Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 4 - Témoignages du 16 mai 2016
OTTAWA, le lundi 16 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 13 heures en vue de l'étude d'un projet d'ordre du jour (travaux futurs) et du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada (inspecteur général de l'Agence des services frontaliers du Canada) et modifiant d'autres lois en conséquence.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
Le président : Chers collègues, en ce lundi 16 mai 2016, je vous souhaite la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.
Avant de commencer, j'aimerais présenter les gens assis à la table. Je m'appelle Daniel Lang. Je suis sénateur du Yukon. À ma gauche se trouve le greffier du comité, Adam Thompson. J'invite chacun des sénateurs à se présenter et à nommer la région qu'il représente.
Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Day : Joseph Day, Saint John-Kennebecasis, de Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénateur Claude Carignan, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur White : Vernon White, de l'Ontario.
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de Colombie-Britannique.
Le président : Chers collègues, la réunion d'aujourd'hui durera environ quatre heures. Le premier point à l'ordre du jour est l'élection d'un nouveau vice-président du comité.
Au nom de tous les membres du comité, je tiens à remercier le sénateur Day pour le leadership dont il a fait preuve à titre de vice-président du comité et je suis très heureux de savoir qu'il continuera de siéger au comité et d'assurer la présidence du Sous-comité des anciens combattants.
Encore une fois merci, sénateur Day.
J'inviterais maintenant le sénateur Dagenais à proposer un nom pour le vice-président.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur le président, j'aimerais proposer la sénatrice Jaffer comme vice-présidente.
[Traduction]
Le président : Y a-t-il d'autres nominations? Comme il n'y a pas d'autres nominations, je souhaite la bienvenue à la sénatrice Jaffer à titre de vice-présidente et je me réjouis à l'idée de travailler avec elle. La sénatrice Jaffer est élue vice- présidente du comité.
Chers collègues, aujourd'hui, le Sénat doit étudier un projet de loi d'initiative parlementaire proposé par le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse : le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada (inspecteur général de l'Agence des services frontaliers du Canada) et d'autres lois en conséquence.
Le sénateur Moore est ici aujourd'hui pour parler de son projet de loi. Je souhaite la bienvenue au sénateur Moore, qui a beaucoup travaillé à cette question. Nous disposons d'une heure. Sénateur Moore, vous avez la parole.
L'honorable Wilfred P. Moore, parrain du projet de loi : Merci. Mesdames et messieurs, bonjour. Je vous remercie de prendre le temps d'étudier le projet de loi S-205 qui, s'il est adopté, créera le poste d'inspecteur général de l'Agence des services frontaliers du Canada.
Quinze années ont passé depuis les événements du 11 septembre 2001, qui ont changé le monde à jamais. Depuis, le niveau de sécurité est plus élevé que jamais à l'échelle mondiale. Malheureusement, comme le savent les membres du comité, ces mêmes actes haineux sont perpétrés contre des civils innocents partout dans le monde, et nous devons rester vigilants.
Le projet de loi S-205 ne vise pas à réduire les pouvoirs de l'Agence des services frontaliers du Canada, bien que certains croient qu'il faudrait le faire. Le projet de loi vise la responsabilité et l'équilibre, rien de plus, rien de moins.
Le projet de loi comporte trois volets principaux : le processus de plainte, le rôle d'enquête de l'inspecteur général et le processus de recours.
En vertu du processus de plainte, toute personne peut présenter une plainte relative à un acte de l'ASFC, de ses employés ou de ses agents. L'inspecteur général se réserve toutefois le droit de refuser d'enquêter s'il est d'avis que l'enquête n'est pas nécessaire ou que la plainte n'est pas fondée, est faite de mauvaise foi ou échappe à sa compétence.
L'enquête en soi permettra au plaignant et à l'ASFC de faire valoir leur point de vue à l'inspecteur général et de fournir des éléments de preuve. Si l'inspecteur général est d'avis que la plainte est fondée, il présentera au ministre de la Sécurité publique et au président de l'ASFC un rapport contenant des constatations et des recommandations, de même qu'un délai pour prendre des mesures ou présenter des propositions pour répondre aux recommandations.
Le deuxième principal volet du projet de loi S-205 est la présentation de rapports. En vertu du projet de loi, l'inspecteur général présenterait au ministre de la Sécurité publique, dans les trois mois suivant la fin de l'exercice financier, un rapport sur ses activités générales au cours de l'année. L'inspecteur général pourrait également préparer et présenter un rapport spécial à l'intention du ministre de la Sécurité publique dans lequel il présenterait les questions qu'il juge suffisamment urgentes pour justifier la présentation d'un rapport au ministre avant le rapport annuel.
À son tour, le ministre de la Sécurité publique serait tenu de présenter le rapport annuel ou le rapport spécial devant chaque Chambre du Parlement dans les 15 jours suivant la réception du rapport. Les rapports peuvent aussi simplement souligner les problèmes organisationnels de l'ASFC. Nous avons tendance à être absorbés par les questions relatives aux plaintes et aux recours, mais l'inspecteur général peut faire des suggestions lorsqu'il est d'avis que l'ASFC peine à remplir son mandat.
Le troisième volet principal du projet de loi a trait aux recours. Selon le projet de loi, quiconque a saisi l'inspecteur général d'une plainte peut former un recours devant la Cour fédérale. Le plaignant dispose de 60 jours suivant la communication des conclusions de l'enquête ou l'avis de refus d'ouvrir une enquête par l'inspecteur général.
De plus, si le tribunal conclut que la plainte est fondée, il peut accorder la réparation qu'il estime convenable et juste. L'inspecteur général a également le droit de former un recours devant le tribunal pour le plaignant, si le plaignant y consent, et de comparaître devant le tribunal pour le compte de l'auteur d'un recours.
Depuis le 11 septembre 2001, les pouvoirs de nos agences de sécurité se sont accrus. Or, tandis que ces pouvoirs augmentent, les freins et contrepoids, eux, n'augmentent pas. Nous nous retrouvons dans une situation où nous sommes si en retard en matière de surveillance que les Canadiens commencent à se demander qui protège leur droit à la vie privée, par exemple.
Le projet de loi S-205 se veut une réponse à une demande de surveiller l'ASFC, qui a d'abord été exprimée dans le rapport O'Connor il y a 10 ans. L'ASFC est une agence unique dotée de grands pouvoirs, mais qui n'a pour l'instant aucun mécanisme d'examen indépendant. Une agence avec un mandat si large et de si grands pouvoirs ne devrait pas traiter les plaintes et les enquêtes à l'interne. Ce n'est pas acceptable dans une démocratie comme le Canada.
Je crois qu'il est temps d'assurer la surveillance requise pour que les Canadiens retrouvent confiance en nos agences de sécurité, comme l'ASFC.
Merci.
Le président : Merci beaucoup, sénateur. Je tiens à faire un commentaire historique, pour informer les téléspectateurs. Vous avez parlé du rapport O'Connor et de l'histoire. Je veux vous renvoyer au rapport sénatorial intitulé Vigilance, reddition de comptes et sécurité aux frontières canadiennes. Notre comité a approuvé ce rapport et l'a présenté au Sénat en juin 2015.
Deux de ces recommandations étaient que le gouvernement établisse un organisme d'examen des plaintes indépendant pour l'ensemble de l'Agence des services frontaliers du Canada, de même qu'un organisme de surveillance.
Votre présence ici pour présenter un projet de loi d'initiative parlementaire est opportune et nous permet de discuter de la question d'un point de vue pratique.
Avant de passer aux questions des membres du comité, pourriez-vous nous dire pourquoi vous avez voulu présenter le projet de loi aux fins de discussion?
Le sénateur Moore : Je serai heureux de le faire, monsieur le président, mais je voulais revenir sur vos commentaires au sujet du rapport du comité. Il importe de souligner que vous avez présenté le rapport au Sénat et qu'il a mis en œuvre ces deux recommandations importantes. Ce n'est pas seulement le comité, mais bien le Sénat du pays qui a accepté les recommandations et les adoptées. Il est très important que les Canadiens le sachent.
En ce qui a trait à mes motivations, monsieur le président, je ne sais pas si les membres du comité connaissent le cas de Lucia Vega Jimenez. Cette femme est venue au Canada du Mexique. Elle a eu des problèmes à la frontière. Elle a été emprisonnée — je ne savais pas que l'ASFC exploitait des prisons au Canada — et on lui a refusé le droit à un conseiller juridique. On lui a refusé le droit de consulter un médecin. Elle était très décontenancée. Elle s'est suicidée dans sa cellule à Vancouver.
Je ne peux pas croire qu'un tel événement se soit produit au Canada, que les autorités appropriées n'aient pas pris leurs responsabilités pour veiller à ce que cette personne et d'autres... Il y a eu d'autres décès la semaine dernière et encore un l'autreo jour en Alberta. Quelque chose ne va pas ici. Ces gens ont peut-être des problèmes d'immigration, mais ils ont droit à la vie et nous devons respecter ce droit et veiller à ce qu'ils aient l'occasion d'expliquer leur situation de manière équitable.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je ne veux pas que la mort de cette femme soit sans conséquence.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, sénateur Moore, pour votre présentation. Pourriez-vous nous dire de façon plus détaillée quels seraient les avantages de créer une telle fonction pour surveiller et commenter les activités de l'Agence des services frontaliers du Canada? En d'autres mots, quelles sont les activités dont cette personne devra faire rapport lorsqu'elle sera en fonction?
J'aurai une deuxième question par la suite, monsieur le président.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. L'inspecteur général entendrait les plaintes des Canadiens ou des visiteurs au pays. Il déciderait si les plaintes sont frivoles ou si elles sont suffisamment importantes, et permettrait à ces personnes d'avoir une audience indépendante à l'extérieur de l'ASFC.
À l'heure actuelle, ces plaintes sont traitées à l'interne. Par souci de transparence et de responsabilisation, je crois que cette situation devrait changer.
On établirait ce processus et l'inspecteur produirait des rapports à la suite des audiences. Comme je l'ai dit dans mon exposé, les cas spéciaux seraient traités immédiatement et les questions de routine, si l'on veut, — et il y en a eu plusieurs au cours de l'année — seraient abordées dans le rapport annuel. Dans tous les cas, le ministre et le président de l'ASFC y participeraient.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Pourquoi trouvez-vous important que la Chambre des communes et le Sénat approuvent la nomination d'un inspecteur général de l'Agence des services frontaliers du Canada, et que la nomination soit faite par les deux Chambres?
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je crois que c'est très important, monsieur le sénateur. Le système actuel ne fonctionne pas. Je suggère au comité que le projet de loi proposé améliorerait l'intégrité de notre système et permettrait aux Canadiens ou à d'autres d'avoir confiance que leur plainte serait entendue et serait prise en considération de façon équitable par un auditeur indépendant, l'inspecteur général. Nous n'avons pas cela à l'heure actuelle.
Je crois que la nomination de cette personne selon l'approbation des deux chambres est essentielle afin que la population canadienne sache que ses représentants élus et nommés ont dûment étudié la question et qu'ils ont à cœur les intérêts des Canadiens.
Le sénateur White : Je vous remercie de votre présence ici aujourd'hui, sénateur Moore. Est-ce que la possibilité de former un recours devant la Cour fédérale exprimée à l'article 15.21 est fondée sur le modèle d'autres agences qui ont la même capacité?
Le sénateur Moore : Lorsque nous avons rédigé le projet de loi, avec les conseillers juridiques et au Sénat, le système qui nous convenait le mieux était celui du Royaume-Uni. Nous tentons d'établir une tradition de surveillance qui est établie au Royaume-Uni et qui fonctionne.
Le sénateur White : Il n'y a rien au Canada; c'est bien cela, sénateur?
Le sénateur Moore : Pas à ce que je sache.
Le sénateur White : Ma deuxième question porte sur ce qui est absent du projet de loi, si je puis dire. La portée des activités des agents d'exécution de la loi de l'ASFC est restreinte. Par exemple, si une personne dépasse la vitesse maximale avec un véhicule, ces agents sont tenus de communiquer avec la GRC ou les services de police locaux.
Avez-vous songé à élargir le rôle de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes du public contre la GRC afin qu'elle vise l'ASFC étant donné qu'un grand nombre d'enquêtes mettent les deux organismes en cause? Dans la même veine, avez-vous songé à donner à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes du public le rôle d'inspecteur général? Cela accélérerait le processus puisqu'elle serait opérationnelle dès l'adoption du projet de loi.
Le sénateur Moore : Nous avons étudié cette possibilité, monsieur le sénateur.
Le sénateur White : Ah oui? D'accord.
Le sénateur Moore : Il est important qu'il y ait un bureau indépendant et autonome. La GRC a ses propres problèmes, et je pense que ceux de l'ASFC sont différents. La force s'accroît; elle a besoin de son propre processus d'examen et d'une personne pour s'en occuper.
Le sénateur White : Je comprends cela. Sachez, sénateur, que je comprends parfaitement le besoin et le désir de tout le monde ici de voir un changement, de passer de ce que nous avons fait au cours de la dernière décennie à la direction que nous prenons actuellement.
En ce qui concerne l'entrée en vigueur, à l'article 12, le sénateur accepterait-il un amendement favorable afin que nous fixions la date d'entrée en vigueur à 6 ou 12 mois suivant l'adoption du projet de loi à la Chambre?
Le sénateur Moore : J'y ai réfléchi...
Le sénateur White : Je déteste faire pression sur les gens.
Le sénateur Moore : Non, c'est bien. Cela ne me pose aucun problème, sénateur. Je ne voulais pas qu'un délai soit fixé maintenant dans le projet de loi et que quelqu'un dise que nous faisions dépenser de l'argent à Sa Majesté. J'avais pensé qu'il était préférable de laisser à la Chambre des communes le soin de fixer la date, sénateur, et que le processus royal s'enclencherait ensuite. C'était mon raisonnement, tout simplement.
Le sénateur White : Je n'avais pas pensé à l'aspect financier du projet de loi. Merci beaucoup.
Le président : Pourrais-je poursuivre un peu sur ce sujet? Le paragraphe 12(2) indique très clairement :
Le décret visé au paragraphe (1) ne peut être pris que si le gouverneur général a recommandé l'affectation de crédits pour l'application de la présente loi...
Je pensais que vous aviez réglé la question avec cet article, afin que ce soit très clair que nous ne demandons pas l'affectation de crédits; ils doivent approuver les crédits.
Le sénateur Moore : Oui, monsieur le président.
Le président : Cela ne couvre-t-il pas dans une bonne mesure la question posée par le sénateur White?
Le sénateur Moore : Je pense que oui. Je voulais simplement clarifier mon raisonnement, monsieur le président. J'avais prévu qu'on me poserait cette position, mais oui, je suis d'accord.
Le président : Un amendement favorable pourrait donc être recevable?
Le sénateur Moore : Je suis ouvert à la sagesse du comité. Je crois que c'est un projet de loi important, et si nous pouvons l'améliorer, je suis tout à fait d'accord pour que nous le fassions.
La sénatrice Jaffer : Je tiens à vous remercier de donner une voix à ceux qui n'en ont pas. Vous avez parlé de l'affaire Jimenez. Cela n'entache pas seulement la réputation de l'ASFC, mais aussi celle des Canadiens. Les gens de la Colombie-Britannique se rappellent très bien ce qui s'est passé. C'était une femme vulnérable, qui fuyait la violence, et c'est ainsi que nous l'avons traitée. Vous proposez une excellente façon d'honorer sa mémoire. Je vous en remercie.
J'ai plusieurs questions à poser. Je vais vous en poser quelques-unes maintenant, et les autres peut-être plus tard. Lorsque j'ai examiné le projet de loi, je me suis dit que nous savons tous que le gouvernement exercera une certaine surveillance; évidemment, comme vous n'avez pas vu le projet de loi, vous ne pouvez pas faire de commentaires là- dessus.
Selon ce que prévoit le projet de loi, cela pourrait déjà être inclus dans la disposition de surveillance, mais nous ne le savons pas encore. Nous ne savons pas ce que contient l'autre projet de loi. Il faudra donc attendre de voir.
Le sénateur Moore : Voulez-vous que je fasse un commentaire à ce sujet?
La sénatrice Jaffer : Oui, s'il vous plaît.
Le sénateur Moore : Merci, sénatrice. Comme nous le savons, le gouvernement envisage de mettre en place un comité parlementaire pour surveiller les ministères et les organismes responsables de la sécurité nationale, et je m'attends à ce que l'ASFC soit l'un de ces organismes.
J'ai discuté avec le secrétaire parlementaire du ministre, et j'ignore si le projet de loi qui pourrait être présenté ira aussi loin, s'il contiendra des dispositions détaillées visant à fournir un processus d'appel aux Canadiens, notamment, qui sont pris dans l'engrenage de notre système.
Je ne veux pas présumer que ce sera le cas, et je voudrais que nous allions de l'avant de toute façon. Je sais que le ministre a indiqué qu'il comparaîtra au comité ce mois-ci, je crois, n'est-ce pas?
La sénatrice Jaffer : La semaine prochaine.
Le président : Oui, la semaine prochaine.
Le sénateur Moore : Nous écouterons ce qu'il a à dire, mais je ne suis pas sûr qu'avec ce qui est proposé, les gens auront la possibilité de déposer des plaintes, que ce soit en ce qui concerne l'ASFC ou un autre ministère fédéral qui pourrait être assujetti à ce nouveau projet de loi. Je continue de penser que nous devrions aller de l'avant et je préconise cette solution.
La sénatrice Jaffer : L'une des choses qui me plaisent beaucoup, dans ce projet de loi, c'est que vous éliminez toute possibilité de nominations partisanes en demandant que l'inspecteur général soit nommé après consultation de chacun des partis reconnus, plutôt que seulement le gouvernement. J'aime cette disposition du projet de loi, car il s'agit d'une question très importante; d'autres le sont également, mais celle-ci l'est particulièrement. J'aimerais que vous nous parliez plus en détail de votre réflexion à ce sujet.
Le sénateur Moore : Cela nous ramène à ce que nous avons dit tout à l'heure. Le président a demandé pourquoi c'est important. Il est important que les Canadiens sachent qu'il s'agit d'un responsable à qui ils peuvent s'adresser et qui a été nommé par nous tous, et que cette personne a l'énorme responsabilité de se comporter correctement et d'examiner en toute impartialité toute plainte légitime déposée par les Canadiens. Il en va de l'intégrité du système et de notre identité en tant que peuple.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'essaie de comprendre le système, sénateur Moore. Je comprends que le mandat de l'inspecteur général serait, selon l'alinéa a), de formuler des observations, de contrôler les activités de l'agence dans l'exécution de son mandat, et d'en faire rapport, notamment en formulant des observations et des recommandations concernant les procédures et le rendement de l'agence. Jusque-là, je vous suis. Ce que je ne comprends pas, c'est lorsque vous proposez un recours judiciaire devant la Cour fédérale. Qu'est-ce que nous voulons faire contrôler à la Cour fédérale? Qu'est-ce que nous voulons faire réviser, et sur quelles bases?
[Traduction]
Le sénateur Moore : Merci. Les observations dans le cadre du mandat... Examinons la situation actuelle. Nous avons des problèmes concernant le pont entre Windsor et Detroit, nous avons des gens qui tentent d'entrer au Canada à partir des États-Unis, nous avons des guérites sans personnel, et d'autres que l'on ferme lors des changements de quarts, même lorsque des gens attendent en file pour entrer au pays. Si l'inspecteur général était en poste aujourd'hui, je pense qu'il serait au courant de cela, qu'il pourrait s'adresser aux autorités compétentes au sein de l'ASFC et du gouvernement pour indiquer que l'agence a besoin de personnel supplémentaire, qu'elle a besoin d'aide et qu'elle doit s'assurer que les agents, à la fin de leur quart de travail, ne quittent pas la guérite après avoir allumé la lumière rouge, en laissant les gens attendre et se demander ce qui se passe. Les gens qui sont dans la voie NEXUS devraient pouvoir passer dans la voie NEXUS. L'inspecteur général devrait pouvoir se pencher sur ces problèmes opérationnels et contribuer à trouver des solutions constructives et positives, en collaboration avec le président et le ministre.
