provera lorsque la famille ou l’aidant craignait une grossesse non désirée ou des problèmes d’hygiène menstruelle.

Je veux mettre l’accent sur l’idée que ce ne sont pas les femmes handicapées qui sont vulnérables; elles sont plutôt « vulnérabilisées » par les situations dans lesquelles elles se retrouvent.

Plusieurs facteurs augmentent le risque que des femmes handicapées soient victimes de coercition en matière de reproduction, y compris pour se faire avorter. Ces facteurs comprennent des options contraceptives limitées et le manque de connaissance des professionnels de la santé sur les handicaps. Ces obstacles reposent sur des attitudes négatives concernant les droits sexuels et reproductifs des femmes handicapées.

Les parents et les aidants des femmes, surtout les adolescentes, atteintes de déficience intellectuelle peuvent hésiter à aborder le sujet de la santé sexuelle et de la méconnaissance en la matière. Par conséquent, nous nous retrouvons avec des personnes ayant très peu de contrôle sur la prise de décisions connexes.

Ce que nous voulons que le Sénat sache à ce stade-ci, c’est qu’il y a plusieurs façons d’aider les femmes et les filles handicapées à se prévaloir de leurs droits sexuels et reproductifs. On peut notamment les aider à militer pour qu’elles deviennent des partenaires dans la prestation des soins qu’elles reçoivent; renseigner les professionnels de la santé sur les handicaps afin de prévenir l’ignorance et la surprise lorsqu’ils apprennent que des femmes handicapées sont sexuellement actives; et faire plus d’études et d’analyses pour examiner les nombreuses façons insidieuses dont les femmes handicapées et leurs corps sont sous l’emprise des aidants.

S’il me reste un moment, je vais soulever un dernier point. L’une des choses les plus dérangeantes que nous avons vues était le recours aux traitements invasifs d’atténuation de la croissance, communément appelé le « traitement Ashley », pour des enfants ayant des invalidités et des problèmes de santé complexes. Ces traitements visent à les garder petits, vraisemblablement pour faciliter les soins que leur prodiguent leurs parents.

Les procédures comprennent notamment l’administration de fortes doses d’estrogène, l’hystérectomie et l’ablation des bourgeons mammaires. Ces procédures semblent plus répandues aux États-Unis et dans d’autres pays, mais il est difficile de savoir ce qui se fait ici au Canada.

La présidente : Nous allons maintenant entendre Mme Holmes.

Morgan Holmes, représentante, Egale : Mesdames et messieurs les sénateurs, merci de donner du temps à Egale ainsi qu’à moi-même pour que nous puissions nous adresser au comité.

[Français]

Je remercie les honorables sénateurs de m’avoir invitée aujourd’hui. Je suis très heureuse d’être ici.

[Traduction]

Je suis ici pour parler des violations des droits des personnes intersexuées au Canada, plus particulièrement des stérilisations involontaires et forcées subies au sein de ce groupe.

Je suis professeure, et ma formation est en sociologie et en anthropologie de la médecine. Depuis 25 ans, mes travaux de recherche portent sur une question que je tenterai de résumer en quelques instants.

L’intersexualité n’est pas une identité ou un genre, mais plutôt un terme générique qui renvoie à 17 différents types de variantes importantes de différenciation sexuelle biologique. De nos jours, dans le milieu médical, on parle habituellement de « troubles du développement sexuel », mais les personnes concernées préfèrent ne pas parler de pathologies. Nous employons donc le terme clinique qui est plus vieux, mais encore d’usage : « intersexualité ».

Parmi les 17 différents types, les deux plus répandus sont l’hyperplasie surrénalienne congénitale, lorsque les glandes surrénales sécrètent une quantité d’androgène supérieure à la normale, ce qui peut avoir un effet masculinisant chez les fœtus de sexe féminin. Le deuxième type le plus répandu est le syndrome d’insensibilité aux androgènes, lorsque le corps présente des chromosomes XY, mais que les testicules, plutôt que de simplement produire de la testostérone, convertissent cette testostérone en estrogène, et l’apparence de la personne est alors habituellement féminine dans la forme complète du syndrome.

Le syndrome d’insensibilité aux androgènes varie toutefois entre la forme complète, assortie d’une apparence féminine normale, et la forme partielle, comme dans le cas le plus connu dans le monde, celui de Caster Semenya. Caster Semenya n’est pas canadienne, mais les conditions qui lui ont été imposées récemment s’appliqueront aux athlètes canadiennes comme elles dans le sport d’élite canadien, et ces conditions comprennent l’ablation forcée des gonades ou un traitement de suppression hormonale. Nous avons déjà entendu parler de risques associés à ces pratiques.

La fédération internationale d’athlétisme amateur a déjà reconnu le caractère discriminatoire de sa décision visant ces athlètes d’élite, mais elle affirme qu’elle n’a pas d’autre moyen de protéger les femmes normales et naturellement inférieures contre des hommes qui se feraient autrement passer pour des femmes dans leurs sports. C’est sexiste à tous les niveaux, et c’est du tout au tout une violation des droits de la personne.

Parmi les personnes intersexuées, c’est le groupe des personnes atteintes du syndrome d’insensibilité aux androgènes qui subissent à ce jour l’ablation routinière des testicules le plus tôt possible pendant l’enfance, voire la petite enfance. Des hôpitaux canadiens sont maintenant plus disposés à préserver les gonades, tandis que d’autres recommandent encore leur ablation lorsqu’on diagnostique le syndrome. Il s’agit davantage de pratiques locales que d’une norme unifiée de soins qui respecte le corps des personnes concernées.

Kyle Knight, un chercheur principal à Human rights Watch aux États-Unis, explique ainsi ce qu’il en est :

L’ablation des gonades peut correspondre à une stérilisation sans le consentement du patient, qui doit ensuite suivre un traitement hormonal substitutif toute sa vie.

L’ablation des gonades constitue non seulement une stérilisation, mais elle menace aussi la santé des os des nourrissons et des enfants en croissance, ce qui les rend susceptibles de souffrir d’ostéoporose grave à un jeune âge et les force simultanément à suivre un traitement hormonal substitutif, qui augmente le risque de développer un certain nombre de cancers tout au long de leur vie.

Au Canada, le Code criminel interdit actuellement, au paragraphe 268(3), la mutilation génitale féminine, mais il autorise en même temps et de manière explicite cette chirurgie nuisible ainsi que les procédures connexes qui changent l’apparence et le fonctionnement du corps, notamment l’ablation du clitoris et du tissu vulvaire de même que la modification de l’apparence et du fonctionnement d’un petit pénis ou du pénis des personnes atteintes d’hypospadias. Les procédures comprennent aussi l’ablation des testicules chez les hommes atteints du syndrome de Klinefelter et leur remplacement par des prothèses plus grandes qui n’ont pas la moindre fonction biologique.

C’est particulièrement préoccupant au sein des populations autochtones dans le Nord du Québec et au Labrador où il y a des poches de personnes atteintes du syndrome d’insensibilité aux androgènes, et où des jeunes de collectivités qui ne sont accessibles que par voie aérienne subissent des interventions chirurgicales paternalistes et invasives.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons demandé à maintes reprises l’abrogation de cet article nuisible du Code criminel, un article unique dans le code parce qu’il protège des personnes qui commettent ouvertement ces actes violents et ces violations des droits des enfants. Notre plus récente communication à ce sujet, « 65 Reasons », énumère carrément 65 raisons pour lesquelles la loi devrait changer. Nous l’avons fait parvenir au ministre David Lametti, à la ministre Ginette Petitpas et à M. Randy Boissonneault, mais mis à part les quelques instants que vous nous accordez maintenant, nous n’avons pas reçu de réponse par rapport à notre position ni rien qui indique que les personnes intersexuées obtiendront notre droit le plus fondamental, soit le droit à la protection de notre corps, de notre sexualité et de notre autonomie reproductive. Il faut dire que nous n’espérons pas voir de notre vivant une reconnaissance des torts causés ni des excuses pour nos droits bafoués, nos corps mutilés et nos voix écartées.

J’espère que cette séance avec vous aujourd’hui contribuera à ce que la priorité soit rapidement accordée à la correction de ce terrible pan de notre histoire, à la modification du Code criminel de manière à protéger à l’avenir, comme pour le reste de la population, les personnes intersexuées contre la mutilation de leur corps.

Lorsqu’il a présenté ses excuses à la communauté LGBTQ2 au mois d’octobre 2018, notre premier ministre a reconnu qu’il reste du travail à faire pour redresser les torts causés aux personnes intersexuées au Canada. Nous vous demandons de passer à l’action pour mettre fin aux préjudices.

Julie Harris, présidente et directrice, Contentworks Inc. : Merci beaucoup de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui. Je m’appelle Julie Harris. Je travaille comme historienne publique depuis 1984 et je me penche sur l’histoire inuite depuis 2008. La sénatrice Boyer m’a demandé plus tôt cette année d’examiner le thème général de l’histoire de la stérilisation de femmes inuites dans le Nord, et j’ai terminé une ébauche de document de recherche que je dois modifier un peu.

Le document énonce certains des éléments de preuve les plus pertinents provenant des archives, surtout des documents de Bibliothèques et Archives Canada, mais je crois honnêtement qu’un plus grand nombre de renseignements utiles seront trouvés en interrogeant des femmes qui ont subi des procédures ainsi que des professionnels de la santé qui les ont pratiquées et qui étaient présents.

Mon travail pour la sénatrice Boyer et mon témoignage d’aujourd’hui s’appuient sur des études antérieures effectuées par Karen Stote et d’autres personnes. J’aimerais également saisir l’occasion pour montrer les liens entre la stérilisation de femmes inuites et le travail en cours de la commission de vérité Qikiqtani, la QTC, qui est dirigée par des Inuits et qui relève de l’association inuite Qikiqtani, la QIA.

La QTC est un rare exemple d’enquête exhaustive sur la justice sociale qui est dirigée et financée par des organisations inuites. Elle a terminé la majorité de son travail en 2010-2011. Pendant des années, le gouvernement du Canada a rejeté les demandes inuites pour la tenue d’une enquête publique sur les pratiques coloniales, y compris les déplacements forcés et l’abattage de qimmit, des chiens de traîneau, qui ont radicalement transformé la patrie des Inuits et les modes de vie traditionnels, surtout pendant la période de 1950 à 1975. Toutefois, plutôt que d’enquêter, le gouvernement de l’époque et les gouvernements subséquents ont demandé à la GRC d’examiner les allégations et de faire rapport au Parlement. La QIA et la Société Makivik, son pendant québécois, ont été profondément déçues de l’approche du gouvernement et du rapport de la GRC qui contredisait et rejetait les témoignages d’Inuits sur ce qu’ils avaient vécu pour plutôt favoriser les comptes rendus oraux d’agents de police.

Pour ces raisons, la QIA a mis sur pied une commission indépendante de la vérité pour déterminer elle-même ce qui s’est produit. Pendant son mandat de trois ans, elle a amassé une série de documents historiques fiables qu’elle a passés en revue, et elle a interrogé environ 350 témoins sous la direction du commissaire James Igloliorte et de Madeleine Redfern dans le cadre d’audiences publiques pour découvrir la vérité sur cette période de profonds changements économiques.

