Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 5 - Témoignages du 13 juin 2016
OTTAWA, le lundi 13 juin 2016
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été déféré le projet de loiC-7, Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la FP, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et comportant d'autres mesures se réunit aujourd'hui, à 11 heures pour examiner les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense du lundi 13 juin 2016. Avant de commencer, j'aimerais présenter les personnes qui se trouvent à la table. Je suis le sénateur Dan Lang, et je représente le Yukon. À ma gauche se trouve Adam Thompson, greffier du comité. J'aimerais inviter chaque sénateur à se présenter et à indiquer la région qu'il représente, à commencer par la vice-présidente.
La sénatrice Jaffer: Je m'appelle Mobina Jaffer et je suis de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Kenny: Colin Kenny, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Jean-Guy Dagenais, de la province de Québec.
[Traduction]
Le sénateur Day: Joseph Day, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Carignan: Claude Carignan, de la province de Québec.
[Traduction]
La sénatrice McCoy: Elaine McCoy, de l'Alberta.
La sénatrice Beyak: Lynn Beyak, de l'Ontario.
Le sénateur White: Vern White, de l'Ontario.
Le président: Je vous remercie. Avant de commencer notre réunion, j'aimerais exprimer nos condoléances aux familles et amis des victimes de l'attaque terroriste d'Orlando, en Floride. L'attaque perpétrée par ce terroriste nous rappelle la nécessité d'accroître notre besoin de vigilance et de renforcer nos stratégies nationales de sécurité.
Notre séance d'aujourd'hui durera quatre heures. Durant la première heure, nous examinerons les questions relatives àl'Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement. À 13 heures, nous poursuivrons notre étude du projet de loiC-7, Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la FP, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et comportant d'autres mesures.
Aujourd'hui, notre premier groupe de témoins est composé de David Pratt et de Peter MacKay, tous deux ex- ministres de la Défense. Messieurs Pratt et MacKay, je vous souhaite la bienvenue. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd'hui pour étudier l'examen de la politique de défense relative à l'éventuelle participation du Canada aux missions de paix de l'ONU et autres questions. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire. Nous vous écoutons, monsieur Pratt.
David Pratt, C.P., ex-ministre de la Défense nationale, à titre personnel: Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je me joins à vous aujourd'hui pour émettre quelques réflexions sur la question des missions de paix de l'ONU dans le contexte de l'Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement Trudeau. J'ai le plaisir d'être accompagné de mon ancien collègue, Peter MacKay. Il y a longtemps qu'on s'est vus, Peter.
Peter MacKay, C.P., ex-ministre de la Défense nationale, à titre personnel: J'en suis heureux moi aussi.
M.Pratt: Je veux féliciter le gouvernement Trudeau et le ministre Sajjan d'avoir entamé cet examen. J'aurais aimé voir dans ce processus une participation accrue des parlementaires ainsi qu'un examen plus formel de la politique étrangère et de la politique sur le développement, mais j'ai bon espoir que cet examen donnera des résultats. Le moment est bien choisi, et il s'agit incontestablement d'un pas dans la bonne direction.
J'ai examiné la lettre de mandat du ministre Sajjan sur le renouvellement de la participation du Canada aux missions de paix de l'ONU et j'appuie cette démarche. Comme l'indique la lettre de mandat, les Nations Unies ont besoin des types de capacités spécialisées que le Canada peut offrir: équipes médicales mobiles, appui en matière de génie, transport aérien lourd, et ainsi de suite. L'ONU, qui a également besoin d'une capacité de réponse plus rapide aux conflits qui éclatent de façon soudaine ou qui s'amplifient, pourrait bénéficier de l'expérience des spécialistes et des officiers canadiens affectés à des postes d'état-major ainsi qu'à des postes au sein des quartiers généraux. En outre, l'idée d'un effort international concerté en vue d'améliorer et de développer la formation des militaires et du personnel civil des Nations Unies est une très bonne chose.
Les mesures énoncées dans la lettre de mandat du ministre semblent inspirées du rapport du Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix des Nations Unies, qui a été déposé devant le Secrétaire général de l'ONU il y a presque un an exactement. Comme vous le savez, ce rapport arecensé un grand nombre des problèmes graves et permanents qui nuisent depuis des années aux missions de paix de l'ONU. Que le Canada soit prêt à faire sa part pour soutenir les Nations Unies est une excellente chose, mais il faut savoir que ce soutien va de pair avec la responsabilité de réaliser les changements et les réformes requises.
J'ai l'impression que le gouvernement précédent s'en est tout bonnement lavé les mains en disant: «Les processus de l'ONU sont trop bureaucratiques, trop lourds et trop lents, ils sont trop déchirés par la petite politique et trop axés sur le favoritisme pour obtenir des résultats substantiels. Mieux vaut garder nos distances qu'intervenir.» Il y a du vrai dans ce point de vue, mais selon moi, le désengagement ne mène nulle part.
Il y a soixante ans, en mai 1956, le secrétaire général de Nations Unies de l'époque, Dag Hammarskjöld, avait déclaré:
«Nous entendons souvent dire que l'ONU a réussi ici ou aéchoué là. Mais de quoi parle-t-on? Fait-on allusion aux buts de la Charte? Ils expriment des idéaux partagés universellement qui ne peuvent pas nous décevoir, mais nous, malheureusement, nous leur faisons souvent défaut. Ou pense-t-on aux institutions des Nations Unies? Elles sont nos outils. Nous les avons créées. Nous les utilisons. Il nous appartient de corriger les défauts qu'elles peuvent comporter.»
Monsieur le président, vous avez sollicité des recommandations concernant le soutien du Canada aux opérations de paix des Nations Unies. Ma première recommandation serait que ce comité, en collaboration avec le Comité sénatorial des affaires étrangères et les comités de la défense nationale et des affaires étrangères des deux Chambres entreprennent une étude détaillée du rapport publié par le Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix des Nations Unies et cela, en vue de plaider vigoureusement pour la réforme des opérations de paix de l'ONU. En d'autres mots, la mise à disposition de ressources militaires canadiennes aux Nations Unies doit s'accompagner d'un effort diplomatique concerté entre pays aux vues similaires pour travailler d'arrache-pied à faire avancer la réforme. Sinon, nous ne ferons que perpétuer la déficience systémique existante qui se solde par le gaspillage de ressources et, trop souvent, empêche la réalisation des résultats escomptés.
La deuxième recommandation découle de la première. Elle porte sur la prévention des conflits, un autre élément que le rapport du Groupe indépendant de haut niveau a identifié comme nécessitant un soutien accru. Une des tâches précisées dans la lettre de mandat de M.Dion est la suivante: «[E]n collaboration avec le ministre de la Défense nationale, accroître le soutien du Canada aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies ainsi que ses efforts de médiation, de prévention des conflits et de reconstruction à la suite de conflits.»
Je recommande fortement que si le Canada souhaite dispenser un soutien militaire et policier supplémentaire, il doit veiller à ce que les efforts de prévention des conflits s'accompagnent des ressources adéquates. Il doit donc mettre à la disposition de l'ONU un corps d'agents civils hautement formés, composé d'envoyés spéciaux, de médiateurs, de chefs de missions politiques et d'experts en gouvernance, en droits de la personne et autres domaines de ce genre. Affaires mondiales Canada a mis en place un plan d'action national à l'appui de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU. Là encore, de concert avec des pays aux vues similaires à la nôtre, nous devons pousser activement le Conseil de sécurité à s'engager dans la prévention de la violence sexuelle et sexospécifique commise à l'encontre des femmes et des filles — par les combattants locaux ou par le personnel des opérations de paix — dans le contexte de conflits armés. Nous devons également exercer des pressions pour que le Conseil de sécurité s'engage à accroître la participation des femmes dans les efforts de prévention des conflits et dans les processus de paix.
Ma troisième recommandation découle de la deuxième et porte sur la perception que nous avons de ce que le gouvernement essaied'accomplir. Lorsqu'on entend les mots «Trudeau» et «maintien de la paix» dans la même phrase, de nombreux acteurs du milieu de la sécurité lèvent les yeux au ciel en déclarant: «Ça y est, Justin essaie de nous ramener à la belle époque où les Casques bleus et les soldats canadiens distribuaient des bonbons aux enfants pendant qu'ils patrouillaient la ligne decessez-le-feu.» La patrouille des lignes de cessez-le-feu n'est pas vraiment ce dans quoi le gouvernement veut s'investir, et c'est tant mieux. De nos jours, les opérations de paix se déroulent dans quelques-uns des endroits les plus dangereux au monde. Je recommanderais au gouvernement d'être plus explicite sur ses intentions. Il s'agit d'un travail des plus sérieux, susceptible d'atténuer les souffrances des populations les plus vulnérables de la planète.
Cet engagement renouvelé du Canada envers les Nations Unies devrait s'inscrire dans le contexte plus large des 70 années de soutien canadien pour la défense des principes et de la Charte des Nations Unies. Tout ce que le Canada a essayé de promouvoir au cours des dernières décennies s'inspire du préambule de la Charte, qu'il s'agisse de la défense des droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, ou de l'égalité de droits des hommes et des femmes. La promotion canadienne du programme de sécurité humaine et de protection des civils dans les conflits armés, de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États ou de la responsabilité de protéger du Conseil de sécurité a été parfaitement alignée sur la Charte des Nations Unies.
Ma dernière recommandation touche le financement. Si le Canada souhaite établir un leadership mondial — à mon avis, c'est ce qu'il devrait faire — il doit savoir que sa campagne à long terme visant à rendre les opérations de paix plus efficaces ne peut pas se faire au rabais. Prêcher par l'exemple n'est jamais une approche bon marché. Pas plus que ce n'est une approche «tout ou rien» à l'égard de notre sécurité nationale, de nos obligations en matière de défense de l'Amérique du Nord ou des responsabilités qui découlent de notre engagement envers l'OTAN. Nous devons poursuivre l'exécution de ces priorités, de façon adéquate et concertée avec nos amis et alliés.
Je pense qu'il existe un consensus général sur l'insoutenabilité des faibles niveaux de financement et du programme de défense actuels. L'époque où nous pouvions prendre à Pierre pour donner à Paul est révolue depuis belle lurette. À moins d'être disposés àfournir et à affecter les ressources nécessaires pour accomplir du bon travail, soyons honnêtes avec nous-mêmes et avec nos amis de la communauté internationale et abandonnons l'idée d'en faire une priorité. Agir autrement serait interprété comme un stratagème cynique visant à donner l'impression que le Canada appuie l'ONU tout en n'accomplissant rien de substantiel pour améliorer les choses.
Un dernier commentaire: si le gouvernement prend cette tâche au sérieux et l'exécute correctement, il aura de très bonnes chances d'obtenir le siège tant convoité au Conseil de sécurité de l'ONU. Le cas échéant, le programme de réforme à long terme de l'ONU recevrait une impulsion considérable, avec tout ce que cela comporte pour l'avenir de l'organisation, à savoir des opérations de paix efficaces et de l'espoir pour les personnes dont l'existence est brisée par les conflits armés. Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Pratt.
Nous allons poursuivre avec M.MacKay.
[Français]
L'honorable Peter MacKay, C.P., ancien ministre de la Défense nationale, à titre personnel: Monsieur le président, madame la vice-présidente, honorables sénateurs, merci de m'avoir invité àcomparaître devant vous ce matin.
[Traduction]
Monsieur le président, si vous le permettez, je voudrais joindre ma voix aux marques de sympathie et aux prières que vous avez offertes aux victimes des tragiques événements d'Orlando et àleurs familles.
Je tiens aussi à exprimer toute ma sympathie à la famille deRobert Hall dont la vie a été brutalement interrompue aux Philippines par des terroristes liés à Al-Qaïda.
Comme vous l'avez mentionné, ces événements aussi effroyables que consternants donnent beaucoup à réfléchir sur la fragilité de la vie humaine, sur l'importance du travail que nous sommes tous ici pour accomplir et que des Canadiens à l'étranger accomplissent pour défendre nos libertés.
Monsieur le président, je suis très heureux de m'associer à ce groupe pour appuyer le travail important que vous avez entrepris. Comme vous êtes nombreux à le savoir, j'ai été ministre de la Défense nationale pendant six ans et je peux dire en toute franchise que cette expérience a été l'une des plus gratifiantes de ma vie, tant sur le plan personnel que professionnel.
Il s'agit de ma 59e comparution devant le comité. Cela me rappelle donc vaguement quelque chose, mais c'est la première fois que je comparais à titre personnel. J'attends avec impatience les résultats de l'Examen de la politique de défense du Canada entrepris par le gouvernement. C'est aussi un grand plaisir pour moi de me trouver aux côtés de mon ami et collègue de longue date, l'honorable David Pratt.
Étant donné le peu de temps dont je dispose, monsieur le président, je ne me lancerai pas dans une analyse en profondeur de la future politique de défense du Canada, mais je veux cependant aborder certaines questions et présenter les grandes lignes de quelques éléments de réflexion pour l'avenir.
[Français]
Lors de la dernière campagne électorale, les libéraux ont promis, dans leur plan Changer ensemble, le retour du Canada àun rôle de maintien de la paix au sein des efforts internationaux des Nations Unies.
[Traduction]
Un extrait du document se lit comme suit: «[...] pour mieux aider les victimes de conflits, nous contribuerons davantage aux efforts de médiation, de prévention des conflits et de reconstruction de l'ONU», ce qui m'amène à mon premier point, celui qui va droit au cœur de la question débattue par ce comité: comment la Défense nationale et les Forces armées canadiennes peuvent-elles contribuer au renouvellement de l'engagement du Canada à soutenir les opérations de rétablissement de la paix des Nations Unies?
Monsieur le président, honorables sénateurs, quelle que soit la réorientation de la politique de défense, elle doit prendre en considération les soubresauts géopolitiques que pourraient provoquer les deux types d'interventions, celles qui sont liées au combat et celles qui ne le sont pas. L'engagement qu'a pris notre gouvernement de se recentrer sur les Nations Unies ne doit pas se faire au détriment de nos partenariats actuels.
Il y a moyen de travailler dans le cadre des contraintes du régime de maintien de la paix des Nations Unies, mais pas au prix de nos relations les plus précieuses. Je ne suis pas en désaccord avec l'impression générale que mon ami a exprimée au sujet de l'attitude du gouvernement précédent, mais je signale que nos missions de maintien de la paix ont été maintenues à un niveau similaire pendant les 10 années ou presque pendant lesquelles nous avons été au pouvoir. Nous n'avons donc en aucune façon fait marche arrière par rapport à notre engagement envers les opérations de maintien de la paix des Nations Unies.
Bien sûr, il y a toujours moyen de faire mieux, et je dirais que le Canada et le monde entier se trouvent à un moment critique. Loin de moi l'idée de nier la fierté nationale associée aux réalisations des missions de maintien de la paix du passé gravées et idéalisées dans la mémoire collective des Canadiens. Cependant, je tiens àrappeler la dure réalité des plus récentes contributions de l'ONU, qui témoigne de la capacité de l'organisation proprement dite. Tant que les grands problèmes de commandement et de contrôle n'auront pas été réglés, j'espère que ce gouvernement réfléchira aux vraies conséquences de ses décisions.
Comme l'a souligné M.Pratt, ces missions de rétablissement de la paix demeurent dangereuses et exigeantes. La réalité est que le monde et l'époque dans lesquels nous vivons sont bien différents, comme le ministre l'a lui-même reconnu dans son témoignage. Les guerres asymétriques auxquelles nous assistons nous ont forcés à surmonter de nouveaux défis. Nous ne pouvons plus nous en remettre aux tactiques conventionnelles de résolution des conflits. En fait, là où nous pouvions autrefois mesurer le succès en kilomètres, nous devons maintenant nous contenter de le mesurer en centimètres.
[Français]
Je sais que le ministre comprend cela, car il a lui-même été témoin des gestes des forces insurgées, mais le gouvernement en entier doit adopter ce concept, et une importante réflexion s'impose: peut-on vraiment résoudre un conflit basé sur les valeurs en employant des méthodes conventionnelles et connues?
[Traduction]
Aujourd'hui, les missions de maintien de la paix dont parle le gouvernement n'existent tout simplement plus. Il faut envisager une approche polyvalente et miser sur les forces aptes au combat dont nous disposons. Ces forces peuvent protéger et défendre nos intérêts contre les actes terroristes d'insurgés qui n'ont jamais cessé de démontrer leur mépris des droits les plus fondamentaux de l'être humain. Ces attaquants de cibles vulnérables — centres commerciaux, boîtes de nuit, salles de transit d'aéroports — sont loin d'être des combattants conventionnels. Les groupes terroristes sont une chose, mais les insurgés, eux, ne sont pas centralisés dans un État. Même s'ils sont parfois établis quelque part, ils se déplacent et circulent incognito au sein de notre population.
Il existe une corrélation entre les conditions socio-économiques et les organisations multilatérales de développement que nous devons avoir à la table. Les nouvelles technologies coûtent cher et le monde évolue rapidement, pas toujours pour le mieux. Toutefois, la création de capacités dans des zones de conflit ne peut se faire que si la sécurité est assurée et qu'un sentiment de stabilité est garanti. Si, comme le diraient les esprits les plus cyniques, une nouvelle politique de défense doit être déterminée àl'avance par la doctrine du «vrai changement», j'aimerais, par l'intermédiaire de ce comité, présenter quelques réactions et réflexions au gouvernement.
Le fait est que de nombreux pays partenaires des Nations Unies sont en mesure d'offrir leur appui, mais le Canada a un rôle unique à jouer. Outre que jouer son rôle traditionnel, le Canada peut fournir des officiers d'état-major, des formateurs, du soutien en matière de renseignement et en logistique. Le Canada doit faire office de leader, comme l'a souligné M.Pratt. Notre force réside dans un rôle plus modeste et plus circonscrit, par exemple, commandement et contrôle, formation au renseignement et soutien logistique.
La mission en Afghanistan, qui était menée par l'OTAN et mandatée par le Conseil de sécurité de l'ONU — tout comme la Libye, qui était une mission prescrite par la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU — est un exemple des vastes enjeux en cause. Comme je l'ai dit, nous ne pouvons pas renoncer à notre rôle actuel au sein de l'OTAN. Cependant, quoi que nous fassions, cela ne doit pas nous empêcher de nous acquitter de nos obligations au sein de l'OTAN et du NORAD — et je reviendrai sur ce point — qui, à moins d'un mois du Sommet de Varsovie, se trouvent dans la phase la plus cruciale de leur existence.
[Français]
Troisièmement, au sujet des achats militaires, pour le dire simplement, le gouvernement doit mettre de côté ses priorités partisanes et équiper nos hommes et femmes en uniforme avec les outils dont ils ont besoin.
[Traduction]
Si nous sommes résolus à nous réorienter en vue d'élargir notre rôle au sein des Nations Unies, nous avons besoin d'un engagement explicite en matière de ressources — lequel est inexistant dans le dernier budget du gouvernement. Notre gouvernement a établi une politique de défense exhaustive dans le cadre de sa stratégie de défense Le Canada d'abord et de sa Stratégie d'approvisionnement en matière de défense. À mon sens, il s'agit davantage d'une évolution que d'un changement. Ces politiques ont permis d'établir une vision claire pour les Forces armées canadiennes, avec l'objectif de fournir l'équipement approprié à nos militaires.
Il y a place à l'amélioration, c'est indéniable, mais ces importantes réalisations ne doivent pas non plus être négligées dans le cadre de l'examen que le gouvernement poursuit actuellement. La Stratégie d'approvisionnement en matière de défense était fondée sur une approche pangouvernementale axée sur la mobilisation hâtive et continue, ainsi que sur la prise de décisions efficace et en temps opportun. Le but était d'orienter et de coordonner les principaux approvisionnements militaires et de défense tout en respectant l'engagement du gouvernement de faire en sorte que les achats de matériel de défense créent des débouchés économiques pour les Canadiens.
Cette Stratégie poursuivait trois objectifs: fournir le bon équipement en temps utile, mettre à profit les achats de matériel de défense pour créer des emplois et favoriser la croissance économique au Canada et enfin, simplifier les processus. Ces objectifs clés sont aussi importants aujourd'hui qu'au moment où ils ont été définis et toute restructuration de la défense doit être examinée à travers le prisme de ces objectifs.
Nous avons une riche et fière tradition, monsieur le président — une tradition qui témoigne de notre détermination et de notrevolonté de justice et de laquelle tous les Canadiens tirent une grande fierté. Le visage de la guerre a changé et les normesstratégiques d'une génération révolue ne tiennent malheureusement plus la route. Nous avons été directement témoins des répercussions du fondamentalisme radical, à deux pas de cette salle, sur la Colline parlementaire. Nous ne pouvons et ne devons pas rester les bras croisés face aux nouvelles réalités qui nous entourent. Une telle attitude serait à nos risques et périls. À tous ceux qui laissent entendre que le Canada est de retour sur la scène, je dirai qu'il ne l'a jamais quittée. Nous commettrions une erreur en essayant de procéder à la refonte d'une vision mythique de l'ONU tout à fait caractéristique de l'ère Pearson. Nous sommes en 2016, le monde évolue.
Pour terminer, monsieur le président, j'aimerais faire remarquer qu'en tant que nation, nous avons toujours joué dans la cour des grands et que faire volte-face maintenant équivaudrait à nous placer en position de faiblesse. Je sais que grâce à vos conseils et à ceux de ce comité, toutes les recommandations que vous formulerez auront à cœur les intérêts supérieurs de notre pays.
Je vous remercie de m'avoir accordé ce temps et je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président: Merci beaucoup. Nous allons commencer par la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer: Monsieur Pratt, monsieur MacKay, mercibeaucoup de votre présence. Nous vous en sommes très reconnaissants. Vous n'avez pas hésité une seconde à comparaître devant ce comité auquel vous avez tous deux beaucoup àapporter. Merci de votre contribution et merci d'avoir servi notre pays.
Je commencerai par vous, monsieur Pratt. Je sais que vous avez été l'envoyé spécial en Sierra Leone où vous avez beaucoup travaillé sur le terrain. Comme vous le savez, j'ai été l'envoyée spéciale au Soudan et au Darfour, où j'ai travaillé avec nos hommes et nos femmes en uniforme. J'ai trouvé que le fait de travailler avec l'ONU, de travailler en équipe et de manière collaborative nous a aidés à établir nos valeurs plus rapidement et plus efficacement, parce que les personnes en uniforme sont souvent les mieux placés pour communiquer avec d'autres personnes en uniforme.
Vous qui étiez sur le terrain, comment concevez-vous le travail de rétablissement de la paix?
M.Pratt: Merci de votre question, sénatrice.
La situation à laquelle le monde faisait face en Sierra Leone, il y a de ça 15 ans et plus, était vraiment annonciatrice, à certains égards, de ce que nous avons connu ces 15 dernières années. Des groupes armés soutenus en grande partie, dans ce cas particulier, par Charles Taylor, ancien président du Libéria, venaient en Sierra Leone et enlevaient des enfants et des jeunes, les droguaient et les enrôlaient de force. Vous aviez donc des factions sans uniforme militaire, des groupes de justiciers rebelles dont l'unique fonction était de déstabiliser le pays pour faire mainmise sur la richesse en diamants de la Sierra Leone.
On a parlé, à l'époque, de tactiques de terreur, mais ce qui se passait réellement en Sierra Leone, c'était de la criminalité organisée à grande échelle.
Le monde a mis du temps à s'adapter à ce genre de guerre, beaucoup de temps. Ce qui s'est passé au début, c'est que la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest est intervenue en déployant en Sierra Leone des forces composées de Guinéens et de Nigérians. La capacité de ces forces à lutter contre le Front révolutionnaire uni — c'est le nom du groupe de rebelles armés — était pratiquement nulle, et lorsqu'elles ont été remplacées par la MINUSIL, la Mission des Nations Unies en Sierra Leone, un grand nombre de ces mêmes troupes étaient enplace. Malgré tous leurs efforts, les troupes se sont révélées inefficaces pour lutter contre ce groupe de barbares. Cela a démontré de façon assez radicale l'inefficacité de l'ONU dans ce cas particulier.
Il est même arrivé que des centaines de Casques bleus soient kidnappés par les forces rebelles. La situation était absolument terrible pour tout le monde.
Imaginez un pays où il n'existe aucun contrôle. Pas de police, pas de forces armées; c'était le chaos total dans presque toute la Sierra Leone. Le seul endroit qui avait une quelconque stabilité était Freetown.
Voilà donc la situation à laquelle le monde était en butte et àlaquelle il n'a pas très bien répondu pendant ces phases initiales, jusqu'à ce que l'Angleterre intervienne très activement en Sierra Leone. À mon avis, Tony Blair et le général Sir David Richards, un des commandants en campagne qui est ensuite devenu chef d'état-major de la Défense britannique, ont été, dans une certaine mesure, les sauveurs de la Sierra Leone.
Ils ont compris le problème. Ils s'en sont donc pris à l'une des factions belligérantes et c'est ainsi qu'ils ont réussi à mettre un terme à ce conflit. Il aura fallu quelques centaines de soldats des SAS et un régiment de parachutistes pour réussir là où des milliers de Casques bleus avaient échoué par le passé.
Pour moi, c'était déjà une indication du fait que les NationsUnies devaient réformer ses procédures. Les problèmes liés au commandement et au contrôle étaient omniprésents là-bas, et la présence de troupes techniquement sophistiquées, possédantunecapacité de renseignement avancée et, dans certains cas, unecapacité de forces d'opérations spéciales, aurait fait toute ladifférence. Soixante-quinze mille personnes ont perdu la vieinutilement dans cette guerre, parce que le monde aessentiellement tourné le dos à la situation.
Je ne crois pas que cette situation se reproduirait maintenant. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis. Je prends bien des détours pour répondre à votre question, mais je pense que de grands progrès restent à faire dans la façon dont l'ONU mène ses activités et que ce progrès nécessitera des capacités comparables àcelles que les Britanniques ont apportées en Sierra Leone àl'époque.
La sénatrice Jaffer: Monsieur MacKay, vous avez abordé cet aspect. Depuis que nous avons commencé cet examen, je suis préoccupée par le fait que pour assurer l'efficacité de nos hommes et de nos femmes, nous allons devoir changer notre façon de fonctionner, surtout en ce qui concerne les questions liées auterrorisme. Vous en avez fait l'expérience récemment. Pouvez-vous me donner un ou deux exemples de ce que nous pourrions faire pour nous faciliter la tâche devant les problèmes qui entourent le terrorisme?
