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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 42 - Témoignages du 29 mai 2019


OTTAWA, le mercredi 29 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour étudier et surveiller l’évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : Programme de protection des passagers).

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, et bienvenue. J’aimerais d’abord reconnaître, aux fins de la réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées du peuple algonquin. Je suis Wanda Bernard, de la Nouvelle-Écosse, et j’ai l’honneur et le privilège de présider le Comité. Je vais maintenant inviter mes collègues sénateurs à se présenter.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

La présidente : Et la sénatrice Pate est en route.

Aujourd’hui, dans le cadre de l’ordre de renvoi général du comité, nous étudions le Programme de protection des passagers, particulièrement les difficultés auxquelles les familles font face lorsque leurs enfants ne sont pas en mesure de s’enregistrer ou lorsqu’elles ont été retardées durant leur voyage parce que leur nom est semblable ou pareil à celui de gens figurant sur la liste de personnes interdites de vol. Nous nous penchons sur les mesures qui sont prises et sur la meilleure façon de régler cette question.

Dans le premier groupe de témoins aujourd’hui, nous entendrons Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Il est accompagné de Lacey Batalov, directrice par intérim, Direction des services conseils au gouvernement, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Monsieur Therrien, la parole est à vous. Merci.

[Français]

Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Bonjour, mesdames les sénatrices, monsieur le sénateur. Merci de m’avoir invité à vous parler aujourd’hui de la liste des personnes interdites de vol.

Personne ne songerait à nier la nécessité de veiller à la sécurité de nos citoyens, qui est un des objectifs du programme. Les voyageurs canadiens veulent être en sécurité et se sentir protégés, mais pas au détriment de leur vie privée. Les Canadiens réclament une approche équilibrée, mesurée et proportionnée.

Notre approche consiste à contribuer à l’adoption et à la mise en œuvre de lois et d’autres mesures qui auront pour effet de garantir tant la sécurité nationale que la protection de la vie privée.

En conséquence, lorsque nous examinons les activités liées à la sécurité nationale, y compris le Programme de protection des passagers (PPP) et sa liste des personnes interdites de vol, nous nous soucions toujours des répercussions sur les personnes qui ne représentent pas une menace à la sécurité du Canada, mais qui peuvent néanmoins être touchées négativement par de tels programmes.

Dès sa création, le Programme de protection des passagers a soulevé des préoccupations parmi de nombreux groupes, y compris les commissaires à la protection de la vie privée du Canada. Il a donc fait l’objet d’un engagement important de la part du commissariat, qui a notamment procédé à une vérification du programme en 2009, à une vérification de suivi en 2011 et à plusieurs évaluations des facteurs relatifs à la vie privée, tant de la part de Transports Canada que de Sécurité publique Canada.

Notre travail d’examen a permis de conclure que le programme est en grande partie conforme à la loi. Cependant, au fil des ans, nous avons présenté à Transports Canada et à Sécurité publique Canada des recommandations relativement à trois questions au moins : premièrement, la confidentialité des renseignements; deuxièmement, l’avertissement des personnes touchées d’une manière respectueuse de la vie privée; et enfin, troisièmement, la confirmation qu’il existe un recours efficace pour les personnes touchées de manière inappropriée par le programme.

Ces trois questions ont été soulevées au cours des ans et, plus récemment, dans nos communications avec le ministère de la Sécurité publique, en décembre 2018.

[Traduction]

Trois questions sont ressorties. La première a trait aux mesures de protection. En ce qui concerne les mesures de protection, nous avons constaté au cours de notre vérification de 2009 que, même si des renseignements personnels ont été recueillis légalement et utilisés dans le cadre de ce programme conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur l’aéronautique, c’est-à-dire de manière légale, nous avons soulevé des préoccupations quant à l’exécution des évaluations de sécurité de l’infrastructure technique du programme.

Dans une récente évaluation des facteurs relatifs à la vie privée réalisée en 2018, nous avons remarqué que Sécurité publique Canada semblait protéger la liste des personnes interdites de vol au moyen de mesures internes de sécurité, mais il n’était pas clair quelles mesures étaient en place pour assurer la protection de la liste par ceux à qui elle était communiquée, y compris les transporteurs aériens. Il y avait donc de bonnes mesures de sécurité à l’interne, mais nous avions des questions au sujet des mesures de sécurité pour d’autres qui détiendraient des renseignements, y compris les transporteurs aériens. En réponse à nos questions posées à la fin 2018, nous avons reçu hier la réponse de Sécurité publique Canada. La réponse semble satisfaisante à première vue, mais notre examen de cette réponse se poursuit.

Il convient de noter que le projet de loi C-59, dont le Parlement est actuellement saisi, propose de rapatrier la liste entre les mains du gouvernement plutôt que de la communiquer aux transporteurs aériens, ce qui devrait grandement atténuer les préoccupations liées à la sécurité de l’information.

Au fil des ans, nous avons aussi porté à l’attention du gouvernement les demandes de renseignements que nous avons présentées à Sécurité publique Canada au sujet de la manière dont les employés des transporteurs aériens informent les particuliers de leurs droits, y compris leur droit d’accès à leurs renseignements et de correction de ceux-ci lorsqu’on leur refuse l’embarquement. Nous avons également demandé des détails sur la façon dont une telle interaction a lieu à l’aéroport étant donné le caractère sensible de la question.

De plus, en ce qui a trait à l’avertissement, nous avons recommandé à Sécurité publique Canada d’envisager d’indiquer leur statut sur la liste aux personnes qui font l’objet d’un contrôle secondaire à la suite de leur inscription sur la liste, mais qui ne se voient pas refuser l’embarquement. À l’heure actuelle, seules les personnes qui se voient refuser l’embarquement sont informées qu’elles figurent sur la liste.

Ensuite, en ce qui concerne les faux positifs, le projet de loi C-59 propose un système selon lequel les voyageurs qui portent le même nom qu’une personne inscrite sur la liste, ou un nom semblable à une personne inscrite, peuvent demander un numéro d’identification unique pour faciliter leurs voyages. À notre avis, ce système aidera à réduire les répercussions négatives pour les personnes faussement identifiées comme étant sur la liste, par exemple le fait qu’elles sont soumises à un interrogatoire secondaire supplémentaire et le risque d’atteinte à leur réputation, entre autres problèmes. Même si le nombre de renseignements d’identification recueillis augmentera également, Sécurité publique Canada nous a informés qu’il croit que cela réduira le risque que des renseignements inexacts entraînent des problèmes de déplacement pour les voyageurs non inscrits sur la liste. À notre avis, les exigences du paragraphe 6(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui exige que les renseignements soient exacts, à jour et complets, sont ainsi respectées.

Nous intervenons par rapport à ce programme depuis plus de 10 ans, et le commissariat continue de travailler avec tous les intervenants qui participent à l’administration du programme afin de veiller à ce qu’il soit exécuté de manière à protéger le droit à la vie privée de la population canadienne.

Cela dit, je serai heureux de répondre à vos questions, avec mes collègues.

La présidente : Merci. Nous avons une liste de sénateurs qui souhaitent poser des questions.

La sénatrice Ataullahjan : Merci beaucoup d’être ici ce matin.

Avez-vous l’impression que le projet de loi C-59 règle les préoccupations en matière de protection de la vie privée des personnes figurant sur la liste d’interdiction de vol? Vous parlez d’adopter une approche équilibrée. Nous ne remettrons pas en question le fait que nous devons assurer la sécurité des Canadiens, mais ce que nous voyons et entendons, c’est que certains groupes et particuliers sont ciblés.

M. Therrien : Nous croyons qu’un certain nombre d’améliorations importantes ont été apportées au programme par le projet de loi C-59. Le fait que des personnes soient en mesure de demander un numéro permettant de les distinguer d’autres personnes qui portent le même nom est assurément une amélioration importante. Le fait de centraliser la liste sous le contrôle du gouvernement plutôt que de la mettre entre les mains des transporteurs et d’autres entreprises est une caractéristique importante. Le projet de loi C-59 prévoit aussi la destruction des renseignements sur les passagers dans les sept jours, à moins que l’information soit exigée aux fins du programme.

La présidente : Excusez-moi, nous avons quelques problèmes techniques avec le son. Nous n’entendons pas la bande audio, et les interprètes ne peuvent pas interpréter ce que vous dites. Nous allons nous arrêter pour quelques instants. Je suis désolée de vous interrompre.

Le technicien vient juste d’arriver, et je suis sûre que tout sera réglé très rapidement.

On vient de nous avertir que nous pouvons reprendre les travaux. Nous allons recommencer. Madame la sénatrice Ataullahjan, je vous prie de bien vouloir poser votre question de nouveau.

La sénatrice Ataullahjan : Ma question portait sur les principales préoccupations en matière de protection de la vie privée relativement à la liste de personnes interdites de vol. Le projet de loi C-59 aborde-t-il ces préoccupations?

De plus, vous parlez de l’adoption d’une approche équilibrée. Personne ne remet en doute que nous devons assurer la sécurité des Canadiens, mais, par ailleurs, nous entendons constamment des gens dire que certains groupes et certaines religions sont ciblés. On nous a dit que, lorsqu’on inscrit des gens sur la liste de personnes interdites de vol, on ne tient pas compte de leur genre, de leur nom ou de quoi que ce soit d’autre. Pourriez-vous me dire quels sont les renseignements qui s’y trouvent? Comment juge-t-on qui ne devrait pas figurer sur cette liste?

M. Therrien : Nous croyons que le projet de loi C-59 apporte un certain nombre d’améliorations qui aideront à réduire les préoccupations en matière de protection de la vie privée, surtout concernant l’exactitude de l’information qui débouche sur des décisions d’embarquement ou de non-embarquement, ainsi que le processus en fonction duquel les personnes pourront demander un numéro d’identification qui les distinguerait d’autres personnes qui portent le même nom. Un principe important lié à la protection de la vie privée, c’est que le gouvernement prend et applique des décisions en fonction de renseignements exacts. Le fait que l’on pourrait avoir pris dans le passé des décisions en raison de noms en commun qui auraient débouché sur des décisions où la mauvaise personne s’est vu refuser l’admission à bord d’un avion est certainement une considération en matière de protection de la vie privée.

Si je le dis, c’est parce que l’une de vos questions et de vos préoccupations très légitimes concerne l’application potentiellement différente du programme en raison de la discrimination ou de l’application selon l’appartenance à certains groupes ou à certaines religions. Ce n’est pas quelque chose que notre commissariat a examiné, car ce n’est pas directement lié aux principes touchant la protection de la vie privée. Je vous encouragerais bien sûr à poser la question aux représentants de Sécurité publique. Peut-être que la Commission canadienne des droits de la personne a été saisie de questions de cette nature, mais étant donné la nature de notre mandat, ce n’est pas une question que nous avons examinée précisément.

La sénatrice Ataullahjan : Vous ne voyez donc pas d’inconvénient lié au fait que les gens se voient accorder un numéro d’identification unique? Lors de notre réunion précédente, des témoins qui ont été visés par de faux positifs sur la liste ont exprimé des préoccupations par rapport au fait de se voir attribuer un numéro unique pour faciliter les voyages. La dernière fois qu’on a donné des numéros à des gens, nous avons vu ce qui s’est produit. Cette idée me rend très mal à l’aise.

M. Therrien : Certes, il y a des préoccupations liées à la protection de la vie privée, vu que l’attribution de numéros à des particuliers entraîne de la surveillance, car il s’agit d’un numéro unique utilisé pour l’ensemble ou une grande partie des programmes gouvernementaux. Cela demeure une préoccupation. C’est pourquoi nous cherchons à limiter l’utilisation du numéro d’assurance sociale, un numéro que nous détenons tous pour des fins très particulières. L’utilisation et la communication de ce numéro à d’autres fins soulèvent des questions relatives à la protection de la vie privée, le risque étant que le gouvernement s’enquière de multiples choses au sujet d’une personne grâce à cet identifiant. Ces numéros existent bel et bien.

Si les numéros ont une portée et des fins limitées, tout comme le numéro d’assurance sociale quand il est bien mis en œuvre, je crois que l’existence d’un numéro en plus du nom permet globalement de nous assurer que les bonnes décisions sont prises au sujet des bonnes personnes. Ce serait préoccupant si ce numéro était communiqué largement au sein du gouvernement à des fins de surveillance globale, mais si le numéro sert cette fin limitée qui est de distinguer les personnes qui portent le même nom aux fins de ce programme particulier limité, alors je crois que l’on trouve un juste équilibre.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Ce que vous dites est vraiment intéressant. Je sais que le projet de loi propose un numéro d’identification qui permettrait, on l’espère, de réduire les faux positifs, mais pourquoi pas une carte NEXUS? Bon nombre d’entre nous détiennent des cartes NEXUS. Elles ont fait l’objet de recherches approfondies, et ce serait quelque chose que détiendraient bien des gens pas seulement ceux qui ont été identifiés à de nombreuses occasions dans un aéroport — cela ne les mettrait pas à part. Une carte NEXUS suffirait-elle?