Je veux revenir aux parallèles que je vois entre les éléments de preuve sur la stérilisation de femmes inuites et les constatations de la QTC. La QTC a constaté que le gouvernement a failli à ses obligations à l’égard des Inuits. L’incohérence bureaucratique, l’ignorance et la parcimonie ont perpétué des pratiques coloniales inappropriées sur le plan culturel, géographique et financier. On a coupé les coins ronds dans la mesure du possible. Des bureaucrates ont changé sans cesse les règles et les procédures selon leurs caprices; un membre du personnel utilisait un formulaire un jour et décidait de ne pas en utiliser le jour suivant. Personne ne faisait de suivi. Peu d’interprètes étaient formés, et encore moins d’interprètes ont trouvé un véritable emploi pendant une longue période de temps.

Le gouvernement et ses institutions, y compris les services médicaux, se sont servis du Nord comme laboratoire et lieu de formation. Les archives que j’ai examinées laissent croire que des étudiants en médecine des cycles supérieurs ont stérilisé des gens sans supervision et qu’il est possible qu’ils aient saisi cette occasion de s’exercer pour faire avancer ensuite leur carrière dans le Sud.

Toute la question du consentement éclairé ne se limite pas aux soins de santé prodigués pendant cette période. Les Inuits ne pouvaient pas communiquer avec les décideurs, et ils ne pouvaient presque pas se prononcer sur les processus et les politiques qu’on leur imposait. Ils ont constaté que leurs moyens de résistance leur étaient parfois nuisibles. L’un des moyens employés pour résister était d’éviter les services de santé lorsqu’ils en avaient besoin, car ils avaient peur, avec raison, de la possibilité d’une évacuation et de ne plus jamais revoir leur famille. C’est difficile pour moi.

Je vais ajouter que la culture et les modes de vie des Inuits formaient un tout avant que le gouvernement s’ingère dans le Nord en recourant à des lois, à des politiques et à une administration coloniales ainsi qu’à des pratiques culturelles fragmentées en matière d’adoption, de responsabilités parentales, de mariages et de naissances. Les femmes capables d’avoir de nombreux enfants — comme au Québec et au Nouveau-Brunswick — étaient célébrées; elles n’étaient pas couvertes de honte ou prises en pitié.

Quand j’ai lu les documents d’archives, l’une des choses m’ayant le plus étonnée, c’est la grande quantité de documents et de temps consacrés aux formulaires de consentement. Les documents historiques des années 1970 m’ont confirmé — surtout après les articles et les émissions de CBC — que ce qui comptait vraiment, ce n’était pas les formulaires de consentement et les discussions connexes. Cela n’avait effectivement rien à voir avec le consentement; c’était vraiment des façons pour le gouvernement d’éviter d’être tenu responsable de gestes inappropriés.

Les médecins à l’époque savaient, tout comme ils le savent actuellement, que le consentement repose sur une relation étroite entre le médecin et le patient, qui repose véritablement sur une compréhension orale de ce qui arrive à partir du moment où une option est présentée jusqu’au moment où il est trop tard pour arrêter.

Enfin, je vais mentionner le refus du gouvernement et des Canadiens d’écouter les conseils prodigués — comme dans le cas notoire du Dr Bryce et des pensionnats en 1907 — afin que les injustices et la façon dont elles se poursuivaient soient examinées attentivement dans le but de prendre des mesures pour l’avenir. Cela fait partie intégrante de la pratique de la stérilisation forcée.

Je tiens à vous remercier de cette occasion de prendre la parole. Je suis très honorée de faire partie de ce groupe de témoins. Merci.

Josephine Etowa, professeure, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci de l’invitation à participer à l’importante discussion d’aujourd’hui. Je suis professeure de sciences infirmières et titulaire de la chaire de recherche Loyer-DaSilva en services infirmiers de santé publique à l’Université d’Ottawa. Je travaille dans le système de santé canadien depuis 20 ans, une période pendant laquelle je me suis penchée sur les problèmes de santé des personnes d’ascendance africaine dans mes différentes fonctions, dont celles de clinicienne de première ligne et de chercheuse, y compris en travaillant avec Mme Bernard.

Je vais passer directement à certaines des questions à l’étude. La pratique de la stérilisation forcée a été documentée au Canada, comme l’ont souligné d’autres témoins aujourd’hui. En Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, des universitaires autochtones ont effectivement documenté l’existence de cette pratique auprès d’Autochtones. Ils ont mis au jour les nombreuses facettes de la question au sein de cette communauté.

Aujourd’hui, j’aimerais apporter ma contribution à cette discussion en parlant des femmes d’ascendance africaine. C’est une question qui a fait surface dans nos travaux de recherche, mais nous l’avons généralement considérée comme l’évidence que nous n’avons pas réussi à aborder. La stérilisation forcée est la question qui revient sans cesse dans de nombreuses discussions de femmes noires canadiennes.

Pour moi, la question a fait surface au début des années 2000, plus précisément en 2002, pendant la mise en œuvre d’un projet d’étude triennal financé par les Instituts de recherche en santé du Canada et surnommé « Black Women on the Margins », c’est‑à‑dire « les femmes noires vivant en marge de la société ». Le projet portait sur l’état de santé des femmes afro-canadiennes du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, soit la région de Digby, Weymouth, Shelburne et Yarmouth.

L’étude visait à évaluer la situation des Canadiens d’origine africaine vivant dans les régions rurales et éloignées de la Nouvelle-Écosse relativement à leur état de santé, à la prestation des soins et à leur utilisation des services de santé. On souhaitait ainsi déterminer l’impact des barrières socioéconomiques, culturelles et politiques à l’accès aux soins et à une vie saine. On voulait aussi donner aux gens de race noire les moyens de collaborer aux efforts de recherche en santé dans cette région.

Lorsque l’équipe se réunissait régulièrement pour analyser les données issues de l’étude, nous avons été étonnés d’apprendre que l’hystérectomie revenait sans cesse sur le tapis lors des entretiens en profondeur menés auprès de 237 femmes. L’hystérectomie était chose courante. Nous avons aussi entendu des intervenantes communautaires dans le cadre de cette étude. Elles ont commencé à nous raconter leur propre histoire. Nous n’arrivions pas à comprendre qu’il puisse y avoir autant d’hystérectomies. On nous a raconté qu’à toutes les fois qu’une femme, surtout si elle a la peau foncée, consulte son médecin, même si elle est au début de la vingtaine, l’hystérectomie faisait toujours partie des solutions proposées à son problème de santé. Nous avons tenté d’aller au fond des choses pour savoir de quoi il en retournait exactement.

Je supervisais le travail de Louise Adongo à titre d’étudiante de troisième cycle. Elle a décidé d’approfondir l’étude de ce phénomène dans le cadre de sa thèse pour l’obtention d’une maîtrise en recherche appliquée sur les services de santé. À partir des dossiers de santé, elle voulait établir une carte par code postal indiquant les différents résultats en matière de santé pour les Néo-Écossaises d’origine africaine en établissant un lien avec d’autres circonstances néfastes pour les communautés noires de la province, comme l’emplacement des sites d’enfouissement et d’autres facteurs sociaux. La localisation des sites d’enfouissement est un autre problème qui a été mis au jour par cette recherche.

Malgré tous les efforts déployés, les autorités responsables de l’éthique n’ont jamais voulu approuver cette proposition. On nous a indiqué à ce moment-là que les données disponibles n’incluaient aucun identifiant racial ou ethnique et que la réalisation de projets semblables risquait de permettre de retracer des professionnels de la santé et même des patients. Nous n’avons donc pas obtenu l’approbation requise. Cette étudiante a ainsi été forcée d’abandonner son projet de thèse original. Elle a plutôt mené une étude qualitative sur les expériences vécues par sept femmes noires ayant subi une hystérectomie pour des problèmes de santé ne mettant pas leur vie en danger dans la municipalité régionale de Halifax à cette époque. Il s’agissait en fait de problèmes de fibromes, de douleurs intenses et de ménométrorragie.

Dans le cadre de cette étude, Louise Adongo a constaté que le contexte socioculturel dans lequel vivaient ces femmes noires avait une incidence considérable sur la manière dont elles avaient vécu leur hystérectomie. Les femmes ne comprenaient pas vraiment pourquoi on avait pratiqué une telle intervention. Madame Adongo a recommandé une étude plus approfondie sur les facteurs non cliniques influant sur la façon dont les professionnels de la santé conseillent les femmes relativement à l’hystérectomie.

Par le passé, la stérilisation forcée a toujours été associée à des motivations politiques et à des intérêts économiques à l’intérieur de ce cadre général de racisme structurel, comme nous avons pu l’entendre encore aujourd’hui. Même si elle fait partie des cinq chirurgies les plus fréquemment pratiquées au Canada, l’hystérectomie est l’une de celles dont on parle le moins. Selon les données de l’Institut canadien d’information sur la santé, plus de 40 000 Canadiennes ont subi une hystérectomie en 2012 et 2013.

En 2014, le Toronto Star a publié un article indiquant qu’il y avait tout lieu de s’inquiéter du haut taux d’hystérectomie au Canada. On y racontait l’histoire de Mercy Okalowe, une consultante en relations publiques de race noire âgée de 26 ans qui a refusé de suivre les conseils des professionnels de la santé qui voulaient lui faire subir une hystérectomie pour le traitement de fibromes. Elle a eu recours à d’autres mesures qui lui ont permis de se débarrasser de ce problème de santé en conservant son utérus intact.

Contrairement à ce qui est arrivé dans le cas de Mercy, bon nombre des femmes ayant participé à notre projet On the Margins et à l’étude de thèse de Mme Adongo ne se sentaient pas capables de s’affirmer suffisamment pour aller à l’encontre des conseils de leurs professionnels de la santé. Nous avons notamment pu constater qu’elles avaient un accès limité aux informations et aux autres ressources nécessaires pour pouvoir contester les conseils et les décisions de leurs pourvoyeurs de soins. Ces femmes ont même peur de défendre leur propre cause. Elles ne veulent pas faire de vagues du fait qu’on les considère déjà comme des personnes qui vivent de l’aide sociale et qui ont des problèmes, sans compter tous les autres stéréotypes associés au fait d’être de race noire et d’être une femme.

La stérilisation forcée demeure donc, surtout dans les secteurs ruraux de provinces comme la Nouvelle-Écosse, un problème manifeste auquel les gens craignent de s’attaquer.

La question est revenue récemment sur le tapis lors de la séance de consultation tenue par la Health Association of African Canadians qui souhaite ajouter un volet féminin à son programme de fraternisation entre les personnes de race noire.

Cette organisation actuellement dirigée par Sharon Davis-Murdoch envisage la possibilité de mobiliser des ressources afin de faire enquête sur les taux élevés d’hystérectomie parmi les femmes noires de la Nouvelle-Écosse dans le contexte plus large des déterminants sociaux de la santé.

Bien que les Néo-Écossais d’origine africaine n’aient pas tous les mêmes racines, ils partagent une histoire commune; une histoire façonnée par un héritage d’esclavage et de marginalisation sociale. Ces différentes formes de racisme structurel, de discrimination, d’injustice et d’exclusion perdurent encore aujourd’hui en Nouvelle-Écosse. Cette exposition permanente au racisme a des répercussions considérables sur la santé et le bien-être des Canadiens d’origine africaine. Nous savons que les iniquités en matière de santé et d’accès aux soins sont liées aux disparités quant à la situation socioéconomique, culturelle et politique d’une personne.