M.MacKay: J'essaierai d'être bref, madame la présidente.
Permettez-moi de reprendre le commentaire très pertinent de David sur la manière dont le monde a évolué et en particulier sur le recours à des forces spéciales capables de mener sur le terrain des opérations efficaces, d'une précision chirurgicale. Nous en avons eu la preuve dès les premiers jours en Afghanistan, puis tout au long de la mission. Leur capacité est à couper le souffle.
Les membres des forces spéciales canadiennes sont comparables à leurs homologues partout dans le monde. La SEAL Team Six, les Bérets verts, Airborne, tous excellent dans leur domaine. Cela dit, ils ne sont pas toujours adaptés au type d'opérations de rétablissement de la paix dont nous parlons aujourd'hui, mais dans des opérations anti- insurrectionnelles, ils sont d'une efficacité inégalée.
Nous avons pu constater comment se sont déroulées les précédentes missions en Somalie, en Bosnie et au Rwanda, mais le fait est que nous devons connaître les règles d'engagement, la nature du mandat, la stratégie de sortie. Les différentes missions doivent mener des efforts coordonnés.
Ce que nous avons vu en Afghanistan était communément défini comme étant une approche pangouvernementale; cette approche fonctionne de manière efficace une fois la mission stabilisée, une fois qu'on a pu établir un semblant d'ordre. Je sais que c'est un cliché que de dire cela, mais pour que les forces de maintien de la paix détachées là-bas puissent faire leur travail, il doit exister une certaine forme de paix. La question qui se pose actuellement est avant tout une question de maintien de la paix. C'est ce que vous entendrez dire constamment, je pense, par tous les témoins qui comparaîtront devant vous. C'est la réalité.
Dans les conflits en Irak et en Syrie, lorsqu'on voit un califat et ses organisations se déplacer sur de vastes étendues, ne respectant aucune frontière, aucune règle d'engagement, on comprend que seul un effort concentré et concerté peut permettre d'en arrêter la progression. Selon moi, ce point est un autre exemple de la façon dont les choses ont changé.
Leurs efforts de recrutement menés par ces organisations, de même que leur utilisation de la technologie et leur besoin de mener un cybercombat, appellent la nécessité d'une intervention cybernétique efficace de notre part. Cet élément doit faire partie de notre réponse aux défis de ce monde.
Donc, le Canada remplit bien son mandat. Nous sommes toujours parfaitement en mesure d'offrir une capacité spécialisée dans le cadre de nos contributions. Nous voulons continuer ànous affirmer sur ce plan et, si possible, nous développer davantage. Tout est question de ressources. Nous ne sommes limités que par les ressources, la formation et la capacité de soutenir les citoyens si précieux que sont nos Forces armées canadiennes.
Le sénateur White: Merci à tous deux de votre présence. Et merci d'avoir servi notre pays.
Ma question porte essentiellement sur le virage dont nous avons été témoins au cours, je dirais, des huit derniers mois, dans le débat entourant le renforcement de notre soutien aux opérations de paix. J'aimerais que chacun d'entre vous me réponde en quelques mots, car il y beaucoup de personnes qui veulent poser des questions.
Le dernier rapport du vérificateur général faisait état des priorités en matière de financement, par exemple, l'apport de munitions et d'équipement complémentaire à celui de l'OTAN. Croyez-vous que l'allocation budgétaire de cette année nous permettra d'accomplir ce virage et de continuer à offrir un réel soutien à nos hommes et à nos femmes qui sont encore là-bas àtenter d'établir la paix, tout en essayant d'élargir la portée de leur mission?
M.Pratt: J'ai l'impression que si le gouvernement veut atteindre tous les objectifs qu'il s'était fixés, il devra augmenter l'enveloppe budgétaire affectée à la Défense. Le soutien qu'il espère fournir aux opérations de paix risque d'engloutir des ressources considérables. Nous sommes tous d'avis, je pense, que nous ne devons pas nous dérober à nos responsabilités envers la défense du Canada et de l'Amérique du Nord ni à nos obligations envers l'OTAN.
Une chose est claire, c'est que pour mener ces opérations paix, il faut disposer des mêmes équipements et des mêmes capacités que s'il s'agissait d'opérations de l'OTAN ou d'autres types d'opérations internationales. Il faut avoir des ressources sur le terrain. Et aussi, du soutien en ingénierie du matériel, un appui logistique, en communications, en renseignement. Ça prend tout ça.
Mais ce qui arrive — et c'est arrivé trop souvent dans notre histoire récente, conservateurs et libéraux confondus — est que l'organisation subit énormément de pression pour obtenir des résultats, alors la réalité est qu'on doit faire avec les ressources et le matériel dont on dispose. Par conséquent, les choses passent en mode de défaillance, si on peut dire, le personnel doit prendre congé pour cause de stress, les cas d'ESPT sont plus nombreux que vous ne pouvez en traiter et les équipements commencent àfaillir. Prenons l'équipement de génie. La plupart de nos équipements de génie ont plus de 20 ans. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles nous avons un programme en place àcet égard.
D'autres domaines exigent aussi des technologies de pointe. Nous avons mentionné la cybertechnologie. Cet aspect est extrêmement important; il est essentiel de disposer d'autres types de capacités en matière de renseignement.
Comme je l'ai dit, le gouvernement s'est fixé un programme très ambitieux qui, je crois, est tout à fait déterminant sur le plan de la paix et de la sécurité internationales, mais il reste à espérer qu'il fournira les ressources suffisantes pour mener à bien cette tâche.
M.MacKay: Pour poursuivre dans la même veine, je trouve formidable que l'on procède à cet examen de la politique de défense, mais je pense qu'il conviendrait également de procéder àun examen plus général des questions de sécurité nationale, qui y sont très étroitement liées. Il en va de même, selon moi, de la nécessité de revoir la politique en matière d'affaires étrangères.
Quelques mots sur l'équipement. Comme nous l'avons très vite constaté en Afghanistan, nous avons affaire à un nouveau type de guerre et pour le Canada, le choc initial a été plutôt brutal pour les jeunes recrues. Les membres de nos forces déployés là-bas étaient vêtus d'uniformes vert forêt et circulaient dans des blindés légers. Nous sommes tombés sur des IED, des tireurs d'élite et des bombes posées autour des écoles et des places publiques.
Je reprends le point de David quant aux dangers inhérents à ces missions. Si ces missions ne sont pas clairement définies au départ, nous exposons nos militaires à de graves dangers. Les soldats sont toujours prêts à partir. Ils vont toujours lever la main, prendre leur sac à dos et partir. C'est ce à quoi ils se sont engagés en s'enrôlant. C'est ce qu'ils veulent. Mais le gouvernement doit — il en a l'obligation — assurer à ces soldats le maximum de sécurité nécessaire à leur arrivée sur le théâtre des opérations.
Voilà pourquoi l'interopérabilité est un élément tellement important dans tout ce que David a mentionné par rapport ànotre équipement, à notre capacité à communiquer les uns avec les autres dans ces environnements hostiles et à celle de disposer d'un blindage maximal. Par exemple, lorsque nous avons fait venir des chars de combat principal en Afghanistan, cela a eu un double effet. Les talibans, dès qu'ils ont entendu parler de l'arrivée de ces chars, n'ont plus voulu avoir affaire à nous. La même chose s'est produite avec les hélicoptères — ils nous donnaient la capacité d'évacuer les soldats blessés et de les emmener dans des endroits stratégiques dont ils devaient ressortir en toute hâte. Tout cela pour dire l'importance cruciale de bien connaître le terrain et les paramètres de la mission et de fournir l'équipement adéquat et la formation connexe nécessaire.
Il n'y a pas de place pour la naïveté en ce monde, pas plus que pour l'idéalisme. La notion de maintien de la paix, je le crains, semble entourée d'une aura mythique. L'ère de Pearson et des Casques bleus est bien révolue. Ce que nous avons fait dans le Sinaï est devenu légendaire, mais je dirais que ce que nous avons fait en Afghanistan est l'emblème même de l'esprit de combattant qui règne aujourd'hui au sein des Forces armées canadiennes.
Le sénateur White: Cette question-ci porte sur un sujet que je connais mieux, je pense. Elle concerne les opérations de paix et la Police civile des Nations Unies, la CIVPOL. Tout le monde reconnaît l'importance de l'intervention de la GRC en Namibie en 1988, mais par la suite, cela s'est transformé en un effort de stabilisation et de formation d'après- guerre.
Ma question s'adresse à chacun de vous. Pourriez-vous, en quelques mots, nous dire quel sera le rôle des opérations canadiennes de maintien de la paix une fois que les agents de la force publique seront eux aussi impliqués dans ces opérations?
M.Pratt: Tout ce que je peux dire, c'est que la force policière est un volet essentiel de l'ensemble de la sécurité d'un pays ayant été touché par un conflit, et les policiers sont, à certains égards, les acteurs clés des environnements post- conflit, parce que ce sont eux qui interviennent au quotidien auprès de la population. Nous l'avons vu en Sierra Leone avec l'Équipe spéciale de perfectionnement de la police du Commonwealth. Je ne sais pas si ce nom vous dit quelque chose, sénateur, mais cette équipe a été très efficace dans la formation du corps de police en Sierra Leone.
La corruption est un problème majeur dans beaucoup de ces pays. La formation est un moyen par lequel nous essayons, dans la mesure du possible, d'éliminer les éléments corrompus au sein des forces de l'ordre. C'est absolument essentiel.
M.MacKay: Sénateur, je m'en remets à votre expertise dans ce domaine, mais je crois qu'à différents moments de l'histoire, les missions de maintien de la paix de l'ONU comptaient davantage de policiers que de soldats, et ces policiers étaient bien adaptés àce rôle. Je crois même qu'un des hauts fonctionnaires de l'ONU avait dit que le maintien de la paix ne devrait pas être la tâche des soldats, mais qu'ils étaient les meilleurs dans ce domaine. Je ne suis pas certain d'être d'accord avec ces propos. Dans certains types de missions, les policiers apportent un niveau d'expertise qui est plus que profitable à la mission. Mais une fois de plus, l'équipement, l'interopérabilité et la connaissance de la mission demeurent des éléments clés.
Je dirais que nous avons au Canada une ressource extraordinaire que nous n'avons pas suffisamment exploitée: les agents de police et les policiers à la retraite. Nous avons été témoins du travail remarquable qu'ils ont fait en Afghanistan. Je sais que c'est un sujet sur lequel je reviens souvent, mais j'ai pu constater de mes propres yeux la capacité des équipes de liaison et de mentorat opérationnel de la police à former les forces afghanes en forces policières nationales. C'est quelque chose qui a eu beaucoup de poids dans l'effort de stabilisation qui était en cours. Je pense qu'il en a été de même à Haïti et ailleurs dans le monde. La majeure partie de ce soutien est coordonné par le ministère des Anciens Combattants.
Cette action s'inscrit elle aussi dans l'effort pangouvernemental accompli. Les policiers sont une composante importante de cet effort.
J'aimerais dire une dernière chose pour souligner le fait que dans les opérations de maintien ou de rétablissement de la paix, les cas de trouble de stress post-traumatique ou de traumatismes liés au stress opérationnel sont souvent plus nombreux que dans une mission de combat. Cette situation découle du conflit interne personnel qu'éprouvent les soldats ou les policiers du fait de leur incapacité à intervenir ou en raison d'une incertitude ou d'une restriction du mandat qui les empêche d'intervenir et de mettre un terme à une situation qui s'apparente à un génocide ou aux atrocités qui, nous le savons, sont commises dans certaines parties du globe.
Le sénateur White: Merci à vous deux. Je vous remercie encore une fois de servir notre pays.
Le sénateur Kenny: Je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux de vous avoir tous les deux parmi nous. J'aimerais que vous parliez au comité des difficultés que vous avez eues à obtenir un budget décent. L'impression du comité est que peu importe le parti, les dépenses de défense sont discrétionnaires et s'il faut sabrer ou compresser quelque part, ce sont vos budgets qui sont touchés. Vous avez tous deux dû surmonter des problèmes similaires: vous avez de bons plans, de bonnes ressources humaines, mais pas d'argent.
Comment abordez-vous ce problème? Par la même occasion, pouvez-vous nous dire si vous avez déjà songé à un examen quadriennal de la défense? Je sais que cela se fait beaucoup dans d'autres pays. Cet examen est utile pour aligner plus étroitement la politique de défense et s'assurer que la population réfléchit aux enjeux liés à la défense, ce qui, en retour, peut vous aider à obtenir votre financement?
M.Pratt: De mon côté, lorsque j'étais ministre, nous étions en phase d'augmentation du budget de la défense, au début des années 2000. Cette hausse répondait, dans une large mesure, ànotre engagement en Afghanistan.
Je fais encore partie de ceux qui croient que le Canada devrait dépenser beaucoup plus dans la défense. L'OTAN a fixé un objectif de 2p.100 du PIB, et à certains égards, je suis d'accord avec le ministre pour dire qu'il s'agit d'un calcul très approximatif par rapport à ce que certains pays peuvent inclure dans ces dépenses.
Il est très important que l'OTAN définisse clairement en quoi consiste une dépense de défense authentique et justifiée, de sorte que quand nous parlons chiffres, nous parlons tous de la même chose.
Lorsque j'étais président du comité de la défense, au début des années 2000, nous avions fait une recommandation au gouvernement afin d'augmenter l'enveloppe de la défense de 1,5à 1,6p.100 du PIB de manière progressive sur une certaine période, plutôt que de faire une augmentation spectaculaire unique. Premièrement, je ne pense pas que le ministère de la Défense puisse absorber une telle somme d'un coup, mais une augmentation étalée dans le temps nous permettrait d'offrir un soutien plus performant dans le cadre de nos obligations envers la défense du Canada, la défense de l'Amérique du Nord et l'OTAN.
Pour en venir à votre deuxième point, sénateur Kenny, je suis moi aussi convaincu que les examens périodiques de la politique de défense sont absolument vitaux et essentiels, parce que comme vous dites, ils sensibilisent la population au besoin et àl'importance d'une politique et d'une capacité de défense. Mais ils font plus encore. Ils servent à informer la population des menaces qui pèsent sur elle et que le gouvernement essaie d'étouffer. Parallèlement, ils envoient à nos alliés et à nos adversaires un message quant aux intentions du Canada de faire face aux menaces à sa sécurité.
De leur côté, les Britanniques et les Américains effectuent des examens périodiques de la défense et je crois que nous devrions le faire aussi. Il est bien malheureux que nous ayons attendu si longtemps, de 2008 à maintenant, pour entreprendre un examen de la politique de défense. Cela ne sert pas la cause de la défense comme ça le devrait.
J'ajoute en terminant qu'à mon avis, l'examen de la politique de défense mené par les conservateurs en 2008 n'était pas aussi exhaustif qu'il aurait dû l'être et, pour critiquer le gouvernement de mon propre parti, celui de 2004-2005 non plus. Nous aurions dû tenir des audiences parlementaires sur le sujet avec les comités des affaires étrangères et de la défense des deux chambres, solliciter la participation du public, entendre des experts et publier un rapport parlementaire complet et le soumettre à l'attention du gouvernement.
M.MacKay: Je commencerai par la fin. L'idée d'un examen quadriennal me semble très bonne, et à la réflexion, j'accepte la critique de David, toute constructive qu'elle est, que la stratégie de défense du Canada aurait dû donner lieu à un examen plus approfondi. Il y avait un sentiment d'urgence en raison de l'Afghanistan, mais l'accent a porté sur les marchés d'équipement. Cela s'est traduit par des capacités de transport lourd et desachats ou locations sous licence d'équipements destinés àl'Afghanistan en raison des taux de perte et du taux d'activité militaire sur le terrain, mais ce sont les examens de ce genre qui apportent des certitudes. Ils offrent une compréhension beaucoup plus approfondie des besoins des Forces armées canadiennes et facilitent la planification, qui est souvent très difficile compte tenu des contraintes budgétaires.
Nous l'avons fait, soit dit en passant, sénateur, comme vous le savez, pour la capacité de recherche et de sauvetage, chose qui, je l'espère, figurera également à votre programme parce qu'il existe, selon moi, un besoin pressant concernant les activités de recherche et de sauvetage et le remplacement des appareils de recherche et sauvetage à voilure fixe.
Pour en revenir à la question principale consistant à savoir comment assurer que des fonds suffisants soient prévus dans l'enveloppe budgétaire, l'objectif des 2p.100 du PIB auquel aspire l'OTAN est réalisable, avec le temps, à condition de faire preuve de sérieux en continuant d'apporter le genre de contribution que l'on attend de nous, ainsi que dans la défense des intérêts du Canada au niveau national en Amérique du Nord et en prenant le genre d'engagement que l'on attend de nous, bien franchement, dans un monde qui donne le tournis.
Notre budget de la défense est passé de 14,5 milliards de dollars en 2006 à plus de 20 milliards de dollars au moment où nous avons cédé les rênes du gouvernement. Était-ce suffisant? Non. Il fallait, je pense, davantage d'investissements dans certains domaines.
La récession a voué à l'échec, en partie, les efforts faits àl'époque, mais pour ce qui est du besoin constant de soutien, nous ne sommes pas aussi grands et forts que nous devons l'être, compte tenu de la taille des défis que nous avons à relever dans l'Arctique. Nous avons un arc tendu à travers l'Amérique du Nord et à travers la planète qui part de l'Alaska, qui passe par le Canada, le Groenland et le Danemark, et des voisins au Nord qui n'aident guère et se montrent parfois agressifs. Nous savons que certains de ces défis au niveau de notre espace aérien supposent des investissements majeurs.
Je soupçonne qu'on finira par nous demander pourquoi acheter cet appareil F-35, dont nous avons grand besoin et bientôt. Je regrette beaucoup que l'achat de cet avion de chasse suscite tant d'hésitations. Est-ce que je regrette que nous n'ayons pas encore acheté ce chasseur? Absolument. Nous en avons besoin. C'est bon pour l'industrie et pour l'interopérabilité. Nous en avons besoin au NORAD. Vous savez sans doute, sénateur Kenny, que c'était un Canadien qui était aux commandes au complexe de Cheyenne Mountain le 11 septembre — ce qui en dit long sur le niveau de confiance — et nous risquons de nous déconnecter du NORAD et de nos capacités si nous n'avons pas le même avion de chasse que celui que tous nos alliés vont piloter non pas dans 10 ou 15 ou 40 ans, mais dans les trois ou quatre prochaines années. Nous provoquerons un découplage entre nous et tous ces engagements importants dans toutes ces régions du monde.
Le sénateur Kenny: Il n'avait pas besoin de question là-dessus. Si vous comptez, je voudrais qu'il en soit rendu acte au sénateur Dagenais, si c'est possible.
Pour vous deux, je sais vers où votre cœur penche, et quels défis vous devez affronter. En termes de financement, même si vous pouvez faire état de quelques augmentations, ce comité, lorsque M.Chrétien était premier ministre, a examiné ce qui s'était passé l'année précédente, et nous avions conclu qu'on avait besoin d'un budget de l'ordre de 35 milliards de dollars plutôt que le budget de 20 milliards de dollars auquel on pouvait s'attendre.
Quand vous avez présenté vos arguments en faveur d'un budget complet, sur quoi achoppaient-ils selon vous?
M.MacKay: Il y avait toutes ces autres pressions, David le reconnaîtrait, je crois. Pour nous, en raison du rythme et de l'intensité des événements en Afghanistan, nous avons pu accroître notre budget de manière substantielle. Nous avons pu procéder à des achats majeurs. Nous avons pu réaliser des gains substantiels, je dirais, en direction de ce budget supérieur auquel on aspirait, et que vous avez passé toute votre carrière à défendre, comme je le sais bien.
Alors pour ce qui est de ces besoins, que je qualifierais de plus terre-à-terre, mais qui sont tout aussi réalistes, qu'il s'agisse de soins de santé ou de questions liées à la capacité de réaction en urgence au sein du Canada, il y a toujours des pressions en sens contraire. Mais au sein du ministère de la Défense nationale, l'urgence exige qu'il n'y ait aucun gaspillage. On ne peut pas prendre des décisions portant sur des milliards de dollars qui devraient être consacrés soit aux biens d'équipement soit à des budgets spécifiques de défense qu'il s'agisse de la marine ou de l'avion de chasse. On ne peut permettre ce genre de retards qui finissent par nous coûter des milliards de dollars. On l'a vu avec le remplacement du Sea King.
On ne peut transférer des fonds d'un élément à l'autre comme cela a été promis, déshabiller l'aviation pour habiller la Marine et renvoyer à quatre ou cinq ans d'ici des dépenses de presque 4milliards de dollars.
Par conséquent, des instructions précises sur l'emploi qui doit être fait de ces fonds, c'est exactement ce qu'il nous faut, en laissant de côté la politique. Je dois dire que cela a été la hantise des gouvernements de toutes les couleurs politiques. Il nous faut en arriver à ce point, et je crois, peut-être naïvement, qu'il y a encore à Ottawa des choses qui dépassent la politique. La sécurité nationale et la défense figurent en tête de cette liste.
M.Pratt: Mon impression, sénateur, c'est que nous avons dans ce pays une culture de défense et de sécurité que je qualifierais d'immature, faute d'un meilleur terme. En tant que responsables des politiques, nous — et l'ensemble du Parlement àl'exclusion des comités de la défense est compris dans ce nous — ne concevons pas la défense comme certains de nos alliés peuvent la concevoir en fonction de leur expérience, en Europe, en particulier. Ils ont ça dans leurs gènes maintenant. Le conflit fait partie de leur vie, historiquement, depuis 100 ans, et leur façon de voir la défense par conséquent est très différente.
Au Canada, nous avons bénéficié de la protection de plusieurs empires, l'empire français pour commencer, l'empire britannique et maintenant l'empire américain. Nous avons vécu dans ce paisible royaume qu'est le nôtre sans trop de préoccupations concernant notre sécurité et bien-être. Nous n'avons jamais connu l'invasion, à l'exception, bien sûr, des incursions des Féniens et de la guerre de 1812, mais ce ne sont plus là que de vieux souvenirs.
Si nous voulons faire les choses que nous jugeons nécessaires en ce qui concerne la paix et la sécurité internationale, il convient d'avoir un débat public plus large sur l'orientation du Canada et la position qu'il doit prendre sur ces questions. J'espère que ceci en fait partie, mais un effort concerté s'impose. C'est vraiment le cas, parce qu'il y a beaucoup de pression au niveau politique. La politique est l'art du possible. Est-ce que j'aimerais voir un budget de la défense de 35 milliards de dollars? Suivant la façon dont il serait dépensé, mais il n'est même pas possible de penser àça aujourd'hui. Il s'agit donc de savoir comment on va l'augmenter progressivement pour que le Canada puisse continuer de faire face à ses responsabilités internationales et de faire du bon travail.
Nous avons, je pense, une quantité incroyable de talents lorsqu'on parle de soldats, de diplomates et de travailleurs humanitaires. Nous avons des gens extraordinaires qui font le travail du Canada à l'étranger. Selon la formule habituelle, le monde a besoin de plus de Canada. Cela est tout à fait vrai, mais àmoins que nous n'y consacrions des ressources, ils ne tireront pas profit de ce que nous avons à offrir au niveau international.
Le président: Dans le prolongement de la question du sénateur Kenny, sauf erreur de ma part, la question est de savoir si le Canada devrait procéder à un examen régulier de sa défense en vertu peut-être d'une mesure législative garantissant qu'il ait bien lieu? En d'autres termes, il faudrait qu'il ait lieu au moins tous les 8 ou 10 ans, pour que le public ait l'occasion d'en débattre. Je pense que c'est un aspect de notre problématique: à savoir que le public n'est même pas informé de ce que sont nos forces militaires.
M.MacKay: Je réponds sans hésitation oui.
M.Pratt: Oui.
[Français]
Le sénateur Carignan: J'ai une question complémentaire au sujet de l'achat des F-35 auxquels vous avez fait référence, monsieur MacKay. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les conséquences pour le Canada, tout d'abord, de manquer un paiement dans le dossier des F-35, mais également de ne pas faire l'acquisition de F-35 et de choisir plutôt le vieux modèle de F-18? Pourriez-vous dresser le portrait des conséquences réelles que ces décisions auront sur le terrain et sur nos liens avec nos alliés?
M.MacKay: Les conséquences sont sérieuses et immédiates.
[Traduction]
Si nous attendons encore avant de procéder aux achats, le Canada perdra un élément important de sa défense nationale, en particulier pour un pays de la taille du nôtre — un pays qui possède d'immenses quantités de terres non occupées dans le Nord. Nous devons nous dissocier de certains des discours qui commencent à circuler sur ce sujet.
Nous sommes entrés dans ce programme en 1997. Cela faisait neuf ans que l'on investissait dans le F-35 lorsque nous sommes arrivés au gouvernement en 2016. Nous avons poursuivi leprogramme, rajouté des millions de dollars — je pense quelesinvestissements se chiffrent maintenant à environ un demi-milliard de dollars. Ces investissements nous ont permis de participer à la conception d'un avion d'avenir, exactement comme on l'avait fait avec le F-18, le produit précédent de Boeing. Cela n'est pas nouveau. Il y a eu des problèmes avec l'avion, essentiellement du fait que c'était une variante différente, une version à décollage vertical pour plus de précision, que nous n'achetons pas. Nous achetons l'avion classique. Pour son prix; pour ses capacités; pour sa furtivité, ce qui est très important; pour son interopérabilité, pour le genre de besoins que nous avons au niveau intérieur et partout dans le monde, nous avons besoin de l'avion le plus capable — c'est-à-dire, celui qui offre la meilleure garantie de survie et permet à nos pilotes et aux autres intervenants de rentrer en toute sécurité à la maison une fois leur mission accomplie. Qu'il s'agisse de larguer des obus, chose qui adonné lieu à contestation, on le faisait en Syrie et en Irak. On le faisait avec d'excellents résultats et avec une grande précision et en empêchant l'EI d'avancer. Il ne faut jamais perdre de vue quel est l'objectif ici, à savoir, empêcher l'expansion de ce type de chaos meurtrier et protéger les personnes et empêcher son extension.