M. Therrien : Tout dépend de ce qui est nécessaire pour délivrer une carte NEXUS. Si je ne m’abuse, pour une carte NEXUS, vous devez recueillir des données biométriques?

La sénatrice Cordy : Oui.

M. Therrien : Vous devez soupeser les conséquences de l’utilisation d’une méthode par rapport à l’autre. Certaines personnes pourraient préférer obtenir un numéro plutôt que de se soumettre à un balayage de l’iris ou à la prise d’empreintes digitales. Dans l’ensemble, c’est ma position.

La sénatrice Cordy : La liste de personnes interdites de vol renferme le nom et le sexe. Contient-elle aussi la date de naissance?

Lacey Batalov, directrice par intérim, Direction des services conseils au gouvernement, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Ces renseignements figurent sur la liste, mais on ne les reçoit pas toujours nécessairement des transporteurs aériens. C’est alors qu’apparaissent de faux positifs, si vous ne recevez que le nom et que c’est l’unique renseignement que vous vérifiez sur la liste.

La sénatrice Cordy : La date de naissance viendrait éliminer beaucoup de faux positifs, car vous avez des enfants de 2 ou de 3 ans et des nourrissons.

Mme Batalov : Une partie du changement prévu dans le projet de loi C-59 permettrait la collecte de la date de naissance par les transporteurs aériens, ce qui viendrait éliminer ou à tout le moins atténuer cette question.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie de nous avoir rappelé que le personnel des transporteurs aériens informe les particuliers de leurs droits à l’aéroport. Avez-vous examiné comment procèdent les transporteurs aériens? Les informent-ils quand la personne se trouve en avant d’une ligne de 20 personnes et que tout le monde autour peut entendre qu’elle figure sur la liste de personnes interdites de vol?

M. Therrien : C’est une question qui nous préoccupe. Je vais demander à ma collègue de vous fournir des explications, car elle a tenu des pourparlers avec Sécurité publique Canada sur ces mêmes questions.

Mme Batalov : C’est une question que nous avons abordée lors de notre plus récente interaction, qui était une Évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, ou EFVP, reçue par rapport au programme l’an dernier. Nous avons envoyé en décembre une lettre au ministère pour demander quelques clarifications par rapport à la façon dont un particulier est avisé qu’il recevra une décision d’interdiction de monter à bord et la façon dont l’interaction se produit. C’était exactement notre préoccupation, la nature publique de cette discussion.

Nous avons reçu en réponse une copie de l’avertissement qui est donné aux particuliers si on leur interdit de monter à bord, mais nous demeurons préoccupés concernant la façon dont il est remis, le caractère public de cet avertissement et le processus qui débouche sur cet avertissement, ainsi que sur les discussions au comptoir. C’est quelque chose que nous continuerons d’aborder avec lui.

La sénatrice Cordy : Offre-t-on une formation au personnel aérien? Si c’est fait en public et que vous n’êtes pas autorisé à monter à bord de l’avion, vous pouvez imaginer la réaction des gens.

Mme Batalov : Absolument. C’est une préoccupation que nous avons soulevée. Je ne suis pas au courant d’une formation qui serait fournie au personnel aérien, mais ce serait quelque chose que nous pourrions examiner dans nos discussions futures au sujet de l’exécution de cette procédure.

Le sénateur Wells : Merci, monsieur Therrien et madame Batalov, de comparaître aujourd’hui.

Monsieur Therrien, quand vous avez témoigné récemment devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense sur le projet de loi C-59, vous avez signalé qu’une de vos préoccupations par rapport au projet de loi avait trait à la collecte de renseignements sur des personnes qui n’ont rien à se reprocher, comme la plupart des voyageurs canadiens. Devant ce comité, vous avez dit que les gens voyagent et que leurs renseignements personnels sont colligés par le gouvernement et analysés par les agences de sécurité nationale pour essayer d’identifier, parmi le lot de voyageurs, si certains présentent un risque pour la sécurité nationale. Vous avez ajouté que, dans 99,99 p. 100 des cas, les gens dont les renseignements sont acheminés aux agences de sécurité nationale sont identifiés comme ne présentant pas de risque pour la sécurité nationale. Cela m’amène à penser que le programme ne fonctionne pas, car il capte une grande majorité de gens qui n’ont rien à se reprocher et qui ne devraient peut-être pas être signalés sur cette liste. L’intégrité du programme est cruciale. Est-ce toujours une grande préoccupation pour vous?

M. Therrien : La préoccupation tient surtout à la conservation de l’information, ce qu’on aborde en partie dans le projet de loi C-59 relativement à la liste de personnes interdites de vol.

Éloignons-nous de la liste de personnes interdites de vol et examinons le contrôle par les agences de sécurité nationale, de façon générale. Mon commentaire que vous avez cité s’appliquait de façon plus générale au contrôle par les agences de sécurité nationale de tous les voyageurs. C’est encore pertinent pour la question de la liste de personnes interdites de vol.

Le gouvernement devrait-il uniquement colliger des renseignements au sujet de groupes de voyageurs plus à risque et laisser d’autres personnes voyager sans aucun contrôle? J’imagine que la question se pose du point de vue de la protection de la vie privée. C’est maintenant accepté dans des jugements, assurément en Europe, et la même chose s’appliquerait au Canada. Par exemple, dans une affaire liée à l’accord concernant le SIPV/DP entre le Canada et l’Union européenne, la Cour européenne de justice a étudié le processus permettant à des pays d’évaluer tous les voyageurs, et donc de recueillir des renseignements au sujet de tous les voyageurs, dans le but de reconnaître la très faible minorité qui pourrait présenter un risque. La cour a conclu que c’était acceptable. C’est maintenant le monde dans lequel nous vivons. En raison de leur souveraineté et dans le but d’assurer la sécurité d’autres personnes, les pays peuvent recueillir des renseignements auprès de tous les voyageurs.

Ma préoccupation, et cela s’applique de façon tant générale que par rapport à la liste des personnes interdites de vol, c’est que, pour la grande majorité de gens qui sont réputés ne présenter aucun risque, les renseignements ne devraient pas être conservés par le gouvernement. Par rapport à la liste de personnes interdites de vol, le projet de loi C-59 prévoit que les renseignements recueillis doivent être détruits dans les sept jours, à moins qu’ils soient exigés aux fins du programme. C’est une façon acceptable de procéder. C’est assurément conforme à la jurisprudence que je viens de citer.

Le sénateur Wells : Merci.

Au comité du Règlement l’an dernier, nous avons abordé le processus de la gestion des documents et des renseignements. Nous examinions les fuites d’information, la manière dont nos processus permettraient qu’elles surviennent et la façon de combler les lacunes. Entre le moment où l’information est recueillie et le moment où elle est détruite, votre commissariat a-t-il examiné ce processus de gestion des documents ou des renseignements lorsqu’ils changent de main? Quels sont les risques de perte de cette protection de la vie privée?

M. Therrien : Oui, dans le cadre des examens et des vérifications que nous avons effectués au fil des ans, nous nous sommes penchés sur la question des mesures de protection. Quelles sont les mesures de protection contre les fuites possibles? Dans ces vérifications, nous avons conclu que, à l’interne, au sein du gouvernement, les mesures de protection étaient appropriées, mais nous n’avons pas eu le même type d’assurance lorsque l’information est acheminée à d’autres acteurs, y compris des transporteurs. C’est une question que nous avons posée tout récemment à Sécurité publique Canada, dans une Évaluation des facteurs relatifs à la vie privée de 2018. Peut‑être que Mme Batalov peut commenter la réponse.

Mme Batalov : Comme le commissaire l’a mentionné, le ministère nous a fourni juste hier quelques premiers commentaires sur ses méthodes de transmission aux transporteurs aériens et sur les mesures de protection à prendre, à première vue, afin de répondre à nos préoccupations. Nous n’avons pas reçu de copie de son évaluation des risques et des menaces, ce à quoi nous aimerions accéder.

Une autre de nos préoccupations avait trait aux mesures de protection quand les renseignements se retrouvent auprès des transporteurs aériens. Avec le projet de loi C-59, la liste ne leur serait plus transmise. Cela permettrait de conserver l’information au sein du gouvernement et dissiperait cette préoccupation.

M. Therrien : Il y a certainement deux facteurs qui réduiraient grandement le risque de fuite. Le premier est le fait que les renseignements ne sont conservés que pour sept jours. Le deuxième, c’est que la liste elle-même est contrôlée, en vertu du projet de loi C-59, au sein du gouvernement et que les transporteurs ne sont informés que lorsqu’une personne est sur le point de se voir refuser l’embarquement. Cette mesure réduit grandement le risque. Elle ne l’élimine pas, mais elle le réduit de manière importante.

Le sénateur Wells : Cela donne une certaine assurance.

Quelle est l’importance d’un risque en matière de cybersécurité dans les commentaires que reçoivent les compagnies aériennes lorsqu’il y a un possible voyageur à risque?

M. Therrien : La cybersécurité est toujours une préoccupation.

Mme Batalov : Pour ce qui est du risque de transmission d’informations entre les deux, je crois savoir que cela se fait parfois par téléphone. Nous n’avons pas soulevé de préoccupations à ce chapitre. Nous n’arrivons toujours pas à comprendre exactement comment ces vérifications fonctionnent, et c’est fait un peu au cas par cas.

Le sénateur Wells : On doit vraiment mettre l’accent sur ce système, car s’il s’agit d’un élément de fuite possible, c’est aussi un élément possible de diffusion de renseignements privés.

La sénatrice Boyer : Merci à vous deux de comparaître ici aujourd’hui.

Comme la sénatrice Ataullahjan, j’ai été un peu alarmée quand j’ai lu divers articles au sujet de la proposition d’un système où les personnes inscrites sur la liste peuvent demander un numéro d’identification unique. La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’était la création par le gouvernement du système de listes de médaillons des Inuits lorsque leurs noms ont été remplacés par des chiffres. C’est la première chose à laquelle j’ai pensé, et je me demande comment ce processus fonctionnerait.

Pourriez-vous préciser comment vous imaginez le fonctionnement du processus pour une personne qui demande un numéro? Que ferait-on avec ce numéro? Consultez-vous des gens qui ont été mal identifiés, ont vécu cette expérience et apporteraient des commentaires utiles au fonctionnement?

M. Therrien : Merci. Notre rôle, bien sûr, consiste à fournir des conseils et des renseignements à Sécurité publique Canada, qui est responsable du programme, et à formuler des commentaires, mais c’est évidemment Sécurité publique qui conçoit le programme.

Pour répondre en partie à la question de la sénatrice Cordy, qui s’interrogeait au sujet des dates de naissance, je signalerais que les règles révisées du programme permettent la collecte de la date de naissance et du numéro d’identification — l’objet de votre préoccupation — sur la demande, mais ce n’est pas automatique. Nous ne sommes pas Sécurité publique, et nous ne concevons ou n’appliquons donc pas le programme en soi, mais ces règles me disent que, quand deux personnes portant le même nom doivent être distinguées, le premier moyen pourrait être la date de naissance, qui ne s’assortit pas de la stigmatisation qui vous préoccupe. L’attribution d’un numéro d’identification comme moyen de distinguer les gens se fait au moment de la demande de la personne.

Encore une fois, je ne m’occupe pas de la conception ou de la mise en œuvre du programme, mais je crois que la première étape serait la date de naissance, et la personne ne demanderait le numéro que si c’est nécessaire. Quand vous mettez toutes ces règles ensemble, je crois que le numéro est presque une mesure de dernier recours pour assurer l’exactitude de l’information.

La sénatrice Boyer : On pourrait croire que c’est un processus harmonieux. Les gens n’auraient qu’à soumettre leur date de naissance et ils recevraient un numéro, et en joignant le numéro, ils pourraient passer à travers un processus harmonieux?

M. Therrien : Je ne peux pas vous dire exactement comment il sera mis en œuvre. Nous ne sommes pas Sécurité publique Canada. Je réagis aux outils que la législation fournit à Sécurité publique afin de mieux établir une distinction entre des gens qui portent le même nom. J’ai lu la loi, et je vois la date de naissance ainsi que le numéro d’identification après la présentation de demande. Je ne suis pas responsable de la mise en œuvre, mais je dirais qu’une méthode appropriée et sensible de recours pour ces outils consisterait à commencer par utiliser la date de naissance. Puis, seulement quand c’est nécessaire, dans de très rares cas, on attribuerait le numéro d’identification. Est-ce ce qui est envisagé par Sécurité publique? Je l’ignore.