[Français]
Le sénateur Carignan : Jusque-là, ça va, mais de quoi sera saisi le tribunal? On ne peut pas avoir recours au tribunal chaque fois que l'inspecteur juge que la procédure administrative n'a pas été suivie de façon appropriée. Allons-nous demander à la Cour fédérale de rappeler les gens à l'ordre?
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je ne dis pas que cela arrivera chaque fois, non. De quel article s'agit-il?
[Français]
Le sénateur Carignan : C'est parce que je ne vois pas de limites. Ne devrions-nous pas prévoir une disposition privative dans le recours judiciaire pour indiquer les cas spécifiques dans le cadre desquels il pourrait y avoir un recours judiciaire et pour limiter les cas de recours judiciaire aux aspects qui sont manifestement déraisonnables, en ce qui concerne les décisions de l'agence, ou aux aspects qui soulèvent des questions juridiques évidentes qui doivent être traitées? Actuellement, d'après ce que je comprends, le tribunal servirait à réviser en général toutes les décisions ou observations de l'inspecteur.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Non, ce n'est pas ce que je propose. Il faudra peut-être fignoler cet article, mais je m'attends à ce que l'inspecteur général prenne des décisions fondées sur les preuves que lui fourniront la personne et l'ASFC, et qu'il rende une décision sur la plainte.
Si la décision ne satisfait pas le citoyen, il pourra s'adresser à la Cour fédérale. S'il ne veut pas le faire, pour une raison ou pour une autre, l'inspecteur général pourra exercer le recours pour le compte du citoyen.
Si la disposition doit être resserrée, je comprends.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je crois que oui. Dans votre exposé, vous avez affirmé que nous devrions faire preuve de plus de transparence, mais au paragraphe 15.8(1) du projet de loi, en anglais, en ce qui concerne les enquêtes sur les plaintes menées par l'inspecteur général, on peut lire ce qui suit :
[Traduction]
[...] shall be conducted in private.
[Français]
En anglais, on dit que les enquêtes menées par l'inspecteur sous le régime de la présente loi sont secrètes. Donc, lorsqu'on parle d'enquêtes secrètes, il s'agit d'un niveau de confidentialité beaucoup plus élevé que des enquêtes qui sont menées de façon privée. Quelle est votre intention?
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je pense que c'est censé être « de façon privée ».
[Français]
Le sénateur Carignan : Vous ne voulez pas d'auditions publiques, mais vous ne proposez pas nécessairement que ce soit secret.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Exactement. Nous voulons que la vie privée du plaignant soit respectée; ce que vous dites est exact. C'est une nuance de la langue, et cela peut être modifié.
Le président : Il faudra le souligner, sénateur, lorsque nous discuterons des articles du projet de loi.
Le sénateur Oh : Sénateur Moore, je vous remercie de vous pencher sur cette question importante dans le projet de loi.
Ma question porte sur l'article 15.20. Étant donné le travail important qu'accomplira le Bureau de l'inspecteur général de l'ASFC, l'inspecteur général sera tenu d'exercer ses fonctions au sein d'organismes paramilitaires. Pouvez- vous nous dire pourquoi la pénalité prévue pour entrave à l'action de l'inspecteur général, au paragraphe 15.20(2), est si légère et pourquoi l'amende n'est que de 1 000 $? Pouvez-vous nous expliquer comment l'amende a été fixée et nous dire si vous accepteriez qu'elle soit augmentée?
Le sénateur Moore : Je vous remercie de la question, sénateur. J'avais pensé que cela attirerait l'attention.
Lors de la rédaction du projet de loi, comment décider quelle mesure dissuasive devrait être utilisée? Si le comité considère, dans sa sagesse, que l'amende devrait être plus élevée et si les membres du comité s'entendent sur le montant qui devrait être fixé, je suis tout à fait prêt à accepter un amendement à cet effet.
Nous avons dû inscrire un montant afin que les gens sachent que nous prenons cela au sérieux et que si une personne entrave le travail de l'inspecteur général, elle en sera avisée et elle sera passible d'une amende.
Si le comité est d'avis que l'amende devrait être augmentée, je n'y vois pas d'inconvénient, sénateur.
Le sénateur Oh : Actuellement, certaines amendes relatives aux infractions au code de la route s'élèvent à plus de 1 000 $.
Le sénateur Moore : Je comprends.
Le sénateur Oh : Pourriez-vous nous expliquer le processus que devra suivre l'inspecteur général pour déposer une plainte ou une accusation d'entrave? Le projet de loi ne précise pas comment un problème lié à l'entrave peut être réglé.
Le sénateur Moore : Pourriez-vous répéter la première partie de votre question? Je veux être sûr de bien comprendre ce que vous demandez.
Le sénateur Oh : Pourriez-vous nous expliquer le processus que devra suivre l'inspecteur général pour déposer une plainte ou une accusation d'entrave?
Le sénateur Moore : Comme je l'ai mentionné, il est important que les gens qui participent à ce processus le prennent au sérieux, que l'on tienne compte des droits des individus et qu'ils aient droit à un examen exhaustif et équitable de leur plainte, ce qui suppose la production de toutes les données ou de tous les documents dont pourrait avoir besoin l'inspecteur général pour effectuer son travail.
C'est très sérieux. Qu'il soit question du cas de Mme Jimenez ou d'autres cas, ils réclament une attention immédiate et ils nécessitent qu'un système efficace soit mis en place afin d'offrir à ces personnes un processus d'audience équitable et opportun.
Le sénateur Kenny : Sénateur Moore, c'est très ambitieux de votre part de présenter un projet de loi étoffé de cette taille sur ce sujet. Vous méritez des félicitations. Je n'ose imaginer le nombre d'heures que vous y avez consacré.
Lorsque vous avez décidé d'utiliser le titre d'« inspecteur général », avez-vous comparé ce poste avec le rôle de l'inspecteur général prévu dans la version originale de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité? Le titre de ces postes est le même, mais avez-vous comparé les fonctions?
Le sénateur Moore : Non.
Le sénateur Kenny : Je pose la question parce que le rôle de l'inspecteur général du SCRS est en quelque sorte comparable à celui d'un canari dans une mine de charbon. Il consiste à prévenir le ministre lorsque les fonctionnaires ne font pas preuve de transparence avec lui. Il est censé être compensé par celui du CSARS, qui ferait un certain nombre de choses que fait l'inspecteur général ici.
Il me semble que le poste prévu pour cet inspecteur général dans une organisation liée au renseignement et celui que le Parlement a jugé approprié pour le CSARS ont le même titre, mais qu'ils sont très différents; en tout cas, à première vue, ils semblent l'être.
Le sénateur Moore : Nous ne nous sommes pas inspirés du modèle du SCRS. Toutefois, je m'attends à ce qu'il y ait, pour ces deux mandats, certaines tâches fondamentales et certains droits fondamentaux qui y soient rattachés, mais nous n'avons pas tiré cela de cette loi.
Le sénateur Kenny : D'accord.
Le sénateur Moore : Il est bon de constater que les gens ont la même opinion sur la protection des droits des individus.
Le sénateur Kenny : Un poste a un rôle privé, et pour ce poste-ci, le rôle est très public.
Le sénateur Moore : Oui.
Le sénateur Kenny : Ma prochaine question concerne les partis reconnus. Je comprends que c'est tout à fait sensé à la Chambre des communes. Or, au Sénat, cela pourrait être différent, étant donné que nous avons un grand nombre de sénateurs indépendants et que ce nombre est susceptible d'augmenter. Y avez-vous songé?
Le sénateur Moore : J'y songe un peu lorsque je siège au Sénat et que je regarde les choses évoluer, mais je ne m'y arrête pas. La semaine dernière, j'ai comparu devant un comité de sénateurs indépendants au sujet d'un autre projet de loi, et la question est la même là-bas comme ici. Tout ce qui compte, c'est de rendre le pays meilleur, de faire preuve d'une solide motivation et d'essayer de faire de notre mieux. Je ne m'inquiète donc pas outre mesure de la partisannerie lorsqu'il est question de l'étude d'un projet de loi comme celui-ci au Sénat.
Le sénateur Kenny : Je voulais savoir si ces personnes seraient exclues. La sénatrice Jaffer vous a félicité pour avoir prévu que tous les partis reconnus seront consultés au sujet de la nomination. Or, les partis reconnus ne représentent même pas le tiers du Sénat actuellement.
Le sénateur Moore : C'est une bonne question. Que puis-je répondre?
Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'il faudra modifier la façon dont le Règlement du Sénat est rédigé actuellement en ce qui concerne l'intégration au caucus, les membres, la composition, les partis reconnus et également le financement de divers bureaux au Sénat. Compte tenu de la réalité que vous avez mentionnée, et à mesure que nous nous rapprochons de la fin de l'année civile, vous verrez probablement davantage de sénateurs indépendants au Sénat — il y en aura plus qu'en ce moment, et ils seront peut-être plus nombreux que les sénateurs qui, comme moi, appartiennent à un parti politique. Je suppose que nous allons devoir traverser le pont lorsque nous serons arrivés à la rivière.
Le président : Sénateur, permettez-moi d'ajouter que, selon moi, le sénateur Kenny soulève un point intéressant. C'est une question sur laquelle nous pourrions nous pencher plus tard, mais cela pourrait mener à un amendement au projet de loi en ce qui concerne les « partis reconnus » ou les « caucus reconnus du Sénat ». Au bout du compte, il devra y avoir une certaine discipline à l'intérieur du Sénat, et on devra probablement prendre les décisions par l'intermédiaire des caucus. Cela répond peut-être, du moins en partie, à la question soulevée par le sénateur Kenny.
Le sénateur Moore : C'est un excellent point sur le plan pratique, monsieur le président. Quelle sera la structure... Elle sera peut-être régionale, qui sait?
Le sénateur Day : En ce qui concerne cette spéculation sur l'avenir du Sénat, monsieur le président, je ne crois pas que nous devrions recommander maintenant des amendements au projet de loi. Il n'y a aucune raison de supposer que tous les sénateurs indépendants vont se regrouper pour former un caucus, car le terme « caucus » implique de renoncer à une partie de son indépendance au profit du groupe. S'ils sont réellement indépendants, et ils semblent l'être, nous ne pouvons présumer qu'ils formeront un caucus.
Je ne recommanderais pas ce changement, mais je souligne qu'à l'article 15.2, l'approbation par résolution du Sénat et de la Chambre des communes est également envisagée. La sénatrice Jaffer a mentionné les divers groupes consultés et comment se déroulera le processus. Il semble que cela soit votre réponse à la situation, c'est-à-dire que tous les sénateurs ont la possibilité de participer à un débat concernant la résolution et à un vote concernant toute résolution.
Êtes-vous d'accord avec moi, sénateur?
Le sénateur Moore : Oui, absolument. C'est la situation actuelle, et c'est le projet de loi que nous examinons.
Le sénateur Day : C'est parfait. Peu importe qu'il fasse partie d'un groupe ou pas, chaque sénateur a la possibilité de participer.
Le sénateur Moore : C'est exact.
Le sénateur Day : Ma question porte essentiellement sur ce qui pourrait être qualifié comme étant le rôle de surveillance par opposition au processus de plaintes que vous donnez à ce groupe.
Bien que nous n'ayons rien entendu de la part du ministre jusqu'à présent et que nous n'avons examiné aucun projet de loi, selon les articles que j'ai lus, une mesure législative sera proposée avant l'été. J'ai cru comprendre d'après la discussion qui a eu lieu plus tôt que vous êtes d'avis qu'il sera davantage question du rôle de surveillance plutôt que du processus de plaintes?
Le sénateur Moore : Oui, sénateur.
Le sénateur Day : Donc, le rôle de supervision pourrait ou non être exercé par un groupe composé de députés et de sénateurs, mais il s'agit tout de même d'une fonction de surveillance.
Le sénateur Moore : Oui, c'est cela.
Le sénateur Day : Vous les avez regroupés. L'un des éléments peut être facilement supprimé pour éviter un conflit ou un dédoublement concernant un élément de la mesure proposée.
J'aimerais savoir ce qui peut être divulgué dans le cadre du processus de surveillance. Après avoir lu la mesure législative, je crois que vous envisagez que l'inspecteur général soit un membre du Conseil privé et qu'il serait tenu de respecter les règles de non-divulgation du Conseil privé.
Le sénateur Moore : Je n'avais pas pensé que le poste serait occupé par un membre du Conseil privé. Je croyais plutôt qu'il serait occupé par un haut fonctionnaire du Parlement, comme le vérificateur général ou le commissaire à la protection de la vie privée. Je crois que ces personnes sont à l'abri de poursuites judiciaires. C'est un point valable, je suppose, mais je n'avais pas envisagé qu'il s'agirait de la nature du poste, sénateur.
Le sénateur Day : L'inspecteur général aurait-il accès aux renseignements auxquels ont accès les membres du Conseil privé?
Le sénateur Moore : Si l'inspecteur général surveille les activités de l'agence, il pourrait relever certains aspects à améliorer et faire des suggestions. L'inspecteur général ferait des suggestions au ministre, ainsi qu'à la présidente de l'agence, je présume. Je ne crois pas que l'inspecteur général s'adresserait au ministre afin de lui demander des renseignements confidentiels du Cabinet.
Le sénateur Day : Je suppose que j'ai du mal à comprendre l'article 15.17 proposé et quels seraient les renseignements à la disposition de l'inspecteur général. Le terme « notamment » est ensuite utilisé — il est question, à la page 8 du projet de loi, de renseignements protégés par le secret professionnel liant l'avocat à son client et de renseignements confidentiels du Conseil privé du Canada.
Au paragraphe (4), comme l'article au complet est assujetti aux paragraphes (3) et (4), il est écrit que l'inspecteur général peut communiquer des renseignements lorsqu'il est d'avis qu'il est nécessaire de le faire pour expliquer la situation. Cela signifie que des renseignements protégés par le secret professionnel liant l'avocat à son client peuvent être communiqués. Je ne suis pas certain pour ce qui est du Conseil privé. Ma préoccupation, c'est que cela ne nous permet-il pas d'éviter des mesures de sécurité qui ont été établies au cours de nombreuses années et de nombreuses décennies? Il est indiqué que l'inspecteur général, indépendamment de toutes les mesures de sécurité, peut communiquer des renseignements s'il juge, après avoir appliqué ses propres critères, qu'il est nécessaire de le faire.
Le sénateur Moore : C'est un bon point, sénateur. Comme je suis moi-même avocat, la question des renseignements protégés par le secret professionnel me préoccupe.
Le sénateur Day : Oui, elle me préoccupe également.
Le sénateur Moore : Les tribunaux ont statué récemment que c'est quelque chose qu'il faut protéger. C'était en lien avec des cas de blanchiment d'argent dont la Cour suprême avait été saisie l'an dernier. Il faut resserrer les règles, c'est certain. Merci.
Le sénateur Day : Merci.
Le président : Collègues, il reste environ 15 minutes. Je demande à tous de faire preuve de concision et je demande au témoin de répondre brièvement de sorte que nous puissions examiner tous les points sur la liste. Quatre sénateurs ont des questions à poser.
La sénatrice Jaffer : Sénateur Moore, je vous demanderais de vous reporter au paragraphe 15.6(1) de votre projet de loi. Il est question d'une plainte qui « est futile ou vexatoire ou a été portée de mauvaise foi ». Je ne sais pas comment cela sera interprété, mais j'ai l'impression que ce paragraphe pourrait être interprété de façon très large, de sorte que l'inspecteur général pourrait rejeter certains cas très valables.
J'aimerais tout d'abord que vous expliquiez pourquoi vous avez jugé nécessaire d'inclure ce paragraphe dans le projet de loi. Bien sûr, il n'y a pas de définition — il ne peut pas y en avoir. Je ne vous accuse pas, mais différents inspecteurs généraux pourraient interpréter différemment ce qui constitue une plainte futile.
Le président : De quel article s'agit-il?
Le sénateur Moore : Il s'agit de l'alinéa 15.6(5)a).
En l'ajoutant dans le projet de loi, je suppose que nous voulions indiquer clairement qu'il s'agit d'un processus sérieux. Nous ne voulons pas recevoir une avalanche de plaintes non sérieuses, comme des plaintes portant sur des violations de droits garantis par la Charte ou d'autres plaintes du même genre. Nous ne voulons pas que le processus soit pris à la légère et que des agents aux postes frontaliers fassent l'objet d'attaques futiles ou mal intentionnées et qui sont dénuées de tout fondement. Je crois qu'il faut faire preuve de bon sens. J'ai inclus l'alinéa pour ces raisons, c'est-à- dire afin que les gens comprennent qu'il s'agit d'un processus sérieux et que ce n'est pas la saison de la chasse aux agents de l'ASFC. Ce n'est pas l'objet du projet de loi.
Le sénateur White : Je vous remercie de nouveau, sénateur Moore. Félicitations. Ce projet de loi tombe à point.
Ma question porte sur le même paragraphe que celui mentionné par la sénatrice Jaffer. En ce qui concerne une plainte qui n'a pas été instruite ou que l'inspecteur général a refusé d'instruire, la personne ayant déposé la plainte pourrait-elle interjeter appel à la Cour fédérale, ou cela serait-il possible uniquement si la plainte a déjà été instruite par l'inspecteur général?
Le sénateur Moore : Un appel serait possible uniquement dans le cas d'une plainte déjà instruite par l'inspecteur général.
Le sénateur White : Un processus d'appel est-il prévu pour les personnes dont la plainte a été jugée futile, vexatoire ou portée de mauvaise foi?
Le sénateur Moore : Non, il n'y a pas de processus d'appel prévu.
Le sénateur White : Aucun processus d'appel n'est prévu?
Le sénateur Moore : Non, monsieur. Je vais clarifier les choses. Avant de rendre une décision, l'inspecteur général discutera avec l'agence et avec le plaignant afin de recueillir des faits et des éléments de preuve. Il disposera ainsi de tous les renseignements pertinents au moment de rendre une décision.
Je le répète, le bureau ne traitera pas non plus l'affaire à la légère. Il a des responsabilités et des pouvoirs, et les gens doivent comprendre qu'il s'agit d'une fonction importante et qu'elle doit être prise au sérieux.
Le sénateur White : Merci, sénateur. Il y a quelques années, on a discuté de la possibilité de déposer des plaintes contre des officiers supérieurs de la GRC et de la question de savoir si des membres de la GRC pouvaient ou pas déposer des plaintes. Le projet de loi permettrait-il à des agents de l'ASFC de déposer des plaintes à l'endroit de cadres supérieurs de l'agence?
Le sénateur Moore : Pour être franc, je n'y avais pas pensé. Cela a été motivé par...
Le sénateur White : Des plaintes de l'extérieur.
Le sénateur Moore : Oui, il s'agit plutôt de plaintes liées aux droits de citoyens, de personnes coincées dans le processus d'immigration.
Le sénateur White : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ce n'est probablement qu'une coquille, mais au paragraphe 15.17(2), on lit « sour réserve », alors que ce devrait être « sous réserve ».
Quelle est l'importance, pour vous, que d'autres personnes que celles qui sont détenues ou qui font l'objet d'une enquête par l'Agence des services frontaliers puissent déposer des plaintes, et que des tierces parties puissent également avoir la possibilité de déposer des plaintes?