Cela fait des années que j'étudie le problème. J'ai examiné toutes les comparaisons avec les autres avions et les exigences de compétitivité. Dans les premiers temps de la sélection, il y avait concurrence avec ce qu'on appelait l'avion de combat interarmées, et le F-35 a gagné. À chaque fois, que ce soit en Norvège ou dans d'autres pays, ils sont 12 maintenant à avoir pris livraison de 180 de ces appareils actuellement en service. À chaque fois cet avion s'est imposé. C'est un avion de la cinquième génération. Même le président de Boeing a concédé la défaite, disant qu'ils ne sont pas en mesure d'offrir ce genre de capacités lorsqu'il s'agit de technologie des aéronefs. Ils peuvent faire d'autres choses, que nous avons achetées. Nous avons acheté leur Chinook, leur C-17, gros-porteur. Ils font d'excellents avions, mais il n'y a pas comparaison. Un F-35 descend un Super Hornet 10 fois sur 10 quand ils sont mis face à face.
Nous n'avons pas à rivaliser avec un produit fait en Amérique du Nord. Cela peut avoir l'air alarmiste, mais il s'agit de savoir qui nous devrons affronter à l'avenir et quel genre de mission nous aurons à mener, leur capacité de survie et d'interopérabilité dans le ciel de l'Amérique du Nord. Il nous faut absolument avoir cet avion et le plus rapidement possible.
Le président: Monsieur Pratt, avez-vous des commentaires là-dessus?
M.Pratt: Franchement, je n'étais pas venu ici pour parler du F-35. En même temps, j'ai l'impression et je pense que les conservateurs ont eu leur chance. Je faisais partie du gouvernement qui a soutenu les coûts de développement du F-35. En même temps, je pense qu'il n'y a pas eu véritablement de compétition ouverte et loyale. Le gouvernement a dit qu'il allait faire une compétition. Il a promis une concurrence ouverte et loyale. On a vaguement parlé, bien sûr, à la marge, d'un achat de Super Hornet pour faire la transition. Les conservateurs ont eu 10ans pour trouver la solution. Je ne veux pas en tirer un argument politique, mais le boulot n'a pas été fait. Il nous faut une compétition ouverte pour avoir la garantie que nous aurons le meilleur avion pour le Canada maintenant.
Le président: Chers collègues, c'est très intéressant. Nos témoins peuvent-ils rester une quinzaine de minutes de plus avec nous? Avez-vous le temps? Je sais que nous devons terminer à midi. Peut-on poursuivre jusqu'à 12 h 15?
[Français]
Le sénateur Dagenais: Ma question s'adresse à M.MacKay. Le Canada ne fait-il pas fausse route de façon importante en accordant la priorité à son engagement à l'égard d'une mission de paix avec les Nations Unies plutôt qu'à ses missions avec l'OTAN? Si oui, j'aimerais savoir pourquoi.
[Traduction]
M.MacKay: Je ne sais pas si c'est une erreur de vouloir faire les deux comme par le passé, mais je suis d'avis que notre priorité reste notre engagement à l'égard du NORAD, et à l'égard de l'OTAN. Pour le type de missions qui sont classées comme des missions classiques de maintien de la paix, nous pouvons fournir d'autres soutiens plutôt que des mouvements de troupes à grande échelle.
Le Canada, nation privilégiée, est en mesure de faire les deux. Toutefois, pour atteindre ce niveau et maintenir notre capacité, il nous faut faire des investissements. Il nous faut peut-être revoir quelque peu nos orientations pour ce qui est du rôle confié dans cette combinaison à la police, qui devra être renforcée compte tenu de ce que l'on exige d'elle.
J'insiste continuellement sur le fait qu'on ne peut pas négliger les engagements pris envers l'OTAN, qui sont des obligations solennelles qui remontent à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les missions auxquelles nous avons participé témoignent du niveau très élevé des exigences. Lorsque j'entends parler de bazarder des équipements que nous avons utilisés pour sécuriser des hommes et des routes en Afghanistan, je me fais du souci. Ces équipements ont sauvé des vies, tout comme les nombreux autres investissements que nous avons faits dans l'équipement.
Nous sommes le plus grand pays du monde pour ce qui est de nos frontières maritimes. Il nous faut aller de l'avant avec les investissements dans la Marine. Il nous faut poursuivre dans le sens indiqué et faire le lien entre opérations spéciales et sous-marins. C'est un autre élément vital qui est coûteux également, mais nécessaire dans certaines parties de notre pays, notamment dans l'Arctique.
Voilà les priorités. Je ne veux pas insister outre mesure àpropos du NORAD, mais sans un avion qui assure l'interopérabilité avec les Américains — qui utilisent actuellement une variante du F-35 —, nous reculons. Nous ne sommes toujours pas présents. Nous reculons pour ce qui est de ces engagements vitaux.
C'est ça la priorité en ce qui concerne notre effort concentré sur le budget.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Merci. Avez-vous des commentaires, monsieur Pratt?
[Traduction]
M.Pratt: En bref, c'est l'approche que veut suivre le gouvernement pour ce qui est des capacités mentionnées en matière de soutien dans le domaine médical, de l'ingénierie, de la logistique, et cetera, qui sont très importantes. Le Canada a une grande expertise dans ces domaines.
Si vous lisez le rapport du groupe de travail à haut niveau sur les opérations de maintien de la paix, il n'exclut pas la possibilité, certainement, de mener en tandem des opérations de maintien de la paix entre l'ONU et des coalitions de volontaires, faute d'un meilleur terme, pour affronter certaines des questions les plus dures liées aux opérations de maintien de la paix dans certains pays. Sur la base de ce que nous savons des capacités de nos forces spéciales, en collaboration avec certains de nos alliés, nous pourrions avoir un impact substantiel dans ce domaine.
J'ai écrit un article pour The Globe and Mail, il y a de cela de nombreux mois, sur la possibilité d'une intervention plus active des troupes canadiennes dans le cadre de la mission de l'ONU au Mali, par exemple, et dans la lutte contre les groupes terroristes de la région. Des Canadiens sont morts, c'était, je crois, dans un hôtel à Bamako.
C'est le genre de choses, où, en travaillant avec les alliés — comme les Français, par exemple —, on pourrait apporter un soutien important et faire la différence dans la situation d'un pays sur le plan de la sécurité.
Le sénateur Day: Messieurs, merci beaucoup pour votre présence.
Monsieur Pratt, tout d'abord, est-il réaliste de penser que l'on pourrait mettre en place le type de forces armées que nous voudrions voir dans la structure des Nations Unies que nous connaissons aujourd'hui? Est-il possible, selon vous, de mettre en place une délégation de commandement et de contrôle qui permette la constitution d'une force permanente que l'ONU projette de créer depuis des années sans ne l'avoir jamais fait, lorsqu'on voit les difficultés que le général Dallaire a eues au Rwanda pour recevoir des instructions?
Vous avez beaucoup parlé du besoin de réformes au sein des Nations Unies. Est-il réaliste de penser que cela pourrait se faire, en raison de la structure?
M.Pratt: La structure est sans aucun doute encombrante. Parmi les soldats et diplomates auxquels j'ai parlé, la frustration est palpable, et cela depuis un bon nombre d'années, concernant le mode de fonctionnement de l'ONU. Cela dit, je suis l'éternel optimiste quand il s'agit de faire avancer des réformes qui me semblent justifiées.
Souvenez-vous, à la fin des années 1990, par exemple, onparlait beaucoup de BIRFA, la Brigade multinationale d'intervention rapide des forces en attente des Nations Unies. Je continue de penser qu'il s'agit d'une capacité importante dont l'ONU a besoin.
La voie de la réforme ne sera pas facile, je pense, mais la façon de s'acheter une crédibilité dans ce processus est d'apporter une contribution, et une contribution très visible et tangible, en termes de ressources, mais aussi en termes d'idées. Le Canada, au fil des ans, n'a jamais été à court d'idées, mais nous avons été courts en matière de ressources. Si on règle ce problème, alors je crois que nous avons la possibilité de faire une énorme différence.
Lorsque les gens pensent à l'ONU, ils pensent aux opérations de paix, de maintien de la paix; et quand ils pensent maintien de la paix, ils pensent à l'ONU. La marque de l'ONU, c'est le maintien de la paix, les opérations de paix, et cette marque a souffert ces dernières années à cause des problèmes que nous avons vus avec les personnels chargés du maintien de la paix qui se livraient à des abus sexuels sur les populations qu'ils sont censés protéger, ce genre de problèmes. Il faut régler ça. Il faut que le Conseil de sécurité et l'assemblée générale s'attaquent résolument au problème, et je crois que le Canada a son rôle à jouer.
Franchement, du point de vue de la politique étrangère, l'initiative présentée par le gouvernement pourrait être l'une des plus importantes depuis une génération en matière de politique étrangère, si elle est bien menée et si le financement suit et les ressources sont appropriées, et si l'on fait passer à l'opinion publique canadienne le message qu'elle a besoin d'entendre, expliquant en quoi cela est important pour la paix et la sécurité internationale.
M.MacKay: Juste pour abonder dans le sens de ce que disait David, le tort causé à la réputation de l'ONU et de ses efforts de maintien de la paix a été attribué en grande partie au manque de ressources et de formation. Il ne s'agit pas de montrer du doigt telle nation ou telle coalition de nations, mais leurs échecs spectaculaires dans certains cas ont quelque peu ébranlé la confiance du public.
Le Canada peut certainement faire la différence dans ce domaine à condition de prendre le type d'engagement et d'apporter la contribution nécessaire à la formation, mais on en revient toujours à la question des ressources. Si l'on envoie des gens dans ces missions très difficiles, qui ont considérablement changé par rapport aux définitions que l'on donnait auparavant des opérations de maintien de la paix, il faut dégager des ressources; les éléments de protection doivent être en place. On ne peut envoyer des forces canadiennes dans ces missions sans avoir la certitude qu'elles bénéficieront de la protection maximum, et je soutiens pour ma part qu'elles devraient se voir confier un rôle de leadership.
Le sénateur Day: Vous en arrivez à la question que je voulais vous poser, monsieur MacKay, et ça ne concerne plus les Nations Unies, mais l'OTAN, le NORAD et une coalition de volontaires. Nous avons participé à cela par le passé. Pour ce qui est du NORAD, la position du comité, déjà exprimée par le passé, est que le Canada devrait s'intéresser à la défense antimissile; cela aété laissé de côté un moment pour une raison ou une autre, mais il convient d'y revenir. Je voulais juste vous le signaler.
Je ne vais pas aborder avec vous la question du F-35, mais il y a d'autres aspects de cette question dont nous aurons à débattre un de ces jours.
Du point de vue de l'OTAN, on travaille sur la question de la capacité d'intervention rapide. C'est une alliance militaire qui est très engagée dans la mer Baltique actuellement, mais qui a montré qu'elle était disposée à intervenir en dehors de son théâtre habituel — en Afghanistan, par exemple. La démonstration a été faite. Ne devrions-nous pas orienter nos efforts vers l'OTAN, pour améliorer notre interopérabilité, et pour nous assurer que nos achats d'équipements correspondent au rôle que nous pensons pouvoir y jouer?
Convenez-vous avec moi que le maintien de la paix peut également faire appel à des éléments de dissuasion? On pense toujours au maintien de la paix comme à une intervention après coup; dans le maintien de la paix, il y a des hostilités et puis il faut maintenir la paix. Et que dirait-on de maintenir la paix avant? C'est vraiment ce que l'on voit dans la mer Baltique en ce moment.
M.MacKay: Ce peut être un objectif. Je suis ancien procureur également. Je crois fermement dans la notion de la dissuasion, et je pense qu'elle peut donner des résultats dans certains cas.
Pour en revenir à ce que vous disiez à propos d'investissement et d'engagement robuste à l'égard de l'OTAN, au- delà de l'Article 5, comme on l'a vu, la première fois que l'OTAN est intervenue hors zone, c'était en Afghanistan, et cet élément d'interopérabilité était absolument fondamental. La même chose vaut, je dirais, pour le NORAD, pour l'Amérique du Nord. Les exigences en matière d'équipement, de formation, de notre capacité de projeter une force dans tous les domaines de ces organisations, sont très élevées et coûteuses, mais nous devons y satisfaire. D'après moi, il ne devrait pas être nécessaire de discuter de ces questions. Il nous faut trouver des moyens d'aller de l'avant.
Je suis content d'apprendre que le comité pourrait consacrer du temps à l'avenir à la question de la défense antimissile. Elle peut prêter à controverse. Mais je pense que le moment est venu d'aborder cette question. Je ne veux pas laisser entendre qu'il nous faut avoir des armes nucléaires sur le sol canadien. J'imagine que vous vous êtes rendus au quartier général du NORAD. C'est là qu'on décidera, avec ou sans nous, d'abattre un missile lancé de, disons, la Corée du Nord, ou par quelqu'un d'autre qui n'est pas notre ami, par-dessus l'Arctique canadien ou l'Alaska, et survolant le sol canadien. Il sera abattu, il vaudrait mieux que nous soyons dans la pièce où sera prise la décision.
Pour le moment, nous sommes en présence de ce scénario absolument absurde, où les responsables canadiens se lèvent et quittent la salle lorsqu'on prend ces décisions parce que nous n'avons pas de mandat pour être présents. Même si je vous ai dit que nous sommes le partenaire fiable qui exerçait la présidence lors du 11 septembre, nous avons un angle mort lorsqu'il est question du NORAD et de la défense antimissile. Je crois qu'un débat public au Canada mené par le Sénat rendrait un immense service aux forces canadiennes, mais aussi au Canada et à notre sécurité. Je trouve très encourageant que vous ayez décidé de vous y rendre.
Le sénateur Day: Merci.
Le président: Je dirais, pour mémoire, que nous avons fait une étude complète sur la défense antimissile balistique, il y a deux ans et demi, trois ans. L'honorable David Pratt avait comparu, ainsi que d'autres. Le rapport contient un énoncé clair des motifs de notre décision pour le Canada.
Cela n'a pas changé, autant que j'ai pu en juger d'après les auditions que nous avons eues et suite à notre visite au NORAD. Dans l'optique du Canada, je crois très important que le Canada fasse savoir aux États-Unis qu'il est ouvert, en particulier compte tenu du rapport que nous voyons s'établir entre le premier ministre Trudeau et le président Obama. Il y a là un créneau, il faut tenter d'en tirer parti et voir ce que cela peut donner parce que ce serait bénéfique pour tous.
M.Pratt: Entièrement d'accord. En quelques mots, monsieur le président, je voulais signaler que mon point de vue n'a pas changé par rapport à ce que j'avais dit en 2014 à cet égard. Je reste partisan d'une participation du Canada à la défense antimissile. Le fait que tant de nos alliés, pratiquement tous les alliés de l'OTAN, aient adhéré à la défense antimissile me semble extrêmement important. J'ai trouvé encourageant qu'il soit fait mention de notre relation, je pense qu'il y est fait brièvement allusion dans un document du ministre Sajjan sur la défense antimissile, et j'espère que le gouvernement avancera dans la voie tracée, parce que nous avons perdu beaucoup de temps depuis 10ans sur cette question.
Le président: Pour conclure, avec votre permission, sur cet aspect de notre discussion, c'est un créneau qui se présente. J'espère que les autorités sont à l'écoute des travaux de ce comité, parce que le temps n'est pas notre ami. Il nous faut agir sans tarder et, du moins, montrer que nous sommes ouverts pour voir s'il y a une possibilité, parce que nous avons partie liée avec nos amis américains en la matière.
La sénatrice Beyak: Merci beaucoup, monsieur le président. Chers ministres, j'avais une question préparée, mais vous y avez répondu de manière exhaustive dans votre présentation, je passe donc aux aspects pratiques. Comme l'a dit le sénateur Lang, le nombre de personnes qui suivent les travaux de ce comité un peu partout au Canada ne laisse jamais de me surprendre, que ce soit sur la chaîne CPAC ou sur leurs ordinateurs, et cela tient, je crois, au fait que la sécurité nationale est un sujet vital pour eux.
Quel conseil donneriez-vous au nouveau ministre concernant l'équilibre à trouver entre le maintien de la paix et ce fier esprit guerrier dont nous avons toujours fait preuve — premiers entrés dans la Deuxième Guerre mondiale avant les États-Unis, la révérence que nous manifestent les Hollandais. Je crois dans le maintien de la paix moi aussi, mais je tiens à trouver cet équilibre. Alors quand les consultations avec les Canadiens à travers le pays seront terminées et que les contributions auront été reçues, que lui conseilleriez-vous en qualité d'anciens ministres avec votre grande expertise? Merci.
M.Pratt: Je dirais, si le ministre me demandait mon avis, que la paix et la sécurité internationale revêtent une importance vitale pour notre bien-être national. Nous sommes une nation commerçante. Nous avons besoin de la liberté des échanges. Nous sommes tributaires de partenaires dont le propre bien-être peut être affecté par un conflit. Nous sommes donc partie prenante dans cette affaire.
Il importe que notre nouveau ministre de la défense veille àtravailler en étroite collaboration avec ses collègues pour communiquer sur ces sujets. S'il a des collègues qui interviennent dans des secteurs particuliers ayant trait aux affaires intérieures, qu'il s'agisse de transport, d'environnement, ou du Conseil du Trésor ou des anciens combattants, oun'importe lequel des autres ministères qui traitent essentiellement des questions intérieures, il est important que le ministre communique sur ces sujets et fasse comprendre leur importance.
Nous n'en avons pas parlé aujourd'hui, mais il importe également de bien comprendre ce que j'appellerais l'éventail des conflits parce qu'il semblerait également que l'ONU adopte une démarche holistique. Le Canada le fait depuis de nombreuses années, mais nous n'avons pas été en mesure de la mettre àexécution, et l'éventail des conflits va, par exemple, de la prévention des conflits, de la médiation, de la résolution des questions de sécurité difficiles, jusqu'aux questions de gouvernance à l'autre extrémité, en termes d'élection, de respect des droits de la personne, et cetera. Cela fait partie du tout, et le ministre doit travailler en très étroite collaboration avec ses collègues que ce soit le ministre de la Justice, celui des affaires étrangères, et cetera pour prendre pleinement conscience de ce que veut dire être le ministre de la Défense nationale.
M.MacKay: M.Sajjan, se trouve, je crois, dans une position unique en ce moment de notre histoire et au sein de ce gouvernement. J'ai énormément de respect pour lui. Je l'ai rencontré pour la première fois en Afghanistan. C'est un soldat et un agent de police décoré. C'est la personne toute trouvée, comme on dit. Il a maintenant la possibilité de faire réellement une énorme différence dans ce processus, mais pour ce faire, il lui faut résister à la tentation d'être politique, mais s'il doit agir en homme politique, il doit intervenir au sein du cabinet et présenter les arguments, comme vient de le dire M.Pratt, en faveur de certaines de ces importantes décisions.
La réputation internationale du Canada repose sur notre capacité d'apporter une contribution au plan international. Permettez-moi de citer deux de mes Libéraux favoris: John Manley avait l'habitude de dire qu'on ne peut occuper la place d'honneur à la table puis se lever et partir quand arrive l'addition; et un ancien membre de ce comité, le sénateur Dallaire, a dit que les soldats canadiens sont avant tout des spécialistes du combat, paroles restées dans toutes les mémoires. Le ministre actuel comprend bien cela, lui qui en a fait l'expérience personnelle.
Nous avons donc la possibilité de faire les choses comme il faut, d'investir comme il se doit dans un avion de chasse, dans des navires de guerre, pour continuer à faire, je dirais, ce que nous avons déjà entrepris en ce qui concerne ces investissements, pour continuer à faire en sorte que le Canada occupe sa place à la table d'honneur, puisse apporter sa contribution, puisse contribuer à un monde plus pacifique et sûr; mais il faudra pour cela mouiller la chemise, et nous ne pouvons fuir notre responsabilité maintenant, jamais, en tout cas pas à l'avenir. Ce serait faire injure aux valeurs canadiennes.
Notre pays a toujours été source d'inspiration pour les autres, mais aussi, comme vous l'avez dit, aux heures les plus sombres, le type d'inspiration et d'interventions difficiles, parfois coûteuses, très coûteuses, que des jeunes hommes et des jeunes femmes prêts à faire l'ultime et incroyable sacrifice payent de leur vie. Lorsqu'ils revêtent l'uniforme et qu'ils partent, ils sont prêts à mourir pour leur pays. Nous devons tout faire pour les protéger.
Le président: Avant de conclure, je voudrais poser une autre question, qui nous ramène au domaine qu'on nous a demandé d'étudier, à savoir la question du maintien de la paix, des opérations de maintien de la paix au sein des Nations Unies. Vous avez tous deux déclaré, cela figure au compte rendu, qu'il existe de graves problèmes dans différents domaines au sein des Nations Unies en ce qui concerne son mode de fonctionnement au jour le jour. C'est un sujet de préoccupation pour notre comité qui tient à montrer de la façon la plus claire, dans chacune de ces recommandations, que nous ne sommes pas prêts à exposer les hommes et les femmes de nos Forces armées au danger sans les munir des outils nécessaires.
Monsieur Pratt, dans une de vos réponses vous avez fait allusion à une coalition des volontaires. Pour ce qui est de notre participation au sein des Nations Unies, ne serait-il pas sage, avant de prendre quelque engagement que ce soit sur le terrain aux fins des opérations de paix avec les Nations Unies, que le Canada, en conjonction avec nos amis, les autres pays dont nous savons qu'ils sont engagés, se réunissent et disent, «nous participerons, mais, avant de partir, nous voulons que ces réformes soient faites»?
J'aurais beaucoup de mal à dire que nous serions prêts àenvoyer nos forces en espérant simplement que les réformes suivront. Pourriez-vous faire un commentaire sur cette idée que pour forcer à prendre le taureau par les cornes, l'on pourrait faire savoir que les ressources existent, mais poser comme préalable àtoute participation effective que les règles d'engagement et tout le reste devront être clairement précisées?
M.MacKay: Pour répondre en quelques mots, le problème tient, bien sûr, en partie au fait que le Conseil de sécurité lui-même et ses membres ne veulent pas que les missions soient assujetties àcertaines réformes ou paramètres.
Le second motif, c'est simplement le malaise et l'inertie bureaucratique qui règnent au sein de l'ONU elle-même. C'est endémique. Je ne vois pas cela changer à la demande du Canada, malheureusement.
Le président: C'est pourquoi je dis qu'il faut réunir les intéressés.
M.MacKay: Le jeu en vaut la chandelle, je suppose, mais c'est une tâche herculéenne que de vouloir changer le mode de fonctionnement de l'ONU, surtout pour ce qui concerne la mécanique de ce genre de missions. Je ne dis pas qu'il faille se désengager. Continuons de rouler notre rocher au haut de la montagne, mais en attendant, le ministre, le gouvernement, tous les ministères doivent se montrer réalistes et considérer d'un œil froid ce que le Canada peut faire et ne peut pas faire et mettre l'accent où il convient: renforcer ses capacités pour l'OTAN et le NORAD.
Le président: Monsieur Pratt, brièvement parce que nous avons largement dépassé le temps imparti.
M.Pratt: Je continue de croire que le Canada a son rôle àjouer. Il lui faut choisir très soigneusement ses missions, en fonction du mandat et de nombreuses circonstances. Chaque situation individuelle exigeant une intervention de l'ONU présente ses spécificités propres, et il nous faut les examiner très soigneusement.
Cela étant dit, je crois que pour faire avancer les réformes, il faut acheter sa propre crédibilité en apportant sa contribution et en disant, «voyez, nous sommes prêts à faire ceci, mais» — en collaboration avec certains de nos alliés. Les Français, les Allemands et les Italiens font tous face à des problèmes analogues. Ils veulent voir l'ONU fonctionner, tout comme nous. Mais à moins que vous ne soyez disposés pour commencer àapporter des ressources et à faire une contribution, personne ne vous prêtera attention, je crois. Je pense que c'est ce que nous devons faire. En gros, il nous faut changer la roue en marche, et si nous ne sommes pas disposés à essayer de le faire, alors nous ne ferons pas la différence.
Le président: Merci beaucoup. Je tiens à vous remercier tous les deux pour ces auditions très intéressantes et instructives que nous avons eues aujourd'hui. Vous apportez une expérience considérable à la table, et je pense que quiconque a écouté ce que vous aviez à dire serait fier de ce que vous deux, messieurs, avez fait au nom de notre pays, et je vous remercie de nous avoir fait spontanément bénéficier de votre expérience dans le cadre de ces auditions
Le président: Chers collègues, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense va maintenant poursuivre l'examen du projet de loiC-7, Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et adoptant diverses aux autres mesures. Se joint à notre groupe de travail le commissaire de la GRC, Bob Paulson. Bienvenue.
Commissaire, depuis ces dernières semaines les membres de notre comité souhaitent entendre directement de vous ce que vous pensez du projet de loi et de l'incidence qu'il aura sur les membres de la GRC. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à dire sur les exclusions prévues par le projet de loi aux articles 238.19 et 238.22, en particulier pour ce qui est des passages concernant les techniques d'application de la loi; les transferts et les nominations; les évaluations; la probation; les libérations; la conduite, y compris le harcèlement; les exigences de base; et l'uniforme et l'équipement. Nous sommes impatients de vous entendre dire pourquoi vous pensez que ces exclusions sont indispensables et que les membres ne devraient pas être autorisés àen débattre dans le cadre de négociations collectives.
Vous avez, je crois, une déclaration d'ouverture. Monsieur, je vous prie de commencer.
Bob Paulson, commissaire, Gendarmerie royale du Canada: Sénateurs, Monsieur le président. Au nom des hommes et des femmes membres de la GRC, j'aimerais vous remercier pour le travail que vous accomplissez et pour le profond engagement dont vous faites preuve quant à ce texte législatif historique.
[Français]
Monsieur le président, au nom des hommes et des femmes membres de la GRC, j'aimerais vous remercier pour le travail que vous accomplissez et le profond engagement dont vous faites preuve quant à ce texte législatif historique.
[Traduction]
Le gouvernement du Canada propose de changer fondamentalement le cadre de gestion des relations de travail de la GRC. J'ai suivi et lu les exposés qui ont été faits devant vous àl'appui de votre examen du projet de loi, et j'ai participé à des séances d'information à leur sujet.
L'objet de ma présence aujourd'hui n'est pas seulement de répondre à vos questions, mais aussi de donner des précisions sur une question fort simple posée jeudi dernier par votre président dans un article où il se demandait, avec raison, ce qui justifiait les exclusions. Accordez-moi une dizaine de minutes de votre temps et je pourrai répondre à cela.
Le pouvoir du poste de commissaire est prescrit par l'article5 de la loi sur la GRC. Dans cette loi fédérale, vous avez décidé: A)qu'il y aurait un commissaire; qui, B) sous la direction du ministre, a pleine autorité sur la gendarmerie et tout ce qui s'y rapporte.