Mme Batalov : On nous a dit que la mise en œuvre d’un système peut prendre jusqu’à deux ou trois ans, et on doit encore nous fournir des détails sur ce à quoi cela ressemblerait exactement.

La sénatrice Boyer : Vous pourriez proposer au ministère qu’il demande quelques idées aux gens qui ont été touchés également.

La sénatrice Pate : Merci à vous deux de comparaître.

Je suis curieuse de savoir si la liste de personnes interdites de vol a eu une incidence positive sur la sécurité publique dans le pays. Je ne crois pas que cela ait été pleinement remis en question, comme le fait de savoir si vous croyez que le seuil appliqué pour figurer sur la liste de personnes interdites de vol est suffisamment élevé ou, inversement, trop faible.

De plus, croyez-vous qu’un processus de surveillance judiciaire pourrait être exigé pour rendre le processus conforme à la Charte et aux protections liées aux droits de la personne? À la lumière de ce qui se produit en ce moment et de ce que des témoins précédents nous ont dit au sujet des enfants qui sont inclus et d’autres personnes, est-il trop vaste et devrait-il être limité davantage?

M. Therrien : Je vois trois questions.

La première est la nécessité du programme. Est-il efficace? C’est une question qui a été soulevée par ma prédécesseure depuis la création du programme. Pour une question générale de principe en matière de protection de la vie privée, les renseignements devraient être recueillis quand c’est nécessaire pour atteindre un objectif, et la méthode — ici, la création de la liste de personnes interdites de vol comme programme — est efficace pour tenir compte de l’objectif de sécurité nationale ou de sécurité publique du gouvernement. C’est simplement un principe lié à la protection de la vie privée. Ce n’est pas la loi. C’est une politique, et nous nous attendons des ministères qu’ils ne créent pas de programmes à moins qu’ils soient nécessaires, mais ce n’est pas la loi en soi.

C’est une question qui a été soulevée au moment de la création du programme, et je crois que vous avez entendu récemment les représentants de Sécurité publique Canada dire qu’ils estimaient officiellement que le programme avait été efficace pour refuser l’admission à bord d’avions dans le but de protéger la sécurité nationale du pays. Nous avons entendu ce témoignage. Je crois que cela fait partie des discussions que nous continuons d’avoir avec Sécurité publique Canada, et ces discussions sont en cours. Je signale que les représentants du gouvernement étaient d’avis que le programme a été efficace. Nous discutons en ce moment avec le gouvernement à ce sujet, et les discussions se poursuivront. C’était le premier point.

Le seuil pour ce qui est de savoir qui figure sur la liste est une question de choix législatif. Il est raisonnable et il est lié aux attentes et aux motifs raisonnables de soupçonner que la personne pourrait commettre un acte terroriste ou sera mêlée à des actes terroristes. C’est un choix qui est offert au Parlement. Il est légitime pour le Parlement d’adopter ce seuil. Évidemment, c’est un faible seuil — des motifs raisonnables de soupçonner plutôt que des motifs raisonnables de croire, par exemple —, et je dirais que nous sommes dans le domaine de la protection du territoire d’un pays, où les tribunaux donnent à des pays passablement de latitude pour prendre des mesures afin de protéger la sécurité de leurs citoyens à la frontière. Je dirais donc que la norme, quoique faible, est probablement acceptable en vertu de la Charte dans le contexte frontalier.

Pour ce qui est de la surveillance judiciaire, au fil des ans, mon commissariat a certainement exprimé clairement que nous nous attendons à ce que des recours appropriés soient offerts aux personnes qui figurent sur la liste ou qui se voient refuser l’embarquement. Je crois que le processus s’est amélioré depuis les premières années du programme, il y a 10 ou 12 ans. Il existe un processus en fonction duquel le ministre de la Sécurité publique doit confirmer l’exactitude de la liste tous les 90 jours, selon les conseils qu’il reçoit de représentants. C’est manifestement une amélioration par rapport aux débuts du programme. Cela va au-delà de la protection de la vie privée en soi, mais je crois que la décision du ministre de confirmer la place d’une personne sur la liste serait soumise à un contrôle judiciaire à la Cour fédérale, et il y a donc un contrôle judiciaire dans cette affaire, tout comme dans le cas de la décision ministérielle de confirmer la présence d’une personne sur la liste. Je crois qu’on a des questions au sujet de l’accessibilité des renseignements liés à la sécurité nationale pour le tribunal et du rôle des conseillers spéciaux. C’est un processus qui reconnaît, je crois, les considérations en matière de justice naturelle pour les gens qui figurent sur la liste. Dans l’ensemble, j’estime que le système qui est en place en 2019 est certainement meilleur du point de vue de la justice naturelle et de la protection de la vie privée que celui créé il y a 10 ou 12 ans.

Ce sont toutes de bonnes questions, mais je crois que nous sommes maintenant en meilleure position qu’auparavant.

La sénatrice Pate : Merci.

La présidente : Merci. C’était la fin de notre liste. Je tiens à vous remercier tous les deux d’avoir été ici ce matin et de nous avoir présenté vos témoignages inestimables. Vous avez certainement contribué à notre compréhension de la portée de la question.

Dans notre deuxième groupe de témoins aujourd’hui, nous entendrons des gens visés par la liste de personnes interdites de vol. Permettez-moi de vous présenter Mme Uzma Jamil, agrégée de recherche, Études musulmanes pour l’Institut interreligieux, du Chicago Theological Seminary; Jared Mikoch-Gerke, conseiller, Sûreté aérienne, de WestJet; et Rayyan Syed Kamal, étudiant de 4e année en Sciences médicales, Université Western. Chaque témoin a été invité à présenter une déclaration liminaire de cinq minutes, puis nous passerons aux questions de nos sénateurs.

Uzma Jamil, agrégée de recherche, Études musulmanes pour l’Institut interreligieux, Chicago Theological Seminary : Bonjour à tous. Je remercie le comité de m’avoir invitée ici aujourd’hui. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de m’adresser à vous concernant les répercussions de la liste des personnes interdites de vol sur les musulmans au Canada.

Pour vous parler un peu de mon expertise, je détiens des diplômes d’études supérieures en sociologie et en sciences politiques. Mes recherches portent sur les études musulmanes critiques, et pendant les 10 dernières années, j’ai effectué des recherches et publié des articles sur l’islamophobie et la sécurisation des musulmans dans le cadre du contexte politique mondial postérieur au 11 septembre.

La sécurisation renvoie aux processus sociaux et politiques par l’intermédiaire desquels les musulmans, en tant que minorités racialisées et religieuses, sont considérés comme des menaces pour la société et le pays. Les attitudes sociales, les points de vue et les stéréotypes négatifs à l’égard des musulmans existaient avant 2001, mais ils ont été renforcés et banalisés depuis le 11 septembre, particulièrement en ce qui concerne les préoccupations en matière de terrorisme et de sécurité nationale. C’est vrai pas seulement au Canada, mais aussi dans d’autres pays occidentaux. Pour dire les choses simplement, les musulmans sont plus visibles aujourd’hui qu’ils ne l’étaient auparavant en raison de la sécurisation.

Le concept des « musulmans en avion » en est un exemple. Il renvoie à la surveillance et au profilage racial accrus des musulmans ainsi que de ceux qui sont perçus comme des musulmans dans les aéroports et à bord des avions. Leur présence invite à une attention supplémentaire ou évoque la peur, ce qui entraîne parfois le refus d’embarquement ou leur expulsion de l’avion. Des activités autrement banales semblent suspicieuses lorsque des musulmans y participent — par exemple, le fait de parler arabe sur leur téléphone cellulaire. Par conséquent, de nombreux musulmans sont souvent hypercomplexés par leur visibilité, ayant internalisé les opinions négatives que d’autres personnes autour d’eux ont au sujet de leur communauté.

Dans le cadre de l’accroissement de l’appareil de la guerre contre le terrorisme, la sécurisation est aussi appuyée par des programmes, des lois et des politiques qui misent de façon disproportionnée sur les musulmans comme objets de suspicion et de surveillance. Cela facilite l’institutionnalisation de l’islamophobie en tant que partie de la structure de l’État, et pas seulement ou simplement comme les points de vue personnels et des attitudes des personnes.

C’est dans ce contexte sociopolitique que la liste canadienne de personnes interdites de vol existe et fonctionne depuis plus de 10 ans. Il n’y a pas de renseignements confirmés accessibles au public sur le nombre de personnes qui figurent sur la liste ni particulièrement sur le nombre de musulmans qui s’y trouvent. Les lois qui la réglementent ont évolué au fil du temps en réponse à la nature changeante de ce qui est considéré comme une menace à la sécurité nationale canadienne, mais ce qui semble être demeuré constant, c’est le fait que les musulmans sont touchés de manière disproportionnée par la liste de personnes interdites de vol et qu’ils sont plus susceptibles d’être signalés comme de faux positifs, tant les enfants que les adultes, comme vous l’avez déjà entendu dans d’autres témoignages.

Pour être claire, les musulmans qui sont signalés comme de faux positifs ne se retrouvent pas eux-mêmes sur la liste de personnes interdites de vol, mais leur nom est le même que celui d’une personne qui y figure ou est semblable. Par conséquent, la surveillance supplémentaire et les problèmes auxquels ils font face lorsqu’ils voyagent signifient que l’idée des musulmans comme communauté suspecte continue d’être renforcée dans la conscience publique. Pour chaque musulman à qui on demande de se mettre à côté du comptoir d’enregistrement et pour chaque famille musulmane dont le nom des enfants fait les manchettes, l’idée des musulmans comme des membres potentiellement dangereux de la société est banalisée.

En conclusion, la liste de personnes interdites de vol renforce la sécurisation existante des musulmans comme minorité racialisée et religieuse. Elle contribue à la perception selon laquelle les musulmans sont coupables par association, jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de prouver eux-mêmes le contraire. Ils doivent assumer le fardeau de la responsabilité comme prix de la sécurité nationale pour tout le pays. La liste de personnes interdites de vol va à l’encontre de l’idée selon laquelle les musulmans et leurs enfants sont des citoyens égaux au Canada.

Merci. Je suis impatiente de répondre à vos questions.

Jared Mikoch-Gerke, conseiller, Sûreté aérienne, WestJet : Bonjour, et merci, mesdames et messieurs, de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. Je m’appelle Jared Mikoch-Gerke, et je suis conseiller de la Sûreté aérienne pour WestJet. À ce titre, j’agis comme expert en la matière sur toutes les politiques législatives et réglementaires concernant la sécurité aérienne dans l’ensemble de notre réseau mondial. Par conséquent, je suis responsable d’assurer la conformité avec le Programme de protection des passagers, et plus précisément avec la Loi sur la sûreté des déplacements aériens et ses règlements.

J’ai participé aux consultations concernant la modernisation du Programme de protection des passagers durant les trois dernières années ou plus, lesquelles ont culminé avec les amendements qu’il est proposé d’apporter au programme dans le projet de loi C-59.

WestJet procède actuellement à une évolution importante : il ne ressemble plus au transporteur lancé en 1996, qui comptait trois aéronefs et cinq destinations dans l’Ouest canadien. Aujourd’hui, au quotidien, nous exploitons plus de 700 vols et transportons près de 80 000 clients sur une flotte de plus de 180 avions dans l’ensemble de notre réseau international en croissance. Nous sommes le deuxième transporteur aérien au Canada, et dans l’ensemble du groupe d’entreprises de WestJet, nous occupons environ 37 p. 100 des parts de marché au Canada. Je vous donne ces renseignements pour vous situer, puisqu’ils concernent non seulement notre participation réglementée importante au programme, mais aussi le volume connexe de ceux qui sont touchés par ce programme.

Chez WestJet, nous nous sommes toujours targués de fournir des solutions novatrices à nos clients, et cela remonte jusqu’au lancement de nos premiers kiosques en libre-service en 2001 ainsi qu’aux cartes mobiles et cartes d’enregistrement électronique en 2007. Puisque le public qui voyage recherche toujours des options élargies en matière de libre-service pour toute la durée de leur voyage, nous comprenons les frustrations vécues liées au fait de ne pas pouvoir utiliser ces systèmes, comme l’enregistrement en libre-service, et nous nous efforçons de les atténuer.