[Traduction]
Le sénateur Moore : Parlons-en. Une personne qui ne cherche pas à déposer une plainte, mais qui est insatisfaite de la façon dont elle a été traitée, c'est une chose. Ce que vous cherchez à savoir, c'est ce qui se passe s'il s'agit d'une autre personne à l'intérieur de ce groupe.
Je crois que, si cela se produisait, l'inspecteur général en prendrait note et examinerait probablement la situation, c'est-à-dire qu'il surveillerait la façon dont l'agence exécute son mandat, déterminerait si le motif est valable et chercherait à faire quelque chose de constructif pour améliorer la situation. On ne parle pas d'une intervention non fondée, mais plutôt d'une intervention sérieuse qui pourrait améliorer la situation. Je n'ai pas encore réfléchi à un tiers, à l'extérieur du système d'immigration, qui pourrait vouloir faire une telle chose. L'inspecteur général, dans le cadre de son mandat de surveillance de l'agence, pourrait examiner la situation.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai de la difficulté avec le recours judiciaire, aux articles 15.21 et suivants, et particulièrement avec un des aspects du paragraphe 15.22(5), où on peut lire ce qui suit :
(5) Le tribunal peut, s'il estime que l'Agence ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
J'ai lu le projet de loi, et la seule obligation que j'ai trouvée pour l'agence, c'est de répondre aux exigences énoncées à l'alinéa 15.11(1)b), où l'inspecteur général présente au ministre et au président un rapport où, et je cite :
b) il demande, s'il le juge à propos, au ministre et au président, de lui donner avis, dans un délai déterminé, soit des mesures prises ou envisagées pour la mise en œuvre de ses recommandations, soit des motifs invoqués pour ne pas y donner suite.
C'est le seul endroit où je constate que l'agence aurait une obligation quelconque à respecter, soit celle de dire, dans un délai déterminé, si elle a mis en œuvre les recommandations ou si elle a refusé de les mettre en œuvre. À aucun autre endroit je ne vois de dispositions qui seraient coercitives pour l'agence. Est-ce qu'il y a d'autres contraintes auxquelles l'agence serait soumise?
Par exemple, on mentionne ceci au paragraphe 15.22(5) :
[...] l'Agence ne s'est pas conformée à la présente loi [...]
Cependant, aucune obligation réelle n'est imposée à l'agence outre celle de se soumettre à l'inspection de l'inspecteur général. La seule obligation qu'a l'agence, outre celle de se soumettre à l'inspection, c'est d'expliquer pourquoi elle a mis en œuvre les recommandations de l'inspecteur ou pourquoi elle a refusé de les mettre en œuvre.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Tout d'abord, l'agence, comme n'importe quelle autre partie, serait tenue de ne pas nuire à l'inspecteur général dans l'exécution de ses fonctions. Le processus pourrait ainsi être considéré comme pleinement achevé. Je crois que ce que vous laissez entendre, c'est que l'agence ne ferait pas cela.
Eh bien, il me semble que l'inspecteur général s'adresserait d'abord au ministre et à la présidente de l'agence et les informerait que la personne n'est pas satisfaite, que les employés ne font pas leur travail ou que ceux-ci ne fournissent pas les renseignements demandés.
Je suppose que des pressions pourraient être exercées par le ministre. La personne pourrait dénoncer la situation publiquement. Je ne crois pas que c'est ce que souhaiterait l'agence. Par conséquent, dans le contexte du projet de loi et de ce que nous tentons de faire à cet égard, l'agence serait sans doute bien avisée de ne pas répondre pleinement et d'agir conformément à la volonté de l'inspecteur général.
Sénateur, si vous utilisiez des termes pouvant apporter plus de précision, je suis...
[Français]
Le sénateur Carignan : Je ne vois pas de disposition qui recommande à l'agence de ne pas entraver le travail de l'inspecteur général. Devrait-il y en avoir une?
[Traduction]
Le sénateur Moore : Alors, vous ne croyez pas que les sanctions prévues à l'article 15.20 seraient suffisantes pour — ou du moins, comme je l'ai dit...
Le président : Chers collègues, le temps presse, et je crois que le sénateur Carignan a soulevé un point que nous pourrons examiner plus tard et au sujet duquel nous pourrons demander d'autres renseignements. L'intervention du sénateur Kenny sera la dernière.
Le sénateur Kenny : Sénateur Moore, l'une des choses qui me sont venues à l'esprit lorsque j'ai examiné le projet de loi, c'est la relation entre l'inspecteur général et le syndicat. Comme vous le savez, puisque vous avez siégé au comité, le syndicat nous a fourni de l'aide à maintes reprises. Avez-vous tenu compte de la relation entre le syndicat et l'inspecteur général?
Le sénateur Moore : Entendez-vous par relation le fait qu'il en ait été membre?
Le sénateur Kenny : Non, c'est plutôt le fait de prendre en compte son point de vue. Cela nous a souvent été utile dans le cadre des travaux du comité.
Le sénateur Moore : Oui, en effet. Encore une fois, je répète que l'inspecteur général doit exécuter son mandat, c'est- à-dire surveiller le rendement de l'agence et tenter de l'améliorer. Il n'y a donc rien qui empêche l'inspecteur général de discuter avec le président du syndicat de ce qu'il a relevé et de demander à ce dernier ce qu'il en pense et quelles améliorations pourraient être apportées. Il est tout à fait libre de le faire. Je crois que cela pourrait être une relation très saine.
Le sénateur Kenny : Je pense même à quelque chose d'aussi simple qu'un encouragement dans la mesure législative en vue de solliciter le point de vue du syndicat.
Le sénateur Moore : Je n'y avais pas pensé et je ne sais pas si — eh bien, on solliciterait le point de vue de qui au juste? J'aimerais que l'inspecteur général soit libre de communiquer avec quelque partie que ce soit. Lorsqu'on commence à dresser une liste, des gens finissent par être exclus. Je n'y avais pas pensé du tout de cette façon.
Je ne sais pas si ma réponse est satisfaisante, sénateur, mais voilà où nous en sommes.
Le président : Sénateur Moore, avant de conclure, j'aimerais aborder l'article 15.9, qui prévoit que l'inspecteur général a, dans les enquêtes qu'il mène sous le régime de la loi, le pouvoir d'assigner des témoins à comparaître, de faire prêter serment et de recevoir des éléments de preuve.
J'aimerais obtenir de plus amples renseignements de la part du sénateur Kenny et du sénateur Carignan. S'agit-il, selon vous, de l'article qui donnerait à l'inspecteur général le pouvoir d'exiger les renseignements dont son bureau a besoin pour traiter une question?
Le sénateur Moore : C'est bien cela. Je vous remercie de votre intervention. L'inspecteur général peut assigner des témoins à comparaître devant lui. Il jouit d'un assez grand pouvoir. À défaut d'obtenir la coopération d'un fonctionnaire de l'agence, comme je l'ai mentionné au sénateur Carignan, il peut s'adresser au ministre ou à la présidente de l'agence, ou encore il peut signaler au fonctionnaire que, s'il n'obtient pas sa pleine coopération, il pourrait être contraint de comparaître devant lui.
Je crois que cela permettrait d'obtenir le résultat voulu. Si vous voulez resserrer davantage les choses...
[Français]
Le sénateur Carignan : Mon propos ne porte pas nécessairement sur la tenue d'une enquête, mais plutôt sur la question de forcer un résultat. Le pouvoir de l'inspecteur général est de faire des recommandations, mais sur la question de forcer le résultat par rapport à la recommandation, il n'y a rien de contraignant. C'est plutôt en ce sens.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Êtes-vous en train de dire que, si l'inspecteur général tire une conclusion et exige que l'agence fasse quelque chose différemment, les termes utilisés dans le projet de loi ne sont pas suffisants pour contraindre l'agence de suivre les directives de l'inspecteur général? Est-ce que c'est ce que vous croyez? Je vais me pencher davantage sur la question. Il ne m'était pas venu à l'esprit que quelqu'un ne respecterait pas la loi.
Le président : Chers collègues, nous allons conclure avec les observations du sénateur Kenny et du sénateur White.
Le sénateur Kenny : J'avais supposé que, si l'inspecteur général faisait des observations au sujet du fonctionnement de l'agence, celle-ci courrait des risques en n'y donnant pas suite. Les médias feraient état de la situation, et l'opinion publique aurait préséance. Franchement, les organismes gouvernementaux n'aiment pas faire l'objet de critiques. Il suffit de constater comment les gens réagissent aux observations du vérificateur général. Lorsque celui-ci déclare que quelque chose ne fonctionne pas, les ministères s'empressent d'adopter ses rapports et de donner suite à ses recommandations.
Le sénateur Carignan : Je suis d'accord en ce qui concerne les médias, mais, conformément au paragraphe 15.22(5), le tribunal peut...
Le président : Nous allons conclure avec les observations du sénateur White parce que d'autres témoins attendent.
Le sénateur White : Pendant quelques décennies, les personnes souhaitant déposer des plaintes contre la GRC se sont heurtées aux mêmes difficultés. Elles finissent par s'adresser à la Commission des plaintes du public ou au Comité externe d'examen. Au bout du compte, c'est toujours le commissaire qui rend la décision. Le commissaire peut assumer les critiques, et rien ne lui arrive.
Voilà la préoccupation qui a été soulevée. Qui sera chargé au bout du compte de rendre une décision si la présidente de l'ASFC choisit de ne pas tenir compte des résultats obtenus par l'inspecteur général? C'est, je crois, ce que l'on est en train de dire, à moins que je ne me trompe.
Le sénateur Moore : C'est ce à quoi j'ai fait allusion dans ma réponse à l'une des questions. Je crois que, grâce aux pressions exercées par le ministre, ainsi que par le public — et j'ai peut-être tort — les gens prendraient les mesures qui s'imposent. Je suis peut-être trop naïf, mais c'est, selon moi, ce qui se produirait.
Le président : Il n'y a rien là, sénateur Moore.
Je vous remercie beaucoup d'avoir soulevé cet enjeu et d'en avoir saisi le comité, par l'intermédiaire du Sénat. Que cela arrive à ce moment-ci est tout à fait fortuit. Le gouvernement doit et devrait régler la question. Merci de comparaître, sénateur Moore.
Chers collègues, je vais demander aux témoins de prendre place. Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous poursuivons notre étude du projet de loi S-205.
J'aimerais tout spécialement souhaiter la bienvenue au sénateur Moore, à titre de participant, cette fois.
Accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Représentant la Commission canadienne des droits de la personne, nous avons Mme Marie-Claude Landry, la commissaire en chef, et Mme Fiona Keith, qui est avocate à la Direction générale du règlement des différends. Nous accueillons également le président de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, M. Ian McPhail, qui est accompagné de M. Richard Evans, le directeur principal des opérations, et de Mme Joanne Gibb, la directrice de l'unité de la recherche, des politiques et des enquêtes stratégiques pour la GRC.
Bienvenue. Je crois savoir que Mme Landry et M. McPhail ont préparé un exposé. Madame Landry, la parole est à vous.
[Français]
Marie-Claude Landry, présidente, Commission canadienne des droits de la personne : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à participer à cette discussion importante aujourd'hui. Permettez-moi de vous présenter ma collègue, Mme Fiona Keith, avocate à la commission.
Nous sommes heureuses d'être ici et d'avoir l'occasion de discuter du texte de loi qui vise à créer un organisme de contrôle et de surveillance de l'Agence des services frontaliers du Canada. Je suis ici pour vous communiquer deux messages.
[Traduction]
Premièrement, il faut collecter des données axées sur les droits de la personne pour mettre en place des mesures efficaces de contrôle et de surveillance du respect des droits de la personne lorsque des services de sécurité nationale sont fournis. Deuxièmement, tout le monde au Canada, peu importe son histoire ou la manière utilisée pour arriver ici, devrait avoir les protections minimales des droits de la personne. C'est pour cette raison que nous avons, comme d'autres, demandé la création d'un mécanisme indépendant de contrôle et de surveillance de l'Agence des services frontaliers du Canada relativement à la détention des personnes migrantes et d'autres étrangers.
La plupart des lois et règlements qui autorisent les organismes responsables de la sécurité nationale à agir en notre nom n'abordent pas du tout le respect des droits de la personne. Nous sommes persuadés qu'un mécanisme efficace de contrôle et de surveillance nécessite la collecte de données axées sur les droits de la personne.
Notre opinion s'appuie sur une dizaine d'années de travaux de recherche sur la sécurité nationale et les droits de la personne dans le contexte canadien, dont le point culminant a été le rapport spécial au Parlement publié en 2011. Dans ce rapport, la Commission recommandait que le Parlement exige des organismes responsables de la sécurité nationale qu'ils collectent de données axées sur les droits de la personne pour mesurer leur rendement. Elle recommandait aussi que les organismes responsables de la sécurité nationale soient obligés de diffuser cette information à la population canadienne.
À l'heure actuelle, il n'existe pas de processus de collecte, de suivi ou de diffusion de données axées sur les droits de la personne lorsque des services de sécurité nationale sont fournis.
Un grand nombre d'organismes ont adopté des politiques visant à prévenir les actes discriminatoires comme le profilage. Par contre, peu d'entre eux peuvent faire la preuve que ces politiques sont respectées. Aucun n'a de données objectives lui permettant de vérifier si, en pratique, il y a des préjugés défavorables injustifiés à l'égard de certaines personnes en fonction de caractéristiques particulières comme la race, la religion ou l'origine ethnique.
L'inexistence de cette information met à risque la confiance du public. La collecte et l'analyse de données axées sur les droits de la personne aideraient les organismes responsables de la sécurité nationale à faire le nécessaire pour fournir des services dans le respect des droits de la personne. La publication de ces données augmenterait la confiance du public à l'égard des activités des organismes responsables de la sécurité nationale.
[Français]
Au cours de l'année passée, des reportages inquiétants sur la situation dans les centres de détention nous ont convaincus qu'il fallait un mécanisme indépendant de contrôle et de surveillance des activités des organismes responsables de la sécurité nationale pour veiller au respect des droits de la personne au Canada.
Un rapport de l'Université de Toronto et des reportages médiatiques ont mis en lumière les pratiques de l'Agence des services frontaliers du Canada concernant la détention arbitraire des personnes migrantes. Des milliers de personnes migrantes, y compris des femmes et des enfants, sont détenues arbitrairement par l'agence dans divers centres.
[Traduction]
Ces gens ne peuvent pas faire respecter leurs droits de la personne. Cette lacune s'explique en partie par une disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne limitant son application aux gens qui se trouvent légalement en territoire canadien. Autrement dit, la loi qui a été créée expressément pour protéger les gens contre la discrimination au Canada ne s'applique pas pour certaines personnes parmi les plus vulnérables dans notre pays. Ce non-respect des droits des étrangers détenus dans des prisons et des centres de détention au Canada représente un enjeu pressant qu'il faut corriger sans délai.
[Français]
Je le répète, toute personne au Canada, peu importe son histoire ou la manière qu'elle a utilisée pour arriver ici, doit être en mesure d'exiger le respect des droits de la personne. Si nous voulons que le Canada soit considéré comme un chef de file dans le domaine des droits de la personne, il s'agit du minimum acceptable.
[Traduction]
Nous devons donner l'exemple.
Pour conclure, je veux préciser que nous trouvons encourageant de pouvoir discuter de mesures à prendre pour qu'un organisme responsable de la sécurité nationale soit soumis à un mécanisme efficace de contrôle et de surveillance. Les motifs pour le faire sont incontournables. En tant que porte-parole national du Canada relativement aux droits de la personne, la Commission vous demande expressément d'adopter une loi qui fera en sorte que les activités des organismes responsables de la sécurité nationale soient menées dans le respect des droits de la personne.
Je vous remercie de votre attention. C'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.
Ian McPhail, président, Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC : Monsieur le président, je vous remercie, vous et vos collègues, de m'avoir invité aujourd'hui. Dans un premier temps, je tiens à mentionner qu'à titre de président de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, je crois fermement que pour répondre aux besoins du public et lui rendre des comptes, les organismes d'application de la loi doivent non seulement se soumettre à l'examen minutieux de la société civile et des parties externes, mais ils doivent également accueillir favorablement une telle démarche.
Les organismes d'application de la loi canadiens se voient confier des pouvoirs élargis, notamment le pouvoir de procéder à des fouilles, à des saisies, à des arrestations, à des détentions et, au besoin, de recourir à la force. Les personnes qui exercent ces pouvoirs exceptionnels doivent en répondre et être tenues au plus haut niveau de responsabilité.
Dans le cas de la GRC, cette responsabilité comporte de multiples facettes. Il existe des mécanismes de responsabilité internes, comme des politiques et procédures, qui obligent les membres à prendre des notes, à documenter leurs actions et à soumettre des rapports, mais également à adhérer au Code de conduite de la GRC. En outre, les vérifications et évaluations internes permettent de s'assurer que les normes sont respectées et que les lacunes sur le plan du rendement sont corrigées.
La GRC a également des comptes à rendre en vertu de mécanismes externes, comme le vérificateur général du Canada et le commissaire à la protection de la vie privée, les comités parlementaires, comme celui-ci, et le système judiciaire.
Dans les années 1970, les gouvernements provinciaux ont reconnu que les pouvoirs uniques que détenait la police devaient être contrebalancés par une entité civile indépendante ayant pour mandat d'examiner les plaintes du public à l'endroit des policiers de manière impartiale, juste et transparente. Les gouvernements provinciaux ont créé des commissions de police pour évaluer les plaintes du public sur les comportements des policiers dans le but d'accroître l'imputabilité des organismes d'application de la loi envers les collectivités servies. Ces organismes reflètent essentiellement le modèle fédéral.
En 1988, la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC a été créée pour reconnaître le fait que les plaignants et les membres de la GRC sont en droit d'avoir une confiance absolue à l'égard du processus de traitement des plaintes, confiance que seul un organisme indépendant externe doté du pouvoir d'examiner les allégations de conduite inappropriée peut garantir.
Le processus de traitement des plaintes du public permet à une personne de porter plainte contre un membre de la GRC pour un comportement inapproprié. La plainte fait l'objet d'une enquête de la GRC et le plaignant est ensuite informé des résultats de l'enquête.
Contrairement à ce que prévoit le projet de loi qu'étudie actuellement ce comité, la Commission n'est pas la première entité à enquêter sur les plaintes déposées. La GRC procédera plutôt à une enquête initiale et, si le plaignant est insatisfait du traitement de sa plainte, il peut demander à la Commission d'en faire l'examen. Cette façon de faire est propre à la plupart des mécanismes de plaintes contre la police, incluant la police militaire. Dans certaines circonstances, lorsqu'il n'est pas dans l'intérêt du public que la GRC procède à une enquête sur une plainte, je peux, à titre de président, lancer ma propre enquête.
Il existe un mécanisme similaire pour répondre aux plaintes du public contre le SCRS. Les plaignants doivent, dans un premier temps, déposer une plainte au directeur. Le CSARS ne mènera une enquête que si le plaignant n'a pas obtenu de réponse dans un délai raisonnable ou s'il est insatisfait de cette réponse.
En 2014, des modifications ont été apportées à la Loi sur la GRC et ont mené à la création de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes. Le mandat de la Commission a été élargi afin d'inclure, en plus de l'étude des plaintes du public, des examens systémiques des activités de la GRC pour vérifier qu'elles sont menées conformément à la loi, à la réglementation, à l'orientation ministérielle ou à toute autre politique, procédure ou directive.
Cela a été le changement le plus important. Notre expérience a démontré que le processus pourrait être renforcé par l'adoption de normes de service pour la GRC ou d'autres organismes d'application de la loi dans les actions font l'objet d'un examen.