Dans le monde des relations de travail, cela pourrait être considéré comme des droits de la direction et, bien que ce pouvoir puisse sembler exhaustif, le pouvoir du commissaire dans cet environnement pré-C7 est régulé par plusieurs éléments, ycompris d'autres organismes d'examen et de surveillance établis par la loi. Ils sont très nombreux, mais aux fins de mon exposé, les plus pertinents sont: l'occupation du poste à titre amovible; les directives ministérielles; les tribunaux; le comité externe d'examen de la GRC; la commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC; la commission canadienne des droits de la personne; la loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles; Emploi et développement social Canada et le Code canadien du travail et les ententes sur les services de police provinciaux.
Comme je le mentionnais, il en existe bien d'autres.
Le commissaire s'acquitte de ce pouvoir sous serment, dans le dessein de défendre trois éléments principaux interreliés qui sont en jeu dans la profession: 1) l'intérêt public; 2) l'intérêt organisationnel de la GRC; 3) l'intérêt des employés.
Afin que l'intérêt de nos employés soit respecté, je crois que ceux-ci doivent être représentés efficacement, avec compétence et de façon indépendante. Les employés de la GRC accomplissent au nom des Canadiens un travail exceptionnel dans des circonstances difficiles, souvent dangereuses. Cela, nous pouvons en convenir.
Assurément, la Cour suprême était de cet avis dans l'affaire de l'APMO. Elle a notamment affirmé qu'il y a en place au gouvernement fédéral un régime sain de relations de travail et qu'à moins que le gouvernement n'apporte des modifications législatives ou n'adopte une nouvelle loi dans un délai d'un an, la LRTFP serait la loi applicable. Eh bien, l'année est passée et la LRTFP est maintenant la loi applicable. Je ne suis au courant d'aucune lacune constitutionnelle quant à la LRTFP.
Le projet de loiC-7 vise à modifier la LRTFP afin de répondre aux besoins de la GRC. Le gouvernement prépare des options pour un nouveau cadre de relations de travail depuis le moment où l'affaire de l'APMO s'est retrouvée devant les tribunaux. Nous avons conseillé le gouvernement lors de l'élaboration de cette loi. Il existe des préoccupations immédiates évidentes se rattachant à la syndicalisation des membres de la GRC: par exemple, le droit de faire la grève, le fait qu'il y aurait un seul agent négociateur pour l'ensemble du Canada, et la restriction des possibilités d'affiliation d'un agent négociateur certifié.
Nous nous sommes donc penchés sur le droit et les pratiques detravail dans l'univers des services de police canadiens. Je maintiens déjà avec assez de succès des relations avec les agents négociateurs qui représentent les milliers de fonctionnaires à l'emploi de la GRC.
Ces exclusions, comme nous les appelons, sont en fait le reflet de ce qui, dans le droit du travail, est appelé droits de la direction. On part du principe que ces droits sont absolus, puis on établit des éléments qui peuvent être négociés et faire l'objet d'arbitrage et de griefs au besoin.
[Français]
Ces exclusions, comme nous les appelons, sont en fait le reflet de ce que, dans le droit du travail, on appelle les «droits de la direction». On parle du principe selon lequel ces droits sont absolus, puis on établit des éléments qui peuvent être négociés et faire l'objet d'arbitrage et de griefs, au besoin.
[Traduction]
Mais voilà, il n'était pas obligatoire d'énumérer les exclusions telles qu'elles le sont dans le projet de loiC-7. C'est nous qui avons conseillé de les énumérer. Pourquoi? Parce que nous avons cru qu'en cette âpre campagne de syndicalisation de la GRC, nous pourrions nous faire reprocher d'essayer d'en passer une petite vite. Mais plutôt que d'être perçu comme de la transparence, cela s'est retrouvé sous les feux de la rampe.
La LRTFP et en fait toutes les autres lois liées aux relations de travail reconnaissent qu'aucun élément dans une telle loi ne doit interférer avec l'expression de la volonté du Parlement incluse dans d'autres lois et donc, lorsqu'il existe d'autres dispositions législatives, ces éléments sont exclus. Un bon exemple de cela est le Code canadien du travail. Il est très puissant, normatif et exécutoire quant à ses décisions, et exige un comité mixte de santé et de sécurité au travail qui soit actif et fonctionnel.
On dit que, dans les relations de travail, un des principes directeurs est que les questions de politique publique — la réglementation dans l'intérêt public — doivent être traitées par des législateurs qui doivent prendre les décisions s'y rattachant, et non par des arbitres ou des agents négociateurs.
Mais il y aura toujours une frontière entre l'intérêt public et l'intérêt des employés dans le droit du travail. Cette frontière se déplace en fonction de la profession et de la nature du travail ou du service visé. Il va de soi, compte tenu des intérêts en apparence contraires qui sont en jeu, qu'il y aura toujours des impasses ici et là.
Les conventions collectives sont le reflet d'intérêts négociés entre l'employeur et les employés. Toutes les conventions collectives dans le domaine des services de police varient dans une certaine mesure, mais ce qu'elles ont toutes en commun est le regroupement des droits de la direction dans la loi applicable ou la convention elle-même, inclus dans l'intérêt public.
Certaines des conventions collectives que vous avez vues comprennent des déclarations ambitieuses et des mécanismes variés sur la mobilisation des employés, les consultations et la participation à l'élaboration de politiques. Cela rejoint mon expérience et c'est ce à quoi je m'attends. Tout cela est prévu dans la LRTFP. Le projet de loiC-7 contient des dispositions à cet égard. En fait, la section 8 de la LRTFP exige des mesures spéciales relativement au harcèlement et aux dénonciateurs.
En effet, avant même l'affaire APMO, nous avions formé des comités à grande échelle réunissant les RRF et la direction sur la rémunération et les avantages sociaux, le recours à la force, la conduite et la discipline, et cetera. Ces comités ont donné lieu àdes changements positifs importants pour la gendarmerie. Cette pratique se poursuivra, en toute franchise, elle le doit.
J'ai suivi avec intérêt vos délibérations sur la conduite et le harcèlement à la GRC. Je suis certain que vous ne me laisserez pas citer incorrectement vos préoccupations, mais elles semblent être axées sur deux choses: la crainte qu'il ne soit pas possible de traiter une plainte de harcèlement à l'externe, et le fait que, dans tous les cas, on ne puisse se fier au commissaire en tant qu'arbitre final pour statuer correctement sur ces cas.
Ce n'est pas le cas.
Le Parlement a déposé le projet de loiC-42 il y a près de deux ans. À l'époque, vous aviez reconnu l'incidence inextricable de la conduite dans les cas de harcèlement et aviez fourni le pouvoir de créer des voies spéciales pour porter un cas en appel auprès du Comité d'examen externe sur la conduite liée au harcèlement.
De plus, le commissaire a le pouvoir de remettre tout le dossier, y compris l'enquête et la prise de décisions, entre les mains d'entités externes, ce que j'ai fait. Et même si je modifiais une décision non exécutoire, je devrais rendre des comptes aux tribunaux sur une telle décision. Ce qui est aussi arrivé. Les RRF ont pleinement participé à la formulation des conseils qui vous ont été transmis au sujet du projet de loiC-42 tout comme le nouvel agent négociateur le ferait pour tout nouveau travail d'élaboration de politiques. Ça fonctionne en passant, et ça donne les résultats que nous voulions.
Mais je crois que nous mettons tous la charrue devant les bœufs ici. Les autres services de police ne sont pas des nouveaux venus dans le monde des relations employeurs-employés et leurs conventions collectives reflètent leur propre environnement opérationnel. Nous sommes nouveaux à ce jeu. Nous ne nous sommes pas encore assis à une table de négociation. Nous ne savons pas avec certitude si un des nombreux agents négociateurs potentiels obtiendra l'accréditation, ni lequel.
En revanche, quel que soit l'agent négociateur sélectionné, celui-ci devra élaborer sa propre stratégie pour représenter l'intérêt des employés. Peut-être s'agira-t-il de négocier uneméthode unique de création des différents comités de consultation comme ceux que l'on trouve à la sûreté du Québec. Peut-être cela passera-t-il par la négociation des processus de relocalisation plutôt que du pouvoir relatif aux transferts.
Je suis certain que cela se définira au fil du temps en tenant compte de l'environnement opérationnel unique de la GRC, qui assure des services de police aux niveaux international, national, provincial, territorial et local, ainsi que dans des postes partiellement isolés et très isolés. Notre philosophie s'apparente à celle d'une police communautaire, que ce soit dans la lutte que nous menons contre le terrorisme à l'échelle internationale ou dans notre stratégie visant à éliminer les graffitis dans une petite ville rurale. Le projet de loiC-7, dans sa forme actuelle, prévoit cela.
Le Canada change rapidement. C'est un pays qui prône des valeurs comme la diversité et l'inclusivité et qui offre à ses citoyens une expérience sociale aux multiples facettes. Le Canada lui aussi évolue. La GRC doit s'adapter afin de refléter la réalité si nous voulons être en mesure d'offrir aux Canadiens un service de police national qui bénéficie de la confiance des citoyens. Pour ce faire, nous devons adopter des approches opportunes et novatrices en matière de recrutement, de formation, de déploiement, de promotions, de conduite et de discipline.
Tous ces défis exigent que nous ayons le pouvoir d'agir promptement et de façon responsable, mais délibérément, en consultation et en collaboration, dans l'intérêt public.
La préoccupation ici tient à ce que, pour les questions importantes qui touchent à l'intérêt public, on ne peut pas attendre pour obtenir une décision lorsqu'un grief est porté en arbitrage, et encore moins «soumettre [les griefs] à une responsabilité diffuse ou fragmentée».
C'est pourquoi il y a des exclusions.
J'attire votre attention sur le récent débat public traitant des défis auxquels fait face la ville de Chicago dans la prestation des services de police qui, en avril 2016, a donné lieu au «Police Accountability Task Force: Recommendations for Reform — Restoring Trust Between The Chicago Police And The Communities They Serve». Dans ce cas, l'intérêt public ne s'est pas superposé à la relation employeur/employés dans la gestion du service de police. Effectivement, le pouvoir de livrer des services de police et la responsabilité envers le public se sont trouvés fragmentés et diffus par la convention collective au lieu d'être exercés sur la base d'un plan de sécurité publique responsable, collaboratif et fondé sur des éléments probants.
Vous ne devriez pas seulement vous fier à ma parole dans ce dossier. Je crois que la lettre que vous ont adressée les ministres Goodale et Brison comprend une proposition fort raisonnable pour apaiser vos craintes.
[Français]
Vous ne devriez pas seulement vous fier à ma parole dans ce dossier. Je crois que la lettre que vous ont adressée les ministres Goodale et Brison comprend une proposition fort raisonnable pour apaiser vos craintes.
[Traduction]
Avec tout le respect que je vous dois, plusieurs des personnes qui se sont présentées devant vous défendaient un intérêt autre que l'intérêt public. Vous avez eu très peu de conseils indépendants et éclairés quant à l'incidence de ce projet de loi sur la défense de l'intérêt public qui, après tout, est votre objectif. C'est assurément le mien.
Et maintenant, monsieur le président, c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président: Merci, monsieur le commissaire. Nous sommes très heureux de vous accueillir et je peux vous garantir que tous les membres de ce comité travaillent ici dans le sens de l'intérêt public. Cela ne fait aucun doute.
Permettez-moi de dresser la table, parce que je crois que vous avez parlé de la principale question à propos de laquelle nous voulons obtenir des précisions, celle des exclusions.
Je vais vous inviter à nous expliquer davantage ce qu'a été votre rôle de commissaire et le rôle de votre bureau dans la rédaction de ce projet de loi. Deuxièmement, pourriez-vous nous expliquer une de vos remarques: «Mais voilà, il n'était pas obligatoire d'énumérer des exclusions telles qu'elles le sont dans le projet de loiC-7.» Répondez-moi d'abord sur ce point, puis nous passerons aux questions.
M.Paulson: Merci, monsieur le président.
Le rôle de la GRC a consisté, tout au long de l'affaire concernant l'APMO, à fournir des avis au gouvernement sur tout ce qui touchait plus particulièrement à la GRC, quant aux effets de cette cause sur les relations de travail. À cet égard, les personnes dont vous avez recueilli les témoignages constituaient les principaux responsables dans ce domaine, soit l'officier de la responsabilité professionnelle et mon officier en chef des Ressources humaines. Ces deux personnes ont collaboré étroitement avec le Secrétariat du Conseil du Trésor et le ministère de la Sécurité publique pour faire valoir ce qui était, selon eux, la démarche la plus équilibrée à retenir pour gérer ces questions-là.
Excusez-moi, pouvez-vous me rappeler la deuxième partie de votre question, monsieur le président?
Le président: Dans votre intervention, vous avez dit «Mais voilà, il n'était pas obligatoire d'énumérer des exclusions telles qu'elles le sont dans le projet de loiC-7.»
M.Paulson: Je vais vous donner une explication dans le contexte de mon intervention liminaire.
Permettez-moi, tout d'abord, d'ajouter une chose. Dans vos premières remarques, monsieur le président, vous avez dit que les membres voulaient être entendus sur certaines de ces questions. Même si certains aspects sont exclus de la loi, cela ne revient pas àdire que les membres ou leurs agents négociateurs ne peuvent pas se faire entendre sur ces aspects-là. Voilà pour une chose.
Deuxièmement, ces exclusions dérivent en fait de dispositions contenues dans d'autres textes de loi de notre corpus fédéral. Je crois d'ailleurs avoir cité l'exemple du Code canadien du travail qui contient des dispositions claires sur la sécurité en milieu de travail et sur ce qu'il convient de faire à cet égard.
Nous n'aurions rien pu inscrire dans ce projet de loi qui aille àl'encontre de ces autres dispositions légales. À certains égards, des questions comme la conduite et le harcèlement, par exemple, sont déjà traitées dans le projet de loiC-42. La LRTFP contient une disposition indiquant que cette loi ne peut rien modifier de ce qui existe par ailleurs, dans d'autres textes. Cependant, compte tenu du climat actuel, je me suis dit qu'il était important de préciser ce genre de chose d'entrée de jeux. À l'évidence, cela afonctionné, parce que nous avons entamé une discussion dynamique sur le bien-fondé de ces exclusions.
Autre chose, monsieur le président. La portée des exclusions n'est en rien limitée par la façon dont elles sont présentées. Prenons, au hasard, la question des mutations, nous avons bienétabli, je crois, le fait que les conditions particulières dedéploiement, d'arrangements divers ainsi que le contexte opérationnel de la GRC exigent que la direction ait la possibilité de muter le personnel, mais rien n'empêche un agent négociateur, au moment des négociations, de mettre sur la table la question des méthodes ou des paiements ou encore des systèmes auxiliaires rattachés aux mutations. Au cœur de l'exclusion, on retrouve la notion voulant que le corps policier fédéral puisse effectuer des mutations en vertu d'un pouvoir centralisé, celui de répondre aux besoins de la dotation.
Pour répondre plus précisément à votre question, je dirais que la LRTFP et d'autres lois renferment des dispositions permettant à notre corps policier de négocier sans qu'il y ait conflit avec d'autres lois.
Le président: Si l'on retirait cet article, dois-je comprendre que toutes les autres lois s'appliqueraient, comme dans le cas de toutes les conventions collectives?
M.Paulson: Excusez-moi?
Le président: Je parle de la disposition qui traite des exclusions.
M.Paulson: Oui, ce serait le cas.
Le président: Nous allons commencer les questions par le sénateur Carignan qui est le porte-parole de l'opposition pour ce projet de loi. Nous passerons ensuite au sénateur Campbell qui est le parrain du projet de loi et nous enchaînerons en conséquence.
[Français]
Le sénateur Carignan: Monsieur le commissaire, pour plus de clarté, vous semblez affirmer que les exclusions servent à des fins d'information et de transparence, mais qu'elles ne sont pas vraiment nécessaires.
M.Paulson: Non. Les exclusions sont incluses, même si l'article qui énonce leur ordre n'y figure pas. Voilà ce que j'ai dit.
Le sénateur Carignan: Parce que cet article se trouve dans une autre loi.
M.Paulson: Cela figure dans la loi à laquelle l'on a apporté des modifications, soit la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
Le sénateur Carignan: Donc, si on ne tient pas compte des exclusions, cela ne changera pas grand-chose.
M.Paulson: Non.
Le sénateur Carignan: Les éléments des autres lois qui pourraient faire l'objet de négociations...
M.Paulson: Je devrais sans doute être plus clair dans ma réponse.
Le sénateur Carignan: Vous étiez très clair.
M.Paulson: Je voulais préciser que si on supprime les articles où les exclusions apparaissent en ordre, l'autre article qui précise que si d'autres lois sont ...
Le sénateur Carignan: J'ai compris parfaitement. Vous dites que le syndicat peut revendiquer... On peut donner l'exemple des mutations. Cependant, vous voulez éviter que cela fasse partie de la convention collective.
M.Paulson: Non. Je vais vous répondre en anglais, cela me facilitera la tâche.
[Traduction]
Ce que je vous dis, c'est que je ne peux pas prédire exactement de quelle manière l'agent négociateur voudra aborder certaines de ces questions. Je dis simplement que les exclusions ont trait à des pouvoirs essentiels qui ne sont pas exclus. Par conséquent, certains éléments de ces exclusions pourraient se retrouver dans le processus de négociation comme dans le cas des transferts, dont j'ai donné l'exemple en répondant au président.
Essentiellement, on cherche à ce que la négociation ou l'arbitrage n'entrave pas le pouvoir essentiel de diriger un corps de police dans l'intérêt public.
[Français]
Le sénateur Carignan: Êtes-vous d'accord avec moi que cela fait typiquement partie des négociations? L'employeur essaie d'assurer une certaine discrétion et d'exercer son droit de direction. Le syndicat essaie de faire en sorte que l'encadrement sera équitable pour les salariés. Donc, cette démarche fait habituellement partie des éléments de négociation, soit l'approche give and take.
M.Paulson: C'est exact.
Le sénateur Carignan: Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que, si vous ne vous entendez pas à ce sujet — parce que vous considérez, par exemple, que cela va à l'encontre de la loi — , vous pourrez soumettre le différend à un arbitre qui pourra trancher quant à savoir si cela enfreint ou non la loi, et quelle devra être la portée de la convention collective?
M.Paulson: D'après moi, de telles questions devraient être réglées par les cours, s'il y a des questions de cet ordre.
[Traduction]
Au cœur des exclusions se trouvent les pouvoirs que l'employeur chercherait à protéger. Il pourrait y avoir d'autres façons de négocier pour produire une convention collective qui satisfasse entièrement les intérêts des employés.
[Français]
Le sénateur Carignan: C'est exact, c'est pour cela qu'il y a un arbitrage de différends. L'arbitre du différend devra déterminer la portée de la convention collective et de son contenu.
[Traduction]
M.Paulson: Je le répète, dans l'esprit de ce cadre qui, dans le domaine de la main-d'œuvre, est la convention collective, il faut exclure certaines choses de l'arbitrage non pas pour éviter un danger, mais avant tout pour éviter de diluer ou d'affaiblir l'intention initiale de l'exclusion.
[Français]
Le sénateur Carignan: Ce qui fait typiquement l'objet d'une négociation de convention collective, c'est ce qu'on veut garder dans le cadre des droits de l'employeur et ce qu'on est prêt à céder ou à donner comme droits aux salariés.
M.Paulson: Ou bien donner l'argent, ou bien d'autres façons de...
Le sénateur Carignan: Donc, c'est une partie de la négociation.
M.Paulson: C'est cela.
[Traduction]
Le sénateur Campbell: Merci d'être venu, monsieur le commissaire. J'ai bien des remerciements à vous adresser. Je tiens vraiment à vous remercier de nous avoir expliqué cela, parce que maintenant je comprends pour quelles raisons on avait inséré les exclusions à cet endroit. Je vous crois quand vous affirmez qu'on les avait ajoutées afin de faire preuve d'une plus grande ouverture; maintenant je comprends.
Alors voici ce que je voudrais vous demander: si telle était l'intention, serait-il possible d'éliminer ces exclusions, d'éliminer cet article et de le remplacer par un article qui reconnaîtrait ce qu'on appelle, dans la plupart des autres négociations, les droits de la direction, le droit qu'a l'employeur de créer et d'appliquer des politiques qui régissent la gestion quotidienne du corps de police et le droit de gérer et de prendre des décisions à cet effet? Les gens ne sont pas toujours d'accord avec vos décisions, mais ils peuvent se prévaloir des processus établis pour contester ces décisions.
En fait, si l'on nous avait remis un document qui présente uniquement l'article sur les droits de la direction, comme c'est le cas dans d'autres conventions collectives, je ne pense pas que nous aurions cette discussion aujourd'hui.
Si nous remplacions cette phrase par: «La direction a le droit de gérer comme on le voit dans d'autres...», est-ce que cela porterait préjudice? J'ai plutôt l'impression que cette phrase rendrait le texte beaucoup plus clair.
M.Paulson: Je ne sais pas, monsieur le président. Je sais que les exclusions s'y trouveraient de toute façon parce qu'elles sont dans le paragraphed'exclusion ailleurs dans ce document, n'est-ce pas? Je ne suis pas rédacteur législatif, mais je suppose que la meilleure réponse serait: «Peut-être».
Le sénateur Campbell: Mais vous nous dites que les exclusions ne devaient pas nécessairement être énumérées comme elles le sont dans le projet de loiC-7. Je suppose donc que si elles ne devaient pas nécessairement figurer dans cet ordre, vous reconnaissez que vous avez des droits de la direction, que vous devez administrer la GRC.
M.Paulson: Tout à fait.
Le sénateur Campbell: Et si j'ai bien compris, vous les avez insérées pour éclairer une situation dans laquelle, et vous avez raison, on ne sait pas qui va les représenter. Deux groupes soutiennent qu'ils les représentent, alors pourquoi causer un problème.
Je n'ai qu'une question pour vous: si nous éliminions les exclusions et que nous les remplacions par les droits de la direction, nous accomplirions exactement le même but.
M.Paulson: Vous voyez, j'irais même un tout petit peu plus loin en disant qu'il ne s'agit pas tellement du fait que nous sachions, ou que je sache, en quoi consistent les droits de la direction. Je voulais que les agents négociateurs futurs sachent ce que nous cherchons à accomplir afin qu'un agent négociateur certifié ne se mette pas à examiner la loi pour nous dire: «Une seconde, personne ne nous avait dit cela». Cela provient peut-être d'un manque d'expérience face au fonctionnement de la GRC.
Je vous dirai honnêtement, monsieur le sénateur, que je ne sais pas. Je ne sais pas si ce serait important. Cela semble être une simple question de formulation. Les dispositions essentielles sont celles qui contiennent les exclusions, et celle- ci semble renforcer cela, mais cela me semble normal. Cela me semble raisonnable.
Le président: Je voudrais juste vous demander, monsieur le commissaire, à quel autre article vous faisiez référence quand le sénateur Campbell vous a posé cette question initialement? Vous avez répondu qu'un autre article pourrait avoir de l'importance; pourriez-vous nous donner un éclaircissement?
M.Paulson: Il faudrait vérifier, mais je crois qu'il s'agit de l'article238. Peut-être que le sénateur Carignan...
Le sénateur Carignan: Non, ça va. Je parle d'exclusion. Oui, c'est bien l'article238.
Le président: Sénateur Campbell, vouliez-vous poser une question de suivi?
Le sénateur Campbell: Non, peut-être pendant la deuxième ronde.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Commissaire Paulson, vous avez sûrement consulté les contrats des autres corps de police lorsque vous avez constaté la décision de la Cour suprême, qui demandait à la GRC d'étudier la question de former un syndicat. J'imagine que vous avez examiné ce qui se passait dans les autres grands corps policiers, comme à Toronto, au sein de la Police provinciale de l'Ontario, ou de la Sûreté du Québec, à Montréal, pour voir comment ces organismes fonctionnaient. Pour vous donner un exemple, à la Sûreté du Québec, tout fonctionne sous forme de comité paritaire et conjoint avec l'employeur: il y a des représentants patronaux, des représentants de la partie syndicale et, normalement, ils finissent par s'entendre.
Cependant, je sens une réticence de votre part à vouloir faire partie de ce genre de comités. En ce qui concerne les exclusions, j'entends aujourd'hui que certaines d'entre elles n'en sont pas, ou pourraient peut-être l'être; cela me semble flou. Je sens de votre part une certaine réticence à vous asseoir avec les représentants syndicaux, tôt ou tard. Des éléments comme la formation, l'équipement, les transferts, la notation et la politique de harcèlement peuvent être traités dans le cadre de comités paritaires avec l'employeur. Est-ce que je me trompe en disant que vous êtes réticent quant à la formation de ces comités syndicaux?
M.Paulson: Merci de la question. Sénateur, je me demande où vous avez pris cela, car je n'ai jamais été contre les comités paritaires conjoints avec les RRF.
[Traduction]
Comme je l'ai dit dans mon allocution, nous avons eu de nombreux comités paritaires. En fait, je pourrais vous citer plusieurs politiques importantes que nous avons élaborées en collaborant avec des RRF. Comme vous avez décrit la Sûreté du Québec, eh bien, la LRTFP confie justement la résolution des problèmes de harcèlement et de dénonciation à de tels comités.
Pendant mon mandat de commissaire, nous avons passé de l'approche des RRF, que je trouve très efficace, mais qui est inconstitutionnelle, en collaborant avec les employés pour élaborer des politiques et pour prendre des décisions clés à la GRC. Maintenant, nous passons à une approche de travail plus officielle et plus autonome. Je ne m'oppose pas du tout, et mes officiers supérieurs non plus, à une méthode collaborative d'élaboration des politiques et de résolutions de problèmes dans tous les aspects de travail dont nous avons parlé.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Je vais être plus précis, monsieur le commissaire. Vous êtes sûrement au courant du fait que j'ai été président de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec. Cependant, je siégeais également à l'Association canadienne des policiers, qui comptait aussi des membres de l'Association de la police montée du Québec et de l'Association de la police montée de l'Ontario.
Ces gens, tant bien que mal, pendant plus de 40 ans, ont décidé de former des associations, d'avoir un syndicat. Je ne vous cacherai pas qu'on sentait des réticences de la part de l'employeur face à ces associations, ou du moins une réticence à s'asseoir avec les représentants pour former une association. Il arrivait même, àl'occasion, qu'ils pouvaient se sentir victimes de représailles. C'est pour cette raison que je vous sens réticent en ce qui concerne les exclusions prévues dans le projet de loiC-7. Cela ne date pas d'hier.