Selon le cadre actuel du Programme de protection des passagers, il importe de comprendre que, avant de délivrer une carte d’enregistrement à un client, nous sommes tenus de comparer son nom avec celui des personnes figurant sur la liste de la LSDA, s’il semble âgé d’au moins 18 ans. Comme M. Davies et Mme Nixon l’ont souligné devant votre comité le 8 mai, les passagers ne sont pas obligés de fournir leur date de naissance pour les vols intérieurs à quelque moment que ce soit au cours de leur voyage. À la lumière de ce point de données manquant, pour offrir une expérience d’enregistrement en libre‑service au plus grand nombre de clients possible et continuer de nous conformer, nous comparons tous les noms des clients à ceux qui se trouvent sur la liste de la LSDA, sans pouvoir déterminer visuellement s’ils semblent âgés d’au moins 18 ans. C’est ce qui donne lieu aux faux positifs qui touchent les enfants représentés par le groupe de défense des intérêts No Fly List Kids.

Avant de parler des changements proposés au titre du projet de loi C-59, j’aimerais donner quelques détails sur ce que nous faisons pour soutenir les voyageurs touchés par les difficultés liées au programme actuel. M. Davies a parlé de la façon dont le projet de loi C-59 va introduire un numéro de recours qui agira comme identifiant unique afin de désamorcer les conflits associés à la personne. Depuis 2016, nous offrons une solution afin de régler à l’avance le cas des clients qui portent le même nom que celui d’une personne figurant sur la liste et qui détiennent un numéro de Récompenses WestJet. Lorsqu’ils s’enregistrent une seule fois auprès de nous à l’aéroport, nous validons leur identité et sommes en mesure d’utiliser leur numéro de Récompenses WestJet, qui agira comme forme de numéro de recours et validera automatiquement leur identité avant l’enregistrement en ligne pour tout vol futur qu’ils feront avec nous. En date d’aujourd’hui, près de 700 personnes se sont enregistrées auprès de nous, et environ 10 p. 100 de tous les faux positifs qui ne peuvent s’enregistrer au moment de la réservation ont l’autorisation de recevoir une carte d’enregistrement en ligne.

Même si la proportion de 10 p. 100 peut ne pas sembler importante, je devrais souligner que, en moyenne, moins de 15 clients par jour sont interdits de vol en raison d’une correspondance de nom possible. Pour le reste, ils doivent voir un agent, un appel de règlement doit être fait à une équipe centrale, et la durée moyenne de ces appels au cours des 18 derniers mois, y compris le temps d’attente, est de moins de trois minutes, depuis le moment où la personne se présente devant notre agent jusqu’à l’émission d’une carte d’enregistrement. À ma connaissance et conformément au témoignage fourni par le groupe No Fly List Kids, nous n’avons jamais refusé l’embarquement à un faux positif qui s’est réglé de cette façon, et le processus d’enregistrement a toujours été très rapide. Il est important de souligner qu’aucun membre du personnel de sécurité ne participe à ce règlement, et il n’entraîne absolument aucun renvoi vers un contrôle supplémentaire. Les seuls rappels qui nécessitent une consultation supplémentaire auprès de Transports Canada sont les cas où le nom et la date de naissance d’un client correspondent à ceux d’une personne figurant sur la liste.

Pour ce qui est du projet de loi C-59, nous sommes tout à fait en faveur d’un programme de filtrage automatisé au sein du gouvernement. Un élément qui manque, ce par rapport à quoi nous nous sommes exprimés, c’est que même si le gouvernement aimerait que les transporteurs fournissent la date de naissance à l’avance afin d’améliorer le filtrage, les passagers ne sont pas tenus de nous la fournir. Par conséquent, il reste une lacune, et nous ne pouvons pas fournir ces données au gouvernement si elles ne nous sont pas fournies. Sans le pouvoir d’obliger la collecte, cela demeure un élément facultatif au moment de la réservation.

Pour terminer, je veux me faire l’écho des commentaires de M. Davies selon lesquels il peut être facile de confondre des questions de voyage avec ce programme particulier; pourtant, les compagnies aériennes demeurent assujetties aux exigences liées à la sécurité et à la facilitation du filtrage établies par chaque pays individuel pour lesquelles elles exercent des activités, et, dans certains cas, de multiples autorités par pays. Nous sommes absolument en faveur de la facilitation des voyages compensée par une position solide en matière de sécurité. Toutefois, le nombre de programmes de listes de surveillance différents des gouvernements ne cesse d’augmenter.

Merci de votre temps. Je reste à votre disposition pour répondre à vos questions.

Rayyan Syed Kamal, étudiant de 4e année en sciences médicales, Université Western, à titre personnel : Merci de me recevoir ici aujourd’hui. Je m’appelle Rayyan Kamal et je suis étudiant de 4e année au programme de sciences médicales de l’Université Western.

Durant mes études, j’ai pris connaissance de la liste de personnes interdites de vol du Canada et de la question des faux positifs par l’entremise de mon camarade de classe et proche ami, Yusuf Ahmed. Comme lui-même est un faux positif, sa famille et lui ont couramment connu des retards, l’augmentation de la surveillance par les compagnies aériennes et le personnel de sécurité ainsi que la stigmatisation connexe pendant leurs déplacements à l’intérieur et à l’extérieur du Canada. J’ai ensuite appris par l’entremise du groupe No Fly List Kids que ce n’est pas un incident isolé et que des centaines de personnes de tous âges et de divers milieux ont vécu des problèmes semblables. J’ai été choqué de voir que les conséquences de ce problème transcendent les frontières de l’âge et de l’origine ethnique.

Sans aucune statistique fournie par le gouvernement, Yusuf et moi avons cherché à déterminer les répercussions réelles de la question. À l’aide des renseignements accessibles dans le domaine public, nous avons pris un échantillon aléatoire de 50 noms de personnes connues comme étant de faux positifs en fonction de reportages dans les médias. On a ensuite recherché ces noms sur le site canada411.ca, un annuaire en ligne, et noté le nombre de correspondances exactes où l’on avait les mêmes prénom et nom de famille. Nous avons observé que, pour ces 50 personnes, en moyenne, 51 autres personnes portaient exactement le même nom. En 2007, le ministre des Transports de l’époque, Lawrence Cannon, avait affirmé qu’il se trouvait jusqu’à 2 000 noms sur la liste de personnes interdites de vol du Canada. En extrapolant à partir de ces renseignements et de nos conclusions de recherche, nous avons 2 000 noms multipliés par 51 faux positifs par nom, ce qui équivaut à 102 000 personnes qui sont de faux positifs.

Bien que ce nombre soit très important, il s’agit d’une estimation conservatrice, et ce, pour les raisons suivantes. Plus de 10 ans ont passé depuis que M. Cannon a annoncé son chiffre et l’adoption de la législation qui a élargi les types de personnes qui peuvent être ajoutées à la liste. Non seulement le nombre a augmenté, mais en plus, on a des raisons de croire que cela s’est fait à un rythme accéléré, pour atteindre peut-être plusieurs fois sa taille originale.

De plus, de moins en moins de Canadiens apparaissent dans l’annuaire en raison de la prévalence accrue des téléphones cellulaires, et l’annuaire en ligne ne contient que le nom du membre du ménage auquel le numéro est enregistré; par conséquent, il ne contient pas le nom des enfants ou d’autres adultes qui résident au sein de ce même ménage. Qui plus est, nous n’avons compté que les correspondances exactes, tandis que l’algorithme de mise en correspondance des noms autoriserait des noms orthographiés différemment.

Quand cette estimation a été rendue publique, le ministre de la Sécurité publique a exprimé son scepticisme par rapport à sa validité et a dit qu’elle était hautement spéculative. Toutefois, le département de la Sécurité intérieure des États-Unis a fourni des renseignements selon lesquels ce chiffre est assez réaliste. Toute personne qui présente une demande au titre du Traveller Redress Inquiry Program ou TRIP, un programme d’enquête et de réparation à l’intention des voyageurs du département de la Sécurité intérieure des États-Unis, reçoit une lettre selon laquelle environ 2 p. 100 des plaintes déposées au titre du TRIP du département de la Sécurité intérieure des États-Unis ont un lien quelconque avec la liste de surveillance des terroristes et que les plaintes sont le plus souvent soulevées parce que le nom et les renseignements personnels du voyageur sont semblables à ceux d’une autre personne. Autrement dit, le département de la Sécurité intérieure a conclu que 2 p. 100 des enquêtes devraient être considérées comme de vrais positifs, tandis que les autres 98 p. 100 sont de faux positifs. Par conséquent, aux États-Unis, pour chaque vrai positif, il y a 49 faux positifs, ce qui se rapproche remarquablement de notre chiffre de recherche estimé de 51. En fonction du chiffre de 49 faux positifs, la liste des 2 000 noms toucherait 98 000 Canadiens.

Même si je ne suis pas personnellement touché, des amis proches, leur famille et leurs enfants le sont. Pour moi, la question va bien au-delà des retards et de la surveillance; c’est la peur et la stigmatisation qui accompagnent ces expériences que je trouve plus dommageables. Dans le cas des enfants, leur innocence est évidente, mais pour ce qui est des adolescents et des jeunes adultes, comme mes amis et moi, la seule peur des conséquences liées au fait d’être identifié à tort, comme celles vues dans le cas de Maher Arar, est paralysante et nuit à notre capacité de devenir des dirigeants efficaces maintenant et dans l’avenir.

Les faux positifs de la liste de personnes interdites de vol soulèvent des préoccupations graves au sujet de la protection de la vie privée, de la mobilité et des droits à l’égalité des Canadiens. Même si le gouvernement ne fournit aucune statistique à l’effet contraire et refuse en fait de le faire, toutes les données probantes montrent que cette question touche un nombre imposant de Canadiens innocents qui est, à mon avis, bien supérieur à 100 000 personnes.

Merci.

La présidente : Merci à vous tous. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.

La sénatrice Ataullahjan : Merci à vous tous d’être ici et d’avoir présenté vos exposés.

Ma question pour vous, madame Jamil, concerne votre article de 2017 intitulé Can Muslims Fly? The No-Fly List as a Tool of the « War on Terror ». Dans cet article, vous dites que la liste des personnes interdites de vol contribue à l’islamophobie puisqu’elle permet de façon disproportionnée de faire du profilage à l’égard de musulmans racialisés et de passagers ayant l’air de musulmans en les traitant comme des membres d’une communauté suspecte. Je pourrais continuer encore.

Quelles ont été les répercussions de la liste des personnes interdites de vol sur les musulmans au Canada où, d’ailleurs, en Amérique du Nord? En lisant votre article, je me demande comment vous êtes arrivée à la conclusion que la liste contribue à l’islamophobie? De quel type de données vous êtes-vous inspirée? La liste des personnes interdites de vol a-t-elle changé d’une quelconque façon depuis que vous avez publié cet article? Les choses se sont-elles améliorées ou aggravées?

Nous n’avons pas de chiffres exacts, mais ce que nous entendons, c’est qu’il y a 1,5 million de musulmans canadiens. Comment pouvons-nous nous assurer qu’ils ont leur place ici et qu’ils ne seront pas pris à partie chaque fois qu’ils se rendent à l’aéroport?

J’étais à l’aéroport la semaine dernière avec ma jeune fille. Elle portait une camisole et des jeans, et elle était bien coiffée, mais dès que l’agent a vu son nom sur la carte d’enregistrement, elle a été envoyée vers une inspection secondaire. Elle a demandé : « Qu’est-ce qui a l’air d’une menace chez moi? » L’homme qui procédait à l’inspection secondaire était lui-même musulman, et il m’a dit que beaucoup de musulmans étaient envoyés à des inspections secondaires.

Comment réglons-nous ce problème? La situation s’aggrave, et j’ai l’impression qu’elle aliène les jeunes musulmans canadiens.

Mme Jamil : Merci. Cette question comporte beaucoup d’éléments. Je vais essayer d’y répondre de manière thématique.

Par rapport à la première question au sujet de l’islamophobie et de la façon dont la liste contribue à l’islamophobie, j’ai formulé un commentaire dans ma déclaration d’ouverture selon lequel elle contribue à l’institutionnalisation de l’islamophobie en tant que structure de l’État, plutôt que d’être simplement une question de points de vue personnels ou négatifs à l’égard de personnes. Je crois que c’est un élément important auquel on doit réfléchir, puisque, quand il s’agit de la personne responsable de la sécurité que vous rencontrez à l’aéroport, ce n’est pas parce que c’est cette personne plutôt qu’une autre. Cela fait partie de son travail, et les données accessibles publiquement indiquent clairement que les musulmans sont ceux qui font l’objet d’un profilage racial disproportionné à l’aéroport.