La présidente : Madame Etowa, je suis vraiment désolée de devoir vous interrompre, mais vous avez déjà dépassé le temps alloué. Je ne sais pas si vous pourriez résumer très brièvement vos conclusions de telle sorte qu’elles figurent au compte rendu. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

Mme Etowa : J’allais vous lire le commentaire de l’une des participantes concernant la pauvreté, mais je vais passer directement aux conclusions.

En résumé, le débat actuel au sujet de la stérilisation forcée doit comprendre un examen critique des problèmes qui se posent pour les femmes d’origine africaine, surtout dans le Canada atlantique où aucune étude semblable n’a jamais été menée, et où le sujet est encore trop délicat pour être traité. J’aborderais par ailleurs cet enjeu dans l’optique multidimensionnelle dont mes collègues ont parlé, car il est impossible de discuter de cette problématique sans prendre également en considération tous les autres problèmes d’oppression qui influent sur la prise de décisions et l’information accessible à ces femmes pour pouvoir composer avec la situation.

En terminant, je dirais que l’hystérectomie peut être la meilleure solution à certains problèmes de santé, mais que d’autres mesures doivent toujours être envisagées. Je vous remercie.

La présidente : Merci. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.

Comme trois sénateurs se sont joints à nous en cours de route, je leur demanderais de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Ataullahjan : Sénatrice Salma Ataullahjan de Toronto (Ontario).

Le sénateur Ngo : Sénateur Thanh Hai Ngo de l’Ontario.

La sénatrice Pate : Kim Pate, Ontario.

La présidente : Merci. Nous passons maintenant aux questions.

La sénatrice Ataullahjan : Merci à tous de votre comparution et des exposés que vous nous avez présentés ce matin. Alors que je participais samedi à une activité sociale, j’ai soulevé la question de la stérilisation forcée. Personne ne croyait que c’est une pratique qui a encore cours aujourd’hui. J’ai été étonnée de constater que la vaste majorité des Canadiens ignorent qu’il s’agit d’un problème que nous devons régler.

Madame Holmes, vous avez dit quelque chose qui a vraiment retenu mon attention. Vous demandez l’aide du gouvernement pour mettre fin aux torts qui sont causés. Quel rôle le gouvernement fédéral a-t-il joué jusqu’à maintenant? A-t-il donné suite à vos préoccupations? C’est un problème qui perdure. Quel rôle voudriez-vous voir le gouvernement fédéral jouer?

Mme Holmes : Merci pour la question, madame la sénatrice. Le gouvernement fédéral a bien réagi en montrant que c’est une question qu’il avait à cœur et en parlant, comme je l’indiquais, des personnes intersexuées dans le hansard lorsque des excuses ont été présentées. Depuis lors, l’intérêt s’est toutefois estompé et nous sommes laissés pour compte.

Nous ne formons pas un groupe visible; nous passons inaperçus au milieu de vous. Pour cette même raison, il est très facile de passer cette problématique sous silence. Je collabore à des travaux menés par le Centre de génomique et politiques de l’Université McGill au moyen d’une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Nous réclamons l’abrogation de cette disposition du Code criminel, la mesure la plus importante qui pourrait être prise à mes yeux, mais nous craignons aussi que l’on aille encore plus loin que la stérilisation de personnes intersexuées pour sombrer dans l’élimination eugénique à grande échelle de ces personnes pouvant être identifiées avant la naissance. Selon nos estimations préliminaires, la grossesse est interrompue dans 80 à 90 p. 100 des cas où l’on détecte une hépatite chronique active, un syndrome d’insensibilité aux androgènes, un syndrome de Klinefelter ou un syndrome de Turner. Il ne s’agit pas de problèmes de santé justifiant une intervention semblable. Ces grossesses sont interrompues pour se conformer à certaines normes sociales et pour apaiser la détresse des parents face à la possibilité d’avoir un enfant atypique. De tels agissements ne doivent pas passer sous silence.

Certains s’opposent à l’abrogation du paragraphe 268(3) du Code criminel en soutenant que l’on enfreindrait ainsi le droit à la vie privée des familles et le droit des parents de prendre des décisions. Notre réponse à ces critiques est la même que celle des autres intervenants sur la scène mondiale, de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies dans son rapport sur la torture jusqu’au rapporteur indépendant sur les droits de la personne en passant par les différentes organisations planétaires. Nous leur disons que ces droits parentaux sont d’ores et déjà bafoués. Le corps médical agit de telle sorte que les parents ont peur, se sentent obligés de donner leur consentement par procuration, arrivent difficilement à maintenir de bonnes relations avec leurs enfants et sont privés de la possibilité de faire des choix plus sains pendant une période si prolongée que l’enfant en vient à accéder à l’autonomie et à pouvoir lui-même donner son consentement.

L’abrogation de cette disposition aurait donc pour effet de protéger les familles, plutôt que de leur causer des préjudices. Merci.

La sénatrice Cordy : Je veux remercier la sénatrice Boyer d’avoir porté cette question à l’attention du Sénat et de notre comité. Je faisais partie de ceux qui croyaient que c’était une pratique en usage dans les années 1960 et 1970, mais des témoins nous ont dit que cela se poursuivait encore aujourd’hui. Merci de nous avoir parlé de ces études que vous menez et de ces personnes auprès desquelles vous travaillez.

Madame Harris, vous nous avez indiqué que personne ne tenait un registre des stérilisations effectuées dans les années 1960 et 1970. Compilons-nous des données sur les stérilisations forcées pratiquées en 2019?

Cela m’amène à ma question pour Mme Etowa. Comme je suis moi-même de la Nouvelle-Écosse, l’étude que vous menez m’intéresse au premier chef. Notre présidente a parlé d’îlots de populations noires dans des secteurs où une forte proportion des femmes noires ont subi une hystérectomie. Lorsque ces études ont été menées, vous avez pu parler à ces femmes et j’aimerais savoir si elles auraient répondu par l’affirmative ou la négative si on leur avait demandé si elles ont subi une stérilisation forcée. Est-ce seulement en parlant à d’autres femmes de la communauté qu’elles se sont rendu compte qu’un grand nombre d’entre elles ont été stérilisées en subissant une hystérectomie?

Mme Etowa : Lorsque nous avons terminé cette étude au milieu des années 2000, les femmes ne parlaient pas de « stérilisation forcée ». Elles indiquaient simplement qu’elles avaient subi une hystérectomie et qu’on leur avait enlevé l’utérus. Elles ne se demandaient pas nécessairement pourquoi elles étaient si nombreuses à avoir subi une intervention semblable. Si l’on regarde comment les choses se passent dans notre communauté, les femmes à la peau plus foncée comptent pour une bonne part de celles qui ont été touchées. Même parmi les femmes noires, celles qui ont la peau plus pâle risquent moins de se faire recommander cette solution. Les femmes à la peau plus foncée étaient donc davantage ciblées, mais ne parlaient pas pour autant de stérilisation forcée.

Compile-t-on actuellement des données à ce sujet? Les hystérectomies sont généralement consignées dans les dossiers médicaux. Ceux-ci renferment-ils des variables permettant de déterminer l’appartenance raciale? Je pense que ce n’est toujours pas le cas en Nouvelle-Écosse. Nous essayons encore d’obtenir des données sur la race, et ce, même en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Cordy : Madame Harris, est-ce que vous observez un peu la même chose? Je sais que vous travaillez davantage dans une perspective historique.

Mme Harris : Je m’intéresse effectivement à l’aspect historique. Il faudrait que je vérifie, mais je peux vous dire que le Canada ne conserve pas de statistiques détaillées de qualité sur les différentes mesures de contrôle des naissances. C’est ce que je peux vous indiquer de mémoire, mais peut-être qu’un des témoins ici présents ou un de ceux qui suivront pourrait mieux vous répondre à ce sujet.

La sénatrice Cordy : D’après ce que vous nous avez dit, madame Etowa, si ces femmes ne savaient pas qu’il s’agissait de stérilisation forcée, elles ne se seraient pas retrouvées sur la liste de toute manière. Faut-il ainsi comprendre que les chiffres indiqués sont nettement inférieurs à la réalité?

Mme Etowa : Je l’imagine, car ces femmes ne parlaient pas de stérilisation forcée. Elles savaient seulement qu’elles avaient subi une hystérectomie.

La sénatrice Cordy : Madame Brayton, je dois vous dire d’abord et avant tout que je ne sais pas ce qu’est le Depo-Provera. Je suppose que c’est un moyen de contrôle des naissances, mais pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit exactement?

Mme Brayton : Je ne pourrais pas vous l’expliquer en détail, car je ne suis pas pharmacologue, mais c’est effectivement utilisé pour la contraception. De nombreuses questions se posent concernant le recours au Depo-Provera, et tout particulièrement son utilisation forcée dans le contexte qui nous intéresse. Il y a de nombreuses indications en ce sens. Votre gynécologue ne va pas normalement vous prescrire le Depo-Provera; c’est un médicament généralement utilisé dans des circonstances très précises.

Encore là, ce sont des femmes se trouvant en détention, dans des institutions ou ayant perdu en grande partie leur autonomie corporelle, si je puis m’exprimer ainsi, que l’on force à la stérilisation par un autre moyen. Ce sont les effets à long terme du Depo-Provera qui causent des inquiétudes.

La sénatrice Cordy : Dans vos recommandations, vous avez indiqué qu’il fallait appuyer les femmes et les filles vivant avec un handicap en les aidant notamment à défendre leurs propres intérêts. Lorsqu’une femme handicapée consulte son médecin ou se rend à l’hôpital, est-ce que quelqu’un est là pour défendre ses droits, ou doit-elle prendre elle-même les arrangements nécessaires pour se faire accompagner?

Mme Brayton : Je me réjouis que vous souleviez la question. Je pense qu’il serait bon que le comité s’intéresse au travail accompli par l’Association canadienne pour l’intégration communautaire et l’organisme Personnes d’abord du Canada relativement à la capacité juridique.

C’est en effet la capacité juridique qui importe pour les femmes ayant un handicap intellectuel. Si je vous ai parlé de l’arrêt Eve, c’est parce que c’est un exemple très probant d’une situation où l’on a privé une personne ayant une déficience intellectuelle de sa capacité juridique. Je vous dirais que pour les femmes et les filles ayant un handicap intellectuel tout particulièrement — et j’inclurais toutes les femmes et les filles handicapées — le fait qu’on les considère comme des être asexuels a considérablement miné leur possibilité d’accès à l’information nécessaire au sujet de leurs droits en matière de sexualité et de reproduction.

Si l’occasion se présente un peu plus tard, j’aimerais parler d’une approche prometteuse qui est adoptée non pas au Canada mais à l’échelle internationale pour la prise en compte des droits associés à la sexualité et à la reproduction dans un cadre intersectionnel applicable à l’ensemble des femmes et des filles. C’est ce qui manque jusqu’à maintenant dans toute la gamme de témoignages que vous avez pu entendre. Comme tout le monde l’a déjà signalé, on ne comprend pas parfaitement qui est touché par la stérilisation forcée, et ce, même parmi ceux qui s’emploient à défendre les droits en matière de sexualité et de reproduction.

La sénatrice Cordy : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question sera en français et s’adressera à Mme Holmes.

Je vous remercie de nous éclairer relativement à la discrimination à laquelle font face les personnes intersexes. Je crois que la population canadienne n’est pas au courant, car cette population n’est pas visible.