M.Paulson: Non, je comprends. Notre façon de procéder était de prendre des engagements avec les employés. En même temps, d'autres employés décidaient de sortir du système pour suivre la voie des syndicats.
[Traduction]
Je n'ai jamais infligé de représailles à des employés qui se joignaient à un syndicat. Je souligne simplement, monsieur le sénateur, qu'auparavant, nous avions un cadre de main-d'œuvre bien établi, le cadre des RRF, qui étaient dûment élus pour représenter les intérêts des employés. Ces comités consultatifs et collaboratifs existaient, et pourtant un groupe d'employés n'en étaient pas satisfaits, ils disaient que ce cadre n'était pas constitutionnel. Il s'est avéré qu'ils avaient raison, et c'est pourquoi nous sommes ici. Mais ne pensez surtout pas que je suis contre le fait d'élaborer les politiques en consultant les employés et en collaborant avec eux.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Il reste que ces 30 ou 40 ans de réticence de part et d'autre ont abouti à une décision de la Cour suprême. Peut-être qu'on aurait évité la décision de la Cour suprême si les deux parties s'étaient entendues. Je reviendrai sur cette question au deuxième tour.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer: Merci beaucoup d'être venu, monsieur le commissaire. Nous sommes vraiment heureux que vous soyez avec nous. Je sais que vous écrivez chaque mois une lettre aux hommes et aux femmes qui travaillent avec vous, alors dans mon rôle de vice-présidente, je vous demanderais de bien vouloir leur faire part de notre profonde gratitude pour le travail extraordinaire qu'ils accomplissent pour assurer la sécurité de notre pays et de nos villes.
J'aimerais d'abord vous demander une précision, commissaire Paulson, au sujet du rapport d'Edward Aust. Il a comparu devant nous la semaine dernière pour parler de son rapport de 2012 sur les relations de travail, et je voulais que vous nous disiez pour quelles raisons vous avez décidé de le recruter. Son rapport contient 25 recommandations, si je ne me trompe pas. Qu'en est-il de ces recommandations? Les avez-vous présentées au comité de la Chambre des communes?
M.Paulson: Tout d'abord, j'ai décidé d'engager M.Aust juste après avoir accédé à mes fonctions de commissaire. J'ai découvert à ce moment-là que le Conseil de la solde de la GRC manquait de pouvoir; autrement dit, il devait justement remettre une présentation sur la rémunération, il avait travaillé très fort pour produire une présentation importante sur la rémunération que je trouvais équitable. Cette présentation a passé par tous les processus gouvernementaux, et quand elle est finalement arrivée au Conseil du Trésor, elle a été rejetée; alors voilà, il n'y avait plus rien à faire.
Je suis tout de suite allé au Conseil du Trésor, et nous avons examiné les faiblesses du système. Si j'ai bien compris, nous avions des membres RRF, des cadres et des tiers qui géraient le Conseil de la solde. Ils avaient mené une analyse empirique fondée sur des données probantes en comparant des corps de police, puis ils ont préparé leur présentation en fonction des résultats de cette analyse. Ils l'ont envoyée et tout d'un coup, boum, non, vous n'aurez pas cet argent.
Je voulais que le Conseil du Trésor, ou plus exactement le secrétariat, accepte les recommandations du Conseil de la solde. J'y tenais, parce qu'en fin de compte, le rapport Aust n'a pas été présenté au Parlement — nous n'avions jamais eu l'intention de le présenter au Parlement —, il a été présenté au Secrétariat du Conseil du Trésor. Certaines de ses recommandations ont été acceptées et mises en œuvre, mais un grand nombre d'entre elles ont été rejetées. Tout cela reposait sur ce qui est maintenant le cadre inconstitutionnel des RRF, mais nous avions apparemment l'intention de pousser les RRF d'un échelon sans rien dire — je suppose que je parle au nom du secrétariat.
Le secrétariat a pris pour position de refuser de discuter avec une classe d'employés non syndiqués, ce qui a causé de graves préoccupations au sujet de l'utilité et de la rentabilité du Conseil de la solde. Celui-ci s'est avéré être un élément important pour la GRC dans le domaine du travail. En comparant nos salaires et notre rémunération globale avec ceux d'autres corps de police, nous découvrons que le conseil est très utile. M.Aust a rédigé ses recommandations pour un monde post-APMO sans projet de loiC-7.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Monsieur le commissaire, vous affirmez qu'il s'agissait d'une bonne formule pour fixer le salaire. Toutefois, la semaine dernière, on a appris que la GRC occupait le 52e rang parmi les corps policiers au Canada. Peut-être que je me trompe, mais si c'est une bonne formule, il serait peut-être nécessaire de l'examiner de nouveau. J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.
[Traduction]
M.Paulson: Je ne pense pas du tout que ces statistiques soient correctes. Comme je l'ai souligné à votre honorable collègue, il y a deux façons de mesurer la rémunération des membres de la GRC. Le Conseil de la solde était crucial pour exécuter les deux méthodes. D'un côté, vous pourriez dire qu'il est honteux de se classer 52e dans l'univers des services de police. La GRC est un corps policier national. Franchement, je suis tout à fait d'accord avec vous.
Mais si l'on tient compte de la rémunération totale, avec les avantages sociaux et les prestations de retraite et les autres avantages dont jouissent les membres de la GRC, nous nous classons bien mieux que cela. Je crois que maintenant nous nous classons au 5e ou au 6e rang. Ce n'est qu'une estimation personnelle, mais la situation n'est pas aussi sombre que cela. C'est pourquoi je voulais que M.Aust amène des éléments plus solides à cette discussion. Ceux qui ne veulent pas augmenter le salaire de la GRC diraient: «Vous êtes au 3e rang des 5meilleurs», ou à quelqu'un qui veut une augmentation de salaire, vous diriez: «Vous êtes au 52e rang dans le monde de la police.» De quoi parlons-nous? De pommes? D'oranges?
En fait, le Conseil de la solde a produit une analyse de rentabilisation extraordinaire il y a à peu près un an et demi. Vous en avez peut-être une copie parmi vos documents. Il expliquait d'une manière très convaincante les raisons pour lesquelles nos salaires et nos avantages sociaux baissent continuellement. Si nous ne corrigeons pas sérieusement cette situation, ils continueront à baisser, quelle que soit la méthode que vous utilisez pour les mesurer.
La sénatrice Jaffer: Monsieur le commissaire, je vous remercie de ces observations et de votre allocution. Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit, deux termes me sont restés à l'esprit, car vous avez beaucoup parlé de l'intérêt public et de collaboration. En ce qui me concerne, l'intérêt public viserait les Canadiens en général, et la collaboration serait une responsabilité de vos membres. Il est difficile de parler de collaboration dans un organisme paramilitaire, mais le monde change beaucoup. Si nous voulons que des gens fassent partie intégrante d'un organisme, il faut qu'ils aient le sentiment d'y appartenir.
J'aurais voulu examiner avec vous chacune de ces huit exemptions que vous demandez, mais le président ne me le permet pas, alors je vais m'en tenir à celle qui me préoccupe profondément. Ma question s'articule en deux parties; d'abord, j'aimerais savoir exactement quel pourcentage de femmes vous avez à la GRC. Ensuite, je suis très troublée par le fait que vous demandiez une exemption pour la conduite, dont le harcèlement, parce que selon moi, il s'agit là d'un élément de collaboration que vos hommes et vos femmes devraient pouvoir traiter en négociation collective.
Ce qui m'inquiète, c'est qu'on m'a dit que la GRC compte actuellement 500 plaintes non résolues, de pincements de fesses àdes courriels intimidants, et que 45p.100 de ces plaintes ont été déposées par des femmes. Pourquoi ne voulez- vous pas que vos membres puissent s'exprimer sur ces faits ou les traiter en négociation collective?
M.Paulson: Je tiens à corriger certains faits. M.Harris a tort quand il affirme que nous avons 500 plaintes pour pincement de fesses. Permettez-nous de vous présenter les statistiques sur les griefs en matière de harcèlement.
La sénatrice Jaffer: Je ne veux pas que nous nous arrêtions aux pincements de fesses. Il s'y trouve aussi des allégations très graves.
M.Paulson: Personne ne le sait mieux que moi, madame la sénatrice. Nous avons 70 griefs non résolus datant d'avant le projet de loiC-42. Depuis le dépôt de ce projet de loi, nous avons reçu 114 nouvelles plaintes sur le processus, pour un total d'environ 187. Maintenant, ces 70 anciens griefs pour harcèlement ont été éliminés à la première étape du processus, ou alors les gens qui n'étaient pas satisfaits des résultats de l'enquête ont déposé un grief dans le cadre de ce processus de harcèlement.
Je crois que vous avez entendu dire que du 28 novembre 2014 au 13 décembre 2015, 152 plaintes pour harcèlement ont été déposées. De ce nombre, 62 plaintes sont en cours de traitement àdifférents paliers. Vous ne m'entendrez pas minimiser le problème de harcèlement que nous avons à la GRC. J'essaie de préciser un peu les faits et la façon dont les gens les comprennent.
Évidemment que l'on ne peut pas éprouver de satisfaction au sujet du harcèlement sexuel, mais le nombre de plaintes n'est pas élevé. Le dossier historique des allégations d'inconduite et de harcèlement sexuel est impressionnant. Comme vous le savez, nous faisons face à deux recours collectifs au tribunal. Je suis d'accord avec la prémisse de votre question, en terme général. Toutefois, je demanderais des précisions sur la manière dont ces choses sont comprises.
Quant à la question de la collaboration, pour résoudre le problème du harcèlement, il faut que les membres, les employés, s'y engagent. Je le répète, comme la conduite et le harcèlement sont liés au projet de loiC-42 et — je le répète, je me ferais un plaisir de vous expliquer cela — ce processus porte fruit. Évidemment qu'en examinant les détails d'une cause de harcèlement en soi, on ne penserait pas que le processus porte fruit, mais en termes généraux, dans tout l'organisme, nous produisons les résultats attendus.
Il s'agit d'une exclusion, mais nous n'empêchons pas pour autant nos membres de s'exprimer à ce sujet. Bien qu'il s'agisse de l'une des exclusions et bien que nous les ayons énumérées et que l'article238 les exclurait, la LRTFP contient un article particulier qu'un amendement proposé par le projet de loiC-7 conserverait. Cet article exige que l'on traite avant tout les cas de harcèlement comme je le voudrais et comme tout agent négociateur le voudrait, c'est-à- dire en une approche paritaire, tout comme les cas de dénonciation.
La sénatrice Jaffer: Laissons la dénonciation de côté. Je ne comprends toujours pas. En quoi servez-vous l'intérêt public en empêchant vos membres de participer à la négociation collective? Je ne parle pas nécessairement de harcèlement sexuel, mais de tous les problèmes de harcèlement.
M.Paulson: Je peux vous répondre de différentes façons. D'abord, les problèmes de conduite d'un corps de police ne devraient pas être renvoyés en arbitrage ou en négociation. C'est un point de vue que partagent tous les corps policiers.
Dans certains cas — et cela éclaire certains de nos points de vue —, on énonce ce que j'appelle des «déclarations d'idéaux» dans les conventions collectives. Il ne s'agit pas de négociation sur le harcèlement et sur la conduite. C'est comme d'affirmer que l'eau est mouillée. Nous nous opposons tous au harcèlement. Je m'oppose à tout harcèlement, au harcèlement sexuel et àl'inconduite.
En ce qui concerne l'élaboration du projet de loiC-42, puisque je suis ici pour en discuter, il s'agit d'un processus très complexe, approfondi et équitable envers les membres, car il s'agit d'un droit universel de la direction.
Quand j'ai comparu devant vous pour parler du projet de loiC-42, j'ai affirmé que nous devrions pousser la conduite au niveau le plus bas afin d'accomplir deux choses. La première sera de prévenir l'inconduite très grave, et la deuxième sera d'inciter les superviseurs et les chefs à superviser et à diriger. Cette approche réussit. C'est pourquoi le commissaire adjoint McMillan est venu vous parler d'une forte pointe dans le domaine de la conduite. Nous y sommes parvenus en éliminant de nombreux obstacles et en tenant des réunions sur la conduite avec les employés pour leur en parler dès le début.
Cela sert l'intérêt public parce que la direction conserve ses pouvoirs sur les questions disciplinaires tout en collaborant dans le domaine de la prévention. Elle collabore et consulte sur l'engagement et sur tous les autres aspects. La situation n'est pas aussi sombre que votre question l'a fait paraître, madame la sénatrice.
Le sénateur Kenny: Bienvenue, commissaire Paulson. Pourrions-nous retourner à la liste des exclusions qui se trouve à la page20 du projet de loi? Pourriez-vous nous expliquer les huit exclusions de cette liste et nous dire quel préjudice nous causerions en éliminant chacune de ces exclusions?
M.Paulson: Monsieur le sénateur, je ne sais pas si nous devrions parler des préjudices. Je ne parle pas de préjudice. Je parle de la capacité de gérer le corps de police dans l'intérêt public.
Le sénateur Kenny: Bien, si vous ne voulez pas le faire, d'accord. Certains membres du comité ont l'impression, je crois, que si le syndicat mentionnait ces huit éléments, la direction répondrait: «Désolés, lisez le projet de loiC-7. Ces éléments sont exclus. Nous ne voulons pas en discuter.»
M.Paulson: Comme je l'ai dit tout à l'heure en répondant au président, je ne pense pas que ces termes définissent la portée des négociations à effectuer sur ces éléments. Par exemple, la première exclusion, les techniques de maintien de l'ordre... je ne saurais pas par où commencer pour négocier sur les techniques de maintien de l'ordre.
Le sénateur Kenny: Vous pourriez commencer par demander de jumeler les agents après 22 heures?
M.Paulson: D'accord, examinons donc les divers contextes dans lesquels nos agents travaillent, les dangers qu'ils courent et les ressources offertes par les partenaires sous contrat et les antécédents de criminalité après 22 heures. C'est ce que j'essaie de vous démontrer dans le contexte opérationnel. Je ne dis pas que nous sommes spéciaux. Toutes les conventions collectives des corps de police abordent à leur façon certains aspects particuliers de la relation qu'elles régissent. Je ne sais pas par où commencer pour le faire, monsieur le sénateur.
Le sénateur Kenny: Je dois dire que je ne vois pas bien moinonplus comment nous y prendre pour y parvenir, parce que ce n'est pas de mon domaine, mais on me pose cette question.Dans l'exemple que je viens de citer, en jumelant les agents,onleur assurerait un certain soutien. De nombreux détachementssont très petits et très éloignés, et ce soutien doit préoccuper continuellement les membres du détachement et les administrateurs.
M.Paulson: Bien sûr, monsieur le sénateur. Excusez-moi de vous avoir interrompu, mais ce qu'il faut faire avant tout est recueillir des données empiriques sur les dangers que court la collectivité en examinant les dossiers historiques sur les taux de criminalité et le nombre d'appels de service, le caractère de la collectivité et toutes ces dimensions de la question. La prémisse du jumelage des agents dans une auto à 22 heures repose plus sur la position de la grande aiguille de l'horloge que sur ce qui se passe réellement et sur l'efficacité de l'utilisation des ressources. C'est pourquoi je parlais tout à l'heure de diffusion et de la fragmentation de notre capacité d'établir cette règle.
J'ajouterai qu'en préparant, délibérant et examinant les divers facteurs de la méthodologie d'affectation des ressources — et nous le faisons quand nous consultons officiellement les RRF —, nous consulterions et mobiliserions aussi les employés pour l'élaboration de notre plan de maintien de l'ordre.
Le sénateur Kenny: Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le commissaire, vous n'avez pas répondu à ma question.
M.Paulson: J'ai même oublié quelle était la question, monsieur.
Le sénateur Kenny: Cela arrive souvent dans notre domaine. Initialement, je vous ai demandé quel préjudice causerait l'élimination de ces exclusions. Vous avez ensuite soulevé la question des techniques de maintien de l'ordre. J'ai supposé sans trop le savoir que le renfort faisait partie de cette technique, et il est évident que je ne me trompais pas. Vous suggérez qu'il faudrait mener des études et examiner divers facteurs, et cela me semble tout à fait raisonnable. Alors maintenant, ma question est la suivante: le commissaire est-il la seule personne qui ait le dernier mot à ce sujet, ou le syndicat et la direction devraient-ils discuter de l'amélioration éventuelle du soutien ou de l'affectation d'un plus grand nombre d'agents dans chaque voiture à certaines heures?
M.Paulson: Oh, c'est une nouvelle question.
Le sénateur Kenny: Non, c'était ma question initiale.
M.Paulson: D'accord, mais je crois y avoir répondu de manière à démontrer que l'agent négociateur ou les représentants des membres participeraient à cette prise de décision. Vous avez omis dans votre question l'un des intervenants principaux, la collectivité elle-même. Il faut également tenir compte de plusieurs autres facteurs dont on ne peut pas traiter uniquement à la table de négociation, et je crois que cela explique cette exclusion.
Le sénateur Kenny: Il est évident que le rôle de la collectivité est important. Elle ne veut pas y verser plus d'argent que nécessaire. Si vous devez recruter plus de personnel, il faudra modifier le contrat de la collectivité. Les services de police contractuels posent de gros problèmes, s'il faut effectuer de tels changements; ce qui ne veut pas dire qu'ils ne soient pas efficaces et qu'ils ne soient pas justifiés dans certains cas. Le problème réel est de savoir qui discute de ces choses. Vous me donnez l'impression que vous pensez que les syndicats ne devraient pas participer à ces discussions.
M.Paulson: Non, je ne dis pas cela.
Le sénateur Kenny: Si cette question se trouve dans la liste...
M.Paulson: Ce ne sont pas mes opinions personnelles, je vous dirai.
Le sénateur Kenny: À mon tour de vous interrompre, monsieur le commissaire.
M.Paulson: Pardon.
Le sénateur Kenny: En réalité, je suggère que si cet élément se trouve dans la liste, un membre de la direction dira: «Désolé, les gars. Regardez ici, à la page20, sous alinéa 238(19)c)(i). Cet élément est exclu de notre conversation. Prochaine question, s'il vous plaît!»... et la négociation se poursuit.
La situation serait bien différente si l'on ajoutait ici quelque chose indiquant que l'on prévoit que les syndicats mentionneront cet élément. Mais on ne le trouve pas ici; en fait, on y trouve le contraire.
M.Paulson: Mais une autre section de la loi mentionne ces choses.
Le sénateur Kenny: Aidez-moi. Où vais-je trouver...
M.Paulson: C'est l'agent négociateur de l'employeur, et j'en discute tout le temps avec les six ou sept autres agents négociateurs avec lesquels je travaille. Je les rencontre très souvent, et nous discutons des problèmes qu'ils mentionnent. S'il s'agit de jumelage des agents, alors nous en discutons, nous établissons un cadre de négociation et nous examinons la question en détail.
Vous avez raison; il arrive parfois qu'ils me disent que mes justifications sont bien jolies, mais qu'ils n'y croient pas et qu'ils sont convaincus qu'il faut jumeler les agents, malgré toutes les preuves et tous ces trucs, et nous nous retrouvons dans une impasse. Tout le monde de l'entreprise se heurte à ces impasses, qu'il s'agisse de McDonald ou d'un corps de police. Je crois que tant que nous collaborons, que nous consultons et que notre prise de décisions repose sur des données probantes, tant que nous les prenons dans un esprit d'inclusion et de respect des gens, nous aurons un corps de police efficace qui assurera la sécurité du Canada.
Le sénateur Kenny: Vous ne m'avez pas montré l'article ou le document législatif qui garantit que le syndicat peut discuter de ces choses.
M.Paulson: Je vous le remettrai plus tard, parce que je sais qu'il se trouve dans ce document. Je ne me souviens pas du numéro par cœur. C'est l'article qui exige que l'employeur et les agents négociateurs se réunissent régulièrement.
Le président: À propos, je voudrais vous poser la question suivante: vous avez parlé d'autres unités de négociation avec lesquelles vous vous réunissez très souvent. Ont-elles aussi une longue liste d'exclusions comme celle-ci?
M.Paulson: Oui. C'est-à-dire que les exclusions ne figurent pas dans une liste comme celle-ci. On les crée à mesure, comme on a créé celles-ci.
Le président: Elles se trouvent dans la loi?
M.Paulson: Oui, absolument.
Le sénateur White: Un suivi à la question du sénateur Kenny.
Merci beaucoup d'être venu, monsieur le commissaire. Ce qui me préoccupe, c'est de vous entendre parler de ce qui va se passer, mais en fait la loi prévoit que cela n'aura pas lieu, que l'on ne discutera pas de ces choses pour décider des renforts à affecter. On dirait que les membres ne devraient pas participer aux décisions sur les techniques de maintien de l'ordre, autre que de les appliquer. Mais en fait, nous parlons de patrouilles de deux hommes. Nous parlons du nombre d'agents qui devraient patrouiller dans une certaine zone à certaines heures.
Je n'ai pas aimé tous les résultats de ces négociations, mais je crois qu'il a été important que l'on m'en décharge pour que l'employeur en discute avec les représentants de l'employé. Je vais vous dire extrêmement franchement que ce qui me trouble, c'est de vous entendre parler de ce qui va se passer; mais je vous dis cela parce que selon ce projet de loi, cela n'aura pas lieu, parce que cet élément est exclu. Ces négociations n'auront pas lieu entre l'agent négociateur et le commissaire, ou l'employeur ou, plus important encore, le Conseil du Trésor. Ne pensez-vous pas qu'en réalité, ce n'est pas de notre ressort?
M.Paulson: Non. Il n'est pas vrai que ces exclusions imposent le silence aux agents négociateurs.
Le sénateur White: Mais c'est ce que nous lisons, qu'ils sont exclus des négociations.
M.Paulson: Oui. Alors un agent négociateur arrive. Je ne suispas expert en relations de travail, mais on m'a dit, et je l'ai observé, que les agents négociateurs arrivent en disant: «Eh, je reconnais que la question du jumelage des agents est exclue» — et je ne sais même pas de quoi il parle, parce que je n'ai pas vu la question du jumelage des agents dans la liste des exclusions, mais les techniques de maintien de l'ordre et la répartition des ressources sont exclues — et il continue en disant «mais nous voulons discuter de l'absence de consultation et d'engagement sur cette question-là au comité consultatif, parce que ce maudit commissaire têtu n'en discute jamais avec nous.»
Tout d'un coup vous voyez des choses que l'on retrouve dans les autres conventions collectives, des énoncés d'idéaux comme: «Bon, écoutez, on n'arrive à rien, alors allez discuter des mécanismes de compensation des postes isolés», ou d'autres moyens d'entamer cette discussion. En fin de compte, il faut protéger cette autorité à cause de la répartition des agents de police dans la région. Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur, nous ne parlons pas de régions comme la ville d'Ottawa; nos contextes d'opération sont extrêmement divers.
Le sénateur White: Je comprends que ce n'est pas le même contexte qu'à Ottawa, mais parfois il s'agit de Surrey et Burnaby, et d'autres fois c'est Iqaluit et Inuvik. C'est la raison pour laquelle il faut négocier ces conditions, parce qu'il ne s'agit pas d'un contexte unique. À l'heure actuelle, la GRC maintient l'ordre dans 800 collectivités, et ce n'est pas facile. Je suis convaincu qu'il faudra négocier les conditions de chacun de ces contextes.
M.Paulson: Je crois que vous avez tort.
Le sénateur White: Je sais que vous pensez que j'ai tort, et c'est pourquoi vous voulez ces exclusions. Mais je dois vous dire que si la loi contient ces exclusions, je pense que l'on ne prendra pas bien soin des membres. En fin de compte, le programme des RRF n'a même pas le mandat de les représenter; c'est un programme autoproclamé.
Le président: Pour que tout soit clair, nous parlons continuellement du programme des RRF, et une personne qui nous écoute de l'extérieur pensera que nous parlons d'un programme de science-fiction. Pour que tout le monde comprenne bien, RRF signifie «représentant des relations fonctionnelles». C'est un programme de la GRC qui a été éliminé. Il s'agissait d'un groupe de personnes élues par les membres de la GRC pour les représenter à titre d'association, et non de syndicat. J'espère que tout le monde comprend bien cela.
M.Paulson: Je voudrais juste ajouter que je comprends les émotions qu'ont créées certaines décisions prises en matière de dotation et de répartition des ressources, mais notre bon sénateur a terminé en parlant du modèle de représentation que nous avions créé temporairement. Je ne me souviens pas exactement de ce qu'il a dit, mais je ne crois pas qu'il ait décrit ce groupe correctement.
Je vous dirai que je suis heureux d'étoffer un peu cette description. Ce programme n'a jamais reçu un mandat d'agent négociateur et il n'a aucunement l'intention de faire concurrence aux futurs agents négociateurs. Étant donné que le programme RRF est inconstitutionnel, nous reconnaissons que jusqu'à ce que nous établissions un agent négociateur certifié, il faudra que quelqu'un représente les intérêts de nos membres. C'est pourquoi certains membres dûment choisis — et certains d'entre eux sont d'anciens RRF — se sont engagés à représenter les intérêts des membres provisoirement.
[Français]
Le sénateur Dagenais: J'aimerais revenir à la question de la patrouille en solo mentionnée par le sénateur Kenny. Vous dites que vous consultez à l'occasion les conventions collectives des autres corps policiers. J'imagine que vous être membre de l'Association canadienne des chefs de police et que vous pouvez parler aux autres chefs de police. À la Sûreté du Québec, les policiers sont jumelés de 19 heures à 8 heures pour une question de sécurité. Cependant, il y a un comité pour les régions isolées, comme la Côte-Nord et les îles de la Madeleine, qui s'est entendu avec l'employeur pour qu'un policier qui se retrouve seul sur son territoire puisse avoir du renfort, c'est-à-dire un policier en disponibilité, qui est payé, chez lui, de sorte que s'il arrive un événement, disons un appel pour violence conjugale, il est assuré d'avoir du renfort.
Nous parlions plus tôt de sécurité pour les citoyens. Imaginons un policier qui se retrouve seul sur un territoire et qui, lui-même, n'est pas en sécurité. Comment peut-il assurer la sécurité des citoyens? Donc, si vous consultez d'autres conventions collectives ou discutez avec les autres chefs de police, j'imagine que vous êtes au courant que ces choses ont été faites. Pourquoi alors ne pas prévoir une mesure semblable à la GRC?