La sénatrice Ataullahjan : Quand vous dites que cela fait partie de leur travail, est-ce que cela fait partie de leur formation, c’est-à-dire qu’on leur enseigne que les gens dont le nom sonne d’une certaine façon ou ceux qui ont un certain air devraient être écartés en vue d’une inspection secondaire? Est-ce bien ce que vous dites?

Mme Jamil : Je ne sais pas si cela fait partie de la formation. Je ne peux parler que des répercussions ou des résultats. Je ne sais pas comment ils choisissent les personnes, mais nous savons, d’après des histoires accessibles au public, que les musulmans ont tendance à être ceux qui sont le plus sélectionnés, de manière disproportionnée, en vue d’une inspection secondaire ou d’un interrogatoire supplémentaire.

Le débat sur l’islamophobie revient souvent à une question d’intention et au fait de déterminer si l’intention était d’être islamophobe ou non. Ce que cela nous montre, c’est que le problème n’est pas celui de l’intention, mais en fait, c’est la façon dont la loi et les politiques sont appliquées en tant que telles. Ça ne revient pas à la personne et à son intention; c’est la façon dont cela se joue systématiquement dans les aéroports du pays pour un certain nombre de types de passagers différents.

Je crois qu’une de vos autres questions portait sur le fait de savoir si la liste de personnes interdites de vol a changé au fil du temps et la façon dont cela a touché les communautés musulmanes. Oui, cet article est vieux, et il n’a été publié que lorsque le projet de loi C-51 a été étudié, donc évidemment, tout ce qui se passe en ce moment concernant le projet de loi C-59 ne fait pas partie de la conversation qui faisait l’objet de cet article.

Je crois que, dans le projet de loi C-59, deux points qui sont proposés comportent des aspects positifs et négatifs possibles. La partie sur la mise en place d’un système de contrôle centralisé est une bonne idée si vous pouvez mettre en correspondance tous les éléments d’information à ce moment-là. Selon ma compréhension de la situation en ce moment, le transporteur aérien ne détient que des renseignements limités, et lorsqu’il les met en correspondance, cela s’affiche comme de faux positifs, car il ne possède pas la date de naissance, par exemple. Si les transporteurs détenaient tous ces renseignements à l’avance, ils seraient en mesure de régler ce problème. Le problème concerne en fait la mise en correspondance des renseignements, et non pas le moment où vous faites la mise en correspondance. Mon collègue a également mentionné ce fait lié à la date de naissance. Cette partie est bonne.

Je ne suis pas sûre que la deuxième partie qui concerne l’offre d’un système de recours aux personnes visées soit une solution; il semble plutôt s’agir d’un genre de soulagement temporaire ou symbolique. Si vous pouvez régler le problème dès le départ, en mettant en correspondance les éléments d’information et en éliminant les gens qui sont de faux positifs, vous n’avez pas besoin d’un numéro de recours. Les personnes devraient être retirées de la liste, et nous continuerions nos activités. Le deuxième point, c’est que l’option de recours n’est offerte qu’aux personnes à qui on refuse l’embarquement, et non pas à celles qui sont justes embêtées et retardées. Le problème demeure pour les nombreuses personnes touchées par cette situation.

Votre dernière partie portait sur ce que nous pouvons faire pour nous assurer que les musulmans ne sont pas négativement touchés par cette situation actuelle. Le fait d’être ici aujourd’hui et de parler à des organisations qui participent à cette sensibilisation en fait partie. Les citoyens ordinaires qui parlent à leurs représentants font partie de la solution. Il y a un énorme mouvement populaire. Comme vous l’avez vu, le groupe No Fly List Kids et les groupes de parents ont joué un rôle très essentiel pour faire avancer cette question.

Globalement, l’objectif principal, c’est que les musulmans soient traités de la même manière que tous les autres citoyens du Canada. C’est ce que nous voulons. Beaucoup d’autres options permettent d’y arriver. Ce n’est pas juste limité à la liste de personnes interdites de vol, mais cela a affaire avec le fait d’être traité également, avec respect et justice, dans notre pays.

Le sénateur Wells : Je remercie nos témoins de comparaître.

Madame Jamil, selon votre expérience et vos recherches, étant donné que l’existence d’un système de liste d’interdiction de vol est jugée importante, quel pays ou quelle compagnie aérienne offre le meilleur modèle? Quels sont les principaux aspects qui lui confèrent ce statut, à votre avis?

Mme Jamil : Je crains de ne pas savoir comment répondre à cette question. Je m’intéresse principalement aux répercussions sur les communautés musulmanes. Nous entendons beaucoup d’histoires négatives au sujet d’Air Canada. Je ne pourrais pas vous dire quel est le meilleur pays ou le meilleur modèle en fonction de mes recherches.

Le sénateur Wells : Entendez-vous des histoires positives au sujet des compagnies aériennes?

Mme Jamil : Malheureusement, non.

Le sénateur Wells : C’est une chose malheureuse d’exiger une liste de personnes interdites de vol, mais nous admettons qu’elle existe. Comment pouvons-nous l’améliorer? Y a-t-il des articles dans le projet de loi C-59 qui l’améliorent par rapport à la situation actuelle?

Mme Jamil : Comment pouvons-nous améliorer les systèmes des compagnies aériennes?

Le sénateur Wells : Oui, pour ceux qui sont signalés comme étant de faux positifs.

Mme Jamil : Je ne crois pas que le système des compagnies aériennes constitue autant le problème que le système de contrôle. La compagnie aérienne peut recueillir des renseignements, mais cela devient un problème seulement quand on les met en correspondance avec la liste de la LSDA. Je ne sais pas si je peux ajouter quoi que ce soit d’autre. Peut-être que mon collègue pourra ajouter quelque chose.

Le sénateur Wells : Vous pouvez essayer. J’ai une question distincte pour vous, mais vous pouvez répondre à celle-là.

M. Mikoch-Gerke : Par rapport à la façon dont le Programme de protection des passagers est établi aujourd’hui et dont il est formulé, il est très assurément archaïque. Les systèmes dont nous dépendons pour nous conformer au programme sont très obsolètes. Il n’est plus possible de les soutenir ou de les perfectionner pour les améliorer. Nous avons constaté qu’il y a des difficultés. C’est ce que nous avons présenté à Sécurité publique et Transports Canada au cours des dernières années et ce qui nous a amenés à essayer de trouver nos propres solutions novatrices. Nous avons présenté et créé le programme avec notre numéro de recours — reconnaissant qu’il est loin d’être parfait. Pour qu’il fonctionne efficacement, un certain nombre d’exigences très strictes doivent être respectées. Il serait possible de mettre en correspondance une personne avec un certain nombre de listes différentes, de différentes administrations, selon le lieu où elle voyage. Nous avons essayé d’utiliser notre numéro de Récompenses comme identifiant unique pour retirer les faux positifs.

C’est une structure complexe sous sa forme actuelle, et c’est pourquoi nous croyons que l’adoption d’un système centralisé dirigé par le gouvernement serait très efficace. Je signale le système de la TSA, l’Administration de la Sécurité des Transports, avec lequel on a environ 15 ans d’expérience. Je m’en voudrais si je ne disais pas qu’il a aussi connu des difficultés importantes dans le cadre de la création de ce programme. On a apporté un certain nombre de changements différents à son fonctionnement. Des problèmes technologiques ont entraîné des pannes et le retard de passagers pendant des périodes importantes, ce qui s’est soldé par des annulations de vol. La mise en marche d’un programme automatisé dirigé par le gouvernement comporte des difficultés corrélatives. Ce sont certaines des préoccupations que nous soumettons, mais s’il est possible de les automatiser et de les centraliser, nous pouvons modifier nos systèmes, même s’il nous faudra un certain temps pour le faire.

S’il y a suffisamment de points de données et si l’algorithme est bien établi, nous devrions pouvoir régler une partie de ces problèmes. J’ai parlé des données biographiques et de la date de naissance, qui sont exigées aujourd’hui, à l’heure actuelle, en vertu du projet de loi C-59. Nous serons tenus de fournir la date de naissance au gouvernement, mais seulement si nous l’avons. Nous n’avons toujours pas de mécanisme qui oblige les passagers à la fournir ou en fonction duquel nous pouvons insister pour l’obtenir. De plus, ces données devront, dans une certaine mesure, passer à travers un algorithme de risques, parce que si une personne malhonnête décide d’entrer un nom et une date de naissance inexacts afin de recevoir une carte d’embarquement, nous devons pouvoir contrer ce risque. C’est évidemment une priorité pour le gouvernement également.

Le sénateur Wells : Le processus touchant les vols transfrontaliers est différent de celui pour les vols intérieurs. Quand j’obtiens une carte d’embarquement ou que je m’enregistre pour traverser la frontière, je dois donner mon numéro de passeport ou mon numéro NEXUS ou d’autres renseignements qui permettent de mieux m’identifier. Je présume qu’on exigerait la même chose sur un vol de WestJet qui va du Canada aux États-Unis, et vous n’auriez donc pas ces renseignements?

M. Mikoch-Gerke : Le département de la Sécurité intérieure exige le nom, la date de naissance et le sexe au moment de l’enregistrement. Ces renseignements lui sont envoyés 72 heures avant le départ. Le problème avec toutes ces listes de surveillance, c’est qu’elles sont intégrées de manières très différentes. Même si nous recueillons peut-être ces renseignements, ils nous arrivent comme message automatisé, qui ne fait pas partie de la même réservation. Les renseignements d’une personne sont comparés au programme Secure Flight. Par exemple, sur un vol à destination des États-Unis, les renseignements de la personne sont comparés à la LSDA pour le Canada et à Secure Flight. Ces deux mécanismes de contrôle sont entièrement différents. La conservation de ces renseignements aux fins du contrôle exige que l’on apporte des modifications importantes à nos systèmes. Nous ne serions pas en mesure de les recueillir. Selon la forme actuelle de la LSDA, nous sommes également tenus d’interdire des gens en fonction de la date de naissance. Nous devons d’abord les interdire conformément au nom. S’il y a une correspondance de nom, nous devons valider la date de naissance et le sexe. C’est un processus différent.

La sénatrice Pate : J’ai une question de plus. Lorsque vous faites des réservations, de nombreux transporteurs vous obligent à entrer une catégorie d’âge. Même si vous ne recueillez pas de renseignements sur la date de naissance, y a-t-il une raison pour laquelle vous ne recueillez pas la catégorie d’âge, peu importe si vous avez affaire à un nourrisson, à un enfant ou à une personne âgée? Ce sont les catégories habituelles dans de nombreux systèmes. J’ai regardé et j’ai remarqué que cela ne fait pas partie du vôtre. Y a-t-il une raison pour laquelle vous ne l’avez pas fait? D’après votre réponse donnée au sénateur Wells, il me semble qu’une prochaine mesure de contrôle facile serait de dire, c’est un nourrisson, probablement un faux positif; ou c’est une personne âgée plutôt qu’un jeune homme, probablement un faux positif. Y a-t-il une raison pour laquelle vous n’avez pas adopté cette approche?

M. Mikoch-Gerke : C’est une excellente question. Nous recueillons ces renseignements en ce sens que, quand vous faites une réservation auprès de nous, nous vous demandons le titre de civilité à utiliser. À partir de cette information, nous pouvons déterminer le sexe. Nous pouvons aussi demander des renseignements au sujet des enfants et des nourrissons. Cela dit, nous devons retourner à la façon dont le Programme de protection des passagers est actuellement structuré et à la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, qui précise que nous devons établir une correspondance en fonction du nom. Même si nous détenons des renseignements qui nous disent qu’il s’agit d’un enfant et que nous pouvons présumer que la personne a moins de 18 ans, nous devons d’abord effectuer une validation en fonction du nom. Lorsque nous recevons cette information, nous devons l’interdire. À moins que nous ayons la capacité d’identifier visuellement la personne et de valider qu’elle est âgée de plus de 18 ans, nous ne pouvons pas faire cette supposition en fonction de la législation actuelle.

Le sénateur Wells : C’est une bonne question. Il y a une catégorie pour les mineurs non accompagnés. C’est pour quel âge?

M. Mikoch-Gerke : Moins de 12 ans.

Le sénateur Wells : La personne doit être désignée comme ayant moins de 12 ans. Cela donnerait une indication. Le groupe s’appelle No Fly List Kids, donc cela englobe cette catégorie.

La sénatrice Hartling : C’est une conversation très intéressante. Merci à vous tous d’être ici.

J’ai une question pour vous, monsieur Mikoch-Gerke, au sujet de WestJet. J’adore WestJet. Vous le savez.