La Commission procède actuellement à deux de ces examens systémiques : le premier, entrepris à la demande du ministre de la Sécurité publique, porte sur le harcèlement en milieu de travail; l'autre porte sur la mise en œuvre par la GRC des recommandations pertinentes issues du rapport de la Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar.
Les modifications apportées à la Loi sur la GRC accordent également à la Commission les pouvoirs suivants : accéder à l'information et dégager l'information qu'elle juge pertinente; convoquer des témoins et recueillir des éléments de preuve; mener des enquêtes conjointes sur les plaintes avec ses homologues provinciaux. Dans le cas d'un incident grave, la Commission peut nommer un observateur pour évaluer l'impartialité d'une enquête de la GRC.
La semaine dernière, j'ai participé à la conférence annuelle de l'Association canadienne de surveillance civile du maintien de l'ordre, une organisation dont le mandat est de défendre le concept, les principes et l'application de la surveillance civile des organismes d'application de la loi, ici au Canada, mais aussi à l'étranger.
À cette occasion, le chef Clive Weighill, le président de l'Association canadienne des chefs de police, a affirmé croire qu'un mécanisme robuste de supervision et d'examen, par des civils, serait avantageux pour les organismes d'application de la loi et pour la sécurité publique en général, car cela accroîtrait la confiance du public à l'égard de l'équité, de la responsabilité et de la transparence des organismes d'application de la loi.
En terminant, je crois pouvoir affirmer au nom de mes collègues — qui ne m'en tiendront certainement pas rigueur — que la surveillance civile constitue la pierre angulaire de l'imputabilité des organismes d'application de la loi et se révèle essentielle pour conserver la confiance des Canadiens.
Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion d'exprimer mes pensées. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le président : Merci, monsieur McPhail. C'est toujours un plaisir de vous accueillir à titre de témoin. Il sera intéressant d'entendre vos observations au sujet des différences entre cette mesure législative précise et la loi à laquelle vous êtes assujettis actuellement et de savoir si vous recommanderiez divers changements ou si vous avez des observations concernant le projet de loi du sénateur Moore.
Le sénateur White : Merci à tous d'être ici. Monsieur McPhail, je ne suis pas vraiment partisan de la création de nouveaux organismes pour faire des choses qui existent déjà. Selon vous, votre organisme pourrait-il accroître son rôle et jouer un rôle semblable avec l'ASFC?
M. McPhail : Évidemment, ce sont des décisions qui relèvent des parlementaires, mais je considère que le rôle de la CCETP serait tout à fait adéquat. En fait, cela nous a permis d'acquérir une expertise à l'interne en matière de traitement des plaintes du public et, maintenant, pour la tenue d'examens systémiques et d'enquêtes. Soulignons en particulier que l'ASFC présente d'importantes similitudes avec la GRC, en ce sens qu'elle est devenue essentiellement un organisme d'application de la loi.
À l'instar de la GRC, une partie extrêmement importante du rôle de l'ASFC est lié à la sécurité nationale, et elle a aussi un rôle quant à la perception des recettes, mais il s'agit essentiellement d'un organisme d'application de la loi. Comme le comité l'a indiqué dans son rapport, l'agence veille à l'application de quelque 90 lois et ententes internationales distinctes.
Donc, si nécessaire, la CCETP aurait l'expertise pour jouer ce rôle avec des ressources supplémentaires, évidemment.
Le sénateur White : Dans la même veine, beaucoup de pouvoirs de l'ASFC sont limités à des zones précises, comme les postes frontaliers, par exemple. Ses agents ne sont pas autorisés à faire certaines choses, ce qui les oblige à demander l'aide de la GRC et d'autres corps policiers. Essentiellement, la GRC intervient directement dans les enquêtes; c'est la situation actuelle.
M. McPhail : Tout à fait. En fait, ce n'est pas seulement une question d'étroite collaboration entre la GRC et l'ASFC. Je crois que l'ASFC pourrait tirer des leçons de l'expérience de la GRC, notamment en ce qui concerne les décès en situation de garde à vue. La GRC a dû composer avec ce problème, et elle a établi des politiques et des procédures très robustes à cet égard. La commission a fait enquête sur divers cas de ce genre. Des recommandations ont été faites à la GRC, qui les a acceptées. À mon avis, c'est un aspect pour lequel l'ASFC pourrait tirer avantage de l'expérience de la GRC.
La sénatrice Jaffer : Merci à tous les quatre d'être ici. Il y a tant de questions et si peu de temps, mais je vais commencer par vous, madame Landry.
Votre exposé portait entièrement sur la protection des droits de la personne et la forme que cela devrait prendre. Il serait très utile que vous définissiez ces termes pour nous. Par exemple, vous avez indiqué que ces gens ne peuvent pas faire respecter leurs droits de la personne. Vous avez également affirmé que nous devons recueillir des données. Qu'entendez-vous par « ces gens ne peuvent pas faire respecter leurs droits de la personne »? Je serais portée à croire que les droits de la personne font partie intégrante de notre façon de faire les choses, et vous avez manifestement constaté que ce n'est pas le cas. Il serait donc utile que vous nous parliez de cet aspect et de la question des données.
Pour établir un lien avec la mesure législative dont nous sommes saisis, y a-t-il à votre avis quelque chose que nous devrions ajouter au projet de loi de façon à offrir cette protection?
Fiona Keith, avocate, Direction générale du règlement des différends, Commission canadienne des droits de la personne : Merci de la question. Dans l'exposé de la commissaire en chef, la question de la protection des droits de la personne renvoie à l'accès aux protections de la Loi canadienne des droits de la personne. Comme la commissaire en chef l'a indiqué, la Loi canadienne des droits de la personne comporte une disposition — le paragraphe 40(5) — qui limite le droit de personnes se trouvant légalement en territoire canadien de déposer une plainte en matière de droits de la personne en vertu de la loi fédérale.
Cette disposition restrictive a donc pour effet d'empêcher les migrants et les ressortissants étrangers — on en compte des milliers dans les centres de détention de l'ASFC — de déposer des plaintes relatives aux droits de la personne. En aval, cela a pour effet de soustraire les protections prévues dans la Loi canadienne des droits de la personne à l'examen de l'organisme canadien chargé de la surveillance des droits de la personne.
La sénatrice Jaffer : Monsieur McPhail, vous avez utilisé le terme « systémique ». Qu'entendez-vous par « examen systémique »?
M. McPhail : Il pourrait s'agir d'examens des politiques. Dans le cadre de notre enquête sur le harcèlement, nous examinerons deux cas précis, mais l'enquête portera également sur diverses formes de harcèlement. Nous examinerons la culture de la GRC afin de savoir si elle favorise le harcèlement ou non.
La sénatrice Jaffer : En écoutant votre exposé, j'ai cru comprendre que vous pouvez lancer une enquête. J'aimerais savoir si, dans le cadre de vos examens systémiques, vous avez entrepris une enquête sur le harcèlement sexuel.
M. McPhail : À la demande du ministre de la Sécurité publique...
La sénatrice Jaffer : Je veux dire récemment seulement, pas auparavant.
M. McPhail : Nous avons fait un examen il y a trois ans, environ. Il avait une portée moins large, car même si nous avons mené des entrevues auprès de 60 ou 70 membres de la GRC, le but était principalement d'examiner les cas de harcèlement à la GRC afin d'en tirer des constatations. Nous avons présenté des recommandations d'ordre général. Nous considérions que la mise en œuvre de ces recommandations relevait du commissaire, en sa qualité de responsable de la GRC.
L'examen que nous entreprendrons aura une portée plus large, car nous tenterons de mieux cerner l'ampleur de cette culture de harcèlement, comme je l'ai indiqué; nous chercherons également à présenter des recommandations plus précises.
La sénatrice Jaffer : Cela s'applique aussi aux collectivités que je représente. On entend souvent parler de profilage racial, qui est un problème systémique. J'aimerais savoir si vous étudierez cet aspect ou si vous avez établi des politiques à cet égard. En fait, j'aimerais savoir ce qu'il en est du problème du profilage racial au sein de la GRC.
M. McPhail : Eh, bien, il s'agit sans aucun doute d'une forme de harcèlement. Nous avons terminé une enquête sur les activités policières dans le nord de la Colombie-Britannique, où le problème du racisme est un aspect important. Nous avons fait certaines constatations; nous sommes d'avis que les politiques, les procédures et les interventions peuvent être améliorées à bien des égards. Nous avons présenté notre rapport au commissaire, qui l'a étudié. Il s'est dit d'accord en principe et nous attendons ses observations détaillées.
La sénatrice Jaffer : Le rendra-t-il public?
M. McPhail : Oui, il le rendra public.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Mes questions s'adressent à M. McPhail.
Dans quelle mesure trouvez-vous raisonnable que l'on crée un processus de surveillance et de plaintes à l'endroit de l'Agence des services frontaliers du Canada? Croyez-vous que cela changera les choses dans les agissements et la responsabilité de l'agence?
[Traduction]
M. McPhail : Premièrement, cela a du sens. En quoi cela changera-t-il les choses? Il m'est impossible à moi ou à quiconque de dire de façon précise comment cela changera les façons de faire de l'Agence, mais je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que, quelle que soit notre emploi, notre profession ou nos activités, les mécanismes régulateurs et les examens font généralement en sorte que l'organe qui en fait l'objet améliore ses politiques et ses actions.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Si vous le pouvez, j'aimerais que vous dressiez un parallèle ou une liste de comparaisons entre votre organisme, la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, et les dispositions du projet de loi S-205 en ce qui concerne l'Agence des services frontaliers du Canada. J'aimerais attirer votre attention sur les dispositions qui permettraient à l'inspecteur général chargé d'examiner les plaintes qui sont déposées à l'endroit de l'Agence des services frontaliers du Canada d'avoir recours aux tribunaux pour obtenir des décisions.
[Traduction]
M. McPhail : Une différence importante du point de vue de notre commission est que le projet de loi S-205 prévoit que l'inspecteur général examine toutes les plaintes, et j'aimerais simplement vous avertir que ce sera un modèle vraiment très coûteux.
Notre budget dépasse légèrement les 10 millions de dollars. Notre commission compte environ 75 membres. Environ 10 p. 100 des examens menés par la GRC ne satisfont pas le plaignant, si bien que notre commission doit ensuite enquêter sur la décision de la GRC ou l'examiner. Dans les cas où nous croyons que des intérêts publics entrent en jeu ou que ce modèle ne conviendrait pas, soit la commission mènera une enquête d'intérêt public, soit elle aura recours à ce qu'on appelle une plainte déposée par le président.
En ce qui concerne les actions intentées en justice, nous examinons les activités de la GRC, tant pour ce qui est du caractère acceptable de ces activités pour les Canadiens en général en termes de politiques et de procédures de la GRC, mais aussi en termes de jurisprudence. Bien que la commission ait le pouvoir de porter l'affaire devant la Cour fédérale en cas de désaccord fondamental entre elle et la GRC, elle n'estime pas que ce soit généralement une approche productive. On ne s'en est d'ailleurs jamais servi dans le cadre de ma présidence.
Le sénateur Day : Monsieur le président, j'aimerais clarifier un point. Je n'ai pas entendu le pourcentage de plaintes qui sont d'abord examinées à l'interne et qui vous sont ensuite transmises si les conclusions de l'examen sont insatisfaisantes.
M. McPhail : Environ 10 p. 100.
Le sénateur Day : Dix pour cent?
M. McPhail : Oui.
Le président : J'aimerais aussi demander une clarification. Est-ce qu'il s'agit de 10 p. 100 de cinq plaignants ou de 1 000?
M. McPhail : Dans un dixième des cas, le plaignant nous informerait qu'il n'est pas satisfait de la décision de la GRC. En conséquence, nous examinerions la façon dont la GRC a réglé la question ou nous mènerions une enquête plus approfondie.
[Français]
Le sénateur Carignan : Qui sont les plaignants?
[Traduction]
M. McPhail : Les plaignants pourraient être n'importe quels membres du public qui se plaignent des actes posés par les membres de la GRC dans l'exercice de leurs fonctions.
[Français]
Le sénateur Carignan : Toujours sur la question des plaignants, est-ce qu'un agent de la GRC peut se plaindre du comportement d'un autre agent de la GRC, dans les cas de harcèlement, par exemple?
[Traduction]
M. McPhail : Oui, ils le peuvent et ils l'ont déjà fait.
[Français]
Le sénateur Carignan : Quel est votre pouvoir de contrainte dans votre décision? À moins que je ne me trompe, votre pouvoir est protégé par une disposition privative. Contrairement à ce qui est prévu pour l'inspecteur général, il n'y a pas de recours potentiel auprès d'un tribunal pour contester ou prévoir une révision de votre rapport final à l'étape du processus final. Est-ce que je me trompe?
[Traduction]
M. McPhail : Il est possible d'interjeter appel auprès de la Cour fédérale concernant tout rapport d'un tribunal administratif — et c'est, en gros, ce qu'est la commission. Ce n'est pas généralement le cas puisque la commission n'a pas le pouvoir d'appliquer ses recommandations, ce qui, selon moi, est une restriction appropriée de ses pouvoirs, car il revient au commissaire de gérer la GRC.
La commission formulera des recommandations pour améliorer les politiques et les procédures. Je peux vous dire qu'entre 80 et 90 p. 100 de celles-ci sont acceptées. Si le commissaire n'est pas d'accord avec nos recommandations, il doit en donner les raisons par écrit. Cette explication doit aussi être transmise au ministre, et ces rapports sont rendus publics.
En conséquence, il y a le pouvoir tant du ministre que de l'opinion publique, qui peut être très marqué dans les deux cas.
[Français]
Le sénateur Carignan : Dans le cas d'une plainte de harcèlement présentée par un agent envers un autre, ultimement, la GRC ne peut pas être obligée d'indemniser le plaignant si le commissaire n'est pas d'accord.
[Traduction]
M. McPhail : Une indemnisation est versée quand il y a une action en justice. La commission n'est pas habilitée à en ordonner le versement ni, à ma connaissance, aucun autre organe d'examen des plaintes ou de surveillance.
Le président : Sénateur Carignan, je vous demanderais de poser une question concise.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse à Mme Landry ou à la personne qui l'accompagne, et porte sur les attentes en matière de vie privée aux frontières. La frontière est l'endroit où nos attentes sont les plus réduites. Le projet de loi parle de respect et de protection des droits et libertés individuelles des citoyens canadiens et des ressortissants étrangers. Cela s'applique bien aux citoyens canadiens, en raison de la Charte canadienne des droits et libertés, mais dans le cas des ressortissants étrangers, ni la loi ni la Charte ne s'appliquent. Alors, comment faire pour appliquer cette disposition du projet de loi S-205? Dans les faits, on ne pourrait pas l'appliquer sans modifier la loi canadienne.
Mme Landry : Je vais vous donner une brève réponse et je céderai la parole à ma collègue, qui est plus spécialisée au niveau technique. Une chose est certaine : la disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui évoque le fait d'être présent légalement au Canada devrait être abrogée, parce qu'elle crée un problème. La Commission canadienne des droits de la personne croit que toute personne se trouvant sur le territoire canadien devrait avoir droit au respect minimal de ses droits. Il est clair que cette disposition peut créer une embûche.
[Traduction]
Mme Keith : Je n'ai pas grand-chose à ajouter sinon que, bien que le respect de la vie privée soit un droit de la personne, il ne relève pas du mandat de la Commission canadienne des droits de la personne. Comme le commissaire en chef, nous dirions qu'il faut aussi respecter les droits fondamentaux minimaux des ressortissants étrangers au Canada.
[Français]
Le sénateur Carignan : Il y a un conflit entre le mandat qui est confié à l'inspecteur de veiller au respect de la protection des droits individuels des ressortissants étrangers et le fait qu'il n'y ait pas de disposition sur les droits des ressortissants étrangers dans la Charte.
[Traduction]
Mme Keith : Comme vous l'avez fait remarquer, il y une incohérence entre la portée du mandat de l'inspecteur général, qui s'étend — comme vous l'avez mentionné — aux ressortissants étrangers, et la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le président : Pour le compte rendu, des plaintes de Canadiens concernant l'ASFC ont-elles été adressées à la Commission canadienne des droits de la personne? Si tel est le cas, combien en recevez-vous normalement par année?
Mme Landry : Il est clair que nous recevons des plaintes. Nous en avons reçu 77 concernant l'Agence des services frontaliers du Canada.
Le président : Au cours de la dernière année?
Mme Landry : Non, au total depuis 2011.
Le président : Merci. J'aimerais maintenant donner la parole au sénateur Ngo et au sénateur Day.
Mme Landry : N'oublions pas que nous avons une disposition qui stipule que nous devons être légalement présents, ce qui crée des problèmes.
Le président : Oui, je comprends.
Le sénateur Ngo : Merci. J'aimerais enchaîner sur la question que la sénatrice Jaffer a posée.
Vous dites qu'en date d'aujourd'hui, vous n'avez pas de processus de collecte, de suivi et de diffusion de données axées sur les droits de la personne lorsque des services de sécurité nationale sont fournis. J'aimerais que vous nous donniez un complément d'informations à cet égard. Qu'entendez-vous par l'absence de processus de collecte, de suivi et de diffusion?
Le président : Cette question s'adresse-t-elle à Mme Landry?
Le sénateur Ngo : Aux deux. Mais d'abord à la Commission des droits de la personne. Il en est question dans votre présentation.
Mme Keith : La Commission canadienne des droits de la personne est d'avis qu'il est très important pour les organismes de collecter des données axées sur les droits de la personne afin de pouvoir rendre compte de l'incidence potentielle sur les droits de la personne des services qu'ils offrent.
À titre d'exemple, nous dirions que dans les décisions de présélection aux passages frontaliers, il faudrait collecter les données sur la façon dont ces décisions discrétionnaires sont prises en ce qui concerne l'identité raciale des clients, par exemple, leur nationalité ou origine ethnique.
Le sénateur Ngo : Lorsque vous dites cela, cela signifie-t-il que vous n'avez pas accès à ces données?
Mme Keith : Nous y aurions accès si les données étaient collectées, mais rien n'oblige actuellement les organisations de sécurité nationale au Canada à recueillir ce type de données.
Le sénateur Ngo : Si vous voulez collecter les données ou demander à l'ASFC de vous fournir des renseignements concernant des violations des droits de la personne et autres, l'ASFC est-elle libre ou non de vous les fournir? Vous dites qu'elle n'a aucun processus en place, alors elle peut refuser.
Mme Keith : Si elle ne demande pas à ses agents aux postes frontaliers de collecter ce type de renseignements dans le cadre de leur travail, nous pouvons le demander, et nous l'avons fait, mais ces données n'existent pas.
Le sénateur Ngo : Et vous, monsieur? Cela vous pose-t-il problème?
M. McPhail : Je vais vous donner une réponse en deux parties. Premièrement, bien que la nouvelle loi qui nous régit ait représenté une avancée considérable, notre expérience nous a montré qu'il importe que l'organisme dont les actions font l'objet d'un examen ait des normes et des mesures de rendement. Celles-ci ne sont ni intégrées à Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ni, je crois, au projet de loi S-205.
Je vais demander à Joanne Gibb d'expliquer comment nous choisissons nos sujets d'examen systématique ce qui, selon moi, pourrait être utile.
Joanne Gibb, directrice, Unité de la recherche, des politiques et des enquêtes stratégiques, Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC : Nous avons élaboré une matrice des risques pour dégager des questions, les évaluer et décider, car le mandat de la GRC est évidemment très vaste. Par l'intermédiaire d'une matrice des risques, nous avons créé une liste de questions sur lesquelles nous pouvons nous pencher. Il est clair que le profilage racial y figurerait avec nombre d'autres questions.