J’ai sous les yeux l’article 268(3) du Code criminel et, sans le lire au complet, je vois qu’on permet des opérations sur l’apparence sexuelle, et on y dit aussi qu’un acte est acceptable dans le cas où une personne est âgée d’au moins 18 ans et que cet acte ne comporte pas de lésions corporelles.

Avons-nous des données au Canada qui nous permettent de déterminer les principales raisons de ces opérations? Ma sous‑question est la suivante : puisque vous êtes une population non visible, quel est le soutien psychologique entourant la réalité des personnes intersexes? De plus, depuis combien de temps demandez-vous au gouvernement fédéral actuel de modifier le Code criminel?

Mme Holmes : Je vous remercie de votre question; je vais répondre en anglais, parce que c’est plus facile pour moi.

[Traduction]

Si je comprends bien, vous demandez comment on en est arrivé à cette loi et ce qui a justifié la mise au point de telles interventions et procédures?

Le sénateur Cormier : Lorsqu’on regarde le paragraphe 268(3), les motifs indiqués pour permettre ces interventions...

Mme Holmes : D’où elles tirent leur origine?

Le sénateur Cormier : Avons-nous des données à ce sujet? Savons-nous quel genre d’interventions sont pratiquées?

Mme Holmes : C’est une excellente question. Je bénéficie actuellement d’une subvention pour mener des recherches afin de trouver ces chiffres-là. Je veux seulement pouvoir prendre connaissance de la version caviardée, sans aucune donnée permettant l’identification, des notes de congé. Depuis 25 ans, des hôpitaux et des chirurgiens nous disent qu’ils le faisaient auparavant, mais qu’ils ne le font plus. Pendant ce temps-là, des générations de jeunes femmes se succèdent à nos portes pour nous indiquer que cela vient de leur arriver.

Le week-end dernier, j’essayais d’aider une jeune femme de 17 ans qui lutte depuis 8 ans pour conserver ses testicules. L’hôpital où le diagnostic a été posé a recommandé sur-le-champ une ablation des testicules, mais ses parents l’ont sortie de là pour l’emmener dans un autre centre de santé où le personnel clinique venait de subir une importante transformation. L’approche était plus subtile, mais des pressions continuaient de s’exercer. C’est un problème qui perdure.

S’ils prétendent ne plus pratiquer de telles interventions, pourquoi continuons-nous d’accueillir sans cesse des femmes qui indiquent en avoir subi une? Nous n’avons pas de données fiables. Nos régimes provinciaux de soins de santé ne prévoient pas de code de facturation permettant un tel suivi. Il y en a pourtant un dans le cas d’une chirurgie pour un hypospadias. C’est la seule intervention pour laquelle nous avons un code de facturation. Personne ne facture pour une clitorectomie, une ablation des testicules ou une résection du côlon pour la création d’un nouveau vagin chez un bébé. On procède d’une autre manière.

Je voulais tous les dossiers des patients ayant reçu leur congé de l’hôpital d’un département d’urologie ou de gynécologie d’un hôpital de recherche. C’est toujours la même justification, on dit que ce pourrait être dangereux pour les chirurgiens. J’ai soumis la question au commissariat à la protection de la vie privée de la province, et on m’a dit que ce n’était pas d’intérêt public. Ma demande d’accès à l’information a été refusée. Les fonctionnaires de Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada sont frustrés. Ils veulent eux aussi avoir accès à ces chiffres.

Pour revenir à la question précédente du sénateur, est-ce que cela intéresse quelqu’un? Oui, mais y a-t-il une volonté de faire quelque chose? C’est difficile à dire. C’est la première fois, ici dans cette pièce, que je sens une véritable volonté en ce sens.

Vous avez posé un genre de question secondaire sur la façon dont cette loi a été créée. C’est vraiment problématique. Personne ne sait exactement quand cette disposition est entrée dans le code. Les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont essayé de trouver l’information pour moi, en vain. Nous savons que cette disposition est apparue à la fin des années 1990, à peu près en même temps qu’elle a fait son apparition dans la loi fédérale américaine, qui avait été proposée par un représentant du Colorado au Congrès en 1997. C’est donc à peu près en même temps.

Le problème, c’est qu’on a créé ces dispositions sur les mutilations génitales féminines et que les associations médicales ont protesté en disant que nous ne pouvions pas adopter de loi là‑dessus parce que les médecins seraient jetés en prison et que ce n’était pas possible.

C’est une loi unique en son genre, comme je l’ai déjà dit, puisqu’elle protège la personne qui commet le crime, plutôt que la victime. C’est la justification. D’après mon interprétation — et je m’y connais un peu en matière de délits — chaque intervention médicale serait techniquement une agression. Habituellement, sauf dans ce genre de circonstances, nous devons avoir une conversation rationnelle à la lumière de la décision Reibl c. Hughes et montrer que nous sommes aptes à comprendre les conséquences de tout cela, à soupeser les risques et à prendre des décisions pour nous-mêmes, mais ce droit est refusé aux nourrissons et aux enfants intersexués.

La sénatrice Boyer : Je vous remercie d’être toutes ici aujourd’hui pour nous raconter vos histoires. Elles crèvent le cœur, et je suis consciente qu’elles ne nous donnent qu’une petite idée de toute l’ouverture nécessaire. Je souhaite reconnaître que les personnes qui nous regardent se disent la même chose.

J’ai une question générale à vous poser, et j’aimerais que vous y répondiez toutes chacune votre tour. Si le comité décidait d’étudier la question plus en profondeur, quels aspects devrions‑nous examiner? Est-il important d’entendre des personnes qui ont été directement touchées par le problème? J’aimerais que vous m’en parliez un peu. Y a-t-il des lacunes dans la littérature actuelle desquelles nous devrions être conscients?

Mme Harris : Je réfléchis à cette question du point de vue des femmes autochtones et des incidences de tout cela sur elles. Si l’on élargissait un peu la question, ma réponse serait un peu différente.

L’un des grands avantages de la Commission de vérité Qikiqtani, c’est que c’était un projet dirigé par des Autochtones. Les gens se sentaient à l’aise de parler. C’est absolument essentiel, à mon avis, pour entendre et recueillir le témoignage des personnes touchées. L’un des témoignages les plus percutants que nous avons entendus pendant cette commission, c’est celui d’un ancien travailleur social qui a parlé très ouvertement de ce qu’il a fait et de ce qu’il y changerait aujourd’hui.

De plus, tous les récits personnels que nous y avons entendus étaient tellement importants et relevaient de l’histoire orale. Je serais portée à vous dire qu’il y a encore des lacunes à cet égard, mais je remets beaucoup en question les préjugés que j’avais en entendant les témoins d’aujourd’hui.

Mme Brayton : Je dois dire qu’il y a une chose à laquelle j’ai l’impression de ne pas avoir consacré de temps du tout, mais je suis contente de voir que d’autres témoins l’ont creusée un peu. Je parle du fait que beaucoup de femmes handicapées physiquement se font vivement déconseiller de porter des enfants et de devenir mères. Ce n’est peut-être pas une forme de stérilisation forcée, mais le résultat est le même. Pour ma part, après mon deuxième enfant, je me suis fait déconseiller par mon médecin d’en avoir un troisième. Il m’a plutôt conseillée de songer à me faire avorter.

Cela m’amène à une chose importante, à un concept très prometteur et récent dans l’histoire des femmes et des filles handicapées. C’est ce qu’on appelle les « principes de Nairobi ». Il y a eu une rencontre à Nairobi en octobre 2018. J’enverrai de l’information au comité sur les principes de Nairobi, qui représentent bien la situation.

Encore une fois, il s’agissait d’une conférence qui rassemblait les diverses militantes pour les droits en matière de sexualité et de reproduction, des femmes handicapées du monde entier et des femmes membres d’organisations au service des femmes. Bien sûr, c’est exactement ce dont nous avons plus besoin : nous avons besoin de voir toutes les femmes se rassembler pour faire des choix, pour énoncer clairement leurs choix et pour faire en sorte que notre corps ne soit pas envahi par les gouvernements, les législateurs et les diverses organisations d’État.

Les principes de Nairobi présentent de façon très percutante les problèmes liés aux droits en matière de sexualité et de reproduction, à l’avortement et aux handicaps. Ils sont présentés sous un angle nouveau, qui respecte l’idée d’une approche féministe interdisciplinaire, et ils montrent bien ce qui arrivera si les femmes commencent à se rassembler pour échanger sur les besoins de toutes les femmes et les examiner d’un point de vue interdisciplinaire.

De même, il est absolument essentiel d’entendre l’histoire personnelle de femmes handicapées qui ont été stérilisées, dont la femme au cœur de l’affaire Eve. Je l’ai vue à la conférence des femmes, l’an dernier, et je peux vous dire qu’il est très important de l’entendre. J’espère que vous l’inviterez. Ce pourrait être organisé par l’Association canadienne pour l’intégration communautaire.

Nous devons aussi nous pencher sur les énormes écarts qui existent dans l’accès aux droits en matière de sexualité et de reproduction et l’éducation sexuelle, particulièrement celle des femmes et des filles souffrant d’un handicap intellectuel ou cognitif, qui sont généralement celles dont les capacités juridiques sont les plus compromises. Merci.

Mme Etowa : J’appuie l’idée d’entendre l’histoire personnelle de femmes qui l’ont vécu, mais j’estime aussi important d’entendre ceux qui ont tenté d’examiner la question et qui se sont butés à toutes sortes d’embûches. Ils ont une expérience différente, ce sont des témoins uniques de la frustration de la communauté, mais ils ne peuvent rien y faire.

Pour ce qui est des lacunes, je pense qu’il faudrait étudier davantage l’expérience des femmes d’ascendance africaine au Canada, puisqu’il n’y a rien à leur sujet. La plupart des récits que nous avons entendus et que nous pouvons lire dans les études ne nous parlent pas non plus de la réalité du Canada atlantique. Nous devons donc nous pencher sur la réalité du Canada atlantique et des femmes d’ascendance africaine qui y vivent.

Je pense que c’est une question qui mérite un bon examen interdisciplinaire, parce qu’elle doit être située dans le contexte plus général de la discrimination et du racisme auxquels les femmes sont confrontées, de même que du manque d’éducation, de la pauvreté et du chômage. Ce sont autant de problèmes qui reviennent dans les récits de ces femmes. Ces facteurs nuisent à l’aptitude d’une personne de se défendre et de réclamer de meilleures options de traitement. Il faut brosser un portrait général. Merci.

Mme Holmes : Il y a un slogan qu’on entend souvent parmi les personnes handicapées : « Rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous. » C’est à ne jamais oublier.

Oui, il y a des Canadiens qui sont prêts à avoir des discussions sur leur expérience de la médicalisation et les entraves à leurs droits en matière de sexualité et de reproduction par la gestion de leur intersexualité.

J’aimerais revenir à une chose qu’a dite Mme Brayton, si je ne me trompe pas. Il y a aussi des familles qui ont eu un enfant intersexué, qui se sont fait déconseiller d’avoir d’autres enfants. C’est l’inverse de ce qui se passait dans les années 1950, où l’on s’ingérait dans la vie de l’enfant intersexué, on lui attribuait un sexe, et la famille se faisait dire de passer à autre chose et d’essayer d’avoir un autre bébé le plus vite possible pour se prouver qu’elle ne créerait pas plus de monstres. Cela a changé récemment, et on leur dit maintenant de ne pas avoir d’autres enfants parce que ce serait héréditaire. Au bout du compte, c’est surtout sur les mères qu’on exerce des pressions.