M. Mikoch-Gerke : Je suis heureux de l’entendre.

La sénatrice Hartling : J’ai des questions qui portent sur des enjeux émotionnels, parce que tout ce sujet suscite beaucoup d’émotions chez beaucoup de gens. Dans votre entreprise, quel type de formation offrez-vous ou offrirez-vous par rapport à des questions comme le racisme et d’autres choses du genre? Lorsque vous vous déplacez dans l’aéroport et qu’on vous arrête pour un certain type de vérification, c’est embarrassant et c’est choquant, mais c’est ainsi que c’est géré. Quel type de formation offrez-vous? Y aura-t-il une formation dans votre entreprise compte tenu de certains de ces nouveaux changements?

M. Mikoch-Gerke : C’est un excellent point de vue. Un des éléments de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, tout particulièrement lorsque nous parlons des questions de sécurité nationale, c’est que la liste elle-même et les noms qui y figurent se limitent à une très petite population de notre entreprise. Nous comptons plus de 13 000 employés, et il se pourrait que nous ayons 40 personnes dans l’ensemble de l’organisation qui ont accès à cette liste. Elles se trouvent dans un service centralisé et doivent recevoir chaque année une formation particulière sur la façon de gérer la liste, les données connexes, ce à quoi elles servent et la façon dont on gère le règlement, comme nous l’appelons.

Pour nos agents du service à la clientèle, si quelqu’un se présente et est une correspondance, qu’elle soit fausse ou exacte, ils ne savent pas vraiment qu’une personne est signalée par rapport à une de ces listes dans notre système. Si on parle précisément de WestJet, ces personnes obtiendront un simple code d’erreur disant qu’il y a un problème avec la réservation et qu’elle doit appeler le service centralisé. Il pourrait s’agir d’un certain nombre de listes de surveillance différentes et de tout un tas de raisons différentes. Elles ne reçoivent aucun renseignement sur ce scénario particulier.

Le processus de règlement pour nous, c’est qu’elles appelleraient l’équipe centralisée et communiqueraient avec elle. Celle-ci demanderait quel est le message qu’elles reçoivent et poserait quelques questions de suivi. Pour le règlement d’un faux positif, l’équipe centralisée demanderait à l’agent du service à la clientèle d’obtenir une pièce d’identité de la personne qui se trouve devant elle, de valider que c’est bien elle, d’entrer la date de naissance dans les remarques sur le dossier et de le mettre à jour. À l’autre bout du fil, on mettra à jour le dossier, on consultera la date de naissance et on la comparera avec la liste prévue dans la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. S’il n’y a pas correspondance, on l’éliminera et dira à l’agent qu’il peut enregistrer le passager.

Quant à la formation et au profilage racial, c’est sur notre feuille de route pour ce qui est de fournir une formation supplémentaire concernant la sensibilisation et les sensibilités culturelles. En ce qui a trait à cette question particulière, puisque nous ne formons pas nos agents du service à la clientèle ni ne leur permettons d’avoir accès à ces renseignements ou à toutes les données exigées, ils n’ont pas nécessairement la capacité de prendre une décision fondée sur un parti pris.

La sénatrice Hartling : Dites-vous que vous offrez généralement une formation sur la sensibilité culturelle?

M. Mikoch-Gerke : C’est en cours d’élaboration en ce moment.

La sénatrice Hartling : Je suis heureuse de l’apprendre.

Monsieur Syed-Kamal, vous avez parlé de vos amis et de ce qu’ils ont subi. Cela doit être très difficile. Vous essayez de les aider et vous les écoutez. Y a-t-il des services offerts ou des lieux où les gens peuvent aller pour obtenir de l’aide psychologique si on parle d’intervention? Certaines personnes doivent se demander pourquoi elles sont toujours harcelées, en raison de la race ou de quoi que ce soit d’autre. Avez-vous pu trouver quoi que ce soit pour les aider?

M. Kamal : Malheureusement, il n’y a pas de programme particulier pour aider ces enfants, ces adolescents ou ces personnes touchées. Le groupe No Fly List Kids lui-même comprend des parents et des personnes qui ont vécu l’expérience. Parfois, ce sont des expériences très effrayantes, et le fait de leur parler permet parfois de calmer cette peur ou la stigmatisation liées à ces situations, que vous montiez à bord d’un avion vous‑même ou avec une équipe ou que vous voyagiez pour un événement. Cela aide à atténuer une partie de la peur. Mais il n’y a pas de programmes en place, que ce soit dans un centre de bien-être ou de santé mentale. Même à l’Université Western, nous avons le centre de bien-être, mais ce qu’il doit traiter est très général. Il n’y a donc rien qui cible juste ces personnes. Mais le groupe No Fly List Kids, les parents eux-mêmes, ont assumé ce rôle afin d’aider les jeunes ou les adolescents comme nous à composer avec ce traumatisme ou avec la peur de prendre l’avion.

La sénatrice Hartling : Croyez-vous que c’est quelque chose à quoi l’université devrait participer avec ses programmes de bien-être? Est-ce quelque chose qu’elle devrait envisager, les sensibilités culturelles générales, mais aussi le moment où une personne est signalée pour qu’une quelconque raison, que ce soit par la compagnie aérienne ou une autre instance? Nous savons que cela arrive beaucoup.

M. Kamal : Le soutien que fournit l’université représente encore une fois une solution temporaire pour ces personnes touchées. Au bout du compte, nous voulons un système qui fonctionne pour tous les Canadiens — un système qui atténue cette peur entière et cette stigmatisation associées au fait de prendre l’avion. Par exemple, Yusuf Ahmed et d’autres personnes dans mon programme mènent beaucoup de recherches. Parfois, celles-ci reçoivent une reconnaissance internationale, et nous devons nous rendre à des conférences, au Canada et à l’étranger. Le fait de prendre l’avion seul pour la première fois est en soi assez difficile à faire, et c’est une chose très intimidante, mais le fait de prendre l’avion en sachant que vous me ressemblez ou ressemblez à une personne qui pourrait présenter une menace en raison du profilage racial ou de quoi que ce soit d’autre est une autre couche qui s’ajoute à cette peur et à ce traumatisme.

La sénatrice Hartling : Merci.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous de votre travail et de votre présence.

Nous nous penchons sur tout ça dans le cadre d’une étude sur le Programme de protection des passagers. J’aimerais que vous nous précisiez chacun les recommandations que vous aimeriez qu’on formule au terme de notre étude.

M. Mikoch-Gerke : En ce qui concerne les recommandations que le comité peut formuler du point de vue du projet de loi C-59, il s’agirait dans un premier temps de s’assurer que le programme sera efficace. En tant que transporteur, nous avons un intérêt direct à nous assurer que non seulement le système de transport est sécuritaire, mais aussi qu’il est accueillant et convivial pour tous les Canadiens. L’un des défis, c’est qu’il n’y a pas de mandat actuellement pour obtenir la date de naissance. Pour que ce programme soit couronné de succès, nous aimerions voir cet ajout. Je crois que ce serait une exigence utile.

Un deuxième élément a été abordé durant une séance précédente. Il y a eu des questions au sujet du programme NEXUS ou du programme pour les voyageurs dignes de confiance. Une des recommandations que nous avons formulées à Sécurité publique, c’est de s’assurer de prévoir une composante permettant une telle collecte d’informations. Ce serait un autre élément de données biographiques. Par exemple, aux États-Unis, si une personne voyage et qu’elle entre son numéro NEXUS au moment du préenregistrement, elle est reconnue comme étant une voyageuse connue. Ce sont des personnes qui ont fourni volontairement l’information, et c’est un bon élément d’information supplémentaire qui aiderait à réduire le nombre de faux positifs. En outre, cela n’exigerait peut-être pas l’application de notre système de recours.

Mme Jamil : Je suis d’accord avec la recommandation quant au besoin de rendre le programme plus efficace et au besoin de ne pas créer une base de données parallèle de faux positifs en vertu d’un système de recours ou d’identification. Pour régler une chose, vous avez créé un autre système, et ce système n’a pas à être là, parce que ces personnes ne devraient pas se retrouver dans cette situation au départ. Je suggérerais de demander un système de mise en correspondance plus rigoureux qui est plus exact et efficace d’entrée de jeu et pas durant le processus d’enregistrement du vol et tout le reste.

M. Kamal : J’ajouterais que, ce que nous aimerions voir, que ce soit un système de recours en tant que solution symbolique, de sorte que, lorsque nous voyageons, maintenant, nous mettons quelque chose en place pour que les personnes visées par des faux positifs aient une meilleure expérience de vol... mais, au bout du compte, pour régler le problème à la base, il faut un identifiant unique, que ce soit la date de naissance ou un autre type d’identifiant unique qui aide les compagnies aériennes et les personnes qui sont responsables de vérifier la correspondance avec la liste à éliminer les faux positifs. De plus, il faudrait ajouter une composante sur la sensibilité culturelle, de sorte que les gens qui prennent l’avion et qui seront assujettis à de tels retards, à un tel examen ou à un niveau d’interrogatoire supplémentaire soient traités de façon délicate plutôt que d’avoir affaire à des gens qui n’ont reçu aucune formation. C’est quelque chose que j’ajouterais aussi.

La sénatrice Pate : À cet égard, monsieur Kamal, la possibilité d’une carte NEXUS est une option. Il y a un coût associé à une carte NEXUS, cependant, alors je me demande s’il ne serait pas préférable de miser sur quelque chose qui relèverait des transporteurs aériens. Par exemple, lorsqu’on s’enregistre pour un billet, certains transporteurs aériens exigent certaines indications, si ce n’est pas directement la date de naissance, alors ils demandent au moins le groupe d’âge. Y a-t-il quoi que ce soit à cet égard que, selon vous, il pourrait être utile de recommander?

M. Kamal : La date de naissance serait la meilleure option. Nous avons fait certains calculs et constaté que, si nous devions faire correspondre la date de naissance, le taux de faux positifs passerait de 60 000 à 1, et, c’est à cette personne qu’on pourrait donner un numéro de recours, que ce soit une solution symbolique jusqu’à ce qu’on trouve autre chose... Cependant, tout cela est fondé sur les probabilités. C’est quelque chose sur quoi vous devriez peut-être vous pencher dans le système. Je crois que c’est pas mal ça.

Mme Jamil : Je dirais que la logique du système devrait être qu’une personne est innocente jusqu’à la preuve du contraire. Actuellement, c’est l’opposé. Tous les faux positifs doivent prouver qu’ils sont innocents. Si le système fonctionne adéquatement, alors seules les personnes qui devraient être sur la liste seront sur la liste, et toutes les autres seront innocentes jusqu’à preuve du contraire.

Le sénateur Ngo : La plupart des questions ont déjà été posées, mais j’aimerais poser une question à Mme Jamil. Lorsque vous avez écrit l’article, la liste d’interdiction de vol comme outil et ainsi de suite, avez-vous obtenu une réponse du gouvernement?

Mme Jamil : Je n’en ai pas demandé une. Je n’ai pas reçu de réponse du gouvernement.

Le sénateur Ngo : Croyez-vous que le projet de loi C-59 répond aux préoccupations formulées dans votre rapport?

Mme Jamil : Comme je l’ai dit précédemment, oui et non. Ce qu’il y a de positif, c’est que s’il est possible de faire correspondre tous les éléments d’information nécessaires avant que la personne arrive à l’aéroport afin d’éliminer tous les faux positifs problématiques, ce sera une bonne chose. L’aspect négatif, c’est que l’option inclut un système de recours, comme je l’ai déjà indiqué, ce qui ne réglerait pas nécessairement le problème. Ce serait simplement une solution symbolique. Si le système fonctionnait bien, on n’aurait pas besoin d’un système de recours. Parce que, comme cela a été mentionné, si seule la date de naissance est identique à celle de la personne dont le nom figure sur la liste, il y aurait très peu de personnes qui ont à la fois le même nom et la même date de naissance. Les 49 autres personnes seraient éliminées de la liste d’emblée. Je vous recommande ou je soutiens l’idée d’un système centralisé, si un tel système fonctionne et s’il est efficace.

Le sénateur Ngo : Ma prochaine question est destinée à M. Mikoch-Gerke, de WestJet. Avez-vous été touché par les voyageurs victimes de faux positifs? À quelle fréquence y en a‑t‑il et leur a-t-on interdit ou les a-t-on empêchés d’embarquer?