Le cas de notre premier examen systémique, auquel M. McPhail a fait allusion et qu'il a lancé, se trouve en fait dans les recommandations formulées par le juge O'Connor dans l'affaire Maher Arar. Si ma mémoire est bonne, une des raisons se rapporte à cette idée du profilage racial, notamment, dans ce cas, celui de la communauté musulmane canadienne. C'est un domaine que nous étudierions dans le cadre de cet examen systémique.
Nous tirons des leçons de notre expérience dans le Nord de la Colombie-Britannique, où il y a eu des allégations de profilage ou de préjugés à l'égard des Autochtones. Lorsque nous avons essayé de déterminer si c'était vrai dans le cas de l'état d'ébriété en public en examinant les données sur les personnes incarcérées et celles qui ne le sont pas, nous n'avons pas été en mesure de le faire, car la race du détenu n'était pas précisée; nous n'avions pas cette information.
Il est difficile de faire rapport de ce qui pourrait être des questions systémiques, car les données ne sont simplement pas collectées.
Le sénateur Ngo : Si tel est le cas, suggéreriez-vous qu'un type de mécanisme, comme une commission de surveillance ou d'examen, soit intégré au projet de loi S-205 de façon à ce qu'ils aient accès au type de renseignements dont vous avez besoin pour l'inspecteur général dans ce cas?
M. McPhail : Qu'il s'agisse d'un inspecteur général ou d'un modèle de présentation des plaintes, quel que soit le modèle, il doit permettre d'obtenir beaucoup de renseignements. Je pense que le projet de loi S-205 offre cette option. C'est une chose d'avoir le droit d'obtenir de l'information, mais encore faut-il que l'organisme faisant l'objet d'un examen ait une obligation correspondante de respecter des normes de rendement et de fournir des renseignements dans un délai raisonnable.
Le sénateur Day : Avec le changement apporté il y deux ans à votre commission, combien de crédits supplémentaires avez-vous reçus?
M. McPhail : Le budget de la commission a été augmenté d'environ 2 millions de dollars.
Le sénateur Day : Et combien d'employés de plus?
M. McPhail : Nous sommes environ 75 maintenant.
Richard Evans, directeur principal, Opérations, Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC : Nous en avons probablement ajouté une quinzaine.
Le sénateur Day : Ces 15 employés seraient donc chargés de ces nouvelles responsabilités?
M. Evans : Principalement, oui.
Le sénateur Day : C'est là où je voulais en venir. Est-ce que l'adjectif « systémique » vient de vous ou il se trouve dans la mesure législative? Je n'ai pas l'information devant moi.
M. McPhail : Il se trouve dans la mesure législative.
Le sénateur Day : Il vous revient donc de l'interpréter?
M. McPhail : C'est exact. Permettez-moi de rectifier le tir. Le terme employé dans la mesure législative est « activité précise », alors « systémique » est notre terme à nous.
Le sénateur Day : Qui précise l'activité? Est-ce votre choix? Choisissez-vous les activités?
M. McPhail : Oui.
Le sénateur Day : Quelle est la terminologie employée dans le projet de loi S-205, la possibilité de faire l'examen des activités au sein du service?
M. McPhail : Oui.
Le sénateur Day : Toute activité que vous choisissez d'examiner?
M. McPhail : C'est exact.
Le sénateur Day : La plupart d'entre nous sont au courant de l'affaire qui vient de débuter à Moncton, au Nouveau- Brunswick, concernant le défaut de la force de fournir suffisamment d'équipement approprié aux membres. S'agirait-il d'un problème systémique que vous examineriez?
M. McPhail : Ce pourrait être le cas. Cela dit, comme il s'agit d'une question dont sont actuellement saisis les tribunaux, nous ne la choisirions pas, car nous n'avons aucun intérêt à reproduire un processus existant.
Le sénateur Day : Il ne vous serait pas venu à vous ou à quiconque d'examiner cette question avant que les tribunaux en soient saisis?
M. McPhail : Comme Mme Gibb l'a expliqué, nous avons préparé une matrice de sujets potentiels. Les sujets ne manquent pas. Nous en avons choisi deux, car c'est là que nous commençons. Nous aurions aimé en faire plus, mais notre équipe vient d'être formée. Nous avons conclu qu'elles étaient toutes les deux importantes et que nous avions les ressources nécessaires pour les traiter.
Une fois que nous les aurons effectuées et aurons acquis de l'expérience, il est clair que nous nous tournerons vers d'autres secteurs, et ç'aurait très bien pu être l'un d'eux.
Le sénateur Day : Merci de cette réponse.
Ma dernière question s'adresse à Mme Landry. Elle se rapporte au commentaire que vous avez fait selon lequel, au cours de la dernière année, des rapports troublants concernant les conditions dans les centres de détention vous ont convaincue qu'une surveillance indépendante des activités des organismes de sécurité nationale était nécessaire pour assurer le respect des droits de la personne au Canada.
Êtes-vous convaincue qu'un organe de surveillance puisse se charger de la surveillance des droits de la personne? Avez-vous eu l'occasion d'examiner ce que propose le sénateur Moore dans le projet de loi S-205? Est-ce que cet aspect surveillance ou l'aspect examen et surveillance ferait ce qui, selon vous, devrait être fait du point de vue des droits de la personne?
Mme Keith : Merci de poser cette question. La mesure législative proposée mentionne le pouvoir de l'inspecteur général d'examiner toute activité de l'agence, y compris « le respect et la protection des droits et libertés individuels des citoyens canadiens et des ressortissants étrangers... » C'est le libellé du sous-alinéa 15.5(1)a)(vi) proposé.
Je pense que la commission dirait que, même si la mesure législative proposée est vague en ce qui concerne l'étendue du champ de compétence de l'inspecteur général, cette disposition laisse entendre qu'il aura le pouvoir de prendre en considération les droits de la personne.
Je pense que ce qui préoccuperait la commission sur le plan de la protection des droits des ressortissants étrangers serait que les pouvoirs de l'inspecteur général sont des pouvoirs de recommandation. Lorsque l'on parle des droits fondamentaux, les pouvoirs de recommandation ne sont généralement pas ceux qui sont préconisés par les normes internationales en la matière.
Le sénateur Day : Aimeriez-vous que certaines phrases soient modifiées ici pour rendre le pouvoir et le mandat de l'inspecteur général plus conformes à ce que vous estimez nécessaire?
Mme Keith : Nous aimerions voir une protection effective des droits fondamentaux des ressortissants étrangers.
Le sénateur Day : En ces termes?
Mme Keith : Oui.
Le président : Avant de changer de sujet, j'aimerais ajouter des observations, car c'est important.
Le libellé devrait être soigneusement pesé — et j'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet — pour que l'Agence des services frontaliers du Canada puisse faire le travail que nous lui confions, évaluer les personnes et s'assurer que celles qui entrent au pays satisfont aux critères que nous lui demandons d'appliquer. La question que j'aimerais poser au sujet du libellé d'un tel article concerne le fait que, selon sa formulation, il pourrait empêcher l'ASFC de faire ce que nous lui demandons, si vous me suivez.
Avez-vous des commentaires à ce sujet? Nous voulons nous assurer que ceux qui entrent au pays répondent aux critères dictés par le Parlement.
Mme Keith : Comme institution nationale de défense des droits de la personne, nous ne suggérons pas que les pouvoirs de l'ASFC soient modifiés. Notre suggestion porte sur la façon dont ces pouvoirs sont exercés. Nous sommes d'avis qu'ils devraient être exercés d'une manière qui soit conforme aux droits fondamentaux de la personne.
Le sénateur Oh : Ma question ressemble à celle du sénateur Day. Nous avons tous été troublés par la mort des onze personnes qui avaient été placées en détention. Est-ce que les dispositions du projet de loi S-205 contribueront à accroître la responsabilité et à rétablir la confiance des Canadiens?
M. McPhail : Oui, sénateur. Il ne fait aucun doute qu'un examen externe des circonstances peut faire deux choses. Premièrement, il pourrait orienter l'ASFC quant aux politiques qu'elle devrait adopter pour empêcher ou réduire ces incidents.
Deuxièmement, en ce qui a trait à la population, je crois qu'elle aurait l'assurance qu'une enquête indépendante a été menée. Je conviens avec vous que c'est important.
Mme Keith : Nous convenons que c'est un point très important. Nous ajouterions aussi qu'il faut exiger des organismes de sécurité nationale de recueillir des données sur les droits de la personne. C'est une partie très importante du contrôle.
Le sénateur Oh : Pour n'importe quel ressortissant étranger en visite au Canada, je pense que si l'ASFC projetait une image amicale, cela paraîtrait bien dans le monde entier
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le président. Ma question s'adresse à M. McPhail. Si vos enquêtes étaient moins privées, croyez-vous que la désapprobation de la population à l'égard de certaines de vos décisions s'atténuerait? L'opinion publique n'est pas toujours d'accord avec vos décisions; croyez-vous que cette situation pourrait s'améliorer si vos enquêtes étaient moins privées?
[Traduction]
M. McPhail : Non, sénateur, à vrai dire, je ne le crois pas. Pour ce qui est des enquêtes que nous avons faites et qui ont été considérées comme valant la peine d'être publiées — l'examen des actions de la GRC à High River, par exemple, l'année dernière — je pense pouvoir dire en toute franchise que, sans exception, ces enquêtes ont été bien reçues par la population. Plus les examens et enquêtes seront transparents, je pense, meilleure sera l'opinion des Canadiens.
Maintenant, il peut y avoir — et il y a manifestement toujours — des motifs de désaccord. Toutefois, je pense que, tant que les gens comprendront le processus et verront qu'il est fondamentalement équitable et minutieux, le résultat sera beaucoup mieux accepté.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse toujours à M. McPhail. Vous connaissez le nombre de plaintes qui sont présentées à votre commission par le personnel de la GRC, mais avez-vous une idée du nombre et du pourcentage de plaintes qui sont déposées par rapport à celles du public en général?
[Traduction]
M. McPhail : Je vais demander à M. Evans de répondre à cette question, sénateur.
M. Evans : Tout d'abord, en règle générale, les membres de la GRC n'ont pas le droit de nous adresser des plaintes. La loi dit expressément que, si une autre voie s'offre au membre, il doit la suivre.
Dans le cas du harcèlement, une plainte sera faite au sein de la GRC. Il appartient à la GRC de gérer le processus pour le harcèlement, le code de déontologie.
Pour ce qui est de ce dont M. McPhail parle, dans le contexte des examens que nous faisons, nous parlons avec les personnes de leur histoire de harcèlement sexuel, mais nous ne prenons pas leur plainte comme telle. Pour répondre à la question, sur les 2 000 ou 2 200 plaintes, un petit nombre viennent d'agents de la GRC.
Le sénateur Carignan : Pouvez-vous nous donner les chiffres?
M. Evans : Je peux essayer de trouver les chiffres. Il nous est difficile de les retracer, car, la seule façon pour un membre de la GRC de déposer une plainte serait comme citoyen interagissant avec un agent de la GRC. Il ne serait pas obligé de s'identifier.
Le sénateur Carignan : C'est très rare?
M. Evans : C'est assez rare. Ce serait un membre qui ne serait pas en service et qui interagirait avec un membre en service et qui pourrait se plaindre de l'utilisation de la force ou d'autre chose.
M. McPhail : Cela arrive certainement, mais nous n'avons pas fait de suivi spécifiquement là-dessus.
Le président : Pouvons-nous en parler encore puisque c'est une question qui préoccupe actuellement la population ainsi que la GRC?
Je ne comprends pas bien où un membre de la GRC qui estime avoir été harcelé ou avoir subi du harcèlement sexuel peut s'adresser et avoir le sentiment d'être entendu en toute impartialité et confidentialité et pouvoir exposer le problème et sentir qu'il est entendu sans craindre pour son poste dans l'organisation.
M. McPhail : Ce sont des questions fondamentales, sénateur. Lorsque nous avons fait notre étude sur le harcèlement en 2013, nous avons recommandé, entre autres choses, qu'il y ait un mécanisme d'appel ou de plainte à l'extérieur de la chaîne de commandement normale dans la GRC pour que les membres puissent exprimer leurs préoccupations ou porter plainte en cas de harcèlement.
Une partie de notre enquête cette année vise à déterminer dans quelle mesure les recommandations faites en 2013 ont été suivies. Rien ne nous indique que cette recommandation en particulier a été suivie. C'est une chose à laquelle nous accordons beaucoup d'importance.
Le président : Il n'y a vraiment aucun mécanisme ni aucune procédure d'appel qui permettrait à un membre de présenter son point de vue et d'avoir le sentiment d'avoir été entendu avec impartialité? Est-ce ce que vous venez de nous dire?
M. McPhail : Oui.
Mme Landry : Si vous le permettez, sénateur, ils peuvent s'adresser à nous en premier. En fait, nous avons actuellement une affaire qui a été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne.
[Français]
Le sénateur Carignan : La question m'est venue, parce que le sénateur Day a parlé de plaintes par rapport à l'équipement également. Je comprends qu'il y a des plaintes de harcèlement et des plaintes qui touchent l'équipement; y a-t-il des plaintes qui proviennent d'agents de la GRC au sujet de leur équipement?
[Traduction]
M. McPhail : À vrai dire, nous n'aurions pas pu nous occuper des plaintes relatives à l'équipement en raison de la disposition de la loi sur l'existence d'un autre processus, et avant la judiciarisation, il y a eu plainte en vertu du Code canadien du travail.
Pour ce qui est du harcèlement, ce sont des questions qui relèvent du code de déontologie interne de la GRC. Peut- être que M. Evans pourrait faire un commentaire ou deux à ce sujet, car il y a eu d'importants changements qui pourraient un jour poser problème.
M. Evans : Il y a quelques dispositions dans la Loi sur la GRC visant à empêcher les dédoublements. Si un membre a déposé une plainte pour harcèlement, elle sera traitée dans cette catégorie selon la Loi sur la GRC. S'il n'est pas satisfait de l'issue, il y a des mécanismes qui ne font pas appel à la commission.
Comme M. McPhail le dit, en ce qui a trait au pouvoir de mener des activités précises que nous avons, la loi exige que nous nous assurions qu'il n'y a pas d'autres processus en cours avant d'entreprendre un examen.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse aux deux responsables de comités ou de commissions.
Est-ce que je me trompe en affirmant que les agents de la GRC, en constatant qu'ils n'ont pas de recours approprié devant une personne indépendante et impartiale pour traiter leurs problèmes — qu'il s'agisse de problèmes de harcèlement, d'équipement ou de toute autre nature de relations de travail —, sont portés à déposer des plaintes devant vos commissions respectives dans le but d'obtenir un regard indépendant et impartial?
Mme Landry : Lorsqu'une plainte de harcèlement est déposée, ou une plainte visant un des 11 motifs prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne, effectivement, un citoyen ou un membre de la GRC ou de tout autre organisme sous législation fédérale peut porter plainte à la Commission canadienne des droits de la personne. Dans ces cas, nous menons une enquête et, éventuellement, nous transmettons le dossier au tribunal s'il s'avère qu'il y a des motifs valables.
Il existe également un processus selon lequel l'organisation visée par la plainte peut faire valoir qu'elle a un mécanisme indépendant pour traiter les plaintes. En tant que commission, nous faisons une évaluation pour déterminer si, effectivement, le mécanisme interne prévu au sein de l'organisation, notamment la GRC, répond à des critères d'efficacité et de transparence, et cetera. Par la suite, nous décidons soit de référer le plaignant au processus interne, et il pourra revenir s'il n'est pas satisfait, ou de prendre en charge le dossier si nous ne sommes pas satisfaits de la transparence, de l'indépendance et de la rapidité du processus.
Le sénateur Carignan : Qu'avez-vous fait dans le cas de la GRC?
Mme Landry : Les dossiers sont traités au cas par cas. Nous les examinons afin de comprendre ce qui s'est passé.
Le sénateur Carignan : Y a-t-il des dossiers liés à la GRC que vous avez pris en charge, parce que vous jugiez que le mécanisme de la GRC n'était pas indépendant et impartial?
[Traduction]
Mme Keith : Oui, nous avons traité des plaintes. Souvent, les plaintes sont déposées par des personnes qui craignent les représailles, parfois parce que leurs allégations touchent la hiérarchie de commandement. Nous avons actuellement une plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne, qui est un tribunal judiciaire ayant un pouvoir décisionnel.
[Français]
Le sénateur Carignan : Pouvons-nous obtenir la liste?
[Traduction]
Mme Keith : Nous pourrons vous fournir cette information plus tard. Je ne l'ai pas avec moi aujourd'hui.
M. McPhail : Sénateur, lorsque nous avons produit notre rapport de 2013 sur le harcèlement et que nous avons interrogé quelque 65 membres de la GRC, on n'a pas manqué de nous dire, comme vous le dites, qu'on craignait les représailles et, les gens avaient, en tous cas, des réticences à venir nous parler, raison pour laquelle une de nos principales recommandations était de mettre en place un mécanisme d'examen à l'extérieur de la chaîne de commandement normale, ce qui permettrait une certaine confidentialité.
Je suis troublé que cela ne semble pas avoir été fait, mais je ne veux pas préjuger des résultats de notre examen avant que nous l'ayons terminé.
[Français]
Le sénateur Carignan : C'est très clair.
[Traduction]
Le président : Quand ce rapport est-il prévu?
M. McPhail : Notre objectif était de terminer le rapport en moins d'un an. Le ministre nous a demandé de présenter le rapport en février de cette année. Pour être franc, nous avons du retard et j'ai écrit au commissaire pour demander, entre autres, que les membres de la GRC soient assurés que ce qu'ils nous diront restera confidentiel.
À l'heure actuelle, les membres de la GRC ne sont pas autorisés à parler à la commission sans en avoir d'abord avisé le bureau du commissaire, ce qui est inacceptable dans le cadre de n'importe quel examen.
J'ai écrit au commissaire il y a environ trois semaines et j'attends toujours une réponse.
Le président : Il me semble que nous n'avons pas de réponse à ma question : quand vous attendriez-vous à ce que ce rapport soit terminé, en supposant que vous obtiendriez une réponse aujourd'hui?
M. McPhail : En supposant que nous aurions une réponse aujourd'hui, nous visons le printemps de l'année prochaine.
Le président : Le printemps...
M. McPhail : 2017
Le président : L'année prochaine. Oh.
Le sénateur Moore : Je remercie les témoins d'être venus. M. McPhail, vous avez mentionné qu'il y avait 2 200 plaintes. En combien de temps?
M. McPhail : Annuellement.
Le sénateur Moore : Il y a combien de membres dans la GRC?
M. McPhail : Environ 30 000.
Le sénateur Moore : J'ai trouvé intéressant et j'ai été content de vous entendre dire que vous pensiez que la création d'un poste d'inspecteur général changerait la façon dont l'ASFC fonctionne. Je pense que, étant donné que vous ou quelqu'un d'autre avez mentionné qu'il arrive que le travail soit coordonné entre l'ASFC et la GRC, cela donne plus de poids à l'idée d'avoir un inspecteur général indépendant pour inspecter les dossiers de l'ASFC. Compte tenu du fait que vous connaissez des frustrations maintenant avec ce que vous faites, j'aimerais qu'une ligne nette soit tracée, et je me demande si vous pensez que ce serait plus approprié.
M. McPhail : Il ne fait aucun doute, sénateur, qu'une forme d'examen indépendant est nécessaire. Je pense que cela est bon pour l'ASFC, la population et les plaignants. Quant à la forme précise que le mécanisme d'examen devrait prendre, c'est aux parlementaires d'en décider.