Ce n’est vraiment pas nécessaire d’entendre davantage les représentants des associations professionnelles. Les chirurgiens ont des tribunes très fortes pour nous qualifier de « colons qui se prennent pour d’autres » ou d’« hystériques » et nous discréditer de toutes les façons possibles.

Il y a quand même des chirurgiens qui ont approfondi leur réflexion et qui ont changé leur façon de faire, mais ils sont rares. De même, ils ont peur d’être discrédités par leurs propres associations professionnelles. Vous pourriez toutefois communiquer avec eux. Il vaudrait la peine que vous les entendiez. Il y a un homme que je connais qui faisait beaucoup de clitoridectomies avant. Puis il a eu une révélation et s’est demandé un jour pourquoi il faisait cela. En tant qu’homme gai qui comprenait les concepts de la répression et de l’oppression de la sexualité, il s’est demandé pourquoi il faisait cela, pour répondre à des normes corporelles et aux demandes de parents effrayés.

Donc en effet, « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ».

La présidente : Merci.

La sénatrice Pate : Je vous remercie tous du travail que vous faites et je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.

J’aimerais vous poser une question sur une autre dimension de l’interdisciplinarité, c’est-à-dire sur ce que les gens du domaine savent sur la prévalence de ce problème dans les prisons, dans les centres d’accueil pour enfants, dans les institutions psychiatriques, autant d’endroits où il y a souvent des interventions faites sans le consentement de la personne.

De même, je serais curieuse de connaître le lien entre le contrôle des naissances involontaire (c’est-à-dire la contraception imposée à des jeunes parce qu’ils sont pauvres, racialisés ou qu’ils ont des comportements jugés problématiques, par des moyens pouvant même compromettre leur intégrité physique, selon le cas) et les avortements. Croyez-vous que cela devrait faire partie de notre étude, ou devrions-nous seulement mettre l’accent sur la stérilisation?

Mme Harris : Je vous en parlerai brièvement. Avant de me joindre à la Commission de vérité Qikiqtani à titre d’historienne en résidence, j’ai planché pendant quelques années à une étude sur l’héritage des hôpitaux psychiatriques, en Ontario, qu’on appelait « les asiles pour les fous ». D’après les dossiers de ces institutions et les conversations que j’ai eues avec des personnes qui y ont été résidentes, notamment à Smiths Falls, je pense que 100 p. cent des Dénés qui sont passés par là ont subi une stérilisation. Encore une fois, il y a des documents qui en attestent, et ils méritent d’être examinés.

Mme Brayton : Je vous remercie d’avoir posé cette question. Le problème des institutions est énorme, qu’on pense aux prisons, à l’institutionnalisation des jeunes femmes handicapées parce qu’il n’y a pas de logements pour elles ou à l’institutionnalisation des personnes âgées, particulièrement des femmes âgées.

Il faut comprendre que l’un de nos plus grands défis dans la défense des droits de ces personnes, au Canada, c’est la résistance à la surveillance institutionnelle. Il faut absolument que ce gouvernement et le Canada comprennent que, comme on l’a entendu clairement aujourd’hui, nous ne sommes pas à l’abri des entraves aux droits de la personne les plus profondes. Les femmes sont constamment privées de leur autonomie corporelle. Ce n’est pas une chose du passé; comme vous l’avez entendu abondamment aujourd’hui, c’est encore vrai de nos jours.

Il faut comprendre que nous devons commencer à recueillir de l’information, que nous ne pouvons pas laisser la profession médicale nous empêcher de comprendre ce qui se passe, qu’il faut demander plus d’information sur la situation, parce que ce qui se passe dans nos institutions encore aujourd’hui est inquiétant. Nous ne protégeons pas les femmes et les filles, nous les rendons encore plus vulnérables en les mettant constamment en position de fragilité.

Je reviens à la question de la surveillance institutionnelle. Il est essentiel de nous pencher sur la situation des femmes dans les prisons et les établissements de soins de longue durée. Nous devons comprendre que ce sont les femmes parmi les plus vulnérables dans notre société. Personne ne les protège. Il y a des organisations comme la Société Elizabeth Fry, mais elles n’ont pas le pouvoir d’obtenir l’information nécessaire pour protéger les personnes dans ces circonstances. Je pense que nous devons absolument réfléchir aux mécanismes de surveillance dont nous pourrions nous doter et aux données que nous pourrions recueillir pour mieux comprendre l’ampleur du problème et la façon dont il touche les femmes et les filles handicapées au Canada.

La présidente : Est-ce que quelqu’un veut répondre à cela?

Mme Etowa : J’ajouterais que la littérature montre clairement qu’il faut nous pencher sur le système correctionnel, qui est l’un de ceux où ce genre de chose se passe. Je pense que c’est l’une des formes d’institutions qui bénéficierait le plus d’une surveillance étroite.

Mme Holmes : J’aimerais vous répondre sous deux angles différents. Le premier est celui du changement institutionnel. Parfois, il est plus facile d’adopter une politique qu’une loi ou de lancer une enquête. Le deuxième, c’est qu’il y a toute une histoire qui se perd.

Je commencerai par l’histoire qui se perd. Dans les années 1940, 1950, 1960, jusqu’à la moitié des années 1970, il était courant que les enfants atteints du syndrome de Turner 45,XO souffrant de surdité, d’anomalies cardiaques congénitales et de petite taille manifeste pendant l’enfance soient institutionnalisés. C’était la même chose de ceux atteints du syndrome de Klinefelter avec mosaïque 46,XXY ou 47, parce qu’ils présentaient des caractéristiques reconnaissables.

Les membres de ces deux groupes étaient considérés comme des déficients intellectuels, mais ces déficiences leur étaient imposées par le cadre institutionnel. Nous savons aujourd’hui, par l’observation des populations plus jeunes qui ont survécu aux examens prénataux pour une raison ou une autre qu’il n’y a pas de déficience intellectuelle associée à l’un ou l’autre de ces syndromes, mais il n’y a à peu près pas de traces de leur histoire dans la littérature clinique, alors que cela touche des centaines de personnes. Il faut le reconnaître, même s’il n’y a vraiment rien que l’on puisse faire, parce que ces personnes sont mortes depuis longtemps.

En 2011, la Children’s Aid Society of Toronto a adopté une politique qui interdit toute chirurgie modifiant le corps des enfants qui lui sont confiés et elle favorise les parents biologiques et d’accueil qui n’imposeront pas ce genre de chirurgie. C’est très important, parce que cela nous aidera à éviter des dérives comme celle de l’affaire M.C., aux États-Unis, une poursuite civile qui vient de faire l’objet d’un règlement à l’amiable par lequel l’enfant a reçu 400 000 $ en dommages pour les torts corporels qui lui ont été causés. L’enfant s’était fait attribuer le sexe féminin à la naissance, et toutes ces chirurgies lui avaient été imposées pendant qu’il était pris en charge par les services sociaux. Les travailleurs sociaux, les chirurgiens et l’État ont tous été poursuivis par ses parents adoptifs quand, pendant sa petite enfance, l’enfant s’est mis à dire qu’il était un garçon. C’est un garçon 46,XY qui ne pourra jamais retrouver ce qui lui a été enlevé. Je m’excuse, mais 400 000 $ pour un État, un hôpital, cinq chirurgiens et tous les intervenants sociaux auprès de l’enfant, ce n’est rien. Ce n’est pas très dissuasif et cela n’établit pas de précédent judiciaire qui fera jurisprudence.

Bien sûr, cela nous met en garde sur ce qui est possible et sur ce que nous devons prévenir. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. De toute évidence, nous aurions pu consacrer beaucoup plus de temps à ce groupe de témoins. Je vous remercie toutes de vos précieux témoignages de ce matin. Vous nous avez nettement aidés à mieux comprendre la portée du problème, ce qui nous orientera dans nos travaux futurs.

J’aimerais mentionner une chose pour le compte rendu. Mme Brayton a mentionné l’Association canadienne pour l’intégration communautaire. Nous sommes en communication avec les gens de cette association, qui nous enverront un mémoire cette semaine, donc nous entendrons également leur point de vue.

Le deuxième groupe que nous entendrons aujourd’hui se compose de fonctionnaires. Permettez-moi de vous présenter le Dr Tom Wong, médecin en chef de la santé publique et directeur exécutif du ministère des Services aux Autochtones Canada, ainsi qu’Abby Hoffman, sous-ministre adjointe, Direction générale de la politique stratégique à Santé Canada. Encore une fois, nous leur avons demandé de préparer chacun un exposé de cinq minutes, après quoi les sénateurs leur poseront des questions.

Docteur Wong, nous commencerons par vous.

Dr Tom Wong, médecin en chef de la santé publique et directeur exécutif, ministère des Services aux Autochtones Canada : Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui. Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à comparaître devant ce comité sur la question cruciale de la stérilisation forcée et contrainte.

J’aimerais tout d’abord souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel du peuple algonquin.

[Français]

Nous sommes tous ici parce que nous sommes troublés par les rapports qui ont fait état de la stérilisation forcée et contrainte des femmes autochtones au Canada.

C’est inacceptable.

[Traduction]

Ma collègue Abby Hoffman vous expliquera que la stérilisation forcée et contrainte constitue une grave violation des droits de la personne et de l’éthique médicale. C’est aussi une forme de violence fondée sur le sexe et la preuve du besoin plus général d’éliminer le racisme et les pratiques discriminatoires, comme nous l’avons déjà entendu.

Ces incidents, parmi d’autres, dont ceux mentionnés par la sénatrice Boyer et la Dre Judy Bartlett, nous incitent à prendre des mesures visant à assurer la sécurité culturelle et l’humilité dans les systèmes de santé, à favoriser un consentement éclairé et adapté sur le plan culturel et à éliminer les obstacles auxquels se heurtent les femmes autochtones lorsqu’elles accèdent aux services de santé au Canada.

Lutter contre le racisme présent dans les systèmes de santé est une question de réconciliation, comme l’a dit la Commission de vérité et réconciliation. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a recommandé au Canada de publier une brochure d’information à l’intention des fournisseurs de soins de santé et des patients sur le consentement préalable, libre et éclairé dans le contexte des services de santé pour les femmes autochtones. À cette fin, nous avons conclu une entente avec le Centre de collaboration nationale sur la santé des Autochtones, qui a accepté de faciliter ce travail, en partenariat avec les trois organisations nationales de femmes autochtones : l’Association des femmes autochtones du Canada, Pauktuutit Inuit Women of Canada et Les Femmes Michif Otipemisiwak. Ce travail est en cours.

Le Centre de collaboration sur la santé des Autochtones sera l’hôte d’un forum national à l’automne pour mobiliser les organisations autochtones et professionnelles, afin qu’elle prennent des mesures concertées sur la santé génésique des femmes autochtones et qu’elles élaborent des lignes directrices sur le consentement libre, préalable et éclairé concernant les procédures de stérilisation.

[Français]

Nous avons également élargi les services liés à la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être, qui est désormais disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Toute personne qui a besoin de soutien en santé mentale ou qui se trouve en situation de crise peut appeler cette ligne ou utiliser le clavardage en ligne.