[Traduction]
M.Paulson: Vous pouvez être sûrs que rien de ce que je fais et rien de ce que font mes subalternes ne vise à mettre en danger ni les agents ni les collectivités. Mais comme les contextes d'opération sont très divers, certains se retrouveront dans des situations — et nous avons établi des politiques, de nouveau en collaboration avec les RRF, où nous reconnaissons que dans certaines régions éloignées, comme il arrive à la Sûreté du Québec et à l'OPP — vers lesquelles les renforts ont parfois de la difficulté à se rendre. Et les agents ne seront peut-être pas envoyés à cet appel, si la situation est difficile à comprendre dès le départ; mais ils ne répondent parfois pas à ces appels de service s'ils n'ont pas de renfort.
Ce sont des discussions qui ont lieu en consultation et qui nous permettent de perfectionner nos pratiques.
La sénatrice Jaffer: Monsieur le commissaire, vous avez mentionné d'autres documents législatifs, d'autres droits et d'autres exceptions. Nous nous efforçons de terminer cette étude aussi rapidement que possible, alors nous vous demandons respectueusement d'accepter d'envoyer cela à notre greffier d'ici à la fin de la journée pour que nous puissions les consulter, s'il vous plaît.
M.Paulson: Je ne comprends pas, madame la sénatrice.
La sénatrice Jaffer: Vous avez parlé d'exemptions prévues dans d'autres documents législatifs et d'autres droits en répondant aux questions du sénateur Kenny sur d'autres exemptions.
M.Paulson: Celles des autres syndicats?
La sénatrice Jaffer: C'est cela.
M.Paulson: Elles découlent du même article de la LRTFP.
La sénatrice Jaffer: Pourrions-nous y jeter un coup d'œil, s'il vous plaît? Pourriez-vous nous l'envoyer?
M.Paulson: Je crois que nous avions convenu qu'il s'agit de l'article238.
La sénatrice Jaffer: Oui. Merci.
Le sénateur White: Je vais revenir sur les éléments exclus. Comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le commissaire, les droits de la direction sont fondamentaux. En fait, j'ai consulté plusieurs conventions collectives différentes, et je me souviens d'avoir lu celles d'Ottawa, et dans certaines sections négociées, on mentionne très précisément les droits de la direction. Il s'agissait en fait d'une convention que je n'avais pas négociée.
Le problème qui nous préoccupe est le fait que cela n'empêche pas seulement les membres d'en discuter avec vous; cela empêche leurs représentants d'en discuter avec l'autre employeur, le Conseil du Trésor.
Alors même si je croyais que vous prenez cela très au sérieux dans chacun des cas et que vous créez des comités, en fin de compte, le Conseil du Trésor, qui tient les cordons de la bourse, pourrait dire: «Nous n'allons pas discuter des techniques de maintien de la loi, même si vous avez besoin de jumeler les agents en patrouille à Surrey après 23 heures», ou autre. En fait, je ne leur fais pas confiance.
Selon moi, les membres devraient avoir le droit de négocier chacune de ces questions d'abord, à mon avis, par respect de la décision de la Cour suprême du Canada qui exige que l'on tienne des négociations complètes et équitables, mais surtout parce que je parcours une liste de services policiers qui font cela, et ils mentionnent un modèle. Je ne savais même pas que la Commission des services policiers d'Ottawa — et nous allons poser une question à quelqu'un à ce propos tout à l'heure — négociait ces éléments en mon nom. J'en suis bien heureux, parce que je ne suis pas sûr qu'en ma qualité de chef, j'aurais disposé des ressources nécessaires étant donné que mes fonds étaient limités.
Personnellement, j'aimerais voir une clause sur les droits de la direction dans ce projet de loi, parce que je sais qu'il faut cette capacité pour gérer les opérations quotidiennes de tout un organisme. En fait, je crois en avoir trouvé au moins une dans toutes les conventions collectives que j'ai consultées. Selon moi, c'est une chose importante. Mais je ne fais pas assez confiance àquiconque pour confier ces exclusions parce que...
Le président: Vous avez une question, cher collègue?
Le sénateur White: Voici ma question: êtes-vous d'accord avec moi?
M.Paulson: D'abord, vous avez dit, monsieur le sénateur, que la loi ou les amendements empêchent les agents négociateurs de me parler. C'est faux. Ils m'obligent à leur parler dans ce comité mixte. J'ai mentionné les questions de harcèlement et de dénonciation en parlant à des comités généraux et dans les comités que nous avons créés.
Par exemple, lors d'une catastrophe nationale récente comme celle des feux de forêt en Alberta, nous avons réussi, dans un contexte à plusieurs instances dans lequel nous avions des contrats avec les provinces de Terre-Neuve, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique, à très rapidement et activement transférer ces gens pour qu'ils aident à lutter contre les incendies en Alberta. C'était crucial. On ne peut pas imaginer et prévoir ce type de situation, sauf d'une manière générale, et ensuite compter sur les droits de la direction pour agir dans l'intérêt public.
Toutefois, certains ont souligné certaines choses sur la façon dont nous avons déployé les gens qui illustraient l'acceptation et la réceptivité de notre organisme envers l'engagement des gens que nous avons transférés. Alors malgré tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur, je ne suis pas d'accord avec vous.
Le sénateur White: Ma deuxième question, monsieur le président, porte sur le même sujet.
Le président: Pouvez-vous la poser brièvement?
Le sénateur White: Oui. Merci pour cette réponse, monsieur le commissaire. Maintenant, passons à la situation de Mayerthorpe, qui est un parfait exemple. Dans ce cas, le système représentait les membres, et la direction examinait la situation. Aujourd'hui, 11ans plus tard, nous n'avons pas encore suivi toutes les recommandations qui en ont découlé, et je sais que les membres ont essayé de négocier. Il n'y avait pas d'exclusions. Il s'agissait de maintien de l'ordre et d'équipement.
Alors je crois que je m'inquiète du fait que l'on exclue des éléments qui n'étaient pas vraiment exclus; ils ont été négociés. Je suis sûr que les RRF ont continuellement soulevé ces questions, et nous n'avons toujours pas réussi à les régler.
C'est qu'ils n'avaient pas cette autorité auprès du Conseil du Trésor. Ils n'avaient pas cette capacité. Nous ne voulons pas toujours qu'ils négocient ces choses, qui risquent de s'avérer très dispendieuses à l'avenir. C'est la vie. La vie est chère quand vous avez des gens qui se précipitent dans des situations dangereuses et que nous courons dans l'autre direction pour les fuir.
Selon moi, vous devriez dire, à titre de chef de cet organisme, que vous ne voulez pas qu'on exclue ces éléments parce que vous voulez que quelqu'un fasse pression auprès du Conseil du Trésor pour qu'il agisse comme il convient de le faire alors que vous n'êtes pas en mesure de le faire.
M.Paulson: Je ne sais pas exactement ce dont vous parlez dans le cas de Mayerthorpe.
Le sénateur White: Les carabines C8.
M.Paulson: Le dernier examen de Mayerthorpe n'a favorisé l'usage des C8, ou des carabines, qu'en 2011. La meilleure illustration est l'achat presque immédiat du gilet pare-balles rigide. Je ne sais pas s'il a fait son chemin dans toute la GRC.Ce n'était pas un problème de ressources, mais d'approvisionnement. Il fallait trouver le bon équipement.
Cette discussion sur les carabines s'est étendue jusqu'à Moncton, mais pour décider du type d'artillerie que la police utilisera, il faut tenir compte de plusieurs facteurs. Je ne sais pas s'il serait bon d'en référer à un arbitre à la table de négociation. Tant que la prise de décisions repose sur des données probantes et tient compte des objectifs du maintien de l'ordre, qui visent la sécurité des Canadiens, nous aurons un système bien conçu pour résoudre ces préoccupations.
Le sénateur White: Ce qui m'inquiète, c'est qu'en fait nous n'aurons personne pour prendre cette décision et qu'on n'en discutera pas parce que cette question aura été exclue des discussions. Aucun arbitre ne voudra en discuter. En fait, il n'y aura pas de négociations sur cette question. On ne la présentera àaucune table, parce qu'elle est exclue de ces discussions. C'est là ce qui m'inquiète. Comment résoudre ce problème?
M.Paulson: Cela ne veut pas dire que nous ne l'entendons pas, monsieur le sénateur. Nous avons discuté des questions du déploiement des carabines, de l'équipement et de l'installation de vitres pare-balles aux voitures de police. Nous avons discuté de la question des casques Kevlar en Floride, et maintenant nous nous demandons s'il faudrait munir chaque voiture de casques Kevlar. Ce sont des décisions importantes et complexes pour lesquelles nous devons pondérer plusieurs facteurs, comme je vous l'ai dit plus tôt, pour ultimement améliorer la situation.
Le sénateur Kenny: Monsieur le commissaire, votre réponse au sujet des transferts me préoccupe. Je crois que tous les membres du comité savent à quel point il est important que vous puissiez transférer des gens en cas d'événement inhabituel ou de situation d'urgence. Est-ce que vos préoccupations au sujet des transferts s'atténueraient si l'on éliminait les transferts et qu'une forme quelconque d'annonce des situations d'urgence vous conférait le pouvoir de transférer n'importe qui là où vous en avez besoin? Je pense que les gens n'auraient pas de peine à comprendre cela. Lorsqu'un incendie menace de détruire une ville entière, il faut des gens qui aident; ou si vous avez besoin de créer une équipe pour régler de toute urgence des problèmes causés par des terroristes.
M.Paulson: Dans mon allocution, je vous expliquais principalement l'importance de protéger ce pouvoir.
Le sénateur Kenny: Je disais, monsieur, que vous conserveriez ce pouvoir en annonçant qu'il y a une urgence, ou si le ou la ministre de la Sécurité publique confirme qu'il y a vraiment urgence et que vous pouvez transférer les gens où vous voulez.
M.Paulson: Pourquoi vous semble-t-il si néfaste de confier une responsabilité à quelqu'un?
Le sénateur Kenny: Cela dépend si les gens pensent qu'il risque d'y avoir des abus de pouvoir.
M.Paulson: Exactement.
Le sénateur Kenny: Je crois que l'on présume que la GRC traite la situation d'une manière très humaine. Elle consulte les gens avant de les transférer, elle tient compte des problèmes familiaux et autres. Mais il peut arriver de temps en temps que les choses aillent mal.
M.Paulson: Exactement, et nous avons établi des mécanismes, des processus et des systèmes qui, tout d'abord, permettent aux gens de signaler que les choses vont mal, et ensuite permettent d'enquêter et de voir si les choses vont vraiment mal et, dans l'affirmative, de résoudre la situation. Notre manière de corriger la situation et de compenser les préjudices est tout à fait établie et transparente, et tout le monde peut l'observer.
Je ne comprends pas du tout ce que vous voulez dire, monsieur le sénateur.
Le sénateur Kenny: Il y a une différence entre le fait que vous affirmiez que tout ira bien et que vous allez vous occuper de la situation, et le fait qu'une loi soit bien établie et, que M.Paulson soit présent ou non, quelle que soit la personne responsable, elle est obligée de résoudre le problème d'une certaine façon. Voilà la différence.
M.Paulson: Non. Cette législation existe déjà sous des formes multiples.
Le sénateur Kenny: Vous nous parlez d'autres mesures législatives. Nous ne voyons pas ce qui se trouve dans ces documents, mais nous voyons ici un projet de loi qui semble retirer bien des choses.
[Français]
Le sénateur Carignan: J'aurais plusieurs questions complémentaires, mais je comprends que le temps nous manque.
La Sûreté du Québec a le même genre de convention collective et permet le transfert en situation d'urgence. Rappelons-nous la crise d'Oka, durant laquelle la ville de Saint-Eustache était envahie par les agents de la Sûreté du Québec, qui avaient rempli à peu près tous les restaurants. Je peux vous dire que nous avons transféré des gens, et que la convention collective n'a pas empêché de répondre à cette situation d'urgence.
Vous dites que des normes existent dans le cadre des différents sujets, par exemple en ce qui concerne l'équipement. Si des normes existent, les jugez-vous bonnes et équitables?
M.Paulson: Quelles normes?
Le sénateur Carignan: Considérez-vous que les normes actuelles sont équitables pour les agents de la GRC?
M.Paulson: Oui, mais la menace à laquelle font face nos officiers change chaque semaine.
Le sénateur Carignan: Vous considérez donc que ces normes sont équitables, pour les agents de la GRC et pour vous.
M.Paulson: Oui.
Le sénateur Carignan: Voyez-vous un problème à les insérer àla convention collective?
M.Paulson: Oui.
Le sénateur Carignan: Pourquoi?
[Traduction]
M.Paulson: Je le répète, il ne relève pas d'un processus de négociation collective de choisir, en examinant des données probantes, l'équipement que les agents devraient porter. Je vous dirai franchement qu'il existe tout un régime législatif pour trancher ce genre de choses. Vous voyez à l'heure actuelle que dans le cadre des discussions sur la carabine, nous suivons un processus détaillé pour faire payer ce genre de choses à la GRC.
[Français]
Le sénateur Carignan: Parfait, je vous suis. Supposons que je suis d'accord avec vous, que vous allez négocier la convention collective avec le syndicat et lui indiquer que vous voulez que ce soit exclu. Ensuite, vous irez en arbitrage de différends si vous ne vous entendez pas. L'arbitre des différends, selon les arguments que vous allez lui donner, pourra les exclure. Vous êtes d'accord avec moi?
[Traduction]
M.Paulson: Je ne suis pas d'accord que l'on expose ces éléments à un processus de négociation collective, et ensuite à des processus de grief et d'arbitrage. Je ne pense pas que cela convienne, car il y a énormément de choses à négocier.
[Français]
Le sénateur Carignan: Vous semblez dire que vous êtes d'accord avec le syndicat sur le fait de permettre la négociation de conventions collectives, mais lorsqu'on entre dans le détail, on voit un homme qui se situe complètement à l'inverse de ce qu'il vient de dire.
M.Paulson: Non, ce n'est pas vrai.
Le sénateur Carignan: Ce sont tous des éléments de négociation de conventions collectives. De plus, vous avez l'occasion de vous reporter à un législateur. Ainsi, dans le cadred'un arbitrage de différends, si l'arbitre arrive à la conclusion qu'il ne retient pas votre argument, vous pourrez toujours vous tourner vers le ministre de la Sécurité publique pour lui demander de faire modifier la loi. À ce moment-là, le législateur pourra faire adopter une loi spéciale.
Vous avez de la chance, car ce n'est pas le cas de tout le monde. Ne trouvez-vous pas qu'il y a suffisamment d'éléments dans la loi pour vous permettre d'atteindre votre objectif, qui est de conserver ou de protéger votre droit de gérance? Ainsi, en cas d'urgence, vous pouvez vous tourner vers le législateur pour qu'il ajuste la loi en conséquence.
[Traduction]
M.Paulson: Non. Comme je l'ai dit dans mon allocution, il semble que quand je défends ces exclusions dans l'intérêt public, j'exclus toute possibilité de négocier. Il me semble que dans le cadre de négociations collectives, on examine toute la portée des négociations, on examine le service ou la profession afin de déterminer la portée des négociations.
Maintenant, cela ne me concerne pas, mais on m'a dit que lorsque des arguments comme ceux que je vous ai présentés aujourd'hui réduisent la portée de négociations collectives, d'autres éléments de la convention collective peuvent traiter des éléments qui réduisent cette portée. Autrement dit, vous reconnaissez, d'accord, que nous ne pouvons pas négocier les transferts puisque la répartition des ressources de la GRC au pays et à l'étranger est assez particulière. Nous comprenons cela, mais nous voulons que vous nous offriez autre chose pour compenser cela.
Bon, je ne vais surtout pas conseiller les gens sur l'art de la négociation, mais je sais que c'est ainsi que vont les choses. Il me semble que dans leurs lettres, les ministres Goodale et Brison vous recommandent d'examiner si ce dont j'ai parlé aujourd'hui tient debout. Si ce n'est pas logique, alors ce ne l'est pas, mais c'est la façon dont on traite ce genre de choses.
Une convention collective ne peut pas exposer tous les droits et tous les aspects de la direction à un arbitrage.
Et j'ai une question pour vous, monsieur le sénateur: pourquoi cela ne s'applique-t-il pas aux Forces armées? Pourquoi les Forces armées n'ont-elles pas de convention collective?
Le sénateur Campbell: Ma réponse immédiate est qu'il s'agit d'une institution militaire et que la nôtre ne l'est pas.
Permettez-moi de vous demander une chose. Si un membre ne peut pas participer, par l'intermédiaire de son syndicat, aux décisions qui concernent ses armes ou son gilet pare-balles rigide, qui prendra ces décisions? Est-il si difficile, par exemple, de placer une carabine dans chaque voiture? Est-ce si difficile que cela? Est-ce une question d'argent? C'est là que vous voyez un problème? Ou est-ce le fait qu'on ne devrait pas utiliser ce genre d'arme? Si vos membres ne peuvent pas vous le dire, qui vous le dira? Une personne assise à un bureau qui ne risque pas de se faire tirer dessus, qui n'a pas à se demander, en sortant de son auto, qui se cache derrière le buisson? Qui prend cette décision?
M.Paulson: Pourquoi ne pas examiner, monsieur le sénateur, les répercussions qu'aurait la présence d'une carabine dans chaque voiture, dans chaque contexte, dans toutes les circonstances? Tenons-nous compte...
Le sénateur Campbell: Je vais vous dire quelles en seraient les répercussions...
M.Paulson: Je pourrais peut-être finir ma phrase, si vous voulez bien?
Le président: Sénateur Campbell, s'il vous plaît.
M.Paulson: Devrions-nous porter des carabines pour répondre à un appel de violence familiale? Devrions-nous porter une carabine quand nous patrouillons à pied?
J'ai parlé à un comité de rédaction du journal Vancouver Sun.
Le sénateur Campbell: C'est bien malheureux.
M.Paulson: Oui, c'était bien, bien malheureux. Ils ne m'ont pas demandé de parler de la carabine, mais de la militarisation croissante de la police. Ils comparaient notre situation à certains événements survenus aux États-Unis. Si ces choses évoluent à la manière de Darwin, vous perdez votre capacité de gérer, de comprendre quand et dans quelles circonstances, combien, etcetera.
Le président: Sénateur Campbell, une question très brève.
Le sénateur Campbell: Une question très brève. Ce que vous dites est absurde. Les membres ne vont pas sortir de leurs voitures armés d'une carabine. Nous ne nous transformons pas en une institution militaire. Nous nous efforçons de garantir la sécurité des gens. Si vous avez besoin d'une carabine, elle se trouve dans votre voiture.
Le sénateur Day: Monsieur le commissaire, je regarde la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et à la Section 2, articles 6 et 7 se trouvent les droits que le Conseil du Trésor conserve et les droits que l'employeur conserve. Si j'ai bien compris, ces deux articles, 6 et 7, sont à la base des exclusions mentionnées dans le projet de loi que nous étudions aujourd'hui. Le projet de loi renvoie constamment aux articles 6 et 7 et à la Loi sur la gestion des finances publiques, qui nous vient du Conseil du Trésor.
Passons maintenant à la Section 3, article8, à la page7. Section 3, Comité consultatif et amélioration conjointe du milieu de travail:
Chaque administrateur général...
Vous seriez l'administrateur général de la GRC,
... établit, en collaboration avec les agents négociateurs représentant des fonctionnaires [...] un comité consultatif composé de ses représentants [de l'administrateur] et de représentants des agents négociateurs.
Est-ce là l'article dont vous parliez?
M.Paulson: C'est l'un de ces articles.
Le sénateur Day: L'un des articles. Ce sont les comités consultatifs dont vous parliez.
M.Paulson: Oui, c'est cela.
Le sénateur Day: On y parle ensuite d'échange d'information, entre autres choses sur le harcèlement en milieu de travail et sur la dénonciation. Je voulais juste vous aider un peu. Nous vous demandions de nous le remettre. Le voici, et il se trouve juste celui que nous étudions. Alors nous l'avons.
M.Paulson: C'est cela.
Le sénateur Day: Je voudrais savoir, de ces huit exclusions de la convention collective, combien sont mentionnées ici, et combien ont été établies pour des raisons financières, parce que vous ne pouvez pas approuver un coût ou des coûts éventuels?
M.Paulson: Aucune d'entre elles.
Le sénateur Day: Aucune?
M.Paulson: Non.
Le sénateur Day: Alors toutes ces exclusions découlent de l'interprétation que fait l'employeur de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique?
M.Paulson: Et des droits de la direction avec — oui, c'est cela.
Le sénateur Day: Je vois à la Section 2 que les droits de la direction dont jouit l'employeur lui sont maintenus.
M.Paulson: C'est vrai.
Le sénateur Day: Ce sont les droits de la direction. Des représentants de divers corps policiers sont venus témoigner devant nous et nous ont dit que les membres de la GRC préféreraient être autonomes et ne pas être traités comme des fonctionnaires.
M.Paulson: C'est vrai.
Le sénateur Day: Ils ne veulent pas être poussés sous l'égide de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et de toutes les autres relations de travail de la fonction publique et tout d'un coup, on édifie un mur d'exclusions pour les protéger. Pourquoi cela? Est-ce à cause du recours au Tribunal que l'on adécidé d'insérer les membres de la GRC dans le régime des relations de travail de la fonction publique au lieu d'adopter une loi spécialement pour eux?
M.Paulson: Bon. Je crois que je peux vous répondre de la manière suivante: tout d'abord, nous reconnaissons tous que le contexte opérationnel des corps policiers — pas uniquement de la GRC, mais de la police en général — est différent des tâches que nous accomplissons. Cependant, certains fonctionnaires, comme nos collègues des Services correctionnels et de l'AFSC diraient: «Attendez une minute. Nous exécutons nous aussi ces tâches».
Nous avons étudié — et je dis «nous» de façon très générale, car je crois que le gouvernement l'a fait aussi — l'idée de créer un régime distinct dans le cadre de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Mais il faudrait pour cela créer une nouvelle commission des relations de travail, un nouveau régime de certification et tout ce que prévoit la LRTFP. Je crois que le projet de loiC-7 propose d'inviter des arbitres qui connaissent le milieu policier à siéger à la commission. N'oublions pas que nous ne nous entendons pas parfaitement sur ce que suggère le projet de loiC-42 au sujet de la manière de traiter les griefs et les problèmes sur différents éléments, qui demeureraient dans la Loi sur la GRC si le projet de loiC-7 était adopté. Alors je ne sais pas s'il serait logique de recréer dans la LRTFP tous ces éléments qui existent déjà.
Le sénateur Day: Est-ce que je me trompe en pensant que si l'on établissait un régime distinct, on n'aurait pas nécessairement besoin d'y ajouter ces exclusions? Que la décision d'établir ces exclusions de la négociation collective pour les confier à un comité consultatif découle de la tentative d'insérer tout cela dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique?
M.Paulson: Non, monsieur le sénateur, ce n'est pas ainsi que je comprends les choses. Selon moi, même si ce régime existait en vertu de la Loi sur la GRC, ces exclusions de la négociation collective s'y trouveraient aussi.
Le président: Chers collègues, je voudrais poser quelques questions qui devront figurer dans le compte rendu. L'une d'elles a trait au Fonds de recours juridique des membres de la Gendarmerie. Si j'ai bien compris, jusqu'à cette année on retirait automatiquement de la rémunération des membres les versements à effectuer au fonds; mais ces derniers mois, votre bureau a cessé de le faire.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi, et ce qui arrivera à ce fonds?
M.Paulson: Je pourrais commencer par vous dire que si l'avocat du dossier et les conseils exécutifs de tous les futurs agents négociateurs me promettaient que personne ne se plaindra de pratiques déloyales si nous continuons à soutenir ainsi le fonds juridique, je le relancerais dès demain. Je crois que c'est la meilleure réponse que je puisse vous donner.
Le président: Désolé, je suis un peu comme les spectateurs, je n'ai pas vraiment compris votre réponse.
Si j'ai bien compris, vous aviez un fonds juridique, créé pour les membres comme fonds de dernier recours. Que lui est-il arrivé? Pourquoi avez-vous agi comme vous l'avez fait? Qu'est-ce qui vous empêche de le rétablir?
M.Paulson: Ce fonds juridique est entièrement indépendant de la GRC. Certains agents et anciens agents de la GRC et d'autres intervenants siègent au conseil d'administration du fonds juridique de la GRC. C'est une initiative très noble et logique visant à aider les agents qui font face à des poursuites juridiques très coûteuses.
En abordant cette situation et en nous efforçant d'établir un cadre pour les agents négociateurs certifiés de la GRC, nous devons traiter avec divers intervenants. Il est essentiel que certains de ces intervenants siègent au conseil d'administration. La seule fonction qu'assumait la GRC était de déduire du salaire des membres les versements effectués à ce fonds.
Cependant, si j'ai bien compris, on a retiré de ce fonds del'argent pour le prêter à l'un des futurs agents négociateurs. Certaines personnes importantes qui avaient une position particulière au sujet de l'APMO siègent au conseil d'administration de ce fonds ainsi qu'au conseil d'un futur agent négociateur. Il y a peut-être un agent négociateur qui n'a pas accès à l'argent du fonds. Alors le meilleur conseil juridique que j'aie pu obtenir était que si nous continuons ainsi, nous recevrions une plainte de ceux qui ne peuvent pas participer à la surveillance et à l'administration du fonds juridique et qui essaient d'obtenir la certification; ils se plaindraient du fait que ce que nous faisons n'est pas équitable. Comme ce conseil semblait très prudent, nous avons cessé de soutenir le fonds. Si les autres agents négociateurs éventuels nous promettaient de ne pas déposer de plaintes au conseil pour pratiques de travail déloyales, alors nous vous appuierions entièrement et nous rétablirions le fonds.
Le président: Combien d'argent y a-t-il dans ce fonds?
M.Paulson: Je ne sais pas; une somme importante.
Le président: Des millions?
M.Paulson: Oui, je crois.
Le président: Alors il reste là en suspens, et personne n'utilise ce fonds?
M.Paulson: Je ne sais pas. Nous n'avons aucune responsabilité fiduciaire sur cet argent.
Le président: Incroyable.