M. Mikoch-Gerke : Chaque jour, nous avons de 10 à 15 faux positifs. Le système que nous avons mis en place indépendamment du programme de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, la LSDA, afin d’approuver les personnes qui s’enregistrent auprès de nous permettra d’éliminer environ 10 p. 100 de tout ça. Et pour toutes les autres personnes qui se présentent devant nous, nous les autoriserons au comptoir d’enregistrement en trois minutes ou moins. Nous ne leur interdirons pas l’embarquement. Ce sera un inconvénient, et je le reconnais. Nous misons actuellement sur des comptoirs d’enregistrement de service complet, les comptoirs où ces clients doivent se présenter. Nous dotons ces comptoirs afin de nous assurer que personne n’attend plus de 20 minutes. Lorsque cela devient déraisonnable, on parle de 23 minutes d’attente du moment où la personne entre dans la file jusqu’au moment où elle reçoit sa carte d’embarquement.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Mikoch-Gerke, vous avez dit avoir une liste de 700 noms. Pouvez-vous me dire combien de ces noms sont des noms musulmans? Avez-vous cette information? Je crois qu’on peut très facilement dire quand un nom est musulman.

M. Mikoch-Gerke : Je n’ai pas ces données, non.

La sénatrice Ataullahjan : D’accord. Pourriez-vous avoir accès à cette information?

M. Mikoch-Gerke : Oui.

La sénatrice Ataullahjan : Pourriez-vous nous en faire part?

M. Mikoch-Gerke : Je pourrais vous en faire part.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous en serais reconnaissante. Vous avez parlé de la prestation d’une formation sur la sensibilité culturelle, et c’est quelque chose que vous commencez maintenant. Qui s’occupe de donner la formation sur la sensibilité culturelle?

M. Mikoch-Gerke : Nous avons élaboré la formation à l’interne avec l’aide de certains organismes externes, entre autres. Nous espérons l’offrir probablement sous forme d’apprentissage en ligne à tous nos agents.

La sénatrice Ataullahjan : Pour le gouvernement du Canada, de quelle façon s’assurer que les compagnies aériennes ou les transporteurs aériens appliquent la liste d’interdiction de vol de façon uniforme et équitable? Avez-vous eu des interactions avec le gouvernement?

M. Mikoch-Gerke : Chaque jour. La façon dont la LSDA et le Programme de protection des passagers sont actuellement mis en œuvre permet des fluctuations d’un transporteur à l’autre, alors je ne voudrais pas parler de la structure utilisée par les autres transporteurs. Certains se tournent vers des tierces parties. D’autres le font eux-mêmes. D’autres encore utilisent la liste manuelle dans les aéroports. Tout dépend de la taille et de la capacité de gestion. Comme je l’ai dit, nous avons une équipe qui travaille 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans notre centre de contrôle des opérations, et un maximum de 40 personnes peuvent avoir accès à la liste.

Je crois que Transports Canada a dit, lorsque des représentants ont comparu ici le 8, que le ministère a réalisé près de 1 900 vérifications de conformité relativement à la liste de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. Nous avons toujours été en conformité l’année dernière, selon ces vérifications. Notre conformité est vraiment uniforme à l’échelle de tout notre réseau. Je parle ici à l’échelle nationale, au Canada, et à l’échelle internationale, puisque ce n’est pas quelque chose qui est géré directement à l’aéroport. C’est tout simplement une fenêtre contextuelle qui s’affiche, puis tout est réglé par l’équipe centrale. C’est un processus très uniforme, peu importe où la personne se trouve.

La sénatrice Ataullahjan : Est-ce que les renseignements que vous avez actuellement sont suffisants pour éviter les faux positifs?

M. Mikoch-Gerke : Les renseignements que nous avons actuellement ne nous permettent pas d’éviter les faux positifs, vu que nous devons d’abord assurer la correspondance en fonction du nom de la personne. Dans le cadre du système actuel, si une personne a le même nom, nous devons en tenir compte. Cela entraînera naturellement des faux positifs. Nous n’avons pas la capacité de les accepter tant qu’ils ne nous fournissent pas des renseignements supplémentaires.

La sénatrice Ataullahjan : Ma prochaine question vous est destinée, monsieur Kamal. Vous avez dit quelque chose qui me fait beaucoup de peine lorsque vous parlez des « gens qui vous ressemblent ». Nous sommes en 2019, nous ne devrions pas nous inquiéter de ce à quoi les gens ressemblent. Vous avez dit avoir une liste de 2 000 noms... Je suis désolée, j’oublie le nombre. Combien de ces noms sont musulmans? Étant vous-même musulman, vous pouvez dire lorsqu’un nom est musulman.

M. Kamal : Je n’ai pas le nombre exact, mais, de ce que j’ai vu, la tendance est aux noms à consonance musulmane ou arabe, ce qui est malheureux. Cependant, ce sont seulement les noms qu’on a vus dans les médias ou aux nouvelles, le nom de gens qui ont dit : « J’ai eu cette expérience. Voici mon nom, et voici ce qui m’est arrivé. » Par conséquent, la liste que nous avons recueillie contient plutôt des patronymes à consonance musulmane ou arabe, mais c’est aussi dans les médias.

La sénatrice Ataullahjan : Ce sont les gens qui se sont présentés pour en parler. Croyez-vous que le nombre de noms serait beaucoup plus important puisqu’il y a beaucoup de personnes? Il y a une certaine honte associée à tout ça. La sénatrice Hartling a dit que c’est embarrassant d’être pris à partie. Bienvenue dans le monde des musulmans lorsque ceux-ci vont à l’aéroport. Il y a une certaine honte associée à tout ça, et les gens qui sont aiguillés vers des inspections secondaires sont détenus pendant des heures. J’ai récemment entendu un des amis de ma fille qui a été détenu quatre heures pendant qu’il était questionné. N’y a-t-il pas des gens qui refusent d’en parler?

M. Kamal : Assurément. Seulement dans notre communauté, c’est difficile de parler ne serait-ce que d’enjeux réguliers du quotidien, et parler de la surveillance du gouvernement, c’est une tout autre affaire. Les personnes préfèrent taire ça. Beaucoup de personnes ne savent pas qu’elles sont des faux positifs, parce qu’elles n’avaient jamais pris l’avion avant. Dans leur cas, elles ont aussi été touchées, mais ne le sauront pas avant la prochaine fois qu’elles se rendront à l’aéroport. Certaines personnes se disent aussi que ce n’est pas grave et que c’est un inconvénient, sans aller plus loin. Cependant, si elles poussaient leur investigation, elles découvriraient peut-être qu’elles ont elles aussi été des faux positifs. Il y a peut-être beaucoup plus de personnes qui sont des faux positifs, mais nous ne savons tout simplement pas grand-chose sur elles.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez dit que le gouvernement ne fournit aucune statistique à l’effet contraire et refuse de le faire. Toutes les données probantes donnent à penser que c’est un problème qui touche un très grand nombre de Canadiens innocents. Allez-vous continuer d’exercer des pressions sur le gouvernement?

M. Kamal : Bien sûr, parce que le problème en tant que tel transcende l’ethnicité et l’âge, aussi. Même si le ministre de la Sécurité publique a dit qu’aucune personne âgée de moins de 18 ans ne figurait sur la liste, il y a des enfants au sein du groupe No Fly List Kids qui ont 5, 6 ou 12 ans et qui sont signalés à tort. Et le gouvernement refuse de fournir des statistiques sur le nombre réel de faux positifs. Selon moi, c’est signe qu’il y a un problème et ça montre que, soit le gouvernement se moque des faux positifs, soit il ne veut pas se pencher directement sur le problème.

C’est de là que vient le chiffre de 100 000. Nous voulions connaître l’impact. Dans notre groupe, il y a 200 personnes, et on entend des commentaires comme le suivant : « Si cela crée des inconvénients pour 200 personnes — dans une perspective d’ensemble —, c’est le prix à payer ». Cependant, maintenant que notre recherche parle plutôt de 100 000 personnes, ça touche beaucoup plus de personnes. Je crois vraiment qu’il devrait y avoir un système qui fonctionne pour tous les Canadiens, pas seulement pour la majorité.

La sénatrice Ataullahjan : Avez-vous essayé de communiquer avec le ministre de la Sécurité publique, le ministre Goodale? Avez-vous essayé?

M. Kamal : Pas moi personnellement, mais je suis au fait de situations où de telles demandes on été faites, et le gouvernement n’a pas pu ou n’a pas eu le droit de fournir l’information. Je ne sais pas trop si c’est un choix personnel ou si c’est dans la loi. Je ne sais pas pourquoi, mais j’aimerais bien voir un chiffre qui contredit le mien.

La sénatrice Ataullahjan : Obtenez-vous des réponses satisfaisantes du gouvernement actuel?

M. Kamal : Non.

La sénatrice Ataullahjan : Madame Jamil, dans votre article, vous parlez précisément de l’expérience d’un musulman noir dont le prénom était Mohamed. Diriez-vous que la situation des musulmans noirs est relativement pire?

Mme Jamil : Oui, parce qu’ils font l’objet d’un profilage racial double, parce qu’ils sont noirs et parce qu’ils sont musulmans. L’affaire dont vous parlez, Mohammed Yaffa c. Air Canada, s’est retrouvée devant le Tribunal des droits de la personne. Je ne sais pas s’il y a enfin eu un règlement. Au moment où j’ai écrit l’article, ce n’était pas le cas.

De façon générale, le profilage racial des communautés noires au Canada est déjà un problème, un point, c’est tout. Selon moi, il n’y a rien d’ambigu ici. Les musulmans sont de plus en plus considérés comme des minorités raciales aussi, et les gens qui sont noirs et musulmans sont doublement victimes de cette surveillance et de cette discrimination.

La sénatrice Ataullahjan : La plupart d’entre nous sommes présents sur les médias sociaux. J’ai gazouillé la semaine dernière au sujet d’une étude que nous faisions, et une personne m’a répondu ce qui suit : « Vous voulez que des terroristes puissent prendre l’avion, pauvre droitiste .» C’est ainsi qu’on m’a appelée parce que nous faisons cette étude. La raison pour laquelle nous faisons cette étude, c’est parce qu’un homme qui avait un fils de six ans est venu me dire que ce dernier se faisait toujours signaler. Ça m’a poussée à regarder les chiffres. Nous avons un problème, ici. Ça devrait être relativement simple de régler ce problème — c’est ce qu’on a entendu — au moyen des dates de naissance. Y a-t-il un manque de volonté de la part du gouvernement de faire quelque chose? Qu’est-ce qui nous empêche d’aller de l’avant?

Mme Jamil : Je ne sais pas s’il y a un manque de volonté. Je sais que le résultat de tout ça, c’est qu’il ne se passe rien. Le résultat, c’est qu’il y a un écart entre ce qui est dit et ce qui est fait, et ce, depuis longtemps. Il y a aussi une tendance à présenter tout ça comme un problème de collecte de données tout en minimisant l’impact social important de ce problème. Même si, demain, on règle le problème de la liste d’interdiction de vol et que tout devient parfait et qu’on arrête seulement les vrais terroristes, le profilage racial des musulmans dans les aéroports — les regards négatifs, les soupçons, la surveillance, l’attitude qu’ont les gens dès qu’ils voient votre nom sur la carte d’embarquement —, tous ces problèmes persisteront, et il faudra les régler.

Le sénateur Wells : Monsieur Mikoch-Gerke, lorsqu’un nom est signalé et que l’appel est fait, vous dites qu’il faut environ trois minutes avant d’obtenir un résultat. L’appel téléphonique n’est pas fait devant le passager, ou l’est-il?

M. Mikoch-Gerke : Il est fait devant le passager.

Le sénateur Wells : S’il y a un signalement positif, qui, au bout du compte, n’est pas un faux positif, mais un vrai positif, quel est le processus pour l’agent du comptoir ou l’agent à l’embarquement?

M. Mikoch-Gerke : Le processus serait le même pour l’agent à l’embarquement. En fait, tout se passe en arrière-scène. Après avoir obtenu l’identité, les responsables valident qui est la personne et consignent la date de naissance dans les remarques. Notre équipe centralisée vérifie la date de naissance en fonction de la liste de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. Elle communique ensuite avec le Centre d’intervention de Transports Canada. À ce moment-là, nous avons les variables à notre disposition, y compris le nom, la date de naissance et le sexe, tout ce qui figure sur la liste. Puis, nous communiquons avec les responsables de Transports Canada pour les informer que nous avons une possible correspondance. L’ASC, l’agent de service à la clientèle, n’est pas la personne qui fait tout ça au téléphone; son appel est mis en attente pendant qu’on règle le problème en arrière-plan.

Le sénateur Wells : C’est donc l’agent qui confirme la correspondance. De quelle façon ce signalement est-il communiqué à quiconque procédera aux vérifications approfondies?