[Traduction]

En janvier dernier, nous avons établi un nouveau Comité consultatif sur le bien-être des femmes autochtones composé de représentants d’organisations autochtones nationales, d’organisations de femmes autochtones, du National Aboriginal Council of Midwives, du Cercle national autochtone contre la violence familiale et de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Ce comité vise à informer les ministères sur les enjeux actuels et émergents.

Lors de la plus récente réunion, les membres du comité ont identifié la promotion de la santé sexuelle et génésique sécuritaire sur le plan culturel comme une priorité. Ils rédigent actuellement un plan d’action pour mettre en œuvre cette priorité.

Le Programme de soins de santé maternelle et infantile de Services aux Autochtones Canada propose des services communautaires de visites à domicile effectuées par des infirmières et des visiteurs familiaux auprès de plus de 8 000 femmes enceintes et familles ayant de jeunes enfants dans plus de 300 communautés des Premières Nations. Le budget de 2017 a ajouté 21 millions de dollars sur cinq ans au financement du programme qui s’élève actuellement à environ 25 millions de dollars par année.

Reconnaissant l’importance de retourner les naissances dans les communautés, le budget de 2017 a aussi prévu un investissement de 6 millions de dollars sur cinq ans pour les sages-femmes autochtones; il s’agit du tout premier investissement fédéral dans ce domaine. Les soins prodigués par des sages-femmes au sein des communautés autochtones ont été considérés comme un moyen de contribuer à améliorer la santé et le bien-être des femmes, de leurs enfants et de toute la communauté. Les sages-femmes autochtones constituent un moyen de favoriser le retour des naissances dans les communautés. Un choix éclairé est reconnu comme un principe essentiel des soins prodigués par des sages-femmes.

Le budget de 2017 prévoyait également de nouveaux investissements visant à renforcer le soutien aux mères en veillant à ce que toutes les femmes inuites et des Premières Nations aient droit à un accompagnement lorsqu’elles doivent quitter leur communauté pour accoucher, reconnaissant ainsi qu’aucune femme ne devrait avoir à accoucher seule. Nous savons que la présence d’une personne de soutien lors du travail offre de nombreux avantages à une femme en train d’accoucher, notamment en l’aidant à prendre des décisions et à défendre ses choix.

Le gouvernement du Canada s’est engagé à mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, notamment les appels 22, 23 et 24 qui portent sur l’utilisation et la reconnaissance de la valeur des pratiques de guérison des Autochtones, le maintien et l’augmentation du nombre de professionnels autochtones travaillant dans le domaine des soins de santé et la prestation d’une formation sur la lutte contre le racisme et les compétences culturelles pour tous les étudiants en médecine et en sciences infirmières.

La British Columbia First Nations Health Authority a aussi fait un travail remarquable avec la province et ses régies régionales de la santé en mettant la touche finale à une déclaration sur la sécurité en santé culturelle ainsi qu’en donnant des renseignements relatifs à la formation sur la sécurité et l’humilité culturelles dans l’ensemble du système de santé provincial. Elle est en train de développer la toute première norme de sécurité et d’humilité culturelles en partenariat avec la Health Standards Organization qui est affiliée à Agrément Canada. Nous espérons que d’autres provinces et territoires verront ces travaux comme des pratiques favorables. Services aux Autochtones Canada est un fier signataire de cette déclaration.

Nous ne pouvons pas entreprendre ce travail unilatéralement. L’Association des femmes autochtones du Canada, le Pauktuutit et Les Femmes Michif Otipemisiwak font preuve de leadership en matière de santé des femmes autochtones depuis de nombreuses années. Nous sommes encouragés par leur bon travail et leurs conseils et nous continuerons de solliciter leurs points de vue et leur soutien dans nos travaux.

Les efforts de plusieurs seront nécessaires pour nous assurer que le racisme structurel et les effets de la colonisation ne nuisent pas à la santé des femmes autochtones.

[Français]

Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions après l’intervention de Mme Hoffman. Merci.

Abby Hoffman, sous-ministre adjointe, Direction générale de la politique stratégique, Santé Canada : Merci. J’aimerais tout d’abord reconnaître que le territoire sur lequel nous nous rencontrons aujourd’hui est le territoire ancestral et non cédé de la nation algonquine.

[Traduction]

Comme M. Wong l’a mentionné, la stérilisation forcée ou contrainte est absolument une forme de violence sexiste, et nous croyons que c’est inacceptable qu’une femme puisse subir une telle pratique dans le système de santé canadien.

J’aimerais féliciter la sénatrice Boyer pour le leadership dont elle a fait preuve à l’égard de cette question et le comité pour l’étude qu’il a entreprise. Comme nous l’avons entendu des autres témoins, nous savons que le racisme et la discrimination persistent dans notre société et que les femmes sont souvent la cible de ces attitudes et des pratiques et des comportements connexes. Le système de santé n’y fait malheureusement pas exception.

Je crois comprendre que vous avez entendu des organisations de femmes autochtones plus tôt dans le cadre de votre étude qui ont exprimé leurs points de vue et leurs préoccupations à ce sujet, y compris la nécessité de sensibiliser les femmes autochtones et bien entendu les médecins au consentement éclairé. Votre premier groupe de témoins aujourd’hui a mis l’accent sur les risques que courent les autres Canadiennes.

Mes brèves observations porteront sur les données, les compétences et le consentement éclairé.

J’aimerais vous présenter quelques données. Je crois comprendre que le comité aimerait savoir quelle est l’étendue du problème et quelles sont les personnes touchées. Malheureusement, l’information et les données sur la stérilisation forcée au Canada sont limitées. Santé Canada ne recueille pas de données et ne fait pas de suivi sur la fréquence de la stérilisation forcée et les conditions dans lesquelles elle se pratique.

Cependant, à la suite d’une réunion du Comité de la santé de la Chambre des communes à la fin janvier, nous avons demandé à l’Institut canadien d’information sur la santé de fournir des données sur les ligatures des trompes effectuées partout au pays, que ces interventions soient associées à une naissance en milieu hospitalier ou non.

Comme vous le savez probablement, cet institut est la source la plus complète de données sur la santé au Canada, et il collabore avec les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour recueillir, analyser et diffuser l’information sur une vaste gamme d’enjeux liés à la santé et aux soins de santé au Canada. Il utilise les données administratives cliniques qui proviennent des provinces et des territoires. Les données de l’institut ne sont pas ventilées par origine ethnique, et elles n’indiquent pas non plus si le consentement à ces procédures a été obtenu et la façon dont il l’a été, mais les données peuvent servir de point de départ à une analyse plus poussée.

Les données de l’institut indiquent que, globalement, le taux de stérilisation a diminué régulièrement au Canada au cours des 15 dernières années. Le taux de stérilisation chez les femmes de 15 à 49 ans est passé de 50 pour 10 000 en 2004-2005 à 30 pour 10 000 en 2017-2018.

Toutefois, il y a certaines disparités intéressantes dans l’évolution de ces chiffres au pays. Par exemple, la Saskatchewan connaît encore un taux de stérilisation relativement élevé plutôt qu’une baisse progressive, comme c’est la tendance partout au pays, mais une diminution très importante a été observée depuis quatre ans. Le taux de stérilisation est passé de 67 pour 10 000 en 2010-2011 à 47 pour 10 000 en 2017-2018.

Les données de l’institut révèlent également des variations importantes d’un bout à l’autre du Canada. Des provinces et des territoires comme la Saskatchewan, Terre-Neuve, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon ont les taux globaux les plus élevés, et je vous rappelle que certains de ces territoires et de ces provinces sont relativement peu populeux. Le nombre de stérilisations effectuées au moment de l’accouchement varie également par rapport au nombre de cas où la stérilisation est la seule intervention pratiquée à l’hôpital.

Nous devons faire preuve de prudence avant de tirer des conclusions injustifiées. D’autres facteurs tels que la répartition par âge et la croissance démographique doivent être pris en compte. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte dans toute analyse de facteurs tels que l’accès à d’autres services de planification familiale ou de contraception et de santé reproductive. Je serai ravie de répondre à vos questions sur les données.

J’aimerais dire quelques mots au sujet des compétences. Nous savons tous qu’il incombe à tous les acteurs du système de santé de s’assurer que les patients ont accès à des services de santé exempts de préjugés et de discrimination. C’est ce qui caractérise le système canadien.

Comme vous le savez, au Canada, les soins de santé reposent sur un système complexe de compétences partagées dans lequel le gouvernement fédéral et les provinces et les territoires ont des responsabilités importantes et distinctes. Le gouvernement fédéral a des rôles importants à jouer dans la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens. Nous versons des contributions financières aux provinces et aux territoires par l’entremise du Transfert canadien en matière de santé et nous établissons et nous maintenons, idéalement, des normes nationales sur l’accès aux services de soins de santé en vertu de la Loi canadienne sur la santé.

Les gouvernements provinciaux et territoriaux et leurs administrations publiques concernées assument la première responsabilité à l’égard de la prestation des soins de santé, du financement et de la surveillance des hôpitaux, de l’administration des régimes provinciaux d’assurance-maladie et de la reconnaissance et de la réglementation des professions de la santé. Chaque province et territoire a établi, par voie législative, son propre cadre de surveillance des professionnels de la santé par des organismes professionnels autoréglementés. Ces organismes sont chargés d’établir des normes de pratique, d’agréer les fournisseurs, d’examiner les plaintes déposées contre les professionnels de la santé placés sous leur autorité, d’y donner suite et d’imposer, s’il y a lieu, des mesures disciplinaires.

J’aimerais maintenant faire quelques commentaires concernant le consentement éclairé.

Les patientes signalent plusieurs préoccupations en ce qui concerne le consentement éclairé, y compris le moment où il est obtenu et la manière dont c’est fait. Les études menées auprès de femmes ayant donné leur consentement à des procédures gynécologiques ont souvent révélé qu’elles se sentent obligées de signer un formulaire de consentement, même si elles disent préférer ne pas les subir. Dans certains cas, des femmes ayant consenti à une intervention chirurgicale ont dit qu’elles ne pensaient pas avoir le choix de signer ou de ne pas signer le formulaire de consentement.

Les fournisseurs de soins de santé doivent s’assurer que le patient ou la patiente donne son consentement éclairé dans le cadre du processus de décision relatif au traitement. C’est un élément essentiel des soins cliniques, qu’il s’agisse de l’administration d’un vaccin antigrippal ou de l’arrêt d’une chimiothérapie pour un cancer évolutif. Le consentement éclairé signifie que le patient a été informé de la nature du traitement, des avantages escomptés, des risques et des effets secondaires du traitement, des solutions de rechange et des conséquences probables de ne pas suivre le traitement.

Pour que le consentement soit valide, la personne qui consent doit avoir la capacité de comprendre ce qui leur est expliqué, de prendre une décision éclairée et de donner volontairement son consentement.

Même si la formulation, la législation et les processus varient d’un endroit à l’autre, toutes les provinces et tous les territoires du Canada suivent les mêmes principes fondamentaux en matière de consentement éclairé et de capacité à consentir à un traitement médical. Le consentement éclairé est prévu et exigé par les organismes de réglementation et les associations de praticiens de la santé comme l’Association médicale canadienne dans son code de déontologie, ainsi que par le Collège des médecins de famille du Canada et le Collège royal des médecins et chirurgiens. L’Association canadienne de protection médicale a produit l’un des modèles et guides les plus complets sur la capacité et le consentement médical.