Le sénateur Moore : Vous avez mentionné que ce serait coûteux. Je ne sais pas si vous étiez ici plus tôt. J'ai parlé de Mme Jimenez, la femme qui est morte dans une cellule à Vancouver, et de la valeur pécuniaire d'une vie. Je dirais que, si ce n'était que 10 millions de dollars, ce n'est pas cher payé pour sauver une vie.
J'ai une question à vous poser, Mesdames, au sujet des droits de la personne.
Le président : Pouvez-vous poser la question, sénateur?
Le sénateur Moore : Je vais en rester là.
M. McPhail : Puis-je répondre?
Le sénateur Moore : Bien sûr.
M. McPhail : Je suis d'accord avec vous sur la question des vies individuelles et je ne voulais certainement pas leur attribuer un prix. En fait, comme je l'ai mentionné, nous avons fait enquête sur plusieurs décès en cours de détention.
Ce qui me préoccupait, c'était la disposition, dans l'avant-projet de loi, qui exige que l'organisme de contrôle, quelle qu'en soit la nature, enquête lui-même sur toutes les plaintes. D'après ce que je comprends, il y aurait environ 2 000 plaintes.
Le sénateur Moore : Je ne sais pas d'où sort ce chiffre. Je ne l'ai jamais entendu.
M. McPhail : C'est de l'information officieuse que j'ai reçue. Le cas échéant, le coût que devrait assumer l'organe d'examen qui enquêterait sur toutes les plaintes avec ses propres ressources serait considérable.
Le sénateur Moore : Avez-vous enquêté sur les cas de personnes mortes dans des prisons tenues par l'ASFC? Avez- vous tenté d'obtenir de l'information sur ces personnes, sur les circonstances entourant les conditions dans ces prisons et ce qui leur est arrivé?
Mme Keith : Si ces personnes sont des ressortissants étrangers, ce n'est pas de notre compétence.
Le sénateur Moore : Vous n'avez tout simplement pas cette compétence?
Mme Keith : C'est exact.
Le sénateur Moore : Par conséquent, vous ne posez pas de questions?
Mme Keith : Pas dans le cadre de notre rôle consistant à traiter les plaintes. L'été dernier, nous avons fait des déclarations publiques après la publication du rapport préparé par l'Université de Toronto sur la détention des migrants.
Le président : Nous avons un certain nombre de témoins qui arrivent — dont trois par vidéo —, alors il faudrait être en mesure de leur faire une place.
Je tiens à remercier nos témoins. Votre passage ici nous a été d'une grande utilité et nous vous remercions de nous avoir mis au courant des derniers développements dans vos champs d'activités respectifs.
Toujours dans le cadre de notre examen du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada — inspecteur général de l'Agence des services frontaliers du Canada — et d'autres lois en conséquence, accueillons le prochain groupe de témoins. Par vidéoconférence, nous entendrons, du Conseil canadien pour les réfugiés, Mme Janet Dench, directrice exécutive, et Jenny Jeanes, coprésidente du Groupe de travail sur la protection au Canada; et Me Sukanya Pillay, avocate générale et directrice exécutive de l'Association canadienne des libertés civiles. Comparaîtrons en personne, Julie Taub, avocate spécialisée en droit de l'immigration et ex-membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui est ici à titre personnel, et Lorne Waldman, président de l'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.
Madame Dench, maître Taub, maître Pillay et monsieur Waldman, soyez les bienvenus de retour au comité. Je sais que vous avez tous comparu dans le cadre de notre étude antérieure sur l'Agence des services frontaliers du Canada, et nous sommes très heureux de vous revoir. Madame Jeanes, nous vous souhaitons la bienvenue de façon particulière puisque c'est votre première comparution.
Je vais demander à Mme Dench de commencer.
[Français]
Janet Dench, directrice exécutive, Conseil canadien pour les réfugiés : Au nom du Conseil canadien pour les réfugiés, je vous remercie de l'invitation à comparaître devant vous dans le cadre de l'étude du projet de loi S-205. Je partagerai le temps de présentation avec ma collègue, Jenny Jeanes, coprésidente du Groupe de travail sur la protection au Canada.
Le Conseil canadien pour les réfugiés est un organisme de regroupement, composé d'environ 180 organismes de toutes les régions du Canada. La plupart de ces organismes œuvrent auprès des réfugiés et autres nouveaux arrivants.
[Traduction]
Nous accueillons favorablement le projet de loi S-205 et la proposition qu'on y fait de créer un mécanisme de plaintes pour l'Agence des services frontaliers du Canada.
Il y a longtemps que le Conseil canadien pour les réfugiés se préoccupe de la reddition de comptes à l'Agence des services frontaliers du Canada. En fait, avant la création de l'agence, en 2003, le Conseil canadien pour les réfugiés exerçait des pressions pour que soit mis en place un mécanisme indépendant pour surveiller les activités d'application des lois canadiennes en matière d'immigration.
L'Agence des services frontaliers du Canada est l'un des seuls organismes au pays qui est autorisé à procéder à des arrestations et à des détentions sans toutefois être assujetti à un mécanisme indépendant de traitement des plaintes ou de surveillance. Dans le cas de l'Agence, le risque d'abus est sans doute encore plus grand qu'avec les services de police, puisqu'elle a affaire à des non-citoyens qui, au Canada, ont un statut précaire. Les demandeurs d'asile et certains autres migrants sont parmi les personnes les plus vulnérables de la société canadienne.
Récemment, nous avons présenté notre propre modèle de mécanisme de reddition de comptes pour l'Agence des services frontaliers du Canada, et nous en avons fait part au comité. Le modèle a été conçu pour être, premièrement, indépendant, c'est-à-dire libre de toute influence ministérielle ou politique; deuxièmement, externe, c'est-à-dire situé à l'extérieur de l'Agence des services frontaliers du Canada, tant physiquement que sur le plan organisationnel; troisièmement, efficace, c'est-à-dire disposant de pouvoirs et de ressources suffisants pour enquêter sur les plaintes et surveiller les activités de l'Agence, ainsi que pour faire en sorte que ses constatations aient un poids juridique.
Comme vous le verrez, notre modèle définit la gamme des activités visées par le mécanisme, les normes aux termes desquelles le mécanisme doit évaluer l'Agence et les pouvoirs attachés au mécanisme.
Jenny Jeanes, coprésidente, Groupe du travail sur la Protection au Canada, Conseil canadien pour les réfugiés : Nous avons examiné le projet de loi S-205 et nous aimerions mettre en relief certaines des différences fondamentales qui existent entre le modèle proposé dans le projet de loi et celui que propose le Conseil canadien pour les réfugiés.
Tout d'abord, nous avons remarqué que le projet de loi met l'accent sur les plaintes, et qu'il présume en cela que le plaignant serait la personne touchée.
Nous craignons que cette stratégie ne réponde pas adéquatement aux problèmes que vivent de nombreux réfugiés et d'autres migrants vulnérables. Nous avons constaté qu'il n'est pas rare que ces personnes s'abstiennent de porter plainte par crainte des répercussions négatives. Dans d'autres cas, elles sont dans l'impossibilité de porter plainte parce qu'elles ont déjà été déportées.
Les demandeurs d'asile en détention sont parfois soumis à des interrogatoires serrés et répétés se déroulant sans la présence d'un avocat, et ils disent parfois avoir été maltraités. Ils ne voudront toutefois pas porter plainte et faire des vagues, puisqu'ils tiennent à être libérés.
De temps à autre, nous entendons aussi des rapports troublants sur le traitement accordé aux personnes qui sont déportées. Ces échos nous parviennent lorsqu'une tentative de déportation échoue et que la personne revient au Canada, mais dans la plupart des déportations, la personne est expulsée, et il est très peu probable que nous sachions un jour si elle a subi de mauvais traitements.
Il existe actuellement une façon de porter plainte à l'Agence des services frontaliers du Canada, certes, mais c'est un processus hautement inadéquat. D'après ce que nous savons, très peu de gens l'utilisent.
Dans cette optique, nous avons insisté pour que notre modèle permette à des tierces parties, comme des ONG, de porter plainte, et nous avons veillé à ce que le mécanisme puisse aussi enquêter sur ses propres activités.
Deuxièmement, le projet de loi propose un recours sous la forme d'une demande à la Cour fédérale. Il est bien d'avoir un mécanisme de recours, ce qui fait souvent défaut aux mécanismes de plaintes. Cependant, étant donné que la présentation d'une demande à la Cour fédérale nécessite habituellement l'aide d'un avocat et qu'elle est par conséquent difficile d'accès pour les personnes concernées, ce n'est peut-être pas la solution idéale.
Selon notre proposition, le mécanisme aurait lui-même le pouvoir d'ordonner des mesures de réparation.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup. Nous entendrons maintenant Me Pillay.
Sukanya Pillay, avocate générale et directrice exécutive, Association canadienne des libertés civiles : Merci beaucoup. Je remercie le comité de m'avoir invitée à comparaitre aujourd'hui.
Je soulignerai d'entrée de jeu les graves inquiétudes de l'Association canadienne des libertés civiles, étant donné la tenue de la discussion d'aujourd'hui alors que nous venons d'apprendre la mort d'une autre personne qui était sous la garde de l'Agence des services frontaliers du Canada.
L'Association canadienne des libertés civiles est extrêmement préoccupée par l'absence de reddition de comptes à l'Agence des services frontaliers du Canada. Nous considérons que ce manque est incompatible avec les valeurs démocratiques et avec le besoin pour un organisme de cette importance d'avoir la confiance du public.
L'Agence des services frontaliers du Canada est unique en son genre. Elle assume d'importantes fonctions de sécurité à nos frontières, certes, mais elle fait aussi partie du cadre fonctionnel d'organismes de sécurité et de renseignement opérant en sol canadien. Elle détient de vastes pouvoirs qui lui permettent entre autres de faire appliquer les lois, de procéder à des arrestations, à des détentions et à des déportations, de participer à la collecte de renseignements et d'échanger de l'information avec des organismes nationaux et étrangers.
Selon nous, cela signifie deux choses. Premièrement, nous devons reconnaître que l'Agence a la capacité de violer ou de restreindre les droits et, deuxièmement, nous devons nous assurer que toute mesure visant à restreindre les droits soit prise conformément aux principes constitutionnels de nécessité, de proportionnalité et d'atteinte minimale, et qu'elle soit justifiée.
Je vais faire écho aux observations formulées par ma collègue du Conseil canadien pour les réfugiés en soulignant à mon tour que nous parlons ici des personnes les plus vulnérables au Canada.
Lorsqu'il est question d'examiner un organisme de sécurité nationale, il faut certes établir s'il a respecté ou non les protections juridiques légitimes, mais il faut aussi chercher à savoir s'il fonctionne ou non de manière efficace. L'organisme s'acquitte-t-il du mandat qui lui incombe en matière de sécurité?
L'association canadienne des libertés civiles a déjà soutenu que l'Agence des services frontaliers du Canada avait besoin de mécanismes de reddition de comptes pour veiller à ce qu'elle opère à l'intérieur des limites juridiques et conformément aux protections juridiques appropriées. Selon nous, ces protections comprennent la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, les principes et les lois concernant la protection de la vie privée et les lois internationales sur les droits de la personne et des réfugiés qui lient le Canada sur le plan juridique. Nous avons aussi préconisé la mise en œuvre d'un processus de responsabilisation qui permettrait d'évaluer l'efficacité des actions et des politiques de l'Agence des services frontaliers du Canada.
À cet égard, nous avons préconisé un processus à deux volets. D'abord, il y aurait un mécanisme de reddition de comptes qui permettrait l'examen indépendant des plaintes et la tenue d'enquêtes amorcées de façon autonome. Nous sommes d'avis que le processus de plainte doit être perçu dans un sens large pour permettre la déposition de plaintes par des tierces parties, dont des avocats et des ONG, comme l'ont indiqué mes collègues.
Nous avons remarqué que le projet de loi S-205 prévoit la création d'un poste d'inspecteur général qui, aux termes du paragraphe 15.5(1), aurait pour mandat de contrôler les activités de l'Agence et d'en faire rapport, y compris en ce qui concerne l'exercice de ses pouvoirs de contrainte, ce qui est important, et sa gestion des renseignements, ce qui est crucial.
Nous notons aussi que le projet de loi fait sagement référence au respect de la Charte pour toutes les personnes au Canada, incluant les citoyens et les ressortissants étrangers. De plus, nous avons remarqué que le projet de loi parle de l'ensemble des pouvoirs de l'Agence, ce qui, selon nous, comprendrait aussi le pouvoir de fixer les conditions de détention des personnes.
En dernier lieu, nous sommes d'avis que le bureau devra disposer du personnel et des ressources appropriées pour s'acquitter de son important mandat.
Pour le temps qui me reste, je tiens à souligner deux points importants qui, selon nous, sont absents du projet de loi. Premièrement, bien que nous voyions d'un bon œil le processus d'examen des plaintes, nous craignons que le libellé du statut de l'inspecteur général n'établisse pas assez clairement s'il aura oui ou non la possibilité d'entreprendre de son propre chef des enquêtes sur les actions ou les politiques de l'Agence. Le projet de loi fournit de nombreux indices concernant l'indépendance de l'inspecteur général, comme les dispositions sur la durée du mandat et sur le mandat proprement dit, ainsi que la création d'une infraction pour le fait d'entraver le travail d'enquête de l'inspecteur général. L'Association canadienne des libertés civiles demande depuis longtemps que le pouvoir de procéder à des enquêtes décidées en toute autonomie occupe une place de choix dans un mécanisme indépendant et efficace de responsabilisation pour un organisme d'une telle importance. Cette disposition permettra en outre de procéder à des examens systémiques concernant les actions et les politiques de l'Agence, ce qui, d'après nous, est d'importance capitale.
La deuxième chose qui ne figure pas dans le projet de loi est l'importante composante d'une reddition de comptes efficace pour les organismes de sécurité et de renseignements du Canada. À cet égard, nous devons nous préoccuper des processus de révision cloisonnés qui ont cours actuellement.
Le projet de loi S-205 est une amélioration importante. Il instaure un processus de surveillance et d'examen là où il n'y en avait pas. Nous devons néanmoins nous assurer aussi que la création de n'importe quel mécanisme, comme celui d'inspecteur général, se fasse de manière à ce que ledit mécanisme puisse fonctionner avec quelques-uns des autres mécanismes de responsabilisation existants — comme, par exemple, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada — et, surtout, avec tout nouveau cadre de responsabilisation que présentera le gouvernement en matière de sécurité nationale. En 2016, le Canada a besoin d'un examen intégré et rigoureux à voltes multiples. Merci beaucoup.
Julie Taub, avocate spécialisée en droit de l'immigration, à titre personnel : Bonjour. Merci de me recevoir. Je suis déjà passée par ici.
Je profite de l'occasion pour affirmer que je n'appuie pas ce projet de loi parce qu'il existe pour des raisons tout autres que celles qu'on prétend. J'envisage la question du point de vue de l'Agence des services frontaliers du Canada. J'espère qu'on vous a distribué le document à ce sujet. Je ne suis pas certaine que cela ait été fait. Il est en français et en anglais. Le mandat de l'Agence est de protéger la sécurité et la prospérité du Canada en contrôlant l'entrée au pays des biens et des personnes.
Dans le climat actuel, avec les niveaux de menaces à la sécurité sans précédent et les problèmes de toutes sortes que nous connaissons — qu'il s'agisse de cyberattaques ou d'espionnage commercial et ultra-sophistiqué — je m'inquiète de voir que l'Agence des services frontaliers du Canada n'est pas en mesure de bien s'acquitter de son mandat à cause du manque de ressources, de formation et de main-d'œuvre. Ce sont ces questions qui devraient être les priorités immédiates et non la création d'un poste de directeur général pour le traitement des plaintes. L'Agence dispose déjà d'un processus relatif aux plaintes. Vous devriez avoir le document devant vous. Quoi qu'il en soit, il y a une section là- dedans intitulée « recours », où l'on explique que les personnes peuvent présenter une demande écrite si elles sont en désaccord avec une mesure d'application de la loi ou une décision de programme prise par l'Agence, ou si elles souhaitent formuler une plainte ou un compliment à l'égard des services. Il y a des dispositions sur les plaintes, l'usage de la force et le signalement d'incidents. Elles s'appliquent au grand public, ainsi qu'aux membres des autres services de police auxiliaires. Ces dispositions sont déjà en place.
Bien qu'il puisse être recommandé de créer un autre poste pour l'exécution d'examens indépendants, ce n'est pas le bon temps pour le faire, pas dans le monde d'aujourd'hui. Par exemple, il n'y a même pas une semaine, le 11 mai, le réseau CBS de New York a télédiffusé un segment intitulé [Traduction] « Les frontières canadiennes constituent en elles-mêmes une source de préoccupation pour la sécurité des États-Unis ». Parlant de la menace terroriste, voici ce que Bradley Curtis avait à dire : [Traduction] « Nous constatons l'entrée clandestine d'étrangers, de narcotiques et de devises. Bien entendu, notre mission première est d'intercepter un terroriste. Certains endroits pourraient constituer des points d'entrée sans risque. Il y a des groupes radicaux au Canada. C'est une énorme préoccupation pour nous. » Ils se sont aussi dit préoccupés par la politique d'ouverture du Canada à l'égard des réfugiés syriens.
Durant la dernière année, les agences américaines ont saisi plus de 10 000 livres de marijuana et un million de dollars en devises illégales qu'on cherchait à faire entrer aux États-Unis. Elles ont aussi intercepté des cargaisons d'une variété d'armes à feu illégales. On nous a en fait demandé de doubler notre personnel, et cela ne concerne que la frontière nord. Les États-Unis disposent de 300 agents pour couvrir 300 miles, ce qui comprend une réserve indienne, laquelle est une voie d'entrée intéressante pour les passeurs.
Il nous faut plus d'agents de l'Agence canadienne des services frontaliers sur la ligne de front. Ces agents doivent être en mesure de traiter de fraude interne, de fraude en matière d'immigration, de menaces terroristes, de menaces de cyberattaques et de l'importation de biens et de services. La liste n'en finit plus d'allonger. J'ai fourni la table des matières où sont énumérées toutes leurs fonctions. Les services frontaliers manquent de personnel. Malheureusement, l'Agence a vu son personnel de première ligne comprimé de 5 p. 100 par le gouvernement précédent. C'est vraiment malheureux. Au lieu de faire des réductions de 5 p. 100, il aurait fallu qu'il augmente le nombre d'agents dans une proportion d'au moins 20 à 25 p. 100. Il y a eu un recul.
Un journal a publié un article sur un de mes anciens clients, une affaire de mariage frauduleux. Cette question est très loin dans la liste des priorités de l'Agence, mais c'est un stratagème qui facilite la fraude en matière d'immigration. Voilà qui nous concerne tous, et pas seulement le répondant qui se fait rouler.
J'ai eu affaire à une avocate de Toronto, Chantal Desloges, lorsque nous avons fait un recours collectif en mandamus contre un ministre, en 2008. Nous représentions un groupe de 500 répondants canadiens ou résidents permanents qui se sont fait avoir.
La portion immigration de l'Agence canadienne des services frontaliers n'a ni la main-d'œuvre ni les ressources pour s'occuper des fraudes en matière d'immigration. À l'heure actuelle, les conjoints parrainés sont assujettis à une exigence de résidence de deux ans, mais cette exigence sera supprimée. Très bientôt, nous allons ouvrir toute grande la porte aux fraudes d'immigration orchestrées par l'intermédiaire de conjoints parrainés. Le gouvernement envisage de supprimer les exigences relatives au visa pour les visiteurs en provenance du Mexique. Encore une fois, nous ouvrirons toutes grandes les portes aux demandeurs d'asile et aux trafiquants de drogue. Ils pourront sauter dans un avion, atterrir ici et monter leur affaire en sol canadien.