J'aurais une autre petite question avant de partir. Je suis persuadé qu'il m'arrive la même chose qu'à mes collègues ici présents, et c'est que je n'ai jamais reçu autant de correspondance sur une seule question touchant directement un groupe de personnes.
Je voulais simplement vous poser une question qui a été soulevée à maintes reprises par les membres du rang et des civils de la GRC. Elle se rapporte au scrutin secret et à la possibilité d'exercer le droit au scrutin secret le moment venu. Je me demande si vous comptez garantir un scrutin secret aux fins de l'accréditation?
M.Paulson: Il me semble que c'est ainsi que le veut la loi, n'est-ce pas? Il y aurait un système de cartes confirmant que la personne a le droit de voter et ensuite, le scrutin sera secret. La démarche me semble parfaitement légale.
[Français]
Le sénateur Carignan: Vous avez dit tantôt au sénateur White que la GRC n'est pas la police d'Ottawa. Cependant, en consultant votre rapport annuel, j'ai constaté que les trois quarts de vos effectifs sont directement liés à un contrat conclu avec une province ou une municipalité. Vous disposez d'au moins 5000 policiers qui exercent leurs fonctions à l'échelle municipale. Ainsi, une bonne partie de vos opérations sont tout à fait conformes aux services offerts par la police municipale.
M.Paulson: Oui.
Le sénateur Carignan: Quelle est la différence fondamentale entre votre corps policier — outre le fait qu'il exerce ses fonctions d'un océan à l'autre — et les forces de l'ordre à l'échelle provinciale qui doivent couvrir de vastes territoires? Quelles sont les particularités de la GRC qui justifieraient un traitement différent de celui de la Police provinciale de l'Ontario et de la Sûreté du Québec? Quels éléments sont différents ou distinctifs?
[Traduction]
M.Paulson: Vous avez raison. Dans un contexte municipal, c'est la même chose qu'un corps de police. En fait, nous travaillons en partenariat avec de nombreux corps policiers municipaux pour des activités d'intérêt mutuel. Ce n'est pas la couleur de l'uniforme qui compte; c'est la portée et l'envergure de nos activités, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, qu'il s'agisse d'une campagne anti-graffiti ou de la lutte contre le terrorisme international. C'est la portée, l'envergure et l'immense variété de nos activités. J'ai toujours dit que si la GRC est la perle qu'elle est, c'est grâce à sa capacité de travailler à l'échelle municipale, provinciale, fédérale et internationale. Elle fait l'envie de nombreux pays qui ont différentes autorités gouvernementales.
[Français]
Le sénateur Carignan: Si vous envoyez un agent de St.John's àYellowknife, ou un agent d'Ottawa en Afghanistan, ne croyez-vous pas qu'il serait raisonnable d'engager des négociations sur les conditions de transfert?
M.Paulson: C'est justement ce que je dis depuis le début. Les discussions porteront sur les conditions de transfert et non sur la décision liée au détachement. Voilà la différence. Nous collaborerons étroitement et nous mènerons des consultations, comme nous l'avons toujours fait. Par contre, la décision de transférer un agent, peu importe l'endroit, relève de la direction.
[Traduction]
La sénatrice Beyak: Merci beaucoup de votre présence, monsieur Paulson. Ma question provenait des membres. Elle comportait deux parties, mais vous y avez répondu en toute franchise dans votre exposé. Il s'agissait des évaluations et des périodes de probation. J'espère qu'ils auront l'occasion de suivre les travaux du comité et d'entendre vos réponses en ligne.
Mon deuxième commentaire se rapportait au harcèlement sexuel. J'applaudis ce que vous faites et j'espère que vous saurez faire la distinction entre le harcèlement sexuel réel et celui qui n'est que présumé. Il y a des moutons noirs dans tous les organismes du Canada, qu'il s'agisse du Sénat, de l'Armée ou autre et il ne faut pas leur permettre de ternir la réputation de l'organisme tout entier. Je vous serais donc reconnaissante de savoir garder l'équilibre.
M.Paulson: Merci, madame la sénatrice. Je le ferai.
Le président: Je vous remercie infiniment d'être venu. Je sais que cette heure et demie a dû vous paraître très longue, mais je crois que cela en a valu la peine pour nous tous. Je tiens à dire aux membres du rang et civils de la GRC que nous faisons notre devoir sans négliger d'efforts en étudiant ce projet de loi pour garantir qu'il aura les effets que nous désirons tous. Merci beaucoup.
Nous reprenons la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense pour l'étude du projet de loiC-7, Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et comportant d'autres mesures.
Pour la deuxième fois dans le cadre de cette étude, nous accueillons comme témoin M.A. Edward Aust, avocat spécialisé en droit du travail et auteur du rapport de 2012 intitulé The Challenge and the Royal Canadian Mounted Police, Report of the Independent Inquiry into the Mandate, the Structure and the Operations of the Royal Canadian Mounted Police Pay Council.
Monsieur Aust, les membres du comité auront quelques questions à vous poser sur le projet de loi à l'étude. Nous disposons de 45 minutes pour cette série d'interventions.
Avez-vous une déclaration liminaire?
A. Edward Aust, conseiller stratégique principal, Aust Legal et ancien conseiller principal du Comité exécutif de la GRC, à titre personnel: Oui, monsieur, j'en ai une.
Le président: Vous avez donc la parole.
M.Aust: Mesdames et messieurs, je vous demande la permission de faire quelques remarques liminaires avant de passer à mon exposé.
Pour commencer, je crois qu'il importe de préciser comment j'en suis venu à comparaître lors de la séance du comité le 6 juin. Deux ou trois jours avant le début de l'audience, j'ai reçu un coup de fil de M.Brian Sauvé, coprésident de la Fédération de la Police Nationale, me demandant si je voulais bien remplacer quelqu'un qui n'allait pas pouvoir comparaître.
M.Sauvé ne m'a pas demandé de représenter ses opinions ni celles d'une association ou autre organisation; il pensait plutôt qu'il était important que le comité prenne connaissance de quelques-unes des constatations du rapport que j'avais rédigé en 2012. Il trouvait que cela vous aiderait à comprendre la situation actuelle.
Au fil de mes relations avec la GRC, j'ai travaillé à plusieurs titres. Comme avocat en exercice pendant 40 ans jusqu'en avril cette année — je suis à présent un avocat à la retraite — j'ai rédigé le premier et le deuxième rapport sur la manière dont le Conseil de la solde de la GRC devait être structuré et organisé, en 1993 et 1996, respectivement. J'étais alors associé principal et membre du comité exécutif du cabinet Stikeman Elliot à Montréal.
Malheureusement, dans mon premier rapport, je recommandai la participation du Conseil du Trésor. Comme on n'a pas souhaité retenir ma recommandation, j'ai rédigé une nouvelle version du rapport en 1995, sans inclure la participation du Conseil du Trésor.
Le programme de participation directe au Conseil de la solde aduré 25 ans. S'il est vrai que la Cour suprême du Canada adéterminé que ce programme n'avait pas été librement choisi par les membres de la GRC et qu'il était donc inconstitutionnel, la Cour n'a pas tranché sur l'efficacité, le rôle ou le succès du Conseil depuis plus de 20 ans.
De 1998 à 2000, j'ai été le conseiller principal du commissaire Philip Murray ainsi que du Comité exécutif de la GRC. J'étais un membre civil assermenté.
Entre 2000 et 2013, j'ai été l'auteur du rapport de 2012 sur les améliorations à apporter au Conseil de la solde, ainsi que professeur adjoint sur le leadership au Collège canadien de police. J'ai également été conférencier invité à la demande du sous-commissaire des Ressources humaines de la GRC.
Je dois dire que depuis sa conception jusqu'au moment où il aété étudié par le comité parlementaire de la Chambre des communes, le projet de loiC-7 n'a pas tenu compte de l'interprétation absolument vitale d'au moins huit décisions de la Cour suprême du Canada.
Ces décisions sont de la plus grande importance, car elles se rapportent à la Constitution du Canada, ce qui comprend la Charte et plus particulièrement le sens du libellé de l'alinéa 2d) et de l'article1. Par ailleurs, on n'a pas tenu compte des arrêts de la Cour suprême dans Roncarelli c. Duplessis, ni R. c. Campbell, également connu sous le nom d'arrêt Stinchcombe.
Compte tenu des témoignages que vous avez entendus, il importe que le comité retienne ce qui suit: le mandat qui m'avait été confié et le rapport de 2012 comprennent, comme il est indiqué aux pages 18 et 19 de mon rapport, l'obligation d'inclure toute loi touchant la GRC. Autrement dit, il y était clairement précisé que dans mon rapport je devais m'occuper des décisions récentes de la Cour suprême qui décrivaient les droits des membres de la GRC et leur statut spécial de titulaires de charges publiques en plus d'être assujettis aux ordres de la GRC. Cette distinction est fondamentale et j'y reviendrai dans quelques minutes.
Je suppose qu'à titre de décideurs politiques, vous aimeriez savoir que les décideurs précédents étaient au courant de ces conclusions qui soulèvent des questions juridiques graves concernant les droits des membres de la GRC. Ce n'est pas parce que j'estime que mes opinions juridiques sont sacro-saintes ou ne peuvent être critiquées. Vous verrez bientôt que les questions soulevées dans ce rapport sont essentielles à votre compréhension du processus qui a été suivi de la conception de l'idée du projet de loiC-7 jusqu'aux réunions avec les ministres, aux réunions avec les avocats du ministère de la Justice et aux réunions du comité parlementaire. Je dirais que si ces décisions et l'interprétation donnée par la Cour suprême du Canada avaient été prises en compte, nous n'en serions pas là aujourd'hui.
La première question portant sur l'équité est, comme vous l'avez entendu aujourd'hui, que la GRC a participé activement avec le Bureau de la sécurité publique et le Conseil du Trésor àintégrer le contenu et les exclusions dans le projet de loiC-7. La question se pose implicitement: lorsque les personnes qui représentaient la GRC ont parlé aux avocats du ministère de la Justice, aux membres du comité de la Chambre des communes, leur ont-ils expliqué les questions juridiques que mon mandat m'a obligé à traiter dans le rapport de 2012?
Pourquoi est-ce si important? C'est important parce que la Cour suprême a décidé que la GRC a dominé le Programme des RRF parce qu'il ne permettait pas de choisir une autre association qui pourrait représenter les travailleurs.
Je vous explique maintenant les faits suivants. Le comité parlementaire qui étudiait le projet de loiC-7 avait-il été informé de la compétence de la GRC sur les conditions de travail visées dans la Loi sur la GRC? Si la GRC avait communiqué le rapport qui soulevait les questions juridiques, on aurait pu conclure qu'il yavait un employeur commun. On aurait pu inclure le fait que le Conseil du Trésor est un employeur — parce qu'il décide des salaires et des rémunérations, sauf pour quelques aspects — et que la direction de la GRC décide des autres conditions de travail en vertu d'une loi — la Loi sur la GRC — indiquant deux employeurs, contrairement à d'autres organisations au sein de la fonction publique dont l'employeur est le Conseil du Trésor, car elles peuvent négocier toutes les conditions qui s'appliquent à ces personnes.
Supposons que l'on ait demandé une seconde opinion sur les conclusions de mon rapport qui aurait dit: «Nous ne sommes pas d'accord avec le rapport de 2012, mais il soulève des questions importantes sur le fait de savoir si la GRC est un employeur.» Par conséquent, toutes les exclusions qu'elle veut voir retirer de la loi sont des éléments sur lesquels elle a une compétence. Si on suppose maintenant que vous receviez l'opinion qu'en fait, ce sont des employeurs communs, tout le processus serait jugé entaché parce qu'on a permis à un des employeurs d'avoir plus d'influence, plus de participation, plus de réunions avec les avocats, avec tous les participants au processus et de faire en sorte que ce dont il était responsable à titre d'employeur soit retiré de la loi.
Deuxièmement, en ce qui concerne la situation actuelle du projet de loiC-7, est-il raisonnable de déduire que la loi va essayer d'améliorer la culture dans toutes les situations dans lesquelles la GRC travaille? Si cela doit être l'un des facteurs de cette loi, je dois croire que c'est l'intention. Nous avons des dirigeants de la GRC qui disent qu'il est impossible de changer rapidement la culture. Je leur dirais que pour changer la culture, il faut négocier avec des gens qui ont des points de vue différents des vôtres et qui ont le droit d'être assis autour de la table.
Le mandat du rapport, comme je l'ai dit, est important. La version française que l'on m'a remise aujourd'hui donne tout àcoup une traduction de mon rapport qui portait sur les recommandations. Mais je pense que plus importante que mes recommandations est la discussion des causes de la Cour suprême qui en vertu du droit d'association de l'alinéa 2d) garantit de négocier de bonne foi et d'adresser des représentations à leur employeur. Qui est l'employeur?
Je vais maintenant vous renvoyer à certaines pages du rapport. Vous verrez dans ces pages que les questions soulevées dans ce rapport et que la GRC connaissait sont très conséquentes et montrent comment tout ce processus peut être entaché.
Pour ce qui est de savoir qui est l'employeur — en fonction de votre version du rapport, il existe des versions où une page est antérieure à l'autre, je vais donc utiliser celle qui a été donnée au commissaire — voyez le rapport aux pages 27 et 38 et à la page42 au milieu de la page. L'importance réside dans le fait qu'elle porte sur les raisons potentielles pour lesquelles vous pourriez avoir deux employeurs auprès desquels les employés seraient en droit de faire des représentations. L'essentiel est l'obligation, selon la Cour suprême, d'entamer les négociations de bonne foi.
J'ai remis au greffier une version française d'un livre que nous avons publié récemment et qui traite longuement du sens de l'expression «de bonne foi». La sénatrice Jaffer a posé une question très pertinente: pourquoi ne pas vouloir négocier ces choses dans les restrictions et les limites de la loi? Pourquoi ces exclusions? La réponse est que si elles sont incluses dans la loi, il est très clair que les consultations avec les gens seraient définies par l'obligation de les entreprendre de bonne foi. Ces deux mots ont un énorme impact sur la façon dont on doit considérer l'information, la façon dont elle doit avoir été présentée et la façon dont on peut enfreindre l'obligation de faire preuve de bonne foi. C'est pourquoi il est essentiel que les décisions de la Cour suprême qui limitent ce qui doit être fait pour que les droits en vertu de l'alinéa 2d) soient respectés soient énoncés dans le projet de loiC-7 et ils ne le sont pas, selon moi.
Le président: Pourriez-vous conclure pour que nous puissions vous poser quelques questions? Le temps n'est pas précisément notre allié.
M.Aust: Je comprends, monsieur le président.
Le président: Poursuivez, mais songez que nous voulons poser des questions.
M.Aust: Excusez-moi, monsieur le président, mais vous me demandez de parler très rapidement des lacunes de ce long processus.
Le président: Poursuivez, je vous en prie.
M.Aust: Je vous invite tous à lire, dans la version française ou anglaise, le livret qui traite de la bonne foi. Ceux qui ne comprennent pas ce que cela signifie en droit et ce que cela oblige les gens qui participent aux négociations à faire auront beaucoup de mal à comprendre ce qu'a dit la Cour suprême.
Le point suivant — et peut-être le plus important par rapport àla Constitution. J'ai essayé dans les cinq minutes qui m'étaient allouées la dernière fois que j'étais ici d'expliquer ce qui a pris 12ans à arriver jusqu'à la Cour suprême. Finalement, elle adécidé que lorsqu'une personne a un ensemble de fonctions de titulaire de charge, enquêtes, arrestations, poursuites, l'agent de police est soumis à sa propre conscience. La Cour suprême a dit que c'est la raison pour laquelle les agents de police ne sont pas simplement des fonctionnaires. Ils sont différents, et ils doivent être traités différemment.
Ce qui est important à ce sujet est que cet aspect des fonctions du titulaire de charge publique est le résultat d'années de litige et de deux décisions de la Cour suprême. Je vous invite à lire l'enquête Ipperwash par M.Kent Roach, une autorité en matière de droit constitutionnel et d'application de la loi. Vous la trouverez dans son rapport intitulé The Overview: Four Models of Police-Government Relations.
La seconde décision est celle de la Cour suprême du Canada, R.c. Campbell. Je ne peux pas vous lire tous les paragraphes pertinents, car — je ne sais pas si c'est le sergent-major — il est difficile de le faire en si peu de temps. Je vais vous lire le dernier paragraphe de la citation.
Le président: Chers collègues, je dois vous mettre en garde àcause du temps. Je m'en veux de devoir vous le rappeler, mais nous n'aurons peut-être pas assez de temps pour les questions. Je tiens à ce que vous le sachiez et que vous compreniez que tout dépend de la longueur de ces propos.
Des voix: Bon, parfait.
Le président: Ils sont d'accord. Vous pouvez donc poursuivre.
M.Aust: Le paragraphe33 de l'arrêt R. c. Campbell, dit:
Bien qu'à certaines fins, le Commissaire de la GRC rende compte au Solliciteur général, il ne faut pas le considérer comme un préposé ou un mandataire du gouvernement lorsqu'il effectue des enquêtes criminelles. Le Commissaire n'est soumis à aucune directive politique. Comme tout autre agent de police dans la même situation, il est redevable devant la loi et, sans aucun doute, devant sa conscience.
Autrement dit, lorsqu'un gendarme fait ces trois choses, il ne peut pas les faire parce que quelqu'un lui a dit de les faire. Il doit priver quelqu'un de sa liberté par une arrestation en se fondant sur son propre jugement. Ce ne sont pas les fonctions d'un militaire. Ce sont des pouvoirs qui s'apparentent à celui d'un juge. Ce sont des principes fondamentaux d'une société démocratique.
Quelle est la conclusion? Je vous invite à lire la décision de 2015 dans la cause de l'Association de la police montée de l'Ontario. Voici ce que la Cour suprême a dit au paragraphe143:
Le procureur général du Canada soutient que l'exclusion des membres de la GRC du régime de la LRTFP actuelle et l'adoption du Règlement de la GRC visaient à préserver et àrenforcer la confiance du public à l'égard de la neutralité, de la stabilité et de la fiabilité de la GRC à titre de force policière indépendante et objective. Nous concluons que la nécessité de mettre en place une force policière indépendante et objective constitue un objectif urgent et réel au titre de l'article premier de la Charte.
Ainsi, la Cour suprême a non seulement rejeté ce que le procureur général avait dit, à savoir que cela ne devrait pas être visé par cette loi, mais maintenant elle dit que cela devrait l'être. On ne peut pas avoir les deux. C'est soit l'un soit l'autre.
J'essaie de passer très rapidement étant donné l'importance de cette question.
Les dynamiques sont multiples à la GRC, notamment en ce qui a trait à la participation des femmes à la culture. N'oubliez pas que cette loi va toucher et, espérons-le, améliorer la culture, le rôle des femmes — et je vous invite à lire la page85 du rapport — et la façon dont ces femmes vont améliorer la GRC. Il faudra que l'organisation s'adapte à 2016 et non à 1833. Si nous ne pouvons pas trouver les moyens de changer la culture pour que les femmes veuillent travailler à la GRC, c'est nous qui en souffrirons.
En ce qui concerne la diversité dans les échelons supérieurs de la GRC, au cours des 12 derniers mois, je crois, jusqu'à quatre commissaires adjoints sont partis. Il y avait une femme qui était une commissaire adjointe respectée de tous et qui travaillait à la GRC depuis longtemps. Elle avait été expressément recrutée, mais voilà qu'elle part. Cette culture ne peut pas s'améliorer si nous ne changeons pas la dynamique.
Je vous demanderais également de lire — et je passe rapidement — la page66 du rapport, la citation du professeur Pfeffer sur la capacité de la direction...
Le président: Je regrette, mais pourriez-vous mettre fin à votre intervention afin que nous puissions vous poser quelques questions? Je n'y peux rien, monsieur, mais des limites de temps ont été imposées au comité. Nous voudrions vous poser quelques questions sur des articles concrets du projet de loi. D'accord?
M.Aust: D'accord.
Le sénateur White: Merci de votre présence, monsieur Aust. J'ai une question rapide à vous poser et je sais que vous pourrez yrépondre tout aussi rapidement.
Ce qui manque dans le projet de loiC-7, selon moi, c'est une mention de la nécessité d'entreprendre des négociations de bonne foi et des négociations collectives de bonne foi à la suite de la décision du gouvernement du Canada, conformément à ce que la Cour suprême a déclaré.
Pouvez-vous me dire si vous voyez des négociations collectives de bonne foi si ce projet de loi est adopté?
M.Aust: D'après mon expérience, c'est un mouvement de balancier entre la bonne foi et le manque de bonne foi. Je ne voudrais pas voir les parties présentes tenter par elles-mêmes de faire face aux multiples problèmes et à la complexité de cette situation sans un facilitateur pour présider les négociations — et cela pourrait être inclus dans la loi —, car aucune n'a d'expérience suffisante en négociations.
Il faudrait changer le projet de loiC-7 pour prévoir d'autres participants — et j'en ai parlé dans mon rapport — établir l'identité de ces participants et définir qui devrait avoir le pouvoir de les inviter.
Le sénateur White: Mais, monsieur Aust, même avec les exclusions, ne convenez-vous pas que la bonne foi est reléguée aux oubliettes de toute façon?
M.Aust: Je dirais que les associations seraient parfaitement en droit de contester cette loi sur la base de la décision de la Cour suprême et du fait que le Parlement, la Chambre des communes et le Sénat n'ont pas tenu suffisamment compte du cadre de l'interprétation qu'a donnée la Cour suprême de l'alinéa 2d).
[Français]
Le sénateur Dagenais: Merci, monsieur Aust, pour votre présentation. C'est la première fois que je prends connaissance de la version française de votre rapport que l'on vient tout juste de recevoir.
M.Aust: Je m'excuse, mais ce n'est pas le rapport. Il s'agit simplement des recommandations. La partie la plus importante du rapport, ce sont toutes les décisions dans lesquelles j'ai soulevé des problèmes avec le projet de loiC-7. J'ai cru que cette partie aurait été transmise à la Chambre des communes et au comité qui a fait l'étude.
Le sénateur Dagenais: J'espère que nous pourrons y avoir accès. J'arrive à la recommandation 2, où l'on peut lire ce qui suit:
Le Conseil ne fait plus de recommandations à la GRC concernant les conditions de travail (salaires, avantages sociaux et indemnités) qui relèvent du Conseil du Trésor.
Vous ne faites plus de recommandations à la GRC dans la recommandation 2. Est-ce là ce que je dois comprendre?
M.Aust: Non. En ce moment, le Conseil de la solde fait desrecommandations seulement en ce qui concerne les domaines decompétence du Conseil du Trésor. Son rôle est limité. J'ai recommandé que le Conseil de la solde puisse faire des recommandations sur tous les aspects liés aux conditions de travail, en raison de la décision dans la cause de BC Health Services, selon laquelle les salariés et leurs représentants ont le droit de faire des représentations en ce qui concerne tous leurs objectifs dans le milieu du travail. C'est énorme, c'est vaste. C'est pour cela que les exclusions peuvent être refusées dans le cadre de négociations. Ils ont le droit de refuser lorsque le syndicat demande de les inclure dans la convention collective, mais ils ont tout de même l'obligation d'en discuter en bonne foi.
Le sénateur Dagenais: Le projet de loiC-7 n'impose pas l'obligation de tenir un vote secret pour une accréditation syndicale. Compte tenu de la nature du régime quasi militaire de la GRC, ne trouvez-vous pas que l'absence d'une telle disposition est imprudente pour les policiers, qui ne voudraient pas être pointés du doigt pour une question d'allégeance? Pour reprendre l'idée de mon collègue, le sénateur Carignan, le vote secret est important, non pas pour protéger les policiers contre une compétitivité syndicale, mais pour les protéger de leur employeur, qui pourrait les cibler et prendre des mesures de représailles. Qu'en pensez-vous?
M.Aust: Tout d'abord, ce n'est qu'une personne de votre expérience qui pourrait poser cette question.
Très souvent, le syndicat ne veut pas tenir de vote secret, parce qu'il veut être accrédité uniquement au moyen des cartes signées qui sont en possession du conseil responsable de l'accréditation. Le problème est que, dans certains cas, cela peut nuire au syndicat, alors que dans d'autres cas, cela peut jouer en sa faveur. Il faut examiner la situation de la GRC dans les conditions actuelles. Peut-être qu'un vote secret serait nécessaire.
Le sénateur Dagenais: Protégé de l'employeur?
M.Aust: Cela protégerait les deux parties, dans un certain sens.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, je tiens à remercier M.Aust.
M.Aust: J'ai remis plusieurs documents au greffier, dont un texte de 30 pages sur la question de la bonne foi. Je vous invite à le parcourir, tout comme un exposé sur les motifs historiques pour lesquels il importe que la police ait une structure différente à la lumière des pouvoirs qui lui sont officiellement conférés par la Constitution.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Aust.
Parmi notre quatrième groupe de témoins aujourd'hui, nous accueillons M.Eli El-Chantiry, président de l'Association ontarienne des commissions des services policiers, ainsi que de la Commission des services policiers d'Ottawa. Il est également conseiller de la Ville d'Ottawa. Félicitations.
Bienvenue au comité.
Eli El-Chantiry, conseiller, Ville d'Ottawa et président, Commission des services policiers d'Ottawa: Bonjour et merci de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Je m'appelle Eli El-Chantiry et je suis le président de la Commission des services policiers d'Ottawa. Je viens également d'être élu président de l'Association ontarienne des commissions des services policiers.
L'application de la loi est au cœur de ce que nous examinons, principalement du point de vue de la gouvernance. Nous étudions également les relations avec nos services de police par le biais du chef, de l'exécutif et des associations qui représentent les employés de la police dans la province de l'Ontario.
Nous avons donc l'APO, l'Association des policiers de l'Ontario, et l'officier supérieur au sein de notre propre ville àOttawa.
Je pense que nous devons avoir une forte gouvernance policière tant pour la responsabilisation que pour la surveillance. Je crois que chaque organisme policier au Canada devrait avoir une structure de gouvernance indépendante pour que les collectivités et les contribuables comprennent qu'ils sont représentés auprès dela police. Comme je l'ai toujours dit à mes collègues de lacommission, nous représentons la collectivité. Nous ne représentons pas seulement la police. Nous voulons donner aux services policiers ce dont ils ont besoin, mais nous devons également répondre aux besoins de la collectivité. Pour cela, il nous faut de bonnes personnes. Elles doivent disposer des outils et des compétences nécessaires pour régler les problèmes.