Ces politiques relatives au consentement éclairé sont administrées à l’échelle locale principalement au sein des hôpitaux, ce qui signifie que les administrateurs des hôpitaux, le personnel médical et les autorités sanitaires jouent un rôle fondamental dans l’application uniforme et judicieuse du principe du consentement éclairé. Cependant, en fonction des expériences documentées des femmes, il est juste de dire que des efforts supplémentaires doivent être déployés pour améliorer les relations entre les patientes et les fournisseurs de soins de santé en ce qui concerne le consentement éclairé. Les femmes doivent pouvoir comprendre parfaitement les effets que peut avoir sur leur corps une procédure ou un traitement et y consentir. Elles ont besoin d’aide pour ce faire. Par ailleurs, les fournisseurs de soins doivent être mieux outillés pour avoir ces discussions d’une manière qui respecte la situation de la patiente et qui en tient compte, y compris des éléments comme la langue, la culture et d’autres réalités propres à la patiente.

J’aimerais terminer en vous présentant rapidement les mesures prises par le gouvernement fédéral.

Même si les provinces et les territoires offrent à tous ceux qui y résident des services de santé universellement accessibles et assurés par l’État, le gouvernement fédéral peut jouer son rôle fédérateur pour promouvoir des approches pancanadiennes sur des questions telles que le consentement éclairé et la sécurité culturelle dans le système de santé. M. Wong a donné des précisions sur les travaux de son ministère, et j’aimerais traiter brièvement d’un aspect des mesures prises par Santé Canada pour améliorer la sécurité culturelle.

En décembre dernier, la ministre de la Santé et l’ancienne ministre des Services aux Autochtones ont écrit aux ministres provinciaux et territoriaux, aux organismes nationaux de santé et aux organisations autochtones pour leur demander de collaborer et de participer à un groupe de travail fédéral-provincial-territorial visant à promouvoir la sécurité et l’humilité culturelles dans le système de santé. Nous nous efforçons actuellement de mettre sur pied le groupe de travail en vue de mobiliser efficacement des organisations autochtones et des organismes nationaux de prestation de soins pour élaborer des mesures visant à améliorer la sécurité culturelle dans le système de santé. Nous avons eu des discussions fructueuses avec les provinces et les territoires, et nous avons hâte de profiter du bon travail déjà amorcé partout au pays dans les domaines de la sensibilisation et de la formation.

Je serai ravie de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci à vous deux. Passons maintenant aux séries de questions.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de votre présence ce matin au comité. C’est toujours important d’entendre des fonctionnaires. Je sais que la question des soins de santé au Canada est toujours un peu difficile, parce qu’il y a le point de vue du gouvernement fédéral et celui des provinces.

J’aimerais parler de la question du consentement éclairé. Monsieur Wong, vous avez parlé de votre conférence, et vous avez mentionné que vous élaborez des orientations sur le consentement libre, préalable et éclairé. Vous avez tous les deux très bien décrit ce que devrait être le consentement éclairé.

Toutefois, des témoins que nous avons entendus ont donné l’exemple d’une femme sur le point d’accoucher qui se fait présenter un formulaire à signer qui prévoit qu’elle sera stérilisée après son accouchement. Quiconque a déjà été en travail peut vous confirmer qu’une femme signerait tout document qui lui est présenté ou qu’elle rouerait de coups toute personne dans sa chambre d’hôpital qui essayerait de le faire. Que la patiente signe ou non le formulaire, j’estime que personne ne pourrait dire que la patiente a donné son consentement éclairé.

Vous avez mentionné que les fournisseurs de soins de santé doivent s’assurer de comprendre ce qu’est le consentement éclairé. Vous nous avez aussi donné de merveilleuses définitions de ce qu’est le consentement éclairé, et j’aimerais les inclure dans notre rapport, mais c’est peine perdue.

Lorsque nous formons les médecins praticiens, reçoivent-ils une formation précise concernant ce qu’est le consentement libre, préalable et éclairé? C’est extrêmement important dans nos discussions au sujet de la stérilisation forcée.

Dr Wong : Merci de votre excellente question. L’une des parties très importantes de la formation du personnel médical et du personnel infirmier pour l’ensemble des professionnels de la santé concernant le consentement éclairé vise à nous assurer de faire comprendre que des situations comme celle que vous avez décrite — une femme en travail qui se fait demander de donner son consentement — ne sont pas acceptables.

Pour l’heure, je vois ceci comme une lacune, et j’estime que c’est important pour nous de collaborer avec les écoles de médecine, les hôpitaux, les organismes de réglementation, l’Association canadienne de protection médicale et d’autres organismes dans le contexte autochtone. J’aimerais en fait laisser la parole à Mme Hoffmann pour étendre cela à l’ensemble du contexte canadien et aux autres populations.

Nous avons entendu le premier groupe de témoins dire que des groupes ethnoculturels ont traditionnellement eu de la difficulté à réellement donner leur consentement libre, préalable et éclairé. L’exemple que vous avez donné ne correspond pas à un consentement libre, préalable et éclairé. Nous avons encore beaucoup de pain sur la planche dans tous ces établissements d’enseignement et les organismes de réglementation.

Mme Hoffman : Je vais seulement vous donner quelques précisions en répétant une bonne partie de ce qu’a dit M. Wong. Pour répondre précisément à votre question, sénatrice Cordy, vous voulez savoir si cette question est incluse dans la formation du personnel médical et des professionnels de la santé, et je vous assure que c’est absolument le cas. C’est très poussé. Il y a de la sensibilisation en continu au consentement éclairé dans les formations des organismes de réglementation de la profession médicale, des organismes provinciaux et territoriaux de réglementation dans le domaine de la santé, de l’Association canadienne de protection médicale, et cetera.

L’élément à ce chapitre que nous devons améliorer, c’est ce que j’appelle l’intégration de la sécurité culturelle et de la compétence culturelle. Cela veut dire qu’il faut une meilleure compréhension du contexte dans lequel le consentement peut être demandé ou peut être apparemment donné par un patient à un fournisseur de soins de santé. Toutes ces situations ne se valent pas, comme vous l’avez très bien souligné. Ce qui peut paraître comme une situation où le consentement peut avoir été donné librement peut en fait, lorsque nous examinons attentivement la situation, laisser transparaître un certain manque de partialité de la part du fournisseur ou un manque de sensibilisation à la situation particulière de la patiente concernée.

Ce qu’il nous faut ici, ce n’est pas tout simplement une plus grande internalisation des paramètres juridiques encadrant le consentement éclairé; il faut une meilleure sensibilisation pour inciter un fournisseur à vraiment analyser l’ensemble des éléments de la situation de la patiente ou de la personne avec laquelle il a affaire. C’est la manière dont nous devons procéder à l’avenir concernant le consentement éclairé.

La sénatrice Cordy : Docteur Wong, vous avez parlé de la séance que vous tiendrez, de l’entente, de l’installation et de la collaboration avec des organisations de femmes autochtones. Nous avons entendu beaucoup de témoignages sur la nature racialisée de cet enjeu, qui touche les femmes vivant dans la pauvreté. Est-il également important de leur expliquer ce que signifie le consentement éclairé? Si vous êtes une personne pauvre et marginalisée, vous faites confiance aux médecins ou au personnel infirmier. Comment est-il envisageable d’être en désaccord avec ces professionnels de la santé? Dans notre cas, il est très facile de nous mettre en désaccord avec un médecin, mais pour ceux qui se trouvent dans de telles situations, il s’agit d’un défi de taille.

Dr Wong : Oui, en effet. La réunion dont je parlais se fera avec le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone et d’autres organisations autochtones. Nous comptons d’ailleurs organiser la réunion de manière à rassembler des communautés autochtones, des femmes autochtones, des organisations autochtones, ainsi que des organisations professionnelles. Ainsi, ces points de vue seront entendus dans une optique communautaire.

Cela revient à ce que les témoins du premier groupe ont dit : « Rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous. »

La sénatrice Boyer : J’ai une question pour vous, docteur Wong. Je suis heureuse d’apprendre que vous collaborez avec le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone. Travaillez-vous avec Mme Margo Greenwood?

Dr Wong : Oui.

La sénatrice Boyer : Mme Greenwood est bien connue dans le domaine. Je suis donc ravie d’entendre cela.

Je me demande si vous connaissez le travail de Maria Ysabel Cedano, du Pérou. Elle nous a parlé d’exemples de stérilisation forcée pratiquée dans son pays et des mesures prises pour remédier à la situation. Je songe au registre qui a été établi par les Péruviens. Le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone est-il en mesure de créer une sorte de registre pour recueillir les données dont Mme Hoffman a parlé? Ou encore, pourrait-il mettre en place des lignes d’écoute téléphonique à l’intention des femmes et s’occuper de certaines questions en matière de gestion des crises?

Dr Wong : Je vais peut-être répondre en premier avant de céder la parole à ma collègue Abby Hoffman.

En ce qui concerne l’expérience péruvienne liée au registre, nous ne sommes pas trop au courant de ce qu’il en est, mais nous serions heureux d’en apprendre davantage à ce sujet par l’entremise de votre comité et de vos collègues péruviens.

Pour ce qui est de savoir si Mme Margo Greenwood a la possibilité de collaborer avec d’autres intervenants et d’établir une sorte d’approche similaire lorsqu’il existe une lacune qui doit être comblée, c’est certainement l’une des nombreuses possibilités à envisager.

Mme Hoffman : Pour ma part, je ne connais pas suffisamment le centre pour savoir s’il a les moyens de créer un registre ou s’il peut obtenir de l’aide à cet égard.

Je dirais qu’il peut s’avérer extrêmement utile de mieux comprendre la dynamique à l’œuvre dans les cas précis de stérilisation forcée afin de bien saisir en quoi consistent certaines des faiblesses au chapitre du consentement éclairé, dont nous venons de parler il y a quelques instants. Il devient alors possible de comprendre une situation mettant en cause deux parties qui sont bien différentes l’une de l’autre sur le plan de leur autorité, de leurs responsabilités, de leur réputation, et cetera.

Si je peux me le permettre, sénatrice Cordy, lorsque vous avez dit qu’il est facile pour les gens dans cette salle de contester l’avis d’un professionnel de la santé, c’est peut-être vrai, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Pour une personne qui se trouve dans une situation moins reluisante et plus difficile que nous, c’est encore moins probable.

Il y a de nombreuses raisons d’établir des registres et de consulter des femmes qui pourraient parler de leur expérience. Je ne peux rien dire de plus sur le phénomène des registres en général.

La sénatrice Boyer : L’exemple péruvien montre très bien comment s’y prendre. Il y a 6 000 femmes enregistrées. À une certaine époque, au Pérou, la loi exigeait que les femmes soient stérilisées. Ainsi, plus de 200 000 femmes ont été stérilisées durant cette période. Bien entendu, il s’agissait de femmes autochtones vivant dans la pauvreté, mais elles ont décidé de dire « ça suffit ». Elles sont passées à l’action, et c’est ainsi qu’est né le registre. C’est d’ailleurs le gouvernement qui en assure le financement. Voilà ce qui a retenu mon intérêt.