Alors, je crois que l'Agence canadienne des services frontaliers sera complètement dépassée par ce qui se produira dans un avenir rapproché. Elle l'est déjà, si l'on considère qu'il lui faut trois ans pour faire enquête sur une fraude en matière d'immigration.
Il y a aussi eu la question du rapport de la vérificatrice générale concernant la fraude pour l'obtention de la citoyenneté. C'est ce qu'elle a rapporté. Il n'y a pas assez de ressources pour faire face à la fraude. Des personnes qui avaient des casiers judiciaires ont réussi à obtenir la citoyenneté. Des personnes qui n'avaient pas respecté l'exigence de résidence ont réussi à obtenir la citoyenneté. Pourquoi? Parce que nous n'avons pas les ressources nécessaires.
En revanche, si vous comptez créer ce poste de directeur général, donnez-lui deux fonctions, soit une qui consistera à s'occuper des plaintes et une autre qui consistera à vérifier si l'Agence est en mesure de composer adéquatement avec toutes les tâches, toutes les responsabilités et tous les devoirs qui lui incombent, si elle dispose de ressources suffisantes, si ses effectifs sont assez nombreux et si ses employés sont formés adéquatement. À l'heure actuelle, aucune de ces conditions n'est remplie.
Le président : Merci, maître Taub. Monsieur Waldman?
Lorne Waldman, président, Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Mesdames et messieurs, j'ai eu maintes fois l'occasion de comparaître devant le Sénat, mais ma comparution d'aujourd'hui me stimule tout particulièrement étant donné le nouveau rôle que l'on s'attend à ce que le Sénat joue dans notre ordre constitutionnel. J'ai hâte d'interagir avec les sénateurs concernant la question qui nous occupe et en ce qui a trait aux nombreux autres enjeux d'importance pour notre pays.
Je suis honoré de comparaître devant le Sénat au nom de l'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés. Je fais partie du bureau de l'organisation et j'en ai été le président. Nos membres représentent des clients qui ont des contacts fréquents avec les agents de l'ASFC et qui, en raison de leur vécu, sont particulièrement vulnérables.
Si la plupart des agents les traitent avec le respect et la considération auxquels on s'attendrait de la part de fonctionnaires fédéraux, les exceptions graves sont nombreuses. Je pourrais vous en citer de nombreux exemples, mais, faute de temps, je m'en abstiendrai.
L'ASFC a été formée à la suite du 11-Septembre, et, à l'époque, qui se souciait de sa surveillance? Mais, 15 ans plus tard, le temps est venu de corriger cette erreur. Les agents de l'ASFC, comme mes collègues l'ont dit, possèdent des pouvoirs étendus d'arrestation, de détention, de fouille et de saisie. Des milliers d'agents partout au pays les exercent. Beaucoup d'entre eux sont loin de posséder le même nombre d'heures de formation auxquelles on s'attendrait d'agents de la GRC ou de policiers engagés dans le même genre de travail. Sans contrôle ni examen, il n'y a pas d'obligation de rendre des comptes, ce qui procure aux agents un sentiment d'impunité. La primauté du droit exige de responsabiliser tous ceux qui possèdent des pouvoirs de contrainte pour les excès qu'ils peuvent commettre.
Sur ce que ma collègue a dit, je dirai rapidement que la question des ressources de l'ASFC est distincte de celle de la reddition de comptes. Ici, aujourd'hui, il s'agit de la nécessité, dans une société qui respecte la primauté du droit, d'assujettir à un mécanisme de reddition de comptes quiconque exerce un pouvoir de coercition.
Le problème que nous examinons aujourd'hui, qui est très grave et que le gouvernement actuel doit résoudre le plus tôt possible, sans égard aux ressources, est de s'assurer de responsabiliser les agents de l'ASFC de tous les excès qu'ils commettent. Voilà un rôle vital que jouera un mécanisme de reddition de comptes au public.
Je ne crois pas nécessaire de répéter ce qui a été dit. Je suis d'accord avec les deux premiers témoins. Il faut un mécanisme qui permet à des tiers et à l'inspecteur général lui-même de déposer des plaintes. Effectivement, pour reprendre ce que ma collègue, le dernier témoin, vient de dire, l'inspecteur général, s'il constate des carences graves à l'ASFC, peut les signaler dans un rapport.
Un élément que, peut-être, les deux premiers témoins n'ont pas mis autant en relief est que les pouvoirs de l'organisme examinant les plaintes doivent suffire pour lui permettre de faire enquête. Il doit disposer de tous les pouvoirs permettant d'exiger la production de documents, de convoquer des témoins et de tenir des audiences publiques, au besoin. Au cas où on ne respecterait pas ses assignations à comparaître ou que la production de documents connaîtrait des retards exagérés, il aurait des pouvoirs pour contraindre au respect de ses demandes.
Il doit pouvoir examiner les problèmes dus au système et le faire de sa propre initiative. Il doit posséder le pouvoir de formuler des recommandations contraignantes auxquelles seul le ministre peut déroger et il doit posséder des ressources suffisantes pour s'acquitter de son travail. L'un des problèmes chroniques que nous constatons au CSARS et dans d'autres organismes de surveillance est l'insuffisance des ressources.
Enfin, en reprenant à mon compte ce qu'a dit le deuxième témoin, de l'Association canadienne des libertés civiles, nous devons envisager comment cette nouvelle institution interagira avec les organismes de surveillance en place, notamment quand il y va de la sécurité nationale et de renseignements délicats et que les renseignements circulent entre divers organismes assujettis à différents mécanismes de surveillance. Nous approuvons l'idée d'un super-organisme unique de supervision de toutes les enquêtes sur la sécurité nationale.
C'était tout ce que je voulais dire. Merci beaucoup.
Le président : Merci, maître Waldman.
Le sénateur White : Je remercie tous nos témoins. Si vous permettez, maître Waldman, je suppose que nous parlons de l'une des plus grandes organisations policières de la dernière décennie au pays, certainement l'une de celles dont le taux de croissance est le plus rapide et qui possède le plus grand nombre de pouvoirs accrus tout en étant, pourtant, l'une des plus importantes au pays qui échappe absolument à tout mécanisme extérieur de surveillance. Toutes les polices possèdent un mécanisme de surveillance interne, que ce soit pour l'application de normes professionnelles ou pour la fonction d'enquête.
Si vous étiez l'auteur du projet de loi, que modifieriez-vous, aujourd'hui, compte tenu, particulièrement, de l'éventualité d'un désaccord entre l'inspecteur général et le président de l'ASFC?
M. Waldman : Vous parlez de...
Le sénateur White : Comme la possibilité, pour le commissaire de la GRC, de refuser de donner suite à une réponse de l'organisme d'examen externe, par exemple. Que feriez-vous de différent?
M. Waldman : Au bout du compte, l'essentiel est, pour l'inspecteur général ou l'organisme de surveillance, quel qu'il soit, de pouvoir exiger qu'il soit donné suite aux recommandations qu'il présente à l'ASFC, même si elle n'est pas d'accord. Ses recommandations doivent entraîner une obligation, sous réserve, bien sûr, de la dérogation du Cabinet ou du ministre.
C'est le talon d'Achille du mécanisme actuel de traitement des plaintes à la GRC, qui, dans une certaine mesure, en sape l'efficacité. Si on ajoute la divulgation parfois partielle des recommandations au public, pour des motifs de sécurité nationale, l'efficacité du mécanisme est vraiment sapée.
Le sénateur White : Merci. D'autres témoins ont proposé des amendements que je qualifierais de mineurs, parce que, soyons réalistes, nous sommes arrivés au point où nous pourrions faire des amendements, modifier facilement certains éléments du projet de loi. Voyez-vous en quoi cela ne serait pas une bonne décision pour l'ASFC, généralement, mais aussi pour le public canadien?
M. Waldman : C'est bizarre. Les responsables du SCRS commencent toujours par nous dire, quand il est question de la surveillance par le CSARS, que c'est la meilleure chose qui leur soit arrivée. L'intervention et les recommandations du CSARS les ont responsabilisés et leur ont permis d'améliorer l'efficacité de leur organisation. Malgré des résistances, au début, les cadres supérieurs de cette organisation ont appuyé la surveillance et, d'après moi, le même processus se répétera ici.
Je m'attends bien à ce que de nombreux agents de l'ASFC n'en veuillent pas par crainte d'entraves à leur travail, et cetera, mais, en fin de compte, je suis convaincu que les faits leur montreront la sagesse de l'instauration de cette surveillance.
La sénatrice Jaffer : Je remercie tous les témoins pour leurs exposés.
Maître Waldman éclairez-moi. Vous avez évoqué un super-CSARS. Dans le projet de loi, nous envisageons la surveillance par l'inspecteur général. Mais qu'est pour vous un super-CSARS? S'agirait-il de particuliers affectés à la surveillance de l'ASFC, de la GRC? À quoi songez-vous?
M. Waldman : Le commissaire O'Connor, à l'époque de la commission d'enquête sur l'affaire Arar, a examiné la surveillance des organismes nationaux de sécurité, notamment de la GRC, de l'ASFC, du SCRS, et il a recommandé un organisme unique, en raison de la nature particulière des enquêtes sur la sécurité nationale, qui donnaient lieu à des communications d'un organisme à l'autre — souvent, cela commence au SCRS, c'est communiqué à la GRC et à l'ASFC, même à la police locale — et cet organisme unique était censé avoir le pouvoir de les surveiller tous.
La création de cet organisme assurerait l'efficacité du mécanisme de surveillance de l'ASFC et la surveillance des questions de sécurité nationale.
La sénatrice Jaffer : J'ai une question pour le Conseil canadien pour les réfugiés. Les réfugiés sont des personnes à bout, vulnérables, qui, souvent, ne connaissent pas la langue et, aujourd'hui, la Commission canadienne des droits de la personne nous dit qu'ils n'ont pas le droit de s'adresser à elle parce qu'ils sont ici illégalement. Ces personnes les plus vulnérables qui soient ne sont pas des criminels. Elles éprouvent des difficultés et elles ont fui leur pays.
J'ai notamment beaucoup pensé à des lignes directrices, comme nous en appliquons à l'accueil des réfugiés, pour tenir compte des différences entre les sexes. Nous devrions prévoir de la formation pour sensibiliser nos agents et certainement mettre des mesures en place, au cas où on garderait une femme en détention — je pense à l'affaire de Vancouver, à cette femme qui a fui la violence pour, en fin de compte, connaître une mort épouvantable. Je cherche à mieux sensibiliser les responsables de la détention de personnes si vulnérables aux difficultés qu'elles affrontent dans les centres de détention.
Pouvez-vous développer pour nous votre opinion à ce sujet, vous et la représentante de l'Association canadienne des libertés civiles?
Mme Jeanes : Je vous remercie de votre question. Elle soulève des aspects importants.
Effectivement, les réfugiés font partie des personnes les plus vulnérables qui arrivent au Canada, et ceux qu'on garde en détention sont soumis à différents pouvoirs en même temps, pouvoirs d'arrestation, de détention et d'enquête suivie. Vous soulevez un important motif d'inquiétude, que, pendant ce processus, on ne serait pas nécessairement sensible à leur vulnérabilité.
Nous espérons qu'il est possible de formuler des recommandations qui exigeraient des agents la vigilance à ces problèmes et une conduite responsable.
Mme Dench : Si on revient à l'époque de la création de l'ASFC et de la séparation des pouvoirs entre l'Immigration et cette agence, l'un des aspects les plus controversés, pour notre organisation, a été l'obligation, pour le demandeur d'asile qui arrive à la frontière, de formuler sa demande à un agent de l'ASFC. Des agents, d'une part, font donc du travail de policier, appliquent la loi et, pourtant, c'est à eux qu'on doit expliquer son besoin de protection. D'autre part, il faut diriger le demandeur d'asile vers un agent armé de l'ASFC, qui ressemble à un policier, pour qu'il lui raconte son histoire.
Vous exposez très bien ce besoin de sensibilisation, et je sais que, à divers titres, l'ASFC y travaille. C'est très difficile pour les agents de toujours concilier cet aspect et leur travail quotidien.
Mme Jeanes : Je voudrais ajouter que les pouvoirs utilisés sont très généraux et qu'ils ont une portée considérable. À l'égard d'un demandeur d'asile arrêté et détenu un jour ou pendant des semaines ou des mois, l'ASFC a le pouvoir, par exemple, d'intervenir, même après sa libération, dans le processus de traitement de sa demande et d'en recommander le rejet, en tirant des renseignements obtenus pendant des interrogatoires auxquels n'assistaient pas des avocats et dont la teneur n'a pas été enregistrée.
Elle a le pouvoir d'imposer des conditions extrêmement rigoureuses et d'accélérer le processus de renvoi, si le demandeur est refusé. Ce pouvoir peut s'exercer sur de nombreux aspects de la période de séjour de la personne au Canada.
Mme Pillay : Je vous remercie pour cette question importante.
J'ai la même opinion que celle que viennent d'exprimer mes collègues. Des normes nationales s'appliquent, particulièrement aux conditions de détention, à la séparation des familles et en matière de santé mentale. Vous avez fait allusion aux lois fédérales régissant les droits de la personne qui pourraient ne pas s'appliquer. Mais sachez que, bien sûr, la Charte des droits et libertés, elle, s'appliquerait, et que les normes qu'elle énonce doivent s'appliquer également aux futurs Canadiens ou aux non-Canadiens.
Enfin, vos questions et les pouvoirs de l'ASFC, non seulement d'arrestation et de détention, mais, aussi, d'intervention dans tout le processus de détermination du statut de la personne, soulignent encore plus, d'après moi, la nécessité, pour un organisme comme l'inspecteur général, de pouvoir entreprendre sa propre enquête sur de telles questions systémiques. C'est d'une importance cruciale. Nos recommandations aux polices d'ailleurs, pour la formation aux questions de profilage ou aux droits conférés par la Charte, le même genre de formation, pourraient s'appliquer aux agents de l'ASFC.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse aux représentants du Conseil canadien pour les réfugiés, ainsi qu'à Me Pillay, de l'Association canadienne des libertés civiles.
Il semble y avoir un problème assez précis qui est soulevé, qui figure dans les enjeux depuis plusieurs années et qui traite de la détention aux frontières, dans l'attente d'une décision sur le droit des personnes d'entrer au Canada. Cette partie de la période où les gens arrivent au Canada semble particulièrement cruciale en ce qui a trait au respect des droits de la personne. Plusieurs abus et décès ont été soulevés dans les médias. Or, le mandat qui serait confié à l'inspecteur général est beaucoup plus large, et cette partie du problème est infime dans le mandat de l'inspecteur général.
Ne craignez-vous pas que le fait de donner un mandat aussi large à l'inspecteur général, soit celui de réviser toutes les activités de l'Agence des services frontaliers du Canada, compte tenu des ressources ou du temps limité qui peuvent y être consacrés, ne limite son rôle ou ses préoccupations par rapport à ses enquêtes, ou son contrôle sur les questions de détention aux frontières, dans l'attente d'une décision sur la situation des personnes? Suis-je assez clair?
Mme Dench : Je vous remercie de cette question. Malheureusement, on nous a imposé la traduction, donc nous n'avons pas pu entendre directement ce que vous avez dit en français.
Si nous comprenons bien la question, vous faites référence au large mandat de l'Agence des services frontaliers du Canada, ce qui est certainement vrai. Je crois que nous allons tout de même plaider que l'inspecteur général devrait mettre l'accent sur les droits les plus fondamentaux, soit sur les violations les plus graves et sur les personnes les plus vulnérables. Donc, de notre point de vue, il s'agit des personnes qui cherchent l'asile au Canada, qui sont détenues, lorsqu'on parle de violations graves. En ce qui concerne les réfugiés et autres migrants sans statut, on parle des personnes les plus vulnérables. Donc, si nous devions plaider notre cause, nous demanderions à l'inspecteur général de mettre l'accent sur ces aspects.
Mme Jeanes : Je vous remercie d'attirer l'attention sur les points d'entrée à la frontière. Les personnes les plus vulnérables ne sont pas toujours en mesure d'entrer au Canada. Elles sont parfois expulsées dès le point d'entrée. Nous ne savons pas toujours ce que ces personnes recherchent, parce qu'il nous est impossible de communiquer avec elles. Nous savons que des gens déposent des demandes d'asile qui ne sont pas autorisées. Ces gens sont alors renvoyés sur- le-champ. Nous avons déjà reçu des messages de personnes ayant vécu une expérience semblable. Malheureusement, au moment où nous avons été mis au courant, elles étaient déjà parties. Il serait très important d'examiner cette question en profondeur. Nous attendrons de voir quels seront les pouvoirs et les priorités. Je vous remercie pour la question.
[Traduction]
Mme Taub : Dans ce cas, nous cherchons à concilier les priorités. J'en conviens, il y a le problème des personnes vulnérables et des demandeurs d'asile, mais, d'autre part, il y a celui de la sécurité du Canada contre toutes sortes d'attaques « existentielles », le terrorisme, les cyberattaques, le trafic de personnes, et la liste n'en finit pas.
Quand les ressources sont très limitées, il faut connaître ses priorités. En toute objectivité, j'estime que les priorités devraient aller à la sécurité du Canada, à la protection des citoyens et des immigrants qui vivent ici, à leur protection contre les fraudes en matière d'immigration, contre la criminalité, contre les actes terroristes, et cetera, si les mêmes ressources font l'objet de demandes diverses.
Si nos ressources suffisent pour nous attaquer aux deux problèmes à partir de cette position, alors, bien sûr, c'est ce que nous devrions faire. Si nous ne pouvons nous occuper que d'un problème à la fois, je privilégie la sécurité, parce que nos vies, notre mieux-être, l'avenir du Canada sont en jeu.
Tout cela est une question de ressources.
M. Waldman : J'ai une courte observation à ce sujet.
Le président : Nous ne sommes pas ici pour débattre avec les témoins ni autoriser un débat entre les témoins. Nous nous occupons du problème et du projet de loi dont nous sommes saisis.
M. Waldman : Je répondrai seulement à la question du sénateur.
Il me semble que, quand il s'agit de ressources, la commission chargée d'entendre les plaintes ou l'inspecteur général a la possibilité de déterminer comment il s'occupera de plaintes précises et comment il pourra en privilégier par rapport à d'autres.
Je dirais qu'un inspecteur général privilégierait manifestement les plaintes les plus sérieuses, qui mettent en cause des droits fondamentaux, par exemple les plaintes en matière de détention par rapport aux autres plaintes, mais, manifestement, dans toute société, que ce soit en raison de la primauté du droit ou pour d'autres raisons, nous devons nous assurer de l'existence de mécanismes de reddition de comptes qui portent sur les diverses activités de l'ASFC.
Mme Taub : Veuillez m'éclairer. Est-ce que l'inspecteur général pourrait s'occuper de plaintes de citoyens canadiens et d'immigrants dans une affaire de mariage frauduleux? S'ils déposent une plainte, mais qu'aucune enquête ne s'ensuit parce que, dans l'ordre des priorités, c'est très secondaire à cause du manque de ressources, l'inspecteur général pourrait-il s'occuper de telles plaintes aussi?
Le président : Le sénateur Moore peut en avoir beaucoup à dire à ce sujet, mais l'article 15 accorde beaucoup de latitude à l'inspecteur général pour faire enquête sur toute question et soulever ce problème qui, pour certains, pourrait ne pas être une priorité, mais qui le deviendrait parce que la question a été portée à son attention par suite d'une plainte à laquelle il faut donner suite.