M. Mikoch-Gerke : Si on peut voir là un processus à trois volets, l’agent de service à la clientèle appelle l’équipe centralisée. L’équipe centralisée fait ses vérifications et peut soit autoriser la personne soit, dans ce cas-ci, ne pas l’autoriser. Pour ce faire, elle dit à l’agent de service à la clientèle de rester en attente pendant que plus d’informations sont obtenues. Puis, les responsables du centre appellent Transports Canada et, à ce moment-là, informent le ministère qu’ils ont une possible correspondance avec une personne sur la liste et fournissent un nom et l’information figurant au dossier. Transports Canada pourra ensuite possiblement poser des questions supplémentaires et peut faire des vérifications en fonction de renseignements quelconques que le ministère possède et que nous n’avons pas à notre disposition.

Le sénateur Wells : L’information est ensuite fournie à l’agent d’embarquement, et on lui dit de ne pas produire de carte d’embarquement, c’est exact?

M. Mikoch-Gerke : Les agents ne pourraient pas produire de carte d’embarquement. L’enregistrement doit être confirmé dans le système pour que l’on puisse faire quoi que ce soit. Si les responsables ne peuvent pas approuver et autoriser le voyageur, l’agent se ferait dire de rester en attente pendant qu’on obtient de plus amples renseignements.

Le sénateur Wells : On ne peut pas rester en attente pour toujours. Que se produit-il lorsque l’agent d’embarquement dit au passager qu’il ne peut pas lui remettre une carte d’embarquement? Parlez-moi du processus. La personne dont le nom figure sur la liste d’interdiction de vol ou la liste de signalement, peut-elle sortir de l’aéroport, monter dans un taxi et retourner chez elle?

M. Mikoch-Gerke : À ce moment-là, le processus devient très complexe. Il y aurait beaucoup d’interactions entre Transports Canada et l’agent du service à la clientèle; l’équipe centralisée agissant à titre d’intermédiaire. Transports Canada peut vouloir obtenir des renseignements supplémentaires sur la personne qui se trouve devant l’agent : son apparence, la couleur de ses cheveux, sa taille, son poids, l’adresse qui figure sur son document d’identité, son numéro de téléphone ou son adresse courriel, si elle a d’autres documents, comme un extrait de naissance. Il peut y avoir un échange pour obtenir de plus amples renseignements afin de valider tout ça. Dans tous les cas où on s’est rendu là, le résultat a toujours été un vrai positif. Le processus peut prendre beaucoup de temps, et la personne se ferait soit remettre une lettre de refus de Transports Canada ou pourrait être aiguillée vers une vérification supplémentaire. Ce sont, essentiellement, les deux résultats.

Le sénateur Wells : WestJet possède-t-elle des caméras à ses guichets de billetterie?

M. Mikoch-Gerke : Nous n’en avons pas. On se fie généralement aux autorités aéroportuaires parce que les aéroports sont des espaces publics, et c’est la responsabilité des autorités aéroportuaires, alors plusieurs transporteurs aériens peuvent y avoir accès.

Le sénateur Wells : Croyez-vous que ce serait utile ou néfaste? Lorsque je passe par la sécurité, on me demande parfois de me tenir debout devant une caméra. Notre photo est prise, et on poursuit le traitement. Est-ce que ça serait utile dans le cadre du processus de WestJet? Et votre processus — vous dites que c’est un processus de trois minutes —, ce qui me semble raisonnable, est-ce qu’il vous donne un avantage concurrentiel par rapport à vos compétiteurs?

M. Mikoch-Gerke : L’un des principaux défis liés au programme dans sa forme actuelle — et cela continuera en fait d’être un défi dans sa nouvelle forme en vertu du projet de loi C-59 —, c’est qu’il faut pouvoir confirmer de façon positive que la personne qui est devant soi est la personne qui a fourni l’information. Lorsqu’on parle de fournir un nom, une date de naissance ou le sexe, n’importe qui au moment de l’enregistrement peut fournir l’information. Cependant, l’algorithme en arrière-plan est tel qu’il fournit soit une évaluation du risque, soit une réponse — ou peu importe ce qui s’impose dans la situation —, mais il faut tout de même valider l’identité de la personne.

Lorsque je parle de la TSA et de ses tâtonnements tandis qu’elle essayait de trouver une façon de le faire, eh bien, son système est tellement bien intégré que, si une personne se déplace à l’extérieur des États-Unis — et je suis sûr que bon nombre d’entre vous l’avez fait — lorsque vous arrivez dans la zone de sécurité, les responsables vérifient votre titre d’identité pour vous. De plus, dans toute carte d’embarquement à l’extérieur des États-Unis, il y a des données de sécurité chiffrées dans le code barres, et l’information contient la réponse automatisée d’un vol sécuritaire... alors ils ne regardent pas seulement la carte d’embarquement : ils reçoivent aussi la réponse automatisée qui a été fournie parce que leur lecteur qui lit la carte d’embarquement est connecté à leur système interne, et ils peuvent valider l’identité. Ils procèdent à la validation de la personne, et ils peuvent aussi valider la vérification requise ou peu importe le statut.

Nous n’avons pas ça au Canada. La responsabilité de valider l’identité du passager revient aux transporteurs aériens. Lorsqu’on voyage à l’extérieur du Canada, ce n’est pas le genre de chose qui se passe au comptoir d’enregistrement. Notre processus pour valider l’identité d’une personne a lieu à l’embarquement, et nous ne validons pas sa date de naissance. Nous validons tout simplement que le nom sur le document d’identité correspond à celui sur la carte d’embarquement, qu’il correspond à ce qu’il y a dans le système et que le visage semble être le même. N’oubliez pas que nos agents de service à la clientèle ne sont pas nécessairement formés pour déceler de faux documents d’identité. Ils sont formés pour faciliter les déplacements. Cette responsabilité de confirmer que la personne qui est devant nous est la même personne qui s’est enregistrée nous revient, et cela se fait alors qu’elle est déjà dans la zone d’accès restreint et prête à embarquer dans l’avion.

Il y a un certain nombre de systèmes, comme vous l’avez mentionné, qui utilisent les données biométriques au Royaume-Uni. Nous commençons à voir ce genre de choses aux États-Unis. Les responsables des départs aériens commenceront à intégrer certaines de ces choses. Nous commençons à voir tout ça dans certains protocoles douaniers. Selon moi, il y a une grande occasion à saisir dans le milieu de la sécurité; c’est quelque chose qui peut être très utile, quelque chose qui nous intéresse assurément du point de vue de l’innovation. Pour l’instant, si les personnes choisissent de nous fournir de tels renseignements biographiques, nous pouvons les valider. Nous envisageons différents types de technologies afin de mieux valider l’identité des personnes. De là, nous pouvons aussi assurer une transition plus facile. Nous avons beaucoup de conversations pour dire : « Pouvons-nous procéder à cette vérification d’identité à l’extérieur de la zone de la sécurité », parce qu’on élimine ainsi cette étape de confirmation de l’identité et le défi que cela représente.

Le sénateur Wells : Voici ma prochaine question : avez-vous besoin des seconds prénoms ou des initiales lorsque des voyageurs s’enregistrent sur WestJet?

M. Mikoch-Gerke : Non, ce n’est pas nécessaire.

Le sénateur Wells : Est-ce quelque chose qui serait utile en tant qu’autre élément servant à l’identification? David M. Wells plutôt que David je-ne-sais-quelle mauvaise-personne Wells?

M. Mikoch-Gerke : Pour parler des complications, si on repense au gouvernement et qu’il existe une volonté de régler certains des défis qu’on rencontre, c’est beaucoup lié à la capacité de mettre en place le système. Nous avons dit au gouvernement que le projet de loi C-59 est un imposant programme centralisé d’autorisation. Il sera efficace, mais il nous faudra une année pour le mettre en place. Nous devrons faire d’importants investissements et d’importants changements systémiques, et on parle ici seulement du système de réservation; cela n’inclut pas tous les Expedia et tous les systèmes de distribution de ce monde.

Dès qu’un gouvernement met en place soit un programme de facilitation, soit un programme fondé sur une liste de surveillance, nous devons travailler avec tous les fournisseurs de technologies et les systèmes de distribution mondiaux pour nous assurer de pouvoir tout mettre en œuvre. Le système de recours est un excellent exemple. Les États-Unis ont déjà un mécanisme de recours, alors nous nous demandons s’il y aura deux champs de recours. De quelle façon pourrons-nous savoir si une personne a besoin d’un des deux? Et si le nom et la date de naissance correspondent aux deux listes? De quelle façon pouvons-nous savoir quel numéro de recours consigner? Y a t-il un identifiant reliant les deux, ou y aura-t-il deux champs? Est-ce que le système de messages sera le même pour les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada? Les pays ont tous des systèmes différents. Intégrer chacune de ces plateformes et chacun de ces programmes, élaborer les technologies et mettre tout ça en place à l’échelle des systèmes, des canaux de vente et de distribution est difficile. Et c’est seulement nous. Bien sûr, nos compétiteurs ont des systèmes de réservation différents. Il y a différentes méthodes de faire tout cela.

Cela dit, nous nous engageons à l’égard du gouvernement de le faire le plus rapidement possible. Nous voulons assurément être l’une des premières entreprises à mettre tout cela en œuvre. C’est la raison pour laquelle nous avons vraiment participé aux consultations et aux processus d’élaboration du programme.

La sénatrice Ataullahjan : Le 8 mai, Sécurité publique Canada nous a dit que l’ajout de noms à la liste d’interdiction de vol se fait sans connaître les noms et sans avoir de photo pour s’assurer que le processus n’est pas biaisé. Le croyez-vous? On pourrait ainsi dissiper certaines des préoccupations que vous avez soulevées dans votre recherche? De quelle façon Sécurité publique peut-il mieux dissiper certaines des préoccupations que vous avez soulevées dans votre article de recherche?

Mme Jamil : Non. Les responsables s’intéressent à l’évaluation de la menace, et je parle de l’impact de la liste d’interdiction de vol. Les gens qui sont signalés en raison de la liste d’interdiction de vol ne sont pas vraiment des menaces et ne sont pas non plus considérés comme des terroristes. Alors même si les responsables réussissent à faire cela en fonction de divers niveaux d’anonymisation, cela ne réglera pas le problème dont j’ai parlé dans ma recherche.

La sénatrice Ataullahjan : Habituellement, lorsque nous réalisons une étude, nous demandons à tous les témoins des recommandations. Quelles recommandations aimeriez-vous que nous formulions? Donnez-m’en trois.

La présidente : La sénatrice Pate a posé la question sur les recommandations. Nous avons des recommandations de chaque témoin.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez donné des recommandations? D’accord.

La présidente : Y en a-t-il d’autres que vous aimeriez ajouter maintenant?

La sénatrice Ataullahjan : D’accord. Le système de recours a été mentionné souvent, très souvent. Que pensez-vous du système de recours?

Mme Jamil : Pour le répéter rapidement, je ne crois pas que le système de recours est vraiment la meilleure option. La première chose qu’il faut faire, c’est corriger le problème de la liste d’interdiction de vol. Le système de recours est seulement utile pour les gens à qui on refuse l’embarquement, pas aux personnes victimes de retard. Beaucoup de personnes n’auront pas de recours grâce à ce système.

La sénatrice Ataullahjan : Merci.

M. Mikoch-Gerke : Si je peux me permettre d’ajouter quelque chose, dans sa forme actuelle, il n’y a pas de recours disponible actuellement pour qui que ce soit. Les personnes qui ne peuvent pas voyager ont accès à un mécanisme d’appel, mais n’ont pas de recours. Il n’y en a pas actuellement. Ce qui est proposé, c’est un recours, et il sera accessible à tous les voyageurs, qu’ils aient été victimes de retard ou qu’on leur ait refusé un vol. Ce sera très similaire à ce qui se fait aux États-Unis dans la mesure où peu importe la raison du retard ou de la perturbation des déplacements, une personne pourra présenter une demande. Ce n’est pas le cas actuellement, alors qu’il y a seulement un mécanisme d’appel.

La présidente : Merci beaucoup à vous tous d’avoir été là aujourd’hui, de votre témoignage et de vos réponses aux questions. Vous avez de toute évidence souligné beaucoup des aspects complexes, et ce, peu importe les stratégies qu’on envisage en tant qu’options pour régler le problème de la liste d’interdiction de vol. Tout cela a été vraiment utile dans le cadre de notre étude.

Je vous suis aussi reconnaissante, madame Jamil, d’avoir mis cela dans le contexte plus général du profilage racial qui a cours au pays et d’avoir soulevé le fait que résoudre ce problème ne réglera pas nécessairement le problème plus général du profilage racial, ce que nous devons faire. Merci.

(La séance est levée.)

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