Il est vraiment nécessaire que le gouvernement finance une tierce partie, comme le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, une organisation autochtone, pour lui permettre de fournir ce genre de services, c’est-à-dire le même type de services offerts dans le cadre du registre. Une fois que les femmes sont enregistrées, elles peuvent avoir accès à des soins de santé, à des soins psychiatriques et à de l’aide juridique. Il s’agit d’une approche holistique en matière de guérison, ainsi qu’une façon de réparer les torts qui leur ont été causés. C’est quelque chose qui mérite notre attention.

Je propose que Mme Greenwood entre en communication avec Maria Cedano, qui sera heureuse de lui faire part de son expérience.

En 2017, la Dre Bartlett et moi avons publié le rapport de l’examen externe. Sur le coup, le gouvernement a déclaré qu’il s’agit d’une situation épouvantable, qui va à l’encontre des droits de la personne, et que nous devons examiner la sécurité et l’humilité culturelles. Par la suite, un recours collectif a été intenté par deux, trois, quatre ou cinq femmes. Au bout du compte, leur nombre est passé à 60, puis à 100. Encore aujourd’hui, une multitude de personnes me téléphonent pour me dire : « Qu’est-ce qui se passe? J’essaie de tomber enceinte depuis un certain temps, et je me souviens d’avoir signé un formulaire. » Elles finissent par se rendre à l’évidence que c’était sans doute un formulaire de consentement.

Nous voilà donc aux prises avec une lacune. C’est en 2017 que cette situation a été mise en lumière. En 2018, nous avons appris, dans le cadre de nos audiences, qu’une autre femme autochtone en Saskatchewan avait été stérilisée contre son gré. Que s’est-il passé? Est-ce que le plan de sécurité et d’humilité culturelles ne fonctionne pas? Comment et quand cette pratique cessera-t-elle? Comment prévoyez-vous y parvenir?

Mme Hoffman : Je me contenterai peut-être de faire une observation préliminaire, qui, j’en suis sûre, sera loin d’être une réponse satisfaisante. Même si des activités de formation et de sensibilisation ont cours dans diverses régions du pays sur la sécurité culturelle, l’humilité culturelle, le consentement éclairé et tout le reste, ces efforts ne feront pas disparaître, du jour au lendemain, les circonstances dont vous parlez. Il se peut que certaines personnes ne reçoivent pas la formation. Dans d’autres cas, des gens pourraient suivre la formation, sans toutefois comprendre à fond ce que cela signifie dans le monde réel. Ils pourraient considérer cela plutôt comme une fiction juridique ou administrative.

Nous reconnaissons simplement que la pente à remonter sera ardue. Il faudra du temps pour y arriver.

La sénatrice Boyer : Il y a tout de même une grande différence entre la sécurité culturelle et la ligature des trompes de Fallope d’une personne. Cela saute aux yeux.

Dr Wong : Oui. J’aimerais renchérir sur ce que Mme Hoffman vient de dire. Nous avons été heureux d’apprendre que le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada a commencé, il y a plus d’un an, après avoir écouté les conseils des peuples autochtones et de son comité sur la santé des Autochtones, à mettre en œuvre une nouvelle politique pour la formation de tous les spécialistes au Canada, en exigeant qu’ils suivent une certaine formation consacrée à la culture et aux problèmes de santé des Autochtones. Il s’agit là d’une mesure préventive et proactive.

Ces connaissances sont également évaluées dans les examens nationaux. Pour que les spécialistes obtiennent leur titre de spécialité et leur permis, ils doivent passer un certain nombre d’examens nationaux. Ainsi, il y aura des questions précises pour essayer d’évaluer leurs compétences en la matière. De plus, la sécurité culturelle et les problèmes de santé des Autochtones font également partie des exigences d’accréditation, peu importe la spécialité.

Voilà qui est nouveau. Comme Mem Hoffman l’a mentionné, il faudra pas mal de temps avant que les changements se concrétisent, notamment en ce qui a trait à la mentalité des gens et des fournisseurs au moment de prodiguer des soins. C’est le système qui laisse tomber les patients.

La sénatrice Boyer : Merci.

La sénatrice Pate : Merci à tous les deux de témoigner devant nous. J’aimerais revenir sur un point que vous avez soulevé, madame Hoffman, sur la notion de consentement éclairé dans le contexte de la formation des professionnels de la santé. Je suis curieuse de savoir si des mesures sont également prises à l’égard des renseignements à l’intention des patients.

Comme nous l’avons vu dans le cadre des discussions sur le projet de loi C-51, qui portait sur le consentement à l’activité sexuelle, il y avait un manque flagrant de compréhension, même au sein du ministère de la Justice et chez bien des Canadiens, surtout des jeunes, en ce qui concerne la notion de consentement. Beaucoup de gens, dont de nombreux avocats, ne semblaient pas comprendre comment obtenir un consentement éclairé.

Quelles mesures sont prises à cet égard, et quelles campagnes de sensibilisation du public envisageriez-vous ou recommanderiez-vous, si ce n’est pas déjà fait?

Mme Hoffman : Je ne suis peut-être pas pleinement qualifiée pour en parler, car, à mon sens — et sachez, sénatrice Pate, que je vais vous donner une réponse fondée sur mes impressions —, les renseignements destinés aux patients ou aux familles font probablement défaut.

Lorsque les gens sont admis à l’hôpital, le secrétariat leur fait signer une pile de formulaires, qui se rapportent presque tous aux assurances et à la logistique de leur séjour à l’hôpital. On leur donne rarement une brochure ou un bout de papier qui explique certains concepts de base. Pourtant, presque tous les patients en milieu hospitalier se font demander quelque chose, sous l’impulsion du moment, par l’un ou l’autre des fournisseurs de soins. Il pourrait s’agir d’interventions relativement mineures, mais les patients se font poser des questions. Il se produit une sorte d’échange de consentement. C’est un très bon point.

Manifestement, nous appuyons certaines activités, par exemple, en ce qui a trait aux soins de fin de vie. Nous déployons beaucoup d’efforts, notamment en collaboration avec les ONG responsables, pour nous assurer que les gens comprennent les directives préalables, ce qui constitue, pourrait‑on dire, une forme de processus de consentement éclairé. Toutefois, je n’estime pas qu’à l’heure actuelle, les enjeux liés au consentement et à sa définition mobilisent la société civile en général. C’est un point vraiment important et une excellente observation.

La présidente : Madame Hoffman, dans votre déclaration, vous avez dit que Santé Canada ne recueille pas de données et ne fait pas de suivi sur la fréquence de la stérilisation forcée et les conditions dans lesquelles elle se pratique. Le ministère envisage-t-il de compiler de telles données? Est-ce une chose que vous nous recommanderiez d’examiner plus en profondeur dans le cadre de notre étude pour déterminer s’il faut changer cela?

Mme Hoffman : La raison pour laquelle j’ai fait cette observation — et je me suis peut-être mal exprimée —, c’était simplement pour dire que nous ne recueillons pas de données. C’est l’Institut canadien d’information sur la santé qui compile ces données. Permettez-moi d’ajouter un point qui pourrait être utile pour le comité : les données dont il est question sont recueillies au niveau provincial et territorial.

J’ai cherché à savoir s’il serait possible d’acquérir des données à l’échelle des établissements, parce que je crois que ce serait plus utile. On pourrait ainsi relier un établissement à son bassin de population et comprendre davantage la situation selon l’origine ethnique, le niveau de scolarité, la culture, et cetera, ce qui nous permettrait d’obtenir des renseignements plus révélateurs.

Cependant, je ne pense pas que les renseignements à l’échelle des établissements puissent vous révéler grand-chose sur le processus de consentement.

Là où je veux en venir, c’est que même si les données ne permettent pas, selon moi, d’examiner des questions précises, il y a lieu de recueillir plus de renseignements. On m’a également informée que cela dépend de la taille de l’établissement. Dans le cas d’un petit établissement, où le nombre de patients est limité, ces données risquent de ne pas être accessibles, sans doute pour des raisons de confidentialité. L’Institut canadien d’information sur la santé pourrait obtenir plus de données à cet égard. Par conséquent, si nous tenons à avoir des données, nous devons nous adresser à l’institut.

La présidente : Dans le groupe de témoins précédent, Mme Etowa a parlé du manque de données sur la santé en fonction de la race. L’un ou l’autre d’entre vous a-t-il des observations à faire là-dessus?

Mme Hoffman : Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il n’y a aucune donnée, mais pour confirmer ce que le témoin précédent a dit, les données ne sont pas habituellement ventilées par langue, origine ethnique, race et tout le reste. Il y a une forte demande à cet égard, mais en règle générale, cela ne se fait pas.

Docteur Wong, allez-y.

Dr Wong : Abby, je suis bien d’accord avec vous. Nous sommes, nous aussi, préoccupés par l’absence de répartition ethnoculturelle et socioéconomique des différents types de données, à l’instar des témoins du premier groupe qui ont souligné l’importance d’avoir ce genre d’information. Par exemple, jusqu’à maintenant, nous ne disposons d’aucune donnée sur la fréquence des cas de stérilisation de femmes autochtones, parmi toutes les procédures de stérilisation effectuées.

En ce qui a trait au deuxième point soulevé par Abby, il faut essayer d’aller plus loin dans l’analyse, c’est-à-dire comprendre la raison de la stérilisation et déterminer si le consentement était approprié ou non. Nous n’avons même pas une telle répartition des données. Nous disposons des renseignements de l’Institut canadien d’information sur la santé au sujet du nombre d’interventions chirurgicales pratiquées au pays pour la stérilisation, par province et territoire, mais nous n’avons pas la répartition ethnoculturelle. Cet élément d’information serait très utile.

La présidente : J’ai une dernière question. Vous avez tous deux souligné certaines initiatives qui sont en place et dans le cadre desquelles vous avez commencé à aborder des problèmes liés à la stérilisation forcée et au consentement éclairé, en particulier dans le cas des femmes autochtones. Cela nous donne une lueur d’espoir, même si nous savons que ce n’est pas assez.

Les témoins du dernier groupe nous ont parlé des questions de stérilisation forcée et de consentement éclairé chez les femmes handicapées, les personnes intersexuées et les femmes afro‑canadiennes. Santé Canada envisage-t-il de mener des initiatives sur ces questions, du point de vue de ces groupes précis? Il y en a aussi d’autres dont nous n’avons pas entendu parler.

Mme Hoffman : Je dois avouer que non, pas pour l’instant. Si je suis venue, c’est justement parce que je voulais entendre les témoignages du premier groupe de ce matin, lesquels étaient fort instructifs. Nous allons en tenir compte.

Vous avez raison de dire que l’accent est maintenant mis sur la sécurité et l’humilité culturelles pour savoir comment on répond aux besoins des Autochtones dans les systèmes de santé. Il est donc logique que, dans le cas d’autres groupes — que vous vouliez les appeler des personnes vulnérables, « vulnérabilisées », défavorisées, ou peu importe —, il n’y ait aucune raison de croire qu’ils ne font pas l’objet de nombreux préjugés, comme les témoins l’ont expliqué ce matin. Nous devons tenir compte de tous ces groupes.

La présidente : Avez-vous quelque chose à ajouter, docteur Wong?

Dr Wong : Non.

La présidente : Permettez-moi de vous remercier tous deux d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Nous avons trouvé utile d’entendre le point de vue de vos ministères respectifs. Nous vous en sommes reconnaissants. Il nous tarde de voir le déroulement des prochaines étapes dans le cadre des diverses initiatives dont vous nous avez parlé. Je vous remercie.

Merci, chers collègues. La séance est levée.

(La séance est levée. )

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