C'est, d'après moi, l'une des qualités de ce projet de loi, qui découle de la manière dont on l'a rédigé.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur le président. Ma première question s'adresse à Mme Dench. Nous sommes tous très touchés par certains événements qui sont survenus lors de la détention d'individus par l'Agence des services frontaliers du Canada. Croyez-vous que la nomination d'un inspecteur général, comme le prévoit le projet de loi S-205, entraînera un changement d'attitude de la part de ceux qui craignent porter plainte?
Mme Dench : Dans nos recommandations, nous proposons que l'inspecteur général, ou tout autre mécanisme, soit en mesure de recevoir des plaintes de la part d'organismes. Notre organisme et les organismes membres du CCR sont souvent bien placés pour déposer une plainte à l'inspecteur général. Ce dernier pourrait procéder à des visites et déterminer les situations qui méritent une inspection. À notre avis, un système qui s'en remet simplement au dépôt de plaintes ne pourrait pas fonctionner pour les plus vulnérables.
Le sénateur Dagenais : Avec votre permission, monsieur le président, j'aimerais poser une question à Mme Taub. J'ai écouté votre présentation et, selon le tableau que vous avez brossé, il y a lieu de s'interroger sérieusement. Le gouvernement fait preuve d'ouverture en matière d''immigration, mais il n'a peut-être pas les moyens de ses ambitions. À votre avis, est-ce de la fausse représentation auprès de la clientèle qui souhaite venir au Canada?
[Traduction]
Mme Taub : Je suis désolée. Je ne comprends pas.
[Français]
Pouvez-vous répéter la question et parler un peu plus fort? Je n'ai vraiment pas compris votre question.
Le sénateur Dagenais : Dans le tableau que vous avez brossé, il y a lieu de s'interroger sérieusement. Vous avez dressé un tableau sombre de l'immigration. Selon moi, le gouvernement se montre ouvert à l'immigration à l'échelle internationale. Avons-nous les moyens de nos ambitions en matière d'immigration? Sinon, est-ce de la fausse représentation envers la clientèle qui souhaite immigrer au Canada?
Mme Taub : Vous voulez savoir si le gouvernement du Canada fait de la fausse représentation en prétendant qu'il est facile d'immigrer au Canada?
Le sénateur Dagenais : En d'autres mots, le gouvernement se montre très ouvert à l'immigration, mais lorsque les gens tentent de venir chez nous, ce n'est peut-être pas aussi facile qu'ils le pensent.
Mme Taub : Il est très facile d'immigrer au Canada si on se qualifie et que l'on répond aux critères nécessaires. À mon avis, il est plus facile d'immigrer au Canada que dans n'importe quel autre pays occidental. Ce n'est pas de la fausse représentation, mais il faut répondre aux exigences en fonction des besoins du Canada. Le but de l'immigration, c'est que le pays puisse aussi en profiter.
Le sénateur Dagenais : Tout à fait.
Mme Taub : Le pays doit également tirer profit de l'immigration. Il ne s'agit pas ici du système des réfugiés, qui est une toute autre question. En ce qui concerne l'immigration pure et simple, le Canada doit pouvoir bénéficier d'admission d'une certaine catégorie d'immigrants. Pour ce faire, les immigrants doivent, par exemple, être éduqués, connaître le français ou l'anglais, et détenir le savoir-faire nécessaire pour réussir au Canada sans avoir recours au bien- être social. Bien sûr, tous ces critères sont très importants, mais je ne crois pas que le Canada fasse de fausse représentation. Même avec ces exigences, il n'est pas difficile d'entrer au Canada si on a des habiletés, de l'éducation et une connaissance des langues nécessaires.
Le sénateur Dagenais : En examinant le tableau que vous aviez présenté au début, j'avais l'impression qu'il peut être parfois difficile d'entrer au Canada, étant donné le manque de personnel, et cetera, au sein des services frontaliers.
Mme Taub : De toute évidence, le manque de personnel pose problème en matière d'enquête, de fraude et du parrainage des familles. Nous accumulons des retards en raison du manque de personnel, de ressources et de fonds.
[Traduction]
Le président : Je voudrais profiter de la réponse de Mme Taub pour solliciter des observations aux autres témoins. Au fil de nos audiences de ces dernières années, nous avons pris connaissance d'un certain nombre de faits sur l'immigration.
En moyenne — je pense que la majorité des Canadiens l'ignore —, 500 000 nouveaux arrivants immigrent au Canada chaque année, si l'on réunit les catégories des travailleurs temporaires, des étudiants et des réfugiés. Cela représente un afflux énorme. Chacun de ces arrivants est un individu; il est à espérer que chacun soit traité de façon à faire de ce pays un endroit où il fait bon travailler ou vivre à long terme.
Voilà le nombre de personnes que nous accueillons au Canada. À la lumière de ce fait et de la responsabilité de l'ASFC par rapport à la question connexe de la sécurité publique — je pense que personne ne peut contester cette responsabilité —, selon vos connaissances, vos parcours et vos organisations, êtes-vous d'accord avec ceux qui affirment que l'ASFC n'a pas suffisamment de ressources pour s'acquitter de la tâche que nous lui confions? Si vous êtes d'accord, que pensez-vous qu'il faut faire pour lui permettre de remplir sa mission?
M. Waldman : Il y a une question de répartition des ressources. C'est certain qu'il y a eu des compressions, et moins d'agents font plus de travail, disons, qu'il y a 10 ans. Le gouvernement a réaffecté des quantités énormes de ressources aux renvois, au détriment d'autres aspects de toutes sortes. À mon avis, l'ASFC a besoin de ressources pour accomplir efficacement son travail, mais elle doit également trouver le meilleur moyen de répartir ses ressources et d'établir sa liste de priorités.
L'ASFC a certainement une tâche énorme et elle a besoin des ressources nécessaires pour s'en acquitter. Je pense que personne ne dirait le contraire. Or, l'ASFC doit aussi veiller à affecter convenablement ses ressources. C'est pour cette raison que j'appuie l'idée d'un inspecteur général : il pourra surveiller comment l'ASFC mène ses activités et comment elle répartit ses ressources; il pourra également évaluer si elle les affecte de façon à pouvoir remplir correctement sa mission.
Le problème actuellement, c'est que l'ASFC ne rend aucunement compte de ses activités au public, ce qui en diminue l'efficacité et la transparence.
Mme Dench : Je vais poursuivre dans la même veine que M. Waldman. L'ASFC manque peut-être de ressources dans certains secteurs, mais selon ce que nos membres nous disent, elle semble avoir trop de personnel dans d'autres secteurs et ses interventions ne sont pas toujours utiles.
Par exemple, dans certains secteurs où jusqu'à la moitié des demandes d'asile sont déposées, les interventions de l'ASFC n'aident pas les demandeurs d'asile. De plus, l'agence gaspille énormément de ressources à préparer des demandes de constat de perte pour tenter de retirer le statut de réfugié à des résidents permanents productifs du Canada.
Elle dépense certainement beaucoup d'argent pour détenir des personnes qui ne représentent absolument aucun danger pour le Canada — des personnes qui, dans de nombreux cas, finissent par recevoir le statut de réfugié et qui deviennent des résidents permanents et des citoyens du Canada.
Nous appuyons la proposition selon laquelle il faudrait réaffecter les ressources au sein de l'ASFC.
Mme Pillay : Merci d'avoir posé la question et de me permettre d'y répondre, monsieur le sénateur. L'ACLC est tout à fait d'accord avec vous : la sécurité est une des fonctions principales de l'ASFC. Toutefois, d'après nous, la reddition de comptes prévue dans le projet de loi S-205 et nos recommandations visant à étendre cette obligation ne minent aucunement la fonction de sécurité. De fait, nous sommes d'avis que cette obligation contribuerait à la fonction de sécurité et qu'elle positionnerait l'ASFC de façon idéale pour qu'elle puisse s'acquitter convenablement de sa tâche.
À notre connaissance, c'est vrai que l'ASFC manque de ressources. Ce que nous tentons de dire, c'est qu'on ne devrait pas opposer la reddition de comptes aux questions liées aux ressources, comme la sécurité. Les deux vont de pair pour assurer la sécurité du Canada et pour respecter nos obligations envers les réfugiés, les migrants et les immigrants.
Le président : Je suis heureux d'entendre vos commentaires, car on sent qu'ils vont tous dans le même sens, que tout le monde croit que l'ASFC manque de ressources et qu'il faut entreprendre des démarches pour redresser la situation. Le nombre de personnes qui arrivent au Canada chaque année est l'équivalent d'une grande ville — 500 000 personnes. C'est beaucoup de nouveaux arrivants. Nous devons avoir les moyens de les accueillir, de leur faire franchir toutes les étapes d'un processus qui fonctionne et de les traiter de manière juste, tout en veillant aux intérêts du Canada.
La situation est très délicate. Nous ne pouvons pas parler d'un seul élément; nous devons parler de l'ensemble des éléments. On a déterminé que quelque 40 000 ou 50 000 personnes se trouvaient au Canada, et on ne sait pas si elles sont ici. On ne sait même pas de qui il s'agit. Il faut s'en préoccuper.
Cela continue. Il faut trouver un équilibre. Je suis d'accord avec vous en ce qui touche la reddition de comptes. C'est pour cette raison que le projet de loi a été créé.
La sénatrice Jaffer : J'ai une question pour M. Waldman et Mme Pillay. L'an dernier, le comité a rédigé un rapport sur la vigilance, la reddition de comptes et la sécurité aux frontières du Canada. Dans son rapport, le comité a affirmé que l'ASFC bafouait les droits des demandeurs d'asile, qu'elle leur enlevait leurs téléphones et qu'elle se servait de leurs téléphones pour obtenir des numéros. Pour moi, la pire chose, c'était de communiquer avec les autorités dans le pays d'origine.
Je suis heureuse que le sous-alinéa 15.5(1)a)(vi) du projet de loi et du mandat se lise comme suit : « le respect et la protection des droits et libertés individuels des citoyens canadiens et des ressortissants étrangers ».
Cette disposition contribuerait grandement à la protection des droits des personnes les plus vulnérables. J'aimerais avoir votre avis. Pensez-vous que le projet de loi va assez loin?
M. Waldman : La reddition de comptes est essentielle, car, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous voyons très souvent des cas dans lesquels, à notre avis, les agents violent les droits garantis par la Charte de nos clients, et nous ne disposons pas d'un mécanisme efficace de plaintes. Nous envoyons une lettre, elle disparaît, et la plupart du temps, nous ne recevons pas de réponse.
Le mécanisme de plaintes prévu dans le projet de loi permettra la tenue d'enquêtes, la présentation de rapports et la formulation de recommandations obligatoires, ce qui mènera à un plus grand respect des droits garantis par la Charte.
Mme Pillay : Comme vous le savez grâce aux témoignages que nous avons déjà présentés au comité, nous avons aussi rapporté des allégations de pratiques abusives, comme retirer les téléphones ou communiquer avec quelqu'un dans un autre pays, ce qui, évidemment, est très dangereux pour un demandeur d'asile. Nous trouvons le mécanisme de plaintes absolument essentiel.
Pour répondre à votre deuxième question — le projet de loi S-205 va-t-il assez loin? —, nous croyons qu'il devrait prévoir un mécanisme d'enquête lancée de sa propre initiative. Il le fait peut-être déjà — le libellé n'est pas clair —, mais d'après nous, c'est aussi essentiel.
Le sénateur White : Merci à toutes et à tous d'être ici. C'est intéressant de se demander, dans une discussion sur la sécurité, si l'érosion de la confiance est possible. Pour ma part, je dirais que la sécurité dépend de la confiance.
Monsieur Waldman, nous avons eu une discussion plus tôt avec l'organisme de surveillance de la Gendarmerie royale du Canada au sujet de la possibilité qu'il assume le rôle d'inspecteur général que nous proposons. Beaucoup des enquêtes menées aujourd'hui par l'ASFC et la GRC se chevauchent, encore plus qu'il y a 10 ans. J'ai pensé que cela pourrait accélérer le processus et faciliter l'accès aux renseignements relatifs aux enquêtes. Appuyez-vous cette proposition ou y voyez-vous des inconvénients?
M. Waldman : Il doit absolument y avoir un organisme de surveillance efficace. Les trois témoins qui ont parlé des problèmes s'entendent sur ce qu'il manque.
Personnellement, je ne vois pas d'inconvénient à ce que ce soit fait par la Commission des plaintes du public de la GRC. Or, actuellement, le pouvoir de la commission de mener des enquêtes est sérieusement limité. Il faudrait apporter les modifications dont nous avons parlé.
Le sénateur White : Pouvez-vous entrer dans les détails?
M. Waldman : Le pouvoir de faire respecter les recommandations est essentiel; celui d'accéder aux renseignements aussi. Le commissaire aux plaintes a dit que si nous demandons les renseignements et qu'il ne les obtient pas, nous ne pouvons pas mener notre enquête. Il doit y avoir des pouvoirs d'exécution, ainsi que la possibilité de porter plainte de sa propre initiative et de recevoir des plaintes de tiers. Ce sont là des aspects fondamentaux de tout mécanisme de plaintes efficace.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse aux avocats. En ce qui concerne le recours judiciaire devant la Cour fédérale prévu aux articles 15.21 et suivants, qui permet de transmettre au tribunal une plainte présentée à l'inspecteur général, je suis incapable de comprendre le rôle de ce recours judiciaire.
Il me semble que si j'étais en faveur des droits de la personne, j'aimerais bénéficier d'un recours beaucoup plus précis, doté d'outils, de motifs précis de révision et de pouvoirs plus spécifiques que celui selon lequel le tribunal peut, s'il estime que l'agence ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime nécessaire. Les obligations de l'agence, en vertu de la loi, sont très limitées, elles n'incluent pas la substance ni le contenu des recommandations qui sont faites. Or, si je voulais protéger l'agence contre les recours, il me semble que j'enlèverais peut-être cette disposition afin de maintenir l'efficacité de l'agence. Je laisserais donc à l'inspecteur le pouvoir de formuler des recommandations et de faire rapport. Il me semble que ce serait suffisant pour atteindre l'objectif d'éveiller l'opinion publique et de sensibiliser l'agence et le ministre aux problèmes internes de l'agence.
Ne trouvez-vous pas que le recours judiciaire, tel qu'il est formulé, n'atteint aucun de ces objectifs, ni celui de la protection des droits de la personne ni celui de protéger le mandat premier que l'on veut donner à l'inspecteur général?
[Traduction]
M. Waldman : Je ne sais pas si une de mes collègues...
Le président : Qui est prêt à répondre?
M. Waldman : J'ai lu la disposition en question. D'après ce que je comprends, le but est de permettre à un plaignant qui croit que l'inspecteur général n'agit pas dans un délai raisonnable de s'adresser au tribunal pour lui demander d'ordonner une action.
La disposition est importante, car elle permet un recours dans le cas où l'inspecteur général n'agisse pas. C'est l'objectif. Il y a peut-être des façons plus efficaces de gérer ce genre de situation, mais il doit y avoir un contrepoids au pouvoir de l'inspecteur général pour qu'il puisse être appelé devant le tribunal.
[Français]
Le sénateur Carignan : C'est de cette façon que vous interprétez le pouvoir tel qu'il est rédigé?
[Traduction]
M. Waldman : C'est ainsi que je l'interprète, oui.
Mme Pillay : Je pense qu'il est semblable à celui prévu par la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels, aussi.
Le président : Êtes-vous satisfait, sénateur Carignan?
[Français]
Le sénateur Carignan : Je n'ai pas à être satisfait ou non.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Merci aux témoins de leur présence.
L'ASFC dirige au moins quatre prisons au Canada gérées par du personnel contractuel. Il y a eu des décès, dont un hier. Ils ne sont pas rapportés. Les familles des défunts doivent faire des pieds et des mains pour en connaître les circonstances. Je pense qu'elles finissent dans l'annonce finale envoyée au bureau du coroner.
Madame Taub, vous dites que ce n'est pas le temps de créer un poste de fonctionnaire indépendant. À la lumière de tous ces faits, si ce n'est pas maintenant, quand devrions-nous le faire?
Mme Taub : Quand nous aurons les ressources nécessaires pour répondre aux besoins urgents du Canada. Je ne dis pas que nous ne devrions pas créer le poste d'inspecteur général; je dis qu'il doit y avoir deux volets. L'un ne va pas sans l'autre.
En outre, je suis d'accord avec mon collègue : ce serait préférable sur les plans financier, économique et fonctionnel de combiner le poste au CSARS. Puisque les trois organisations — l'ASFC, le SCRS et la GRC — travaillent souvent ensemble et échangent des renseignements, il pourrait y avoir un seul organisme plutôt qu'un organisme distinct pour l'ASFC. Peut-être que ce serait une meilleure façon d'affecter des ressources limitées.
Le sénateur Moore : Évidemment, je préconise la création d'un poste d'inspecteur général indépendant pour toutes les raisons que j'ai données, particulièrement pour que justice soit rendue et semble être rendue, et pour qu'un tiers indépendant contrôle les activités et les actions de l'ASFC.
Madame Dench, j'ai le discours que vous avez prononcé au Collège Regis en novembre 2013, à Toronto. Je vais vous demander des détails. Vous avez dit :
Il me semble qu'il arrive un moment où le silence s'abat sur les personnes qui vivent en détention pour des raisons d'immigration depuis trop longtemps, loin de leur famille depuis trop longtemps, dans l'incertitude depuis trop longtemps. Ce moment survient après que la rage s'est dissipée et que quelque chose s'est brisé. Il est rendu trop tard pour une libération, pour une réunion, pour une attestation de statut. Le soulagement qui devrait venir avec la résolution n'arrivera pas à soigner la blessure.
Pouvez-vous commenter ces propos, s'il vous plaît?
Mme Dench : Merci beaucoup. Je parlais du fait que les gens ont si peu moyen d'obtenir réparation. Ils attendent pendant tellement longtemps. Par exemple, si une personne est détenue pendant une courte période et une solution est trouvée, elle peut évidemment guérir la blessure subie. Toutefois, plus les difficultés durent, plus la séparation de la famille se prolonge, plus il faut de temps pour obtenir un statut — et plus la blessure est profonde et difficile à guérir, et aussi plus il est difficile d'en parler, de communiquer avec les Canadiens. C'est un des messages que j'essayais de transmettre : au Canada, nous avons souvent une vision optimiste de la façon dont nous respectons les droits des autres; nous ignorons qu'à quelques kilomètres de nous, souvent, des gens subissent de graves violations de leurs droits de la personne.
Le sénateur Moore : Merci. Mme Jimenez s'est enlevé la vie le 20 décembre 2013, un mois après votre discours. Avez- vous joué un rôle dans ce dossier pour essayer d'aider sa famille? Votre organisation s'est-elle engagée dans cette affaire ou dans des affaires semblables?
Mme Dench : Certainement. Nous nous sommes joints à d'autres organisations pour exiger la tenue d'une enquête et nous sommes aussi intervenus durant l'enquête du coroner. Un de nos avocats était présent pour poser des questions et faire des recommandations.
Le sénateur Moore : Je vais m'en tenir là. Merci.
Le président : Chers collègues, notre temps est écoulé. Je tiens à remercier tous les témoins d'être venus ici aujourd'hui. Je pense que votre présence nous a été très utile. Nous vous sommes reconnaissants du temps et des efforts que vous consacrez tous à votre préparation pour nous permettre de jouir de votre expertise. Soyez assurés que nous vous avons entendus.
Les témoins ont la permission de partir. La séance est levée.
(Le comité s'ajourne.)