J'ai étudié le projet de loi — évidemment pas tellement depuis vendredi — et j'ai réfléchi aux préoccupations qui ont été soulevées dans les discussions au comité. Je comprends les problèmes entre les associations de policiers et ceux qui supervisent les services policiers, commissions et gouvernements, mais l'importance d'instruments comme le projet de loiC-7 est qu'ils créent une base pour de bonnes négociations grâce à une bonne gouvernance.
La Gendarmerie royale du Canada joue un rôle important dans le développement du Canada et reste un élément fort de notre identité. Dans l'ensemble, les agents de police sont essentiels à la sécurité et à la sûreté de notre pays. Contrairement à la plupart des pays, ils représentent le public, assurent la primauté du droit et travaillent pour nous tous. Nous tenons en haute estime ces hommes et ces femmes qui assument les fonctions d'agent de police.
Il est essentiel que lorsque nous travaillons avec ceux qui représentent la police — dans ce cas, les membres de la GRC — nous ayons un système équitable de représentation comme la Cour suprême du Canada l'a défini:
Le gouvernement ne saurait adopter des lois ou imposerun processus de relations de travail qui entrave substantiellement le droit des employés de s'associer en vue de réaliser véritablement des objectifs collectifs relatifs au travail. Tout comme l'interdiction pour des employés de s'associer porte atteinte à la liberté d'association, le modèle de relations de travail qui entrave substantiellement la possibilité d'engager de véritables négociations collectives sur des questions relatives au travail porte également atteinte à cette liberté. De même, un processus de négociation collective n'aura pas un caractère véritable s'il empêche les employés de poursuivre leurs objectifs.
Je vois l'équité comme étant essentielle à une négociation juste et impartiale. Les commissions de police ne l'emportent pas toujours lors des négociations, mais il est extrêmement important que ces négociations aient lieu et qu'elles soient pertinentes.
Je sais que le temps presse et je vais donc abréger.
J'ai été élu au conseil municipal pour la première fois en 1993. Je suis membre de la Commission des services policiers d'Ottawa depuis cette date. Je suis président de la Commission des services policiers d'Ottawa depuis près de dix ans. Je suis membre de l'Association canadienne des policiers et de l'Association des commissions des services policiers de l'Ontario, dont je viens d'être élu président.
J'ai négocié de bonne foi avec notre association. Nous ne sommes pas toujours d'accord, mais il y a toujours un processus en cas de désaccord.
Je vais terminer, car je sais que le temps est compté. Je répondrai maintenant à vos questions.
Le sénateur White: Merci de votre présence, monsieur. Je m'intéresse surtout au côté négociation et à l'importance d'agir de bonne foi.
Nous avons devant nous un projet de loi qui a exclu un certain nombre d'enjeux que l'on retrouve dans les conventions collectives, dont celle de la police d'Ottawa, mais aussi partout en Ontario et au Canada, des aspects à négocier, tels les mutations, les griefs et les promotions, qui sont en fait exclus des négociations de sorte que les membres n'ont personne pour représenter leurs intérêts ou participer à la détermination du mode de fonctionnement de l'organisme.
Dans votre optique, croyez-vous que l'exclusion de ce genre de questions d'une convention collective, voire de la capacité de négocier, empêche la négociation de bonne foi?
M.El-Chantiry: Merci, sénateur White. Inutile de vous rappeler — vous étiez le chef — que quand les gens étaientmécontents du processus de promotion, quelques agents — peut-être plus — trouvaient que le processus était injuste à leur endroit et s'adressaient à la commission. Je sais que ce genre de question relève du chef. J'étais le président à l'époque, alors j'enaiparlé au chef. Ils étaient plus nombreux, mais seuls quelquesagents m'ont demandé de me pencher sur le processus. Pouvons-nous vous demander un examen par des tiers? Pouvons-nous vous demander de rencontrer ces gens et de vous occuper de la question?
Mon travail ne consiste pas à intervenir dans les activités du chef, mais de surveiller. Le chef travaille toujours au gré de la commission. La commission s'inquiète quand quelques agents soulèvent des préoccupations au sujet d'une promotion concrète et qu'ils sont mécontents du processus ou de la façon dont il s'est déroulé. Le chef s'engage alors à faire faire un examen par un tiers, qui définira le processus, et à ramener le dossier devant la commission pour montrer qu'un processus a été élaboré de concert avec un tiers. Je crois que les gens ont été satisfaits. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Le sénateur White: Simplement pour préciser, c'est parce que vous avez pu négocier ce genre de questions avec l'association.
M.El-Chantiry: Oui, absolument.
Le sénateur White: Si elles étaient exclues et si j'étais le seul àpouvoir m'en occuper, que feriez-vous?
M.El-Chantiry: Nous ne pouvons rien faire si une partie est exclue, que ce soit l'association ou le chef. La bonne foi veut dire que si l'association présente un grief et a le droit de le faire, notre travail consiste à collaborer avec vous pour régler ces griefs. En fait, nous le faisons tous les jours, pas seulement pour les promotions.
À mon humble avis, je ne pense pas que l'on puisse avoir une bonne gouvernance en l'absence de l'une de ces parties, que ce soit l'association ou le chef, car nous avons besoin de cette coopération entre eux.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Monsieur El-Chantiry, vous avez de l'expérience dans les services de police. Un service de police est un service public qui doit assurer la sécurité du public, et pour cela, il doit disposer de suffisamment d'effectifs pour répondre aux appels. Plus tôt, j'ai été surpris, et je ne sais pas si vous étiez présent dans la salle, lorsque le commissaire Paulson nous a dit que, à la GRC, lorsqu'un policier est seul pour couvrir un territoire isolé, s'il reçoit un appel et qu'il ne se sent pas en sécurité pour y répondre seul, il n'y répond pas. J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet.
M.El-Chantiry: Si j'ai bien compris votre question, sénateur, un policier ne se sent pas en sécurité lorsqu'il doit répondre en solo à un appel. La santé et la sécurité sont importantes pour nous tous et nous avons une politique qui permet que nos effectifs évaluent la situation.
Je représente une région rurale très éloignée et lorsque nous recevons un appel pour des problèmes familiaux, notre personnel attend. Les agents de police évaluent la situation et décident de ne pas intervenir. Les régions rurales sont tranquilles, mais ces gens ont parfois des fusils très puissants. Comme vous le savez peut-être, il y a beaucoup de chasseurs. Les agents évaluent la situation et décident d'attendre du renfort. Ils ont parfois une certaine marge de manœuvre dans le cas d'un appel tard le soir où une seule personne ne peut pas intervenir. Ils se mettent alors àdeux pour se rendre sur place.
Nous ne leur disons pas ce qui est sécuritaire pour eux; ce sont eux qui doivent nous dire s'ils pensent pouvoir répondre à un appel en toute sécurité. Je ne pense pas qu'il serait juste qu'une personne comme moi à l'hôtel de ville dise: «Vous auriez dû répondre à cet appel à deux heures du matin et vous n'auriez pas été en danger parce que untel est une bonne personne.» Je ne pense pas qu'à mon niveau je sois en droit d'intervenir dans une opération.
[Français]
Le sénateur Dagenais: Comme vous l'avez bien mentionné, les policiers se parlent et entendent ce qui se dit en anglais, et en français aussi: un « backup ». Pour avoir un backup, il faut avoir les effectifs nécessaires. Si la GRC n'a pas les effectifs, d'après ce que j'ai compris des propos du commissaire Paulson, l'agent ne répond pas à l'appel. Donc, c'est la responsabilité du corps de police de prévoir les effectifs nécessaires. Je sais que vous ne répondez pas pour le commissaire Paulson, mais je vous remercie beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Campbell: Merci beaucoup d'être ici. Comme vous, j'étais membre de la commission de police à Vancouver et ma question sera donc toute simple. Il y a un certain nombre d'exclusions dans ce projet de loi, et le commissaire a laissé entendre qu'elles devaient être indiquées de cette façon.
Y a-t-il quelque chose de ce genre dans votre domaine de compétence qui exclut ce type de questions, par exemple àOttawa?
M.El-Chantiry: Non, monsieur, sans connaître toutes les exclusions dont vous parlez. Je n'en ai vu que quelques- unes dans le projet de loi.
Lors d'une intervention, j'ai entendu un débat au sujet de l'équipement et de qui devrait prendre les décisions en matière d'équipement. Retournons au chef précédent, qui est sénateur actuellement, et qui avait proposé un véhicule BearCat. C'était bien le BearCat?
Le sénateur White: Oui, le BearCat, un véhicule blindé.
M.El-Chantiry: C'était en dehors du budget et il n'avait donc pas l'autorité déléguée de dépenser cet argent. Il devait soumettre un rapport complet à la commission parce que le montant dépassait 100000$. Les décisions relatives à l'équipement sont normalement discrétionnaires si le montant ne dépasse pas les limites du budget du chef. Comme le montant était supérieur à sa limite de dépenses, il a dû s'adresser à la commission pour faire approuver l'achat du véhicule.
J'ai entendu une partie du débat sur le projet de loiC-7 qui portait sur qui devrait décider de l'équipement. Dans certains domaines, le chef en sait évidemment plus que nous sur l'équipement dont nous avons besoin sur le plan opérationnel, comme vous le savez, puisque vous avez été membre de la commission.
En fin de compte, cela peut être dans l'intérêt public. En Ontario, la province autorise la police à se doter de Tasers, mais on a ensuite demandé à la commission de formuler une politique à ce sujet et c'est ce que nous avons fait. Or, le chef ne peut pas acheter de Taser parce qu'on ne peut l'acheter qu'à l'entreprise Taser. Il n'y a donc pas de demande de propositions et on fait affaire à un seul fournisseur exclusif. Dans le domaine de l'application de la loi, il est préoccupant de dépenser 100000 ou 200000$ sans concurrence. En tant que président de la commission, et pour ceux que je représente, le public et les contribuables, je dois demander au chef de remettre un rapport détaillé à la commission dans lequel il déclare avoir fait preuve de diligence raisonnable et que nous ne nous faisons pas arnaquer par une entreprise.
En matière d'équipement, je dois dire que nous ne sommes pas toujours du même avis. Mais avec une directive claire, il ne peut yavoir de malentendu. Le chef comprendra que s'il a besoin de Tasers, c'est la politique qu'il doit suivre. Oui, on peut choisir l'équipement dont on a besoin, mais en cas de fournisseur exclusif, il faut demander l'approbation de la commission.
J'espère l'avoir bien expliqué.
Le sénateur Kenny: Bienvenue commissaire. Je suis heureux de vous voir ici. Pour donner suite à la question du sénateur Campbell, le syndicat a-t-il son mot à dire lors de l'achat d'équipement?
M.El-Chantiry: Je ne crois pas que le syndicat fera d'observation à la commission. Le chef indique à un membre du syndicat ou à un membre de l'association qu'il va faire cet achat, mais c'est la commission qui traite avec le chef. Le syndicat ne vient pas nous dire directement: «Nous voulons ceci et nous ne voulons pas cela.» Non.
Le sénateur Kenny: Je ne voulais pas parler du véhicule blindéavec lequel le chef voulait aller travailler. Ce que je voulais en réalité c'était savoir comment les membres du Service de policed'Ottawa, s'ils ne sont pas satisfaits d'un uniforme, pourraientdire que leur veste n'est pas confortable en hiver. Pourraient-ils soulever une question comme celle-là et comment s'y prendraient-ils? Leur convention collective leur permet-elle de négocier pour une veste plus chaude en hiver?
M.El-Chantiry: Oui, en effet. Ils le peuvent dans le cadredeleur convention collective. Si le syndicat de la police veut que sesmembres aient un Taser, parce que la province autorisemaintenant les agents de première ligne à en porter, ils peuvent effectivement négocier avec la direction, avec le chef et le représentant adjoint du chef. Ils collaborent, et bien évidemment il ne sert à rien d'acquérir quelque chose que les membres n'estiment pas opportun. Nous prenons leurs observations très au sérieux, car ils représentent les agents de première ligne. Si ces agents nous disent qu'ils ont besoin d'un certain type de veste, qui mieux qu'eux peut nous recommander ces vestes? Ils demandent ensuite l'approbation de la commission ou demandent au chef de le faire pour eux.
Le sénateur Kenny: D'accord. Donc, j'en déduis que vous pensez qu'il serait assez étrange d'avoir une loi qui ne permettrait pas aux agents d'exprimer leur point de vue à la table de négociation au sujet des uniformes?
M.El-Chantiry: Je dirais que cela dépend d'eux. Ils savent mieux que quiconque ce dont ils ont besoin. Notre travail consiste à leur donner ce dont ils ont besoin parce que ce sont eux qui peuvent nous indiquer le type d'équipement. Sénateur, qui sait mieux que les gens de première ligne? Par exemple, ils nous ont dit de ne pas acheter le Dodge Ranger parce qu'il n'est pas aussi bon qu'un autre type de voiture. La direction avait pensé faire des économies en achetant cette voiture. Nous l'avons testée. Ils l'ont testée. Elle ne convenait pas. Il n'y avait pas assez d'espace àl'arrière. Nous avons donc donné ces voitures au service de sécurité d'OC Transpo.
Je suis désolé, je parle de ma propre expérience à Ottawa. Ce n'est peut-être pas très important pour tout le monde, mais c'est mon expérience ici.
Le président: C'est ce que nous voulons entendre. C'est ce qui nous permet de comprendre.
M.El-Chantiry: Bon, merci, monsieur le président.
Nous constatons que nous aurions dû écouter nos membres et que ce n'était pas une bonne idée de changer de véhicule. Nous aurions dû les écouter. Ce sont les agents de première ligne qui savent le mieux, en particulier, sénateur, lorsqu'il s'agit de santé et de sécurité.
Je me souviens du débat sur la carabine 7 par rapport à la 8. Peu importe maintenant si le chef est d'accord ou non. Nous avons demandé à l'unité tactique de faire une présentation pour expliquer aux membres civils comme moi quelle était la différence entre la C-7 et la C-8, et quel était l'avantage pour les membres de les avoir dans les véhicules. Comme vous le savez, l'application de la loi a beaucoup changé et évolué et, à mon avis, ce sont surtout les agents de première ligne qui en bénéficieront.
Si un agent de première ligne vient vous dire, «Sénateur, je ne veux pas intervenir seul à Fitzroy Harbour dans West Carleton, car je ne me sens pas en sécurité», je dois respecter son évaluation de la situation. Pourquoi? Eh bien parce qu'il est à presque une demi-heure du poste de police le plus proche. Pourquoi voudriez-vous lui faire prendre des risques alors qu'il vous dit qu'il ne se sent pas en sécurité?
Je dois faire confiance à mon personnel et à mes employés pour qu'ils me fassent une évaluation exacte. Ils ne plaisantent pas en demandant plus de personnel parce qu'en fin de compte, ils doivent attendre jusqu'à ce que du renfort arrive.
Le sénateur Kenny: Bien. Cette information est très utile. Pour le compte rendu, pourriez-vous simplement nous parler des responsabilités de la commission de services policiers? Quels sont les aspects qui sont de votre ressort d'après vous?
J'aurais une autre petite question à vous poser ensuite.
M.El-Chantiry: La commission de la police en Ontario, monsieur le président, ce qui peut être différent dans d'autres provinces, a trois représentants de la ville, qui sont élus. Dans la province de l'Ontario, le maire siège automatiquement à la commission. Certains maires choisissent de siéger, d'autres non. Certains acceptent et deviennent le président. Trois sont des élus du conseil municipal, trois sont nommés par la province et un membre est choisi parmi la population. Il y a sept membres pour un service de police, mais pas pour un détachement ou un petit service. Je crois que tout service ayant plus de 65 policiers doit avoir une commission complète de 7 membres.
Notre mandat consiste essentiellement à embaucher le chef, les deux chefs adjoints et le directeur général, qui est un poste équivalent au chef adjoint. Quant à notre travail, il consiste àélaborer un plan d'activités de concert avec le chef en fonction des besoins de la collectivité que nous représentons. Il nous appartient aussi de prévoir le budget de notre service de police, de fournir le plan d'activités tous les trois ans et de travailler avec le chef et son personnel.
Nous sommes également l'employeur. La commission de services policiers incarne l'identité même de la police. Ainsi, si des poursuites sont intentées contre la police d'Ottawa, ce n'est pas le service de police d'Ottawa lui-même qui est en cause. Les poursuites sont intentées contre la Commission de services policiers d'Ottawa, car nous constituons l'identité de la police. Si le chef recommande à un moment donné — et il n'a malheureusement pas encore le pouvoir de le faire — le licenciement de quelqu'un, même s'il s'agit de quelqu'un en période de probation, il doit s'adresser à la commission. Si un agent travaille depuis moins d'une année, nous avons le droit de limiter son contrat de travail. Nous faisons une recommandation à la commission, et c'est elle qui prend la décision finale.
Il en est de même pour la nomination de gendarmes spéciaux. Le chef les recommande, même ceux qui sont destinés aux universités ou à la police des transports. Tous les gendarmes spéciaux qui relèvent de nous sont recommandés par le chef, mais approuvés par la commission. En définitive, c'est la commission qui peut prendre ces décisions à titre d'employeur.
Le sénateur Kenny: Si je vous ai bien compris, vous avez dit que chaque service policier de l'Ontario a sa propre commission, même l'OPP.
M.El-Chantiry: Eh bien, l'OPP s'organise autrement, et j'aimerais bien vous l'expliquer, car à l'OPP nous avons les articles 10 et 5.1. Pembroke en est un bon exemple. La ville a un contrat avec l'OPP, qui s'occupe des services policiers et qui a sa propre commission. Mais la commission ne négocie pas un contrat avec l'OPP. Elle négocie l'établissement des coûts de l'application de la loi et tout le reste, mais quand il s'agit de la solde des agents de l'OPP, c'est la province qui la négocie. L'OPP a sa propre association, si je puis dire.
Le sénateur Kenny: Selon votre expérience, croyez-vous qu'il serait avantageux pour la GRC d'avoir une commission?
M.El-Chantiry: Comme je l'ai dit, en ma qualité de président de la Commission de services policiers d'Ottawa et de l'association des commissions des services policiers de la province, j'estime que ce serait très avantageux, d'abord parce que nous sommes des civils et ensuite, nous ne sommes pas rémunérés, du moins à Ottawa. Nous le faisons comme partie intégrante des fonctions de conseiller. Je le fais donc tout simplement parce que je crois représenter la collectivité. Je ne représente pas uniquement les intérêts de la police. Je maintiens l'équilibre quelquefois. Par exemple, partout au pays, la police et les services d'incendie ont tendance à embaucher leurs neveux et leurs cousins, comme vous le savez. Je n'ai pas besoin de vous le dire; vous n'avez qu'à consulter l'annuaire pour voir qui sont ces personnes. Alors la commission de services policiers intervient pour rappeler qu'il nous faut de la diversité dans nos services de police, qu'il nous faut davantage de personnes de la communauté gaie et lesbienne, des néo-Canadiens, des Autochtones et autres et que l'on doit recruter des gens en fonction de ce que l'on voit dans la rue et non pas en regardant à la gendarmerie ou dans le miroir. C'est là que la commission peut jouer un rôle en représentant la collectivité et ce qu'il lui faut. Comme vous le savez, la police et la Croix-Rouge partout dans la province et dans le pays ont l'habitude de fraterniser. C'est très bien. On est frères et sœurs et c'est bien. Mais il faut tout de même un organe qui puisse représenter la collectivité. Et que veut la collectivité? Par exemple, si je vais à la commission de services policiers pour dire que j'ai reçu une centaine de courriels, la plupart portant sur la circulation dans ma localité, c'est pour savoir si le chef a l'intention de faire quelque chose à ce sujet. Je ne vais pas lui dire quoi faire ni comment le faire, mais je dois lui dire que la circulation est problématique dans ma ville. Les armes à feu et les gangs inquiètent les gens dans ma ville. Quelle que soit la préoccupation, nous sommes un organe civil et les gens nous font confiance pour les représenter. C'est là le grand avantage à mon sens.
Si vous voulez avoir une commission, il faut qu'elle ait un pouvoir de surveillance. Mon pouvoir c'est de renvoyer le chef s'il ne respecte pas ce que je fais. Voilà mon pouvoir. Si je n'ai pas ce pouvoir, le chef peut me dire: «D'accord, dites ce que vous voulez.» Vous n'avez aucun pouvoir. Je pense qu'avec le pouvoir vient la responsabilité, ce qui fera un meilleur gouvernement des deux côtés, de sorte que le chef saura qu'il doit travailler au gré de la commission et la commission saura que nous travaillons avec le chef pour lui donner les outils dont il a besoin pour faire un bon travail pour notre sécurité. J'espère que je l'ai bien expliqué.
Le sénateur Kenny: Merci beaucoup, monsieur, et merci, monsieur le président.
Le sénateur Day: Merci d'avoir comparu et de nous avoir expliqué votre façon de vous occuper des choses.
Ce que nous devons étudier c'est la loi pour la GRC qui est intégrée à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. On y retrouve un régime légèrement différent selon lequel certains aspects peuvent être négociés et recueillis dans uneconvention collective alors que d'autres en sont exclus. Ces aspects sont spécifiquement réservés à la direction, qu'il s'agisse du Conseil du Trésor ou de l'employeur, directement.
Mais ensuite on crée un autre moyen de communication entre l'organe accrédité, le syndicat et la direction, que l'on baptise «comités de consultation» et au sein desquels on discute de toutes sortes de sujets. Ces comités doivent être établis et l'un des sujets de discussion est le harcèlement en milieu de travail. Êtes-vous au courant de ce genre de structure de gestion, où tout ne se prête pas à une négociation collective, mais où des discussions syndicales-patronales ont tout de même lieu, mais de manière différente que dans le cadre d'une convention collective?
M.El-Chantiry: Nous parlons de harcèlement en milieu de travail, alors nous en entendons parler comme tout le monde. Or, si le chef s'occupe du harcèlement et fait quelque chose à ce sujet, c'est parfait. Si la commission est saisie d'un cas de harcèlement, elle demandera au chef ce qu'il a l'intention de faire pour y remédier. Nous pourrions également créer une politique et faire en sorte que le chef soit tenu de la respecter.
Le sénateur Day: Laisseriez-vous au chef le soin d'établir un processus de consultation avec le syndicat?
M.El-Chantiry: Je n'ai rien à redire s'il souhaite avoir des consultations avec le syndicat, mais en même temps, nous devons avoir une politique pour pouvoir mesurer les choses. Je veux être sûr d'avoir une politique en place, car un chef pourrait se contenter de me dire qu'il y a eu 10 plaintes et qu'il s'en est occupé, sans autre explication. Pas question. Je dois pouvoir lui dire: «Veuillez m'expliquer comment vous vous en êtes occupé exactement. Nous avons une politique à ce sujet et nous devons voir si vous l'avez entièrement respectée.»
À mon avis, sénateur, il n'y a aucune crainte à avoir de la surveillance, car parfois, malgré celle-ci, nous entendons dire que quelque chose est passé inaperçu. Par conséquent, je tiens à ce que quelqu'un qui n'est pas satisfait du processus suivi par la commission proprement dite, puisse s'adresser à un autre niveau en Ontario. Nous avons pour cela le Bureau du directeur indépendant de l'examen de la police (BDIEP) qui peut étudier ces plaintes. Nous avons aussi la Commission civile des services policiers de l'Ontario. Il y a donc des recours. Même si la commission ne fait pas preuve de la diligence voulue pour tenir le chef responsable, les autres organes ont le pouvoir de le faire comparaître.
Le sénateur Day: Est-ce qu'ils s'occupent également d'aspects qui ne figurent pas dans la convention collective?
M.El-Chantiry: Oui.
Le sénateur Day: Des relations?
M.El-Chantiry: Oui, monsieur, ils le font.
La sénatrice Jaffer: Merci beaucoup de votre présence. Vous nous avez vraiment beaucoup aidés. Pour moi, le problème se pose du côté de la direction, et vous l'avez bien expliqué. La question qui me préoccupait quand je me préparais en fin de semaine était celle de la bonne foi, et vous l'avez expliquée.
On nous a dit qu'il y a moins de gens qui veulent se joindre à la GRC et vous vouliez en parler, mais ce qui m'intéresse ce sont les bonnes pratiques de négociation collective. Si les hommes ont les mains liées à cause de huit exemptions et comme vous avez travaillé pendant tant d'années à la commission de police, quelles sont les bonnes pratiques de négociation collective?
M.El-Chantiry: Nous devons agir de bonne foi. Je ne suis pas en train de dire que cela va toujours fonctionner, madame la sénatrice. Parfois, comme vous le savez, nous faisons affaire à des associations ou à des équipes syndicales qui diffèrent les unes des autres. Mais selon notre expérience à Ottawa, nous n'avons jamais de problème avec l'association des cadres supérieurs. Nous avons toujours négocié et nous l'avons toujours fait de la bonne manière et en peu de temps. Parfois nous sommes arrivés àune entente avec le syndicat, d'autres fois non, mais nous avons un processus d'arbitrage contraignant dans cette province. Avant de passer à l'arbitrage, nous optons parfois pour la conciliation, et le conciliateur rencontre les deux parties, le représentant syndical, et nous dit si nous demandons trop ou pas assez et nous invite àtrouver un juste équilibre.
Si vous voulez parler d'arbitrage, il nous faudra toute une séance rien que pour cela.
La sénatrice Jaffer: Je comprends.
M.El-Chantiry: Lorsque les policiers ne sont pas autorisés àfaire grève ou à exercer des moyens de pression, on doit leur donner un moyen d'exprimer leur préoccupation dans la convention collective. Si vous et moi ne sommes pas d'accord, nous pouvons faire appel au président. Si nous ne sommes toujours pas d'accord, nous nous adresserons un autre organisme. Nous n'avons pas eu de problèmes parce que 94p.100 de la négociation collective dans la province de l'Ontario se déroule entre la commission et le syndicat. Seulement 6 à 7p.100 des cas vont en arbitrage exécutoire. Vous pouvez voir la tendance. Les gens peuvent encore travailler ensemble et négocier de bonne foi.
La sénatrice Jaffer: Estimez-vous que c'est dans l'intérêt public?
M.El-Chantiry: Oui, tout à fait.
Le président: Je tiens à remercier nos témoins d'avoir comparu, surtout à si brève échéance. Nous étudions ici un texte de loi important, et nous apprécions votre expertise. Vous nous avez fait comprendre comment les choses se passent dans la rue, si je puis dire, en première ligne.
(La séance se poursuit à huis clos.)